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Dimensions de la
situation raciale
Editorial 537
Documentation et informations
professionnelles
Calendrier des réunions internationales 669
Documents et publications des Nations Unies
et des institutions spécialisées 675
Livres reçus 683
« Répertoire mondial des institutions de
sciences sociales » 690
Rédacteur en chef : Peter Lengyel.
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Rev. Int. Se. soc., vol. X X m (1971), n» 4
Pierre L . L'ethnicité en Afrique
van den Berghe
Les conditions spéciales qui ont prédominé dans les sociétés plurales de l'Afrique
subsaharienne pendant et après l'ère coloniale ont rendu les spécialistes
de sciences sociales de plus en plus conscients de la complexité des « rapports
ethniques ». Jusqu'ici, notre arsenal théorique permettant de traiter des rap-
ports ethniques sur une base comparative et mondiale reste insuffisant, mais
nous commençons à pouvoir démêler les éléments du problème. Ces quelques
dernières années, un certain nombre de tentatives ont été faites pour étudier
l'ethnicité sur un plan universel et comparatif (Banton, 1967; Barth, 1969;
van den Berghe, 1967a; M a s o n , 1970; Rex, 1970; Schermerhorn, 1970; Shibutani
et K w a n , 1965). E n outre u n certain nombre de monographies ont été publiées
sur des sociétés plurales d'Afrique, des Amériques, des Caraïbes et de l'océan
Indien (Benedict, 1961; van den Berghe, 1964 et 19676; Colby et van den
Berghe, 1969; Despres, 1967; Leo Kuper, 1965; Lofchie, 1965; Smith, 1965a,6).
Notre compréhension d u fait ethnique, en Afrique et dans d'autres
sociétés coloniales et postcoloniales, a été jusqu'à tout récemment obscurcie
par quatre tendances principales de la tradition occidentale en matière de
science sociale. D'abord, les anthropologues, qui ont accompli la plus grande
partie des recherches sur le m o n d e colonial, ont traditionnellement pris
c o m m e unité d'analyse le groupe de culture homogène; ils se sont intéressés
davantage à la description de la structure sociale des groupes qu'aux relations
de ces groupes entre eux et avec leurs voisins ou leurs dominateurs.
E n second lieu, dans la mesure o ù les anthropologues se sont occupés
de rapports ethniques, ils y ont vu le plus souvent u n problème de « contact
culturel » dans le contexte théorique de 1' « acculturation ». Us ont étudié
les effets des rapports entre groupes sur le contenu spécifique des formes
linguistiques et culturelles plutôt que le complexe de relations asymétriques,
politiques et économiques, qui constitue l'essentiel de la « situation coloniale ».
Troisièmement, la plupart des recherches sur les rapports « raciaux et
ethniques » ont été faites en Amérique : aux États-Unis et, à un moindre
degré, au Brésil, aux Caraïbes et en Amérique centrale. U n e bonne part de
ces recherches portait sur la phénoménologie et la psychologie sociale des
rapports ethniques ou raciaux, attachant une grande importance à la genèse
psychologique et aux expressions culturelles du préjugé. O n laissait largement
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opposés. Mais, dans la plupart des cas, l'ethnie reste le critère dominant.
C e schéma ne suffit pas à rendre compte de la complexité d'une quelconque
situation concrète (Barth, 1969; van den Berghe, 1965; Kaufert, 1970; Leo
Kuper, 1965 ; Leo Kuper et Smith, 1969 ; Mercier, 1965 ; Mitchell, 1960 ; Rothchild,
1970; Schermerhorn, 1970; Wallerstein, 1965). Pour approfondir cette analyse,
j'essaierai de dégager certaines des principales dimensions selon lesquelles
varient en Afrique les phénomènes ethniques.
D'abord, il convient de noter que l'ethnicité présente à la fois u n aspect,
objectif et un aspect subjectif, le second étant fréquemment plus important
que le premier. Par aspect objectif, j'entends les caractéristiques culturelles
et linguistiques particulières d'un groupe, telles que les décrivent les ethnologues.
Par exemple, le groupe X se caractérise par la polygynie, lafiliationmatri-
linéaire, la résidence virilocale, la royauté sacrée, le culte des ancêtres, les
rites d'initiation, u n système de marché de quatre jours, une langue de la
famille bantoue, une agriculture d'essartage et d'écobuage, etc. L'ensemble
des peuples qui « présentent » ces « traits » constituent u n « groupe ethnique »
au sens objectif où l'entendent les anthropologues. Pourtant, les réalités
ethniques sont aussi profondément influencées par la façon dont u n groupe
se définit lui-même et définit ses voisins, et dont les autres le définissent.
C'est le côté subjectif de l'ethnicité.
Les groupes ethniques se différencient à la fois objectivement et dans
la mesure où ils se sentent différents ou semblables. Les différences perçues
ne coïncident pas nécessairement avec les différences objectives. H est courant
que des sous-groupes dialectaux d'un m ê m e groupe linguistique se consi-
dèrent c o m m e très différents, faute simplement d'une perspective plus large-
ment comparative. A l'inverse, des groupes sans aucun lien de parenté inventent
le mythe d'une c o m m u n e origine pour légitimer u n ordre politique. Ainsi,
les souverains musulmans, arabes ou non, tendent à se donner des généalogies
fictives établissant leurfiliationavec le Prophète.
A u niveau subjectif, l'une des conséquences les plus importantes des
migrations de travailleurs, de l'urbanisation, du commerce à longue distance
et d'autres formes de contact entre groupes ethniques a été un relèvement
général de 1' « échelle » d'appartenance ethnique. C e phénomène, que certains
anthropologues qualifient avec désinvolture de « supertribalisation », est hé na-
turellement à la montée du nationalisme. Lorsque des paysans vont vivre et
travailler en ville, ils se rendent vite compte que leurs voisins, qu'ils considé-
raient c o m m e très différents d'eux-mêmes, sont en fait très proches, par c o m -
paraison avec u n grand nombre d'autres gens qui se comportent de façon en-
core bien plus étrange et imprévisible. Ces processus de fusion subethnique ont
souvent précédé la période coloniale, mais ils se sont certainement accélérés
au cours des dernières décennies. Des groupes c o m m e les Louhyas d u K e n y a
ou les Ibos d u Nigeria, qui ont maintenant acquis u n sentiment national,
étaient il y a trente ou quarante ans des communautés rurales dispersées.
N o u s s o m m e s ainsi amenés à considérer le problème extrêmement
important de la genèse du nationalisme — qui n'est que la transformation
du vague sentiment d'une communauté ethnique en une forme plus explicite
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que les populations des villes. Mais, dans le secteur moderne, les possibilités
sont très limitées et l'offre dépasse largement la demande pour la majorité
des emplois. D e plus, l'échelle de la mobilité sociale se rétrécit et la compétition
devient plus acharnée à mesure qu'on monte.
Étant donné ce m a n q u e de possibilités et l'existence de clivages ethniques,
on peut prévoir qu'à l'intérieur des classes privilégiées la compétition prendra
un caractère ethnique. D a n s la lutte pour les postes de l'administration,
de l'armée, des écoles et universités, des organismes d'État, des bureaucraties
privées, l'arme la plus sûre est la revendication ethnique, l'assurance d ' u n
appui politique sur une base ethnique. Lorsque le conflit ethnique devient une
pratique admise, o n se trouve dans un cercle vicieux. Chacun s'attend à trou-
ver en face de soi u n tribaliste, et justifie son propre particularisme ethnique
c o m m e un procédé défensif ou préventif ou c o m m e u n m o y e n de rétablir l'équi-
libre détruit par le tribalisme de l'autre. L e favoritisme devient endémique,
omniprésent, pratiquement inévitable. O n voit le tribalisme partout ; on inter-
prète systématiquement le comportement des autres c o m m e une manifestation
de tribalisme; o n devient à son tour tribaliste à titre préventif et ainsi de suite.
Il est important de noter ici que les clivages ethniques au niveau de
l'élite, s'ils peuvent engendrer des conflits capables de menacer l'intégrité
de l'État ( c o m m e au Nigeria), sont aussi le principal obstacle au développement
d'une solidarité de classe. Les classes dirigeantes africaines restent très ouvertes
en raison des liens de protecteur à client qui unissent les m e m b r e s d'une m ê m e
ethnie, à tous les niveaux. L e système de classes est encore trèsfluide,par
comparaison avec la plupart des sociétés européennes, asiatiques o u a m é -
ricaines. Classe et ethnicité sont les termes d'une relation antithétique.
Cette relation comporte pourtant un autre aspect. L'adoption d u français
ou de l'anglais c o m m e langue officielle dans la plupart des États africains
entraîne naturellement de multiples conséquences. D ' u n e part, elle établit
des liens importants, sans considération d'origine ethnique, entre tous ceux qui
se situent au sommet de la pyramide sociale; d'autre part, elle dresse une
barrière de classe à l'intérieur des groupes ethniques. E n facilitant la c o m m u -
nication à l'intérieur de la classe dirigeante, le français o u l'anglais devient
un élément essentiel de la domination de classe. L a langue étrangère est
un m o y e n de communication semi-ésotérique, et sa connaissance devient u n
critère et u n indicateur de statut dans un système social mobile. D ' u n e part,
s'il existe une solidarité de classe dans la couche dirigeante, elle provient
largement d'une communauté de formation dans la langue étrangère et d u
prestige que confère la possibilité de communiquer par ce m o y e n ésotérique.
D'autre part, le développement d'une culture étrangère au sommet détruit
la solidarité ethnique entre classes et crée une barrière entre l'élite et les masses.
O n pense à la francisation de l'aristocratie russe sous le régime tsariste.
U n e seconde conséquence importante de l'adoption d u français o u de
l'anglais c o m m e langue officielle est qu'elle peut désarmorcer une mine de
conflits ethniques. A la différence de l'Inde, de la Belgique, d u Canada et
d'autres États multinationaux qui ont à faire face à des querelles constantes
et acerbes sur la politique linguistique, les États africains n'ont pas eu jusqu'à
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Pierre L . van den Berghe est professeur de sociologie
à l'Université de Washington (Seattle). Auparavant
il a enseigné dans différentes universités d'Afrique ainsi
qu'à la Sorbonne. Il est l'auteur d'un grand nombre
de publications sur la question raciale, parmi lesquelles
on peut citer : South Africa, a study in conflict (1965),
Race and racism, a comparative perspective (1967),
Race and ethnicity, essays in comparative sociology (1970).
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ethnique1
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O n attache u n grand prix à la pureté des femmes de la haute société, que des
sanctions extrêmement sévères protègent contre les risques de pollution
sexuelle par des h o m m e s de condition inférieure1. E n revanche, 1' « exploita-
tion sexuelle » tient une grande place dans les relations entre les h o m m e s
de la haute société et les femmes de condition inférieure. Berreman note
que les « avantages sexuels » dont bénéficient les h o m m e s de haute caste,
dans le village indien qu'il a étudié, sont analogues jusque dans le détail à
ceux dont jouissent les h o m m e s de race blanche dans la ville du sud des ÉtatsT
Unis qu'a étudiée Dollard2.
N o u s pourrions, à ce stade, résumer les traits caractéristiques des castes
en disant que ce sont des groupes hiérarchisés qui sont fondés sur l'appartenance
héréditaire et qui préservent leur identité sociale en pratiquant une stricte
endogamie. L'appartenance héréditaire est d'une importance capitale; elle
détermine le rang social de l'individu dès la naissance, et exclut toute possi-
bilité de passage d'un groupe dans u n autre. E n dépit de nombreuses excep-
tions, ces divers facteurs se combinent pour donner à la structure interne
d'une société à castes une rigidité peu c o m m u n e .
Si j'ai traité d'abord des ressemblances entre les deux types de stratifica-
tion sociale, cela ne signifie pas que je les considère c o m m e plus fondamentales
que les différences. Sur l'importance qu'il convient d'attacher à ces ressem-
blances et à ces différences, les avis sont très partagés* et certaines spécialistes,
c o m m e D u m o n t * et Leach 5 , trouveraient dangereusement impropre l'emploi
du mot caste pour désigner les systèmes de stratification fondés sur la couleur.
Pour eux la caste, au vrai sens d u terme, est une institution particulière à
la civilisation panindienne.
Les différences entre les deux types de système de castes — nous trouvons
c o m m o d e , pour notre part, d'employer le m ê m e terme dans les deux cas —
sont assez manifestes, mais il n'est pas facile de les résumer en une formule,
Certains feraient la distinction en disant qu'il s'agit d'un « modèle culturel »
dans u n cas, d'un « modèle biologique » dans l'autre6; mais le système de
castes de couleur que l'on trouve dans le sud des États-Unis o u en Afrique
du Sud peut-il se décrire en termes purement biologiques? Warner 7 et Myrdal 8 ,
après avoir envisagé la possibilité de considérer les groupes qu'ils étudiaient
c o m m e des races, l'ont ensuite l'un et l'autre écartée. U n rapide examen de
1. Dans les monographies déjà citées, on trouvera des exemples américains de John Dollard
et d'Allison Davis, B . B . Gardner et M . R . Gardner. Une monographie indienne, « Caste
in a Tanjore village », se trouve dans : E . R . L E A C H (dir. publ.), Aspects of caste in South
India, Ceylon and North-West Pakistan, Cambridge, 1960.
2. Gerald D . B E R R E M A N , Hindus of the Himalayas, p. 243-245, Berkeley, 1963.
3. Voir : Anthony de R E U C K et Julie K N I G H T (dir. publ.), op. cit.
4. Louis D U M O N T , « Caste, racism and 'stratification' : reflections of a social anthropologist »,
Contributions to Indian sociology, n° 5, 1961, p. 20-43.
5. E . R . L E A C H , « Introduction : What should we mean by caste? », dans : E . R . L E A C H (dir.
publ.), op. cit.
6. S. J. Tambiah a qualifié cette opposition de « simpliste » dans un débat dont rendent compte
Anthony de R E U C K et Julie K N I G H T (dir. publ.), op. cit., p. 328-329.
7. W . Lloyd W A R N E R , « Introduction » dans : Allison D A V I S , B. B . G A R D N E R et M . , R . G A R D N E R ,
op. cit., p. 3-14.
8. Gunnar M Y R D A L , op. cit.
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A n d r é Béteille
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N o u s allons maintenant essayer de voir s'il est possible d'établir une relation,
dans le cas de la société indienne, entre les distinctions de caste et les diffé-
rences d'aspect physique. D'emblée o n peut dire que, si une telle relation
existe, il y a peu de chances pour qu'elle soit simple o u directe. Les différences
physiques, en Inde, ne sont pas « polarisées »; on passe insensiblement d'un
type à u n autre, sans aucune solution de continuité. Il est malaisé de diviser
la population en races, ou m ê m e de distinguer des types physiques nettement
différenciés. Le système des castes présente lui aussi une grande complexité.
Il se divise et se subdivise en d'innombrables groupes dont l'examen pourrait
constituer u n bon point de départ.
Le m o t caste sert à désigner, en Inde, des groupes et catégories de nature
très diverse. D e u x distinctions présentent une importance particulière : il ne
faut pas confondre varna et jati, ni caste et sous-caste. L a différence entre
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André Béteille
varna et jati est, en gros, celle qui sépare un modèle ou schéma conceptuel
d'une série réelle de groupes sociaux o u de catégories sociales. Il n'existe que
quatre varnas, qui se classent dans u n ordre bien défini, tandis que les jatis
sont multiples et leur classement à la fois plus ambigu et plus souple1. Il ne
faudrait pas considérer les jatis c o m m e résultant de la subdivision d'une
série primitive de quatre varnas. C o m m e l'a montré Karve, varna et
jati sont deux systèmes distincts (bien qu'apparentés) qui coexistent depuis
au moins deux mille ans2.
L a distinction entre caste et sous-caste est de nature différente. Il s'agit
dans les deux cas de divisions sociales réelles, mais la première catégorie est
plus large que la seconde. Si nous considérons par exemple la caste des potiers,
ou celle des menuisiers, nous constatons que dans une m ê m e région il y a
deux o u trois espèces distinctes de potiers et de menuisiers, différenciées par
la technique qu'ils emploient, le lieu d'où ils sont venus, la secte dont ils font
partie, ou quelque autre facteur moins tangible. N o u s pourrions considérer
chacune de ces divisions c o m m e une sous-caste. Leur structure est analogue
à celle des groupes plus larges, et elles sont généralement endogames. Cer-
tains ethnologues, c o m m e Ghurye, soutiendraient que les différentes espèces
de potiers sont des sous-castes, résultant de la segmentation de la caste des
potiers3. Karve soutient, à l'inverse, que ces différentes espèces de potiers
ne présentent aucun lien entre elles, et que chacune doit être considérée c o m m e
une caste distincte, l'ensemble des potiers constituant u n groupe de castes*.
C e qui fait l'importance de son argumentation, dans le présent contexte,
est qu'elle s'appuie sur des données anthropométriques6.
Il arrive que la différenciation s'opère à plus de deux niveaux. C'est
ainsi qu'il existe trois catégories principales de brahmanes tamouls : a) les
prêtres des temples; b) les prêtres attachés à des familles non brahmanes;
c) les érudits et les propriétaires fonciers. Cette troisième catégorie se subdivise
elle-même en Smartha et en Shri Vaishnava. Parmi les brahmanes Smartha,
on distingue les V a d a m a , les Brihachanaram, les Astasahashram et les Vattima.
Les V a d a m a , enfin, se répartissent en Vadadesha et en Chozhadesha V a d a m a 6 .
Devant ce genre de différenciation, il convient de considérer le système des
castes c o m m e segmentaire ou structurel' ; car si chaque segment est endogame,
la distance sociale qui les sépare est variable. Entre V a d a m a et Brihachanaram,
par exemple, la distance sociale est inférieure à celle qui sépare les V a d a m a
des Shri Vaishnava, celle-ci étant elle-même inférieure à celle qui sépare tous
les brahmanes de tous les non-brahmanes, à quelque segment qu'appartiennent
les uns et les autres. Cette façon d'envisager le système nous conduit à nous
1. M . N . SRINIVAS, « Varna and caste », dans: M . N . SRINIVAS, Caste in modem India and other
essays, p. 63-69, Bombay, 1962.
2. Iriwati K A R V E , op. cit.
3. G . S. G H U R Y E , Caste and race in India, Londres, 1932.
4. Iriwati K A R V E , op. cit.
5. Iriwati K A R V E et K . C . M A L H O T R A , « A biological comparison of eight endogamous groups
of the same rank », Current anthropology, vol. 9, 1968, op. 109-116.
6. André BÉTEILLE, Caste, class and power..., op. cit.
7. Ibid.
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Race, caste et identité ethnique
« Si nous prenons une série de castes au Bengale, au Bihar, dans les Provinces-Unies
d'Agra et de l'Aoudh, ou dans l'État de Madras, et si nous les rangeons par ordre
d'indice nasal moyen, en commençant par la caste dont les membres ont le nez le
plus fin et en terminant par celle dont les membres ont le nez le plus épais, nous
constatons que ce classement correspond, en gros, à l'ordre admis de préséance
sociale2. »
Risley était également frappé d u fait que les membres des castes supérieures
avaient en général la peau plus claire que ceux des castes inférieures, et il a
relevé u n certain nombre de proverbes locaux qui font allusion à ces diffé-
rences de pigmentation.
Selon la théorie complexe qu'il a imaginée pour expliquer la hiérarchi-
sation sociale des castes, le système des castes résulterait de la rencontre de
deux groupes raciaux distincts, l'un à la peau claire et au nez fin (groupe
aryen), l'autre à la peau sombre et au nez épais (groupe n o n aryen). D'après
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André Béteille
560
Race, caste et identité ethnique
« Dans chacune des trois enquêtes, on a constaté une certaine corrélation entre l'ordre
de préséance sociale propre à tel État ou telle région et les constellations ethniques
fondées sur les données anthropométriques2. »
« O n ne saurait donc tenir pour acquis que la distance qui sépare les castes brahmanes
étudiées est inférieure à celle qui sépare une caste brahmane d'une caste non brahmane ;
car certains brahmanes sont plus proches de certains membres d'autres castes qu'ils
ne le sont les uns des autres*. »
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André Béteille
Bien que les C P K ne soient pas brahmanes, ils occupent une très haute posi-
tion dans la hiérarchie, et l'on peut les considérer c o m m e proches, quant au
rang social, des K B .
Cela nous conduit à examiner la signification sociale des différences
génotypiques (par opposition aux différences phénotypiques). Certains ethno-
logues du passé, c o m m e Risley, ont essayé d'établir une relation entre le rang
social d'une caste et l'apparence physique de ses membres. Ils y ont été encou-
ragés par le fait que beaucoup d'Indiens croyaient à l'existence d'une telle
relation2. Tout le m o n d e pense que les castes supérieures ont le teint clair et
le nez fin, tandis que les castes inférieures ont le teint foncé et le nez large.
Mais il semble bien aujourd'hui que deux castes socialement voisines, dont
les membres se ressemblent beaucoup physiquement, peuvent néanmoins
être très différentes l'une de l'autre quant à leur composition génétique.
Des différences génétiques n'ont de chances de revêtir une signification
sociale que si leur existence est généralement connue ou si elles se traduisent
par des différences manifestes de type physique. Ainsi que je l'ai déjà dit,
il existe en mainte partie de l'Inde des différences d'aspect considérables entre
des castes qui se situent respectivement aux deux extrémités de la hiérarchie,
et les croyances et stéréotypes auxquels ces différences ont donné naissance
et qui persistent malgré toutes les preuves contraires jouent également u n
grand rôle. D e s croyances qui sont en fait erronées ou incompatibles peuvent
néanmoins revêtir parfois une importance capitale sur le plan des rapports
sociaux. C o m m e l'a dit Passin :
« Lorsqu'on étudie la relation entre caste et race, il ne suffit pas de savoir si les
groupes considérés sont en fait racialement distincts. L'important est plutôt que
l'on semble enclin à fonder des distinctions raciales sur les plus marginaux des
indices que présentent les castes et groupes analogues3. »
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Race, caste et identité ethnique
Ce qui importe dans la vie sociale, c'est le sentiment de solidarité que les
gens éprouvent d u fait qu'ils appartiennent à une m ê m e c o m m u n a u t é et
(inversement) la distance que sentent entre eux les membres de communautés
différentes. L e sentiment de c o m m u n a u t é repose souvent sur l'impression
d'avoir une origine c o m m u n e . Cette impression peut rester vague, o u au
contraire revêtir la forme consciente d'une idéologie. Elle se trouvera renforcée
si la c o m m u n a u t é se distingue par des caractères physiques particuliers, mais
cela n'est pas indispensable : le sentiment de c o m m u n a u t é est parfois très
vif malgré l'absence d'indicateurs physiques manifestes, ce qui nous conduit
à examiner la question des groupes ethniques et de leur identité.
L'emploi systématique de la notion d'ethnicité est d'origine relativement
récente en sociologie et en ethnosociologie, bien que la présence de groupes
ethniques aux États-Unis ait depuis longtemps retenu l'attention.
« O n entend par groupe ethnique une population distincte vivant au sein d'une société
plus large dont la culture est différente de la sienne. Les membres d'un tel groupe
sont, ou se sentent, ou passent pour être, unis entre eux par des liens de nature raciale,
nationale ou culturelle1. »
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« E importe de reconnaître que, bien que les catégories ethniques tiennent compte
des différences culturelles, on ne saurait tenir pour acquise l'existence d'une relation
simple et univoque entre unités ethniques d'une part, ressemblances et différences
culturelles de l'autre1. »
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Race, caste et identité ethnique
totale. Les musulmans forment une minorité assez importante, qui dépasse
légèrement 10 % de la population. D'autres groupes sont numériquement
importants dans certaines régions particulières, tels les sikhs au Pendjab
et les chrétiens au Kerala. Mais si l'on considère l'ensemble du pays, le clivage
le plus significatif est celui qui sépare les hindous des musulmans. S'il se
pose dans le pays un problème « communautaire », le prototype en est fourni
par les relations entre ces deux communautés 1 .
Les hindous et les musulmans de l'Inde n'appartiennent pas à des races
distinctes. E n fait, ils sont les uns et les autres très mêlés du point de vue racial.
Cela n'a rien d'étonnant, attendu que les musulmans indiens sont pour la
plupart les descendants d'hindous convertis. Selon Spear, il y a eu deux
principales sortes de conversions : des conversions par clans ou par groupes,
par suite desquelles des castes c o m m e celle des rajpoutes, des jats et des
goujars du nord de l'Inde comprennent à la fois des hindous et des musulmans,
et les conversions massives par lesquelles des hindous de basse caste, notam-
ment au Bengale, ont embrassé l'islamisme2. C e dernier point est corroboré
par les données anthropométriques de Majumdar, dont il a été question
ci-dessus; par leur apparence physique, les namasudras de basse caste sont
plus proches des musulmans que des hindous de haute caste3.
Des communautés hindoues et musulmanes coexistent depuis mille ans
en diverses parties de l'Inde. Les différences religieuses sont assorties de
nombreuses autres, qui ont trait au m o d e de vie. Ces différences n'ont pas
été les m ê m e s à toutes les époques, mais il y en a toujours eu, tantôt plus mar-
quées, tantôt atténuées. Il se peut qu'hindous et musulmans ne se soient
pas différenciés par le type physique; mais l'idéologie religieuse a fourni
à chacune des deux communautés l'occasion de préciser consciemment son
identité par opposition à l'autre. A u cours des siècles, les deux communautés
se sont fait réciproquement de nombreux emprunts, et depuis quelques décen-
nies elles sont l'une et l'autre exposées à des forces évolutives analogues.
Mais cela n'a pas effacé les frontières entre elles. E n fait, l'histoire récente
de l'Inde, en ce qui concerne les relations entre hindous et musulmans, semble
montrer que des groupes peuvent prendre une plus vive conscience de leurs
identités opposées au m o m e n t m ê m e où s'estompent entre eux les différences
d'ordre extérieur.
La population de l'Inde est également divisée du point de vue linguistique.
Mais les frontières linguistiques ne coïncident pas, en général, avec des cli-
vages religieux, de sorte que les deux facteurs de division ne s'additionnent
pas en Inde c o m m e ils le font souvent dans des pays c o m m e la Malaisie ou
Ceylan. Cela, joint à la multiplicité des groupes linguistiques aussi bien
que religieux, tend à prévenir la polarisation des conflits communautaires,
qui restent généralement diffus.
Le nombre des langues qu'on parle en Inde dépasse la douzaine; mais
567
André Béteille
568
Race, caste et identité ethnique
[Traduit de l'anglais]
569
Gordon Bowker Interaction, conflits et
tensions entre groupes
dans l'enseignement
570
Rev. int. Se. soc, vol. X X m (1971), n« 4
Interaction, conflits et tensions dans l'enseignement
1. Voir par exemple, par C . B . C o x et A . E . D Y S O N (dir. publ.) : Fight for education, Londres,
The Critical Quarterly Society, 1969; et Black paper two, Londres, T h e Critical Quarterly
Society, 1970.
571
Gordon Bowker
572
Interaction, conflits et tensions dans l'enseignement
1. A . R . JENSEN, « H o w far can w e boost, I.Q. and scholastic achievement? », Harvard educa-
tional review, vol. X X X I X , 1969, p. 1-123; C . B U R T , « The mental difference between chil-
dren », dans : C . B . Cox et A . E . D Y S O N , Black paper two, Londres, The Critical Quarterly
Society, 1970.
2. J. F L O U D , « The educational experience of the adult population », dans : D . V . G L A S S (dir.
publ.), Social mobility in Britain, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1954; 15 to IS (The
Crowther report), Londres, H M S O , 1960; Higher education (The Robbins report), Londres,
H M S O , 1963. J. S. C O L E M A N et al., Equality of educational opportunity, Washington, D . C . ,
U . S . Department of Health, Education and Welfare, U . S . Government Printing Office, 1966.
3. K . B . C L A R K E , Dark ghetto, chap. 6, Londres, Victor Gollancz, 1965.
4. N . H A W K E S , Immigrant pupils in British schools, Londres, Pall Mall, 1966. E . J. B . R O S E ,
Colour and citizenship, chap. 18 et 23, Londres, Oxford University Press, 1969. G . B O W K E R ,
Education of coloured immigrants, 2 e éd., Londres, Longmans, 1969.
573
Gordon Bowker
1. Half our future (The Newson report), partie 3, Londres, H M S O , 1963; Children and their
primary schools CThe Plowden report), vol. 1, Londres, H M S O , 1967; K . B . C L A R K E , op.
cit., chap. 6.
2. T . K A W W A , « The sociometric studies of ethnie relations in London schools », Race,
vol. 10, n° 2, octobre 1968, p. 173-180.
3. S. G . S. W A T S O N et H . L A M F K T N , « Race and socio-economic status as factors in the
friendship choices of pupils in a racially heterogeneous South African school », Race, vol.
10, n» 2, p. 181-184.
4. The education of immigrants, Londres, H M S O , 1965 (Department of Education and Science
circular 7/65); G . B O W K E R , op. cit., chap. 7.
5. M . E . G O O D M A N , Race awareness in young children, N e w York, Collier Books, 1964.
6. I. P U S H K I N , « A n investigation into the development of prejudice in young children », thèse
de doctorat non publiée, Londres, Birkbeck College, 1966.
7. T . K A W W A , op. cit.
574
Interaction, conflits et tensions dans l'enseignement
R o y a u m e - U n i sur les préjugés chez les enfants ont révélé que leurs attitudes
sont étroitement liées à celles des parents. Les méthodes et le contenu d u
processus de socialisation des enfants par les parents semblent jouer u n rôle
particulièrement important1. Les enfants blancs élevés dans un esprit égali-
tariste sont moins hostiles à l'égard des Noirs que ceux à qui l'on a inculqué
l'idée de la supériorité d'une élite. L a tendance égalitariste est généralement
plus forte dans les classes moyennes et supérieures et dans des zones o ù la
proportion de Noirs est plus faible. Cependant, les études menées tant aux
États-Unis qu'au R o y a u m e - U n i donnent à penser que l'expression orale
du préjugé n'est pas nécessairement plus forte au bas de l'échelle sociale;
elle l'est nettement plus parmi les travailleurs qualifiés et dans la « classe
moyenne inférieure », où les aspirations sont plus ambitieuses et o ù l'on est
plus conscient de la concurrence que représentent les minorités immigrantes2.
Par conséquent, l'apparition et l'intensité des conflits de groupes à l'école sont
déterminées à la fois par l'emplacement de l'établissement, le type de peu-
plement et la structure de l'emploi dans la zone considérée, et les groupes
d'âge intéressés. Si la concurrence et les antagonismes s'apaisent avec le
temps — grâce à l'égalisation des conditions de logement et d'emploi par
exemple — les conflits de groupes à l'école semblent s'atténuer aussi.
Mais les établissements scolaires qui accueillent des élèves d'ethnies et
de cultures diverses subissent souvent le contrecoup de phénomènes plus
délicats et plus complexes que cette transposition des oppositions entre
groupes. Ainsi, il arrive que les préjugés concernant l'infériorité de groupes
subordonnés s'enracinent dans l'esprit d'enfants qui font partie de tels groupes.
O n a pu constater, par exemple, que certains élèves noirs d'écoles américaines
non ségrégationnistes se font d'eux-mêmes une image assez précise selon l'idée
stéréotypée que les Blancs ont des Noirs3. L a haine et le mépris de son propre
groupe racial, et de soi-même en tant que m e m b r e de ce groupe, peuvent
entraîner des difficultés d' « adaptation de la personnalité ». O n a pu constater
que ce phénomène se traduit chez les enfants noirs, par rapport aux enfants
blancs de catégories correspondantes : par une anxiété plus forte4; par une
image de soi plus négative et par davantage de passivité, de morosité et d'appré-
hension5; par des sentiments plus forts de frustration et d'hostilité dans
575
Gordon Bowker
1. St. C . D R A K E , « The social and economic status of the Negro in the United States »,
Daedalus, vol. 94, 1965, p. 771-814.
2. Ibid; M . E . G O O D M A N , op. cit.; I. P U S H K I N , op. cit.
3. S. P A R K E R et R . J. K L E I N E R , Mental illness in the urban Negro community, N e w York, T h e
Free Press, 1965.
4. C . B A G L E Y , « Immigration, race and mental health : a review of some recent research »,
Race, vol. 9, n° 3, janvier 1968.
5. B . C . R O S E N , « Race, ethnicity and the achievement syndrome », American sociological
review, vol. 2, 1959, p. 47-60.
6. P. M . E . F I G U E R O A , « West Indian school-leavers in London. Prospects and prejudice »,
communication à la British Sociological Association, mars 1969.
7. A . M A R S H , « Awareness of racial differences in West African and British children », Race,
vol. 11, n° 3, Janvier 1970.
8. B. D A V I S O N , Black British, Londres, Oxford University Press, 1967. Davison montre comment
les immigrants antillais au Royaume-Uni occupent pour la plupart des emplois pour tra-
vailleurs non qualifiés et semi-qualifiés.
A . H . R I C H M O N D , Colour in Britain, p. 225 et 226, Londres, Penguin Books, 1961. Richmond
décrit le système antillais fondé à la fois sur la couleur, la classe et le rang social, qui rejette
au bas de l'échelle les Noirs au teint le plus foncé.
576
Interaction, conflits et tensions dans l'enseignement
577
G o r d o n Bowker
d'une langue nouvelle; pour les Antillais et les Noirs des États-Unis, le
réapprentissage de celle qu'ils parlent déjà1.
A u R o y a u m e - U n i , o n a constaté que les enfants des immigrants de couleur
sont d'autant mieux acceptés par leurs pairs autochtones que leur acculturation
est plus poussée. L'adoption du costume et des habitudes alimentaires des
Européens compte pour beaucoup, mais moins que l'apprentissage de la
langue2. Il n'y a pas, au R o y a u m e - U n i , de politique officielle d'acculturation
forcée des minorités3, mais certains enseignants seraient en faveur d'une
telle politique et s'efforceraient de l'imposer4. Mais tout ce qui empêche le
nouvel arrivant d'apprendre la langue et de se familiariser rapidement avec
les normes et les pratiques sociales en vigueur rend difficile la moindre inté-
gration sociale et économique. U n système de sélection élitiste à base de
tests correspondant à la culture des Blancs de classe moyenne et la quasi-
obligation pour les enfants de tous âges de s'inscrire à l'école d u quartier
constituent des obstacles de ce genre. D e telles méthodes risquent fort
d'entraîner une ségrégation de facto5. L e système de sélection tend à accentuer
les inégalités et à perpétuer les conflits tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de
l'école. L e principe qui exige l'inscription à l'école du quartier limite les
chances qu'ont les enfants des groupes subordonnés de s'évader de leur
ghetto résidentiel et scolaire. Autrement dit, ces deux catégories de mesures
limitent les contacts avec la culture dominante et servent en conséquence
à maintenir les formes de domination existantes. Il ne s'ensuit pas néces-
sairement que la dispersion des élèves soit une solution satisfaisante à long
terme, mais il faut certainement faire disparaître les ghettos misérables et donner
à tous de meilleures chances de s'élever dans la société et de lutter à armes
égales.
M ê m e lorsqu'un enseignement élitiste discriminatoire est remplacé par
un système théoriquement égalitaire et ouvert à tous, des inégalités peuvent
subsister dans certains établissements; elles tiennent tantôt à l'organisation
scolaire, tantôt aux idées élitistes de certains enseignants.
O n peut classer les écoles selon leur principal objectif — réussite aux
examens, épanouissement de la personnalité, discipline6 — selon le m o d e
de contrôle social principalement employé — châtiments physiques, récom-
penses et punitions, appel aux valeurs morales 7 — o u selon l'organisation
578
Interaction, conflits et tensions dans l'enseignement
579
Gordon Bowker
580
Interaction, conflits et tensions dans l'enseignement
581
G o r d o n Bowker
[Traduit de l'anglais]
582
Max Gluckman Changement, conflit
et règlement :
dimensions nouvelles
583
Rev. int. Sc. soc, vol. X X m (1971), n° 4
Max Gluckman
Le fait que les différences entre ces deux anciens types d'hommes semblent
aujourd'hui avoir été beaucoup moins accusées qu'on ne le pensait autrefois
renforce considérablement la thèse formulée de longue date sur la base de faits
précis par la plupart des biologistes, psychologues, spécialistes des sciences
sociales et historiens objectifs, selon laquelle les différences biogénétiques
entre les divers groupes d'Homo sapiens sapiens - à supposer qu'il en existe
d'autres que purement superficielles-sont négligeables comparées à l'influence
des contacts historiques, des conditions d'hygiène et de nutrition, de la situation
économique, de la culture et de l'instruction, etc. D'autres conférenciers au
cours de ce colloque ont traité ou traiteront des aspects techniques de ces
problèmes et des tentatives constamment renouvelées pour démontrer que les
écarts constatés dans la productivité technique des différents groupes humains,
leur performance dans les tests d'intelligence, etc., peuvent être attribuables
à leur constitution biogénétique. Je tiens personnellement pour certain que
les différences qu'on peut noter dans les réalisations et les activités des divers
groupes humains sont le produit de leur histoire et d'un certain nombre de
facteurs médicaux, sociaux et culturels. Jamais, au cours de ma carrière de
spécialiste de l'anthropologie sociale travaillant dans mon Afrique natale,
parmi mes frères africains de race et de culture différentes, qui m'accordent
le privilège de pénétrer dans leur mode de vie et de pensée, je n'ai eu l'impres-
sion qu'il existait entre eux et moi une barrière d'ordre intellectuel ou affectif,
et j'espère que la réciproque est vraie.
Ainsi, sur le plan de la constitution génétique, rien ne s'oppose à ce que
nous reconnaissions notre appartenance commune à la race humaine, à ce que
dans les langues bantoues on appelle oubountou et boutou, c'est-à-dire la qualité
d'être humain. Il existe d'ailleurs dans la tradition humaniste de notre civili-
sation, comme dans celle de beaucoup d'autres, qualifiées à tort de primitives,
un fort courant allant dans le même sens. A cet égard, nous pouvons accepter
le preambule de la Convention des Nations Unies intitulée Convention inter-
nationale sur I'dlimination de toutes les formes de discrimination raciale, qui
proclame que c'est dans la liberté et l'égalité morale et juridique de tous les
hommes que réside la dignité de la race humaine et qui rejette toute doctrine
de supériorité fondée sur la différenciation entre les races comme « scient&
quement fausse, moralement condamnable et socialement injuste et dange-
reuse... ». Cependant, malgré toutes les démonstrations de cette égalité virtuelle
de tous les hommes, les différencesexistant entre les divers groupes et catégories
de la race humaine continuent de donner naissance à de nouvelles interprétations
scientifiques ou pseudo-scientifiques attribuant ces différences en grande
partie à des facteurs biogénétiques et niant qu'elles résultent du milieu dans
lequel se développent les individus. Quelque changement qui intervienne par
ailleurs, une constante demeure : la réapparition, sous des formes nouvelles,
des théories traditionnelles des différences inhérentes aux races. C'est ainsi
qu'aux États-unis, une nouvelle école soutient que les écarts entre les résultats
obtenus par les différents groupes ethniques aux tests d'intelligence pourraient
être attribués en partie à des facteurs génétiques et qu'il faudrait donc, en toute
équité, assurer à ces groupes des formes différentes d'instruction scolaire.
Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles
'
Ce courant de pensée a déjà suscité aux États-unis de très vives réactions de
la part de toutes sortes de scientifiques comme aussi des pouvoirs publics.
Le problème, c'est que les différences culturelles mêmes qui font l'intérêt
' de la race humaine conduisent tout droit à ce genre de théorie.
On retrouve dans les articles de la Convention des Nations Unies le
dilemme persistant auquel nous sommes confrontés du fait même de ce qui
est propre à l'homme : la culture et les différences culturelles. Reconnaître
que tous les hommes sont égaux, c'est reconnaître qu'ils doivent pouvoir
jouir de tous les droits proclamés dans la Convention, notamment en son
article 5. Parmi ceux-ci figure le droit de prendre part, dans des conditions
d'égalité, aux activités culturelles », ce qui, selon moi, veut dire que tout
individu est libre d'adopter la forme de culture qui lui convient, sous réserve
que, ce faisant, il ne porte pas atteinte aux droits d'autrui. La Convention,
dans son préambule, condamne « toutes les pratiques d'apartheid, de ségré-
gation ou de discrimination »; cela ne signifie évidemment pas l'obligation
de s'intégrer à une culture unique; l'individu peut accepter cette intégration
s'il le souhaite ou, au contraire, demeurer à part, toujours sous réserve de ne
rien faire qui puisse porter atteinte aux droits d'autrui. Le dilemme moral et
politique consiste, comme le montrent clairement les débats relatifs à la
Convention1, à concilier la liberté pour l'individu d'être différent des autres
avec le droit de devenir semblable à eux. Nous devons donc nous attendre
à devoir faire face constamment à des changements, des conflits et des règle-
ments de dimensions nouvelles dans le domaine des rapports entre groupes
culturels différents et, dans une certaine mesure, entre groupes de souches
raciales ou ethniques différentes.
Comme je l'ai déjà dit, cette évolution risque de se traduire par l'élabo-
ration de nouvelles théories destinées à expliquer qu'il y a entre les groupes
raciaux des différences intrinsèques. La recherch,: éthologique est instructive
et actuellement fort à la mode, du moins en Europe occidentale et en Amérique
du Nord. Elle est instructive dans la mesure où elle nous renseigne sur le
comportement dans un milieu donné des animaux - y compris les oiseaux -
à l'égard de leurs congénères et d'autres espèces. Il est à la mode, par ailleurs,
d'utiliser ses conclusions pour en tirer non seulement des analogies, mais
aussi des interprétations du comportement social des êtres humains. Et là,
l'éthologie me paraît dangereuse. Il faut certes considérer la constitution
biogénétique de l'homme comme un des paramètres de la vie socioculturelle;
mais c'est tout autre chose que de prétendre qu'on peut faire remonter certaines
formes d'organisation socioculturelle de groupes humains, en établissant
des parallèles avec d'autres primates, à celles qui existaient parmi nos premiers
ancêtres hominiens, et d'en déduire que ces formes d'organisation sont trans-
e mises génétiquement - c'est-à-dire que les formes du comportement humain
peuvent être expliquées directement en termes de constitution physique. Ces
théories détournent l'attention des facteurs sociaux et culturels, qui jouent un
1. Nathan LERNER, The U.N.Convention on the Elimination of AI1 Forms of Racial Discrimination:
A commentary, Leyden, A. W . Sijthoff, 1970.
Max Gluckman
586
Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles
des Africains et des Blancs et leurs relations mutuelles. Je ne parle pas ici
des Blancs libéraux, qui ont constamment soutenu le principe de l'égalité
raciale et se sont efforcés d'agir en conséquence, mais des nombreux Blancs
qui considéraient les Africains c o m m e leurs inférieurs. L a m ê m e observation
vaut pour les nombreux Africains qui ont m e n é u n rude et juste combat
pour se libérer de la domination coloniale : leur attitude à l'égard des Blancs
s'est considérablement modifiée à partir d u m o m e n t où ils ont acquis leur
indépendance et sont devenus socialement les égaux, voire les supérieurs
des Blancs.
Dès lors, quand nous traitons de différences culturelles et d'attitudes
sociales dont la répartition coïncide en quelque mesure que ce soit avec
celle des privilèges sociaux et économiques, nous devons nous attendre à
voir surgir toute une série de théories nouvelles cherchant à justifier cette
inégalité. Cela est évident, mais il n'en faut pas moins le répéter. C e qu'il
faut bien comprendre en effet, c'est que la justification de telles inégalités sous
prétexte qu'elles sont inhérentes à la nature des choses peut prendre des
formes extrêmement subtiles. C'est pourquoi j'ai mentionné la thèse de Tiger
selon laquelle la tendance des h o m m e s à constituer des groupements à des
fins politiques, économiques et sociales, tendance observée dans presque
toutes les sociétés, serait génétiquement transmise et se traduirait aujourd'hui
encore peut-être par une plus grande aptitude à la survie. Je suis certain que
cette thèse n'a pas pour but de prouver que la ségrégation partielle des femmes
et des h o m m e s est naturelle et inévitable, mais c'est à cela qu'elle aboutit
en fait. D e m ê m e , les théories qui identifient les animaux d'un groupe en
fonction de leur territoire, d'un certain type de parade nuptiale ou d'ordre
hiérarchique, appliquées aux formes d'organisation de la société humaine,
peuvent servir à démontrer que l'ordre social actuel, y compris les relations
de subordination et de ségrégation, est naturel et lié à notre constitution
biologique.
Ces théories m ê m e s démontrent, à m o n avis, la fausseté d'une telle hypo-
thèse. Elles relèvent d'une caractéristique typiquement humaine, à savoir
l'aptitude à manier les mots, les plus élastiques des symboles, et à échafauder
des théories expliquant l'univers intérieur et extérieur. Les mots sont d'une
malléabilité telle qu'on peut aller très loin dans la formulation de théories
apparemment logiques. Autrement dit, u n spécialiste du comportement o u
des sciences sociales peut pousser la logique apparente de son analyse au-delà
de ce qu'elle prouve réellement et l'appliquer à l'interprétation de phénomènes
autres que ceux qu'il étudie. Freud, par exemple, a totalement renouvelé les
connaissances relatives au fonctionnement interne de la psyché humaine;
mais lorsqu'il a eu recours à sa théorie pour expliquer les formes de l'organi-
sation sociale humaine et l'issue des luttes politiques, sans tenir compte des
facteurs historiques et socio-économiques, il s'est tristement fourvoyé. N o u s
voyons régulièrement naître, sous des formes nouvelles, des théories scientifiques
qui confèrent une nouvelle dimension aux formes existantes de discrimination
et/ou d'hostilité entre groupes de souches ethniques diverses, ou encore
entre les sexes, et qui fournissent une justification nouvelle aux formes actuelles
587
Max Gluckman
de ségrégation. Les études récentes sur la vie sociale des animaux en sont u n
exemple et, bien que, je le répète, la plupart de leurs auteurs soient vraisem-
blablement humains et libéraux, j'affirme, avec toute la vigueur dont je suis
capable, qu'une comparaison, quelle qu'elle soit, entre le comportement
social des animaux et celui des h o m m e s serait bancale. Toute analogie de ce
genre est fallacieuse et il ne faut appliquer qu'avec une prudence extrême
à la société des h o m m e s ce que l'étude des animaux nous apprend.
H est désormais établi que les théories scientifiques relatives à la nature
de l ' h o m m e et des sociétés qu'il organise peuvent être fortement influencées
par la situation politique, économique et sociale de leur auteur. Je ne pense
pas, pour m a part, que ce déterminisme soit total. Il est des h o m m e s qui par-
viennent à échapper à cette influence et à aller là où les m è n e l'analyse logique
des faits, dans la mesure o ù o n peut les établir. Le risque — j'espère l'avoir
clairement fait comprendre — est de voir cette logique m ê m e les entraîner
trop loin.
Si la logique de l'analyse scientifique comporte ce risque, à fortiori celle
d'autres formes de pensée intellectuelle les présentera-t-elle. E n m a qualité
d'anthropologue sud-africain, j'ai toujours été frappé par le fait que les
analyses les plus bienveillantes, voire les plus élogieuses, des cultures indigènes
d'Afrique d u Sud soient dues à des érudits qui sont des partisans convaincus
de la politique de ségrégation raciale. Ces études donnent de la culture de
chaque population africaine une description idéalisée, impliquant que ces
cultures sont parfaites pour les populations en cause, qu'elles font partie
intégrante de leur être, que ces populations y ont droit et qu'il faut les aider
à les maintenir. C o m m e l'a souligné le professeur Leo Kuper, certains intel-
lectuels afrikaners, nationalistes et ségrégationnistes, estiment que le peuple
afrikaner a lutté contre la pression considérable de la langue et de la culture
du R o y a u m e - U n i , de ses descendants anglophones et de l'Amérique pour
défendre sa langue et sa culture propres et qu'il n'est donc que juste d'aider
toutes les petites populations à mener une lutte identique. D e là, il n'y avait
qu'un pas à franchir pour soutenir qu'il fallait quasiment obliger les popu-
lations, dans leur propre intérêt, à s'en tenir à leur propre culture, à laquelle
beaucoup étaient évidemment attachés. E n revanche, les anthropologues sud-
africains engagés dans la lutte politique contre la ségrégation ont souligné,
en décrivant ces cultures africaines ou des cultures analogues, leurs faiblesses
et m ê m e leurs aspects cruels. Quant aux savants politiquement neutres, leurs
écrits le sont, en général, aussi.
Le raisonnement intellectuel aura u n rôle à jouer dans l'évolution future
des relations entre groupes raciaux et l'on se battra à coup de théories scienti-
fiques opposées. Si je prends cet aspect c o m m e point de départ et si je le
souligne, c'est parce que l'existence m ê m e de l'Unesco repose sur la conviction
que le raisonnement intellectuel doit, en définitive, amener les h o m m e s à voir
—je reprends une fois de plus les termes de la Convention des Nation Unies —
« que toute doctrine de supériorité fondée sur la différenciation entre les races
est scientifiquement fausse... ». Il s'agit là, jusqu'à u n certain point, d ' u n
article de foi. C'est aussi, je crois, l'énoncé d'une conclusion étayé; par les tra-
588
Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles
589
Max Gluckman
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Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles
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Max Gluckman
592
Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles
qu'on pourrait appeler les civilisations tribales d u m o n d e — les outils, les armes
et les biens de consommation étaient relativement simples. Étant donné la
simplicité des biens de consommation et la rareté des objets de luxe, les puis-
sants utilisaient leurs richesses pour entretenir et s'attacher u n certain nombre
de personnes à leur dévotion. Avec ses outils rudimentaires, chaque h o m m e
ne pouvait produire que peu au-delà de ses propres besoins, pour le donner
à plus puissant que lui. Les objets de luxe qui pouvaient exister avaient donc
essentiellement une valeur symbolique. Étant donné que l'armement était
rudimentaire, le protégé avait ses armes personnelles et contribuait direc-
tement à la puissance de son chef, qui avait ainsi une petite armée privée pour
soutenir sa volonté de puissance. Chef et protégés n'avaient donc pas des
niveaux de vie très différents et étaient, de ce fait, moralement très proches.
Le caractère rudimentaire des moyens de transport limitait le commerce entre
unités politiques, tant en ce qui concerne le volume que la g a m m e des produits
échangés. Les produits alimentaires de base étaient difficiles à transporter,
mais certains outils spécialisés et objets de luxe pouvaient faire l'objet
d'échanges lents entre une unité politique et une autre, dans certains cas
parcourir de longues distances. L e commerce avait souvent u n caractère céré-
moniel liant les partenaires dans des structures d'échange rigides. E n raison
de la forte mortalité infantile et de la persistance d'un taux de mortalité élevé
aux âges plus avancés, la population augmentait lentement, bien qu'elle pût,
globalement, subir des fluctuations considérables. Cependant, m ê m e dans
ces situations, la recherche anthropologique moderne a montré que les unités
politiques comportaient tout u n réseau de divisions et de subdivisions c o m -
plexes constituées par une série de liens coutumiers fondés sur la descendance,
l'âge, le sexe, les croyances rituelles, les liens particuliers, etc. Ainsi l'organi-
sation sociale, loin d'être simple, était au contraire extrêmement compliquée.
A cet égard, l'étude de groupes d'autres primates, qui c o m m e n c e à mettre
en lumière des complications analogues, peut nous permettre d'imaginer la
situation à partir de laquelle les sociétés humaines sont parvenues à des degrés
de complexité de plus en plus grands, évolution considérablement aggravée
par le développement de principes énoncés dans u n langage et par d'autres
systèmes de valeurs symboliques. Cet entrelacement de liens et de facteurs
de division multiples aboutissait à une situation dans laquelle les sociétés
étaient déchirées par des conflits mais gardaient néanmoins leur cohésion
d u fait que leurs membres étaient attachés à des symboles c o m m u n s et que
des personnes, ennemies dans certaines circonstances, pouvaient être alliées
dans d'autres. D a n s cet enchevêtrement de liens se trouvaient quelques
individus qui avaient intérêt à aplanir les querelles et pouvaient exercer une
influence sociale suffisante pour y parvenir. Il y avait donc des forces unifi-
catrices qui étaient fondées sur des allégeances sociales multiples et qui avaient
pour effet de maintenir la cohésion des unités politiques en l'absence d ' u n
système économique différencié pouvant jouer ce rôle. Malgré cela, des liens
de loyalisme interne extrêmement puissants se forgèrent au niveau des petites
unités locales, et les h o m m e s luttèrent pour conquérir à la fois les biens maté-
riels et le pouvoir dans des guerres civiles toujours renouvelées. Ces guerres
593
Max Gluckman
594
Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles
595
Max Gluckman
renciée d u point de vue politique et économique, c'est là une tâche bien plus
difficile.
D a n s nombre de pays anciens, notamment ceux de l'Europe féodale, et
dans quelques pays actuels, les coups d'État militaires ont été le fait d'officiers
issus des classes riches. Ils se traduisaient par une lutte entre fractions rivales
dont chacune voulait s'approprier le contrôle de l'État pour servir ses propres
intérêts. D a n s la plupart des pays sous-développés d'aujourd'hui, ces coups
d'État militaires ont une origine différente. E n m ê m e temps qu'elles luttent
pour s'affranchir de la domination des puissances coloniales et acquérir une
personnalité nationale qui leur faisait souvent défaut, les populations de
ces pays revendiquent de nombreux bienfaits considérés c o m m e le fruit de
la technologie moderne : la fin de la misère, une vie matérielle plus facile,
l'amélioration de la santé et de l'éducation. Les pays qui veulent s'engager dans
cette voie ont à faire face à des difficultés pratiquement insurmontables, sauf
s'ils sont dotés d'importantes richesses minérales. E n d'autres termes, les
problèmes matériels sont presque .partout insolubles, sans parler des difficultés
de réadaptation sociale. Dans ces conditions, le grand enthousiasme qui
accompagne la révolution est rapidement déçu et l'on voit le plus souvent
surgir au sein de la population une catégorie de personnes qui profitent lar-
gement d u petit secteur développé de l'économie, tandis que la masse de la
population reste pauvre. U n e partie de l'élite militaire réagit alors contre
l'inefficacité apparente d u gouvernement et parfois aussi contre la corruption
dont profite u n petit nombre de privilégiés et elle s'empare d u pouvoir pour
mettre fin à cette situation et tenter de résoudre les problèmes urgents de la
misère. Mais ces problèmes ont leur racine profonde dans des difficultés
matérielles presque insurmontables et dans u n déséquilibre croissant entre les
ressources disponibles et les besoins d'une population qui augmente rapide-
ment d u fait des meilleures conditions d'hygiène. C'est pourquoi les
révoltes militaires de type moderne procèdent en partie d'une sorte de m é c o n -
tement causé par le sort d u peuple et leurs auteurs sont animés par le désir
d'aider toute la population et non par celui de défendre leurs propres privilèges.
C'est pourquoi il est essentiel, pour comprendre les événements, de savoir faire
la différence entre des mouvements politiques qui, à première vue, paraissent
semblables. E n outre, le sentiment d'unité nationale étant u n phénomène
tout récent dans les pays en question, on voit surtout dans les personnes qui
exercent des fonctions d'autorité des représentants de telle o u telle ethnie
particulière, et c'est encore au niveau des différents groupes ethniques que se
situe la rivalité pour l'obtention de privilèges. C'est pourquoi o n juge l'action
des personnes qui occupent les postes clés en fonction de leur appartenance
ethnique; de ce fait, les luttes qui sont le résultat d u sous-développement et
de l'insuffisance de la vie économique et politique apparaissent c o m m e des
phénomènes de discrimination entre groupes ethniques et sont effectivement
rendus plus complexes par le jeu de liens de caractère ethnique. C'est pourquoi,
là encore, le développement économique est la condition préalable d u renfor-
cement de l'unité nationale grâce auquel les divisions ethniques pourront
s'effacer et ne plus être une source continuelle de luttes années. Les consè-
596
Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles
quences de ces divisions ethniques sont parfois aggravées d u fait que, par suite
de circonstances historiques fortuites qui ont entraîné la répartition inégale de
l'accès à l'éducation et aux connaissances modernes, certains groupes ethniques
des nouveaux États peuvent être plus instruits que d'autres. Les membres de
ces groupes ethniques ont naturellement parfois tendance à favoriser leurs
amis, voire leurs parents, et, m ê m e quand ce n'est pas le cas, les groupes
ethniques moins instruits ont le sentiment que les membres de tels o u tels
groupes ethniques plus favorisés se retranchent dans leurs privilèges et
s'efforcent de les maintenir.
D a n s certains pays on s'est efforcé de trouver une solution partielle à
ce problème en pratiquant ce qu'on pourrait appeler une « discrimination
à rebours », c'est-à-dire l'octroi de facilités et de privilèges à des groupes
ethniques économiquement et socialement « attardés » — d u point de vue de
l'éducation moderne et des postes qualifiés — pour leur permettre de rattraper
le reste de la population. Les mesures de ce genre paraissent justes et humaines
et sans elles certains groupes ne pourraient peut-être jamais rattraper leur
retard. Malheureusement, il peut en résulter une situation où non seulement
beaucoup d'individus appartenant aux groupes les mieux instruits sont péna-
lisés du fait de leurs aptitudes mais où les autres, ayant intérêt à être considérés
c o m m e défavorisés, seront de plus en plus nombreux à vouloir être déclarés
attardés. Ils s'efforceront m ê m e de former des combinaisons politiques pour
y parvenir. Ici encore interviennent des facteurs d'aggravation, et des
recherches récentes ont mis en lumière une tendance selon laquelle, là o ù les
affinités fondées sur le groupe ethnique, la caste ou l'appartenance religieuse
se manifestaient à des échelons relativement localisés, elles donnent aujour-
d'hui naissance à des catégories bien plus vastes qui commencent à agir sur le
plan politique. Ce type de phénomène caractéristique est celui que le professeur
N . Srinavas a appelé l'avènement de la « caste dominante » qui s'efforce de
protéger ses intérêts à l'échelon régional. C e s efforts provoquent à leur tour
les réactions des autres castes. C e phénomène a été signalé et analysé en Afrique
où il revêt la forme d'affiliations tribales à l'intérieur de groupes ethniques plus
nombreux ou de milieux culturels plus avancés. Ainsi des luttes peuvent-elles
surgir entre les entités ethniques ou culturelles, à la fois pour protéger des
privilèges et pour maintenir certains avantages acquis dans le passé en tant que
groupes défavorisés.
J'ai, jusqu'ici, appuyé m o n raisonnement sur l'analyse de systèmes sociaux
dans lesquels le développement économique et social s'est accompagné d'une
diminution d u recours direct à la force et de l'apparition d'une certaine unité
grâce à l'influence de liens politiques et économiques, en dépit des différences
ethniques et culturelles. J'ai essayé d'étudier ce qui se produit dans les n o u -
veaux États dans de telles situations. Mais il existe évidemment d'autres sché-
m a s d'évolution possibles. L ' u n d'eux consiste à supprimer par la force
l'égalité et la liberté de mouvement des citoyens qu'exige le bon fonctionnement
d'une économie moderne. Telle est la situation de l'Afrique d u Sud. Ce pays
a une technologie et une économie très fortement développées sur une grande
partie de son territoire; il est riche en ressources minérales et assez fortement
5*7
Max Gluckman
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Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles
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Max Gluckman
[Traduit de l'anglais]
600
G o Gien-tjwan Évolution de la situation
professionnelle des Chinois
dans l'Asie du Sud-Est
Depuis que tous les pays de l'Asie du Sud-Est ont accédé à l'indépendance
dans les années cinquante, événement qui a coïncidé avec l'apparition d'un
puissant État communiste chinois sur le continent asiatique et avec le retrait d u
gouvernement nationaliste chinois à Taïwan, les spécialistes se sont aperçus
qu'il existait une troisième Chine 1 . Il s'agit de l'ensemble de toutes les minorités
chinoises qui, bien avant l'époque coloniale, se sont installées dans le Nanyang,
cette région des mers d u Sud qui s'étend des États limitrophes de la Chine —
Viêt-nam, Laos et Birmanie — jusqu'à la Nouvelle-Guinée et aux lointaines
îles Tanimbar de l'Indonésie. Douze à treize millions de membres de l'ethnie
chinoise2, qui ne sont ni communistes c o m m e sur le continent, ni nationalistes
c o m m e à Taïwan, mais qui ont tous en c o m m u n un certain m o d e de vie distinct
des cultures indigènes des pays d'accueil, constituent un élément n o n négli-
geable des quelque 230 millions d'habitants de cette région, leur pourcentage
variant d'un pays à l'autre. Es ont un autre trait c o m m u n : dans chaque
pays, ils jouent un rôle économique important. Pour cette raison, o n peut pré-
sumer qu'ils ont été victimes de persécutions allant de la discrimination sur le
plan juridique à de véritables pogromes c o m m i s soit par les anciennes adminis-
trations coloniales soit par les nouveaux gouvernements indépendants et les
populations indigènes.
L'idée d'une troisième Chine qui constituerait « un peuple, un groupe
national distinct, développé, économiquement puissant, nombreux 3 » risque
d'induire en erreur car, d'un point de vue théorique, cette notion semble
indiquer que le problème des minorités chinoises peut être considéré c o m m e
celui d'un groupe d'étrangers de classe moyenne non assimilés au sein d'une
société arriérée. Cette vue pourrait facilement conduire à faire la part trop
grande à la persistance des traits culturels chinois à travers les âges et à m é c o n -
naître les changements qui se sont produits — et qui continuent à se produire —
dans le groupe minoritaire lui-même c o m m e dans la société d'accueil. L'objet
du présent article est de présenter quelques essais de commentaires sur des
601
Rev. Int. Se. soc, vol. XXIU (1971), n° 4
G o Gien-tjwan
1. Victor P U R C E L L , The Chinese in Southeast Asia, 2nd ed., p. 6, note 5, Londres, Oxford
University Press, 1966.
2. G o G I E N - T J W A N , Eenheid in verscheidenheid in een Indonesisch dorp [Un village indonésien :
unité dans la diversité], p. 267, Amsterdam, Sociologisch Historisch Seminarium voor Zuid-
Oost Azië, Universiteit van Amsterdam, 1966.
3. Lea E . W I L L I A M S , op. cit., p. 17 et suiv.
4. Ibid., p. 20.
602
Évolution de la situation professionnelle des Chinois dans l'Asie d u Sud-Est
603
G o Gien-tjwan
U n exemple : Gresik, sur la côte nord-est de Java, dont Pires disait que c'était
« le grand port de commerce, le meilleur de tout Java... le joyau des ports de
commerce de Java... les Javanais l'appellent le port des riches1... », et dont
les sources chinoises précisent qu'il s'agissait d'un rocher désolé avant que les
Chinois arrivent dans le pays et s'y établissent2. Plus tard, lorsque l'économie
de l'Asie du Sud-Est a cessé d'être autosuffisante et a c o m m e n c é à dépendre d u
commerce international, ces établissements servirent de bases à la pénétration
pacifique des petits commerçants chinois vers l'intérieur de Java. Selon u n
témoin oculaire hollandais de lafind u xvie siècle, Willem Lodewijcksz, ces
colporteurs parcouraient le pays une balance dans une main et u n chapelet de
pièces de monnaie chinoises dans l'autre3. Il importe peu de savoir à quel
m o m e n t exact a eu lieu la transformation de la structure d u commerce chinois
— pour le C a m b o d g e , William Willmott estime que ce n'est qu'à l'époque
M i n g (1368-1644) qu'on trouve suffisamment de céramiques chinoises d'emploi
courant pour permettre de conclure que le commerce avait atteint l'habitant
de l'intérieur4. En fait, le commerce de détail, qui devait devenir et rester la
principale activité des Chinois aux époques coloniale et postcoloniale, ne
faisait encore que prendre son essor lorsque les Européens arrivèrent dans les
pays d u Nanyang. Ils délogèrent peu à peu les commerçants chinois de
leur position stratégique d'importateurs et d'exportateurs, les confinant a u
secteur secondaire d u commerce intermédiaire, entre d'une part la C o m p a -
gnie hollandaise des Indes ou la Compagnie anglaise des Indes orientales,
militairement et politiquement puissantes, et d'autre part les populations agri-
coles de l'Asie du Sud-Est.
La première période historique, d'où l'influence occidentale est absente, a
été décisive pour la suite de l'évolution socio-économique et culturelle, car elle
a déterminé la position économique des Chinois ainsi que ses effets sur les
relations interraciales. D a n s les emporiums cosmopolites disséminés le long des
côtes, les commerçants étrangers s'entassaient, chaque nation dans son quartier
et tous reconnaissant l'autorité du prince local. A Java également, les Chinois
vivaient séparés des Javanais et des autres commerçants étrangers. Il semble
qu'il y ait eu des tensions raciales. Wertheim cite E d m u n d Scot déclarant que les
Javanais « se réjouissent fort lorsqu'ils voient exécuter u n Chinois; et les
Chinois ne se réjouissent pas moins lorsqu'ils voient un Javanais mis à mort 6 ».
Wertheim laisse ensuite entendre que certaines mesures antichinoises prises
par des monarques d'Asie d u Sud-Est ont eu peut-être des mobiles essentielle-
1. T o m é PIRES, The Suma Oriental: An account of the East, from the Red Sea to Japan, written
in Malacca and India in 1512-1515, p. 192 et 193, vol. I, Londres, Hakluyt Society, 1944.
2. W . P. G R O E N E V E L D T , Historical notes on Indonesia and Malaya, compiled from Chinese
sources, p. 47, Djakarta, Bhratara, 1944.
3. Willem L O D E W I J C K S Z , De eerste schipvaart der Niederländers naar Oost-Indië onder Cornells
de Houtman 1595-1597 [Le premier voyage des Hollandais aux Indes orientales sous la direc-
tion de Cornelis de Houtman, 1595-1597], p. 122, La Haye, Nijhoff, 1915, (Linschoten-
vereeniging.)
4. William E . W I L L M O T T , The Chinese in Cambodia, p. 5, Vancouver, University of British
Columbia, 1967.
5. W . F . W E R T H E I M , East-West parallels, p. 53 : « Trading minorities in South-East Asia »,
La Haye, Van Hoeve, 1964.
604
Évolution de la situation professionnelle des Chinois dans l'Asie du Sud-Est
605
Go Gien-tjwan
606
Évolution de la situation professionnelle des Chinois dans l'Asie du Sud-Est
Le troisième point est que les Chinois n'ont pas importé au Nanyang des
convictions religieuses liées à une attitude méprisante à l'égard d'indigènes
considérés c o m m e des païens, c o m m e lefirentd'autres commerçants étrangers :
islam ou hindouisme pour ceux qui venaient de l'Inde ou christianisme pour les
Occidentaux. L a religion chinoise traditionnelle — mélange syncrétique de
confucianisme, de bouddhisme et de taoïsme et plutôt m o d e de vie que religion
en un sens théiste, et surtout fondamentalement rationnel — ne constituait pas
u n empêchement pour embrasser une autre croyance, qu'il s'agisse d u boud-
dhisme au Siam, au C a m b o d g e ou en Birmanie ou de l'islam en Indonésie. Il ne
faut pas oublier, de surcroît, que les commerçants ont tendance à être plus
souples sur le plan spirituel que les paysans. E n fait, m ê m e aujourd'hui, les
paysans chinois de l'ouest de Java, bien qu'ils soient presque entièrement
assimilés sur le plan culturel, ne sont pas islamisés1. Us sont restés des perana-
kans, c'est-à-dire u n segment de la population indonésienne qui a conservé
u n caractère chinois propre. Les babas de Malacca et de Penang ne sont pas
non plus devenus des musulmans. Dans ces deux endroits, les colonies chinoises
sont relativement nombreuses, ce qui leur permet de conserver u n caractère
plus chinois.
Contrairement à la structure socio-économique précoloniale qui donnait au
commerçant chinois toutes chances de s'intégrer à la société indigène, la struc-
ture coloniale occidentale qui a été progressivement imposée aux anciennes
civilisations de l'Asie du Sud-Est a réduit ces possibilités d'intégration. Exclus
du commerce international par des intérêts européens puissants et politique-
ment protégés qui ont également détruit le commerce indigène naissant — en
Asie d u Sud-Est, les Indonésiens qui se livraient au commerce maritime étaient
les plus avancés — les Chinois se sont vu peu à peu assigner le rôle d'intermé-
diaire chargé de distribuer les marchandises importées par les Européens et de
collecter les produits agricoles destinés à être exportés par les Européens.
U n e telle situation en sandwich est précaire, car il n'était que trop facile d'im-
puter au commerçant chinois la responsabilité des malheurs et de la misère
résultant d'une chute des prix mondiaux des produits agricoles o u d'une
augmentation des prix des marchandises importées. Cependant, il est remar-
quable que, pendant la grande dépression d u début des années trente, à Java,
o ù les Chinois constituent le groupe minoritaire le plus typique de l'Asie d u
Sud-Est, aucune émeute raciale importante n'ait éclaté à l'exception d'une
sérieuse flambée d'hostilité contre les Chinois de Pekalongan en 1931. U est
intéressant de noter que l'émeute de 1931 ne fut causée ni par la crise écono-
mique mondiale, qui a durement touché l'Indonésie, ni par une explosion
spontanée d ' u n ressentiment latent à l'égard des Chinois. H s'est agi plutôt
d'un retour des violentes émeutes antichinoises de 1912 et de 1918, déclenchées
pour des raisons de concurrence par les marchands et fabricants indigènes de
tissus batik et de cigarettes kretek appartenant au parti militant Sarekat Islam.
Il semblerait que, malgré les barrières de l'époque coloniale tenant à la
couleur ou à la caste, un rapport spécifique de patron à client se soit instauré,
607
G o Gien-tjwan
608
Évolution de la situation professionnelle des Chinois dans l'Asie d u Sud-Est
des fonctions économiques coïncide dans une large mesure avec des différences
raciales1. Toutefois, l'affirmation que « tout Chinois est u n commerçant »
ne résiste pas à un examen attentif de la réalité sociale. A cet égard, il est fort
instructif de considérer la situation du groupe ethnique chinois à Java, c'est-à-
dire probablement d u groupe minoritaire le plus typique des Chinois d u
Nanyang.
Le recensement de 1930 fait apparaître que 57,66 % des Chinois exerçant
une activité professionnelle faisaient d u commerce, tandis que 20,81 % tra-
vaillaient dans l'industrie, 2,83 % dans les communications, 9,11 % dans la
production de matières premières — agriculture indigène, culture de fruits et
de légumes, élevage, pêche, chasse, sylviculture, etc. — et 9,59 % exerçaient
un autre métier — médecine, droit, journalisme, enseignement, fonction
publique, travaux de maison et autres occupations non précisées. Les Chinois
qui faisaient d u commerce pouvaient se répartir c o m m e suit : boutiquiers et
colporteurs, 27,02 %; commerce de l'alimentation, d u tabac, etc., 12,88 %;
textiles, 9,23 %; commerçants en gros et courtiers, 0,43 %; établissements de
crédit, 2,93 %; divers, 5,17 %*. M ê m e si nous tenons compte du fait que ces
pourcentages englobent les employeurs et les employés et ne révèlent donc pas
les différences de classe à l'intérieur d u groupe chinois, il est évident que le
commerce de détail n'était pas la principale activité professionnelle des Chinois
de Java en 1930.
Il convient d'analyser de la m ê m e manière les données statistiques dont o n
dispose sur la situation économique des Chinois dans les autres pays d'Asie du
Sud-Est. Si les Chinois de la Fédération de Malaisie — avant la fondation de la
Malaisie — produisaient plus de 70 % d u revenu national et possédaient 72 %
des moyens de transports routiers, 40 % des mines d'étain et 35 % des planta-
tions d'hévéas3, il ne faut jamais oublier que les salaires des nombreux coolies
chinois qui travaillaient dans les mines d'étain et dans les plantations, cons-
truisaient des routes et chargeaient des navires ne représentaient qu'un faible
pourcentage de ce que pouvaient gagner les magnats chinois du caoutchouc.
L a dynamique économique n'était pas la seule force qui nuisait à la société
coloniale de castes; en fournissant aux fils un m o y e n de s'élever dans l'échelle
sociale par rapport à leur père et à leur grand-père, l'éducation jouait le m ê m e
rôle4, indépendamment d u désir conscient o u inconscient des colonisateurs de
modifier l'orientation commerciale des Chinois. D a n s le cas de l'Indonésie,
jusque vers le début de ce siècle, il était tout naturel que tous les Chinois suivent
la voie commerciale, conformément à la tradition précoloniale et coloniale. E n
1900, u n Chinois né en Indonésie créa l'embryon d'un système d'enseignement
609
G o Gien-tjwan
chinois, et huit ans plus tard les possibilités d'éducation offertes aux enfants
chinois furent accrues grâce à la fondation d'écoles hollando-chinoises subven-
tionnées par les pouvoirs publics. Il convient de noter que, là o ù il ne leur était
pas possible d'entrer dans une école de type chinois de l'une o u l'autre caté-
gorie, les jeunes Chinois fréquentaient les écoles publiques néerlandaises desti-
nées aux enfants indonésiens. E n 1929-1930, il n'y avait pas moins de 8 000
enfants chinois qui fréquentaient ce dernier type d'écoles1. D e plus, les enfants
de parents chinois fortunés étaient admis dans les écoles européennes.
La conclusion à tirer de ces données est qu'il y avait peu de chances que
tous les enfants d'un petit commerçant puissent gagner leur vie en travaillant
dans l'entreprise familiale. Peut-être u n ou deux pouvaient le faire; mais l'en-
seignement moderne qui leur avait été dispensé leur donnait la possibilité de
choisir de nouvelles professions. D e plus, dans une société o ù la couleur et la
caste ont de l'importance, le fait de connaître une langue européenne et d'avoir
adopté un m o d e de vie occidental conduit à dédaigner la profession de petit
boutiquier. L a forte pression économique qu'exerçait la crise économique
mondiale des années trente ne laissait pas d'autre choix aux jeunes Chinois
élevés à l'occidentale que de devenir employés de bureau dans une entreprise
européenne o u d'occuper dans l'administration civile coloniale un poste acces-
sible aux Chinois. Il est indispensable de souligner l'importance de l'éducation
c o m m e facteur de changement de la situation commerciale traditionnelle des
Chinois. Selon les normes chinoises, les lettrés occupent le s o m m e t de la hiérar-
chie sociale. Il est indéniable que m ê m e les plus riches Chinois d u Nanyang
préféraient que leurs enfants aient une éducation aussi poussée que possible.
Or, on ne peut attendre d'un médecin qu'il tienne u n commerce de détail ou
m ê m e dirige une mine d'étain.
Les sociétés castées c o m m e celles de l'Asie du Sud-Est à l'époque coloniale
ne sont pas favorables à l'assimilation des minorités ethniques. Les facteurs
d'intégration mentionnés plus haut atténuaient la rigidité des forces de division
inhérentes à la structure coloniale. L'existence m ê m e , à l'époque précoloniale,
dans tous les pays d'Asie du Sud-Est, de communautés de Chinois nés sur place
qui tendaient à adopter des traits de la culture locale atteste que les différences
culturelles, quand bien m ê m e elles sont exacerbées dans le contexte colonial,
n'empêchent pas les groupes ethniques d'instaurer entre eux des rapports plutôt
paisibles. Les tensions raciales qui existent dans l'Asie du Sud-Est ne peuvent
être attribuées uniquement à des séquelles coloniales. L'ethnocentrisme favorisé
par le colonialisme peut certainement conduire au racisme. Mais il y a sûrement
d'autres facteurs qui expliquent pourquoi ce n'est qu'après 1900 que les popu-
lations indigènes ont déclenché des troubles antichinois à maintes reprises et
d'une assez grande ampleur. C'est m ê m e dans u n pays indépendant, le Siam,
que le racisme antichinois a été formulé pour la première fois, en 1914, dans
l'opuscule intitulé Les juifs de VOrient, dont l'auteur n'était rien moins que le
roi R a m a V I — qui, soit dit en passant, était en partie d'ascendance chinoise.
Le professeur Wertheim a été le premier à soutenir la théorie selon laquelle
610
Évolution de la situation professionnelle des Chinois dans l'Asie d u Sud-Est
les tensions raciales entre les minorités chinoises d'Asie d u Sud-Est et les pays
hôtes ont pour origine une concurrence économique fondée sur des différences
raciales1. A u début de ce siècle est apparue une classe commerçante indigène en
Asie du Sud-Est. L a complémentarité économique entre deux groupes égale-
ment puissants, les compradors indigènes et les commerçants étrangers chinois,
ne domine plus la scène dans l'Asie du Sud-Est d u x x e siècle. C e rapport a
été remplacé par une concurrence féroce entre des groupes capitalistes ayant
une orientation analogue. Wickberg affirme que cette concurrence a c o m m e n c é
encore plus tôt aux Philippines : « Après 1850, la croissance de la population
chinoise du point de vue du n o m b r e , de la répartition et du pouvoir économique
fit naître une situation de concurrence avec les entreprises des métis et des
Philippins qui s'étaient développées au cours des cent années 1750-1850. Dans
les controverses antichinoises des années 1880 et 1890, les préjugés culturels
étaient implicites. Mais les facteurs économiques étaient décisifs2. » L a m ê m e
situation est apparue en Indonésie et ailleurs u n peu plus tard. E n Malaisie,
la première explosion généralisée de sentiments antichinois n ' a eu lieu que le
13 mai 1969. Le cas de l'Indonésie est probablement celui qui révèle le mieux
la structure d'ensemble de la situation conflictuelle d u groupe des Chinois d u
Sud-Est asiatique tel qu'elle s'est développée depuis le commencement de ce
siècle, après que le nationalisme des pays de cette région fut devenu progres-
sivement u n facteur important des relations interethniques — et le facteur
dominant depuis l'accession à l'indépendance de tous les pays d'Asie d u
Sud-Est.
Le Sarekat Dagang Islam, association de commerçants javanais fondée en
1911, a pris une grande extension en raison de la position économique de plus
en plus forte des Chinois par réaction contre cette situation. Dès 1916 le Sarekat
Islam, nouveau n o m de cette association depuis 1912, était devenu une organi-
sation politique militante. En faisant appel aux sentiments religieux des masses,
les commerçants qui se trouvaient à la tête d u Sarekat Islam ont p u lancer une
série de campagnes de violence contre leurs concurrents chinois. C'est essen-
tiellement par le biais de la solidarité religieuse et non de la conscience nationale
ou de la conscience de classe que les paysans et journaliers indonésiens se sont
attaqués aux « mauvais capitalistes », les Chinois, à l'appel de leurs dirigeants
indonésiens qui n'étaient pas moins capitalistes. Depuis, partout en Asie du Sud-
Est, le nationalisme économique, associé à u n nationalisme politique puissant,
constitue une menace pour la situation de la minorité chinoise. Il existe cepen-
dant au moins un pays d'Asie d u Sud-Est où, depuis des siècles, on n ' a le souve-
nir d'aucun conflit racial entre la population indigène et la minorité chinoise.
C'est le C a m b o d g e , et cela malgré des mesures discriminatoires qui interdisent
aux Chinois les activités politiques ainsi que dix-huit professions. Faisant
sienne la théorie de Wertheim selon laquelle les antagonismes existants sont
essentiellement dus à la concurrence économique dans le contexte de la diffé-
611
G o Gien-tjwan
612
Évolution de la situation professionnelle des Chinois dans l'Asie du Sud-Est
[Traduit de l'anglais]
613
Colette Guillaumin Grande presse
et multi-ethnicité :
la situation en France
Introduction
Cet article voudrait contribuer à mettre en lumière les liens qui unissent le
langage de la presse et la société qui « parle » ce langage. C'est une optique
assez inhabituelle dans les travaux sur les relations ethniques, car l'urgence
des problèmes détourne généralement de ces préoccupations qui passent pour
formelles. Néanmoins, nous pensons qu'il est possible d'apporter des éléments
nouveaux dans cette aire de recherche par l'étude des significations. Les liens
entre le langage et la société ne se limitent pas, en effet, à une corrélation
mécanique : ils dévoilent u n sens, celui des contacts entre les groupes. D a n s
les sociétés de l'époque industrielle, ces contacts prennent u n caractère parti-
culier, ils sont intégrés dans la valeur « race », qui est l'élément central d'un
système de significations. L a race n'est nullement, en tant que trait somatique,
un fait sociologique brut : ce sont les relations « raciales » qui sont telles et,
pour sa part, elle n'est que l'élément sémantique d'une situation sociale.
C'est pourquoi l'on peut espérer qu'une analyse d u langage, en précisant
les particularités des relations sociales au niveau des significations, fournira
des connaissances nouvelles et aidera ainsi à dissiper certaines confusions
trop courantes entre les faits somatiques et les faits sémantiques.
Sans doute la notion de race est-elle, dans le m o n d e moderne — ou du moins
dans toutes les sociétés touchées par l'expansion industrielle occidentale —
irréductible et de contenu constant, mais elle est diversement attribuée :
elle peut recouvrir tous les groupes d'une société multi-ethnique — c'est le
cas le plus courant — mais elle peut aussi être réservée à certains c o m m e le
montre une étude des significations. O n conçoit que cela entraîne des diver-
sités dans les conséquences pratiques et les rapports entre les groupes.
N o u s donnerons u n aperçu rapide des raisons, propres aux caractéris-
tiques de la presse française, qui ont fait préférer la grande presse quotidienne
à tout autre type de publications, pour cette étude. Auparavant, nous esquis-
serons un tableau de la multi-ethnicité de la société française actuelle. Il convient
en effet de ne pas oublier que les situations socio-ethniques sont très diverses;
selon les sociétés, les rapports entre groupes sont fonction d'états numériques,
614
Rev. int. Sc. soc., vol. X X m (1971). n» 4
G r a n d e presse et multi-ethnicité : la situation en France
L a multi-ethnicité française
1. D a n s les siècles précédents, la société était monolithique n o n par assimilation mais par
exclusion. Appartenance civile et appartenance religieuse (la « race », o u ce que nous dési-
gnons actuellement ainsi, n'existait pas) étaient absolument confondues. Les groupes qui
pratiquaient une religion non catholique étaient juridiquement hors société : ainsi les juifs
et les protestants. Les gitans, catholiques, n'étaient pas clairement perçus c o m m e un groupe
spécifique, ce qui explique la difficulté que l'on éprouve à les identifier dans les textes anciens
où ils portent une multitude de n o m s différents.
2. D e 1940 à 1944, par exemple, 1* « État français » a promulgué des lois raciales.
3. Cette proportion présente une constante remarquable, puisqu'elle était la m ê m e avant la
seconde guerre mondiale, il y a trente-cinq ans.
615
Colette Guillaumin
616
G r a n d e presse et multi-ethnicité : la situation en France
1. Ces groupes sont considérés c o m m e « raciaux » par la culture globale, ce qui n'est pas le
cas des protestants. Il y a d'autres minorités, mais très restreintes, c o m m e celle qui est
constituée par les originaires des anciennes colonies, de nationalité française et établis en
France.
2. Tous les chiffres cités, correspondant à des dates diverses (entre 1967 et 1971) et ayant des
sources diverses (Institut national de la statistique, évaluations communautaires, mouvements
antiracistes, etc.), sont toujours ramenés à des totaux simples. Ils ne sont là que pour donner
une idée des rapports numériques entre les groupes et ne prétendent nullement à l'exactitude
arithmétique.
3. L a résurrection des langues régionales est u n phénomène récent; au cours d u xixc siècle
et durant la première moitié du xx e , elles s'étaient pour la plupart éteintes. Cette renaissance
touche pour le m o m e n t une population limitée.
4. C'est le n o m populaire donné aux nationaux français rapatriés d'Afrique d u Nord.
617
Colette Guillaumin
1. Les gitans sont également désignés par le terme « tsiganes »; tout c o m m e les désignations
« roms » et « kalé », ces mots correspondent à une localisation géographique de l'origine de la
culture. Tsigane c o m m e r o m évoquent l'Europe centrale, gitan c o m m e kalé le bassin médi-
terranéen. L a situation est identique pour les termes « ashkénaze » (Europe de l'Est et
pays germaniques) et « sefardí » (bassin méditerranéen).
2. Les langues propres des groupes minoritaires (par exemple, le créole, le romanes, le yiddish,
etc.) ne sont pas employées quotidiennement en dehors d'aires géographiques restreintes,
mais elles demeurent vivantes. Néanmoins il y a une grande différence entre les générations :
si un grand nombre de gens âgés parlent mieux la langue minoritaire que le français, la jeune
génération la comprend mais ne la parle plus guère. Ces langues témoignent actuellement
du renouveau d'intérêt et de pratique qui touche l'ensemble des langues minoritaires.
3. L'adjectif « normal » se réfère évidemment à la norme statistique.
618
G r a n d e presse et multi-ethnicité : la situation en France
Il en va différemment des autres groupes. Les étrangers, quelle que soit leur
origine, présentent une particularité démographique liée sans doute à la limi-
tation temporelle de leur séjour. Il s'agit en grande majorité d ' h o m m e s adultes,
et d'autant plus, semble-t-il, que leur point d'attache est éloigné. Les Maliens,
les Mauritaniens, les Sénégalais, les Turcs en fournissent l'exemple le plus net :
ces groupes peuvent être considérés c o m m e « homogènes », en ce sens qu'ils
comprennent peu de vieillards, de femmes, d'enfants..., ce sont des sociétés
d ' h o m m e s célibataires. D a n s une certaine mesure, cela est également vrai
des originaires des départements français d'outre-mer, mais avec cette
différence que l'équilibre des sexes est plus proche de la n o r m e ; c'est
probablement le cas aussi d ' u n groupe étranger d'origine géographique
proche c o m m e celui des Espagnols. Le groupe gitan et le groupe juif ne pré-
sentent nullement ces particularités ; leur « profil » démographique est sensi-
blement le m ê m e que celui d u groupe majoritaire, avec sans doute une plus
grande jeunesse relative des gitans. Quant au groupe antillais, on peut le consi-
dérer c o m m e mixte : dans les départements de la Martinique et de la Guade-
loupe, la structure démographique est proche de celle des pays du tiers m o n d e ,
avec cependant une très grande jeunesse de la population, tandis que dans la
métropole c'est la similitude avec l'immigration étrangère qui l'emporte.
Enfin et surtout, la structure socio-économique des divers groupes est
profondément dissemblable. L e groupe majoritaire, s'il présente une grande
uniformité linguistique « raciale », culturelle, est au contraire très hétérogène
du point de vue de la stratification socio-économique. Puisqu'il représente
la quasi-totalité de la population, il pourrait difficilement en être autrement,
encore qu'il soit imaginable qu'il puisse être absent de certaines strates.
C e n'est pas le cas : toutes les classes, tous les secteurs économiques, toutes
les professions et qualifications y sont représentés.
Si le groupe juif présente une assez grande parenté avec le groupe domi-
nant pour ce qui est de la diversité socio-économique, sans toutefois être tota-
lement identique à ce dernier — la proportion des artisans et des commerçants
est plus élevée chez les juifs, celle des agriculteurs plus faible — il n'en est
pas de m ê m e des autres minorités. L e groupe gitan comprend une forte pro-
portion de marchands forains (37 %) et d'artisans (32 %), et très peu de tra-
vailleurs industriels et de m e m b r e s des professions libérales (respectivement
5 et 3 %) x . Les originaires des D O M qui vivent en France métropolitaine
sont, pour la plupart, regroupés dans des secteurs d'activité déterminés :
transports, services postaux, services de santé. E n d'autres termes, o n les
retrouve principalement dans le tertiaire.
Les groupes étrangers de toutes nationalités sont très étroitement confinés
en premier lieu dans le secteur secondaire, spécialement dans le bâtiment —
40 % — et la métallurgie — 20 % — (les services et l'agriculture n'en regroupent
619
Colette Guillaumin
que 10 %), en second lieu dans des strates dont le salaire reflète le m a n q u e
de qualification : 88 % des étrangers sont manœuvres ou O S 1 .
L'une des conséquences principales de cette différence entre les structures
socio-économiques des groupes est la carence de l'habitat pour la majeure
partie des minoritaires. Leurs conditions de logement sont désastreuses et
ne contribuent pas peu à les marquer, selon le mécanisme qui consiste à faire
retomber sur les victimes d'une situation la culpabilité d u scandale2. Si une
partie d'entre eux parvient à obtenir des conditions moins mauvaises dans
des habitats de type collectif— cités, foyers acceptables ou hôtels meublés... —
la règle moyenne reste trop souvent le bidonville, o ù se retrouvent surtout
Portugais et Algériens, les foyers de fortune installés dans des ateliers ou
bâtiments désaffectés, qu'occupent Maliens, Mauritaniens et Sénégalais,
et les terrains c o m m u n a u x , peu o u pas équipés, parfois m ê m e les décharges
publiques, où s'installent les gitans nomades... Les conséquences mortelles
de ces conditions de logement sur les occupants frappent périodiquement
les oreilles d'une majorité mieux lotie, indifférente o u hostile. C'est une carac-
téristique socio-économique qui n'est pas nouvelle ; les logements des immigrants
sont catastrophiques depuis le début de l'urbanisation dans les pays industriels,
et lorsqu'on lit : «Depuis quelques années... 541 travailleurs africains... vivent
entassés dans onze pièces... Tout est moisi ici et l'on peut à peine passer
entre les lits superposés3 », on pense aux immigrants provinciaux d u xixe siècle :
« Ils s'entassent à deux ou trois par lit, à quatre ou cinq lits par chambre,
des petites chambres mal aérées. Es viennent de la Creuse, de la Haute-Vienne...
ils demeurent quelques années seulement avant de regagner le pays... 4 ».
O n ne peut qu'être frappé par cette constance de l'association entre l'immi-
gration (ou la migration) et le logement marginal.
Plus encore qu'une apparence « ethnique », les groupes minoritaires
présentent donc des caractéristiques sociales. A l'exception de la minorité
juive, qui se rapproche dans une certaine mesure de la structure socio-écono-
mique d'ensemble sans s'y confondre, il y a cloisonnement professionnel,
démographique et socio-économique des minorités, qu'elles soient nationales
ou non. Les imputations de « race » sont fonction de ces confinements : plus
un groupe y est enfermé, plus il est racisé. 11 est b o n de ne pas perdre de vue
cette différence empirique, tangible, qui est autrement significative que la
couleur de la peau o u la race supposée5.
1. Dans la classification professionnelle des ouvriers en France, le sigle O S (ouvrier spécialisé)
designe la qualification la moins élevée après celle de m a n œ u v r e .
2. Cela a été noté par Jean-Pierre Peter à propos des paysans du x v m e siècle : « Partout l'horreur,
la détresse, la mortalité... Voilà le résultat, expliquent [les médecins], de siècles d'obscuran-
tisme où l'injustice sociale a triomphé de l'homme, détruit en lui son humanité m ê m e -
Alors ils s'exaspèrent absurdement de ce qu'ils considèrent bien être l'effet d'une oppression,
mais qu'ils retournent contre les victimes pour leur en faire grief... », dans : « L e corps d u
délit », Nouvelle revue de psychanalyse, vol. III, 1971.
3. Jacques TENESSI, dans : Droit et liberté, n° 284.
4. Philippe A R I È S , Histoire des populations françaises, p. 143 et 144, Paris, Éditions du Seuil, 1971.
5. O n peut voir la fragilité de l'évidence de la race, dans la perception, confuse mais certaine,
des caractéristiques socio-économiques des groupes « raciaux » Antillais et Africains.
Bien qu'ils soient tous noirs théoriquement, la différence de leurs emplois entraîne parfois
une perception différentielle de leur appartenance.
620
Grande presse et multi-ethnicité : la situation en France
L a presse française
621
Colette Guillaumin
1. Lors d'une conversation que nous avons eue avec Juliette Raabe à propos de sa contri-
bution intitulée « Les romans d'espionnage » à Racisme et société, op. cit., elle a avance
l'hypothèse intéressante de la fonction de « dérivation » des histoires defiction.Sans la suivre
dans cette interprétation, nous pensons qu'il est tout à fait nécessaire de distinguer la fiction,
avec sa nature spécifique, de ce qui est présenté c o m m e la réalité.
2. Voir, pour la France, les synthèses de : Olivier B U R G E L I N , La communication de masse,
Paris, S G P P , 1970; Jean C A Z E N E U V E , Les pouvoirs de la télévision, Paris, Gallimard, 1970;
Alain G I R A R D , « L a sociologie de l'information en France. État présent des recherches »,
Revue internationale des sciences sociales, vol. X I V (1962), n° 2.
3. Voir l'une des plus systématiques de ces études : Jean William L A P I E R R E , L'information
sur l'État d'Israël dans les grands quotidiens français en 1958, Paris, C N R S , 1968.
4. O n trouvera l'analyse et la critique de ces méthodes diverses d'analyse de contenu dans :
Marie-Christine d ' U N R U G , L'analyse de contenu, Paris, Éditions universitaires (à paraître).
622
G r a n d e presse et multi-ethnicité : la situation en France
623
Colette Guillaumin
1. Les remarques qui vont suivre sont inspirées principalement par trois études empiriques
de la presse dont la plus importante a porté sur le plus grand quotidien français, de 194S
à 1960, et les autres sur l'ensemble de la presse quotidienne sur une journée (31 m a i 1966)
et sur un mensuel antiraciste pendant trois ans (1967 à 1970). Mais d'autres sources, notam-
ment des études de textes anciens, les ont nourries et ont fourni des comparaisons.
L'analyse des textes de presse est appuyée sur des techniques à propos desquelles nous ne
pouvons nous étendre ici. Pour orienter le lecteur on peut cependant préciser que l'analyse
formelle porte notamment sur les points suivants : à) l'ordre des séquences et des mots;
b) la censure et ses faillites; c) les contiguïtés de propositions n'entretenant pas de lien
logique apparent; d) les réitérations et les tautologies; c) les volumes respectifs de l'in-
formation;/) les termes réservés et spécifiques.
2. Sauf, éventuellement, à propos d'événements qui ont lieu dans rtes pays étrangers, par
exemple les rencontres sportives.
624
Grande presse et multi-ethnicité : la situation en France
625
Colette Guillaumin
« C'est la plus récente rumeur qui circule au sujet de M a o Tsé-toung : il serait mort
empoisonné dans la meilleure tradition des Borgia... »
Par u n singulier paradoxe, l'étrangeté de l'autre, construite, est déduite de
cette construction m ê m e . Fabriquer l'étrangeté et, en retour, la saisir c o m m e
surprenante semble être l'une des caractéristiques principales de l'infonnation
sur les autres. A l'inverse, le travail informatif sur les majoritaires se
consacre à l'élucidation et à l'explication des événements. D a n s ce cas,
on peut noter une divergence de tactique : pour les uns, o n fabrique de
l'étrangeté à partir m ê m e de l'insignifiant ou de l'ordinaire, pour les autres
on fabrique du cohérent et de l'explicable à partir de ce qui ne l'est pas tou-
jours...
5. Enfin, et ceci découle de tout ce qui précède, les individus sont saisis
différemment par les textes selon qu'ils sont majoritaires o u minoritaires.
Les majoritaires sont traités en tant qu'individus, jamais ils ne sont réduits
à leur groupe socio-ethnique. O n ne fait pas mention de celui-ci et leur conduite
n'est pas expliquée par leur appartenance au groupe majoritaire... C e serait
bien difficile puisque ce groupe n'existe apparemment pas. C e n'est pas d u
tout le cas des individus appartenant à des groupes minoritaires. N o u s avons
vu qu'ils sont toujours et d'abord désignés par leur appartenance à tel o u
tel groupe, présenté c o m m e l'élément capital de l'information et la définition
principale de l'individu dont il est question. M ê m e une très grande célébrité
personnelle, si elle introduit dans le discours des détails personnels, ne brise
pas la réduction de l'individu au groupe.
Cette réduction s'apparente à u n autre phénomène de globalisation
perceptive : celui qui ramène les groupes eux-mêmes à u n c o m m u n déno-
minateur. C e mécanisme est plus courant dans la conversation que dans le
langage de la presse, car il joue trop de l'approximation, voire de l'inexactitude,
pour que les journalistes ne le censurent pas la plupart du temps. O n l'y trouve
néanmoins; Maliens, Mauritaniens et Sénégalais disparaissent sous la déno-
mination Africains, Algériens, Marocains et Tunisiens sous le vocable N o r d -
Africains, Guadeloupéens et Martiniquais sous celui d'Antillais. Q u e ces
termes désignent bien des réalités géographiques et éventuellement socio-
politiques ne change rien au fait qu'ils ont vertu de totalisation, de suppres-
sion des complexités et qu'ils sont employés dans ce sens.
D ' u n e façon plus sensible encore cette tendance se manifeste, sous des
formes moins soucieuses de logique, dans la conversation quotidienne. L e
peu d'attention porté aux particularités sociales ou individuelles des autres
apparaît nettement derrière l'empressement à réduire à u n groupe-type u n
ensemble hétérogène. Ainsi, le terme Algériens sert pratiquement à désigner
les nationaux des trois pays du Maghreb, les Noirs incarnent l'ensemble des
Africains, et aussi parfois — mais pas toujours — les originaires des quatre
départements d'outre-mer, o u inversement. Cette globalisation s'estompe
sans disparaître lorsque la proximité géographique augmente : si l'on distingue
mal les Espagnols et les Portugais, on n'emploie cependant pas de m o t c o m m u n
pour les désigner.
626
G r a n d e presse et multi-ethnicité : la situation en France
1. Frantz Fanon l'a souligné et le fait n'échappait pas, dès 1932, à un interviewé algérien d'Alain
Girard (dans : Français et immigrés..., op. cit.) qui remarquait l'importance, dans la vie
quotidienne, du fait d'« avoir un drapeau ».
627
Colette Guillaumin
soit revenu à l'ancien état de choses, il y a eu une régression, qui est accentuée
actuellement par les problèmes pétroliers1. L a lutte militaire et politique
n'était sans doute pas seule en cause dans le changement survenu au cours
de la décennie 1960-1970; en France m ê m e une nouvelle vague de travailleurs
étrangers s'établissait dans les postes de travail les plus dévalorisés, enlevant
peut-être aux travailleurs algériens l'exclusivité de cette coûteuse image de
marque.
L'évolution temporelle se manifeste à deux niveaux. D ' u n e part, on
note u n lien relativement prévisible entre le volume de l'information et la
conjoncture ou, en d'autres termes, l'apparition des « problèmes ». Il est
patent, par exemple, que les commentaires sur le groupe juif ont considérable-
ment augmenté à la suite des tensions entre l'État d'Israël et la France après
la guerre arabo-israélienne de juin 1967 (notons encore à ce sujet le phénomène
de globalisation : il y a assimilation entre Israël et le groupe juif).
D'autre part, il y a u n changement des termes employés et des jugements
portés. Il résulte plus clairement de la situation idéologique, mais en dernière
analyse il est susceptible d'être ramené à u n changement historique : si un
conflit est en passe d'être résolu par une victoire, totale ou partielle, d u groupe
minoritaire, ses m e m b r e s cessent d'être des « excités », des « voyous » ou
des « bandits »... pour devenir des « interlocuteurs » o u des « partenaires ».
Notons au passage que l'évolution est sensible également dans les pré-
occupations et le langage scientifique et que le discours de la recherche suit
fidèlement les inflexions idéologiques de la société2. Les travaux sur les groupes
minoritaires nationaux ou immigrés reflètent les variations de leur situation :
nouveauté, croissance démographique, tensions économiques et politiques
influencent le volume de la recherche mais également sa forme et ses pré-
occupations théoriques. Roger Bastide, dans une étude sur les recherches
interethniques3 a noté des fluctuations qui confirment ces remarques. Les
études sur les Nord-Africains ont atteint un volume maximal de 1950 à 1964
et pourtant le nombre des originaires des pays d u Maghreb n'était ni plus
ni moins important qu'avant o u qu'après, mais c'était l'époque des mouve-
ments et des guerres d'indépendance. Les études sur les Africains n'ont pris
de l'importance qu'en 1960 : à partir de ce moment-là ils sont devenus plus n o m -
breux en France, mais 1960 c'est aussi la date de l'indépendance de la majorité
des pays d'Afrique francophone. Par contre les études sur les rapatriés
d'Afrique du N o r d se sont concentrées de 1963 à 1965, années de leur retour,
pour disparaître pratiquement ensuite, ce qui semble montrer une influence
uniquement conjoncturelle, sans « chambre d'écho » idéologique. Mais
Bastide note également, et l'on peut y voir un effet de la prise de parole des
1. Dans les publications d'extrême-droite la violence redevient ce qu'elle était avant l'indépen-
dance de l'Algérie. Mais c'est la presse d'opinion moyenne qui nous intéresse ici.
2. Cela a été remarqué et analysé à propos du discours scientifique sur les sexes par Nicole
Claude M A T H I E U dans « Notes pour une définition sociologique des catégories de sexe »,
Épistémologie sociologique, n° 11, 1 e r semestre 1971.
3. Roger BASTIDE, « Les études et les recherches interethniques en France de 1945 à 1968 »,
Bulletin du CERIN, n° 1, 1968 (multigraphié).
628
Grande presse et multi-ethnicité : la situation en France
minoritaires, qu'après avoir été à peu près exclusivement orientées sur les
aspects culturels et juridiques des contacts interethniques, les recherches se
sont « politisées » vers 1960. Enfin, en France, la recherche ne se préoccupe
guère d u groupe majoritaire en tant que tel et reste à cet égard enfermée
dans la contrainte que traduit le langage. L e groupe majoritaire, pourtant si
écrasant — et peut-être à cause de cela — n'existe consciemment pas plus
à ses propres yeux que dans la presse o u le langage banal; seuls les autres
soulèvent des questions, seuls ils sont étudiés. O n peut compter sur les doigts
de la main les travaux sur les majoritaires, alors qu'on en dénombre des
centaines sur les minoritaires.
L'évolution de la perception que le groupe majoritaire a de lui-même
est diificile à saisir; elle est moins parlée et ce n'est guère que par des déduc-
tions qu'on peut la cerner : une collection d'individus ne saurait avoir de
caractéristiques sociales! Cependant on note depuis quelque temps (1965-1970)
une utilisation croissante d u terme « race » dans des contextes valorisés et
courants, très spécialement c o m m e support publicitaire. Cette utilisation
pourrait présager un usage de ce terme qui ne soit plus strictement réservé
aux « autres ». L e groupe dominant en viendrait-il à se percevoir à son tour,
encore très obscurément, c o m m e une race? C e serait une évolution qui ten-
drait à rapprocher la France des pays anglo-saxons, et dont l'origine serait
intéressante à étudier.
Mais il n'y a pas de sentiment conscient de cette évolution. Étrangement,
l'image de l'autre est crue constante alors m ê m e qu'elle ne cesse de varier.
Les autres continuent à être perçus figés et immuables, à être désignés avant
toute autre chose; ils demeurent prisonniers d'une chosification de leur
personne à travers leur groupe. Dans cette mesure, tout changement perceptif,
aussi considérable soit-il, passe inaperçu. L a logique de l'inconscient allie les
contradictions avec la plus grande aisance.
Car, et c'est là u n point capital, ce ne sont pas les formes perceptives,
telles que nous les avons rapidement inventoriées, qui changent : ce sont les
contenus, qu'ils soient mots ou stéréotypes. C e n'est pas négligeable, c'est
peu. Il est important, certes, d'attirer l'attention sur les changements qui
affectent ce que l'on dit de l'autre et d'en souligner la dépendance à l'égard de
l'histoire, mais il est également important de ne pas perdre de vue qu'il ne
s'agit là que de l'image explicite de l'autre, c'est-à-dire d'un ensemble de sté-
réotypes. Ces images colorées o u agressives accompagnent presque toujours
les informations sur les minoritaires, sans d'ailleurs leur être réservées. Plus
un groupe est racisé ou éloigné dans la perception majoritaire, plus ces images
sont hautement et violemment accusées; c'est le cas des gitans et des Africains.
Cet exotisme est mieux censuré ou étouffé à l'égard des groupes qui, sous une
forme ou une autre, prennent la parole : le coefficient exotique des Antillais
et des juifs ne cesse de s'amenuiser. Les images ne sont qu'une infime partie
de la perception qu'on a de l'autre; le nerf de la guerre, si l'on ose dire, se
love dans la dichotomie formelle de la perception que l'analyse met en évi-
dence dans le langage. L'information est parlée, capitalisée par le groupe
majoritaire en ce sens que tout ce qui a trait à ce groupe constitue le c h a m p
629
Colette Guillaurain
630
Grande presse et multi-ethnicité : la situation en France
il est à ses propres yeux hors ethnicité. C'est une société o ù la préoccupation
raciale est rejetée sur les autres et n'effleure pas le sentiment de soi-même.
Est-ce très surprenant en définitive? L e groupe majoritaire, qui représente
95 % des nationaux, en tire u n sentiment de totalité que les minoritaires, si
divers, ne peuvent ni partager ni rompre puisque dans le meilleur des cas
chaque groupe minoritaire n'atteint que 1 %. D e plus, les minoritaires subissent
u n cloisonnement que ne connaissent pas les majoritaires. Si les minoritaires
sont confinés d u point de vue professionnel, écologique o u démographique,
ils n'ont cependant pas l'exclusivité de leurs caractéristiques sociales : les
majoritaires peuvent également être ce que sont les minoritaires et la situation
est très différente de celle des sociétés multi-ethniques, o ù tous les groupes
sont « particuliers » et cernés de frontières. U n majoritaire peut être auditeur
au Conseil d'État o u rétameur, alors q u ' u n gitan ne peut guère être que réta-
meur... mais il n'est pas seul à pouvoir l'être. A u sentiment de totalité des
dominants vient donc se joindre une sensation de sécurité et de toute-puissance
sociale qui ne saurait guère engendrer u n sentiment racial d u groupe propre,
si la race est ce carcan ou cette élection, cette « marque » orgueilleusement
o u amèrement portée mais qui, en tout cas, dérive de la connaissance de la
spécificité sociale.
631
Leo Kuper L e changement d'ordre
politique dans
les sociétés pluralistes :
problèmes posés par
le pluralisme racial1
1. Les recherches sur lesquelles se fonde le présent article ont été financées par une subvention
de la National Science Foundation, à qui j'exprime ici m a reconnaissance. Je tiens aussi à
remercier m o n assistante, Sandra Hale, pour l'aide qu'elle m ' a apportée, et m o n ancien
élève, Neville Layne, dont la thèse de doctorat The plural society in Guyana m ' a été extrê-
mement utile.
2. Voir O . C . C o x (1948, p. 321-352, 583), pour qui l'apparition des antagonismes raciaux
coïncide avec l'avènement du capitalisme et la politique menée par les principaux dirigeants
du monde capitaliste, les Blancs des pays d'Europe et d'Amérique du Nord. Selon lui, les
rapports raciaux représentent une variante importante de la lutte des classes en ce sens que
la bourgeoisie cherche à prolétariser un peuple tout entier (p. 344), et il reconnaît que l'anta-
gonisme ethnique racial peut recouvrir d'autres intérêts au point que rien n'est fait pour
aplanir les divergences de classes, sur le plan politique (p. 319).
3. Voir, pour l'Afrique du Sud, l'ouvrage de H . J. S I M O N S et R . E . S I M O N S (1969 chap. 26,
p. 618 et 619) et, pour les États-Unis, J. B O G G S (1970, p. 9-18).
632
Rev. int. Sc. soc, vol. XXIII (1971), n° 4
Problèmes posés par le pluralisme racial
dans les luttes révolutionnaires, des individus appartenant à des classes diffé-
rentes (paysans, ouvriers, bourgeois).
Les modèles durkheimiens soulignent que les rapports entre m e m b r e s
de communautés distinctes peuvent donner naissance à de nouvelles formes
de solidarité qui transcendent les vieilles divisions1.
Les communautés peuvent être constituées par des groupes physiquement
isolés les uns des autres sur leurs propres territoires, o u séparés hiérarchique-
ment par une discrimination dans le domaine de l'emploi et par une ségré-
gation systématique. Le modèle type de Durkheim est essentiellement tin
modèle évolutionniste, mais la théorie de base a été élaborée dans des sociétés
racialement homogènes en voie d'industrialisation et il paraît assez douteux
qu'on puisse l'appliquer à des sociétés multiraciales. O n ne sait pas très bien
quelle importance attacher aux rapports et à la solidarité entre individus de
groupes raciaux différents lorsque ceux-ci n e sont pas tous parvenus politi-
quement au m ê m e degré d'intégration, en tant que collectivités. E n outre,
les caractéristiques physiques sont, dans u n e société multiraciale, u n m o y e n
d'identification plus durable que l'appartenance à une classe dans une société
industrielle homogène, et la mobilité peut avoir des conséquences absolument
différentes.
Les théories relatives à la société pluraliste et au pluralisme mettent l'accent
sur les clivages o u les discontinuités entre groupes qui se différencient par la
race, l'ethnie, la religion o u la culture. Ces éléments de différenciation ne sont
pas tenus pour primordiaux 2 : ils s'intègrent dans les structures sociales au
fur et à mesure d u processus d'interaction. Les différences raciales n'ont par
elles-mêmes aucune importance sociale3.
Elles en acquièrent une seulement lorsqu'elles servent à élaborer des
systèmes d'intégration politique différentielle, de stratification économique
et de ségrégation raciale. C o m m e la théorie des sociétés pluralistes se fonde
sur l'analyse d'un clivage profond et durable, elle tend à souligner le carac-
tère tenace des divisions pluralistes et le fait que le changement d'ordre poli-
tique risque fort de s'opérer par des moyens violents.
Sur le plan idéologique, M a r x et Durkheim soulignent la solidarité entre
les races. Pour M a r x , cette solidarité s'exerce entre individus de races diffé-
rentes qui remplissent les m ê m e s fonctions dans le système de production;
pour Durkheim, elle résulte de tout u n ensemble de rapports intercommunau-
taires. Si la théorie de la lutte des classes est difficilement applicable à des
sociétés multiraciales en raison précisément d u m a n q u e de solidarité de classe,
et si l'on peut s'en servir pour exacerber les conflits raciaux en assimilant
les races à des classes différentes, elle débouche néanmoins sur une idéologie
de rapprochement entre les races, tempère les manifestations de racisme et
633
Leo Kuper
oriente l'action vers la coopération entre les races. Les perspectives durkhei-
miennes encouragent, elles aussi, les idéologies favorables à la solidarité
interraciale, m ê m e si la peur des conséquences des rapports intercommunau-
taires risque d'inciter u n groupe dominant à pratiquer une politique de ségré-
gation et de discrimination raciales systématique et totalitaire, c o m m e c'est
le cas de l'appartheid en Afrique d u Sud. M a r x et Durkheim s'appuient l'un
et l'autre sur u n concept moral : le premier croit à u n acheminement vers
l'égalité par une dialectique révolutionnaire d u changement, le second à la
multiplication des contacts intercommunautaires et à l'instauration de rap-
ports harmonieux, qui feront disparaître progressivement les inégalités raciales
par u n processus d'évolution. Sur le plan politique, ces conceptions corres-
pondent aux idéologies communiste et libérale.
Les théories relatives à la société multiraciale ne laissent, par contre,
entrevoir aucun progrès dans la voie de la solidarité ou de l'égalité entre races.
Elles ouvrent des perspectives assez sombres et se prêtent aisément à des
déformations idéologiques. Les groupes raciaux dominants peuvent faire
valoir la fréquence des conflits ethniques et raciaux et en conclure que le
pluralisme racial fait partie de l'ordre naturel et que la domination raciale
est justifiée. Les groupes raciaux dominés peuvent trouver dans cette doctrine
un encouragement à exprimer immodérément u n antagonisme racial. Les
idéologues de toute obédience peuvent être enclins à y trouver l'affirmation
d'un antagonisme racial ou ethnique inné et irréductible. Toutes ces inter-
prétations sont absolument étrangères aux théories sur les sociétés pluralistes
et elles en donnent d'ailleurs une idée entièrement fausse ; mais elles s'expliquent
par le fait que ces théories sont axées sur la notion de clivage et de conflit
et que toute préoccupation morale en est absente. L'intérêt pour les sociétés
pluralistes peut, certes, découler d'un fort engagement moral en faveur de la
prévention des conflits sociaux destructeurs et de la recherche de méthodes
d'évolution pacifique vers l'harmonie et l'égalité. Mais l'engagement moral
n'est pas inhérent à ces théories, dont le seul mérite est peut-être d'introduire
une méthode d'approche plus réaliste de l'étude des sociétés pluralistes.
634
Problèmes posés par le pluralisme racial
635
Leo Kuper
1. O n est frappé, par exemple, par l'importance des idéologies fondées sur les différences cul-
turelles dans de nombreuses sociétés pluralistes, par les controverses politiques au sujet des
conditions d'accès à la culture du groupe dominant, le dénigrement de la culture du groupe
dominé, et la renaissance du nationalisme culturel dans les mouvements révolutionnaires
contre la domination.
2. M . G . SMITH (1969a, p. 435).
636
Problèmes posés par le pluralisme racial
1. M . G . S M I T H , (1969a, p. 440).
2. Ibid., p. 445.
3. Voir l'étude, par M . R . H A U G (1967, p. 294-304), des rapports entre divers degrés de plura-
risme et les variables démographique, économique, politique et celles qui ont trait à la com-
munication.
4. Pierre L . van den B E R O H E (1969, p. 69-72).
5. L . K U P E R (1969, p. 469-479).
6. Voir, par exemple, la description de J. S. F U R N T V A L L (1948, p. 311) des lignes de clivage racial
dans la société pluraliste. « Les étrangers vivent dans les villes, les indigènes dans les zones
rurales ; le commerce et l'industrie sont entre les mains des étrangers et les indigènes s'adonnent
principalement à l'agriculture; le capital étranger emploie la main-d'œuvre indigène ou
importée. Les divers éléments de la population ne se rencontrent qu'au marché, c o m m e
concurrents ou c o m m e rivaux, c o m m e acheteurs et c o m m e vendeurs. » O n trouve aussi
chez Fanon une puissante description du manichéisme du monde colonial.
7. Voir R . D A H R E N D O R F (1959, p. 213 et suiv.; p. 316-317).
637
Leo Kuper
1. C'est ainsi que M . F O R T E S (1970, p. 8) définit l'usage courant de ce concept mais j'ai pour m a
part inclus la diversité raciale (pluralisme) sur laquelle porte une bonne partie du présent
article.
2. H . C R U S E (1968, p. 139-155); H . J. S I M O N S et R . E . S I M O N S (1969, p. 621).
3. A . C A B R A L (1969, p. 77) conclut que l'importance des forces productrices, qui détermine le
contenu et la forme de la lutte des classes, est toujours l'élément moteur de l'histoire.
638
Problèmes posés par le pluralisme racial
639
Leo Kuper
Ces rapports entre groupes peuvent se traduire par le partage plus équitable
d'une culture c o m m u n e , la participation aux m ê m e s institutions, o u par
divers rapports sociaux entre individus de race o u d'ethnie différentes. Ils
sont jugés importants parce qu'ils favorisent l'intégration, la stabilité o u
l'acheminement vers la démocratie.
Sans doute, le partage de nombreux éléments d'une culture c o m m u n e
favorise-t-il souvent l'intégration et la stabilité, bien que des sociétés rela-
tivement homogènes par leurs cultures puissent évidemment connaître de
profondes divisions et une lutte révolutionnaire, et que l'attachement a u x
m ê m e s valeurs puisse être en soi une source de conflits1. Dans les sociétés
pluralistes, les différences culturelles deviennent, tout c o m m e l'assimilation
culturelle, une source de conflit. D a n s les sociétés colonisées par les Blancs,
les idéologies fondées sur les différences culturelles servent à rationaliser la
domination. E n m ê m e temps, les moyens d'accès à la culture d u groupe
dominant sont strictement contrôlés et la promesse d'égalité de participation
pour ceux qui ont assimilé cette culture se révèle illusoire. E n conséquence,
le conflit peut se traduire en partie par l'aflirmation, de part et d'autre, d'une
supériorité culturelle et par la résurgence de la culture traditionnelle; la poli-
tique en matière d'éducation devient alors u n problème politique capital
et les individus culturellement assimilés peuvent être conduits à entraîner leur
peuple dans une lutte révolutionnaire.
Les conséquences de la participation aux m ê m e s institutions varient
selon la nature de ces institutions, les rapports qu'elles créent entre les divers
groupes et leur m o d e d'articulation à l'intérieur de la société. Colby et van
den Berghe observent que « d'une part, ces institutions c o m m u n e s sont le
fondement m ê m e d'une intégration de la société pluraliste; d'autre part,
l'asymétrie dans nombre des relations interethniques est génératrice de
conflits2 ». Les sociétés pluralistes se caractérisent par le fait que les rapports
dans le domaine économique y sont nettement asymétriques. L'interdépen-
dance économique peut favoriser la stabilité et l'intégration dans certaines
conditions, mais il est tout à fait illusoire d'escompter que la croissance indus-
trielle et économique dans les sociétés pluralistes contribue automatiquement
à l'intégration et au changement démocratique, compte tenu de la persistance
des inégalités raciales aux États-Unis et en Afrique d u Sud 8 . D a n s les sociétés
pluralistes, la revendication d'une plus grande égalité de participation, suscitée
par le développement économique, risque d'intensifier la répression politique,
c o m m e c'est le cas en Afrique d u Sud.
L a multiplication des réseaux de biens entre individus appartenant à des
races o u à des groupes ethniques différents peut assurément servir de base
à une restructuration de la société; mais, là encore, des difficultés surgissent
dans les sociétés pluralistes où l'intégration n'est pas la m ê m e pour toutes les
races. M . G . Smith estime que, dans u n tel système, les actions et les prises de
1. H . I. M C K E N Z I E (1966, p. 59).
2. B. J. COLBY et P. L. van den BEROHE (1969, p. 183).
3. Voir : H . BLUMER (1965); L. KUPER (1969C); M . FORTES (1970).
640
Problèmes posés par le pluralisme racial
1. M . G . S M I T H (19696, p. 51).
2. Voir, par exemple : A . M E M M I (1957, p. 54); R . A R O N (1962, p. 8). Voir aussi L . K U P E R
(1969c, p. 169-183), qui a essayé d'évaluer l'importance des rapports intercommunautaires
pour le processus d'évolution.
3. Dans sa théorie de la société pluraliste, J. S. F U R N T V A L L souligne le rôle des forces écono-
miques qui échappent au contrôle de la volonté sociale et s'exercent dans le contexte de la
domination coloniale et du pluralisme racial et culturel. Il estime toutefois que c'est seule-
ment sur le plan politique que pourrait être résolu le problème de la création d'une volonté
sociale commune. « La réintégration politique ne dépend pas de la réintégration sociale et
économique : elle la conditionne. » (J. S. F U R N I V A L L , 1948, p. 506.)
4. M . N A S H (1958).
5. L. A . DESPRES (1967, p. 22-27).
6. M . F R E E D M A N (1969, p. 167).
641
Leo Kuper
642
Problèmes posés par le pluralisme racial
avec la conscience de classe : elle a des racines sociales différentes, elle répond
à des motivations différentes et se traduit par des aspirations différentes.
Elle s'attachera vraisemblablement à faire changer de mains le pouvoir et
la richesse plutôt q u ' à transformer radicalement le m o d e de propriété des
moyens de production.
C e modèle de changement révolutionnaire se fonde sur l'hypothèse
que les groupes raciaux o u ethniques s'affrontent c o m m e des blocs anta-
gonistes dans u n contexte général d'extrême discontinuité. Mais les conti-
nuités et les discontinuités coexistent toujours dans les sociétés pluralistes,
c o m m e le prouve clairement le fait que la violence révolutionnaire se tourne
vers l'intérieur autant que vers l'extérieur, c o m m e par exemple en Algérie1
et au Kenya 2 . L a combinaison des continuités et des discontinuités rend
ambigus les rapports entre groupes raciaux o u ethniques; la polarisation
n'est pas automatique. D'autre part, le conflit n'est pas non plus provoqué
simplement par les manœuvres de dirigeants politiques c o m m e tendent à
le faire croire certaines théories machiavéliques sur le conflit éthique en Afrique.
Il est des forces sociales qui provoquent le conflit racial o u ethnique, mais
une évolution progressive, dans certaines conditions, est également possible
et permet de faire u n choix politique. C'est pourquoi deux modèles sont pro-
posés pour le changement d'ordre politique dans les sociétés pluralistes;
ils correspondent à différentes tendances politiques des groupes pluralistes
dominés. Pour l'un, le processus d'adaptation et d'évolution résulte de l'inté-
gration progressive sur une base d'égalité, tandis que l'autre cherche à résoudre
le problème en faisant prendre aux divers groupes plus vivement conscience
de leur identité dans une opposition dialectique et u n affrontement révolu-
tionnaire3.
Lorsqu'on essaie d'apprécier la possibilité d ' u n changement politique
progressif, on ne peut partir de l'hypothèse que la probabilité d'un tel change-
ment s'accroît de façon automatique en m ê m e temps que les continuités
entre les différents groupes sur le plan des structures et de la culture. Certaines
combinaisons de continuités et de discontinuités peuvent être particulièrement
génératrices de conflit4.
E n outre, dans les sociétés multiraciales et, pour une moindre mesure,
dans les sociétés multi-ethniques, il est facile de récupérer les éléments dyna-
miques du groupe dominé. Et dans les sociétés pluralistes en général, la violence
entre groupes est souvent u n puissant facteur de polarisation.
Le schéma proposé par Beltran5 peut être utile pour l'étude des possi-
bilités de violence révolutionnaire o u d'évolution progressive. Il distingue le
dualisme entre les secteurs traditionnel et moderne, le pluralisme primaire o u
ethno-culturel, et le pluralisme secondaire, y compris les pluralismes de
1. M . F E R A O U N (1962).
2. R . BUITENHUIJS (1969, chap. xu).
3. L . K U P E R (19696).
4. Voir, par exemple, l'utilisation faite par J. G A L T U N G (1966) de l'idée d'incongruité de statut
dans sa théorie du conflit.
5. L . B E L T R A N (1969, p. 93-118).
643
Leo Kuper
[Traduit de l'anglais]
BIBLIOGRAPHIE
Nous donnons ci-après une bibliographie sélective se rapportant au thème développé dans
cet article. O n trouvera une liste très détaillée des ouvrages ou études sur la société plura-
liste, parus jusqu'en 1967, dans Pluralism in Africa, publié sous la direction de Leo Kuper
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Claude Lévi-Strauss Race et culture
647
Rev. int. Sc. soc, vol. X X m (1971), n° 4
Claude Lévi-Strauss
qui lui semblait autrement inexplicable, tout en reconnaissant que les popu-
lations ayant donné naissance à ces cultures étaient issues de mélanges entre
des groupes humains qui, eux-mêmes, avaient déjà résulté d'autres mélanges.
Si donc on essaye de faire remonter les différences raciales aux origines, o n
s'interdit par là-même d'en rien savoir, et ce dont on débat en fait n'est pas
la diversité des races, mais la diversité des cultures.
D a n s la seconde hypothèse, d'autres problèmes se posent. D'abord,
les dosages génétiques variables, auxquels le c o m m u n se réfère quand il
parle de races, correspondent tous à des caractères bien visibles : taille, cou-
leur de la peau, forme du crâne, type de la chevelure, etc. ; à supposer que
ces variations soient concordantes entre elles — ce qui est loin d'être sûr —
rien ne prouve qu'elles le sont aussi avec d'autres variations intéressant des carac-
tères non immédiatement perceptibles aux sens. Pourtant, les uns ne sont
pas moins réels que les autres, et il est parfaitement concevable que les seconds
aient une ou plusieurs distributions géographiques totalement différentes
des précédents et différentes entre elles, de sorte que, selon les caractères
retenus, des « races invisibles » pourraient être décelées à l'intérieur des races
traditionnelles, o u qui recouperaient les frontières déjà incertaines qu'on
leur assigne. E n second lieu, et puisqu'il s'agit dans tous les cas de dosages,
les limites qu'on leur fixe sont arbitraires. E n fait, ces dosages s'élèvent o u
diminuent par des gradations insensibles, et les seuils qu'on institue ici o u
là dépendent des types de phénomènes que l'enquêteur choisit de retenir
pour les classer. D a n s un cas, par conséquent, la notion de race devient si
abstraite qu'elle sort de l'expérience et devient une manière de présupposé
logique pour permettre de suivre une certaine ligne de raisonnement. D a n s
l'autre cas, elle adhère de si près à l'expérience qu'elle s'y dissout au
point qu'on ne sait m ê m e plus de quoi on parle. Rien d'étonnant si b o n
n o m b r e d'anthropologues renoncent purement et simplement à utiliser cette
notion.
E n vérité, l'histoire de la notion de race se confond avec la recherche
de traits dépourvus de valeur adaptative. Car c o m m e n t pourraient-ils autrement
s'être maintenus tels quels à travers les millénaires, et, parce qu'ils ne servent
à rien en bien ou en mal, parce que leur présence serait donc totalement
arbitraire, témoigner aujourd'hui pour u n très lointain passé? Mais l'histoire
de la notion de race, c'est aussi celle des déboires ininterrompus essuyés par
cette recherche. Tous les traits successivement invoqués pour définir des
différences raciales se sont montrés, les uns après les autres, liés à des
phénomènes d'adaptation, m ê m e si, parfois, les raisons de leur valeur sélec-
tive nous échappent. C'est le cas de la forme d u crâne, dont nous savons
qu'elle tend partout à s'arrondir; c'est celle aussi de la couleur de la peau,
qui, chez les peuplades établies dans des régions tempérées, s'est éclaircie
par sélection pour compenser l'insuffisance d u rayonnement solaire et mieux
permettre à l'organisme de se défendre contre le rachitisme. O n s'est alors
rabattu sur les groupes sanguins, dont o n c o m m e n c e pourtant à soupçonner
qu'eux aussi pourraient n'être pas dépourvus de valeur adaptative : fonctions,
peut-être, de facteurs nutritionnels, o u conséquences de la différente sensibilité
648
Race et culture
Le problème des rapports entre race et culture serait donc m a l posé si l'on
se contentait de l'énoncer de la sorte. N o u s savons en effet ce qu'est une cul-
ture, mais nous ne savons pas ce qu'est une race, et il n'est probablement
pas nécessaire de le savoir pour tenter de répondre à la question que recouvre
le titre donné à cette conférence. E n vérité, o n gagnerait à formuler cette
question d'une façon plus compliquée peut-être, et cependant plus naïve.
D y a des différences entre les cultures et certaines, qui diffèrent d'autres
plus qu'elles ne semblent différer entre elles — au moins pour u n œil étranger
et non averti — sont l'apanage de populations qui, par leur aspect physique,
diffèrent aussi d'autres populations. D e leur côté, celles-ci estiment que les
649
Claude Lévi-Strauss
différences entre leurs cultures respectives sont moins grandes que celles
qui prévalent entre elles et avec les cultures des premières populations. Y
a-t-il u n lien concevable entre ces différences physiques et ces différences
culturelles? Peut-on expliquer et justifier celles-ci sans faire appel à celles-là?
Telle est en s o m m e la question à laquelle o n m e demande d'essayer de répondre.
Or, cela est impossible pour les raisons que j'ai déjà dites, et dont la principale
tient a u fait que les généticiens se déclarent incapables de relier d'une manière
plausible des conduites très complexes, c o m m e celles qui peuvent conférer
ses caractères distinctifs à une culture, à des facteurs héréditaires déterminés
et localisés, et tels que l'investigation scientifique puisse les saisir dès main-
tenant o u dans u n avenir prévisible. Il convient donc de restreindre encore
la question, que je formulerai c o m m e suit : l'ethnologie se sent-elle capable
à elle seule d'expliquer la diversité des cultures? Peut-elle y parvenir sans
faire appel à des facteurs qui échappent à sa propre rationalité, sans d'ailleurs
préjuger de leur nature dernière qu'il ne lui appartient pas de décréter bio-
logique? Tout ce que nous pourrions dire, en effet, sur le problème des rapports
éventuels entre la culture et cette « autre chose » qui ne serait pas d u m ê m e
ordre qu'elle, serait — en démarquant une formule célèbre — que nous n'avons
pas besoin d'une telle hypothèse.
Il se pourrait cependant que, m ê m e ainsi, nous fassions la part trop
belle en simplifiant à l'excès. Prise seulement pour telle, la diversité des cul-
tures ne poserait pas de problème en dehors d u fait objectif de cette diver-
sité. Rien n'empêche, en effet, que des cultures différentes coexistent, et que
prévalent entre elles des rapports relativement paisibles dont l'expérience
historique prouve qu'ils peuvent avoir des fondements différents. Tantôt,
chaque culture s'affirme c o m m e la seule véritable et digne d'être vécue; elle
ignore les autres, les nie m ê m e en tant que cultures. L a plupart des peuples
que nous appelons primitifs se désignent eux-mêmes d ' u n n o m qui signifie
« les vrais », « les bons », « les excellents », o u bien tout simplement « les
h o m m e s »; et ils appliquent aux autres des qualificatifs qui leur dénie la condi-
tion humaine, c o m m e « singes de terre » o u « œufs de p o u ». Sans doute,
l'hostilité, parfois m ê m e la guerre, pouvait aussi régner d'une culture à l'autre,
mais il s'agissait surtout de venger des torts, de capturer des victimes destinées
aux sacrifices, de voler des femmes o u des biens : coutumes que notre morale
réprouve, mais qui ne vont jamais, o u ne vont qu'exceptionnellement jusqu'à
la destruction d'une culture en tant que telle ou jusqu'à son asservissement,
puisqu'on ne lui reconnaît pas de réalité positive. Q u a n d le grand ethnologue
allemand Curt Unkel, mieux connu sous le n o m de Nimuendaju que lui
avaient conféré les Indiens d u Brésil auxquels il a consacré sa vie, revenait
dans les villages indigènes après u n long séjour dans u n centre civilisé, ses
hôtes fondaient en larmes à la pensée des souffrances qu'il avait d û encourir
loin d u seul endroit où, pensaient-ils, la vie valait la peine d'être vécue. Cette
profonde indifférence aux cultures autres était, à sa manière, une garantie
pour elles de pouvoir exister à leur guise et de leur côté.
Mais o n connaît aussi une autre attitude, qui est complémentaire de
la précédente plutôt qu'elle ne la contredit, et selon laquelle l'étranger jouit
650
Race et culture
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Claude Lévi-Strauss
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Race et culture
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Claude Lévi-Strauss
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Race et culture
son lignage généalogique et s'établit à l'écart; plus tard, des blocs d'indi-
vidus parents entre eux les rejoignent et viennent partager le nouvel habitat.
Les stocks génétiques qui se constituent ainsi diffèrent beaucoup plus entre
eux que s'ils étaient l'effet de regroupements opérés au hasard.
U n e conséquence en résulte : si les villages d'une m ê m e tribu consistent
en formations génétiques différenciées au départ, vivant chacune dans u n
isolement relatif et en compétition objective les unes avec les autres d u fait
qu'elles ont des taux de reproduction inégaux, elles reconstituent un ensemble
de conditions bien connu des biologistes c o m m e étant le plus favorable à
une évolution incomparablement plus rapide que celle qu'on observe en
général dans les espèces animales. O r , nous savons que l'évolution qui a
conduit des derniers hominiens fossiles à l ' h o m m e actuel s'est faite, c o m p a -
rativement parlant, de façon très rapide. Pour autant qu'on admette que
les conditions observables dans certaines populations reculées offrent, au
moins sous certains rapports, l'image approximative de celles qu'a p u con-
naître l'humanité dans un lointain passé, o n doit reconnaître que ces condi-
tions, qui nous paraissent très misérables, étaient les plus propres à faire
de nous ce que nous s o m m e s devenus, et qu'elles restent aussi les plus capables
de maintenir l'évolution humaine dans le m ê m e sens et de lui conserver son
rythme, alors que les énormes sociétés contemporaines, o ù les échanges
génétiques se font d'autre manière, tendent à freiner l'évolution ou à lui
imposer d'autres orientations.
Ces recherches ont aussi démontré que, chez les prétendus sauvages,
la mortalité infantile d'une part, celle due aux maladies infectieuses d'autre
part — si l'on se limite, bien entendu, à des tribus exemptes de contami-
nation extérieure — sont loin d'être aussi fortes qu'on l'aurait supposé. Elles
ne peuvent donc rendre compte d'une faible croissance démographique qui
provient plutôt d'autres facteurs : espacement volontaire des naissances
correspondant à la durée prolongée de l'allaitement et aux prohibitions
sexuelles, pratique de l'avortement et de l'infanticide, de sorte que, pendant
sa période féconde, u n couple donne naissance à u n enfant en moyenne tous
les quatre ou cinq ans. Aussi odieux que nous soit devenu l'infanticide, il
ne diffère pas fondamentalement, c o m m e méthode de contrôle des naissances,
d u taux élevé de mortalité infantile qui a prévalu dans les « grosses » sociétés
et prévaut encore dans certaines, et des méthodes contraceptives dont l'emploi
nous semble aujourd'hui nécessaire pour épargner à des millions ou à des
milliards d'individus, exposés à naître sur une planète surpeuplée, u n sort
non moins lamentable que celui que leur évite une précoce élimination.
C o m m e beaucoup d'autres par le m o n d e , les cultures o ù se sont déroulées
les recherches que je continue de commenter font de la pluralité des épouses
une sanction de la réussite sociale et de la longévité. Il en résulte que, si toutes
les femmes tendent à avoir approximativement le m ê m e nombre d'enfants
pour les raisons précédemment indiquées, les h o m m e s , selon le nombre de
leurs épouses, auront des taux de reproduction qui varieront considérablement.
Ils varieront plus encore si, c o m m e je l'ai jadis observé chez les Indiens Tupi-
Kawahib qui vivent dans le bassin du rio Madeira, une puissance sexuelle
655
Claude Lévi-Strauss
656
Race et culture
Il fallait que notre savoir évoluât et que nous prissions conscience de nou-
veaux problèmes, pour reconnaître une valeur objective et une signification
morale à des modes de vie, des usages et des croyances qui ne recevaient
auparavant de notre part que des railleries o u au mieux une curiosité condes-
cendante. Mais avec l'entrée de la génétique des populations sur la scène
anthropologique, u n autre retournement s'est produit, dont les implications
théoriques sont peut-être encore plus grandes. Tous les faits que je viens
d'évoquer relèvent de la culture ; ils concernent la façon dont certains groupes
humains se divisent et se reforment, les modalités que la coutume impose
aux individus des deux sexes pour s'unir et se reproduire, la manière prescrite
de refuser ou de donner le jour aux enfants et de les élever, le droit, la magie,
la religion et la cosmologie. O r , nous avons v u que de façon directe ou indi-
recte ces facteurs modèlent la sélection naturelle et orientent son cours. D è s
lors, les données d u problème relatif aux rapports entre les notions de raGe
et de culture se trouvent profondément bouleversées. Pendant tout le xrx e
siècle et la première moitié d u xx e , on s'est demandé si la race influençait
la culture et de quelles façons. Après avoir d'abord reconnu que le problème
ainsi posé était insoluble, nous nous apercevons maintenant que les choses
se passent dans l'autre sens : ce sont les formes de culture qu'adoptent ici
ou là les h o m m e s , leurs façons de vivre telles qu'elles ont prévalu dans le
passé ou prévalent encore dans le présent, qui déterminent, dans une très
large mesure, le rythme de leur évolution biologique et son orientation. Loin
qu'il faille se demander si la culture est o u n o n fonction de la race, nous
découvrons que la race — ou ce que l'on entend généralement par ce terme —
est une fonction parmi d'autres de la culture.
C o m m e n t pourrait-il en être autrement? C'est la culture d'un groupe
qui détermine les limites géographiques qu'il s'assigne ou qu'il subit, les
relations d'amitié ou d'hostilité qu'il entretient avec les peuples voisins et,
par voie de conséquence, l'importance relative des échanges génétiques qui,
grâce aux intermariages permis, encouragés o u défendus, pourront se pro-
duire entre eux. M ê m e dans nos sociétés, nous savons que les mariages n'inter-
viennent pas complètement au hasard : des facteurs conscients o u inconscients,
tels que la distance entre les résidences des futurs conjoints, leur origine
ethnique, leur religion, leur niveau d'éducation, peuvent jouer u n rôle déter-
minant. S'il est permis d'extrapoler à partir d'usages et de coutumes qui
offraient jusqu'à une date récente une extrême généralité chez les peuples
sans écriture, et si l'on admet qu'ils persistaient dans notre espèce depuis
un très lointain passé, on admettra que, dès les tout premiers débuts de la
vie en société, nos ancêtres ont d û connaître et appliquer des règles de mariage
657
Claude Lévi-Strauss
très strictes. Ainsi celles qui assimilent les cousins dits parallèles — issus
de deux frères o u de deux sœurs — à des frères o u sœurs véritables, d o n c
conjoints interdits par la prohibition de l'inceste, tandis que les cousins dits
croisés — respectivement issus d ' u n frère et d'une sœur — sont, au contraire,
des conjoints autorisés sinon m ê m e prescrits; en opposition avec d'autres
sociétés o ù tout lien de parenté, si éloigné qu'il soit, crée u n empêchement
dirimant au mariage. O u bien la règle, plus subtile encore que les précédentes,
qui, entre parents croisés, distingue, les cousines en deux catégories, lafillede
la sœur du père d'une part et lafilledu frère de la mère d'autre part, l'une seule
permise, l'autre absolument défendue mais sans que ce soit toujours et partout la
m ê m e — c o m m e n t de telles règles, appliquées pendant des générations,
n'agiraient-elles pas de façon différentielle sur la transmission du patrimoine
génétique?
C e n'est pas tout; car les règles d'hygiène pratiquées par chaque société,
l'importance et l'efficacité relatives des soins dispensés à chaque genre de
maladie o u de déficience, permettent o u préviennent à des degrés divers
la survie de certains individus et la dissémination d ' u n matériel génétique
qui, sans cela, aurait disparu plus tôt. D e m ê m e pour les attitudes culturelles
devant certaines anomalies héréditaires et, nous l'avons vu, pour des pratiques
c o m m e l'infanticide, qui frappent sans discrimination les deux sexes dans
des conjonctures déterminées — naissances dites anormales, jumeaux, etc. —
ou plus particulièrement lesfilles.Enfin, l'âge relatif des conjoints, la ferti-
lité et la fécondité différentielles selon le niveau de vie et les fonctions sociales
sont, au moins pour partie, directement o u indirectement assujettis à des
règles dont l'origine dernière n'est pas biologique, mais sociale.
C e renversement d u problème des rapports entre race et culture, auquel
on assiste depuis quelques années, a trouvé une illustration particulièrement
frappante dans le cas de la sicklémie : anomalie congénitale des globules
rouges, souvent fatale quand elle est héritée simultanément des deux parents
mais dont on sait, depuis une vingtaine d'années seulement, que, sous forme
récessive, elle confère au porteur une protection relative contre la malaria.
Il s'agit donc d ' u n de ces traits qu'on avait cru d'abord dépourvu de valeur
adaptative, sorte de fossile biologique permettant, d'après ses gradients
de fréquence, de restituer les liaisons archaïques qui auraient existé entre
des populations. Ces espoirs d'avoir enfin mis la main sur u n critère statique
d'identification raciale se sont effondrés avec la découverte que des indi-
vidus hétérozygotes pour le gène de la sicklémie pouvaient détenir u n avan-
tage biologique, et donc se reproduire à u n taux comparativement plus élevé
que les homozygotes pour le m ê m e gène biologiquement condamnés, d ' u n e
part, et d'autre part les individus n o n porteurs, exposés à mourir jeunes
du fait de leur plus grande sensibilité à une certaine forme de malaria.
Il appartenait à F . B . Livingstone de dégager dans u n mémorable article1
les implications théoriques — on aimerait presque dire philosophiques —
658
Race et culture
659
Claude Lévi-Strauss
sont grosso modo les m ê m e s que celles qui favorisent la différenciation bio-
logique entre les populations : isolement relatif pendant u n temps prolongé,
échanges limités, qu'ils soient d'ordre culturel o u génétique. A u degré près,
les barrières culturelles sont de m ê m e nature que les barrières biologiques;
elles les préfigurent d'une manière d'autant plus véridique que toutes les
cultures impriment leur marque au corps : par des styles de costume, de
coiffure et de parure, par des mutilations corporelles et par des comportements
gestuels, elles miment des différences comparables à celles qui peuvent exister
entre les races; en préférant certains types physiques à d'autres, elles les
stabilisent et, éventuellement, les répandent.
H y aura bientôt vingt ans que, dans une plaquette écrite à la demande
de l'Unesco 1 , je faisais appel à la notion de coalition pour expliquer que des
cultures isolées ne pouvaient espérer créer à elles seules les conditions d'une
histoire vraiment cumulative. Il faut pour cela, disais-je, que des cultures
diverses combinent volontairement ou involontairement leurs mises respec-
tives et se donnent ainsi une meilleure chance de réaliser, au grand jeu de
l'histoire, les séries longues qui permettent à celle-ci de progresser. Les géné-
ticiens proposent actuellement des vues assez voisines sur l'évolution biolo-
gique, quand ils montrent qu'un génome constitue en réalité u n système
dans lequel certains gènes jouent u n rôle régulateur et d'autres exercent
une action concertée sur u n seul caractère, o u le contraire si plusieurs carac-
tères se trouvent dépendre d'un m ê m e gène. C e qui est vrai au niveau d u
g é n o m e individuel l'est aussi à celui d'une population, qui doit toujours
être telle, par la combinaison qui s'opère en son sein de plusieurs patrimoines
génétiques, où l'on aurait naguère reconnu u n type racial, qu'un équilibre
optimal s'établisse et améliore ses chances de survie. E n ce sens, on peut
dire que la recombinaison génétique joue, dans l'histoire des populations,
u n rôle comparable à celui que la recombinaison culturelle joue dans l'évo-
lution des formes de vie, des techniques, des connaissances et des croyances
par le partage desquelles se distinguent les sociétés.
Sans doute, o n ne peut suggérer ces analogies que sous réserve. D ' u n e part,
en effet, les patrimoines culturels évoluent beaucoup plus rapidement que
les patrimoines génétiques : u n m o n d e sépare la culture qu'ont connue nos
arrières-grands-parents de la nôtre, et cependant nous perpétuons leur héré-
dité. D'autre part, le nombre de cultures qui existent ou existaient encore
il y a plusieurs siècles à la surface de la terre surpasse incomparablement
celui des races que les plus méticuleux observateurs se sont plu à inventorier :
plusieurs milliers contre quelques dizaines. C e sont ces énormes écarts entre
les ordres de grandeur respectifs qui fournissent u n argument décisif contre
les théoriciens qui prétendent qu'en dernière analyse, le matériel héréditaire
détermine le cours de l'histoire; car celle-ci change beaucoup plus vite et
selon des voies infiniment plus diversifiées que lui. C e que l'hérédité détermine
chez l ' h o m m e , c'est l'aptitude générale à acquérir une culture quelconque,
1. Race et histoire, publié en 1952, réédité dans Le racisme devant la science, Paris, Unesco,
1960.
660
Race et culture
661
Claude Lévi-Strauss
A ces spéculations, les généticiens ont porté des coups encore plus décisifs
quand ils ont remplacé la notion de type par celle de population, la notion
de race par celle de stock génétique, et quand ils ont montré qu'un gouffre
sépare les différences héréditaires selon qu'on peut les attribuer à l'opération
d'un seul gène — celles-là peu significatives d u point de vue racial parce que
probablement toujours dotées d'une valeur adaptative — ou à l'action combinée
de plusieurs, ce qui les rend pratiquement indéterminables.
Mais, une fois exorcisés les vieux démons de l'idéologie raciste, ou tout
au moins après avoir prouvé qu'elle ne pouvait prétendre à une quelconque
base scientifique, la voie s'ouvre à une collaboration positive entre généticiens
et ethnologues, pour rechercher ensemble c o m m e n t et de quelle façon les
cartes de distribution des phénomènes biologiques et des phénomènes culturels
s'éclairent mutuellement et nous instruisent sur u n passé qui, sans désormais
prétendre remonter aux premières origines des différences raciales, dont les
vestiges sont définitivement hors d'atteinte, peut, à travers le présent, se
relier à l'avenir et permettre d'en discerner les linéaments. C e qu'on appelait
naguère le problème des races échappe au domaine de la spéculation philo-
sophique et des homélies morales dont on se contentait trop souvent. Il échappe
m ê m e à celui des premières approximations grâce auxquelles les ethnologues
s'étaient efforcés de le ramener sur terre pour lui donner des réponses provi-
soires, inspirées par la connaissance pratique des races différentes et par les
données de l'observation. E n u n m o t , le problème cesse d'être du ressort
de la vieille anthropologie physique c o m m e aussi de l'ethnologie générale.
Il devient l'affaire de spécialistes qui, dans des contextes limités, se posent
des questions d'ordre technique et leur donnent des réponses impropres à
fixer aux peuples des places différentes dans une hiérarchie.
Depuis une dizaine d'années seulement, nous c o m m e n ç o n s à comprendre
que nous discutions le problème d u rapport entre évolution organique et
évolution culturelle dans des termes qu'Auguste C o m t e eût appelés méta-
physiques. L'évolution humaine n'est pas u n sous-produit de l'évolution
biologique, mais elle n'en est pas complètement distincte non plus. La synthèse
entre ces deux attitudes traditionnelles est maintenant possible, à la condition
que, sans se satisfaire de réponses à priori et de solutions dogmatiques, les
biologistes et les ethnologues prennent conscience de l'aide qu'ils peuvent
s'apporter mutuellement et de leurs limitations respectives.
Cette inadéquation des réponses traditionnelles explique peut-être pour-
quoi la lutte idéologique contre le racisme s'est montrée si peu efficace sur
le plan pratique. Rien n'indique que les préjugés raciaux diminuent, et tout
laisse à penser qu'après de brèves accalmies locales, ils resurgissent ailleurs
avec une intensité accrue. D ' o ù le besoin ressenti par l'Unesco de reprendre
périodiquement u n combat dont l'issue apparaît pour le moins incertaine.
Mais sommes-nous tellement sûrs que la forme raciale prise par l'intolérance
résulte, au premier chef, des idées fausses que telle o u telle population entre-
tiendrait sur la dépendance de l'évolution culturelle par rapport à l'évolution
organique? Ces idées ne fournissent-elles pas simplement une couverture
idéologique à des oppositions plus réelles, fondées sur la volonté d'asser-
662
Race et culture
Aujourd'hui, les généticiens s'interrogent avec anxiété sur les risques que
les conditions démographiques actuelles font courir à cette rétroaction posi-
tive entre évolution organique et évolution culturelle dont j'ai donné des
exemples et qui a permis à l'humanité de s'assurer la première place parmi
les espèces vivantes. Les populations s'agrandissent, mais elles diminuent
663
Claude Lévi-Strauss
664
Race et culture
tous les êtres vivants. A cet égard, l'Extrême-Orient bouddhiste reste dépo-
sitaire de préceptes dont on souhaiterait que l'humanité dans son ensemble
continue ou apprenne à s'inspirer.
Enfin, il est une dernière raison pour que l'ethnologue hésite, n o n pas
certes à combattre les préjugés raciaux — car sa science a déjà puissamment
contribué à cette lutte, et elle continue et continuera encore de le faire —
mais à croire, c o m m e on l'y incite trop souvent, que la diffusion d u savoir
et le développement de la communication entre les h o m m e s réussiront u n
jour à les faire vivre en bonne harmonie, dans l'acceptation et le respect
de leur diversité. A u cours de cet exposé, j'ai souligné à plusieurs reprises
que la fusion progressive de populations jusqu'alors séparées par la distance
géographique, ainsi que par des barrières linguistiques et culturelles, marquait
la fin d'un m o n d e qui fut celui des h o m m e s pendant des centaines de millé-
naires, quand ils vivaient en petits groupes durablement séparés les uns des
autres et qui évoluaient chacun de façon différente, tant sur le plan biologique
que sur le plan culturel. Les bouleversements déclenchés par la civilisation
industrielle en expansion, la rapidité accrue des moyens de transport et de
communication ont abattu ces barrières. E n m ê m e temps se sont taries
les chances qu'elles offraient pour que s'élaborent et soient mises à l'épreuve
de nouvelles combinaisons génétiques et des expériences culturelles. O r , on
ne peut se dissimuler qu'en dépit de son urgente nécessité pratique et des
fins morales élevées qu'elle s'assigne, la lutte contre toutes les formes de
discrimination participe de ce m ê m e mouvement qui entraîne l'humanité
vers une civilisation mondiale, destructrice de ces vieux particularismes auxquels
revient l'honneur d'avoir créé les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent
son prix à la vie et que nous recueillons précieusement dans les bibliothèques
et dans les musées parce que nous nous sentons de moins en moins certains
d'être capables d'en produire d'aussi évidentes.
Sans doute nous berçons-nous d u rêve que l'égalité et la fraternité régne-
ront un jour entre les h o m m e s sans que soit compromise leur diversité. Mais
si l'humanité ne se résigne pas à devenir la consommatrice stérile des seules
valeurs qu'elle a su créer dans le passé, capable seulement de donner le jour
à des ouvrages bâtards, à des inventions grossières et puériles, elle devra
réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à
l'appel d'autres valeurs, pouvant aller jusqu'à leur refus sinon m ê m e à leur
négation. Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l'autre,
s'identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la c o m m u -
nication intégrale avec l'autre condamne, à plus ou moins brève échéance,
l'originalité de sa et de m a création. Les grandes époques créatrices furent celles
où la communication était devenue suffisante pour que des partenaires éloignés
se stimulent, sans être cependant assez fréquente et rapide pour que les obstacles
indispensables entre les individus c o m m e entre les groupes s'amenuisent au
point que des échanges trop faciles égalisent et confondent leur diversité.
L'humanité se trouve donc exposée à u n double péril dont l'ethnologue
et le biologiste mesurent pareillement la menace. Convaincus que l'évolution
culturelle et l'évolution organique sont solidaires, ils savent que le retour
665
Claude Lévi-Strauss
au passé est impossible, certes, mais aussi que la voie o ù les h o m m e s sont
présentement engagés accumule des tensions telles que les haines raciales
offrent une bien pauvre image d u régime d'intolérance exacerbée qui risque
de s'instaurer demain, sans m ê m e que les différences ethniques doivent lui
servir de prétexte. Pour circonvenir ces périls, ceux d'aujourd'hui et ceux,
plus redoutables encore, d'un proche avenir, il faut nous persuader que leurs
causes sont beaucoup plus profondes que celles simplement imputables à
l'ignorance et aux préjugés : nous ne pouvons mettre notre espérance que dans
un changement d u cours de l'histoire, plus malaisé encore à obtenir qu'un
progrès dans celui des idées.
666
Documentation et
informations professionnelles
Livres reçus
1972
Pays-Bas Association internationale des écoles
de service social seizième congres :
Room 615,345 East 46th Street, New York,
N.Y. 10017 (États-Unis d'Amérique)
669
Rev. int. Sc. soc, vol. X X m (1971), n« 4
Documentation et informations professionnelles
670
Calendrier des réunions internationales
671
Documentation et informations professionnelles
672
Calendrier des réunions internationales
Rationalisierungs-Kuratorium
der Deutschen Wirtschaft-RKW,
Gutleutstrasse 163-167,
6000 Frankfurt/Main 9
(République fédérale d'Allemagne)
1973
Canada Association internationale
de science politique :
neuvième congrès mondial
43, rue des Champs-Elysées,
Bruxelles 5 (Belgique)
1974
N e w York Organisation des Nations Unies :
IIIe Conférence mondiale
de la population
United Nations, Population Division,
New York, N.Y. 10017
(États-Unis d'Amérique)
673
Documentation et informations professionnelles
1975
25-28 août San Francisco American Sociological Association
réunion annuelle
1001 Connecticut Avenue, N . W . ,
Washington, D . C . 20036
(États-Unis d'Amérique)
1976
France Union internationale de psychologie
scientifique :
vingt et unième congrès international
c/o Prof. Eugene Jacobson,
Secretary-General,
Department of Psychology,
Michigan State University,
East Lansing, Mich.
(États-Unis d'Amérique)
674
Documents et publications
des Nations Unies et des
institutions spécialisées1
POPULATION
Comité spécial d'experts chargé des programmes relatifs aux aspects démographiques
du développement économique : remarques de M . Jean Fourastié sur les pro-
grammes relatifs aux aspects démographiques du développement économique en
France. Juin 1970. 5 p. ( O N U / L / C N . 9 / A C . 11/L.20.)
Les diverses études faites à ce sujet. Propositions pour les compléter, notamment
en ce qui concerne les équipements pour l'enfance et les loisirs.
SANTÉ
1. E n règle générale, nous ne signalons pas les publications et documents qui paraissent de
manière en quelque sorte automatique : rapports administratifs réguliers, comptes rendus
de réunions, etc.
Les textes dont le contenu est évident ne font pas l'objet d'une analyse.
N o u s avons traduit librement le titre de quelques publications et documents qui ne
nous étaient pas parvenus à temps en français. D a n s ce cas, les titres sont précédés du signe *.
Abréviations conventionnelles : Bl. signifie « contient une bibliographie d'un intérêt
particulier »; St. veut dire « statistiques spécialement importantes o u rares ».
675
*La santé mentale des adolescents et des jeunes. 72 p. 1,75 dollar; 5 francs suisses.
( O M S . Cahiers de la santé publique, n° 41.)
Rapport d'une conférence technique. Prévention et mesures thérapeutiques. Services
sociaux et médicaux en faveur de la jeunesse.
*Enquête internationale sur l'utilisation des soins médicaux. 1970. 9 vol. Chaque vol. :
3 dollars; 12 francs suisses. ( O M S . )
[St. Bl.] Présentation détaillée d u programme, des méthodes et des premiers résultats
d'une vaste enquête comparative entreprise sous l'égide de l ' O M S dans sept pays :
Argentine, Canada, Finlande, Pologne, R o y a u m e - U n i , États-Unis d'Amérique,
Yougoslavie. Caractéristiques démographiques et attitudes des usagers. Les enfants
sont interrogés, de m ê m e que les adultes. Programme général des travaux. Texte
des questionnaires. Manuels destinés aux enquêteurs et aux codificateurs. Données
recueillies sur le service de santé. Les caractéristiques démographiques et autres de
la population touchée. Les volumes sont publiés en anglais à Baltimore.
STUPÉFIANTS
ALIMENTATION
676
Documents et publications des Nations-Unies et des institutions spécialisées
Économie
STATISTIQUES INDUSTRIELLES
677
Documentation et informations professionnelles
"Rapport du groupe d'études interrégional des Nations Unies sur l'emploi, le déve-
loppement et le rôle du personnel scientifique et technique dans les services publics
des pays en voie de développement. (Tachkent, URSS ler-lé octobre 1969).
1970. 42 p. 1 dollar; 4,30 francs suisses. ( O N U / S T / T A O / M / 4 8 . )
Le rôle de ce personnel pour le développement national. Statut et conditions de
travail. L'efficacité de ce personnel. Programmes tendant à renforcer ses motivations
et sa créativité. L a direction du personnel scientifique et technique. Amélioration
des relations entre cadres et spécialistes. Planification de l'avancement.
QUESTIONS FINANCIÈRES
ÉCHANGES
678
Documents et publications des Nations-Unies et des institutions spécialisées
A G R I C U L T U R E , PRODUITS D E BASE
L'agriculture mondiale, bilan d'un quart de siècle. 1971. 47 p . 1,50 dollar; 6,45 francs
suisses. ( F A O . )
L a situation actuelle de l'agriculture mondiale. Les résultats obtenus dans le secteur
agricole dans les pays en voie de développement. Les progrès techniques. Les poli-
tiques de développement agricole : planification, institutions rurales, politique d é m o -
graphique, politiques commerciales internationales. Aide au développement.
Politiques nationales rizicoles 1970. Études sur les politiques en matière de produits.
N ° 21. 1970. 92 p . 2,50 dollars; 10,80 francs suisses. ( F A O . )
Les mesures de politique rizicole de 29 pays et de la C o m m u n a u t é économique
européenne. L a production et la commercialisation du riz. L a consommation. L e
commerce extérieur du riz.
R É F O R M E AGRAIRE
679
Documentation et informations professionnelles
*Le rôle de Venregistrement des titres dans l'évolution des tenures coutumières et son
effet sur les sociétés africaines. Octobre 1970. 16 p. ( O N U / E / C N . 1 4 / C A R T / 2 5 3 . )
URBANISATION
L'urbanisation dans la IIe Décennie des Nations Unies pour le développement. 1970.
39 p. 0,75 dollar; 3,25 francs suisses. ( O N U / S T / E C A / 1 3 2 . )
Causes et effets de la croissance des villes dans le passé et aujourd'hui. Développement
d'une stratégie de l'urbanisation, en particulier pour la IIe Décennie des Nations
Unies pour le développement.
JEUNESSE
La jeunesse, son éducation dans le respect des droits de Vhomme et des libertés fon-
damentales, ses problèmes et ses besoins, sa participation au développement
national. N o v e m b r e 1970. 53 p . ( O N U / A / 8 1 4 9 . )
680
Documents et publications des Nations-Unies et des institutions spécialisées
ADMINISTRATION PUBLIQUE
*Les services centraux et les autorités locales dans certains pays de l'Europe orientale
et en URSS. 1970. 207 p. 3 dollars; 13 francs suisses. ( O N U / S T / T A O / M / 5 0 . )
Les pays considérés sont la Bulgarie, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Pologne, la
Roumanie et l'Union soviétique. Les services que les administrations centrales four-
nissent aux autorités locales.
DÉCOLONISATION
Activités des intérêts étrangers, économiques et autres qui font obstacle à l'application
de la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
en Rhodésie du Sud, en Namibie et dans les territoires sous domination portugaise,
ainsi que dans tous les autres territoires se trouvant sous domination coloniale,
et aux efforts tendant à éliminer le colonialisme, l'apartheid et la discrimination
raciale en Afrique australe. N o v e m b r e 1970. 15 p. ( O N U / A / 8 1 4 8 . )
Rapport du Comité spécial chargé d'étudier la situation en ce qui concerne l'appli-
cation de la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples colo-
niaux. Les décisions du comité spécial. U n e annexe (A/8148/Add. 1, 99 p.) contient
des documents de travail du comité.
SECOURS INTERNATIONAUX
Éducation, science
ACTIVITÉS D E L ' U N E S C O
PLANIFICATION DE L ' É D U C A T I O N
681
Documentation et informations professionnelles
UNIVERSITÉS
POLITIQUE D E L A SCIENCE
Détermination des problèmes auxquels les laboratoires des pays développés pourraient
consacrer des travaux de recherche et de développement qui soient utiles aux pays
en voie de développement. Octobre 1970. 1 1 p . ( O N U / E / A C . 5 2 / L . 9 8 . )
Méthodes permettant de déterminer les problèmes importants pour les pays en voie
de développement. Choix des laboratoires de recherche. Financement.
682
Livres reçus
Histoire
B A I L E Y , H . M . ; G R I J A L V A , M . C . Fifteen famous Latin Americans. Englewood Cliffs,
N.J., Prentice-Hall, 1971. x x n + 190 p., pi., ill., cartes, bibl., index. 2,25 livres
sterling.
B A R O N , G . Der Beginn: die Anfänge der Arbeiterbildungsvereine in Oberösterreich.
Linz an der D o n a u , K a m m e r für Arbeiter und Angestellte für Oberösterreich,
1971.389 p., pl., index.
B I A N C O , L . Origins of the Chinese revolution, 1915-1949. (Translated from the French
by M . Bell.) Stanford, Calif., Stanford University Press, 1971. x m + 223 p.,
bibl., index. 8,50 dollars.
COMMISSION INTERNATIONALE D'HISTOIRE DES MOUVEMENTS SOCIAUX ET DES STRUC-
T U R E S SOCIALES. Mouvements nationaux d'indépendance et classes populaires aux
XIXe et XXe siècles en Occident et en Orient, tomes I et II. Paris, Colin, 1971.
715 p., flg., tabl., cartes, bibl. 100 francs. (Publié avec le concours de l'Unesco,
du C N R S , de l'Institut für Sozial und Wirtschaftsgeschichte de Heidelberg et
de la Stiftung Volkswagenwerk.)
C O N S T A N T I N E S C U , M . , et al. Unification of the Romanian national state: the union of
Transylvania with old Romania. Bucuresti, Editura Academia República Socia-
liste Romania, 1971. 367 p., pl., carte, index. (Bibliotheca Histórica Romaniae,
VII.)
Gnxis, J. R . The Prussian bureaucracy in crisis 1840-1860: origins of an administra-
tive ethos. Stanford, Calif., Stanford University Press, 1971. xvi + 269 p.,
tabl., bibl., index. 8,75 dollars.
G R I G O R A S , N . Institutii feudale din Moldova: I. Organizarea de stat pina la mijlocul
sec. al XVIII-lea. Bucuresti, Editura Academiei Republicii Socialiste Romania,
1971. 475 p., index.
683
Rev. int. Se. soc, vol. X X D I (1971), n° 4
Documentation et informations professionnelles
Sociologiej psychologie
B A N K S , J. A . Sociology as a vocation: an inaugural lecture. Leicester, Leicester U n i -
versity Press, 1971. 26 p . 0,24 livre sterling.
B E R G E R , B . M . Looking for America: essays on youth, suburbia, and other American
obsessions. Englewood Cliffs, N.J., Prentice-Hall, 1971. 331 p . , index. 2 livres
sterling.
D E C O N C H Y , J.-P. L'orthodoxie religieuse : essai de logique psychosociale. Préfaces d e
R . Pages et E . Poulat. Paris, Éditions ouvrières, 1971. 373 p . ,fig.,tabl. 80 francs.
G O D I N , A . (ed.). Mort et présence: études de psychologie. Bruxelles, L u m e n Vitae,
1971. 338 p., fig., tabl., bibl. 290 francs belges, 32 francs français. (Collection :
Cahiers de psychologie religieuse, V . )
K R A U S E , E . A . The sociology of occupations. Boston, Little, B r o w n & C o . , 1971.
XTV + 398 p . , index. 7,95 dollars.
M O S K A S Jr., C . C . (ed.). Public opinion and the military establishment. Beverly Hills,
Calif., Sage Publications, 1971. xvi + 294 p., fig., tabl. Broché : 12,50 dollars;
relié : 7,50 dollars. (Sage research progress series o n war, revolution and peace
keeping, vol. I.)
M O T W A N I , K . Towards Indian sociology. Agra, Satish B o o k Enterprise, 1971. xvi +
138 p . , bibl. 20 roupies.
P A R S O N S , T . The system of modern societies. Englewood Cliffs, N.J., Prentice-Hall,
1971. vin + 152 p . , tabl., index. (Foundations of modern sociology series.)
P O C A R , V . ; L O S A N O , M . G . Sociology of law 1960-1970. A bibliographical survey with
KWIC index. Milano, Instituto difilosofíae sociología del diritto dell'Università
di Milano, 1970.209 p., index. 11,70 dollars.
P R A S A D , R . ; H A L L E N , G . C ; P A T H A K , K . Conspectus of Indian society: essays in
honour of Professor R. N. Saksena. Agra, Satish B o o k Enterprise, 1971. xvi +
608 p . , tabl., pi. 45 roupies.
R I C H A R D , M . La psychologie et ses domaines : de Freud à Lacan. Pratique et critique
de la psychologie. L y o n , éditions Chronique sociale de France, 1971. 336 p . ,
fig., tabl., index.
R O L L E , P . Introduction à la sociologie du travail. Paris, Larousse, 1971. v u + 275 p . ,
bibl., index. (Collection : Sciences humaines et sociales.)
S H A P I R O , O . (ed.). Rural settlements of new immigrants in Israel: development problems
of new rural communities.Rshowot, Settlement Study Centre, 1 9 7 1 . x v m + 277 p . ,
fig., tabl., pi., carte, index.
S W E D N E R , H . School segregation in Milano. Chicago, Integrated Education Asso-
ciates, 1971. n + 51 p . ,fig.,cartes. 1,95 dollar.
Z U B R Z Y C K I , J. (ed.). The teaching of sociology in Australia and New Zealand. M e l -
bourne, Cheshire G r o u p , 1970. xrv + 170 p., tabl. 2,50 dollars.
684
Livres reçus
Économie, démographie
B A N D T , J. Les fonctions de production : discussion du schéma théorique à partir du cas
des productions textiles. Paris, Cujas, 1970. 98 p., fig., tabl. (Théorie de la pro-
duction. Cahier I R E P , n° 2.)
L'affectation des ressources : critères intersectoriels d'efficacité. Paris, Cujas,
1971.122 p., fig. (Théorie de la production, Cahier I R E P , n° 3.)
B L A C K , S. W . An econometric study of Euro-dollar borrowing by New York banks and
the rate of interest on Euro-dollars. Princeton, N.J., International Finance Sec-
tion, Dept. of Economics, Princeton University, 1971. 6 p., tabl. (Reprints
in international finance, n° 17.)
B L A K E , J. Abortion and public opinion: the 1960-1970 decade. Berkeley, Calif., Inter-
national Population and Urban Research Institute of International Studies,
et Department of Demography, University of California, 1971. 10 p., tabl.
(Population reprint series, n° 367.)
Reproductive motivation and population policy. Berkeley, Calif., International
Population and Urban Research Institute of International Studies, et Depart-
ment of Demography, University of California, 1971. 6 p., tabl. (Population
reprint series, n° 372.)
C A M P B E L L O F E S K A N , lord, et al. Britain, the E E C and the third world. London, Over-
seas Development Institute, 1971, 91 p., tabl. 1 livre sterling.
C A R T E R , C . Wealth: an essay on the purposes of economics. Harmondsworth, Middx.,
Penguin Books, 1971. 153 p., bibl., index. Afrique du Sud, 0,75 rand; Australie,
1 dollar; Canada, 1,25 dollar; Nouvelle-Zélande, 1 dollar; Royaume-Uni,
0,30 livre sterling.
C O L L E R Y , A . International adjustment, open economies and the quantity theory of
money. Princeton, N . J . , International Finance Section, Department of Econo-
mics, Princeton University, 1971. 38 p., fig. 1 dollar. (Princeton studies in inter-
nationalfinance,n° 28.)
C O O P E R , R . N . Currency devaluation in developing countries. Princeton, N . J . , Inter-
national Finance Section, Department of Economics, Princeton University,
1971. 38 p. (Essays in international finance, n° 86.)
F L A N D E R S , M . J. The demand for international reserves. Princeton, N . J . , International
Finance Section, Department of Economics, Princeton University, 1971. 56 p.
1 dollar. (Princeton studies in international finance, n° 27.)
FÔLDI, T . (ed.). For the progress of Marxist economics: selected studies. Budapest,
Akadémiai Kiado, 1967. 141 p., fig., tabl. (From the Fourth Yearbook of the
Institute of Economics, Hungarian A c a d e m y of Sciences.)
J A K O B S O N , L ; P R A K A S H , V . (ed.). Urbanization and national development. Vol. I :
South and South-East Asia urban affairs annuals. Beverly Hills, Calif., Sage
Publications, 1971. 320 p., fig., bibl., index. 15 dollars.
L E O N A R D , W . R ; J E N N Y , B . A ; N W A L I , O . UN. development aid: criteria and methods
of evaluation. N e w York, United Nations Institute for Training and Research —
Arno Press, 1971.135 p., fig., tabl., index.
M C K I N N O N , R . I. Monetary theory and controlledflexibilityin the foreign exchanges.
Princeton, N . J . , International Finance Section, Department of Economics,
Princeton University, 1971. 38 p., tabl. (Essays in international finance, n° 84.)
M U N D E L L , R . A . The dollar and the policy mix: 1971. Princeton, N.J., International
Finance Section, Department of Economics, Princeton University, 1971. 34 p.
(Essays in internationalfinance,n° 85.)
685
Documentation et informations professionnelles
686
Livres reçus
Ethnologie
H U D S O N , C . M . (ed.). Red, white and black: symposium on Indians in the old South
Athens, G a . , Southern Anthropological Society, University of Georgia.
1971. v m + 142 p., fig., ill., cartes. 3,75 dollars. (Southern Anthropological
Society proceedings, n° 5.)
Rasi i Narodi. Moskva, N a u k a , 1971. Tabl., ill., 1,60 rouble. (Publié annuellement
en russe, avec résumés en anglais, par l'Institut d'ethnographie N . N . Mikluho-
Miklay, Académie des sciences de l'URSS.)
S I N G H , T . R . The Madiga. Lucknow, Ethnographie and Folk Culture Society, 1969.
77 p., tabl., index. 8 roupies; 2 dollars; 0,75 livre sterling.
Philosophie
H O N D E R I C H , T . Punishment: the supposed justifications. Harmondsworth, Middx.,
Penguin Books, 1971. 217 p., index. Afrique du Sud, 0,85 rand; Australie,
1,20 dollar; Canada, 1,50 dollar; Nouvelle-Zélande, 1,20 dollar; R o y a u m e -
Uni, 0,35 livre sterling.
Education
A L O N S O H I N O J A L , I. Orientación en los estudios y actitudes hacia el cambio social.
Madrid, Secretariado Conjunto de las Comisiones Episcopales de Misiones y
Cooperación Apostólica con el Exterior, 1971. 223 p.,fig.,tabl.
F R I T S C H , P . L'éducation des adultes. Paris, L a Haye, École pratique des hautes
études, V I e section - M o u t o n , 1971. 176 p., fig., tabl., cartes, bibl., index.
18 francs. (Cahiers du Centre de sociologie européenne, VII.)
H A R T M A N , R . W . Credit for college: public policy for student loans. N e w York,
McGraw-Hill, 1971. x + 152 p.,fig.,tabl. 5,95 dollars. (A report for the Carnegie
Commission on Higher Education.)
H E W A G E , L . G . Community education for universities. Report of a pilot project in
continuing education sponsored by the Unesco National Commission of
687
Documentation et informations professionnelles
Communication de masse
P O U R P R T X , B . La presse gratuite. Paris, Éditions ouvrières, 1971. 172 p., tabl., bibl.
17 francs. (Collection : Initiation sociologique.)
Divers
AGENCY FOR INTERNATIONAL DEVELOPMENT. Evaluation handbook. Washington,
Office of Program Evaluation, Agency for International Development, 1971.
rx + 122 p., fig., ill., bibl.
B A R T H O L O M E W , D . J; B A S S E T T , E . E . Let's look at thefigures:the quantitative approach
to human affairs. Harmondsworth, Middx., Penguin Books, 1971. 319 p . , fig.,
tabl., bibl., index. Afrique du Sud, 0,95 rand; Australie, 1,35 dollar; Canada,
1,65 dollar; Nouvelle-Zélande, 1,35 dollar; R o y a u m e - U n i , 0,40 livre sterling.
Cadres et entreprises. Paris, Liaisons sociales, 1971.96 p., tabl., bibl., index. 17 francs.
Supplément diffusé dans le cadre de l'abonnement à Liaisons sociales.
C A R P I Z O , J. Lincamientos constitucionales de la Commonwealth. México, U N A M ,
Instituto de Investigaciones Jurídicas, 1971.175 p., bibl.
C O R M , G . G . Contribution à Vétude des sociétés multiconfessionnelles : effets socio
juridiques et politiques du pluralisme religieux. Préface de M m e E . Rabbath et
avant-propos de P . - H . Teitgen. Paris, Librairie générale de droit et de juris-
prudence, 1971. xii + 323 p., bibl., index. (Bibliothèque constitutionnelle et de
science politique, tome XLII.)
C O W N I E , J; J O H N S T O N , B . F ; D U F F , B . The quantitative impact of the seed-fertilizer
revolution in West Pakistan: an exploratory study. Stanford, Calif., F o o d Research
Institute, 1970. 38 p., fig., tabl. 2 dollars. (Studies in tropical development.)
H O L A S , B . VAfrique noire. Paris, Bloud et Gay, 1964. 115 p., pi., carte, bibl. (Collec-
tion : Religions du monde.)
L A N D H E E R , B ; L O E N E N , J. H . M . M ; P O L A K , F . L . (ed.). World society: how is an
effective and desirable world order possible. A symposium. T h e Hague, Martinus
Nijhoff, 1971. vi + 211 p.,fig.,tabl. 27 guilders.
L I T T L E , R . W . (ed.). Handbook of military institutions. Beverly Hills, Calif., Sage Publi-
cations, 1971. 607 p., tabl., bibl., index. 25 dollars. (Sage series on armed forces
and society, vol. 1.)
688
Livres reçus
689
« Répertoire mondial des
institutions de sciences
sociales »
Recherche, formation supérieure,
documentation
et organismes professionnels
C e répertoire, publié en 1970, contient des données systématiques sur plus de 1 500 ins-
titutions de recherche, de formation supérieure et de documentation, ainsi que des
organismes professionnels de sciences sociales. L e répertoire est bilingue, la version
anglaisefigurantau recto de chaque fiche et la version française au verso. L e classe-
ment suit l'ordre alphabétique des n o m s d'institution pour les organismes interna-
tionaux (dans la langue appropriée), ainsi que pour les pays, qui sont classés dans
l'ordre alphabétique anglais.
Les abonnés de la Revue internationale des sciences sociales recevront gratuite-
ment, avec chaque numéro, un jeu defichesconcernant de nouvelles institutions o u la
mise à jour des informations déjà répertoriées; il n'y a pas d'autre service de mise à
jour. Avec le présent numéro de la Revue, on trouvera le cinquième jeu defichesà
découper et à insérer dans le répertoire original.
Les informations concernant des organismes et institutions non mentionnés
dans ce répertoire ainsi que des rectificatifs aux renseignements déjà portés sur les
fiches peuvent être adressés à : Centre de documentation de sciences sociales,
Unesco, place de Fontenoy, 75 Paris-7e (France).
Le répertoire peut être c o m m a n d é avec ou sans reliure spéciale à anneaux d e
format identique à celui de la Revue au prix de Î9, £2.70, 36 F (sans reliure); $ 1 5 ,
£4.50, 60 F (avec reliure). Les c o m m a n d e s peuvent être adressées directement à la
Division de la distribution de l'Unesco, place de Fontenoy, 75 Paris-7e, ou chez les
agents généraux dont la listefigureà lafinde ce numéro.
690
L ' h o m m e et la société
N ° 20, avril, mai, juin 1971
SOMMAIRE
HISTOIRE ET SOCIOLOGIE
Études critiques
Gérard Lagneau L'idéologie de la participation dans le «phénomène
bureaucratique» de M . Crozier
Miles D. Wolpin L'impérialisme américain — Illusion de la gauche o u
impératif du système ?
Comptes rendus
Mise an point (Lucien Sève)
Editions Antbropos
Direction, rédaction :
95, boulevard Saint-Michel, 75 Paris-5«. Tél. : 325.18-95.
Administration, abonnements :
15, rue Racine, 75 Paris-6«. Tél. : 326.99-99.
Kölner Zeitschrift für Soziologie
und Sozialpsychologie (KZfS)
Begründet durch Leopold von Wieset
Sonderhefte
Heft 1 Soziologie der Gemeinde. 3. Aufl., 229 Seiten, kart. D M . 1 7
Heft 2 Soziologie der Jugendkriminalität. 4. Aufl., 188 Seiten, kart. D M . 1 6
Heft 3 Probleme der Medizin-Soziologie. 4. Aufl., 336 Seiten, kart. D M . 23
Heft 4 Soziologie der Schule. 8. Aufl., 200 Seiten, kart. D M . 1 6
Heft 5 Soziale Schichtung und soziale Mobilität. 4. Aufl., 346 Seiten, kart. D M . 2 3
Heft 6 Probleme der Religions-Soziologie. 2. Aufl., 289 Seiten, kart. D M . 2 0
Heft 7 M a x Weber zum Gedächtnis. 488 Seiten, kart. D M . 3 2
Heft 8 Studien und Materialien zur Soziologie der D D R . 540 Seiten, kart. D M . 3 2
Heft 9 Zur Soziologie der Wahl. 2. Aufl., 359 Seiten, kart. D M . 2 7
Heft 10 Kleingruppenforschung und Gruppe im Sport. 280 Seiten, kart. D M . 2 8
Heft 11 Studien und Materialien zur Rechtssoziologie. 412 Seiten, kart. D M . 3 2
Heft 12 Beiträge zur Militärsoziologie. 360 Seiten, kart. D M . 3 6
Heft 13 Aspekte der Entwicklungssoziologie. 816 Seiten, L n . D M . 6 9 .
Heft 14 Familiensoziologie. In Vorbereitung
D UNCKER & H U M B L O T / B E R L I N - M Ü N C H E N
Contents
A . Csernok Economic policy goals in the use of the national income
E . Ehrlich Economic development and personal consumption levels:
an international comparison
E . Gács and Zs. Magyar Changes in the living conditions of the population
from 1971 to 1975
A . Kiss and J. Timar The supply of qualified manpower—labour-force struc-
ture—education
M . Augustinovics A series of models for long-term planning
A . Nagy The role of consistent trade—network models in foreign
trade planning and projection of the socialist countries
REVIEWS
Acia (Económica is published in eight issues yearly, making up two volumes of some
400 pages each. Size: 17 X 25 cm
AKADEMIAI KIADO
; BSS5ÜÜS!! ) Publishing House of the Hungarian Academy of Sciences
V ™•nun
«!!!«./ Budapest 502, P.O. Box 24
-1828-
International review
of administrative sciences
Contents of Vol. XXXVII (1971), No. 1-2
Articles about the administration in Italy:
•f <•/<<
- .1 • The' journal, of i v
conflict résolution
A quarterly for research related to war'and peace
March ,1971 ( X V , 1)
Lincoln P . Bloonméld "' Computers' and policymaking: the C Á S C O N experiment
and Robert R . Beattie
Roger W . Benjamin Conditions for military control over foreign policy deci-
and Lewis J. Edînger, sions in major: t States: a historical exploration
Other articles; gaming section; books received
$ 10 per year for individuals; $ 18 for institutions;
j&3 single issues., ,
Published by t h é Cerner for Research on Conflirt
Resolution, T h e Univeraity of Michigan, A n n Arbor,
Michigan 48104
I ' I l
Revue d e
l'Institut de sociologie
Revue trimestrielle
. , . . . ; . , s • • • - , , , s ,
Numéros spéciaux
L^Université européenne
~j ' ' ( ,•• f
, ' 1 " '
ï 'Rédaction
Institut de sociologie
,i 44, avenue Jeanne, B-1050 Bruxelles (Belgique). Tél. : (02) 48 81 58
ARTICOLI
A . Martinelli L a crisi dell'universita americana
DOCUMENTAZIONI E RICERCHE
C . Donólo Politicizzazione e crisi di legittimità
A . Mohr-Scheuch II divorzio e il ciclo della famiglia moderna
(con una nota di M . G . Losano)
A . Mutti L a sociología della modernizzazione
M . Marchetti- Bibliografía classificata di sociología delle
S. Mobiglia communicazioni di massa con particolare
riferimento alia stampa quotidiana
N O T E CRITICHE
G . E . Rusconi Conoscenza e intéresse in Habermas
Schede
Panorama delle Riviste
Libri Ricevuti
Comitato Direttivo:
Nicola Abbagnano Franco Ferrarotti Luciano. Gallino Angelo Pagani
Alessandro Pizzorno Pietro Rossi Renato Treves
Direttore Responsable: Franco Ferrarotti Redattore: Luciano Gallino
Redazione e Amministrazione:
Casa Editrice Taylor, Corso Stati Uniti, 53, 10129 Torino - C / C Postale 2/2322
Tel. 510.411
Redazione Romana:
c/o Prof. Franco Ferrarotti, Via Appennini, 42 - R o m a . Tel. 846.770
Abbonamento: Italia. L . 6.000; Estero. L . 8.000
revue tiers-monde
Tome Xn, n° 47
REVISTA LATINOAMERICANA
DE CIENCIA POLITIC A
Vol. JJ, n.° 2, agosto de 1971
Sumario
' Jorge Graciarena Estructura de poder y distribución del ingreso en A m é -
rica Latina
A d a m Prze\yorski Sistemas partidistas, movilización electoral y la estabi-
y Fernando Cortés lidad de sociedades capitalistas
Osear Cuéllar Influencia, poder y dominación: notas sobre el problema
del estatuto teórico de la noción de poder
Frédéric Debuyst La opción chilena de 1970. Análisis de los tres programas
y Joan E . Garcés electorales
Jorge Giusti La formación de las "poblaciones" en Santiago: aproxi-
mación al problema de la organización y participación
de los "pobladores"
SUSCRIPCIONES :
! Individual Instituciones
América Latina U.S.$5 U.S.$6
Otros países U.S.$6 U.S.91O
NOTES CRITIQUES
Jean-Daniel Reynaud La puissance et la sagesse. A propos du livre de Georges
Friedmann
Raymonde Moulin La culture du pauvre. A propos du livre de Richard
Hoggart
BIBLIOGRAPHIE. N O T E S BIBLIOGRAPHIQUES. L I S T E D E S L I V R E S
REÇUS
2.* época
índice
Glaucio Ary Dillon Soares Desarrollo económico y estructura de clases
A u t u m n 1971 V o l . 25, N o . 4
Articles
$3.25 per copy; $ 1 0 for one year; $18 for two years;
$•25 for three years.-
Afrique du Sud Van Schaik's Bookstore (Pty.) Ltd., Libri Building, Church Street, P . O .
Box 724. P R E T O R I A .
Albanie N . Sh. Botimeve Nairn Freshen, T I R A N A .
Algérie Institut pédagogique national. II, rue Ali-Haddad (ex-rue ZaAtcha),
A L O E R . Société nationale d'édition et de diffusion ( S N E D ) , 3, boulevard
Allemagne (Rip. fed.) Zirout Youcef, A L O E R .
Verlag Dokumentation, Postfach 148, Jaiserstrasse 13, 8023 M U N C H E N -
P U L L A C H . « Le Courrier », édition allemande seulement : Bahrenfelder
Chaussee 160, H A M B U R G - B A H R E N F E L D . C O P : 27 66 50.
Antilles françaises
Librairie Félix Conseil, 11, rue Perrinon, F O R T - D B - F R A N C B (Martinique).
Antilles' néerlandaises
G . C . T . Van Dorp & C o . (Ned. Ant.) N . V . , W I L L E M S T A D (Curaçao, N A . ) .
, Argentine
Editorial Losada, S.A., Aisina 1131, B U E N O S AIRES.
Australie
Publications : Educational Supplies Pty. Ltd., Box 33, Post Office,
Brookvale 2100, N i . W .
Périodiques : Dominie Pty. Ltd., Box 33, Post Office, Brookvale 2100
N.S.W.
Sous-agent : United Nations Association of Australia,'Victorian Division,
Autriche 4th Floor, Askew House, 364 Lonsdale Street, M E L B O U R N E (Victoria) 3000.
, Belgique Verlag Georg F r o m m e & C o . , Arbeitergasse 1-7, 10S1 W I E N .
Birmanie Jean D e Lannoy, 112, rua du Trône, B R U X E L L E S 5 . ,
Bolivie Trade Corporation no. (9), 550-552 Merchant Street, R A N G O O N .
Librería Universitaria, Universidad San Francisco Xavier, apartado 212,
SUCRE.
Brésil
Fundacao Getúlio Vargas, Serviço de Publicaçoes, caixa postal 21120,
Bulgarie Praia de Botafogo 188, Rio D E JANEIRO (Guanabara).
Cambodge Hemus, Kantora Literatura, bd. Rousky 6, S O F U A .
Cameroun Voir République khmere.
Librairie Richard, B.P. 4017, Y A O U N D E .
Ceylan Information Canada, O T T A W A (Ont.).
Lake House Bookshop, Sir ChJttampalam Gardiner Mawata, P . O .
Chili Box 244, C O L O M B O 2.
Chypre Editorial Universitaria, S. A . , casilla 10220, S A N T I A G O .
Colombie a M A M », Archbishop Malearlos, 3rd Avenue, P . O . Box 1722, NICOSIA.
Librarla Bachholz Galería, avenida Jimenez de Quesada 8-40, apartado
aéreo 49-56, B O G O T A . Distrilibros Ltda., Pío Alfonso García, carrera 4.',
n.™ 36-119 y 36-125, C A R T A G E N A . J. Germán Rodríguez N . , oficina 201,
Edificio Banco de Bogotá, apartado nacional 83, G D U K D O T (Cundina-
marca). Editorial Losada Ltda., calle ISA, n.°" 7-37, apartado aero 58-29,
apartado nacional 931, B O G O T A .
Sous-dépits : Edificio La Ceiba, oficina 804, M E D E L L I N . Calle 37, n.» 14-73,
oficina 305, B U C A R A M A N O A . Edificio Zaccour, oficina 736, C A L L
Congo (Rép. pop.) Librairie populaire, B.P. 577, B R A Z Z A V I L L E .
Corée Korean National Commission for Unesco, P . O . Box Central 64, S E O U L .
Costa-Rica Librería Trejos, S.A., apartado 1313, S A N Josa. Teléfonos 2285 y 3200.
CÔte-d'Ivoire Centre d'édition et de diffusion africaines, B.P. 4541, A B I D J A N P L A T E A U .
Cuba Distribuidora Nacional de Publicaciones, Neptuno 674, L A H A B A N A .
Dahomey Librairie nationale, B.P. 294, P O R T O - N O V O .
Danemark Ejnar Munksgaard Ltd., 6 Ncnregade, 1165 K B B E N H A V N K .
République dominicaine Librería Dominicana, Mercedes 49, apartado de correos 656, « A N T O
DOMINGO.
Egypte National Centre for Unesco Publications, 1 Talaat Harb Street, Tahrir
Square, C A I R O . Librairie Kasr El Nil, 38, rue Kasr El Nil, L E C A I R E .
Sous-dépôt : L a Renaissance d'Egypte, 9 Sh. Adly Pasha, LÉ C A I R B .
El Salvador Librería Cultural Salvadoreña, S . A . , edificio San Martín, 6.* calle Oriente
n.° 118, S A N S A L V A D O R .
Equateur Casa de la Cultura Ecuatoriana, Núcleo del Guayas, Pedro Moncayo y
9 de Octubre, casilla de correo 3542, G U A Y A Q U I L .
Espagne Toutes les publications : Ediciones Iberoamericanas, S. A . , calle da
Onate 15, M A D R I D 20. Distribución de Publicaciones del Consejo Superior
de Investigaciones Científicas, Vitrubio 16, M A D R I D 6. Librería del Consejo
Superior de Investigaciones Científicas, Egipciacas 15, B A R C E L O N A .
a Le Courrier » seulement : Ediciones Liber, apartado 17, O N D A R R O A
(Viscaya).
États-Unis d'Amérique Unesco Publications Center, P . O . Box 433, N E W Y O R K , N . Y . 10016.
Ethiopie National Commission for Unesco, P . O . Box 2996, A D D I S A B A B A .
Finlande Akateeminen Kirjakauppa, 2 Keskuskatu, HELSINKI.
France Librairie de l'Unesco, place de Fontenoy, 75 P A R B - 7 « ; C C P 12598-48.
Ghana Presbyterian Bookshop Depot Ltd., P . O . Box 195, A C C R A . Ghana Book
Suppliers Ltd., P . O . Box 7869, A C C R A . The University Bookshop of
Ghana, A C C R A . The University Bookshop of Cape Coast. The University
Bookshop of Legon, P . O . Box 1, LeGON.
Grèce Librairie H . Kaufmann, 28, rue du Stade, A T H I N A I . Librairie Eleftherou-
dakis, Nikkis 4 , A T H I N A I .
Guatemala Comisión Nacional de la Unesco, 6.* calle 9.27, zona 1, G U A T E M A L A .
Haïti Librairie « A la Caravelle », 36, rue R o u x , B , P . 111, P O R T - A U - P R I N C E .
Haute-Volta Librairie Attie, B.P. 64, O U A G A D O U G O U . Librairie catholique ce Jeunesse
d'Afrique », OUAGADOUGOU.
Hong-kong Swindon B o o k C o . , 13-15 Lock Road, K O W L O O N .
Hongrie Akadémiai Konyvesbolt, Váci u. 22, B U D A P E S T V . A . K . V . Konyvtirosok
Boltja, Népkoztársaság utja 16, B U D A P E S T VI.
Inde Orient Longman Ltd.: Nicol Road, Ballard Estate, B O M B A Y I; 17 Chittaf
ranjan Avenue, C A L C U T T A 13; 36 A Mount Road, M A D R A S 2; 3/5 Asa-
Ali Road, N E W D E L H I 1.
Sous-dépits: Oxford Book and Stationery Co., 17 Park Street, C A L C U T T A
16, et Scindia House, N E W D E L H I ; Publications Section, Ministry of
Education and Youth Services, 72 Theatre Communication Building,
Connaught Place, N E W D E L H I 1.
Indonésie Indira P . T . , DjI. D r . S a m Ratulangie 37, D J A K A R T A .
Irak McKenzie's Bookshop, Al-Rashid Street, B A G H D A D . University Bookstore,
University of Baghdad, P . O . Box 75, B A G H D A D .
Iran Commission nationale iranienne pour lTJnesco, 1/154, avenue Roosevelt.
B.P. 1533, TÉHÉRAN.
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