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Écrire l'histoire

Histoire, Littérature, Esthétique 


20-21 | 2021
Les mots du genre

Trouver les bons mots pour étudier le genre dans


les périodes anciennes : histoire et régimes de
genre
Finding the right words in studying gender in ancient times: history and gender
regimes

Didier Lett

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/elh/2766
DOI : 10.4000/elh.2766
ISSN : 2492-7457

Éditeur
CNRS Éditions

Édition imprimée
Date de publication : 30 septembre 2021
Pagination : 23-33
ISBN : 978-2-271-13843-9
ISSN : 1967-7499
 

Référence électronique
Didier Lett, « Trouver les bons mots pour étudier le genre dans les périodes anciennes : histoire et
régimes de genre », Écrire l'histoire [En ligne], 20-21 | 2021, mis en ligne le 30 septembre 2022, consulté
le 05 décembre 2022. URL : http://journals.openedition.org/elh/2766  ; DOI : https://doi.org/10.4000/
elh.2766

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Trouver les bons mots pour étudier


le genre dans les périodes
anciennes : histoire et régimes de
genre
Finding the right words in studying gender in ancient times: history and gender
regimes

Didier Lett

1 Tout historien, dans ses recherches, pour lire et rendre compte des sociétés passées, est
confronté à des choix de mots et de concepts. Il doit connaître la provenance de ces
derniers et la manière dont ils ont voyagé dans le temps et l’espace, surtout s’ils
proviennent d’un ailleurs disciplinaire ou géographique, et donc d’un ailleurs
linguistique, culturel, porteur de traditions historiographiques différentes 1. Les
historiens du genre sont souvent confrontés à ce délicat questionnement. Ils l’ont été
d’abord face au mot « genre » lui-même, en français ou face à Geschlecht, genere, género,
etc. dans d’autres langues européennes, qui traduisent le mot anglais (et états-unien)
gender. Le « mot du genre » qui va d’abord m’intéresser ici est le mot « genre » lui-
même en français, que les historiens hexagonaux ont mis du temps à s’approprier. Puis
je reviendrai sur un concept que j’ai créé en 2012, « les régimes de genre », pour essayer
de penser les rapports de sexe dans les périodes anciennes (avant les XVIIe-XVIIIe siècles).
Enfin, je proposerai une réflexion sur un mot médiéval, celui de « sodomie », pour
montrer les difficultés que pose la traduction d’un mot indigène (utilisé par les acteurs
médiévaux) dans la langue de l’historien contemporain et, inversement, d’un terme
moderne pour rendre compte d’une réalité passée.

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Le genre : la lente appropriation d’un mot


De la gender history à l’histoire du genre

2 Le terme gender est né au début des années 1960 aux États-Unis. D’abord utilisé en
psychiatrie et en psychanalyse (Robert Stoller2), il migre ensuite vers la sociologie (Ann
Oakley3) avant d’arriver en France en 1988 avec l’article de l’historienne Joan W. Scott,
qui tente d’en faire « une catégorie utile d’analyse historique 4 ». Produit d’importation,
lorsqu’il arrive dans les sciences historiques françaises, gender possède déjà une histoire
de près de trente ans et s’est déjà modifié dans des contextes historiques, scientifiques
et disciplinaires spécifiques.
3 Débarqué en France, le mot a été peu traduit durant plus de vingt ans. Sociologues,
philosophes et historiens utilisaient gender. S’ils voulaient dire autrement, pour éviter
les anglicismes ou affirmer une spécificité nationale, ils employaient des locutions
comme « rapports sociaux de sexe » ou « différence sociale des sexe », qui insistent sur
le fait que le genre résulte d’une construction sociale et invitent à assimiler les rapports
entre les sexes à d’autres rapports sociaux (de production par exemple). L’utilisation de
ces expressions est révélatrice en France de la forte persistance de modèles marxistes
au sein des sciences humaines. Avant le début du XXIe siècle donc, les historiens et
historiennes des femmes et du genre utilisaient peu le vocable « genre ». Lorsqu’à la
rentrée universitaire 2001, avec trois collègues (Isabelle Briand, Violaine Sebillotte-
Cuchet et Geneviève Verdo), nous avons créé un séminaire transpériode à l’université
Paris 1-Panthéon-Sorbonne, intitulé « Hommes, femmes, masculin, féminin. Utiliser le
genre en histoire », le mot « genre », en français, qui apparaissait dans le titre, était
d’un usage très rare, tant parmi le grand public que dans la communauté scientifique,
en particulier en histoire. Sauf erreur de ma part, après son apparition en 1988 dans la
traduction de l’article de Joan W. Scott mentionné plus haut, il se rencontre d’abord
dans un colloque interdisciplinaire tenu en 1989 et publié deux ans plus tard 5, puis en
1991, associé à « sexe », dans le titre de la revue Genèses 6. Il est adopté en 2000 par
Mnémosyne (Association pour le développement de l’histoire des femmes et du genre)
et en septembre 2002 dans un colloque organisé à l’université Rennes 2 et publié en
20037. La même année, la revue Vingtième siècle publie un numéro spécial intitulé
« Histoire des femmes, histoire des genres8 ». À l’aube du XXIe siècle, les hésitations
fréquentes entre l’emploi du singulier (genre) et du pluriel (genres) traduisent à mon
sens la difficile appropriation du mot et du concept, sachant que, dans le même temps,
de très nombreux historiens et historiennes continuent à dire qu’elles ou ils font de la
gender history.

D’un mot à la mode à un mot dangereux

4 Durant la première décennie de notre millénaire, l’utilisation du mot « genre » en


français parmi les historiens a progressé de manière exponentielle, si bien qu’il s’est
même retrouvé, en 2011 puis 2013 sur la couverture de deux manuels publiés chez
Armand Colin, dans la collection universitaire « Cursus » en histoire ancienne et en
histoire médiévale9. En 2013, la revue Clio. Histoire, femmes et sociétés, créée en 1995,
change de titre et se nomme Clio. Femmes, Genre, Histoire10. En 2014, Payot publie un petit
ouvrage pluridisciplinaire intitulé Qu’est‑ce que le genre ? 11. S’il s’est imposé si

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rapidement, c’est d’une part parce que l’histoire des femmes, à laquelle la notion est
accolée, a obtenu une légitimité intellectuelle et institutionnelle et, d’autre part, parce
que le genre est devenu une notion essentielle et indispensable dans la classe politique
et la société civile, attentives à la parité ou à l’homoparentalité et ayant souci de lutter
contre les inégalités de sexes.
5 Mais depuis 201312 et la mobilisation d’une partie de la population française contre le
« mariage pour tous13 », il est devenu un terme controversé, utilisé par ses détracteurs
souvent sous la locution « théorie du genre14 ». C’est la raison pour laquelle,
aujourd’hui, les éditeurs sont beaucoup plus frileux qu’avant pour laisser apparaître le
mot genre sur la couverture d’ouvrages, et que les responsables des formations à
l’attention des enseignants du secondaire et les pouvoirs publics lui substituent
volontiers « égalité » ou « parité » pour éviter de raviver la polémique. Ce reflux oblige
les historiennes et historiens féministes à la plus grande vigilance.

Les régimes de genre


Le genre et le poids des études contemporaines

6 Aujourd’hui, la majeure partie de la production sur le genre concerne le monde


contemporain. Joan W. Scott, à qui l’on doit non seulement la diffusion du concept de
genre mais également la plupart des débats sur l’utilité de cette catégorie d’analyse, son
rejet éventuel et sa défense15, est une spécialiste d’histoire contemporaine. En France,
les deux seuls « manuels » dont les historiens universitaires ont longtemps disposé
pour enseigner l’histoire du genre ont été rédigés par des contemporanéistes 16. La très
forte domination des études de genre pour l’époque contemporaine se perçoit aussi,
logiquement, au sein de la jeune génération comme en rend compte, par exemple, la
répartition générale des 398 mémoires déposés par les mastérants ayant concouru pour
le prix Mnémosyne depuis sa création (2003) jusqu’en 2019 : 8,5 % (34 mémoires) en
Histoire ancienne, 9,8 % (39) en Histoire médiévale, 17,6 % (70) en Histoire moderne et
60,3 % (240) en Histoire contemporaine17. Les études de genre couvrant les périodes
antérieures au XVIIe siècle sont donc souvent ignorées ou simplifiées. De plus, le poids
des problématiques sociologiques a tendance à poser des questions biaisées aux
périodes anciennes en plaquant des catégories contemporaines non pertinentes sur des
réalités passées : privé/public ; égalité/parité ; homosexualité/hétérosexualité, etc.
Partant, on assiste à une généralisation des conceptions contemporaines du genre à
l’ensemble des périodes. Au mieux, oppose-t-on, de manière linéaire, un régime de
genre « du temps présent » (fin XXe siècle et début du XXIe siècle) à celui du XIXe siècle,
époque où la polarité entre deux sexes pensés comme radicalement opposés n’a jamais
été aussi forte et qui devient, pour beaucoup d’historiens contemporanéistes, de
sociologues et dans le sens commun, le modèle de ce qu’étaient les régimes de genre
dans les sociétés du passé.

Le genre et les sociétés anciennes

7 Or, avant le XVIIe siècle, l’opposition entre deux sexes pensés comme complémentaires
au sein d’une polarité bien identifiée, et qui serait structurante à la fois pour la société
entière et pour chacun des individus dans leur totalité somatique et psychique, ne

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constitue que rarement la grille d’analyse la plus pertinente. Il faut donc appréhender
les sociétés prémodernes comme des sociétés dans lesquelles l’opposition des sexes
n’est qu’une manière (souvent minoritaire) de classer les personnes. Il faut se défaire
d’un a priori qui est chez nous, Européens, devenu « naturel » : l’idée selon laquelle
l’opposition entre hommes et femmes reposerait sur un aspect biologique, avant même
que l’individu s’inscrive dans une société. Les périodes antérieures au XVIIIe siècle ne
connaissent pas cette biologisation du social. Pour l’époque médiévale, surtout à partir
de la Réforme dite grégorienne, le discours ecclésiastique met davantage l’accent sur le
découpage clercs/laïcs que sur celui entre hommes et femmes. Les premiers, qui ne
peuvent être que des hommes, sont les membres de l’ordre supérieur de la société car
ils n’entretiennent aucun lien charnel, surtout à partir du moment où, devenus prêtres,
ils doivent respecter leur vœu de chasteté. Les seconds englobent hommes et femmes,
également, dans un rapport d’infériorité face aux clercs.
8 Pour Thomas Laqueur, il faut attendre le XVIIIe siècle pour assister à une biologisation
de l’opposition masculin-féminin, c’est-à-dire pour que le genre s’inscrive vraiment
dans les corps sexués18. Il évoque un modèle « unisexe » hérité de Galien, dans lequel les
femmes sont l’envers des hommes mais à l’intérieur d’une structure corporelle
identique. Ce modèle se repère par une série d’analogies : entre les testicules et les
ovaires, le scrotum et l’utérus, le pénis et le vagin. Les fluides circulant à l’intérieur du
corps de l’homme et de la femme sont identiques. Selon lui, ce n’est qu’entre la fin du
XVIIe et la fin du XVIIIe siècle que ce schéma de représentation et d’explication est remis
en cause pour laisser place au « modèle des deux sexes » dans lequel la femme se
distingue radicalement de l’homme par des spécificités qui touchent autant à la qualité
de ses tissus et de ses fluides corporels qu’aux formes de son anatomie. Ce changement
de paradigme conduit Laqueur à affirmer : « Historiquement, les différenciations de
genre précédèrent les différenciations de sexe19. » Cette thèse, qui a connu un très
grand succès, a été nuancée et a essuyé quelques critiques. L’auteur lui-même reconnaît
qu’il existe des signes avant-coureurs du modèle des deux sexes bien avant le
XVIIIe siècle et des résidus du modèle unisexe, après. Il n’utilise que des discours
scientifiques. Or de nombreux autres types de documentation donnent parfois une
vision différente. Il existe une multitude de modèles et une pluralité des discours
médicaux et théologiques. Enfin, on a reproché à Thomas Laqueur de ne presque jamais
faire varier son appréciation en fonction de l’âge ou du milieu social 20.
9 Si l’on admet les conclusions de Laqueur, même édulcorées par les critiques légitimes, il
devient nécessaire aujourd’hui, pour reprendre les mots de Sylvie Steinberg,
« d’inverser la certitude la plus spontanée », celle qui nous fait dire que « le sexe est,
toujours et partout, un substrat à partir duquel s’élabore une expérience existentielle
et se construisent des affects, des comportements privés et publics, des
représentations, des symboles, des rapports de pouvoir qui dessinent, eux, les contours
du genre (social et culturel)21 ».

Naissance d’un concept : les régimes de genre

10 Comment faire (ou mieux faire) un usage historien du concept de genre ? Autrement
dit, de quelle manière profiter pleinement de ce formidable outil pour lire le social dans
le passé avant le tournant du XVIIIe siècle ? J’ai proposé en 2012 la notion de « régime de
genre », qui permet de contextualiser les rapports de sexe au ras des sources et au plus

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près des acteurs pour les périodes anciennes mais aussi, je l’espère, pour celles plus
contemporaines22. Un régime de genre peut être défini comme un agencement
particulier et unique des rapports de sexe dans un contexte historique, documentaire
et relationnel spécifique. Plusieurs régimes peuvent coexister dans une même période
historique. Dépendant d’une série d’opérations de contextualisation, ils sont instables,
sujets à variations lorsque l’historien change de documentation, déplace son regard
vers d’autres acteurs ou dès que les relations entre les acteurs observés se modifient.
11 Le premier contexte à prendre en compte va de soi. Il est historique : à partir du
moment où l’on considère que les rapports de sexes sont une construction culturelle, ils
varient au gré des périodes et séquences de l’histoire. Le second contexte est
documentaire : dans la mesure où le document est la trace écrite dont dispose
l’historien pour reconstruire le passé, ce n’est qu’en opérant une déconstruction
intégrale d’une documentation, de sa production à sa diffusion, en passant par ses
modes de conservation et de transmission, que l’on peut restituer la logique des actions
du passé car, pour l’historien, les pratiques sociales sont liées aux pratiques
documentaires. Ce travail permet de ne pas confondre pratiques discursives et rapports
sociaux – de sexe – et de ne pas considérer le social comme une réalité figée une fois
pour toutes, préexistant à l’historien et que ce dernier devrait décrire. La société et les
groupes sociaux ne sont pas des choses fixes et délimitées ; le social n’est pas un état
mais un processus. Le régime de genre que l’on observe n’est jamais que le résultat final
écrit d’échanges verbaux, de tensions, de conflits entre des protagonistes.
12 Enfin, il convient de ne jamais étudier la distinction de sexe en dehors des relations
sociales, en dehors de son contexte relationnel. Nous avons encore beaucoup de
difficultés à penser le genre comme une relation car les premières études de genre ont
proposé une approche identitaire23, essentialisant fortement les rapports de sexe. Or,
comme l’écrit Irène Théry, il convient d’adopter « une conception relationnelle de la
différence des sexes24 ». Dans chaque contexte relationnel, un acteur ou une actrice, fait
appel à, met en scène, active, des bribes de son identité qui, à ce moment précis, lui
sont possibles, utiles, indispensables, face à l’autre. Dans cette optique, il convient
d’être attentif davantage aux manières d’agir, aux actions et situations qu’aux identités.
Dans l’interaction, l’identité sexuée intervient plus ou moins. Elle est parfois
déterminante, parfois insignifiante. On ne peut pas isoler les êtres des relations sociales
qui les constituent, dont ils sont à la fois les auteurs et les récepteurs. La question des
sexes ne peut donc pas être traitée à part.
13 Le modèle de Thomas Laqueur – autre point critique – a tendance à dresser une
barrière trop rigide entre deux temps du genre, avant et après le XVIIe siècle, opération
qui, de part et d’autre de cette frontière, nuit au repérage et à l’identification de la
pluralité des régimes de genre. Nous ne pensons pas en effet qu’à partir du XVIIIe siècle
se soit produit la généralisation d’un nouveau régime de genre, unique, au détriment de
tous les autres, pas plus que les sociétés plus anciennes n’ont connu d’univocité du
genre. La notion plastique de « régimes de genre » pourrait donc être étendue
utilement aux périodes contemporaines. Grâce à l’analyse pragmatique des rapports de
sexe comme une variable du social parmi d’autres et comme un mode de relation, on
pourrait également y dévoiler une grande pluralité des régimes de genre 25.

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Mots médiévaux et mots contemporains : l’exemple du


« vice sodomite »
Les homosexuels existent-ils au Moyen Âge ?

14 Dans les premiers mots d’un article publié dans un collectif sur l’homosexualité, je
posais cette question provocante : les homosexuels existent-ils au Moyen Âge 26 ? La
question renvoyait vraiment à un problème d’emploi de mots car, comme on le sait, le
terme est très récent : il aurait été employé pour la première fois en 1869 par l’écrivain
hongrois Karl-Maria Kertbeny, celui d’hétérosexuel naissant par opposition dans les
années 188027. Peut-on (et doit-on) lui trouver une équivalence à l’époque médiévale ?
Depuis sa création, le concept d’homosexuel a connu des évolutions majeures, migrant
d’une acception médicale et psychiatrique (à l’origine Karl-Maria Kertbeny opposait à
« homosexuel » le terme de « normalsexuel ») à une valeur juridique et sociale. Il n’en
demeure pas moins très ambigu. Comme, étymologiquement, il attire l’attention sur le
sexe et la sexualité, il traduit mal ce que les chercheurs anglo-saxons nomment
« same‑sex relations », qui permet d’intégrer plus aisément les notions d’homosocialité
ou d’homo-affectivité.
15 Aujourd’hui, l’homosexualité désigne tout à la fois l’orientation sexuelle d’une
personne vers un ou des individus du même sexe, la condition de celui ou de celle qui se
définit ou que la société du début du XXIe siècle définit comme ayant une identité
homosexuelle et il réfère, enfin, à des relations sexuelles entre personnes de même
sexe. On peut aujourd’hui opérer ces distinctions à l’intérieur d’un même concept car
notre société occidentale établit la différence entre sexe, genre et sexualité. Le sexe
renvoie au corps et au physique des hommes et des femmes. Le genre réfère à la
masculinité et à la féminité, à des modèles identitaires et de comportement. La
sexualité se rapporte à des pratiques et au désir. Ces différenciations n’existent pas
aussi clairement au Moyen Âge. Si une personne ne se conforme pas au modèle attendu
en matière de comportement sexuel (donc de sexualité), on ne peut pas penser que c’est
une affaire biologique, de genre ou encore de désir sexuel. Les trois notions sont
intrinsèquement liées. À l’époque médiévale, il existe un ordre sexuel où le sexe
biologique (mâle, femelle) détermine un désir sexuel univoque pour l’autre sexe mais
également un comportement social spécifique, masculin ou féminin.
16 Cette réflexion sur le mot et le concept invite à s’interroger sur la naissance d’une
identité homosexuelle qui, pour Michel Foucault, est une invention du XIXe siècle. Le
philosophe écrit :
La sodomie – celle des anciens droits civils ou canonique – était un type d’actes
interdits ; leur auteur n’en était que le sujet juridique. L’homosexuel du XIXe siècle
est devenu un personnage : un passé, une histoire et une enfance, un caractère, une
forme de vie (…). L’homosexualité est apparue comme une des figures de la
sexualité lorsqu’elle a été rabattue de la pratique de la sodomie sur une sorte
d’androgynie intérieure, un hermaphrodisme de l’âme. Le sodomite était un relaps,
l’homosexuel est maintenant une espèce28.
17 Pour Foucault, c’est l’instauration d’un dispositif d’identification par les pratiques
sexuelles dans l’ordre du discours qui donne naissance à l’homosexuel. Les époques
antérieures au XIXe siècle n’auraient donc (re)connu que des « actes homosexuels »,
n’auraient repéré que des « sodomites ». Michel Foucault nous incite donc à chercher

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du côté du vocabulaire médiéval, endogène, celui que les médiévaux ont utilisé, pour
repérer les termes qui s’apparentent le plus à cette homoaffectivité, orientation,
pratique ou acte entre deux personnes du même sexe.
18 Au Moyen Âge, on rencontre une série de mots polysémiques qui mettent l’accent (et
dénoncent) des actes sexuels illicites concernant à la fois les relations entre un homme
et une femme, entre deux hommes ou entre deux femmes : luxuria, stuprum, adulterium
et également, sodomita, ou des locutions dont le sens peut paraître plus proche de
l’homosexualité contemporaine : vicium ou scelus ou peccatum contra naturam (« vice ou
crime ou péché contre nature ») et vicium ou peccatum sodomiticum (« vice ou péché
sodomite »). Au cours des trois derniers siècles du Moyen Âge ( XIIIe-XVe siècle), on
assiste à un double phénomène. D’une part, le champ lexical de la sodomie pour
désigner toute relation entre deux hommes l’emporte et, d’autre part, l’intolérance à
l’égard de ces relations connaît un vif essor. Il convient d’établir un lien entre ces deux
évolutions concomitantes. Le choix préférentiel du lexique sexuel, celui de la sodomie,
pour théoriser et dénoncer l’ensemble des relations entre deux personnes du même
sexe, y compris les liens d’affection (si forts dans les milieux monastiques antérieurs au
XIIIe siècle) semble rendre insupportable toute amitié homosexuelle 29. Je voudrais donc
m’attarder sur les différentes significations de ce qui réfère aussi (mais pas seulement)
à ce que nous désignons aujourd’hui par homosexualité : le « vice sodomite ».

Le « vice sodomite » ou la confusion des catégories

19 À la fin du Moyen Âge, le mot « sodomite » ne désigne pas l’équivalent de l’homosexuel


contemporain car les termes de sodomie ou sodomite demeurent encore très
polysémiques, entrant dans une catégorie comprenant des péchés très divers qui ne
sont pas toujours, loin de là, sexuels, car on y trouve aussi l’usure, la lèse-majesté,
l’hérésie ou le blasphème, autant d’insultes proférées à l’encontre du Créateur 30.
L’adjectif « sodomite » est d’origine scripturaire : Sodomita désigne le nom de celui qui
habite la ville de Sodome punie par Dieu pour s’être rendue « orgueilleuse »,
« blasphématrice », « arrogante » à son égard et, dès les commentaires des IVe-
Ve siècles, pour s’être livrée à la débauche et aux plaisirs sexuels. Dès la fin de la période
patristique, même si l’exégèse latine continue à évoquer l’arrogance ou l’orgueil pour
qualifier ce « crime »,la sexualité illicite l’emporte dans les interprétations mais sans
privilégier la relation homosexuelle. Le substantif « sodomie », quant à lui, est apparu
bien plus tard. Mark Jordan a parfaitement montré comment il s’est théologiquement
construit pour catégoriser et condamner les rapports génitaux entre personnes du
même sexe. Il émerge au milieu du XIe siècle, sous la plume de Pierre Damien dans son
Livre de Gomorrhe, brochure adressée au pape Léo IX, premier pontife grégorien à initier
ce mouvement de réforme au centre duquel se trouve le mariage-sacrement
hétérosexuel31.
20 Avec le « vice sodomite » (vitium sodomiticum, peccatum contra naturam, etc.) on se trouve
face à un cas très intéressant de confusion des catégories historiennes, exogènes et
endogènes. On peut, selon moi, attribuer à cette locution au moins cinq sens différents.
21 1) D’abord, elle peut désigner un acte accompli contre Dieu (conformément au péché de
Sodome). C’est pourquoi elle est associée, en particulier dans tous les procès politiques
du début du XIVe siècle, aux déviances religieuses. Dans les sources littéraires et
judiciaires allemandes ou suisses de la seconde moitié du xv e siècle, le terme

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d’hérétique est très souvent associé à celui de sodomie. En 1381, le chroniqueur


Burkard Zink mentionne à Augsbourg que cinq « hérétiques » (ketzer) ont été brûlés
« pour avoir commis l’hérésie les uns avec les autres32 ».
22 2) Ensuite, le « vice sodomite » peut s’appliquer à tout acte sexuel contre nature, c’est-
à-dire une pénétration non vaginale, y compris avec son conjoint légitime. Les
médiévaux utilisent souvent en synonymie avec « vice sodomite » ou « péché
sodomite » le terme de « péché (ou vice) contra naturam » qui s’appliquent à une gamme
très vaste de relations sexuelles illicites. Thomas d’Aquin, dans la Somme théologique
(vers 1274), consacre une partie au « vice contre nature » :
Le vice contre nature porte sur des actes qui ne peuvent être suivis de la génération
(…) il peut se produire de plusieurs manières. D’une première manière, lorsqu’en
absence de toute union charnelle, pour se procurer le plaisir vénérien, on provoque
la pollution : ce qui appartient au péché d’impureté que certains appellent
masturbation. D’une autre manière, lorsqu’on accomplit l’union charnelle avec un
être qui n’est pas de l’espèce humaine : ce qui s’appelle bestialité. D’une troisième
manière, lorsqu’on a des rapports sexuels avec une personne qui n’est pas de sexe
complémentaire, par exemple homme avec homme ou femme avec femme : ce qui
se nomme vice de Sodome. D’une quatrième manière, lorsqu’on n’observe pas le
mode naturel de l’accouplement, soit en n’utilisant pas l’organe voulu soit en
employant des pratiques monstrueuses et bestiales pour s’accoupler 33.
23 Il classe ensuite ces diverses formes par ordre de gravité décroissante : la copulation
avec des animaux, les relations sexuelles entre deux hommes, le coït hétérosexuel
naturalis modus concumbandi, c’est-à-dire lorsque l’homme prend sa femme par derrière,
et enfin l’acte qui procure une éjaculation (pollutio) sans coït.
24 3) La troisième acception de « vice sodomite » est, au sens strict, ce que nous appelons
aujourd’hui la sodomie, qu’elle soit hétérosexuelle ou homosexuelle, c’est-à-dire la
pénétration anale. À Fribourg en 1493, on peut lire : « la propre sodomitique, c’est assavoir
par derriere. » Pour cette signification-là, les médiévaux comme les médiévistes
prennent en compte la position du partenaire en distinguant l’actif (agens), celui qui
sodomise, du passif (patiens), celui qui est sodomisé, le premier étant davantage puni
par la loi que le second. Pour qualifier le « passif », d’autres adjectifs, attribués
traditionnellement aux femmes, viennent enrichir le lexique déjà évoqué : il est mollis
(doux), insatiabilis (insatiable), turpis (honteux), obscenum (obscène) ; il a été pris « à la
manière des femmes (more femineo) ». Dans l’application des peines, législateurs et juges
distinguent également l’âge des personnes incriminées. La sévérité des condamnations
des adultes (le plus souvent considérés, à tort ou à raison, comme les actifs) contraste
avec une relative tolérance à l’égard des plus jeunes.
25 4) Le vice sodomite, quatrième sens, peut encore désigner ce que nous entendons
globalement aujourd’hui par « homosexualité » masculine, à savoir l’ensemble des
rapports (physiques, sentimentaux et affectifs) entre deux personnes de même sexe
(same‑sex relations). C’est sur cette acception-là surtout que l’historiographie
homosexuelle très militante a beaucoup produit à partir des années 1980. Or il s’agit
d’un des nombreux sens mais qui, comme nous l’avons vu, est loin d’être le seul.
26 5) Enfin, le « vice sodomite » est utilisé aussi pour qualifier les agressions, viols ou abus
sexuels commis par des hommes adultes à l’encontre de petits garçons. Dans les
archives judiciaires de Bologne aux XIVe et XVe siècles, il désigne très majoritairement ce
type de pédocriminalité34. Ce dernier sens me paraît malheureusement complètement
oublié des travaux sur le vice sodomite. Il est pourtant fondamental d’être attentif au

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vocabulaire que l’on utilise pour ne pas semer la confusion entre homosexualité et
pédophilie qui, on l’a vu lors des funestes manifestations contre le « mariage pour
tous », est encore présente dans l’esprit de certains de nos contemporains. Voilà, par
exemple, ce qu’écrivait E. William Monter, historien (certes, il y a plus de quarante-cinq
ans) :
Le premier procès pour sodomie qu’on ait conservé à Genève date de 1555 ; un jeune
compagnon imprimeur français fut brûlé après qu’on eut découvert qu’il avait
commis une agression homosexuelle [c’est moi qui souligne] sur la personne du fils
âgé de sept ans de son patron.35
27 Soit l’on souhaite conserver le vocabulaire endogène et on garde « vice sodomite », soit
on emprunte au lexique contemporain mais, alors, il convient de parler d’« agression
pédophile » et non d’« agression homosexuelle » car, me semble-t-il, ce qui compte ici
est moins le sexe de la victime que son âge.
28 Pour éviter que l’historien du genre n’utilise de manière sauvage les mots et les
concepts, il faut non seulement qu’il connaisse les conditions dans lesquelles sont nés
les mots gender, genre, sodomie, homosexualité, etc., mais qu’il ait également
conscience de l’usage que nous en faisons aujourd’hui dans d’autres contextes. La
notion d’homosexualité, si répandue au début du XXIe siècle dans les débats publics
occidentaux, peut donc être considérée comme largement anachronique dès lors que
l’on s’intéresse aux sociétés anciennes (médiévales en particulier). Comme l’histoire de
l’homosexualité s’est construite en grande partie à partir de l’exploration de la locution
« vice sodomite », il est primordial de (re)partir de cette expression, en la pistant « au
ras des sources », pour produire un discours sur les relations entre personnes de même
sexe ou sur la pédocriminalité masculine homosexuée, en insistant sur le fait qu’il
n’existe pas d’adéquation entre sodomie médiévale et homosexualité contemporaine.
C’est au prix de cette réflexion minutieuse, mais indispensable, sur « les mots du
genre », que les historiennes et les historiens de l’histoire des femmes et du genre
feront avancer la recherche de manière rigoureuse et militante.

NOTES
1. Voir Olivier CHRISTIN (dir.), Dictionnaire des concepts nomades en sciences humaines, Métailié, 2010
pour comprendre les conditions dans lesquelles sont nés et ont circulé les grands concepts de
sciences humaines. La tradition de réflexion sur les concepts est plus forte en Italie (dans le
sillage des travaux d’Antonio Gramsci) et surtout en Allemagne (avec la Begriffsgeschichte,
histoire des concepts) qu’en France. Voir aussi Joseph MORSEL, « De l’usage des concepts en
histoire médiévale », Ménestrel (De l’usage de), 2011, <menestrel.fr/?–concepts-&lang=fr>.
2. Robert STOLLER, Sex and Gender: The Development of Masculinity and Feminity, New York, Science
House, 1968, en français Recherches sur l’identité sexuelle, Gallimard, 1978.
3. Ann OAKLEY, Sex, Gender and Society, Londres, Maurice Temple Smith, 1972.
4. Joan W. SCOTT, « Gender: A Useful Category of Historical Analysis », American Historical Review,
vol. 91, no 5, décembre 1986 ; inclus dans Id., Gender and the Politics of History, New York, Columbia

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University Press, 1988 ; en français « Genre, une catégorie utile d’analyse historique », trad. Eleni
VARIKAS, Le Genre de l’histoire, numéro spécial, Cahiers du GRIF no 37-38, 1988, p. 125-153.
5. Marie-Claude HURTIG, Michèle KAIL, Hélène ROUCH (dir.), Sexe et genre. De la hiérarchie entre les
sexes, CNRS Éd., 1991.
6. « Femmes, genre, histoire », Genèses, no 6, 1991.
7. Luc CAPDEVILA et al. (dir.), Le Genre face aux mutations, masculin et féminin du Moyen Âge à nos jours,
PUR, 2003.
8. Raphaëlle BRANCHE, Danièle VOLDMAN (dir.), « Histoire des femmes, histoire des genres »,
Vingtième siècle, no 75, 2, 2002.
9. Sandra BOEHRINGER, Violaine SEBILLOTTE (dir.), Hommes et femmes dans l’Antiquité grecque et
romaine. Le genre : méthode et documents, Armand Colin, 2011 ; Didier LETT, Hommes et femmes au
Moyen Âge. Histoire du genre XII‑XVe siècle, Armand Colin, 2013, en italien Id., Uomini e donne nel
Medioevo. Storia del genere [secoli XII‑XV], Bologne, Il Mulino, 2014.
10. Voir « À nos lectrices et lecteurs », Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 37, 2013.
11. Laurie LAUFER, Florence ROCHEFORT (dir.), Qu’est‑ce que le genre ?, Payot, 2014.
12. Cette critique a été amorcée au moins depuis 2011, lorsque les catholiques traditionalistes
sont partis en guerre contre l’introduction du concept de genre dans les manuels scolaires de
SVT.
13. Avec la loi du 18 mai 2013 sur le mariage pour tous, la France devient le 9e pays européen et
le 14e pays au monde à autoriser le mariage homosexuel.
14. Voir en particulier le livre polémique de Bérénice LEVET, La Théorie du genre ou le monde rêvé des
anges, Grasset, 2014, qui écrit par exemple : « Le fondement de cette théorie consiste à nier la
réalité biologique pour imposer l’idée que le genre “masculin” ou “féminin” dépend de la culture,
voire d’un rapport de force et non d’une quelconque réalité biologique ou anatomique. […] En
effet, derrière chaque proposition (crèches neutres, lutte contre les stéréotypes de genres,
développement de l’éducation sexuelle dès la maternelle, banalisation des changements de
sexes…) se cache une idéologie construite qui vise à remettre en cause les fondements de nos
sociétés “hétérocentrées”. »
15. Parmi les ouvrages parus en français : Joan W. SCOTT, Théorie critique de l’histoire. Identités,
expériences, politiques, Fayard, 2009 ; Id., De l’Utilité du genre, Fayard, 2012.
16. Françoise THÉBAUD, Écrire l’histoire des femmes, Lyon, ENS Éd., 1998 [rééd. 2007 avec pour titre :
Écrire l’histoire des femmes et du genre, Lyon, ENS Éd.]. Le livre de Laura LEE DOWNS, Writing Gender
History, Londres, Hodder Arnold, 2004 en est le complément indispensable car il offre une utile
comparaison entre l’historiographie française et anglo-saxonne.
17. 15 mémoires (3,7 %) ont été classés dans « Autres » (transpériode, préhistoire, autres
disciplines). Le Prix Mnémosyne couronne un mémoire de Master d’histoire des femmes et du
genre. Il est décerné chaque année par l’Association Mnémosyne. La liste des mémoires ayant
concouru est consultable en ligne : mnemosyne/les-anciens-prix-mnemosyne/ memoires-ayant-
concourus/>. Les résumés de la grande majorité des mémoires sont publiés dans la revue Genre &
Histoire.
18. Thomas LAQUEUR, Making Sex: Body and Gender from the Greeks to Freud, Cambridge-Londres,
Harvard University Press, 1990, en français La Fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en
Occident, Gallimard, 1992.
19. Thomas LAQUEUR, La Fabrique…, op. cit., p. 86.
20. Pour les critiques et débats qu’a suscité la thèse de Thomas Laqueur, voir Sylvie STEINBERG,
« Sexe et genre au XVIIIe siècle. Quelques remarques sur l’hypothèse d’une fabrique du sexe », in
Irène THÉRY, Pascale BONNEMÈRE (dir.), Ce que le genre fait aux personnes, Éd. de l’EHESS, 2008, p.
197-212 ; Annick JAULIN, « La fabrique du sexe, Thomas Laqueur et Aristote », Clio. Histoire, Femmes,

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Société, 14, 2001, p. 195-205 ; Joan CADDEN, The Meanings of Sex Difference in the Middle Ages. Medicine,
Science, and Culture, Cambridge University Press, 1993.
21. Sylvie STEINBERG, « Sexe… », art. cit., p. 201.
22. Didier LETT, « Les régimes de genre dans les sociétés occidentales de l’Antiquité au
e
XVII siècle», Annales. Histoire, Sciences Sociales, 67e année, no 3, 2012, p. 563-572.
23. On peut rappeler que le premier à employer le terme de gender, au début des années 1960, le
psychiatre et psychanalyste Robert Stoller, accole immédiatement le mot « genre » au mot«
identité » puisqu’il utilise l’expression de « gender identity ». Voir Robert STOLLER, Sex and Gender…,
op. cit.
24. Irène THÉRY, La Distinction des sexes. Une nouvelle approche de l’égalité, Odile Jacob, 2007.
25. Pour une discussion du numéro des Annales, voir Les Annales en débat : régime de genre dans les
sociétés occidentales, <https://annales.hypotheses. org/29>.
26. Didier LETT, « Le “vice sodomite” au Moyen Âge. Contribution à une histoire des homosexuels
», in Rémy BETHMONT, Martine GROSS (dir.), Homosexualité et traditions monothéistes. Vers la fin d’un
antagonisme ?, Genève, Labor & Fides, 2017, p. 247-262.
27. Karl M. KERTBENY, Das Gemeinschädliche des § 143 des preussischen Strafgesetzbuches, Leipzig,
Serbe, 1869 ; voir Jonathan N. KATZ, L’Invention de l’hétérosexualité, Epel, 2001 [1996].
28. Michel FOUCAULT, Histoire de la sexualité. La Volonté de savoir, t. 1, Gallimard, 1976, p. 59.
29. C’est aussi ce que pense Damien BOQUET, « L’amitié comme problème au Moyen Âge », in Id.,
Blaise DUFAL, Pauline LABEY (dir.), Une histoire au présent. Les historiens et Michel Foucault, CNRS Éd.,
2013, p. 59-81. Il évoque « l’homosexualité amoureuse comme subversion de la figure du
sodomite » (p. 80).
30. Michael Rocke définit la sodomie comme « a wide range of prohibited sexual behaviors deemed
“contrary to nature” » mais qui « usually referred to sex between males ». Michael ROCKE, Forbidden
Friendships. Homosexuality and Male Culture in Renaissance Florence, New York-Oxford, Oxford
University Press, 1996, p. 3.
31. Mark JORDAN, L’Invention de la sodomie dans la théologie médiévale, Epel, 2007 [1997].
32. Helmut PUFF, Sodomy in Reformation Germany and Switzerland, 1400‑1600, Chicago-Londres,
University of Chicago Press, 2003, p. 23.
33. Thomas D’AQUIN, Somme théologique, Pars secundae, secundae, q. 154, art. 11 et 12, 881-882.
34. Voir Didier LETT, « Genre, enfance et violence sexuelle dans les archives judiciaires de Bologne
au xve siècle », Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 42, 2015, p. 202-215 ; Id., « Genre et violences
sexuelles exercées contre les enfants dans les registres judiciaires de Bologne au xv e siècle »,
Annales de Démographie Historique, 1, 2018, p. 141-172 ; Id., Viols d’enfants au Moyen Âge. Genre et
pédocriminalité à Bologne, XIVe‑XVe siècle, PUF, 2021.
35. E. William MONTER, « La sodomie à l’époque moderne en Suisse romande », Annales ESC, 29,
no 4, 1974, p. 1026.

RÉSUMÉS
Dans sa pratique quotidienne, l’historien est confronté à des choix de mots et de concepts pour
exprimer une réalité passée. Le médiéviste recourt très souvent à des notions forgées au sein des
sciences sociales, d’une grande pertinence pour l’époque contemporaine mais moins mobilisables
pour des sociétés lointaines qui fonctionnent selon des logiques différentes des nôtres. Dans cette

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contribution, on tentera d’expliquer le concept de « régimes de genre » qui permet de faire


ressortir des spécificités des périodes anciennes (avant le XVIIIe siècle) par rapport aux périodes
les plus récentes. On soulignera aussi les difficultés et les problèmes que posent la traduction
d’un mot indigène (utilisé par les acteurs médié- vaux) dans la langue utilisée (les mots viriliter et
« vice sodomite ») et, dans l’autre sens, le danger d’appliquer un terme moderne sur une réalité
passée (à travers l’exemple des mots « homosexualité » et « pédophilie »).

In his daily practice, the historian is confronted with choices of words and concepts to express a
past reality. The medievalist very often possesses notions created within social sciences, quite
relevant for contemporary times but much less for societies of the distant past, which operated
on logics different from ours. In this contribution, we will try to explain the concept of “gender
regimes” which enables to show the specificities of ancient periods (before the 18th century) as
compared to very recent ones. We will also endeavour to point out the difficulties and issues in
translating an indigenous word (used by medieval actors) into the language we use (taking the
examples of the words viriliter and “sodomite vice”) and, on the other hand, the danger of
applying a modern term to a past reality (via the examples of the words “homosexuality” and
“pædophilia”).

AUTEUR
DIDIER LETT
Didier Lett est professeur d’histoire médiévale à l’Université de Paris et membre senior honoraire
de l’Institut universitaire de France. Il est spécialiste de l’enfance, de la famille, de la parenté et
du genre ainsi que de la documentation italienne tardo-médiévale. Il est membre du comité de
rédaction de la revue Clio. Femmes, Genre Histoire. Il a publié, entre autres, Hommes et femmes au
Moyen Âge. Histoire du genre XIIe‑XVe siècle (Armand Colin, coll. Cursus, 2013) ; Famille et parenté dans
l’Occident médiéval (Ve‑XVe siècles) (Hachette, 2000) et L’Enfant des miracles. Enfance et société au Moyen
Âge (XIIe‑XIIIe siècle) (Aubier, 1997). Il a codirigé avec Damien Boquet Le Genre des émotions, Clio.
Femmes, Genre, Histoire, 47/2018 et avec Sylvie Steinberg et Fabrice Virgili, Abuser, Forcer, Violer,
Clio. Femmes, Genre, Histoire, 52/2020.

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