Vous êtes sur la page 1sur 174

Cette revue paraît en édition anglaise

sous le titre International social science journal. Des


recueils de textes tirés de la Revue paraissent égale-
ment en traduction arabe, espagnole et portugaise.

Sujets

Des derniers numéros :


Comprendre l'agressivité (vol. XXIII, n° 1)
L'informatique, la documentation et les sciences sociales (vol. XXIII, n° 2)
L'édification nationale dans diverses régions (vol. X X H I , n° 3)

Des prochains numéros :


Études d u développement
L a jeunesse dans u n m o n d e en transformation
N o r m e s professionnelles pour spécialistes en sciences sociales
voL xxm( 7i) 4
revue " ' °°
internationale
des sciences
sociales Revue trimestrielle publiée parl'Unesco, Paris

Dimensions de la
situation raciale

Editorial 537

P. L . van den Berghe L'ethnicité en Afrique 539


André Béteille Race, caste et identité ethnique 551
G o r d o n Bowker Interaction, conflits et tensions entre groupes
dans l'enseignement 570
M a x Gluckman Changement, conflit et règlement : dimensions
nouvelles 583
G o Gien-tjwan Évolution de la situation professionnelle des
Chinois dans l'Asie d u Sud-Est 601
Colette Guillaumin Grande presse et multi-ethnicité : la situation
en France 614
Leo Kuper Le changement d'ordre politique dans les
sociétés pluralistes : problèmes posés par le
pluralisme racial 632
Claude Lévi-Strauss Race et culture 647

Documentation et informations
professionnelles
Calendrier des réunions internationales 669
Documents et publications des Nations Unies
et des institutions spécialisées 675
Livres reçus 683
« Répertoire mondial des institutions de
sciences sociales » 690
Rédacteur en chef : Peter Lengyel.

Les articles signés n'engagent que leurs auteurs.


Les articles de ce numéro peuvent être reproduits
avec l'autorisation de la rédaction.
© Unesco 1971

Toute correspondance relative à la présente revue


doit être adressée au rédacteur en chef
de la Revue internationale des sciences sociales,
Unesco, place de Fontenoy, 75 Paris-7C.
Imprimerie Chaix-Desfossés, Paris.
SHC.71/I.99/F
Dimensions de la
situation raciale
Editorial

Deux des articles de ce numéro — ceux de M a x Gluckman et Claude Lévi-


Strauss — sont basés sur des conférences publiques faites à l'Unesco en mars
1971 au cours de la semaine célébrant l'Année internationale de la lutte contre
le racisme et la discrimination raciale, alors que les autres articles ont été
spécialement commandés. L'attention des lecteurs est attirée sur le fait que
quatre numéros de la Revue ont traité de sujets corrélatifs : le numéro 4 du
volume II (1950); le numéro 3 du volume X (1958), Tendances récentes de
la recherche en matière de relations raciales; le numéro 2 d u volume XIII
(1961), Recherches récentes en matière de relations raciales; le numéro 1
du volume X V I I (1965), Aspects biologiques de la question raciale. Le numéro 3
du volume X et le numéro 2 du volume XIII ont été mis à jour et publiés
à nouveau, avec certains éléments complémentaires — notamment une intro-
duction et une bibliographie sélective — dans un seul volume intitulé Recherches
en matière de relations raciales (Unesco, 1966. $5; £1,25; 17,50 F).
U n autre article concernant plus particulièrement le problème racial
dans le contexte de l'éducation apparaîtra sous la rubrique « Dossiers
ouverts » dans le prochain numéro de cette Revue.

537
Rev. Int. Se. soc., vol. X X m (1971), n» 4
Pierre L . L'ethnicité en Afrique
van den Berghe

Les conditions spéciales qui ont prédominé dans les sociétés plurales de l'Afrique
subsaharienne pendant et après l'ère coloniale ont rendu les spécialistes
de sciences sociales de plus en plus conscients de la complexité des « rapports
ethniques ». Jusqu'ici, notre arsenal théorique permettant de traiter des rap-
ports ethniques sur une base comparative et mondiale reste insuffisant, mais
nous commençons à pouvoir démêler les éléments du problème. Ces quelques
dernières années, un certain nombre de tentatives ont été faites pour étudier
l'ethnicité sur un plan universel et comparatif (Banton, 1967; Barth, 1969;
van den Berghe, 1967a; M a s o n , 1970; Rex, 1970; Schermerhorn, 1970; Shibutani
et K w a n , 1965). E n outre u n certain nombre de monographies ont été publiées
sur des sociétés plurales d'Afrique, des Amériques, des Caraïbes et de l'océan
Indien (Benedict, 1961; van den Berghe, 1964 et 19676; Colby et van den
Berghe, 1969; Despres, 1967; Leo Kuper, 1965; Lofchie, 1965; Smith, 1965a,6).
Notre compréhension d u fait ethnique, en Afrique et dans d'autres
sociétés coloniales et postcoloniales, a été jusqu'à tout récemment obscurcie
par quatre tendances principales de la tradition occidentale en matière de
science sociale. D'abord, les anthropologues, qui ont accompli la plus grande
partie des recherches sur le m o n d e colonial, ont traditionnellement pris
c o m m e unité d'analyse le groupe de culture homogène; ils se sont intéressés
davantage à la description de la structure sociale des groupes qu'aux relations
de ces groupes entre eux et avec leurs voisins ou leurs dominateurs.
E n second lieu, dans la mesure o ù les anthropologues se sont occupés
de rapports ethniques, ils y ont vu le plus souvent u n problème de « contact
culturel » dans le contexte théorique de 1' « acculturation ». Us ont étudié
les effets des rapports entre groupes sur le contenu spécifique des formes
linguistiques et culturelles plutôt que le complexe de relations asymétriques,
politiques et économiques, qui constitue l'essentiel de la « situation coloniale ».
Troisièmement, la plupart des recherches sur les rapports « raciaux et
ethniques » ont été faites en Amérique : aux États-Unis et, à un moindre
degré, au Brésil, aux Caraïbes et en Amérique centrale. U n e bonne part de
ces recherches portait sur la phénoménologie et la psychologie sociale des
rapports ethniques ou raciaux, attachant une grande importance à la genèse
psychologique et aux expressions culturelles du préjugé. O n laissait largement

539
Rev. int. Sc. soc, vol. X X m (1971), n° 4
Fierre L. van den Berghe

dans l'ombre les rapports de force et de production, ou l'on ne les abordait


que tangentiellement : par le biais de la « stratification sociale », en en souli-
gnant la dimension de prestige, ou par le biais d'indices d'inégalité aussi
symptomatiques que les différences démographiques, écologiques o u pro-
fessionnelles. D e toute façon, l'Amérique d u N o r d et m ê m e le Brésil et
les Caraïbes n'offraient qu'une g a m m e limitée de situations impliquant des
rapports ethniques ou raciaux. Certaines résultaient de l'immigration invo-
lontaire d'Africains et trouvaient leur expression type dans les « plantations »,
d'autres, de l'immigration volontaire en provenance surtout d'Europe. E n
s o m m e , la population indigène n'était pas seulement conquise, mais prati-
quement exterminée; la masse de la population de couleur n o n indigène
était réduite à l'esclavage, dans u n système rationnel d'exploitation agricole
capitaliste, et culturellement assimilée mais socialement rejetée par la popu-
lation blanche; et la plupart des immigrants européens s'incorporaient en
l'espace de deux o u trois générations au groupe blanc dominant et à la culture
spécifiquement créole héritée de l'ancien régime colonial. D e telles conditions
sont l'exception plutôt que la règle.
Enfin, pis encore, on a employé pour décrire les phénomènes africains
un vocabulaire particulier, souvent péjoratif, o ù les termes courants prenaient
une signification toute nouvelle. Ainsi les groupes ethniques devinrent-ils
en Afrique « tribus » et l'on stigmatisa le nationalisme (ou conscience poli-
tique à base ethnique) sous le vocable de « tribalisme ». Les États pluri-
nationaux, successeurs des territoires coloniaux, devinrent c o m m e par enchan-
tement des « nations nouvelles » et l'on appella « nationalisme » le sentiment
de loyalisme, si faible fût-il, à l'égard de ces États plurinationaux. Les sous-
entendus racistes et les motivations idéologiques qui sont à la base de cet
imbroglio intellectuel sont évidents.
Dans les années quarante à soixante s'est développée peu à peu une
« nouvelle approche » des sociétés plurales caractérisée par les n o m s de
M a x G l u c k m a n (1958), J. S . Furnivall (1948), Georges Balandier (1963),
Hilda Kuper (1947), Monica Hunter (1936) et Gonzalo Aguirre Beltrán (1957).
Cette tendance ne s'est vraiment affirmée qu'après 1960. Les sociétés
plurales d'Afrique, d'Asie et d'Amérique de langue espagnole qui ont été
récemment étudiées par les sociologues et les anthropologues sont, en fait,
bien plus caractéristiques d ' u n État de conquête que ne l'est une société
d'immigrants d u type « frontalier » ou « esclavagiste », c o m m e celles qui
ont fait l'objet de la plupart des études antérieures sur les rapports ethniques.
D a n s l'État de conquête d u type classique, la population indigène est soumise
et exploitée, mais ni exterminée ni réduite à l'esclavage. L e groupe dominant
demeure une minorité et ne s'accroît pas d u fait d'une immigration massive
et continue postérieure à la conquête. L e pluralisme culturel et social reflétant
la diversité des groupes ethniques est relativement stable et durable et l'immi-
gration postérieure à la conquête grossit surtout les rangs d'une classe
intermédiaire de commerçants parias, ethniquement distincts aussi bien des
indigènes que de la minorité politiquement dominante. C'est la physionomie
propre de la plupart des empires, y compris la plupart des territoires coloniaux

540
L'ethnicité en Afrique

de puissances européennes en Asie et en Afrique. Les États-Unis d'Amérique,


le Canada, l'Australie, l'Argentine, l'Uruguay, le Chili, le Brésil et les Indes-
Occidentales britanniques sont des exceptions — rendues possibles par la
faible densité de la population avant la conquête, l'infériorité technique
des indigènes sur les plans militaires et économiques, et la réceptivité des
indigènes aux épidémies importées.
Considérons maintenant plus précisément le problème de l'ethnicité
en Afrique tropicale. Le schéma général est clair, malgré de nombreuses
variations locales. A quelques exceptions près (Lesotho, Swaziland, Somalie,
R w a n d a , Burundi), les États africains sont multi-ethniques, c'est-à-dire
qu'ils sont composés d'un certain nombre (parfois des centaines) de peuples
parlant des langues différentes et ayant des échelles de valeurs, des croyances
religieuses, des institutions familiales nettement distinctes. D a n s l'ensemble,
les pays africains sont les successeurs de territoires coloniaux dominés jusqu'à
une période récente par des minorités ethniques d'origine européenne. Dans
la mesure où les frontières politiques ont u n rapport quelconque avec l'ethni-
cité, c'est avec celle du conquérant, non avec celle des indigènes. Le peu
d'unité et d'intégration qui existe dans ces États est presque totalement
le produit des institutions politiques, économiques, religieuses et autres
introduites au cours de la période coloniale. Naturellement, les puissances
coloniales ont introduit aussi de nouveaux facteurs de division : par exemple,
entre musulmans et chrétiens, catholiques et protestants, o u en partageant
les nations indigènes entre plusieurs territoires coloniaux — c o m m e ce fut
le cas pour les Bakongos, les Éoués, les Haoussas, les Yoroubas, les Somalis
et bien d'autres nations. A tout prendre, pourtant, les puissances coloniales
ont laissé le continent plus homogène qu'elles ne l'avaient trouvé.
A plusieurs égards, l'influence étrangère a été profonde et en grande
partie irréversible. C'est surtout incontestable dans la technologie, l'orga-
nisation bureaucratique et les autres aspects de la culture qui s'exportent
assez facilement d'un contexte culturel à u n autre et dont l'exportation
survit à la domination politique de l'exportateur. E n religion aussi, les
croyances indigènes semblent irrémédiablement prises en tenailles entre
l'islam et le christianisme, bien que ces deux religions dans leur prosélytisme
se pénètrent de plus en plus d'éléments indigènes. Malgré tous ces changements,
pourtant, on peut prédire que la grande diversité linguistique et culturelle
de l'Afrique se maintiendra dans l'avenir prévisible. A l'exception des popu-
lations marginales qui vivent de chasse et de cueillette — c o m m e les Pygmées
et les Bochimans — et de quelques peuples de pasteurs c o m m e les Hottentots,
dont le Lebensraum (espace vital) se rétrécissait déjà rapidement bien avant
la période coloniale, très peu de groupes ethniques africains semblent voués
à l'extinction culturelle. E n excluant partiellement l'Afrique d u Sud — parti-
culièrement la province d u C a p — le colonialisme européen en Afrique n'a
été synonyme ni de génocide ni d' « ethnocide^», c o m m e dans une grande
partie de l'hémisphère occidental. Le pluralisme ethnique subsistera en Afrique ;
ce n'est pas u n phénomène résiduel et passager, c o m m e aux États-Unis
d'Amérique, au Mexique o u au Brésil.

541
Pierre L . vandenBerghe

Avant l'indépendance politique, les territoires coloniaux étaient dominés


par une minorité ethnique — en l'occurrence, par les représentants locaux
de la puissance européenne dont ils dépendaient. L'indépendance officielle
fut marquée, dans la plupart des cas, par plus de continuité que de disconti-
nuité en ce qui concerne des questions aussi fondamentales que la dépendance
économique à l'égard d'intérêts extérieurs, le système d'enseignement, l'appa-
reil bureaucratique et militaire. Mais, dans la sphère politique, d'importants
changements eurent lieu. L'indépendance marqua le passage d'un gouverne-
ment ouvertement despotique et autoritaire à u n gouvernement théoriquement
responsable envers les gouvernés. Les États africains furent tout à coup
harnachés de l'attirail des démocraties bourgeoises de style occidental, imposé
de l'extérieur et mal adapté dans l'ensemble : constitutions, parlements,
partis politiques, droits de l ' h o m m e , rituels électoraux, etc. Allant de pair
avec ces changements officiels et juridiques, il se produisit u n « remplacement
des élites » : la domination principalement mono-ethnique et raciale de la
puissance coloniale fut, théoriquement au moins, remplacée par u n nouveau
mandarinat multi-ethnique de politiciens, de fonctionnaires et d'officiers
formés à l'occidentale. Q u e ce soit sous l'étiquette « socialiste » o u « néo-
colonialiste », les nouveaux régimes demeurèrent, à quelques exceptions
près, aussi aristocratiques, autoritaires et oligarchiques que les anciens régimes
coloniaux, mais la nouvelle classe dirigeante perdit dans l'ensemble son
exclusivisme ethnique et racial, acquérant u n caractère plus « méritocratique ».
Le diplôme universitaire ou le titre militaire, au lieu de l'absence de pigmenta-
tion de la peau, devint le visa pour le pouvoir et la richesse. L a continuité
avec l'ancien régime était d'autant plus grande que le savoir exigé d u nouveau
mandarinat se définissait presque entièrement en termes occidentaux. O n
adopta l'anglais ou le français, dans la très grande majorité des cas, c o m m e
unique langue officielle pour l'administration, les écoles secondaires, les
universités, le Parlement et tout le domaine public.
L a plupart des États d'Afrique tropicale ont ainsi deux principes indé-
pendants d'organisation sociale. D ' u n côté, ils se partagent en groupes
ethniques ou nationaux. Les frontières entre les nations, leur degré de soli-
darité et de conscience politique, leurs alliances et leur opposition, le sentiment
qu'elles ont de leur individualité, la façon dont elles se définissent elles-mêmes
et les unes les autres, leurs rapports journaliers, et bien des aspects de leur
ethnicité peuvent changer assez rapidement, mais la diversité ethnique sub-
sistera dans l'avenir prévisible. L'ethnicité en Afrique est fluide mais o m n i -
présente. D'autre part, la cohésion de la plupart des États africains est due
à une structure bureaucratique, à u n système de communications, à une éco-
nomie monétaire et à d'autres institutions désignées collectivement sous le
n o m de « secteur moderne » et dont le personnel se compose d'une élite
multi-ethnique de formation occidentale. Le nouveau système de stratification
surimposé à l'ordre « traditionnel » est fondé avant tout sur le critère occi-
dental de l'instruction — y compris la facilité d'élocution dans la langue
de l'ancienne puissance coloniale. L a classe et l'ethnie constituent en Afrique
des principes de solidarité et d'organisation sociale indépendants et souvent

542
L'ethnicité en Afrique

opposés. Mais, dans la plupart des cas, l'ethnie reste le critère dominant.
C e schéma ne suffit pas à rendre compte de la complexité d'une quelconque
situation concrète (Barth, 1969; van den Berghe, 1965; Kaufert, 1970; Leo
Kuper, 1965 ; Leo Kuper et Smith, 1969 ; Mercier, 1965 ; Mitchell, 1960 ; Rothchild,
1970; Schermerhorn, 1970; Wallerstein, 1965). Pour approfondir cette analyse,
j'essaierai de dégager certaines des principales dimensions selon lesquelles
varient en Afrique les phénomènes ethniques.
D'abord, il convient de noter que l'ethnicité présente à la fois u n aspect,
objectif et un aspect subjectif, le second étant fréquemment plus important
que le premier. Par aspect objectif, j'entends les caractéristiques culturelles
et linguistiques particulières d'un groupe, telles que les décrivent les ethnologues.
Par exemple, le groupe X se caractérise par la polygynie, lafiliationmatri-
linéaire, la résidence virilocale, la royauté sacrée, le culte des ancêtres, les
rites d'initiation, u n système de marché de quatre jours, une langue de la
famille bantoue, une agriculture d'essartage et d'écobuage, etc. L'ensemble
des peuples qui « présentent » ces « traits » constituent u n « groupe ethnique »
au sens objectif où l'entendent les anthropologues. Pourtant, les réalités
ethniques sont aussi profondément influencées par la façon dont u n groupe
se définit lui-même et définit ses voisins, et dont les autres le définissent.
C'est le côté subjectif de l'ethnicité.
Les groupes ethniques se différencient à la fois objectivement et dans
la mesure où ils se sentent différents ou semblables. Les différences perçues
ne coïncident pas nécessairement avec les différences objectives. H est courant
que des sous-groupes dialectaux d'un m ê m e groupe linguistique se consi-
dèrent c o m m e très différents, faute simplement d'une perspective plus large-
ment comparative. A l'inverse, des groupes sans aucun lien de parenté inventent
le mythe d'une c o m m u n e origine pour légitimer u n ordre politique. Ainsi,
les souverains musulmans, arabes ou non, tendent à se donner des généalogies
fictives établissant leurfiliationavec le Prophète.
A u niveau subjectif, l'une des conséquences les plus importantes des
migrations de travailleurs, de l'urbanisation, du commerce à longue distance
et d'autres formes de contact entre groupes ethniques a été un relèvement
général de 1' « échelle » d'appartenance ethnique. C e phénomène, que certains
anthropologues qualifient avec désinvolture de « supertribalisation », est hé na-
turellement à la montée du nationalisme. Lorsque des paysans vont vivre et
travailler en ville, ils se rendent vite compte que leurs voisins, qu'ils considé-
raient c o m m e très différents d'eux-mêmes, sont en fait très proches, par c o m -
paraison avec u n grand nombre d'autres gens qui se comportent de façon en-
core bien plus étrange et imprévisible. Ces processus de fusion subethnique ont
souvent précédé la période coloniale, mais ils se sont certainement accélérés
au cours des dernières décennies. Des groupes c o m m e les Louhyas d u K e n y a
ou les Ibos d u Nigeria, qui ont maintenant acquis u n sentiment national,
étaient il y a trente ou quarante ans des communautés rurales dispersées.
N o u s s o m m e s ainsi amenés à considérer le problème extrêmement
important de la genèse du nationalisme — qui n'est que la transformation
du vague sentiment d'une communauté ethnique en une forme plus explicite

543
Pierre L. vandenBerghe

de conscience politique. U n e bonne part de ce qu'on appelle inconsidérément


tribalisme en Afrique est en fait du nationalisme. N o m b r e de conditions
favorisent la montée d u nationalisme. Malgré l'espoir naïf de certains obser-
vateurs de voir les cités africaines devenir de vastes creusets ethniques, sem-
blables à N e w Y o r k ou Chicago, il est évident que les contacts interethniques
dans le cadre urbain de l'Afrique conduisent, dans tous les cas, à une conscience
accrue de l'ethnicité et au pullulement d'innombrables associations ethniques.
Loin d'être traditionalistes, ces groupements constituent une réponse nouvelle
aux besoins urbains, m ê m e s'ils ont parfois une « couverture » pseudo- o u
néo-traditionnelle. L a seule exception majeure est l'Afrique d u Sud, o ù le
système de discrimination raciale a pour effet d'accroître considérablement
la solidarité noire, sans considération d'ethnie. Le régime d'oppression y
oblige les Africains des villes à se définir en termes de race plutôt qu'en
termes d'ethnie. Ailleurs en Afrique, la ville multi-ethnique n'est pas u n
creuset, mais plutôt u n terrain de rencontre extra-territorial pour une popu-
lation très mobile et instable qui garde de nombreux liens familiaux et ethniques
avec son territoire d' « origine ». (Les villes précoloniales mono-ethniques
sont évidemment très différentes des cités coloniales multi-ethniques.) La ville
coloniale type est un n o m a n ' s land ethnique, u n vaste marché de biens et de
services et u n centre politique. Les gens s'y rencontrent et s'y mêlent, poussés
principalement par leurs intérêts économiques et politiques.
Bien d'autres facteurs favorisent le nationalisme, en dehors des simples
contacts entre ethnies (ce qui n'est que le côté « négatif » d u processus) :
des sous-groupes s'unissent pour former des groupes plus nombreux et plus
puissants contre d'autres ethnies. Il existe aussi de nombreuses forces «posi-
tives » ou « actives » dans le nationalisme. La conversion à une foi c o m m u n e ,
c o m m e l'islam ou le christianisme, peut élargir les bases de la solidarité
sociale : inversement, le conflit de deux prosélytismes peut diviser une nation —
c o m m e l'opposition entre catholiques et protestants chez les Bakongos,
par exemple. L'acquisition d'une langue écrite à orthographe uniforme —
sur la base d'une traduction de la Bible dans la langue nationale par exemple —
contribue aussi puissamment à la montée d u nationalisme. Les traditions
d'indépendance précoloniale, o u une longue résistance militaire aux puissances
coloniales (par exemple, chez les Achantis et, à une période plus récente,
chez les Kikouyous du Kenya) jouent le m ê m e rôle. L'irrédentisme provoqué
par la division d'un groupe ethnique entre plusieurs puissances coloniales
(par exemple, les Éoués et les Bakongos) peut être u n facteur d u m ê m e ordre.
Parmi les conditions préalables d'un nationalisme « moderne » — c'est-à-dire
fondé sur une idéologie explicitement politique — figurent certainement
l'alphabétisation et la formation d'une élite intellectuelle. Il fallait beaucoup
de naïveté et d'ethnocentrisme de la part des Européens pour considérer
1' « évolué » (autre terme méprisant) c o m m e « détribalisé ». Tous les m o u -
vements nationalistes européens du xrxe et d u r x x e siècle ont été dirigés par
des intellectuels. Pourquoi attendre des Africains cultivés qu'ils abandonnent
leur ethnicité et adoptent d'enthousiasme celle de leurs oppresseurs (qui
d'ailleurs ne les admettaient qu'avec de graves réserves)?

544
L'ethnicité en Afrique

Si les aspects subjectifs de l'ethnicité sont très importants, les aspects


objectifs le sont aussi. L a situation est très différente selon que deux personnes
parlent des langues suffisamment proches pour pouvoir se comprendre o u
non. D e m ê m e , les valeurs, les types d'organisation familiale, les normes
juridiques, etc., peuvent différer au point de rendre impossible toute
interaction prévisible, ou se ressembler suffisamment pour ne pas présenter
d'obstacles majeurs à la compréhension et à l'adaptation mutuelles. 11 est
plus difficile d'intégrer en une société unique des Esquimaux et des Anglo-
Américains que par exemple, les Canadiens anglais et les Canadiens français,
dont les différences culturelles objectives sont bien moins grandes.
L'interaction complexe des dimensions objectives et subjectives de l'ethni-
cité est bien illustrée par le phénomène des « variations du niveau d'ethnicité ».
D e nombreux facteurs autres que l'ethnicité déterminent les frontières entre
groupes solidaires : proximité géographique, parenté, mariage, participation
à des associations, etc. Certains de ces facteurs, notamment la parenté et
le voisinage, sont en fait subethniques. E n outre, les regroupements ethniques
dans le contexte urbain produisent une situation où il est impossible de répartir
l'ensemble de la population en catégories ethniques se reconnaissant c o m m e
telles et mutuellement exclusives. Selon les facteurs en jeu — lieu de résidence,
intérêts en cause, échelle d u conflit (local, régional, national), degré d'affinité
entre les parties — on voit s'affirmer différents niveaux d'ethnicité.
U n processus continu de scission et de fusion se poursuit entre groupes
et sous-groupes avec des systèmes d'alliance toujours changeants. Pour prendre
l'exemple d u Kenya, une controverse sur l'adoption d u souahéli c o m m e
langue officielle peut approfondir le fossé entre les groupes bantous et n o n
bantous (le souahéli est une langue bantoue apparentée aux langues que parle
la majorité de la population). D'autre part, des problèmes politiques peuvent
mettre en opposition les Kikouyous et les K a m b a s (deux groupes bantous).
A u n niveau encore plus bas, certaines controverses peuvent opposer les
districts K i a m b u et Nyeri, à l'intérieur du pays Kikouyou. Les conflits les
plus localisés concerneront des clans et des familles. L a caractéristique prin-
cipale d u fait ethnique dans le contexte africain est à la fois sa complexité
et safluidité,si o n le compare à des situations plus cristallisées — c o m m e
en Belgique o u en Suisse, o ù les clivages fondamentaux sont moins nombreux,
plus stables et plus tranchés.
D'autres facteurs favorisent encore la fluidité ethnique en Afrique.
C e sont notamment la dynamique de l'acculturation et l'exogamie. Ces deux
facteurs brouillent à la fois la distinction objective entre les groupes ethniques
et les sentiments subjectifs d'affiliation. O n a attaché beaucoup d'importance
à 1' « occidentalisation », mais le processus d'acculturation a précédé les
contacts avec l'Europe, et les sociétés africaines continuent de s'influencer
réciproquement au moins autant que l'Europe les influence. L e commerce
à longue distance, le prosélytisme de l'islam et d u christianisme, l'extension
des langues commerciales (souahéli, lingala, haoussa) sur de vastes étendues
multi-ethniques, les migrations de travailleurs, l'urbanisation, les conquêtes
militaires, l'esclavage, et le brusque passage de l'économie pastorale à l'éco-

545
Pierre L. vandenBerghe

nomie agricole, tous ces facteurs ont beaucoup contribué à l'effacement


des distinctions ethniques. L'exogamie ethnique — bien moins fréquente,
certes, que ne le laisseraient prévoir les lois d u hasard — fait rarement l'objet
de tabous o u de sanctions. L a plupart des sociétés africaines ont des règles
explicites et consacrées d'exogamie (obligation de se marier en dehors de la
famille ou d u clan), mais l'endogamie ethnique tend à être préférentielle
plutôt que prescrite. D a n s le cadre urbain, les mariages interethniques peuvent
s'élever à 5 ou 10%, o u m ê m e plus. D e toute façon le multilinguisme est la
règle. L a plupart des adultes africains parlent de deux à six langues, plus o u
moins couramment.
D'autres complications proviennent d u fait que les définitions intérieures
et extérieure d u groupe coïncident rarement. C'est-à-dire que les membres
d'un groupe se définissent ethniquement autrement que ne les définissent les
autres. N o n seulement o n applique au m ê m e groupe des étiquettes différentes
(par exemple, Foulanis, Foulbés, Peuls), mais les limites entre groupes diffèrent
selon qu'elles sont vues de l'intérieur ou de l'extérieur. Ainsi, au Nigeria
du Sud, o n appelle « Haoussa » tout musulman du N o r d — qu'il soit Haoussa,
Foulani, Kanouri ou N u p é . Il est typique pour des étrangers de désigner
toute la population d'une région par le n o m du groupe qui y prédomine.
Les divisions politiques, d'origine coloniale ou précoloniale, servent souvent
de base à des généralisations aussi vagues. E n définitive, les définitions sub-
jectives d ' u n groupe par lui-même et par les autres coïncident rarement,
et, d'autre part, ne concordent guère avec des caractéristiques objectives,
linguistiques et culturelles. C e qui ne signifie pas que ces définitions sont
« sans rapport » les unes avec les autres.
Connaissant la complexité fondamentale d u fait ethnique en Afrique,
il convient de se demander pourquoi l'ethnicité constitue une source majeure
de conflits dans la plupart des États africains. Ces conflits sont de trois types
au moins. Il y a d'abord le problème de l'autonomie des régions ou des groupes
ethniques par rapport au gouvernement central. L a querelle de la centralisa-
tion et d u fédéralisme peut prendre des formes non ethniques, mais, vu le
lien étroit entre le territoire et l'ethnie, les partisans de l'autonomie locale
et d'un nouveau découpage administratif s'appuient souvent sur des argu-
ments ethniques. L'autonomisme à base de nationalisme ethnique est sans
doute l'une des formes centrifuges qui menacent le plus l'intégrité politique
des États africains. Les mouvements séparatistes ou irrédentistes ont donné
lieu à des explosions de violence sur une grande échelle et à d'interminables
guerres civiles dans nombre d'États devenus indépendants : Ethiopie, Soudan,
Tchad, Kenya, Nigeria et République démocratique d u Congo. E n raison
des nombreux précédents offerts par la création d'États nationaux dans d'autres
régions, le nationalisme exerce une forte influence idéologique sur les groupes
ethniques africains qui ont une conscience politique. Rejeter ou stigmatiser
ce phénomène sous le n o m de tribalisme n'enlève rien à son importance,
bien qu'on puisse ainsi déconsidérer ces mouvements aux yeux de nouvelles
élites qui ont un intérêt collectif au maintien d'États multinationaux.
U n second fait important qui accroît grandement les risques de conflit

546
L'ethnicité en Afrique

dans de nombreux États africains est l'inégalité de développement éducatif


et économique des différents groupes ethniques à l'intérieur d'un m ê m e pays.
D a n s la plupart des cas, ces différences se sont créées o u se sont fortement
accentuées pendant la période coloniale, mais elles sont parfois antérieures
à la colonisation. D a n s de nombreux pays d'Afrique occidentale, par exemple,
il existe u n contraste frappant entre la côte — économiquement dynamique,
chrétienne, occidentalisée, avec ses ports, son commerce moderne et ses nou-
velles industries de biens de consommation — et l'intérieur — musulman,
largement analphabète, économiquement stagnant et géographiquement isolé.
Le revenu par habitant, le taux d'analphabétisme, les kilomètres de route
et les autres indices de développement peuvent varier de u n à dix, ou m ê m e
de u n à cent. U n Nigérian d u Nord, par exemple, a à peu près deux cents fois
moins de chances de faire des études supérieures qu'un Nigérian d u Sud.
U n des grands paradoxes des pays en voie de développement est que moins
un pays est développé, plus grandes sont les inégalités internes. Ces inégalités
peuvent résulter d'accidents historiques, de la situation géographique, de
l'implantation des écoles de missions, de l'exploitation des ressources minières,
etc., mais elles sont fortement liées à l'ethnie dans la plupart des cas, en raison
de la nette localisation des groupes ethniques.
D e si grandes disparités entre les groupes ethniques, m ê m e si elles ont
rarement pour cause l'ethnicité, sont évidemment de nature à exacerber les
conflits ethniques. Ces conflits, efficacement étouffés pendant la période
coloniale (lorsque ces inégalités s'accentuaient), resurgirent à l'occasion
des rivalités politiques provoquées par l'accession à l'indépendance. Q u i
plus est, ces inégalités sont difficiles à corriger et, quelle que soit la politique
choisie, on risque de créer de nouveaux conflits à mesure qu'on élimine les
anciens. U n e politique de promotion fondée sur le mérite sera considérée
par les groupes « retardés » c o m m e un m o y e n de conserver l'avance prise
par les groupes « avancés ». Inversement, une politique de quotas ethniques
aboutit à l'inefficacité et prête le flanc à des accusations de tribalisme de la
part des groupes avancés. La plupart des États essaient de trouver un compro-
mis entre ces deux extrêmes, mais ils ne font souvent qu'aggraver à la fois
l'inefficacité et le mécontentement, sans réduire de façon appréciable les
inégalités ethniques. Comparées aux énormes différences de développement
entre les groupes ethniques en Afrique, les différences entre Américains blancs
et noirs apparaissent tout à fait minimes (quoique bien moins excusables,
étant donné les ressources des États-Unis d'Amérique).
E n définitive, les conflits ethniques proviennent en grande partie de la
lutte pour l'exploitation de maigres ressources — principalement de la lutte
pour le pouvoir et la richesse. Plus on se rapproche d u sommet, plus le conflit
devient aigu. Certains observateurs naïfs ont p u croire que le secteur moderne,
occidentalisé, serait détribalisé et se situerait au-dessus des rivalités ethniques.
E n fait, c'est le contraire qui se produit dans la majorité des cas, pour des
raisons bien compréhensibles. L a masse de la population rurale — en grande
partie indépendante économiquement — n'a que des contacts sporadiques
avec d'autres ethnies et n'est pas en compétition avec elles au m ê m e degré

547
Pierre L. vandenBerghe

que les populations des villes. Mais, dans le secteur moderne, les possibilités
sont très limitées et l'offre dépasse largement la demande pour la majorité
des emplois. D e plus, l'échelle de la mobilité sociale se rétrécit et la compétition
devient plus acharnée à mesure qu'on monte.
Étant donné ce m a n q u e de possibilités et l'existence de clivages ethniques,
on peut prévoir qu'à l'intérieur des classes privilégiées la compétition prendra
un caractère ethnique. D a n s la lutte pour les postes de l'administration,
de l'armée, des écoles et universités, des organismes d'État, des bureaucraties
privées, l'arme la plus sûre est la revendication ethnique, l'assurance d ' u n
appui politique sur une base ethnique. Lorsque le conflit ethnique devient une
pratique admise, o n se trouve dans un cercle vicieux. Chacun s'attend à trou-
ver en face de soi u n tribaliste, et justifie son propre particularisme ethnique
c o m m e un procédé défensif ou préventif ou c o m m e u n m o y e n de rétablir l'équi-
libre détruit par le tribalisme de l'autre. L e favoritisme devient endémique,
omniprésent, pratiquement inévitable. O n voit le tribalisme partout ; on inter-
prète systématiquement le comportement des autres c o m m e une manifestation
de tribalisme; o n devient à son tour tribaliste à titre préventif et ainsi de suite.
Il est important de noter ici que les clivages ethniques au niveau de
l'élite, s'ils peuvent engendrer des conflits capables de menacer l'intégrité
de l'État ( c o m m e au Nigeria), sont aussi le principal obstacle au développement
d'une solidarité de classe. Les classes dirigeantes africaines restent très ouvertes
en raison des liens de protecteur à client qui unissent les m e m b r e s d'une m ê m e
ethnie, à tous les niveaux. L e système de classes est encore trèsfluide,par
comparaison avec la plupart des sociétés européennes, asiatiques o u a m é -
ricaines. Classe et ethnicité sont les termes d'une relation antithétique.
Cette relation comporte pourtant un autre aspect. L'adoption d u français
ou de l'anglais c o m m e langue officielle dans la plupart des États africains
entraîne naturellement de multiples conséquences. D ' u n e part, elle établit
des liens importants, sans considération d'origine ethnique, entre tous ceux qui
se situent au sommet de la pyramide sociale; d'autre part, elle dresse une
barrière de classe à l'intérieur des groupes ethniques. E n facilitant la c o m m u -
nication à l'intérieur de la classe dirigeante, le français o u l'anglais devient
un élément essentiel de la domination de classe. L a langue étrangère est
un m o y e n de communication semi-ésotérique, et sa connaissance devient u n
critère et u n indicateur de statut dans un système social mobile. D ' u n e part,
s'il existe une solidarité de classe dans la couche dirigeante, elle provient
largement d'une communauté de formation dans la langue étrangère et d u
prestige que confère la possibilité de communiquer par ce m o y e n ésotérique.
D'autre part, le développement d'une culture étrangère au sommet détruit
la solidarité ethnique entre classes et crée une barrière entre l'élite et les masses.
O n pense à la francisation de l'aristocratie russe sous le régime tsariste.
U n e seconde conséquence importante de l'adoption d u français o u de
l'anglais c o m m e langue officielle est qu'elle peut désarmorcer une mine de
conflits ethniques. A la différence de l'Inde, de la Belgique, d u Canada et
d'autres États multinationaux qui ont à faire face à des querelles constantes
et acerbes sur la politique linguistique, les États africains n'ont pas eu jusqu'à

548
L'ethnicité en Afrique

présent à aborder ce problème. A quelques exceptions près (Libéria, Afrique


du Sud, Ethiopie, Sierra Leone), la langue officielle n'est la langue maternelle
d'aucun groupe indigène important. Le français et l'anglais sont considérés
c o m m e ethniquement neutres. Leur emploi n'avantage aucun groupe ethnique
particulier. Les États multinationaux qui essaient d'obtenir u n modus vivendi
entre les différents groupes de population qui les composent doivent soit
choisir une langue étrangère et avantager l'élite, soit mettre sur u n pied
d'égalité les langues de tous les groupes ethniques assez importants pour
briser l'intégrité de l'État. Quelques États ont réussi à maintenir u n bilin-
guisme ou m ê m e un trilinguisme officiel, mais le coût d'une politique m u l -
tilinguistique augmente rapidement au-delà de cette limite.
L'expérience de la Tanzanie avec le souahéli (langue maternelle d'une
petite minorité de la population) est unique en son genre. Mais, m ê m e si elle
devait réussir, cette expérience ne serait guère susceptible de généralisation,
étant donné les conditions linguistiques très particulières de ce pays. A l'indé-
pendance, seule une petite minorité (1 ou 2 %) parlait anglais, mais de nombreux
Tanzaniens utilisent depuis longtemps le souahéli c o m m e langue commerciale
dans tout le pays. Ceux dont le souahéli est la langue maternelle sont peu
nombreux et sans importance politique sur le continent, et la grande majorité des
autres groupes parlent des langues bantoues très proches du souahéli.
N o m b r e des aspects de l'ethnicité que nous avons brièvement examinés
dans cet article ne sont pas propres à l'Afrique. Certes, l'étude de l'ethnicité
en Afrique a déjà grandement accru notre compréhension générale de ce
phénomène. Pourtant, la plupart des pays africains représentent des cas
extrêmes à cet égard, pour les raisons suivantes : grande diversité des cultures
indigènes; dimensions réduites des groupes ethniques et, par conséquent,
inapplicabilité d u concept politique d'État national; mais l'héritage du colo-
nialisme, qui, dans la plupart des cas, a tracé les frontières politiques sans souci
d'ethnicité, a créé de fortes inégalités en matière de développement économique
et culturel entre les groupes ethniques; conséquences de l'indépendance,
qui a suscité une rivalité aiguë entre les différents secteurs ethniques des nou-
velles classes dirigeantes. C o m m e d'habitude, il n'existe pas de solution
simple aux problèmes complexes. Toute politique concrète doit tenir compte
des particularités de chaque situation et essayer de prévoir le coût aussi bien
que les avantages de toute solution. U n e chose est certaine. O n ne peut
souhaiter la disparition de l'ethnicité et des ethnies. Aucune tentative de
stigmatiser le tribalisme ne résoudra les problèmes fondamentaux, et il ne
sert à rien de prétendre que les États multinationaux sont des nations. A u c u n
attrape-nigaud o u slogan idéologique n'a jamais permis de créer u n État
national à partir d'un conglomérat multi-ethnique. H s'agit de reconnaître
la légitimité d u pluralisme culturel; de faire droit aux revendications locales
pour une autonomie limitée; de protéger le désir des gens de parler leur
propre langue, de pratiquer leur religion et de vivre dans le milieu culturel
de leur choix; et, en m ê m e temps, de maintenir l'intégrité politique d'États
qui devront être multinationaux pour être tant soit peu viables.
[Traduit de l'anglais]

549
Pierre L . van den Berghe

BIBLIOGRAPHIE
A G U I R R E B E L T R A N , Gonzalo. 1957. El proceso de aculturación. México, Universidad National
Autónoma de México.
B A L A N D ΠR , Georges. 1963. Sociologie actuelle de VAfrique noire. Paris, Presses univer-
sitaires de France.
B A N T O N , Michael. 1967. Race relations. Londres, Tavistock.
B A R T H , Fredrik (ed.). 1969. Ethnie groups and boundaries. Boston (Mass.), Little, Brown.
B E N E D I C T , Burton. 1961. Indians in a plural society. Londres, Colonial Research Studies.
B E R G H E , Pierre L . van den, 1964. Caneville, the social structure of a South African town.
Middletown, Wesleyan University Press
. 1967a. Race and racism, a comparative perspective, N e w York, Wiley.
. 19676. South Africa, a study in conflict. Berkeley (Calif.), University of California Press.
. (ed.). 1965. Africa, socialproblems ofchange and conflict, San Francisco (Calif.), Chandler.
C O L B Y , Benjamin N . ; B E R G H E , Pierre L . van den, 1969. Ixil country. A plural society in
Highland Guatemala. Berkeley (Calif.), University of California Press.
D E S P R E S , Leo. 1967. Cultural pluralism and nationalist politics in British Guiana. Chicago
OU.), R a n d McNally.
F U R N T V A L L , J. S. 1948. Colonial policy and practice. Cambridge (Mass.), Cambridge Uni-
versity Press.
G L U C K M A N , Max. 1958. Analysis of a social situation in modern Zululand. Manchester, M a n -
chester University Press.
H U N T E R , Monica. 1936. Heritage of conquest. Londres, Oxford University Press.
K A U F E R T , Joseph. 1970. « Ethnic unit classification and analysis ». Multigraphié.
K U P E R , Hilda. 1947. The uniform of colour. Johannesburg, Witwatersrand University Press.
K U P E R , Leo. 1965. An African bourgeoisie. N e w Haven (Conn.), Yale University Press.
; S M I T H , M . G . (ed.).1969. Pluralism in Africa. Berkeley (Calif.), University of California
Press.
LOFCHIE, Michael. 1965. Zanzibar, background to revolution. Princeton (N- J-), Princeton
University Press.
M A S O N , Philip. 1970. Patterns of dominance. Londres, Oxford University Press.
M E R C I E R , Paul. 1965. O n the meaning of 'tribalism' in Black Africa. Dans : Pierre L . van
den Berghe (ed.). Africa, social problems of change and conflict. San Francisco (Calif.),
Chandler.
M I T C H E L L , J. Clyde. 1960. Tribalism and the plural society. Londres, Oxford University Press.
R E X , John. 1970. Race relations in sociological theory. N e w York, Schocken.
R O T H C H I L D , Donald. 1970. Ethnicity and conflict resolution, World politics, 300, p. 597-616.
S C H E R M E R H O R N , Richard A . 1970. Comparative ethnic relations. N e w York, R a n d o m House.
S H I B U T A N I , Tamotsu; K W A N , Kian M . 1965. Ethnic stratification. N e w York, Macmillan.
S M I T H , M . G . 1965a. The plural society in the British West Indies. Berkeley (Calif.), Uni-
versity of California Press.
. 19656. Social and cultural pluralism. D a n s : Pierre L . van den Berghe (ed.). Africa,
social problems of change and conflict. San Francisco (Calif.), Chandler.
. 1965c. Stratification in Grenada. Berkeley (Calif.), University of California Press.
W A L L E R S T E I N , Immanuel. 1965. Ethnicity and national integration in West Africa. Dans :
Pierre L . van den Berghe (ed.). Africa, social problems of change and conflict. San-
Francisco (Calif.), Chandler.
Pierre L . van den Berghe est professeur de sociologie
à l'Université de Washington (Seattle). Auparavant
il a enseigné dans différentes universités d'Afrique ainsi
qu'à la Sorbonne. Il est l'auteur d'un grand nombre
de publications sur la question raciale, parmi lesquelles
on peut citer : South Africa, a study in conflict (1965),
Race and racism, a comparative perspective (1967),
Race and ethnicity, essays in comparative sociology (1970).

550
André Béteille Race, caste et identité
ethnique1

Si nous voulons examiner les notions de race et de « caste » dans u n m ê m e


cadre conceptuel, nous avons le choix entre deux directions. D ' u n e part,
nous pouvons nous demander dans quelle mesure les systèmes de stratification
fondés sur la caste (comme en Inde) o u sur la couleur (comme dans le sud
des États-Unis d'Amérique) peuvent être considérés c o m m e analogues dans
leur structure; c'est là u n problème de sociologie comparée. D'autre part,
nous pouvons nous demander jusqu'à quel point les distinctions de caste,
en Inde, correspondent à des differences de type physique ou racial; ce pro-
blème intéresse surtout ceux qui étudient l'histoire et la société indiennes2.
Lorsque les ethnosociologues américains, sous l'influence notamment de
Lloyd Warner, commencèrent à étudier la population de l'extrême sud des
États-Unis, dans les années trente, ils trouvèrent c o m m o d e de parler d ' u n
« système de castes » pour décrire les clivages entre Blancs et Noirs au sein
des communautés urbaines et rurales de cette région3. Gunnar Myrdal a
employé des expressions et des catégories analogues dans l'étude, désormais
classique, qu'il consacra vers la m ê m e époque aux Noirs américains4. L a
métaphore est depuis lors devenue courante pour décrire les sociétés multi-
raciales d'autres parties d u m o n d e , notamment celle de l'Afrique d u Sud 5 .
Le parallélisme est à certains égards évident entre le système indien
des castes et le système de stratification fondé sur la couleur, qu'il s'agisse

1. Je suis reconnaissant à mes collègues A . Sharma et S. C . Tiwari, du Département d'ethno-


logie, et M . S. A . Rao, du Département de sociologie de l'Université de Delhi, de l'aide
considérable qu'ils m'ont apportée dans l'élaboration de ce chapitre.
2. A ce propos, on lira avec intérêt : Anthony de R E U C K et Julie K N I G H T (dir. publ.), Caste
and race, comparative approaches, Londres, 1967.
3. Parmi les meilleures études de communautés datant de cette époque, nous citerons : John
D O L L A R D , Caste and class in a Southern town, N e w Haven, 1937; Allison D A V I S , Burleigh
B . G A R D N E R et Mary R . G A R D N E R , Deep South, a social anthropological study of caste and
class, Chicago, 1941.
4. Gunnar M Y R D A L , An American dilemma: the negro problem in modern democracy, p. 667, 688,
N e w York, 1944.
5. Selon Pierre L . van den B E R G H E , auteur de Race and racism, a comparative perspective,
N e w Y o r k , Wiley, 1967, les Blancs, les Africains, les Asiatiques et les métis constituent les
quatre « castes », ou « castes de couleur », de la société sud-africaine.

551
Rev. int. Se. soc, vol. XXTfl (1971), n° 4
André Béteille

de l'Afrique d u S u d ou de la partie méridionale des États-Unis. D a n s le


second cas, Warner et Myrdal ont l'un et l'autre été frappés de la rigidité
des distinctions entre Noirs et Blancs, et ont souligné le contraste entre cette
rigidité et la souplesse relative des relations humaines caractéristiques d'un
système de classes. Lorsqu'ils ont appliqué le m o t caste au système de stratifica-
tion qui repose sur la couleur, leur intention était moins d'en dégager la
ressemblance avec le système indien que de faire ressortir ce qui le distingue
du système de classes existant aux États-Unis et dans d'autres sociétés occi-
dentales.
Il serait peut-être intéressant d'examiner u n peu plus à fond les ressem-
blances entre le système indien des castes et ce que j'appellerai en bref le
système des castes de couleur. D a n s l'un et l'autre cas, les éléments constitutifs
de la société sont séparés les uns des autres par des frontières nettement
marquées. Les différences entre les castes sont renforcées par l'homogénéité
plus ou moins grande de chacune d'elles.
D u système des castes on pourrait dire qu'il repose sur une inégalité
cumulative. Les avantages du rang social tendent à se combiner avec ceux
de la richesse et de la puissance, de sorte que les individus socialement défa-
vorisés se trouvent aussi, en général, aux échelons inférieurs de l'échelle
politico-économique. Il est loin d'en être toujours ainsi dans le système des
castes de couleur, o ù l'on trouve à la fois des Blancs pauvres et des Noirs
prospères1; mais la société indienne présente depuis longtemps des exceptions
du m ê m e genre2.
Dans les deux systèmes, les éléments constitutifs préservent leur identité
en pratiquant une stricte endogamie. D a n s u n système de classes, chaque
individu épouse généralement quelqu'un de sa propre classe, mais aucune
prescription réglementaire ne l'y contraint. D a n s le sud des États-Unis,
les mariages entre Noirs et Blancs étaient naguère strictement interdits, et
il en est toujours ainsi en Afrique du Sud. E n Inde, le principe d'endogamie
a été assoupli dans certaines régions par la pratique de l'hypergamie (anuloma),
qui permettait à u n h o m m e de caste supérieure d'épouser, sous certaines
conditions, une jeunefillede caste inférieure. Il convient de souligner que,
traditionnellement, la pratique de l'hypergamie obéissait à des règles strictes,
tenant compte des distinctions entre castes ainsi que de l'ordre hiérarchique
des castes; et, c o m m e l'a fait remarquer Karve, « elle n'est admise,
dans certaines régions de l'Inde, qu'entre certaines castes, et elle n'est courante
nulle part » 3 . C e u x qui définissent les systèmes de stratification d'après la
rigueur plus o u moins grande des règles applicables au mariage ne sauraient
manquer d'être frappés de l'analogie entre le système indien et le système
des castes de couleur.
Les principes qui régissent le mariage sont étroitement liés, dans les deux
genres de sociétés, à certaines attitudes caractéristiques envers les femmes.

1. Gunnar M Y R D A L , op. cit.


2. André BÉTEILLE, Castes old and new: essays in social structure and social stratification, p. 3
Bombay, 1969.
3. Irawati K A R V E , Hindu society, an interpretation, p. 16, Poona, 1961.

552
Race, caste et identité ethnique

O n attache u n grand prix à la pureté des femmes de la haute société, que des
sanctions extrêmement sévères protègent contre les risques de pollution
sexuelle par des h o m m e s de condition inférieure1. E n revanche, 1' « exploita-
tion sexuelle » tient une grande place dans les relations entre les h o m m e s
de la haute société et les femmes de condition inférieure. Berreman note
que les « avantages sexuels » dont bénéficient les h o m m e s de haute caste,
dans le village indien qu'il a étudié, sont analogues jusque dans le détail à
ceux dont jouissent les h o m m e s de race blanche dans la ville du sud des ÉtatsT
Unis qu'a étudiée Dollard2.
N o u s pourrions, à ce stade, résumer les traits caractéristiques des castes
en disant que ce sont des groupes hiérarchisés qui sont fondés sur l'appartenance
héréditaire et qui préservent leur identité sociale en pratiquant une stricte
endogamie. L'appartenance héréditaire est d'une importance capitale; elle
détermine le rang social de l'individu dès la naissance, et exclut toute possi-
bilité de passage d'un groupe dans u n autre. E n dépit de nombreuses excep-
tions, ces divers facteurs se combinent pour donner à la structure interne
d'une société à castes une rigidité peu c o m m u n e .
Si j'ai traité d'abord des ressemblances entre les deux types de stratifica-
tion sociale, cela ne signifie pas que je les considère c o m m e plus fondamentales
que les différences. Sur l'importance qu'il convient d'attacher à ces ressem-
blances et à ces différences, les avis sont très partagés* et certaines spécialistes,
c o m m e D u m o n t * et Leach 5 , trouveraient dangereusement impropre l'emploi
du mot caste pour désigner les systèmes de stratification fondés sur la couleur.
Pour eux la caste, au vrai sens d u terme, est une institution particulière à
la civilisation panindienne.
Les différences entre les deux types de système de castes — nous trouvons
c o m m o d e , pour notre part, d'employer le m ê m e terme dans les deux cas —
sont assez manifestes, mais il n'est pas facile de les résumer en une formule,
Certains feraient la distinction en disant qu'il s'agit d'un « modèle culturel »
dans u n cas, d'un « modèle biologique » dans l'autre6; mais le système de
castes de couleur que l'on trouve dans le sud des États-Unis o u en Afrique
du Sud peut-il se décrire en termes purement biologiques? Warner 7 et Myrdal 8 ,
après avoir envisagé la possibilité de considérer les groupes qu'ils étudiaient
c o m m e des races, l'ont ensuite l'un et l'autre écartée. U n rapide examen de

1. Dans les monographies déjà citées, on trouvera des exemples américains de John Dollard
et d'Allison Davis, B . B . Gardner et M . R . Gardner. Une monographie indienne, « Caste
in a Tanjore village », se trouve dans : E . R . L E A C H (dir. publ.), Aspects of caste in South
India, Ceylon and North-West Pakistan, Cambridge, 1960.
2. Gerald D . B E R R E M A N , Hindus of the Himalayas, p. 243-245, Berkeley, 1963.
3. Voir : Anthony de R E U C K et Julie K N I G H T (dir. publ.), op. cit.
4. Louis D U M O N T , « Caste, racism and 'stratification' : reflections of a social anthropologist »,
Contributions to Indian sociology, n° 5, 1961, p. 20-43.
5. E . R . L E A C H , « Introduction : What should we mean by caste? », dans : E . R . L E A C H (dir.
publ.), op. cit.
6. S. J. Tambiah a qualifié cette opposition de « simpliste » dans un débat dont rendent compte
Anthony de R E U C K et Julie K N I G H T (dir. publ.), op. cit., p. 328-329.
7. W . Lloyd W A R N E R , « Introduction » dans : Allison D A V I S , B. B . G A R D N E R et M . , R . G A R D N E R ,
op. cit., p. 3-14.
8. Gunnar M Y R D A L , op. cit.

553
André Béteille

leur argumentation éclairera un peu les rapports complexes entre race,


culture et société, et nous aidera à pénétrer un peu plus avant dans le sujet
de notre étude.
Warner soutient que, dans le système de stratification propre à l'extrême
sud des États-Unis, les catégories « Blancs » et « Noirs » se définissent socia-
lement et n o n biologiquement. Certaines personnes socialement définies
c o m m e noires pourraient biologiquement se classer c o m m e blanches; inver-
sement, il y en a qui, considérées c o m m e noires dans une certaine société,
passeraient pour blanches dans une autre1. Myrdal prend une position ana-
logue. Il fait d'abord remarquer qu'aux États-Unis, « ce sont des Blancs
qui définissent la race noire », et que « la définition qu'ils en donnent ne concorde
pas avec celle qui a cours sur le reste du continent américain » 2 . C e n'est
pas seulement la présence de certains caractères physiques distinctifs qui est
significative, c'est aussi l'attitude — essentiellement conventionnelle — de
la société à l'égard de chaque groupe. D a n s le sud des États-Unis, ni les Blancs
ni les Noirs ne sauraient être considérés c o m m e des races, au sens strictement
biologique d u terme.
Kingsley Davis a essayé de préciser la distinction dont il s'agit ici en oppo-
sant les systèmes de castes « raciaux » et « non raciaux » :

« Dans un système non racial, c o m m e le système hindou, le critère qui détermine


le rang d'une caste est au premier chef l'ascendance symbolisée en termes purement
socio-économiques; dans un système racial au contraire, ce critère est au premier
chef physionomique (généralement chromatique), les différences socio-économiques
n'étant qu'implicites8. »

N o u s venons de voir pourquoi il n'est pas entièrement satisfaisant de décrire


le système de castes en vigueur aux États-Unis c o m m e racial; et il n'est pas
évident que, dans ce cas, les différences chromatiques soient plus fondamentales
que les différences socio-économiques, c o m m e Davis semble le penser. Il
n'est pas entièrement satisfaisant n o n plus d'opposer, dans le présent
contexte, « race » et « ascendance », car il s'agit dans les deux cas de la défini-
tion culturelle de processus biologiques.
Il n'en est pas moins vrai que les différences physiques visibles sont beau-
coup plus frappantes dans le système des castes de couleur que dans le sys-
tème indien. L'étranger de passage dans le sud des États-Unis n'y aura géné-
ralement pas grand-peine à deviner, simplement d'après l'aspect physique,
à quelle caste appartiennent les personnes qu'il rencontre. E n Inde, il lui
sera difficile, voire impossible, de le faire au-delà d'un certain point. Mais cela
ne suffit pas à établir qu'il n'existe pas, entre les castes de la société indienne,
des différences génétiques plus fondamentales. Il serait m ê m e surprenant qu'il
n'en existât aucune, attendu que les castes sont censées, pour la plupart,
pratiquer une stricte endogamie depuis d'innombrables générations.

1. W . Lloyd W A R N E R , op. cit.


2. Gunnaï M Y R D A L , op. cit., p. 113.
3. Kingsley D A V B , « Intermarriage in caste society », American anthropologist, vol. 43, 1941,
p. 386-387.

554
Race, caste et identité ethnique

Ceux qui soulignent les différences entre le système indien et le système


américain tirent argument d u caractère unique des valeurs culturelles hindoues.
E n fait, o n pourrait établir une distinction entre la conception « structurelle »
de la caste, qui appelle l'attention sur certaines similitudes générales, et la
conception « culturelle », selon laquelle le système de castes qu'on trouve
en Inde serait unique en son genre1. Il est incontestable que la caste est insé-
parable, en Inde, d'un ensemble de valeurs religieuses qui n'a son pendant
ni dans le sud des États-Unis, ni en Afrique d u Sud.
Les Occidentaux qui étudient ces questions sont frappés de l'importance
de la hiérarchie dans le système de valeurs hindou 2 , gravitant autour des
notions de dharma et de karma*. Ce sont là deux notions philosophiques dont
la complexité se laisse difficilement enfermer dans une formule. E n gros, le
dharma implique pour chacun une conduite qui convienne à son rang, lequel
dépend essentiellement de la caste à laquelle il appartient; le karma explique
— et justifie — le rang assigné à l'individu dès sa naissance par la façon dont
il s'est conduit au cours d'une existence antérieure. Autrement dit, les règles
et normes morales dont dépend la valeur d'un h o m m e ne sont pas identiques
pour toutes les castes. Les observateurs occidentaux ont pour la plupart été
frappés de l'iniquité de ce système; mais des spécialistes c o m m e Leach feraient
remarquer qu'il assurait, dans une certaine mesure, la sécurité matérielle et
psychologique de toutes les couches sociales, notamment de celles qui se
situent au bas de la hiérarchie4.
Contrairement au système de valeurs de l'Inde traditionnelle, l'esprit
américain a de tout temps attaché la plus haute valeur morale à l'égalité des
h o m m e s . D e ce fait, l'ambiance morale qui entoure les distinctions rigides
de la société américaine est toute différente de l'ambiance morale de l'Inde.
O n pourrait dire que le système américain est dysharmonique; certaines
inégalités existent dans la réalité, bien qu'elles soient contraires à l'ordre
normatif. L e système indien traditionnel était au contraire harmonique;
les distinctions sociales rigides qu'il présentait étaient généralement admises
c o m m e légitimes. Si notre argumentation est juste, tension et conflits devraient
revêtir, dans les systèmes de l'un et de l'autre type, des formes très différentes.
Il n'est pas facile de décrire de manière objective les valeurs propres à
une société; car elles sont souvent ambiguës, et leurs éléments constitutifs
incompatibles. O n a peine à croire que les valeurs hiérarchiques aient été
acceptées uniformément par toutes les couches de la société indienne. C e
que nous savons des valeurs indiennes traditionnelles vient surtout de textes
dont les auteurs se situaient aux échelons supérieurs de la hiérarchie; et peut-
être ne saurons-nous jamais de façon aussi précise de quel œil on voyait, en
bas de l'échelle, l'ordonnance des castes.
Berreman qui, contrairement à la plupart de ceux qui ont étudié la société

1. Louis D U M O N T , « Caste : A phenomenon of social structure or an aspect of Indian culture? »,


dans : Anthony de R E U C K et Julie K N I G H T (dir. publ.), op. cit., p. 28-38.
2. ID., Homo hierarchicus, essai sur le système des castes, Paris, 1966.
3. Iriwati K A R V E , op. cit.
4. E . R . L E A C H . op. cit.

555
A n d r é Béteille

indienne, a partagé, dans la c o m m u n a u t é rurale qu'il a observée, la vie des


castes inférieures, soutiendrait que les gens ne voient pas d u tout les choses
de la m ê m e façon selon qu'ils se trouvent en haut et en bas de l'échelle1.
D'autres ont également constaté l'existence entre les castes de tensions et de
conflits qu'on ne s'attendrait pas à y trouver si chacun acceptait docilement
la place qui lui est assignée dans l'ordre hiérarchique2. Notons toutefois
que ces observations ne remontent guère, pour la plupart, à plus de vingt
ans; il se peut que ces tendances ne soient apparues qu'à l'époque contem-
poraine et n'interdisent donc pas de soutenir que, traditionnellement, le
système indien des castes était plus ou moins d u type harmonique.
Berreman rejette également l'idée que le système américain de valeurs
puisse se définir sans ambiguïté en fonction de l'importance attachée à l'éga-
lité3. A l'appui de ses dires, il cite ce que Spiro a écrit de Myrdal :

« Le postulat de normes culturelles égalitaires est insoutenable à moins que l'on


n'adopte une conception idéaliste de normes idéales sans rapport avec la conduite
ou les aspirations des hommes. En fait, la discrimination à rencontre des Noirs n'est
pas une infraction aux normes idéales du Sud; elle y est conforme4. »

Il y a aussi la question d u système sud-africain de castes de couleur. Peut-être


serait-on fondé à dire qu'il s'agit là d'un ordre normatif qui accepte c o m m e
légitime la structure actuelle d'inégalité entre les groupes sociaux.
Les différences entre le système des castes de couleur et le système indien
ne se limitent pas au domaine des valeurs. Il existe aussi des différences consi-
dérables quant à la tructure et à la composition des groupes qui constituent
les systèmes de l'un et l'autre type. D a n s le sud des États-Unis il n'y a que
deux castes principales, les Blancs et les Noirs; en Afrique d u Sud, il y en a
quatre : les Africains, les Blancs, les métis et les Asiatiques5. E n Inde, le sys-
tème des castes comprend u n grand nombre de groupes, entre lesquels les
relations sont de nature extrêmement complexe.
Il n'est pas rare de trouver en Inde, dans u n m ê m e village, jusqu'à 20
ou 30 castes8. Chacune des régions linguistiques du pays comprend entre
200 et 300 castes, souvent divisées en sous-castes qui peuvent elles-mêmes se
subdiviser7. Si, au lieu d u village, nous considérons une unité territoriale

1. Gerald D . B E R R E M A N , op. cit.


2. André BÉTEILLE, « The politics of non-antagonistic strata », Contributions to Indian sociology,
nouvelle série, n° III, 1969, p. 17-31. Les conflits entre castes étaient structurés notamment,
dans le passé, par l'opposition qu'on trouvait, dans de nombreuses parties de l'Inde, entre
« castes de main droite » et « castes de main gauche ». Voir à ce sujet : J. H . H U T T O N , Caste
in India: its nature, function and origins, Bombay, 1961.
3. Gerald D . B E R R E M A N , « Caste in cross-cultural perspective », dans : G . D E V O S et H . W A G A T -
S U M A (dir. publ.), Japan's invisible race, caste in culture and personality, p. 297, Berkeley,
1966.
4. Ibid.
5. Pierre L . van den B E R G H E , op. cit.
6. O n trouvera des études typiques de villages dans : Adrian C . M A Y E R , Caste and kinship in
Central India, a village and its region, Londres, 1960; et André BÉTEILLE, Caste, class and
power, changing patterns of stratification in a Tanjore village, Berkeley, 1965.
7. André BÉTEILLE, Caste, class and power..., op. cit.

556
Race, caste et identité ethnique

plus vaste, il devient impossible de déterminer avec précision le n o m b r e des


castes, et les distributions entre castes, sous-castes et sous-sous-castes s'es-
tompent de plus en plus. Il arrive aussi q u e la m ê m e caste porte plusieurs
n o m s différents et que plusieurs castes différentes soient désignées d u m ê m e
nom.
D n'existe aucun ordre hiérarchique uniformément applicable dans
toutes les régions à l'ensemble des castes et des sous-castes. Tout ce que l'on
peut affirmer pour l'ensemble d u pays, c'est que les brahmanes se situent tout
en haut de l'échelle et les harijans tout en bas; entre ces deux extrêmes, le
classement est souvent douteux. Chacune des différentes castes de cultivateurs
se prétend supérieure aux autres. Les brahmanes (comme les harijans) se
répartissent en u n certain nombre de castes et de sous-castes dont les rangs
respectifs ne sont nullement faciles à déterminer1. A l'échelon local néanmoins,
tout le m o n d e est plus ou moins d'accord sur le rang à assigner aux diverses
castes2; mais cet accord était sans doute autrefois beaucoup plus complet
qu'aujourd'hui.
O n pourrait soutenir que, d u point de vue structurel, il existe une diffé-
rence fondamentale entre un système dichotomique et un système de gradation
aux éléments multiples. Les théoriciens des classes sociales et des conflits
sociaux attribuent une importance cruciale à la division dichotomique de la
société3. Q u a n d le nombre des parties en présence se réduit à deux, leur
conflit s'intensifie; lorsqu'il est supérieur à deux, le jeu mouvant des coali-
tions modère l'intensité d u conflit. Le m ê m e principe peut s'appliquer aux
castes. Si la communauté ne comprend que deux groupes (Blancs et Noirs),
le conflit entre eux risque d'être violent; si au contraire elle comprend vingt
ou trente groupes, il est peu probable qu'un conflit particulier mobilise les
énergies de toute la population.

N o u s allons maintenant essayer de voir s'il est possible d'établir une relation,
dans le cas de la société indienne, entre les distinctions de caste et les diffé-
rences d'aspect physique. D'emblée o n peut dire que, si une telle relation
existe, il y a peu de chances pour qu'elle soit simple o u directe. Les différences
physiques, en Inde, ne sont pas « polarisées »; on passe insensiblement d'un
type à u n autre, sans aucune solution de continuité. Il est malaisé de diviser
la population en races, ou m ê m e de distinguer des types physiques nettement
différenciés. Le système des castes présente lui aussi une grande complexité.
Il se divise et se subdivise en d'innombrables groupes dont l'examen pourrait
constituer u n bon point de départ.
Le m o t caste sert à désigner, en Inde, des groupes et catégories de nature
très diverse. D e u x distinctions présentent une importance particulière : il ne
faut pas confondre varna et jati, ni caste et sous-caste. L a différence entre

1. André BÉTEILLE, Caste, class and power..., op. cit.


2. M c K i m M A R R I O T T , « Caste ranking and foot transactions: A matrix analysis », dans : Milton
S I N G E R et Bernard S. C O H N (dir. publ.), Structure and change in Indian society, p. 133-171,
Chicago, 1969.
3. Ralf D A H R E N D O R F , Class and class conflict in an industrial society, Londres, 1959.

557
André Béteille

varna et jati est, en gros, celle qui sépare un modèle ou schéma conceptuel
d'une série réelle de groupes sociaux o u de catégories sociales. Il n'existe que
quatre varnas, qui se classent dans u n ordre bien défini, tandis que les jatis
sont multiples et leur classement à la fois plus ambigu et plus souple1. Il ne
faudrait pas considérer les jatis c o m m e résultant de la subdivision d'une
série primitive de quatre varnas. C o m m e l'a montré Karve, varna et
jati sont deux systèmes distincts (bien qu'apparentés) qui coexistent depuis
au moins deux mille ans2.
L a distinction entre caste et sous-caste est de nature différente. Il s'agit
dans les deux cas de divisions sociales réelles, mais la première catégorie est
plus large que la seconde. Si nous considérons par exemple la caste des potiers,
ou celle des menuisiers, nous constatons que dans une m ê m e région il y a
deux o u trois espèces distinctes de potiers et de menuisiers, différenciées par
la technique qu'ils emploient, le lieu d'où ils sont venus, la secte dont ils font
partie, ou quelque autre facteur moins tangible. N o u s pourrions considérer
chacune de ces divisions c o m m e une sous-caste. Leur structure est analogue
à celle des groupes plus larges, et elles sont généralement endogames. Cer-
tains ethnologues, c o m m e Ghurye, soutiendraient que les différentes espèces
de potiers sont des sous-castes, résultant de la segmentation de la caste des
potiers3. Karve soutient, à l'inverse, que ces différentes espèces de potiers
ne présentent aucun lien entre elles, et que chacune doit être considérée c o m m e
une caste distincte, l'ensemble des potiers constituant u n groupe de castes*.
C e qui fait l'importance de son argumentation, dans le présent contexte,
est qu'elle s'appuie sur des données anthropométriques6.
Il arrive que la différenciation s'opère à plus de deux niveaux. C'est
ainsi qu'il existe trois catégories principales de brahmanes tamouls : a) les
prêtres des temples; b) les prêtres attachés à des familles non brahmanes;
c) les érudits et les propriétaires fonciers. Cette troisième catégorie se subdivise
elle-même en Smartha et en Shri Vaishnava. Parmi les brahmanes Smartha,
on distingue les V a d a m a , les Brihachanaram, les Astasahashram et les Vattima.
Les V a d a m a , enfin, se répartissent en Vadadesha et en Chozhadesha V a d a m a 6 .
Devant ce genre de différenciation, il convient de considérer le système des
castes c o m m e segmentaire ou structurel' ; car si chaque segment est endogame,
la distance sociale qui les sépare est variable. Entre V a d a m a et Brihachanaram,
par exemple, la distance sociale est inférieure à celle qui sépare les V a d a m a
des Shri Vaishnava, celle-ci étant elle-même inférieure à celle qui sépare tous
les brahmanes de tous les non-brahmanes, à quelque segment qu'appartiennent
les uns et les autres. Cette façon d'envisager le système nous conduit à nous

1. M . N . SRINIVAS, « Varna and caste », dans: M . N . SRINIVAS, Caste in modem India and other
essays, p. 63-69, Bombay, 1962.
2. Iriwati K A R V E , op. cit.
3. G . S. G H U R Y E , Caste and race in India, Londres, 1932.
4. Iriwati K A R V E , op. cit.
5. Iriwati K A R V E et K . C . M A L H O T R A , « A biological comparison of eight endogamous groups
of the same rank », Current anthropology, vol. 9, 1968, op. 109-116.
6. André BÉTEILLE, Caste, class and power..., op. cit.
7. Ibid.

558
Race, caste et identité ethnique

demander s'il existe u n lien quelconque entre distance sociale et distance


raciale.
Les ethnologues qui ont étudié le système des castes d u point de vue
biologique admettent pour la plupart qu'il existe certaines différences phy-
siques entre les castes. Mais ils sont loin d'être d'accord sur la signification
qu'il convient d'attacher à ces différences. D a n s l'ensemble, ceux d'autrefois
avaient tendance à souligner les différences de type physique qu'ils observaient
entre les castes; ceux d'aujourd'hui sont plus enclins à insister sur le fait que
les castes sont en général plus o u moins hétérogènes quant à leur composition
physique, et que les variations sont parfois plus grandes à l'intérieur d'une
m ê m e caste qu'elles ne le sont entre les castes.
Il ne suffit pas de savoir que les castes diffèrent les unes des autres dans
leur composition biologique. N o u s aimerions savoir en outre si la mesure
dans laquelle elles diffèrent les unes des autres à cet égard est liée à la distance
sociale qui les sépare. Il se peut que des castes socialement très proches l'une
de l'autre diffèrent considérablement dans leur composition biologique, et
qu'inversement des castes situées aux deux extrémités de l'échelle sociale ne
diffèrent, d u point de vue biologique, que dans une très faible mesure. Pour
pouvoir répondre de manière satisfaisante à ce genre de question, il nous
faudrait une grosse masse de données recueillies au m o y e n d'enquêtes m é t h o -
diques. L a documentation expérimentale dont nous disposons actuellement
est très maigre, et les conclusions qu'on en pourrait tirer ne sont pas toujours
concordantes.
Le premier effort sérieux et méthodique pour étudier les différences phy-
siques o u raciales entre les castes a été tenté vers la fin d u siècle dernier par
sir Herbert Risley1, Risley ne croyait pas seulement à l'existence de telles
différences, mais soutenait qu'elles étaient liées de façon systématique à des
différences de rang social entre les castes :

« Si nous prenons une série de castes au Bengale, au Bihar, dans les Provinces-Unies
d'Agra et de l'Aoudh, ou dans l'État de Madras, et si nous les rangeons par ordre
d'indice nasal moyen, en commençant par la caste dont les membres ont le nez le
plus fin et en terminant par celle dont les membres ont le nez le plus épais, nous
constatons que ce classement correspond, en gros, à l'ordre admis de préséance
sociale2. »

Risley était également frappé d u fait que les membres des castes supérieures
avaient en général la peau plus claire que ceux des castes inférieures, et il a
relevé u n certain nombre de proverbes locaux qui font allusion à ces diffé-
rences de pigmentation.
Selon la théorie complexe qu'il a imaginée pour expliquer la hiérarchi-
sation sociale des castes, le système des castes résulterait de la rencontre de
deux groupes raciaux distincts, l'un à la peau claire et au nez fin (groupe
aryen), l'autre à la peau sombre et au nez épais (groupe n o n aryen). D'après

1. H . H . RISLEY, The people of India, Calcutta, 1908.


2. Ibid., p. 29.

559
André Béteille

cette m ê m e théorie, les Aryens auraient constitué le groupe dominant et


auraient en outre adopté la pratique de l'hypergamie. Cette pratique aurait
produit une série de groupes intermédiaires dont le rang social variait en fonc-
tion de la proportion de sang aryen qu'ils avaient dans les veines. Risley
a invoqué à l'appui de sa thèse certaines données anthropométriques; mais
ses conclusions devaient être ultérieurement contestées par d'autres ethno-
logues qui s'en sont pris aussi bien à ses données qu'à ses méthodes 1 .
Ghurye a critiqué les travaux de Risley sans toutefois repousser entière-
ment sa thèse. Il a souligné l'importance des variations régionales, et relevé
qu'une caste classée en b o n rang dans une certaine région pouvait présenter
une ressemblance étroite avec une caste classée à u n rang inférieur dans une
région voisine. Il a fait remarquer que dans maintes parties d u pays, on ne
constate aucune relation d u genre de celle que Risley a cherché à mettre en
lumière.

« En dehors de l'Hindoustan, dans chacune des régions linguistiques, nous trouvons


une population mélangée, quant au type physique, suivant une gradation qui ne
correspond pas à l'échelle de préséance sociale des diverses castes2. »

Cependant, Ghurye a reconnu l'existence, dans la partie de l'Inde où l'on parle


hindi, d'une étroite correspondance entre la « hiérarchie physique » et la
« hiérarchie sociale ». D a n s cette région les brahmanes étaient des dolicho-
céphales au nez étroit, tandis que les très basses castes, c o m m e celle des
Chamar et des Pasi, se composaient de brachycéphales au nez large. Devant
de telles constatations, Ghurye était disposé à conclure que, dans cette région
au moins, « les restrictions d'ordre essentiellement endogamique mises au
mariage étaient donc d'origine raciale » 3 .
La plus vaste enquête qu'on ait jusqu'ici consacrée à cette question de
correspondance est l'étude anthropométrique faite conjointement au Bengale
par un ethnologue, D . N . Majumdar, et par u n statisticien, C . R . R a o 4 .
Les données ont été recueillies dans une région culturelle précise, le Bengale,
comprenant le Bengale-Occidental et le Pakistan-Oriental. L'enquête a porté
sur soixante-sept groupes : des musulmans, des chrétiens, quelques groupes
tribaux et u n grand nombre de castes hindoues. Dans chacun de ces groupes,
on a mesuré seize caractères anthropométriques de base et calculé d'après
ces mensurations u n certain nombre d'indices. Certaines données sérologiques
ont également été recueillies. L'analyse des données anthropométriques s'est
faite au m o y e n de tests rigoureux, d'une grande complexité.
Tout en faisant maintes réserves, M a j u m d a r a conclu à l'existence entre
les groupes de certaines similitudes anthropométriques correspondant à leur
proximité sociale. Les groupes tribaux et semi-tribaux avaient tendance selon

1. P. C . M A H A L A N O B I S , « A revision of Risley's anthropometric data », Samkhya, vol. I, 1933,


p. 76-105; G . S. G H U R Y E , op. cit.
2. G. S. G H U R Y E , op. cit., p. 111.
3. Ibid., p. 107.
4. D . N . M A J U M D A R et C . R . R A O , Race elements in Bengal, a quantitative study, Calcutta, 1960.

560
Race, caste et identité ethnique

lui à s'agglomérer à une extrémité de l'échelle anthropométrique, et les hautes


castes (brahmanes, baidya, kayastha, etc.) à l'extrémité opposée 1 . Ces résultats,
ajoutait Majumdar, confirmaient les observations qu'il avait faites dans deux
autres régions de l'Inde, le Goudjerate et l'Uttar Pradesh.

« Dans chacune des trois enquêtes, on a constaté une certaine corrélation entre l'ordre
de préséance sociale propre à tel État ou telle région et les constellations ethniques
fondées sur les données anthropométriques2. »

Il convient de souligner toutefois que les relations qui se dégagent de l'étude


de M a j u m d a r et Rao sont de nature beaucoup plus complexe que celles que
Risley croyait avoir établies.
Toutes les études plus récentes ne corroborent pas les conclusions de
M a j u m d a r . Karve et Malhotra ont publié les résultats d'une comparaison
entre huit sous-castes brahmanes d u Maharashtra, d'après des données
anthropométriques, somatoscopiques et sérologiques3. Ces données montrent
qu'il existe, entre certaines des sous-castes brahmanes, des différences notables.
E n confrontant leurs constatations avec celles d'autres chercheurs, Karve
et Malhotra arrivent à la conclusion qu'il n'y a pas forcément relation entre
distance sociale et distance physique.

« O n ne saurait donc tenir pour acquis que la distance qui sépare les castes brahmanes
étudiées est inférieure à celle qui sépare une caste brahmane d'une caste non brahmane ;
car certains brahmanes sont plus proches de certains membres d'autres castes qu'ils
ne le sont les uns des autres*. »

Il semble que plus on y regarde de près et plus on en vient à douter de l'exis-


tence d'un lien entre la caste et la race.
Le passage d'indicateurs morphologiques à des indicateurs génétiques
paraît confirmer l'opinion que le lien entre distance sociale et distance phy-
sique est ténu et incertain. C o m m e dernier exemple je citerai l'étude de Sanghvi
et Khanolkar sur la répartition de sept traits génétiques parmi six groupes
endogames de B o m b a y 5 . D e ces six groupes, quatre sont brahmanes; le cin-
quième est une caste d'un rang immédiatement inférieur à celui des brahmanes,
celle des Chandraseniya Kayashth Prabhu ( C P K ) ; la sixième est une caste
de cultivateurs, celle des Maratha ( M K ) , qui se situe à l'échelon m o y e n de la
hiérarchie. Sanghvi et Khanolkar font remarquer que ces six groupes ont
été dans le passé considérés par les ethnologues c o m m e relevant d u m ê m e
type physique.
E n fait, leur analyse a mis en lumière un réseau assez complexe de varia-
tions. Certains des groupes brahmanes sont très proches les uns des autres,

1. D . N . M A J U M D A R et C . R . R A O , op. cit., p. 102.


2. Ibid., p. 103.
3. Iriwati K A R V E et K . C . M A L H O T R A , op. cit.
4. Ibid., p. 115.
5. L . D . S A N G H V I et V . R . K H A N O L K A R , « Data relating to seven genetical characters in six
endogamous groups in B o m b a y » , Annals of eugenics, vol. 15, 1950-1951, p. 52-76.

561
André Béteille

et l'un d'eux ressemble beaucoup, par sa composition génétique, au groupe


des Maratha (qui ne sont pas brahmanes). Les brahmanes Koknasth ( K B ) ,
en revanche, se distinguent nettement des autres groupes, et c'est aussi le cas
des C P K . Ces deux derniers groupes diffèrent d'ailleurs notablement l'un
de l'autre.

« L'importance des différences entre les groupes K B et C P K à l'égard de chacun des


sept caractères génétiques considérés est à peu près la m ê m e qu'entre les Blancs et
les Noirs américains1. »

Bien que les C P K ne soient pas brahmanes, ils occupent une très haute posi-
tion dans la hiérarchie, et l'on peut les considérer c o m m e proches, quant au
rang social, des K B .
Cela nous conduit à examiner la signification sociale des différences
génotypiques (par opposition aux différences phénotypiques). Certains ethno-
logues du passé, c o m m e Risley, ont essayé d'établir une relation entre le rang
social d'une caste et l'apparence physique de ses membres. Ils y ont été encou-
ragés par le fait que beaucoup d'Indiens croyaient à l'existence d'une telle
relation2. Tout le m o n d e pense que les castes supérieures ont le teint clair et
le nez fin, tandis que les castes inférieures ont le teint foncé et le nez large.
Mais il semble bien aujourd'hui que deux castes socialement voisines, dont
les membres se ressemblent beaucoup physiquement, peuvent néanmoins
être très différentes l'une de l'autre quant à leur composition génétique.
Des différences génétiques n'ont de chances de revêtir une signification
sociale que si leur existence est généralement connue ou si elles se traduisent
par des différences manifestes de type physique. Ainsi que je l'ai déjà dit,
il existe en mainte partie de l'Inde des différences d'aspect considérables entre
des castes qui se situent respectivement aux deux extrémités de la hiérarchie,
et les croyances et stéréotypes auxquels ces différences ont donné naissance
et qui persistent malgré toutes les preuves contraires jouent également u n
grand rôle. D e s croyances qui sont en fait erronées ou incompatibles peuvent
néanmoins revêtir parfois une importance capitale sur le plan des rapports
sociaux. C o m m e l'a dit Passin :

« Lorsqu'on étudie la relation entre caste et race, il ne suffit pas de savoir si les
groupes considérés sont en fait racialement distincts. L'important est plutôt que
l'on semble enclin à fonder des distinctions raciales sur les plus marginaux des
indices que présentent les castes et groupes analogues3. »

Cela est particulièrement vrai dans le cas de l'Inde, où certaines langues


n'ont qu'un seul et m ê m e m o t pour désigner la caste et la race4.

1. L. D . SANGHVI et V. R. K H A N O L K A R , op. cit., p. 62.


2. André BÉTEILLE, « Race and descent as social categories in India », Daedalus, vol. 96, 1967,
p. 444-463.
3. Intervention dans un débat dont rendent compte Anthony de R E U C K et Julie K N I G H T (dir.
publ.), op. cit., p. 110-111.
4. André BÉTEILLE, « Race and descent as social categories in India », op. cit.

562
Race, caste et identité ethnique

Ce qui importe dans la vie sociale, c'est le sentiment de solidarité que les
gens éprouvent d u fait qu'ils appartiennent à une m ê m e c o m m u n a u t é et
(inversement) la distance que sentent entre eux les membres de communautés
différentes. L e sentiment de c o m m u n a u t é repose souvent sur l'impression
d'avoir une origine c o m m u n e . Cette impression peut rester vague, o u au
contraire revêtir la forme consciente d'une idéologie. Elle se trouvera renforcée
si la c o m m u n a u t é se distingue par des caractères physiques particuliers, mais
cela n'est pas indispensable : le sentiment de c o m m u n a u t é est parfois très
vif malgré l'absence d'indicateurs physiques manifestes, ce qui nous conduit
à examiner la question des groupes ethniques et de leur identité.
L'emploi systématique de la notion d'ethnicité est d'origine relativement
récente en sociologie et en ethnosociologie, bien que la présence de groupes
ethniques aux États-Unis ait depuis longtemps retenu l'attention.

« O n entend par groupe ethnique une population distincte vivant au sein d'une société
plus large dont la culture est différente de la sienne. Les membres d'un tel groupe
sont, ou se sentent, ou passent pour être, unis entre eux par des liens de nature raciale,
nationale ou culturelle1. »

Les groupes ethniques peuvent, on le voit, se définir en fonction de plusieurs


critères.
A u x États-Unis, l'expression « groupe ethnique » a d'abord désigné
des immigrants des différentes parties d u m o n d e , par exemple les Irlandais,
les Italiens o u les Polonais qui sont venus par vagues successives se fixer
dans le pays. Ces groupes ne se distinguaient pas tous par des particularités
physiques visibles. A l'origine il existait entre eux des différences considérables
de langue, de culture et de religion. Mais, à la deuxième et à la troisième
génération, certaines de ces différences ont c o m m e n c é à s'estomper, donnant
l'impression qu'une population culturellement homogène sortirait finalement
du creuset de la société américaine. Mais, malgré une grande mobilité sociale,
tant verticale qu'horizontale, et malgré la fréquence des mariages intergroupes,
les identités ethniques se sont révélées, aux États-Unis, remarquablement
persistantes2.
La présence de groupes ethniques n'est évidemment pas particulière à
la civilisation américaine. Il en existe dans toutes les sociétés o ù les différences
culturelles revêtent une signification particulière et suscitent u n m o d e parti-
culier d'organisation. L a différenciation ethnique est u n caractère manifeste
des sociétés dites plurales d u sud et d u sud-est de l'Asie3. Cette différen-
ciation est parfois liée à la présence de groupes nombreux — celui des Chinois
et des Indiens établis en Malaisie, par exemple — qui diffèrent nettement
les uns des autres par leur langue, leur religion et leur provenance respectives.

1. H . S. M O R R I S , « Ethnie groups », dans: David L. SILLS (dir. publ.), International encyclopedia


of the social sciences, vol. 5, 1968, p. 167.
2. Nathan G L A Z E R et Daniel Patrick M O Y N I H A N , Beyond the melting pot: The Negroes, Puerto
Means, Jews, Italians, and Irish of New York City, Cambridge (Mass.), 1963.
3. J. S. F U R N I V A L L , Colonial policy and practice, a comparative study of Burma and Netherlands
India, N e w York, 1956.

563
André Béteille

La coexistence de ces groupes disparates est de nature à susciter des tensions


et des conflits qui peuvent, dans les cas extrêmes, menacer l'intégrité d u cadre
politique lui-même.
M ê m e les groupes ethniques qui ne sont pas visiblement différents de
leur contexte social ni organisés politiquement peuvent préserver leur identité
ethnique. D a n s une récente série d'études, Barth et ses collègues ont montré
de façon convaincante que l'identité ethnique n'a besoin, pour subsister,
d'aucun ensemble particulier de traits culturels :

« E importe de reconnaître que, bien que les catégories ethniques tiennent compte
des différences culturelles, on ne saurait tenir pour acquise l'existence d'une relation
simple et univoque entre unités ethniques d'une part, ressemblances et différences
culturelles de l'autre1. »

Eidheim décrit de façon pittoresque le maintien d'une frontière ethnique


entre Lapons et Norvégiens m ê m e lorsqu'il n'existe entre eux aucune diffé-
rence physique ou culturelle bien marquée 2 .
Les groupes ethniques sont généralement endogames, et de ce fait ils
ont tendance à perpétuer leur identité biologique3. M ê m e en l'absence de
toutes distinctions diacritiques, l'endogamie pourrait évidemment préserver
l'intégrité des frontières ethniques. Lorsque tous les mariages ne se font pas
entre membres d u groupe, les frontières ethniques peuvent néanmoins subsister
si les mariages mixtes obéissent à la règle d'hypergamie ; la pratique de l'hyper-
gamie joue u n rôle important dans le maintien des frontières ethniques entre
certaines populations montagnardes d u Rajpoutana 4 . Loin d'effacer les
frontières ethniques, les mariages mixtes peuvent, dans certaines conditions,
avoir pour effet de les accuser davantage.
L a notion de groupe ethnique est donc un peu plus large que celle de
race. Les différences ethniques peuvent se fonder en partie au moins sur la
race; c'est le cas des Malais, des Chinois et des Indiens qui cohabitent en
Malaisie; c'est aussi celui des Noirs, des Indiens et des Blancs de la région
des Caraïbes. Mais elles peuvent également se rencontrer dans une société
qui est, d u point de vue racial, plus o u moins homogène, par exemple parmi
les Pathans d u Pakistan-Oriental et de l'Afghanistan, ou dans certaines
populations multitribales d'Afrique orientale.
Quant au système des castes, o n peut le considérer c o m m e u n genre
particulier de différenciation ethnique. Qu'il y ait o u n o n des différences
raciales entre les castes, celles-ci se distinguent souvent les unes des autres
par leur culture, leur costume, leur régime alimentaire et leurs rites. M ê m e
lorsque ces distinctions sont faibles o u inexistantes, les principes d'endogamie

1. Fredrik B A R T H , « Introduction », dans : Fredrik B A R T H (dir. publ.), Ethnic groups andboimda-


ríes, the social organization of culture difference, p. 14, Londres, 1969.
2. Harald E I D H E I M , « W h e n ethnic identity is a social stigma », dans : Fredrik B A R T H (dir.
publ.), op. cit., p. 39-57.
3. Fredrik B A R T H , op. cit., p. 10.
4. Je suis redevable de cette indication à Jonathan 'P. Parry, qui a consacré une étude
approfondie aux montagnards rajpoutes du district de Kangra.

564
Race, caste et identité ethnique

et d'hypergamie maintiennent les frontières entre castes. Cependant, m ê m e


si nous considérons la caste c o m m e u n système de groupes ethniques, c'est u n
système dans lequel les divers groupes sont tous intégrés à une certaine
hiérarchie. Les groupes ethniques ne sont pas forcément rangés par ordre
hiérarchique, ni toujours intégrés à u n système unitaire.
N o u s constatons une étroite ressemblance entre les castes de l'Inde et
les groupes ethniques des États-Unis lorsque nous examinons le rôle que les
unes et les autres jouent dans la vie politique1. A u x États-Unis, on fait souvent
appel aux solidarités ethniques pour obtenir certains appuis politiques, et
les stratégies électorales doivent tenir compte des rivalités ethniques2. E n
Inde, les castes interviennent de multiples façons dans la vie politique3. N o n
contentes d'agir à la manière de groupes de pression, les associations de
castes se sont, dans une région au moins, transformées en partis politiques4.
Lorsque des partis rivaux s'appuient sur des castes hostiles les unes aux
autres, leur rivalité s'en trouve avivée6. Cependant, en Inde c o m m e aux
États-Unis, la relation entre caste o u identité ethnique d'une part, vie
politique de l'autre, est complexe et ambiguë. L a vie politique fait apparaître,
non seulement les clivages entre ces groupes, mais aussi les possibilités de
coalition entre eux.
Les harijans fournissent un exemple particulier de solidarité fondée
sur la caste o u l'identité ethnique. Dans le passé leur intouchabilité, par crainte
de souillure, les tenait à l'écart de nombreux secteurs de la vie sociale. Léga-
lement, l'intouchabilité a été abolie; mais les harijans conservent beaucoup
de leur opprobre traditionnelle et restent socialement et économiquement
défavorisés. Cependant, la possibilité leur est maintenant donnée de s'organiser
politiquement6. Si cela leur a permis d'obtenir certains avantages, cela les
a aussi confrontés avec les castes supérieures, dont les membres ne sont pas
toujours disposés à les traiter en égaux. L a situation des harijans dans l'Inde
contemporaine, c o m m e celle des Noirs aux États-Unis, a ceci de paradoxal
que la réduction de la distance culturelle s'est accompagnée, n o n d'une
diminution, mais d'une aggravation des tensions et des conflits.
A u problème harijan s'ajoute pour l'Inde le problème adivasi, ou tribal.
Les harijans et les adivasis sont officiellement groupés dans la catégorie dite
des « classes arriérées », et la Constitution reconnaît leur identité distincte7.
Les populations tribales comprenaient, d'après le recensement de 1961,

1. Lloyd I. R U D O L P H et Susanne Hoeber R U D O L P H , The modernity of tradition, political deve-


lopment in India, Chicago, 1967; André BÉTEILLE, « Caste and politics in Tamilnad », dans :
André BÉTEILLE, Castes old and new, op. cit.
2. Nathan G L A Z E R et Daniel Patrick M O Y N I H A N , op. cit.
3. Rajni K O T H A R I (dir. publ.), Caste in Indian politics, N e w Delhi, 1970.
4. Lloyd I. R U D O L P H et Susanne Hoeber R U D O L P H , « The political role of India's caste asso-
ciations », Pacific affairs, vol. XXXIII, 1960, p. 5-22.
5. Selig S. H A R R I S O N , « Caste and the Andhra communists », American political science review,
vol. L , 1956.
6. O w e n M . L Y N C H , The politics of untouchability. N e w York, 1969.
7. André BÉTEILLE, « The future of the backward classes, the competing demands of status
and power », Perspectives, Supplement to the Indian journal of public administration, vol. X I ,
1965, p. 1-39.

565
André Béteille

quelque 30 millions de personnes, ce qui représentait plus de 6 % de la popu-


lation globale de l'Inde. Elles se divisent en u n grand nombre de tribus dis-
tinctes, qui diffèrent par la race, la langue et la culture. Elles sont concentrées
dans certaines régions du pays, généralement des régions écartées; mais o n
ne cherche pas à les cantonner dans des réserves.
Les populations tribales de l'Inde n'appartiennent pas toutes à u n
m ê m e type racial ou physique. Entre le type veddoïde, courant parmi certaines
tribus de l'Inde centrale et méridionale, et le type paléomongoloïde, que l'on
rencontre dans les régions montagneuses d u Nord-Est, les différences sont
peut-être plus marquées qu'entre les populations tribales et leurs voisins
non tribaux de n'importe quelle région particulière. Mais Fürer-Haimendorf
a fait remarquer à juste titre qu'il existe aussi des différences de la seconde
sorte1, et les conclusions q u ' o n peut tirer des données anthropométriques
de Majumdar paraissent aller dans le m ê m e sens2.
Après avoir attiré l'attention sur les différences de type physique entre
populations tribales et n o n tribales, Fürer-Haimendorf constate, c o m m e u n
fait « particulièrement remarquable, qu'en dépit de différences raciales aussi
fondamentales que dans certains pays où des problèmes de race se posent
avec acuité, il n'y ajamáis eu de tensions raciales en Inde » 3 . C e fait s'explique
en partie par l'extrême diversité des types physiques, qui a empêché la pola-
risation de la population sur des bases raciales. Cela ne signifie pas qu'il
n'y ait pas de différences, ni qu'elles ne soient pas socialement reconnues.
E n fait, il se pourrait que la solidarité tribale reçoive du régime démocratique
un regain de vigueur. Mais le conflit est transféré sur u n nouveau plan : a u
clivage entre populations tribales et n o n tribales se substituent diverses
distinctions ethniques qui ont des incidences politiques.
N o u s avons traité jusqu'ici de la différenciation ethnique de groupes
rangés suivant u n ordre hiérarchique; car bien qu'à strictement parler les
adivasis se situent en dehors du système des castes, on les considère presque par-
tout c o m m e inférieurs aux hindous des diverses castes. N o u s pouvons aborder
maintenant la question de la différenciation ethnique de groupes qui ne se
rangent pas hiérarchiquement, par exemple les groupes religieux ou linguis-
tiques. E n u n certain sens, c'est entre ces groupes-là que la société indienne
contemporaine présente les clivages les plus profonds. Q u a n d on parle de
1' « intégration nationale » de l'Inde, on pense surtout aux problèmes que
pose le maintien de l'unité entre les différentes communautés religieuses
et linguistiques. Bien que l'on puisse par analyse distinguer divers genres
d'identités ethniques — les unes hiérarchiques, les autres non hiérarchiques —
dans la réalité les différentes catégories ont souvent tendance à se confondre.
L'Inde est u n pays aux religions multiples. Les hindous jouissent d'une
majorité écrasante, puisqu'ils constituent quelque 80 % de la population

1. Christoph von F Ü R E R - H A I M E N D O R F , « The position of the tribal population in m o d e m


India », dans : Philip M A S O N (dir. publ.), India and Ceylon : unity and diversity, Londres,
1967, p. 182-222.
2. D . N . M A J U M D A R et C . R . R A O , op. cit.
3. F Ü R E R - H A I M E N D O R F , op. cit., p. 188.

566
Race, caste et identité ethnique

totale. Les musulmans forment une minorité assez importante, qui dépasse
légèrement 10 % de la population. D'autres groupes sont numériquement
importants dans certaines régions particulières, tels les sikhs au Pendjab
et les chrétiens au Kerala. Mais si l'on considère l'ensemble du pays, le clivage
le plus significatif est celui qui sépare les hindous des musulmans. S'il se
pose dans le pays un problème « communautaire », le prototype en est fourni
par les relations entre ces deux communautés 1 .
Les hindous et les musulmans de l'Inde n'appartiennent pas à des races
distinctes. E n fait, ils sont les uns et les autres très mêlés du point de vue racial.
Cela n'a rien d'étonnant, attendu que les musulmans indiens sont pour la
plupart les descendants d'hindous convertis. Selon Spear, il y a eu deux
principales sortes de conversions : des conversions par clans ou par groupes,
par suite desquelles des castes c o m m e celle des rajpoutes, des jats et des
goujars du nord de l'Inde comprennent à la fois des hindous et des musulmans,
et les conversions massives par lesquelles des hindous de basse caste, notam-
ment au Bengale, ont embrassé l'islamisme2. C e dernier point est corroboré
par les données anthropométriques de Majumdar, dont il a été question
ci-dessus; par leur apparence physique, les namasudras de basse caste sont
plus proches des musulmans que des hindous de haute caste3.
Des communautés hindoues et musulmanes coexistent depuis mille ans
en diverses parties de l'Inde. Les différences religieuses sont assorties de
nombreuses autres, qui ont trait au m o d e de vie. Ces différences n'ont pas
été les m ê m e s à toutes les époques, mais il y en a toujours eu, tantôt plus mar-
quées, tantôt atténuées. Il se peut qu'hindous et musulmans ne se soient
pas différenciés par le type physique; mais l'idéologie religieuse a fourni
à chacune des deux communautés l'occasion de préciser consciemment son
identité par opposition à l'autre. A u cours des siècles, les deux communautés
se sont fait réciproquement de nombreux emprunts, et depuis quelques décen-
nies elles sont l'une et l'autre exposées à des forces évolutives analogues.
Mais cela n'a pas effacé les frontières entre elles. E n fait, l'histoire récente
de l'Inde, en ce qui concerne les relations entre hindous et musulmans, semble
montrer que des groupes peuvent prendre une plus vive conscience de leurs
identités opposées au m o m e n t m ê m e où s'estompent entre eux les différences
d'ordre extérieur.
La population de l'Inde est également divisée du point de vue linguistique.
Mais les frontières linguistiques ne coïncident pas, en général, avec des cli-
vages religieux, de sorte que les deux facteurs de division ne s'additionnent
pas en Inde c o m m e ils le font souvent dans des pays c o m m e la Malaisie ou
Ceylan. Cela, joint à la multiplicité des groupes linguistiques aussi bien
que religieux, tend à prévenir la polarisation des conflits communautaires,
qui restent généralement diffus.
Le nombre des langues qu'on parle en Inde dépasse la douzaine; mais

1. Voir par exemple le n° 24 de Seminar, consacré au « communalisme ».


2. Percival SPEAR, « The position of the Muslims, before and after partition », dans : Philip
M A S O N (dir. publ.), op. cit., p. 33 et 34.
3. D . N . M A J U M D A R et C . R . R A O , op. cit., p. 102.

567
André Béteille

aucune d'elles n'est la langue maternelle de la majorité de la population.


Les utilisateurs des diverses langues ne sont pas dispersés au hasard sur
l'ensemble du territoire national : chaque langue a, pour ainsi dire, sa « patrie »,
de sorte que les différences linguistiques correspondent, dans une large
mesure, aux différences régionales. Les divers États qui forment l'Union
indienne constituent en fait des unités linguistiques. Cela signifie que l'identité
ethnique assurée par la langue a tout à la fois une base culturelle et une struc-
ture politique.
Les différences entre groupes linguistiques peuvent susciter deux sortes
de tensions. Il y a, à u n certain niveau, des conflits entre « États linguistiques »
au sujet de questions particulières, par exemple des questions de frontière
ou de répartition des eauxfluviales1.A u n autre niveau, le problème des mino-
rités linguistiques se pose dans presque tous les États, et il présente une
acuité particulière dans de grandes métropoles c o m m e B o m b a y o u Calcutta,
qui attirent des gens d'un peu partout. Les barrières ethniques fondées sur
les différences de langue sont d'une importance capitale d u fait qu'elles res-
treignent, au sens littéral, les possibilités de communication entre les gens.
Les différences de langue ont en réalité très peu à voir avec les différences
de race, bien que, dans u n cas notable, elles aient revêtu une forme raciale.
Les diverses langues de l'Inde appartiennent à deux grandes familles, celle
des langues indo-aryennes parlées dans le N o r d par les trois quarts environ de
la population, et celle des langues dravidiennes parlées dans les quatre États
d u Sud par le dernier quart de la population. Les gens d u Sud ont parfois,
surtout depuis l'indépendance, exprimé la crainte d'être dominés par ceux
du N o r d 2 , et cette crainte a suscité u n mouvement politique séparatiste dont
l'influence s'est toutefois limitée à u n seul État, le Tamilnad 3 . U n des arguments
invoqués par les chefs de ce mouvement était que les Indiens du Sud avaient
une identité distincte — à la fois raciale, linguistique et culturelle — et devaient
secouer la domination des Indiens aryens du Nord 4 . Le séparatisme tamoul a
maintenant perdu beaucoup de sa virulence, et l'on n'entend plus guère invoquer
l'argument racial; mais les barrières linguistiques conservent à d'autres
égards la m ê m e importance qu'autrefois.

L'examen des différences raciales nous a conduit à traiter de différences


d'un tout autre ordre qui revêtent parfois une expression raciale. Il ne faudrait
pas concevoir l'identité ethnique c o m m e définissant à jamais le caractère
d'un groupe par opposition à un autre. E n Inde, la m ê m e personne a un cer-
tain nombre d'identités distinctes — selon sa caste, sa religion, sa langue —
et l'une ou l'autre de ces identités pourrait l'emporter sur les autres, suivant
le contexte et la situation du m o m e n t . Il ne suffit pas de savoir qu'il existe
des frontières entre les groupes; encore faut-il examiner dans quelles circons-
tances les groupes ne tiennent pas compte de ces frontières, ou y attachent

1. Selig S. H A R R I S O N , India: The most dangerous decade, Bombay, 1960.


2. Voir par exemple le n° 23 de Seminar, consacré au Nord et au Sud.
3. Robert L. H A R D G R A V E , The Dravidian movement, Bombay, 1965.
4. André BÉTEILLE, « Race and descent as social categories in India », op. cit.

568
Race, caste et identité ethnique

au contraire une grande importance. Il se peut, par exemple, que dans u n


certain contexte les hindous de langue tamoul s'unissent contre la domination
aryenne, alors que dans u n autre contexte les Indiens d u N o r d et ceux d u
Sud seraient d'accord pour considérer les musulmans c o m m e des étrangers
parmi eux.
Bien que les différences ethniques aient des incidences sur les conflits
sociaux, il ne suffit pas de connaître les premières pour être en mesure de pré-
voir quelle forme prendront les seconds. Pour comprendre l'étendue et l'inten-
sité des conflits entre groupes ethniques, il nous faut tenir compte de divers
facteurs qui sont : la réalité objective des différences qui existent entre eux ;
la conscience que la société a de ces différences; la structuration politique
de cette conscience.
Les différences objectives sont elles-mêmes, nous l'avons vu, de nature
très diverse; en gros, elles peuvent se répartir en deux catégories, les unes
étant physiques et les autres culturelles. Les différences culturelles peuvent
elles-mêmes avoir une base religieuse, linguistique ou régionale. H n'y a pas
de relation directe entre l'étendue de ces différences et la mesure dans laquelle
les gens en sont conscients. Il se peut que des différences de couleur existent
au m ê m e degré dans deux sociétés, mais que les gens en aient vivement
conscience dans u n cas et, dans l'autre cas, n'y prêtent pas attention. Les
différences culturelles sont plus difficiles à mesurer que les différences phy-
siques, et il n'y a en tout cas aucun critère qui permette de comparer de manière
satisfaisante la conscience des différences religieuses (par exemple) avec celle
des différences linguistiques.
Il peut arriver que les gens soient très conscients des différences physiques
ou culturelles existant entre eux sans que la conscience qu'ils en ont revête
une forme politique. D a n s la société indienne traditionnelle il n'y avait pas
seulement des différences entre les castes; en plus, tout le m o n d e était conscient
de ces différences. Cependant, les castes n'étaient pas toujours organisées
en groupes mutuellement antagonistes. Elles n'ont c o m m e n c é à s'organiser
en associations qu'au m o m e n t o ù les gens ont c o m m e n c é à sentir que la cons-
cience de caste était appelée à s'estomper. L a tournure que prendront les
conflits politiques demeure imprévisible. Il n'existe aucune théorie générale
qui nous permette de définir exactement la relation entre les différences cultu-
relles et leur structuration en groupes mutuellement antagonistes.

[Traduit de l'anglais]

André Béteille, maître de conférences en sociologie


à l'Université de Delhi, est Vauteur de Caste, class and power,
changing patterns of stratification in a Tanjore village (1965)
et de Castes old a n n e w : essays in social structure
and social stratification (1970). Il a déjà rédigé un article
sur la stratification sociale dans l'Inde rurale pour cette
Revue, volume XXI, n° 2.

569
Gordon Bowker Interaction, conflits et
tensions entre groupes
dans l'enseignement

Lorsque les êtres humains s'assemblent en groupes, leur comportement a


tendance à s'infléchir sous l'effet d'influences que leurs personnalités respec-
tives ne suffisent pas à expliquer et qui, en fait, ne semblent s'exercer que
lorsqu'il y a une interaction entre individus. L a coopération et la rivalité sont
deux sources de comportements collectifs de cette sorte. C'est dans des condi-
tions de concurrence pour l'obtention de biens en quantité limitée — loge-
ments, emplois et éducation par exemple — que les conflits entre groupes se
développent. Les préjugés et la discrimination sont des phénomènes sociaux
qui illustrent bien le type d'armes employé dans les luttes de ce genre.
Les sociologues reconnaissent plus volontiers aujourd'hui que tous les
aspects d u comportement humain ne puissent s'expliquer par des considéra-
tions sociologiques ou des phénomènes de groupe; ils admettent que les réac-
tions de l'individu aux influences qui s'exercent au sein de la collectivité
dépendent en partie de sa personnalité, de m ê m e que cette dernière est fonction,
dans une certaine mesure, des influences en question et de la réalité sociale.
Cependant, c o m m e nous nous intéressons ici à l'interaction et aux conflits
entre groupes, nous nous attacherons principalement à l'aspect sociologique
de la question.
Lorsqu'il existe des différences entre les membres d'une société ou que la
mise en présence de deux groupes jusque-là séparés conduit à une interaction
durable, u n groupe peut devenir dominant. D a alors tendance à accaparer
les positions qui confèrent richesse, prestige et puissance dans l'ensemble de
la collectivité. D'après Philip M a s o n , il y aurait dans les sociétés humaines
quatre grandes sortes de rapports de domination : la prédominance, le pater-
nalisme, la concurrence et u n système plus fluide qu'il désigne du n o m de
symbiose1. C e qu'il appelle la prédominance s'observe principalement dans
les sociétés rigidement stratifiées où il faut absolument être issu du groupe
dominant pour pouvoir accéder au s o m m e t de l'échelle sociale. L'ascension
sociale — ou la régression — est donc étroitement limitée. L'inégalité se justifie
par la croyance à l'irrémédiable infériorité d u groupe subordonné et à la

1. Philip M A S O N , Patterns of dominance, Londres, Oxford University Press, 1970.

570
Rev. int. Se. soc, vol. X X m (1971), n« 4
Interaction, conflits et tensions dans l'enseignement

supériorité innée du groupe dominant. L e cas échéant, celui-ci légalise la


discrimination afin de mieux préserver les privilèges dont il a l'exclusivité.
Lorsque l'enseignement existe dans des sociétés de ce genre, son accès est
souvent réservé aux membres des classes dominantes. L a féodalité en Europe,
le système indien des castes dans ce qu'il a de plus strict et l'apartheid en
Afrique du Sud sont autant d'exemples de structures de cet ordre.
L a deuxième forme de domination est ce que M a s o n appelle le pater-
nalisme. D a n s ce cas, explique-t-il, certains membres des groupes subordonnés
peuvent se hausser finalement au niveau culturel d u groupe dominant, à con-
dition d'avoir acquis une instruction et une expérience suffisantes. Selon lui,
l'Afrique à l'époque de l'empire colonial britannique aurait connu u n système
de ce genre. C'est aussi celui de certaines sociétés parvenues au stade du
postalphabétisme et aux débuts de l'industrialisation, o ù les membres des
classes dominantes connaissent les besoins en main-d'œuvre qualifiée et o ù il
faut justifier une expansion limitée de l'enseignement au profit des masses.
Toutefois, on se borne alors généralement à inculquer aux élèves de cette
catégorie certaines connaissances professionnelles simples et à développer
en eux des sentiments de déférence à l'égard des supérieurs. L'éducation pouvant
permettre la promotion sociale, ceux qu'on autorise à poursuivre leurs études
au-delà de l'enseignement primaire sont soigneusement triés, en fonction non
seulement de leurs aptitudes mais aussi de certains traits d u caractère et du
comportement approuvés par l'élite. L a discrimination fait partie intégrante
du système et se justifie par l'argument selon lequel l'intelligence est presque
toujours l'apanage d u groupe dominant. D e s structures de ce genre ont fait
leur apparition au R o y a u m e - U n i pendant la deuxième moitié du xixe siècle.
Elles n'ont pas encore complètement disparu1.
A mesure qu'une société progresse sur la voie de l'industrialisation, les
besoins croissants en personnel familiarisé avec la technique et la gestion
suscitent des pressions économiques tendant à élargir et à transformer l'ensei-
gnement. D e plus en plus, o n attend de l'école qu'elle révèle les sujets doués
— quelle que soit leur origine sociale — et qu'elle mette leurs aptitudes en
valeur; l'égalité des chances en matière d'éducation cesse d'être seulement
une revendication morale des égalitaristes pour devenir aussi une exigence
économique des industriels. L'idée que l'intelligence est mieux répartie au
sein de la population qu'on ne l'avait cru jusque-là gagne d u terrain. O n admet
que la sélection est source de gaspillage quand elle intervient trop tôt ; o n la
retarde et parfois m ê m e elle revêt des formes nouvelles. Cette transformation
et cette expansion de l'enseignement facilitent l'ascension sociale (il y aura,
après tout, davantage d'emplois de niveau m o y e n à mesure que l'industria-
lisation progressera), et la société a tendance à se différencier. E n fait, la
condition sociale dépend plutôt des compétences acquises que des privilèges
héréditaires. Lorsque cette situation s'accompagne — c o m m e au R o y a u m e -

1. Voir par exemple, par C . B . C o x et A . E . D Y S O N (dir. publ.) : Fight for education, Londres,
The Critical Quarterly Society, 1969; et Black paper two, Londres, T h e Critical Quarterly
Society, 1970.

571
Gordon Bowker

Uni, aux États-Unis et dans beaucoup de sociétés d'Europe occidentale —


d'une diversité culturelle, le système de relations correspond à ce que M a s o n
désigne du n o m de concurrence.
Il va de soi que la domination, le paternalisme o u la concurrence ne
régnent pas toujours à l'état pur dans une société. C'est ainsi qu'en Angleterre,
au début du xrx e siècle, les classes moyennes ont conquis u n certain pouvoir
politique lorsqu'on leur a accordé le droit de vote, réservé jusque-là à l'aris-
tocratie. L a propriété de nouvelles entreprises industrielles a permis à ces
classes de constituer des fortunes nouvelles, sources de prestige social. L a
rivalité s'est ainsi avivée entre la classe moyenne et l'aristocratie, mais toutes
deux ont conservé, vis-à-vis de la classe ouvrière, des attitudes nettement
dominatrices, avec, cependant, une sensible évolution dans le sens d u pater-
nalisme à la fin d u siècle. E n Afrique du Sud, la concurrence règne entre les
Anglais et les Afrikaners, mais les Africains sont toujours exclus et dominés.
A u x États-Unis, le principe de l'égalité associé à une vive concurrence vaut
finalement pour toute la population blanche, mais les Noirs sont encore
assujettis à la domination des Blancs dans le Sud et désavantagés par le pater-
nalisme dans le Nord.
Dans les sociétés où les frontières entre les groupes s'estompent, c o m m e
au Brésil, les schémas de domination et de subordination sont moins évidents.
Ce sont des exemples de ce que M a s o n appelle la symbiose.
Bien que l'industrialisation entraîne u n certain assouplissement des struc-
tures sociales et fasse de l'école u n important m o y e n de mobilité sociale,
on aurait tort de penser qu'il existe u n lien simple et direct entre la croissance
économique et la transformation de l'enseignement1. Le progrès économique
ne met pas toujours l'éducation à la portée de tous les enfants doués. L'ampleur
et la nature des changements concernant l'enseignement dépendent aussi
d'autres facteurs sociaux : marché de l'emploi, idéologies et préjugés dominants,
par exemple.
Les idéologies sont particulièrement importantes dans les sociétés multi-
ethniques lorsque des groupes subordonnés acquièrent des aspirations élevées,
ou lorsque la migration est u n signe d'ambition. Les opinions concernant la
société et l'éducation s'inspirent de deux sortes d'idéologies : 1' « élitisme »
et 1' « égalitarisme » 2 .
La conception « élitiste » de l'éducation met l'accent sur l'excellence
intellectuelle et implique que, dans toute société, seule une minorité choisie
est capable d'acquérir l'instruction correspondante. Ouvrir les portes de
l'école à d'autres, n'ayant pas naturellement les capacités voulues, serait
abaisser le niveau des études. Les aptitudes intellectuelles sont largement,

1. J. F L O U D et A . H . H A L S E Y , « English secondary schools and the supply of labour », dans:


A. H . H A L S E Y , J. F L O U D et C . A . A N D E R S O N (dir. publ.), Education, economy and society,
p. 80-92, N e w York, The Free Press, 1961.
2. L. B R O O M et P. SELZNICK, Sociology, 4 e ed., chap. II, p. 342 et 343. New York, Harper and
Row, 1968.

572
Interaction, conflits et tensions dans l'enseignement

voire entièrement, fonction d u patrimoine génétique1. C e sont des idées de


ce genre que professent, par exemple, les partisans du maintien de la sélection
scolaire au R o y a u m e - U n i . D a n s le système qui a leur faveur, les enfants doivent
subir à onze ans des tests d'intelligence et de connaissance; s'ils réussissent,
ils sont dirigés vers les écoles secondaires classiques qui leur permettent
d'accéder à l'université. Sinon, ils sont orientés vers les écoles secondaires
modernes, dont les programmes font moins de place à la culture générale, et
terminent leurs études à quinze ans. Il a été établi que ce système désavantage
injustement les enfants très intelligents de milieux ouvriers, en grande partie
parce que le milieu culturel scolaire et les tests de sélection employés n'ont
aucun rapport avec la culture de ces élèves2. Les théories racistes sur l'intel-
ligence intrinsèquement limitée des Noirs d'Afrique et des États-Unis sont
également élitistes.
Les égalitaristes sont en faveur d ' u n système d'éducation plus ouvert.
Es sont hostiles à une sélection précoce et considèrent que l'aptitude à
apprendre dépend davantage du milieu que d u patrimoine génétique. Aussi
soulignent-ils la valeur des méthodes nouvelles destinées à compenser le
déficit naturel de l'âge préscolaire. Les partisans de l'enseignement polyvalent
au R o y a u m e - U n i et de la déségrégation scolaire aux États-Unis ont tendance
à justifier leurs opinions par des thèses égalitaristes.
Il semble donc, en règle générale, q u ' o n invoque des arguments élitistes
mettant en avant la difficulté d'apprendre et les aptitudes limitées des groupes
subordonnés dans des situations de domination et de paternalisme, afin
d'empêcher la majorité d'accéder aux positions sociales élevées accaparées
par le groupe dominant. E n revanche, les idéologies égalitaires auront plutôt
cours dans les sociétés o ù régnent la concurrence et la mobilité et ce que
M a s o n appelle la symbiose.
Il importe de noter cependant que, m ê m e lorsque le principe de l'égalité
des chances en matière d'éducation est officiellement admis dans une société,
rien ne garantit son application pratique. Ainsi, des formes n o n officielles
de ségrégation sociale peuvent se manifester, notamment dans les écoles de
quartier. Les établissements pour les Noirs des ghettos urbains des États-Unis3
et, au R o y a u m e - U n i , les écoles des zones industrielles à population mixte,
dont l'effectif est composé à raison de 90% par des enfants de couleur4,

1. A . R . JENSEN, « H o w far can w e boost, I.Q. and scholastic achievement? », Harvard educa-
tional review, vol. X X X I X , 1969, p. 1-123; C . B U R T , « The mental difference between chil-
dren », dans : C . B . Cox et A . E . D Y S O N , Black paper two, Londres, The Critical Quarterly
Society, 1970.
2. J. F L O U D , « The educational experience of the adult population », dans : D . V . G L A S S (dir.
publ.), Social mobility in Britain, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1954; 15 to IS (The
Crowther report), Londres, H M S O , 1960; Higher education (The Robbins report), Londres,
H M S O , 1963. J. S. C O L E M A N et al., Equality of educational opportunity, Washington, D . C . ,
U . S . Department of Health, Education and Welfare, U . S . Government Printing Office, 1966.
3. K . B . C L A R K E , Dark ghetto, chap. 6, Londres, Victor Gollancz, 1965.
4. N . H A W K E S , Immigrant pupils in British schools, Londres, Pall Mall, 1966. E . J. B . R O S E ,
Colour and citizenship, chap. 18 et 23, Londres, Oxford University Press, 1969. G . B O W K E R ,
Education of coloured immigrants, 2 e éd., Londres, Longmans, 1969.

573
Gordon Bowker

constituent des exemples flagrants d'une inégalité sociale dissimulée sous le


couvert de l'égalitarisme. Les enfants des familles défavorisées, maintenues
dans une situation d'infériorité économique, sont contraints de vivre dans les
zones urbaines les plus pauvres, généralement desservies par les écoles les plus
médiocres1.
Les conflits et les rivalités entre groupes tendent ainsi à transparaître dans
l'enseignement de façon assez manifeste. Et ce n'est pas tout. E n tant que
microcosme représentatif de la société dans son ensemble, l'école peut diffi-
cilement se préserver complètement des effets de conflits plus généraux. Ainsi,
une enquête faite en 1963 dans un grand établissement secondaire du quartier
de Paddington, à Londres, a révélé une forte hostilité des enfants anglais à
l'égard des élèves de couleur et des jeunes Chypriotes, mais une inimitié plus
grande encore de ces derniers envers leurs camarades de couleur. Voilà qui
donne une image assez exacte des tensions entre groupes dans ce quartier,
habité par une population mouvante et instable2. E n revanche, une enquête
menée en 1950 dans u n certain nombre d'écoles de Liverpool a permis de
constater une hostilité assez faible entre les élèves de couleur et les élèves blancs,
ce qui correspondait à une situation générale plus stable dans une zone depuis
longtemps multiraciale. D e façon surprenante, une étude réalisée dans u n
faubourg de Cape T o w n o ù les Blancs cohabitent depuis longtemps avec des
gens de couleur corrobore ces résultats3. C o m m e à Liverpool, les enfants ont
tendance à choisir leurs amis en fonction des caractéristiques sociales observées
— « respectable », « ni bien ni mal », « grossier » —plutôt que d'après l'apparte-
nance raciale. U n e fois de plus, ces critères de choix reflètent assez fidèle-
ment les attitudes de la communauté locale.
Des hostilités de ce genre entre groupes d'élèves de certaines écoles
britanniques multi-ethniques ont souvent été citées par des enseignants c o m m e
sources de tensions dans la classe4. Il est naturel que les conflits entre groupes
qui se répercutent à l'intérieur de l'école y affectent la qualité de la vie sociale
et de l'éducation. Et ces antagonismes ne sont sans doute pas limités aux
grandes classes. G o o d m a n aux États-Unis5 et Pushkin au R o y a u m e - U n i 6
ont constaté que les enfants sont sensibles aux différences raciales dès l'âge
de quatre ans. Plus tard, la puberté et la découverte de la sexualité peuvent
accroître cette sensibilité7. Les recherches menées aux États-Unis et au

1. Half our future (The Newson report), partie 3, Londres, H M S O , 1963; Children and their
primary schools CThe Plowden report), vol. 1, Londres, H M S O , 1967; K . B . C L A R K E , op.
cit., chap. 6.
2. T . K A W W A , « The sociometric studies of ethnie relations in London schools », Race,
vol. 10, n° 2, octobre 1968, p. 173-180.
3. S. G . S. W A T S O N et H . L A M F K T N , « Race and socio-economic status as factors in the
friendship choices of pupils in a racially heterogeneous South African school », Race, vol.
10, n» 2, p. 181-184.
4. The education of immigrants, Londres, H M S O , 1965 (Department of Education and Science
circular 7/65); G . B O W K E R , op. cit., chap. 7.
5. M . E . G O O D M A N , Race awareness in young children, N e w York, Collier Books, 1964.
6. I. P U S H K I N , « A n investigation into the development of prejudice in young children », thèse
de doctorat non publiée, Londres, Birkbeck College, 1966.
7. T . K A W W A , op. cit.

574
Interaction, conflits et tensions dans l'enseignement

R o y a u m e - U n i sur les préjugés chez les enfants ont révélé que leurs attitudes
sont étroitement liées à celles des parents. Les méthodes et le contenu d u
processus de socialisation des enfants par les parents semblent jouer u n rôle
particulièrement important1. Les enfants blancs élevés dans un esprit égali-
tariste sont moins hostiles à l'égard des Noirs que ceux à qui l'on a inculqué
l'idée de la supériorité d'une élite. L a tendance égalitariste est généralement
plus forte dans les classes moyennes et supérieures et dans des zones o ù la
proportion de Noirs est plus faible. Cependant, les études menées tant aux
États-Unis qu'au R o y a u m e - U n i donnent à penser que l'expression orale
du préjugé n'est pas nécessairement plus forte au bas de l'échelle sociale;
elle l'est nettement plus parmi les travailleurs qualifiés et dans la « classe
moyenne inférieure », où les aspirations sont plus ambitieuses et o ù l'on est
plus conscient de la concurrence que représentent les minorités immigrantes2.
Par conséquent, l'apparition et l'intensité des conflits de groupes à l'école sont
déterminées à la fois par l'emplacement de l'établissement, le type de peu-
plement et la structure de l'emploi dans la zone considérée, et les groupes
d'âge intéressés. Si la concurrence et les antagonismes s'apaisent avec le
temps — grâce à l'égalisation des conditions de logement et d'emploi par
exemple — les conflits de groupes à l'école semblent s'atténuer aussi.
Mais les établissements scolaires qui accueillent des élèves d'ethnies et
de cultures diverses subissent souvent le contrecoup de phénomènes plus
délicats et plus complexes que cette transposition des oppositions entre
groupes. Ainsi, il arrive que les préjugés concernant l'infériorité de groupes
subordonnés s'enracinent dans l'esprit d'enfants qui font partie de tels groupes.
O n a pu constater, par exemple, que certains élèves noirs d'écoles américaines
non ségrégationnistes se font d'eux-mêmes une image assez précise selon l'idée
stéréotypée que les Blancs ont des Noirs3. L a haine et le mépris de son propre
groupe racial, et de soi-même en tant que m e m b r e de ce groupe, peuvent
entraîner des difficultés d' « adaptation de la personnalité ». O n a pu constater
que ce phénomène se traduit chez les enfants noirs, par rapport aux enfants
blancs de catégories correspondantes : par une anxiété plus forte4; par une
image de soi plus négative et par davantage de passivité, de morosité et d'appré-
hension5; par des sentiments plus forts de frustration et d'hostilité dans

1. R . S C H A F F E R et A . S C H A F F E R , « Socialization and the development of attitudes towards


Negroes in Alabama », Phyton, vol. 27, n° 3, 1966, p. 274-285; M . E . G O O D M A N , op. cit.,
chap. 13.
2. E . J. B . R O S E , op. cit., chap. 28 ; F . B . SILBERSTEIN et M . W E E M A N , « Social mobility and
prejudice », American journal of sociology, novembre 1959, p. 258-264.
3. H . P R O S K A N S K Y et P. N E W T O N , « The nature and meaning of Negro self-identity », dans :
M . D E U T S C H , I. K A T Z et A . R . JENSEN (dir. publ.), Social class, race and psychological
development, N e w York, Holt, Rinehart and Winston, 1968.
4. D . S. P A L E R M O , « Racial comparisons and additional normative data on the children's
manifest anxiety scale », Child development, vol. 30, 1959, p. 53-57.
5. M . D E U T S C H , « Minority group and class status as related to social and personality rectors
in scholastic achievement », Society of Applied Anthropology, 1960. (Monographie n° 2.)

575
Gordon Bowker

l'adversité1; par une volonté de rejeter l'identité noire2, pouvant aboutir


dans certains cas à des troubles mentaux 3 . O n a également observé une
proportion relativement élevée de maladies mentales parmi les immigrants
antillais en Grande-Bretagne — peut-être aussi bien du fait du bouleversement
social résultant de la migration et de la réinstallation que d u fait des préjugés
raciaux*.
Les effets néfastes d'un état de subordination sur la volonté de réussir
ont également été fort bien mis en évidence aux États-Unis. Une étude a révélé
que les garçons noirs sont sensiblement moins ambitieux que les Juifs, les
protestants blancs, les Grecs et les Italiens, mais que les enfants noirs de la
classe moyenne ont des motivations plus fortes que les blancs de classe infé-
rieure5. Lorsque les enfants noirs ont des aspirations très ambitieuses, celles-ci
paraissent parfois chimériques par rapport aux possibilités qui s'offrent
véritablement à eux. Une étude faite au R o y a u m e - U n i a permis de constater
un phénomène analogue, mais il est apparu que lesfillesréussissent souvent
mieux que les garçons à obtenir l'emploi souhaité*. Cependant, on ne sait
pas encore exactement, au R o y a u m e - U n i , dans quelle mesure la conscience
accrue de la discrimination pratiquée par les employeurs de travailleurs n o n
manuels peut décourager les élèves à mesure qu'ils approchent de la fin de
leurs études.
Il est intéressant de noter que, contrairement aux enfants d'immigrants
antillais, les enfants africains de classe moyenne élevés au R o y a u m e - U n i
dans des familles anglaises n'ont pas mauvaise opinion des Noirs7. Sans
aucun doute, o n peut en conclure que les Africains libérés de la domination
coloniale paternaliste et ayant accédé à la classe moyenne — donc, à u n
niveau de revenu, à une condition et à une influence hors d'atteinte de la
plupart des Antillais8, m ê m e dans leur société d'origine — assument avec
assurance leur appartenance ethnique.
Les effets de l'image défavorable que les membres des minorités se font
d'eux-mêmes sont encore sensibles dans l'enseignement d'une autre façon.
Des chercheurs américains ont montré que les étudiants noirs considèrent

1. St. C . D R A K E , « The social and economic status of the Negro in the United States »,
Daedalus, vol. 94, 1965, p. 771-814.
2. Ibid; M . E . G O O D M A N , op. cit.; I. P U S H K I N , op. cit.
3. S. P A R K E R et R . J. K L E I N E R , Mental illness in the urban Negro community, N e w York, T h e
Free Press, 1965.
4. C . B A G L E Y , « Immigration, race and mental health : a review of some recent research »,
Race, vol. 9, n° 3, janvier 1968.
5. B . C . R O S E N , « Race, ethnicity and the achievement syndrome », American sociological
review, vol. 2, 1959, p. 47-60.
6. P. M . E . F I G U E R O A , « West Indian school-leavers in London. Prospects and prejudice »,
communication à la British Sociological Association, mars 1969.
7. A . M A R S H , « Awareness of racial differences in West African and British children », Race,
vol. 11, n° 3, Janvier 1970.
8. B. D A V I S O N , Black British, Londres, Oxford University Press, 1967. Davison montre comment
les immigrants antillais au Royaume-Uni occupent pour la plupart des emplois pour tra-
vailleurs non qualifiés et semi-qualifiés.
A . H . R I C H M O N D , Colour in Britain, p. 225 et 226, Londres, Penguin Books, 1961. Richmond
décrit le système antillais fondé à la fois sur la couleur, la classe et le rang social, qui rejette
au bas de l'échelle les Noirs au teint le plus foncé.

576
Interaction, conflits et tensions dans l'enseignement

souvent leurs camarades blancs d'intelligence égale c o m m e intellectuellement


supérieurs et choisissent des rôles subalternes dans les travaux d'équipe, ne
reconnaissant leur propre supériorité que s'ils y sont contraints1. Les auteurs
estiment que cette attitude initiale d'infériorité est due au sentiment d'une
menace sociale. Il semble raisonnable de supposer, dans ces conditions, qu'une
multiplication des contacts entre groupes peut conduire à une appréciation
plus juste des aptitudes et atténuer le sentiment d'insécurité qu'éprouvent les
membres de groupes subordonnés. Il va de soi que les attitudes des membres
du groupe dominant sont à cet égard d'une grande importance. Coleman
et ses collaborateurs ont étudié les résultats obtenus par les élèves d'un large
échantillon d'écoles urbaines et rurales des États-Unis. Ils ont constaté qu'en
général les Noirs réussissent d'autant mieux aux tests de connaissance que
l'établissement compte une plus grande proportion d'élèves blancs2. O n a
également observé au R o y a u m e - U n i que la valeur des résultats obtenus par
les immigrants de couleur, tant aux tests de connaissances qu'aux tests d'intel-
ligence, est fonction d u temps qu'ils ont passé au R o y a u m e - U n i et dans des
écoles anglaises3. Cette constatation confirme les conclusions de Klineberg
et d'autres chercheurs des États-Unis, qui ont observé que les Noirs originaires
du Sud réussissent aux tests d'autant mieux qu'ils sont depuis plus longtemps
établis dans les zones urbaines du Nord*. Cependant, les conditions qui régnent
à l'école, le brassage culturel qui s'y opère et l'ampleur des contacts entre
Noirs et Blancs jouent aussi u n grand rôle. Ainsi, Clarke souligne que l'amé-
lioration constatée par Klineberg ne s'observe pas dans les misérables écoles
des ghettos urbains5.
Les enfants et les familles qui quittent une communauté rurale socialement
statique pour la vie moderne et dynamique d'une ville industrielle se heurtent
à des diflicultés d'adaptation particulièrement complexes. Les immigrants
venus des Caraïbes et d'Asie au R o y a u m e - U n i , aussi bien que les Portoricains
et les Noirs du Sud qui s'installent dans le nord des États-Unis, doivent
d'abord passer d'un système social encore largement teinté de domination
et de paternalisme à un système qui est caractérisé, en théorie du moins, par
la libre concurrence. Les capacités professionnelles, et par conséquent l'instruc-
tion, requises pour survivre sont différentes, tout c o m m e les coutumes et les
usages sociaux. Les connaissances et les compétences acquises tout au long
de la vie sont en grande partie inutiles dans le nouveau cadre social. E n d'autres
termes, il faut apprendre à connaître et à pratiquer une culture nouvelle, parfois
hostile. Pour les Asiens et les Portoricains, cela peut exiger l'apprentissage

1. I. K A T Z , J. G O L D S T O N et L. BENJAMIN, « Behaviour and productivity in bi-racial work groups »,


Human relations, vol. 11, 1958, p. 123-141 ; I. K A T Z et L. BENJAMIN, « Effects of white autho-
ritarianism in bi-racial work groups », Journal of abnormal and social psychology, vol. 61,
1960, p. 448-456.
2. J. S. C O L E M A N et al., op. cit.
3. C . B A G L E Y , « The educational performance of immigrant children », Race, vol. 10, n° 1,
juillet 1968.
4. O . K L I N E B E R G , Characteristics of the American Negro, N e w York, Harper, 1944.
5. K . B . C L A R K E , op. cit.

577
G o r d o n Bowker

d'une langue nouvelle; pour les Antillais et les Noirs des États-Unis, le
réapprentissage de celle qu'ils parlent déjà1.
A u R o y a u m e - U n i , o n a constaté que les enfants des immigrants de couleur
sont d'autant mieux acceptés par leurs pairs autochtones que leur acculturation
est plus poussée. L'adoption du costume et des habitudes alimentaires des
Européens compte pour beaucoup, mais moins que l'apprentissage de la
langue2. Il n'y a pas, au R o y a u m e - U n i , de politique officielle d'acculturation
forcée des minorités3, mais certains enseignants seraient en faveur d'une
telle politique et s'efforceraient de l'imposer4. Mais tout ce qui empêche le
nouvel arrivant d'apprendre la langue et de se familiariser rapidement avec
les normes et les pratiques sociales en vigueur rend difficile la moindre inté-
gration sociale et économique. U n système de sélection élitiste à base de
tests correspondant à la culture des Blancs de classe moyenne et la quasi-
obligation pour les enfants de tous âges de s'inscrire à l'école d u quartier
constituent des obstacles de ce genre. D e telles méthodes risquent fort
d'entraîner une ségrégation de facto5. L e système de sélection tend à accentuer
les inégalités et à perpétuer les conflits tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de
l'école. L e principe qui exige l'inscription à l'école du quartier limite les
chances qu'ont les enfants des groupes subordonnés de s'évader de leur
ghetto résidentiel et scolaire. Autrement dit, ces deux catégories de mesures
limitent les contacts avec la culture dominante et servent en conséquence
à maintenir les formes de domination existantes. Il ne s'ensuit pas néces-
sairement que la dispersion des élèves soit une solution satisfaisante à long
terme, mais il faut certainement faire disparaître les ghettos misérables et donner
à tous de meilleures chances de s'élever dans la société et de lutter à armes
égales.
M ê m e lorsqu'un enseignement élitiste discriminatoire est remplacé par
un système théoriquement égalitaire et ouvert à tous, des inégalités peuvent
subsister dans certains établissements; elles tiennent tantôt à l'organisation
scolaire, tantôt aux idées élitistes de certains enseignants.
O n peut classer les écoles selon leur principal objectif — réussite aux
examens, épanouissement de la personnalité, discipline6 — selon le m o d e
de contrôle social principalement employé — châtiments physiques, récom-
penses et punitions, appel aux valeurs morales 7 — o u selon l'organisation

1. R . D . C H A P M A N , « Non-English-speaking children in Birmingham », Institute of Race Relations


newsletter, février 1966; G . B O W K E R , op. cit., p. 61-63.
2. T . K A W W A , op. cit.; M . R . FEELEY, « A n investigation of the social integration of coloured
immigrant children in selected secondary schools », Mémoire pour le diplôme de pédagogie,
University of Liverpool Institute of Education, 1965.
3. R . JENKINS (ministre de] l'intérieur britannique), allocution du 23 mai 1966, résumée dans :
Institute of Race Relations newsletter, juin 1966.
4. G . B O W K E R , op. cit., p. 78.
5. M . D E U T S C H , « Minority group and class status as related to social and personality factors
in scholastic achievement », Society of Applied Anthropology monograph, 1960 (2); M . T U M T N ,
« The process of integration », dans : G . J. K L O P F et I. A . LESTER (dir. publ.), Integrating
the urban school, p. 13-28, N e w York Teachers College, Columbia University Bureau of
Publications, 1963.
6. S. G O T G R O V E , The science of society, chap. 3, Londres, Allen and Unwin, 1967.
7. A . ETZIONI, Complex organizations, N e w York, Holt, Rinehart and Winston, 1961.

578
Interaction, conflits et tensions dans l'enseignement

sociale — classes homogènes ou non quant au niveau d'aptitude des élèves.


O n peut également les classer selon l'attitude à l'égard des groupes minoritaires.
Ainsi, au R o y a u m e - U n i , o n peut distinguer les écoles multi-ethniques en
intégrationnistes et séparatistes1. D a n s les écoles intégrationnistes, tous les
enfants sont traités de la m ê m e manière mais on leur demande aussi — sans
distinction d'origine ethnique ou culturelle — de se plier à la règle c o m m u n e .
D a n s les écoles séparatistes, o n admet les différences, soit qu'on les encourage
ou qu'on les tolère, soit qu'on les considère c o m m e la justification d u trai-
tement discriminatoire réservé aux enfants des minorités. Ces établissements
pratiquent volontiers une sélection continue fondée sur les résultats aux tests
d'aptitude, o ù les enfants d'immigrants récents sont presque à coup sûr
défavorisés en raison de leur connaissance insuffisante de la langue et de la
culture.
Il va de soi que des conflits peuvent se produire lorsque la politique scolaire
ne coïncide pas avec les aspirations des élèves et des parents. Ainsi, les i m m i -
grants antillais au R o y a u m e - U n i paraissent vouloir s'assimiler — c'est-à-dire
ne pas vouloir préserver une identité culturelle distincte de celle d u groupe
dominant. E n revanche, les Indiens, les Pakistanais et les Chypriotes paraissent
plus soucieux de préserver leur culture propre et ne se conforment aux normes
dominantes que dans la mesure nécessaire pour parvenir à u n modus vivendi2.
U n e école integrationniste ira à rencontre des aspirations des parents appar-
tenant à ces minorités. E n revanche, une école séparatiste risque de susciter
l'hostilité des Antillais. A u x États-Unis, la ségrégation scolaire est contraire
aux aspirations de nombreux parents noirs, et la déségrégation à ceux de
certains blancs d u groupe dominant.
Il est certain que les parents qui préfèrent le séparatisme culturel et qui insis-
tent pour que leurs enfants apprennent une langue et pratiquent une religion
différentes de celles d u groupe dominant peuvent involontairement retarder
l'acculturation de ces enfants et leur acceptation par les membres d u groupe
dominant. D'autre part, la politique scolaire peut exacerber o u au contraire
atténuer les conflits. L a réceptivité des enseignants aux aspirations des parents
et le degré de compréhension mutuelle qu'ils parviennent à faire régner à
l'école comptent pour beaucoup, à cet égard.
L a contribution de l'école à l'apaisement des conflits entre groupes
dépend dans une large mesure de son aptitude à rester en dehors des tensions
et des hostilités qui divisent la communauté. Le modèle de vie collective
qu'elle offre aux élèves et à leurs parents peut prédisposer à l'harmonie o u à
la dissension. Il va de soi que les attitudes et le comportement des enseignants
sont d'une grande importance. Ceux d'entre eux qui font preuve d'hostilité
envers les groupes minoritaires excusent et encouragent implicitement la
m ê m e attitude chez les autres.

1. G . B O W K E R , op. cit., chap. 8.


2. Report on racial discrimination, par. 5.2, p. 8, Londres, Political and economic planning,
1967; J. R E X et R . M O O R E , Race, community and conflict, Londres, Oxford University Press,
1967.

579
Gordon Bowker

Il peut arriver que l'hostilité o u le paternalisme soient voilés mais se


fassent sentir de façon subtile et complexe. Ainsi Rosenthal et Jacobson
ont montré que les résultats obtenus par les élèves tendent à dépendre de ce
qu'en attend le maître : bons si le maître attend beaucoup de l'élève, mauvais
s'il en attend peu 1 . Or, si certains maîtres se fondent uniquement dans leurs
prévisions sur les résultats des tests d'intelligence et de connaissances, d'autres
risquent d'être influencés par les stéréotypes admis concernant les groupes
minoritaires et majoritaire. Hargreaves, par exemple, a constaté dans une
école secondaire anglaise que souvent, pour les maîtres, les « mauvais » élèves
présentaient les caractéristiques de la classe ouvrière et les « bons » celles des
classes moyennes 2 . Les enseignants élitistes apprécieront les capacités intel-
lectuelles des élèves d'après l'hypothèse étroite d'une transmission héréditaire
des aptitudes. S'ils sont aussi autoritaristes au sens o ù l'entendent A d o r n o
et ses collaborateurs3, leurs prévisions concernant le comportement des élèves
et les conflits de groupes seront fondées sur des stéréotypes et, c o m m e l'ont
constaté Hargreaves ainsi que Rosenthal et Jacobson, elles peuvent se vérifier d u
fait m ê m e qu'ellesexistent. E n revanche, les maîtres égalitaires ont plutôt tendance
à minimiser les obstacles liés au milieu, ainsi que la valeur de tests comportant
un biais culturel. S'ils sont en m ê m e temps antiautoritaristes leurs prévisions
du comportement individuel et collectif seront vraisemblablement moins
stéréotypées. Ainsi, l'organisation scolaire et les attitudes des enseignants
ont tendance soit à renforcer soit à atténuer les conflits et la domination qui
se manifestent dans la société en général.
Après avoir examiné les obstacles à l'égalité des chances en matière
d'éducation et les sources possibles de conflits à l'école, voyons c o m m e n t celle-ci
peut intervenir pour résoudre les antagonismes entre groupes.
Certes, divers facteurs de rivalité et d'opposition — c o m m e le logement
et l'emploi — sont en dehors de l'action directe de l'école. Il serait utile que
les spécialistes de l'éducation étudient plus ouvertement et plus à fond dans
quelle mesure l'enseignant, qui combat les préjugés et les conflits c o m m e
contraires aux objectifs de l'éducation, devrait lutter aussi contre la dit cri-
mination en dehors de l'école. Mais, c'est dans le cadre de l'école que les
enseignants agissent le plus directement — davantage au R o y a u m e - U n i , o ù
les directeurs d'école ont u n pouvoir plus large qu'aux États-Unis, o ù les
conseils scolaires et les parents exercent u n contrôle plus strict.

1. R . R O S E N T H A L et L . J A C O B S O N , Pygmalion in the classroom, N e w York, Holt, Rinehart


and Winston, 1968.
2. D . H . H A R G R E A V E S , Social relations in a secondary school, Londres, Routledge and Kegan
Paul, 1967.
3. T . W . A D O R N O et al., The authoritarian personality, Londres, Harper and R o w , 1950. Adorno
et ses collègues, étudiant l'antisémitisme, ont essayé d'expliquer les préjugés par la person-
nalité autoritaire, fruit d'une éducation rigide et d'un manque d'affection. La personnalité
autoritaire, telle qu'ils l'ont décrite, est étroitement conservatrice, conventionnelle et ethno-
centrique, plie devant l'autorité, ne supporte pas l'ambiguïté, manifeste de l'hostilité à l'égard
de tout ce qui est science, introspection, intuition, création, imagination et empathie, et elle
est trop respectueuse des valeurs morales traditionnelles.

580
Interaction, conflits et tensions dans l'enseignement

U n premier pas dans la bonne voie devrait normalement consister à


s'assurer qu'aucun élément de la vie scolaire — organisation, discipline,
idées et préjugés des maîtres — ne renforce et ne suscite des conflits entre
groupes. L e personnel peut veiller à ce que l'école réponde suffisamment aux
aspirations des parents et des élèves. Il peut aussi éviter les subdivisions
inutiles dans l'organisation scolaire. U n e école organisée hiérarchiquement,
selon des rapports rigides de domination et de subordination, peut non seu-
lement encourager les conflits entre groupes ethniques, mais aussi manquer
de la souplesse voulue pour faire échec aux préjugés collectifs. O n a p u cons-
tater qu'il est plus aisé de changer certaines convictions enracinées par des
discussions de groupes que par l'exhortation directe1. D e s méthodes de ce
genre s'emploient plutôt dans les écoles non stratifiées qui visent à l'épanouis-
sement de la personnalité et o ù la discipline se fonde sur des normes morales,
c'est-à-dire dans les écoles dites « nouvelles » {progressive schools)2. Mais,
s'ils ont recourt à des méthodes d'instruction libérales, les attitudes et la
compétence des enseignants jouent u n rôle important. Aussi faut-il, dans une
société o ù existent des antagonismes latents, s'attacher à développer, par la
formation pédagogique, la réceptivité des enseignants aux aspirations collec-
tives. D faut leur faire mieux comprendre c o m m e n t ils risquent, par leur
comportement et leurs attitudes, de créer des situations de nature à renforcer
les antagonismes de groupes et de nuire à l'éducation de leurs élèves.
Sensibiliser les maîtres aux aspirations et aux difficultés des minorités
consiste, pour une bonne part, à leur faire mieux connaître la société o ù
vivent les m e m b r e s de ces groupes, les conditions de leur migration et les
formes de discrimination dont ils sont victimes. Il faut leur faire saisir les
difficultés particulières — linguistiques notamment — que les enfants de ces
minorités éprouvent à s'instruire et leur inculquer une certaine défiance à
l'égard des jugements stéréotypés fondés sur des tests d'intelligence standar-
disés. O n insistera particulièrement sur les conséquences probables d'une
méfiance injustifiée quant aux résultats à attendre de certains groupes ou
individus.
Le contenu de l'enseignement est manifestement aussi important que ses
méthodes. E n particulier dans les écoles pluri-ethniques où des conflits sont
toujours latents. Il y a lieu de penser que les antagonismes entre groupes
résultent d'une méconnaissance des autres peuples et de leur culture3. Les jeunes
enfants ne sont que trop prompts à assimiler des idées toutes faites. Il importe
donc, en ce qui concerne le contenu de l'enseignement : à) de bannir tout
matériel de nature à accréditer de telles idées; b) de recourir à une vaste g a m m e
de matériel comparatif soulignant la diversité et la richesse des autres cultures.

1. K . L E W I N , « Group discussion and social change », dans : T . M . N E W C O M B et E . L. H A R T L E Y


(dir. publ.), Readings in social psychology, N e w York, Holts, 1952; Field theory and social
psychology, Londres, Tavistock, 1952; N . R . P . M A I E R , Psychology in industrie, Londres,
Harrap, 1947.
2. Children and their primary schools (The Plowden report), vol. 1, Londres, H M S O , 1967.
3. A . H . R I C H M O N D , The colour problem, Londres, Penguin, 1955; K . LITTLE, Negroes in Britain,
Londres, Routledge and Kegan Paul, 1947.

581
G o r d o n Bowker

Le rapport présenté par M y e r Domnitz en 1964 sous le patronage de l'Unesco


contient une excellente étude des techniques et des programmes destinés à
combattre les préjugés et la discrimination1.
Il faut cependant souligner à nouveau que les difficultés d'ordre éducatif
résultant de conflits plus généraux sont rarement susceptibles d'une solution
scolaire. Ainsi, la lutte contre la discrimination en matière de logement et
d'emploi exige des mesures politiques. A u c u n m o y e n pédagogique et aucune
politique de l'éducation ne feront disparaître les ghettos de misère et d'igno-
rance, dont certaines écoles font elles-mêmes partie. Il faut que les pouvoirs
publics interviennent pour donner des chances égales aux minorités et réduire
les discriminations dans l'ensemble de la collectivité. Aussi le maître peut-il
se dire qu'il doit combattre les conflits qu'il observe en classe, non seulement
à l'intérieur de l'école mais aussi par une action sociale et politique extérieure.
Tout enseignant conscient des problèmes sociaux sait bien que l'école, dans
une société industrielle, est à la fois u n facteur de progrès et u n m o y e n d'élé-
vation sociale, mais que, dans les mains de tenants de l'élitisme, elle peut devenir
u n m o y e n pour la minorité dirigeante de maintenir sa domination en limitant
strictement les possibilités d'éducation offertes à la masse de la population.
Les enseignants, qui se consacrent avec dévouement et impartialité à leur
tâche et qui s'efforcent d'atténuer les conflits entre groupes et les préjugés
correspondants, ne consentiront jamais à devenir les rouages d'un mécanisme
de discrimination. C'est pourtant ce qui risque de leur arriver, aussi bien inten-
tionnés soient-ils — c o m m e on a p u le voir dans les pages qui précèdent.

[Traduit de l'anglais]

Gordon Bowker est maître de conférences au Goldsmith's


College de l'Université de Londres et professeur adjoint à
V Université de New Brunswick, Canada. Ses récentes publica-
tions sont : Education of coloured immigrants (1968) et
Freedom, reason or revolution (1970).

M . D O M N I T Z , Educational techniques for combating prejudice and discrimination and for


promoting better intergroup understanding, Paris, Unesco, 1964.

582
Max Gluckman Changement, conflit
et règlement :
dimensions nouvelles

Q u a n d j'étais étudiant, o n m ' a appris à distinguer entre YHomo sapiens


— l ' h o m m e moderne — et YHomo fossilis neandertalensis. C e dernier, qu'il
fût d'Europe, d'Asie ou d'Afrique, était considéré c o m m e beaucoup moins
intelligent que l'homme moderne, c o m m e l'aboutissement d'une voie sans
issue dans laquelle s'était fourvoyée l'évolution de la race humaine. O r , à
Noël l'an dernier, j'ai vu par hasard à la télévision une émission de la B B C
destinée aux jeunes. Le docteur John Napier expliquait que l ' h o m m e de
Neandertal avait été rebaptisé Homo sapiens neandertalensis et insistait sur le
fait que ce monsieur ne différait pas tellement, de par sa constitution physique
et ses facultés mentales, de notre ancêtre, devenu doublement sage sous le
n o m d'Homo sapiens sapiens.
L'affirmation selon laquelle l'homme de Neandertal était de la m ê m e
race que l ' h o m m e moderne m e paraît riche de symboles. E n nous faisant
voir sous cet angle nouveau les premiers hominiens utilisateurs d'outils des-
cendant de notre ancêtre primate relativement peu différencié et vivant il y a
des millions d'années, les spécialistes de l'anthropologie physique ont fait
disparaître u n élément de discrimination raciale marquée, qui semblait fer-
m e m e n t ancré dans notre histoire zoologique : l'homme de Neandertal, de
Broken Hill et d'ailleurs, à la démarche simiesque, au front fuyant et a u
cerveau réduit, est désormais considéré c o m m e un individu dans lequel YHomo
sapiens aurait p u voir un frère, une sœur, o u u n conjoint possible. Il marchait
droit, d'un pas ferme, il était intelligent et fabriquait des outils au moyen de
techniques complexes que lui avaient transmises ses prédécesseurs. Si ses
outils étaient plus rudimentaires et plus frustes qu'ils le devinrent par la
suite, ils l'étaient moins que ceux des époques antérieures, fabriqués, eh oui!
par YHomo sapiens sapiens. A force de confectionner des outils, on les perfec-
tionnera. L ' h o m m e enseignera à d'autres h o m m e s et il en est toujours ainsi
depuis le début de l'humanité.
Dans le m ê m e temps, toutefois, les h o m m e s se battaient; et bien que
nous ignorions pourquoi YHomo sapiens neandertalensis s'est éteint, sachant
qu'il était contemporain de YHomo sapiens sapiens, nous ne pouvons nous
empêcher de craindre que ce dernier n'ait quelque peu aidé son frère de N e a n -
dertal à disparaître de la face de la terre.

583
Rev. int. Sc. soc, vol. X X m (1971), n° 4
Max Gluckman

Le fait que les différences entre ces deux anciens types d'hommes semblent
aujourd'hui avoir été beaucoup moins accusées qu'on ne le pensait autrefois
renforce considérablement la thèse formulée de longue date sur la base de faits
précis par la plupart des biologistes, psychologues, spécialistes des sciences
sociales et historiens objectifs, selon laquelle les différences biogénétiques
entre les divers groupes d'Homo sapiens sapiens - à supposer qu'il en existe
d'autres que purement superficielles-sont négligeables comparées à l'influence
des contacts historiques, des conditions d'hygiène et de nutrition, de la situation
économique, de la culture et de l'instruction, etc. D'autres conférenciers au
cours de ce colloque ont traité ou traiteront des aspects techniques de ces
problèmes et des tentatives constamment renouvelées pour démontrer que les
écarts constatés dans la productivité technique des différents groupes humains,
leur performance dans les tests d'intelligence, etc., peuvent être attribuables
à leur constitution biogénétique. Je tiens personnellement pour certain que
les différences qu'on peut noter dans les réalisations et les activités des divers
groupes humains sont le produit de leur histoire et d'un certain nombre de
facteurs médicaux, sociaux et culturels. Jamais, au cours de ma carrière de
spécialiste de l'anthropologie sociale travaillant dans mon Afrique natale,
parmi mes frères africains de race et de culture différentes, qui m'accordent
le privilège de pénétrer dans leur mode de vie et de pensée, je n'ai eu l'impres-
sion qu'il existait entre eux et moi une barrière d'ordre intellectuel ou affectif,
et j'espère que la réciproque est vraie.
Ainsi, sur le plan de la constitution génétique, rien ne s'oppose à ce que
nous reconnaissions notre appartenance commune à la race humaine, à ce que
dans les langues bantoues on appelle oubountou et boutou, c'est-à-dire la qualité
d'être humain. Il existe d'ailleurs dans la tradition humaniste de notre civili-
sation, comme dans celle de beaucoup d'autres, qualifiées à tort de primitives,
un fort courant allant dans le même sens. A cet égard, nous pouvons accepter
le preambule de la Convention des Nations Unies intitulée Convention inter-
nationale sur I'dlimination de toutes les formes de discrimination raciale, qui
proclame que c'est dans la liberté et l'égalité morale et juridique de tous les
hommes que réside la dignité de la race humaine et qui rejette toute doctrine
de supériorité fondée sur la différenciation entre les races comme « scient&
quement fausse, moralement condamnable et socialement injuste et dange-
reuse... ». Cependant, malgré toutes les démonstrations de cette égalité virtuelle
de tous les hommes, les différencesexistant entre les divers groupes et catégories
de la race humaine continuent de donner naissance à de nouvelles interprétations
scientifiques ou pseudo-scientifiques attribuant ces différences en grande
partie à des facteurs biogénétiques et niant qu'elles résultent du milieu dans
lequel se développent les individus. Quelque changement qui intervienne par
ailleurs, une constante demeure : la réapparition, sous des formes nouvelles,
des théories traditionnelles des différences inhérentes aux races. C'est ainsi
qu'aux États-unis, une nouvelle école soutient que les écarts entre les résultats
obtenus par les différents groupes ethniques aux tests d'intelligence pourraient
être attribués en partie à des facteurs génétiques et qu'il faudrait donc, en toute
équité, assurer à ces groupes des formes différentes d'instruction scolaire.
Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles

'
Ce courant de pensée a déjà suscité aux États-unis de très vives réactions de
la part de toutes sortes de scientifiques comme aussi des pouvoirs publics.
Le problème, c'est que les différences culturelles mêmes qui font l'intérêt
' de la race humaine conduisent tout droit à ce genre de théorie.
On retrouve dans les articles de la Convention des Nations Unies le
dilemme persistant auquel nous sommes confrontés du fait même de ce qui
est propre à l'homme : la culture et les différences culturelles. Reconnaître
que tous les hommes sont égaux, c'est reconnaître qu'ils doivent pouvoir
jouir de tous les droits proclamés dans la Convention, notamment en son
article 5. Parmi ceux-ci figure le droit de prendre part, dans des conditions
d'égalité, aux activités culturelles », ce qui, selon moi, veut dire que tout
individu est libre d'adopter la forme de culture qui lui convient, sous réserve
que, ce faisant, il ne porte pas atteinte aux droits d'autrui. La Convention,
dans son préambule, condamne « toutes les pratiques d'apartheid, de ségré-
gation ou de discrimination »; cela ne signifie évidemment pas l'obligation
de s'intégrer à une culture unique; l'individu peut accepter cette intégration
s'il le souhaite ou, au contraire, demeurer à part, toujours sous réserve de ne
rien faire qui puisse porter atteinte aux droits d'autrui. Le dilemme moral et
politique consiste, comme le montrent clairement les débats relatifs à la
Convention1, à concilier la liberté pour l'individu d'être différent des autres
avec le droit de devenir semblable à eux. Nous devons donc nous attendre
à devoir faire face constamment à des changements, des conflits et des règle-
ments de dimensions nouvelles dans le domaine des rapports entre groupes
culturels différents et, dans une certaine mesure, entre groupes de souches
raciales ou ethniques différentes.
Comme je l'ai déjà dit, cette évolution risque de se traduire par l'élabo-
ration de nouvelles théories destinées à expliquer qu'il y a entre les groupes
raciaux des différences intrinsèques. La recherch,: éthologique est instructive
et actuellement fort à la mode, du moins en Europe occidentale et en Amérique
du Nord. Elle est instructive dans la mesure où elle nous renseigne sur le
comportement dans un milieu donné des animaux - y compris les oiseaux -
à l'égard de leurs congénères et d'autres espèces. Il est à la mode, par ailleurs,
d'utiliser ses conclusions pour en tirer non seulement des analogies, mais
aussi des interprétations du comportement social des êtres humains. Et là,
l'éthologie me paraît dangereuse. Il faut certes considérer la constitution
biogénétique de l'homme comme un des paramètres de la vie socioculturelle;
mais c'est tout autre chose que de prétendre qu'on peut faire remonter certaines
formes d'organisation socioculturelle de groupes humains, en établissant
des parallèles avec d'autres primates, à celles qui existaient parmi nos premiers
ancêtres hominiens, et d'en déduire que ces formes d'organisation sont trans-
e mises génétiquement - c'est-à-dire que les formes du comportement humain
peuvent être expliquées directement en termes de constitution physique. Ces
théories détournent l'attention des facteurs sociaux et culturels, qui jouent un

1. Nathan LERNER, The U.N.Convention on the Elimination of AI1 Forms of Racial Discrimination:
A commentary, Leyden, A. W . Sijthoff, 1970.
Max Gluckman

rôle incomparablement plus grand dans l'hostilité qu'un groupe manifeste


à l'égard d'un autre ou la domination qu'il exerce sur lui. Elles conduisent
ainsi nécessairement à négliger les moyens de modifier ces formes d'organi-
sation sociale et, par là, de réduire l'hostilité. U n exemple frappant de ce genre
de raisonnement est fourni par L . Tiger dans l'ouvrage intitulé Men in groups,
encore qu'il ne s'agisse pas là d'un exemple de discrimination raciale, à moins
de penser, c o m m e certains membres des mouvements de libération féminine,
que la pire discrimination s'exerce aujourd'hui contre la « race » féminine. Selon
Tiger, à l'ère hominienne, les groupes de chasseurs qui ne s'embarrassaient
pas de leurs compagnes réussissaient mieux que les autres, car les femmes,
en moyenne, courent moins vite, lancent moins loin et visent moins bien que
les h o m m e s . Ceux qui procédaient ainsi avaient donc plus de chances de
survivre et de se reproduire. Parallèlement, les femmes qui insistaient pour
accompagner les h o m m e s risquaient plus que les autres de faire des fausses
couches ou de périr. D ' o ù une tendance de la race à produire des individus
du sexe masculin enclins à se regrouper entre eux et des individus d u sexe
féminin ayant moins de contacts avec les premiers, en dehors des relations
sexuelles. Selon Tiger, ces prédispositions des mâles et des femelles les plus
aptes à survivre pourraient avoir été transmises génétiquement et, après
plusieurs millénaires, affecter aujourd'hui encore notre société. Tiger ne
craint pas les rapprochements hardis par-dessus les millions d'années de
l'évolution, car à l'appui de sa théorie selon laquelle les femmes attachées
à leur foyer étaient plus fécondes que les autres, il fait valoir que, de nos jours,
les femmes qui font carrière sont plus souvent stériles ou ont moins d'enfants
que les autres. Je ne connais pas de meilleur exemple d'une argumentation
extrêmement ingénieuse, s'appuyant sur de nombreuses citations — souvent
sélectionnées, c o m m e par hasard — et qui aboutisse aussi loin dans
l'erreur. M ê m e sans tenir compte du bond gigantesque qu'il nous fait
faire dans le temps, l'auteur ignore totalement des données absolument
essentielles : ainsi le fait que, dans la vie moderne, les femmes stériles o u
ayant peu d'enfants ont plus de chance de faire carrière; que les femmes qui
exercent une profession se marient peut-être plus tard que les autres; que
ces femmes qui ont une instruction assez poussée ont plus facilement accès
aux contraceptifs et savent mieux les utiliser dans u n contexte familial plus
favorable, etc.

O n pourrait invoquer, et l'on a invoqué, des arguments analogues pour


rendre compte de l'hostilité qui existe entre groupes raciaux et ethniques
différents. Rapprocher cette hostilité du comportement des oiseaux et autres
animaux qui défendent leur territoire, etc., de façon à la faire apparaître
c o m m e « naturelle », c'est ne pas vouloir tenir compte de l'ensemble complexe
de facteurs historiques et culturels qui expliquent beaucoup plus simplement
cette hostilité, et c'est aussi, malheureusement, refuser — fût-ce inconsciem-
ment — d'admettre ce fait incontestable qu'en modifiant l'organisation socio-
culturelle, on peut changer le comportement des individus en cause. Tous ceux
d'entre nous qui ont vécu dans des pays africains avant et après leur accession
à l'indépendance savent avec quelle rapidité se sont modifiées les attitudes

586
Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles

des Africains et des Blancs et leurs relations mutuelles. Je ne parle pas ici
des Blancs libéraux, qui ont constamment soutenu le principe de l'égalité
raciale et se sont efforcés d'agir en conséquence, mais des nombreux Blancs
qui considéraient les Africains c o m m e leurs inférieurs. L a m ê m e observation
vaut pour les nombreux Africains qui ont m e n é u n rude et juste combat
pour se libérer de la domination coloniale : leur attitude à l'égard des Blancs
s'est considérablement modifiée à partir d u m o m e n t où ils ont acquis leur
indépendance et sont devenus socialement les égaux, voire les supérieurs
des Blancs.
Dès lors, quand nous traitons de différences culturelles et d'attitudes
sociales dont la répartition coïncide en quelque mesure que ce soit avec
celle des privilèges sociaux et économiques, nous devons nous attendre à
voir surgir toute une série de théories nouvelles cherchant à justifier cette
inégalité. Cela est évident, mais il n'en faut pas moins le répéter. C e qu'il
faut bien comprendre en effet, c'est que la justification de telles inégalités sous
prétexte qu'elles sont inhérentes à la nature des choses peut prendre des
formes extrêmement subtiles. C'est pourquoi j'ai mentionné la thèse de Tiger
selon laquelle la tendance des h o m m e s à constituer des groupements à des
fins politiques, économiques et sociales, tendance observée dans presque
toutes les sociétés, serait génétiquement transmise et se traduirait aujourd'hui
encore peut-être par une plus grande aptitude à la survie. Je suis certain que
cette thèse n'a pas pour but de prouver que la ségrégation partielle des femmes
et des h o m m e s est naturelle et inévitable, mais c'est à cela qu'elle aboutit
en fait. D e m ê m e , les théories qui identifient les animaux d'un groupe en
fonction de leur territoire, d'un certain type de parade nuptiale ou d'ordre
hiérarchique, appliquées aux formes d'organisation de la société humaine,
peuvent servir à démontrer que l'ordre social actuel, y compris les relations
de subordination et de ségrégation, est naturel et lié à notre constitution
biologique.
Ces théories m ê m e s démontrent, à m o n avis, la fausseté d'une telle hypo-
thèse. Elles relèvent d'une caractéristique typiquement humaine, à savoir
l'aptitude à manier les mots, les plus élastiques des symboles, et à échafauder
des théories expliquant l'univers intérieur et extérieur. Les mots sont d'une
malléabilité telle qu'on peut aller très loin dans la formulation de théories
apparemment logiques. Autrement dit, u n spécialiste du comportement o u
des sciences sociales peut pousser la logique apparente de son analyse au-delà
de ce qu'elle prouve réellement et l'appliquer à l'interprétation de phénomènes
autres que ceux qu'il étudie. Freud, par exemple, a totalement renouvelé les
connaissances relatives au fonctionnement interne de la psyché humaine;
mais lorsqu'il a eu recours à sa théorie pour expliquer les formes de l'organi-
sation sociale humaine et l'issue des luttes politiques, sans tenir compte des
facteurs historiques et socio-économiques, il s'est tristement fourvoyé. N o u s
voyons régulièrement naître, sous des formes nouvelles, des théories scientifiques
qui confèrent une nouvelle dimension aux formes existantes de discrimination
et/ou d'hostilité entre groupes de souches ethniques diverses, ou encore
entre les sexes, et qui fournissent une justification nouvelle aux formes actuelles

587
Max Gluckman

de ségrégation. Les études récentes sur la vie sociale des animaux en sont u n
exemple et, bien que, je le répète, la plupart de leurs auteurs soient vraisem-
blablement humains et libéraux, j'affirme, avec toute la vigueur dont je suis
capable, qu'une comparaison, quelle qu'elle soit, entre le comportement
social des animaux et celui des h o m m e s serait bancale. Toute analogie de ce
genre est fallacieuse et il ne faut appliquer qu'avec une prudence extrême
à la société des h o m m e s ce que l'étude des animaux nous apprend.
H est désormais établi que les théories scientifiques relatives à la nature
de l ' h o m m e et des sociétés qu'il organise peuvent être fortement influencées
par la situation politique, économique et sociale de leur auteur. Je ne pense
pas, pour m a part, que ce déterminisme soit total. Il est des h o m m e s qui par-
viennent à échapper à cette influence et à aller là où les m è n e l'analyse logique
des faits, dans la mesure o ù o n peut les établir. Le risque — j'espère l'avoir
clairement fait comprendre — est de voir cette logique m ê m e les entraîner
trop loin.
Si la logique de l'analyse scientifique comporte ce risque, à fortiori celle
d'autres formes de pensée intellectuelle les présentera-t-elle. E n m a qualité
d'anthropologue sud-africain, j'ai toujours été frappé par le fait que les
analyses les plus bienveillantes, voire les plus élogieuses, des cultures indigènes
d'Afrique d u Sud soient dues à des érudits qui sont des partisans convaincus
de la politique de ségrégation raciale. Ces études donnent de la culture de
chaque population africaine une description idéalisée, impliquant que ces
cultures sont parfaites pour les populations en cause, qu'elles font partie
intégrante de leur être, que ces populations y ont droit et qu'il faut les aider
à les maintenir. C o m m e l'a souligné le professeur Leo Kuper, certains intel-
lectuels afrikaners, nationalistes et ségrégationnistes, estiment que le peuple
afrikaner a lutté contre la pression considérable de la langue et de la culture
du R o y a u m e - U n i , de ses descendants anglophones et de l'Amérique pour
défendre sa langue et sa culture propres et qu'il n'est donc que juste d'aider
toutes les petites populations à mener une lutte identique. D e là, il n'y avait
qu'un pas à franchir pour soutenir qu'il fallait quasiment obliger les popu-
lations, dans leur propre intérêt, à s'en tenir à leur propre culture, à laquelle
beaucoup étaient évidemment attachés. E n revanche, les anthropologues sud-
africains engagés dans la lutte politique contre la ségrégation ont souligné,
en décrivant ces cultures africaines ou des cultures analogues, leurs faiblesses
et m ê m e leurs aspects cruels. Quant aux savants politiquement neutres, leurs
écrits le sont, en général, aussi.
Le raisonnement intellectuel aura u n rôle à jouer dans l'évolution future
des relations entre groupes raciaux et l'on se battra à coup de théories scienti-
fiques opposées. Si je prends cet aspect c o m m e point de départ et si je le
souligne, c'est parce que l'existence m ê m e de l'Unesco repose sur la conviction
que le raisonnement intellectuel doit, en définitive, amener les h o m m e s à voir
—je reprends une fois de plus les termes de la Convention des Nation Unies —
« que toute doctrine de supériorité fondée sur la différenciation entre les races
est scientifiquement fausse... ». Il s'agit là, jusqu'à u n certain point, d ' u n
article de foi. C'est aussi, je crois, l'énoncé d'une conclusion étayé; par les tra-

588
Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles

vaux de recherche les plus poussés. Il est malheureusement très difficile de


prouver le bien-fondé d'une négation absolue et, dans la mesure o ù il y a de
toute évidence des différences technologiques et culturelles considérables entre
groupes de souches ethniques différentes, o n peut toujours soutenir avec u n
m i n i m u m de vraisemblance que ces différences correspondent à des variations
génétiques. C e genre d'arguments n'est d'ailleurs pas le seul fait de ceux qui
occupent une situation privilégiée dans l'ordre social. Ceux qui sont défavorisés
peuvent en venir à apprécier et défendre cela m ê m e qui les sépare des autres
et à attacher une valeur spéciale à ce qui est plus particulièrement leur. D y a
bien longtemps, je faisais des recherches d'anthropologie parmi les Zoulous
d'Afrique d u Sud, qui étaient non seulement soumis à la domination politique
des Blancs, mais à peu près totalement exclus de leur culture, d u fait de la
couleur de leur peau. Je m'aperçus alors que certains parmi les plus instruits
des Zoulous avaient réagi à ces restrictions en constituant une société culturelle
zoulou visant à maintenir vivante leur propre culture. Certains au moins
d'entre eux soutenaient que celle-ci était parfaite. (Il n'est pas surprenant que
ce mouvement ait bénéficié de l'appui d u gouvernement sud-africain.) Je
pense que nous considérerions tous avec faveur une organisation qui s'effor-
cerait de sauvegarder lafiertéculturelle d ' u n groupe ; mais ce qui m e choqua,
ce fut d'entendre u n m e m b r e de cette société soutenir, devant une assemblée
de plusieurs milliers de Zoulous que, pour résoudre un certain problème social,
ils devraient remettre en usage une pratique de magie qui, à la lumière des
connaissances médicales actuelles, présente u n danger certain pour la santé
de leurs enfants. M a réaction fut la m ê m e en constatant, lors d ' u n dîner donné
à Londres en faveur de la création d'un foyer culturel pour les Nigérians d u
R o y a u m e - U n i , que cette initiative tout à fait valable était fondée sur la convic-
tion, très répandue alors chez les Africains, d'appartenir à une race unique.
Il m e semble que les orateurs tenaient précisément le m ê m e genre de raison-
nement que les ségrégationnistes d'Afrique d u Sud en prétendant qu'il existe,
entre individus appartenant à des groupes ethniques différents, des différences
innées qu'il faut préserver. J'ai fait part de mes craintes au président de la
réunion, qui était u n de m e s bons amis et qui devint plus tard ministre d ' u n
Etat africain lorsque celui-ci acquit son indépendance, sans toutefois parvenir
à le convaincre. O n constate u n peu partout dans le m o n d e l'existence de
mouvements analogues, nés de la diversité culturelle et de l'inégalité économique
et sociale ; des mouvements qui ont des adeptes aussi bien parmi les défavorisés
que parmi les privilégiés portent en eux les germes de conflits nouveaux et
vont à rencontre de toute tentative de règlement d u problème.

Ainsi donc, le désir légitime des populations de préserver leur culture


propre peut entraver de diverses façons les efforts réalistes tentés pour établir
l'égalité civique et culturelle. Je parle ici d ' « égalité » et non pas d ' « identité »
culturelle. Si l'on a p u , à u n m o m e n t donné, penser que l'extension de la
technologie industrielle aurait pour résultat u n nivellement des différences
culturelles entre les divers groupes humains, il est de plus en plus évident que
c'était là une erreur, et il est très peu probable qu'un tel nivellement se produise
dans u n avenir prévisible. G;la ne veut pas dire que de nombreuses formes de

589
Max Gluckman

culture autrefois limitées à u n très petit groupe ne soient pas aujourd'hui


mieux connues de par le m o n d e . Mais les différences locales en matière de
cosmologie, d'organisation de la vie domestique, de langue et d'art n'en
demeurent pas moins considérables. Quels sont donc les éléments qui participent
d'une culture universelle, et que reste-t-il des cultures locales propres aux
divers groupes ethniques?
Le développement le plus rapide et le plus facilement accepté a été celui
de la technologie de la civilisation industrielle, et l'habileté avec laquelle l'uti-
lisent des peuples qui n'y ont eu accès que récemment démontre la fausseté
des théories selon lesquelles la plus ou moins grande efficacité technique des
diverses races est liée à des différences biogénétiques. D e m ê m e que YHomo
sapiens sapiens a réussi à confectionner des outils de pierre en perfectionnant
ceux qu'avait conçus YHomo sapiens neandertalensis, de m ê m e certains des
peuples qui ont emprunté à l'Europe occidentale sa technologie en ont déve-
loppé au moins certaines parties. C o m p t e tenu des effets de la malnutrition,
des maladies endémiques, de l'insuffisance de l'éducation de base pendant les
premières années d'apprentissage et d'un certain nombre d'autres facteurs,
l'histoire contemporaine montre sans conteste possible que n'importe quel
groupe humain peut, si o n lui en donne l'occasion, emprunter à un autre
groupe sa technologie et, éventuellement, l'améliorer.
Cette vérité est quelque peu masquée par le fait que les réalisations tech-
niques et la productivité des populations récemment industrialisées sont trop
souvent mesurées par rapport à de faux modèles. Si je m e suis spécialisé dans
l'étude de la société africaine, je n'en ai pas moins participé à des comités
d'étude de villes et de villages au R o y a u m e - U n i , en Inde et en Israël. C e
qui m ' a toujours frappé, c'est que pour évaluer les performances du personnel
de direction et des travailleurs africains, que ce soit dans les mines ou dans
les usines, o n les compare à celles de leurs homologues d u R o y a u m e - U n i ,
des États-Unis ou d'un autre État moderne, en tenant pour acquis que, dans
ces pays, le personnel de ces entreprises travaille de façon parfaite. Les perfor-
mances des pays en voie d'industrialisation sont mesurées en fonction d'un
idéal absolument utopique. E n effet, les études menées dans les pays modernes
ont trop souvent montré que ces derniers connaissent, eux aussi, de nombreux
obstacles et difficultés. S'il est certain qu'une entreprise industrielle peut être
gérée plus ou moins efficacement, il est faux de prétendre, en se fondant sur
une comparaison non valable, que certains individus sont congénitalement
incapables de faire fonctionner efficacement un système industriel. E n revanche,
une comparaison établie valablement entre deux entreprises déterminées
permet d'attribuer de façon plus exacte les différences d'efficacité non seu-
lement à l'équipement industriel, mais aussi à u n certain nombre de facteurs
sociaux et culturels bien précis : différences entre les niveaux de vie et entre les
espérances qu'ils permettent, méthodes traditionnelles, dimension des
marchés, etc. Je tiens également pour fausse la thèse selon laquelle il faudrait
une formation s'étendant sur plusieurs générations avant que les groupes à
faible productivité technique parviennent au niveau de ceux dont la productivité
est élevée. A condition d'être dotés d'un équipement adéquat et d'un système

590
Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles

permettant le développement des compétences, à condition aussi que les


travailleurs soient en bonne santé, ceux qui sont à la traîne auront tôt fait
de rattraper ceux qui les devancent aujourd'hui.
L'évaluation des différences entre groupes ethniques est viciée à la base
par une autre sorte de fausse comparaison qui, elle aussi, engendre sans cesse
de nouveaux conflits. L'erreur consiste dans ce cas à ne pas tenir suffisamment
compte de l'influence des circonstances sur le comportement des peuples.
Les croyances à la magie et à la sorcellerie étaient fréquentes dans de n o m -
breuses cultures africaines c o m m e dans d'autres — et notamment, jusqu'à
un passé assez récent, celles d'Europe. Ces croyances étaient censées expliquer
pourquoi tel malheur frappait tel individu à u n m o m e n t donné, ou pourquoi
certains individus réussissaient dans leurs entreprises et d'autres pas. O r ,
o n persiste aujourd'hui à comparer ces croyances et le raisonnement qui les
sous-tend implicitement aux modes de raisonnement des scientifiques ou des
technologues occidentaux dans leurs laboratoires, pour établir u n parallèle
entre les peuples dont le raisonnement est vicié par leur croyance à la magie
et à l'occultisme, et ceux qui raisonnent de façon scientifique. Bien que le
caractère fallacieux de cette comparaison ait été démontré depuis longtemps,
elle n'en persiste pas moins. O n ne peut passer aussi simplement des croyances
et idées propres à une culture au m o d e de pensée des individus. Pour procéder
de façon valable, il faut comparer u n agriculteur à u n autre agriculteur, un
éleveur à u n autre éleveur, u n pêcheur à un autre pêcheur, u n croyant à un
autre croyant. N u l n'ignore qu'un h o m m e de science ou un technologue peut
en m ê m e temps être u n dévot, u n adepte de la magie, u n athée, ou u n agnos-
tique. Les prémisses varient, les modèles de raisonnement logique à l'intérieur
d u cadre ainsi posé peuvent être semblables. Lorsque nous cherchons à évaluer
l'aptitude de personnes appartenant à u n groupe ethnique donné à modifier
leur système de pensée et leur comportement, nous n'avons donc pas besoin
de prétendre qu'elles doivent modifier radicalement toutes les prémisses et tout
leur comportement. Il suffirait en théorie qu'elles adoptent u n m o d e scienti-
fique de pensée dans les circonstances où ce m o d e de pensée est indiqué. Il
faut toutefois signaler l'existence de certaines incompatibilités : des travaux
de recherche approfondis ont en effet montré que les croyances à la magie
et à la sorcellerie constituent une façon de concevoir certaines tensions sociales
et par conséquent d'y faire face dans des sociétés relativement peu développées
sur le plan technique, et que le développement technique lui-même entraîne
la disparition de ces croyances. Des tensions sociales analogues demeurent,
mais on s'en arrange différemment.
Cependant, la conséquence de ce que je viens de dire au sujet de l'aptitude
de l ' h o m m e à recourir à des modes de pensée différents selon les circonstances
est que l'on peut désormais, dans une certaine mesure, songer à la possibilité
de rééduquer ou de recycler des êtres humains sans devoir obligatoirement
envisager en m ê m e temps la transformation complète de toute leur personnalité.
Modifions les situations et nous modifierons les modes de pensée. Si on lui en
offre la possibilité, tout h o m m e est capable d'adopter les formes d'action

591
Max Gluckman

et de raisonnement adaptées à la situation, m ê m e s'il continue dans d'autres


contextes à avoir des modes de pensée tout à fait différents.
Je veux simplement dire qu'il ne faut pas mettre la charrue avant les
bœufs. Les bœufs représentent ici le progrès technologique; ils peuvent être
attelés à différents types de charrues dont chacun représente, dans m a c o m p a -
raison, un groupe humain particulier, racial, ethnique ou autre, pouvant
avoir des croyances, des idées, des pratiques et des m o d e s de comportement
qui lui sont propres; mais j'abandonne ici m a comparaison pour dire que si
tous les groupes ont accès à la technologie et à la science modernes, ils devront,
dans les situations se rapportant à ces domaines, penser et agir selon des
modalités appropriées. E n revanche, dans les autres situations — celles qui
se rapportent à la vie familiale, aux croyances, aux coutumes religieuses, ou
aux loisirs — chaque groupe pourra, s'il le désire, resterfidèleà sa culture
propre.
L'objection majeure qu'on peut faire à la politique d'apartheid, c'est que,
dans la mesure o ù l'on tente de la défendre ou de la justifier sur le plan intel-
lectuel, on dénie aux autres races le droit ou m ê m e la faculté d'adopter la
technologie et la science modernes et de recevoir l'éducation nécessaire pour
pouvoir en bénéficier. O n leur dénie aussi par là m ê m e toute chance de combler
leur handicap dans u n système de relations sociales fondé sur les aspects
matériels de la technologie.
J'ai utilisé l'image de la charrue et des bœufs pour rappeler une fois
encore une vérité connue de tous, à savoir que le progrès technologique doit
s'étendre aux pays « déshérités » et aux régions « déshéritées » de tous les
pays si l'on veut que les populations intéressées aient leur part de la fraternité
qu'offre le m o n d e moderne. C'est là que réside le seul espoir de pouvoir sup-
primer un jour une grande partie des causes des différences qui existent entre
races et entre autres groupes humains et qui donnent sans cesse naissance à
de nouvelles théories proclamant la supériorité de tel o u tel groupe en matière
d'intelligence o u de civisme. Si le présent colloque a été organisé, c'est jus-
tement pour lutter contre de telles théories et n o n pour contester la réalité
des différences qui existent entre les divers groupes humains.
Il faudrait, évidemment, être bien naïf pour croire que si tous les peuples
du m o n d e avaient également accès à la science et à la technologie modernes
on verrait disparaître les sources de conflit entre les groupes, y compris peut-
être de conflits raciaux, les conflits existants aboutissant à des règlements.
Néanmoins, il paraît certain que tant que l'accès à la technologie moderne
demeurera interdit, en fait ou en droit, à certains peuples, la discrimination
et les conflits raciaux subsisteront à la fois entre les nations et à l'intérieur
de chacune d'elles. O n n'a peut-être pas encore trouvé le remède aux conflits
de type nouveau, mais on connaît parfaitement la façon de mettre fin aux
conflits de style ancien.
D e nombreuses études ont montré que, pendant la plus grande partie de
l'histoire de l'humanité, les unités politiques ont été la proie de guerres civiles
fondées sur des divisions verticales de la société. A u cours des périodes les
plus reculées de l'histoire — et cela était encore vrai tout récemment dans ce

592
Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles

qu'on pourrait appeler les civilisations tribales d u m o n d e — les outils, les armes
et les biens de consommation étaient relativement simples. Étant donné la
simplicité des biens de consommation et la rareté des objets de luxe, les puis-
sants utilisaient leurs richesses pour entretenir et s'attacher u n certain nombre
de personnes à leur dévotion. Avec ses outils rudimentaires, chaque h o m m e
ne pouvait produire que peu au-delà de ses propres besoins, pour le donner
à plus puissant que lui. Les objets de luxe qui pouvaient exister avaient donc
essentiellement une valeur symbolique. Étant donné que l'armement était
rudimentaire, le protégé avait ses armes personnelles et contribuait direc-
tement à la puissance de son chef, qui avait ainsi une petite armée privée pour
soutenir sa volonté de puissance. Chef et protégés n'avaient donc pas des
niveaux de vie très différents et étaient, de ce fait, moralement très proches.
Le caractère rudimentaire des moyens de transport limitait le commerce entre
unités politiques, tant en ce qui concerne le volume que la g a m m e des produits
échangés. Les produits alimentaires de base étaient difficiles à transporter,
mais certains outils spécialisés et objets de luxe pouvaient faire l'objet
d'échanges lents entre une unité politique et une autre, dans certains cas
parcourir de longues distances. L e commerce avait souvent u n caractère céré-
moniel liant les partenaires dans des structures d'échange rigides. E n raison
de la forte mortalité infantile et de la persistance d'un taux de mortalité élevé
aux âges plus avancés, la population augmentait lentement, bien qu'elle pût,
globalement, subir des fluctuations considérables. Cependant, m ê m e dans
ces situations, la recherche anthropologique moderne a montré que les unités
politiques comportaient tout u n réseau de divisions et de subdivisions c o m -
plexes constituées par une série de liens coutumiers fondés sur la descendance,
l'âge, le sexe, les croyances rituelles, les liens particuliers, etc. Ainsi l'organi-
sation sociale, loin d'être simple, était au contraire extrêmement compliquée.
A cet égard, l'étude de groupes d'autres primates, qui c o m m e n c e à mettre
en lumière des complications analogues, peut nous permettre d'imaginer la
situation à partir de laquelle les sociétés humaines sont parvenues à des degrés
de complexité de plus en plus grands, évolution considérablement aggravée
par le développement de principes énoncés dans u n langage et par d'autres
systèmes de valeurs symboliques. Cet entrelacement de liens et de facteurs
de division multiples aboutissait à une situation dans laquelle les sociétés
étaient déchirées par des conflits mais gardaient néanmoins leur cohésion
d u fait que leurs membres étaient attachés à des symboles c o m m u n s et que
des personnes, ennemies dans certaines circonstances, pouvaient être alliées
dans d'autres. D a n s cet enchevêtrement de liens se trouvaient quelques
individus qui avaient intérêt à aplanir les querelles et pouvaient exercer une
influence sociale suffisante pour y parvenir. Il y avait donc des forces unifi-
catrices qui étaient fondées sur des allégeances sociales multiples et qui avaient
pour effet de maintenir la cohésion des unités politiques en l'absence d ' u n
système économique différencié pouvant jouer ce rôle. Malgré cela, des liens
de loyalisme interne extrêmement puissants se forgèrent au niveau des petites
unités locales, et les h o m m e s luttèrent pour conquérir à la fois les biens maté-
riels et le pouvoir dans des guerres civiles toujours renouvelées. Ces guerres

593
Max Gluckman

se situèrent dans le cadre d u système politique existant et les transformations


de l'organisation sociale n'intervenaient que très rarement.
A partir de ces situations d'égalitarisme rebelle, on vit, en certains lieux,
se développer des techniques de production, de construction, de tissage, de
travail des métaux et de transports qui aboutirent à la fois à une augmentation
de la production et à l'apparition de niveaux de vie différents, amenant ainsi
une ségrégation sociale entre les chefs et leurs subordonnés. La g a m m e des
conquêtes s'étendit. Des classes commencèrent à se former, les armes devinrent
plus coûteuses et les armées civilesfirentplace à des mercenaires. Cependant,
la guerre civile continua à opposer diverses parties du territoire. Les puissants,
qui avaient des protégés et qui commandaient des troupes, continuèrent à
tenter de s'emparer d u pouvoir soit pour eux-mêmes, soit pour tel o u tel
supérieur auquel ils avaient promis allégeance et soutien armé.
L'une des curiosités intellectuelles de notre temps est la fréquence avec
laquelle l'opinion publique éclairée d u m o n d e industriel considère les coups
d'État militaires tels que ceux qui se sont produits récemment dans de nombreux
pays du tiers m o n d e c o m m e des déviations exceptionnelles qui témoignent
d'une instabilité politique. Je dis que cela est curieux, car il suffit de survoler
rapidement l'histoire de l'humanité pour s'apercevoir immédiatement que la
conquête d u pouvoir par des militaires est u n cas beaucoup plus fréquent
que le cas inverse, à savoir celui où les militaires sont satisfaits ou acceptent
au moins de rester subordonnés au pouvoir civil. E n fait, cette dernière situation
n'a régné que dans u n petit nombre de pays et depuis peu de temps. Elle
caractérise les pays qui ont connu u n progrès technologique considérable
depuis la révolution industrielle. Il paraît raisonnable d'en conclure que la
révolution industrielle elle-même, en créant une interdépendance étroite entre
les diverses sections verticales des États grâce aux échanges économiques
utilitaires, empêche les conflits de dégénérer en guerre civile ouverte. E n
outre, la complexité d u système économique fait qu'il est plus difficile de
s'emparer d u pouvoir par u n coup d'État militaire rapidement m e n é grâce
à l'occupation de certains points névralgiques permettant de contrôler
l'ensemble du pays. O n peut dire avec Durkheim que les États de ce type ont
gardé leur cohésion grâce à une interdépendance organique et utilitaire entre
leurs divers éléments. Cela a apparemment permis de maintenir longtemps
des populations nombreuses dans une sorte de paix intérieure, malgré l'exis-
tence de graves conflits que l'on réglait selon des modalités établies et par des
moyens relativement pacifiques. E n outre, l'institution d'une interdépendance
organique laissait subsister une large diversité de cultures entre les différents
groupes et catégories composant la population d'un État, et m ê m e u n large
degré de dissentiment à l'intérieur de cette population. D e s valeurs, des
croyances religieuses, des habitudes familiales et des cultures artistiques de
type extrêmement divers ont pu trouver place dans un m ê m e système politique
et économique. Les groupes de personnes ont p u être relativement isolés les
uns des autres dans leur vie quotidienne dans la mesure o ù ils pouvaient
participer pleinement au système économique mis en place et où l'on ne
restreignait pas leur liberté de mouvement pour les empêcher de conquérir

594
Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles

de nouvelles positions à la fois dans l'économie et dans de nombreux prolon-


gements culturels, par l'éducation, le mariage, les activités de loisir, etc.
C'est cette liberté de mouvement que la politique de ségrégation, de séparation
et d'apartheid rend impossible et c'est en cela que cette politique va à rencontre
de l'évolution récente de l'humanité.
Vue sous cet angle, l'instabilité politique qui, dans de nombreux pays
du tiers m o n d e , revêt la forme de coups d'État militaires, etc., doit être
considérée c o m m e le résultat et non la cause de l'insuffisance du progrès
technologique. O n a vu au cours des dernières années de nombreux exemples
de conflits armés entre certains groupes ethniques des nouveaux États du
m o n d e , notamment de ceux dont le territoire a été délimité par les hasards de
la colonisation au lieu d'être modelé par un long processus historique qui
aurait pu créer une certaine solidarité entre les divers éléments d'un m ê m e
État, et en particulier établir entre eux une interdépendance économique.
Seule une telle interdépendance, fondée sur u n ensemble de liens étroits issus
d'une technologie avancée, a permis à certains États composés d'entités
locales diverses et de plusieurs ethnies de conserver leur cohésion au sein
d'une structure politique exempte de guerres civiles endémiques. C'est dans
ce sens que la politique des Nations Unies, qui s'efforce de favoriser le progrès
technologique des pays en voie de développement, ne se justifie pas seulement
par des arguments moraux. Ceux-ci, qui se réfèrent à la nécessité d'éliminer
la misère, la maladie et l'ignorance, se suffisent parfaitement à eux-mêmes.
Cependant, au-delà de ces considérations, il est néanmoins indispensable,
c o m m e on l'a souvent dit, de réduire considérablement l'écart entre pays
pauvres et pays riches — écart qui coïncide largement avec de grandes divisions
ethniques — pour la raison évidente qu'il est une source de conflits continus.
Mais le développement économique des pays pauvres doit avoir, en outre,
pour résultat de créer, entre les divers groupes locaux et ethniques de leur popu-
lation, une communauté d'intérêts d'où naîtra ensuite un sentiment d'unité
nationale qui fera disparaître dans une certaine mesure les hostilités entre
ces groupes. Si le passé peut servir de leçon pour l'avenir, on peut prévoir
que ce développement permettra aussi à chaque groupe de la population
possédant une culture distincte de resterfidèleà cette culture dans la vie familiale
et religieuse et dans les loisirs s'il le désire, tandis que ses membres évolueront
librement et coopéreront avec des membres d'autres groupes à des activités
économiques et politiques spécialisées.
E n outre, au fur et à mesure que le système économique qui tisse des liens
entre les individus devient de plus en plus complexe et différencié, l'ensemble
du système social tend à s'organiser en séries de relations de plus en plus
nombreuses, de sorte que le pouvoir tend à se disperser. D è s lors, il faut, pour
s'en emparer, se rendre maître d ' u n plus grand nombre de centres névral-
giques : les coups d'État militaires deviennent difficiles. D a n s un pays peu
développé, la complexité des armements modernes, qui ne permet plus à chaque
citoyen d'être un combattant possédant ses propres armes, donne au chef
des forces armées la possibilité de se rendre maître d'un petit nombre décentres
névralgiques et de s'emparer du pouvoir. Dans une société hautement diffé-

595
Max Gluckman

renciée d u point de vue politique et économique, c'est là une tâche bien plus
difficile.
D a n s nombre de pays anciens, notamment ceux de l'Europe féodale, et
dans quelques pays actuels, les coups d'État militaires ont été le fait d'officiers
issus des classes riches. Ils se traduisaient par une lutte entre fractions rivales
dont chacune voulait s'approprier le contrôle de l'État pour servir ses propres
intérêts. D a n s la plupart des pays sous-développés d'aujourd'hui, ces coups
d'État militaires ont une origine différente. E n m ê m e temps qu'elles luttent
pour s'affranchir de la domination des puissances coloniales et acquérir une
personnalité nationale qui leur faisait souvent défaut, les populations de
ces pays revendiquent de nombreux bienfaits considérés c o m m e le fruit de
la technologie moderne : la fin de la misère, une vie matérielle plus facile,
l'amélioration de la santé et de l'éducation. Les pays qui veulent s'engager dans
cette voie ont à faire face à des difficultés pratiquement insurmontables, sauf
s'ils sont dotés d'importantes richesses minérales. E n d'autres termes, les
problèmes matériels sont presque .partout insolubles, sans parler des difficultés
de réadaptation sociale. Dans ces conditions, le grand enthousiasme qui
accompagne la révolution est rapidement déçu et l'on voit le plus souvent
surgir au sein de la population une catégorie de personnes qui profitent lar-
gement d u petit secteur développé de l'économie, tandis que la masse de la
population reste pauvre. U n e partie de l'élite militaire réagit alors contre
l'inefficacité apparente d u gouvernement et parfois aussi contre la corruption
dont profite u n petit nombre de privilégiés et elle s'empare d u pouvoir pour
mettre fin à cette situation et tenter de résoudre les problèmes urgents de la
misère. Mais ces problèmes ont leur racine profonde dans des difficultés
matérielles presque insurmontables et dans u n déséquilibre croissant entre les
ressources disponibles et les besoins d'une population qui augmente rapide-
ment d u fait des meilleures conditions d'hygiène. C'est pourquoi les
révoltes militaires de type moderne procèdent en partie d'une sorte de m é c o n -
tement causé par le sort d u peuple et leurs auteurs sont animés par le désir
d'aider toute la population et non par celui de défendre leurs propres privilèges.
C'est pourquoi il est essentiel, pour comprendre les événements, de savoir faire
la différence entre des mouvements politiques qui, à première vue, paraissent
semblables. E n outre, le sentiment d'unité nationale étant u n phénomène
tout récent dans les pays en question, on voit surtout dans les personnes qui
exercent des fonctions d'autorité des représentants de telle o u telle ethnie
particulière, et c'est encore au niveau des différents groupes ethniques que se
situe la rivalité pour l'obtention de privilèges. C'est pourquoi o n juge l'action
des personnes qui occupent les postes clés en fonction de leur appartenance
ethnique; de ce fait, les luttes qui sont le résultat d u sous-développement et
de l'insuffisance de la vie économique et politique apparaissent c o m m e des
phénomènes de discrimination entre groupes ethniques et sont effectivement
rendus plus complexes par le jeu de liens de caractère ethnique. C'est pourquoi,
là encore, le développement économique est la condition préalable d u renfor-
cement de l'unité nationale grâce auquel les divisions ethniques pourront
s'effacer et ne plus être une source continuelle de luttes années. Les consè-

596
Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles

quences de ces divisions ethniques sont parfois aggravées d u fait que, par suite
de circonstances historiques fortuites qui ont entraîné la répartition inégale de
l'accès à l'éducation et aux connaissances modernes, certains groupes ethniques
des nouveaux États peuvent être plus instruits que d'autres. Les membres de
ces groupes ethniques ont naturellement parfois tendance à favoriser leurs
amis, voire leurs parents, et, m ê m e quand ce n'est pas le cas, les groupes
ethniques moins instruits ont le sentiment que les membres de tels o u tels
groupes ethniques plus favorisés se retranchent dans leurs privilèges et
s'efforcent de les maintenir.
D a n s certains pays on s'est efforcé de trouver une solution partielle à
ce problème en pratiquant ce qu'on pourrait appeler une « discrimination
à rebours », c'est-à-dire l'octroi de facilités et de privilèges à des groupes
ethniques économiquement et socialement « attardés » — d u point de vue de
l'éducation moderne et des postes qualifiés — pour leur permettre de rattraper
le reste de la population. Les mesures de ce genre paraissent justes et humaines
et sans elles certains groupes ne pourraient peut-être jamais rattraper leur
retard. Malheureusement, il peut en résulter une situation où non seulement
beaucoup d'individus appartenant aux groupes les mieux instruits sont péna-
lisés du fait de leurs aptitudes mais où les autres, ayant intérêt à être considérés
c o m m e défavorisés, seront de plus en plus nombreux à vouloir être déclarés
attardés. Ils s'efforceront m ê m e de former des combinaisons politiques pour
y parvenir. Ici encore interviennent des facteurs d'aggravation, et des
recherches récentes ont mis en lumière une tendance selon laquelle, là o ù les
affinités fondées sur le groupe ethnique, la caste ou l'appartenance religieuse
se manifestaient à des échelons relativement localisés, elles donnent aujour-
d'hui naissance à des catégories bien plus vastes qui commencent à agir sur le
plan politique. Ce type de phénomène caractéristique est celui que le professeur
N . Srinavas a appelé l'avènement de la « caste dominante » qui s'efforce de
protéger ses intérêts à l'échelon régional. C e s efforts provoquent à leur tour
les réactions des autres castes. C e phénomène a été signalé et analysé en Afrique
où il revêt la forme d'affiliations tribales à l'intérieur de groupes ethniques plus
nombreux ou de milieux culturels plus avancés. Ainsi des luttes peuvent-elles
surgir entre les entités ethniques ou culturelles, à la fois pour protéger des
privilèges et pour maintenir certains avantages acquis dans le passé en tant que
groupes défavorisés.
J'ai, jusqu'ici, appuyé m o n raisonnement sur l'analyse de systèmes sociaux
dans lesquels le développement économique et social s'est accompagné d'une
diminution d u recours direct à la force et de l'apparition d'une certaine unité
grâce à l'influence de liens politiques et économiques, en dépit des différences
ethniques et culturelles. J'ai essayé d'étudier ce qui se produit dans les n o u -
veaux États dans de telles situations. Mais il existe évidemment d'autres sché-
m a s d'évolution possibles. L ' u n d'eux consiste à supprimer par la force
l'égalité et la liberté de mouvement des citoyens qu'exige le bon fonctionnement
d'une économie moderne. Telle est la situation de l'Afrique d u Sud. Ce pays
a une technologie et une économie très fortement développées sur une grande
partie de son territoire; il est riche en ressources minérales et assez fortement

5*7
Max Gluckman

industrialisé. Si j'avais le temps, je pourrais démontrer, en m'appuyant sur de


nombreux faits, qu'en raison de la complexité de l'économie, u n très grand
nombre d'individus appartenant aux races subordonnées (Africains, métis et
Indiens) sont liés à ce système par des intérêts, en ce sens qu'ils en retirent
u n niveau de vie, certes inférieur à celui des races plus favorisées, mais quand
m ê m e décent, à la condition toutefois de travailler dans le secteur minier
ou industriel des villes. Par contre, la situation d'une grande partie de la
population est très misérable, et cela s'applique en particulier à des fractions
entières de la population africaine qui vit dans ce qu'on appelle en Afrique
du Sud les « réserves indigènes ». Il y a dans certains cas plus d'un siècle que
des h o m m e s quittent périodiquement ces réserves pour aller travailler dans les
entreprises minières, industrielles et agricoles des Blancs et regagnent ensuite
périodiquement leurs zones rurales. Mais plus de la moitié de la population d e
l'Afrique d u Sud est urbanisée de façon permanente. Cette évolution est
d'ailleurs analogue à celle qu'on constate dans le m o n d e entier et qui se carac-
térise par une réduction générale de la population agricole. E n contrôlant
les mouvements de la main-d'œuvre en provenance des zones rurales, et en
rapatriant sans pitié tous ceux qui sont sans travail dans les zones urbaines,
le gouvernement sud-africain s'est efforcé de prévenir l'apparition d'une masse
encombrante de chômeurs dans les villes. L'intention était de faire dépendre
l'importance de la population urbaine africaine d u fonctionnement de l'écono-
mie industrielle. Mais, en l'absence d'une révolution agricole parallèle, cette
politique laisse subsister derrière elle une paysannerie appauvrie au sein de
laquelle o n peut déjà déceler des signes de révolte. D a n s la plupart des pays
industrialisés, le taux de fécondité des éléments les plus qualifiés de la p o p u -
lation, notamment parmi les cadres supérieurs et les techniciens, tend à dimi-
nuer et ces catégories ne produisent pas assez d'enfants pour occuper les
nouveaux emplois qualifiés que l'expansion de l'économie multiplie sans cesse.
C'est pourquoi on a mis au point des systèmes d'enseignement grâce auxquels
les enfants les mieux doués et les plus ambitieux des travailleurs plus prolifiques,
mais qui occupent des emplois non qualifiés, peuvent accéder à des postes les
plus élevés. C e système se caractérise par une forte mobilité sociale, sauf
lorsque celle-ci est entravée par des discriminations ethniques et raciales,
voire par u n lourd handicap trop lourd à surmonter sur le plan matériel et
éducatif. E n Afrique du Sud — c o m m e en Rhodésie — c'est la loi elle-même qui
s'oppose à cette mobilité. D a n s ces pays, ni le taux de natalité, ni le taux
d'immigration des personnes de race blanche ne sont suffisamment élevés pour
fournir à l'économie en expansion la main-d'œuvre dont elle a besoin. C'est
pourquoi on lève de temps à autre la barrière érigée entre les races pour per-
mettre aux m e m b r e s des groupes ethniques n o n blancs d'accéder à des emplois
un peu plus qualifiés. Je ne pense pas qu'il y ait là le moindre indice d ' u n
changement fondamental dans la politique raciale elle-même. Bien qu'un grand
nombre de représentants des catégories ethniques privilégiées s'élèvent eux-
m ê m e s , pour de nombreuses raisons, contre le système, il ne semble pas que
des modifications profondes puissent se produire dans u n proche avenir, à
moins d'une action internationale. Les intérêts économiques mutuels qui lient

598
Changement, conflit et règlement : dimensions nouvelles

certains m e m b r e s de tous les groupes ethniques permettent de maintenir le


système en état de fonctionnement, mais enfinde compte sa survie exigera de
plus en plus le recours à la force pour étouffer toute velléité d'opposition.
Les quelques dernières années ont montré que le réseau des liens qui
assurent le fonctionnement des systèmes sociaux complexes fondés sur des
technologies hautement développées est devenu si compliqué que, tel le méca-
nisme d'une montre, il devient extrêmement vulnérable à certaines atteintes
susceptibles de causer de profonds ébranlements, lorsqu'elles ne provoquent
pas l'effondrement de l'ensemble d u système. Devant ce danger, il se pourrait
que les États aux structures très complexes ne se montrent plus aussi tolérants
que par le passé à l'égard des opinions dissidentes. Celles-ci découlent de
l'impossibilité pour certains groupes ethniques d'obtenir l'égalité économique
et politique dans la pratique, m ê m e si cette égalité est garantie par la loi, la
pression qu'exerce l'opinion mondiale pour qu'il soit misfinà toute discrimi-
nation raciale accentuant beaucoup le ressentiment des groupes ethniques défa-
vorisés, et suscitant de nouvelles tentatives pour ébranler le système. O n peut
craindre que m ê m e les États dans lesquels le pouvoir repose sur l'assentiment
de la population soient amenés dans l'avenir à recourir de plus en plus à la
force et à la répression pour assurer le fondement d u régime et qu'ils deviennent
ainsi de moins en moins tolérants à l'égard des opinions contestataires. Il est
probable que chaque fois qu'un mouvement de contestation coïncidera avec
des divisions ethniques et culturelles, les conflits qui en résulteront deviendront
de plus en plus âpres et de moins en moins susceptibles de règlement, m ê m e
après que les problèmes matériels auront été résolus.
E n effet, c o m m e o n l'a souvent dit, les êtres humains attachent une grande
valeur à leurs idéologies, leurs cultures, leurs croyances, etc., et cela ajoute
encore à l'acharnement avec lequel ils se querellent et se combattent. E n
outre, on a déjà constaté qu'à certains égards, plus les h o m m e s deviennent
proches les uns des autres et plus les petites différences de culture et de croyance
prennent d'importance et les conflits d'acuité. Il paraît inévitable que la simi-
litude des technologies existant dans diverses parties d u m o n d e entraîne, à
maints égards, une similitude des systèmes de relations sociales. Les différences
entre systèmes sociaux des pays industrialisés se situeront probablement sur
d'autres plans plus accessoires — relations familiales, rapports d'amitié, liens
idéologiques, rapports fondés sur l'autorité et le patronage, liens d'origine
historique, etc. H peut y avoir là de nouveaux éléments de différenciation
culturelle et ethnique, à partir desquels on tentera de sauvegarder l'originalité
de tel ou tel groupe. Cependant, deux facteurs importants agiront en sens
inverse : le premier est l'interdépendance économique croissante qui peut
s'établir entre les différents pays, encore que cette interdépendance puisse
être elle-même une source de différends. Le deuxième est la propagation
d'une nouvelle forme de culture universelle. A certaines époques d u passé, il y
a eu des régions où les couches instruites de la population de différents pays
apprenaient une seule lingua franca et partageaient le m ê m e intérêt pour la
littérature, pour l'art, etc. A d'autres époques, la religion a exercé une influence
unificatrice qui n'était plus limitée à telle ou telle grande région, mais qui

599
Max Gluckman

s'étendait à tous lesfidèlesd'une m ê m e Église dans des régions différentes.


Plus récemment, cette influence a été exercée par des idéologies politiques
militantes. N'oublions pas non plus de mentionner les activités qui participent
d'une culture universelle, tels les sports et les jeux et, en particulier, l'harmo-
nieux spectacle d u football; m ê m e si la compétition est parfois violente, j'ai
constaté qu'elle fournit un sujet de conversation à une foule de personnes
d'origines et de nationalités fort diverses et il est évident qu'elle a suscité dans
le m o n d e entier l'avènement de « héros » profondément admirés. O n a vu
récemment aussi la culture « pop » devenir universelle puisqu'elle unit les jeunes
générations d'un très grand nombre de pays et de milieux sociaux fort divers.
Le grand trompettiste de jazz américain Louis Armstrong a fort bien décrit
cette situation en déclarant, lors d'une visite au G h a n a , qu'il pouvait, dans le
m o n d e entier, parler à tous avec sa trompette. J'ai m o i aussi éprouvé avec
intensité le m ê m e sentiment en 1959 lorsque, m e trouvant en plein cœur de
l'Ouganda, je dansais des danses européennes en compagnie d'Africains et
d'Africaines dans une hutte de pisé traditionnelle, au son de disques de musique
pop jouée par des orchestres zoulous qui chantaient également en zoulou —
langue que j'avais étudiée trente ans plus tôt en Afrique d u Sud, à des milliers
de kilomètres de là, sous u n régime de ségrégation raciale. Cette culture, qui
comporte des formes d'art et de littérature, de musique et de danse, mais
malheureusement aussi un certain usage des stupéfiants, s'accompagne d'un
puissant sentiment de solidarité et, partant, d'un refus de toutes les formes de
discrimination raciale et ethnique c o m m e aussi de frustration sociale. Certains
des aspects de cette culture peuvent troubler, voire effrayer, ceux que ses
adeptes appellent « les gens de la bonne société », par son universalisme elle
n'en lutte pas moins contre u n des fléaux les plus redoutables de notre temps,
la discrimination ethnique et raciale.

[Traduit de l'anglais]

Max Gluckman, né en Afrique du Sud, a mené de vastes


recherches anthropologiques dans son pays d'origine.
Depuis 1949 il est professeur d'anthropologie sociale
à l'Université de Manchester (Royaume-Uni).
Parmi ses publications on peut citer Custom and conflict
in Africa (1955), Order and rebellion in tribal Africa
(1963) et Ideas and procedures in African
customary law (1969).

600
G o Gien-tjwan Évolution de la situation
professionnelle des Chinois
dans l'Asie du Sud-Est

Depuis que tous les pays de l'Asie du Sud-Est ont accédé à l'indépendance
dans les années cinquante, événement qui a coïncidé avec l'apparition d'un
puissant État communiste chinois sur le continent asiatique et avec le retrait d u
gouvernement nationaliste chinois à Taïwan, les spécialistes se sont aperçus
qu'il existait une troisième Chine 1 . Il s'agit de l'ensemble de toutes les minorités
chinoises qui, bien avant l'époque coloniale, se sont installées dans le Nanyang,
cette région des mers d u Sud qui s'étend des États limitrophes de la Chine —
Viêt-nam, Laos et Birmanie — jusqu'à la Nouvelle-Guinée et aux lointaines
îles Tanimbar de l'Indonésie. Douze à treize millions de membres de l'ethnie
chinoise2, qui ne sont ni communistes c o m m e sur le continent, ni nationalistes
c o m m e à Taïwan, mais qui ont tous en c o m m u n un certain m o d e de vie distinct
des cultures indigènes des pays d'accueil, constituent un élément n o n négli-
geable des quelque 230 millions d'habitants de cette région, leur pourcentage
variant d'un pays à l'autre. Es ont un autre trait c o m m u n : dans chaque
pays, ils jouent un rôle économique important. Pour cette raison, o n peut pré-
sumer qu'ils ont été victimes de persécutions allant de la discrimination sur le
plan juridique à de véritables pogromes c o m m i s soit par les anciennes adminis-
trations coloniales soit par les nouveaux gouvernements indépendants et les
populations indigènes.
L'idée d'une troisième Chine qui constituerait « un peuple, un groupe
national distinct, développé, économiquement puissant, nombreux 3 » risque
d'induire en erreur car, d'un point de vue théorique, cette notion semble
indiquer que le problème des minorités chinoises peut être considéré c o m m e
celui d'un groupe d'étrangers de classe moyenne non assimilés au sein d'une
société arriérée. Cette vue pourrait facilement conduire à faire la part trop
grande à la persistance des traits culturels chinois à travers les âges et à m é c o n -
naître les changements qui se sont produits — et qui continuent à se produire —
dans le groupe minoritaire lui-même c o m m e dans la société d'accueil. L'objet
du présent article est de présenter quelques essais de commentaires sur des

1. C . P . F I T Z G E R A L D , The third China, Christchurch, Whitcombe and T o m b s , 1965, vn + 109 p.


2. Lea E . W I L L I A M S , The future of the overseas Chinese in Southeast Asia, p. 11, N e w York,
McGraw-Hill.
3. C . P. F I T Z G E R A L D , op. cit., p. 84.

601
Rev. Int. Se. soc, vol. XXIU (1971), n° 4
G o Gien-tjwan

constatations sociologiques et socio-historiques actuelles relatives à la situa-


tion des minorités chinoises en Asie d u Sud-Est.
Victor Purcell, dont l'ouvrage classique reste indispensable à qui veut
étudier la sociologie et l'histoire des Chinois d u Nanyang 1 , se trouvant à une
assemblée de la C h u n g Hua-hui (l'association des Chinois aux Pays-Bas) qui
avait réuni à Leyde en 1946 une centaine de Chinois d'Indonésie, fut frapt>épar
le fait que bon nombre d'entre eux avaient le teint foncé, contrairement aux
Chinois de Malaisie, à l'exception peut-être de certains Chinois de Penang et de
Malacca. Si, c o m m e l'observa Purcell, l'aspect physique des Chinois de Malai-
sie diffère de celui des Chinois d'Indonésie, la m ê m e différence existe à l'inté-
rieur du groupe des Chinois d'Indonésie. U n e jeune paysanne de la région de
Tangerang, près de Djakarta, qui revendique une ascendance chinoise bien
qu'elle soit déjà largement assimilée à la culture indonésienne, est, du point
de vue tant physique que culturel, quelqu'un de très différent2 de lafillesophis-
tiquée du riche marchand d'origine chinoise qui fréquente une école catho-
lique romaine tenue par des Ursulines dans la ville cosmopolite qu'est Djakarta.
O n constate des différences aussi évidentes à l'intérieur de la communauté
chinoise de Malaisie. Par contre, quand on considère la totalité des c o m m u n a u -
tés chinoises installées dans l'Asie du Sud-Est, il est tout aussi exact de discerner
chez tous ces membres d u groupe ethnique chinois une caractéristique cultu-
relle c o m m u n e qui les différencie des cultures environnantes. C'est cette « sinité »
qui est à la base d u concept d'une troisième Chine.
Si nous examinons maintenant du point de vue économique la situation
des Chinois d u Nanyang, nous discernons une situation analogue en ce qui
concerne le m o d e de vie. D a n s une étude récente, Lea E . Williams a bien ana-
lysé le stéréotype du Chinois étranger, commerçant d u Nanyang 3 . Il reconnaît
qu'une part énorme du commerce passe par des mains chinoises; mais il
ajoute : « Il est néanmoins faux de croire que les Chinois d'outre-mer sont
exclusivement ou m ê m e généralement de grands marchands. Pour chaque
Chinois qui conquiert u n empire commercial, on compte des milliers de
commerçants modestes et, pour chaque petit boutiquier ou colporteur, des
dizaines de manœuvres. D e plus, il y a des Chinois d'outre-mer dans presque
toutes les activités professionnelles, qualifiées o u non qualifiées, manuelles o u
intellectuelles, très lucratives ou suffisant tout juste pour vivre. Les Chinois
travaillent c o m m e domestiques, dockers, marins, chirurgiens, récolteurs de
latex, annonceurs à la radio, 'tuyauteurs ' sur les champs de courses et agents
immobiliers. Il n'y a probablement pas un secteur d'activité o ù ils ne soient pas
représentés, bien que, dans l'ensemble de l'Asie d u Sud-Est, on trouve relative-
ment peu de Chinois qui fassent carrière dans la politique, l'administration o u
l'armée4. » U n e analyse socio-historique permettrait de mieux comprendre la

1. Victor P U R C E L L , The Chinese in Southeast Asia, 2nd ed., p. 6, note 5, Londres, Oxford
University Press, 1966.
2. G o G I E N - T J W A N , Eenheid in verscheidenheid in een Indonesisch dorp [Un village indonésien :
unité dans la diversité], p. 267, Amsterdam, Sociologisch Historisch Seminarium voor Zuid-
Oost Azië, Universiteit van Amsterdam, 1966.
3. Lea E . W I L L I A M S , op. cit., p. 17 et suiv.
4. Ibid., p. 20.

602
Évolution de la situation professionnelle des Chinois dans l'Asie d u Sud-Est

situation actuelle des Chinois d u Nanyang qui, à en juger d'après la brève


description qui vient d'en être faite, appelle manifestement une mise au point
critique.
L a situation actuelle des Chinois d u N a n y a n g — à la seule exception des
Chinois de Thaïlande — est l'aboutissement de trois étapes historiques : une
période pré-coloniale, une période coloniale et l'ère actuelle des nations
nouvelles. Je voudrais tout d'abord présenter quelques observations sur le
stéréotype largement répandu dans les milieux universitaires, journalistiques et
politiques, qui veut que les Chinois du N a n y a n g se seraient adonnés au c o m -
merce par goût. Dans une étude antérieure, j'ai formulé l'hypothèse selon la-
quelle, avant la période coloniale, les immigrants chinois s'étaient installés
c o m m e agriculteurs et avaient introduit la culture du poivrier et de la canne à
sucre dans la région à peu près vide d'habitants et inculte de Banten, à l'ouest
de Djakarta1. Se fondant lui-même sur des recherches archéologiques effectuées
dans l'ouest de Banten et dans le sud de Sumatra, van Orsoy Flines a conclu
que ces établissements chinois remontaient très probablement au début de
l'ère chrétienne2, sur quoi v o n Heine Geldern a fait observer que cette conclu-
sion était sans aucun doute exacte et que des colonisateurs o u des c o m m e r -
çants chinois devaient être installés en Indonésie dès l'époque des H a n 3 .
D a n s un passage d u Discourse of Java d ' E d m u n d Scot, o n trouve une indica-
tion à l'appui de m o n hypothèse : « Les Javanais sont en général extrêmement
fiers, bien qu'ils soient très pauvres, pour la raison qu'il n'en est pas u n sur
cent qui travaille... Les Chinois plantent et cultivent le poivrier et en récoltent
le produit; ils sèment aussi leur riz et mènent une vie d'esclave; mais ils tirent
toute la richesse du pays du fait de l'indolence des Javanais*. »
Cependant, avant la période coloniale, la principale fonction socio-écono-
mique des Chinois du N a n y a n g s'exerçait dans les domaines d u commerce,
de l'artisanat et des petites industries — par exemple, des sucreries associées à
des distilleries d'arak et des fabriques de poteries c o m m e il en existait dans
l'ancienne Djakarta. N o u s s o m m e s redevables à van Leur 5 et à Meilink-
Roelofsz6 pour leurs analyses d u commerce asiatique, qui révèlent la prépon-
dérance manifeste des Chinois avant l'hégémonie européenne. Je peux donc m e
limiter à quelques remarques sur l'évolution de la situation professionnelle
des Chinois.
Avant l'apparition des Européens sur la scène du Sud-Est asiatique, les
commerçants chinois s'occupaient surtout d'importations et d'exportations. Il
y avait des établissements chinoisflorissantssur les côtes des mers du Sud.

1. G o GlEN-TJWAN, Op. Cit.,


2. Ibid., p. 29.
3. Ibid., p. 29 et 30.
4. Samuel P U R C H A S , Hakluytus posthumus or Purchas his pilgrimes, vol. II, chap. IV : A dis-
course of Java, and of thefirstEnglish factorie there, with divers Indian, English and Dutch
occurents, written by Master Edmund Scot, p . 440 et 441, Glasgow, James MacLehose and
Sons, 1905.
5. J. C . V A N L E U R , Indonesian trade and society, L a Haye, V a n Hoeve, 1955, 465 p.
6. M . A . P . M E I L I N K - R O E L O F S Z , Asian trade and European influence, La Haye, Nijhoff, 1962,
471 p .

603
G o Gien-tjwan

U n exemple : Gresik, sur la côte nord-est de Java, dont Pires disait que c'était
« le grand port de commerce, le meilleur de tout Java... le joyau des ports de
commerce de Java... les Javanais l'appellent le port des riches1... », et dont
les sources chinoises précisent qu'il s'agissait d'un rocher désolé avant que les
Chinois arrivent dans le pays et s'y établissent2. Plus tard, lorsque l'économie
de l'Asie du Sud-Est a cessé d'être autosuffisante et a c o m m e n c é à dépendre d u
commerce international, ces établissements servirent de bases à la pénétration
pacifique des petits commerçants chinois vers l'intérieur de Java. Selon u n
témoin oculaire hollandais de lafind u xvie siècle, Willem Lodewijcksz, ces
colporteurs parcouraient le pays une balance dans une main et u n chapelet de
pièces de monnaie chinoises dans l'autre3. Il importe peu de savoir à quel
m o m e n t exact a eu lieu la transformation de la structure d u commerce chinois
— pour le C a m b o d g e , William Willmott estime que ce n'est qu'à l'époque
M i n g (1368-1644) qu'on trouve suffisamment de céramiques chinoises d'emploi
courant pour permettre de conclure que le commerce avait atteint l'habitant
de l'intérieur4. En fait, le commerce de détail, qui devait devenir et rester la
principale activité des Chinois aux époques coloniale et postcoloniale, ne
faisait encore que prendre son essor lorsque les Européens arrivèrent dans les
pays d u Nanyang. Ils délogèrent peu à peu les commerçants chinois de
leur position stratégique d'importateurs et d'exportateurs, les confinant a u
secteur secondaire d u commerce intermédiaire, entre d'une part la C o m p a -
gnie hollandaise des Indes ou la Compagnie anglaise des Indes orientales,
militairement et politiquement puissantes, et d'autre part les populations agri-
coles de l'Asie du Sud-Est.
La première période historique, d'où l'influence occidentale est absente, a
été décisive pour la suite de l'évolution socio-économique et culturelle, car elle
a déterminé la position économique des Chinois ainsi que ses effets sur les
relations interraciales. D a n s les emporiums cosmopolites disséminés le long des
côtes, les commerçants étrangers s'entassaient, chaque nation dans son quartier
et tous reconnaissant l'autorité du prince local. A Java également, les Chinois
vivaient séparés des Javanais et des autres commerçants étrangers. Il semble
qu'il y ait eu des tensions raciales. Wertheim cite E d m u n d Scot déclarant que les
Javanais « se réjouissent fort lorsqu'ils voient exécuter u n Chinois; et les
Chinois ne se réjouissent pas moins lorsqu'ils voient un Javanais mis à mort 6 ».
Wertheim laisse ensuite entendre que certaines mesures antichinoises prises
par des monarques d'Asie d u Sud-Est ont eu peut-être des mobiles essentielle-

1. T o m é PIRES, The Suma Oriental: An account of the East, from the Red Sea to Japan, written
in Malacca and India in 1512-1515, p. 192 et 193, vol. I, Londres, Hakluyt Society, 1944.
2. W . P. G R O E N E V E L D T , Historical notes on Indonesia and Malaya, compiled from Chinese
sources, p. 47, Djakarta, Bhratara, 1944.
3. Willem L O D E W I J C K S Z , De eerste schipvaart der Niederländers naar Oost-Indië onder Cornells
de Houtman 1595-1597 [Le premier voyage des Hollandais aux Indes orientales sous la direc-
tion de Cornelis de Houtman, 1595-1597], p. 122, La Haye, Nijhoff, 1915, (Linschoten-
vereeniging.)
4. William E . W I L L M O T T , The Chinese in Cambodia, p. 5, Vancouver, University of British
Columbia, 1967.
5. W . F . W E R T H E I M , East-West parallels, p. 53 : « Trading minorities in South-East Asia »,
La Haye, Van Hoeve, 1964.

604
Évolution de la situation professionnelle des Chinois dans l'Asie du Sud-Est

ment politiques, liés à la crainte qu'inspirait la puissance de la Chine; mais il


est également évident que la plupart des princes locaux encourageaient d'ordi-
naire le commerce chinois, car ils pouvaient en tirer des avantages certains.
Wertheim a raison de se montrer assez prudent pour ne pas attribuer ces
tensions raciales entre Chinois et Javanais à une concurrence capitaliste repo-
sant sur des difFérences raciales, théorie qu'il a développée pour analyser la
période coloniale. En effet, on peut faire valoir que le commerce extérieur tel
que le pratiquaient les marchands asiatiques différait complètement d u c o m -
merce international actuel, où la féroce concurrence qui oppose d'énormes
entreprises monopolistes vise uniquement la réalisation d'un profit. L e c o m -
merce asiatique traditionnel avait davantage u n caractère complémentaire et
ressemblait plutôt au troc qu'au commerce capitaliste1. Pour u n exemple
d'animosité raciale, o n trouve bien davantage d'exemples de relations étroites
et amicales qui ont entraîné une assimilation très avancée des Chinois.
U n passage du Ying-yai shenglan [Relation générale des rivages de l'océan],
journal tenu par M a H u a n , l'un des deux interprètes chinois musulmans qui
accompagnèrent l'émissaire impérial chinois Cheng H o à Java en 1416, nous
apprend que, sur la côte septentrionale, il y avait beaucoup de Chinois qui
étaient certainement assez profondément assimilés puisqu'ils s'étaient convertis
à l'islam2. Q u a n d T o m é Pires visita la m ê m e région entre 1512 et 1515, il nota :
« A l'époque où il y avait des païens sur les côtes de Java, nombre de marchands
se rendaient dans cette région : Parsis, Arabes, Gujaratis, Bengalis, Malais et
autres nationalités, dont beaucoup de musulmans. Ils commercèrent dans le
pays et s'enrichirent. Ils réussirent à édifier des mosquées... Ces seigneurs
pâtes ne sont pas des Javanais établis de longue date dans le pays, mais ils
descendent de Chinois, de Parsis et de Telingas... ces gens ont accédé à u n
rang plus élevé dans la noblesse et dans l'État javanais que les gens de l'inté-
rieur8. »
Les observations recueillies par Pigeaud et Stutterheim confirment bien
qu'il y a eu des cas où des Chinois sont devenus, du point de vue culturel, plus
indonésiens que chinois. D u fait que M a H u a n et Pires continuaient à leur attri-
buer une ascendance chinoise et qu'il y avait une masdjid patjinan [mosquée
chinoise] dans l'ancienne Banten, o n peut en conclure qu'ils n'étaient pas
assimilés au point d'avoir perdu leur identité. Il est intéressant de noter qu'en
Thaïlande, pays qui n'a jamais été colonisé, dans une situation par ailleurs
comparable, les relations sino-thaïlandaises ont abouti à une thaïlandisation
complète des Chinois4. Quelle que soit la structure socio-culturelle qui en est
résultée, qu'il s'agisse d'une assimilation complète o u partielle, il reste qu'il y
avait des membres du groupe ethnique chinois qui s'identifiaient à leur pays de

1. B . S C H R I E K E , Indonesian sociological studies: selected writings, vol. I, p. 21, La Haye, Van


Hoeve, 19SS. Schrieke donne une description générale des comptoirs de Java oriental à
leur apogée. C'est cette description qui m ' a fait conclure que le commerce asiatique était
à l'origine un commerce de troc.
2. W . P. G R O E N E V E L D T , op. cit., p. 49.
3. T o m é PIRES, op. cit., p. 182.
4. G . W . SKINNER, Chinese society in Thailand: an analytical history, p. 128-134, Ithaca, Cornell
University Press, 1957.

605
Go Gien-tjwan

résidence. W a n g G u n g w u cite le cas de deux missions officielles auprès de l'em-


pereur de Chine, envoyées respectivement par le Siam et par Java, dont faisaient
partie un Siamois et un Javanais d'origine chinoise, ce dernier remplissant m ê m e
les fonctions de chef de mission. L e Siamois, qui s'appelait Tseng Shou-hsien,
accomplit deux missions (en 1405 et en 1411); l'envoyé javanais était un
m e m b r e du groupe ethnique chinois n o m m é C h ' e n Wei-ta 1 .
L'analyse de la situation des commerçants chinois à l'époque précoloniale
permet de dégager trois points. Le premier est que, dans la structure socio-écono-
mique de l'époque, caractérisée par l'absence de concurrence capitaliste du type
moderne, l'activité commerciale d'un étranger n'était pas un obstacle à son
assimilation. Les rapports entre les Javanais et les commerçants étrangers des
ports marchands pouvaient se comparer aux rapports entre les marchands co-
hong de Canton et les commerçants occidentaux d u début du xrxe siècle : « Ils
étaient unis aux commerçants étrangers par u n esprit de camaraderie, s'aidant
les uns les autres à surmonter leurs difficultés et à échapper à la faillite2.» C'étaient
là les rapports entre « comprador » et commerçant étranger : chacun avait besoin
de l'autre étant donné qu'ils remplissaient des fonctions complémentaires.
Le deuxième point concerne les Chinois qui, lorsque l'économie de l'Asie
du Sud-Est est passée de Fautosuffisance à l'interdépendance avec les marchés
mondiaux, commencèrent à pénétrer dans l'intérieur du pays. L à encore, il n'y
avait pas de concurrence avec des autochtones. Les Chinois s'aventurèrent dans
les régions à population dense — le delta du Tonkin et les bassins du M é k o n g ,
du M a e N a m C h a o Phraya et de Tlrrawaddy sur le continent, le delta des
fleuves Brantas et Solo à Java — o ù la riziculture constituait le principal m o y e n
de subsistance3 qui faisait vivre une grande partie de la population et fournissait
un excédent offert en h o m m a g e au dieu-roi. D a n s ces civilisations, la profession
de commerçant n'était tenue en haute estime ni par les paysans — qui ne ressen-
taient pas le besoin d'abandonner le système socio-économique traditionnel —
ni par la noblesse. Selon le droit traditionnel, les étrangers ne pouvaient devenir
membres des communautés fermées des villages. C o m m e il leur était interdit
de s'adonner à l'agriculture et d'acquérir de la terre, les Chinois vinrent
combler un vide social et remplir la fonction de commerçants ou pratiquer des
formes d'artisanat inconnues dans le pays d'accueil4. L'absence de concurrence
interethnique favorisait l'établissement de rapports amicaux. Les quelques
commerçants chinois de l'ancienne capitale khmère Angkor T h o m , dans l'inté-
rieur, semblent toutefois avoir joui d'un grand prestige puisqu'on rapporte
que les indigènes les vénéraient au point de se prosterner devant eux 5 .

1. W A N G G U N G W U , « China and South-East Asia 1402-1424 », dans : J. C H ' E N et Nicholas


T A K L I N G (ed.), Studies in the social history ofChina and South-East Asia, p. 396 et 398, Londres,
Cambridge University Press, 1970.
2. Immanuel C . Y . Hsü, The rise of modern China, p. 196, N e w York, Oxford University Press,
1970.
3. H . J. H . A L E R S , Dilemma in Zuid-Oost Azië [Dilemme en Asie du Sud-Est], p. 102, Leyde,
Brill, 1955.
4. G o G I E N - T J W A N , op. cit., p. 208-210.
5. William E . W I L L M O T T , op. cit., p. 4 et 5, ainsi que : William E . W I L L M O T T , « History and
sociology of the Chinese in Cambodia prior to the French protectorate », Journal of Southeast
Asian history, vol. VII, 1966, p. 20-22.

606
Évolution de la situation professionnelle des Chinois dans l'Asie du Sud-Est

Le troisième point est que les Chinois n'ont pas importé au Nanyang des
convictions religieuses liées à une attitude méprisante à l'égard d'indigènes
considérés c o m m e des païens, c o m m e lefirentd'autres commerçants étrangers :
islam ou hindouisme pour ceux qui venaient de l'Inde ou christianisme pour les
Occidentaux. L a religion chinoise traditionnelle — mélange syncrétique de
confucianisme, de bouddhisme et de taoïsme et plutôt m o d e de vie que religion
en un sens théiste, et surtout fondamentalement rationnel — ne constituait pas
u n empêchement pour embrasser une autre croyance, qu'il s'agisse d u boud-
dhisme au Siam, au C a m b o d g e ou en Birmanie ou de l'islam en Indonésie. Il ne
faut pas oublier, de surcroît, que les commerçants ont tendance à être plus
souples sur le plan spirituel que les paysans. E n fait, m ê m e aujourd'hui, les
paysans chinois de l'ouest de Java, bien qu'ils soient presque entièrement
assimilés sur le plan culturel, ne sont pas islamisés1. Us sont restés des perana-
kans, c'est-à-dire u n segment de la population indonésienne qui a conservé
u n caractère chinois propre. Les babas de Malacca et de Penang ne sont pas
non plus devenus des musulmans. Dans ces deux endroits, les colonies chinoises
sont relativement nombreuses, ce qui leur permet de conserver u n caractère
plus chinois.
Contrairement à la structure socio-économique précoloniale qui donnait au
commerçant chinois toutes chances de s'intégrer à la société indigène, la struc-
ture coloniale occidentale qui a été progressivement imposée aux anciennes
civilisations de l'Asie du Sud-Est a réduit ces possibilités d'intégration. Exclus
du commerce international par des intérêts européens puissants et politique-
ment protégés qui ont également détruit le commerce indigène naissant — en
Asie d u Sud-Est, les Indonésiens qui se livraient au commerce maritime étaient
les plus avancés — les Chinois se sont vu peu à peu assigner le rôle d'intermé-
diaire chargé de distribuer les marchandises importées par les Européens et de
collecter les produits agricoles destinés à être exportés par les Européens.
U n e telle situation en sandwich est précaire, car il n'était que trop facile d'im-
puter au commerçant chinois la responsabilité des malheurs et de la misère
résultant d'une chute des prix mondiaux des produits agricoles o u d'une
augmentation des prix des marchandises importées. Cependant, il est remar-
quable que, pendant la grande dépression d u début des années trente, à Java,
o ù les Chinois constituent le groupe minoritaire le plus typique de l'Asie d u
Sud-Est, aucune émeute raciale importante n'ait éclaté à l'exception d'une
sérieuse flambée d'hostilité contre les Chinois de Pekalongan en 1931. U est
intéressant de noter que l'émeute de 1931 ne fut causée ni par la crise écono-
mique mondiale, qui a durement touché l'Indonésie, ni par une explosion
spontanée d ' u n ressentiment latent à l'égard des Chinois. H s'est agi plutôt
d'un retour des violentes émeutes antichinoises de 1912 et de 1918, déclenchées
pour des raisons de concurrence par les marchands et fabricants indigènes de
tissus batik et de cigarettes kretek appartenant au parti militant Sarekat Islam.
Il semblerait que, malgré les barrières de l'époque coloniale tenant à la
couleur ou à la caste, un rapport spécifique de patron à client se soit instauré,

1. G o G I E N - T J W A N , op. cit., p. 163-204.

607
G o Gien-tjwan

réduisant le risque qu'une hostilité latente à rencontre des Chinois ne dégé-


nère en violence. Cette institution d u patronage est une fonction économique
complémentaire, caractérisée par u n rapport relativement personnel entre le
bah-buyut — u n peu c o m m e l'arrière-grand-père, m ê m e si le commerçant
chinois était plus jeune que le paysan javanais — ou le pauk paw [le plus proche
parent], en Birmanie, et la population indigène. Il y aurait lieu d'approfondir
cette question en tenant compte des récents travaux sociologiques sur les
systèmes de relations de dépendance dans les pays en voie de développement 1 .
Le patronage n'est mentionné ici que pour fournir un nouvel argument contre
l'idée d'une société coloniale pluraliste défendue par Furnivall, c'est-à-dire
« une société comprenant deux ou plus de deux éléments d'ordres sociaux
vivant côte à côte sans se mélanger2 ».
L'idée qu'il y a u n rapport spécifique entre le commerçant chinois de
l'intérieur et le paysan indigène a également été développée par William
Willmott en ce qui concerne les relations sino-khmères : « Bien qu'une société
plurale puisse manquer de volonté sociale, c o m m e l'a dit Furnivall, la nature
des liens économiques existant entre le commerçant chinois et le paysan indi-
gène est telle que leur intérêt c o m m u n exige le maintien et le développement
de ces liens. Sans le commerçant, le paysan n'a pas accès aux divers produits
manufacturés qui lui sont désormais indispensables; sans le paysan, le c o m -
merçant n'a ni client pour ses marchandises, ni fournisseur pour les grains qu'il
vend en ville. D e plus, des arrangements de crédit que ni l'un ni l'autre ne tient
à rompre, nécessairement fondés sur la confiance mutuelle, les lient indissolu-
blement. Autrement dit, les relations économiques existant entre des catégories
d'agents économiques ayant des fonctions spécifiques donnent naissance à des
intérêts c o m m u n s qui cimentent la société plurale, et cela, que les pressions
externes de la puissance coloniale s'exercent ou n o n en faveur de la paix3. »
Si l'on a l'impression de relations très paisibles entre les commerçants chinois
et les paysans indigènes, ainsi que le notent des observateurs qualifiés c o m m e
Purcell4, Donald Willmott6 et William Wilmott, cela est dû, selon m o i , à
l'existence d u système de patronage dans les régions rurales de la Birmanie,
de Java et du C a m b o d g e .
Mais cette description et cette analyse de la situation d u commerçant
chinois en tant que détaillant ne sont qu'un élément d u tableau. Il s'agit là
d'un type idéal au sens wébérien qui montre bien la position intermédiaire
de la minorité chinoise entre les Européens, au sommet de la hiérarchie colo-
niale, et la population indigène, à l'échelon le plus bas. Il concorde en outre
avec l'idée de Furnivall selon laquelle, dans une pareille société, la répartition

1. W . F . W E R T H E I M , « Patronage, vertical organization and populism », paper read at the


Vlllth International Congress of Anthropological and Ethnological Sciences in Tokyo,
1968.
2. J. S. F U R N I V A L L , Netherlands India: a study of plural economy, 2nd ed., p. 446, Londres,
Cambridge University Press, 1944.
3. William E . W I L L M O T T , The Chinese in Cambodia, op. cit., p. 96.
4. Victor P U R C E L L , op. cit., p. 69-70.
5. Donald E . W I L L M O T T , The national status of the Chinese in Indonesia 1900-1958, éd. rév.,
p. 12, Ithaca, Cornell University, 1961.

608
Évolution de la situation professionnelle des Chinois dans l'Asie d u Sud-Est

des fonctions économiques coïncide dans une large mesure avec des différences
raciales1. Toutefois, l'affirmation que « tout Chinois est u n commerçant »
ne résiste pas à un examen attentif de la réalité sociale. A cet égard, il est fort
instructif de considérer la situation du groupe ethnique chinois à Java, c'est-à-
dire probablement d u groupe minoritaire le plus typique des Chinois d u
Nanyang.
Le recensement de 1930 fait apparaître que 57,66 % des Chinois exerçant
une activité professionnelle faisaient d u commerce, tandis que 20,81 % tra-
vaillaient dans l'industrie, 2,83 % dans les communications, 9,11 % dans la
production de matières premières — agriculture indigène, culture de fruits et
de légumes, élevage, pêche, chasse, sylviculture, etc. — et 9,59 % exerçaient
un autre métier — médecine, droit, journalisme, enseignement, fonction
publique, travaux de maison et autres occupations non précisées. Les Chinois
qui faisaient d u commerce pouvaient se répartir c o m m e suit : boutiquiers et
colporteurs, 27,02 %; commerce de l'alimentation, d u tabac, etc., 12,88 %;
textiles, 9,23 %; commerçants en gros et courtiers, 0,43 %; établissements de
crédit, 2,93 %; divers, 5,17 %*. M ê m e si nous tenons compte du fait que ces
pourcentages englobent les employeurs et les employés et ne révèlent donc pas
les différences de classe à l'intérieur d u groupe chinois, il est évident que le
commerce de détail n'était pas la principale activité professionnelle des Chinois
de Java en 1930.
Il convient d'analyser de la m ê m e manière les données statistiques dont o n
dispose sur la situation économique des Chinois dans les autres pays d'Asie du
Sud-Est. Si les Chinois de la Fédération de Malaisie — avant la fondation de la
Malaisie — produisaient plus de 70 % d u revenu national et possédaient 72 %
des moyens de transports routiers, 40 % des mines d'étain et 35 % des planta-
tions d'hévéas3, il ne faut jamais oublier que les salaires des nombreux coolies
chinois qui travaillaient dans les mines d'étain et dans les plantations, cons-
truisaient des routes et chargeaient des navires ne représentaient qu'un faible
pourcentage de ce que pouvaient gagner les magnats chinois du caoutchouc.
L a dynamique économique n'était pas la seule force qui nuisait à la société
coloniale de castes; en fournissant aux fils un m o y e n de s'élever dans l'échelle
sociale par rapport à leur père et à leur grand-père, l'éducation jouait le m ê m e
rôle4, indépendamment d u désir conscient o u inconscient des colonisateurs de
modifier l'orientation commerciale des Chinois. D a n s le cas de l'Indonésie,
jusque vers le début de ce siècle, il était tout naturel que tous les Chinois suivent
la voie commerciale, conformément à la tradition précoloniale et coloniale. E n
1900, u n Chinois né en Indonésie créa l'embryon d'un système d'enseignement

1. J. S. FURNTVALL, Op. Cit., p. 451.


2. Volkstelling 1930 [Le recensement de 1930 aux Indes néerlandaises], vol. VII : Chineezen
en andere Vreemde Oosterlingen in Nederlandsch-Indië [Les Chinois et autres orientaux
non indigènes aux Indes néerlandaises], Subsidiary table n° 26, p. 136, Batavia, Departement
van Economische Zaken, 1935.
3. Alice T A Y E R H S O O N , « The Chinese in South-East Asia », Race: The journal of the Institute
of Race Relations, vol. IV, n° 1, novembre 1962, p. 34.
4. R a y m o n d K E N N E D Y , « T h e colonial crisis and the future », dans : Ralph L I N T O N (ed.),
The science of man in the world crisis, p. 311, N e w York, Columbia University Press, 1945.

609
G o Gien-tjwan

chinois, et huit ans plus tard les possibilités d'éducation offertes aux enfants
chinois furent accrues grâce à la fondation d'écoles hollando-chinoises subven-
tionnées par les pouvoirs publics. Il convient de noter que, là o ù il ne leur était
pas possible d'entrer dans une école de type chinois de l'une o u l'autre caté-
gorie, les jeunes Chinois fréquentaient les écoles publiques néerlandaises desti-
nées aux enfants indonésiens. E n 1929-1930, il n'y avait pas moins de 8 000
enfants chinois qui fréquentaient ce dernier type d'écoles1. D e plus, les enfants
de parents chinois fortunés étaient admis dans les écoles européennes.
La conclusion à tirer de ces données est qu'il y avait peu de chances que
tous les enfants d'un petit commerçant puissent gagner leur vie en travaillant
dans l'entreprise familiale. Peut-être u n ou deux pouvaient le faire; mais l'en-
seignement moderne qui leur avait été dispensé leur donnait la possibilité de
choisir de nouvelles professions. D e plus, dans une société o ù la couleur et la
caste ont de l'importance, le fait de connaître une langue européenne et d'avoir
adopté un m o d e de vie occidental conduit à dédaigner la profession de petit
boutiquier. L a forte pression économique qu'exerçait la crise économique
mondiale des années trente ne laissait pas d'autre choix aux jeunes Chinois
élevés à l'occidentale que de devenir employés de bureau dans une entreprise
européenne o u d'occuper dans l'administration civile coloniale un poste acces-
sible aux Chinois. Il est indispensable de souligner l'importance de l'éducation
c o m m e facteur de changement de la situation commerciale traditionnelle des
Chinois. Selon les normes chinoises, les lettrés occupent le s o m m e t de la hiérar-
chie sociale. Il est indéniable que m ê m e les plus riches Chinois d u Nanyang
préféraient que leurs enfants aient une éducation aussi poussée que possible.
Or, on ne peut attendre d'un médecin qu'il tienne u n commerce de détail ou
m ê m e dirige une mine d'étain.
Les sociétés castées c o m m e celles de l'Asie du Sud-Est à l'époque coloniale
ne sont pas favorables à l'assimilation des minorités ethniques. Les facteurs
d'intégration mentionnés plus haut atténuaient la rigidité des forces de division
inhérentes à la structure coloniale. L'existence m ê m e , à l'époque précoloniale,
dans tous les pays d'Asie du Sud-Est, de communautés de Chinois nés sur place
qui tendaient à adopter des traits de la culture locale atteste que les différences
culturelles, quand bien m ê m e elles sont exacerbées dans le contexte colonial,
n'empêchent pas les groupes ethniques d'instaurer entre eux des rapports plutôt
paisibles. Les tensions raciales qui existent dans l'Asie du Sud-Est ne peuvent
être attribuées uniquement à des séquelles coloniales. L'ethnocentrisme favorisé
par le colonialisme peut certainement conduire au racisme. Mais il y a sûrement
d'autres facteurs qui expliquent pourquoi ce n'est qu'après 1900 que les popu-
lations indigènes ont déclenché des troubles antichinois à maintes reprises et
d'une assez grande ampleur. C'est m ê m e dans u n pays indépendant, le Siam,
que le racisme antichinois a été formulé pour la première fois, en 1914, dans
l'opuscule intitulé Les juifs de VOrient, dont l'auteur n'était rien moins que le
roi R a m a V I — qui, soit dit en passant, était en partie d'ascendance chinoise.
Le professeur Wertheim a été le premier à soutenir la théorie selon laquelle

1. Volkstelling 1930, op. cit., p . 108.

610
Évolution de la situation professionnelle des Chinois dans l'Asie d u Sud-Est

les tensions raciales entre les minorités chinoises d'Asie d u Sud-Est et les pays
hôtes ont pour origine une concurrence économique fondée sur des différences
raciales1. A u début de ce siècle est apparue une classe commerçante indigène en
Asie du Sud-Est. L a complémentarité économique entre deux groupes égale-
ment puissants, les compradors indigènes et les commerçants étrangers chinois,
ne domine plus la scène dans l'Asie du Sud-Est d u x x e siècle. C e rapport a
été remplacé par une concurrence féroce entre des groupes capitalistes ayant
une orientation analogue. Wickberg affirme que cette concurrence a c o m m e n c é
encore plus tôt aux Philippines : « Après 1850, la croissance de la population
chinoise du point de vue du n o m b r e , de la répartition et du pouvoir économique
fit naître une situation de concurrence avec les entreprises des métis et des
Philippins qui s'étaient développées au cours des cent années 1750-1850. Dans
les controverses antichinoises des années 1880 et 1890, les préjugés culturels
étaient implicites. Mais les facteurs économiques étaient décisifs2. » L a m ê m e
situation est apparue en Indonésie et ailleurs u n peu plus tard. E n Malaisie,
la première explosion généralisée de sentiments antichinois n ' a eu lieu que le
13 mai 1969. Le cas de l'Indonésie est probablement celui qui révèle le mieux
la structure d'ensemble de la situation conflictuelle d u groupe des Chinois d u
Sud-Est asiatique tel qu'elle s'est développée depuis le commencement de ce
siècle, après que le nationalisme des pays de cette région fut devenu progres-
sivement u n facteur important des relations interethniques — et le facteur
dominant depuis l'accession à l'indépendance de tous les pays d'Asie d u
Sud-Est.
Le Sarekat Dagang Islam, association de commerçants javanais fondée en
1911, a pris une grande extension en raison de la position économique de plus
en plus forte des Chinois par réaction contre cette situation. Dès 1916 le Sarekat
Islam, nouveau n o m de cette association depuis 1912, était devenu une organi-
sation politique militante. En faisant appel aux sentiments religieux des masses,
les commerçants qui se trouvaient à la tête d u Sarekat Islam ont p u lancer une
série de campagnes de violence contre leurs concurrents chinois. C'est essen-
tiellement par le biais de la solidarité religieuse et non de la conscience nationale
ou de la conscience de classe que les paysans et journaliers indonésiens se sont
attaqués aux « mauvais capitalistes », les Chinois, à l'appel de leurs dirigeants
indonésiens qui n'étaient pas moins capitalistes. Depuis, partout en Asie du Sud-
Est, le nationalisme économique, associé à u n nationalisme politique puissant,
constitue une menace pour la situation de la minorité chinoise. Il existe cepen-
dant au moins un pays d'Asie d u Sud-Est où, depuis des siècles, on n ' a le souve-
nir d'aucun conflit racial entre la population indigène et la minorité chinoise.
C'est le C a m b o d g e , et cela malgré des mesures discriminatoires qui interdisent
aux Chinois les activités politiques ainsi que dix-huit professions. Faisant
sienne la théorie de Wertheim selon laquelle les antagonismes existants sont
essentiellement dus à la concurrence économique dans le contexte de la diffé-

1. W . F . W E R T H E I M , East-West parallels, op. cit., p. 76 et suiv.


2. E. B. W I C K B E R O , « Early Chinese economic influence in the Philippines, 1850-1898 », Pacific
affairs, vol. X X X V , n° 3, automne 1962, p. 285.

611
G o Gien-tjwan

renciation ethnique, William Willmott a expliqué qu'il n'y a jamais eu de


conflit de groupes entre K h m e r s et Chinois du fait de l'absence de classe m o y e n n e
chez les Khmers 1 .
L'étude des réactions des Chinois contre ces empiétements compromettant
leur position sortirait d u cadre de cet article. Je m e permettrai pourtant de
citer l'une de ces réactions, amère, bien qu'elle vienne d'un intellectuel, car
elle est peut-être symptomatique de l'opinion des Chinois sur la situation
actuelle dans la plupart des pays d'Asie du Sud-Est. Après avoir fait observer
que, dans leur grande majorité, les Chinois de Thaïlande restent des manœuvres
ou de petits commerçants jusqu'à lafinde leur vie, Joseph Jiang conclut :
« E n n o m m a n t des politiciens puissants à leur conseil d'administration o u en
transformant leur société commerciale en entreprise sino-thaïlandaise avec des
fonctionnaires thaïlandais assurant protection, privilèges officiels et marchés
publics, de nombreux chefs d'entreprise n o n seulement ne souffrent pas des
mesures restrictives mais, en fait, prospèrent malgré elles. Ainsi s'établit une
sorte de ' symbiose d'antagonismes ' entre l'élite politique et les entrepreneurs
parias dans un contexte de transition typique. L'entrepreneur paria ne peut
être liquidé parce que ses activités financent l'oisiveté et le luxe croissants
de la nouvelle élite. Il ne peut n o n plus être assimilé, car il en résulterait n o n
seulement la disparition d'un utile bouc émissaire dans u n processus de transi-
tion, mais encore u n m a n q u e à gagner considérable pour l'élite elle-même. L e
nationalisme économique militant a abouti non à la défaite de l'ennemi,
mais à une coopération précaire entre les antagonistes2. »
Le professeur W a n g G u n g w u a analysé récemment le processus de trans-
formation des Chinois de Malaisie en politiciens malaisiens3. Dans u n autre
article, j'ai conclu m o i - m ê m e qu'en attendant la solution des aspects écono-
miques de l'ensemble d u problème, les peranakans d'Indonésie restent des
étrangers dans le pays qui les a vu naître, malgré leur attitude positive devant
les réalités d'après-guerre en Indonésie et en Asie d u Sud-Est 4. Les spécia-
lisations ethniques traditionnelles dans l'ordre économique se disloquaient
déjà à l'époque coloniale et la structure sociale castée de l'Asie d u Sud-Est
cède de plus en plus la place à une structure de classes. Tout observateur
compétent peut discerner un processus d'intégration culturelle et politique
qui fait entrer les communautés chinoises entièrement dans l'orbite nationale
des divers pays d'Asie d u Sud-Est. Il reste néanmoins à voir si les dirigeants
de l'Asie du Sud-Est tiendront compte de ce processus en utilisant les c o m p é -
tences en matière de gestion et les capitaux des commerçants chinois, le savoir
de tant d'intellectuels chinois et l'ardeur au travail des nombreux travailleurs,

1. William E . W I L L M O T T , The Chinese in Cambodia, op. cit., p. 96-97.


2. Joseph P. L. JIANG, « The Chinese in Thailand », Journal of Southeast Asian history, vol. VII,
n° 1, 1966, p. 64-65.
3. W A N G G U N G W U , « Chinese politics in Malaya », The China quarterly (Londres), n° 43, juillet-
septembre 1970, p. 1-31.
4. G o G I E N - T J W A N , « The role of the overseas Chinese in the Southeast Asian revolutions
and their adjustment to new States », dans : Michael LEIFER (ed.), Nationalism, revolution
and evolution in South-East Asia, p. 59 et suiv., Hull, Centre for South-East Asian Studies,
1970.

612
Évolution de la situation professionnelle des Chinois dans l'Asie du Sud-Est

paysans et artisans chinois. L a concurrence économique fondée sur les diffé-


rences ethniques peut et doit être éliminée. La tâche qui s'offre aux dirigeants
de l'Asie d u Sud-Est consiste à ouvrir de larges débouchés à tous les citoyens,
quels que soient leurs antécédents ethniques ou religieux. A u sujet du problème
de la modernisation dans le domaine de la politique et d u gouvernement,
H o w a r d Wriggins a fait observer : « L a croissance et la diversification de
l'économie offrent u n autre moyen de développer rapidement les débouchés.
U n réseau de plus en plus dense d'activités commerciales ou de fonctions
gouvernementales, dépassant le cadre traditionnel des communautés et des
régions, pousse les h o m m e s à se détacher de leurs attachements locaux et en
fait des citoyens d u pays tout entier1 ». Cet auteur n'est pas le seul à penser
que l'ouverture de nouveaux débouchés est la seule solution aux problèmes
raciaux qui se posent dans les pays en voie de développement. Concluant
l'exposé de sa théorie de la concurrence économique fondée sur des différences
ethniques, Wertheim cite la phrase suivante de R a y m o n d Smith : « L'idéal
serait que la rapidité d u développement économique ouvre tant de débouchés
que les jalousies et les craintes fondées sur l'idée de race perdraient toute
importance2. » Je ne serais que trop heureux qu'il en soit ainsi.

[Traduit de l'anglais]

Go Gien-tjwan est maître de conférences à l'Institut


d'histoire moderne de l'Asie de l'Université d'Amsterdam.
Il a occupé de 1962 à 1965 le poste de directeur
adjoint de l'Agence nationale indonésienne d'information
Antara. Parmi ses nombreuses publications, on peut
citer : Eenheid in verscheidenheid in een Indonesisch
dorp (1966), « Le problème de l'assimilation des
Chinois en Indonésie », Cultures et développement
(1968) et « The role of the overseas Chinese in
the South-East Asian Revolution and their adjustment
to new States », Nationalism, revolution and evolution
in South-East Asia (1970).

Howard W R I G G I N S , « National integration », dans : Myron W E I N E R (ed.), Modernization:


the dynamics of growth, p. 191, N e w York et Londres, Basic Books, 1966.
R a y m o n d T . S M I T H , British Guiana, p. 143, Londres, Oxford University Press, 1962 (cité
dans : W . F . W E R T H E I M , East-West parallels, op. cit., p. 82).

613
Colette Guillaumin Grande presse
et multi-ethnicité :
la situation en France

Introduction
Cet article voudrait contribuer à mettre en lumière les liens qui unissent le
langage de la presse et la société qui « parle » ce langage. C'est une optique
assez inhabituelle dans les travaux sur les relations ethniques, car l'urgence
des problèmes détourne généralement de ces préoccupations qui passent pour
formelles. Néanmoins, nous pensons qu'il est possible d'apporter des éléments
nouveaux dans cette aire de recherche par l'étude des significations. Les liens
entre le langage et la société ne se limitent pas, en effet, à une corrélation
mécanique : ils dévoilent u n sens, celui des contacts entre les groupes. D a n s
les sociétés de l'époque industrielle, ces contacts prennent u n caractère parti-
culier, ils sont intégrés dans la valeur « race », qui est l'élément central d'un
système de significations. L a race n'est nullement, en tant que trait somatique,
un fait sociologique brut : ce sont les relations « raciales » qui sont telles et,
pour sa part, elle n'est que l'élément sémantique d'une situation sociale.
C'est pourquoi l'on peut espérer qu'une analyse d u langage, en précisant
les particularités des relations sociales au niveau des significations, fournira
des connaissances nouvelles et aidera ainsi à dissiper certaines confusions
trop courantes entre les faits somatiques et les faits sémantiques.
Sans doute la notion de race est-elle, dans le m o n d e moderne — ou du moins
dans toutes les sociétés touchées par l'expansion industrielle occidentale —
irréductible et de contenu constant, mais elle est diversement attribuée :
elle peut recouvrir tous les groupes d'une société multi-ethnique — c'est le
cas le plus courant — mais elle peut aussi être réservée à certains c o m m e le
montre une étude des significations. O n conçoit que cela entraîne des diver-
sités dans les conséquences pratiques et les rapports entre les groupes.
N o u s donnerons u n aperçu rapide des raisons, propres aux caractéris-
tiques de la presse française, qui ont fait préférer la grande presse quotidienne
à tout autre type de publications, pour cette étude. Auparavant, nous esquis-
serons un tableau de la multi-ethnicité de la société française actuelle. Il convient
en effet de ne pas oublier que les situations socio-ethniques sont très diverses;
selon les sociétés, les rapports entre groupes sont fonction d'états numériques,

614
Rev. int. Sc. soc., vol. X X m (1971). n» 4
G r a n d e presse et multi-ethnicité : la situation en France

de structures socio-économiques, d'antécédents historiques variés, et les traits


idéologiques qui en résultent sont fort éloignés les uns des autres.

L a multi-ethnicité française

L a multi-ethnicité n'est pas une notion univoque; la composition démogra-


phique et socio-économique d'une société, mais aussi ses fondements poli-
tiques, donne u n visage spécifique à sa multi-ethnicité. Il est donc nécessaire
de préciser dès le départ à quel type de société nous avons affaire.
L a société française dans sa diversité ethnique a une physionomie bien
particulière : elle est formée d'un groupe dominant, très supérieur en nombre
à tout autre groupe présent, et de quelques groupes de très faible effectif,
assez peu ou pas du tout structurés, qui n'opposent pas un front uni au groupe
majoritaire. Cette situation est fort ancienne puisqu'elle date, semble-t-il,
de l'avènement de la société industrielle1. L a tradition va dans le sens d'une
société en « bloc », peu ou pas diversifiée, composée d'un ensemble d'individus
plutôt que de groupes socio-ethniques. Politiquement, le « peuple français »
est l'ensemble des citoyens de nationalité française, sans distinction de couleur,
de religion, etc.; théoriquement, chacun, en tant qu'individu, possède les
m ê m e s droits politiques et juridiques. Cette optique inspire — m ê m e si les
faits sont en contradiction avec la théorie et malgré des fortunes diverses
et des renversements temporaires2 — la conception que la société française
a d'elle-même. Elle n'est pas sans importance dans la mesure où, m ê m e
inappliquée, elle rend compte d u moins de l'orientation de principe de cette
société et de l'idée que peuvent s'en faire les jeunes citoyens pendant leurs
années de formation.
E n fait, les groupes nationaux et n o n nationaux qui la composent effec-
tivement se trouvent dans des situations très inégalitaires, aussi bien d u point
de vue des conditions d'existence que d u rapport numérique.
D y a en France, à côté des nationaux, des groupes étrangers qui repré-
sentent environ 6 % de la population totale3. Les évaluations sont très diffé-
rentes suivant les sources : tous les non-nationaux ne sont pas recensés par
les organismes officiels et les autres estimations varient au gré de la xénophobie
plus o u moins grande des auteurs. O n peut présumer cependant, en prenant
une moyenne de ces différentes évaluations, que 3 millions environ de
personnes de nationalité n o n française vivent en France en 1971.

1. D a n s les siècles précédents, la société était monolithique n o n par assimilation mais par
exclusion. Appartenance civile et appartenance religieuse (la « race », o u ce que nous dési-
gnons actuellement ainsi, n'existait pas) étaient absolument confondues. Les groupes qui
pratiquaient une religion non catholique étaient juridiquement hors société : ainsi les juifs
et les protestants. Les gitans, catholiques, n'étaient pas clairement perçus c o m m e un groupe
spécifique, ce qui explique la difficulté que l'on éprouve à les identifier dans les textes anciens
où ils portent une multitude de n o m s différents.
2. D e 1940 à 1944, par exemple, 1* « État français » a promulgué des lois raciales.
3. Cette proportion présente une constante remarquable, puisqu'elle était la m ê m e avant la
seconde guerre mondiale, il y a trente-cinq ans.

615
Colette Guillaumin

A vrai dire, formée de groupes divers — originaires d'Afrique et d'Europe


principalement — cette population très hétérogène aussi bien d u point de vue
de la culture ou de la religion que de l'origine géographique, ne se considère,
hormis quelques exceptions, nullement appelée à rester dans le pays et à s'y
établir. Ses projets sont vécus en fonction d'une autre société que la société
française. Dans la grande majorité des cas, il s'agit d ' u n séjour de travail
temporaire, qui se termine par le retour à la société d'origine au bout de
quelques mois o u de quelques années. H arrive pourtant que des immigrés
européens s'établissent en France; o n considère qu'ils sont « assimilés »
en trois générations1 et qu'ils ne forment pas u n groupe spécifique à l'intérieur
de la société globale. E est certain que, de ce point de vue, les m e m b r e s des
groupes étrangers se fondent rapidement dans la société française en tant
qu'individus sans demeurer au stade d u regroupement par affinité d'origine,
contrairement à ce qui se passe dans beaucoup de pays (aux États-Unis
par exemple). Encore ce fait n'est-il vérifié que pour les personnes de culture
proche : Belges, Espagnols, Italiens et Polonais sont assez caractéristiques
de cette tendance. Peut-être pourrait-on en dire autant des personnes d'origine,
non européenne qui se sont installées en France dans les premières décennies
du siècle.
E n fait, c'est le retour au pays d'origine o u l'assimilation qui détermine
les rapports entre les groupes étrangers et la société dominante, l'assimilation
ne représentant dans cette alternative qu'une faible proportion. Il faut noter
que les non-assimilés sont aujourd'hui les plus directement visés par les conduites
discriminatoires et agressives. Pour citer u n exemple, la rupture des liens
pétroliers entre l'Algérie et la France a été suivie, au cours de l'année 1971,
d'un nombre important d'attentats corporels, y compris des meurtres, contre
des personnes de nationalité algérienne et d ' u n accroissement d u racisme
anti-arabe dans la presse d'extrême-droite, racisme qui avait déjà ressurgi
au m o m e n t de la guerre arabo-israélienne de 1967 2 .
La sensibilité à l'appartenance nationale est très aiguë dans u n pays
de forte tradition jacobine et assimilationniste, au point que le grief raciste
par excellence est de n'être pas Français : c'est celui qu'on fait aux citoyens
français juifs et noirs... Il est la forme type que l'on donne à toute perception
de dissemblance.
Si la qualité d'étranger se perd en deux o u trois générations, le pro-
cessus est très rigoureusement assimilationniste : la qualité d' « autre » ne
disparaît qu'avec une intégration totale, sanctionnée de préférence par l'inter-
mariage. Tout « reste » semble inconciliable avec la nationalité française.
La nationalité est ressentie c o m m e u n élément essentiel des rapports

1. Voir par exemple : Alain G I R A R D et Jean S T O E T Z E L , Français et immigrés, Vattitude française.


Vadaptation des Algériens, des Italiens et des Polonais, Paris, Presses universitaires de France,
1953-1954, 2 tomes; Christiane P I N È D E , « U n type d'immigration politique dans le centre
de l'Aquitaine, les réfugiés espagnols du xrxe », Acta geographica, vol. 30, 1959; Charlotte
R O L A N D , DU ghetto à l'Occident, Paris, Éditions de Minuit, 1962.
2. Le groupe algérien, sans être le plus nombreux, est incontestablement le plus visé par l'agres-
sivité et l'hostilité racistes, c o m m e le montrent à la fois les sondages et les événements quo-
tidiens.

616
G r a n d e presse et multi-ethnicité : la situation en France

interethniques, or il existe des groupes minoritaires nationaux. Moins nombreux


que certains groupes étrangers, ils sont au demeurant difficiles à évaluer :
la société civile fondée sur la non-discrimination constitutionnelle ne tient
pas compte dans ses statistiques des couleurs de peau, des confessions reli*
gieuses, bref de ce qui constitue les appartenances socio-ethniques. Pourtant,
diverses estimations, faites souvent par les communautés elles-mêmes, donnent
une idée approximative des principaux groupes. Si l'on admet que ceux-ci
sont au nombre de trois — en excluant les protestants, dont le statut n'est
pas exactement socio-ethnique puisque spécifiquement et uniquement reli-
gieux — il s'agit des originaires des départements d'outre-mer, des juifs
et des gitans1. Il est probable que les Français « noirs » sont environ 500 000,
dont 200 000 Martiniquais, 150 000 Guadeloupéens, 85 000 Réunionnais
et 25 000 Guyanais; leur situation est complexe dans la mesure où elle varie
très sensiblement selon qu'ils résident sur le territoire métropolitain ou dans
leur département d'origine. L'Annuaire statistique de la France n'indique
pas les migrations intérieures, mais o n peut présumer que quelques dizaines
de milliers d'entre eux résident en France métropolitaine — les évaluations
gouvernementales, inférieures à la réalité, donnent 60 000 personnes2. Les
juifs sont environ 500 000; l'évaluation pour les gitans oscille entre 200 000 per-
sonnes et le double. Bref, chacun de ces groupes ne représente qu'un demi-
million de personnes au plus, en regard de près de 50 millions de majoritaires;
la proportion mérite réflexion et confère une physionomie particulière à cette
multi-ethnicité.
Le groupe majoritaire regroupe plus de 95 % des nationaux, de m ê m e
couleur de peau, d'appartenance religieuse compacte — il y a 83 % de baptisés
catholiques dans l'ensemble de la France — d'une forte unité culturelle et
qui parlent la m ê m e langue8. Les groupes minoritaires, déjà très faibles n u m é -
riquement face au groupe dominant, ne sont souvent cohérents que par l'arti-
fice de la discrimination majoritaire. Celui qui, par le canal d'une culture
fortement revendiquée, pourrait être le plus « cohérent », le groupe juif, pré-
sente en fait au moins deux pôles de référence assez hétérogènes, c'est-à-dire
deux cultures, si l'on veut bien désigner ainsi deux rites qui sont deux tra-
ditions : ashkenaz et sefardí. Situation dont les effets sont d'autant plus
nets que l'histoire récente, avec le repli des « pieds-noirs » 4 dont une partie
était de confession juive sefardí, a nourri cette dichotomie. Les Antillais

1. Ces groupes sont considérés c o m m e « raciaux » par la culture globale, ce qui n'est pas le
cas des protestants. Il y a d'autres minorités, mais très restreintes, c o m m e celle qui est
constituée par les originaires des anciennes colonies, de nationalité française et établis en
France.
2. Tous les chiffres cités, correspondant à des dates diverses (entre 1967 et 1971) et ayant des
sources diverses (Institut national de la statistique, évaluations communautaires, mouvements
antiracistes, etc.), sont toujours ramenés à des totaux simples. Ils ne sont là que pour donner
une idée des rapports numériques entre les groupes et ne prétendent nullement à l'exactitude
arithmétique.
3. L a résurrection des langues régionales est u n phénomène récent; au cours d u xixc siècle
et durant la première moitié du xx e , elles s'étaient pour la plupart éteintes. Cette renaissance
touche pour le m o m e n t une population limitée.
4. C'est le n o m populaire donné aux nationaux français rapatriés d'Afrique d u Nord.

617
Colette Guillaumin

— Martiniquais et Guadeloupéens — et les Guyanais, n'ont rien de c o m m u n


avec les Réunionnais; cependant la population majoritaire les perçoit uni-
formément c o m m e Noirs. Les groupes africains n o n nationaux, également
noirs, accentuent la confusion. L a langue et la culture des Antilles, leur évo-
lution politique font présager u n renforcement de la cohésion d u groupe
antillais, peut-être antillo-guyanais, et non pas de l'ensemble considéré c o m m e
noir. D e m ê m e , les gitans forment en fait trois groupes (roms, kalé, manouches)
qui vivent au surplus dans des régions différentes1.
Certes, il n'y a pas de séparation totale entre le groupe majoritaire et
les groupes minoritaires : l'instruction obligatoire c o m m u n e à tous les natio-
naux joue un rôle non négligeable, m ê m e si elle n'atteint que très partiellement
les gitans ou si elle présente certains caractères spécifiques dans les départe-
ments d'outre-mer. Il n'en reste pas moins que les trois groupes minoritaires
possèdent, à des degrés divers, une appartenance culturelle et linguistique
double alors qu'il y a unicité culturelle des majoritaires2. Mais ces divergences
socioculturelles entre groupes majoritaires et groupes minoritaires comptent
moins que les différences de fait, que nous allons voir maintenant.
U n élément important à prendre en considération est le statut juri-
dique. La plus grande partie des individus des groupes minoritaires — mais
pas tous, ce qui est également important — est assujettie à des régimes « parti-
culiers ». Parmi les gitans, par exemple, les nomades (soit 35 % de l'ensemble)
sont soumis à une inscription d'identité spécifique, à des réglementations de
résidence, de stationnement, etc. D a n s les départements d'outre-mer ( D O M ) ,
le régime des salaires et des assurances est spécifique; des réglementations
analogues aux règles douanières gèrent les échanges économiques avec la
métropole, etc. E n principe, l'appartenance juive n'est pas sanctionnée par
des entraves juridiques, mais les coutumes restrictives qui s'exercent contre
les groupes minoritaires, telles que la pratique des numerus clausus, n'épargnent
pas les juifs et d'autant moins que les entraves juridiques sont absentes.
Les restrictions juridiques n'épuisent d'ailleurs pas la variété des conduites
racistes qui sanctionnent une discrimination de fait.
D'autre part la structure démographique des groupes minoritaires, qu'ils
soient formés de non-nationaux ou de nationaux, n'est pas dans l'ensemble
identique à celle du groupe majoritaire. C e dernier regroupe les différentes
générations, enfants, adultes, vieillards, et est formé d'individus des deux
sexes, dans la proportion qui est considérée c o m m e normale par définition3.

1. Les gitans sont également désignés par le terme « tsiganes »; tout c o m m e les désignations
« roms » et « kalé », ces mots correspondent à une localisation géographique de l'origine de la
culture. Tsigane c o m m e r o m évoquent l'Europe centrale, gitan c o m m e kalé le bassin médi-
terranéen. L a situation est identique pour les termes « ashkénaze » (Europe de l'Est et
pays germaniques) et « sefardí » (bassin méditerranéen).
2. Les langues propres des groupes minoritaires (par exemple, le créole, le romanes, le yiddish,
etc.) ne sont pas employées quotidiennement en dehors d'aires géographiques restreintes,
mais elles demeurent vivantes. Néanmoins il y a une grande différence entre les générations :
si un grand nombre de gens âgés parlent mieux la langue minoritaire que le français, la jeune
génération la comprend mais ne la parle plus guère. Ces langues témoignent actuellement
du renouveau d'intérêt et de pratique qui touche l'ensemble des langues minoritaires.
3. L'adjectif « normal » se réfère évidemment à la norme statistique.

618
G r a n d e presse et multi-ethnicité : la situation en France

Il en va différemment des autres groupes. Les étrangers, quelle que soit leur
origine, présentent une particularité démographique liée sans doute à la limi-
tation temporelle de leur séjour. Il s'agit en grande majorité d ' h o m m e s adultes,
et d'autant plus, semble-t-il, que leur point d'attache est éloigné. Les Maliens,
les Mauritaniens, les Sénégalais, les Turcs en fournissent l'exemple le plus net :
ces groupes peuvent être considérés c o m m e « homogènes », en ce sens qu'ils
comprennent peu de vieillards, de femmes, d'enfants..., ce sont des sociétés
d ' h o m m e s célibataires. D a n s une certaine mesure, cela est également vrai
des originaires des départements français d'outre-mer, mais avec cette
différence que l'équilibre des sexes est plus proche de la n o r m e ; c'est
probablement le cas aussi d ' u n groupe étranger d'origine géographique
proche c o m m e celui des Espagnols. Le groupe gitan et le groupe juif ne pré-
sentent nullement ces particularités ; leur « profil » démographique est sensi-
blement le m ê m e que celui d u groupe majoritaire, avec sans doute une plus
grande jeunesse relative des gitans. Quant au groupe antillais, on peut le consi-
dérer c o m m e mixte : dans les départements de la Martinique et de la Guade-
loupe, la structure démographique est proche de celle des pays du tiers m o n d e ,
avec cependant une très grande jeunesse de la population, tandis que dans la
métropole c'est la similitude avec l'immigration étrangère qui l'emporte.
Enfin et surtout, la structure socio-économique des divers groupes est
profondément dissemblable. L e groupe majoritaire, s'il présente une grande
uniformité linguistique « raciale », culturelle, est au contraire très hétérogène
du point de vue de la stratification socio-économique. Puisqu'il représente
la quasi-totalité de la population, il pourrait difficilement en être autrement,
encore qu'il soit imaginable qu'il puisse être absent de certaines strates.
C e n'est pas le cas : toutes les classes, tous les secteurs économiques, toutes
les professions et qualifications y sont représentés.
Si le groupe juif présente une assez grande parenté avec le groupe domi-
nant pour ce qui est de la diversité socio-économique, sans toutefois être tota-
lement identique à ce dernier — la proportion des artisans et des commerçants
est plus élevée chez les juifs, celle des agriculteurs plus faible — il n'en est
pas de m ê m e des autres minorités. L e groupe gitan comprend une forte pro-
portion de marchands forains (37 %) et d'artisans (32 %), et très peu de tra-
vailleurs industriels et de m e m b r e s des professions libérales (respectivement
5 et 3 %) x . Les originaires des D O M qui vivent en France métropolitaine
sont, pour la plupart, regroupés dans des secteurs d'activité déterminés :
transports, services postaux, services de santé. E n d'autres termes, o n les
retrouve principalement dans le tertiaire.
Les groupes étrangers de toutes nationalités sont très étroitement confinés
en premier lieu dans le secteur secondaire, spécialement dans le bâtiment —
40 % — et la métallurgie — 20 % — (les services et l'agriculture n'en regroupent

1. L'analyse de l'origine historique et économique de ces caractéristiques des groupes juif et


gitan nous entraînerait trop loin. Rappelons cependant que cette structure provient d'un
ancien système d'interdits professionnels, sociaux o u économiques qui ne laissaient de
possibilité effective d'activité que dans l'artisanat et le commerce. L'image stéréotypique
de ces groupes s'en trouve lourdement grevée.

619
Colette Guillaumin

que 10 %), en second lieu dans des strates dont le salaire reflète le m a n q u e
de qualification : 88 % des étrangers sont manœuvres ou O S 1 .
L'une des conséquences principales de cette différence entre les structures
socio-économiques des groupes est la carence de l'habitat pour la majeure
partie des minoritaires. Leurs conditions de logement sont désastreuses et
ne contribuent pas peu à les marquer, selon le mécanisme qui consiste à faire
retomber sur les victimes d'une situation la culpabilité d u scandale2. Si une
partie d'entre eux parvient à obtenir des conditions moins mauvaises dans
des habitats de type collectif— cités, foyers acceptables ou hôtels meublés... —
la règle moyenne reste trop souvent le bidonville, o ù se retrouvent surtout
Portugais et Algériens, les foyers de fortune installés dans des ateliers ou
bâtiments désaffectés, qu'occupent Maliens, Mauritaniens et Sénégalais,
et les terrains c o m m u n a u x , peu o u pas équipés, parfois m ê m e les décharges
publiques, où s'installent les gitans nomades... Les conséquences mortelles
de ces conditions de logement sur les occupants frappent périodiquement
les oreilles d'une majorité mieux lotie, indifférente o u hostile. C'est une carac-
téristique socio-économique qui n'est pas nouvelle ; les logements des immigrants
sont catastrophiques depuis le début de l'urbanisation dans les pays industriels,
et lorsqu'on lit : «Depuis quelques années... 541 travailleurs africains... vivent
entassés dans onze pièces... Tout est moisi ici et l'on peut à peine passer
entre les lits superposés3 », on pense aux immigrants provinciaux d u xixe siècle :
« Ils s'entassent à deux ou trois par lit, à quatre ou cinq lits par chambre,
des petites chambres mal aérées. Es viennent de la Creuse, de la Haute-Vienne...
ils demeurent quelques années seulement avant de regagner le pays... 4 ».
O n ne peut qu'être frappé par cette constance de l'association entre l'immi-
gration (ou la migration) et le logement marginal.
Plus encore qu'une apparence « ethnique », les groupes minoritaires
présentent donc des caractéristiques sociales. A l'exception de la minorité
juive, qui se rapproche dans une certaine mesure de la structure socio-écono-
mique d'ensemble sans s'y confondre, il y a cloisonnement professionnel,
démographique et socio-économique des minorités, qu'elles soient nationales
ou non. Les imputations de « race » sont fonction de ces confinements : plus
un groupe y est enfermé, plus il est racisé. 11 est b o n de ne pas perdre de vue
cette différence empirique, tangible, qui est autrement significative que la
couleur de la peau o u la race supposée5.
1. Dans la classification professionnelle des ouvriers en France, le sigle O S (ouvrier spécialisé)
designe la qualification la moins élevée après celle de m a n œ u v r e .
2. Cela a été noté par Jean-Pierre Peter à propos des paysans du x v m e siècle : « Partout l'horreur,
la détresse, la mortalité... Voilà le résultat, expliquent [les médecins], de siècles d'obscuran-
tisme où l'injustice sociale a triomphé de l'homme, détruit en lui son humanité m ê m e -
Alors ils s'exaspèrent absurdement de ce qu'ils considèrent bien être l'effet d'une oppression,
mais qu'ils retournent contre les victimes pour leur en faire grief... », dans : « L e corps d u
délit », Nouvelle revue de psychanalyse, vol. III, 1971.
3. Jacques TENESSI, dans : Droit et liberté, n° 284.
4. Philippe A R I È S , Histoire des populations françaises, p. 143 et 144, Paris, Éditions du Seuil, 1971.
5. O n peut voir la fragilité de l'évidence de la race, dans la perception, confuse mais certaine,
des caractéristiques socio-économiques des groupes « raciaux » Antillais et Africains.
Bien qu'ils soient tous noirs théoriquement, la différence de leurs emplois entraîne parfois
une perception différentielle de leur appartenance.

620
Grande presse et multi-ethnicité : la situation en France

L a presse française

L a France, pays assez largement alphabétisé, n'est pourtant pas u n très


grand consommateur de presse d'information, elle reste à cet égard loin
derrière les pays anglo-saxons. Les tirages des grands quotidiens ne sont
cependant pas négligeables. L e plus important, distribué dans l'ensemble
du pays, France-Soir, tire à 1 250 000 exemplaires et le plus « sérieux », dont
la lecture est considérée c o m m e aride, Le Monde, à 450 000. Il existe également
un grand nombre de feuilles provinciales dont les lecteurs se recrutent dans
une aire géographique beaucoup plus restreinte.
L a presse d'opinion, qui garde des liens étroits avec l'information,
comporte surtout des hebdomadaires, plus marqués politiquement et à tirage
moins élevé, par exemple L'Express (650 000), France-Observateur (250 000),
Minute (225 000), Carrefour (45 000), etc. Il existe également une presse,
hebdomadaire elle aussi, dont les liens avec l'information sont beaucoup
plus lâches ; elle s'emploie principalement à mettre en images photographiques
soit des questions d'actualité, soit des aspects spécifiques de la vie quotidienne
et comprend des publications à tirage élevé mais dont l'intérêt dans le cadre
de ces remarques est limité : si l'on y trouve parfois des allusions aux rapports
interethniques, elles sont le plus souvent extrêmement stéréotypées.
D'autre part un très grand nombre de brochures périodiques, dont
le tirage atteint plusieurs centaines de milliers d'exemplaires, n'ont aucun
rapport — proche ou lointain— avec l'information o u l'actualité. Il faut
cependant en dire u n mot avant de revenir à la grande presse. E n effet, ces
périodiques, consacrés au cœur, au sexe, au mystère et à lafiction,très répandus,
semble-t-il, dans les pays latins, où ils sont lus par les classes populaires,
portent u n intérêt exceptionnel aux appartenances raciales1.
Étant donné son éloignement des situations réelles, o n peut avancer
qu'il s'agit avant tout d'une presse du fantasme, où les « autres » n'ont d'exis-
tence que sémantique. Sa parenté avec les contes de fées est patente. D a n s les
photo-romans les rapports de races sont présentés sous une forme intemporelle,
non localisés — ou situés dans des pays lointains et inconnus des lecteurs —
réduits à une sorte de squelette symbolique, tandis que dans la presse d'opi-
nion et d'information, ils le sont avec des détails de localisation spatiale
et temporelle, ils apparaissent c o m m e des faits, n o n c o m m e des rêves. Cela
ne signifie nullement que cette presse décrive des faits réels — souvent ils
ne le sont pas plus que dans le photo-roman — mais ils sont présentés c o m m e
tels et ils passent pour l'être. L a signification sociale des deux messages est
différente : d'un côté nous avons une « histoire », de l'autre une « information ».

1. Voir William M C L E A N , Iconographie populaire de Vérotisme, Paris, Maisonneuve et Larose,


1970; Evelyne S U L L E R O T , « L e photo-roman », dans : Racisme et société, Paris, Maspéro,
1969. E . Sullerot souligne les contradictions entre les intentions ouvertement antiracistes
de ces publications et leur contenu réel qui, à l'analyse, se révèle indubitablement raciste :
goût des hiérarchies, paternalisme, morale du « chacun à sa place », etc.

621
Colette Guillaumin

L'impact en est qualitativement et quantitativement différent : 1'« information »


plus encore que 1'« histoire » est explosive à court terme1.

Grande presse et multi-ethnicité


U n e fois le tableau de fond (société et presse) rapidement brossé, nous pouvons
tenter de poser quelques questions sur les rapports entre ces deux termes.
O n s'emploie généralement à déterminer l'influence que pourraient
avoir les grands moyens d'information sur les rapports entre les groupes,
ou plutôt, d'une façon restrictive, sur les attitudes d u groupe dominant
envers les autres groupes. Pour autant que des travaux, particulièrement
anglo-saxons, ont étudié ces questions2, o n peut admettre que la notion d'in-
fluence des media est difficile à établir et que finalement ils renforcent des
tendances existantes plutôt qu'ils ne modifient celles-ci d'une manière
substantielle.
E n revanche, il est possible d'étudier le contenu de ces media, et parti-
culièrement de la presse pour des raisons de commodité technique, en ce qui
concerne l'un o u l'autre des groupes minoritaires. Cette option permet
de dénombrer des traits attribués au groupe dont o n parle, d'évaluer le
volume de l'information qui lui est consacré à u n m o m e n t déterminé, et enfin
— c'est sans doute là le plus important apport de ce genre d'analyse —
de mettre en lumière une certaine image de ce groupe 3 .
Enfin, une orientation assez résolument européenne et très récente de
l'analyse de contenu consiste à analyser la forme de l'information4. Cette
méthode tente de restituer, au-delà des images, l'idéologie sous-jacente à
la production de l'information, ou, si l'on préfère, de saisir à travers l'emploi
du langage les rapports entre les groupes et leur univers de référence.
Dans quelle mesure les sociétés multi-ethniques sont-elles reflétées par
les grands moyens d'information? O n songe généralement peu à questionner
ces moyens en tant que symptômes. Pourtant ils constituent un c h a m p pri-
vilégié : sollicités sans cesse par l'événement, ils expriment la situation des
communautés en présence, n o n pas tant par les informations qu'ils donnent
et les images qu'ils reprennent que par leur façon d'aborder les problèmes

1. Lors d'une conversation que nous avons eue avec Juliette Raabe à propos de sa contri-
bution intitulée « Les romans d'espionnage » à Racisme et société, op. cit., elle a avance
l'hypothèse intéressante de la fonction de « dérivation » des histoires defiction.Sans la suivre
dans cette interprétation, nous pensons qu'il est tout à fait nécessaire de distinguer la fiction,
avec sa nature spécifique, de ce qui est présenté c o m m e la réalité.
2. Voir, pour la France, les synthèses de : Olivier B U R G E L I N , La communication de masse,
Paris, S G P P , 1970; Jean C A Z E N E U V E , Les pouvoirs de la télévision, Paris, Gallimard, 1970;
Alain G I R A R D , « L a sociologie de l'information en France. État présent des recherches »,
Revue internationale des sciences sociales, vol. X I V (1962), n° 2.
3. Voir l'une des plus systématiques de ces études : Jean William L A P I E R R E , L'information
sur l'État d'Israël dans les grands quotidiens français en 1958, Paris, C N R S , 1968.
4. O n trouvera l'analyse et la critique de ces méthodes diverses d'analyse de contenu dans :
Marie-Christine d ' U N R U G , L'analyse de contenu, Paris, Éditions universitaires (à paraître).

622
G r a n d e presse et multi-ethnicité : la situation en France

et de rendre compte des événements. Image d'une société, la grande presse


la parle au gré des faits politiques, mais aussi des grandes vagues des
évolutions économiques et culturelles. L e chômage c o m m e le fait divers,
les revendications c o m m e les répressions y côtoient les transformations
insensibles ou profondes que provoquent le déroulement de l'histoire, ses
cumuls, ses contradictions. L a grande presse est u n miroir, déformant sans
doute, mais que ses déformations m ê m e s rendent significative de l'état des
rapports entre les groupes1.
Il convient de remarquer en premier lieu que les positions explicites
des divers journaux sont assez différentes selon leur périodicité. E n effet,
on constate, des quotidiens aux hebdomadaires, une gradation de l'intérêt
pour les questions ethniques. Elle tient probablement à la coloration politique,
qui est plus intense dans les hebdomadaires que dans les quotidiens, c o m m e
nous l'avons déjà noté.
Bien qu'assez variées, les positions de la presse quotidienne sur les
questions socio-ethniques atteignent rarement u n degré élevé de passion,
du moins au niveau conscient et explicite. O n pourrait m ê m e parler d'indiffé-
rence. Les quotidiens de grand tirage se conforment dans le principe — ce
qui ne signifie pas totalement — aux options officielles de la société. L e plus
« neutre », c'est-à-dire le plus proche des normes conscientes de l'idéal national,
pourrait bien être celui dont le tirage est le plus élevé (France-Soir); mais des
efforts d'analyse et d'information plus soutenus se trouvent dans le plus
prestigieux (Le Monde). D a n s l'ensemble, la presse quotidienne ne se veut
pas raciste et ne se tient pas pour telle; n o n certes « au-dessus de la mêlée »,
mais se piquant de bon sens et d'ouverture, au demeurant très méfiante et
censurée, et ce d'autant plus qu'elle vise au sérieux.
Il n'en est pas de m ê m e de la presse hebdomadaire, dont les options
en matière de contact entre les groupes sont plus prononcées. Plus polémiques
ou plus engagés, les hebdomadaires sont ouvertement racistes o u antiracistes.
Encore ces positions sont-elles orientées par des schémas divergents. Les
journaux racistes parlent bien davantage de la situation hic et nunc que de
l'étranger — tout au plus songe-t-on parfois à se réclamer de certaines sociétés
officiellement racistes — et leur préoccupation principale demeure d'attaquer
les groupes minoritaires français ou vivant en France. Les journaux anti-
racistes, s'ils parlent des incidents racistes en France et des conditions de vie
des groupes minoritaires, font également une grande part, parfois m ê m e plus

1. O n peut, de ce point de vue, remarquer que l'unilatéralité de la production de la presse


pose des problèmes. Il est bien certain en effet que seul le groupe dominant « fait » la grande
presse et que par conséquent le langage dominant s'y exprime seul. Ainsi le système perceptif
et idéologique qui s'y dévoile est propre au groupe majoritaire. Mais il ne s'ensuit pas,
c o m m e on le déduirait volontiers, que le système exprimé ne concerne en rien les minori-
taires. Car, le langage dominant étant celui de la situation de fait, du pouvoir si l'on préfère,
il est imposé aux groupes minoritaires qui, à quelque degré, le partagent obligatoirement.
Si, d'autre part, suivant les possibilités de la conjoncture, les dominés tentent de se constituer
un système propre, dans un premier stade ils le bâtissent c o m m e une réponse au système
dominant et, dans cette mesure, restent encore prisonniers de l'idéologie élaborée par la
société actuelle.

623
Colette Guillaumin

grande, aux manifestations de racisme à l'étranger; faut-il y voir la consé-


quence d'une conscience confuse o ù l'on ne décèle pas facilement, ici et
maintenant, u n racisme que les principes continuent à nier?
Quoi qu'il en soit, les préoccupations idéologiques de cette presse l'orien-
tent de préférence vers les « autres ». C'est donc la presse quotidienne, en
théorie plus neutre, qui nous intéresse surtout ici et n o n pas les journaux
ouvertement engagés, dont la focalisation, parfois obsessionnelle, sur les autres,
ne peut guère nous renseigner sur la forme quotidienne des rapports entre
les groupes. Car, pour saisir ces rapports, il faut savoir ce qu'une société
pense d'elle-même aussi bien que ce qu'elle pense des autres. Et, peut-être
davantage encore, ce qu'elle pense d'elle-même lorsqu'elle n'est pas fixée
sur les autres. C o m m e , de toute évidence, les groupes minoritaires ne sont pas
isolés au milieu d'un désert et ne forment pas « en soi » des collectivités sans
liens avec la société o ù ils vivent mais en sont au contraire un élément cons-
titutif, o n ne peut étudier ce que dit le groupe dominant de ces minorités
sans chercher à savoir en m ê m e temps ce qu'il dit de lui-même.
Tous les messages, toutes les informations sont présentés différemment
selon qu'ils concernent le groupe majoritaire o u les groupes minoritaires1.
Cette différence de traitement de l'information prend diverses formes.

1. L a désignation nationale ou raciale est systématique dans les informations


sur les minoritaires. Elle ne l'est pratiquement jamais pour les majoritaires.
C e trait est le plus immédiatement visible, et sans doute l'un des plus signifi-
catifs si l'on veut bien se rappeler l'importance d u critère de « nationalité »
dans les contacts entre majoritaires et minoritaires.
D a n s les informations, les mentions de personnes sont précédées de la
nationalité lorsqu'il s'agit d'un étranger : on dit « L'Italien Sanpietrini... »,
jamais « Le Français Durand... 2 ». L a mention de la couleur est également
systématique pour les minoritaires et omise pour les majoritaires : « L e
chanteur ' noir ' John William... », « Trois membres ' noirs ' d u gouverne-
ment... », mais nullement « Le ministre ' blanc ' Giscard d'Estaing... » o u
« L'acteur ' blanc ' Alain Delon... ». Ces mentions, soulignons-le, ne sont
jamais pertinentes quant au contenu de l'information, ce qui aurait p u être
concevable.

1. Les remarques qui vont suivre sont inspirées principalement par trois études empiriques
de la presse dont la plus importante a porté sur le plus grand quotidien français, de 194S
à 1960, et les autres sur l'ensemble de la presse quotidienne sur une journée (31 m a i 1966)
et sur un mensuel antiraciste pendant trois ans (1967 à 1970). Mais d'autres sources, notam-
ment des études de textes anciens, les ont nourries et ont fourni des comparaisons.
L'analyse des textes de presse est appuyée sur des techniques à propos desquelles nous ne
pouvons nous étendre ici. Pour orienter le lecteur on peut cependant préciser que l'analyse
formelle porte notamment sur les points suivants : à) l'ordre des séquences et des mots;
b) la censure et ses faillites; c) les contiguïtés de propositions n'entretenant pas de lien
logique apparent; d) les réitérations et les tautologies; c) les volumes respectifs de l'in-
formation;/) les termes réservés et spécifiques.
2. Sauf, éventuellement, à propos d'événements qui ont lieu dans rtes pays étrangers, par
exemple les rencontres sportives.

624
Grande presse et multi-ethnicité : la situation en France

L a censure tend à g o m m e r ces « brutalités », mais son efficacité est


limitée : la désignation ressort tout de m ê m e sous une autre forme. L a mention
« noir » se transforme en nomination de l'origine géographique : « L'Antillais
Edouard Glissant... », o u bien la mention « juif » se traduit par une réitération
de la francité dont l'insistance ne m a n q u e pas d'attirer l'attention : « Emile
K a h n , né à Paris, d'une famille parisienne, à fait à Paris ses études... ».
L a désignation figure toujours en tête de rinformation, c'est le premier
renseignement fourni et il annonce la différence ethnique.

2. L'information qui se rapporte aux autres est toujours dessinée à gros


traits, ramenée à des axes simples et des motivations grossières. Alors que celle
qui est consacrée aux majoritaires est toujours nuancée et complexe : aussi
bien dans les faits divers que dans les informations politiques, les analyses
circonstanciées des motivations sont monnaie courante lorsqu'il s'agit de
la population majoritaire; rappels historiques, interprétations psychologiques,
multiplicité des facteurs évoqués contribuent à donner au texte une teinte
analytique. A u contraire les informations qui concernent les minoritaires,
si elles ne sont pas réduites au fait brut — telle chose s'est passée tel jour
à telle heure — ce qui est le plus courant, taisent pratiquement toujours
les origines historiques d'une situation, les caractéristiques psychologiques
ou les conditions spécifiques de l'événement rapporté.

3. Cette différence dans le traitement des informations est en corrélation


avec une attitude consciente tout à fait prévisible : alors que les comporte-
ments majoritaires sont considérés c o m m e explicables, les autres passent
pour incompréhensibles. L'emploi extrêmement fréquent de la forme
interrogative en témoigne et l'incohérence m ê m e des propos tenus sur les
autres accentue le sentiment d'absurdité :

« Puis un jour, c o m m e par hasard... la conversation personnelle se renouera. O n


suppose seulement que le premier ne poussera pas la bonhomie jusqu'à faire (une fois
de plus) les premiers pas. Mais qui sait? »
« Pour le compte de qui travaillaient-ils au juste? »
« Qualifié de * révisionniste ' par ce journal, Peng Tchen était jusqu'ici le champion
de 1" antirévisionnisme '. Comprenne qui pourra. »

4. Plus encore, l'étrangeté et l'irrationalité des autres est soulignée et mise


en valeur par u n appel fréquent à l'exotisme, au mystère, à Péloignement
dans le temps et l'espace, tactique qui n'est jamais adoptée pour décrire
Tin événement concernant le groupe dominant.

•« U n féodal puissant et mystérieux... il apparaît en public enveloppé dans de vastes


djellabas brodées de soie, la tête enveloppée dans un épais turban. Il se déplace dans
une vaste voiture américaine escortée de cavaliers d'aspect moyenâgeux. »
« (A l'Organisation des Nations Unies.) Le champion du pittoresque est cette année le
représentant de l'Oman... en burnous marron et turban sale; il paraît remarquable-
ment insolite sur le fond de toile des gratte-ciel. »

625
Colette Guillaumin

« C'est la plus récente rumeur qui circule au sujet de M a o Tsé-toung : il serait mort
empoisonné dans la meilleure tradition des Borgia... »
Par u n singulier paradoxe, l'étrangeté de l'autre, construite, est déduite de
cette construction m ê m e . Fabriquer l'étrangeté et, en retour, la saisir c o m m e
surprenante semble être l'une des caractéristiques principales de l'infonnation
sur les autres. A l'inverse, le travail informatif sur les majoritaires se
consacre à l'élucidation et à l'explication des événements. D a n s ce cas,
on peut noter une divergence de tactique : pour les uns, o n fabrique de
l'étrangeté à partir m ê m e de l'insignifiant ou de l'ordinaire, pour les autres
on fabrique du cohérent et de l'explicable à partir de ce qui ne l'est pas tou-
jours...

5. Enfin, et ceci découle de tout ce qui précède, les individus sont saisis
différemment par les textes selon qu'ils sont majoritaires o u minoritaires.
Les majoritaires sont traités en tant qu'individus, jamais ils ne sont réduits
à leur groupe socio-ethnique. O n ne fait pas mention de celui-ci et leur conduite
n'est pas expliquée par leur appartenance au groupe majoritaire... C e serait
bien difficile puisque ce groupe n'existe apparemment pas. C e n'est pas d u
tout le cas des individus appartenant à des groupes minoritaires. N o u s avons
vu qu'ils sont toujours et d'abord désignés par leur appartenance à tel o u
tel groupe, présenté c o m m e l'élément capital de l'information et la définition
principale de l'individu dont il est question. M ê m e une très grande célébrité
personnelle, si elle introduit dans le discours des détails personnels, ne brise
pas la réduction de l'individu au groupe.
Cette réduction s'apparente à u n autre phénomène de globalisation
perceptive : celui qui ramène les groupes eux-mêmes à u n c o m m u n déno-
minateur. C e mécanisme est plus courant dans la conversation que dans le
langage de la presse, car il joue trop de l'approximation, voire de l'inexactitude,
pour que les journalistes ne le censurent pas la plupart du temps. O n l'y trouve
néanmoins; Maliens, Mauritaniens et Sénégalais disparaissent sous la déno-
mination Africains, Algériens, Marocains et Tunisiens sous le vocable N o r d -
Africains, Guadeloupéens et Martiniquais sous celui d'Antillais. Q u e ces
termes désignent bien des réalités géographiques et éventuellement socio-
politiques ne change rien au fait qu'ils ont vertu de totalisation, de suppres-
sion des complexités et qu'ils sont employés dans ce sens.
D ' u n e façon plus sensible encore cette tendance se manifeste, sous des
formes moins soucieuses de logique, dans la conversation quotidienne. L e
peu d'attention porté aux particularités sociales ou individuelles des autres
apparaît nettement derrière l'empressement à réduire à u n groupe-type u n
ensemble hétérogène. Ainsi, le terme Algériens sert pratiquement à désigner
les nationaux des trois pays du Maghreb, les Noirs incarnent l'ensemble des
Africains, et aussi parfois — mais pas toujours — les originaires des quatre
départements d'outre-mer, o u inversement. Cette globalisation s'estompe
sans disparaître lorsque la proximité géographique augmente : si l'on distingue
mal les Espagnols et les Portugais, on n'emploie cependant pas de m o t c o m m u n
pour les désigner.

626
G r a n d e presse et multi-ethnicité : la situation en France

E n définitive, tout se passe c o m m e s'il y avait deux catégories d'individus.


D ' u n e part, l'individu d u groupe majoritaire, personnalisé, inséré dans une
situation personnelle colorée de psychologie et d'histoire propre, qui ne saurait
se ramener en rien à une appartenance socio-ethnique. D e l'autre, u n « frag-
ment de groupe », porteur de caractéristiques socio-ethniques, élément d'un
ensemble social dont il n'est que l'indistincte actualisation, Noir, juif, Algérien,
avant tout et surtout, et désigné c o m m e tel. L'insistance sur les caractères
« exotiques » o u « étranges », l'incohérence des conduites rapportées, leur
aspect à la fois fatal et incompréhensible parachèvent la désignation.

A côté de ces traits significatifs d u traitement différentiel, on distingue des


évolutions temporelles dans la perception des groupes : les caractéristiques
prêtées aux minoritaires sont sujettes à variation.
O n peut constater sur de longues périodes, de l'ordre d ' u n siècle, que
les caractères attribués à tel groupe les désertent pour se retrouver attribués
à un autre groupe qui remplit sensiblement les m ê m e s fonctions dans la société.
Ainsi les descriptions des paysans aux x v n e et xvni e siècles et celles des ouvriers
au xixc et des Africains d u Nord au x x e se superposent assez exactement.
Il s'agit dans les trois cas d u groupe social sur lequel repose les travaux de
base du secteur économique primordial, c'est-à-dire l'agriculture avant le
xixe siècle, l'industrie depuis lors. Mais il se produit également des super-
positions de traits nouveaux et contradictoires. L a « vertu militaire » attribuée
aux juifs depuis la naissance d'Israël (1947) après des siècles de « lâcheté »,
les « vertus agricoles » nées après un reproche de citadinisme opiniâtre, montrent
que les changements vont jusqu'à la contradiction. L a « bravoure » algérienne
du siècle dernier a fait place au xx e siècle à une « lâcheté sournoise » qui devait
durer jusqu'à la guerre de libération et l'accession de l'Algérie à l'indépendance
en 1962.
Mais sur des courbes temporelles plus restreintes — cinq, dix o u vingt ans
par exemple — on voit aussi évoluer sensiblement les textes d'information.
Les guerres de libération ont modifié la façon dont les colonisés étaient consi-
dérés aussi bien par eux-mêmes que par les majoritaires1. A cet égard, la guerre
d'« Indochine » (notons la globalisation) et la guerre d'Algérie ont considéra-
blement changé les habitudes acquises. Les termes spécifiques, insultants ou
paternalistes, accolés à tout « autre Algérien » ont disparu à mesure que la guerre
progressait. Durant la période 1960-1962, les « terroristes », les « bandits »
et les « tueurs » ont fait place à 1' « armée », les soldats algériens ont cessé
d'être « abattus » pour être « tués ». D e m ê m e les motivations, les intentions,
ont fait leur apparition dans l'information avec les analyses de la situation
militaire puis politique à mesure que l'indépendance approchait. Cette ten-
dance s'est affirmée durant les années qui ont suivi. Mais, cinq ans après,
la guerre arabo-israélienne de 1967 rompait le processus et, sans qu'on en

1. Frantz Fanon l'a souligné et le fait n'échappait pas, dès 1932, à un interviewé algérien d'Alain
Girard (dans : Français et immigrés..., op. cit.) qui remarquait l'importance, dans la vie
quotidienne, du fait d'« avoir un drapeau ».

627
Colette Guillaumin

soit revenu à l'ancien état de choses, il y a eu une régression, qui est accentuée
actuellement par les problèmes pétroliers1. L a lutte militaire et politique
n'était sans doute pas seule en cause dans le changement survenu au cours
de la décennie 1960-1970; en France m ê m e une nouvelle vague de travailleurs
étrangers s'établissait dans les postes de travail les plus dévalorisés, enlevant
peut-être aux travailleurs algériens l'exclusivité de cette coûteuse image de
marque.
L'évolution temporelle se manifeste à deux niveaux. D ' u n e part, on
note u n lien relativement prévisible entre le volume de l'information et la
conjoncture ou, en d'autres termes, l'apparition des « problèmes ». Il est
patent, par exemple, que les commentaires sur le groupe juif ont considérable-
ment augmenté à la suite des tensions entre l'État d'Israël et la France après
la guerre arabo-israélienne de juin 1967 (notons encore à ce sujet le phénomène
de globalisation : il y a assimilation entre Israël et le groupe juif).
D'autre part, il y a u n changement des termes employés et des jugements
portés. Il résulte plus clairement de la situation idéologique, mais en dernière
analyse il est susceptible d'être ramené à u n changement historique : si un
conflit est en passe d'être résolu par une victoire, totale ou partielle, d u groupe
minoritaire, ses m e m b r e s cessent d'être des « excités », des « voyous » ou
des « bandits »... pour devenir des « interlocuteurs » o u des « partenaires ».
Notons au passage que l'évolution est sensible également dans les pré-
occupations et le langage scientifique et que le discours de la recherche suit
fidèlement les inflexions idéologiques de la société2. Les travaux sur les groupes
minoritaires nationaux ou immigrés reflètent les variations de leur situation :
nouveauté, croissance démographique, tensions économiques et politiques
influencent le volume de la recherche mais également sa forme et ses pré-
occupations théoriques. Roger Bastide, dans une étude sur les recherches
interethniques3 a noté des fluctuations qui confirment ces remarques. Les
études sur les Nord-Africains ont atteint un volume maximal de 1950 à 1964
et pourtant le nombre des originaires des pays d u Maghreb n'était ni plus
ni moins important qu'avant o u qu'après, mais c'était l'époque des mouve-
ments et des guerres d'indépendance. Les études sur les Africains n'ont pris
de l'importance qu'en 1960 : à partir de ce moment-là ils sont devenus plus n o m -
breux en France, mais 1960 c'est aussi la date de l'indépendance de la majorité
des pays d'Afrique francophone. Par contre les études sur les rapatriés
d'Afrique du N o r d se sont concentrées de 1963 à 1965, années de leur retour,
pour disparaître pratiquement ensuite, ce qui semble montrer une influence
uniquement conjoncturelle, sans « chambre d'écho » idéologique. Mais
Bastide note également, et l'on peut y voir un effet de la prise de parole des

1. Dans les publications d'extrême-droite la violence redevient ce qu'elle était avant l'indépen-
dance de l'Algérie. Mais c'est la presse d'opinion moyenne qui nous intéresse ici.
2. Cela a été remarqué et analysé à propos du discours scientifique sur les sexes par Nicole
Claude M A T H I E U dans « Notes pour une définition sociologique des catégories de sexe »,
Épistémologie sociologique, n° 11, 1 e r semestre 1971.
3. Roger BASTIDE, « Les études et les recherches interethniques en France de 1945 à 1968 »,
Bulletin du CERIN, n° 1, 1968 (multigraphié).

628
Grande presse et multi-ethnicité : la situation en France

minoritaires, qu'après avoir été à peu près exclusivement orientées sur les
aspects culturels et juridiques des contacts interethniques, les recherches se
sont « politisées » vers 1960. Enfin, en France, la recherche ne se préoccupe
guère d u groupe majoritaire en tant que tel et reste à cet égard enfermée
dans la contrainte que traduit le langage. L e groupe majoritaire, pourtant si
écrasant — et peut-être à cause de cela — n'existe consciemment pas plus
à ses propres yeux que dans la presse o u le langage banal; seuls les autres
soulèvent des questions, seuls ils sont étudiés. O n peut compter sur les doigts
de la main les travaux sur les majoritaires, alors qu'on en dénombre des
centaines sur les minoritaires.
L'évolution de la perception que le groupe majoritaire a de lui-même
est diificile à saisir; elle est moins parlée et ce n'est guère que par des déduc-
tions qu'on peut la cerner : une collection d'individus ne saurait avoir de
caractéristiques sociales! Cependant on note depuis quelque temps (1965-1970)
une utilisation croissante d u terme « race » dans des contextes valorisés et
courants, très spécialement c o m m e support publicitaire. Cette utilisation
pourrait présager un usage de ce terme qui ne soit plus strictement réservé
aux « autres ». L e groupe dominant en viendrait-il à se percevoir à son tour,
encore très obscurément, c o m m e une race? C e serait une évolution qui ten-
drait à rapprocher la France des pays anglo-saxons, et dont l'origine serait
intéressante à étudier.
Mais il n'y a pas de sentiment conscient de cette évolution. Étrangement,
l'image de l'autre est crue constante alors m ê m e qu'elle ne cesse de varier.
Les autres continuent à être perçus figés et immuables, à être désignés avant
toute autre chose; ils demeurent prisonniers d'une chosification de leur
personne à travers leur groupe. Dans cette mesure, tout changement perceptif,
aussi considérable soit-il, passe inaperçu. L a logique de l'inconscient allie les
contradictions avec la plus grande aisance.
Car, et c'est là u n point capital, ce ne sont pas les formes perceptives,
telles que nous les avons rapidement inventoriées, qui changent : ce sont les
contenus, qu'ils soient mots ou stéréotypes. C e n'est pas négligeable, c'est
peu. Il est important, certes, d'attirer l'attention sur les changements qui
affectent ce que l'on dit de l'autre et d'en souligner la dépendance à l'égard de
l'histoire, mais il est également important de ne pas perdre de vue qu'il ne
s'agit là que de l'image explicite de l'autre, c'est-à-dire d'un ensemble de sté-
réotypes. Ces images colorées o u agressives accompagnent presque toujours
les informations sur les minoritaires, sans d'ailleurs leur être réservées. Plus
un groupe est racisé ou éloigné dans la perception majoritaire, plus ces images
sont hautement et violemment accusées; c'est le cas des gitans et des Africains.
Cet exotisme est mieux censuré ou étouffé à l'égard des groupes qui, sous une
forme ou une autre, prennent la parole : le coefficient exotique des Antillais
et des juifs ne cesse de s'amenuiser. Les images ne sont qu'une infime partie
de la perception qu'on a de l'autre; le nerf de la guerre, si l'on ose dire, se
love dans la dichotomie formelle de la perception que l'analyse met en évi-
dence dans le langage. L'information est parlée, capitalisée par le groupe
majoritaire en ce sens que tout ce qui a trait à ce groupe constitue le c h a m p

629
Colette Guillaurain

social total sur lequel se déploient les innombrables variations individuelles


des acteurs sociaux appartenant à ce groupe. Politique, économie, spectacles
racontent la vie d u groupe dominant, mais par la médiation des caractères
individuels et des nuances sociales et historiques. Inversement, u n certain
nombre d'informations, marginales, portent sur les groupes minoritaires.
Elles relèvent d'un style « à part », dont les traits principaux sont la désigna-
tion préalable, le traitement par grosses masses, l'affirmation plutôt que
l'analyse et la disparition de l'individualité des acteurs.
E n d'autres termes, il y a d'une part u n discours ininterrompu, souple,
circonstancié, sur le groupe majoritaire et des discours fragmentaires, sque-
lettiques, épisodiques, sur les groupes minoritaires. A l'intérieur de ce schéma
viennent alors se placer des images qui ne jouent guère le rôle que d'éléments
permutables o u caducs.
L'organisation perceptive, dans ce que le langage permet d'en saisir,
présente donc deux faces caractéristiques selon qu'on considère le groupe
majoritaire o u les groupes minoritaires. Le groupe majoritaire, non désigné,
ne se définit pas par une appartenance socio-ethnique « particulière » o u bien
précise : il est perçu c o m m e dépourvu de race. A u contraire, les groupes
minoritaires sont désignés, perçus c o m m e des races, et ceci avant toute autre
chose. Les éventuelles caractéristiques socio-économiques de ces groupes —
ou des individus appartenant à ces groupes — sont perçues secondairement,
le fait d'être domestique, commerçant o u manœuvre apparaît — est senti —
c o m m e u n donné, une vertu sui generis propre à une distinction somatique
et pas d u tout c o m m e la résultante d'un processus, qu'il soit économique o u
socio-historique.
Le groupe majoritaire est perçu c o m m e L A société, c o m m e une forme
ouverte o ù chacun (c'est-à-dire chacun des majoritaires), libre de tout lien
socio-ethnique, parvient là o ù il veut, là o ù il peut, selon ses mérites et son
désir o u les contraintes propres à son histoire personnelle1. Le c h a m p social
est donc complètement hétérogène selon que le majoritaire se pense lui-même
ou pense les autres : lui-même a le droit d'y circuler librement, tandis que les
autres y ont une place, fixée par la nature et de toute éternité. Le majoritaire
est « hors » d u système racial, le minoritaire est « dans » le système racial.
Le groupe majoritaire proclame que cette société n'est pas raciste... Les
groupes minoritaires ont une opinion inverse. L'aveuglement d u groupe
majoritaire s'explique par cette structure idéologique bifrons : la société
française est une société « partiellement » racisée et seulement partiellement;
les autres sont racisés, ce qui est le cas dans tous les pays racistes, mais à
l'inverse de ce qui se passe dans la plupart de ces derniers (Allemagne nazie
ou Afrique d u Sud par exemple), le moi social, le groupe majoritaire et d o m i -
nant n'est pas racisé, il ne se perçoit pas c o m m e étant d'une race quelconque;

1. L a presupposition de différences somatobiologiques est plus étendue qu'on ne le pense


spontanément. Elle implique également, ou du moins elle impliquait au xixe siècle, la croyance
en une différence raciale des classes sociales. N o u s n'avons pu en parler dans le cadre res-
treint de cette étude, ce qui nous a poussé à schématiser notre analyse.

630
Grande presse et multi-ethnicité : la situation en France

il est à ses propres yeux hors ethnicité. C'est une société o ù la préoccupation
raciale est rejetée sur les autres et n'effleure pas le sentiment de soi-même.
Est-ce très surprenant en définitive? L e groupe majoritaire, qui représente
95 % des nationaux, en tire u n sentiment de totalité que les minoritaires, si
divers, ne peuvent ni partager ni rompre puisque dans le meilleur des cas
chaque groupe minoritaire n'atteint que 1 %. D e plus, les minoritaires subissent
u n cloisonnement que ne connaissent pas les majoritaires. Si les minoritaires
sont confinés d u point de vue professionnel, écologique o u démographique,
ils n'ont cependant pas l'exclusivité de leurs caractéristiques sociales : les
majoritaires peuvent également être ce que sont les minoritaires et la situation
est très différente de celle des sociétés multi-ethniques, o ù tous les groupes
sont « particuliers » et cernés de frontières. U n majoritaire peut être auditeur
au Conseil d'État o u rétameur, alors q u ' u n gitan ne peut guère être que réta-
meur... mais il n'est pas seul à pouvoir l'être. A u sentiment de totalité des
dominants vient donc se joindre une sensation de sécurité et de toute-puissance
sociale qui ne saurait guère engendrer u n sentiment racial d u groupe propre,
si la race est ce carcan ou cette élection, cette « marque » orgueilleusement
o u amèrement portée mais qui, en tout cas, dérive de la connaissance de la
spécificité sociale.

Colette Guillaumin est chargée de recherche au Centre national


de la recherche scientifique, à Paris. Parmi ses principales
publications, citons : « Aspects latents du racisme chez
Gobineau », Cahiers internationaux de sociologie, vol. XLII
(1967), «Grande presse», dans Racisme et société (1969) et
L'idéologie raciste. Genèse et langage actuel (sous presse).

631
Leo Kuper L e changement d'ordre
politique dans
les sociétés pluralistes :
problèmes posés par
le pluralisme racial1

D a n s le domaine des sociétés multiraciales, qui m'intéressent tout particu-


lièrement ici, les principales théories relatives au changement d'ordre politique
sont les théories marxistes sur la lutte des classes, certaines adaptations de la
théorie de Durkheim sur le passage d'une solidarité mécanique à une solida-
rité organique, et les théories relatives aux sociétés pluralistes o u au pluralisme.
Chacune d'elles peut être utilisée à des fins idéologiques différentes, qui lui
sont souvent assez étrangères.
Le marxisme, en faisant de la lutte des classes le facteur déterminant d u
changement d'ordre politique, conçoit la discrimination et l'exploitation
raciales c o m m e u n des aspects des rapports entre classes. D a n s cette pers-
pective, le conflit des races sera, selon toute probabilité, résolu, et l'égalité
raciale établie, dans le cadre de la révolution prolétarienne mondiale 2 .
L'application de cette théorie telle quelle à des cas précis de conflits
raciaux pose toutefois de sérieux problèmes. E n effet, non seulement on cons-
tate u n m a n q u e de solidarité entre travailleurs de races différentes3, mais,
souvent, ce sont les travailleurs de la race dominante qui exigent les formes
les plus extrêmes de discrimination raciale.
E n outre, les membres de la race dominée ne disposent pas tous, en géné-
ral, des m ê m e s ressources économiques et ne constituent pas une classe unique;
il s'ensuit que les mouvements de libération raciale ou nationale rassemblent,

1. Les recherches sur lesquelles se fonde le présent article ont été financées par une subvention
de la National Science Foundation, à qui j'exprime ici m a reconnaissance. Je tiens aussi à
remercier m o n assistante, Sandra Hale, pour l'aide qu'elle m ' a apportée, et m o n ancien
élève, Neville Layne, dont la thèse de doctorat The plural society in Guyana m ' a été extrê-
mement utile.
2. Voir O . C . C o x (1948, p. 321-352, 583), pour qui l'apparition des antagonismes raciaux
coïncide avec l'avènement du capitalisme et la politique menée par les principaux dirigeants
du monde capitaliste, les Blancs des pays d'Europe et d'Amérique du Nord. Selon lui, les
rapports raciaux représentent une variante importante de la lutte des classes en ce sens que
la bourgeoisie cherche à prolétariser un peuple tout entier (p. 344), et il reconnaît que l'anta-
gonisme ethnique racial peut recouvrir d'autres intérêts au point que rien n'est fait pour
aplanir les divergences de classes, sur le plan politique (p. 319).
3. Voir, pour l'Afrique du Sud, l'ouvrage de H . J. S I M O N S et R . E . S I M O N S (1969 chap. 26,
p. 618 et 619) et, pour les États-Unis, J. B O G G S (1970, p. 9-18).

632
Rev. int. Sc. soc, vol. XXIII (1971), n° 4
Problèmes posés par le pluralisme racial

dans les luttes révolutionnaires, des individus appartenant à des classes diffé-
rentes (paysans, ouvriers, bourgeois).
Les modèles durkheimiens soulignent que les rapports entre m e m b r e s
de communautés distinctes peuvent donner naissance à de nouvelles formes
de solidarité qui transcendent les vieilles divisions1.
Les communautés peuvent être constituées par des groupes physiquement
isolés les uns des autres sur leurs propres territoires, o u séparés hiérarchique-
ment par une discrimination dans le domaine de l'emploi et par une ségré-
gation systématique. Le modèle type de Durkheim est essentiellement tin
modèle évolutionniste, mais la théorie de base a été élaborée dans des sociétés
racialement homogènes en voie d'industrialisation et il paraît assez douteux
qu'on puisse l'appliquer à des sociétés multiraciales. O n ne sait pas très bien
quelle importance attacher aux rapports et à la solidarité entre individus de
groupes raciaux différents lorsque ceux-ci n e sont pas tous parvenus politi-
quement au m ê m e degré d'intégration, en tant que collectivités. E n outre,
les caractéristiques physiques sont, dans u n e société multiraciale, u n m o y e n
d'identification plus durable que l'appartenance à une classe dans une société
industrielle homogène, et la mobilité peut avoir des conséquences absolument
différentes.
Les théories relatives à la société pluraliste et au pluralisme mettent l'accent
sur les clivages o u les discontinuités entre groupes qui se différencient par la
race, l'ethnie, la religion o u la culture. Ces éléments de différenciation ne sont
pas tenus pour primordiaux 2 : ils s'intègrent dans les structures sociales au
fur et à mesure d u processus d'interaction. Les différences raciales n'ont par
elles-mêmes aucune importance sociale3.
Elles en acquièrent une seulement lorsqu'elles servent à élaborer des
systèmes d'intégration politique différentielle, de stratification économique
et de ségrégation raciale. C o m m e la théorie des sociétés pluralistes se fonde
sur l'analyse d'un clivage profond et durable, elle tend à souligner le carac-
tère tenace des divisions pluralistes et le fait que le changement d'ordre poli-
tique risque fort de s'opérer par des moyens violents.
Sur le plan idéologique, M a r x et Durkheim soulignent la solidarité entre
les races. Pour M a r x , cette solidarité s'exerce entre individus de races diffé-
rentes qui remplissent les m ê m e s fonctions dans le système de production;
pour Durkheim, elle résulte de tout u n ensemble de rapports intercommunau-
taires. Si la théorie de la lutte des classes est difficilement applicable à des
sociétés multiraciales en raison précisément d u m a n q u e de solidarité de classe,
et si l'on peut s'en servir pour exacerber les conflits raciaux en assimilant
les races à des classes différentes, elle débouche néanmoins sur une idéologie
de rapprochement entre les races, tempère les manifestations de racisme et

1. Voir, par exemple, M . G L U C K M A N (1969, p. 402). L . A . DESFRES (1967, p. 17-20) baptise


ce modèle du nom de modèle « réticulé ».
2. C . G E E R T Z (1963, p. 109) souligne le problème que représente pour l'administration des
nouveaux États ce qu'il appelle les attachements « primordiaux » qui découlent des « données »
hypothétiques de la vie sociale.
3. M . G . S M I T H (1960, p. 774 et 775).

633
Leo Kuper

oriente l'action vers la coopération entre les races. Les perspectives durkhei-
miennes encouragent, elles aussi, les idéologies favorables à la solidarité
interraciale, m ê m e si la peur des conséquences des rapports intercommunau-
taires risque d'inciter u n groupe dominant à pratiquer une politique de ségré-
gation et de discrimination raciales systématique et totalitaire, c o m m e c'est
le cas de l'appartheid en Afrique d u Sud. M a r x et Durkheim s'appuient l'un
et l'autre sur u n concept moral : le premier croit à u n acheminement vers
l'égalité par une dialectique révolutionnaire d u changement, le second à la
multiplication des contacts intercommunautaires et à l'instauration de rap-
ports harmonieux, qui feront disparaître progressivement les inégalités raciales
par u n processus d'évolution. Sur le plan politique, ces conceptions corres-
pondent aux idéologies communiste et libérale.
Les théories relatives à la société multiraciale ne laissent, par contre,
entrevoir aucun progrès dans la voie de la solidarité ou de l'égalité entre races.
Elles ouvrent des perspectives assez sombres et se prêtent aisément à des
déformations idéologiques. Les groupes raciaux dominants peuvent faire
valoir la fréquence des conflits ethniques et raciaux et en conclure que le
pluralisme racial fait partie de l'ordre naturel et que la domination raciale
est justifiée. Les groupes raciaux dominés peuvent trouver dans cette doctrine
un encouragement à exprimer immodérément u n antagonisme racial. Les
idéologues de toute obédience peuvent être enclins à y trouver l'affirmation
d'un antagonisme racial ou ethnique inné et irréductible. Toutes ces inter-
prétations sont absolument étrangères aux théories sur les sociétés pluralistes
et elles en donnent d'ailleurs une idée entièrement fausse ; mais elles s'expliquent
par le fait que ces théories sont axées sur la notion de clivage et de conflit
et que toute préoccupation morale en est absente. L'intérêt pour les sociétés
pluralistes peut, certes, découler d'un fort engagement moral en faveur de la
prévention des conflits sociaux destructeurs et de la recherche de méthodes
d'évolution pacifique vers l'harmonie et l'égalité. Mais l'engagement moral
n'est pas inhérent à ces théories, dont le seul mérite est peut-être d'introduire
une méthode d'approche plus réaliste de l'étude des sociétés pluralistes.

Le concept de société pluraliste ou de pluralisme est diversement interprété.


O n emploie aussi, pour désigner la société pluraliste, d'autres termes, tels que
sociétés composites, sociétés féodales à bifurcation culturelle, sociétés m u l -
tiples, sociétés segmentées, sociétés dualistes et sociétés multicommunautaires 1 .

1. Voir ce que dit M . G . S M I T H (1969, p. 416 et 417) des ouvrages de A . R . Radcliffe-Brown,


G . Sjoberg, M . Nash, R . A . M . van Lier, H . Hoeting et J. D . Speckmann; voir aussi Q U E R -
M O N N E (1961, p. 29-59). Il convient de noter qu'il existe une conception entièrement diffé-
rente et plus ancienne du pluralisme ou de la société pluraliste « selon laquelle le pluralisme
des divers groupes et intérêts constitutifs est intégré en un ensemble équilibré réunissant des
conditions favorables à un gouvernement démocratique stable » (L. K U P E R , 1969a, p. 7). Cette
conception du « pluralisme démocratique » n'a aucun rapport avec la théorie de la société
pluraliste avec laquelle on la confond parfois, ce qui déclenche des attaques contre la théorie
de la société pluraliste de la part de journaux de gauche où de nombreuses critiques sont
adressées au pluralisme démocratique.

634
Problèmes posés par le pluralisme racial

L a diversité m ê m e des concepts et des interprétations dénote la présence


de phénomènes distinctifs, ce qui incite l'analyste à formuler de nouvelles
théories et justifie l'état assez p e u avancé de la théorie dans ce domaine.
L a théorie de la société pluraliste a évolué vers des formulations plus
universelles et plus souples. Telle que Furnivall l'a développée dans Colonial
policy and practice : a comparative study of Burma and Netherlands India,
elle s'applique aux sociétés coloniales tropicales. L a domination coloniale
impose une superstructure commerciale et administrative à l'occidentale et
lâche ainsi quelque peu la bride à la concurrence économique dans u n milieu
culturel, social et racial diversifié. Aucune volonté c o m m u n e ou sociale n'unit
les individus de toutes sortes qui vivent ensemble tout en conservant la reli-
gion, la culture o u la langue qui leur sont propres. Leur cohésion tient à la
pression exercée d u dehors par la puissance coloniale et au jeu des facteurs
économiques. Les rapports entre les différents groupes sont caractérisés par
des dissensions et une instabilité foncière et, une fois aboli le joug colonial,
le problème se pose de trouver u n principe moral supérieur à l'intérêt écono-
mique c o m m e base de consensus et d'intégration1
M . G . Smith a détaché le concept de Furnivall de sa matrice coloniale
et, ce faisant, lui a donné une signification plus universelle. L a critique que
Furnivall fait d u phénomène historique d u colonialisme capitaliste disparaît
par la m ê m e occasion de la théorie. E n outre, l'universalisation d u concept
en neutralise l'élément moral. L'accent n'est plus mis non plus sur les rapports
raciaux mais, dans la première formulation de M . G . Smith, sur le pluralisme
culturel — les différences raciales ne tirant leur signification que d u pluralisme
culturel — et, dans les formulations ultérieures, sur une équivalence, au niveau
de l'analyse, entre le pluralisme racial et d'autres pluralismes2.
L a première formulation par M . G . Smith de la théorie de la société
pluraliste et la controverse qu'elle suscita, parmi les intellectuels des Caraïbes
en particulier, ont u n intérêt surtout historique3. L a primauté y est donnée
au pluralisme culturel défini c o m m e le recours, par les groupes qui composent
la société pluraliste, à des institutions coercitives différentes et incompatibles
entre elles. L e pluralisme culturel est conçu c o m m e rendant nécessaire la domi-
nation d'un groupe culturel. L a société pluraliste revêt une forme vraiment

1. Voir : J. S. F U R N I V A L L (1939, p. 464-469; 1945, p. 161-184; 1948, p. 506, 547); J. R E X


(1959); L . K U P E R et M . G . S M I T H (1969a, p. 3, 10-11, 29, 415-430, 448 et 449); N . L A Y N E
(1970, chap, i); M . FORTES (1970).
2. Le fait de mettre en parallèle, au niveau de l'analyse, le pluralisme fondé sur la race et le
pluralisme fondé sur les divisions ethniques irrite certains analystes africains qui estiment
que cela a pour effet de diminuer la responsabilité morale des Blancs dans l'oppression
raciale et de faire apparaître les conflits ethniques c o m m e plus irréductibles, au moment
m ê m e où l'intégration ethnique est une nécessité impérieuse en Afrique. Cette mise en paral-
lèle est aussi considérée comme « a-historique » puisque la grande majorité des sociétés
multiraciales, contrairement aux sociétés pluralistes du point de vue ethnique, sont le fruit
de la colonisation et de l'impérialisme occidentaux.
3. Voir entre autres : M . G . S M I T H (1960, 1969a); R U B I N (1960); R . T . S M I T H (1961); H . I.
M C K E N Z I E (1966); H . S. M O R R I S (1966, 1967, 1968); L . A . DESPRES (1967, 1968); L . K U P E R
(1969a).

635
Leo Kuper

typique lorsque ce groupe est une minorité; les conséquences d u pluralisme


culturel, pour les structures, sont alors des plus extrêmes. L a cohésion des
sociétés est assurée par des règlements plutôt que par u n consensus, et une
modification de la structure sociale présuppose des changements d'ordre
politique et prend d'ordinaire une forme violente.
Cette formulation a été critiquée d u point de vue durkheimien en faisant
valoir qu'elle minimise l'importance des institutions c o m m u n e s et des rapports
intercommunautaires qui se développent grâce aux contacts entre groupes;
du point de vue marxiste, c'est-à-dire dans la perspective de la lutte des classes,
on lui a reproché de ne tenir aucun compte des liens tissés par des intérêts
c o m m u n s découlant de similitudes dans la situation de classe; enfin, o n a
conclu d'une analyse interne de la théorie elle-même qu'elle ne fournit pas
une base adéquate pour déterminer la présence o u les dimensions d u plura-
lisme culturel et qu'elle exagère l'importance des différences et des valeurs
culturelles. L a formulation n'en conserve pas moins son intérêt en tant qu'ana-
lyse d u pluralisme culturel1, bien qu'elle ait été transcendée dans la théorie
de la société pluraliste.
L a formulation de la théorie que M . G . Smith a donnée ultérieurement
est plus souple et elle insiste davantage sur les structures politiques que sur
les différences culturelles. Le m o d e d'intégration politique est pour lui une
idée clé. Dans u n système d'intégration « universaliste » ou « uniforme »,
les individus acquièrent la citoyenneté directement sur une base d'égalité,
et n o n pas en s'identifiant à un groupe, tandis que s'il s'agit d'une intégration
« équivalente » (ou « complémentaire ») ou encore « différentielle » ils sont
liés au corps social et leurs droits et devoirs sont définis, à travers leur appar-
tenance à u n groupe. D a n s le cas d'une intégration équivalente o u complé-
mentaire, la société « est formée d'un assemblage de groupes complémentaires
ou équivalents mais qui s'excluent mutuellement, l'appartenance à l'un d'eux
étant la condition nécessaire pour obtenir la citoyenneté dans l'entité plus
vaste2 ». Dans le cas d'une intégration différentielle, « la société est formée
d'une série de groupes de structure inégale et qui s'excluent mutuellement,
c'est-à-dire qu'elle constitue u n système expressément pluraliste2 ».
Le concept de m o d e d'intégration est lié à une distinction entre trois
niveaux de pluralisme — culturel, social et structural. L e pluralisme culturel
renvoie simplement à des différences institutionnelles sans ségrégation collec-
tive correspondante. Il peut exister dans des sociétés fondées sur u n m o d e
d'intégration uniforme. 11 y a pluralisme social lorsque la différenciation
institutionnelle coïncide avec la division de la société en plusieurs groupes
bien délimités et pratiquement clos sur eux-mêmes. L e pluralisme structural
consiste dans l'association d u pluralisme culturel et social et de l'intégration

1. O n est frappé, par exemple, par l'importance des idéologies fondées sur les différences cul-
turelles dans de nombreuses sociétés pluralistes, par les controverses politiques au sujet des
conditions d'accès à la culture du groupe dominant, le dénigrement de la culture du groupe
dominé, et la renaissance du nationalisme culturel dans les mouvements révolutionnaires
contre la domination.
2. M . G . SMITH (1969a, p. 435).

636
Problèmes posés par le pluralisme racial

différentielle1. L a société pluraliste, sous sa forme classique décrite par Fur-


nivall, est une société caractérisée par u n pluralisme des structures dans
laquelle le groupe dominant est numériquement minoritaire2.
Des formulations plus souples se fondent sur la notion de pluralisme
conçu c o m m e une variable continue, et n o n c o m m e une dichotomie3. A u
n o m b r e des principales dimensions d u pluralisme, van den Berghe cite notam-
ment les variables démographique, culturelle et idéologique, et les systèmes
de variables d u pluralisme social au niveau des groupes, des institutions et
des individus4.
Je distingue pour m a part quatre dimensions d u pluralisme, à savoir :
a) le particularisme-universalisme, qui est essentiellement le m o d e d'intégration,
interprété au sens large, de manière à inclure la différenciation non seulement
dans la structure politique générale de la société, mais aussi dans l'adminis-
tration d'institutions c o m m e les entreprises industrielles, les établissements
éducatifs et les établissements religieux; b) la ségrégation-assimilation, qui
correspond à l'étendue d u pluralisme social; c) la diversité-homogénéité cul-
turelle, qui correspond à l'étendue d u pluralisme culturel; et d) Pinégalité-
égalité des possibilités d'accès aux postes de c o m m a n d e et aux biens matériels,
et d'élévation dans la hiérarchie sociale5.
D e u x mesures d u pluralisme, fondées sur ces variables, sont proposées.
L a discontinuité-continuité mesure l'étendue de l'inégalité en matière d'inté-
gration, l'étendue de la ségrégation, et celle des disparités dans la culture et
dans l'accès aux postes de c o m m a n d e et aux biens matériels. Les discontinuités
sont à la fois quantitatives — c'est le cas par exemple des écarts entre les
salaires versés aux travailleurs de races différentes — et qualitatives — c'est
le cas des rôles distincts assignés aux m e m b r e s des différents groupes6. L a
superposition-dissociation mesure le degré de convergence ou de divergence
des lignes de clivage d u haut en bas de l'édifice social7. M ê m e lorsque la
méthode d'approche se fonde sur le pluralisme en tant que variable continue
il est utile de conserver le concept de la société pluraliste représentant une
forme extrême d u pluralisme.
Ces diverses conceptions de la société pluraliste et d u pluralisme ont
ceci de c o m m u n qu'on en est venu à les appliquer à toute société politiquement
unitaire parce que gouvernée par une seule autorité politique suprême, o u

1. M . G . S M I T H , (1969a, p. 440).
2. Ibid., p. 445.
3. Voir l'étude, par M . R . H A U G (1967, p. 294-304), des rapports entre divers degrés de plura-
risme et les variables démographique, économique, politique et celles qui ont trait à la com-
munication.
4. Pierre L . van den B E R O H E (1969, p. 69-72).
5. L . K U P E R (1969, p. 469-479).
6. Voir, par exemple, la description de J. S. F U R N T V A L L (1948, p. 311) des lignes de clivage racial
dans la société pluraliste. « Les étrangers vivent dans les villes, les indigènes dans les zones
rurales ; le commerce et l'industrie sont entre les mains des étrangers et les indigènes s'adonnent
principalement à l'agriculture; le capital étranger emploie la main-d'œuvre indigène ou
importée. Les divers éléments de la population ne se rencontrent qu'au marché, c o m m e
concurrents ou c o m m e rivaux, c o m m e acheteurs et c o m m e vendeurs. » O n trouve aussi
chez Fanon une puissante description du manichéisme du monde colonial.
7. Voir R . D A H R E N D O R F (1959, p. 213 et suiv.; p. 316-317).

637
Leo Kuper

présentant une organisation unitaire par rapport au m o n d e extérieur selon


tous les autres critères de structure, mais qui est, à l'intérieur, composée de
groupes différents du point de vue racial, ethnique ou culturel, qui conservent
des modes de vie nettement distincts1.

O n peut considérer les sociétés pluralistes c o m m e sui generis o u caractérisées


par des phénomènes de clivage o u de discontinuité présents dans toutes les
sociétés mais qui revêtent ici une forme plus extrême. D a n s l'un et l'autre
cas, l'analyse des sociétés pluralistes bouleverse les théories les plus courantes
relatives au changement d'ordre politique.
L'application à des sociétés multiraciales des théories marxistes sur les
rapports entre l'économie et la politique, l'universalité de la lutte des classes
et la dialectique du changement révolutionnaire, pose de nombreux problèmes.
Ceux-ci découlent en partie du fait que, si les sociétés multiraciales sont carac-
térisées à la fois par une différenciation économique et une stratification
raciale, les limites de la race et de la classe ne coïncident pas exactement, ce
qui donne naissance à des ambiguïtés dans la situation sociale. D a n s ce
contexte, la théorie de la société pluraliste tend à mettre l'accent sur la
structure raciale elle-même et le m o d e d'intégration différentiel, soit de
jure c o m m e en Afrique d u Sud, soit de facto c o m m e aux États-Unis, et
à contester la primauté, mais non l'importance, des facteurs économiques.
Dans les sociétés pluralistes les institutions politiques ne sont en aucune
façon une superstructure édifiée sur les rapports de production; c'est au
contraire le pouvoir issu des institutions politiques qui définit dans une large
mesure la situation par rapport aux moyens de production. L'absence de
solidarité entre les travailleurs de la race dominante et ceux de la race dominée,
qui a été une cause de désillusion chez les révolutionnaires noirs2 est peut-être
conciliable avec la théorie marxiste grâce à une extension de la doctrine de
l'aristocratie ouvrière; mais si nombre des travailleurs de la classe dominante
constituent effectivement une aristocratie ouvrière, ils le doivent à leur inté-
gration raciale différente, à leur position politique dominante et non pas à une
situation privilégiée face aux moyens de production.
L'attachement au d o g m e de l'universalité de la lutte des classes a été
quelque peu entamé par les critiques des dirigeants de mouvements de libé-
ration nationale. Cabrai pose le problème sous u n certain angle quand il
dit que faire commencer l'histoire avec la lutte des classes équivaut à affirmer
que « divers groupes humains en Afrique, en Asie et en Amérique latine
vivaient sans histoire, o u en dehors de l'histoire, lorsqu'ils étaient soumis
au joug impérialiste3 ».

1. C'est ainsi que M . F O R T E S (1970, p. 8) définit l'usage courant de ce concept mais j'ai pour m a
part inclus la diversité raciale (pluralisme) sur laquelle porte une bonne partie du présent
article.
2. H . C R U S E (1968, p. 139-155); H . J. S I M O N S et R . E . S I M O N S (1969, p. 621).
3. A . C A B R A L (1969, p. 77) conclut que l'importance des forces productrices, qui détermine le
contenu et la forme de la lutte des classes, est toujours l'élément moteur de l'histoire.

638
Problèmes posés par le pluralisme racial

N o m b r e de dirigeants de mouvements de libération dans des sociétés


pluralistes, c o m m e celles qui ont été colonisées par les Blancs, ont d u m a l
à concilier leur propre lutte avec la lutte des classes dans une situation o ù
la solidarité entre travailleurs de races différentes fait défaut, où la lutte néces-
site la mobilisation de toutes les sections d u groupe subordonné et o ù les
antagonistes sont assez bien définis par des critères politiques, c o m m e colo-
nisateurs et colonisés, ou races dirigeantes et races opprimées.
D a n s l'effort pour concilier la théorie marxiste et la réalité, on peut encore
donner la primauté à la lutte des classes dans la phase de libération nationale
en soulignant le rôle progressiste o u révolutionnaire de classes particulières
à l'intérieur d u mouvement de libération, méthode d'approche qui a suscité
de très nombreuses controverses1. O n peut aussi concevoir la révolution en
deux étapes : la révolution nationale bourgeoise o u démocratique, suivie
de la révolution socialiste, le rapport entre la classe et la race dans les sociétés
multiraciales se trouvant alors renversé, de sorte q u ' a u lieu que la révolution
de classes prélude à l'instauration de l'égalité raciale, c'est la révolution d é m o -
cratique qui prélude à la révolution socialiste2. Enfin, la lutte des classes peut
être considérée dans la perspective plus générale d'une lutte entre les nations
impérialistes et les nations opprimées, o u entre les travailleurs des nations
impérialistes, les peuples opprimés du m o n d e et les pays socialistes, d'une part,
et, de l'autre, les détenteurs bourgeois des moyens de production dans le m o n d e
entier.
Chacune de ces méthodes d'approche suppose l'acceptation, chez les
peuples opprimés, d'un degré appréciable de solidarité entre les différentes
classes, d u moins dans le conflit interne immédiat, ce qui a des conséquences
pour la théorie marxiste révolutionnaire de la polarisation des classes par
rapport aux moyens de production. Dans la perspective d'une société plura-
liste, o n peut considérer que l'élément déterminant dans la dialectique d u
conflit est, politiquement, la façon dont chaque groupe se situe par rapport
aux instruments d u pouvoir, la révolution étant déclenchée par tout facteur
qui modifie la structure de ces rapports et non pas nécessairement par l'évo-
lution et les changements économiques. L a survivance de rapports de type
féodal dans une société industrialisée, la transformation radicale des insti-
tutions économiques alors que les institutions politiques demeurent à peu près
inchangées, et une situation révolutionnaire permanente au sens marxiste
sans bouleversement révolutionnaire, sont plus compatibles avec les théories
relatives à la société pluraliste qu'avec le marxisme 3 .
Des difficultés comparables surgissent lorsqu'on applique à des sociétés
multiraciales des théories inspirées de Durkheim. Ces théories ont u n élément
c o m m u n : elles mettent l'accent sur l'évolution progressive due au dévelop-
pement de rapports entre groupes initialement séparés par des cloisons étanches.

1. Voir M . S T A N I L A N D (1969) pour un compte rendu de la controverse soulevée par Fanon,


qui voit dans la paysannerie l'élément véritablement révolutionnaire de la situation coloniale.
2. Voir : H . J. S I M O N S et R . E . S I M O N S (1969, p. 410-411); L . K U P E R (1971a).
3. L . K U P E R (1971a et b).

639
Leo Kuper

Ces rapports entre groupes peuvent se traduire par le partage plus équitable
d'une culture c o m m u n e , la participation aux m ê m e s institutions, o u par
divers rapports sociaux entre individus de race o u d'ethnie différentes. Ils
sont jugés importants parce qu'ils favorisent l'intégration, la stabilité o u
l'acheminement vers la démocratie.
Sans doute, le partage de nombreux éléments d'une culture c o m m u n e
favorise-t-il souvent l'intégration et la stabilité, bien que des sociétés rela-
tivement homogènes par leurs cultures puissent évidemment connaître de
profondes divisions et une lutte révolutionnaire, et que l'attachement a u x
m ê m e s valeurs puisse être en soi une source de conflits1. Dans les sociétés
pluralistes, les différences culturelles deviennent, tout c o m m e l'assimilation
culturelle, une source de conflit. D a n s les sociétés colonisées par les Blancs,
les idéologies fondées sur les différences culturelles servent à rationaliser la
domination. E n m ê m e temps, les moyens d'accès à la culture d u groupe
dominant sont strictement contrôlés et la promesse d'égalité de participation
pour ceux qui ont assimilé cette culture se révèle illusoire. E n conséquence,
le conflit peut se traduire en partie par l'aflirmation, de part et d'autre, d'une
supériorité culturelle et par la résurgence de la culture traditionnelle; la poli-
tique en matière d'éducation devient alors u n problème politique capital
et les individus culturellement assimilés peuvent être conduits à entraîner leur
peuple dans une lutte révolutionnaire.
Les conséquences de la participation aux m ê m e s institutions varient
selon la nature de ces institutions, les rapports qu'elles créent entre les divers
groupes et leur m o d e d'articulation à l'intérieur de la société. Colby et van
den Berghe observent que « d'une part, ces institutions c o m m u n e s sont le
fondement m ê m e d'une intégration de la société pluraliste; d'autre part,
l'asymétrie dans nombre des relations interethniques est génératrice de
conflits2 ». Les sociétés pluralistes se caractérisent par le fait que les rapports
dans le domaine économique y sont nettement asymétriques. L'interdépen-
dance économique peut favoriser la stabilité et l'intégration dans certaines
conditions, mais il est tout à fait illusoire d'escompter que la croissance indus-
trielle et économique dans les sociétés pluralistes contribue automatiquement
à l'intégration et au changement démocratique, compte tenu de la persistance
des inégalités raciales aux États-Unis et en Afrique d u Sud 8 . D a n s les sociétés
pluralistes, la revendication d'une plus grande égalité de participation, suscitée
par le développement économique, risque d'intensifier la répression politique,
c o m m e c'est le cas en Afrique d u Sud.
L a multiplication des réseaux de biens entre individus appartenant à des
races o u à des groupes ethniques différents peut assurément servir de base
à une restructuration de la société; mais, là encore, des difficultés surgissent
dans les sociétés pluralistes où l'intégration n'est pas la m ê m e pour toutes les
races. M . G . Smith estime que, dans u n tel système, les actions et les prises de

1. H . I. M C K E N Z I E (1966, p. 59).
2. B. J. COLBY et P. L. van den BEROHE (1969, p. 183).
3. Voir : H . BLUMER (1965); L. KUPER (1969C); M . FORTES (1970).

640
Problèmes posés par le pluralisme racial

position individuelles ne sauraient modifier les divisions sociales1. D'autres


analystes de la société coloniale ont fait des observations similaires2. Certes,
dans les cas d'extrême pluralisme et de conflit violent c o m m e en Algérie, la
solidarité entre individus ne joue plus.
L a division raciale et ethnique dans les sociétés pluralistes est un phéno-
mène social très différent de la segmentation des sociétés homogènes de la
théorie de Durkheim. D a n s les sociétés pluralistes, les nouveaux rapports
créés par la division progressive d u travail peuvent se superposer en grande
partie aux anciennes divisions, ce qui rend plus complexe, mais ne change
guère, la structure pluraliste de la société. D a n s certaines conditions, l'accul-
turation, la participation aux m ê m e s institutions et les rapports intercommu-
nautaires peuvent favoriser la solidarité entre groupes, mais il existe aussi des
zones de friction entre groupes pluralistes. Les modèles tirés de la théorie
de Durkheim du passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique
ne peuvent être utilisés qu'avec beaucoup de réserves pour analyser l'évolution
politique dans les sociétés pluralistes.

N o n contents d'évoquer les problèmes critiques que pose l'application des


théories de M a r x et de Durkheim, les théoriciens de la société pluraliste
proposent des conceptions bien à eux. Celles-ci découlent de l'importance
attachée aux discontinuités, o u clivages, entre les divers groupes, et elles
mettent en lumière le rôle des institutions politiques et, notamment, le m o d e
d'intégration différentielle*.
Elles s'appliquent principalement a u x situations de pluralisme racial
ou ethnique qui caractérisent la grande majorité des sociétés pluralistes.
Les discontinuités ne sont pas considérées c o m m e fondées sur les
« données » hypothétiques de la vie sociale, mais c o m m e survenant au cours
du processus d'interaction à l'intérieur de la société. D a n s le cas de l'État
non national1, seul le groupe dominant est organisé au départ à l'échelle
nationale, tandis que le groupe o u les groupes dominés se subdivisent en
de nombreux groupes locaux. L'intégration de ces groupes locaux au sein
d'une c o m m u n a u t é nationale peut résulter des activités d' « institutions
intermédiaires » c o m m e les associations ethniques et les partis politiques6; le
nationalisme et l'indépendance politique peuvent aussi transformer les
catégories ethniques en blocs ethniques6 o u bien encore le processus de

1. M . G . S M I T H (19696, p. 51).
2. Voir, par exemple : A . M E M M I (1957, p. 54); R . A R O N (1962, p. 8). Voir aussi L . K U P E R
(1969c, p. 169-183), qui a essayé d'évaluer l'importance des rapports intercommunautaires
pour le processus d'évolution.
3. Dans sa théorie de la société pluraliste, J. S. F U R N T V A L L souligne le rôle des forces écono-
miques qui échappent au contrôle de la volonté sociale et s'exercent dans le contexte de la
domination coloniale et du pluralisme racial et culturel. Il estime toutefois que c'est seule-
ment sur le plan politique que pourrait être résolu le problème de la création d'une volonté
sociale commune. « La réintégration politique ne dépend pas de la réintégration sociale et
économique : elle la conditionne. » (J. S. F U R N I V A L L , 1948, p. 506.)
4. M . N A S H (1958).
5. L. A . DESPRES (1967, p. 22-27).
6. M . F R E E D M A N (1969, p. 167).

641
Leo Kuper

« modernisation » peut favoriser l'extension a u plan ethnique national des


allégeances des groupes locaux.
L a présence de discontinuités de plus en plus profondes peut rendre très
difficile le maintien de la cohésion, qui est fondée non sur des valeurs partagées,
mais sur le contrôle politique exercé par le groupe dominant et sur une inter-
dépendance économique des différents groupes 1 . 11 peut, certes, exister
des éléments de consensus non négligeables, mais l'intégration de la société
ne se fait pas par u n consensus et celui-ci ne saurait être confondu avec
l'absence de contestation. D a n s les sociétés pluralistes, les conflits latents
entre les différents groupes peuvent servir d'encouragement, ou de justification,
à l'instauration d'un État à parti unique, o u d'un régime despotique ou mili-
taire2.
Malgré les problèmes de cohésion posés par ces discontinuités, les sociétés
pluralistes peuvent demeurer relativement stables pendant u n temps assez
long. Cependant, une fois que l'évolution politique est en marche, elle donne
souvent lieu à de spectaculaires explosions de violence. Cela tient à un certain
nombre de facteurs. Les membres d'une m ê m e communauté raciale occupent
une position subalterne dans de nombreuses structures institutionnelles
différentes, de sorte que le conflit peut s'étendre rapidement d ' u n secteur
à u n autre d'une manière en apparence irrationnelle et imprévisible. C'est
ainsi que des événements mineurs et isolés peuvent avoir une grande résonance
et précipiter le conflit entre divers groupes à l'intérieur de la société. Les
motifs de conflit ont également tendance à s'additionner, ce qui accroît les
risques d'une flambée de violence. E n outre, c o m m e il existe u n rapport
très étroit entre le politique et le social, les changements et les troubles sociaux
ont des répercussions sur le système politique central.
U n modèle de changement révolutionnaire de la société s'inspirant
d'un modèle marxiste de polarisation mais remplaçant les contradictions
de classes par des contradictions raciales (ou ethniques) se fonderait sur l'inté-
gration différentielle des communautés dans des systèmes o ù prédominent les
inégalités politiques. C e m o d e d'intégration favoriserait la multiplication
des inégalités dans toutes les institutions de la société et, plus particulièrement,
dans les institutions économiques et les établissements d'éducation3. U n e
vaste superstructure se trouverait ainsi édifiée, qui conduirait à la généralisa-
tion d ' u n statut racial. Tout événement qui influerait sur ce statut racial
risquerait de précipiter le conflit. L a superstructure tout entière étant cimentée
par la domination politique, le groupe dirigeant répondrait à toute revendica-
tion d ' u n changement en cherchant à raffermir son pouvoir politique afin
de maintenir le statu quo. Il existe donc entre les races u n rapport dialectique
suivant les lignes de force d u pouvoir politique, et la lutte révolutionnaire
a pour objectif premier de changer la structure de la domination politique.
L a conscience raciale o u ethnique qui se développe ainsi n ' a rien de c o m m u n

1. B. J. C O L B Y et P. L. van den B E R G H E (1969, p. 10-13).


2. Voir l'étude de M . FORTES (1970, p. 16-18) et celle de P. L . van den B E R G H E (1969, p. 67-81).
3. L . K U P E R (1971C).

642
Problèmes posés par le pluralisme racial

avec la conscience de classe : elle a des racines sociales différentes, elle répond
à des motivations différentes et se traduit par des aspirations différentes.
Elle s'attachera vraisemblablement à faire changer de mains le pouvoir et
la richesse plutôt q u ' à transformer radicalement le m o d e de propriété des
moyens de production.
C e modèle de changement révolutionnaire se fonde sur l'hypothèse
que les groupes raciaux o u ethniques s'affrontent c o m m e des blocs anta-
gonistes dans u n contexte général d'extrême discontinuité. Mais les conti-
nuités et les discontinuités coexistent toujours dans les sociétés pluralistes,
c o m m e le prouve clairement le fait que la violence révolutionnaire se tourne
vers l'intérieur autant que vers l'extérieur, c o m m e par exemple en Algérie1
et au Kenya 2 . L a combinaison des continuités et des discontinuités rend
ambigus les rapports entre groupes raciaux o u ethniques; la polarisation
n'est pas automatique. D'autre part, le conflit n'est pas non plus provoqué
simplement par les manœuvres de dirigeants politiques c o m m e tendent à
le faire croire certaines théories machiavéliques sur le conflit éthique en Afrique.
Il est des forces sociales qui provoquent le conflit racial o u ethnique, mais
une évolution progressive, dans certaines conditions, est également possible
et permet de faire u n choix politique. C'est pourquoi deux modèles sont pro-
posés pour le changement d'ordre politique dans les sociétés pluralistes;
ils correspondent à différentes tendances politiques des groupes pluralistes
dominés. Pour l'un, le processus d'adaptation et d'évolution résulte de l'inté-
gration progressive sur une base d'égalité, tandis que l'autre cherche à résoudre
le problème en faisant prendre aux divers groupes plus vivement conscience
de leur identité dans une opposition dialectique et u n affrontement révolu-
tionnaire3.
Lorsqu'on essaie d'apprécier la possibilité d ' u n changement politique
progressif, on ne peut partir de l'hypothèse que la probabilité d'un tel change-
ment s'accroît de façon automatique en m ê m e temps que les continuités
entre les différents groupes sur le plan des structures et de la culture. Certaines
combinaisons de continuités et de discontinuités peuvent être particulièrement
génératrices de conflit4.
E n outre, dans les sociétés multiraciales et, pour une moindre mesure,
dans les sociétés multi-ethniques, il est facile de récupérer les éléments dyna-
miques du groupe dominé. Et dans les sociétés pluralistes en général, la violence
entre groupes est souvent u n puissant facteur de polarisation.
Le schéma proposé par Beltran5 peut être utile pour l'étude des possi-
bilités de violence révolutionnaire o u d'évolution progressive. Il distingue le
dualisme entre les secteurs traditionnel et moderne, le pluralisme primaire o u
ethno-culturel, et le pluralisme secondaire, y compris les pluralismes de

1. M . F E R A O U N (1962).
2. R . BUITENHUIJS (1969, chap. xu).
3. L . K U P E R (19696).
4. Voir, par exemple, l'utilisation faite par J. G A L T U N G (1966) de l'idée d'incongruité de statut
dans sa théorie du conflit.
5. L . B E L T R A N (1969, p. 93-118).

643
Leo Kuper

restratification politique, religieux et linguistique. Il analyse les interac-


tions entre le dualisme et le pluralisme, il soutient que leur superposition
favorise la polarisation et suggère qu'un plus haut degré d'intégration peut être
atteint par une normalisation à la base, assurant à tous les m e m b r e s de la
société une participation plus o u moins égale.
Quelle que soit la méthode d'approche utilisée, les processus de changement
d'ordre politique dans les sociétés pluralistes doivent être considérés c o m m e
indéterminés. Ils dépendent, en effet, des choix politiques que les acteurs
eux-mêmes font à l'intérieur de la société, et ils dépendent aussi d'ingérences
extérieures. A l'époque contemporaine, ces ingérences ont aiguillonné le
conflit et exacerbé la violence entre groupes pluralistes, alors que les grandes
puissances mènent leurs luttes pour la domination politique sur les territoires
de petites nations. Mais il se peut que dans l'avenir, à mesure que se consti-
tuera une c o m m u n a u t é des nations, cette intervention stimule o u renforce
le processus d'évolution pacifique qui aboutira à l'égalité de participation.

[Traduit de l'anglais]

BIBLIOGRAPHIE

Nous donnons ci-après une bibliographie sélective se rapportant au thème développé dans
cet article. O n trouvera une liste très détaillée des ouvrages ou études sur la société plura-
liste, parus jusqu'en 1967, dans Pluralism in Africa, publié sous la direction de Leo Kuper
et M . G . Smith.

A R O N , Robert, et al. 1962. Les origines de la guerre d'Algérie : textes et documents contem-
porains. Paris, Fayard.
B E L T R A N , Luis. 1969. Dualisme de pluralisme en Afrique tropicale indépendante. Cahiers
internationaux de sociologie, n° 47, p. 93-118.
B E R G H E , Pierre L . van den. 1965. Toward a sociology of Africa, dans : Africa: social problems
of change and conflict, San Francisco, Chandler Publishing C o m p a n y .
. 1969. Pluralism and the policy : a theoretical exploration, dans : Leo K U P E R
et M . G . S M I T H (ed.), Pluralism in Africa, Berkeley; Los Angeles, University of
California Press.
B L U M E R , Herbert. 1965. Industrialisation and race relations, dans : G u y H U N T E R (ed.),
Industrialisation and race relations: a symposium. Londres, Oxford University Press.
B O G G S , James. 1970. Racism and the class struggle: further pages from a black worker's
notebook. N e w York, Monthly Review Press.
B U I T E N H U U S , R . 1969. Le mouvement « Mau-Mau »: une révolte paysanne et anticoloniale
en Afrique noire. Paris, École pratique des hautes études (thèse de doctorat du 3 e cycle).
C A B R A L , Amilcar. 1969. Revolution in Guinea. N e w York, Monthly Review Press.
C O L B Y , Benjamin J.; B E R G H E , Pierre L . van den. 1969. Country. Berkeley; Los Angeles,
University of California Press.
Cox, Oliver Cromwell. 1948. Caste, class and race: a study in social dynamics. Garden
City; N e w York, Doubleday.
C R U S E , Harold. 1968. Rebellion or revolution? N e w York, William M o r r o w .
D A H R E N D O R F , Ralf. 1959. Class and class conflict in industrial society. Stanford, Stanford
University Press.
D E S P R E S , Leo A . 1967. Cultural pluralism and nationalist politics in British Guinea. Chicago,
Rand McNally and C o m p a n y .

644
Problèmes posés par le pluralisme racial

D E S P R E S , Leo A . 1968. Anthropological theory, cultural pluralism and the study of complex
societies. Current anthropology, vol. 9, p . 3-26.
F E R A O U N , M . 1962. Journal, 1955-1962. Paris, Éditions du Seuil.
F O R T E S , Meyer. 1970. The plural society in Africa. Johannesburg, South African Institute
of Race Relations.
F R E E D M A N , Maurice. 1960. T h e growth of a plural society in Malaya. Pacific affairs, vol. 33,
p. 158-168.
F U R N I V A L L , J. S. 1939. Netherlands India: a study of plural economy. Cambridge, Cambridge
University Press.
. 1945. S o m e problems of tropical economy, dans : Rital H I N D E N (ed.), Fabian colonial
essays. Londres, George Allen and U n w i n .
. 1948. Colonial policy and practice: a comparative study of Burma and Netherlands
India. Cambridge, Cambridge University Press.
G A L T U N O , J. 1966. International relations and international conflicts : a sociological approach.
Transactions of the Sixth World Congress of Sociology, vol. I.
G E E R T Z , Clifford. 1963. Integrative revolution: primordial sentiments and civil politics
in the n e w States. Old societies and new States. N e w York, Free Press of Glencoe.
G L U C K M A N , M a x . 1969. The tribal area in South and Central Africa, dans : Leo K U P E R
et M . G . S M I T H (ed.), Pluralism in Africa. Berkeley; Los Angeles, University of Cali-
fornia Press.
H A U O , Marie R . 1967. Social and cultural pluralism as a concept in social system analysis.
American journal of sociology, vol. 73, p . 294-304.
H O E T T N K , Harry. 1967. The two variants in Caribbean race relations : a contribution to the
sociology of segmented societies. Londres, Oxford University Press.
K U P E R , Leo. 1969a. Plural societies: perspectives and problems, dans : Leo K U P E R et M . G .
S M I T H (ed.), Pluralism in Africa. Berkeley; Los Angeles, University of California Press.
. 1969Í». Ethnic and racial pluralism: some aspects of polarization and depluralization,
dans : Pluralism in Africa, op. cit.
. 1969c. Political change in white settler societies: the possibility of peaceful democra-
tization, dans : Pluralism in Africa, op. cit.
. 1970. Continuities and discontinuities in race relations: evolutionary or revolu-
tionary change. Cahiers d'études africaines, vol. 10, p. 361-383.
. 1971«. Review of H . J. S I M O N S et R . E . S I M O N S , Class and colour in South Africa,
1850-1950, dans : Race, avril, p. 495-500.
. 1971¿>. Theories of revolution in race relations. Comparative studies in society and
history, vol. 13, p. 87-107.
. 1971c. Race, class and power: some comments on revolutionary change (manuscrit
inédit).
L A Y N E , Neville. 1970. The plural society in Guiana. Los Angeles, Département de sociologie,
Université de Californie. (Thèse de doctorat en philosophie.)
LIER, R . A . J. V A N . 1950. The developement and nature of society in the West Indies. Amster-
dam, Royal Institute for the Indies.
M C K E N Z I E , H . I. 1966. The plural society debate: some comments on a recent contribution.
Social and economic studies, vol. 15, p. 53-60.
M E M M I , Albert. 1957. Portrait du colonisé précédé du portrait du colonisateur. Paris, Buchet-
Chastel.
MrrcHEix, J. C . 1960. Tribalism and the plural society. Londres, Oxford University Press.
M O R R I S , H . S. 1966. Review of M . G . S M I T H , The plural society in the British West Indies,
dans : Man, vol. 1, p . 270-271.
. 1967. S o m e aspects of the concept of plural society. Man, vol. 2, p. 169-184.
. 1968. Indians in Uganda. Londres, Weidenfeld and Nicolson.
N A S H , Manning. 1957. The multiple society in economic development; Mexico and Guate-
mala. American anthropologist, vol. 59, p . 825-838.
. 1958. Political relations in Guatemala. Social and economic studies, vol. 7, p. 65-75.
Q U E R M O N N E , Jean-Louis. 1961. L e problème de la cohabitation dans les sociétés multi-
communautaires. Revue française de science politique, vol. 11, p . 29-59.

645
Leo Kuper

R A D C L I F F E - B R O W N , A . R . 1952. O n social structure. Structure and function in primitive


society. Londres, Cohen and West.
R E X , John. 1959. T h e plural society in sociological theory. British journal of sociology, vol.16,
p. 114-124.
R U B I N , Vera (ed.). 1960. Social and cultural pluralism in the Caribbean. Annals of the New
York Academy of Sciences, vol. 83, p. 761-916.
S I M O N S , H . J. ; S I M O N S , R . E . 1969. Class and colour in South Africa, 1850-1950. Baltimore
( M d . ) , Penguin,
S J O B E R G , Gideon. 1952. « Folk » and « feudal » societies. American journal of sociology,
vol. 58, p. 231-239.
S M I T H , M . G . 1960. Social and cultural pluralism. Annals of the New York Academy of
Sciences, vol. 83, p. 763-785.
. 1965. The plural society in the British West Indies. Berkeley; Los Angeles, University
of California Press.
. 1965. Stratification in Grenada. Berkeley; Los Angeles, University of California Press.
. 1969a. S o m e developments in the analytic framework of pluralism, dans : Leo K U P E R
et M . G . S M I T H (ed.), Pluralism in Africa, Berkeley; Los Angeles, University of Cali-
fornia Press.
. 19696. Institutional and political conditions of pluralism, dans : Pluralism in Africa,
op. cit.
. 1969c. Pluralism in precolonial African societies, dans : Pluralism in Africa, op. cit.
S M I T H , R a y m o n d T . 1961. Review of R U B I N , Vera (ed.), Social and cultural pluralism in
the Caribbean, dans : American anthropologist, vol. 63, p. 155-157.
S T A N I L A N D , Martin. 1969. Frantz Fanon and the African political class. African affairs,
vol. 68, p. 4-25.

Leo Kuper enseigne la sociologie et dirige le Centre d'études


africaines à l'Université de Californie (Los Angeles).
Il est spécialisé dans la sociologie politique et les rapports
raciaux. Au nombre des études qu'il a publiées
récemment, nous citerons A n African bourgeoisie (1965)
et, en collaboration avec M . G. Smith, Pluralism in Africa
(1970).

646
Claude Lévi-Strauss Race et culture

Il n'appartient pas à u n ethnologue d'essayer de dire ce qu'est ou ce que


n'est pas une race, car les spécialistes de l'anthropologie physique, qui en
discutent depuis près de deux siècles, ne sont jamais parvenus à se mettre
d'accord, et rien n'indique qu'ils soient plus près aujourd'hui de s'entendre
sur une réponse à cette question. Ils nous ont récemment appris que l'appa-
rition d'hominiens, d'ailleurs forts dissemblables, remonte à trois ou quatre
millions d'années ou davantage, c'est-à-dire u n passé si lointain qu'on n'en
saura jamais assez pour décider si les différents types dont on recueille les
ossements furent simplement des proies les uns pour les autres ou si des
croisements ont p u aussi intervenir entre eux. Selon certains anthropologues,
l'espèce humaine a d û donner très tôt naissance à des sous-espèces diffé-
renciées, entre lesquelles se sont produits, au cours de la préhistoire, des
échanges et des métissages de toutes sortes : la persistance de quelques traits
anciens et la convergence de traits récents se combineraient pour rendre
compte de la diversité qu'on observe aujourd'hui entre les h o m m e s . D'autres
estiment, au contraire, que l'isolation génétique de groupes humains est
apparue à une date beaucoup plus récente, qu'ils fixent vers la fin du pleis-
tocene; dans ce cas, les différences observables ne pourraient avoir résulté
d'écarts accidentels entre des traits dépourvus de valeur adaptative, et capables
de se maintenir indéfiniment dans des populations isolées sous le rapport
de la reproduction : elles proviendraient plutôt de différences locales entre
des facteurs de sélection. L e terme de race, o u tout autre terme qu'on voudra
lui substituer, désignerait alors une population ou un ensemble de populations
qui diffèrent d'autres par la plus ou moins grande fréquence de certains gènes.
D a n s la première hypothèse, la réalité de la race se perd dans des temps
si reculés qu'il est impossible d'en rien connaître. Il ne s'agit pas d'une hypo-
thèse scientifique, c'est-à-dire verifiable, m ê m e indirectement, par ses consé-
quences lointaines, mais d'une affirmation catégorique ayant valeur d'axiome
qu'on pose dans l'absolu, parce qu'on estime impossible, sans elle, de rendre
compte des différences actuelles. Telle était déjà la doctrine de Gobineau à
qui l'on attribue la paternité du racisme, bien qu'il fût parfaitement conscient
que les races n'étaient pas des phénomènes observables; il les postulait
seulement c o m m e les conditions à priori de la diversité des cultures historiques

647
Rev. int. Sc. soc, vol. X X m (1971), n° 4
Claude Lévi-Strauss

qui lui semblait autrement inexplicable, tout en reconnaissant que les popu-
lations ayant donné naissance à ces cultures étaient issues de mélanges entre
des groupes humains qui, eux-mêmes, avaient déjà résulté d'autres mélanges.
Si donc on essaye de faire remonter les différences raciales aux origines, o n
s'interdit par là-même d'en rien savoir, et ce dont on débat en fait n'est pas
la diversité des races, mais la diversité des cultures.
D a n s la seconde hypothèse, d'autres problèmes se posent. D'abord,
les dosages génétiques variables, auxquels le c o m m u n se réfère quand il
parle de races, correspondent tous à des caractères bien visibles : taille, cou-
leur de la peau, forme du crâne, type de la chevelure, etc. ; à supposer que
ces variations soient concordantes entre elles — ce qui est loin d'être sûr —
rien ne prouve qu'elles le sont aussi avec d'autres variations intéressant des carac-
tères non immédiatement perceptibles aux sens. Pourtant, les uns ne sont
pas moins réels que les autres, et il est parfaitement concevable que les seconds
aient une ou plusieurs distributions géographiques totalement différentes
des précédents et différentes entre elles, de sorte que, selon les caractères
retenus, des « races invisibles » pourraient être décelées à l'intérieur des races
traditionnelles, o u qui recouperaient les frontières déjà incertaines qu'on
leur assigne. E n second lieu, et puisqu'il s'agit dans tous les cas de dosages,
les limites qu'on leur fixe sont arbitraires. E n fait, ces dosages s'élèvent o u
diminuent par des gradations insensibles, et les seuils qu'on institue ici o u
là dépendent des types de phénomènes que l'enquêteur choisit de retenir
pour les classer. D a n s un cas, par conséquent, la notion de race devient si
abstraite qu'elle sort de l'expérience et devient une manière de présupposé
logique pour permettre de suivre une certaine ligne de raisonnement. D a n s
l'autre cas, elle adhère de si près à l'expérience qu'elle s'y dissout au
point qu'on ne sait m ê m e plus de quoi on parle. Rien d'étonnant si b o n
n o m b r e d'anthropologues renoncent purement et simplement à utiliser cette
notion.
E n vérité, l'histoire de la notion de race se confond avec la recherche
de traits dépourvus de valeur adaptative. Car c o m m e n t pourraient-ils autrement
s'être maintenus tels quels à travers les millénaires, et, parce qu'ils ne servent
à rien en bien ou en mal, parce que leur présence serait donc totalement
arbitraire, témoigner aujourd'hui pour u n très lointain passé? Mais l'histoire
de la notion de race, c'est aussi celle des déboires ininterrompus essuyés par
cette recherche. Tous les traits successivement invoqués pour définir des
différences raciales se sont montrés, les uns après les autres, liés à des
phénomènes d'adaptation, m ê m e si, parfois, les raisons de leur valeur sélec-
tive nous échappent. C'est le cas de la forme d u crâne, dont nous savons
qu'elle tend partout à s'arrondir; c'est celle aussi de la couleur de la peau,
qui, chez les peuplades établies dans des régions tempérées, s'est éclaircie
par sélection pour compenser l'insuffisance d u rayonnement solaire et mieux
permettre à l'organisme de se défendre contre le rachitisme. O n s'est alors
rabattu sur les groupes sanguins, dont o n c o m m e n c e pourtant à soupçonner
qu'eux aussi pourraient n'être pas dépourvus de valeur adaptative : fonctions,
peut-être, de facteurs nutritionnels, o u conséquences de la différente sensibilité

648
Race et culture

de leurs porteurs à des maladies c o m m e la petite vérole ou la peste. Et il en


est sans doute de m ê m e pour les protéines d u sérum sanguin.
Si cette descente au plus profond d u corps se révèle décevante, aura-t-on
plus de chance en tentant de remonter jusqu'aux tout premiers débuts de
la vie des individus? D e s anthropologues ont voulu saisir les différences qui
pouvaient se manifester, dès l'instant de la naissance, entre des bébés asia-
tiques, africains et nord-américains, ces derniers de souche blanche ou noire.
Et il semble que de telles différences existent, qui touchent au comportement
moteur et au tempérament 1 . Pourtant, m ê m e dans u n cas en apparence si
favorable pour faire la preuve de différences raciales, les enquêteurs s'avouent
désarmés. Il y a deux raisons à cela. E n premier lieu, si ces différences sont
innées, elles paraissent trop complexes pour être liées chacune à u n seul gène,
et les généticiens ne disposent pas actuellement de méthodes sûres pour étudier
la transmission de caractères dus à l'action combinée de plusieurs facteurs;
dans la meilleure des hypothèses, ils doivent se contenter d'établir des moyennes
statistiques qui n'ajouteraient rien à celles qui semblent, par ailleurs, insuf-
fisantes pour définir une race avec quelque précision. E n second lieu et surtout,
rien ne prouve que ces différences soient innées, et qu'elles ne résultent pas
des conditions de vie intra-utérine qui relèvent de la culture puisque, selon
les sociétés, les femmes enceintes ne s'alimentent pas et ne se comportent
pas de la m ê m e façon. A quoi s'ajoutent, pour ce qui est de l'activité motrice
des très jeunes enfants, les différences, elles aussi culturelles, qui peuvent
résulter de la mise au berceau pendant de longues heures o u d u port continuel
de l'enfant contre le corps de sa mère, dont il éprouve ainsi les mouvements,
des façons diverses de le saisir, de le tenir et de l'alimenter... Q u e ces raisons
pourraient être seules opérantes ressort d u fait que les différences observées
entre bébés africains et nord-américains sont incomparablement plus grandes
qu'entre ces derniers selon qu'ils sont blancs o u noirs; en effet, les bébés
américains, quelle que soit leur origine raciale, sont élevés à peu près de la
m ê m e façon.

Le problème des rapports entre race et culture serait donc m a l posé si l'on
se contentait de l'énoncer de la sorte. N o u s savons en effet ce qu'est une cul-
ture, mais nous ne savons pas ce qu'est une race, et il n'est probablement
pas nécessaire de le savoir pour tenter de répondre à la question que recouvre
le titre donné à cette conférence. E n vérité, o n gagnerait à formuler cette
question d'une façon plus compliquée peut-être, et cependant plus naïve.
D y a des différences entre les cultures et certaines, qui diffèrent d'autres
plus qu'elles ne semblent différer entre elles — au moins pour u n œil étranger
et non averti — sont l'apanage de populations qui, par leur aspect physique,
diffèrent aussi d'autres populations. D e leur côté, celles-ci estiment que les

1. « Current directions in anthropology », Bulletins of the American Anthropological Associa-


tion, vol. 3, n° 3, 1970, Part 2, p. 106; J. E . K I L B R I D E , M . C . R O B B I N S , Ph. L . KILBRIDE,
« The comparative motor development of Baganda, American White and American Black
infants », American anthropologist, vol. 72, n° 6, 1970.

649
Claude Lévi-Strauss

différences entre leurs cultures respectives sont moins grandes que celles
qui prévalent entre elles et avec les cultures des premières populations. Y
a-t-il u n lien concevable entre ces différences physiques et ces différences
culturelles? Peut-on expliquer et justifier celles-ci sans faire appel à celles-là?
Telle est en s o m m e la question à laquelle o n m e demande d'essayer de répondre.
Or, cela est impossible pour les raisons que j'ai déjà dites, et dont la principale
tient a u fait que les généticiens se déclarent incapables de relier d'une manière
plausible des conduites très complexes, c o m m e celles qui peuvent conférer
ses caractères distinctifs à une culture, à des facteurs héréditaires déterminés
et localisés, et tels que l'investigation scientifique puisse les saisir dès main-
tenant o u dans u n avenir prévisible. Il convient donc de restreindre encore
la question, que je formulerai c o m m e suit : l'ethnologie se sent-elle capable
à elle seule d'expliquer la diversité des cultures? Peut-elle y parvenir sans
faire appel à des facteurs qui échappent à sa propre rationalité, sans d'ailleurs
préjuger de leur nature dernière qu'il ne lui appartient pas de décréter bio-
logique? Tout ce que nous pourrions dire, en effet, sur le problème des rapports
éventuels entre la culture et cette « autre chose » qui ne serait pas d u m ê m e
ordre qu'elle, serait — en démarquant une formule célèbre — que nous n'avons
pas besoin d'une telle hypothèse.
Il se pourrait cependant que, m ê m e ainsi, nous fassions la part trop
belle en simplifiant à l'excès. Prise seulement pour telle, la diversité des cul-
tures ne poserait pas de problème en dehors d u fait objectif de cette diver-
sité. Rien n'empêche, en effet, que des cultures différentes coexistent, et que
prévalent entre elles des rapports relativement paisibles dont l'expérience
historique prouve qu'ils peuvent avoir des fondements différents. Tantôt,
chaque culture s'affirme c o m m e la seule véritable et digne d'être vécue; elle
ignore les autres, les nie m ê m e en tant que cultures. L a plupart des peuples
que nous appelons primitifs se désignent eux-mêmes d ' u n n o m qui signifie
« les vrais », « les bons », « les excellents », o u bien tout simplement « les
h o m m e s »; et ils appliquent aux autres des qualificatifs qui leur dénie la condi-
tion humaine, c o m m e « singes de terre » o u « œufs de p o u ». Sans doute,
l'hostilité, parfois m ê m e la guerre, pouvait aussi régner d'une culture à l'autre,
mais il s'agissait surtout de venger des torts, de capturer des victimes destinées
aux sacrifices, de voler des femmes o u des biens : coutumes que notre morale
réprouve, mais qui ne vont jamais, o u ne vont qu'exceptionnellement jusqu'à
la destruction d'une culture en tant que telle ou jusqu'à son asservissement,
puisqu'on ne lui reconnaît pas de réalité positive. Q u a n d le grand ethnologue
allemand Curt Unkel, mieux connu sous le n o m de Nimuendaju que lui
avaient conféré les Indiens d u Brésil auxquels il a consacré sa vie, revenait
dans les villages indigènes après u n long séjour dans u n centre civilisé, ses
hôtes fondaient en larmes à la pensée des souffrances qu'il avait d û encourir
loin d u seul endroit où, pensaient-ils, la vie valait la peine d'être vécue. Cette
profonde indifférence aux cultures autres était, à sa manière, une garantie
pour elles de pouvoir exister à leur guise et de leur côté.
Mais o n connaît aussi une autre attitude, qui est complémentaire de
la précédente plutôt qu'elle ne la contredit, et selon laquelle l'étranger jouit

650
Race et culture

du prestige de l'exotisme et incarne la chance, offerte par sa présence, d'élargir


les liens sociaux. E n visite dans une famille, o n le choisit pour donner u n
n o m au nouveau-né, et les alliances matrimoniales aussi auront d'autant
plus de prix qu'elles seront conclues avec des groupes éloignés. D a n s u n autre
ordre d'idées, o n sait que, bien avant le contact avec les Blancs, les Indiens
Flathead établis dans les montagnes Rocheuses furent si intéressés par ce
qu'ils entendaient dire d'eux et de leurs croyances qu'ils n'hésitèrent pas
à envoyer des expéditions successives à travers les territoires occupés par
des tribus hostiles pour nouer des rapports avec les missionnaires résidant
à Saint-Louis -du- Missouri. Tant que les cultures se tiennent simplement pour
diverses, elles peuvent donc soit volontairement s'ignorer, soit se considérer
c o m m e des partenaires en vue d'un dialogue désiré. D a n s l'un et l'autre cas
elles se menacent et s'attaquent parfois, mais sans mettre vraiment en
péril leurs existences respectives. L a situation devient toute différente quand,
à la notion d'une diversité reconnue de part et d'autre, se substitue chez l'une
d'elles le sentiment de sa supériorité fondé sur l'inégalité des rapports de
force, et que la reconnaissance positive o u négative de la diversité des cultures
fait place à l'affirmation de leur inégalité.
Le vrai problème n'est donc pas celui que pose, sur le plan scientifique,
le lien éventuel qui pourrait exister entre le patrimoine génétique de certaines
populations et leur réussite pratique dont elles tirent argument pour prétendre
à la supériorité. Car, m ê m e si les anthropologues physiques et les ethnologues
tombent d'accord pour reconnaître que le problème est insoluble, et signent
conjointement u n procès-verbal de carence avant de se saluer courtoisement
et de se séparer en constatant qu'ils n'ont rien à se dire1, il n'en reste pas
moins vrai que les Espagnols du xvie siècle se sont jugés et montrés supérieurs
aux Mexicains et aux Péruviens parce qu'ils possédaient des bateaux capables
de transporter des soldats outre-océan, des chevaux, des cuirasses et des
armes à feu; et que, suivant le m ê m e raisonnement, l'Européen d u xixe siècle
s'est proclamé supérieur au reste d u m o n d e à cause de la machine à vapeur
et de quelques autres prouesses techniques dont il pouvait se targuer. Qu'il
le soit effectivement sous tous ces rapports et sous celui, plus général, d u
savoir scientifique qui est né et s'est développé en Occident, cela semble
d'autant moins contestable que, sauf de rares et précieuses exceptions, les
peuples assujettis par l'Occident ou contraints par lui à le suivre ont reconnu
cette supériorité et, leur indépendance une fois conquise ou assurée, se sont
donné pour but de rattraper ce qu'ils considéraient eux-mêmes c o m m e u n
retard dans la ligne d ' u n c o m m u n développement.
D e ce que cette supériorité relative, qui s'est affirmée dans u n laps de
temps remarquablement court, existe, o n ne saurait pourtant inférer qu'elle
révèle des aptitudes fondamentales distinctes, ni surtout qu'elle soit défi-
nitive. L'histoire des civilisations montre que telle ou telle autre a p u , au
cours des siècles, briller d ' u n éclat particulier. Mais ce ne fut pas nécessai-

1. J. BENOIST, « D u social au biologique : étude de quelques interactions », Vhomme, revue


française d'anthropologie, tome 6, n° 1, 1966.

651
Claude Lévi-Strauss

rement dans la ligne d ' u n développement unique et toujours orienté dans


le m ê m e sens. Depuis quelques années, l'Occident s'ouvre à cette évidence
que ses immenses conquêtes dans certains domaines ont entraîné de lourdes
contreparties; au point qu'il en vient à se demander si les valeurs auxquelles
il a d û renoncer pour s'assurer la jouissance d'autres n'eussent pas mérité
d'être mieux respectées. A l'idée, naguère prévalente, d'un progrès continu le
long d'une route sur laquelle l'Occident seul aurait brûlé les étapes, tandis
que les autres sociétés seraient restées en arrière, se substitue ainsi la notion
de choix dans des directions différentes, et tels que chacun s'expose à perdre
sur u n ou plusieurs tableaux pour prix de ce qu'il a voulu gagner sur d'autres.
L'agriculture et la sédentarisation ont prodigieusement développé les res-
sources alimentaires et, par voie de conséquence, permis à la population
humaine de s'accroître. Il en a résulté l'expansion des maladies infectieuses,
qui tendent à disparaître quand la population est trop restreinte pour
entretenir les germes pathogènes. O n peut donc dire que, sans le savoir
sans doute, les peuples devenus agricoles ont choisi certains avantages m o y e n -
nant des inconvénients dont les peuples restés chasseurs et collecteurs
sont mieux protégés : leur genre de vie empêche que les maladies infectieuses
ne se concentrent de l ' h o m m e sur l ' h o m m e , et de ses animaux domestiques
sur ce m ê m e h o m m e ; mais, bien entendu, au prix d'autres inconvénients.
L a croyance en l'évolution unilinéaire des formes vivantes est apparue
dans la philosophie sociale bien plus tôt qu'en biologie. Mais c'est de la
biologie qu'au xrx e siècle elle reçut u n renfort qui lui permit de revendiquer
u n statut scientifique en m ê m e temps quelle espérait ainsi concilier le fait
de la diversité des cultures avec l'affirmation de leur inégalité. E n traitant
les différents états observables des sociétés humaines c o m m e s'ils illustraient
les phases successives d ' u n développement unique, on prétendait m ê m e , à
défaut de lien causal entre l'hérédité biologique et les accomplissements
culturels, établir entre les deux ordres une relation qui serait au moins ana-
logique, et qui favoriserait les m ê m e s évaluations morales dont s'autori-
saient les biologistes en décrivant u n m o n d e vivant toujours croissant dans
le sens d'une plus grande différenciation et d'une plus haute complexité.
Cependant, u n remarquable retournement devait se produire chez les
biologistes eux-mêmes — le premier d'une suite d'autres dont il sera question
au cours de cet exposé. E n m ê m e temps que des sociologues invoquaient
la biologie pour découvrir, derrière les hasards incertains de l'histoire, le
schéma plus rigide et mieux intelligible d'une évolution, les biologistes eux-
m ê m e s s'apercevaient que ce qu'ils avaient pris pour une évolution soumise
à quelques lois simples recouvrait en fait une histoire très compliquée. A
la notion d'un « trajet » que les diverses formes vivantes devraient toujours
parcourir les unes à la suite des autres dans le m ê m e sens, s'est d'abord sub-
stituée en biologie celle d'un « arbre », permettant d'établir entre les espèces
des rapports de cousinage sinon de filiation, car celle-ci devenait de moins
en moins assurée à mesure que les formes d'évolution se révélaient parfois
divergentes, mais parfois aussi convergentes; puis l'arbre lui-même s'est
transformé en « treillis », figure dont les lignes se rejoignent aussi souvent

652
Race et culture

qu'elles s'écartent, de sorte que la description historique de ces cheminements


embrouillés vient remplacer les diagrammes trop simplistes dans lesquels
on croyait pouvoir fixer les voies multiples suivies non pas par une, mais par
des formes très diverses de voies évolutives, différentes par le rythme, le sens
et les effets.
Or, c'est bien à une vue analogue que convie l'ethnologie, pour peu
qu'une connaissance directe des sociétés les plus différentes de la nôtre per-
mette d'apprécier les raisons d'être qu'elles se sont données à elles-mêmes,
au lieu de les juger et de les condamner selon des raisons qui ne sont pas
les leurs. U n e civilisation qui s'attache à développer ses valeurs propres
paraît n'en posséder aucune pour un observateur formé par la sienne à recon-
naître des valeurs toutes différentes. Il lui semble que chez lui seulement
il se passe quelque chose, que sa civilisation seule détient le privilège d'une
histoire ajoutant constamment des événements les uns aux autres. Pour lui,
il n'y a que cette histoire qui offre u n sens, en prenant ce terme dans la double
acception de signifier et de tendre vers u n but. D a n s tous les autres cas,
croit-il, l'histoire n'existe pas; à tout le moins, elle piétine.
Mais cette illusion est comparable à celle dont souffrent les vieillards
au sein de leur propre société, de m ê m e , d'ailleurs, que les adversaires d'un nou-
veau régime. Exclus des affaires par l'âge o u par le choix politique, ils ont le
sentiment que l'histoire d'une époque dans laquelle ils ne sont plus activement
engagés stagne, à la différence des jeunes gens et des militants au pouvoir
qui vivent avec ferveur cette période où, pour les autres, les événements se
sont en quelque sorte immobilisés. L a richesse d'une culture, ou d u dérou-
lement d'une de ses phases, n'existe pas à titre de propriété intrinsèque :
elle est fonction de la situation o ù se trouve l'observateur par rapport à elle,
du nombre et de la diversité des intérêts qu'il y investit. E n empruntant une
autre image, on pourrait dire que les cultures ressemblent à des trains qui
circulent plus ou moins vite, chacun sur sa voie propre et dans une direction
différente. Ceux qui roulent de conserve avec le nôtre nous sont présents
de la façon la plus durable ; nous pouvons à loisir observer le type des wagons,
la physionomie et la mimique des voyageurs à travers les vitres de nos compar-
timents respectifs. Mais que, sur une autre voie oblique ou parallèle, u n train
passe dans l'autre sens, et nous n'en apercevons qu'une image confuse et
vite disparue, à peine identifiable pour ce qu'elle est, réduite le plus souvent
à u n brouillage momentané de notre c h a m p visuel, qui ne nous livre aucune
information sur l'événement lui-même et nous irrite seulement parce qu'il
interrompt la contemplation placide du paysage servant de toile de fond à
notre rêverie.
Or, tout m e m b r e d'une culture en est aussi étroitement solidaire que
ce voyageur idéal l'est de son train. Dès la naissance et — je l'ai dit tout
à l'heure — probablement m ê m e avant, les êtres et les choses qui nous entourent
montent en chacun de nous u n appareil de références complexes formant
système : conduites, motivations, jugements implicites que, par la suite,
l'éducation vient confirmer par la vue reflexive qu'elle nous propose d u
devenir historique de notre civilisation. N o u s nous déplaçons littéralement

653
Claude Lévi-Strauss

avec ce système de référence, et les ensembles culturels qui se sont constitués


en dehors de lui ne nous sont perceptibles qu'à travers les déformations qu'il
leur imprime. Il peut m ê m e nous rendre incapables de les voir.

O n peut faire la preuve de ce qui précède par le remarquable changement


d'attitude qui s'est produit récemment chez les généticiens vis-à-vis des peuples
dits primitifs et de celles de leurs coutumes qui retentissent directement ou
indirectement sur leur démographie. Pendant des siècles, ces coutumes, qui
consistent en règles de mariage bizarres, en interdictions arbitraires c o m m e
celle frappant les relations sexuelles entre époux tant que la mère allaite
le dernier-né — parfois jusqu'à l'âge de trois ou quatre ans — en privilèges
polygamiques au bénéfice des chefs ou des anciens, ou m ê m e en usages qui
nous révoltent, tel l'infanticide, sont apparues dénuées de signification et
de portée, tout juste bonnes à être décrites et inventoriées c o m m e autant
d'exemples des singularités et des caprices dont la nature humaine est capable,
sinon m ê m e , allait-on jusqu'à dire, coupable. Il a fallu qu'une nouvelle science
prît forme, aux alentours de 1950, sous le n o m de génétique des populations,
pour que toutes ces coutumes rejetées c o m m e absurdes ou criminelles ac-
quièrent pour nous u n sens et nous dévoilent leurs raisons.
U n numéro récent de la revue Science a porté à la connaissance d'un
plus vaste public le résultat des recherches poursuivies depuis plusieurs années
par le professeur J. V . Neel et ses collaborateurs sur diverses populations
figurant parmi les mieux préservées de l'Amérique tropicale. Ces recherches
sont d'ailleurs confirmées par d'autres, menées indépendamment en A m é -
rique du Sud et en Nouvelle-Guinée1.
N o u s avons tendance à considérer les prétendues « races » les plus éloignées
de la nôtre c o m m e étant aussi les plus homogènes; pour u n Blanc, tous les
Jaunes se ressemblent, et la réciproque est probablement aussi vraie. L a
situation réelle semble beaucoup plus complexe car si les Australiens, par
exemple, paraissent morphologiquement homogènes sur toute l'étendue d u
continent2, des différences considérables ont pu être décelées dans certaines
fréquences génétiques pour plusieurs tribus sud-américaines vivant dans la
m ê m e aire géographique; et ces différences sont presque aussi grandes entre
villages d'une m ê m e tribu qu'entre tribus distinctes par la langue et par la
culture. A l'inverse de ce qu'on pouvait croire, la tribu elle-même ne cons-
titue donc pas une unité biologique. C o m m e n t s'explique ce phénomène?
Sans doute par le fait que les nouveaux villages se forment selon u n double
procès defissionet de fusion : d'abord, une lignée familiale se sépare de

1. J. V . N E E L , « Lessons from a 'primitive' people », Science, n° 170, 1970. E . GILES, « Culture


and genetics »; F . E . J O H N S T O N , « Genetic anthropology: some considerations », dans :
« Current directions in anthropology », op. cit.
2. A . A . A B B Œ , « The Australian aborigine », Oceania, vol. 22, 1951; « Recentfield-worko n
the physical anthropology of Australian aborigines », Australian journal of science, vol. 23,
1961.

654
Race et culture

son lignage généalogique et s'établit à l'écart; plus tard, des blocs d'indi-
vidus parents entre eux les rejoignent et viennent partager le nouvel habitat.
Les stocks génétiques qui se constituent ainsi diffèrent beaucoup plus entre
eux que s'ils étaient l'effet de regroupements opérés au hasard.
U n e conséquence en résulte : si les villages d'une m ê m e tribu consistent
en formations génétiques différenciées au départ, vivant chacune dans u n
isolement relatif et en compétition objective les unes avec les autres d u fait
qu'elles ont des taux de reproduction inégaux, elles reconstituent un ensemble
de conditions bien connu des biologistes c o m m e étant le plus favorable à
une évolution incomparablement plus rapide que celle qu'on observe en
général dans les espèces animales. O r , nous savons que l'évolution qui a
conduit des derniers hominiens fossiles à l ' h o m m e actuel s'est faite, c o m p a -
rativement parlant, de façon très rapide. Pour autant qu'on admette que
les conditions observables dans certaines populations reculées offrent, au
moins sous certains rapports, l'image approximative de celles qu'a p u con-
naître l'humanité dans un lointain passé, o n doit reconnaître que ces condi-
tions, qui nous paraissent très misérables, étaient les plus propres à faire
de nous ce que nous s o m m e s devenus, et qu'elles restent aussi les plus capables
de maintenir l'évolution humaine dans le m ê m e sens et de lui conserver son
rythme, alors que les énormes sociétés contemporaines, o ù les échanges
génétiques se font d'autre manière, tendent à freiner l'évolution ou à lui
imposer d'autres orientations.
Ces recherches ont aussi démontré que, chez les prétendus sauvages,
la mortalité infantile d'une part, celle due aux maladies infectieuses d'autre
part — si l'on se limite, bien entendu, à des tribus exemptes de contami-
nation extérieure — sont loin d'être aussi fortes qu'on l'aurait supposé. Elles
ne peuvent donc rendre compte d'une faible croissance démographique qui
provient plutôt d'autres facteurs : espacement volontaire des naissances
correspondant à la durée prolongée de l'allaitement et aux prohibitions
sexuelles, pratique de l'avortement et de l'infanticide, de sorte que, pendant
sa période féconde, u n couple donne naissance à u n enfant en moyenne tous
les quatre ou cinq ans. Aussi odieux que nous soit devenu l'infanticide, il
ne diffère pas fondamentalement, c o m m e méthode de contrôle des naissances,
d u taux élevé de mortalité infantile qui a prévalu dans les « grosses » sociétés
et prévaut encore dans certaines, et des méthodes contraceptives dont l'emploi
nous semble aujourd'hui nécessaire pour épargner à des millions ou à des
milliards d'individus, exposés à naître sur une planète surpeuplée, u n sort
non moins lamentable que celui que leur évite une précoce élimination.
C o m m e beaucoup d'autres par le m o n d e , les cultures o ù se sont déroulées
les recherches que je continue de commenter font de la pluralité des épouses
une sanction de la réussite sociale et de la longévité. Il en résulte que, si toutes
les femmes tendent à avoir approximativement le m ê m e nombre d'enfants
pour les raisons précédemment indiquées, les h o m m e s , selon le nombre de
leurs épouses, auront des taux de reproduction qui varieront considérablement.
Ils varieront plus encore si, c o m m e je l'ai jadis observé chez les Indiens Tupi-
Kawahib qui vivent dans le bassin du rio Madeira, une puissance sexuelle

655
Claude Lévi-Strauss

hors du c o m m u n fait partie des attributs auxquels on reconnaît u n chef,


lequel, dans cette petite société de l'ordre d'une quinzaine de personnes,
exerce une sorte de monopole sur toutes les femmes nubiles d u groupe, ou
en passe de le devenir.
Or, dans ces groupes, la chefferie n'est pas toujours héréditaire et, quand
elle l'est, c'est avec une grand latitude de choix. Séjournant il y a plus de
trente ans chez les Nambikwara, dont les petites bandes semi-nomades avaient
chacune u n chef désigné par assentiment collectif, j'étais frappé de ce que,
hors le privilège polygame, le pouvoir apportât moins d'avantages que de
charges et de responsabilités. Pour vouloir être chef ou, plus souvent, céder
aux sollicitations d u groupe, il fallait posséder u n caractère hors d u c o m m u n ,
avoir non seulement les aptitudes physiques requises mais le goût des affaires
publiques, l'esprit d'initiative, le sens d u commandement. Quelle que soit
l'opinion qu'on peut se faire de tels talents, la plus ou moins grande s y m -
pathie qu'ils inspirent, il n'en reste pas moins vrai que s'ils ont directement
ou indirectement u n fondement génétique, la polygamie favorisera leur perpé-
tuation. Et les enquêtes sur les populations analogues ont, en effet, montré
qu'un h o m m e polygame a plus d'enfants que les autres, permettant à ses
fils de disposer de sœurs ou de demi-sœurs qu'ils échangeront avec d'autres
lignées pour en obtenir des épouses, de sorte qu'on a pu dire que la poly-
gynie engendre la polygynie. Par là, certaines formes de sélection naturelle
se trouvent encouragées et fortifiées.
Si on laisse encore une fois de côté les maladies infectieuses introduites
par les colonisateurs ou les conquérants, dont o n sait quels effroyables ravages
elles ont causé en éliminant parfois des populations entières dans le laps
de quelques jours ou quelques semaines, les peuples dits primitifs semblent
jouir d'une immunité remarquable à leurs propres maladies endémiques.
O n explique ce phénomène par la très grande intimité d u jeune enfant avec
le corps de sa mère et avec le milieu ambiant. Cette exposition précoce à
toutes sortes de germes pathogènes assurerait une transition plus facile de
l'immunité passive — acquise de la mère pendant la gestation — à l'immunité
active, c'est-à-dire développée par chaque individu après la naissance.
Jusqu'à présent, j'ai seulement envisagé les facteurs d'équilibre interne,
d'ordre tout à la fois démographique et sociologique. A quoi il faut ajouter
ces vastes systèmes de rites et de croyances qui peuvent nous apparaître
c o m m e des superstitions ridicules, mais qui ont pour effet de conserver le
groupe humain en équilibre avec le milieu naturel. Qu'une plante soit tenue
pour un être respectable qu'on ne cueille pas sans motif légitime et sans
avoir au préalable apaisé son esprit par des offrandes; que les animaux qu'on
chasse pour se nourrir soient placés, selon l'espèce, sous la protection d'autant
de maîtres surnaturels qui punissent les chasseurs coupables d'abus par le
nombre de leurs prises, ou parce qu'ils n'épargnent pas les femelles et les
jeunes; que règne enfin l'idée que les h o m m e s , les animaux et les plantes
disposent d'un capital c o m m u n de vie, de sorte que tout excès commis aux
dépens d'une espèce se traduit nécessairement, dans la philosophie indigène,
par une diminution de l'espérance de vie des h o m m e s eux-mêmes, ce sont

656
Race et culture

là autant de témoignages peut-être naïfs, mais combien efficaces, d'un h u m a -


nisme sagement conçu qui ne c o m m e n c e pas par soi-même, mais fait à l ' h o m m e
une place raisonnable dans la nature au lieu qu'il s'en institue le maître et
la saccage, sans m ê m e avoir égard aux besoins et aux intérêts les plus évi-
dents de ceux qui viendront après lui.

Il fallait que notre savoir évoluât et que nous prissions conscience de nou-
veaux problèmes, pour reconnaître une valeur objective et une signification
morale à des modes de vie, des usages et des croyances qui ne recevaient
auparavant de notre part que des railleries o u au mieux une curiosité condes-
cendante. Mais avec l'entrée de la génétique des populations sur la scène
anthropologique, u n autre retournement s'est produit, dont les implications
théoriques sont peut-être encore plus grandes. Tous les faits que je viens
d'évoquer relèvent de la culture ; ils concernent la façon dont certains groupes
humains se divisent et se reforment, les modalités que la coutume impose
aux individus des deux sexes pour s'unir et se reproduire, la manière prescrite
de refuser ou de donner le jour aux enfants et de les élever, le droit, la magie,
la religion et la cosmologie. O r , nous avons v u que de façon directe ou indi-
recte ces facteurs modèlent la sélection naturelle et orientent son cours. D è s
lors, les données d u problème relatif aux rapports entre les notions de raGe
et de culture se trouvent profondément bouleversées. Pendant tout le xrx e
siècle et la première moitié d u xx e , on s'est demandé si la race influençait
la culture et de quelles façons. Après avoir d'abord reconnu que le problème
ainsi posé était insoluble, nous nous apercevons maintenant que les choses
se passent dans l'autre sens : ce sont les formes de culture qu'adoptent ici
ou là les h o m m e s , leurs façons de vivre telles qu'elles ont prévalu dans le
passé ou prévalent encore dans le présent, qui déterminent, dans une très
large mesure, le rythme de leur évolution biologique et son orientation. Loin
qu'il faille se demander si la culture est o u n o n fonction de la race, nous
découvrons que la race — ou ce que l'on entend généralement par ce terme —
est une fonction parmi d'autres de la culture.
C o m m e n t pourrait-il en être autrement? C'est la culture d'un groupe
qui détermine les limites géographiques qu'il s'assigne ou qu'il subit, les
relations d'amitié ou d'hostilité qu'il entretient avec les peuples voisins et,
par voie de conséquence, l'importance relative des échanges génétiques qui,
grâce aux intermariages permis, encouragés o u défendus, pourront se pro-
duire entre eux. M ê m e dans nos sociétés, nous savons que les mariages n'inter-
viennent pas complètement au hasard : des facteurs conscients o u inconscients,
tels que la distance entre les résidences des futurs conjoints, leur origine
ethnique, leur religion, leur niveau d'éducation, peuvent jouer u n rôle déter-
minant. S'il est permis d'extrapoler à partir d'usages et de coutumes qui
offraient jusqu'à une date récente une extrême généralité chez les peuples
sans écriture, et si l'on admet qu'ils persistaient dans notre espèce depuis
un très lointain passé, on admettra que, dès les tout premiers débuts de la
vie en société, nos ancêtres ont d û connaître et appliquer des règles de mariage

657
Claude Lévi-Strauss

très strictes. Ainsi celles qui assimilent les cousins dits parallèles — issus
de deux frères o u de deux sœurs — à des frères o u sœurs véritables, d o n c
conjoints interdits par la prohibition de l'inceste, tandis que les cousins dits
croisés — respectivement issus d ' u n frère et d'une sœur — sont, au contraire,
des conjoints autorisés sinon m ê m e prescrits; en opposition avec d'autres
sociétés o ù tout lien de parenté, si éloigné qu'il soit, crée u n empêchement
dirimant au mariage. O u bien la règle, plus subtile encore que les précédentes,
qui, entre parents croisés, distingue, les cousines en deux catégories, lafillede
la sœur du père d'une part et lafilledu frère de la mère d'autre part, l'une seule
permise, l'autre absolument défendue mais sans que ce soit toujours et partout la
m ê m e — c o m m e n t de telles règles, appliquées pendant des générations,
n'agiraient-elles pas de façon différentielle sur la transmission du patrimoine
génétique?
C e n'est pas tout; car les règles d'hygiène pratiquées par chaque société,
l'importance et l'efficacité relatives des soins dispensés à chaque genre de
maladie o u de déficience, permettent o u préviennent à des degrés divers
la survie de certains individus et la dissémination d ' u n matériel génétique
qui, sans cela, aurait disparu plus tôt. D e m ê m e pour les attitudes culturelles
devant certaines anomalies héréditaires et, nous l'avons vu, pour des pratiques
c o m m e l'infanticide, qui frappent sans discrimination les deux sexes dans
des conjonctures déterminées — naissances dites anormales, jumeaux, etc. —
ou plus particulièrement lesfilles.Enfin, l'âge relatif des conjoints, la ferti-
lité et la fécondité différentielles selon le niveau de vie et les fonctions sociales
sont, au moins pour partie, directement o u indirectement assujettis à des
règles dont l'origine dernière n'est pas biologique, mais sociale.
C e renversement d u problème des rapports entre race et culture, auquel
on assiste depuis quelques années, a trouvé une illustration particulièrement
frappante dans le cas de la sicklémie : anomalie congénitale des globules
rouges, souvent fatale quand elle est héritée simultanément des deux parents
mais dont on sait, depuis une vingtaine d'années seulement, que, sous forme
récessive, elle confère au porteur une protection relative contre la malaria.
Il s'agit donc d ' u n de ces traits qu'on avait cru d'abord dépourvu de valeur
adaptative, sorte de fossile biologique permettant, d'après ses gradients
de fréquence, de restituer les liaisons archaïques qui auraient existé entre
des populations. Ces espoirs d'avoir enfin mis la main sur u n critère statique
d'identification raciale se sont effondrés avec la découverte que des indi-
vidus hétérozygotes pour le gène de la sicklémie pouvaient détenir u n avan-
tage biologique, et donc se reproduire à u n taux comparativement plus élevé
que les homozygotes pour le m ê m e gène biologiquement condamnés, d ' u n e
part, et d'autre part les individus n o n porteurs, exposés à mourir jeunes
du fait de leur plus grande sensibilité à une certaine forme de malaria.
Il appartenait à F . B . Livingstone de dégager dans u n mémorable article1
les implications théoriques — on aimerait presque dire philosophiques —

1. F . B . L I V I N G S T O N E , « Anthropological implications of sickle cell gene distribution in West


Africa », American anthropologist, vol. 60, n° 3, 1958.

658
Race et culture

de la découverte des généticiens. U n e étude comparative d u taux de la malaria,


de celui d u gène de la sicklémie, de la distribution des langues et des cultures,
le tout en Afrique occidentale, permet à l'auteur d'articuler pour la première
fois u n ensemble cohérent fait de données biologiques, archéologiques, linguis-
tiques et ethnographiques. Il montre ainsi, d'une façon très convaincante,
que l'apparition de la malaria et la diffusion subséquente de la sicklémie
durent être consécutives à l'introduction de l'agriculture : tout en repoussant
o u en détruisant la faune, les défrichements intensifs ont provoqué la forma-
tion de terres marécageuses et de flaques d'eau stagnante favorables à la repro-
duction des moustiques contaminateurs; ils ont contraint ces insectes à s'adap-
ter à l ' h o m m e , devenu le plus abondant des mammifères qu'ils pouvaient
parasiter. C o m p t e tenu aussi d'autres facteurs, les taux variables de la sick-
lémie selon les peuples suggèrent des hypothèses plausibles sur l'époque
o ù ils s'établirent dans les lieux qu'ils occupent présentement, sur les m o u v e -
ments des tribus et les dates relatives où elles acquirent leurs techniques
agricoles.
Ainsi, o n constate simultanément qu'une irrégularité génétique ne saurait
porter témoignage sur u n très lointain passé (puisque, au moins en partie,
elle s'est propagée en raison directe de la protection fournie contre les consé-
quences biologiques de changements culturels) mais qu'en revanche, elle
jette de grandes lumières sur u n passé plus rapproché, l'introduction de
l'agriculture en Afrique ne pouvant remonter au-delà de quelques millénaires.
C e qu'on perd sur u n tableau, o n le gagne donc sur u n autre. O n renonce
à expliquer par des caractères raciaux les grosses différences qu'en les consi-
dérant à une trop vaste échelle, on croyait discerner entre les cultures; mais
ces m ê m e s caractères raciaux — q u ' o n ne peut plus considérer c o m m e tels
quand o n adopte une échelle d'observation plus fine — combinés avec des
phénomènes culturels dont ils sont moins la cause qu'ils n'en résultent, four-
nissent des informations très précieuses sur des périodes relativement récentes
et q u ' à l'inverse de l'autre histoire, les données de l'archéologie, de la lin-
guistique et de l'ethnographie peuvent corroborer. A la condition de passer
du point de vue de la « macro-évolution culturelle » à celui de la « micro-
évolution génétique », la collaboration redevient possible entre l'étude des
races et celle des cultures.
E n effet, ces nouvelles perspectives permettent de situer les deux études
dans leurs rapports respectifs. Elles sont pour partie analogues et pour partie
complémentaires. Analogues d'abord car, en plusieurs sens, les cultures
sont comparables à ces dosages irréguliers de traits génétiques q u ' o n désigne
généralement d u n o m de race. U n e culture consiste en une multiplicité de
traits dont certains lui sont c o m m u n s , d'ailleurs à des degrés divers, avec
des cultures voisines ou éloignées, tandis que d'autres les en sépare de manière
plus o u moins marquée. Ces traits s'équilibrent au sein d ' u n système qui,
dans l'un et l'autre cas, doit être viable, sous peine de se voir progressivement
éliminé par d'autres systèmes plus aptes à se propager o u à se reproduire.
Pour développer des différences, pour que les seuils permettant de distinguer
une culture de ses voisines deviennent suffisamment tranchés, les conditions

659
Claude Lévi-Strauss

sont grosso modo les m ê m e s que celles qui favorisent la différenciation bio-
logique entre les populations : isolement relatif pendant u n temps prolongé,
échanges limités, qu'ils soient d'ordre culturel o u génétique. A u degré près,
les barrières culturelles sont de m ê m e nature que les barrières biologiques;
elles les préfigurent d'une manière d'autant plus véridique que toutes les
cultures impriment leur marque au corps : par des styles de costume, de
coiffure et de parure, par des mutilations corporelles et par des comportements
gestuels, elles miment des différences comparables à celles qui peuvent exister
entre les races; en préférant certains types physiques à d'autres, elles les
stabilisent et, éventuellement, les répandent.
H y aura bientôt vingt ans que, dans une plaquette écrite à la demande
de l'Unesco 1 , je faisais appel à la notion de coalition pour expliquer que des
cultures isolées ne pouvaient espérer créer à elles seules les conditions d'une
histoire vraiment cumulative. Il faut pour cela, disais-je, que des cultures
diverses combinent volontairement ou involontairement leurs mises respec-
tives et se donnent ainsi une meilleure chance de réaliser, au grand jeu de
l'histoire, les séries longues qui permettent à celle-ci de progresser. Les géné-
ticiens proposent actuellement des vues assez voisines sur l'évolution biolo-
gique, quand ils montrent qu'un génome constitue en réalité u n système
dans lequel certains gènes jouent u n rôle régulateur et d'autres exercent
une action concertée sur u n seul caractère, o u le contraire si plusieurs carac-
tères se trouvent dépendre d'un m ê m e gène. C e qui est vrai au niveau d u
g é n o m e individuel l'est aussi à celui d'une population, qui doit toujours
être telle, par la combinaison qui s'opère en son sein de plusieurs patrimoines
génétiques, où l'on aurait naguère reconnu u n type racial, qu'un équilibre
optimal s'établisse et améliore ses chances de survie. E n ce sens, on peut
dire que la recombinaison génétique joue, dans l'histoire des populations,
u n rôle comparable à celui que la recombinaison culturelle joue dans l'évo-
lution des formes de vie, des techniques, des connaissances et des croyances
par le partage desquelles se distinguent les sociétés.
Sans doute, o n ne peut suggérer ces analogies que sous réserve. D ' u n e part,
en effet, les patrimoines culturels évoluent beaucoup plus rapidement que
les patrimoines génétiques : u n m o n d e sépare la culture qu'ont connue nos
arrières-grands-parents de la nôtre, et cependant nous perpétuons leur héré-
dité. D'autre part, le nombre de cultures qui existent ou existaient encore
il y a plusieurs siècles à la surface de la terre surpasse incomparablement
celui des races que les plus méticuleux observateurs se sont plu à inventorier :
plusieurs milliers contre quelques dizaines. C e sont ces énormes écarts entre
les ordres de grandeur respectifs qui fournissent u n argument décisif contre
les théoriciens qui prétendent qu'en dernière analyse, le matériel héréditaire
détermine le cours de l'histoire; car celle-ci change beaucoup plus vite et
selon des voies infiniment plus diversifiées que lui. C e que l'hérédité détermine
chez l ' h o m m e , c'est l'aptitude générale à acquérir une culture quelconque,

1. Race et histoire, publié en 1952, réédité dans Le racisme devant la science, Paris, Unesco,
1960.

660
Race et culture

mais celle qui sera la sienne dépendra des hasards de sa naissance et de la


société dont il recevra son éducation. D e s individus prédestinés par leur
patrimoine génétique à n'acquérir qu'une culture particulière auraient des
descendants singulièrement désavantagés, puisque les variations culturelles
auxquelles ceux-ci seraient exposés surviendraient plus vite que leur patrimoine
génétique ne pourrait lui-même évoluer et se diversifier, en réponse aux exi-
gences de ces nouveaux environnements.
Car on ne saurait trop insister sur u n fait : si la sélection permet aux
espèces vivantes de s'adapter à un milieu naturel ou de mieux résister à ses
transformations, quand il s'agit de l ' h o m m e , ce milieu cesse d'être naturel
au premier chef; il tire ses caractères distinctifs de conditions techniques,
économiques, sociales et mentales qui, par l'opération de la culture, créent
à chaque groupe humain u n environnement particulier. D è s lors, on peut
faire u n pas de plus et envisager qu'entre évolution organique et évolution
culturelle, les rapports ne soient pas seulement d'analogie, mais aussi de
complémentarité. J'ai dit et montré que des traits culturels, qui ne sont pas
génétiquement déterminés, peuvent affecter l'évolution organique. Mais ils
l'affecteront dans des sens qui provoqueront des actions en retour. Toutes
les cultures ne réclament pas de leurs m e m b r e s exactement les m ê m e s apti-
tudes et si, c o m m e il est probable, certaines ont une base génétique, les indi-
vidus qui les possèdent au plus haut degré se trouveront favorisés. Si leur
nombre s'accroît de ce fait, ils ne manqueront pas d'exercer sur la culture
elle-même une action qui l'infléchira davantage encore dans le m ê m e sens,
ou dans des sens nouveaux mais indirectement liés à lui.
A l'origine de l'humanité, l'évolution biologique a peut-être sélectionné
des traits préculturels tels que la station debout, l'adresse manuelle, la socia-
bilité, la pensée symbolique, l'aptitude à vocaliser et à communiquer. E n
revanche et dès que la culture existe, c'est elle qui consolide ces traits et les
propage; quand les cultures se spécialisent, elles consolident et favorisent
d'autres traits, c o m m e la résistance au froid o u à la chaleur pour des sociétés
qui ont dû, de gré ou de force, s'adapter à des extrêmes climatiques, les dispo-
sitions agressives ou contemplatives, l'ingéniosité technique, etc. Tels que
nous les saisissons au niveau culturel, aucun de ces traits ne peut être clairement
rattaché à une base génétique, mais o n ne saurait exclure qu'ils le soient
parfois de façon partielle et par l'effet lointain de liaisons intermédiaires.
E n ce cas, il serait vrai de dire que chaque culture sélectionne des aptitudes
génétiques qui, par rétroaction, influent sur la culture qui avait d'abord
contribué à leur renforcement.

E n faisant remonter à u n passé de plus en plus reculé, qu'on chiffre actuel-


lement en millions d'années, les premiers débuts de l'humanité, l'anthro-
pologie physique retire une de leurs bases principales aux spéculations racistes,
puisque la part d'inconnaissable augmente ainsi beaucoup plus rapidement
que le nombre des repères disponibles pour jalonner les itinéraires suivis
par nos lointains ancêtres au cours de leur évolution.

661
Claude Lévi-Strauss

A ces spéculations, les généticiens ont porté des coups encore plus décisifs
quand ils ont remplacé la notion de type par celle de population, la notion
de race par celle de stock génétique, et quand ils ont montré qu'un gouffre
sépare les différences héréditaires selon qu'on peut les attribuer à l'opération
d'un seul gène — celles-là peu significatives d u point de vue racial parce que
probablement toujours dotées d'une valeur adaptative — ou à l'action combinée
de plusieurs, ce qui les rend pratiquement indéterminables.
Mais, une fois exorcisés les vieux démons de l'idéologie raciste, ou tout
au moins après avoir prouvé qu'elle ne pouvait prétendre à une quelconque
base scientifique, la voie s'ouvre à une collaboration positive entre généticiens
et ethnologues, pour rechercher ensemble c o m m e n t et de quelle façon les
cartes de distribution des phénomènes biologiques et des phénomènes culturels
s'éclairent mutuellement et nous instruisent sur u n passé qui, sans désormais
prétendre remonter aux premières origines des différences raciales, dont les
vestiges sont définitivement hors d'atteinte, peut, à travers le présent, se
relier à l'avenir et permettre d'en discerner les linéaments. C e qu'on appelait
naguère le problème des races échappe au domaine de la spéculation philo-
sophique et des homélies morales dont on se contentait trop souvent. Il échappe
m ê m e à celui des premières approximations grâce auxquelles les ethnologues
s'étaient efforcés de le ramener sur terre pour lui donner des réponses provi-
soires, inspirées par la connaissance pratique des races différentes et par les
données de l'observation. E n u n m o t , le problème cesse d'être du ressort
de la vieille anthropologie physique c o m m e aussi de l'ethnologie générale.
Il devient l'affaire de spécialistes qui, dans des contextes limités, se posent
des questions d'ordre technique et leur donnent des réponses impropres à
fixer aux peuples des places différentes dans une hiérarchie.
Depuis une dizaine d'années seulement, nous c o m m e n ç o n s à comprendre
que nous discutions le problème d u rapport entre évolution organique et
évolution culturelle dans des termes qu'Auguste C o m t e eût appelés méta-
physiques. L'évolution humaine n'est pas u n sous-produit de l'évolution
biologique, mais elle n'en est pas complètement distincte non plus. La synthèse
entre ces deux attitudes traditionnelles est maintenant possible, à la condition
que, sans se satisfaire de réponses à priori et de solutions dogmatiques, les
biologistes et les ethnologues prennent conscience de l'aide qu'ils peuvent
s'apporter mutuellement et de leurs limitations respectives.
Cette inadéquation des réponses traditionnelles explique peut-être pour-
quoi la lutte idéologique contre le racisme s'est montrée si peu efficace sur
le plan pratique. Rien n'indique que les préjugés raciaux diminuent, et tout
laisse à penser qu'après de brèves accalmies locales, ils resurgissent ailleurs
avec une intensité accrue. D ' o ù le besoin ressenti par l'Unesco de reprendre
périodiquement u n combat dont l'issue apparaît pour le moins incertaine.
Mais sommes-nous tellement sûrs que la forme raciale prise par l'intolérance
résulte, au premier chef, des idées fausses que telle o u telle population entre-
tiendrait sur la dépendance de l'évolution culturelle par rapport à l'évolution
organique? Ces idées ne fournissent-elles pas simplement une couverture
idéologique à des oppositions plus réelles, fondées sur la volonté d'asser-

662
Race et culture

vissement et sur des rapports de force? C e fut certainement le cas dans le


passé; mais, m ê m e en supposant que ces rapports de force s'atténuent, les
différences raciales ne continueraient-elles pas à servir de prétexte à la difi-
culté croissante de vivre ensemble, inconsciemment ressentie par une h u m a -
nité en proie à l'explosion démographique et qui — tels ces vers de farine
qui s'empoisonnent à distance par les toxines qu'ils sécrètent, bien avant
que leur densité n'excède les ressources alimentaires dont ils disposent dans
le sac qui les enferme — se mettrait à se haïr elle-même, parce qu'une prescience
secrète l'avertit qu'elle devient trop nombreuse pour que chacun de ses m e m b r e s
puisse librement jouir de ces biens essentiels que sont l'espace libre, l'eau
pure, l'air n o n pollué? Les préjugés raciaux ont atteint leur plus grande
intensité vis-à-vis de groupes humains réduits par d'autres à u n territoire
trop étriqué, à une portion trop congrue des biens naturels pour que leur dignité
n'en soit pas atteinte à leurs propres yeux c o m m e à ceux de leurs puissants
voisins. Mais l'humanité moderne, dans son ensemble, ne tend-elle pas à
s'exproprier elle-même et, sur une planète devenue trop petite, ne recons-
titue-t-elle pas à ses dépens une situation comparable à celle que certains
de ses représentants infligèrent aux malheureuses tribus américaines o u océa-
niennes? Q u ' e n serait-il, enfin, de la lutte idéologique contre les préjugés
raciaux, s'il s'avérait que toujours et partout, c o m m e le suggèrent certaines
expériences conduites par les psychologues, il suffit de répartir des sujets
d'origine quelconque en équipes et de placer celles-ci dans une situation
compétitive, pour que se développent en chacune u n sentiment de partialité
et d'injustice vis-à-vis de ses rivales? D e s communautés minoritaires qu'on
voit aujourd'hui apparaître en plusieurs points d u m o n d e , tels les hippies,
ne se distinguent pas d u gros de la population par la race, mais seulement
par le genre de vie, la moralité, la coiffure et le costume; les sentiments de
répulsion, d'hostilité parfois, qu'elles inspirent au plus grand nombre sont-ils
substantiellement différents des haines raciales, et ferions-nous donc accomplir
aux gens un véritable progrès si nous nous contentions de dissiper les préjugés
spéciaux sur lesquels celles-ci seules, entendues au sens strict, peuvent être
dites reposer? D a n s toutes ces hypothèses, la contribution que l'ethnologue
peut apporter à la solution d u problème racial se révélerait dérisoire et il
n'est pas certain que celle qu'on irait demander aux psychologues et aux
éducateurs se montrerait plus féconde, tant il est vrai que, c o m m e nous l'en-
seigne l'exemple des peuples dits primitifs, la tolérance réciproque suppose
réalisées deux conditions que les sociétés contemporaines sont plus éloignées
que jamais de connaître : d'une part, une égalité relative, de l'autre, une
distance physique suffisante.

Aujourd'hui, les généticiens s'interrogent avec anxiété sur les risques que
les conditions démographiques actuelles font courir à cette rétroaction posi-
tive entre évolution organique et évolution culturelle dont j'ai donné des
exemples et qui a permis à l'humanité de s'assurer la première place parmi
les espèces vivantes. Les populations s'agrandissent, mais elles diminuent

663
Claude Lévi-Strauss

en nombre. Cependant, le développement de l'assistance mutuelle au sein


de chaque population, les progrès de la médecine, la prolongation de la vie
humaine, la faculté toujours plus grande reconnue à chaque m e m b r e d u
groupe de se reproduire c o m m e il l'entend, augmentent le nombre des muta-
tions nocives et leur offrent les moyens de se perpétuer, en m ê m e temps que
la suppression des barrières entre petits groupes exclut la possibilité d'expé-
riences évolutives susceptible d'assurer à l'espèce la chance de nouveaux départs.
Cela ne signifie certes pas que l'humanité cesse ou cessera d'évoluer;
qu'elle le fait sur le plan culturel est évident et, m ê m e à défaut de preuves
directes attestant que l'évolution biologique — seulement démontrable à
long terme — persiste, les rapports étroits qu'elle entretient chez l ' h o m m e
avec l'évolution culturelle garantissent que si celle-ci est présente, l'autre
doit nécessairement continuer. Mais la sélection naturelle ne peut être uni-
quement jugée par le plus grand avantage qu'elle offre à une espèce de se
reproduire; car si cette multiplication détruit u n équilibre indispensable
avec ce qu'on appelle aujourd'hui u n écosystème et qu'il faut toujours envi-
sager dans sa totalité, elle peut se révéler désastreuse pour l'espèce parti-
culière qui voyait en elle le critère et la sanction de son succès. M ê m e à supposer
que l'humanité prenne conscience des dangers qui la menacent, parvienne
à les surmonter et se rende maîtresse de son avenir biologique, o n ne voit
pas comment la pratique systématique de l'eugénisme échapperait au dilemme
qui la mine : soit qu'on se trompe et qu'on ait fait tout autre chose que ce
qu'on se proposait, soit qu'on réussisse et que, les produits étant donc supé-
rieurs à leurs auteurs, ils ne découvrent inévitablement que ceux-ci auraient
d û faire autre chose que ce qu'ils ont fait, c'est-à-dire eux.
Les considérations qui précèdent ajoutent donc des raisons supplémen-
taires aux doutes que l'ethnologue peut éprouver sur son aptitude à trancher
par lui-même, et armé des seules ressources de sa discipline, les problèmes
posés par la lutte contre les préjugés raciaux. Depuis une quinzaine d'années,
il prend davantage conscience que ces problèmes reflètent à l'échelle humaine
u n problème beaucoup plus vaste et dont la solution est encore plus urgente :
celui des rapports entre l ' h o m m e et les autres espèces vivantes, et qu'il ne
servirait à rien de prétendre le résoudre sur le premier plan si l'on ne s'atta-
quait aussi à lui sur l'autre, tant il est vrai que le respect que nous souhaitons
obtenir de l ' h o m m e envers ses pareils n'est qu'un cas particulier d u respect
qu'il devrait ressentir pour toutes les formes de la vie. E n isolant l ' h o m m e
d u reste de la création, en définissant trop étroitement les limites qui l'en
séparent, l'humanisme occidental hérité de l'antiquité et de la Renaissance
l'a privé d'un glacis protecteur et, l'expérience d u dernier et d u présent siècle
le prouve, l'a exposé sans défense suffisante à des assauts fomentés dans
la place forte elle-même. Il a permis que soient rejetées, hors des frontières
arbitrairement tracées, des fractions chaque fois plus prochaines d'une h u m a -
nité à laquelle o n pouvait d'autant plus facilement refuser la m ê m e dignité
qu'au reste, q u ' o n avait oublié que, si l ' h o m m e est respectable, c'est d'abord
c o m m e être vivant plutôt que c o m m e seigneur et maître de la création :
première reconnaissance qui l'eût contraint à faire preuve de respect envers

664
Race et culture

tous les êtres vivants. A cet égard, l'Extrême-Orient bouddhiste reste dépo-
sitaire de préceptes dont on souhaiterait que l'humanité dans son ensemble
continue ou apprenne à s'inspirer.
Enfin, il est une dernière raison pour que l'ethnologue hésite, n o n pas
certes à combattre les préjugés raciaux — car sa science a déjà puissamment
contribué à cette lutte, et elle continue et continuera encore de le faire —
mais à croire, c o m m e on l'y incite trop souvent, que la diffusion d u savoir
et le développement de la communication entre les h o m m e s réussiront u n
jour à les faire vivre en bonne harmonie, dans l'acceptation et le respect
de leur diversité. A u cours de cet exposé, j'ai souligné à plusieurs reprises
que la fusion progressive de populations jusqu'alors séparées par la distance
géographique, ainsi que par des barrières linguistiques et culturelles, marquait
la fin d'un m o n d e qui fut celui des h o m m e s pendant des centaines de millé-
naires, quand ils vivaient en petits groupes durablement séparés les uns des
autres et qui évoluaient chacun de façon différente, tant sur le plan biologique
que sur le plan culturel. Les bouleversements déclenchés par la civilisation
industrielle en expansion, la rapidité accrue des moyens de transport et de
communication ont abattu ces barrières. E n m ê m e temps se sont taries
les chances qu'elles offraient pour que s'élaborent et soient mises à l'épreuve
de nouvelles combinaisons génétiques et des expériences culturelles. O r , on
ne peut se dissimuler qu'en dépit de son urgente nécessité pratique et des
fins morales élevées qu'elle s'assigne, la lutte contre toutes les formes de
discrimination participe de ce m ê m e mouvement qui entraîne l'humanité
vers une civilisation mondiale, destructrice de ces vieux particularismes auxquels
revient l'honneur d'avoir créé les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent
son prix à la vie et que nous recueillons précieusement dans les bibliothèques
et dans les musées parce que nous nous sentons de moins en moins certains
d'être capables d'en produire d'aussi évidentes.
Sans doute nous berçons-nous d u rêve que l'égalité et la fraternité régne-
ront un jour entre les h o m m e s sans que soit compromise leur diversité. Mais
si l'humanité ne se résigne pas à devenir la consommatrice stérile des seules
valeurs qu'elle a su créer dans le passé, capable seulement de donner le jour
à des ouvrages bâtards, à des inventions grossières et puériles, elle devra
réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à
l'appel d'autres valeurs, pouvant aller jusqu'à leur refus sinon m ê m e à leur
négation. Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l'autre,
s'identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la c o m m u -
nication intégrale avec l'autre condamne, à plus ou moins brève échéance,
l'originalité de sa et de m a création. Les grandes époques créatrices furent celles
où la communication était devenue suffisante pour que des partenaires éloignés
se stimulent, sans être cependant assez fréquente et rapide pour que les obstacles
indispensables entre les individus c o m m e entre les groupes s'amenuisent au
point que des échanges trop faciles égalisent et confondent leur diversité.
L'humanité se trouve donc exposée à u n double péril dont l'ethnologue
et le biologiste mesurent pareillement la menace. Convaincus que l'évolution
culturelle et l'évolution organique sont solidaires, ils savent que le retour

665
Claude Lévi-Strauss

au passé est impossible, certes, mais aussi que la voie o ù les h o m m e s sont
présentement engagés accumule des tensions telles que les haines raciales
offrent une bien pauvre image d u régime d'intolérance exacerbée qui risque
de s'instaurer demain, sans m ê m e que les différences ethniques doivent lui
servir de prétexte. Pour circonvenir ces périls, ceux d'aujourd'hui et ceux,
plus redoutables encore, d'un proche avenir, il faut nous persuader que leurs
causes sont beaucoup plus profondes que celles simplement imputables à
l'ignorance et aux préjugés : nous ne pouvons mettre notre espérance que dans
un changement d u cours de l'histoire, plus malaisé encore à obtenir qu'un
progrès dans celui des idées.

Claude Lévi-Strauss, directeur d'études à l'École


pratique des hautes études à Paris et professeur au Collège
de France, où il tient la chaire d'anthropologie sociale,
est l'auteur de nombreux ouvrages connus dont Tristes
tropiques (1955), L a pensée sauvage (1962), L e totémisme
aujourd'hui (1962), L e cru et le cuit (1964), D u miel aux
cendres (1967), L'origine des manières de table (1968),
et, tout récemment. L ' h o m m e n u (1971). Il a rédigé
plusieurs articles pour cette Revue dont un
sur les critères scientifiques dans les disciplines sociales
et humaines (volume XVI, 1964, n° 4).

666
Documentation et
informations professionnelles

Calendrier des réunions internationales

Documents et publications des Nations Unies et


des institutions spécialisées

Livres reçus

« Répertoire mondial des institutions de sciences


sociales »
Calendrier des réunions
internationales1

1972
Pays-Bas Association internationale des écoles
de service social seizième congres :
Room 615,345 East 46th Street, New York,
N.Y. 10017 (États-Unis d'Amérique)

Tokyo Congrès international de psychologie


Prof. Yoshihisa Tanaka,
General Secretary,
The Japanese Psychological Association,
37-13-802, Hongo 4 chôme,
Bunkyo-ku, Tokyo 113 (Japon)

Dublin Fédération internationale des sociétés


de recherche opérationnelle : conférence
Mrs. Margaret Kinnaird,
Operational Research Society,
62 Cannon Street, London E.C.4
(Royaume- Uni)

Bruxelles Institut international


des civilisations différentes : congrès
(Thème : Étude des blocages et freinages
qui s'opposent à la réussite
de la réforme agraire dans les pays
en voie de développement)
INCIDÍ, boulevard de Waterloo, II,
1000 Bruxelles (Belgique)

Mars Nouvelle-Orléans Institut des sciences de gestion :


dix-neuvième réunion internationale

1. L a rédaction de la Revue ne peut fournir aucun renseignement complémentaire sur ces


réunions.

669
Rev. int. Sc. soc, vol. X X m (1971), n« 4
Documentation et informations professionnelles

Mrs. M . R . DeMelin, P . O . Box 6112,


Providence, R.I. 02904
(États-Unis d'Amérique)

15-18 mars Dallas Association internationale de sociologie


réunion annuelle
Via Daverio 7, 20122 Milan (Italie)

27-29 mars N e w York Association for Asian Studies :


vingt-quatrième réunion annuelle
Association for Asian Studies,
Inc., 48 Lane Hall,
University of Michigan, Ann Arbor,
Mich. 48104 (États-Unis d'Amérique)

21-26 mai Jérusalem Fourth International Congress


of Social Psychiatry
(Thème : Changement social
et psychiatrie sociale)
Dr. Louis Miller, Chairman,
Organizing Committee,
4th International Congress
of Social Psychiatry,
c/o Mental Health Services,
Ministry of Health,
King David 20, Jerusalem (Israël)

23-25 mai Vienne Centre international de recherches


et d'information sur l'économie collective :
I X e Congrès international de
l'économie collective
Arbeitsgemeinschaft der oesterreichischen
Gemeinschaft, Vogelsanggasse 36,
A-1050 Wien V (Autriche)

24-28 mai Sofia Fédération internationale


pour la documentation :
Réunion sur les sciences sociales
7, Hofweg, Den Haag (Pays-Bas)

Juin Fourah Bay International African Institute :


Conférence internationale
sur la collaboration dans l'étude
de l'Afrique de l'Ouest
Prof. Daryll Forde,
International African Institute,
St. Duns tan's Chambers,
10-11 Fetter Lane, Fleet Street,
London E.C.4 (Royaume-Uni)

670
Calendrier des réunions internationales

Juin o u sept. Londres o u Oxford World Organization of General System


and Cybernetics :
IIe Congrès international
de cybernétique
Dr. J. Rose, WOC, Honorary Secretary,
College of Technology,
Blackburn, BB2 lLH, Lancashire
( Royaume-Uni)

5-16 juin Stockholm Organisation des Nations Unies :


Conférence sur l'environnement humain
M . Maurice F. Strong,
Secrétariat des Nations Unies,
Conférence sur l'environnement,
Palais des Nations, Genève (Suisse)

19-28 juin Helsinki Conférence intergouvernementale


sur la politique culturelle en Europe
M m e A . Kay, Unesco,
Division des politiques culturelles,
place de Fontenoy, 75 Paris-7e

2-7 juillet Kiev Association internationale de gérontologie:


neuvième congrès international
Prof. Dr. D.F. Chebotarev,
All-Union Scientific and
Medical Society of Gerontologists
and Geriatrists, Ul. Vyshgorodskaya 67,
Kiev 114 (URSS)

Août L a Haye Conseil international de l'action sociale :


seizième conférence internationale
M " Kate Katzki,
345 East 46th Street, New York,
N.Y. 10017 (États-Unis d'Amérique)

Août ou sept. Paris Colloque sur l'information et la société


M . J. Willings, Unesco,
Département des moyens d'information,
place de Fontenoy, 75 Paris-7e (France)

13-19 août Tokyo Union internationale de


psychologie scientifique :
vingtième congrès international
Prof. Yoshihisa Tanaka,
Executive Director
of the Organizing Committee,
The Japanese Psychological Association,
37-13-802, Hongo 4 chonte, Bunkyo-ku,
Tokyo 113 (Japon)

671
Documentation et informations professionnelles

21-25 août Dublin Fédération internationale des sociétés


de recherche opérationnelle : sixième
conférence triennale internationale
Mrs. Kinnaird,
Operational Research Society,
62 Cannon Street, London E C A N 6AD
(Royaume-Uni)

28-31 août Chicago American Sociological Association :


réunion annuelle
1001 Connecticut Avenue, N . W . ,
Washington, D . C . 20036
(États-Unis d'Amérique)

Septembre Denver Institut des sciences de gestion :


treizième réunion américaine
Mrs. M . R . DeMelin, P.O. Box 6112,
Providence, R.I. 02904
(États-Unis d'Amérique)

Septembre Paris Colloque sur l'agressivité de l ' h o m m e


M m « A . Raidi et M . T. Uchida, Unesco,
Département des sciences sociales,
place de Fontenoy, 75 Paris-7e (France)

4-9 septembre Amsterdam International Council o n Alcohol


and Addictions :
X X X e Réunion internationale
sur l'alcoolisme et la toxicomanie
Mr. Tongue, Director,
International Council on Alcohol
and Addictions,
B.P. 140, Lausanne (Suisse)

Octobre? Saint Louis (Mo.) Public Personnel Association :


conférence internationale
Kenneth O. Warner,
1313 East 60th Street, Chicago, III. 60637
(États-Unis d'Amérique)

Octobre? Commission économique


des Nations Unies pour l'Asie
et l'Extrême-Orient :
IIe Conférence asiatique
de la population
ECAFE, Population Division,
Sala Santitham, Bangkok (Thaïlande)

22-27 octobre Munich Conseil international pour l'organisation


scientifique :
X V I e Congrès international sur
le management

672
Calendrier des réunions internationales

Rationalisierungs-Kuratorium
der Deutschen Wirtschaft-RKW,
Gutleutstrasse 163-167,
6000 Frankfurt/Main 9
(République fédérale d'Allemagne)

1973
Canada Association internationale
de science politique :
neuvième congrès mondial
43, rue des Champs-Elysées,
Bruxelles 5 (Belgique)

États-Unis Union internationale des sciences


d'Amérique anthropologiques et ethnologiques :
neuvième congrès
Maison de V Unesco, 1, rue Miollis,
75 Paris-15e (France)

27-30 août N e w York American Sociological Association :


réunion annuelle
1001 Connecticut Avenue, N. W.,
Washington, D . C . 20036
(États-Unis d'Amérique)

Septembre Varna Fédération internationale


des sociétés de philosophie :
quinzième congrès mondial
Prof. Leo Gabriel, Universität Wien,
Universitatsstrasse 7, 1010 Wien
(Autriche)

1-8 septembre Chicago Union internationale des sciences


anthropologiques et ethnologiques :
neuvième congrès international
Prof. Sol Tax, President,
University of Chicago,
1126 East 59th Street, Chicago, III. 60637
(États-Unis d'Amérique)

1974
N e w York Organisation des Nations Unies :
IIIe Conférence mondiale
de la population
United Nations, Population Division,
New York, N.Y. 10017
(États-Unis d'Amérique)

673
Documentation et informations professionnelles

Août Copenhague Association internationale


d'histoire économique : sixième congrès
Prof. J.F. Bergier, AIHE,
École polytechnique fédérale,
Leonhardstrasse 33, 8006 Zurich (Suisse)

26-29 août Montréal American Sociological Association :


réunion annuelle
1001 Connecticut Avenue, N. W.,
Washington, D . C . 20036
(États-Unis d'Amérique)

1975
25-28 août San Francisco American Sociological Association
réunion annuelle
1001 Connecticut Avenue, N . W . ,
Washington, D . C . 20036
(États-Unis d'Amérique)

1976
France Union internationale de psychologie
scientifique :
vingt et unième congrès international
c/o Prof. Eugene Jacobson,
Secretary-General,
Department of Psychology,
Michigan State University,
East Lansing, Mich.
(États-Unis d'Amérique)

674
Documents et publications
des Nations Unies et des
institutions spécialisées1

Population, santé, alimentation

POPULATION

Les distorsions entre croissance démographique et développement économique. Sug-


gestions pour la recherche. Juin 1970. 25 p. ( O N U / E C N . 9 / A C . 11/L.9.)
L'élévation du niveau de vie et l'accroissement de la population. L a portée des
facteurs politiques, en particulier en ce qui concerne le tiers m o n d e . Suggestions pour
la recherche.

Comité spécial d'experts chargé des programmes relatifs aux aspects démographiques
du développement économique : remarques de M . Jean Fourastié sur les pro-
grammes relatifs aux aspects démographiques du développement économique en
France. Juin 1970. 5 p. ( O N U / L / C N . 9 / A C . 11/L.20.)
Les diverses études faites à ce sujet. Propositions pour les compléter, notamment
en ce qui concerne les équipements pour l'enfance et les loisirs.

SANTÉ

Activités de l'OMS en 1970. 1971. 305 p. 3 dollars; 9 francs suisses. ( O M S . )


Rapport annuel du directeur général à l'Assemblée mondiale de la santé et aux Nations
Unies.

Recueil des résolutions et décisions de l'Assemblée mondiale de la santé et du Conseil


exécutif. 1971. 565 p. 5 dollars; 15 francs suisses. ( O M S . )
Couvre la période allant de juin 1948 à mai 1970.

1. E n règle générale, nous ne signalons pas les publications et documents qui paraissent de
manière en quelque sorte automatique : rapports administratifs réguliers, comptes rendus
de réunions, etc.
Les textes dont le contenu est évident ne font pas l'objet d'une analyse.
N o u s avons traduit librement le titre de quelques publications et documents qui ne
nous étaient pas parvenus à temps en français. D a n s ce cas, les titres sont précédés du signe *.
Abréviations conventionnelles : Bl. signifie « contient une bibliographie d'un intérêt
particulier »; St. veut dire « statistiques spécialement importantes o u rares ».

675

Rev. int. Sc. soc, vol. XXIII, n° 4


Documentation et informations professionnelles

Rapport de statistiques sanitaires mondiales.


Vol. 24 (1971) : n° 2, 134 p., 6,75 dollars, 20 francs suisses;
Vol. 24 (1971) : n° 3, ,50 p., 2,75 dollars, 8 francs suisses. ( O M S . )
[St.] Fascicules d ' u n recueil permanent de statistiques relatives à l'incidence des
diverses maladies. Couvre le m o n d e entier. Outre des tableaux de base, revenant
régulièrement, chaque fascicule contient des études spéciales. A signaler à ce dernier
titre : dans le numéro 2, des statistiques détaillées sur la morbidité par tumeurs
malignes, et, dans le numéro 3, une analyse comparée des dépenses pour la santé.

*La santé mentale des adolescents et des jeunes. 72 p. 1,75 dollar; 5 francs suisses.
( O M S . Cahiers de la santé publique, n° 41.)
Rapport d'une conférence technique. Prévention et mesures thérapeutiques. Services
sociaux et médicaux en faveur de la jeunesse.

Comité O M S d'experts de la pharmacodépendance. 1970. 48 p. 1 dollar; 3 francs


suisses. ( O M S . Série des rapports techniques, n° 460.)
Les pratiques actuelles en matière de traitement, de réadaptation et de prévention
des cas de toxicomanie.

*Enquête internationale sur l'utilisation des soins médicaux. 1970. 9 vol. Chaque vol. :
3 dollars; 12 francs suisses. ( O M S . )
[St. Bl.] Présentation détaillée d u programme, des méthodes et des premiers résultats
d'une vaste enquête comparative entreprise sous l'égide de l ' O M S dans sept pays :
Argentine, Canada, Finlande, Pologne, R o y a u m e - U n i , États-Unis d'Amérique,
Yougoslavie. Caractéristiques démographiques et attitudes des usagers. Les enfants
sont interrogés, de m ê m e que les adultes. Programme général des travaux. Texte
des questionnaires. Manuels destinés aux enquêteurs et aux codificateurs. Données
recueillies sur le service de santé. Les caractéristiques démographiques et autres de
la population touchée. Les volumes sont publiés en anglais à Baltimore.

STUPÉFIANTS

Commission des stupéfiants : rapport sur la deuxième session extraordinaire


(28 septembre - 3 octobre 1970). 1970. 35 p. 1 dollar; 4,30 francs suisses.
(ONU/E/4931.)
L e renforcement de l'action de l'Organisation des Nations Unies contre l'abus des
drogues. Mesures à court et à long terme. Fonds des Nations Unies pour la lutte
contre les drogues.

ALIMENTATION

Rapport du deuxième congrès mondial de l'alimentation (1945-1970). Vol. II. 1971.


221 p. ( F A O . )
Produits de base. Amélioration des niveaux de vie et des régimes alimentaires.
Population et développement rural. Structures et politiques commerciales. Secteur
public et secteur privé. Mobilisation de l'opinion publique. Plan indicatif mondial
pour le développement de l'agriculture.

Évaluation des additifs alimentaires. Genève. 1971. 39 p. 1 dollar; 3 francs suisses.


( O M S . Série des rapports techniques, n° 462.)
Travaux d'un comité d'experts F A O / O M S . N o r m e s relatives à certains additifs
alimentaires. Évaluation toxicologique. Problème d'hygiène sociale.

676
Documents et publications des Nations-Unies et des institutions spécialisées

Économie

STATISTIQUES INDUSTRIELLES

*Rapport du Comité de travail de la Commission économique pour VAmérique latine


sur les statistiques industrielles. Octobre 1970. 26 p. ( O N U / E / C N . 12/864.)
C e comité s'est réuni à Santiago, du 3 au 14 août 1970. L'état des statistiques en
Amérique latine. Nécessité d'améliorer les statistiques industrielles. Objectifs généraux
du programme mondial de 1973 concernant ces statistiques.

La croissance de l'industrie mondiale 1968. Vol. I : Statistiques industrielles générales,


1958-1967. 1970, 419 p. 8 dollars; 34,55 francs suisses. ( O N U / S T / S T A T / S E R / P / 6 . )
C e volume est divisé en deux parties. L a première contient des données fonda-
mentales par pays, la seconde donne un choix d'indicateurs des tendances globales
et régionales de l'activité industrielle, avec des estimations détaillées de la structure
de la production et de l'emploi pour une année repère (1963).

PLANIFICATION, DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

B A R T S C H , W . , et R I C H T E R , L . , Évaluation et planification de la main-d'œuvre rurale dans


les pays en voie de développement. Recueil de trois articles extraits de la Revue
internationale du travail, vol. 103, n o s 1-3, janvier-mars 1971. 60 p. (OIT.)
L a fonction de ce type de planification. Les étapes de l'élaboration des plans. Méthodes
de prévision. Réadaptation des plans en cours d'exécution. Évaluation.

'Techniques de planification annuelle, concernant particulièrement les pays d'Asie.


N e w Y o r k . 1970. 41 p . 4,30 francs suisses. ( O N U / E / C N . 11/933.)
Rapport d'un groupe d'experts de la Commission économique pour l'Asie et
l'Extrême-Orient. L e concept de la planification annuelle. L'élaboration d'un plan.
Problèmes soulevés par sa réalisation. Recommandations.

* Aperçu critique de la planification en Amérique latine. Juillet 1970. 24 p.


(ONU/sT/ECLA/Conf.38/L. 1.)
Conditions dans lesquelles débuta la planification en Amérique latine. L'environ-
nement politique. Bureaucratie. Possibilités nouvelles.

Recueil d'études sur les problèmes de développement de divers pays du Moyen-Orient


(1970). 1970. 158 p. 2,50 dollars; 10,80 francs suisses. ( O N U / S T / U N E S O B / 7 . )
Contient u n choix d'articles. L a croissance de l'économie libanaise. Essai d'appli-
cation d'analyses et projections multisectorielles (Jordanie et Irak). Caractéristiques
démographiques de la jeunesse dans les pays arabes d u Moyen-Orient, situation
actuelle et perspectives pour 1990. Populations nomades dans quelques pays d u
Moyen-Orient : sédentarisation. Enquête dans u n village libanais.

Groupe d'études sur le rôle du mouvement coopératifdans le développement des ressources


humaines. 1970. 127 p. ( O N U / S O A / E S D P / 1 9 6 9 / 5 . )
Porte sur le cas de la Pologne. L'influence que les coopératives exercent dans les
régions rurales sur l'enseignement, la formation professionnelle et les services sociaux.
L a situation dans les zones urbaines a également été évoquée.

677
Documentation et informations professionnelles

"Rapport du groupe d'études interrégional des Nations Unies sur l'emploi, le déve-
loppement et le rôle du personnel scientifique et technique dans les services publics
des pays en voie de développement. (Tachkent, URSS ler-lé octobre 1969).
1970. 42 p. 1 dollar; 4,30 francs suisses. ( O N U / S T / T A O / M / 4 8 . )
Le rôle de ce personnel pour le développement national. Statut et conditions de
travail. L'efficacité de ce personnel. Programmes tendant à renforcer ses motivations
et sa créativité. L a direction du personnel scientifique et technique. Amélioration
des relations entre cadres et spécialistes. Planification de l'avancement.

QUESTIONS FINANCIÈRES

La réforme monétaire internationale et la coopération en vue du développement. 1969.


28 p. 0,75 dollar; 3,25 francs suisses. ( O N U / T D / B / 2 8 5 / R C V . I . )
Étude présentée par u n groupe d'experts réunis du 17 au 25 septembre 1969 au
siège des Nations Unies. L'évolution au cours des dernières années. Les divers
aspects du problème de la réforme monétaire internationale. Recommandations.

Problèmesfinancierset problèmes de paiements soulevés par l'expansion des échanges,


la coopération économique et l'intégration régionale entre pays en voie de déve-
loppement. Novembre 1970. 24 p., y compris annexes. ( O N U / T D / B / A C . 1 0 / L . 2 . )
L'état des travaux dans le domaine de l'assurance-crédit à l'exportation et d u finan-
cement du crédit à l'exportation. Décisions de la Conférence des Nations Unies sur
le commerce et le développement. Décisions du Conseil économique et social. Liste
des travaux en cours et des travaux futurs. E n annexe, conclusions d'un cycle d'études
interrégional et déclaration c o m m u n e des délégations de l'Espagne, de l'Inde, des
Philippines et de la Yougoslavie relative à l'assistance internationale au refinancement
du crédit à l'exportation pour les échanges entre pays en voie de développement.

ÉCHANGES

Rapport analytique sur la situation du commerce intra-européen. 1970.176p. 1,60 dollar;


6,90 francs suisses. ( O N U / E / E C E / 7 6 1 / R C V . I . )
[St. Bl.] L e commerce intra-européen dans le m o n d e . L e commerce entre l'Est et
l'Ouest. Structure par produits. Obstacles économiques, administratifs et politiques
qui entravent le développement du commerce entre l'Est et l'Ouest. L a recherche de
nouvelles possibilités. E n supplément : l'évolution des politiques et pratiques c o m -
merciales en Europe depuis la guerre.

ÉNERGIE, MATIÈRES PREMIÈRES

"Approvisionnement du monde en énergie (1965-1968). 1970. 108 p. 2 dollars; 8,65


francs suisses. ( O N U / S T / S T A T / S E R . J / 1 3 . )
[St. B L ] Tableaux statistiques relatifs à la production, au commerce et à la consom-
mation pour les années 1965-1968. Couvre environ 180 pays et territoires (3,5 milliards
d'individus). Les données concernent le charbon, y compris la lignite, le coke, le
pétrole et ses dérivés, le gaz naturel et manufacturé, l'électricité.

"L'industrie pétrochimique dans les pays en voie de développement. 1970. 138 p .


2,50 dollars; 10,80 francs suisses. ( O N U / I D / 4 6 , vol. I.)
Prospections actuelles.

678
Documents et publications des Nations-Unies et des institutions spécialisées

A G R I C U L T U R E , PRODUITS D E BASE

L'agriculture mondiale, bilan d'un quart de siècle. 1971. 47 p . 1,50 dollar; 6,45 francs
suisses. ( F A O . )
L a situation actuelle de l'agriculture mondiale. Les résultats obtenus dans le secteur
agricole dans les pays en voie de développement. Les progrès techniques. Les poli-
tiques de développement agricole : planification, institutions rurales, politique d é m o -
graphique, politiques commerciales internationales. Aide au développement.

Politiques nationales céréalières, supplément 1970. 1971. 101 p . 3 dollars; 13 francs


suisses. ( F A O . )
Complète l'édition de 1969. Rend compte de l'évolution des politiques depuis 1969
et contient aussi 14 exposés complets pour des pays qui nefiguraientpas dans l'édition
de 1969. U n e annexe contient un index par pays des réponses reçues de 1959 à 1970.
D a n s l'introduction on trouve un résumé des principales modifications des politiques
céréalières nationales depuis 1969. Couvre en tout 46 pays.

Politiques nationales rizicoles 1970. Études sur les politiques en matière de produits.
N ° 21. 1970. 92 p . 2,50 dollars; 10,80 francs suisses. ( F A O . )
Les mesures de politique rizicole de 29 pays et de la C o m m u n a u t é économique
européenne. L a production et la commercialisation du riz. L a consommation. L e
commerce extérieur du riz.

L ' É C O N O M I E D E L ' A M É R I Q U E LATINE

*Situation économique de l'Amérique latine (1968). 1970. 231 p . 3,50 dollars;


15,15 francs suisses. (ONU/E/CN.12/885/Rev.l.)
[St. Bl.] Bilan des aspects les plus importants de l'économie latino-américaine à la
fin des années soixante-dix. Les tendances des dernières années. Développements
en 1968 par pays et pour l'ensemble de la région.

COMMISSION ÉCONOMIQUE P O U R L'AMÉRIQUE L A T I N E . Rapport de la sixième session


extraordinaire du comité plénier. Juillet 1970. 21 p . ( O N U / E / 4 8 8 3 . )
Se rapporte à l'aide à apporter au Pérou à la suite de la catastrophe tellurique d u
31 mai 1970. Cette session s'est tenue au siège des Nations Unies les 22 et 23 juin 1970.

Rapports du corps commun d'inspection : rapport sur les activités de la Commission


économique pour l'Amérique latine. N o v e m b r e 1970. 84 p . ( O N U / E / 4 9 3 5 . )
Les membres du corps c o m m u n d'inspection avaient pour tâche de rechercher les
difficultés et les déficiences qui peuvent gêner la Commission économique pour
l'Amérique latine et de procéder à une évaluation de ses activités passées et présentes
et de son rôle futur.

Société, conditions de vie et d e travail, emploi,


politique sociale

R É F O R M E AGRAIRE

Objets et buts de l'enregistrement des terres. Octobre 1970. 2 0 p . ( O N U / E / C N . 1 4 /


CART/252.)

679
Documentation et informations professionnelles

*Le rôle de Venregistrement des titres dans l'évolution des tenures coutumières et son
effet sur les sociétés africaines. Octobre 1970. 16 p. ( O N U / E / C N . 1 4 / C A R T / 2 5 3 . )

URBANISATION

L'urbanisation dans la IIe Décennie des Nations Unies pour le développement. 1970.
39 p. 0,75 dollar; 3,25 francs suisses. ( O N U / S T / E C A / 1 3 2 . )
Causes et effets de la croissance des villes dans le passé et aujourd'hui. Développement
d'une stratégie de l'urbanisation, en particulier pour la IIe Décennie des Nations
Unies pour le développement.

JEUNESSE

La jeunesse, son éducation dans le respect des droits de Vhomme et des libertés fon-
damentales, ses problèmes et ses besoins, sa participation au développement
national. N o v e m b r e 1970. 53 p . ( O N U / A / 8 1 4 9 . )

Rapport du groupe d'études interrégional pour la formation de moniteurs professionneb


et volontaires pour la jeunesse. 1970. 127 p. 2 dollars; 8,65 francs suisses.
(ONU/ST/TAO/SER.C/120.)
Principes et objectifs de la formation. Contenu et méthodes des programmes de
formation. Statut des moniteurs.

POLITIQUE SOCIALE, SERVICES SOCIAUX, DROIT D U TRAVAIL

Activités de VOIT en 1970. 1971. 72 p. (OIT.)


Fait partie du rapport du Directeur général à la Conférence internationale d u travail
(56e session, 1971). L e succès de la 5 5 e session (maritime) de la conférence. Les
programmes en cours.

Conciliation et arbitrage de conflits industriels dans les pays anglophones de l'Afrique.


1970. 208 p. (OIT. Série des relations professionnelles, n° 37.)
Rapport d'un groupe d'études qui s'est réuni à Kampala en novembre 1969. Présente
tout d'abord un certain nombre de systèmes nationaux propres à cette région, puis
étudie leur fonctionnement en cas de discrimination, de grève et de lockout. Les
qualifications des magistrats.

C E N T R E INTERNATIONAL D ' I N F O R M A T I O N S D E SÉCURITÉ E T D'HYGIÈNE D U TRAVAIL.


Bulletin bibliographique de la prévention. Vol. 9, n° 4. 1971. 61 p. (OIT.)
[St. BI.] Résumés d'articles, documents et livres sur la prévention.

Questions juridiques et politiques, droits de l ' h o m m e


DROIT INTERNATIONAL

Rapport du Comité spécial pour la question de la définition de l'agression (13 juillet -


14 août 1970, Genève). 1970. 74 p. 1 dollar; 4,30 francs suisses. ( O N U / A / 8 0 1 9 . )
Discussion de trois projets de proposition : projet de l ' U R S S ( A / A C . 1 3 4 / L . 1 2 ) ,
projet nouveau de 13 puissances ( A / A C . 1 3 4 / L . 1 6 et A d d . I et 2), projet de 6 puis-
sances ( A / A C . 1 3 4 / L . 17 et A d d . 1). Recommandations.

680
Documents et publications des Nations-Unies et des institutions spécialisées

UTILISATION PACIFIQUE DE L'ÉNERGIE ATOMIQUE

IVe Conférence internationale sur l'utilisation de l'énergie atomique à des fins


pacifiques. N o v e m b r e 1970. 11 p. ( O N U / A / 8 1 5 7 . )
Les préparatifs en vue de la I V e Conférence internationale sur l'utilisation de l'énergie
atomique à des fins pacifiques. L'ordre du jour provisoire.

ADMINISTRATION PUBLIQUE

*Les services centraux et les autorités locales dans certains pays de l'Europe orientale
et en URSS. 1970. 207 p. 3 dollars; 13 francs suisses. ( O N U / S T / T A O / M / 5 0 . )
Les pays considérés sont la Bulgarie, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Pologne, la
Roumanie et l'Union soviétique. Les services que les administrations centrales four-
nissent aux autorités locales.

"Réflexions sur une stratégie des réformes administratives : l'expérience fédéraliste


au Brésil. Août 1970. 40 p. (ONU/sT/ECLA/Conf.38/L. 4.)
Historique de l'expérience. Changement de stratégie. Les composantes de base du
modèle.

DÉCOLONISATION

Activités des intérêts étrangers, économiques et autres qui font obstacle à l'application
de la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
en Rhodésie du Sud, en Namibie et dans les territoires sous domination portugaise,
ainsi que dans tous les autres territoires se trouvant sous domination coloniale,
et aux efforts tendant à éliminer le colonialisme, l'apartheid et la discrimination
raciale en Afrique australe. N o v e m b r e 1970. 15 p. ( O N U / A / 8 1 4 8 . )
Rapport du Comité spécial chargé d'étudier la situation en ce qui concerne l'appli-
cation de la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples colo-
niaux. Les décisions du comité spécial. U n e annexe (A/8148/Add. 1, 99 p.) contient
des documents de travail du comité.

SECOURS INTERNATIONAUX

Assistance des Nations Unies au Pérou. Octobre 1970. 35 p. ( O N U / E / L . 1 3 5 6 . )


L a catastrophe. Les secours d'urgence. Le relèvement et la reconstruction. Le rôle des
Nations Unies. L a coordination de l'assistance internationale.

Éducation, science

ACTIVITÉS D E L ' U N E S C O

U N E S C O : Rapport du Directeur général sur les activités de l'Organisation en 1970.


1971. 219 p. 6 dollars; 24 francs. (Unesco/cFS.71/i.25.)

PLANIFICATION DE L ' É D U C A T I O N

P L A T T , William J. La planification de l'éducation : notes sur les besoins nouveaux en


matière de recherche. 1970. 75 p. 2 dollars; 8 francs. (Unesco : ITPE.)

681
Documentation et informations professionnelles

Complète, dans la perspective actuelle des sciences de l'éducation, un tableau dressé


en 1965 au sujet des grandes orientations à donner aux recherches sur la planification
de l'enseignement. L a brochure a été rédigée à la suite d'une enquête internationale
et d'un colloque d'experts.

UNIVERSITÉS

M A C K E N Z I E , N o r m a n , E R A U T , Michael, et J O N E S , Hywel C . Art d'enseigner et art


d'apprendre. Introduction aux méthodes et matériels nouveaux utilisés dans
l'enseignement supérieur. 1971. 237 p. 3,50 dollars; 14 francs. (Unesco et
Association internationale des universités.)
[Bl.] Conditions actuelles dans lesquelles ont à travailler les universités. Les problèmes
qui en résultent. Les formules nouvelles qui peuvent permettre d'y faire face. L'ère
de l'expansion des universités. Les nouveaux moyens de communication de la pensée
et leur utilisation dans l'enseignement supérieur. L e processus d'enseignement et
d'acquisition des connaissances. L'évaluation des méthodes employées. L'élaboration
des cours. L a gestion et les investissements.

• H E N D E R S O N , Algo D . Avec le concours de Joseph Adwere-Boahmah et de Katharine


Kunst. La formation des administrateurs d'université. 1971. 83 p. 2 dollars;
8 francs. (Unesco et Association internationale des universités.)
[BL] L'administration et la direction des établissements d'études supérieures tendent
à devenir des métiers. Ceux-ci doivent s'apprendre. D e s programmes spéciaux ont
déjà été mis en œuvre à cette fin dans quelques pays. L e problème. Les différents
chapitres d'un programme type de formation. Thèmes à traiter. Bibliographie corres-
pondante. Description des programmes postgradués pour futurs administrateurs
d'université qui existent dans différents pays : Université de Michigan, Université
de Denver, programme des universités anglaises et de celle de N e w Delhi.

Question de la création d'une université internationale. N o v e m b r e 1970. 26 p., y


compris annexes. ( O N U / A / 8 1 8 2 . )
Rapport d u Secrétaire général. L e projet. Sa raison d'être. Extrait d u rapport de
l'Unesco. [Le rapport de 1 ' U N I T A R . Résolutions du Conseil économique et social.

C O T T R E L L , J. D . L'enseignement de la santé publique en Europe. 1971. 272 p. 6 dollars;


18 francs suisses. ( O M S . )
[BL] Les changements survenus au cours des douze dernières années. Les tendances
actuelles de l'enseignement de la santé publique. Description des formes que revêt
cet enseignement dans divers pays européens.

POLITIQUE D E L A SCIENCE

Détermination des problèmes auxquels les laboratoires des pays développés pourraient
consacrer des travaux de recherche et de développement qui soient utiles aux pays
en voie de développement. Octobre 1970. 1 1 p . ( O N U / E / A C . 5 2 / L . 9 8 . )
Méthodes permettant de déterminer les problèmes importants pour les pays en voie
de développement. Choix des laboratoires de recherche. Financement.

682
Livres reçus

Ouvrages généraux o u méthodologiques


S O E R G E L , D r D . Dokumentation und Organisation des Wissens: Versuch einer metho-
dischen Grundlegung am Beispiel der Sozialwissenschaften. Berlin, Duncker &
Humblot, 1971. XVII + 380 p.,fig.,tabl., bibl., index. 78,60 marks (Collection :
Ordo Politicus, Band 13).
V I D A L , F . Problem-solving: méthodologie générale de la créativité. Paris, D u n o d ,
1971. vin + 213 p.,fig.,bibl. 29 francs.

Histoire
B A I L E Y , H . M . ; G R I J A L V A , M . C . Fifteen famous Latin Americans. Englewood Cliffs,
N.J., Prentice-Hall, 1971. x x n + 190 p., pi., ill., cartes, bibl., index. 2,25 livres
sterling.
B A R O N , G . Der Beginn: die Anfänge der Arbeiterbildungsvereine in Oberösterreich.
Linz an der D o n a u , K a m m e r für Arbeiter und Angestellte für Oberösterreich,
1971.389 p., pl., index.
B I A N C O , L . Origins of the Chinese revolution, 1915-1949. (Translated from the French
by M . Bell.) Stanford, Calif., Stanford University Press, 1971. x m + 223 p.,
bibl., index. 8,50 dollars.
COMMISSION INTERNATIONALE D'HISTOIRE DES MOUVEMENTS SOCIAUX ET DES STRUC-
T U R E S SOCIALES. Mouvements nationaux d'indépendance et classes populaires aux
XIXe et XXe siècles en Occident et en Orient, tomes I et II. Paris, Colin, 1971.
715 p., flg., tabl., cartes, bibl. 100 francs. (Publié avec le concours de l'Unesco,
du C N R S , de l'Institut für Sozial und Wirtschaftsgeschichte de Heidelberg et
de la Stiftung Volkswagenwerk.)
C O N S T A N T I N E S C U , M . , et al. Unification of the Romanian national state: the union of
Transylvania with old Romania. Bucuresti, Editura Academia República Socia-
liste Romania, 1971. 367 p., pl., carte, index. (Bibliotheca Histórica Romaniae,
VII.)
Gnxis, J. R . The Prussian bureaucracy in crisis 1840-1860: origins of an administra-
tive ethos. Stanford, Calif., Stanford University Press, 1971. xvi + 269 p.,
tabl., bibl., index. 8,75 dollars.
G R I G O R A S , N . Institutii feudale din Moldova: I. Organizarea de stat pina la mijlocul
sec. al XVIII-lea. Bucuresti, Editura Academiei Republicii Socialiste Romania,
1971. 475 p., index.

683
Rev. int. Se. soc, vol. X X D I (1971), n° 4
Documentation et informations professionnelles

L E F E B V R E , G . La naissance de Vhistoriographie moderne. Avec préface de G . P. Palmade.


Paris, Flammarion, 1971. 348 p., index. 38 francs.
Z E L N I K , R . E . Labor and society in tsarist Russia: the factory workers of St. Petersburg
1855-1870. Stanford, Calif., Stanford University Press, 1971. 450 p . , tabl.,
bibl., index. IS dollars.

Sociologiej psychologie
B A N K S , J. A . Sociology as a vocation: an inaugural lecture. Leicester, Leicester U n i -
versity Press, 1971. 26 p . 0,24 livre sterling.
B E R G E R , B . M . Looking for America: essays on youth, suburbia, and other American
obsessions. Englewood Cliffs, N.J., Prentice-Hall, 1971. 331 p . , index. 2 livres
sterling.
D E C O N C H Y , J.-P. L'orthodoxie religieuse : essai de logique psychosociale. Préfaces d e
R . Pages et E . Poulat. Paris, Éditions ouvrières, 1971. 373 p . ,fig.,tabl. 80 francs.
G O D I N , A . (ed.). Mort et présence: études de psychologie. Bruxelles, L u m e n Vitae,
1971. 338 p., fig., tabl., bibl. 290 francs belges, 32 francs français. (Collection :
Cahiers de psychologie religieuse, V . )
K R A U S E , E . A . The sociology of occupations. Boston, Little, B r o w n & C o . , 1971.
XTV + 398 p . , index. 7,95 dollars.
M O S K A S Jr., C . C . (ed.). Public opinion and the military establishment. Beverly Hills,
Calif., Sage Publications, 1971. xvi + 294 p., fig., tabl. Broché : 12,50 dollars;
relié : 7,50 dollars. (Sage research progress series o n war, revolution and peace
keeping, vol. I.)
M O T W A N I , K . Towards Indian sociology. Agra, Satish B o o k Enterprise, 1971. xvi +
138 p . , bibl. 20 roupies.
P A R S O N S , T . The system of modern societies. Englewood Cliffs, N.J., Prentice-Hall,
1971. vin + 152 p . , tabl., index. (Foundations of modern sociology series.)
P O C A R , V . ; L O S A N O , M . G . Sociology of law 1960-1970. A bibliographical survey with
KWIC index. Milano, Instituto difilosofíae sociología del diritto dell'Università
di Milano, 1970.209 p., index. 11,70 dollars.
P R A S A D , R . ; H A L L E N , G . C ; P A T H A K , K . Conspectus of Indian society: essays in
honour of Professor R. N. Saksena. Agra, Satish B o o k Enterprise, 1971. xvi +
608 p . , tabl., pi. 45 roupies.
R I C H A R D , M . La psychologie et ses domaines : de Freud à Lacan. Pratique et critique
de la psychologie. L y o n , éditions Chronique sociale de France, 1971. 336 p . ,
fig., tabl., index.
R O L L E , P . Introduction à la sociologie du travail. Paris, Larousse, 1971. v u + 275 p . ,
bibl., index. (Collection : Sciences humaines et sociales.)
S H A P I R O , O . (ed.). Rural settlements of new immigrants in Israel: development problems
of new rural communities.Rshowot, Settlement Study Centre, 1 9 7 1 . x v m + 277 p . ,
fig., tabl., pi., carte, index.
S W E D N E R , H . School segregation in Milano. Chicago, Integrated Education Asso-
ciates, 1971. n + 51 p . ,fig.,cartes. 1,95 dollar.
Z U B R Z Y C K I , J. (ed.). The teaching of sociology in Australia and New Zealand. M e l -
bourne, Cheshire G r o u p , 1970. xrv + 170 p., tabl. 2,50 dollars.

684
Livres reçus

Économie, démographie
B A N D T , J. Les fonctions de production : discussion du schéma théorique à partir du cas
des productions textiles. Paris, Cujas, 1970. 98 p., fig., tabl. (Théorie de la pro-
duction. Cahier I R E P , n° 2.)
L'affectation des ressources : critères intersectoriels d'efficacité. Paris, Cujas,
1971.122 p., fig. (Théorie de la production, Cahier I R E P , n° 3.)
B L A C K , S. W . An econometric study of Euro-dollar borrowing by New York banks and
the rate of interest on Euro-dollars. Princeton, N.J., International Finance Sec-
tion, Dept. of Economics, Princeton University, 1971. 6 p., tabl. (Reprints
in international finance, n° 17.)
B L A K E , J. Abortion and public opinion: the 1960-1970 decade. Berkeley, Calif., Inter-
national Population and Urban Research Institute of International Studies,
et Department of Demography, University of California, 1971. 10 p., tabl.
(Population reprint series, n° 367.)
Reproductive motivation and population policy. Berkeley, Calif., International
Population and Urban Research Institute of International Studies, et Depart-
ment of Demography, University of California, 1971. 6 p., tabl. (Population
reprint series, n° 372.)
C A M P B E L L O F E S K A N , lord, et al. Britain, the E E C and the third world. London, Over-
seas Development Institute, 1971, 91 p., tabl. 1 livre sterling.
C A R T E R , C . Wealth: an essay on the purposes of economics. Harmondsworth, Middx.,
Penguin Books, 1971. 153 p., bibl., index. Afrique du Sud, 0,75 rand; Australie,
1 dollar; Canada, 1,25 dollar; Nouvelle-Zélande, 1 dollar; Royaume-Uni,
0,30 livre sterling.
C O L L E R Y , A . International adjustment, open economies and the quantity theory of
money. Princeton, N . J . , International Finance Section, Department of Econo-
mics, Princeton University, 1971. 38 p., fig. 1 dollar. (Princeton studies in inter-
nationalfinance,n° 28.)
C O O P E R , R . N . Currency devaluation in developing countries. Princeton, N . J . , Inter-
national Finance Section, Department of Economics, Princeton University,
1971. 38 p. (Essays in international finance, n° 86.)
F L A N D E R S , M . J. The demand for international reserves. Princeton, N . J . , International
Finance Section, Department of Economics, Princeton University, 1971. 56 p.
1 dollar. (Princeton studies in international finance, n° 27.)
FÔLDI, T . (ed.). For the progress of Marxist economics: selected studies. Budapest,
Akadémiai Kiado, 1967. 141 p., fig., tabl. (From the Fourth Yearbook of the
Institute of Economics, Hungarian A c a d e m y of Sciences.)
J A K O B S O N , L ; P R A K A S H , V . (ed.). Urbanization and national development. Vol. I :
South and South-East Asia urban affairs annuals. Beverly Hills, Calif., Sage
Publications, 1971. 320 p., fig., bibl., index. 15 dollars.
L E O N A R D , W . R ; J E N N Y , B . A ; N W A L I , O . UN. development aid: criteria and methods
of evaluation. N e w York, United Nations Institute for Training and Research —
Arno Press, 1971.135 p., fig., tabl., index.
M C K I N N O N , R . I. Monetary theory and controlledflexibilityin the foreign exchanges.
Princeton, N . J . , International Finance Section, Department of Economics,
Princeton University, 1971. 38 p., tabl. (Essays in international finance, n° 84.)
M U N D E L L , R . A . The dollar and the policy mix: 1971. Princeton, N.J., International
Finance Section, Department of Economics, Princeton University, 1971. 34 p.
(Essays in internationalfinance,n° 85.)

685
Documentation et informations professionnelles

O F F I C E STATISTIQUE D E S C O M M U N A U T É S E U R O P É E N N E S . Statistiques de base de la Commu-


nauté : comparaison avec certains pays européens, le Canada, les États-Unis
d'Amérique, le Japon et V Union des républiques socialistes soviétiques. Bruxelles,
Luxembourg, O S C E , 1971. 224 p., fig., tabl., carte. (Ouvrage disponible en
allemand, italien, néerlandais et anglais.)
P A J E S T K A , J. The social dimensions of development. N e w York, United Nations Centre
for Economie and Social Information, 1970, v + 36 p. (Executive briefing
paper, n° 3.)
RABiNOvrrcH, F . F ; T R U E B L O O D , F . M . (ed.). Latin American urban research. Vol. I.
Beverly Hills, Calif., Sage Publications, 1971. 313 p., fig., tabl., carte, bibl.
IS dollars.
R O B E R T , B . Évolutions démographiques régionales et migrations intérieures de popula-
tion : province de Québec 1941-1966. Québec, Office de planification et de déve-
loppement, 1970. xxvi + 445 p.,fig.,tabl., cartes.
Profils migratoires : comtés et régions, province de Québec 1961-1966. Québec,
Bureau de la statistique, 1971. x x + 161 p., fig., tabl., cartes. (Collection :
Matériaux pour l'étude des espaces démographiques régionaux.)
S C H L O S S , H . H . Contribution of private investors to development in a mixed economy.
Los Angeles, Research Institute for Business and Economics, Graduate School
of Business Administration, University of Southern California, 1971. 16 p .
(Working paper, n° 2.)
W I D S T R A N D , C . G . (ed.). Co-operatives and rural development in East Africa. Uppsala,
Scandinavian Institute of African Studies — N e w York, Africana Publishing,
1970. 271 p.,fig.,tabl.
; C E R V E N K A , Z . Scandinavian development agreements with African countries.
Uppsala, Scandinavian Institute of African Studies, 1971. 74 p.,fig.,tabl.
W I E K , K . D . Socio-economic structures: a basic model for their identification —
illustrated for West Germany and Illinois. Berkeley, Calif., Lewis Publishing,
1971. 77 p., tabl., cartes, bibl.

Science politique, administration, management

B O D E N H E I M E R , S. J. The ideology of developmentalism: the American paradigm —


surrogate for Latin American studies. Beverly Hills, Calif., Sage Publications,
1971. 53 p., tabl. 2,40 dollars. (Comparative politics series, vol. 2, séries n °
01-015.)
E M M E R I C H , H . Federal organization and administrative management. Alabama, Uni-
versity of Alabama Press, 1971. ix + 304 p., index. 10 dollars.
F I N K L E , J. L . ; G A B L E , R . W . (ed.). Political development 'and social change. 2 e éd.
N e w York, London, Sydney, Toronto, John Wiley & Sons, 1971. xvi + 685 p . ,
fig., tabl., index.
G E R B E T , J. La délégation des pouvoirs. Paris, D u n o d , 1971. xrv + 107 p., tabl., bibl.
9,30 francs. (Collection : L a vie de l'entreprise.)
G R E G G , R . W ; K E G L E Y , C . W . (ed.). After Vietnam: the future of American foreign
policy. N e w York, Anchor Books, 1971. ix + 343 p.,fig.,1,95 dollar.
S C H O N F E L D , W . R . Youth and authority in France: a study of secondary schools.
Beverly Hills, Calif. Sage Publications, 1971. 79 p., fig., tabl. 2,80 dollars.
(Comparative politics series, vol. 2, séries n° 01-014.)

686
Livres reçus

S E R T O R I O , G . F . Culture politiche : proposizioni teoriche e riferimento concreto alla


società ashanti. Torino, Giappichelli, 1970. 185 p . 2 800 lires. (Pubblicazioni
dell'Istituto di Scienze Politiche dell'Università di Torino, vol. 24.)
S H I P M A N , G . A . Designing program action — against urban poverty. Alabama, Uni-
versity of Alabama Press, 1971. 124 p.,fig.,index. 5,75 dollars.
S I G E L M A N , L . Modernization and the political system: a critique and preliminary
empirical analysis. Beverly Hills, Calif., Sage Publications, 1971. 60 p., fig.,
tabl. 2,50 dollars (Comparative politics series, vol. 2, séries n° 01-016.)
V E R B A , S ; N I E , N . H ; K I M , Jae-On. The models of democratic participation: a cross-
national comparison. Beverly Hills, Calif., Sage Publications, 1971. 80 p., fig.,
tabl. 2,80 dollars. (Comparative politics series, vol. 2, séries n° 01-013.)
W I L S O N , F . L . The French democratic left 1963-1969 : toward a modern party system.
Stanford, Calif., Stanford University Press, 1971. 258 p., fig., tabl., bibl., index,
8,95 dollars.

Ethnologie
H U D S O N , C . M . (ed.). Red, white and black: symposium on Indians in the old South
Athens, G a . , Southern Anthropological Society, University of Georgia.
1971. v m + 142 p., fig., ill., cartes. 3,75 dollars. (Southern Anthropological
Society proceedings, n° 5.)
Rasi i Narodi. Moskva, N a u k a , 1971. Tabl., ill., 1,60 rouble. (Publié annuellement
en russe, avec résumés en anglais, par l'Institut d'ethnographie N . N . Mikluho-
Miklay, Académie des sciences de l'URSS.)
S I N G H , T . R . The Madiga. Lucknow, Ethnographie and Folk Culture Society, 1969.
77 p., tabl., index. 8 roupies; 2 dollars; 0,75 livre sterling.

Philosophie
H O N D E R I C H , T . Punishment: the supposed justifications. Harmondsworth, Middx.,
Penguin Books, 1971. 217 p., index. Afrique du Sud, 0,85 rand; Australie,
1,20 dollar; Canada, 1,50 dollar; Nouvelle-Zélande, 1,20 dollar; R o y a u m e -
Uni, 0,35 livre sterling.

Education
A L O N S O H I N O J A L , I. Orientación en los estudios y actitudes hacia el cambio social.
Madrid, Secretariado Conjunto de las Comisiones Episcopales de Misiones y
Cooperación Apostólica con el Exterior, 1971. 223 p.,fig.,tabl.
F R I T S C H , P . L'éducation des adultes. Paris, L a Haye, École pratique des hautes
études, V I e section - M o u t o n , 1971. 176 p., fig., tabl., cartes, bibl., index.
18 francs. (Cahiers du Centre de sociologie européenne, VII.)
H A R T M A N , R . W . Credit for college: public policy for student loans. N e w York,
McGraw-Hill, 1971. x + 152 p.,fig.,tabl. 5,95 dollars. (A report for the Carnegie
Commission on Higher Education.)
H E W A G E , L . G . Community education for universities. Report of a pilot project in
continuing education sponsored by the Unesco National Commission of

687
Documentation et informations professionnelles

Ceylon. Nugegoda, Unesco-Vidyodaya, Community Education Service, 1971.


xi + 42 p.
K E E T O N , M . T . Models and mavericks: a profile of private liberal arts colleges. N e w
York, McGraw-Hill, 1971. xn + 191 p . , tabl., index. 5,95 dollars. Sixth of a
series of profiles sponsored by the Carnegie Commission on Higher Education.
R A U S C H , R ; F Ä N G E R , U ; L Ü H R , V . Probleme der Erwachsenbildung in Zentralamerika.
Stuttgart, Ernst Klett, 1970. 196 p., tabl., bibl. (Wissenschaftliche Schriftenreihe
des Bundesministeriums für wirtschaftliche Zusammenarbeit, Band 19.)
S V E N S S O N , A . Relative achievement: school performance in relation to intelligence,
sex and home environment. Stockholm, Almqvist and Wiksell, 1971. 176 p . ,
flg., tabl. (Göteborg studies in educational sciences, 6.)
T H E C A R N E G I E C O M M I S S I O N O N H I G H E R E D U C A T I O N . Dissent and disruption: proposals
for consideration by the campus. Hightstown, N.J., McGraw-Hill, 1971. vni +
309 p., tabl.

Communication de masse
P O U R P R T X , B . La presse gratuite. Paris, Éditions ouvrières, 1971. 172 p., tabl., bibl.
17 francs. (Collection : Initiation sociologique.)

Divers
AGENCY FOR INTERNATIONAL DEVELOPMENT. Evaluation handbook. Washington,
Office of Program Evaluation, Agency for International Development, 1971.
rx + 122 p., fig., ill., bibl.
B A R T H O L O M E W , D . J; B A S S E T T , E . E . Let's look at thefigures:the quantitative approach
to human affairs. Harmondsworth, Middx., Penguin Books, 1971. 319 p . , fig.,
tabl., bibl., index. Afrique du Sud, 0,95 rand; Australie, 1,35 dollar; Canada,
1,65 dollar; Nouvelle-Zélande, 1,35 dollar; R o y a u m e - U n i , 0,40 livre sterling.
Cadres et entreprises. Paris, Liaisons sociales, 1971.96 p., tabl., bibl., index. 17 francs.
Supplément diffusé dans le cadre de l'abonnement à Liaisons sociales.
C A R P I Z O , J. Lincamientos constitucionales de la Commonwealth. México, U N A M ,
Instituto de Investigaciones Jurídicas, 1971.175 p., bibl.
C O R M , G . G . Contribution à Vétude des sociétés multiconfessionnelles : effets socio
juridiques et politiques du pluralisme religieux. Préface de M m e E . Rabbath et
avant-propos de P . - H . Teitgen. Paris, Librairie générale de droit et de juris-
prudence, 1971. xii + 323 p., bibl., index. (Bibliothèque constitutionnelle et de
science politique, tome XLII.)
C O W N I E , J; J O H N S T O N , B . F ; D U F F , B . The quantitative impact of the seed-fertilizer
revolution in West Pakistan: an exploratory study. Stanford, Calif., F o o d Research
Institute, 1970. 38 p., fig., tabl. 2 dollars. (Studies in tropical development.)
H O L A S , B . VAfrique noire. Paris, Bloud et Gay, 1964. 115 p., pi., carte, bibl. (Collec-
tion : Religions du monde.)
L A N D H E E R , B ; L O E N E N , J. H . M . M ; P O L A K , F . L . (ed.). World society: how is an
effective and desirable world order possible. A symposium. T h e Hague, Martinus
Nijhoff, 1971. vi + 211 p.,fig.,tabl. 27 guilders.
L I T T L E , R . W . (ed.). Handbook of military institutions. Beverly Hills, Calif., Sage Publi-
cations, 1971. 607 p., tabl., bibl., index. 25 dollars. (Sage series on armed forces
and society, vol. 1.)

688
Livres reçus

RAPAPORT, J. ; M U T E B A , E . ; T H E R A T T Ï L , J. J. Small states and territories: status and


problems. N e w York, United Nations Institute for Training and Research -
Arno Press, 1971. 216 p., fig., tabl., index.
R I T S E R T , J. ; B E C K E R , E . Grundzüge sozialwissenschaftlich-statistischer Argumentation:
eine Einführung in statistische Methoden. Opladen, Westdeutscher Verlag,
1971,237 p.,flg.,tabl., index. 19,80 marks. (Reihe U T B . )
SAIYIDAIN, K . G . Quest for the good life. Bangalore, Indian Institute of World Culture,
1971.40 p.
S C H A C H T E R , O . ; N A W A Z , M . ; F R I E D , J. Towards a wider acceptance of UN treaties.
N e w York, United Nations Institute for Training and Research - Arno Press,
1971.190 p., tabl., index.
Schéma d'aménagement de la métropole Lyon - St. Etienne - Grenoble. Paris, Ministère
de l'équipement et du logement, 1971. 240 p.,fig.,tabl., cartes.
T R Y S T R A M , J.-P. La documentation automatique. Paris, D u n o d , 1971. rv + 124 p.,
fig., tabl., bibl. 9,30 francs. (Collection : L a vie de l'entreprise.)

689
« Répertoire mondial des
institutions de sciences
sociales »
Recherche, formation supérieure,
documentation
et organismes professionnels

U n service spécial de la « Revue internationale dès


sciences sociales »

C e répertoire, publié en 1970, contient des données systématiques sur plus de 1 500 ins-
titutions de recherche, de formation supérieure et de documentation, ainsi que des
organismes professionnels de sciences sociales. L e répertoire est bilingue, la version
anglaisefigurantau recto de chaque fiche et la version française au verso. L e classe-
ment suit l'ordre alphabétique des n o m s d'institution pour les organismes interna-
tionaux (dans la langue appropriée), ainsi que pour les pays, qui sont classés dans
l'ordre alphabétique anglais.
Les abonnés de la Revue internationale des sciences sociales recevront gratuite-
ment, avec chaque numéro, un jeu defichesconcernant de nouvelles institutions o u la
mise à jour des informations déjà répertoriées; il n'y a pas d'autre service de mise à
jour. Avec le présent numéro de la Revue, on trouvera le cinquième jeu defichesà
découper et à insérer dans le répertoire original.
Les informations concernant des organismes et institutions non mentionnés
dans ce répertoire ainsi que des rectificatifs aux renseignements déjà portés sur les
fiches peuvent être adressés à : Centre de documentation de sciences sociales,
Unesco, place de Fontenoy, 75 Paris-7e (France).
Le répertoire peut être c o m m a n d é avec ou sans reliure spéciale à anneaux d e
format identique à celui de la Revue au prix de Î9, £2.70, 36 F (sans reliure); $ 1 5 ,
£4.50, 60 F (avec reliure). Les c o m m a n d e s peuvent être adressées directement à la
Division de la distribution de l'Unesco, place de Fontenoy, 75 Paris-7e, ou chez les
agents généraux dont la listefigureà lafinde ce numéro.

690

Rev. int. Sc. soc, vol. XXIII (1971), n» 4


Revue internationale de recherches et de synthèses sociologiques

L ' h o m m e et la société
N ° 20, avril, mai, juin 1971

SOMMAIRE
HISTOIRE ET SOCIOLOGIE

Débats, études, synthèses


Entretien avec Georg Lukàcs — Critique de la bureau-
cratie socialiste, questions de méthode
Nicolas Tertulian L'évolution de la pensée de Georg Lukàcs
Anouar Abdel-Malek Pour une sociologie de l'impérialisme
Marie-Françoise Cassiau Vers une sociologie hégélienne
Michael Lowy W e b e r et Marx — Notes critiques sur u n dialogue
implicite
Michel Dion Notes sur les rapports entre analyses sociologiques et
idéologie
Philippe Lucas Après le « béhaviorisme » — L a « nouvelle révolution »
des sciences sociales nord-américaines
Catherine Raguin L e défi juridique — L e droit est-il u n mécanisme de
socialisation ?
André Gauron L a prospective sociale peut-elle être une science ?
André Régnier Les surprises de l'idéologie — Lutte des classes et
technocratie
Serge Latouche Sur la «coupure» Ricardo-Marx
Kostas Axelos L a question de la fin de l'histoire
Recherches
Albert Meister Développement communautaire et animation rurale en
Afrique

Études critiques
Gérard Lagneau L'idéologie de la participation dans le «phénomène
bureaucratique» de M . Crozier
Miles D. Wolpin L'impérialisme américain — Illusion de la gauche o u
impératif du système ?
Comptes rendus
Mise an point (Lucien Sève)

Revue des revues (Christiane Rolle)


Livres reçus
L e numéro : 18 F Abonnement : 1 an (4 numéros) : France, 60 F ; étranger, 70 F
C C P Paris 8 721 23.

Editions Antbropos
Direction, rédaction :
95, boulevard Saint-Michel, 75 Paris-5«. Tél. : 325.18-95.
Administration, abonnements :
15, rue Racine, 75 Paris-6«. Tél. : 326.99-99.
Kölner Zeitschrift für Soziologie
und Sozialpsychologie (KZfS)
Begründet durch Leopold von Wieset

Hrsg. im Forschungsinstitut für Soziologie an der Universität zu Köln


von René König
Jährlich erscheinen 4 Hefte und ein Sonderheft. Bezugspreis: Einzelheft D M . 2 2 .
Jahresabonnement D M . 8 0 . Bei Vorauszahlung bis z u m Beginn eines neuen Jahres
D M . 7 2 , gegen Studienbescheinigung D M . 4 0 ; jeweils zuzüglich Sonderheft (mit SO %
Ermäßigung) und Versandspesen.
"Die Bedeutung eines so zentralen Organs wie dieser Zeitschrift kann m a n heute
bei der Vielfalt der Aufgaben, der Verwirrung der Verwaltungsmethoden, denen die
in der Öffentlichkeit arbeitenden Männer und Frauen ausgeliefert sind, gar nicht
hoch genug veranschlagen...
W e n n eine Zeitschrift solche Sonderhefte herausgeben kann, hat sie hohen Stan-
dard. Bedürfte es noch eine Beweise, daß die deutsche Soziologie bereit ist, sich
ihres 'Provinzialismus' zu entledigen — hier wird er von der z u m Teil noch ganz
jungen Forschergeneration der Gegenwart erbracht."
Frankfurter Allgemeine Zeitung

Sonderhefte
Heft 1 Soziologie der Gemeinde. 3. Aufl., 229 Seiten, kart. D M . 1 7
Heft 2 Soziologie der Jugendkriminalität. 4. Aufl., 188 Seiten, kart. D M . 1 6
Heft 3 Probleme der Medizin-Soziologie. 4. Aufl., 336 Seiten, kart. D M . 23
Heft 4 Soziologie der Schule. 8. Aufl., 200 Seiten, kart. D M . 1 6
Heft 5 Soziale Schichtung und soziale Mobilität. 4. Aufl., 346 Seiten, kart. D M . 2 3
Heft 6 Probleme der Religions-Soziologie. 2. Aufl., 289 Seiten, kart. D M . 2 0
Heft 7 M a x Weber zum Gedächtnis. 488 Seiten, kart. D M . 3 2
Heft 8 Studien und Materialien zur Soziologie der D D R . 540 Seiten, kart. D M . 3 2
Heft 9 Zur Soziologie der Wahl. 2. Aufl., 359 Seiten, kart. D M . 2 7
Heft 10 Kleingruppenforschung und Gruppe im Sport. 280 Seiten, kart. D M . 2 8
Heft 11 Studien und Materialien zur Rechtssoziologie. 412 Seiten, kart. D M . 3 2
Heft 12 Beiträge zur Militärsoziologie. 360 Seiten, kart. D M . 3 6
Heft 13 Aspekte der Entwicklungssoziologie. 816 Seiten, L n . D M . 6 9 .
Heft 14 Familiensoziologie. In Vorbereitung

/r¡y\ Westdeutscher Verlag


Vfiy Köln und Opladen
Federal Republic of Germany
DER STAAT
Zeitschrift für Staatslehre
Öffentliches Recht u n d , , - , ,
Verfassungsgeschichte
Herausgegeben von Ernst-Wolfgang Boeckenfoerde,
Gerhard Oestreich, Helmut Quaritsch, R o m a n Schnur,
Werner Weber, H a n s J. Wolff
10. Band, 1971, Heft 2
Hans H . Klein Öffentliche und private Freiheit. Zur Auslegung des
Grundrechts der Meinungsfreiheit
Julien Freund Amnestie—auferlegtes Vergessen
Ernst-Albert Seils Die Staatslehre A d a m Contzens. 'Ein Beitrag zur
Erforschung des älteren deutschen Staatsdenkens,
Friedrich Malier Der Denkanstaz der Staatsphilosophie bei Rousseau
und Hegel
Karl Michaelis Die unbegrenzte Auslegung
Bernhard Schjink Das Grundgesetz und die Wissenschaftsfreiheit. Z u m
gegenwärtigen Stand der Diskussion und Art. 5 m G G

Die Zeitschrift erscheint viermal jährlich im Gesamtumfang


von 576 Seiten. Bezugspreis halbjährlich D M . 3 8 zuzueglich Porto

D UNCKER & H U M B L O T / B E R L I N - M Ü N C H E N

RASSEGNA ITALIANA DI SOCIOLOGÍA


Anno XII, n. 1, gennaio-marzo 1971 Trimestrale di scienze sociali

Philip Rief! Per una teoría della cultura


Melvin M . Tumin La protesta dei paria
Claus Offe Dominio politico e struttura di classe
Bianca Beccalli Scioperi e organizzazione sindacale: Milano 1950-1970
G . Accardi, G . Mottura, Braccianti, sindacato e mercato del lavoro agricolo
E . Pugliese <.
Giordano Sivini, II fenómeno dei gruppi e l'uso di alcuni concetti di
sociología e scienza política
Bruno Rizzi U n nuovo sistema económico

Published four times Annual subscription:


a year by Societa
Editrice il Mulino, Lit. 5.000 (Italy)
Via S . Stefano 6, Lit. 6.000 (abroad)
Bologna (Italy) Single issue: Lit. 2.000
ACTA (ECONÓMICA
ACADEMIAE
SCIENTIARUM
HUNGARICAE Vol. 6
No. 3

A periodical of the Hungarian Academy of Sciences

Contents
A . Csernok Economic policy goals in the use of the national income
E . Ehrlich Economic development and personal consumption levels:
an international comparison
E . Gács and Zs. Magyar Changes in the living conditions of the population
from 1971 to 1975
A . Kiss and J. Timar The supply of qualified manpower—labour-force struc-
ture—education
M . Augustinovics A series of models for long-term planning
A . Nagy The role of consistent trade—network models in foreign
trade planning and projection of the socialist countries

REVIEWS

Acia (Económica is published in eight issues yearly, making up two volumes of some
400 pages each. Size: 17 X 25 cm

Subscription rate per volume: $16; £6.80; D M . 6 4

Distributors: K U L T U R A , Budapest 62, P . O . Box 149, Hungary

AKADEMIAI KIADO
; BSS5ÜÜS!! ) Publishing House of the Hungarian Academy of Sciences
V ™•nun
«!!!«./ Budapest 502, P.O. Box 24
-1828-
International review
of administrative sciences
Contents of Vol. XXXVII (1971), No. 1-2
Articles about the administration in Italy:

M . S. Giannini Trends in the development of the administrative


sciences*
F . Benvenuti Trends towards administrative change'"
O . Sepe Central government reforms*
M . Carabba-Brunetti T h e Interdepartmental Committee on Economic
Fulvia Programming*
S. Buscema Present problems of the State budget*
V . Ottaviano Trends of the regions with special autonomy*
A . Piras T h e regions with ordinary autonomy*
G . Berti N e w trends in local government organization*
M . Sandulli T h e problems of control*
G . Pastori Personnel administration and the bureaucracy*
R . Iannotta T h e training and education of public servants
G . Miele T h e present position of administrative justice*
G . Guarino T h e Minister of State Participation and
the managing bodies*
F . Spantigati T o w n planning in recent legislation*
M . Cantucci T h e administration of cultural assets*
G . D e Cesare Hospital reform*
C . Anelli T h e problem of education
and D . Avagliano
A . Quaranta Public transport legislation*
S. Valentini T h e organization of tourism*
M . Nigro T h e administration of banking*
and L . Buccisano
G . Marongiu Aid to the under-developed areas*
L . Mazzarolli T h e administration of agriculture*
* Article written in French, with an exteniive s u m m a r y in English.

Schools and institutes of public administration. Bibliography: a selection.


Technical co-operation. N e w s in brief. Chronicle of the institute.
Annual subscription: $12 Single copy: $3.50
International Institute of Administrative Sciences
25 Rue de la Charité, 1040 Brussels
(Belgium)
Foro Internacional
Revista trimestral publicada por el Colegio de México
Fundador: Daniel Cosío Villegas
Director: Roque González Salazar
Director adjunto: María del Rosario Green i i Vol. X X , n° 2 , octubre-diciembres 1971
Artículos
Philippe C . Schmitter Desarrollo retrasado, dependencia externa y cambio
político en América Latina
David Barkin La estrategia cubaba de desarrollo
Dimitríos A . Germidis 'Los créditos atados: 'costos adicionales y alternativas
ofrecidas en los países beneficiarios
Nota de investigación
Elisabeth E . Braun La XXV sesión de la Asamblea General de las Naciones
Unidas: actitudes y decisiqnes mexicanas
Bibliografía
Cecilia Culebra Bibliografías' latinoamericanas: Ciencias sociales
de Soberanea
Reseñas de libros; libros recibidos
Precio del ejemplar: $18,00; Dis. 1,60
Suscripción anual' (4 números): $60,00; Dis. 6,00
l (
El Colegio de México, Departamento <je Vi ventas
Guanajuato 125, México 1,' D . F . ' ' '

•f <•/<<

- .1 • The' journal, of i v

conflict résolution
A quarterly for research related to war'and peace
March ,1971 ( X V , 1)
Lincoln P . Bloonméld "' Computers' and policymaking: the C Á S C O N experiment
and Robert R . Beattie
Roger W . Benjamin Conditions for military control over foreign policy deci-
and Lewis J. Edînger, sions in major: t States: a historical exploration
Other articles; gaming section; books received
$ 10 per year for individuals; $ 18 for institutions;
j&3 single issues., ,
Published by t h é Cerner for Research on Conflirt
Resolution, T h e Univeraity of Michigan, A n n Arbor,
Michigan 48104
I ' I l

Université libre de Bruxelles


Institut de sociologie (fondé par Ernest Solvay)

Revue d e
l'Institut de sociologie
Revue trimestrielle

. , . . . ; . , s • • • - , , , s ,

Science politique, économie politique, économie sociale, sociologie d u travail,


sociologie africaine, psychologie sociale, sociographie, etc. Chronique d é m o -
graphique. Note critique. Notices bibliographiques.

Numéros spéciaux

L^Université européenne
~j ' ' ( ,•• f
, ' 1 " '

Raisonnement et démarches de, l'historien.


Corps médical et assurance maladie
Sociologie de la « construction nationale » dans les nouveaux Etats
Aperçu sociologique sur le Québec
Image de l'homme et sociologie contemporaine
Sociologie de la littérature ., , j
L'ingénieur et l'information
L e plurilinguisme
L a sociologie du droit et de la justice
L'automobile dans la société
) • i-

ï 'Rédaction
Institut de sociologie
,i 44, avenue Jeanne, B-1050 Bruxelles (Belgique). Tél. : (02) 48 81 58

<• • • ; Administration et abonnements


Editions de. J'Jnstitut,. de sociologie
•-) Parc Leopold, B-1040 BruxeUes (Belgique). Tél. : (02) 35 01 86
Abonnement : Belgique : 600 F B ; autres pays : 700 F B
Le numéro : 200 F B ; le numéro double : 400 F B
Indo-Asian
culture
A quarterly in English, containing scholarly articles on
the history, philosophy, art and literature of India and
other countries and illuminating reviews of books recently
published. A copy of the English bi-monthly Cultural
News from India is supplied free of charge during the
< subscription period to those w h o choose to subscribe to
Indo-Asian Culture for three years on making a lump-
sum concessional payment of Rs.25 or 55s. or $ 10.
Single issue: Rs.2.50 (inland); Ss. 6d. or $1 (foreign)
Per year: Rs.10 (inland); 22s. or $ 4 (foreign)

OTHER Jewellery and Personal Adornment in India, by Kamala


PUBLICATIONS: S. Dongerkery. Price Rs.30.
A n absorbing account of the art of jewellery in India
from ancient to modern times, this book is profusely
illustrated with a number of line drawings, black-and-
white illustrations and colour plates.

Central Asia—An Account of the Movement of Peoples


and Ideas from Ancient to Modern Times. Price Rs.20.
This book contains papers presented by distinguished
Indian and foreign scholars and interesting discussions
held at an international conference in N e w Delhi under
the auspices of the Indian Council for Cultural Relations
and Unesco (illustrated with numerous sketches and
photographs of recent archaeological finds in India and
Central Asia).

Aspects of Indian Culture—Select Bibliographies on


History and Culture. Price Rs.10. This is the second
volume in a series of bibliographies on various aspects
of Indian culture being compiled by the council. T h e
first volume on the arts has already been published.

Indian Council for Cultural Relations,


Azad Bhavan, L P . Estate, N e w Delhi 1
QUADERNI
DI SOCIOLOGÍA
N . 3-4 - 1970

ARTICOLI
A . Martinelli L a crisi dell'universita americana

DOCUMENTAZIONI E RICERCHE
C . Donólo Politicizzazione e crisi di legittimità
A . Mohr-Scheuch II divorzio e il ciclo della famiglia moderna
(con una nota di M . G . Losano)
A . Mutti L a sociología della modernizzazione
M . Marchetti- Bibliografía classificata di sociología delle
S. Mobiglia communicazioni di massa con particolare
riferimento alia stampa quotidiana

N O T E CRITICHE
G . E . Rusconi Conoscenza e intéresse in Habermas
Schede
Panorama delle Riviste
Libri Ricevuti

Comitato Direttivo:
Nicola Abbagnano Franco Ferrarotti Luciano. Gallino Angelo Pagani
Alessandro Pizzorno Pietro Rossi Renato Treves
Direttore Responsable: Franco Ferrarotti Redattore: Luciano Gallino

Redazione e Amministrazione:
Casa Editrice Taylor, Corso Stati Uniti, 53, 10129 Torino - C / C Postale 2/2322
Tel. 510.411

Redazione Romana:
c/o Prof. Franco Ferrarotti, Via Appennini, 42 - R o m a . Tel. 846.770
Abbonamento: Italia. L . 6.000; Estero. L . 8.000
revue tiers-monde
Tome Xn, n° 47

Le tiers-monde en Van 2000


Pierre Massé L e tiers-monde en l'an 2000
Moïses Ikonicoff Les.étapes de la prospective
Paul Bairoch Écarts des niveaux de développement, 1770-1970-
2000
Bernard Kayser La. survie imprévue du tiers-monde
Gérard Destanne L a prospective dans le tiers-monde : un mythe ?
de. Bernis
Ignacy Sachs Neuf paradoxes de la prospective dans le tiers-monde
Deux stratégies pour Vindustrialisation du tiers-
monde : Gérard Destanne de Bernis, Les industries
industrialisantes et les options algériennes; Moïses
IkOnicoff, Les sources privilégiées de l'innovation et
les nouvelles options industrielles d u tiers-monde.
Jorge Sabato L a science, la technique et l'avenir de l'Amérique
et Natalio Botana latine
Kinhide Mushakoji Les relations internationales dans l'Asie de l'an 2000 :
à la recherche de la paix et du développement
Jan Tinbergen Le tiers-monde et la communauté internationale
Documentation
André-Clément Decouflé D e quelques précautions préalables à une prospective
du développement
Buu H o a n Transferts des' ressources et des technologies à l'Asie
du Sud-Est en l'an 2000
Michel A m a u d o n Rationalisation des choix budgétaires et dévelop-
pement économique des pays du tiers-monde
Léon Lavallée Prospective et industrialisation socialiste du Viêt-nam
Colloque international de Téhéran, 9-12 avril 1969
Bibliographie
Jean Masini A propos de quelques ouvrages de prospective

Direction-Rédaction Institut d'étude du développement économique et social,


58, boulevard Arago, 75 Paris-13' (Tél. : 33J .28-01).
Abonnements et vente Presses universitaires de France, 12, rue Jean-de-Beauvais,
75 Paris-5' (Tél. : 033.48-03). C C P Paris 1302-69.
France : 62 F ; étranger : 70 F
Escuela Latinoamericana de Ciencia Política
y Administración Pública de la F L A C S O

REVISTA LATINOAMERICANA
DE CIENCIA POLITIC A
Vol. JJ, n.° 2, agosto de 1971

Sumario
' Jorge Graciarena Estructura de poder y distribución del ingreso en A m é -
rica Latina
A d a m Prze\yorski Sistemas partidistas, movilización electoral y la estabi-
y Fernando Cortés lidad de sociedades capitalistas
Osear Cuéllar Influencia, poder y dominación: notas sobre el problema
del estatuto teórico de la noción de poder
Frédéric Debuyst La opción chilena de 1970. Análisis de los tres programas
y Joan E . Garcés electorales
Jorge Giusti La formación de las "poblaciones" en Santiago: aproxi-
mación al problema de la organización y participación
de los "pobladores"

SUSCRIPCIONES :
! Individual Instituciones
América Latina U.S.$5 U.S.$6
Otros países U.S.$6 U.S.91O

Para suscripciones y otras informaciones dirigirse a:


E L A C P - Publicaciones
Casilla 3213, José M . Infante SI
Santiago (Chile)
Revue française
de sociologie
Sommaire Vol. XII, n° 2. avril-juin 1971

Herbert F . Weisberg L'étude comparative des scrutins législatifs


Maurice Montuclard,
avec la collaboration
de Marie Montuclard,
Nicole Ramognino
et Pierre Verges Analyse structurelle d'un modèle de culture normative à
partir d'un univers de thèmes motivés
Cathy S. Greenblat Le développement des jeux-simulations à l'usage du socio-
logue
Agnes Pitrou D u bon usage des enquêtes d'opinion
D a n Soen Les groupes ethniques orientaux en Israël. Leur place dans
la stratification sociale
Jean G . Padioleau Les modèles de développement. Problème de l'analyse
comparée en sociologie politique

NOTES CRITIQUES
Jean-Daniel Reynaud La puissance et la sagesse. A propos du livre de Georges
Friedmann
Raymonde Moulin La culture du pauvre. A propos du livre de Richard
Hoggart

In memoriam Lucien G O L D M A N N , sociologue, 1913-1970. (Jacques Leen-


hardf)

BIBLIOGRAPHIE. N O T E S BIBLIOGRAPHIQUES. L I S T E D E S L I V R E S
REÇUS

Résumés en anglais, en allemand, en espagnol et en russe

Abonnement : Editions du C N R S , 15, quai Anatole-France, Paris-7*. C C P Paris 9061-11


4 numéros et 1 numéro spécial (l'abonnement part du 1" janvier de chaque
année) : 40 F
Le numéro : 10 F
Rédaction : Centre d'études sociologiques, 82, rue Cardinet, Paris-17e
REVISTA MEXICANA
DE SOCIOLOGÍA
Órgano Oficial del Instituto de Investigaciones Sociales de la Universidad Nacional
Autónoma de México
5." piso, Torre de Humanidades, México 20, D . F .

2.* época

Director: Lie. Raúl Benitez Zenteno


Secretario: Maria Luisa Rodriguez Sala de Gómezgil

VoL X X X m , n.° 3, 1971

índice
Glaucio Ary Dillon Soares Desarrollo económico y estructura de clases

Octavio Ianni La formación del proletariado rural en el Brasil

Gabriel Cohn La industrialización en Brasil: proceso y perspectivas


Gilbert W . Merkx
y Nelson P. Valdws Revolución, conciencia y clase: Cuba y Argentina
Crecimiento económico y desigualdad social en México:
Gloria González Salazar una visión esquemática
Poder, autoridad y preparación al cambio en la cuenca
Raúl Urzua del río Maule, Chile
Guillermo Foladori El contacto cultural
Sección bibliográfica
Sección documental
Sección informativa
Suscripción anual: m u $60; U.S. $ 5
Números atrasados: m n $20; U.S. $1,60
Números sueltos (del año): m n $15; U.S. $1,30
nternationa
Organization
The quarterly journal of the World Peace Foundation providing a lively
forum for scholarship on international organizations and for analysis of
current literature and research methods in the field.

A u t u m n 1971 V o l . 25, N o . 4

Articles

Science and technology: the implications for interna- Eugene B . Skolnikoff,


tional institutions and comments
by Harold K . Jacobson
and Franklin A . Long
Transnational politics: toward a theory of multina-
tional politics Karl Kaiser

International organizations and political communica-


tion: the use of U N C T A D by less developed countries Robert S. Walters

Nuclear guarantees and nonproliferation


Joseph I. Coffey
Collective goods and international organization Bruce M . Russett
and John D . Sullivan
and comment
by Mancur Olsen
?,
Review essays by Frederick C . Thayer and Gary B . Ostrower
Note on theory and method by Philippe C . Schmitter
Comments by Johan Kaufmann, David P . Forsythe and Michael D . Wallace

$3.25 per copy; $ 1 0 for one year; $18 for two years;
$•25 for three years.-

World Peace Foundation


40 Mount Vernon Street
Boston, Massachusetts 02108
PUBLICATIONS D E L'UNESCO : AGENTS G É N É R A U X

Afrique du Sud Van Schaik's Bookstore (Pty.) Ltd., Libri Building, Church Street, P . O .
Box 724. P R E T O R I A .
Albanie N . Sh. Botimeve Nairn Freshen, T I R A N A .
Algérie Institut pédagogique national. II, rue Ali-Haddad (ex-rue ZaAtcha),
A L O E R . Société nationale d'édition et de diffusion ( S N E D ) , 3, boulevard
Allemagne (Rip. fed.) Zirout Youcef, A L O E R .
Verlag Dokumentation, Postfach 148, Jaiserstrasse 13, 8023 M U N C H E N -
P U L L A C H . « Le Courrier », édition allemande seulement : Bahrenfelder
Chaussee 160, H A M B U R G - B A H R E N F E L D . C O P : 27 66 50.
Antilles françaises
Librairie Félix Conseil, 11, rue Perrinon, F O R T - D B - F R A N C B (Martinique).
Antilles' néerlandaises
G . C . T . Van Dorp & C o . (Ned. Ant.) N . V . , W I L L E M S T A D (Curaçao, N A . ) .
, Argentine
Editorial Losada, S.A., Aisina 1131, B U E N O S AIRES.
Australie
Publications : Educational Supplies Pty. Ltd., Box 33, Post Office,
Brookvale 2100, N i . W .
Périodiques : Dominie Pty. Ltd., Box 33, Post Office, Brookvale 2100
N.S.W.
Sous-agent : United Nations Association of Australia,'Victorian Division,
Autriche 4th Floor, Askew House, 364 Lonsdale Street, M E L B O U R N E (Victoria) 3000.
, Belgique Verlag Georg F r o m m e & C o . , Arbeitergasse 1-7, 10S1 W I E N .
Birmanie Jean D e Lannoy, 112, rua du Trône, B R U X E L L E S 5 . ,
Bolivie Trade Corporation no. (9), 550-552 Merchant Street, R A N G O O N .
Librería Universitaria, Universidad San Francisco Xavier, apartado 212,
SUCRE.
Brésil
Fundacao Getúlio Vargas, Serviço de Publicaçoes, caixa postal 21120,
Bulgarie Praia de Botafogo 188, Rio D E JANEIRO (Guanabara).
Cambodge Hemus, Kantora Literatura, bd. Rousky 6, S O F U A .
Cameroun Voir République khmere.
Librairie Richard, B.P. 4017, Y A O U N D E .
Ceylan Information Canada, O T T A W A (Ont.).
Lake House Bookshop, Sir ChJttampalam Gardiner Mawata, P . O .
Chili Box 244, C O L O M B O 2.
Chypre Editorial Universitaria, S. A . , casilla 10220, S A N T I A G O .
Colombie a M A M », Archbishop Malearlos, 3rd Avenue, P . O . Box 1722, NICOSIA.
Librarla Bachholz Galería, avenida Jimenez de Quesada 8-40, apartado
aéreo 49-56, B O G O T A . Distrilibros Ltda., Pío Alfonso García, carrera 4.',
n.™ 36-119 y 36-125, C A R T A G E N A . J. Germán Rodríguez N . , oficina 201,
Edificio Banco de Bogotá, apartado nacional 83, G D U K D O T (Cundina-
marca). Editorial Losada Ltda., calle ISA, n.°" 7-37, apartado aero 58-29,
apartado nacional 931, B O G O T A .
Sous-dépits : Edificio La Ceiba, oficina 804, M E D E L L I N . Calle 37, n.» 14-73,
oficina 305, B U C A R A M A N O A . Edificio Zaccour, oficina 736, C A L L
Congo (Rép. pop.) Librairie populaire, B.P. 577, B R A Z Z A V I L L E .
Corée Korean National Commission for Unesco, P . O . Box Central 64, S E O U L .
Costa-Rica Librería Trejos, S.A., apartado 1313, S A N Josa. Teléfonos 2285 y 3200.
CÔte-d'Ivoire Centre d'édition et de diffusion africaines, B.P. 4541, A B I D J A N P L A T E A U .
Cuba Distribuidora Nacional de Publicaciones, Neptuno 674, L A H A B A N A .
Dahomey Librairie nationale, B.P. 294, P O R T O - N O V O .
Danemark Ejnar Munksgaard Ltd., 6 Ncnregade, 1165 K B B E N H A V N K .
République dominicaine Librería Dominicana, Mercedes 49, apartado de correos 656, « A N T O
DOMINGO.
Egypte National Centre for Unesco Publications, 1 Talaat Harb Street, Tahrir
Square, C A I R O . Librairie Kasr El Nil, 38, rue Kasr El Nil, L E C A I R E .
Sous-dépôt : L a Renaissance d'Egypte, 9 Sh. Adly Pasha, LÉ C A I R B .
El Salvador Librería Cultural Salvadoreña, S . A . , edificio San Martín, 6.* calle Oriente
n.° 118, S A N S A L V A D O R .
Equateur Casa de la Cultura Ecuatoriana, Núcleo del Guayas, Pedro Moncayo y
9 de Octubre, casilla de correo 3542, G U A Y A Q U I L .
Espagne Toutes les publications : Ediciones Iberoamericanas, S. A . , calle da
Onate 15, M A D R I D 20. Distribución de Publicaciones del Consejo Superior
de Investigaciones Científicas, Vitrubio 16, M A D R I D 6. Librería del Consejo
Superior de Investigaciones Científicas, Egipciacas 15, B A R C E L O N A .
a Le Courrier » seulement : Ediciones Liber, apartado 17, O N D A R R O A
(Viscaya).
États-Unis d'Amérique Unesco Publications Center, P . O . Box 433, N E W Y O R K , N . Y . 10016.
Ethiopie National Commission for Unesco, P . O . Box 2996, A D D I S A B A B A .
Finlande Akateeminen Kirjakauppa, 2 Keskuskatu, HELSINKI.
France Librairie de l'Unesco, place de Fontenoy, 75 P A R B - 7 « ; C C P 12598-48.
Ghana Presbyterian Bookshop Depot Ltd., P . O . Box 195, A C C R A . Ghana Book
Suppliers Ltd., P . O . Box 7869, A C C R A . The University Bookshop of
Ghana, A C C R A . The University Bookshop of Cape Coast. The University
Bookshop of Legon, P . O . Box 1, LeGON.
Grèce Librairie H . Kaufmann, 28, rue du Stade, A T H I N A I . Librairie Eleftherou-
dakis, Nikkis 4 , A T H I N A I .
Guatemala Comisión Nacional de la Unesco, 6.* calle 9.27, zona 1, G U A T E M A L A .
Haïti Librairie « A la Caravelle », 36, rue R o u x , B , P . 111, P O R T - A U - P R I N C E .
Haute-Volta Librairie Attie, B.P. 64, O U A G A D O U G O U . Librairie catholique ce Jeunesse
d'Afrique », OUAGADOUGOU.
Hong-kong Swindon B o o k C o . , 13-15 Lock Road, K O W L O O N .
Hongrie Akadémiai Konyvesbolt, Váci u. 22, B U D A P E S T V . A . K . V . Konyvtirosok
Boltja, Népkoztársaság utja 16, B U D A P E S T VI.
Inde Orient Longman Ltd.: Nicol Road, Ballard Estate, B O M B A Y I; 17 Chittaf
ranjan Avenue, C A L C U T T A 13; 36 A Mount Road, M A D R A S 2; 3/5 Asa-
Ali Road, N E W D E L H I 1.
Sous-dépits: Oxford Book and Stationery Co., 17 Park Street, C A L C U T T A
16, et Scindia House, N E W D E L H I ; Publications Section, Ministry of
Education and Youth Services, 72 Theatre Communication Building,
Connaught Place, N E W D E L H I 1.
Indonésie Indira P . T . , DjI. D r . S a m Ratulangie 37, D J A K A R T A .
Irak McKenzie's Bookshop, Al-Rashid Street, B A G H D A D . University Bookstore,
University of Baghdad, P . O . Box 75, B A G H D A D .
Iran Commission nationale iranienne pour lTJnesco, 1/154, avenue Roosevelt.
B.P. 1533, TÉHÉRAN.

Irlande The National Press, 2 Wellington Road, Ballsbridge, D U B L I N 4.


Islande Snacbjörn Jonsson & C o . , H . F . , Hafnarstraeti 9, R E Y K J A V I K .
Israël Emanuel Brown, formerly Blumstein's Bookstores: 35 AUenby Road
el 48 Nachlat Benjamin Street, T E L A V I V ; 9 Shlomzion Hamalka Street,
JERUSALEM.
Italie L I C O S A (Librería Commissionaria Sansoni S.p.A.), via Lamarmora
45, casella postale 552, 50121 FTRENZE.
Jamaïque Sangster's Book Stores Ltd., P. O . Box 366,101 Water Lane, K I N G S T O N .
Japon Maruzen C o . Ltd., P. O . Box 5050, T O K Y O I N T E R N A T I O N A L , 100-31.
Kenya The E S A Ltd., P . O . Box 30167, N A I R O B I .
République khmère Librairie Albert Portail, 14, avenue Boulloche, P H N O U - P E N H .
Koweït The Kuwait Bookshop C o . Ltd., P . O . Box 2942, K U W A I T .
Liban Librairies Antoine A . Naufal et frères, B . P . 656, B E Y R O U T H .
Libéria Cole and Yancy Bookshops Ltd., P. O . Box 286, M O N R O V I A .
République arabe libyenne Agency for Development of Publication and Distribution. P. O . B o x
34-35, TRIPOLI.
Liechtenstein Eurocan Trust Reg., P . O . Box 5, S C H A A N .
Luxembourg Librairie Paul Brück, 22, Grand-Rue, L U X E M B O U R G .
Madagascar Toutes les publications : Commission nationale de la République mal-
gache, Ministère de l'éducation nationale, T A N A N A R I V E .
« Le Courrier » seulement : Services des œuvres post et peri-scolaires.
Ministère de l'éducation nationale, T A N A N A R I V E .
Malaisie Federal Publications San Bhd., Balai Berita, 31 Jalan Riong, K U A L A
LUMPUR.
Mali Librairie populaire du Mali, B . P . 28, B A M A K O .
Malte Sapienza's Library, 26 Kingsway, V A L L E T T A .
Maroc Toutes les publications: Librairie « A u x belles images », 281, avenue
M o h a m m e d - V , R A B A T (CCP 68-74).
« Le Courrier » seulement (pour fes enseignants): Commission nationale
marocaine pour l'Unesco, 20, Zenkat Mourabitine, R A B A T ( C C P 324-45).
Maurice Nalanda C o . , Ltd., 3 0 Bourbon Street, P O R T - L O U I S .
Mexique Editorial H e r m e s , Ignacio Mariscal 4 1 , M E X I C O , D . F .
Monaco British Library, 3 0 , boulevard des Moulins, M O N T E - C A R L O .
Mozambique Salema & Carvalho Ltda., caixa postal 192, BEntA.
Nicaragua Librería Cultural Nicaragüense, calle 15 de Septiembre y avenida Bolivar,
apartado n.° 807, M A N A G U A .
Niger Librairie Malicien, B . P . 868, N I A M E Y .
Nigeria The University B o o k s h o p of Ife. T h e University B o o k s h o p of I b a d a n .
P . O . Box 286, I B A D A N . The University of N s u k a . The University B o o k s h o p
of Lagos. The A h m a d u Bello University B o o k s h o p of Zaria.
Norvège Toutes les publications : Johan Orundt T a n u m (Booksellers), Karl
Johansgate 43, O S L O 1.
« Le Courrier » seulement: A / S Narvesens Litteraturjeneste, B o x 6 1 2 5 ,
O S L O 6.
Nouvelle-Calédonie Reprex, S . A . R . L . , B.P. 1572, N O U M E A .
Nouvelle-Zélande Government Printing Office, Goverment Bookshops: Rutland Street-
P. O . Box 5344, A U C K L A N D ; 130 Oxford Terrace, P . O . Box 1721, C H R I S T ,
C H U R C H ; Alma Street, P . O . Box 857, H A M I L T O N ; Princes Street, P . O .
Box 1104, D U N E D I N ; Mulgrave Street, Private Bag, W E L L I N G T O N .
Ouganda Uganda Bookshop, P. O . Box 145, K A M P A L A .
Pakistan The West-Pak Publishing C o . Ltd., Unesco Publications House, P . O .
Box 374 G . P . O . , L A H O R E .
Showrooms: Urdu Bazaar, L A H O R E , el 57-58 Murree Highway, G / 6 - 1 ;
I S L A M A B A D . Pakistan Publications Bookshop: Sarwar Road, R A W A L P I N D I ,
Paribagh, D A C C A .
Paraguay Melchor Garcia, Eligió Ayala 1650, ASUNCIÓN.
Pays-Bas N . V . Martinus NünofT, Lange Voorhout 9, ' S - G R A V E N H A Q E .
Pérou « Le Courrier » seulement : Editorial Losada Peruana, apartado 472, L I M A .
Autres publications : Distribuidora Inca, S. A . , Emilio Althaus 470,
Lince, casilla 3115, L I M A .
Philippines The Modern Book Co., 926 Rizal Avenue, P . O . Box 632, M A N I L A .
Pologne Osrodek Rozpowszechniania Wydawnictw Naukowych P A N , Palac
Kultury i Nauki, W A R S Z A W A .
Portugal Dias & Andrade Ltda.. Livraria Portugal, rua do Carmo 70, LISBOA.
Rhodesie du Sud Textbook Sales (PVT) Ltd., 67 Union Avenue, SALISBURY.
Roumanie I.C.E. LIBRI, Calea Victoria! no. 126, P . O . Box 134-135, B U C U R E S T I .
Royaume-Uni H . M . Stationery Office, P . O . Box 569, L O N D O N , SEI 9 N H ;
Government bookshops: London, Belfast, Birmingham, Bristol, Cardiff,
Edinburgh, Manchester.
¿¿inégal La Maison du livre, 13, avenue R o u m e , B , P. 20-60, D A K A R . Librairie
Clairafrique, B . P . 2005, D A K A R . Librairie « Le Sénégal », B.P. 1594,
DAKAR.
Singapour Federal Publications Sdn Bhd., Times House, River Valley Road, SINGA-
P O R E 9.
Soudan Al Bashir Bookshop, P . O . Box 1118, K H A R T O U M .
Suide Toutes les publications: A / B C . E . Fritzes Kungl. Hovbokhandel, Fredsga-
tan 2, Box 16356, 103 27 S T O C K H O L M 16.
« Le Courrier » seulement: Sventka FN-Förbundet, Vasagatan 15, IV,
101 23 S T O C K H O L M 1. Postgiro 18 46 92.
Suisse Europa Verlag, Ramistrasse 5, Z U R I C H . Librairie Payot, 6, rue Grenus,
1211 G E N È V E 11.
Syrie Librairie Sayegh, Immeuble Diab, rue du Parlement, B . P. 704, D A M A « .
Tanzanie Dar es Salaam Bookshop, P. O . Box 9030, D A R ES S A L A A M .
Tchécoslovaquie S N T L , Spalena 51, P R A H A 1 {Exposition permanente), yjhranlmi lite-
ratura, 11 Soukenicka, P R A H A 1. Pour la Slovaquie seulement : Naklada-
telstvo Alfa, Hurbanovo nam. 6, B R A T I S L A V A .
ThaD ande Suksapan Panit, Mansion 9, Rajdamnern Avenue, B A N G K O K .
Togo Librairie évangélique, B . P . 378, L O M É . Librairie du Bon Pasteur, B . P .
1164, L O M É . Librairie moderne, B . P . 777, L O M E .
Tunisie Société tunisienne de diffusion, 5, avenue de Carthage, TUNIS.
Turquie Librairie Hachette, 469 Istiklal Caddeti, Beyoglu, ISTANBUL.
URSS Mezhdunarodnaja Kniga, M O S K V A G-200.
Uruguay Editorial Losada Uruguaya, S. A . / Librería Losada, Maldonado 1092 /
Colonia 1340, M O N T E V I D E O .
Venezuela Librarla Historia, Monjas a Padre Sierra, Edificio Oeste 2 , n.° 6 (frente
al Capitolio), apartado de correo« 7320-101, C A R A C A S .
République du Viêt-nam Librairie-papeterie Xuân-Thu, 185-193, rue T u - D o , B . P . 283, S A I G O N .
Yougoslavie Jugoslovenska Knjiga, Terazije 27, B E O O R A D . Drzavna Zaluzba Slovenije
Mestni Trg. 26, L J U B L J A N A .
République du Zaïre La Librairie, Institut politique congolais, B . P . 2307, K I N S H A S A . C o m m i s -
sion nationale de la République d u Zaïre pour l'Unesco, Ministère de
l'éducation nationale, K I N S H A S A .

BONS DE LIVRES D E L'UNESCO


Utilisez les bons de livres de l'Unesco pour acheter des ouvrages et des
périodiques de caractère éducatif, scientifique o u culturel. Pour tout
renseignement complémentaire, veuillez vous adresser au Service des bons
de l'Unesco, place de Fontenoy, 75 Paris-7*.

Prix et conditions d'abonnement [A\

Prix du numéro : 8 F ; $2; 60 p


Abonnement annuel 28 F ; $7; £2.10

Adresser les demandes d'abonnement aux agents généraux de l'Unesco (voir liste), qui
vous indiqueront les tarifs en monnaie locale. Toute notification de changement d'adresse
doit être accompagnée de la dernière bande d'expédition.

Vous aimerez peut-être aussi