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Delphine Gardey

Politique
du clitoris

PETITE ENCYCLOPÉDIE CRITIQUE


COLLECTION « PETITE ENCYCLOPÉDIE CRITIQUE »
Comité éditorial :
Manuel Cervera-Marzal, Sébastien Chauvin, Milena Jaksic, Lilian Mathieu, Sylvain Pattieu
Directeur d’ouvrage : Sébastien Chauvin

Historienne et sociologue, Delphine Gardey est professeure à l’Université de Genève à l’Institut des
Études Genre. Elle a récemment publié Les Sciences du désir. La sexualité féminine de la
psychanalyse aux neurosciences (avec Marilène Vuille) (Le bord de l’eau, 2018), Politiques de
coalition. Penser et se mobiliser avec Judith Butler (avec Cynthia Kraus) (Seismo, 2016) et Le Linge
du Palais-Bourbon. Corps, matérialité et genre du politique à l’ère démocratique (Le bord de l’eau,
2015).

Graphisme de la couverture : Agnès Dahan


© éditions Textuel, 2019
4 impasse de Conti
75006 Paris
www.editionstextuel.com
Version numérique : 2019
ISBN : 9782845977969
Sommaire
Clitoris, j’écris ton nom…
1
ClitOccident.
Clito d’ici.
« Ce pudendum est si petit et caché [...] que je fus le premier à le découvrir »
Gabriele Fallopio, 1561
« Au reste, la conformation de ces tribades se rapproche de celle des hermaphrodites, parce que
leur clitoris ressemble à la verge humaine »
Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle, 1803
« De la clitoridectomie comme traitement de l’hystérie, de l’épilepsie et de l’aliénation »
Dr Ullerspreger, 1869
« Il est très important pour le devenir-femme de la petite fille que le clitoris cède au bon moment et
complètement cette sensibilité en faveur de l’entrée du vagin »
Sigmund Freud, 1922
« L’orgasme vaginal en fait, n’existe pas. Ce que nous devons faire, c’est redéfinir notre sexualité »
Anne Koedt, 1968
2
ClitOrientaux,
Clito d’ailleurs,
néo- et post-coloniaux
« Les femmes, comme les hommes, de la race nègre sont portées à la lasciveté beaucoup plus que
les femmes blanches. […] Leurs organes sexuels offrent, en outre, une disposition particulière
qu’on ne rencontre qu’exceptionnellement ailleurs »
Pierre Larousse,
Grand dictionnaire universel du xixe siècle, 1872
« Au bout de dix à quinze jours, la cicatrisation est en général obtenue. On détache les liens… et
l’enfant est libre de courir à nouveau. Son sexe présente alors l’aspect qu’il gardera jusqu’au
mariage : à la place de la vulve, la recouvrant, un véritable mur de chair (…) relie les cuisses du
pubis à l’anus »
Annie de Villeneuve, 1937
« La “circoncision féminine” n’est pas seulement un objet populaire de commentaire et d’étude,
elle peut être qualifiée de topos de la science néo-orientaliste du harem »
Soheir A Morsy, 1991
« Fran Hosken est une croisée. Pendant des années, elle s’est battue pour porter la question de la
circoncision féminine à l’attention des universitaires, des africanistes, des féministes et des
organisations internationales de santé et de développement. Et ce fut clairement une lutte
difficile »
Margaret Jean Hay, 1981
« Je voulais me faire réparer, parce que je ne me trouvais pas bien, pas normale, j’avais
l’impression que tout le monde voyait ça »
Awa, 28 ans, 2012
3
Clito-today :
clitartefact,
clito straight,
lesbien ou queer ?
« Notre inquiétude, c’est d’opérer des gens qui n’en n’ont pas besoin, voilà »
À propos de la nymphoplastie, Chirurgien, 2016
« Quand nous avons étudié le clitoris, nous avons découvert que la réalité était bien différente des
images standards présentes dans les livres d’anatomie »
Helen O’Connel, 1998
« Pour la première fois en France, un clitoris à taille réelle a été modélisé et imprimé en 3D »
Makery, Le Media de tous les Labs, 2016.
« À un certain point, le clitoris cesse d’être un clitoris et devient un pénis, une distinction
uniquement basée sur la taille du clitoris »
Katrina Karkasis, 2008
« Le fait que le pénis, le vagin, les seins et autres traits soient nommés “parties sexuelles” est un
acte qui réduit le corps érogène à ces parties, et de ce fait, fragmente le corps pris comme
totalité »
Judith Butler, 1990
Collection « Petite encyclopédie critique »
Notes
Pour celles que j’ai vu grandir, parentés recomposées, amitiés électives,
trublion·n·es des jours de classe et d’été : Jeanne, Noémie, Nadja, Zoé,
Lila,Loïse, Flora, Maia, Angela, Zélie, Mila.
Clitoris,
j’écris ton nom…

A
u printemps 2018, Le Courrier, journal de la gauche genevoise
titre : « Un clitoris à la craie leur vaut une amende ». Le
journaliste s’indigne : deux étudiantes « féministes » ont été
verbalisées « après avoir dessiné à la craie un clitoris au Jardin anglais »1.
Une photographie, utilement annexée, permet de constater l’outrage. Au
même moment en bord de lac, là où aux beaux jours la cité calviniste fait
valoir ses charmes, un « clito » s’expose, provocateur. L’intervention est
éphémère (un dessin à la craie blanche), elle n’en est pas moins efficace.
Clito et jet d’eau géants se jaugent. D’un côté, le jet, installé dans la rade
depuis 1891, portant à 140 mètres de hauteur les eaux du lac, devenu depuis
l’emblème de la ville et dont la nature phallique soudainement nous
apparaît ; de l’autre, un clitoris aux bulbes « réalistes », une image sans
référent dont il s’agit de manifester l’importance aux yeux de toutes et de
tous. « À part sa partie externe (et visible) », précise l’une des activistes – et
nous devons nous interrompre à la lecture, reconnaissant avec une fierté
vite refoulée qu’il s’agit d’une de nos anciennes étudiantes – le clitoris
complet « est méconnu autant des hommes que des femmes ». Et d’ajouter :
« il est ignoré des manuels scolaires et même des cours d’éducation
sexuelle »2. Ici se situe le véritable outrage : l’ignorance d’un organe massif
et de sa physiologie. La performance se veut pédagogique. Révéler aux
yeux de toutes et de tous cette « réalité » du clitoris vise à briser les tabous
qui entourent « la sexualité féminine », déjouer le mythe de « l’orgasme
vaginal », tordre le coup à Freud et à sa conception de la sexualité de la
« femme adulte », questionner les normes qui continuent de guider les
conduites dans les chambres à coucher… Exposé ainsi sur la place
publique, le clitoris « entier » devient un objet et un enjeu public et
politique. Donner à voir, c’est proposer de savoir. Et comme depuis
Foucault, savoir c’est pouvoir, les liens que savoir, science et politique
entretiennent ordinairement deviennent ainsi manifestes.
C’est bien d’ailleurs la nature publique de l’intervention, et plus
précisément les entraves à l’usage de l’espace public et à la liberté de
circulation qu’elle suscite, que la police municipale invoque pour justifier
l’amende. Du contenu du message, de ce drôle « d’objet-clitoris », il n’est
bien entendu pas question. La police évite de mentionner ce qui
manifestement a posé problème. La contravention de 100 francs suisses
pour chacune est justifiée, précise la commandante de la police municipale,
par le fait que « ces contrevenantes, outre le fait qu’elles dessinaient sur le
domaine public (…) avaient oblitéré une partie du cheminement public avec
un vélo afin de protéger leur dessin ».
L’acte helvète n’est pas isolé. Il s’inscrit au contraire dans une longue
chaîne de performances contemporaines. Une jeune américaine, Laura
Kingsley, répertorie sur un site créé à cet effet les interventions qu’elle
décompte, une centaine dans différentes villes des États-Unis. Clitorosity,
c’est le nom du projet, se présente comme un effort « communautaire »
pour « célébrer la structure entière du clitoris »3. Le constat est simplement
mais efficacement formulé : « Des milliards de personnes sont dotées d’un
clitoris, mais cette partie du corps reste largement méconnue. Le clitoris est
souvent considéré (…) comme une petite structure externe du corps. Nous
souhaitons changer cela ». L’ensemble de l’organe clitoris « peut être
cartographié et sa fonction peut être expliquée comme pour n’importe quel
autre organe. Que vous ayez ou non un clitoris, il est temps de nous
informer et d’informer les autres sur l’une des parties les plus sensibles du
corps humain ». La page d’accueil du site arbore – clichés photographiques
et vidéos à l’appui – moult clitoris urbains et trottoirs clitoricisés. La
motivation de l’activiste ? Changer les représentations pour changer les
expériences possibles de la sexualité. Dessiner pour informer, troubler,
provoquer la discussion.
Si on suit les préconisations de la théoricienne féministe et critique des
sciences Donna Haraway4, de tels gestes symboliques et matériels comptent
comme autant de propositions perturbantes, d’actions contaminatrices. Il
s’agit par la répétition de l’acte, sa diffusion matérielle et virtuelle, de
transformer les représentations autant que la réalité de ce qui est donné
comme « nature ». Les pionnières de la critique féministe des sciences ont
montré comment le corps apparaît toujours signifié dans des contextes
particuliers et suivant des perceptions et des interprétations traduites dans la
langue et la culture d’une époque5.
Qu’il soit possible de dessiner à la craie un clitoris dont la forme diffère
des représentations antérieures disponibles (tant profanes que savantes)
témoigne des transformations intervenues depuis quelques décennies dans
la sphère scientifique et médicale autant que dans la société. Il faut sans
doute de nouveaux rapports de genre et plus généralement de nouveaux
rapports sociaux pour que des scientifiques s’intéressent à décrire autrement
les caractéristiques physiologiques et fonctionnelles de ce mal-connu, le
« clitoris ». Cette connaissance nouvelle est à son tour appropriable et
susceptible de dessiner de nouvelles formes de l’expérience. Il faut encore
et toujours de la science et de la société pour que ce qu’il en est de la nature
de ce qui est (ici un organe) puisse être collectivement (et individuellement)
signifié. Qu’en est-il alors des capacités d’agir (l’agency comme on dit en
anglais) de l’organe ainsi redéfini ? Qu’est-ce que cela change de savoir
(c’est-à-dire d’admettre collectivement) que le « clito » serait plus qu’une
« simple excroissance au-dessus d’une fente », mais un organe volumineux,
interne et externe, doté de « corps spongieux » et de « bulbes » ? Quelles
sont les potentialités nouvelles qui s’offrent à ce nouveau « sujet-femme »
doté d’un tel « clito », d’un clito dit « entier » ? Quels effets, tant du point
de vue privé que public, existentiel que sexuel, individuel que collectif ? En
quoi les connaissances actuelles pourraient-elles être le moyen pour les
femmes de se réapproprier leur corps, leur sexualité et leur histoire ?
Que la question soit mise à l’ordre du jour en s’écrivant sur les trottoirs de
nos villes est matière à réjouissance. L’interpellation est un acte salutaire.
Elle est mise en acte du fait que nos corps sont politiques et suggère qu’ils
pourraient être « notre » politique. Interpeller sur ce qu’il en est de la nature
des choses c’est finalement questionner la politique des savoirs et prendre
acte du fait, comme dirait Bruno Latour, que « les sciences sont la
continuation de la politique par d’autres moyens ». L’adresse porte alors et
aussi sur les savoirs et les pratiques que nous souhaitons ou non
collectivement favoriser.

Quels savoirs, pour quelles politiques du clitoris ?


Au moment où j’écris ces pages, l’actualité du clitoris semble ne jamais
devoir céder. Indéniablement, il est à la mode. Embrasser et décrire l’objet
et les multiples manières dont on en a parlé, l’affaire devient de plus en plus
complexe, risquée, tant il est désormais investi et brandi. Comme autrefois
« liberté », il s’agirait aujourd’hui, « clitoris », d’écrire ton nom ? Sur mes
cahiers d’écolier, Sur mon pupitre et les arbres, Sur le sable sur la neige…
Sur toutes les pages lues, Sur toutes les pages blanches… Dessiner, écrire,
quelle est la stratégie de ces actrices et quelle peut être la nôtre ? S’agit-il
seulement d’interpeller ou d’intervenir ? De réparer l’oubli, de corriger les
erreurs, de parler à la première personne, dire « nous », ou bien faut-il, une
fois encore, pour mieux comprendre, écouter ce qu’ils en dirent, entendre
les mondes qu’elles et ils ont habités au fil du temps et des lieux, mesurer
avec effroi ce qu’ils en firent, déployer ce qu’il en est – pour imaginer ce
qui pourrait être ?
Ce livre prend la forme d’une anatomie politique méthodique mais
partielle et donc partiale. Il s’organise autour des mots des autres (et plus
rarement des unes). Mots savants pour une part, normatifs ou coloniaux de
l’autre. Mots surprenants, édifiants parfois. Assertions fortes, sentences
définitives, interrogations plus rarement. Il s’agit de suivre des hommes de
sciences et des femmes de lettres, des hommes politiques et des activistes,
des hommes et des femmes d’ici et d’ailleurs qui, d’hier à aujourd’hui, ont
écrit ou parlé du clitoris. Dans ces textes et discours, le savoir paraît
toujours premier, l’expérience seconde, reléguée dans les plis de l’intimité,
dite par des tiers plutôt qu’exprimée par soi, contrôlée et jugée de
l’extérieur plutôt que vécue. Suivre et développer ces bribes d’écritures
permet de passer d’une situation à une autre, d’une époque à une autre, d’un
espace culturel à un autre, faire varier ce qu’on a pu connaître et
expérimenter du clitoris comme « siège de la volupté » chez les femmes, et
prendre la mesure des implications personnelles, sociales et politiques
d’une telle connaissance ou, au contraire, d’une telle méconnaissance, ou
dénégation.
Loin d’une formule didactique ou d’un exposé magistral, j’ai choisi une
réflexion qui progresse du plus concret au plus abstrait, du plus technique et
médical au plus social et politique, permettant de mettre en œuvre ce qu’une
lecture féministe et sociale des sciences ouvre en termes d’espace critique.
D’une scène à l’autre, d’une histoire ancienne à une situation
contemporaine, le caractère historiquement situé et contingent des
significations liées au corps, au genre et à la sexualité s’affirme. Des
ressemblances et dissemblances entre les formes de conceptualisation et de
représentation passées et présentes s’esquissent et permettent de penser la
répétition des motifs autant que les transformations effectives, tant du point
de vue des connaissances « objectives » de l’anatomie féminine que de
l’expérience « subjective » de la sexualité et du plaisir. Les chemins par
lesquels science et société se trouvent reliés s’avèrent multiples, plus étroits
et plus denses qu’on ne l’imagine généralement ; le partage entre « faits » et
« représentation » plus incertain. Plus fondamentalement, les liens entre
connaissance et capacité d’agir des femmes peuvent être questionnés.
Savoir sur les femmes ou à partir de leur expérience ? Expériences
objectivées ou venues de l’expérience du corps et appropriables ? Et quelle
différence entre l’actuel clitoris 3D à taille réelle, le clitoris infantile de la
théorie Freudienne ou les labia minora de la Renaissance ? Comment et
pourquoi mesurer, disséquer, coudre, circoncire, exciser, réparer ou
standardiser l’organe ? Quel clitoris pour quelle sexualité – mais aussi
quelle politique ?
Entre médecine, art et société, il s’agit de faire varier les facettes multiples
d’un « clitoris » dénié, méconnu, minimisé, « objectifié » ou, au contraire,
reconnu, redéfini, réinvesti, « agentifié ». S’ouvre alors la question des
enjeux de pouvoir à l’œuvre dans les luttes pour la connaissance et la
reconnaissance. Que nous apprend l’orientalisation du clitoris de la
colonialité du désir ? Comment « être femme » avec ou sans clitoris dans un
monde globalisé ? Quelle place pour celles et ceux qui « diffèrent » tant du
point de vue morphologique que du point de vue des sexualités ? Si la
« reconquête » du clitoris a été thématisée comme un instrument de
décolonisation du corps et de la sexualité des femmes hétérosexuelles qu’en
est-il des appropriations lesbiennes, queer et postconiales de l’organe ?
Clitoris d’hier et d’aujourd’hui, clitoris savant et profane, clitoris
d’Occident et d’Orient, clitoris hétéro ou lesbien, il est ici question de la
façon dont les savoirs et les pratiques médicales façonnent et définissent
l’expérience intime des femmes, dont la connaissance peut devenir un enjeu
de lutte individuelle ou collective.
1
ClitOccident.
Clito d’ici.
« Ce pudendum est si petit et caché [...] que je fus le
premier à le découvrir »
6
Gabriele Fallopio, 1561

Les mots et la chose… La connaissance savante a beaucoup composé au


cours du temps avec un organe embarrassant à plus d’un titre. Il semble que
l’Occident latin disposait de la description savante du clitoris. Il en est ainsi
de la description de Soranus, transmise par Moshion, où le clitoris est
nommé landica7. Les médiévistes considèrent que cette connaissance
(grecque et arabe) a été « perdue » par les autorités médicales européennes
et imputent cette disparition aux approximations et variations des
traductions latines des sources arabes. Le clitoris est alors soit identifié aux
labia minora (lèvres), soit, suivant Avicenne, conçu comme une croissance
pathologique que ne posséderaient que certaines femmes. Ce que nous
nommons aujourd’hui « clitoris » n’est ni un terme ni un objet stable dans
le temps et l’espace. Les recherches terminologiques récentes de Michèle
Clément en témoignent, le clitoris est d’abord dit « par toutes sortes de
détours lexicaux » tout au long de l’Antiquité et du Moyen Âge – mais « la
réalité existe sans le mot technique pour la désigner ». « Symétriquement »,
écrit-elle, « le mot “clitoris” apparaît en grec tardif (Diogénien, Rufus
d’Ephèse, Hésychius) sans toutefois qu’il désigne ce que nous appelons
aujourd’hui “clitoris”, mais plutôt comme ce que nous désignons comme la
“nymphe” »8.
Lost in translation, le clitoris ? Déniés la chose et le mot ? On peut
imaginer qu’il existe de bonnes raisons pour que le siège du plaisir féminin
disparaisse de la réalité et de la représentation savante de l’Occident
chrétien. On doit pourtant prendre au sérieux les historien·n·es qui insistent
sur le fait que dans un contexte où la science du corps est avant tout exégèse
des textes anciens, nommer un organe est essentiel à son mode d’existence.
Au-delà des premières dissections animales puis humaines qui se produisent
à partir de la fin du xiiie siècle, l’anatomie demeure pour l’essentiel une
« quête des mots »9. La toponymie des organes sexuels et reproducteurs
fournit un exemple privilégié de l’amplitude des divergences qui peuvent se
manifester d’un auteur à l’autre. Si cette instabilité des données
anatomiques peut paraître inconciliable avec un système physiologique
cohérent c’est aussi que la conception de la physiologie d’alors diffère de la
conception qui émerge à partir du xixe siècle et qui nous est familière. Dans
la physiologie médiévale fondée sur les mécanismes des humeurs et des
forces transmises par les esprits (pneuma), les organes sont considérés
comme des lieux de passage, des réceptacles ou des véhicules – ils n’ont
pas, comme dans la physiologie moderne, de « fonction spécifique ».
Qu’en est-il du « mode d’existence » du clitoris quand la dissection
s’impose comme un mode de la connaissance des corps ? Soyons claires :
les « faits anatomiques » ne surgissent pas tout armés sous le scalpel du
chirurgien, ils ne surgissent pas avec plus d’évidence ou de facilité que
d’autres faits « naturels » – et le corps ne parle pas de lui-même. Dans la
chirurgie de Mondino dei Luzzi et de Guy de Chauliac, à la fin du Moyen
Âge, le clitoris est décrit avec une grande imprécision mais se voit doté
d’une utilité, avec l’attribution d’un rôle de protection des corps étrangers
similaire à celui joué par la luette dans la gorge. Il s’agit de la reprise d’une
tradition disponible. Galien avait lui aussi accordé un rôle de ce type à
l’organe : « Les apophyses charnues, qui, dans les deux sexes, se trouvent à
l’extrémité du pudendum, chez la femme, servent d’ornement, et sont
disposées en avant des matrices comme un rempart contre le froid […] »
écrivait-il10. C’est Gabriele Fallope, élève du chirurgien Vésale et
professeur d’anatomie à l’université de Pise et Padoue qui, selon les corpus
savants, établit en premier un lien entre une « sensibilité particulière » du
corps féminin et l’organe, l’autorisant à dire : « Ce pudendum est si petit et
caché [...] que je fus le premier à le découvrir ». Il désigne cette partie de
l’anatomie féminine par le mot « keitoris » (« clitoris ») qu’il reprend du
grec à Rufus d’Ephèse11. Le terme qui dérive du verbe « fermer » et signifie
littéralement « fermoir », sera également utilisé par Paré (1575) et Liebault
(1585) pour désigner l’organe. Une dispute de priorité intervient alors entre
Fallope et Mateo Realdo Colombo, un autre disciple de Vésale. Colombo
n’utilise pas le terme « clitoris » mais s’appuyant sur de nombreuses
dissections (et manifestement sur d’autres formes d’expérience) décrit
précisément cette partie comme « le principal siège du plaisir féminin
quand elles font l’amour » précisant à l’attention de ses lecteurs : « si tu le
touches, tu te rendras compte qu’il se durcit et s’allonge, présentant même
l’apparence d’une sorte de membre viril ». S’étonnant de ce que « personne
jusqu’ici n’a remarqué ces protubérances, ni leur utilité » il se propose de
nommer ce qu’il a trouvé « l’amour de Vénus » ou la « douceur »12. La
querelle de priorité entre Fallope et Colombo demeure, elle n’est pas
tranchée par Vésale qui, lui, conteste avec vigueur qu’il y ait même
« découverte » – c’est-à-dire, qu’on puisse établir que le clitoris participe de
la structure anatomique « normale » des femmes. Vésale réaffirme ainsi la
tradition disponible selon laquelle le clitoris est un fait pathologique,
présent uniquement chez les « femmes hermaphrodites ».
Comme le rappelle l’historienne américaine Katharine Park13, qui a
proposé une histoire détaillée de cette « redécouverte » du clitoris par la
médecine de la Renaissance, le clitoris pose problème aux chirurgiens dans
un contexte où domine une représentation des organes génitaux féminins et
masculins qui fonctionne terme à terme. Depuis les travaux de Thomas
Laqueur14, nous savons que l’Occident a longtemps développé une
conception de la différence de sexe basée sur le modèle d’un « sexe
unique », d’une représentation unifiée du corps humain dans laquelle les
différences s’inscrivent sur un continuum entre un pôle masculin et un pôle
féminin. Hommes et femmes ont les mêmes organes génitaux et
reproducteurs, les uns situés à l’extérieur, les autres à l’intérieur. Sans nier
toute hiérarchie, ce modèle est essentiellement « symétrique » et l’emporte
de l’Antiquité à la fin du xviiie siècle. Ce n’est qu’avec le développement
des sciences naturelles et biologiques modernes que s’affirme le modèle dit
des « deux sexes », une conceptualisation de la différence comme
incommensurablement ancrée dans le corps des unes et des autres, un destin
corporel qui aidera à justifier les inégalités politiques entre hommes et
femmes à l’heure de l’émergence des idéaux égalitaires.
C’est bien sûr dans l’univers du « sexe unique » et de l’analogie entre
organes féminins et masculins que travaillent Fallope et Colombo. L’espace
des représentations possibles est celui de la matrice comme organe
équivalent mais inverse (et caché) du pénis. Ainsi, les planches
anatomiques réalisées par Vésale (1543) donnent-elles à voir une matrice
ressemblant en tout point à une verge en creux et intérieure. Cette
représentation est stupéfiante pour l’œil contemporain qui se trompe
immanquablement et n’y reconnaît jamais l’appareil génital féminin, un test
qu’il est possible de réaliser auprès de tout public en cachant la légende de
l’image. Sur une planche plus détaillée, figurant trompes et ovaires, on peut
y lire que ces dernières sont les « testicules des femmes », ce qui nous
renvoie à cette économie de l’analogie entre appareils féminin et masculin.
Depuis Galien, en effet, les ovaires sont les testicules, l’utérus le scrotum,
son col le pénis et le vagin le prépuce. Dans un tel contexte, les propositions
de Gabriel Fallope et de ses disciples ne peuvent être facilement assimilées
– sauf à inventer un équivalent masculin au clitoris (ce que certains feront
du prépuce) de façon à ne pas doter les femmes d’un pénis miniature en sus.
Comme « fait empirique », le clitoris est donc un fait explosif puisqu’il
menace de dissoudre le modèle en place – un modèle qui, pourrait-on dire,
avait fait ses preuves en matière de représentation savante du monde. Ainsi,
le « fait scientifique » (ici « anatomique ») ne surgit-il pas spontanément de
l’expérience ou de la dissection. Il est le fruit d’une discussion soutenue
entre l’existant et le nouveau. Comme « surgissement », il ne peut advenir
qu’en négociation avec la tradition, en accord avec une communauté en
redéfinissant en son sein les propositions. Vésale rejette la « découverte »
de Fallope car elle est incompatible avec la conception existante (et donc
avérée par ses propres observations) de l’anatomie des appareils génitaux
masculins et féminins. Et plus Fallope décrit et précise les « capacités » du
clitoris, plus il le décrit en homologie avec celles du pénis, insistant sur son
excitabilité. Il entre alors en contradiction avec le modèle prévalent et
contredit les certitudes « naturelles » et morales en vigueur.
La « (re)découverte » du clitoris comme organe non pathologique de
l’anatomie féminine a donc des implications médicales et politiques. Si la
confusion entre le clitoris et les lèvres semble levée vers 1590 du fait des
travaux des chirurgiens15, de nouvelles questions et de nouvelles
inquiétudes surgissent qui ont trait à la taille de l’organe et au risque que
fait courir, à la nature comme à la société, le fait que « des » femmes en
soient dotées et en fassent usage.
« Au reste, la conformation de ces tribades se rapproche
de celle des hermaphrodites, parce que leur clitoris
ressemble à la verge humaine »
16
Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle, 1803

Dans la période qui suit la « redécouverte » par les chirurgiens de la


Renaissance du clitoris, ce dernier prend de plus en plus de place dans les
discours comme dans les faits, prenant des proportions avantageuses (ou
désavantageuses) conduisant à de nouveaux positionnements, de nouvelles
remédiations – et à des questions politiques inédites. Si les femmes (ou
certaines femmes) sont dotées d’un petit pénis, cela signifie qu’elles sont
susceptibles de pénétrer d’autres femmes et de leur donner du plaisir. Le
désordre qui s’ensuit est autant « naturel », « moral » que politique. Dans
son traité Monstres et prodiges publié pour la première fois en 1573, le
chirurgien français Ambroise Paré17 opère une série de déplacements sur ce
sujet. Il établit un lien entre clitoris de « grande taille » et hermaphrodisme
et entre clitoris et homoérotisme féminin. L’hermaphrodite, qui renvoyait
jusqu’alors à un homme efféminé (suivant l’histoire originelle d’Ovide) se
fait désormais femme bisexuelle et agressive sexuellement. Ces femmes
dotées d’organes disproportionnés sont potentiellement criminelles. La
figure de la « tribade » mise en avant par Paré devient un topos de la
littérature médicale. Elle est le symbole de l’inversion de l’ordre du ménage
et de l’expropriation du foyer de l’autorité masculine en une époque de
régence féminine. Le contexte politique joue un rôle dans la vitalité de ce
motif, le thème de la monstruosité et de l’inversion de l’ordre familial et
politique étant notamment utilisé contre la régence de Catherine de Médicis.
Les « tribades » (le mot est attesté pour la première fois en 1566) sont
présentées comme des femelles hermaphrodites qui abusent la nature
humaine et l’ordre social18. Si le sodomite commet un crime de « lèse-
majesté », la prise de possession sexuelle d’une femme par une autre
semble relever d’un crime de « lèse-patriarcat ». La clitoridectomie apparaît
ainsi comme la solution médicale (et indissociablement sociale et politique)
à ce désordre. Il est important de souligner que ces considérations ont eu
des conséquences concrètes au cours des siècles suivants pour des
personnes réelles. Dans une série de cas de travestissement, de pratiques
sexuelles « contre nature » ou d’usurpations d’identités de genre, comme
dans les cas plus tardifs dits de female husbands19 en France, en Angleterre
ou aux Pays-Bas aux xviie et xviiie siècles, les médecins et chirurgiens sont
mis à contribution pour définir les comportements féminins légitimes et
statuer sur la nature des actes sexuels commis en procédant à l’examen
anatomique de leurs auteures20.
Le cas de Marie le Marcis, accusée de sodomie en 1601 est à cet égard
exemplaire et sans doute l’un des plus intéressants du fait de la controverse
médicale qu’il a occasionnée et du retentissement qu’il a eu (la sodomie a
alors un sens large et recouvre les crimes « contre-nature » tels que la
bestialité, les relations sexuelles entre hommes ou entre femmes). L’affaire
concerne une personne « qui ayant esté baptisé, nommé, vestu, nourri et
entretenu pour fille, jusques à l’âge de vingt ans ; après qu’il eut senti des
indices de sa virilite, changea d’habit, et se fiança et donna foy de mariage,
à une femme, laquelle il cognut charnellement par plusieurs fois »21. Marie
devient concubine de Jeanne, chambrière de son état, elle se fait bientôt
appeler Marin, s’habille en homme, s’approprie le genre masculin et
parvient à épouser Jeanne. Condamnée à mort en première instance, Marie
porte sa cause au Parlement de Normandie qui ordonne une série
d’expertises. Son cas est alors examiné par six docteurs en médecine, deux
chirurgiens et deux sages-femmes dont la majorité conclut qu’elle est
« fille » et non homme comme il·elle le prétend, reflétant ainsi l’opinion
des experts du tribunal de première instance. C’est entre Duval et Riolan
que la controverse est la plus vive et intéressante. Duval qui avait procédé à
un examen physique détaillé du corps et du sexe de Marie, considérait
qu’elle était un hermaphrodite mâle – et par conséquent innocente du crime
de sodomie – cependant que Riolan (qui s’était refusé à un tel examen et se
basait sur les observations de ses confrères) considérait qu’elle était une
femme tribade. Pour Duval, dans la tradition de la génération issue de
Galien et d’Hippocrate, les hermaphrodites sont en soi un sexe
intermédiaire, et cette diversité naturelle est une manifestation de la
créativité divine. Il assume un modèle continu de la diversité des natures
humaines (mais non de la liberté des pratiques sexuelles) qui s’oppose à la
proposition aristotélicienne d’un système binaire des sexes reprise par
Riolan. À l’inverse, Riolan incarne une figure médicale vouée à une grande
postérité puisqu’il se pose en gardien d’une dichotomie sexuelle reposant
sur la fonctionnalité ou la non fonctionnalité des organes génitaux en
matière de reproduction (et en particulier, la présence ou l’absence de
testicules masculins). En dépit de leurs désaccords, l’un et l’autre
s’accordent toutefois sur un point essentiel et nouveau : c’est au savoir
médical et non au droit de trancher sur l’ontologie des êtres. Quant à Marie,
il·elle échappe à la mort mais est enjoint·e par la justice de recouvrer son
identité de femme et interdit·e d’habiter avec une personne de son sexe, au
« risque de sa vie ».
Comme on le voit, la question de la taille du clitoris et de l’homoérotisme
sont présents de façon significative dans la culture de la fin du xvie et du
début du xviie siècle et obligent à une série d’examens détaillés des « états
des corps » et des identités revendiquées de sexe/genre. Avant le
« surgissement » du clitoris sur la scène médicale et littéraire, la pénétration
d’une femme par une autre n’était imaginée que par le truchement d’un
instrument. Les créatures faisant usage de « godemichés » étaient
considérées comme des criminelles qui entretenaient notamment, par de
telles pratiques, le « mépris des hommes ». Mais le clitoris, plus visible
médicalement et culturellement, tend à se substituer à l’instrument. Le
médecin et botaniste français Jacques Daléchamps (1513-1588) joue un rôle
particulier dans la propagation de l’idée souvent reprise après lui qu’il
existe des femmes capables d’abuser la nature humaine au moyen de leurs
propres organes. Il nomme à son tour « tribades » celles qu’il considère
comme des « femelles hermaphrodites » et qui, disposant comme les
« Égyptiennes » de « nymphes » anormalement larges, ont des érections et
en jouent avec d’autres femmes. À grand renfort de citations latines,
grecques et arabes, il établit ce nouveau standard de la littérature
européenne établissant un lien entre la taille anormale du clitoris et
l’homoérotisme féminin. De l’analogie établie entre la physiologie
imaginée des Égyptiennes et celle de ces « tribades » découle également la
préconisation de l’excision. Or, les auteurs anciens ou arabes n’assimilent
pas plus anatomie « particulière » et pratiques érotiques entre femmes que
ces pratiques érotiques avec la nécessité de l’excision. Transférant de façon
abusive les thèmes orientaux vers l’Occident, Daléchamps invente la
« tribade » comme problème et l’excision comme solution. Quoi qu’il en
soit du destin variable des remédiations proposées au problème moral et
politique du commerce sexuel entre femmes, désormais, et pour trois
siècles, le terme de « tribade » s’impose pour désigner ces pratiques
homoérotiques.
Que sait-on de ce qu’il advenait des femmes qui transgressaient les règles
morales et sociales par leurs comportements sexuels ? Comme les travaux
de Sylvie Steinberg en atteste, la matérialité des actes « sodomites » entre
femmes est difficile à établir à l’époque moderne22. Aux xviie et xviiie siècle,
les procès étudiés pour ces motifs témoignent encore du fait que ce n’est
pas tant le « clitoris » qui fait le crime que l’instrument. Si les juges français
menacent de peine de mort les femmes « luxuriant » ensemble, ils
manquent souvent de preuves pour les condamner. Les juges espagnols et
italiens sont tout aussi sévères. Mais si l’acte a lieu par « frottement », les
faits étant difficiles à établir, le jugement et la peine demeurent incertains en
dépit de la gravité des transgressions que sont la « sodomie » ou la
« profanation des sacrements du mariage ». Comme dans le précédent que
constitue le cas de Marie le Marcis, il convient de statuer sur la « nature »
des êtres pour statuer sur la « nature » des actes. Il faut noter en effet que la
loi française ne punit pas l’état « naturel » qu’est l’hermaphrodisme mais
les relations sexuelles illicites qui sont généralement poursuivies à la suite
de dénonciations.
Au milieu du xviiie siècle, la traduction en français (notamment par
Diderot) de l’encyclopédie médicale du médecin britannique Robert James
invite à la retenue en la matière. À l’article « tribade », ce dernier écrit :
« quoique le clitoris soit ordinairement caché au-dedans des lèvres des
parties naturelles des femmes ; on en trouve qui déborde dans lesquelles il
déborde si fort, que les personnes ignorantes croient qu’elles ont été
transformées en homme »23. Il y a bien là une invitation toute médicale à ne
pas punir une personne susceptible d’être trahie à son insu par son
anatomie. Plus loin, Robert James se fait plus explicite, appelant
indirectement à la clémence en faisant référence à un cas demeuré célèbre :
« celles qui abusent de cette conformation avec d’autres femmes sont
appelées par les Grecs tribades et par les Latins fricatrices (…). Une, entre
autres, nommée Henriette Scuria étant ennuyée de son genre de vie que
mènent les personnes de son sexe s’habilla en homme et s’en fut servir sous
le prince d’Orange. Lorsqu’elle fut de retour chez elle on l’accusa d’avoir
un commerce criminel avec d’autres femmes et de pratiquer avec elles ce
commerce lascif, que les Grecs appellent kleitorizein à cause que le clitoris
lui débordait hors des lèvres, d’une manière extraordinaire. Elle pouvait
exécuter ce que les Grecs appellent tribein avec tant de force et de vigueur
qu’elle gagna le cœur d’une veuve dont elle devint à son tour si éperdument
amoureuse que si les lois le lui eussent permis elle l’eut épousée » – et de
préciser qu’elle fut néanmoins condamnée au fouet et au bannissement.
Ainsi, même si l’époque moderne peut être décrite comme relevant d’une
certaine forme de tolérance à l’égard des « ambiguïtés anatomiques », elle
ne tolère pas la transgression des rôles de genre ni les pratiques sexuelles
illicites. Quant à la plasticité des représentations et des êtres sur l’échelle
continue du sexe/genre, elle tend à s’atténuer au xixe siècle avec
l’affirmation d’un système de classement en deux catégories reposant sur la
fonctionnalité des organes génitaux et leurs capacités reproductives24.
« De la clitoridectomie comme traitement de l’hystérie,
de l’épilepsie et de l’aliénation »
25
Dr Ullerspreger, 1869

Aspect mal connu des pratiques médicales occidentales, la clitoridectomie


a été pratiquée en Occident jusqu’à l’époque contemporaine – au nom de la
lutte contre l’onanisme, la nymphomanie, l’hystérie et d’autres troubles
psychiques ou sexuels plus ou moins répertoriés. Ces gestes irrémédiables,
mais revendiqués, passent par la cautérisation, la section, ou l’écrasement
de l’organe. Pratiqués en Europe et aux États-Unis du début du xixe au
début du xxe siècle, ils suscitent publications, discussions et polémiques au
sein du corps médical. Il est en effet une tradition qui participe en Occident
d’une culture matérielle (et pas seulement symbolique) de mutilation du
sexe et du plaisir féminin. L’affaire semble notamment britannique, avec
Isaac Baker Brown26 dont l’intérêt pour les opérations à risques, l’habileté
technique et l’audace ont retenu l’attention des contemporains. Brown se
fait connaître dans les années 1850 à Londres comme chirurgien
obstétricien. Il est l’un des premiers à utiliser le chloroforme pour les
accouchements, pratique de nouvelles interventions chirurgicales pour
soigner les fistules vaginales, et expérimente également l’ovariotomie.
L’une de ses premières patientes en la matière est sa sœur qui,
contrairement à d’autres, a la chance de survivre à l’opération. Célèbre, il
attire une clientèle de patientes des hautes sphères de la société londonienne
et fonde en 1858 un hôpital spécialisé dans le traitement chirurgical des
« maladies des femmes ».
Mais, au-delà du traitement de lésions physiques, Brown va développer
une clinique spécifique du traitement de l’hystérie et de la masturbation en
s’attaquant à l’organe accusé d’en être la cause. Comme l’a montré Thomas
Laqueur dans son histoire de l’onanisme27, la question de la masturbation ne
devient une question morale et médicale, et une véritable obsession
sociétale, qu’à partir du début du xviiie siècle. Au cours du xixe siècle, elle
est clairement associée aux maladies mentales, à la folie. Pourchassées chez
les enfants et les jeunes gens, les pratiques masturbatoires le sont aussi chez
les fillettes et les femmes justifiant dans certains cas des prises en charges
médicales drastiques. Loin des demi-mesures, Brown affiche ainsi son
mépris pour les usages connus d’application de substance caustique sur le
« nerf pubien » et se propose de placer ses patientes « idiotes, épileptiques,
hystériques, paralytiques, jeunes et vieilles » « sous les effets du
chloroforme » et de pratiquer « l’excision sans contrainte du clitoris à l’aide
de ciseaux ou d’un couteau »28. Une option que n’aurait pas contredite le
médecin français Léopold Deslandes, grand spécialiste de la masturbation
et qui écrivait à propos de la clitoridectomie : « une telle détermination loin
de blesser le sens moral est conforme aux exigences les plus sévères. On
fait alors comme tous les jours quand on ampute un membre ; on sacrifie
l’accessoire pour le principal, la partie pour le tout 29 ». Quant à Brown, il
vantera tout particulièrement ses succès en matière de nymphomanie
garantissant la guérison définitive. Suivi par ses confrères britanniques sur
le constat que l’onanisme provoque chez la femme hystérie, épilepsie,
catalepsie, et peut ainsi conduire à la mort, il le sera moins sur la méthode
mise en œuvre pour y remédier. Quant au caractère pour le moins brutal du
traitement, il a été révélé par l’un de ses assistants venu témoigner contre
Brown – qui sera finalement exclu de la société britannique d’obstétrique.
Les précisions fournies sont crues : les opérations sont conduites à l’aide
d’un fer cautère ; celui-ci est passé sur « la base du clitoris jusqu’à ce que
son origine soit séparée de ses attaches, étant partie coupée ou sciée, et en
partie jetée à la poubelle. Après que le clitoris eut été enlevé, les nymphes
étaient coupées de chaque côté ». L’intervention se terminant en « sciant les
surfaces des lèvres et des autres parties de la vulve qui avaient échappé »30.
Brown s’attire l’animosité de ses collègues – mais pour des raisons qui
tiennent davantage aux règles déontologiques qu’à la nature des traitements
mis en œuvre. On lui reproche de faire publicité de ses techniques en dehors
des règles de la bienséance, de surévaluer ses résultats, voire de les
trafiquer. C’est ce manque de discrétion sur des sujets délicats, et une
démarche essentiellement mercantile, qui suscite la réprobation morale,
déontologique et finalement scientifique. On découvre par exemple qu’il a
pratiqué des interventions « sur des femmes mariées » sans le
« consentement de leurs maris » ! Le non-respect du code d’honneur du
médecin – qui a certes toute autorité sur ses patientes mais ne doit pas en
abuser pour assurer sa fonction de protection de la gente féminine – le
conduit à sa perte.
Le caractère sulfureux des expériences d’Isaac Baker Brown n’empêche
pas leur réitération dans d’autres pays et à d’autres périodes. C’est le sens
du traité cité en exergue et emprunté au médecin Ullersperger qui y insiste
encore en 1869 : « Dans les cas d’onanisme invétéré chez des filles, des
femmes et surtout des veuves, lorsque la répétition trop fréquente de la
masturbation se traduit non seulement par des symptômes physiques mais
encore par des signes de trouble intellectuel et que les ressources ordinaires
de la thérapie sont restées sans succès, je n’hésite pas à recommander
l’amputation du clitoris et des petites lèvres »31. S’il est possible de dire que
la clitoridectomie a surtout été pratiquée durant la première partie du
xix siècle en Europe contre des personnes considérées comme souffrant de
e

symptômes aliénants, elle est encore pratiquée au début du xxe siècle par
des professionnels français, viennois ou américains. Mais l’idée suivant
laquelle la masturbation serait l’effet plutôt que la cause de l’hystérie
s’imposant progressivement, « l’onanisme devient moins dangereux aux
yeux du corps médical et la perte du clitoris apparaît disproportionnée »32.
Dans le cas américain, les pratiques sont quelque peu décalées dans le
temps et on compte encore 24 publications sur des cas de clitoridectomie
dans des revues médicales entre 1867 et 1912. S’il est difficile de se faire
une idée du nombre d’opérations effectivement réalisées durant cette
période, il est clair que ces traitements sont discutés de la façon la plus
sérieuse par les instances médicales. De l’étude des cas cliniques présentés
par les praticiens américains, il ressort deux types de patientes et
d’indications. En premier lieu, et dans la continuité des épisodes précédents,
la clitoridectomie concerne jeunes filles et femmes aux pratiques
masturbatoires « compulsives », auxquelles s’ajoutent celles qui seront de
plus en plus souvent définies comme « nymphomanes ». L’examen par les
médecins des parties intimes de ces patientes (clitoris « élargis », « irrités »
« rougis ») permet de statuer sur la maladie et d’opérer. Mais l’opportunité
de ces opérations est de plus en plus discutée à une époque où on
s’interroge sur les origines physiologiques ou mentales de ces
« irritations ». À quoi sert, en effet, d’enlever l’organe de « l’irritation » si
l’irritation est finalement de source nerveuse et logée dans le cerveau ?
Les opérations s’orientent aussi vers d’autres indications : les préférences
auto-érotiques des femmes mariées, incompatibles avec les exigences de la
vie conjugale. Quand le désintérêt d’une épouse pour l’acte conjugal est
manifeste et qu’on a connaissance de l’existence de « manipulation
clitoridienne », il convient de restaurer « l’épouse » dans ses instincts
sexuels « normaux » et de s’orienter vers la « circoncision féminine ». Les
médecins américains du début du xxe siècle s’emploient d’abord à assainir
la vulve – leur idée étant qu’il faut prévenir l’accumulation du smegma (la
substance qu’elle sécrète) et nettoyer soigneusement pour éviter toute
source d’irritation et d’attirance des mains vers cette région de l’anatomie.
À défaut, et dans une conception qui renvoie aux représentations anciennes
de l’analogie des organes féminins et masculins, ils proposent de soulager la
patiente en dégageant le « capuchon » clitoridien, comme on le ferait en cas
de circoncision du prépuce (certains chirurgiens américains utilisent à cet
égard l’expression de « clitoris emprisonnés »). Ils sectionnent alors le pli
de la peau (souvent proche des petites lèvres) qui entoure et protège le
« gland » du clitoris. L’enjeu est de détourner l’épouse de ses instincts
sexuels malsains et de réhabiliter son ardeur pour le mari en favorisant le
frottement pénis/clitoris. Il est intéressant de constater que c’est la
connaissance de plus en plus précise de la physiologie du clitoris et de son
rôle dans la jouissance féminine – ainsi que les injonctions en faveur de
l’accomplissement harmonieux de la sexualité conjugale vaginale et
pénétrative – qui justifient ces interventions présentées comme des
remédiations pondérées. La « circoncision féminine » apparaît alors comme
une solution de bon aloi pour ces femmes qui ne témoignent d’aucun intérêt
pour la relation sexuelle avec leurs époux et ne parviennent pas à satisfaire
leur mari33.
Il est toutefois utile de rappeler que la chirurgie du clitoris participe d’un
ensemble beaucoup plus vaste de « chirurgies génitales », selon
l’expression de Sylvie Chaperon34. La gynécologie se détache de la
« médecine des femmes » dans les années 1880 pour s’affirmer en France et
en Belgique comme une discipline propre – et le terrain utéro-ovarien
devient un vaste espace d’expérimentation pour la chirurgie « moderne ». Il
exerce alors une véritable attraction sur les chirurgiens qui investissent les
opérations gynécologiques (l’ovariotomie est d’ailleurs la première
opération de chirurgie abdominale). Absolument « téméraire » à ses débuts
(première attestée aux États-Unis en 1809 ; 130 opérations en Grande-
Bretagne entre 1838 et 1851 – avec une chance sur deux de mourir), la
technologie chirurgicale est stabilisée et les interventions connaissent un
« boom » à la fin du xixe siècle35. Certains observateurs, tel le célèbre
gynécologue français, le Dr Pozzi, s’insurgent contre cette « hécatombe de
trompes et d’ovaires » et la production de cohortes « d’eunuques femelles ».
Cette chirurgie est considérée par certains comme abusive car mettant en
péril la précieuse « santé reproductive » des femmes.
Comme on le voit, l’ablation du clitoris en Occident n’est qu’un des
aspects de l’interventionnisme chirurgical masculin sur le sexe et l’utérus
des femmes. Derrière cette « consommation de chair et de sujets féminins »,
comme le dit la psychanalyste Diane Garnault, se dévoile cet « impensé de
la médecine », « d’une science travaillée par la tyrannie de l’Autre comme
question, qui s’évertue à négocier avec la différence »36. Pas de limites à la
démiurgie du médecin quand le sexe/corps des femmes est en jeu. Pas de
limites à sa puissance et son désir d’arraisonnement de la nature et de la
différence. Ainsi, alors que des décennies de médecins et chirurgiens
s’escriment à pratiquer des clitoridectomies sur leurs patientes, d’autres
luttent en manipulant ou faisant procéder à des manipulations sur leur sexe.
C’est ce que révèlent les travaux de Rachel Maines : l’ampleur des
traitements par le massage manuel, hydrothérapeutique ou mécanique de la
vulve – par l’orgasme clitoridien ! On y découvre la mode de
l’hydrothérapie dans les années 1880, la substitution des traitements
« vibratoires » aux massages manuels au début du xxe siècle, puis le succès
dans les institutions, au cabinet médical et bientôt dans les foyers du
vibromasseur électrique37. En bref, l’historienne nous rappelle qu’on a aussi
pratiqué ou fait pratiquer à titre thérapeutique des orgasmes sur le clitoris de
femmes, décidément patientes.
« Il est très important pour le devenir-femme de la petite
fille que le clitoris cède au bon moment et complètement
cette sensibilité en faveur de l’entrée du vagin »
38
Sigmund Freud, 1922

Il est nécessaire de relire Freud pour saisir l’impact de sa conception du


développement psychique et sexuel des filles et femmes. « De la petite fille,
nous savons qu’elle se considère comme gravement désavantagée à cause
du manque d’un grand pénis visible », écrit-il, « qu’elle envie au garçon
cette possession et que c’est essentiellement à partir de ce motif qu’elle
développe le souhait d’être un homme, lequel souhait sera repris plus tard
dans la névrose qui survient en raison de revers dans son rôle féminin ». Il
ajoute : « Le clitoris de la petite fille joue d’ailleurs, à l’âge enfantin, tout à
fait le rôle du pénis, il est porteur d’une excitabilité particulière, c’est
l’endroit où la satisfaction auto-érotique est atteinte »39. Mais il conclut sans
nuance sur l’énoncé normatif placé en exergue de ce texte : « Il est très
important pour le devenir-femme de la petite fille que le clitoris cède au bon
moment et complètement cette sensibilité en faveur de l’entrée du vagin ».
À une époque où la vie érotique des femmes est un continent largement
inconnu et tabou – la vie sexuelle, le plaisir et l’orgasme s’écrivent
essentiellement au masculin – il convient de redonner d’abord à la clinique
freudienne son caractère progressiste voire révolutionnaire. Freud
s’intéresse à la vie érotique des femmes, s’ouvre à leurs souffrances et
reconnaît leur sexualité (et la sexualité infantile) comme élément essentiel
de leur développement. Avec lui et d’autres, la sexualité tombe dans l’ordre
de la vie « normale » et acquiert une tonalité positive. Contre son temps,
Freud considère la vie sexuelle des femmes comme indispensable à leur
épanouissement, mais en homme de son temps il maintient une asymétrie,
une différence d’ordre ontologique entre le masculin, qui a fonction de
référent, et le féminin, qui est défini par l’absence et le manque. Novateur
quand il stipule que la frigidité des femmes est liée à la répression sexuelle,
il se fait conservateur quand il précise que c’est d’abord le caractère
« inauthentique » de l’orgasme clitoridien qui explique cette frigidité.
Reprenons le détail de cet habillage freudien de la sexualité féminine.
Freud n’ignore pas le clitoris comme zone érogène, ni la masturbation
comme pratique – et ceci est à mettre à son crédit. Mais comme le regrette
Thomas Laqueur : « il s’en tient aux vieilles vérités sur les méfaits de l’auto
érotisme alors même qu’il révolutionnait notre intelligence du sujet »40. En
un sens, il reste aussi héritier de la vision du « sexe unique » et voit le
clitoris, à l’image des Anciens, comme l’équivalent du pénis, comme un
reliquat embryologique de la nature bisexuée de tout humain. Luce Iragaray
y insiste : Freud pense encore sur le mode analogique et fait du clitoris une
zone érogène semblable à celle que l’on trouve dans le « gland ». « La
petite fille est bien alors un petit homme, écrit-elle, et toutes ses pulsions et
plaisirs sexuels, notamment masturbatoires, sont en fait “virils” »41. Mais
cette conception « égalitaire » du caractère bisexué de l’humain s’écrit in
fine au détriment de l’enfant-fille qui, comme le dit Karen Horney en 1926,
est placée dès sa naissance « devant l’idée de son infériorité » – devant la
nécessité de devoir accepter « la perte », le manque et l’absence
« d’organe » d’une part, et dénier, de l’autre, qu’elle a un organe en propre
(voire deux) – et qu’elle doit donc se rééduquer (ou être rééduquée) pour
advenir comme « adulte » 42.
Freud ne se départira jamais de la conviction que, dès l’enfance, « le »
féminin ne peut se définir que par le manque et dans le registre de l’envie
(Penisneid). Tout l’enjeu du développement psychosexuel de l’enfant-fille
consiste à redresser une « trajectoire » pour atteindre la maturité sexuelle.
Ce chemin se concrétise, au-delà de l’élaboration proprement psychique et
symbolique que constitue le complexe de castration, par le changement
d’objet, un déplacement qui se manifeste notamment – un emprunt sans
doute aux conceptions du psychiatre viennois Richard von Krafft-Ebing –
dans le passage d’une zone érogène à une autre, du clitoris chez la femme
vierge au vagin et à l’utérus après défloration.
Pour la pensée freudienne, les filles, qui doivent changer d’objet du désir
(la mère en phase orale et anale, le père en phase œdipienne) et quitter le
plaisir clitoridien pour celui de la pénétration et de la sublimation
maternelle, compliquent et obscurcissent la théorie autant que la clinique
analytique. C’est le constat que fait Freud à la fin de sa vie en se déclarant
désarmé devant ce « continent noir », un continent qu’il caractérise par les
termes de frigidité, masochisme, hystérie, retour à l’état préœdipien, envie
de pénis et ignorance du vagin. Le « féminin » continue de constituer un
obstacle, une obscurité, un trop grand écart à la norme. Non seulement les
analystes des débuts (comme ceux des époques ultérieures) ne parviennent
pas à décentrer la sexualité féminine de son cadre hétérosexuel et conjugal,
mais ils restent aussi définis par les conceptions les plus socialement
banales du féminin, par la réitération d’une théorie naturalisante de la
féminité.
Ces déterminants androcentrés, hétéronormés et sexistes sont constitutifs
de la culture psychanalytique (et de la culture médicale de façon plus vaste)
et ont eu des conséquences de long terme pour la vie psychique et sexuelle,
affective et politique des femmes. Les visions freudiennes de la sexualité
féminine sont pourtant débattues dès 1925, notamment par les pionnières de
la psychanalyse que furent Karen Horney, Mélanie Klein ou Marie
Bonaparte. Ce débat porte essentiellement sur la notion « d’envie du pénis »
chez l’enfant-fille et sur le complexe de castration. Karen Horney s’oppose
à la conception freudienne et pose l’existence d’une sensibilité précoce du
vagin. Elle s’éloigne aussi du dogme pour dire le caractère culturel de la
névrose que constituerait « l’envie de pénis ». Loin d’être le signe d’une
inscription dans la nature originelle et défectueuse des femmes, elle serait le
symptôme ou la signature du dépit des femmes, du devoir d’accepter la
place dominée qui est la leur dans l’ordre social. Mélanie Klein revient sur
la sensibilité du vagin dès l’enfance et propose de considérer « l’envie de
pénis » comme une réaction secondaire palliant la difficulté pour la fillette
et la femme de soutenir leur désir.
Les contributions de Marie Bonaparte sont plus singulières. Son mémoire
consacré à l’excision43 témoigne de ses investigations cliniques et
anthropologiques sur le bien-fondé de la théorie freudienne du « transfert de
la sensibilité érogène des filles du clitoris au vagin » et du « mode mâle »
de la masturbation clitoridienne des petites filles. Elle suggère qu’il existe
des causes « primitives » et « constitutionnelles » au « clitoridisme », et elle
insiste sur le rôle que joue l’angoisse de la pénétration dans le refus par la
femme de la fonction érotique vaginale. Marie Bonaparte classe les femmes
en deux types (« cloaqual-vaginal » et « phallique-clitoridien ») proposant
une étiologie des frigidités partielles ou complètes qui en résultent.
Surgit alors une question raisonnable au vu des pratiques médicales de
l’époque : faut-il couper le clitoris pour supprimer le « clitoridisme
excessif » de certaines ? Iconoclaste et une des rares à le faire, Marie
Bonaparte place en face à face des situations d’ablations clitoridiennes
réalisées en Allemagne dans les années 1920 et des situations d’excision en
Afrique. Il en résulte des parallèles entre ce qu’elle nomme « l’intimidation
sexuelle psychique » propre à l’Occident et « les mutilations rituelles » des
« sociétés primitives de structure patriarcale ». Si elle formule l’hypothèse
pour l’Afrique que le désir de « sur-féminiser les filles » est associé, dans le
rite de l’excision, à « l’intention d’intimider leur sexualité », elle suggère,
pour l’Europe, que cette répression « symbolique » est en place « dès
l’enfance » et qu’elle est à l’origine des catastrophes que sont par exemple
la frigidité totale. En bref, Marie Bonaparte invente l’excision psychique
comme catégorie majeure pour penser l’Occident. Ce n’est donc pas le
moindre des paradoxes de constater qu’elle quittera par la suite le seul
travail symbolique pour se faire opérer à trois reprises afin de rapprocher
son clitoris du vagin et atteindre l’orgasme vaginal.
Un autre trait conservateur du milieu psychanalytique au long du
xx siècle est sa focalisation sur la relation hétérosexuelle et la manière dont
e

il traite de « la question homosexuelle ». C’est à la faveur de la floraison


féministe des années 1970 qu’une seconde critique, féministe et lesbienne,
apparaît. Iragaray intervient en tant que psychanalyste, de l’intérieur,
d’autres le font depuis la littérature, la critique littéraire ou la philosophie.
Les questions que pose Iragaray demeurent d’une grande actualité : qu’est-
ce qui soutient la césure radicale entre jouissance clitoridienne et jouissance
vaginale dans la théorie de Freud ? Pourquoi la fonction maternelle (le
vagin) doit-elle l’emporter sur la fonction érotique, et à quel titre ? Pourquoi
la singularité de la libido féminine ne peut-elle être prise en compte -- ce
qui se traduit encore et autrement par le fait que l’homosexualité féminine
ne peut être interprétée que sur le modèle exclusif de l’homosexualité
masculine ? Et son travail atteste de l’évidence non questionnée dans la
culture psychanalytique du cadrage androcentré de l’orgasme – soit
l’équivalence postulée entre sexualité et pénétration44.
Après Freud, c’est contre Lacan que de nouvelles théories de la féminité
et de la différence, portées par Antoinette Fouque ou Monique Wittig,
entreprennent à leur tour une critique du caractère viriliste et phallique de la
psychanalyse –- mais aussi de la « révolution sexuelle » des années 1970.
Cependant, en partie selon les orientations sexuelles et politiques de leurs
auteures et la place qu’elles accordent au rôle disruptif du sujet « femme »,
les angles d’attaque varient et valorisent différemment les organes de la
génitalité féminine. Ainsi, Antoinette Fouque attaque le dogme lacanien de
la libido « phallique », fustigeant l’impérialisme de ce mode de pensée, et
travaille au renversement du stigmate en parlant et montrant « l’envie
d’utérus des hommes ». Elle oppose aussi à la « libido dominandi savandi »
des philosophes et maîtres une « libido creandi » féminine, au double sens
de création et procréation45. Cette focalisation toute « maternelle » sur
l’utérus ou cette phallisation de la matrice n’est évidemment pas à l’agenda
d’une critique féministe plus radicale et souvent lesbienne de l’économie
politique patriarcale du désir. Alors que certaines thématisent l’institution
du mariage comme visant l’appropriation du corps/sexe/appareil
reproducteur des femmes, d’autres considèrent que la seule manière
d’atteindre une sexualité vraiment libérée du sexisme est l’homosexualité.
Pour Wittig, l’avènement du sujet individuel exige d’abord la destruction
des catégories de sexe46. Dans cette lignée, les militantes lesbiennes du
Front homosexuel d’action révolutionnaire font de l’hétérosexualité
féminine le signe d’une collaboration avec le patriarcat et voient dans le
lesbianisme le seul mode de résistance substantiel à l’oppression de genre.
La question devient alors celle de l’appartenance ou de la non appartenance
des lesbiennes au groupe des « femmes ». Adrienne Rich s’oppose ici à
Wittig considérant que les lesbiennes ne quittent pas la catégorie
« femmes » mais sont et deviennent d’autant plus « femmes » qu’elles
rejettent la contrainte hétérosexuelle47.
On le voit, la « désandrisation » des savoirs sur la sexualité féminine
demeure un enjeu contemporain, et la question du clitoris y joue un rôle
essentiel. La place tenue au plan médical, idéologique et intellectuel par les
différents courants psychanalytiques dans la production de ces savoirs exige
notre attention. Comme le formule Teresa de Lauretis, la psychanalyse est
de fait une technologie du genre puisqu’elle produit des discours et des
pratiques qui cherchent à contrôler le champ des significations sociales et
promeuvent certaines représentations et normes de genre au détriment
d’autres48. Et, de la même manière qu’il est juste et bon de faire advenir la
sexualité clitoridienne comme « structure anatomique normale » de la
sexualité féminine adulte, il convient de s’opposer aux théories qui, comme
le dit Pascale Molinier, fondent « l’infériorité des femmes » sur
« l’infériorité d’organe »49.
« L’orgasme vaginal en fait, n’existe pas. Ce que nous
devons faire, c’est redéfinir notre sexualité »
50
Anne Koedt, 1968

De l’entre-deux-guerres aux années 1960, notamment avec les travaux de


Reich (1927) et de Kinsey (1948)51, l’idée que la sexualité n’est pas une
nature qu’il faut canaliser ou moraliser mais qu’elle recèle un pouvoir
libérateur fait son chemin. La vie sexuelle se détache progressivement de la
vie reproductive. Les sexologues américains William Masters et Virginia
Johnson contribuent à faire du plaisir une finalité nouvelle et légitime de
l’activité sexuelle en expérimentant sur la physiologie de l’orgasme et en
publiant de nombreux ouvrages sur la sexualité durant les années 1950
et 1960. L’activité sexuelle acquiert avec eux sa finalité érotique au plan
biologique et psychophysiologique. Ils produisent une définition
pragmatique et hédoniste du sexuel et leurs travaux anticipent le fait que la
« révolution sexuelle » est plus que la « révolution contraceptive », c’est
aussi la « découverte » de l’orgasme52.
Ces deux chercheur·e·s mettent en place un dispositif inédit, étudiant la
sexualité des couples en condition de laboratoire53. Sur la base de leurs
observations, ils établissent un modèle caractéristique de l’activité sexuelle
promis à un grand avenir. Ce qu’ils nomment la « réponse sexuelle », se
décline en quatre phases : l’excitation ; le plateau ; l’orgasme et la
résolution. Les données scientifiques collectées objectivent une physiologie
de la sexualité indépendante des sujets (hommes ou femmes) et de leur
sexualité (hétéro ou homosexuelle) 54. Leur formalisation de la réponse
sexuelle humaine se veut universelle. Elle contribue à rendre l’orgasme
féminin normal et légitime au même titre que l’orgasme masculin et
promeut une vision égalitaire de la sexualité. Plus encore, Masters et
Johnson proposent la « première analyse scientifique de la jouissance
féminine », détaillée par leurs observations de milliers d’orgasmes
féminins. Ils établissent une nouvelle carte des zones érogènes féminines et
mettent en évidence le rôle et la fonction du clitoris dans la réponse érotique
des femmes. Selon eux, le contrepoint du pénis n’est pas le vagin mais le
clitoris. Très explicitement, du fait de leurs observations et de la mise en
évidence des connexions physiologiques entre les deux organes, ils
disqualifient la distinction issue du freudisme entre orgasme clitoridien et
orgasme vaginal. Enfin, ils mettent en évidence le fait que les femmes sont
capables d’orgasmes multiples par masturbation, un phénomène sans
équivalent chez l’homme.
Ainsi, dans le sillage des travaux de Kinsey, l’idée s’affirme au cours des
années 1960 que les femmes ne sont pas d’abord les êtres frigides peints
depuis la fin du xixe siècle. Dans son impressionnante enquête statistique
conduite sur des sujets américains de tous âges, Kinsey met en évidence les
capacités orgastiques des femmes, 95 % d’entre elles atteignant facilement
l’orgasme par masturbation. En deux mots, le sexe en solitaire étant
généralement clitoridien (Kinsey répertoriait un nombre très minoritaire de
femmes ayant recours à un instrument dans le vagin pour parvenir au
climax), les travaux des sexologues modernes semblent indiquer que le
problème des femmes n’est pas l’orgasme mais la sexualité vaginale et
pénétrative55.
On comprend, dès lors, qu’Anne Koedt, l’une des activistes radicales de la
scène féministe new-yorkaise vers 1968, s’en tiennent aux « faits »
statistiques et sociaux de Kinsey et aux faits expérimentaux et
physiologiques de Masters & Johnson pour donner du poids au plaidoyer
politique qu’elle se propose de faire56. Contre Freud, renommé pour
l’occasion « père de l’orgasme vaginal », contre la dépréciation des femmes
et leur maintien dans un état subordonné de l’accomplissement sexuel et
social, Anne Koedt mobilise les nouvelles connaissances « anatomiques »
pour contrer les ravages de « l’ignorance ». Car, comme elle l’indique avec
force : « le dommage le plus grave de cette histoire est bien que des femmes
en parfaite santé du point de vue sexuel aient été considérées comme ne
l’étant pas ». Oui, écrit-elle, le clitoris est un petit pénis. Oui, son érection
est similaire à l’érection masculine. Oui, « le clitorisme n’a pas d’autres
fonctions que celles du plaisir sexuel ». Mais rétablir le clitoris dans sa
centralité ne suffit pas. Pour qu’il advienne comme organe de
l’autodétermination sexuelle des femmes, il est nécessaire d’attaquer la
fonction vaginale. Le vagin étant le lieu de la reproduction, de la
menstruation, du pénis, de la gestation, il est proclamé non érogène. Contre
le mythe de la frigidité ou de l’infantilisme sexuel des femmes, contre
l’excision psychique dont elles ont été historiquement victimes, elle
proclame : « l’orgasme vaginal n’existe pas ». L’énoncé est performatif et
programmatique. L’orgasme clitoridien est mis en scène pour menacer
l’institution de l’hétérosexualité et la société patriarcale. La jouissance
clitoridienne, en tant qu’elle est auto-érotique, non pénétrative et lesbienne,
devient le symbole de la puissance d’agir des femmes et le connecteur entre
des groupes aux pratiques sexuelles et options politiques différents.
Le moment où écrit Anne Koedt est un point de bascule entre deux
mondes. Si la fonction érotique commence à être admise, elle demeure pour
l’essentiel génitalisée. Les nouveaux savoirs sur la sexualité (ces
« décomptes d’orgasmes » et ces « thérapies d’orgasmes ») sont centrés sur
la norme du couple conjugal et la sexologie est pour l’essentiel une science
de la conjugalité. Le coït idéal est celui du couple hétérosexuel et marié. La
clinique thérapeutique de Masters & Johnson, qui inspirera l’essentiel des
savoirs sexologiques en Occident dans les décennies suivantes, repose sur la
prise en charge du couple et non de la personne via la reprogrammation des
comportements des partenaires pour parvenir à un orgasme partagé dans le
coït. Ce n’est pas tant l’éducation au plaisir (et donc, et par exemple, la
masturbation et le clitoris) qui est promu mais l’éducation à la relation
hétérosexuelle et à la satisfaction de la sexualité conjugale (vaginale).
L’idée d’une réponse sexuelle mature ou adulte continue de définir les
comportements adéquats du point de vue sexuel, et la façon dont il faut s’y
préparer.
Le travail accompli par les groupes de femmes et les militantes féministes
et lesbiennes des années 1970 est essentiel dans le basculement d’un monde
à un autre, dans l’avènement de sociétés centrées sur la capacité d’auto-
détermination individuelle et sexuelle des individu·e·s. Concrètement, elles
inventent des espaces « à soi », des espaces non mixtes où sont échangées
expériences et réflexions sur l’intimité et la sexualité. Car, on le sait, « le
privé » est désormais « politique ». Aux États-Unis, des militantes créent
des « conciousness raising groups » afin de « libérer la parole », discuter,
envisager des actions collectives. Ces initiatives essaiment en Italie, en
France, en Suisse, jetant les bases de nouveaux agendas pour la lutte en
faveur des droits des femmes. En 1969, un groupe se réunit à Boston autour
d’un atelier sur « les femmes et leur corps ». Les participantes y critiquent
leurs gynécologues (des hommes, pour l’essentiel) dont les comportements
sont paternalistes, normatifs voire répressifs. Confrontées à ces difficultés,
elles décident de collecter les informations médicales pouvant leur être
utiles. Armées de spéculums en plastique, elles apprennent à observer leur
col de l’utérus à l’aide d’un miroir et examinent celui de leurs camarades.
C’est le début du mouvement de self help gynécologique : l’objectif est de
connaître et apprécier ses organes intimes, d’être capable de repérer
d’éventuels problèmes (tels qu’une infection ou qu’un stérilet déplacé).
L’auto-consultation concerne autant le fonctionnement de l’appareil
reproductif que la sexualité57. Au cours des années 1968-1975, le Woman
Health Mouvement américain témoigne d’une incroyable énergie
subversive. Il est l’occasion d’une contestation radicale du pouvoir médical
et scientifique, du développement de contre savoirs et de nouvelles formes
de l’expertise. Outre que des femmes ordinaires apprennent à pratiquer sur
elles ou sur d’autres des techniques d’interruption de grossesse, elles
apprennent à évaluer les connaissances médicales disponibles, à les
confronter, à les compléter en promouvant l’écriture de véritables contre
manuels, comme le sera le projet collectif « Our Bodies, Ourselves58 ». De
l’échange et de l’expérience, de l’auto-expérimentation et de l’auto-
apprentissage, surgit un corpus de savoir pratiques et théoriques
émancipateurs qui contribue à modifier les connaissances sur le corps des
femmes et autonomise les femmes de l’institution médicale. Le clitoris est
l’un des bénéficiaires de ce grand chambardement.
Les recherches conduites sur le clitoris déclinent à la lettre, à n’en pas
douter, le double programme « nos corps nous appartiennent » et « le savoir
c’est le pouvoir ». Le livre A New View of a Woman’s Body publié en 1981
par la fédération des Women’s Health Centers en témoigne59. « Ne disposant
pas d’accès aux salles de dissections », le collectif s’appuie sur les travaux
de Masters et Johnson, sur les textes d’anatomie disponibles et les dessins
de Robert Dickinson (1861-1950), un gynécologue obstétricien et artiste qui
avait entrepris d’interviewer et de dessiner les organes génitaux de
centaines de patient·e·s entre les deux guerres60. Il s’appuie finalement sur
l’observation de leur propre corps et de ceux de leurs amies61. De multiples
façons le livre renouvelle les connaissances et les manières d’appréhender
et de représenter l’organe. L’invitation est d’abord à l’auto-examen externe
puis interne. La lectrice voit l’organe se déployer dans les détails d’une
anatomie méconnue en même temps qu’elle est invitée à vérifier par elle-
même ce qui lui est « donné à appréhender ». L’illustratrice, Suzann Gage
dessine avec délicatesse, elle laisse ici ou là des éléments du corps, de la
main ou des doigts de la femme qui explore sa vulve. Le trait introduit un
dialogue d’une personne à une autre. L’organe n’est ni exhibé ni objectivé,
l’attention à l’organe étant sollicitée par une expérience subjective à
partager. Cette nouvelle anatomie est politique. Elle rompt avec l’essentiel
des codes narratifs et visuels en vigueur en termes de représentation des
organes génitaux féminins. Le clitoris est exploré de façon inédite dans sa
structure et sa physiologie (on trouve une description de ses dimensions
internes, des muscles du clitoris et de ses tissus érectiles ; des
transformations du clitoris pendant l’excitation ; de l’éjaculation
féminine…). Il est narré de façon réflexive, l’expérience surgissant du va-
et-vient entre ce qui est montré et ce qui peut être appris par soi. En ce sens,
il s’agit bien d’une entreprise rare et radicale de décolonisation du regard
médical sur l’intimité et la sexualité des femmes. La démarche est celle
d’une auto-réflexion, d’un voir par le touché, d’un partage ; c’est
l’invitation à une nouvelle forme de l’expérience et du connaître.
2
ClitOrientaux,
Clito d’ailleurs,
néo- et post-coloniaux
« Les femmes, comme les hommes, de la race nègre
sont portées à la lasciveté beaucoup plus que les
femmes blanches. […] Leurs organes sexuels offrent, en
outre, une disposition particulière qu’on ne rencontre
qu’exceptionnellement ailleurs »
Pierre Larousse,
e 62
Grand dictionnaire universel du xix siècle, 1872

Depuis la fin du xviie siècle, voyageurs, savants, naturalistes, médecins


s’intéressent aux caractéristiques anatomiques des populations
« découvertes », bientôt assujetties et colonisées, décrivant, dessinant,
qualifiant leurs traits physiques et moraux, les évaluant et les classant sur
une échelle de l’humanité qu’il s’agit d’établir. Cette entreprise
taxinomique produit de la différence et de la hiérarchie, ordonne et légitime
la place et le rôle des un·e·s et des autres, justifie le dessein colonial et
« civilisateur ». Le développement des recherches sur les « races
humaines » est intimement lié à l’entreprise coloniale qui à son tour
contribue à l’essor des sciences naturelles et au développement de
l’anthropologie.
Les populations africaines, tout particulièrement, font l’objet de
descriptions précoces et répétées, elles sont le plus souvent dépeintes
comme soumises à leurs passions et leurs instincts. Les raciologues du
xixe siècle inventent l’hypersexualité des Africain·e·s, insistant sur leur
ardeur sexuelle et l’exubérance de leur anatomie. C’est à partir des
descriptions de certaines femmes des groupes dits « Hottentots »,
« Boshimans » ou « San », et correspondant à l’actuel peuple Khoïsan
présent en Afrique du Sud, en Namibie et au Bostwana, que l’imaginaire
exotique et colonial s’enflamme. Deux traits anatomiques attirent tout
particulièrement la curiosité des savants : la stéatopygie, soit le
développement exacerbé du tissu adipeux des fesses et le « tablier
hottentot », soit l’élongation notable des petites lèvres ou « nymphes ».
Le « tablier » est décrit pour la première fois par deux Néerlandais,
Dapper, en 1676 puis Ten Rhyne en 1686. Il est rapporté tout au long du
xviiie siècle par nombre de voyageurs, faisant l’objet de descriptions
fantaisistes. Les professeurs du Museum d’histoire naturelle à Paris, avides
de constater par eux-mêmes ces particularités, obtiennent que Saartjie
Baartman (1788/89-1815) – cette jeune femme Khoïsan enlevée dans la
région orientale du Cap par un marin anglais, exploitée et exhibée en
Grande-Bretagne et en France – leur soit présentée à des fins d’observation.
Le célèbre anatomiste Georges Cuvier en rend compte dans le mémoire
qu’il établit à l’attention de l’auguste institution, après la mort de celle qui
était connue sous le nom de « Vénus hottentote ». « Au printemps de 1815,
ayant été conduite au Jardin du Roi, elle eut la complaisance de se
dépouiller et de se laisser peindre d’après le nu », écrit-il. Pour aussitôt
regretter qu’à « cette première inspection, l’on ne s’aperçût point de la
particularité la plus remarquable de son organisation »63. Cette dernière, en
effet, « tint son tablier soigneusement caché entre ses cuisses ». Cuvier ne
renonce pas à en connaître. La Vénus étant soudainement décédée, et
l’accord ayant été donné par le Préfet de transférer le corps au Muséum, il
peut l’examiner à loisir, faire mouler son corps, le disséquer et procéder à la
conservation dans du formol de son cerveau et de sa « vulve ». C’est
d’ailleurs l’existence ou non du fameux « tablier » qui semble guider
l’intérêt des autorités préfectorales et savantes : « les premières recherches
durent avoir pour objet cet appendice extraordinaire dont la nature a fait,
dirait-on, un attribut spécial de sa race »64. De ces observations, Cuvier
conclut contre le naturaliste Péron (1805) que le « tablier n’est point comme
il l’a prétendu un organe particulier » mais un « développement des
nymphes » et joignant le geste à la parole, l’objet à la description, présente
à l’académie « les organes génitaux de cette femme, préparés de manière à
ne laisser aucun doute sur la nature de son tablier »65.
Figure très récemment sortie des silences de l’histoire et projetée à la
connaissance du grand public par le film d’Abdellatif Kechich (Vénus
noire, 2010), Saartjie Baartman, célèbre en son temps, est ainsi entrée au
panthéon anthropologique au début du xixe siècle, devenant le symbole
d’une humanité piétinée de son vivant comme après sa mort. On le sait, ses
restes ne seront pas inhumés et ne feront l’objet d’une restitution par l’État
français à l’Afrique du Sud qu’en 2002. Exemplaire d’une « race inférieure
de l’Afrique » selon Cuvier, on peut dire de son sexe qu’il était aussi sa
race. Les attributs sexuels des Boshimanes et Hottentotes, souvent étudiés
et commentés du xviiie siècle au début du xxe siècle, ont en effet autant servi
à positionner Boshimans et Hottentots dans la hiérarchie des races
humaines qu’à émettre des hypothèses sur les processus d’évolution. Si
Cuvier compare les nymphes de la Vénus (« les voiles des boshimanes »)
avec celle des singes, il ne conclut pas à un apparentement entre les deux
espèces, d’abord parce que les singes « loin d’avoir des nymphes
prolongées les ont en général à peine apparentes »66 ; ensuite parce qu’il
reste un partisan du monogénisme – soit de la théorie de l’unicité de
l’espèce humaine. Ainsi les attributs sexuels hypertrophiés des femmes
« boshimanes » contribuent-ils, parmi d’autres caractéristiques, à inscrire
cette population au plus bas de l’échelle humaine, une place qu’elles
occupent depuis Buffon, parmi les plus « dégradés » des humains – à un
intervalle seulement des orangs-outans, comme y insisteront d’autres
naturalistes.
D’aucuns franchiront cet intervalle, surtout dans la seconde partie du
xix siècle, quand les théories polygénistes développées par le naturaliste
e

Julien-Joseph Virey ou l’anthropologue Paul Broca – soit la croyance en


l’existence de plusieurs espèces humaines – trouveront une certaine
audience et permettront d’exclure, au nom de la science, certains groupes
humains de l’appartenance à l’humanité. Plus tard, dans les premières
décennies du xxe siècle, le rôle joué par les Hottentots et les Boshimans
(assimilés ou différenciés selon les auteurs), et associés aux populations
dites « négroïdes », servira à produire le grand récit de la préhistoire
européenne, différencier races primitives et races évoluées – et saluer aussi
le culte universel (dans les temps anciens et reculés de l’espèce humaine) en
faveur des « Venus » callipyges et hypersexuées.
Ainsi, ces êtres exhibés comme « spécimens » par les montreurs de foire
sont-ils constitués en « matériau » par les savants pour produire les
connaissances officielles en matière de différence de sexe, de race et
d’espèce. L’histoire de la Vénus Hottentote nous rappelle que les savoirs
scientifiques ont dépendu de la forme culturelle du spectacle. Elle manifeste
aussi les ressorts proprement sexuels du désir de savoir comme pulsion du
« voir », pulsion scopique, pulsion d’appropriation de « l’autre ». Comme
Carolyn Merchant ou Donna Haraway l’ont mis en évidence67, il s’agit d’un
trait caractéristique des pratiques scientifiques depuis l’époque moderne (du
xvie au xviiie siècles). Les sciences deviennent instrumentales,
expérimentales, objectales, elles accaparent et exploitent la nature,
s’approprient et disposent des personnes assujetties68. Plus précisément ici,
le geste savant de « dévoilement » de la « nature » se fait littéral,
manifestant l’économie proprement libidinale de la volonté de savoir. Le
« tablier » fascine l’homme blanc qui l’interprète parfois comme un « voile
de pudeur », un appendice naturel protégeant ces femmes de possibles
assaillants69. Le fantasme du viol, omniprésent, se traduit dans la réalité de
la profanation des parties intimes, au nom de la science.
Inépuisable, la curiosité en faveur de l’hypertrophie des lèvres et des
nymphes des femmes de ces régions est recherchée tout au long du
xixe siècle, servant d’étalon à la caractérisation des populations africaines et
de leurs mœurs. L’excitation savante semble céder le pas au mépris et à la
condamnation morale. Elle signe l’infériorité de populations dont
l’hypersexualité devient un critère de partage entre « elles », « eux » et
« nous ». Cuvier, déjà, considérait que cette variation des nymphes, attestée
en Europe, ne devenait « considérable » que dans les « pays chauds »,
obligeant « négresses », et « abyssines » qui « en sont incommodées » à
« détruire ces parties par le fer et le feu »70. L’ablation de cette excroissance
naturelle apparaît raisonnable et Cuvier la considère comme une
circoncision, établissant une équivalence qui sera souvent reprise par les
voyageurs et autres anthropologues. Son effort pour inscrire les
excroissances clitoridiennes des femmes « hottentotes » dans l’ordre naturel
sera en revanche progressivement contredit, des observateurs rapportant, à
partir de la fin du xixe siècle, des exemples où les lèvres sont
volontairement allongées, dès le plus jeune âge, renforçant l’idée que ces
manipulations artefactuelles sont destinées à « accroître le désir charnel »
(c’est la thèse d’un médecin colonial à propos des femmes du Dahomey en
1907)71. Les mères sont alors accusées de développer volontairement les
organes de leurs filles pour augmenter « les jouissances voluptueuses ». Les
femmes sont alors désignées comme deux fois coupables : coupables de
provoquer le désir de l’homme (blanc) par ces attributs physiques qui
dictent leurs mœurs dépravées ; et coupables d’instrumenter la nature, de
sortir du jardin de l’innocence où la condescendance paternaliste de
l’Occident les avaient momentanément placées.
« Au bout de dix à quinze jours, la cicatrisation est en
général obtenue. On détache les liens… et l’enfant est
libre de courir à nouveau. Son sexe présente alors
l’aspect qu’il gardera jusqu’au mariage : à la place de la
vulve, la recouvrant, un véritable mur de chair (…) relie
les cuisses du pubis à l’anus »
72
Annie de Villeneuve, 1937

L’anthropologie européenne du début du xxe siècle « découvre » les


pratiques africaines d’excision et d’infibulation et rapporte des scènes
coutumières éprouvantes. Le clitoris préservé des femmes occidentales
s’affirme progressivement comme une valeur au regard des clitoris mutilés
des filles et des femmes des colonies, et la préservation de l’intégrité du
corps et des organes sexués des femmes tend à devenir un marqueur
« civilisationnel ». Cette manière de se dire tranche d’avec les récits
antérieurs, souvent complaisants sur les pratiques dites « orientales »,
comme d’avec les certitudes des gynécologues et psychiatres européens
ayant prescrit la clitoridectomie pour certaines femmes occidentales. Les
travaux de l’ethnologue Annie de Villeneuve, dont l’extrait de la description
d’une excision et d’une infibulation réalisée à Djibouti est présentée en
exergue, sont représentatifs de cette conscience nouvelle qui contribue à la
construction d’une altérité et d’une subalternité qui légitime le
paternalisme, voire le maternalisme occidental, et le contrôle colonial sur le
corps, la sexualité et la reproduction des femmes colonisées.
Annie de Villeneuve est sans doute l’une des premières occidentales à
assister à un événement de ce type. Il s’agit pour elle de revenir sur
l’appellation qu’elle juge impropre des « femmes cousues », de rompre
avec des descriptions fantaisistes et imaginaires pour témoigner d’une
coutume dont elle fait un récit précis et éprouvant, l’entrecoupant de
considérations morales, de jugements raciaux et de remarques indignées.
Outre l’excision, elle décrit avec précision l’infibulation qui suit l’ablation
de l’organe, soit la fermeture de la vulve et d’une partie de l’orifice vaginal.
Annie de Villeneuve évoque également les conséquences de l’infibulation
au moment du mariage et des grossesses. Le mari pour prendre possession
de l’épousée doit « l’ouvrir au poignard ». Le « couteau » et l’aiguille
rythment la vie des femmes somaliennes, ces dernières étant recousues à
chaque accouchement. L’ethnologue déplore que « les femmes
accomplissent seules » ces « rites barbares » et qu’elles n’y dérobent pas
leurs filles73. Elle mentionne les risques à court et à long terme pour la santé
des fillettes et des femmes, des mères et des nouveau-nés. Elle évoque les
blessures psychiques : frigidité, sans doute, et infinie « tristesse », qui lui
semble hanter la vie des femmes somaliennes. En ethnologue, elle
s’emploie à expliquer la coutume : moyen de protéger les femmes du viol
de l’ennemi, de contrôler leur sexualité, de garantir la virginité et ce faisant
la valeur marchande des jeunes filles ? C’est ce dernier argument qui
emporte finalement son assentiment au nom de ce qu’elle décrit avec
mépris comme la « vénalité » de cette « race ».
Le récit comme la condamnation d’Annie de Villeneuve témoigne de la
modification des perceptions. L’infibulation est isolée et dissociée de la
pratique plus générique et courante de l’excision. Bien que connue comme
une coutume très ancienne, sa géographie est alors circonscrite à certains
territoires et certaines populations, pour l’essentiel la zone orientale du
continent africain. Pour la plupart des observateurs, l’infibulation relève de
l’exceptionnalité, ce qui justifie des investigations historiques et
anthropologiques spécifiques faisant l’objet de discussions nombreuses,
mais aussi des réponses à la hauteur de la gravité des blessures infligées.
Dans la lignée de campagnes menées entre les deux guerres par les missions
chrétiennes au Soudan, au Niger et au Kenya, les Britanniques déclarent
l’infibulation illégale au Soudan en 1946.
Si l’infibulation est clairement condamnée par les Occidentales·taux, il
n’en est pas de même de l’excision dont la diffusion, beaucoup plus large,
ne retient pas nécessairement l’attention des médecins coloniaux et des
anthropologues avant les années 1960-1970. Rapportant sur la
« circoncision et l’excision chez les Malinkés », Georges Chéron,
administrateur des colonies, écrit par exemple en 1933 : « comme la plupart
des peuplades du Soudan français, les Malinkés pratiquent la circoncision
sur les garçons âgés de 15 à 17 ans et l’excision sur les filles âgées de 13 à
15 ans. Cette opération, qu’ils appellent bolokoli a, selon eux, pour but de
donner de la force aux hommes et de la beauté aux femmes »74. Les
mutilations sexuelles sont interprétées comme un rite de passage visant la
séparation de l’individu de son groupe d’appartenance puis sa réintégration.
Le destin du « prépuce » et du « clitoris » des initiés des deux sexes sont
ainsi symétrisés et l’excision des filles est présentée comme le pendant de la
circoncision des garçons.
Quarante ans plus tard, l’anthropologue et africaniste Nicole Sindzingre
propose une critique féministe de la littérature ethnographique qui assimile
excision et circoncision75. Elle met en évidence les spécificités matérielles
et symboliques des rituels féminins. Elle déplore l’imprécision des termes
utilisés par les anthropologues : « excision », « circoncision féminine »,
« clitoridectomie », recouvrant des opérations qui vont de la simple brûlure
du clitoris à son ablation totale associée à celle des petites ou des grandes
lèvres. Ces différences dans les actes effectués et les organes qu’ils
concernent invalident l’analogie entre circoncision et excision. L’argument
est « anatomique » mais il est aussi anthropologique et s’appuie sur la
comparaison des rites, des significations et des représentations qui leurs
sont associés.
Qu’en est-il, en effet, de ce passage et de ce à quoi filles et garçons
accèdent symboliquement et matériellement du fait de la circoncision ou de
l’excision ? Pour l’ethnologue, c’est ici que l’asymétrie se fait la plus
évidente. La circoncision garantit au jeune homme l’accès au savoir et à
l’autorité – rien de tel en ce qui concerne l’excision qui inscrit plutôt la
femme dans son destin procréatif. Détaillant les représentations de la
féminité que l’excision convoque, elle constate que les femmes sont placées
du côté d’une imperfection « immanente », affectées « soit d’un trop »,
« soit d’un pas assez ». L’excision vient réparer cet excès ou ce manque et
produire socialement le corps féminin. Le lien est tissé entre l’excision et le
mariage, dont elle constitue une étape dans certaines cultures. Par contraste,
l’infibulation est placée du côté de la contrainte et du contrôle de la
sexualité et du plaisir, comme répondant à des intérêts strictement
masculins. Certes, le clitoris est investi comme siège du plaisir (et
possiblement de la luxure) mais, il apparaît plutôt comme le signe d’un
excès à réduire. Attribut du masculin, il doit être ôté pour inscrire la femme
dans son être propre. En dépit de la variété des pratiques, il s’agit de mettre
en avant le fait que l’excision consiste en l’ablation d’un « en-trop » et ce
faisant d’abolir le caractère indécis de la personne. Cette lecture désexotise
l’excision puisque des traditions et représentations similaires ont existé en
Occident où le clitoris a aussi représenté la « partie masculine » dont est
pourvu le sexe féminin à la naissance, représentation qu’on retrouve dans
les mythes grecs de l’androgynie ou de la bisexualité originelle76.
Quelques années plus tard, Sylvie Fainzang s’attaque plus frontalement au
thème du « rite de passage »77. Avec l’excision, l’enjeu n’est pas d’assurer
socialement la reproduction « biologique » mais de façonner les corps et
d’assurer la reproduction de la domination masculine. Il ne s’agit pas tant
de « passer » que « d’être marqué·e ». Une femme non excisée n’est pas
une femme, elle n’a pas reçu ce qui la fait telle, et le marquage ne vise pas
que le sexe mais le rôle social de sexe. Le clitoris étant souvent assimilé à la
partie masculine que les femmes portent « naturellement » à la naissance –
à un « petit pénis » chez les Gourmantché de Haute Volta par exemple – la
clitoridectomie a valeur « d’inscription de la féminité ». Si on laisse à la
femme son clitoris, on en fait l’égale de l’homme. « L’en trop » est
l’équivalent de la verge, soit du pouvoir. En langue Bisa en Haute Volta un
même mot « kir » est utilisé pour dire « verge » et « chef ». Retirer aux
femmes le clitoris, c’est retirer un organe dangereux pour le pouvoir de
l’homme. Et si on suit ce qui est souvent commenté à propos du sexe excisé
de la femme – à savoir qu’il est désormais « propre » – ce n’est pas
d’hygiène ou de pureté (morale ou religieuse) qu’il est question, mais bien
d’assignation. Le sexe excisé est le sexe « approprié » au rôle social attendu
des femmes dans la plupart des sociétés.
Ainsi, ce qui a cours lors des rites d’excision se précise, s’épaissit, et ces
femmes ethnologues contribuent à faire sortir l’excision du vocabulaire de
l’euphémisation, non sans risques ni difficultés. Elles observent,
questionnent, interprètent avec les registres de leur temps, différant et ne
différant pas des logiques coloniales, moralisatrices et racistes dans l’entre-
deux-guerres, s’opposant clairement à une banalisation de l’acte et à une
interprétation neutraliste (en fait androcentrique) dans les années 1970. À
l’évidence, l’intégrité corporelle et génitale des femmes subalternes est
devenue un enjeu, tout comme le monopole de la pensée masculine sur la
question. Étonnamment, les anthropologues féministes ne se prononcent pas
tant contre l’excision que contre les interprétations dominantes dans le
champ anthropologique. Il ne s’agit pas tant de dénoncer que de
comprendre et d’interpréter autrement. La bataille semble intérieure à la
scène occidentale que constituent les savoirs anthropologiques tout en
dessinant des clefs d’interprétation potentiellement appropriables par toutes
les femmes.
« La “circoncision féminine” n’est pas seulement un
objet populaire de commentaire et d’étude, elle peut être
qualifiée de topos de la science néo-orientaliste du
harem »
78
Soheir A Morsy, 1991

Cette phrase assassine est celle d’une Américaine d’origine égyptienne,


formée en anthropologie médicale et consultante sur les questions de santé
aux Nations Unies. Elle est livrée en commentaire d’un essai sur les
mutilations sexuelles et génitales en Égypte et au Soudan publié en 1991
par Daniel Gordon79. Soheir Morsy ne commente pas ou peu les faits
« médicaux » décrits par l’auteur, si ce n’est pour se plaindre qu’ils sont
décontextualisés et présentés de façon non historique. Elle s’interroge : que
signifie « excision » en dehors de toute analyse contextuelle substantielle ?
Elle s’insurge : la « compassion occidentale » ne sert-elle pas qu’à
reproduire des rapports « néo-coloniaux » et à mettre en scène un « autre
légendaire » ?
Comme on le sait depuis les travaux d’Edward Saïd, l’invention de
l’Orient pas l’Occident a contribué autant à enfermer celles et ceux qui ont
été exotisé·e·s dans une position subalterne qu’à justifier la domination
coloniale et la supériorité des blancs80. De nombreux travaux ont mis en
évidence quelques-uns des traits caractéristiques de la narration coloniale
répétant à l’envie la violence et la lascivité des populations non occidentales
– autant d’éléments permettant de justifier « l’œuvre » du colonisateur. Le
poème du Britannique Rudjiard Kipling Le Fardeau de l’homme blanc
publié en 1899 a été considéré comme un exemple parfait de justification de
la colonisation. Loin d’exploiter, d’extorquer ou de dominer, « l’homme
blanc » y est peint comme se « portant au secours » des populations locales,
apportant organisation et savoir, un fardeau quasi christique.
On pourrait dire des femmes colonisées que ces dernières ont
progressivement été définies comme le fardeau médical de l’homme blanc.
C’est le point que rend explicite Soheir Morsy. Médecins, officiers,
administrateurs, hommes de sciences, se sont progressivement persuadés
qu’il était de leur mission de sauver ces femmes des coutumes et traditions
« barbares » imposées par les hommes de leurs sociétés. Là s’exerçait une
forme particulière de la domination occidentale, l’exaltation d’une virilité
spécifique. Contrôler la sexualité et la reproduction de l’autre (qu’il s’agisse
des femmes pauvres en métropole ou des femmes des colonies) est un
privilège des dominants. La matrice et le sexe des femmes est le lieu par
excellence où s’écrit depuis la fin du xviiie siècle la politique de l’Empire et
de la « race », de la Nation et de l’État81. Accomplir la domination de
« l’autre », c’est certes opérer cet anéantissement concret et symbolique qui
consiste à s’approprier son environnement naturel et ses ressources, mais
c’est aussi exploiter et extorquer « les femmes » (épouses, mères et filles)
de l’homme assujetti. La jouissance est ici toute patriarcale. Ce qui est en
jeu c’est la revitalisation et la virilisation de l’homme blanc, un moteur
autant qu’une finalité de l’entreprise coloniale82. La science joue un rôle
central en la matière en ce qu’elle définit les cadres d’interprétation et
légitime ce qui a cours. De multiples façons et en de multiples lieux, ce
récit imaginaire de l’intercession de l’homme blanc en faveur des femmes
colonisées sert à légitimer la mise sous tutelle du corps et de la sexualité de
ces femmes, ainsi que l’anéantissement de la masculinité et du rôle social
des hommes dits « de couleur »83.
Fait moins connu, il se trouve que la protection des femmes colonisées est
aussi devenue le « fardeau de la femme blanche » – comme autrefois les
œuvres des dames de la bonne société qui s’adressaient aux femmes des
classes laborieuses auxquelles elles prêchaient la morale et la résignation
tout en leur portant secours. Ce maternalisme des femmes blanches a pris
des formes multiples et paradoxales, les femmes des classes moyennes et
supérieures, les épouses, filles et sœurs des colons, luttant, en tant que colon
et que femme, pour des droits supérieurs à ceux des hommes et des femmes
colonisés. C’est la thèse du livre d’Antoinette Burton à propos de l’Empire
britannique84. Elle montre comment les féministes britanniques se sont
approprié l’idéologie nationale et impériale pour revendiquer leur droit au
suffrage, comment elles ont utilisé une imagerie orientaliste pour évoquer
des Indiennes primitives et soumises ayant besoin d’être libérées par leurs
« sœurs » britanniques, supérieures moralement et racialement. Les femmes
britanniques se devaient d’être émancipées, pour pouvoir assumer leurs
tâches au sein de l’Empire et assumer à leur tour « le fardeau de la femme
blanche » 85.
Quand, à partir des années 1980, les féministes françaises affirment que
les mutilations sexuelles constituent le sommet de la violence masculine
exercée au sein des sociétés patriarcales, elles ne mesurent donc pas
l’ancienneté de ce maternalisme colonial et néo-colonial. Elles ont un
combat à mener, celui de l’émancipation des femmes, et elles s’y emploient
d’une façon générique. La lutte des femmes (la lutte en faveur de toutes les
femmes) est première et balaye tout autre considération. Comme l’exprime
Benoîte Groult – l’une des premières en France à établir auprès du grand
public une communauté de destin entre l’excision des femmes africaines et
la sexualité soumise des femmes européennes86 – les femmes sont soumises
à des institutions et des us patriarcaux qu’il convient de dénoncer. Cette
règle universelle justifie l’action des femmes occidentales au nom de celles
qui sont opprimées. Une position durablement partagée en France et en
Europe, en pratique comme en théorie. En tant que mouvement social et
politique et qu’espace de production de savoir, le féminisme porte comme
marque de fabrique originelle la volonté de renverser toutes les formes
institutionnelles et sociales de domination dont les femmes sont victimes,
d’améliorer leur vie, leurs possibilités de survie et de santé, mais aussi leurs
capacités d’autonomie, leurs marges de manœuvre et leurs capacités à
s’épanouir, notamment sur le plan personnel et sexuel. Une façon d’être
féministe dans laquelle les femmes de ma génération ont été conscientisées
et formées et dont les limites ne peuvent apparaître qu’a posteriori. Tout
comme n’apparaît comme problématique qu’a posteriori cette « vocation »
des femmes occidentales en faveur des « femmes du tiers-monde » –
justifiant ce que ces dernières dénonceront comme des « croisades » menées
en leur nom mais sans leur consentement ni leur expertise.
Il n’est pas question de s’exonérer ou de les exonérer de leurs
responsabilités quand je ou elles pensent et agissent « en toute innocence »
– c’est-à-dire sans tenir compte de ce qui me détermine ou les déterminent
en tant que femmes du Nord inscrites dans une culture et des rapports de
pouvoir. Il est plutôt question de signaler que penser et agir en ces termes
est le fait d’une histoire et d’une culture qui doivent être analysées afin de
pouvoir être dépassées. Il se peut que ce soit l’enjeu de notre époque que
d’apprendre à penser autrement, de se détacher des habitudes qui consistent
justement à « penser de manière innocente » (le mot est d’Isabelle
Stengers87), dans un rapport « d’ignorance à soi-même » pourrais-je dire,
« d’auto-invisibilité » dirait Donna Haraway, ou depuis la sphère de ce
qu’elle appelle la « culture de la non-culture » qui définit l’occidentalité88.
C’est un enjeu central d’une pensée « décoloniale » que les « blanc·he·s »
ou les « dominant·e·s » prennent la mesure de ce qui les positionne, de ce
qui conditionne leurs expériences individuelles et collectives, comme les
normes et les valeurs qu’ils·elles ont forgées.
Bien qu’initialement localisée, la généralisation de la perspective de
« genre », selon les mots de la Sénégalaise Maréma Touré Thiam, a
toutefois permis « aux femmes en général de devenir les sujets de la
théorisation de leur propre situation, et aux femmes d’Afrique, en
particulier, de rompre le cercle qui les réduisait au rang de consommatrices
de théories et de pratiques élaborées ailleurs »89. Mais la question de la
localité et des modalités culturellement contingentes d’émergence du
féminisme n’a été véritablement explorée qu’à partir des années 1990. La
mise en question de l’universalisme de certains discours féministes a en
particulier conduit à enrichir ce qui relève de la spécificité de genre dans les
espaces non occidentaux. Depuis le milieu des années 1980, Adrienne Rich
plaide pour une « politique » de la « localisation »90. En 1991, Chandra
Talpade Mohanty en appelle à une « décolonisation du genre » et une
« reconnaissance des différences », cependant que Gayatri Spivak dénonce
la façon dont l’Occident colonise l’hétérogénéité de l’expérience de celle
qui est génériquement appelée la « Femme du Tiers-Monde »91. Ces travaux
mettent en évidence les dimensions sexuées et genrées de la colonisation,
interrogent l’histoire du point de vue des femmes subalternes, deux fois
« colonisées ». Rarement comprises en tant que telles, ces perspectives
obligent aussi, et symétriquement, à entendre et comprendre le caractère
local de la position occidentale ou blanche qui se détermine comme neutre,
savante, universelle, non questionnée. Ces points sont essentiels et méritent
d’être faits surtout dans le contexte républicain, positiviste et, pourrait-on
dire avec Isabelle Stengers, « provincialiste » français.
Mais revenons à la position de Soheir Morsy : une fois dénoncé, et à juste
titre, le colonialisme ou néo-colonialisme des blanc·he·s, les questions
posées demeurent : si faire campagne à propos de la « santé » ou des
« droits » des « autres » c’est imposer un point de vue et mobiliser normes
et pratiques dans un contexte de domination de l’Occident, le fait de
critiquer cette position – au nom par exemple de l’incapacité à prendre en
compte et comprendre le point de vue des « natif·v·e·s » – ne conduit-il pas,
symétriquement, à cautionner des pratiques telles que l’excision ou
entériner leur perpétuation ? Comment se positionner, comment articuler la
justesse ou la justice des arguments ? Faut-il être myope ou inhumain·e au
nom du respect de la différence et de la lutte contre le néo-colonialisme ?
Est-il interdit de se mobiliser quand on constate des atteintes graves aux
personnes ? Peut-on être « activiste » sans mépriser ou condamner la
culture des autres ? Et existe-il d’autres alternatives que la formulation de
ces impasses ?
« Fran Hosken est une croisée. Pendant des années, elle
s’est battue pour porter la question de la circoncision
féminine à l’attention des universitaires, des
africanistes, des féministes et des organisations
internationales de santé et de développement. Et ce fut
clairement une lutte difficile »
92
Margaret Jean Hay, 1981

Toute question complexe se doit en fait d’être reprise et déplacée, il se


peut qu’elle doive l’être plus d’une fois, et que l’écoute des arguments des
unes et des autres nous déplace encore autant dans nos réponses que dans la
formulation de nos questions. Reprenons l’affaire autrement, au début des
années 1980, à partir d’une autre discussion et d’autres arènes.
En 1981, l’africaniste Margaret Jean Hay commente la sortie du rapport
Hosken sur les « mutilations génitales et sexuelles »93, un rapport
volumineux et confidentiel qui fera grand bruit après avoir été remis à
l’Organisation Mondiale de la Santé. Ses remarques sont intéressantes. Elle
rappelle d’abord que, pendant longtemps, les mutilations génitales et
sexuelles étaient perçues comme des questions « personnelles » par nombre
d’anthropologues et ne donnaient pas lieu à commentaire. Elle insiste
ensuite sur le fait que le rapport Hosken accumule nombre de témoignages
poignants – ce qui rend sa lecture douloureuse. Elle reconnait enfin que la
lecture de ce rapport a changé sa perception des choses et elle liste une série
de points qui lui paraissent incontournables : loin d’être en recul, l’excision
est présente sur l’ensemble du continent africain et au-delà ; les mutilations
sexuelles et génitales ont des conséquences physiologiques et émotionnelles
qui affectent durablement la santé des femmes ; les significations culturelles
des rites dont elles participent semblent s’affaiblir sans que les opérations
elles-mêmes ne soient questionnées ; s’il arrive que des jeunes filles
choisissent l’excision, celle-ci intervient le plus souvent sans le
consentement des fillettes ; enfin, remarque-t-elle, l’excision est de plus en
plus reconnue comme un problème par les femmes africaines elles-mêmes.
Il convient donc de changer de perspective : les mutilations sexuelles
méritent d’être combattues et ce combat engage la responsabilité des
africanistes pour promouvoir et aider celles et ceux qui aspirent au
changement. En aucun cas, cependant, il ne devrait être question pour les
universitaires occidentales de « faire campagne » sur ces sujets, comme elle
tient à le préciser94. Il s’agit de maintenir une position qui s’abstienne de
tout jugement à propos des pratiques culturelles des « autres » tout en
prenant acte de la gravité des atteintes à l’intégrité et la santé des personnes.
La violation du consentement (des enfants) émerge notamment comme un
problème majeur.
Revenons quelques années en arrière. La question des mutilations
sexuelles est soulevée pour la première fois aux Nations Unies en 1952. En
1958, l’OMS est interpelée sur le sujet mais refuse de s’en charger,
considérant que l’excision est une question culturelle et non médicale. De
même, pour la plupart des organisations internationales, la préoccupation en
faveur de la santé des femmes ne doit pas s’opposer à la souveraineté – qui
plus est récente – des États impliqués, un argument qui est souvent invoqué
à l’ONU contre les demandes en faveur de la reconnaissance des droits des
femmes et du respect de leur intégrité corporelle. En 1976, toutefois, l’un
des bureaux régionaux de l’OMS entreprend une étude de la littérature
médicale sur les conséquences de la « circoncision féminine », pour
reprendre l’expression anglo-américaine qui prévaut. C’est dans ce contexte
qu’est publié le rapport Hosken. Il s’agit d’un travail autodidacte, prenant la
forme de recueil d’informations et de témoignages issus des nombreux
voyages entrepris par son auteure en Afrique à partir de 1973. Le matériel
collecté est sans précédent et la publication du rapport joue un rôle
déterminant dans la campagne en faveur de l’abolition des mutilations
sexuelles et génitales qui se met en place dans les années qui suivent.
C’est tout particulièrement sous l’angle des « risques pour la santé » que
les ONG et les agences onusiennes orientent la formulation du problème et
suscitent l’intervention internationale. On pourrait dire que la focalisation
(légitime) sur la question des atteintes à la santé des fillettes et la santé
reproductive des femmes est la porte d’entrée qui justifie la mobilisation en
matière de mutilations d’abord définies comme « génitales » avant d’être
définies comme « sexuelles ». Ces atteintes sont progressivement
répertoriées et détaillées, elles sont estimées dans leurs effets à court,
moyen et long terme : celles qui sont directement liées à la mutilation
(douleur, hémorragies, infections, choc) ou qui s’ensuivent (infections
pelviennes, stérilité, difficultés menstruelles, déchirures périnéales, fistules
vaginales ou recto-vaginales, incontinence) ainsi que les risques ultérieurs
lors de la grossesse, l’accouchement et la naissance (surmortalité
maternelle, souffrance fœtale, dommages néonataux). Les effets proprement
sexuels et sociaux tels que l’altération de la sensibilité sexuelle ou les
complications psychiatriques (angoisses, dépression) sont moins mises en
avant dans un contexte où il s’agit de rallier et convaincre largement pour
mettre en place un nouveau cadre normatif et des politiques de santé
publique.
Ainsi, quand elle émerge au début des années 1980 comme une question
politique et sociale débattue à l’échelle internationale, l’excision n’est pas le
fait du militantisme spécifique des féministes occidentales, ni de celui des
femmes africaines ou d’autres régions du monde – elle est d’abord l’affaire
d’acteurs et d’actrices politiques issues d’un réseau transnational impliquant
l’ONU et l’OMS95. La doctrine se construit entre « droits à la santé » et
« droits humains », une préoccupation qui poursuit les mouvements
fondamentaux de l’après-guerre qui font des femmes et des enfants de
nouveaux sujets porteurs de droits (Convention pour l’élimination de toutes
les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) en 1979 et
Convention relative aux droits de l’enfant en 1989)96. Expression d’une
époque et d’une sensibilité nouvelle, l’argument du droit à la santé des filles
et des femmes est toutefois aussi le moyen de neutraliser d’autres
arguments et d’autres disputes : au Nord comme au Sud, il est plus facile et
plus légitime de mobiliser au nom de la santé qu’au nom du droit des
femmes, du droit à la sexualité et du droit au plaisir.
Entre 1958 et 2008, la ratification de traités en faveur de l’éradication de
l’excision est le fait d’un nombre toujours croissant d’États. Les ONG sont
très impliquées à partir des années 1990, faisant de la lutte contre « les
mutilations génitales et sexuelles » une revendication première et
universelle. Parallèlement, les publications sur le sujet explosent en
sciences humaines et sociales et la question alimente de nombreux travaux
en anthropologie, santé publique, histoire, droit, sciences politiques ou
médecine. Durant les années 1980, paraissent également les premiers
témoignages autobiographiques de femmes excisées : on mentionnera les
récits de la Sénégalaise Awa Thiam, de la Somalienne Nawal El Saadawi ou
de la Libanaise Evelyne Accad97. Mais, à l’échelle internationale, les
féministes africaines se plaignent d’être parlées plutôt qu’écoutées. Elles
demandent à être reconnues comme sujets et non comme objets de
l’expérience et du discours, comme c’est le cas lors de la « IIe conférence
mondiale sur la femme » des Nations Unies en 1980. Quelques années plus
tôt est née à Dakar l’Association des femmes africaines pour la recherche et
le développement à l’occasion d’un colloque qui affiche clairement ses
intentions en faveur de la « décolonisation de la recherche ». Dans les
années qui suivent, les politiques de prévention des « pratiques
traditionnelles néfastes » opposent, en de multiples arènes, tenantes d’un
féministe universaliste de l’émancipation, féministes africaines opposées
aux premières, et représentant·e·s plus traditionnels d’un ordre social et
d’une culture qu’il s’agit pour l’essentiel de transmettre et de reproduire.
Mais le tableau des prises de positions ne serait pas complet, si on ne
rappelait que des femmes africaines se sont engagées parfois au risque de
leur vie contre l’excision.
L’idée d’une prise en charge globale de ce qui est de plus en plus défini
comme un « crime contre les femmes » progresse à l’échelle mondiale au
cours des années 2000. En 2003, 36 États africains sur 54 ratifient le
Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif
aux droits des femmes en Afrique (dit Protocole de Maputo). Ce protocole
énonce une série de droits humains (alimentation, santé, éducation, dignité,
paix), s’attache à certaines inégalités entre les hommes et les femmes,
condamne la discrimination à l’encontre des femmes, et condamne les
mutilations génitales féminines. Durant ces années, organisations
internationales et ONG développent de nombreuses stratégies de lutte
contre les mutilations. Elles passent dans certains pays par la prise en
charge par les autorités médicales de l’excision (on pourrait parler alors de
« médicalisation de la culture ») et, dans d’autres, à l’image de nombreuses
campagnes conduites par l’Unicef en Égypte ou au Sénégal, par des
campagnes de sensibilisation organisées villages par villages et s’achevant
par des cérémonies de « dépôt des couteaux » (on pourrait parler alors de
« symbolisation de la pratique ») L’appropriation par les populations locales
de ces campagnes doit être soulignée, comme doit être souligné que les
cultures locales sont loin d’être homogènes, qu’elles sont en mouvement,
dynamiques, et traversées de lignes de fractures et de débat. En de multiples
lieux, et dans de multiples situations, se voit donc négocié tant au plan
normatif que pratique, l’équilibre entre un certain « mode de vie » et la
norme internationale de protection des individu·e·s, de la violation de leurs
droits individuels comme de leur intégrité corporelle.
« Je voulais me faire réparer, parce que je ne me
trouvais pas bien, pas normale, j’avais l’impression que
tout le monde voyait ça »
98
Awa, 28 ans, 2012

On l’a vu, l’histoire des clitoris d’ailleurs, des clitoris d’Orient, des Suds,
des clitoris africains et « barbares », ou tout au moins « barbarisés »,
comme l’histoire des clitoris opprimés à libérer, est l’histoire d’une longue
relation entre ce qui a été défini comme l’ici et « nos » femmes et ce qui a
été défini comme l’ailleurs et « leurs femmes » ou « ces » femmes qui sont
« à protéger » et à émanciper. Les études postcoloniales ne nous apprennent
pas seulement à multiplier et articuler les perspectives, tenir compte de la
diversité des récits et des expériences, elles ne sont pas seulement le témoin
du voyage et de la circulation des savoirs et des personnes d’un continent à
un autre, elles nous apprennent à considérer l’imbrication du présent et du
passé dans les relations contemporaines entre les Nords et les Suds. Mais
encore à tenir compte de l’hybridité, de la multiplicité, des ambivalences et
des enchevêtrements des identités d’aujourd’hui99.
Il s’agit en particulier de contester les catégories simplistes qui assignent à
chacun·e une carte d’identité monoculturelle en négligeant justement
l’ancienneté et la présence des échanges et appartenances multiples. Il s’agit
encore de comprendre ce qu’il en est du passage du temps colonial de
l’exotisation de l’autre au temps postcolonial de démarcation et
reproduction de l’autre « parmi nous ». Il s’agit inversement d’être en
mesure de témoigner de l’expérience du déplacement parmi celles et ceux
qui, à de multiples égards, incarnent par leur vie la présence d’un ici, d’un
ailleurs, et d’un « ailleurs de l’ici » dans chacun des « ici » et des
« ailleurs » qui les constituent comme êtres individuels et sociaux. Comme
tente d’en rendre compte Nacira Guénif Souilamas avec sa notion
« d’altérité de l’intérieur » : il faut prendre acte du fait que « l’exotisme
n’est plus une réalité ou une ressource pour ceux qui l’ont construit, dans la
mesure où, d’une part, l’exotisme est rendu impossible par la mondialité et
par la coprésence, la simultanéité d’un certain nombre de dynamiques ; et,
d’autre part, ceux qui étaient les figures de l’exotisme sont aujourd’hui
parmi nous »100. Inversement, pourrait-on dire, « l’occidentalité » devient
une réalité, une contrainte et une ressource pour les « autres de l’intérieur »
que sont les migrant·e·s et les descendant·e·s de migrant·e·s.
Les migrations et les déplacements massifs de population des pays du Sud
signifient « l’apparition » en Europe de pratiques qui avait jusque-là été
traitées et conçues comme lui étant allogènes. La France est le premier pays
à criminaliser, en 1979, l’excision sur son territoire101. Du fait de procès
retentissants contre des exciseuses et des parents, l’opinion publique
découvre que des bébés ou des fillettes sont mutilées en France et que de
jeunes françaises le sont lors de visites dans le pays d’origine de leurs
familles. Les autorités françaises font le choix d’un traitement répressif de
ces situations102, contribuant à une stigmatisation particulièrement marquée.
D’autres pays occidentaux, l’Italie, par exemple, avec son modèle de
« politique sanitaire multiculturelle », empruntent d’autres voies, moins
répressives et moins polarisantes. Le traitement « républicain » et
« universaliste » de ces « affaires », s’il se définit comme une défense
« humaniste » de l’intégrité physique et sexuelle des fillettes et des femmes
mutilées, contribue tout autant à une défense assimilationniste de l’intégrité
du corps national français. La tolérance « zéro » s’accompagne de peu
d’accompagnements, au moins en ce qui concerne les discours officiels et la
ligne politique affichée.
C’est dans ce contexte singulier de criminalisation des pratiques qu’une
autre singularité se fait jour. Elle est d’abord le fait des activités médicales
et humanitaires d’un urologue français, Pierre Foldès. Celui-ci développe à
la fin des années 1990, dans le cadre de la médecine humanitaire, des
techniques chirurgicales visant à offrir des solutions aux femmes mutilées
présentant des complications graves et douloureuses. L’opération consiste à
reconstituer un « gland clitoridien », à restaurer une « anatomie normale »
de l’organe, à l’innerver et, si possible, à le rendre fonctionnel – une
technique et des résultats qui font l’objet d’une série d’articles dans des
revues médicales103. Améliorant ses connaissances tant de l’organe, des
mutilations, que des possibilités de recouvrer chirurgicalement une
apparence et une fonctionnalité du clitoris, Pierre Foldès importe en France
une technique à laquelle il forme d’autres chirurgien·n·es. Il opère
personnellement près de 3 000 patientes entre 1998 et 2009. Son activisme
est également à l’origine de la reconnaissance de la nécessité de ces
opérations pour le bien-être et la santé des femmes mutilées, et il se traduit
par le remboursement de ces opérations par l’assurance maladie.
En suivant la pensée d’une Soheir Morsy on pourrait sans doute lire
l’exceptionnalité française comme une forme caractérisée du néo-
colonialisme ou comme la définition très française d’un certain type de
traitement néocolonial de l’altérité. La reconnaissance des opérations de
chirurgie reconstructive du clitoris et leur remboursement par la sécurité
sociale, le transfert de techniques du terrain humanitaire au terrain français,
la légitimation en fait et en droit de l’interventionnisme médical (pratiqué et
défendu par les « French Doctors »), comme la notion même de
« réparation », résonnent comme une sorte de « sauvetage national » des
femmes « autres de l’intérieur ». Ce point se doit d’être mentionné et pris en
considération. Mais le point symétrique qui consiste à rendre compte de
l’intérêt de ce dispositif dans l’amélioration concrète de la santé
reproductive et sexuelle de milliers de femmes, l’est tout autant.
Venons-en en effet à Awa, cette jeune femme d’origine malienne, dont les
propos ont été recueillis dans le cadre de ses recherches sur la clinique de la
réparation clitoridienne par la sociologue Michela Villani104. Sa parole nous
conduit du côté des ressources activables en cette fin des années 2000 en
tant que femme excisée vivant en France. Awa, fille de migrants et
assistante maternelle de 28 ans, témoigne d’un sentiment de honte,
d’incomplétude, d’anormalité. Pour elle, comme pour de nombreuses
femmes interrogées, être « normale », c’est être « entière », « comme tout le
monde », avoir un « sexe normal » et un sexe « capable ». La logique est
bien de recouvrer une certaine forme d’identité et d’intégrité en tant que
femme – en renversement, en quelque sorte, des significations imputées à
l’excision comme un rituel de « féminisation » ou d’inscription dans le
genre féminin. La réparation clitoridienne se fait réparation de la féminité.
La réassignation dans le sexe/genre féminin passe par cette dimension
double d’un clitoris « normal », d’un point de vue visuel ou plastique, et
conforme d’un point de vue sexuel ou fonctionnel. Il s’agit de recouvrer un
« vrai » sexe, esthétiquement, anatomiquement, physiologiquement,
intimement.
La « réparation » n’est pas alors et seulement du côté de ce que le
chirurgien ou l’équipe médicale ont défini comme tel et se proposent
d’offrir. C’est le propre des technologies biomédicales de se présenter
comme des solutions à un problème qui – comme on le voit ici – n’est pas
seulement médical, mais individuel, social, culturel. L’idéologie du
« sauvetage » se confronte aux parcours réels et aux conditions de réussite
effectives des opérations. Loin d’être passives ou « victimes », les femmes
qui se présentent sont les actrices d’une histoire personnelle et culturelle
qu’elles entreprennent de réécrire, de réorienter. Awa, comme d’autres
femmes, se saisit de l’opération comme d’un droit. Elle ne demande pas
réparation en justice – un nombre infime de femmes mutilées sollicitent la
justice en France pour obtenir réparation – mais en « fait ». Dans les faits, la
réussite de l’opération ne dépend pas des seuls critères objectivés ou
objectivables par la technique chirurgicale, mais du sens négocié à propos
de ce qui advient : itinéraires préalables, expériences, valeurs et conceptions
personnelle et collective du corps, du sexe, de la féminité, de la sexualité.
De même, la plupart des équipes médicales proposent des prises en charge
pluridisciplinaires, persuadées que la chirurgie ne pourra réussir
qu’accompagnée d’un travail psychologique sur les dimensions
traumatiques de la mutilation ou de sa révélation. Une sorte de paradigme
« biopsychosocial » est ainsi mis en œuvre. Au fond, il apparaît que, pour
que la « chirurgie fonctionne », il est essentiel que la patiente « partage » le
modèle de sexualité promu par l’équipe médicale et le pays d’accueil. C’est
aussi parce que ce modèle est promu et socialement défendu que la patiente
peut s’en saisir en droit et en pratique. De nouveau, s’expriment ici à la fois
une contrainte et une opportunité.
Les femmes « mutilées » activent finalement un droit à l’égalité dans un
contexte (celui d’un pays occidental au début du xxie siècle) où la norme
sexuelle est celle du corps capable et apte au plaisir. La socialisation aux
normes et aux valeurs occidentales mais aussi aux normes et
comportements sexuels qui y ont cours les conduit à définir pour elles-
mêmes « ce qui leur convient » ou « qui elles veulent être ». En ce sens, la
demande de réparation est aussi l’expression de ce temps nouveau de la
« démocratie sexuelle » où chacun·e peut devenir l’agent de son propre
corps, de sa propre sexualité. La demande apparaît alors, selon les termes de
Michela Villani, comme une revendication de capabilité « au nom de
l’égalité », dans un contexte où la sexualité et le plaisir sont définis comme
des droits et des biens.
En s’intéressant tout particulièrement aux populations qui vivent « ici »
mais à la « frontière » de sociétés et d’ordres sociaux différents, ces
travaux, comme ceux, précurseurs en Europe, d’Armelle Andro, nous
permettent de sortir des cadres faciles d’analyse en termes soit
d’émancipation, soit de domination. Ce qui se joue s’avère bien plus
complexe dès lors qu’on s’intéresse aux parcours des femmes qui accèdent
à une réparation clitoridienne qu’elles ont souhaitée, qu’on étudie dans le
détail les transformations des valeurs et des comportements des aînées
(mères et sœurs) à l’endroit de l’excision des plus jeunes. Les « capacités
d’agir », de s’opposer, de définir un autre rapport à la sexualité ou de
transgresser et transformer les rapports de genre se dessinent de façon
contrastée et dynamique. Et elles passent pour les femmes nées ailleurs ou
ici par le rapport à l’ordre biomédical et l’instrumentation possible de la
biomédecine. Pas plus pour ces femmes que pour toutes les autres, la
question n’est alors résolue de ce que l’offre médicale ouvre en termes
d’opportunités ou clôt en termes de prescriptions normatives et sociales. Ce
qui est certain, cependant, c’est qu’un espace de redéfinition des possibles
s’ouvre pour elles, et qu’elles sont de leur temps quand elles s’en saisissent.
3
Clito-today :
clitartefact,
clito straight,
lesbien ou queer ?
« Notre inquiétude, c’est d’opérer des gens qui n’en
n’ont pas besoin, voilà »
105
À propos de la nymphoplastie, Chirurgien, 2016

À côté de la chirurgie réparatrice des mutilations génitales, s’est


développée, dans la dernière décennie du xxe siècle, une chirurgie
esthétique des organes génitaux dans le but « d’optimiser le bien-être et la
sexualité des femmes ». C’est en tout cas le discours de ceux qui font
commerce de cette nouvelle activité, ajoutant le clitoris à la longue liste des
organes et des parties du corps (seins, cuisse, lèvres, pommettes…) qui,
suivant les régions du monde et les canons esthétiques du moment, sont
appelés à être améliorés ou corrigés. La demande pour ces transformations
est réelle et le marché prometteur. La taille et la forme des lèvres et de la
vulve sont auscultées et perçues aujourd’hui par de plus en plus de jeunes
filles et de femmes comme des éléments clefs de leur anatomie et de leur
personnalité. Leur amélioration apparaît à certaines comme la condition de
l’accomplissement de leur identité « de femme » et la garantie d’une vie
sexuelle conforme à leurs attentes. La plainte d’un sexe a-normal émerge
dans un environnement où l’industrie pornographique façonne autant les
scripts sexuels que les normes du « beau » et du « performant » : pénis
surdimensionné pour le partenaire ; pubis rasé et sexe/fente pour la
partenaire. Un idéal du sexe féminin qui renvoie aussi à certains pans de la
culture manga et la mise en valeur de personnages de sexe féminin pré-
pubères.
Il y aurait donc là un « besoin » à repérer, selon les termes du chirurgien
cité en exergue. Et ce « besoin » quand il est légitime, légitimerait la
pratique. Mais, quels sont donc ces états du corps, de l’âme, de l’identité,
du sexe, qui ne sont pas des maladies mais des « besoins » susceptibles
d’être satisfaits par une prise en charge biomédicale ou un acte chirurgical ?
La question est d’importance et symptomatique des transformations
contemporaines. Alors que la médicalisation renvoie à une extension
continue du domaine d’intervention médicale sur les aléas de l’existence
humaine, la biomédicalisation réalise une transformation plus radicale106.
Plus que soigner et maintenir une ligne de partage entre le normal et le
pathologique, la biomédecine modifie les corps de manière inédite, agissant
sur le vivant (comme dans le cas des technologies de la reproduction
humaine), suscitant l’avènement de nouvelles identités (comme dans le cas
de la clinique de la trans-identité), transformant l’idée même et la définition
de la santé (comme avec la notion de « santé sexuelle »). Les finalités non
thérapeutiques d’un nombre toujours croissant d’actes médicaux s’imposent
comme le moyen de résoudre de nouveaux « problèmes » – dont certains
sont conceptualisés et définis par l’ordre biomédical – avec par exemple
« l’invention » de troubles (comme dans le cas de l’hyperactivité infantile
ou des troubles de la sexualité féminine) et de la molécule qui permet d’y
répondre107. Plusieurs tendances lourdes sont ainsi repérables et les
problèmes tendent à être reconceptualisés en termes organicistes (par
exemple, l’impuissance masculine devient une dysfonction érectile) et les
solutions à être biologisées. Dans bien des cas, il n’est plus à strictement
parler question de santé ou de soin : la pilule est ainsi le premier
médicament de l’histoire de la médecine ayant été prescrit à large échelle à
des personnes non malades.
En bref, les technologies biomédicales et chirurgicales sont investies de
capacité de régulation de « problèmes » toujours plus variés. En matière de
sexualité, l’objectif de « santé sexuelle » contribue à faire évoluer le
concept de « santé » vers le « bien-être » et légitime la « médicalisation du
bien-être » ou le fait que « du » médical doive être engagé afin d’obtenir du
« bien-être »108. Dans le cas présent, la honte ou gêne à propos de la forme
ou l’apparence de son clitoris se traduit comme un « problème »
anatomique appelant une intervention chirurgicale (et non, par exemple,
comme un problème psychologique ou culturel). Outre que ce phénomène
enregistre le recul de ce qu’on appelait autrefois les « hypothèses
psychogènes des troubles », il témoigne d’une pression culturelle nouvelle
qui s’exerce sur les femmes occidentales ou, pour reprendre le vocabulaire
particulièrement parlant et efficace de Paul B. Preciado dans Testo Junkie, il
nous permet d’apercevoir comment de « nouveaux dispositifs
microprosthétiques de contrôle de la subjectivité » se trouvent émerger à
l’interface « des plateformes techniques biomoléculaires et médiatiques »109.
Car, s’il est question de sujet et de subjectivités, d’offres médicales et
d’offres technologiques, il est tout autant question de pratiques
commerciales et de l’intersection entre logiques médicales et marchandes.
La chirurgie esthétique et réparatrice produit en effet un discours
publicitaire relayé dans de nombreuses sphères médiatiques. En tant que
technique médicale, elle se situe à l’intersection du processus historique de
technicisation et de commodification de la « beauté » et de la
médicalisation de la sexualité. Vidéoconférences, livres grand public,
émissions télévisées, rubriques de magazines féminins, tabloïds distribués
gratuitement, forums internet et médias sociaux participent de cette scène
de production des normes de la beauté, de la santé et de la performance
sexuelle au féminin. Injonction est faite aux femmes d’être les actrices de
leur capital esthétique : dans un contexte néolibéral, la charge concrète de
prendre soin de son corps et de sa santé pour optimiser ses chances sur le
marché du travail et de la sexualité appartient à chacune. La beauté comme
travail, la performance sexuelle comme objectif, sont quelques-unes des
nouvelles injonctions qui pèsent sur les jeunes filles et femmes
d’aujourd’hui et pour lesquelles un vaste marché de produits et de choix
sont déployés.
Ces éléments sont clairement mis en évidence par l’enquête conduite par
des sociologues sur la nymphoplastie en Suisse110. Elles montrent comment
« le soin de soi », et en l’occurrence de son sexe, contribue à la définition
d’un sujet féminin « moderne », autonome et sexuellement actif, tout en
reproduisant les normes de genre. Les patientes opérables sont perçues
comme presque « égales » aux hommes, « à la morphologie près », et sont
ainsi « tenues de recourir aux technologies existantes pour contraindre leur
corps/sexe au bien-être ». La chirurgie esthétique des organes génitaux est
présentée par les médecins qui la réalisent, comme par les personnes qui y
ont recours, comme une technologie d’émancipation sexuelle.
Émancipation, certes, mais les travaux de la psychologue Sara Piazza111
nuancent cet optimisme et interrogent. La nymphoplastie (soit très
strictement le raccourcissement des lèvres de la vulve) y est lue comme une
mode contagieuse. On estime ainsi que le nombre de ces actes a triplé en
France entre 2005 et 2018112. De plus en plus présent dans l’espace public,
le « sexe » féminin est montré suivant des codes très précis qui définissent
la norme du présentable et du représentable. Nouveau phénomène de
société, l’épilation pubienne met à nu la vulve et focalise le regard sur un
sexe féminin rendu plus visible. Le poil pubien est placé du côté de l’impur,
du sale, du mystérieux, de tout ce qui inquiète dans le sexe. Inversement,
s’impose l’idéal d’un sexe « nu » et la valorisation d’un sexe « sans rien qui
dépasse et sans irrégularités », un discours entendu chez les chirurgiens,
dans les médias comme chez les patientes. Cette nouvelle esthétique de la
« vulve » exposée, montrée, omniprésente, presse les sujets à produire et
reproduire des normes bien établies en matière des vulves « qui
conviennent ». Le « désir » de chirurgie des patientes vise le « mignon », le
« joli ». La couleur de l’épiderme elle-même est scrutée, la plupart des
patientes préférant des lèvres plus claires. Du rasoir au couteau, il est bien
question de couper, d’enlever… pour atteindre la norme d’un sexe de fille
pré-pubère ? À moins qu’il ne s’agisse d’inscrire son sexe/genre dans
l’ordre d’une féminité idéalisée ou de rompre avec toute ambivalence
inquiétante du côté d’une trace « pendante » de masculinité ? L’acte
chirurgical apparaît ainsi, et de façon étonnante – si on se souvient du sens
accordé par l’Occident à l’excision dans d’autres sociétés – comme le
moyen d’obtenir un « vrai » sexe féminin et d’accéder à une féminité
idéalisée.
Car ces « petites lèvres protubérantes » ressemblent à s’y tromper à « l’en
trop » des femmes altérisées. Et c’est à la symétrisation des pratiques de
« marquage des sexes » 113 qu’un certain nombre d’anthropologues nous
invitent, s’étonnant des différences dans leur traitement légal et social.
Techniquement, en effet, la nymphoplastie, telle qu’elle est pratiquée en
Occident, confine à une mutilation de type II – si l’on suit la nomenclature
des mutilations sexuelles et génitales établie par l’OMS114. Ainsi, en France,
le traitement pénal de ces pratiques diffère suivant les personnes
concernées, tout étant fait pour penser les mutilations sexuelles et génitales
des femmes migrantes ou « racisées » comme absolument disjointes des
« chirurgies sexuelles cosmétiques ». Ce double standard étonne. Par
exemple, l’anthropologue suisse Dina Bader revient sur le sens attribué
d’une part à la chirurgie esthétique génitale et d’autre part à l’excision115.
Négatifs dans le second cas, positifs dans le premier, ces jugements mettent
en scène une allégorie du « Nous versus les Autres », de l’émancipation
versus l’oppression. D’un côté les pratiques sont considérées comme
néfastes et barbares car imposées, et de l’autre comme consenties et preuves
d’une juste autonomie car réalisées dans un « esprit de bienfaisance » par
les professionnels. Outre que la question du consentement mériterait d’être
reprise dans les deux cas, c’est bien la dimension proprement culturelle des
pratiques occidentales qui demeure inaperçue. Au fond, et cela reste un trait
de tout néo-colonialisme, les personnes « blanches » continuent de vivre,
comme nous l’avons déjà noté, dans des mondes qui se pensent sans
culture.
« Quand nous avons étudié le clitoris, nous avons
découvert que la réalité était bien différente des images
standards présentes dans les livres d’anatomie »
116
Helen O’Connel, 1998

Sur le long terme de l’histoire occidentale (aux xixe et xxe siècles), le


clitoris n’est pas ou peu dessiné, pas ou peu nommé, pas ou peu analysé. Le
xixe siècle se focalisant sur les dimensions reproductives de l’appareil
génital féminin, le clitoris disparaît pour l’essentiel des radars et ceci est
encore vrai durant le premier xxe siècle, moment où on représente rarement
l’appareil génital féminin sans représenter en fait une femme enceinte. Pire,
si le clitoris est présent dans le livre de chevet des étudiants en médecine
américains (Gray’s Anatomy) en 1901 (même si discrètement dessiné et
nommé), il disparaît du même traité en 1948 : plus un signe ! Quelques
exceptions doivent être mentionnées : la représentation du clitoris en
érection (qui renvoie encore à l’ancien système analogique et au pénis) et
de ses bulbes spongieux par Koebelt George Ludwig en 1844 (avec des
planches considérées rétrospectivement comme parmi les plus complètes et
réalistes) ; le traité d’anatomie humaine de Charpy et Poirier en 1901 ;
l’étonnante collection de vulves et clitoris dessinés à la main par Robert
Dickinson entre 1935 et 1941 afin de tester l’hypothèse selon laquelle la
déviance sexuelle et la dégénérescence seraient détectables sur le sexe des
femmes, projet trouble dont l’interprétation finale démentira les prémisses
puisque Dickinson conclura à l’absence de différences notables entre les
clitoris des femmes lesbiennes et hétérosexuelles, comme entre ceux des
femmes blanches et afro-américaines. Un siècle et demi de distance, donc,
et pour l’essentiel une persistante invisibilité, ce qui autorise la philosophe
Nancy Tuana à faire du clitoris l’emblème d’une « épistémologie de
l’ignorance »117. Elle y suggère, on l’aura désormais compris, que
l’ignorance n’est pas qu’omission mais pratique active de production de
significations, et que l’absence de connaissance est directement connectée à
la question de l’autorité et du pouvoir. Dans le cas précis, plusieurs points
intéressants méritent d’être soulevés : le caractère non cumulatif du savoir
sur l’organe ; l’apparition et la disparition régulière des modalités de sa
présence, de sa figuration ou de sa labellisation ; l’absence d’investigations
substantielles sur sa structure et son fonctionnement physiologique.
Après la courte période d’appropriation et de resignification féministe des
années ١٩٨١-١٩٧١, une période qu’on pourrait caractériser de « backlash
clitoridien » s’ouvre à nouveau, pour plus d’une décennie118. Le travail
développé par les Women’s Health Center demeure en effet local et la
plupart des manuels autorisés proposent des schémas allusifs et peu
détaillés du point de vue anatomique. Du côté des disciplines scientifiques
d’importance, comme la biologie de l’évolution, on défend des recherches
déclarées « neuves » mais qui ne font que réitérer de vieilles antiennes. On
y apprend par exemple que le vagin est « biologiquement » destiné à
« s’adapter » au pénis et à favoriser le développement de l’espèce ; et que
l’orgasme féminin est la « récompense » pour l’accomplissement de la
tâche reproductive, une raison pour laquelle il peut être considéré du point
de vue de l’évolution comme « adaptatif »119. Étonnant retour au nom de la
science de la naturalisation de la fonction reproductive des femmes ! Doit-
on alors croire, Helen O’Connel, jeune urologue australienne, lorsqu’elle
écrit, à la fin des années 1990, que le clitoris qu’elle découvre sous son
bistouri n’a rien à voir avec les descriptions anatomiques disponibles ? Oui,
cette assertion mérite d’être prise au sérieux. Un sondage réalisé en 1994
sur la base de données médicales Medline (6 500 journaux et plus de
5 500 000 articles médicaux) donnait 78 articles avec le terme « clitoris »
en mot clef (et 1611 avec le terme « pénis »). Un gap d’intérêt ou un déficit
de connaissance qui mérite bien quelques explications. Tout comme le
regain d’intérêt pour l’organe à la fin des années 1990.
La dernière décennie du xxe siècle se caractérise en effet par des
transformations notables dans l’ordre des savoirs et pratiques médicales
s’intéressant aux organes sexuels des hommes et des femmes. La
« médecine sexuelle » se répand et se traduit par une biologisation des
troubles de la sexualité – dont témoigne, côté masculin, la mise en œuvre du
viagra et, côté féminin, l’insistance sur la prévalence des « dysfonctions
sexuelles »120. Dans ce nouveau paysage marqué par une « renaturalisation »
de la sexualité féminine121, nombre de praticiennes s’inscrivant dans un
agenda féministe s’attachent à revisiter, notamment via de nouvelles
technologies de visualisation, les connaissances disponibles sur l’anatomie
et la physiologie du clitoris. Elles poursuivent et modifient les travaux de
Masters & Johnson sur la réponse sexuelle féminine et développent des
moyens nouveaux d’observation. La mise en œuvre de nouveaux concepts,
de nouvelles technologies et de nouvelles pharmacopées pour soigner les
troubles du désir féminin focalise le renouveau sur les organes et leur
fonctionnement.
1998 est une date intéressante qui témoigne de ces convergences. C’est
l’année où le viagra est commercialisé – mais où est aussi revendiquée une
nouvelle « première », une « description scientifique du clitoris ». Dans l’un
et l’autre cas l’urologie est au centre. Cette discipline concentre alors
l’essentiel des savoirs de la clinique du masculin reproducteur à un moment
où une grande imagination technophile et pharmaceutique se déploie dans
la recherche sur la sexualité. Les urologues américain·e·s jouent aussi un
rôle déterminant dans la création de comités et campagnes de diffusion des
diagnostics de « dysfonctions sexuelles féminines », en lien avec les
compagnies pharmaceutiques cherchant à commercialiser une « molécule »
susceptible de pallier « l’absence de désir féminin ».
Mais revenons à l’itinéraire de l’Australienne Helen O’Connel. Son
intérêt pour le clitoris dérive du terrain où elle opère, les connaissances et la
clinique urologiques dans le masculin. Son champ d’action est la chirurgie
périnéale, un domaine où les descriptions anatomiques au masculin
générique prévalent (l’appareil féminin faisant l’objet de brefs ajouts) et où
les pratiques thérapeutiques diffèrent selon le genre du patient.
Jeune urologue, Helen O’Connel s’étonne que les chirurgiens procédant à
l’ablation de la prostate, en cas de cancer, prennent soin de préserver la
fonction sexuelle des hommes « en évitant des nerfs particuliers et les
vaisseaux sanguins », mais qu’ils ne prennent pas de telles précautions chez
la femme, par ignorance parie-t-elle – par habitude penserait l’historienne
du genre, l’un n’excluant probablement pas l’autre. O’Connel met donc en
œuvre une série d’études sur l’anatomie du périnée qui font l’objet de
publications successives de 1993 à 2005122. Les premiers articles reposent
sur la restitution de dissections anatomiques comparées, les suivants sur la
confrontation des connaissances acquises dans ce champ avec la production
d’images nouvelles de l’organe par résonance magnétique. Constatant la
rareté, l’absence ou le caractère hâtif des descriptions du périnée féminin,
elle considère les nerfs supportant les tissus érectiles autour de l’urètre.
Rapidement, le clitoris passe au centre et devient l’objet principal de
l’analyse123. C’est une sorte de seconde « Renaissance » pour le clitoris. En
1998, O’Connell met en évidence son innervation dense. Elle montre
comment les descriptions antérieures de l’organe restaient superficielles, ne
s’intéressant qu’aux parties externes les plus visibles (le gland, le frein)
mais ignorant ou n’intégrant pas les parties internes de l’organe,
volumineuses, et consistant en un système complexe. La taille de l’organe
(9 à 10 cm en tout, 4 à 5 cm pour les bulbes du clitoris), son volume, ses
fonctions externe et interne, ses liens avec le reste de l’anatomie (et en
particulier l’urètre et le vagin) sont mis en évidence. Les recherches
d’O’Connell montrent comment « les bulbes, le corps et les piliers »
forment le groupe de tissus érectile qu’est le clitoris – qui se trouve à son
tour entouré partiellement par l’urètre et le vagin, formant un ensemble
imposant.
L’aspect tridimensionnel de l’organe devient manifeste avec le recours à
l’IRM qui permet également, du fait de l’observation de l’organe dans son
état vivant, de mettre en évidence son aspect hautement vascularisé. Ces
nouvelles technologies de visualisation donnent à voir une autre réalité qui
devient accessible à un moment donné des relations sociales et de genre,
mais aussi des agendas physiologiques dans le champ de la médecine
sexuelle et de la chirurgie urologique. Entre dissection et IRM, technologies
anciennes et techniques nouvelles, le clitoris est repris et resignifié dans la
tradition anatomique. Ainsi, la mise en évidence du tissu érectile entourant
l’urètre est-elle attestée autant dans le travail de dissection que d’imagerie
in vivo. Si O’Connel déplore que le plan « sagittal » – la modalité
traditionnelle de représentation des organes en anatomie, une modalité
favorable à l’affichage d’une structure telle que le pénis – ait été dans les
faits défavorable à la « vérité » anatomique du clitoris mieux représenté sur
le plan « axial » ou « transversal », elle s’inscrit dans la posture scientifique
requise par la discipline et négocie le neuf avec l’ancien pour faire valoir
ses propres « faits » et « preuves ». Si de nouvelles technologies d’imagerie
médicales ont été nécessaires pour faire advenir ce « nouveau » clitoris, les
technologies visuelles utilisées pour présenter les résultats obtenus ne
rompent pas toutes avec les codes habituels. Ici, l’insertion aux côtés
d’images techniques et de graphiques d’une photographie d’une vulve
découverte par le gant d’un médecin, nous rappelle qu’il s’agit bien du
dévoilement par la science de la vérité scientifique de l’organe.
L’emballement médiatique autour de la « découverte » de ce clitoris est
symptomatique. Il est vrai qu’O’Connel va contribuer à diffuser ces
nouvelles connaissances en les récapitulant dans un article qu’elle veut
« éducatif » et qui se propose de présenter de façon didactique, pour la
première fois, l’ensemble des éléments (vagin, hymen, vulve, pubis, gland
du clitoris (avec prépuce, frein, lèvres), bulbes clitoridiens, liens à l’urètre
et l’arrière du vagin) à un public large dans un objectif de « communication
plus générale à propos des questions sexuelles ». Une véritable
effervescence en résulte. Ce nouveau complexe clitoridien, ce clitoris « at
large », volumineux et tridimensionnel circule massivement sur les réseaux
sociaux, et circule en boucle. Il est projeté dans la sphère publique et
médiatique, réapproprié, commenté, discuté, déplacé.
« Pour la première fois en France, un clitoris à taille
réelle a été modélisé et imprimé en 3D »
Makery, Le Media de tous les Labs, 2016.

Activiste féministe et critique des sciences, blogueuse, Odile Fillod réalise


en 2016 le premier « clitoris imprimé en 3D à taille réelle » et le diffuse en
open source. L’entreprise se veut elle aussi éducative et actualise le geste
des militantes du self-help et de l’auto-conscience des années 1970. La
production de ce clitoris-objet, reproductible et maniable, est un événement
inédit et significatif. Rendu possible par les connaissances acquises depuis
la seconde « renaissance » médicale du clitoris, la démarche se veut
scientifique et pédagogique, et cherche à rendre visible et intelligible au
plus grand nombre la « réalité » de l’organe. Didactique, la démarche se
déploie en autant de séquences où on manipule l’objet-clitoris. Inséré dans
un réseau de professeur·e·s. militant·e·s en sciences de la vie, ce travail vise
à réviser les savoirs disponibles, transformer les corpus de connaissances
emprunts de biais sexistes, et promouvoir une connaissance réparatrice et
fiable de l’organe et de la sexualité féminine. Les objectifs et les valeurs
sont clairement exposés, par exemple dans les initiatives développées
autour du Bioscope de l’Université de Genève auquel contribue Odile
Fillod et qui implique les expertes des hôpitaux universitaires, le réseau
français « Sciences de la vie et de la terre – Égalité » et le département de
l’instruction publique du Canton de Genève. Il s’agit de mettre à jour les
moyens d’enseignement romands de l’anatomie « femelle et mâle » afin que
« les informations soient égalitaires et inclusives », qu’elles intègrent « de
façon égalitaire les organes analogues des systèmes reproducteurs
masculins et féminins », qu’elles soient « basées sur les connaissances
scientifiques les plus récentes sur les organes génitaux », qu’elles
« intègrent des aspects d’anatomie et physiologie liés à la fonction sexuelle
et non seulement à la fonction reproductive ».
La force du travail d’Odile Fillod est de s’appuyer sur les dernières
connaissances anatomiques. Une entreprise de ce type est exigeante : elle
nécessite (comme on peut le suivre au quotidien sur ses différents blogs,
véritables carnets de laboratoire 2.0)124 d’accumuler, évaluer, rectifier et
amender les productions sur l’anatomie sexuelle, de déconstruire,
reformuler et préciser les énoncés. Concrétiser ces connaissances dans un
objet matériel, modéliser l’organe en trois dimensions et assurer les
conditions libres de sa distribution, est un geste productif en termes de
savoir et de pouvoir. Le clito 3D articule et redistribue – des savoirs
scientifiques aux savoirs profanes ; des espaces militants aux espaces
médicaux ; des adultes aux enfants ; de l’espace public aux espaces intimes.
Sa force est de rendre manifeste ce qui est caché, ce qui a été dénié. L’idée
est qu’une enfant ou une femme vivant dans un monde où circule un clito
3D ne seront plus les mêmes qu’une enfant ou une femme vivant dans un
monde où le clitoris n’était ni nommé ni représenté. L’objet témoigne et sa
présence ne peut être effacée. Via l’objet, le clitoris acquiert une robustesse
comme fait scientifique et social.
Avec cet objet en main, il est plus difficile d’établir l’identité de l’enfant-
fille ou de la femme adulte sur le rien, l’absence, le manque. La production
artefactuelle permet de tenir à distance ce temps anatomique et politique où
1 + 1 valait - 1, où à partir du plus (à savoir le vagin et le clitoris des
femmes) une drôle d’arithmétique savante et sociale définissait un moins (le
manque de pénis). Les petites filles peuvent désormais brandir à leur gré un
clito 3D customisable. Elles ont quelque chose à exhiber dont elles peuvent
être fières, et elles ne sont pas plus défaillantes qu’imparfaites. Elles sont
« avec objet », possiblement actrices de leur devenir. Avoir permet d’être.
Dans le contexte qui est le nôtre, le travail symbolique et matériel
qu’accomplit l’artefact en tant qu’objet-signe est « capacitant ». La capacité
d’agir érotique des filles et des femmes peut se transformer du fait de cette
connaissance objectifiée, et l’appropriation agit comme facteur
d’affirmation, tant au plan symbolique que matériel, dans l’espace intime
comme dans l’espace public. La promesse de transformation que portent les
connaissances anatomiques et médicales peut alors s’accomplir, et le pari
est raisonnable : promouvoir une nouvelle anatomie politique du clitoris est
un atout pour le féminisme.
Mais n’y a-t-il aucun coût à ce nouvel attachement à l’organe dans sa
seule inscription anatomique et biologique ? L’ontologie du clitoris est-elle
réductible à sa seule vérité anatomique ? N’existe-t-il qu’un « mode
d’existence » du clitoris ? En quoi le mode d’existence biologique de
l’organe serait-il la clef de l’émancipation érotique, sociale et politique de
l’individu-femme ? Et jusqu’à quel point dépendons-nous des seules vérités
des sciences dites « naturelles » ? Ces questions méritent toujours d’être
posées car les sciences d’aujourd’hui n’échappent pas plus que celles d’hier
à la réitération de motifs problématiques, de présupposés douteux, de
réflexes « idéologiques » ancrés au plus profond des têtes et des mondes
sociaux. Un des derniers épisodes de cette histoire de la réévaluation des
données anatomiques et physiologiques de l’appareil sexué des femmes
appelle à la vigilance, nous invite à une distance critique, à prendre le temps
d’évaluer ce qui a cours.
Buisson et Foldès, sont des personnages importants de cette nouvelle
histoire. Forts de leurs compétences dans le champ de la gynécologie
obstétrique pour l’une, de la clinique de la réparation clitoridienne pour
l’autre, ils ont décidé de faire accéder l’organe « en action » à un régime de
visibilité supérieur en employant à leur tour les deux technologies de
visualisation qui sont à leur disposition, l’échographie et l’IRM. Dans la
première étude, le comportement du « complexe clitoridien » – rebaptisé
« clito-urethrovaginal » – est observé par échographie sur cinq femmes
adultes « en bonne santé sexuelle » et qui se masturbent avec pénétration ;
dans la seconde, il est observé par IRM lors du coït en laboratoire d’un
couple hétérosexuel de collègues médecins125. La proposition est bien de
révéler par le dispositif expérimental la vérité du fonctionnement
physiologique et du sexe. La dimension dramatique et auto-réalisatrice de
cette scène de laboratoire tient bien sûr aux capacités de dire le « vrai » dont
sont aujourd’hui dotées les technologies de visualisation médicale. Mais
quelle est exactement la nature de ces expériences et quelles en sont les
visées ?
Les proclamations de fidélité aux résultats de O’Connel concernant
l’importance et le rôle du clitoris sont en partie contredites par les
dispositifs expérimentaux et un agenda qu’il nous faut préciser. Les
auteur·e·s semblent en effet intéressé·e·s à prouver d’abord l’existence
anatomique et physiologique d’une zone du vagin, « le Point G ». De quoi
est-il question ? Ernst Gräfenberg, un sexologue viennois, avait mis en
évidence en 1950 le rôle de l’urètre dans l’orgasme féminin et prétendu
avoir découvert une zone vaginale particulièrement sensible au
déclenchement de l’orgasme. Son idée, contestée puis abandonnée, est
reprise dans les années 1980 via un livre intitulé Le Point G (G comme
Gräfenberg) qui accrédite l’idée d’un lieu premier du plaisir chez la femme
– et c’est de là que partent Buisson et Foldès. « La zone agréable appelée
“point G” », précisent-ils à la suite de leurs expériences, « pourrait être
causée par le contact du clitoris interne et la paroi vaginale antérieure ».
Ainsi font-ils valoir que les femmes pourraient atteindre l’orgasme vaginal
en stimulant le point G – même s’ils reconnaissent qu’il est presque
impossible de stimuler le vagin sans activer le clitoris.
Une question surgit alors. Pourquoi insister sur l’orgasme vaginal (il est
vrai que le présupposé hétérosexuel et pénétratif est au fondement des deux
expériences qui viennent d’être décrites) ? Quel est le problème avec le
clitoris que le point G résout ? L’exploit que le Point G accomplit est de
restaurer, depuis l’autorité de la science, la prévalence du vagin comme
source de plaisir – et donc de la pénétration comme sexualité légitime et
première ! Prouver l’existence du point G (vaginal) est le moyen d’aider
scientifiquement les femmes à atteindre ce qui est réputé le plus difficile : le
vrai, l’entier, l’Orgasme, le Vaginal. En ce sens, les travaux de Buisson et
Foldès déplacent le rôle propre du clitoris et peuvent lui être fatal – et fatal
à ce qu’il représente en termes de redéfinition des subjectivités sexuelles et
politiques pour celles qui l’ont brandi. Et soudainement, en écrivant ces
lignes, on réalise l’endroit où nous avons été à nouveau conduites. Pourquoi
l’enjeu serait-il encore et toujours de trouver une racine physiologique, un
soubassement anatomique à une seule expérience érotique (le coït) qui est
lui-même chose infiniment plus complexe qu’un simple acte
physiologique ? Comment avons-nous pu nous laisser conduire une fois de
plus à un tel réductionnisme, à une lecture aussi partielle et partiale de ce
qui compte comme expérience dans le plaisir ? Il n’est pas question de faire
un procès en mauvaise intention mais de donner à voir, comme à chaque
fois, les limites et cadrages, le périmètre obsédant des questions
inconscientes, le caractère toujours circonscrit et lourdement chargé des
registres de l’explication quand il s’agit de fonder « en nature » (c’est-à-dire
en science) des processus humains aussi complexes que la sexualité des
femmes.
Ainsi, si nous devons saluer les mises en scène scientifiques et politiques
de ce « nouveau clitoris », il importe de rappeler aussi que nous avons
moins besoin de « fétichisme » de l’organe ou de « littéralité » que de
perturbations. Les initiatives de réalphabétisation anatomique, cette
« cliteracy » (comme l’a proposé l’artiste Sophie Wallace126) doit passer par
un investissement des sphères de production des savoirs, une appropriation
et une subversion de ce qui compte à propos de la nature et des corps, des
technologies, des modes de représentation et de l’écriture. Puisque les
sciences et les technologies transforment nos vies et nos mondes tant
matériellement que métaphoriquement, il convient de déployer des (contre)-
stratégies d’appropriation et de transformation qui soient elles aussi
matérielles et métaphoriques. À la convergence de la critique féministe des
sciences et du mouvement « Do it yourself », cette clitéracie nouvelle
participe du renouvellement du répertoire féministe en même temps que de
l’extension des actions dans le champ biotechnologique trop longtemps
demeuré dans un entre-soi masculin aveugle aux questions de genre.
L’heure des « sorcières » semble enfin advenue et les sœurs de l’« open
source oestrogen », du « trans hack feminism » ou de la « vulvacadamy »127
ouvrent des voies, d’autres bouillons de « natureculture »128. Parce que leurs
créatures réelles sont chimériques et figuratives, elles nous permettent
d’imaginer des mondes nouveaux pour vivre en dehors du seul registre
littéral et organiciste. En ce sens, nous avons autant besoin d’art que de
science.
« À un certain point, le clitoris cesse d’être un clitoris et
devient un pénis, une distinction uniquement basée sur
la taille du clitoris »
129
Katrina Karkasis, 2008

Mais délaissons le clitoris straight, pour envisager le clitoris queer. Pour


classer les personnes dites « intersexes », les médecins convoquent un
certain nombre de critères – anatomiques, endocrinologiques, génétiques –
mais, en dernière instance, comme on peut le lire ici, la taille du clitoris
peut être déterminante et faire tomber le sujet dans telle ou telle catégorie
des classifications médicales de genre. Dans un monde où les corps sexués
le sont du fait des gonades (ovaires, testicules) mais aussi des hormones et
des chromosomes, dans un monde où il est question de sexe phénotypique
et de sexe génétique, et où l’ensemble de ces indications peuvent présenter
des ambiguïtés et de fortes divergences130, quelle est la part de l’anatomie
(et des organes tels que le clitoris) dans la détermination de ce qui fonde la
nature dite « sexuée » des corps ?
Avant de revenir à la scène contemporaine et au rôle que continue ou non
d’y jouer l’anatomie des organes génitaux, un retour s’impose sur l’histoire
de ces transformations, sur la façon dont on a historiquement recherché
dans les corps les déterminants « naturels » de l’« orientation sexuelle ». La
construction des identités et la catégorisation des sexes n’est en effet jamais
innocente, et elle a des conséquences que connaissent bien, dans leurs
chairs et souvent à leurs dépens, celles et ceux qui naissent et vivent aux
frontières de ce que les savoirs médicaux et les normes sociales et
juridiques construisent comme séparant le masculin du féminin, le normal
du pathologique.
Plusieurs temps sont à différencier. On a vu la plasticité des
représentations et la variété possible des êtres encore en vigueur aux xvie et
xviie siècles. Elle s’atténue avec l’affirmation d’un système binaire et
dichotomique reposant sur la fonctionnalité des organes génitaux et leurs
capacités reproductives, un mouvement qui s’affirme à la fin du xixe siècle
lorsque les corps et le sexe sont de plus en plus définis biologiquement131.
C’est ce qu’on a appelé l’ère des « gonades », une époque où les ovaires et
les testicules sont considérés comme les indicateurs essentiels de
l’anatomie. Dans cette conception, il existe désormais, en théorie du moins,
une « vérité » lisible du sexe dans les corps.
Un autre mouvement opère en parallèle. Après Geoffroy Saint-Hilaire
(1805-1861), les hermaphrodites quittent l’ordre merveilleux de la nature et
la tératologie pour entrer dans le monde des sciences naturelles, médicales
et de la pathologie. Hermaphrodites – et bien sûr homosexuels –
passionnent en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne à la fin du
xixe siècle. Ils·elles sont étudié·e·s, classé·e·s, traité·e·s – parfois
confondu·e·s. Concernant les hermaphrodites, il s’agit d’ordonner leur
sexualité en fonction de ce qui est retenu comme la « vérité » première de
leur sexe. Concernant les homosexuels, une catégorie qui émerge comme
catégorie médicale au sein de la psychiatrie criminelle, il s’agit de statuer
sur l’origine congénitale, cérébrale ou héréditaire de ces « perversions »132.
L’homosexualite est désormais considérée comme étant le contraire de
l’hétérosexualite, c’est-à-dire l’inversion de l’instinct « normal » du désir133.
Il convient alors d’expliquer pourquoi « l’instinct sexuel » se dirige vers un
objet inapproprié. Une quête qui mobilise modèles et explications
somatiques et psychiques, innées et acquises.
Si le lien entre sécrétion hormonale et orientation (ou identité) sexuelle
n’est jamais établi, la quête biologique de l’identité hermaphrodite conduit
l’embryologiste Richard Goldschmidt en 1917 à proposer le terme nouveau
d’« intersexualité »134. Mais anciennes taxonomies et doctrines nouvelles
coexistent. Ainsi, Magnus Hirschfeld, psychiatre allemand, et homosexuel,
devient un grand défenseur de la théorie du « troisième sexe » au tournant
du siècle. Aux côtés de la femme et de l’homme, ce troisième sexe est vu
comme constitué d’une série de types sexuels classés en quatre catégories
principales : « hermaphrodites, androgynes, homosexuels, transvestistes
(travestis et transsexuels) » 135. Pour l’essentiel, les investigations médicales
sur les homosexuels concernent alors les hommes, qui sont au centre des
préoccupations sociales et juridiques. Les « amitiés féminines », souvent
euphémisées, sont conçues comme moins dangereuses que les pratiques
homo-érotiques masculines et comme des phases de transition qu’il faut
surveiller et ne pas encourager, mais qui ont vocation à disparaître. Si la
tolérance est de mise à l’égard de l’homosexualité féminine c’est que la
sexualité féminine n’est pas vraiment considérée comme autonome. Et le
désir lesbien étant peu thématisé, à l’instar du désir féminin, il ne constitue
pas un vrai problème136.
Entre les deux guerres, particulièrement aux États-Unis, c’est la figure
« masculine » de la « lesbienne » qui focalise la recherche sur les
« déviances de sexe ». Lors de l’enquête conduite à New-York dans les
années 1930 sur des femmes ayant des pratiques homo-érotiques137, seule la
femme dite « masculine » est définie comme « homosexuelle » – car on
interprète son corps comme relevant, en partie, de la « physiologie » du
sexe fort (densité musculaire, comportements agressifs, impériosité du désir
sexuel). Le « désir lesbien » ne peut en effet être constitué qu’au
« masculin », qui est la norme du sujet autonome et désirant, et la femme
qui transgresse la passivité de son rôle social et sexuel est présumée
« masculine ». Les femmes dites « féminines » qui se déclarent
homosexuelles sont étiquetées « narcissiques » et non-homosexuelles par
les enquêteurs. Une raison en est que les médecins ne parviennent pas à
établir un lien entre la taille de la vulve, et en particulier la présence d’une
« vulve infantile », selon leurs termes, avec leur comportement sexuel. Au
moment où on cherche dans les corps et leurs composantes visibles et
invisibles des indicateurs de l’identité sexuelle, on fabrique donc encore et
toujours de la dichotomie – par exemple entre « lesbiennes » aux traits et
comportements « masculins » ou « féminins ». Toutefois, qu’il s’agisse de
chercher les causes de l’attrait pour un individu du même sexe dans
l’anatomie – ou, sujet plus central de l’entre-deux-guerres, dans les
anomalies hormonales – les tentatives de trouver un fondement biologique à
l’homosexualité (ou de la traiter par les hormones) échouent – et elles sont
provisoirement abandonnées. En revanche, l’entre-deux-guerres développe
une meilleure compréhension de la biologie de l’intersexualité et met à jour
la complexité des situations biologiques recouvertes par ce terme. On classe
alors, par exemple, les cas d’intersexualité selon leur origine
(embryologique, chromosomique, hormonale)138 et on développe une
première clinique de la réassignation sexuelle.
Les problèmes posés par le non alignement de l’anatomie, du désir et de
l’identité sexuelle sont eux-mêmes questionnés par le développement de
l’endocrinologie139, mais surtout, dès l’entre-deux-guerres, par les
technologies chirurgicales. C’est ce que montre les travaux de Bernice
Hausmann qui retrace la continuité des pratiques médicales de prise en
charge des personnes dites « intersexuelles » dans l’Amérique des années
1930 – avec, dans les années 1950, la mise en place de la première clinique
de la transsexualité140. Le premier cas connu de changement volontaire de
sexe, par les seuls moyens de la chirurgie, est celui du peintre danois Einer
Wegener (devenue Lili Elbe), qui le raconte dans son autobiographie141.
L’ablation des testicules fut suivie d’une greffe d’ovaires mais Wegener
décéda deux ans plus tard suite à une nouvelle opération, de vaginoplastie
cette fois. Dans ce qui devient la clinique de réassignation de sexe pour les
personnes intersexuées, ou de transition vers un autre sexe/genre pour les
personnes diagnostiquées en trouble d’identité, les organes génitaux visibles
apparaissent souvent en contradiction avec d’autres indicateurs. Dans tous
les cas, en fonction des remédiations endocrinologiques et chirurgicales, les
organes sont investis ou désinvestis, détruits ou reconstruits, mais les
médecins et chirurgiens visent pour l’essentiel à rétablir à la fois la binarité
sexuée (des corps « lisiblement » féminins ou masculins et libérés de toute
ambiguïté) et la matrice hétérosexuelle (les corps transformés doivent
pouvoir fonctionner « normalement » en termes de sexualité génitale
adulte).
Dans ce décor, le clitoris compte et ne compte pas. Il est peu ou pas
mobilisé comme organe identificatoire s’il s’agit de rétablir ou d’établir le
sujet comme féminin – c’est alors un vagin susceptible d’être pénétré qui
importe. Inversement il est amené à compter, comme la citation en exergue
en témoigne, s’il s’agit d’établir un sujet masculin : homologue du pénis (du
point de vue du développement embryologique notamment), le clitoris peut
être symboliquement et matériellement utilisé pour élaborer un « pénis ».
Dans les années d’après-guerre, la clinique de la transsexualité devient le
lieu où s’explore la disjonction possible entre régimes « anatomiques »,
« psychiques » et « sociaux » du corps et de la subjectivité. La médecine
des états intersexuels (puis transsexuels) vise en effet à soigner les
personnes dont l’identité corporelle (ou de sexe) et l’identité psychique sont
en conflit. En 1968, Robert Stoller propose une gradation du biologique au
psychisme (et au social) et définit plusieurs niveaux d’identification de
genre pour l’individu142. La notion qu’il propose de « core gender identity »
pour dire l’intime conviction de la personne d’appartenir à un sexe ou à un
autre est notamment retenue. Se développe ainsi une conception nouvelle et
plus fine de la complexité des identités sexuées, conception qui part plutôt
de l’intériorité que de l’extériorité, de la subjectivité plutôt que des traits
biologiques (le plus souvent conflictuels) et des normes sociales. La notion
de « genre » prend alors de l’épaisseur et met en son centre, pour parler de
l’identité sexuée, les tensions complexes entre dimensions psychiques,
biologiques et sociales.
Dans les années 1990, le traitement des cas d’intersexualité, tel qu’il se
pratique aux États-Unis143, établit que l’identité de genre est modifiable
jusqu’à l’âge de 18 mois environ. Pour la minorité d’enfants qui présentent
à la fois ovaires et testicules ou qui sont marqués par des traits biologiques
relevant des deux sexes, des examens (évaluation du sexe chromosomique,
radiographie de l’appareil génital, etc.) permettent de « fonder » un choix.
Si le sexe masculin est attribué au nourrisson, la réparation initiale du pénis
est généralement entreprise au cours de la première année et une nouvelle
intervention chirurgicale est effectuée avant que l’enfant n’entre à l’école.
La taille de l’organe joue un rôle important : dans le cas des enfants dont le
phallus est dit « sous développé », la question n’est pas de savoir si c’est un
pénis mais s’il est « assez bon » pour le demeurer. Si à la fin de la période
de traitement hormonal, le tissu phallique n’a pas répondu, ce qui était un
pénis potentiel (et avait été désigné comme un « clitoropenis ») est
maintenant considéré comme un clitoris élargi (ou un « pénoclitoris ») – et
la chirurgie reconstructive correspondante peut être envisagée. L’analyse
des corpus médicaux et des pratiques effectives atteste du fait que, dans les
cas d’intersexualité contemporains, c’est principalement le « pénis qui fait
le genre ». Un « bon pénis » équivaut au masculin ; une absence de bon
pénis équivaut au féminin. Il est intéressant de noter alors que, pour faire du
féminin, la question n’est pas tant d’avoir des organes que de ne pas être
doté·e de l’Organe. Il y a peu d’attention à la taille ou la forme des organes
génitaux féminins – en dehors de l’évaluation de la capacité future du vagin
à pouvoir accueillir un pénis – et ceux-ci ne comptent pas comme critères
en dernière instance.
Dans une logique de catégorisation binaire le sexe ne peut être que clitoris
ou pénis et l’enjeu consiste à dire quand le bourgeon cesse d’être un clitoris
et quand il devient un pénis (au niveau embryonnaire, le clitoris et le pénis
sont la même chose). Le phénomène de sexuation est conceptualisé par
l’embryologie comme un ensemble complexe où le masculin acquiert par
activité et le féminin par passivité. La différenciation dans le féminin est
dite passive car ne nécessitant pas d’apport hormonal ; dans le sexe
masculin elle est dite active car elle nécessite un apport d’hormones et
d’androgènes. À défaut d’activité hormonale, c’est « du » féminin qui se
constitue – en bref c’est parce qu’il ne devient pas mâle (action) que le
fœtus advient féminin (par défaut). Ces éternels mots d’actif (pour le
masculin) et de passif (pour le féminin) sortent tout droit des idéologies
ordinaires les plus sexistes, et il ne fait pas de doute que des descripteurs
plus « égalitaires » pourraient être utilisés pour décrire ces phénomènes
biologiques et biochimiques complexes et qui doivent se lire à diverses
échelles. Cela a été autrefois bien montré par Emily Martin144 à propos de
l’usage des métaphores en biologie – dans son cas sur les fameux récits du
spermatozoïde actif pénétrant l’ovule gros et passif – et qui nous rappellent
si nécessaire le caractère hautement contingent et problématique dans
lesquels les questions et résultats de science sont souvent présentés,
notamment lorsque la sexualité est concernée145.
Le clitoris occupe néanmoins une place particulière dans la partie
reconstructrice des organes – notamment depuis une trentaine années,
moment où la chirurgie de réassignation de sexe se développe et propose
des techniques alternatives. La métaidoïplastie, par exemple, permet dans
les cas de transition female to male « d’élargir » progressivement le clitoris
vers une taille moyenne lui permettant « d’évoluer » vers un pénis. La
technique est plus simple que la phalloplastie – même si elle permet moins
que cette dernière d’avoir des rapports sexuels « avec pénétration ». Dans le
cas d’une transition male to female, les services spécialisés insistent
aujourd’hui auprès de leurs patient·e·s sur le soin apporté à la reconstitution
du « clitoris ». Et l’attention porte sur la préservation des sensations, le
« néo-clitoris » étant vascularisé de façon à « toujours remplir son rôle
érogène ».
La moindre focalisation sur le phallus et la sexualité pénétrative d’un côté,
la visibilisation plus grande des « néo-clitoris » – après les seuls « néo-
vagins » – de l’autre, témoignent du caractère de plus en plus plastique non
seulement des technologies chirurgicales, mais aussi des « états du
corps/sexe/genre » et des répertoires sexuels. Le fait est aussi bien médical
que social et relève autant de la mobilisation des personnes « trans » que
des pratiques sexuelles elles-mêmes146. Ainsi, le parcours très normalisé du
point de vue médical, très centré sur les organes, et qui visait in fine à la
transformation totale du sujet, à la destruction de son appareil génital initial
et la reconstruction d’un appareil génital opposé, tend à être remis en cause.
Si la clinique de la transsexualité a historiquement fonctionné comme une
machine à inscrire définitivement les individu·e·s dans un sexe/genre de
destination lisible (et donc à renforcer le système dichotomique de genre),
on sait qu’elle a aussi fonctionné comme une machine à éliminer de
l’homosexualité ou de la bisexualité en attendant des sujets qu’ils pratiquent
une sexualité hétérosexuelle et pénétrative. On le sait, un des critères
d’éligibilité à l’entrée dans les protocoles médicaux a longtemps été de
témoigner de cette adhésion à la matrice hétérosexuelle. Mais dès l’origine
de cette histoire, les sujets-patient·e·s ne sont pas restés inactif·v·e·s.
Ils·Elles ont flibusté les scripts médicaux, contesté la psychiatrisation de
leur condition, vécu d’autres vies sexuelles que celles qui leur étaient
assignées. Ils·Elles se sont évidemment emparés des ressources disponibles
et les ont réinterprétées, resignifiées. Un espace politique subjectif s’est
ainsi ouvert dans les interstices des protocoles médicaux et des plateformes
techniques, qui ont dû composer avec ces détournements et revoir leurs
visions simplistes et binaires des futurs possibles. Pour toutes et tous, un
espace politique et personnel s’ouvre ainsi avec ou sans organes, ou avec de
« néo-organes », et il trouble l’espace corporel, subjectif, politique des
possibles.
« Le fait que le pénis, le vagin, les seins et autres traits
soient nommés “parties sexuelles” est un acte qui réduit
le corps érogène à ces parties, et de ce fait, fragmente le
corps pris comme totalité »
147
Judith Butler, 1990

En quête de promouvoir une nouvelle anatomie politique du clitoris, il se


peut, in fine, qu’on ne parvienne pas à se déprendre de quelques écueils
majeurs. Partons du premier, pour cheminer vers les autres. Le premier
écueil tient à la fétichisation de l’organe et de l’anatomie, à la focalisation
sur la physiologie, à l’adhésion aux méta-discours que la biologie ne cesse
de produire et de faire proliférer comme éléments d’explication de toute
chose. Comme l’a montré Donna Haraway, en se proposant de dire
comment le monde fonctionne « biologiquement », les sciences naturelles
(la biologie) font bien plus et se proposent aussi de dire comment il
fonctionne « métaphoriquement », comment il se doit d’être « par
nature »148. C’est que ses métaphores sont puissantes. Elles le sont d’autant
plus quand, saturant tout l’espace de la signification, elles deviennent le
seul langage disponible pour interpréter ce qui est. C’est ce que nous
suggère ici Judith Butler, questionnant la conception du corps et de
l’érotique qui est en jeu dans la production d’un corps « par parties ». Il
n’est pas d’usage d’employer le verbe « organiciser » pour décrire le fait de
concevoir le corps « par organe », d’avoir opéré son démembrement pour
ensuite le remembrer. « Organiciser » pourtant signifie aussi « provoquer
une lésion organique ». Que penser alors de ce qu’une conceptualisation
purement organique de la sexualité, de cette « réduction du corps érogène »
à ses parties fait au corps érotique ? Quelles sont les lésions ici à l’œuvre ?
De quelle nature sont les dommages ?
Étrangement, et c’est ce que nous nous proposons d’évoquer dans cette
dernière séquence, le clitoris n’est pas ou peu présent dans les écrits
théoriques des féministes lesbiennes (ou des lesbiennes féministes). Certes
le clitoris a été revendiqué comme contre-organe, comme pendant
symbolique et réel du pénis (par Iragaray par exemple) mais, pour
l’essentiel, il n’est pas convoqué – car l’enjeu de ce qu’il convient de
déplacer est autre, se situe ailleurs. Il s’agit de démonter l’imaginaire social
dominant, la norme naturaliste et évidente qu’incarne la sexualité
hétérosexuelle – et qui est pénétrative et génitale, qui tourne autour du pénis
et du couple clitoris/vagin. Il s’agit au contraire de faire valoir des contres
expériences et des contre représentations qui ne se définissent pas à partir
de l’accouplement comme référence, qui ne sont pas définies du point de
vue du masculin et de l’expérience hétérosexuelle féminine, qui ne sont pas
centrés sur les seuls « organes ». Il s’agit de questionner la fonction d’abord
reproductive de l’ordre social et de genre produit par la « naturalisation » de
la sexualité, la sexualisation de l’éros et la biologisation du sexe – afin de
développer d’autres érotiques qui puissent être l’expression de mondes et de
vies autres.
L’expérience et l’existence lesbienne sont en elles-mêmes des résistances
et des démentis à l’assignation à la matrice reproductive, à l’injonction de
l’acte pénétratif, à la primauté de la jouissance construite autour du pénis.
« Lesbienne », écrit Monique Wittig, « est le seul concept que je connaisse
qui soit au-delà des catégories de sexe »149. L’anatomie politique de
l’hétérosexualité est à décentrer radicalement dans l’ensemble de ses
propositions, biologiques, sociales, politiques. C’est ainsi qu’il faut
comprendre la critique faite par Wittig à Iragaray. Dans son fameux texte
« Ce sexe qui n’en est pas un », Iragaray suggère, contre un système de
représentation qui fait du « sexe-clitoris » un « trou-enveloppe » qui « ne
soutient pas la comparaison avec l’organe phallique valeureux », que la
« vulve » devienne le support d’une contre-élaboration. Iragaray valorise
l’auto-érotisme (et une sorte de pan-érotisme féminin) en réinterprétant la
« vulve ». « La femme se touche elle-même, écrit-elle, et est en elle-même
sans la nécessité d’une médiation. (…). La femme « se touche tout le
temps » sans que l’on puisse d’ailleurs le lui interdire, car son sexe est fait
de deux lèvres qui s’embrassent continûment. Ainsi, en elle, elle est déjà
deux – mais non divisibles en un(e)s qui se baisent »150. Contre l’assertion
de l’enfant-fille qui fait l’expérience « qu’elle n’a pas de sexe », Iragaray
répond : « elle en a au moins deux, mais non identifiable en un. Elle en a
d’ailleurs bien davantage. Sa sexualité, toujours, est au moins double, et
encore plurielle »151. Le travail d’Iragaray est donc une proposition
subversive – mais de l’intérieur de la théorie psychanalytique qu’elle se
propose de réélaborer.
Cette localisation anatomique et imaginaire de la pluralité de la sexualité
féminine (ou lesbienne ?) n’emporte pas l’assentiment de Wittig, qui voit
dans la valorisation de la spécificité anatomique de la vulve, la réitération
non critique d’un discours qui ne cesse d’apposer ses « marques » et de
« couper » le corps des femmes en parties artificielles. Wittig rejette autant
l’usage biologique que symbolique de l’organe et refuse de mobiliser la
biologie et son naturalisme – pour « des motifs stratégiques ». L’entreprise
de Luce Iragaray lui paraît vouée à l’échec puisque « nous avons été forcées
dans notre corps et dans notre pensée de correspondre trait pour trait avec
l’idée de nature qui a été établie pour nous » mais « “homme” et “femme”
sont des catégories politiques (pas des données de nature) »152. La tradition
psychanalytique ne peut être davantage mobilisée puisqu’elle est, et
reproduit, une institution qui fonde le sujet femme sur une économie du
manque, de la négation.
Les stratégies littéraires et philosophiques de Wittig pour sortir de cette
impasse sont doubles. Dans ses écrits littéraires, prolifèrent d’abord des
descriptions érotiques « monstrueuses » où des « organes » « inappropriés »
sont convoqués et dessinent les contours d’une contre-anatomie érotique du
« corps lesbien ». En mille morceaux, illisible, il devient inassimilable,
subvertif153. Teresa de Lauretis donne une portée émancipatrice à ce travail
paradoxal de Wittig : « Le démembrement du corps féminin, membre par
membre, organe par organe, sécrétion par sécrétion, est à la fois la
déconstruction terme à terme du corps anatomique féminin tel qu’il a été
représenté ou cartographié par le discours patriarcal. Le voyage et l’écriture
ignorent cette carte, excèdent les mots des maîres et exposent les intervalles
qui les séparent, les trous de la représentation (…) pour ré-imaginer, pour
re-prendre, pour ré-écrire le corps dans le cadre d’une économie libidinale
différente »154. Le corps lesbien chez Wittig est avant tout « réfractaire », et
la reprise / détournement de la lesbienne comme « monstre » est une
opération qui vise la transfiguration, la métamorphose, la figuration de
corps inédits en termes anatomiques, érotiques et politiques155. Mais en
parallèle à l’évocation de cette corporéalité inappropriable, Monique Wittig
développe l’idée de l’apparition d’un « nouveau sujet », le « sujet lesbien »
unifié qui, restauré par l’acte de la parole, rend obsolète les catégories
patriarcales existantes et établit un monde autre. L’érotique demeure
illisible à l’ennemi – cependant que le sujet politique surgit, unifié et
souverain, en dehors de l’économie reproductive, déstabilisant le schème
conceptuel hégémonique.
Pour défendre les conditions de l’émergence du sujet lesbien (et
possiblement du sujet femme tout court), les lesbiennes féministes font un
travail critique qui déplace les contours de ce qui fait la norme. La
promotion qu’elles font d’une nouvelle « érotique » dans un rapport
radicalement distancié de l’anatomie et des organes questionne notre
focalisation sur le « clitoris » comme organe « raisonnable » de
l’émancipation sexuelle et politique des femmes. Les lire, c’est décentrer la
sexualité et la jouissance de leur cadre habituel, les déconnecter des
impératifs qu’imposent la jouissance masculine et ce qu’elles dictent aux
femmes. À travers cette entreprise de « décolonisation » des corps, du
sexe/genre, de la sexualité et des identités, d’autres mondes surgissent.
C’est que les pratiques érotiques des femmes n’ont pas ou peu accédé à
l’espace du représentable ou du représenté, demeurant évanescentes ou
cachées – jusque dans les œuvres des femmes écrivains. Eve Sedgwick
Kosofsky souligne ainsi le manque de vocabulaire et de catégories
adéquates pour nommer ce qui a cours entre les femmes des romans de Jane
Austen ; ou pour comprendre les dimensions polymorphes et
« plurisexuelles » de la poésie d’Emily Dickinson. Tout lui semble
anachronique dans les interprétations qui en sont données, comme le fait de
penser auteures et personnages dans le registre principal de l’identité
sexuelle ou de l’homosexualité156.
Sedgwick et bien d’autres dénoncent des assignations incapacitantes et
destructrices. Le domaine de l’érotique n’est pas réductible au « sexe » ou
« à la chambre à coucher » écrit ainsi Audre Lorde157, il est subversion
radicale du soi, de la relation aux autres, de la relation au monde. L’érotique
en « termes féminins » n’est circonscrit dans aucune partie spécifique du
corps, ni même dans le corps – il s’exprime, dirait Rich, comme « énergie
diffuse »158. Il est une ressource présente en chacune, enracinée mais
inexprimée ; une ressource réprimée et avilie, considérée comme signe de
l’infériorité et du caractère suspect des femmes. « L’érotisme », dit Lorde,
est « une source intarissable de stimulation et d’accomplissement pour la
femme qui n’a pas peur de sa révélation »159. Et elle conclut : « on ne peut
pas considérer l’érotisme comme un sentiment de seconde main. En tant
que lesbienne Noire féministe, je perçois, je connais et je comprends de
façon particulière ces sœurs avec lesquelles j’ai dansé passionnément, joué
et même lutté »160.
Autre exemple : Adrienne Rich interprète « l’identification aux femmes »
comme une « fontaine potentielle du pouvoir féminin » qui est à la fois
« stoppée » et « gaspillée » sous le régime de l’institution hétérosexuelle161.
Partant de l’idée que la destruction sociale de l’identification première des
femmes est la clef pour éradiquer la suprématie masculine, elle suggère de
subvertir les connotations limitatives, historiquement cliniques et
répressives, de l’expérience que les lesbiennes, et plus largement les
femmes, ont d’elles-mêmes et des liens intimes (et érotiques) qui les lient.
Elle convoque un registre large d’expériences, à l’échelle de l’histoire des
femmes comme de la vie de chacune, bien au-delà de l’expérience sexuelle
génitale. Ne pas limiter l’érotique au « sexe » est, dirait Lorde, le moyen de
reconquérir une « puissance » « sombre », « ancienne » et « profonde » qui
a été oblitérée162.
C’est à cet endroit de la production du sujet et de la possibilité
d’existences subvertissant les normes de genre et de la sexualité que Butler
entreprend son propre travail. Ce qui s’ouvre dans l’horizon contemporain
des corps/sexe/genre est pour elle une grande complexité de jeux sur le
« fond » et la « surface » des identités, la possibilité d’être divers et de se
déplacer au-delà de l’anatomie. Reprenant l’idée que le corps ne préexiste
pas à son inscription culturelle, qu’il n’est pas une surface en attente d’un
marquage, qu’il n’est pas « simple véhicule » donné en lui-même, Butler
suggère que le corps s’élabore selon les lignes culturelles – des « tabous »
qui définissent les orifices et/ou les organes qui peuvent ou non être utilisés
dans les échanges sexuels par exemple163. Il y a là matière à érotisation. Et
les pratiques érotiques sont donc en elles-mêmes déstabilisantes et
transformatrices.
Les usages sont ici premiers qui déplacent les frontières de ce qu’est et
fait un corps, mais aussi de ce qui fait l’identité des sujets. Les
déstabilisations, recompositions, affirmations des identités ont lieu à partir
des pratiques de soi et des usages du corps, de leurs transformations et
remastérisations matérielles, des actes de langage et des interventions
esthétiques – ce qui donne à la catégorie de genre un sens élargi et fait
d’elle un choix et une mise en acte plutôt qu’une identité immuable, un
faire et une performance ouverte plutôt qu’un donné. La performance est le
fait de toutes et tous, des sexes/corps straight (qui se font refaire
chirurgicalement par exemple) comme des sexes/corps dissonant·e·s (fem,
butch, homme efféminé, drag queen, trans). Elle opère à travers les postures
et attitudes, les détournements et artifices – mais le rôle qu’y jouent les
organes (le clitoris par exemple) n’est pas nécessairement ce qui importe.
Ceux-ci jouent au même titre que les autres accessoires qui permettent la
présentation ou l’exposition de soi, qui font la mise en corps de la
« comédie » humaine et le caractère toujours parodique du genre. Et Butler
y insiste : ce sont les capacités proliférantes (et pertubatrices) de ces mises
en acte du corps qui comptent. C’est dans ce jeu, nous dit-elle, que
s’invente la possibilité de nouvelles existences, de nouveaux sujets, d’autres
avenirs. En bref « ce qui fait un corps » est toujours et déjà bien plus que la
présence de/d’un organe. L’organe ne fait pas le corps et le corps ne fait pas
l’identité. L’invention est ailleurs.
Collection « Petite encyclopédie
critique »
Rokhaya Diallo, La France tu l’aimes ou tu la fermes ?, 2019.
Daniel Borrillo, Disposer de son corps : un droit encore à conquérir, 2019.
Vanessa Codaccioni, Répression - L’État face aux contestations politiques, 2019.
Sophie Wahnich, L’Intelligence politique de la Révolution française, nouvelle ed. 2019 (2012).
Francis Dupuis-Déri, Les nouveaux anarchistes – De l’altermondialisme au zadisme, 2 018.
Maud Simonet, Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, 2018
Audrey Célestine, Une famille française – Des Antilles à Dunkerque en passant par l’Algérie,, 2018
Sarah Abdelnour, Les Nouveaux Prolétaires, 2018
Pauline Delage, Droits des femmes, tout peut disparaître, 2018
Marie-Cécile Naves, Trump, la revanche de l’homme blanc, 2018
François Berdougo, Gabriel Girard, La fin du sida est-elle possible ?, 2017.
Frédéric Debomy, Finkielkraut, la pensée défaite, 2017.
Sélim Smaoui, Faites place . Novices en lutte, 2017.
Sara Garbagnoli et Massimo Prearo, La Croisade « anti-genre » Du Vatican aux manifs pour tous,
2017.
Philippe Blanchet, Les mots piégés de la politique, 2017
Éric Fassin, Populisme : le grand ressentiment, 2017
Séverine Chauvel, Course aux diplômes : qui sont les perdants ?, 2016
Lilian Mathieu, Prostitution : quel est le problème ?, 2016
Philippe Corcuff, Pour une spiritualité sans dieux, 2016
Manuel Cervera-Marzal, Pour un suicide des intellectuels, 2015
Philippe Blanchet, Discriminations : combattre la glottophobie, 2015
Philippe Corcuff, Mes années Charlie et après ?, 2015
Jean-Claude Kaufmann, Identités, la bombe à retardement, 2014 (r. 2015)
Vincent Goulet, Médias : le peuple n’est pas condamné à TF1, 2014
Philippe Corcuff, Les Années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard, 2014
Fabrice Flipo, Pour une philosophie politique écologiste, 2014
Stéphane Lavignotte, Les Religions sont-elles réactionnaires ?, 2014
Éric Fassin, Gauche : l’avenir d’une désillusion, 2014
Jean-Claude Kaufmann, Identités, la bombe à retardement, 2014.
Philippe Corcuff, Polars, philosophie et critique sociale, 2013.
Lilian Mathieu, Columbo : la lutte des classes ce soir à la télé, 2013.
Sophie Wahnich, L’Intelligence politique de la Révolution française, 2012.
Philippe Corcuff, La Gauche est-elle en état de mort cérébrale ?, 2012.
Philippe Corcuff, Marx xxie siècle. Textes commentés, 2012.
Philippe Poutou, Un ouvrier, c’est là pour fermer sa gueule !, 2012.
David Belliard, Notre santé est-elle à vendre ? et 25 autres questions que tout le monde se pose sur la
santé, 2012.
Philippe Caumières, Castoriadis : critique sociale et émancipation, 2011.
Christian Arnsperger, L’Homme économique et le sens de la vie Petit traité d’alter-économie, 2011.
Delphine Gardey (dir.), Le Féminisme change-t-il nos vies ?, 2011.
Philippe Corcuff, B.a.-ba philosophique de la politique pour ceux qui ne sont ni énarques, ni
politiciens, ni patrons, ni journalistes, 2011.
Irène Pereira, L’Anarchisme dans les textes. Anthologie libertaire, 2011.
José Luis Moreno Pestaña, Michel Foucault, la gauche et la politique, 2011.
ATTAC Le Capitalisme contre les individus. Repères altermondialistes, 2010.
Jacques Fortin, L’Homosexualité est-elle soluble dans le conformisme ?, 2010.
Lilian Mathieu, Les Années 70, un âge d’or des luttes ?, 2010.
Irène Pereira, Peut-on être radical et pragmatique ?, 2010.
Cédric Durand, Le Capitalisme est-il indépassable ?, 2010.
Stéphane Lavignotte, La Décroissance est-elle souhaitable ?, 2010.
Notes
1 https://lecourrier.ch/2018/05/29/un-clitoris-a-la-craie-leur-vaut-une-amende/
2 Les travaux anatomiques récents s’accordent à considérer que le clitoris ou, de façon plus appropriée « le complexe clitoridien »
ou « l’organe bulbo-clitoridien », est presque entièrement caché. Il est constitué de quatre parties : les piliers, le corps, le gland
et les bulbes et d’une partie externe (la plus connue) et interne (jusqu’à peu inconnue). Sa taille totale est estimée à environ
10 cm https://odilefillod.wixsite.com/clitoris/anatomie
3 https://www.clitorosity.com/
4 Haraway Donna, Manifeste cyborg et autres essais. Sciences, fictions, féminismes, Paris, Exils, 2007.
5 Gardey Delphine, « La part de l’ombre ou celle des Lumières : les sciences et la recherche au risque du genre », Travail, Genre
et Sociétés, 14, 2005, pp. 29-47 ; « Les sciences et la construction des identités sexuées. Une revue critique », Annales, Histoire,
Sciences Sociales, juin, 2006, pp. 649-673.
6 Falloppia Gabriele, Observationes anatomicae, Venice, 1561 (édition parisienne : 1562) non paginé.
7 Jacquart Danielle et Thomasset Claude, Sexualité et savoir médical au Moyen Âge, Paris, PUF, 1985.
8 Clément Michèle, « De l’anachronisme du clitoris », Le Français préclassique, n° 13, 2011, pp. 27-45.
9 Jacquart Danielle et Thomasset Claude, Sexualité et savoir médical…, op. cit.
10 Chaperon Sylvie, « Le trône des plaisirs et des voluptés : anatomie politique du clitoris, de l’Antiquité à la fin du xixe siècle »,
Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 118, 2012, pp. 41-60.
11 La première occurrence du terme « kleitoris » est attribuée au traité d’anatomie rédigé en grec par Rufus d’Ephèse (iie siècle)
cf. : Ruelle Emile, Œuvres de Rufus d’Éphèse, texte collationné sur les manuscrits et traduit pour la première fois en français,
avec une introduction, Paris, Imprimerie nationale, 1879.
12 Clément Michèle, « De l’anachronisme du clitoris », art.cit.
13 Park Katharine, « The rediscovery of the clitoris. French medicine and the tribade, 1570-1620 », in Hillman David et Mazzio
Carla (dir.), The Body in Parts. Fantasies of Corporeality in Early Modern Europe, New York/London, Routledge, 1997, pp.
171-193.
14 Laqueur Thomas, La Fabrique du sexe : essai sur le corps et le genre en Occident, Paris, PUF, 1992.
15 Park Katharine, « The rediscovery of the clitoris. French medicine and the tribade, 1570-1620 », op.cit.
16 Article « Tribades », Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle, appliquée aux arts, principalement à l’agriculture et à
l’économie rurale et domestique par une société de naturalistes et d’agriculteurs avec des figures tirées des trois règnes de la
nature, De l’imprimerie de Crapelet, Paris, Deterville, 1803-1804. vol. 34, pp. 408-411.
17 Paré Ambroise, Des monstres et prodiges, Genève, Droz, 1971 (édition originale, 1573).
18 Katarine Park, « The rediscovery… », art. cit., pp. 171-173.
19 Littéralement « époux-femmes ».
20 Bard Christine et Pellegrin Nicole (dir.), « Femmes travesties : un mauvais genre », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 10,
1999.
21 Jacques Duval, Traité des Hermaphrodits, accouchemens des femmes, et traitement qui est requis pour les relever en santé, et
bien élever leurs enfans, Rouen, L’imprimerie de David Geuffroy, 1612, p. 383.
22 Steinberg Sylvie, La Confusion des sexes. Le travestissement de la Renaissance à la Révolution, Paris, Fayard, 2001.
23 James Robert, Article « Tribades », Dictionnaire universel de médecine, volume 6, Paris, Rue Saint Jacques, 1748, p. 401.
24 Dreger Alice, Hermarphrodites and the Medical Invention of Sex, Harvard, Harvard University Press, 1998.
25 Ullerspreger Dr, « De la clitoredectomie comme traitement de l’hystérie de l’épilepsie et de l’aliénation », Annales médico-
psychologiques, Tome 2, 1869, pp. 443-445.
26 Scull Andrew, Favreau Diane, « Médecine de la folie ou folie de médecins. Controverse à propos de la chirurgie sexuelle au
e
xix siècle », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 68, juin 1987, pp. 31-44.

27 Laqueur Thomas, Le sexe en solitaire : contribution à une histoire culturelle de la sexualité, Paris, Gallimard, 2005.
28 Brown Baker Isaac, On the Curatibility of Certain Forms of Insanity, Epilepsy, Catalepsy, and Hysteria in Females, Londres,
Hardwicke, 1866, pp. 17-18.
29 Deslandes Léopold, De l’onanisme et des autres abus vénériens considérés dans leur rapport à la santé, Paris, Lelarge, 1835,
pp. 430-431.
30 Rapport daté de 1867 cité in Scull Andrew, Favreau Diane, « Médecine de la folie… » art. cit.
31 Ullerspreger Dr, « De la clitoredectomie comme traitement de l’hystérie », op. cit.
32 Chaperon Sylvie, Les Origines de la sexologie (1850-1900), op.cit.
33 Rodriguez Sarah W., « Rethinking the History of Female Circumcision and Clitoridectomy : American Medicine and Female
Sexuality in the Late Nineteenth Century », Journal of the History of Medicine and allied Sciences, Vol. 63, n° 3, 2007, pp. 324
- 347.
34 Chaperon Sylvie, Les Origines de la sexologie (1850-1900), Villeneuve d’Asq, Audibert, 2007.
35 De Ganck Julie-Tommy, « Cultiver la différence, histoire du développement de la gynécologie à Bruxelles », thèse de doctorat
en histoire, Université Libre de Bruxelles, 2016.
36 Garnault Diane, « Le ventre des femmes entre guerre et soin : les enjeux fantasmatiques de la gynécologie envisagés à partir de
la transplantation d’utérus », Thèse de doctorat en psychanalyse, Université Paris Sorbonne Cité, 2015.
37 Maines Rachel, Technologie de l’orgasme. Le vibromasseur, « l’hystérie » et la satisfaction sexuelle des femmes, Petite
bibliothèque Payot, Paris, 2012.
38 Freud Sigmund, « 20e Leçon. La vie sexuelle de l’être humain », Leçons d’introduction à la psychanalyse. Presses
Universitaires de France, 2013 (1922), pp. 313-329.
39 Ibid.
40 Laqueur Thomas, Le Sexe en solitaire…, op. cit., p. 17.
41 Irigaray Luce, « Psychanalyse et sexualité des femmes », Les Cahiers du GRIF, n° 3, 1974, pp. 51-63.
42 Horney Karen, La Psychologie de la femme, Payot, édit., Paris, coll. « Bibliothèque scientifique », 1971 (1926), p. 83.
43 Bonaparte Marie, « Notes sur l’excision », Revue Française de psychanalyse, XII, 2, 1948, pp. 213-232.
44 Irigaray Luce, « Psychanalyse et sexualité des femmes », art. cit.
45 Fouque Antoinette, « Qu’est-ce qu’une femme ? », in Fouque Antoinette (dir.), Génération MLF, Des femmes, Paris, 2008, pp.
15-28.
46 Wittig Monique, « On ne naît pas femme », La pensée straight, Paris, Balland, 2001, p. 87.
47 Rich Adrienne, La Contrainte à l’hétérosexualité et autres essais, Genève et Lausanne, Éditions Mamamélis et NQF, (1980)
2010.
48 De Lauretis Teresa, Theorie Queer et cultures populaires de Foucault à Cronenberg, Paris, La Dispute, 2007.
49 Molinier Pascale, « Pénis de tête ou comment la masculinité devient sublime aux filles », Cahiers du Genre, 2008/2 n° 45, pp.
153 à 176.
50 Koedt Anne, « The Myth of the Vaginal Orgasm » in Liberation Now, Notes from the Second Year, New-York, Radical
Feminists, 1970, pp 37-41 : en français in « Le mythe de l’orgasme vaginal », Partisans, Libération des femmes, Année Zéro.
51 Reich Wilhelm, Die Funktion des Orgasmus: Zur Psychopathologie und zur Soziologie des Geschlechtslebens, Wien,
Internationaler Psychoanalytischer Verlag, 1927 ; Kinsey Alfred C., Sexual Behavior in the Human Male, Philadelphia,
Saunders, 1948.
52 Gardey Delphine et Hasdeu Iulia, « Cet obscur objet du désir. Médicaliser les troubles de la sexualité féminine en Occident »,
Travail, Genre et Sociétés, n° 34, 2015, pp. 73-92.
53 Gardey Delphine, « Masters of Sex. Sciences, orgasme et société dans l’Amérique de la guerre froide », in Bréro Thalia et
Farré Sébastien (dir.), The Historians. Les séries décryptées par les historiens, Georg éditeurs, Genève, 2017, pp. 115-138.
54 Masters, William H., Virginia E. Johnson. Human Sexual Response, Toronto-New-York, Bantam Books, 1966.
55 Alfred C. Kinsey, Pomeroy Wardwell B, Martin Clyde E., and Gebhard Paul H., Sexual behavior in the human female,
Philadelphia, Saunders, I953.
56 Koedt Anne, « The Myth of the Vaginal Orgasm » op. cit.
57 Löwy Ilana, « Le féminisme a-t-il changé la recherche biomédicale ? Le Women Health Movement et les transformations de la
médecine aux États-Unis », Travail, genre et sociétés, vol. nº 14, nº 2, 2005, pp. 89-108.
58 Our Bodies Ourselves, New York, Simon & Schuster, 1971 ; The New Our Bodies, Ourselves : A Book by and for Women, New
York, Simon & Schuster, 1984 et A New View of a Woman’s Body, New York, Simon & Schuster, 1981.
59 Ibid.
60 Dickinson Robert Latou, A topographical Hand Atlas: Human Sex Anatomy (1932), Baltimore, Williams & Wilkins, 1949.
61 A New View of a Woman’s Body, op.cit.
62 Larousse Pierre, Grand dictionnaire universel du xixe siècle, T. VIII, Paris, 1872, p. 203.
63 Cuvier Georges, Extrait d’observations faites sur le cadavre d’une femme connue à Paris et à Londres sous le nom de Vénus
Hottentote, Mémoires du Muséum, T. III, 1817.
64 Ibid.
65 Ibid.
66 Ibid.
67 Merchant Carolyn, The Death of Nature ; Woman, Ecology and The Scientific Revolution, New York, Paperback, 1980 ;
Haraway Donna, Manifeste Cyborg et autres essais…, op. cit.
68 Pestre Dominique (dir.), Histoire des sciences et des savoirs, volume 2 et 3, Paris, Seuil, 2015.
69 Le Vaillant François, Voyage de F. Le Vaillant dans l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne Espérance dans les années
1780, 81, 82, 83, 84 et 85, Tome 2, Lausanne, Chez Mourer, 1790, p. 255.
70 Cuvier Georges, Extrait d’observations faites… op. cit.
71 Raoul-Clair-Joseph Gaillard, « Étude sur les lacustres du Bas-Dahomey », L’Antropologie, T. 18, Paris, Masson et Cie, 1907.
72 Villeneuve Annie (de), « Étude sur une coutume Somalie : les femmes cousues », Journal de la Société des Africanistes, tome
7, 1937, pp. 15-32
73 Ibid., p. 28.
74 Chéron Georges, « La circoncision et l’excision chez les Malinké », Journal de la Société des Africanistes, 1933, tome 3,
fascicule 2, pp. 297-303.
75 Sindzingre Nicole, « Un Excès par défaut : excision et représentations de la féminité », L’Homme, 1979, tome 19, n° 3-4 ; « Le
plus et le moins : à propos de l’excision », Cahiers d’Études Africaines, Vol. 17, Cahier 65, 1977, pp. 65-75.
76 Couchard Françoise, L’Excision, Que sais-je ? Paris, PUF, 2003.
77 Fainzang Sylvie, « Circoncision, excision et rapports de domination », Anthropologie et Société, vol. 9, n° 1, 1985, pp 117-127.
78 Soheir A. Morsy, « Safeguarding Women’s Bodies: The White Man’s Burden Medicalized », Medical Anthropology Quarterly,
New Series, Vol. 5, Nº 1, 1991, pp. 19-23.
79 Gordon, Daniel, « Female Circumcision and Genital Operations in Egypt and the Sudan: A Dilemma for Medical
Anthropology », Medical Anthropology Quarterly, 5 (1), pp. 3-14.
80 Saïd Edward W., L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Points, 2015.
81 Dorlin Elsa, La Matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la Nation française, Paris, La Découverte, 2009.
82 Blanchard Pascal, Bancel Nicolas, Boëtsch Gilles, Thomas Dominic, Taraud Christelle, Sexe, race & colonies. La domination
des corps du xve siècle à nos jours, Paris, La Découverte, 2019.
83 Peiretti-Courtis Delphine, « Quand le sexe incarne la race : le corps noir dans l’imaginaire médical français (1800-1950) », Les
Cahiers de Framespa, 22 | 2016, http://journals.openedition.org/framespa/4021.
84 Burton Antoinette, Burdens of History…, op.cit.
85 Ibid.
86 Groult Benoîte, Ainsi soit-elle, Paris, Grasset, 1975.
87 « En finir avec l’innocence », Entretien croisé entre Isabelle Stengers et Donna Haraway in Dorlin Elsa et Rodriguez Eva (dir.),
Penser avec Donna Haraway, Paris, Puf, 2012.
88 Haraway Donna, Manifeste cyborg et autres essais. Sciences, fictions, féminismes, Paris, Exils, 2007.
89 « Aspects épistémologiques, théoriques et culturels de la recherche sur le genre en Afrique » interview de Maréma Touré
Thiam, Présence Africaine, vol. 197, nº 1, 2018, pp. 313-336.
90 Adrienne Rich, “Notes Towards a Politics of Location”, in Reina Lewis & Sara Mills (dir.), Feminist Postcolonial Theory : A
Reader, New York, Routledge, (1984) 2003, pp. 29-42.
91 Spivak Gayatri Chakravarty, Les Subalternes peuvent-elles parler ?, Paris, Amsterdam, 2009 (1988) ; Chandra Talpade
Mohanty, « Under Western Eyes: Feminist Scholarship and Colonial Discourses », Boundary 2, Vol. 12, No. 3, 1984, pp. 333-
358.
92 Hay Margaret Jean, « Reviewed Work: The Hosken Report: Genital and Sexual Mutilation of Females by Fran P. Hosken »,
The International Journal of African Historical Studies, Vol. 14, No. 3,1981, pp. 523-526.
93 Hosken Fran P. The Hosken Report: Genital and Sexual mutilation of Females, Lexington, Women’s International Network
News, 1979.
94 Hay Margaret Jean, Reviewed Work: The Hosken Report…, op. cit.
95 Andro Armelle et Lesclingand Marie, « Les mutilations génitales féminines. État des lieux et des connaissances », Population,
71, 2, 2016, pp. 224-311.
96 Villani Michela, Médecine, sexualité et excision, Sociologie de la réparation clitoridienne chez les femmes issues des
migrations d’Afrique sub-saharienne, Thèse de Doctorat de sociologie, EHESS, Paris, 2012.
97 Thiam Awa, La Parole aux négresses, Paris, Denoël-Gauthier, 1978 ; El Saadawi Nawal, The Hidden face of Eva, London, Zed
Press, 1980 ; Accad Evelyn, L’Excisée, Paris, L’harmattan, 1982.
98 Parole recueillie in Villani Michela, Médecine, sexualité et excision, Sociologie…, op. cit. ; p. 341 et sq.
99 Debonneville Julien, Les Écoles de la servitude aux Philippines : des carrières migratoires de travailleuses domestiques aux
processus d’altérisation. Pour une approche socio-anthropologique des études postcoloniales, Doctorat en études genre,
Université de Genève, 2016.
100 Guénif-Souilamas, Nacira. « L’altérité de l’intérieur », Marie-Claude Smouts (dir.), La Situation postcoloniale. Les
postcolonial studies dans le débat français. Presses de Sciences Po, 2007, pp. 344-352.
101 La France ne possède pas de législation concernant spécifiquement l’excision, mais punit celle-ci en tant qu’elle constitue une
mutilation, et par conséquent un crime.
102 En droit français : l’excision n’est pas nommée : les normes déjà existantes dans le code pénal telles que « infraction à la
personne, acte de torture et barbarie, violence ayant entrainé la mort sans intention de la donner » sont appliquées.
103 Foldès Pierre et Sylvestre Louis, « Results of surgical clitoral repair after ritual excision : 453 cases », Gynécologie,
obstétrique & fertilité, 2006, Dec, 34(12), 2006, 1137-1141 ; Foldès Pierre, Andro Armelle, Cuzin Béatrice, « Surgery after
female genital mutilation: a prospective cohort study », Lancet. 2012 Jul 14, 380 (9837).
104 Villani Michela, Médecine, sexualité et excision, Sociologie…, op. cit.
105 Parole recueillie in Martin Hélène, Bendjama Rebecca et Bessette-Viens Raphaëlle « Adapter le sexe au bien-être. La
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107 Fishman Jennifer R., « Manufacturing Desire », Social Studies of Sciences, vol. 34, 2004, p. 187-218.
108 Giami Alain, « Santé sexuelle : la médicalisation de la sexualité et du bien-être », Le Journal des Psychologues, vol. 250,
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109 Preciado Beatriz, Testo Junkie. Sexe, drogue et biopolitique, Paris, Grasset, 2008, p. 31.
110 Martin Hélène, Bendjama Rebecca et Bessette-Viens Raphaëlle, « Adapter le sexe au bien-être. La chirurgie esthétique des
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124 http://allodoxia.odilefillod.fr/ https://odilefillod.wixsite.com/clitoris
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129 Karkazis Katrina, Fixing Sex : Intersex, Medical Authority, and Lived Experience, 2008, Durham, Duke University, p. 203.
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139 Oudshoorn Nelly, Beyond the Natural Body : Archeology of Sex Hormons, London, Routledge, 1994.
140 Transsexualité est le terme retenu ici car il correspond au vocabulaire et aux conceptions de l’époque. Hausman Bernice,
Changing Sex, Tanssexualism, Technology and the Idea of Gender, Durham-Londres, Duke University Press, 1995.
141 Elbe Lili, Man into Woman, The first Sex Change, 1933, reed. Blue Boat Books, 2004.
142 Stoller Robert, Sex and Gender, New York, Science House, 1968 ; Chiland Colette, Robert Jesse Stoller, Paris, Puf, 2003.
143 Kessler Suzanne, “The Medical Construction of Gender: Case Management of Intersexed Infants”, Signs, Vol. 16, 1, Autumn,
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144 Marignier Noémie, Les Matérialités discursives du sexe. La construction et la déstabilisation des évidences du genre dans les
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145 Ibid.
146 Beaubatie Emmanuel, Transfuges de sexe. Genre, santé et sexualité dans les parcours d’hommes et de femmes trans’ en
France, Thèse de sociologie, EHESS, Paris, 2017.
147 Butler Judith, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subvention de l’identité, Paris, La Découverte, 2005 (1990), p. 228.
148 Haraway Donna, How like a Leaf. An interview with Thyrza Nichols Goodeve. London & New York, Routledge, 1999, p. 24
149 Wittig Monique, « On ne naît pas femme », La Pensée straigth, Ballard, Paris, 2001.
150 Irigaray Luce. « Ce sexe qui n’en est pas un », Les Cahiers du GRIF, n° 5, 1974, pp. 54-58.
151 Ibid., p. 56.
152 Wittig Monique, « On ne naît pas femme »…, op. cit.
153 Chloé Jacquesson, « « Sautant en mille morceaux sans pouvoir m/e disjoindre complètement » : sur quelques effets
d’illisibilité dans Le Corps lesbien de Monique Wittig », Fabula-LhT, n° 16, « Crises de lisibilité », janvier 2016, URL :
http://www.fabula.org/lht/16 /jacquesson.html.
154 Teresa de Lauretis, « Quand les lesbiennes n’étaient pas des femmes : sur la portée épistémologique de La Pensée straight et
du Corps lesbien des années 1980 à nos jours », dans Marie-Hélène Bourcier et Suzette Robichon (dir.), Parce que les
lesbiennes ne sont pas des femmes, op. cit., p. 52.
155 Natacha Chetcuti, « Monique Wittig et Judith Butler : du Corps lesbien au phallus lesbien », dans Benoît Auclerc et Yannick
Chevalier (dir.), Lire Monique Wittig aujourd’hui, op. cit., p. 54.
156 Kosofsky Sedgwick Eve, « Jane Austen and the Masturbating Girl », Critical Inquiry, Vol. 17, No. 4 (Summer, 1991), pp.
818-837.
157 Lorde Audre, « De l’usage de l’érotisme. L’érotisme comme puissance », (1978), Sister Outsider. Essais et propos d’Audre
Lorde, Editions Mamamélis, Carouge, 2003, pp. 55-62.
158 Rich Adrienne, « La contrainte à l’hétérosexualité et l›existence lesbienne », Nouvelles Questions Féministes, n° 1,
mars 1981, pp. 15-43.
159 Lorde Audre, « De l’usage de l’érotisme… », art. cit., p. 56.
160 Ibid., p. 61.
161 Rich Adrienne, « La contrainte à l’hétérosexualite », art. cit., p. 39.
162 Lorde Audre, « De l’usage de l’érotisme. », art. cit.
163 Butler Judith, Trouble dans le genre… op. cit., p. 253.
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