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VOYAGE LES 50 ANS DU GUIDE

DU ROUTARD ÉDITION
Jeudi 16 février 2023

Livres
Crédit : Jean-Luc Bertini pour Lire Magazine littéraire

ENTRETIEN AVEC MÉLISSA DA COSTA

“ IL Y A BEAUCOUP DE DURETÉ
DANS MES ROMANS ”
2| Grand entretien jeudi 16 février 2023

JEAN-LUC BERTINI POUR LIRE MAGAZINE LITTÉRAIRE


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Mélissa Da Costa : « J’en ai
marre de la littérature
un peu édulcorée »
Son premier livre était en huitième position de l’émission de télévision « Le livre pré-
féré des Français ». Avec « Les Femmes du bout du monde », son sixième roman,
Mélissa Da Costa nous emmène en Nouvelle-Zélande. Nous l’avons rencontrée.

Les virées en camping-car se révèlent par- sud – dans les Catlins -, où l’on croise des bleu du ciel, qui racontait une virée
fois de merveilleuses odyssées, qui dauphins et des otaries qu’il ne vaut mieux particulière en camping-car. Or, vous
dépassent les désirs des voyageurs. pas taquiner. C’est là-bas que va un jour avez vous-même écumé les routes
Mélissa Da Costa ne dira certainement débarquer une Française, Flore, qui a dans un tel véhicule en Nouvelle-Zé-
pas le contraire. L’incroyable destin de son choisi de plaquer son existence (trop ? ou lande, pendant près d’un an… Cette
premier roman, Tout le bleu du ciel, en est pas assez ?) bien rangée dans le Paris expérience a-t-elle été à l’origine du
la plus belle illustration. bourgeois. Trop de pression sociale, mari- livre ?
Mis à disposition sur une plateforme, ce tale, familiale ? Oh, non, j’avais terminé Tout le bleu du ciel
roman fut rapidement repéré par un édi- La voilà qui va se retrouver à travailler au moment de partir ! Enfin, pour être pré-
teur, qui le publia en 2019 avec un certain dans un camping local, tenu par la taiseu- cise, j’ai tout bouclé les dix premiers jours
succès. C’était sans compter sur une réé- se Autumn et sa fille Milly – deux femmes en Nouvelle-Zélande. Ce roman, je l’avais
dition poche aux airs de razzia et d’un bou- du cru, un peu revêches, à l’image du cli- commencé à 17 ans. Il faisait partie des
che-à-oreille inouï, qui vaudra à cet ouvra- mat. Mais la réalité de ces solitaires ne tar- nombreux livres que j’avais abandonnés –
ge d’être classé, en décembre dernier, à la dera pas à évoluer et, peut-être, trouver de juste une cinquantaine de pages, une clé
huitième position du classement de l’émis- nouvelles voies, – et peut-être l’amour, USB qui a traversé le temps, un hasard.
sion TV « Le Livre préféré des Français ». d’une manière ou d’une autre. Dix ans plus tard, je me suis souvenue de
Voilà : les lecteurs ont adoré les tribula- Outre la découverte de cet endroit pro- ce début que j’avais d’ailleurs repris à
tions – en camping-car, donc – d’un jeune che du Pôle sud et de sa culture (sous 20 ans, en Erasmus en Espagne. Lorsque
homme atteint d’Alzheimer et de son influence maorie), les admirateurs de je suis retombée sur ces pages, c’était la
étrange comparse de route, avec son cha- Mélissa Da Costa apprécieront certaine- catastrophe : c’était puéril, mal écrit, et j’ai
peau noir. Il faut dire que la romancière de ment ces Femmes du bout du monde tout repris à zéro. Cela donnera Tout le
32 ans connaît bien la loi de l’asphalte et pour la richesse des protagonistes et leur bleu du ciel, avec des personnages désor-
des voies terreuses, elle qui a écumé les façon de s’emparer de leur vie. Entretien mais trentenaires…
sentiers de Nouvelle-Zélande – un lieu qui avec l’autrice à succès, dans son pavillon
a inspiré son sixième roman, très attendu, des Yvelines. Pourquoi la Nouvelle-Zélande ? Une
Les Femmes du bout du monde. fascination pour l’équipe des All
Elle nous plonge en effet dans l’île du On vous a découverte avec Tout le Blacks ?
jeudi 16 février 2023 Grand entretien |3

Non (rires). Mon conjoint et moi avions re autour de personnages de femmes, par- Dans Les Femmes du bout du monde,
envie de faire une coupure dans nos vies ce que quand on pense nature, travail phy- on ne peut pas dire que la maternité
professionnelles et privées. Nous trouver sique, isolement, bout du monde, on pen- soit montrée sous les meilleurs auspi-
hors système, hors société, dans un autre se généralement à des « hommes ». Je ces. Pourquoi ?
temps. Et puis il y avait aussi, tout simple- voulais avant tout des femmes dans ce En fait, j’en ai marre de la littérature un peu
ment, une histoire de visa : la Nouvelle-Zé- décor. édulcorée, très facile, où la maternité est
lande permettait d’obtenir un visa vacan- merveilleuse. Nous serions presque nées
ces-travail donc on pouvait à la fois tra- Intéressons-nous un instant à Flore. en tant que femmes pour devenir mères,
vailler et voyager. La culture maorie nous Cette Française BCBG pourrait avoir on se réaliserait presque en devenant
fascinait, aussi. Dès lors, la Nouvelle-Zé- tout pour être heureuse, mais c’est mères. Or, on voit bien à travers le par-
lande nous a semblé le pays tout indiqué sans compter sur de nombreuses cours de Flore qu’en réalité, ça peut au
quand on veut passer un an sur les routes, aspérités… contraire nous détruire. Et puis au travers
dans un véhicule, ou en toile de tente, à tra- Les livres qui me marquent le plus sont du personnage de la mère de Paul, on
vers des grands espaces absolument toujours un peu des livres avec des per- comprend que la maternité peut être
magnifiques et variés. Nous avons aussi sonnages de ce type. Mes « héroïnes » – étouffante, toxique, car elle écrase son fils !
profité de tous ces mois pour découvrir les ou « anti-héroïnes » – doivent être absolu- Finalement Autumn est presque la
Îles Samoa, la Thaïlande, l’Indonésie avec ment belles et moches à la fois. C’est ce meilleure mère de ce roman, même si elle
un saut à Sydney… qui fait que les personnages sont vrais et n’arrive pas à montrer sa tendresse, se
nous touchent vraiment. Le couple que réfugiant dans une forme d’autorité. Mais
Flore forme avec Paul qui aurait pu conve- on sent que ce n’est pas du tout inné. Au fil
« Je voulais avant tout des femmes nir à d’autres jeunes filles, très classique du roman, elle apprend à être une autre
dans ce décor » d’un autre point de vue… L’emprise de cet- mère, qui laisse partir, s’épanouir sa fille.
te belle-mère, de la famille de Paul en
général, qui gravite dans un milieu social
La Nouvelle-Zélande sert donc aujour- privilégié, mais avec des codes très stricts « Il y a beaucoup de dureté
d’hui de décor aux Femmes du bout du et précis. Flore, qui ne vient pas de ce dans mes romans »
monde. Est-ce le territoire qui vous a monde, ne s’y retrouve pas. Il y a aussi la
inspiré l’histoire ? Ou s’agit-il des per- question de l’adultère, j’en passe. De toute
sonnages ? manière, je n’aime pas que les choses Très souvent, vos livres reposent sur
Quand je suis revenue en France, tout le soient « noires » ou « blanches ». Je n’aime des personnages qui cherchent une
monde m’a dit « Ah ça va t’inspirer, tu vas pas le schéma avec, d’un côté, les « gen- nouvelle voie, vous valant d’être par-
écrire un livre sur la Nouvelle-Zélande ». tils » et, de l’autre, les « méchants » ! fois rangée au rayon dit « feel good ».
Mais je n’étais pas du tout dans cet esprit, Cette étiquette vous convient-elle ou
même si deux lieux me sont particulière- Flore est très différente des deux vous gêne-t-elle ?
ment restés en tête : les Catlins et la autres personnages principaux du Tout dépend de ce qu’on entend par « feel
fameuse baie de Curio, avec cette plage livre, Autumn et Milly. Comment avez- good » ! Si vous parlez des bouquins qui
aux dauphins. Là, j’avais vraiment l’impres- vous imaginé leur « complémentari- vont nous filer une envie de vivre quand on
sion d’être au bout du monde ! té » ? les a refermés, nous donner foi en nous-
Au commencement d’une histoire, j’ai Alors autant je voyais dès le départ le per- mêmes, ça me va. Mais si vous sous-en-
toujours à la fois un lieu, une intrigue et sonnage de Flore, autant Autumn et Milly tendez des histoires un peu simplettes où
des personnages. C’est comme ça que se je les ai découvertes au fur et à mesure. En on fait abstraction des dures réalités de la
produit l’étincelle. Je savais que si j’écri- même temps que le lecteur, d’une certai- vie, je suis moins d’accord. Il y a beaucoup
vais sur la Nouvelle-Zélande, j’aurais des ne façon. À la base, je les ai plantées sans de dureté dans mes romans. Ils font écho
personnages un petit peu rustres, isolés, trop de relief ; la fille et la mère étrange- à des drames personnels que vivent des
solitaires. Il me fallait une intrigue qui colle ment semblables, identiques presque. Tai- gens, et donnent des clés pour s’en sortir
à ces personnages qui vivent au milieu de seuses, distantes aussi. J’ai même souhai- – alors, « feel good », pourquoi pas. Mais je
nulle part, en autarcie. Et puis j’avais aussi té qu’on puisse les confondre ! Ce sont ne pense relever ni du développement
en tête l’histoire de Flore, cet acharnement des femmes qui vivent au bout du monde, personnel, ni de la comédie.
à la maternité qui finit par briser une fem- qui travaillent dur, qui ne s’apitoient pas,
me, par briser un couple, et donner une qui ne parlent pas, et voilà. Petit à petit, j’ai Baptiste LIGER
envie d’exil. Ce désir de départ pouvait appris à les connaître, comprendre leur pour Lire Magazine littéraire.
être couplé avec mes protagonistes un fonctionnement, mais en même temps
peu sauvages, au milieu de cette nature que Flore. Et celle-ci va faire changer leur Les Femmes du bout du monde de Mélis-
assez violente. Aussi, je voulais une histoi- relation. sa Da Costa, 384 p., Albin Michel, 21,90 €.

Les Catlins, en Nouvelle-Zélande, sert de cadre aux « Femmes du bout du monde ». | CRÉDIT PHOTO : CHRISTIAN MEHLFÜHRER/WIKIPEDIA
4| Voyages jeudi 16 février 2023

Que lisait-on dans le


premier « Guide du
Routard » ?
Le premier « Guide du Routard » est sorti en 1973. Qu’y lisait-on ?
Comment le livre a-t-il été conçu ? Philippe Gloaguen, cofondateur
et directeur des « Guides du Routard », plonge dans ses souvenirs.
Le ruban de bitume s’étire entre des montagnes aux pentes en escalier, Gloaguen, dont les guides sont, depuis, publiés par Hachette.
tout droit en direction du ciel qui rougeoie. Ce dessin aux traits doux est
tout en allégorie : une route qui file dans un paysage typique de l’Ouest « 25 000 lettres et e-mails par an »
américain, suscitant immédiatement des envies d’évasion et de grands Évoquer ce premier Guide du Routard, c’est aussi observer les mutations
espaces… Voici à quoi ressemblait la couverture du premier Guide du Rou- qui ont bouleversé le monde du voyage, en un demi-siècle. En 1973, la
tard, sorti il y a cinquante ans, en 1973. « C’était un projet d’étudiant, « moitié du bouquin » est consacrée à la route des Indes, « de Paris au
c’était quand même très amateur », prévient d’emblée Philippe Gloa- Népal ». Le voyage, aujourd’hui, relève de la fiction. Difficile d’imaginer tra-
guen, coauteur du premier guide, cofondateur et aujourd’hui encore direc- verser l’Iran, l’Afghanistan ou le Pakistan par voie terrestre. Des éditions
teur des Guides du Routard. Pourtant, l’ouvrage a ouvert la voie à cette ont d’ailleurs été arrêtées pour des raisons de sécurité, celles consacrées
mythique collection de guides de voyage, qui se sont vendus à 55 millions au Niger ou à la Mauritanie, par exemple.
d’exemplaires. Un autre élément qui frappe, c’est qu’à l’époque, les voyages proposés
par le Routard s’inscrivent sur du temps long. Aujourd’hui, « en moyenne,
« Petit pigiste inconnu » un lecteur qui part en voyage avec le Guide du Routard part pour douze
Le livre est très différent des guides de voyage que l’on trouve jours ». Philippe Gloaguen constate également une « petite
aujourd’hui. Dans ce premier ouvrage, il est question de prolongation » des séjours courts en raison de la prise
« 21 ou 22 pays » en 320 pages, dont « trois » consa- de conscience de l’impératif écologique avec, par
crées à New York. C’est peu. La plus récente édi- exemple, des voyages de cinq ou six jours plutôt
tion du guide consacré à la seule ville qui ne qu’un (long) week-end.
dort jamais en compte 440… Ces tendances ressortent des nombreux
Au départ, il y a un reportage pour le échanges entre les concepteurs des gui-
magazine Actuel, pour lequel Philippe des et leurs lecteurs : « On reçoit
Gloaguen réalisait des piges quand il 25 000 lettres et e-mails par an »,
était étudiant. En 1972, le journal assure encore Philippe Gloaguen.
l’envoie sur ce que l’on appelle alors Soit plus de 68 par jour.
« la route des Indes ». Départ porte
de Charenton à Paris, arrivée au Sri « Le gamin de 20 ans en
Lanka. Entre les deux : de l’auto- 1973 est plus âgé… »
stop jusqu’à Istanbul, une traversée Les guides eux-mêmes ont bien
de la Turquie en train, de l’Iran en évolué, aussi. Si la première édition
bus, de l’Afghanistan encore en était clairement orientée « voyage
auto-stop et en bus, du Pakistan à sac au dos », on trouve aujourd’hui
nouveau en train. Ensuite, c’est l’Inde dans ces livres des hôtels ou restau-
et le Népal, puis le Sri Lanka. Retour rants plutôt cossus. « Le Routard fête
de Bombay (Mumbai, aujourd’hui) en ses 50 ans. Le gamin qui avait 20 ans
avion. Un voyage de deux mois et demi. en 1973 est plus âgé, il a plus de
Le reportage s’étale sur six pages. Jean- moyens financiers, et au lieu de faire de
François Bizot, le patron d’Actuel, revient l’auto-stop il va louer une voiture, au lieu
alors vers celui qui est alors un « petit pigiste d’aller en auberge de jeunesse il va partir
de 18-20 ans inconnu ». Il a reçu « beaucoup, avec sa copine dans un hôtel de charme, donc
beaucoup de courriers de lecteurs, de demandes les adresses plus chics, c’est l’adaptation de la
de renseignements, c’est un papier qui a été très lu ». rédaction du Routard à l’évolution normale et financière
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de nos lecteurs », dit encore Philippe Gloaguen. Même s’il y
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19 refus de maisons d’édition a toujours aussi, dans les guides, des conseils pour « le gamin de
Naît alors l’idée de réaliser un guide de voyage. Philippe Gloaguen et 18-20 ans qui part pour la première fois avec son copain ou sa copine,
Michel Duval – « que j’ai connu en prépa », confie le premier – s’attellent à plutôt fauché ».
la rédaction du livre. Jean-François Bizot leur présente des éditeurs. Refus Il reste toujours, des premiers guides, des anecdotes plutôt savoureu-
sur refus. En tout, 19 maisons d’édition déclineront la proposition. Mais ses. Exemple avec ce « plan très drôle, qui a marché pendant des années
« un tout petit éditeur qui s’appelait Gedalge » l’accepte. et des années » et qu’on lisait dans les premiers Routard, poursuit le
La maison fera faillite à la suite du décès de son patron « l’année suivan- cofondateur : « Pour faire de l’auto-stop, la meilleure des solutions,
te ». Seulement voilà : « En 1975, j’ai quatre propositions des plus grands c’était de se déguiser en footballeur. Le type qui a loupé son bus, il a le
éditeurs français », rappelle Philippe Gloaguen. Entre-temps sont appa- ballon, il est en tenue, et alors là tout le monde s’arrête pour lui donner
rus les vols charters, qui permettent de voler pour moins cher, et donc de un coup de main et le conduire au stade. Le type traversait des pays
démocratiser le voyage. En particulier pour les jeunes. Avant, c’était plus avec son ballon de foot, son short et son maillot. »
compliqué. « Dans les années 1960, partir aux États-Unis en avion, ça
coûtait le prix d’une voiture neuve – d’une petite voiture mais d’une voi- Nicolas HASSON-FAURÉ
ture neuve – et donc c’était réservé à une élite », souligne encore Philippe pour Ouest-France.
jeudi 16 février 2023 Publicité |5

LE NOUVEAU ROMAN DE

MARC LEVY
© David Ken

« Doux et lumineux. »
Sandrine Bajos, Le Parisien

« Une belle histoire d’amour. »


Cécile Ribault Caillol, France Info

« Un très joli roman qui fait du bien. »


Anne Fulda, L’Heure des livres

« Vous allez adorer Jeremy et Adèle. »


Patrick Simonin, TV5 Monde

RO B ERT L AF F O N T I VERS ILI O


6| Édition jeudi 16 février 2023

« Le bon polar attend la


dernière page pour
dévoiler le coupable »
Les éditions Ouest-France lancent la 4e édition du prix Empreintes.
Les manuscrits sont attendus jusqu’en septembre 2023. Le meilleur polar
situé dans le grand Ouest sera récompensé par une publication.

Vincent Lorant est directeur des éditions Ouest-France. Hervé Chirault est sées ?
responsable éditorial et responsable de la collection Empreintes. Ils témoi- VL : Pour cibles de Georges Le Querrec a remporté le premier prix en
gnent du succès du prix lancé en 2020, et annoncent une quatrième édi- 2021. Ce roman est très bien écrit, le rythme est bon et la chute est surpre-
tion repensée. nante. On y découvre l’univers agricole et rural, c’est très réaliste. Tout y
est !
Dans quel contexte avez-vous créé le prix Empreintes ? HC : Le premier prix de l’édition 2022 a été remis aux Sanglots longs de
Vincent Lorant : Nous avons créé ce prix en 2020 au moment du confine- Philippe C. Bouin. L’intrigue se passe aujourd’hui mais prend racine au
ment pour permettre aux lecteurs d’Ouest-France de se lancer. Les gens moment du débarquement et de la fin de la guerre. On suit trois histoires
ont eu plus de temps pour écrire pendant cette période et nous avons reçu parallèles qui se rejoignent. Ce style de narration est très à la mode, et
énormément de manuscrits. l’auteur a parfaitement réussi l’exercice. Son récit pousse à la réflexion per-
Hervé Chirault : Notre collection compte près de trente titres, et nous sonnelle : « Qu’aurais-je fait dans ces conditions ? Quelles sont les réper-
avons désormais une légitimité auprès des libraires. cussions de nos actes, soixante-dix ans plus tard ? »

Pour cette nouvelle édition, vous avez choisi d’adopter un Pourriez-vous conseiller trois polars à lire pour apprendre les
rythme différent… codes du genre ?
VL : Il n’y aura pas de délibération en 2023 : la remise des HC : Le style d’Agatha Christie est très classique, mais il y
prix aura lieu en septembre 2024. Lors des précédentes a vraiment tout dedans. C’est une référence. Pour le
éditions, nous avons reçu beaucoup de projets inté- côté moderne et les ambiances, je conseille Franck
ressants qui n’étaient pas publiables en l’état, malgré Thilliez, qui maîtrise parfaitement les rebondisse-
le potentiel. Désormais, nous souhaitons prendre ments. Je suis toujours surpris des directions qu’il
plus de temps pour affiner les projets. emprunte. Michel Bussi apporte pour sa part une
HC : Nous pourrons accompagner certains bons fantaisie que j’apprécie. C’est important de garder à
auteurs en les aidant à réécrire lorsqu’ils ont des fai- l’esprit qu’on ne s’improvise pas auteur de polars
blesses de débutant. Les débuts de polars ne sont sans références. Il faut être un gros lecteur et engran-
pas toujours réussis et les fins méritent souvent d’être ger des informations avant d’être en mesure de cons-
retravaillées. Ils auront également plus de temps pour truire une bonne histoire.
mettre au point leurs manuscrits avant de nous les sou-
mettre. Pourquoi encouragez-vous des écrivains amateurs à se
PHOTO : DR présenter au prix Empreintes ?
Quels sont les ingrédients d’un bon polar ? VL : Nous voulons encourager les auteurs à écrire et à transmettre leurs
VL : Le bon équilibre entre l’intrigue et son environnement est primordial. manuscrits. Certains de nos auteurs se sont lancés grâce à l’esprit du prix.
Les polars de notre collection se passent dans l’Ouest, nous sommes sen- Ce concours est un tremplin.
sibles à la valorisation du territoire. Le rythme est également essentiel : il HC : Nos auteurs suivent parfois des très belles trajectoires. Je pense à
faut maintenir la tension page après page, sans aller trop vite. Et enfin il faut Benoit Bernier, infirmier en psychiatrie, qui a gagné le prix en 2020 avec Le
surprendre. Soit en emmenant le lecteur sur une fausse piste, soit en fai- Sacrifice des oubliés dont l’intrigue se déroule à Nantes. Nous avons
sant arriver dans le bon tempo un élément extérieur à l’histoire, inattendu, publié sa deuxième histoire avec les mêmes personnages, Que la peur te
qui redonne de l’intérêt au récit. Cela peut être un personnage ou un évé- sublime (2022), et il est en train d’écrire le troisième opus. Cet auteur don-
nement inattendu. ne du rythme à ses romans. J’aime bien le choix de son vocabulaire, le
HC : Le bon polar, c’est celui qui attend quasiment la dernière page pour choix des termes qu’il sait toujours bien employer, avec beaucoup de jeux
dévoiler le coupable. J’ai envie de me faire avoir par l’auteur, j’aime les de mots. On est dans quelque chose d’immédiat, de spontané, il nous
retournements. Et il ne faut pas que le style soit vulgaire. Certains considè- embarque vraiment. Son écriture est très vivante, comme une respiration.
rent le polar comme un genre dans lequel on peut tout dire, tout écrire. Et c’est un succès : il a même été approché par une maison de production
Mais le talent, c’est aussi de transcender la vulgarité. pour adapter le polar à la télévision !
Aude GIGER
Quelles étaient les qualités de vos coups de cœur des éditions pas- pour Ouest-France.

Comment participer au prix Empreintes ?


Le texte du polar doit être compris pas été proposés à d’autres édi- selon une grille d’évaluation. Les aura lieu en janvier 2024, elle per-
entre 400 000 et 450 000 signes. teurs. auteurs retenus seront accompa- mettra de désigner le gagnant, qui
Au moins une partie de l’intrigue Les manuscrits peuvent être gnés lors d’une étape de réécriture sera publié après un deuxième tra-
doit se dérouler dans le grand envoyés jusqu’en septembre 2023. avec Hervé Chirault, responsable vail de réécriture entre mi-janvier et
Ouest (Bretagne, Normandie, Pays Une première présélection aura lieu éditorial et responsable de la collec- mi-février. Si un ou deux autres
de la Loire). La préférence sera avec un jury en octobre 2023 et tion. romans ont les qualités requises, ils
donnée aux manuscrits qui n’ont choisira une dizaine de romans La deuxième étape de sélection pourront également être publiés.
jeudi 16 février 2023 Écrivains |7

La journée idéale selon


Marcel Proust
Dès 1908, Proust vit en quasi-reclus dans son appartement, répétant à
l’infini les mêmes rites aux mêmes horaires. Voici à quoi ressemblait une
journée de travail de l’écrivain, au début de la guerre de 14.

Réveil, 16 h Céleste fait frire une sole achetée à la poissonnerie du Félix Potin de la pla-
ce Saint-Augustin et la lui apporte dans un grand plat en porcelaine sur
Oppressé par son asthme, Proust s’empare d’un petit carré de papier une serviette damassée. Proust la picore.
blanc – pas question d’utiliser une allumette qui dégagerait une odeur de
soufre ! –, l’allume à la bougie disposée à cet effet dans le couloir jouxtant Écriture, 20 h
sa chambre, verse deux ou trois pincées de poudre gris noir Legras dans Proust reprend son cahier. Il veut compléter un passage sur les jeunes
une soucoupe et l’enflamme. Les fumigations commencent. Pendant de filles de la digue de Cabourg, mais la page de son cahier est déjà pleine. Il
longues minutes, il penche son visage pâle vers la fumée, qui envahit pro- écrit sur une feuille volante et la colle dans son cahier. Un « becquet » de
gressivement la chambre. plus !

Petit-déjeuner, 16 h 30 Visite de Reynaldo Hahn, 21 h


Proust appuie sur la petite sonnette à côté de son lit. Sa fidèle domestique Compositeur – certaines de ses partitions figurent dans Les Plaisirs et les
Céleste lui apporte, sur un grand plateau d’argent, une cafetière de café Jours – et ami intime de Proust, Reynaldo Hahn est le seul visiteur qui n’a
Corcellet, un bol, du lait livré le matin même par une crémerie du quartier, pas besoin de s’annoncer. Il connaît le chemin de la chambre. Il s’installe
un croissant et le sucrier. Il la remercie d’un petit geste de la main et prend dans le fauteuil et les deux hommes évoquent leur amie commune Marie
son petit déjeuner dans son lit. Puis, toujours sans prononcer le moindre Nordlinger, leurs souvenirs de Venise ou les dernières rumeurs du fau-
mot, il lui tend un petit papier sur lequel est écrit : « Pouvez-vous bourg Saint-Germain. Reynaldo file aussi vite qu’il est arrivé.
allumer le feu ? » Céleste dépose quelques bûches dans la
grande cheminée et les flammes chassent progressive- Écriture, 21 h 30
ment les effluves des fumigations (il n’est pas ques- Proust sur le métier remet son ouvrage.
tion d’ouvrir les fenêtres).
Dîner au Ritz, 23 h
Journaux et courriers, 17 h François, coiffeur du boulevard Malesherbes,
Céleste tend à Proust un petit plateau en est convoqué pour venir tailler la barbe de
argent avec le courrier du jour. Par crainte Proust. Celui-ci se prépare ensuite dans son
des microbes, il enfile des gants et passe cabinet de toilette, enfile une veste, récupère
chaque lettre dans une machine spéciale ses gants et mouchoirs sur la commode de
qui diffuse du formol. Puis il examine les l’entrée, passe sa pelisse, prend son cha-
enveloppes, tentant de deviner leurs peau et sa canne. Son chauffeur l’attend au
auteurs, et les ouvre. Il prononce alors ses pied de l’ascenseur. « Au Ritz, s’il vous
premiers mots de la journée : « Ah, Célest- plaît ! » Arrivé à l’hôtel de la place Vendôme,
e ! Comme Robert de Montesquiou est le maître d’hôtel Olivier Dabescat l’accueille.
perfide ! » Ou : « Tiens, je vais inviter la com- Parmi ses invités, la princesse Soutzo, Paul
tesse de Noailles avec Reynaldo… » Proust Morand et Mme de Polignac. Au café, il leur lit
jette d’abord un coup d’œil au Figaro, ne le portrait de Norpois.
ratant jamais le dessin de Forain, puis au Jour-
nal des débats et à L’Action française. Parfois, il Monologue nocturne, 2 h
commente : « Ce Léon Daudet a vraiment un De retour boulevard Haussmann, une fois débarr-
talent fou, mais comme il est excessif ! » assé de sa tenue, Proust fait, dans le petit salon, le
récit de sa soirée à Céleste. En mimant, en ironisant à
Les ragots de le Cuziat, 17 h 30 voix haute, il cherche en fait à « roder » et à mémoriser certai-
Albert Le Cuziat, qui tient une maison de passe rue de l’Arca- O W
PHOTO : TTO
nes scènes à venir de La Recherche. « Vous savez, le duc de
AGNER, DOMAINE PUBLIC

de – Proust lui a même offert quelques meubles de famille pour décorer Gramont, avec l’argent de sa seconde épouse – une Rothschild naturel-
son établissement… – est introduit. En quelques minutes, en échange d’un lement ! –, s’est laissé construire un énorme château à Mortefontai-
billet, il livre quelques ragots, qui serviront de matériaux au Temps retrou- ne… » Ou encore, faussement offusqué : « Devinez ce que Cocteau a fait
vé. en me voyant arriver ? Il s’est mis à courir sur les tables en criant : “C’est
Marcel ! C’est Marcel !” Il y a longtemps que je ne m’étais senti aussi
Écriture, 18 h gêné… »
Après avoir glissé deux bouillottes sous ses draps et improvisé un oreiller
avec un amas de tricots, il s’empare d’un épais cahier relié de toile, rangé Écriture, 4 h
dans sa table de nuit, d’un porte-plume Sergent-Major et continue À Bien installé dans son lit, Proust reprend le cahier n° 13, complète un pas-
l’ombre des jeunes filles en fleurs. Il écrit vite, sur ses genoux, sans la moin- sage sur Albertine, se lance dans une description de la jetée de Cabourg,
dre écritoire, plus allongé qu’assis. De temps en temps, il hèle Céleste : biffe, corrige, va chercher un cahier de moleskine sur la commode, ajoute
« Pouvez-vous me donner le cahier n° 20, s’il vous plaît ? », faisant allu- un becquet. Cette nuit, La Recherche s’est encore étoffée de trois pages.
sion aux trente-deux cahiers de moleskine noire, matrice de La Recher-
che, qui sont empilés sur la commode de la chambre. Ou : « Apportez-moi Coucher, 8 h
le bottin du Gotha, il faut que je vérifie une ascendance… » Proust se couche (de bonne heure).
Jérôme DUPUIS
En-cas, 19 h 30 pour Lire Magazine littéraire.
8| jeudi 16 février 2023

De nouveaux horizons
à découvrir en toute saison !

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à partir du 30/11/2022
jeudi 16 février 2023 Critiques |9

Florence Aubenas,
« une vie de valises,
faites et défaites »
Un beau recueil d’articles de Florence Aubenas nous permet de saisir toute
la singularité et l’acuité de cette journaliste. Qui sait mieux que quiconque
croquer les maux de la société.

« Mais comment fait-elle ? Elle est hallucinante ! » de ferry. Énorme succès. Écrire toujours « ni comme
Quelques jours après sa libération, Florence Aubenas sociologue ni comme économiste, mais à hauteur
s’exprimait devant la presse. Avec pudeur, distance et d’hommes ». Pour cette enquête, elle reçoit le prix
humour, la journaliste enlevée à Bagdad en janvier 2005 Joseph-Kessel. La journaliste travaille aussi sur un
et enfermée dans une cave pendant cinq mois racon- meurtre non élucidé – et du mystère autour d’un feu fol-
tait. Ceux qui étaient devant leur écran de télévision ce let du cinéma, Gérald Thomassin –, avec le même suc-
jour-là se souviennent de leur étonnement devant cette cès, dans L’Inconnu de la poste (2018).
femme qui semblait, comme un ultime bras d’honneur à Dans ce recueil de reportages parus dans Le Monde,
ses geôliers, aller… bien ! Même pas mal ! par petites touches, elle dessine l’époque : la démission
On ne saura jamais vraiment si mal il y a toujours ou face à la politique, les jeunes de banlieue qui vont en
pas. Dans la préface de son nouveau livre, Ici et ailleurs Thaïlande où la vie est plus douce pour eux, la France
– un recueil de ses reportages pour Le Monde de 2015 des Super U quand les existences sont rythmées par
à 2022 –, elle écrit : « Régulièrement, une question l’enseigne. Elle suit avec passion le combat et la mort
m’est posée : suis-je devenue différente d’un agriculteur comme les difficultés dans les
depuis la prise d’otages qui m’a valu Ehpad ou le quotidien d’une ville ukrainien-
157 jours de captivité en Irak ? Y a-t-il ne bombardée. Florence Aubenas sait
eu un avant/après ? Je n’en suis pas donner corps à ses personnages.
sûre, je dois être un mauvais exem- On lui reproche parfois son côté
ple. Mes ravisseurs me le répé- dame patronnesse du journalisme,
taient d’ailleurs : vous êtes un ota- des reportages trop en empathie
ge nul. Zéro. Je me suis habituée avec les gilets fluo. Une voix qui rit
à voir la déception chez mes trop fort, une assurance qui doit
interlocuteurs quand je leur fais cacher une faille. Mais elle réussit
cette réponse. Je n’ose pas pour- des textes dont l’alliage serait du
suivre, du coup. » Nicolas Mathieu mâtiné de Ken
Elle a peut-être été « un otage Loach. Ce n’est pas pour rien que
nul » (du 5 janvier 2005 au 12 juin Le Quai de Ouistreham a été adapté
2005) mais une aide indéfectible pour au cinéma par Emmanuel Carrère.
les autres, notamment comme marraine Dans une fiction…
de nombreux comités de soutien. Au sein Ses reportages sont ainsi comme des car-
de celui de Stéphane Taponier et Hervé aqu P
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tes postales, voire des courts-métrages.
Ghesquière enlevés en Afghanistan pendant près d’un Les années 2015-2016 traitent de la peur, des attentats,
an et demi en 2010, on se souvient encore de son éner- les deux années suivantes sont plus politiques. Elle
gie et de sa présence. Là pour être certaine qu’on ne les dresse le portrait d’une France divisée comme la route
oublie pas. Là pour défendre la liberté de la presse. Elle principale de Rocamadour « un côté au soleil l’autre à
l’a chevillée au corps, cette liberté, et le métier… dans le l’ombre ». L’année 2022 est entièrement ukrainienne. À
sang. l’heure de la « Tiktokisation » de l’actualité et de la fatigue
Née en 1961 en Belgique, après des études de journa- informationnelle, lire Florence Aubenas rappelle que le
lisme, elle devient grand reporter à Libération, puis au journalisme est un métier… et que partir loin n’est pas
Nouvel Observateur et signe aujourd’hui dans le journal nécessaire pour bien le faire.
Le Monde. Une vie de valises faites et défaites :
« J’enchaînais les départs. Partir, revenir, partir, sur- Aurélie MARCIREAU
tout ne jamais reprendre son souffle. Dans cette pour Lire Magazine littéraire.
chambre d’hôtel, j’étais sûre de me trouver à l’endroit
où devait être un journaliste à ce moment-là. J’étais
bien là, présente, avec tous mes outils. », écrit-elle tou-
jours dans la préface d’Ici et ailleurs. Ses reportages sur
le Rwanda ont marqué les esprits tout comme ceux sur
le procès d’Outreau ou les Gilets jaunes. C’est la mar-
que des bons journalistes : couvrir des barbecues sur
des ronds-points avec la même intensité que des guer- Florence Aubenas
res au bout du monde. Ici et ailleurs
L’actualité est partout où sont les hommes et son job 368 pages, Éditions
est de la décrire. Avec Le Quai de Ouistreham (2010) L’Olivier, 21, 50 €.
dans les pas d’un Orwell et son Quai de Wigan, elle vit, | DR

pendant plusieurs mois, la vie d’une femme de ménage


10 | Critiques jeudi 16 février 2023

Menie Grégoire et Sainte-Thérèse


de Lisieux, deux « passeuses »
mises à l’honneur en librairies
Au-delà de leur vie personnelle, certaines grands-mères
officient comme de véritables passeuses de la parole Patrick Autréaux
d’autrui, du destin des autres. On y songera à la lecture de La Sainte de la
deux ouvrages remarqués de ce début d’année. Les fidèles famille
de RTL connaissent forcément le nom de Menie Grégoire Verdier, 160 pages,
qui, de la fin des années 1960 au début des années 1980, 18 €.
laissa la parole aux auditrices. C’est à cette aïeule que la | DR
journaliste et romancière Adèle Bréau (connue entre autres
pour La Cour des Grandes et Frangines) rend un hommage
romanesque, avec L’Heure des femmes (éditions JC Lat-
tès). Mais, grâce à divers personnages, elle montre ici plus
largement l’évolution des mœurs et de la condition fémini-
ne dans cette période de bouleversements sociétaux.
Ce sont des ondes plus mystiques qu’explore Patrick
Autréaux dans La Sainte de la famille. L’auteur se remémo-
re la mort de sa mémé, alors qu’il n’était qu’un bambin. Ce
décès amènera le futur médecin urgentiste et psychiatre,
encore enfant, à connaître le destin d’une autre femme,
Thérèse de Lisieux. Les écrits de celle-ci auront une influ-
ence directe sur le parcours spirituel de cet athée qui, en
plus de soigner d’innombrables patients, fut très grave-
ment malade. Porté par une écriture magnifique, ce « cons-
tat » (registre littéraire revendiqué par Autréaux) divague Adèle Bréau
ainsi librement sur l’histoire de ses héroïnes, mais aussi sur L’heure des femmes
la mort, les souvenirs, la foi, les images ou la création litté- JC Lattès, 468
raire. « En spiritualité et en écriture parfois, c’est le jeu du pages, 21, 50 €.
qui perd gagne », souligne ainsi le narrateur. « Il n’y a rien à | DR
acquérir, ni mérite ni qualité particulière de l’esprit ou de
la culture. Il faut juste s’égarer aux confins de soi. » Les
confins, encore et toujours…
Baptiste LIGER
pour Lire Magazine littéraire.

Pour tout bagage de Patrick


Pécherot : un roman d’une grande
élégance
Le titre est emprunté à Léo Ferré mais le texte est du pur
Pécherot, une plongée dans le temps. 1974 précisément.
Quand une bande de lycéens révoltés décide de passer à
l’action, s’inspirant des Gari (Groupes d’actions révolution-
naires internationales) qui ont enlevé un banquier espa- Patrick Pécherot
gnol à Paris. Pour tout bagage
Las, leur première opération se termine par la mort d’un La Noire / Gallimard,
innocent qui passait par là. Quarante-cinq ans plus tard, un 170 pages, 16 €.
des militants d’alors reçoit le récit anonyme de ces années- E-book : 11,99 €.
là. Passé le choc, il décide de remonter la piste qui mène à | DR
ses camarades d’hier autant qu’à son passé engagé.
Entre présent désabusé et promenade mélancolique vers
une époque qui n’existe plus, Patrick Pécherot, pilier de la
Série noire, nous livre un texte d’une grande élégance sur
les amitiés défuntes, les regrets pour l’éternité et les idéaux
qu’on abandonne au bord de la route. Sa nostalgie est bel-
le à lire.
Jean-Noël LEVAVASSEUR
pour Ouest-France.
jeudi 16 février 2023 Rencontre | 11

Guy Birenbaum, l’ancien


naufragé du Web, refait
surface
Pionnier du Web, Guy Birenbaum fut accro aux réseaux sociaux avant de
tomber en dépression. Dix ans plus tard, l’ancien chroniqueur radio
hyperactif revient avec un livre de souvenirs écrit dans son refuge normand.

Le matin, quand il est à Trouville, Guy Birenbaum enfile le ciré et les bottes au jeu. Nommé maître de conférences à Montpellier, il entame en même
pour se rendre sur la plage avec son chien, un berger australien de 35 kg, temps une carrière de consultant télé. Une carrière à temps plein.
où il ramasse des débris de porcelaine rejetés par la mer. Les morceaux de Il finira par démissionner de l’Éducation nationale pour mieux déployer
céramique s’empileront dans sa maison de pêcheur où ils seront patiem- sa toile sur le Web et dans les médias. « Une connerie monumentale. On
ment triés et expertisés en famille. ne démissionne pas de la fonction publique. » Facile à dire aujourd’hui.
Guy Birenbaum n’est plus le même homme. On l’avait connu hyperactif, Mais, à l’époque, Guy Birenbaum surfe sur le succès et les éditeurs de site
touche-à-tout et même dézingueur. Pionnier du Web, il était devenu l’un s’arrachent ses services.
des plus fins connaisseurs des réseaux sociaux. Blogueur, chroniqueur Au mitan des années 2000, il cartonne sur les réseaux sociaux et réunit
radio, polémiste, il intervenait à tout bout de champ, donnant son avis sur près de 180 000 followers sur Twitter. « Voilà comment on passe d’une
tout, distribuant « des clics et des claques », titre de son émission sur Euro- thèse de 840 pages à un tweet sur la chanteuse Violetta retweeté
pe 1. 20 000 fois. C’était grotesque. »
Pris dans le tourbillon, il n’a pas vu venir le « scud » qui allait le mettre à ter-
« Un matin, j’ai été incapable de me lever » re : un tweet odieusement antisémite. « Je n’étais pas préparé à ça.
Un jour, il a craqué. Surmenage, burn out. Guy Birenbaum a Jamais on ne m’avait traité de sale juif à l’école ou au lycée. »
expérimenté à ses dépens la violence des réseaux Un psy l’a aidé à comprendre que sa dépression était
sociaux : « Un matin, j’ai été incapable de me lever. sans doute plus qu’un « banal » surmenage. Il l’a con-
Branché en permanence sur le Web, j’ai absorbé fessé dans ce livre sur sa dépression où il raconte
comme une éponge l’antisémitisme et la vio- la vie de ses parents sous l’Occupation. Notam-
lence de l’époque », expliquait-il, en 2015, ment celle de sa mère qui a vécu « deux ans
dans un livre, Vous m’avez manqué (Les et un mois », entre 1942 et 1944, cachée
Arènes), où il faisait le récit de sa dépres- dans une pièce du sixième étage au 209
sion. rue Saint-Maur.

Depuis, il s’est (un peu) déconnecté. Il Il ne « cherche


a supprimé les alertes et les notifica- plus la castagne »
tions sur son smartphone. Aujour- Quel rapport avec sa propre histoi-
d’hui, il s’est mis en retrait, parta- re ? « J’ai tout fait pour être vu, alors
geant son temps entre Clamart que j’étais parti pour faire une car-
(Hauts-de-Seine) et la Côte fleurie, rière universitaire où j’aurais été
où il préside le club de tennis de moins exposé. Pourquoi ? C’est
Deauville. Inactif depuis qu’il a été peut-être de la psychanalyse à
licencié d’Europe 1, juste avant le deux balles, mais je crois que j’ai
Covid, il a pris le temps de rassem- voulu être sous les projecteurs
bler ses souvenirs dans un livre qui a pour compenser les deux années
le goût du diabolo menthe, Toutes les de clandestinité de ma mère. Il y a
histoires sont vraies (éditions Braqua- quelque chose de l’ordre de la ven-
ge). geance. »
Les souvenirs sont ceux d’un titi pari- Pendant longtemps, Guy Birenbaum
sien, né de parents juifs polonais arrivés n’a pas voulu s’intéresser à l’histoire de ses
en France avant la guerre. Il a grandi rue de parents. « J’étais mal à l’aise avec ça.
Sèvres, « dans un appartement Loi de 1948 », J’avais l’impression que ce n’était pas mon
avec ses parents et sa grand-mère maternelle. histoire. » Avec le recul, il a compris qu’il avait
Le vendredi soir, son père, Robert, fermait la maro- pourtant les deux pieds dedans. « J’ai tout hérité
quinerie et embarquait tout le monde dans l’Autobian- de mes parents, avec des conséquences multiples :
chi Abarth, direction Deauville où Guy Birenbaum a une anxiété permanente et une immense colère. J’ai fait
engrangé la plupart de ses souvenirs d’ado : les filles, le ten- lso
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des progrès considérables. Je ne cherche plus la castagne
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nis, les parties de pêche, les fêtes… et j’ai cessé d’avoir un avis sur tout. »
À 61 ans, Guy Birenbaum peut commencer à recoller les morceaux de
Sa démission de l’Éducation nationale ? « Une connerie son histoire personnelle et familiale parfois chaotique. C’est tout l’objet de
monumentale » son dernier livre, un roman autobiographique, dans lequel il collectionne
Guy était un bon élève, mais sans plus. Il a raté l’entrée à Sciences Po. les souvenirs comme les bris de céramique ramassés sur la plage. Où l’on
Mais, après un démarrage difficile, il a poursuivi de brillantes études de voit que la vie est une mosaïque où tout finit par prendre sens. La preuve :
droit. Jusqu’à soutenir une thèse de science politique en 1992 à la Sorbon- il a délivré la dernière chronique de sa vie de radio un 21 décembre, le jour
ne. Son sujet : la montée du Front national. de naissance de sa mère.
La matière intéresse les médias qui ne tardent pas à lui mettre le grappin Thierry RICHARD
dessus. Guy Birenbaum est un bon client qui se laisse volontiers prendre pour Ouest-France.
12 | jeudi 16 février 2023

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