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o1-2or2 16 €,
ISBN978-2-7071-7r38-2
tilililtililililililililtilll
9 t782707n171382n
Aliënation
et accélération
J'aimeralsrernerclèrles personnessuivantes
pour l'aide inestlmable qu'elles m,ônt
apportée pendant ce proiet : Jens Beljan,
Robert Dietrich, Sigrid Engelhardt, Claus
I(rogholm, AsgerSorensenet André Stlegler.
Hartmut Rosa
www.edltlonsbdecouveÉe.fr
où vous retrouverezI'ensemblede notre catalogue.
ISBN 978-2-707L-7t38-2
En appltcationdesardclesL. 122-lOà L. L22-12du codede la
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InterdltesapsautorlsatlonduC€ntrefrançaisderçlottation du ùoit
- de cope (CfC, 20, rue desGrands.AugusttÀs, 75006Parts).Toute
autle toÎme de reproductioo lntégraleou pardelle, est également
tnterdltesaûsautorlsadoî del'édlteur,
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Niénation ation
etaæêlër Introduction
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etaccêléranon
Aliénation
quel'accélération
Qu'est-ce sociale?
l tt
Une thêorie del' accêl&anons ociale Qu'est-cequel'a ccêlêration
sociale?
74 1 l"
lJnethêofie
ilel'accélération
sociale quel'accélêration ?
sociale
Qu'est-ce
sociétéou même du temps lui-même (par exemplechez beaucoupde chosesralentissent, comme le trafic dans un
Gurvitch 6 et Schmied7).Certainsobservateursdéclarent embouteillage,tandis que d'autresrésistentcontrevents et
sansambagesque fouf sembles'accélérerdansla modernité. maréesà toutes les tentativesde les faire passerplus vite,
Mais il estévident quele tempsne peut en aucun sensvérita- comme le rhume. Néanmoins,il est certainqu'il y a beau-
blement accélérer,et tous les processusde la vie sociale
coup de phénomènessociauxauxquelsle conceptd'accélé-
n'accélèrentpas.Une heureestune heureet une iournéeest
ration peut êtreappliquéde manièrepertinente.Lesathlètes
une journée- qu'on ait l'impressionqu'ellessont passées
semblentcourir et nagerde plus en plus vite ; les fast-foods,
vite ou non; et il est évidentque les grossesses, les grippes, les siesteséclairsetles drtve-through
le speed-dating, funeralsg
les saisonset les tempsde l'enseignementn,accélèrentpas.
semblenttémoigner de notre détermination à accélérerle
De plus,rien n'indique clairementque nouspuissionsparler
rythme de nos actionsquotidiennes,lesordinateurssont de
au singulierd'an processus d'accélérationsociale,alorsque plus en plus rapides,les transportset la communication
tout ce que nous voyons est un ensemblede phénomènes
demandentseulementune fraction du temps nécessaireil y
d'accélérationqui ne sont peut-êtrepasen rapport les uns
a un siècle,les gensparaissentdormir de moins en moins
avecles autres,par exempledansle sport,dansla mode, (desscientifiquesont découvertque la duréemoyenne du
dansle montagevidéo,danslestransports,dansl,enchaîne-
sommeil a baisséde deux heuresdepuisle xrx" siècleet de
ment desemplois,ainsiquequelquesphénomènesde décélé- trente minutes depuis les années7970e),et même nos
ration ou sclérosesociales.Une dernière difficulté
voisinssemblentemménageret déménagerde plus en plus
conceptuelleliée à l'accélérationsocialerésidedanssarela- fréquemment.
tion catégoriqueà la sociétéelle-même: peut-on parler
Cependant,même si nous pouvons démontrerque ces
d'une accélérationdela société,ou seulementd,une accélé- changementsne sont pas accidentelsmais suivent au
ration desprocessusà l'intérteurd'un ordre social(plus ou
contraire une logique systématique,ont-ils une caractéris-
moins stable)? tique commune qui permettrait de les rassemblersousle
Dansle texte qui suit, ie présenteun cadreanalytiquequi conceptunique d'accélérationsociale? Pasdirectement,
permettra,au moins en principe,une définition complèteet selon moi. Quand on observede plus prèscet éventail de
empiriquementjustifiable(ou au moins contestable)de ce phénomènes,il devient plutôt évident que nous pouvonsles
que peut vouloir dire pour une sociétéd,accélérer et des sépareren trois catégoriesanalytiquementet empiriquement
manièresdont les sociétésoccidentalespeuvent être distinctes,à savoirl'accélérationtechnique,l'accélérationdu
comprisescommedessociétés de l'accélération. changementsocialet l'accélérationdu rythme de vie. Dans
Il esttout à fait évident qu'il n'existeaucun mode d,accé-
lération unique et universelqui accélèretout.Au contraire,
Lesdrtve-throughsont, aux É,tats-Unisprincipalement, les comptoirs
de services(le plus souvent des fast-foods ou des banques) acces-
GeorgesGuwrrcH, Social structure and the multiplicity of time >,
" siblesen voiture.Les drive-throughftnercls sont le résultat de l'appli-
in Edward A. TnvAKIAN(orr.), SocialTheory Valuesand Sociocultural
cation de ce systèmeaux servicesfunéraires[NdTl
Change,TheFreePress,Glencoe,1963,p. 171-185.
Manfred Genrnr'rurR,Wie EuropiierihreZeit nutzen.Zeitstrukturenund
Gerhard Scnurm, SozlaleZeit. Umfang,* Geschwlndigkeit Evolution,
", Zeitkulturm im Zeichen der Globaliserung,É,ditions Si8ma, Berlin,
Duncker & Humblot, Berlin, 1985, p. 86-90.
7999,o.378.
16
1 l' ,
lJnethéoriede l' accëlération sociale Qu'est-cequel' accélérationsociale?
les lignesqui suivent,je vais d'abord présentercestrois caté- révolution imminente des u transplantations> en germe
goriesde l'accélération.Dansla sectionsuivante,j'explorerai dansles possibilitésémergentes de la biotechnologie11.Les
les connexionsentre les différentessphèresd'accélérationet effetsde l'accélérationtechniquesur la réalitésocialesont
lesmécanismesou moteursqui secachentdenièreelles.Dans sansaucundoute énormes.En particulier,ils ont complète-
les chapitres2 et 3, j'examineraicertainsproblèmes ment transforméle " régimespatio-temporel , ds la société,
rencontréspar l'analysesociologiquedesu sociétésde l'accé- c'est-à-direla perceptionet l'organisationde I'espaceet du
lération o, qui émergentdu fait que nous devonsprendreen temps dans la vie sociale.Ainsi, la priorité n naturelle >
compte un ensemblede phénomènessociauxqui restent (c'est-à-dire anthropologique)de l'espacesur le tempsdans
constantsou mêmeralentissent. la perceptionhumaine,qui est enracinéedansnos organes
sensorielset dans les effetsde la gravité,permettant de
1. L'accélération
technique distinguerimmédiatemententre ce qui est ( au-dessus > et
La première,la plus évidenteet la plus facilement u en dessous>, < devant et o derrière>, mais pas entre ce
"
mesurabledesformesd'accélération estl'accélérationinten- qui est o plus tôt > ou < plus tard >, sembles'êtreinversée: à
tionnelle de processus orientésversun but dansle domaine l'ère de la mondialisationet du règnede l'actualité que
destransports,de la communicationet de la production,qui représenteInternet, le temps est de plus en plus conçu
peut être définie comme accélérqtion technique.De plus, les comme un élémentde compressionou même d'annihila-
nouvellesformesd'organisationet d'administrationqui tion de l'espace12.Il sembleque l'espacese ( contracte>
sont conçuespour accélérer desopérationscomptentégale- virtuellementpar la vitessedestransportset de la communi-
ment commedesexemplesd'accélération techniqueau sens cation.Ainsi, mesuréen fonction du tempsnécessaire pour
défini ici, c'est-à-direcomme desexemplesd'accélération franchir la distanceentre, par exemple,Londreset New
intentionnelle, orientéeversun but. Bien qu'il ne soit pas York, l'espaces'estrétréci,depuisl'époquepréindustrielle
toujours facile de mesurerla vitessemoyenne de ces desnaviresà voilesjusqu'àcelledesavionsà réaction,pour
processus (qui est bien plus importantepour l'analysede finir par mesurerun soixantièmede sataille d'origine: là où
l'impact socialde l'accélérationque lesvitesses maximales), il fallait environtrois semaines, il faut maintenantà peuprès
la tendancegénéraledansce domaineestindéniable.Ainsi, huit heures.
on dit que la vitessede la communication a augmentéde Dansceprocessus, à bien deségards,perdde son
l'espace,
7O7o/o,lavitessedestransportspersonnelsde 102 o/oetla importancepour l'orientation dansle monde de la moder-
vitessedu traitementdesdonnéesde 1 010 o/o10. nité tardive.Lesactivitéset lesdéveloppements ne sont plus
C'estprincipalementcet aspectde l'accélérationqui est localiséset lesendroitsréelstels que leshôtels,lesbanques,
au centredu conceptde n dromologie, de PaulVirilio, un les universitésou les centresindustrielstendent à devenir
récit de l'accélérationhistoriquequi passede la révolution
destransportsà celle destransmissionset finalement à la
I 1 Paul VFrLIo,la Vitessede libhadon, Galilêe,Paris,1995, p. 27-34
12 Cf. par exemple David HARVEY, The Conclitionof Postmodernity.An
10 Karlheinz Gr,IBrrn,Vom Tempoder Welt. Am Endcder Uhrzeif,Herder, Eflquiry into the Origins of Cultural Change,Blackwell, Oxford &
Fribourg,1999,p.89 Cambridge (Massachusetts),I99O, p 2O1.-21O
18
1 l tt
tJnethêot're
del' aæêlér
ationsæiale quel'cccêlêration
Qu'est-ce ?
sociale
deso non-lieux>,c'est-à-dire
desendroitssanshistoire,sans
fluides et turbulentsreprésentantdes flux culturelsqui,
identitéou sansrelation13.
seulementde façonponctuelle,secristallisenten différents
paysages(" scapes rr) : ethnoscape >, <<
,r, ,, technoscape frnan-
2. L'accélérationdu changement social "
>> << >>14
scape>>," mediascape et ideoscape .
Quand romanciers,scientifiques,journalistes, Cependant,mesuer empiriquementlesvitesses du chan-
hommeset femmesordinaires,depuisle xuu" siècle,obser-
gementsocialdemeure un défi non résolu,surtout parce
vaient le développementde la culture, de la sociétéou de
qu'il n'y a guèrede consensusen sociologiepour savoir
l'histoire occidentales, ils n'étaientpastant inquiets des
quels sont les indicateurspertinents du changementet à
spectaculaires avancéestechnologiquesque perturbéspar
quel moment lesaltérationsou lesvariationsconstituenten
l'accélération deschangements sociauxqui rendaitinstables ls
effet un changementsocialvéritableou ( essentiel u. Par
et éphémèresaussibien les structuressocialesque lesmodes
conséquent,je suggèreque,pour développerune sociologie
d'actionet d'orientation.C'estcettetransformationgrandis-
systématiquede l'accélérationsociale,nous utilisions le
sante des modes d'associationsociale,des formes de
concept fls " compressiondu présent> (Gegenwartsschrump-
pratique et de la substancedu savoir(du savoirpratique)qui
définit la deuxièmecatégoriede l'accélérationsociale,c'est- fung) ahn d'avoir un repèrepour mesurerempiriquementles
vitessesde changement.Ce conceptfut développépar le
à-direl' accéIération
du changement social.
philosophe Hermann Lùbbe, qui postule que les sociétés
Alors que les phénomènes de la première catégorie
occidentalessont continûment soumisesà une compression
peuventêtre décritscomme desprocessus d'accélérationà
duprésentparsuitede l'accélérationdesvitesses de l'innova-
l'intérieurde la société,les phénomènesde cettedeuxième 16.
tion culturelle et sociale Son unité de mesureest aussi
catégoriepourraientêtreconsidéréscommedesaccélérations
simplequ'instructive : pour Lûbbe,le passésedéfinit comme
de la sociétéelle-même.L'idéesous-iacente est que les
cequi n'a pluscoursln'est plusvalidetandisque le futur dénote
rythmes des changementssont eux-mêmesen train de
cequi n'a pas encorecourslcequi n'estpas encorevalide.Le
changer.Ainsi, on dit que les attitudes et les valeursautant
présentestdonc la duréependantlaquelle(pourutiliserune
que les modes et stylesde vie, les relations et obligations
socialesautant que les groupes,les classesou les milieux, les
14 Ariun AIIADURAI, o Disjuncture and difference in the global cultural
langagessociauxautantque lesformesde pratiqueet leshabi
economy ", in Mike FEATHERSToNE, Global Culture : Nationalism,
tudeschangentà desrythmesen constanteaugmentation. Globalizationand Modemity,SagePublication Ltd, Londres, 1990.
Cecia menéArjun Appaduraià remplacerla symbolisationdu 15 Cf Piotr SzroMpK^,TheS\ciologyof SoclnlChang,e, Blackwell, Oxford,
monde socialen tant qu'ensemblede groupementssociaux 1994 ; Hans-PeterMûLLER& Michael ScHMtD(dir.), SozialerWandel'
Modellbildungurul theoretische Ansâtze,Suhrkamp, Francfort, 1995 ;
stablespouvant êtrelocaliséssur descartespar l'idée d'écrans PeterLASLETT, Social structural time : an attempt ât classifyingq?es
"
of social change by their characteristicpaces>, i/t Michael Younc &
Tom SCHULLER (dir.), The RhythmsofSociety,Routledge, Londres &
13 Marc AucÉ, Non-llew( Introduction à une antbopobgie de la surmoiler-
New York, 1988, p. 17-36 PeterLaslett fait la distinction entre dix'
nité, SeûL,Paris,1992. Hawey, cependant seréférant à un processus
neuf (l) vitessesdifférentes de changement social interne (écono-
inverse de spatialisationdu temps, nous met en garde de ne pas
mique, politique, culturel, etc.).
écarterl'espacetrop vite (4 David HAÈvEy,TheConditionof Postmo-
16 Hermann L(EBE,. The contraction of the present >, itl Hartmut RosA
demity,op.cit.,p.272 etsq.
& William SCHÊUERM/IN, Hlgh-Speed Soclety,op. cit., p. L59-178.
20
I t"
Une théofieile I' accélératronsociale queI' accêlêr
Qu'est-ce ?
ationsociale
22 lrt
1
Unethêorie
del' accélér
ationsociale qu'est-ce
quel'accêlêranon
sociale
?
1 9 Richard SENNETT, Le Travailsansqualités.Lesconséquences humainesde Georg Srnurr., Les GrandesVilles et la vie de I'esprit, L'Herne, Paris,
la flexibilité, Albin Michel, Paris, 2000 (trad. Pierre-Emmanuel 2C07(trad FrançoiseFerlan); Philosophie del' aryent,PUF,Paris,1987
Dauzat),p.24. (trad. SabineComille & Philippe lvernel).
C i té d a n s Z yg m u n t BAUM AN, L lq u id M oderni fy, P ol i ty P ress, ZJ A Geoglaphyof Time : The TernporalMisadventuresof a
Robert LEvrr.,IE,
Cambridge,2000,p. 116. SocialPsychologist,or How EveryCulture KeepsTime Justa Llttle Blt
21 Peter WAGNER, Liberté et discipllne. Les deux crisesde Ia modemité, Differntly, BasicBooks,New York, 7997.
Métailié, Paris, 1996 (trad. Jean-BaptisteGrasset); Ulrich Brcx, Le sociologue américain Robert Levine a conduit récemment avec
Anthony GIDDENS 6r Scott LAsH,ReflexiveModernlzatlon : Politics, son équipe une étude empirique comparative interculturelle dans
Tradition nnd Aesthetlcsin the ModernSocialOrcler,Polity Press, laquelle trois indicateurs de la vitesse de la vie étaient utilisés : la
Cambridge, 1994; Zygmunt B^uM^N,LiquidModemity,op. cit. vitessede marchedans les vllles ; le tempsnécessaire pour acheterun
24
1 lrt
Une théoriedel' accêlêration sociale Qu'est-ceque l' accélêrationsocialei
26
1 1 ,,
Une thêoriedeI'accélérationsociale
quel'accéléranon
Qu'est-ce sociale
7
Tempshistorlque
Tempshistorique
Figure
I L'accélérationtechniqueentantqu'accroissement
dela Figure
2 Ressourcesentempsnécessaires pourlaréalisationd'une
quantitéparunitédetemps, quantité
certaine d'actions (parexempleparcourirdix
(t1ett2peuvent parexemple
désigner lesannées1800 reproduire
kilomètres, un livreourépondreàdix
et1960encequiconcerne lavitesse
destransports àl'âgedel'accélération
messages) technique(cf,figure1).
enkilomètres parheure,ou 1960et2000encequi
concerne lavitesse
opérationnelle
desordinateurs,
etc.)
Parconséquent,l'accélérationtechniqueimplique néces-
sairementune diminution du tempsrequispour accomplir
socialeà < comprimer) les actionset les expériences, c'est-
desactionset processus quotidiensde production et de repro-
à-direà faire et à vivre davantagedansune périodede temps
duction, de communicationet de transport,la quantité de
donnéeen réduisantles pauseset les intervalleset/ou en
tâcheset d'actionsdemeurantinchangée(cf. ligue 2).
faisantplus de chosessimultanémentrpar exemplecuisiner,
L'accélérationtechnique devrait donc logiquement
regarderla télévisionet téléphoneren même temps.Cette
impliquer une augmentation du temps libre, qui à son tour
dernièrestratégie,bien sûr, est appeléen multitâche27,.
ralentiraitlerythme de vie ou au moins éliminerait ou rédui-
Ceciétant, si nous acceptonsl'idée que le u rythme de vie >
rait la " famine temporelle>. Puisquel'accélérationtech-
seréfèreà la vitesseet à la compressiond'actionset d'expé-
nique signifie que moins de temps est nécessaireà
riencesde la vie quotidienne,il estdifficile de voir comment
l'accomplissement d'une tâchedonnée,le temps devrait
cetteidéeestliéeeffectivementà l'accélérationtechnique.
devenirabondant.Si au contrairedansla sociétémoderneIe
L'accélérationtechnique peut être définie comme
tempsdevient de plus en plus rare,nous voici en présence
l'accroissement du ( rendemento par unité de temps,c'est-
d'un paradoxequi appelleune explication sociologique28.
à-diredu nombre de kilomètresparcouruspar heure,ou du
Nous pouvonscommencerà entrevoirune réponsesi
nombre d'octetsde donnéestransféréspar minute, ou du
nous considéronsles conditions requisespour atteindre
nombre de voituresproduitespar jour (c[ figure 1).
I'abondancede temps ou la décélération: comme nous
27 Friederike BENTHAUS-AIË1,
ZwischenZeitbindungund Zeitautonomie.
Eine empirischeAnalyse der Zeitverwendungund Zeitstruktw dar
28 Pour une très intéressanteexplication économique, ct Staffan
Wetktdgs- untl Wochenendfreizeif,Deutscher Universitâts-Verlag,
B LTNDER,TheHaded LeisureClas.s,Columbia University Press,New
Wiesbaden,1995.
York, 1970.
28 1
læ
w
Unethêorte
del' accÉlëranon
sociale quel'accêlération
Qu'est-ce ?
sociale
30l l'
Unethéorie sociale
del' accélération
t,,
sociale Les motrices
forces deI'accê\fu
ationsociale
llne thêoneilel' accÉl&ation
34
1 1,,
qtionsociale
unethhneilel' accêlh LesJorcesmotricesdel' accêlêrationsociale
36 1
l"
Une théoie del' accêlêrationsociale LesJorcesmotices ile I' accélérationsociale
Ainsi, selonmoi, la logique de la compétition (ou de la plus l'existenced'une n vie supérieureo aprèsla mort ; elle
concurrence) n'est pasla seule,mais elle est la principale consisteplutôt en la réalisationd'autant d'options que
forcemotricede l'accélérationsociale. possibleparmi les vasteschoix offertspar le monde. Goûter
Iavie danstoutessesdimensions, toutessesprofondeurs et dans
b) Lemoteurculturel: la promessedel'étemité sa totale complexitédevient une aspiration centrale de
Néanmoins,lesacteurssociauxde la moderniténe l'homme moderne8.
sont passimplementles victimessansdéfensed'une dyna- Mais le monde a malheureusement plus à offrir que cequi
mique accélératoire qu'ils ne peuventpascontrôler.Cen'est peut êue vécu au cours d'une seulevie. Les options dispo-
pas simplementqu'ils sont forcésde s'adapterà un jeu nibles surpassenttouiours en nombre cellesqui sont réali-
d'accélérationdanslequel ils n'auraientrien misé.Bien au sablesau coursde la vie d'un individu, ou, pour reprendre
contraire,je crois que la force motrice de l'accélérationest HansBlumenberg,le tempsperçudu monde (Weltzeit\etle
égalementalimentéepar une promesseculturelleforte : temps d'une vie individuelle (Lebenszeif) divergentspectacu-
dansla sociétémoderneséculaire, l'accélérationsertd'équi- lairement pour les individus du monde moderne. L'accéléra-
valent fonctionnel à la promesse(religieuse)de vieétemelle. tion du rythmede vie apparaîtpar conséquentcomme une
Le raisonnementderrièrecette idée est le suivant : la solution naturelleà ce problème: si nous vivons o deux fois
sociétémoderneestséculaireau sensoù l'accentestmis sur plus vite >, si nous prenonsseulementla moitié du temps
la vie avant Ia mort. Que lesgensmaintiennentou non des pour réaliserune action, atteindreun but ou vivre une expé-
croyancesreligieuses,leurs aspirationset leurs désirssont rience,nous pouvonsdoublerla " sommeo desexpériences
généralementdirigésversles offres,les possibilitéset les vécues,et donc " de la vie n, pendantla duréede notre vie.
richesses de cemonde.De plus,la richesse, la plénitudeou la Notre part, ou notre < efficacité,, c'est-à-dire la proportion
qualitéd'une vie, selonla logique culturelledominantede d'options réalisées par rapport aux options potentiellement
la modernité occidentale,peuvent être mesuréesen fonc- réalisables, double. Il s'ensuitque, dans cette logique cultu-
tion de la sommeet de la profondeurdesexpériences faites relle aussi,lesdynamiquesde la croissance et de I'accélération
au coursde la vie. Ainsi, seloncetteconceptionde Ia vie, la sont intimement entrelacées.
viebonneestlavieaccomplie, c'est-à-dire
une vie riched'expé- En poursuivantce raisonnement,si nous continuions à
t.
rienceset de capacitésdéveloppées Cetteidéene suppose augmenterle rythme de vie, nous pourrionsfinir par vivre
une multiplicité ou même une infinité de vies au coursd'une
7 Hans BLUMENBERG, Lebenszeitund Weltzeit,Suhrkamp, Francfort,
1986; Marianne Gnowtrurvrn,Das Lebenals letzteGelegenheit. Sicher-
heîtsbediirfnisse
und Zeitknappheit \2" éd.), WissenschaftlicheBuchge- 8 De célèbres illustrations littéraires de cette idée peuvent être
seilschaft,Darmstadt, 1996; Gerhard Scnurzr, " Das Prolekt des trouvéesdans 1'æuwe de Goethe, par exemple dans Fdusrou le.t
schônen Lebens Zur soziologischen Diagnose der modernen Annéesd'apprentissage cleWilhelm Meisfer.Sanssurprise, comme le
Gesellschaft", ln Alfred Br,nrseuv & KlausBensurr-(dir.),Lebensqua- souligne Manfred Osten (dans Manfred OsnN, o Alles velozifoisch"
litiit. Eîn Konzeptfitr Praxis und Forschung,Westdeutscher Verlag, oderGoethesEntdeckufiBdet Langsdmkeit,insel, Flancfort, 2003), les
Opladen,1994,p. 13-39 À proposde la sécularisation du temps,cl. écrits de Goethe peuvent être lus et interyrétés de façon fructueuse
Charles T*rox, L'Âge séculier,Seuil, Paris, 2011 (trad. Patrick comme une description et une critique de la sociétéde l'accéléra-
Savidan). tion.
38 1 t,,
Une thêoriedeI' accélêration sociale LesJorcesmotrices del'accêlérationsociale
40
1 141
Unethéoriede l' accêlêrationsociale LesJorcesmotricesde l' accêlêrationsociale
à de nouveauxmodesd'interactionsocialeet même à de
nouvellesformes d'identité sociale11.On voit aisément
comment et pourquoi l'accélérationtechniqueest suscep-
tible d'aller de pair avec l'accélérationdu changement
social,sousla forme d'un changementdes structureset
Dimensions
de l'accélération
modèlessociaux,desorientationset des évaluationsde
l'action. De plus, si l'accélérationdu changementsocial
implique une ( compressiondu présent) au sensdiscuté
auparavant,cecimène naturellementà une accélérationdu
( rythme de vie u. Ceci s'expliquepar un phénomènebien
connu du domainede la production capitalisteet que l,on
pourraitappelerle phénomènede la penteglissanteu de la
"
sociétéde compétition : le capitalistene peut ni faire une ligure4 Lecycledel'accélération.
pauseni sereposer,il ne peut pasarrêterla courseet assurer
sa position, puisqu'il est condamné à monter ou à arriverau sommetde la pile : tous lesmessages utilesont été
descendre. Il n'y a pasde point d'équilibre,car resterlmmo- lus, on a répondu à tous les messages importants.Néan-
bile estéquivalentà retomberen arrière,comme l,ont noté moins, dèsque nous nous tournonsversune autreactivité,
Marx et Weber. nous redescendons et, à la fin de la iournée,notre position
De façonsimilaire,dansune sociétéde compétition,avec dansla pile de notre messagerie a empiré.Celle-ciseremplit
un changementsocialde plus en plus rapidedanstous les de nouveausansrelâche,silencieusement, au point de nous
domainesde la vie, les individus ont souventl,impression faire nous sentir comme Sisyphe.Lesgensse sententainsi
qu'ils sont sur des ( pentesglissantes : prendreun repos contraintsde suiwele rythme rapidedu changementauquel
" ils sont confrontésdans leur monde social et technolo-
prolongérevient à devenirdémodé,dépassé, anachronique
en cequi concerneson expérienceet son savoir,son équipe- gique,afin d'éviter de manquerdesoptions et connexions
ment et sesvêtementsaussibien que sesorientationset potentiellement valables (Anschlussmôgl i chkeiten)et de
mêmeson langage12.Si le lecteurou la lectricechercheune garderleurschancesdansla compétition. Ce problèmeest
illustrationde ce phénomènedanssavie quotidienne,il ou aggravépar le fait que, dansun monde en constant change-
elle peut simplementréfléchirà samessagerie ment, il devient difficile de déterminer quellesoptions fini-
électronique.
Aprèsune longueséancede traitementdese-mails,on peut ront par serévélervalables.Le changementsocialaccéléré
mèneradonc à son tour à un o rythme de vie u accéléré. Et,
finalement, de nouvellesformes d'accélérationtechnique
1 1 Cf Sherry Tunxrn,Life on the Screen:hlentity in thc Ageofthe Intemet,
Simon & Schuster,New York, 1995.
serontnécessaires pour accélérerles processusde la vie
12 Ainsi, les personnes âgéesdans les sociétés occidentales sonr productive et quotidienne.Ainsi, le n cycle de l'accéléra-
fréquemment incapablesde comprendre la . 6u11gtechnologique tion , est devenu un systèmefermé et autopropulsé(cf,
"
d a n s la q u e lle é vo lu e n t le s ie u n e s lo r squ,i l s évoquent l eurs
Gameboy,leurs e-mails,leurs DVD, etc,
figure 4).
42
1
æ
Qu'est-cequeIa dê,célération
sociale?
Chapifie3
a) Leslimitesdevitessenaturelles
Il y a tout d'abord, évidemment,les limitesde
quela décélération
Qu'est-ce sociale
? vitessenaturelleset anthropologiques. Nous les rencontrons
danslesprocessus qui, en principe,ne peuventpasêtreaccé-
lérés,à moins de risquerde les détruire ou de les modifier
sérieusement surle plan qualitatif.Parmieux figurentbeau-
coupde processus physiques,telsque la vitessede la percep-
tion et du traitement dans nos cerveauxet nos corps,ou
bien le tempsnécessaire à la reproductionde la plupart des
Même si l'analyseprécédentea mis en lumière des
ressources naturelles.De façonsimilaire,une journéeou une
critèressuffisantspour identifier trois catégoriesou domaines
annéesont définiespar desévénementsastronomiques,et
de l'accélérationsocialedifférents,bien qu'emboîtés,celane
par conséquentne peuventpasêtreaccélérées, mêmesi nous
suffit pas en soi à prouver la thèseselon laquelle la moder-
sommesà même de manipuler certainsprocessusqui
nité tend en effet vers une accélérationde la sociétéelle-
suiventun rythme circadienou circannuel.(Nouspouvons
même ou à légitimer l'idée que la modernisationest,en fait,
par exemplecréerun rythme artificiel de lumièreet d'obscu-
I'accélération.Car il est aisémentconcevableque nous puis-
rité de vingt-troisheures,qui pousseainsi les poulesà
sionstoujourstrouver,dansn'importe quellesociété,certains
produiredavantaged'æufs.)En outre,toutesnos tentatives
processusqui accélèrentet d'autresévolutions qui décëlèrent
pour fairepasserplusvite lesrhumes,lesgrippesou lesgros-
la vie sociale.Dans l'ensemble,les deux forcesopposées jusqu'àmaintenant,n'ont pasvraimenteu de succès.
sesses,
peuvent alorsgarderun équilibre.Parconséquent,l'affirma-
Cependant,dans l'ensemble,la modernité a réussià
tion selonlaquellela modernitéestcaractérisée par I'accéléra-
dépasserspectaculairement une largegamme de limites
tion du changementsocial ne peut pas être établie en se
temporelles(< naturelles,) apparemmentimpossiblesà
contentantd'identifier différentesformesd'accélération; elle
changer- on en trouvelesexempleslesplus frappantsdans
ne peut être défendueconceptuellementque s'il est possible les domainesdestransports,de la communicationet de la
de démontrerque lesforcesde l'accélérationsurpassentsysté- production.De même,les technologies biogénétiques, en
matiquement cellesdu ralentissement.Afin d'arriver à cette réalité,ne sont le plus souventrien d'autrequ'une accéléra-
idée,ie vais à présentexaminerbrièvementtoutesles formes
tion sensationnelle de formesde culturetraditionnelles.
et tendancesobservables de I'inertie et/ou de la décélération
sociale,en espérantaboutir à une liste fermée des phéno-
b) les oasisde décélération
mènescorrespondants. Il existeensuitedes n niches> territorialesaussi
Analytiquement, selon moi, on peut identifier cinq bien que socialeset culturelles,desîlots ou oasisn'ayantpas
formesdifférentesde décélérationet d'inertie. Ellestraversent encoreététouchéspar la dynamiquede la modernisationet
44 1
l nt
w
Une thêorie deI' accéléranon sociale Qu'est-cequela décéléranonsociale?
t.
de l'accélération.Ellesont simplementété (totalementou démesurées De façon remarquable,cesformesde dépres-
partiellement)exemptéesdesprocessus d'accélération, bien sion et d'épuisementont augmentéde façon très significa-
qu'ellespourraienty êtreaccessibles enprincipe.Dans de tels tive au coursde la dernièredécenniedans pratiquement
endroitsou contextes,le tempssemblen s'arrêter), comme touteslespartiesde la modernitémondialisée2.
le dit l'expression,et cecipeut seréférer,par exemple,aux À celas'ajoutel'exclusionstructurelledestravailleursdes
îles perduesdans la mer, aux groupesexclussocialement, sphèresde production,qui esttrèssouventune conséquence
aux sectesreligieusesretiréescomme celledesAmish, ou à de leur incapacitéà s'adapteraux besoinsde flexibilitéet de
desformesparticulières et traditionnellesde pratiquesociale vitessedeséconomiesoccidentales modernes,c'est-à-dire
(commela production du whiskeydansla célèbrepublicité qu'ils sont n décéléréso à causede leur incapacitéà main-
pour JackDaniel's).En fait, il y a maintenant toute une tenir leur compétitivité.L'exclusouffreainsi d'une " décélé-
industrie produisant délibérément des n produits à ration ) extrême sousla forme du chômage(de longue
l'ancienneu, c'est-à-diredesbiensde consommationélevés durée)3. En outre, les phénomènesde récessionécono-
ou produitsde façontraditionnellequi vendentprécisément mique - i udicieusementappelésralentiss ementséconomique s
la promesse ou l'imagede la décélération,de la duréeet de la dansle monde anglo-saxon- peuventégalementêtreinter-
stabilité. prétésseloncettegrille de lecture.
Cependant,la plupart de ces o oasisde décélération "
subissentdespressionsd'érosionde plus en plus fortesdans d) ta décélération
intentionnelle
la modernitétardive,saufquandellessont protégées délibé- Contrairementaux formesinvolontairesde ralen-
la
rément contre l'accélérationet entrent alors dans caté- tissement,il existeégalementdesformesdélibéréeset inten-
goried) (c[ ci-après). tionnelles de décélération(sociale) qui incluent les
mouvementsidéologiques opposésaux processus d'accéléra-
commeconséquence
c) La décélération tion de la modernitéet à leurseffets.En fait, de telsmouve-
deI'accélération
dysfonctionnelle sociale ments ont accompagnéquasiment chaque étape de
Une troisième catégoriecomprend les phéno- l'histoire de l'accélérationmoderne,et en particulierde
mènesde ralentissement en tant queconséquence involontaire I'accéIération technique:ainsi, la machine à vapeur,le
de processusd'accélérationet de dynamisation.Ceci
implique fréquemmentdesformesdysfonctionnelles et patho- Ct Robert LEVnrE, A GeographyofTime, op. cit.; plusieurs articles de
PsycholqieHeute,n" 26, 7999 ; Alain EHruwrrnc,La Fatigued'êûe soi
Iogiquesde décélération,la forme dysfonctionnellela plus Dépressionet société,Odile Jacob, Paris, 1999 ; Lothar Bxrr, Pas le
connue étant l'embouteillage, qui produit une immobilisa- temps! Ttaité sur l'accélétation,Actes Sud, Arles, 2002 (trad Peter
Krausset Marie-HélèneDesort).
tion qui est la conséquence de la résolutionde chacunà se
Hartmut RosA,n Beschleunigungund Depression Uberlegungen
déplacerrapidement; en ce qui concernela décélération zum Zeitverhàltnis der Moderne o, ir Bruno HrloeNsnaNo& Ulrike
pathologique,les découvertesscientifiquesrécentesindi- BoRsr(dir.), Zelt unà Thercpie,Klett-Cotta, Stuttgart, 2009.
Richard Sr,NNrrr,Le Travoil sans(palités, op. cit., p. 767 ct s4. ; Marie
quent que certainesformes de dépression psychopatholo-
Jeuooe," Time : a social psychological perspective", in Michael
gique doivent être comprisescomme des réactions YoUNG& Tom Scsurrsn (dir ), The Rhythms of Society,Routledge,
individuelles(décélératoires) à despressionsd'accélération Londres& New York, 1988,p.154-772.
46 ln
I
-_
llne théortedeI' accélêr
ation sæiale quela décélérarton
Qu'est-ce ?
sociale
Cf, Robert LEvrNE,A Oeographyof Time, op. crf. ; Wolfgang SÛinTr- Cf Matthias EBERrrNc, Beschleunigung
und Politik, PeterLang, Franc-
BUS:H,Geschichteder EisenbahnreÎse. Zur Intlustrialisimng von Raum fort,1996.
und Z eit im 19. I ahrhundert,Fischer,Francfort, 2000. Peter Glorz, " Kritik der Entschleunigung ", in Klaus BACKHAUS &
Sut cesformesaccélérées dedécéléraf,btt,4 Lothar SEIwERT, wenn Du es Holger BoNUs(dir ), Die Beschleunigungsfalle oder der Triumph der
eîlig hasl gehe langsam.Das neueZeitmanLSmentin einer beschleu- Schildkrôte,Schâffer-Pôschel, Stuttgart, 1998 (3" éd. augmentée),
nigtenWelt, Campus,Francfort & New York, 2000. p. 7s-89.
48 1 læ
F
s0
l l"
,Fr
-]t---
s0 lrt
l
UF
Une thêoriedel' accêlêrationsociale
l$
Gr
lJne thêoriedel' accêlération sociale Pourquoi il y a accêléranon plutôt que dêcélêration
2
structurellementégaleà la pulsion d'accélérationmoderne. polaire , n'estpasun processus d'oppositionmaisbien une
Examinonsen détailcettedernièreproposition. caractéristiqueinhérmtede l'accélération.
Lesphénomènesclassés au chapitreprécédentdansles La crainted'un arrêtbrutal seproduisantà grandevitesse
catégories a et b indiquent simplementleslimites (en recul) a accompagné la sociétémodernetout au long de son exis-
de l'accélérationsociale,ils ne sont pasdu tout descontre- tence; elle a donné naissanceà desmaladiesculturelles
pouvoirs.Lesdécélérations de la catégoriec sont deseffetsde tellesque1'acédie,la méIancolie,l' ennui,la neurasthénieou, de
l'accélérationet, en tant que tels, ellesdérivent de Ia force nos jours, diversesformesde dépression. L'expériencede
d'accélérationet lui sont secondaires. La catégoriedl. iden- I'inertie,selonmoi, émergeou s'intensifielorsqueleschan-
tifie les phénomènesqui, lorsqu'on les examinede près,se gementset la dynamique,dansnotre vie individuelleou
révèlentsoit être eux-mêmesdes élémentsde processus dansle monde social(c'est-à-dire dansl'histoireindividuelle
d'accélération, soit au moins pouvoir êtrecomptésparmi les ou collective),ne sont plusvécuscommelesélémentsd'une
conditions depossibilité de l'accélérationsociale(à venir). La chaîned'évolutionsenséeet dirigée,c'est-à-dire commedes
résistance intentionnelleà l'accélérationde Ia vie et f idéo- u >,
élémentsde progrès mais comme deschangements
Iogiede Ia décélération(d2) sont clairementdesréactions à u frénétiques" et sansdirection.Ainsi,on perçoittn change-
despressionsexercées par l'accélérationet en safaveur.On mmt dynamique lorsqueles épisodesde changements'addi-
l'a vu, les principalestendancesde la modernité furent tionnent pour composerune histoire (narrative)de
accueilliespar une résistance considérable et, bien qu'il n'y croissance, de progrèsou d'Histoire,alorsque la perception
ait aucunegarantiequ'il en seratoujoursainsi,toutesles de l' immobilitéestIa conséquence d'épisodesd'altération,de
formesde résistance se sont jusqu'icirévéléesplutôt brèves transformationou de variation dénuésde direction, alêa-
et inutiles. Ainsi, la seuleforme de décélérationqui ne toireset déconnectés.Seloncette perception,les choses
semblepasêtredérivéeou résiduelleestcellequi estcaracté- changentmais ellesn'évoluentpas,ellesne < vont nulle
riséepar lesprocessus de décélérationénumérésdansla caté- part >. Ainsi, ce qui peut mener à Ia dépressionpatholo-
gorie e. Cettedimension décélératoire, en fait, sembleêtre gique sur le plan individuel peut mener à la perception
une caractéristique inhérenteet complémentaire de l'accélé- d'une n fin de l'histoire (dirigée)o dansla perceptioncultu,
ration moderneelle-même; elle est le reversparadoxal relle collectivedu temps.Selonmoi, cette transition de
caractéristique de touteslesforcesdéfinissantla modernité. l'expérienceculturelledominantedu changement(progrès)
Ainsi,l'individualisation a produit la crainteque la culturede dirigé à la perceptiond'un mouvement épisodiquefréné-
masseetla société demassen'éradiquenttoute forme d'indi- tique estun critèrede définition centralde la transitionde la
vidualité ( vraie >,,la domestication de la naturea produit la < modernitéclassiqueu à la n modernitétardiveo 3.
crainte d'une destruction de Ia nature(ou par Ia nature),la
rationalisation a produit la crainte d'une irrationalitéglobale z L'lnertiepolaire,op.cit.
Paul VrRrLro,
croissanteou de la << cagedefer ,, et, enfin, la différenciationa 3 Cf, Hartmut Rost,,AccéIération, 0p. cit., p.359 er.sr7.
; Hartmut RosA,
produit la craintede la désintégrationl. En ce sens,l'n inertie " The universal underneath the multiple : socialaccelerationas a key
to understanding modernity >, in Volker H, SCHMDT (dir.), Modemity
0t the Bqinning of the 21" centu4,, Carnbridge Scholar Publishing,
1 op. cit , p.79 et sq
Cf Haûmut RosA,Accélération, Newcastle,2OO7, p. 37-67.
s4l l"
llne thêoriedel' accêlération sociale
lrt
Une théoriedeI' accêIérationsociale Pourquoiest-ceimportant ? L'accélêrationetla vansformation...
58 1
l',
UnethêoriedeI'accélération
sociale Pourquoiest-ceimpona'it ? L'accélérationetll, transformation...
60 1
l rt
Ilne théortedel' accéléranon
sæiale Pourquoiest-ceimportant ? L' accêl&aionet la transJormation...
déjà, l'avait noté, dans le monde moderne,la consomma- intéressante, dansle domainepolitique,notre sensde Ia suite
tion physiquea étéremplacéepar la consommationmorale: historique<correcte" desévolutionssemblelui aussiremisen
presquetoujours,nous remplaçonsles chosesavantqtt'elles question:parexemple,iusqu'en1990,lesgensordinaires tout
ne secassent,parceque lesvitessesélevéesd'innovation les comme les scientifiques et les politiciens semblaient être
ont renduesobsolèteset ( anachroniqueso bien avant que d'accordsur le " fait n que deschosestellesque la piratuie etla
leur tempsphysiquesoit compté.En ce sens,notre relation tortureappafienaientau passé,mêmelorsqu'ellesémergeaient
au monde desobietsest transforméeen profondeurpar les dansle monde d'aujourd'hui; alors quela tlânooatieetl'État-
vitesses croissantes de la modernité. providence étaientdeschosesdu présentet même,plus encore,
Il sembleque notre sensde l'histoire biographiqueet du futur - mêmequandet là où ils n'étaientpas(encore)en
collectve évolue lui aussiau cours du processusd'accéléra- vigueur.Considéronslesmêmessuietsvingt ansplus tard, en
tion : Ia modernité classiquea commencéquand le change- 201,0: nous sommesdevenustrèspeu certainsdu caractère
ment socialfut assezrapidepour que les acteurssociaux o passé" de la piraterie et de la torture ; lorsque nous
remarquentque le passéétait ditférent du présentet que I'on parcouronsles journaux, elles semblentplutôt être des
pouvait s'attendreà ce que l'avenir soit lui aussidifférent du présages desévénementsà venir, alorsque scientifiqueset
présent.De ce fait, l'histoire paraissaitavoir une direction,les politiciens (et gens ordinaires)nous disent tous que l'Etat-
modèlesde progrès(individuel et politique) devinrent abon- providenceclassiquetel quenousle connaissons estune chose
dantset lesrécitshistoriquesprirent la forme d'histoiresdu du passé,et que nousne pouvonsplus nousle permettre;et
progrès. La modernitétardive,en revanche,commencelorsque de façonsimilaire,au moins d'un point de vue non européen,
les vitessesdu changementsocialatteignentun rythme de la démocratiesembleêtre désespérément lente et inefficace
transformationintragénérationnel: dans un tel monde, pour affronter les problèmesdu xxr siècle.Lorsqu'onla
l'impressionde changements épisodiques
aléatoires, ou même compareavecles systèmes(semi-)autoritairesétablisen Asie
frénétiquesremplace la notion de progrès ou d'histoire du Sud-Estou en Russie,on peut aussibien conclureque nous
dirigée; les acteurssociauxressententIeursviesindividuelles approchonsd'une ère u postdémocratique ,. Mais mon argu-
et politiquescommeétant instables,sansdirection,comme ment, ici, n'est pastant que l'ordre est inversé ou différentde
s'ilsétaientdansun état d'immobilitéhyperaccélérée' Surle celuiquenousattendionsil y a vingt ans,il estque nousavons
plan individuel, nous pouvons être témoins de ce change- Perdutlute certitudesur la direction de l'histoire : toutesces
ment lors d'entretiensnarratifs,quand lesgensracontentleur choses,de la piraterieà la démocratie,sont despotentialitésdu
vie commeune suite d'épisodesnon reliésentre eux (de leur monde,et ellesapparaissent et disparaissent épisodiquement'
vie de famille et de leur vie professionnelle,de leur change- Ceci,bien sûr, nous rappelle le monde prémoderne, avant
o n,
qu'il n'y ait une n histoireau singulier commenous le
ment d'endroit et de convictions)au lieu de produireun récit
de croissance, de maturité et de progrèss, De façon plus rappelleReinhardKoselleck. C'esten ce sens,selonmoi, que
nouspouvonsparlerd'une o fin de l'histoire ".
62 I63
1
Unethéor
iedel'accélérqtion
sociale
préalables
Gonditions
à unethéoriecritique
t"
L'accélêrationsocialeet les uersionscontemporainesdelaThéorie critique Conditionsprê,alablesà une thêorie critique
68
1 l"
L'accélération delaThêoriecntique
socialeet lesuersionscontemporaines Conditionspréalablesètune théorie uitique
70l 1 ,,
L'acrêlér
ationsociale contempor
etlesuersions aines
delaThéone
cnnque
1 ,,
L'accélêrationsocialeet les uersionscontemporainesdelaThéorie qitique L'accêlêration
et la critiauedesconditionsde communication
74 l rt
1
gociole
L'aæâêration etlesuersions esdela'Ihhnecntique
contemporain L'accélhanon
etlccritique
desconditions
decommunication
iamaisle cas)la force du meilleur argumentqui décidedes latts pour la vitessedu monde de la modernité tardive. Les
politiquesà tenir, mais le pouvoir desrancæurs,dessenti-
modèlescapitalistes de distributionsont donc devenusplus
ments viscéraux,desmétaphoreset imagessuggestives. Les
ou moins inaccessibles ou imperméablesaux revendica-
imagessont évidemmentplus rapidesque les mots, sans
tions de iustice : alors qu'il est extrêmementdifficile
même parler des arguments; elles ont des effets instan- d'évaluerles argumentspour ou contre certainsmodèlesde
tanés, bien que largement inconscients.Le meilleur argu- distribution, cesmodèlessont tout simplementconstruitset
ment devient impuissantfaceaux vaguesdynamiquesde la reconstruits à une vitesse désarmantepar le flux des
formation de I'opinion. Ce n'est pasun hasardsi desstars courantssocioéconomiques. Je n'ai pasle temps,la placeou
desmédiascomme Amold Schwarzenegger, NicolasSarkozy pour poursuivreici en profondeur, mais il me
le courage
ou Silvio Berlusconiaccèdentau pouvoir et s'il semblese sembleévident que quiconque partagel'inquiétude fonda-
produire un ( tournant esthétiqueu dans la politique : les mentalede Habermasà proposdesconditions de communi-
élections sont remportéesgrâceau côté o cool > des politi- cation, et les considèrecomme le point de départ de la
cienset despartis,et non pas grâceà des conceptsappro- Théoriecritique, doit sérieusement prêter attention aux
fondis,desprogrammesou desargumentationscomplexes. structurestemporellesde cesconditions.
Les affinités électoralessont également devenueshaute-
ment volatileset dynamiques: les maioritéssont obtenues
en fabriquant ou en " manipulant > (n spinning4u) des
événements,et non pas en exprimant des arguments.Bien
sûr, dans un sens,la démocratieest elle aussisusceptible
d'accélérer: par la grâcede sondagesélectroniques(instan-
tanés)surordinateur,à la radio ou à la télévision,lesopinions
et maiorités politiques peuvent être forméesen quelques
secondes. Mais cessondagesne reflètentpasun processus de
délibération au cours duquel des arguments pourraient être
formulés,discutés,peséset testés.Bien au conttaire,ils reflè-
tent desréactionsviscéralesqui sont largementou même
complètemmtimmunisées contreIe pouvoirdesmeilleurcargu-
ments.En somme,il sepounait bien que les mots, et même
pire encorelesarguments(ou,commele spéculeMyersons,le
medium de la significationlui-même) soient devenus frop
76
I
L'accëlération
etlacritique
desconditions
dereconnaissance
sociale
78
1 l, '
L'aæêlêration
sociale
etlesuersions
contemporaines
delaThêoÀe
mtique L'accêlêratton
etlacritique
desconditions
dereconnaissance
sociale
80l
l"
etlesuersionscontemqoraines
sociale
L'accélêration delaThêone
crttique L'accël&ation
etlacritique
desconditions
dereconnaissance
sociale
volatilité politique est en augmentation: les gensne sont arrière,en retrait; les genscraignentdonc de ( resteren
plus simplementcorrseryateurs ov degaucheou pour lesverts, retrait > plus que n'importe quoi d'autredansleur vie : dès
ils ont tendanceà changerde préférencepolitique en fonc- qu'un bébénaît, les parentsdeviennentparanoïaques,en
tion de la performance des partis et des politiciens ; et des proie à la peur qu'il serapeut-être< attardé, d'une manière
tendancessimilairespeuventêtreobservées dansle domaine ou d'une autre.
religieux.La volonté de changerd'affiliation religieuseen En résumé,alorsque Ia lutte pour la reconnaissance dans
fonction de la " performanceo desinstitutions religieuses une sociétéconcurrentielleest une force motrice constante
augmentesignificativement- à moins que les croyants,en de l'accélérationsocialeelle-même,elle changede forme de
une réactionspectaculaire à cettedynamisationincessante façon significativeavecl'augmentationde la vitessedu
du paysagesocial,matériel et spirituel, ne deviennent fran- changementsocial.Tant que cette dimension temporelle
chement o fondamentalistes> pour acquérirune position n'est paspriseen compte,la logique de cettelutte ne peut
solideet durablefaceau monde. Si desauteurstels qu'Alain pas être totalement appréhendée.Par conséquent,une
Ehrenberg2 ou Axel Honneth 3 observentune tendance théorie critique desconditions de la reconnaissanceest elle
croissanteà l'< épuisement" de l'être dansla modernité aussiliée de façon inhérente à une théorie critique de l'accé-
tardive- épuisementqui trouve son expressionmesurable lération sociale; en fait, elle pourrait même êtreune partie
empiriquementdansles niveaux croissantsde dépressions essentielle de cettedernière.
cliniqueset de burn-out- cela,selon moi, est largement
(sinon uniquement) attribuable à une lutte pour la recon-
naissancequi, pour parler métaphoriquement,recommence
encoreet encorechaqueiour, et danslaquelleaucuneniche
ni aucun palier sûrsne peuventplus êtreatteints.
Par conséquent,dans les conditions de la modernité
tardive, et avec un rythme intragénérationnel de change-
ment social,la lutte pour la reconnaissance dans la vie
quotidienne est aggravéede façon significative.Changeant
de logique,passantd'une compétition < positionnelle" à
une compétition < performative>, elle continue à menacer
les suietsd'une constanteinsécurité,de forts taux de hasard
et d'un sens croissant de I'inutilité. Souffrir de la non-
reconnaissanceest la conséquencedu fait de rester en
82
1
L'accêlération nouvelle
comme formedetotalitarisme
84 1
lrt
L'accélhation
sociale
etlesuersions delaThêorte
contamporaines crttique
Troisvariantes
d'unecritique
desconditionstemporelles
l$
d'unethêorte
Contours critique sociale
del'accélération Troisuariantes
d'unecritique
desconditions
temporclles
e0 l lrt
Contours
d'unethêone
uitiquedel'accëlêration
sociale
Lacritiquefonctionnaliste
:
lespathologies
dela désynchronisation
l$
Contours
d'unethêoiecitiquedel'accëlêration
sociale Lacritique : lespathologies
Jonctionnaliste deladêsynchronisation
horaire de trains. Disonsqu'il faut trois heurespour aller en rapide.D'un autre côté, il sepourrait bien que le corpset le
train de Hambourg à Copenhague,puis trente minutes psychismehumains soienteux aussisurchargéspar le tempo
supplémentairespour relier une petite ville danoise.Si le rapide de la société.Ainsi, des auteurstels qu'Alain Ehren-
( grostrain accélère,il arrive,disons,vingt minutes en
" berg3ou LotharBaieraont expliquéque l'augmentationspec-
avanceà Copenhague.Parconséquent,notre voyageurdoit taculairedu nombre de dépressions et de bum-outsemblait
attendrevingt minutes pour attrapersa connexion,ce qui êtreune réactionà la surchargetemporelleou aux niveauxde
est perçu comme une perte de temps, ou bien le < petit sftessen augmentationde la sociétémoderne.En effet,les
train u doit s'adapteret partir vingt minutes plus tôt, lui gensqui tombent en dépressionvivent un changement
aussi.De même, si vous êtestrès presséet que vous voulez soudaindans leur perceptiondu temps; ils tombent d'un
acheterun journal à un kiosque,alors que le vendeur a tempsdynamiqueet mouvementéversun bourbiertemporel
quitté son ancien travail pour profiter d'un rythme de vie où le tempssemblene plus avancer,maisplutôt resterimmo-
plus lent, vous allez tous les deux vivre une expérience bile. Tout lien signifiant enue passé,présentet avenir semble
d'interactiondésynchronisée : tandisquevousvoussentirez totalementbrisé.
terriblementretardéet ralenti sansaucuneraison,votre Cependant,on doit faire extrêmementattention quand
partenairese sentiratout aussiterriblementpresséet on postuledeslimites fixes à l'adaptabilitéhumaine. Aux
contraintpar le tempssansaucuneraison.Et ainside suite. premierstemps du chemin de fer, les médecinscroyaient
En termesplus systématiques, la désynchronisationappa- tenir la preuveformelle que le corpset le cerveauhumainsne
raît entre les mondes social et extra-social,mais également pourraient passupporterune vitessesupérieureà vingt-cinq
entre des modèlesde vitessedifférentsà l'intérieur des ou hente kilomètresà l'heure sansen souffrir gravement,et
domainesde la société.En cequi concerneIa premièreforme, lesvoyageursen tenaient une claireillustration par le simple
l'accélérationde la sociétésurchargesystématiquement les fait qu'ils sesentaientmal quand ils regardaientdehorsà ces
2.
cadrestemporelsde la nature environnante Ainsi, nous vitesses. Et,en effet,de nos iours,pour la plupartnousconti-
épuisonsles ressources naturelles,comme le pétrole et les nuons à nous sentirmal lorsquele train va à vingt-cinq ou
sols,à desrythmesbien supérieursaux vitessesde leur renou- trentekilomètresà l'heure- parceque nousne pouvonspas
vellement,et nousnous débarrassons de nos déchetstoxiques supporterde perdreautant de temps.Nous avonsapprisla
à un tempo beaucouptrop élevépour que la naturepuisseles techniquede la vision panoramique', c'est-à-direà fixer
"
traiter. Le réchauffementde l'atrnosphèreterrestren'est lui- notre regardnon passur le quai mais bien plus loin, et ainsi
même rien d'autre qu'un processusd'accélérationphysique nous apprécionsde voyagerà grandevitesses.De même,des
causésocialement: par notre consommationde l'énergie étudesrécentesont montré que les jeunesdéveloppent
stockéedans le pétrole ou le gaz, nous accéléronslittérale- aulourd'hui descapacitésmultitâchedont les cerveauxdes
ment les moléculesde l'atmosphèreen les chauffant,car la anciennesgénérationsn'étaient pascapables.
chaleur est la causeet l'effet du mouvement moléculaire
3 Alain ErnsNBERc, La Fatigued'êEesoi,op. cit.
2 FÀtz Rrnus, Kreafivifrit tlu Langsamkeit. Neuer Wohlstand durch Ent- 4 Lothar BArEr, Pasle tefips !, op. cit.
schleunigung,
WissenschaftlicheBuchgesellschaft , Darmstadt, 1996. 5 Wolfgang Scnr!,ELBUscH, Geschichteder Eisenbahnreise,op. cit
s4l lrt
Contoursd'unethêoiecntiquedel'accêlêrotionsociale Lacrtrtque : lespathologies
deladêsynchronisanon
I
lonctionnaliste
Surle plan sociologique,leschosesdeviennentplus inté- de formation de l'opinion est plus longue si les groupes
ressantes lorsquenous considéronsle niveau sociétal.Il est sociauxdeviennentplus hétérogèneset dynamiqueset si les
ici indéniableque dessphèressocialesdifférentespeuvent conditions du milieu semodifient plus rapidement.La plani-
être accélérées à desdegrésdifférents.Ainsi, tout le monde fication et le calcul consommentplus de tempslorsqueles
peut voir que la vitessedestransactionséconomiques,des conditions du milieu deviennent moins stables.Ainsi,
découvertesscientifiqueset desinnovations technologiques lesmêmesprocessus qui accélèrentleschangements sociaux,
a augmentéde manière spectaculaireau coursdesdernières culturelset économiqlues ralentissentlaformation de la
décennies- alors que ce n'est pasle casdu rythme desdéci- volonté et la prisede décisiondémocratiques,ce qui mène à
sions politiques et que le rythme de la reproduction cultu- une nette désynchronisationentrela politique, d'une part, et
relle, c'est-à-direde la transmissiongénérationnellede la la vie et l'évolution socioéconomiques, d'autre part.
connaissance symbolique,est sansdoute limité' Le monde Aujourd'hui, la politique n'est donc plus perçuecomme la
occidentalmoderne dépendde manière crucialede l'idée force donnant le rythme du changementsocialet de l'évolu-
que la politique donne le rythme des évolutions socialeset
tion sociale.Bien au contraire,la politique ( progressiste >
culturelles.Si nous voulonsêtredessociétésfondamentale- garde
- si le terme encore le moindre sens en 2010 - est
ment démocratiques, ceci signifie que la politique régule les
aujourd'hui caractériséepar la volonté politique de ralentir
cadreset lesgrandesorientationsau seindesquelsopèrentla
lestransactionset développementstechnologiqueset écono-
science,la technologieet l'économie.Cela requiert néan-
miques afin d'établir ou de conserverun peu de contrôle
moins un ancragetrès particulier de la " politique dans le
politique sur la direction et le rythme de la société(par
temps ', c'est-à-diteque celasefonde sur l'hypothèseque la
exempleà traversdesinstrumentscomme la taxe Tobin). En
prise de décisionpolitique et l'évolution socialesont, ou au
revanche,les n conservateurs> libéraux optent de nos jours
moins peuventêtre,synchronisées. Cependant,on l'a vu, la
6. pour une accélérationdesprocessussocioéconomiques et
démocratieestun processuschronophage Il setrouve qu'il
technologiquespar la réduction du contrôle politique. Nous
faut du temps pour organiserun public, identifier les
trouvons, dans cette inversion du marqueur temporel de la
$oupes sociaux pertinents, formuler et soupeserdes argu-
ments et atteindre un consensusavant de prendre desdéci politique en1ueprogressisÉe et conservateur, une illustration
sionsdélibérées.Et il faut égalementdu tempspour exécuter clairede la désynchronisationentrela politique et lessphères
cesdécisions,plus particulièrementdans les sociétésnon techno-économiquesde la société,et donc du fait que l'idée
totalitairesplacéessousla règledu droit. d'organisationpolitique s'esttransformée,passantd'un
Et, qui plus est, dans les conditions de la modernité instrument de dynamisationsociale,aux débutsde la moder-
tardive, cesprocessusdemandentencoredavantage detemps' nité et pendant la modernitéclassique,à un obstacle,ou à
étant donné que les sociétésdeviennent davantageplura- une nuisance,empêchantd'accélérerencoreplus, dansles
listeset moins conventionnelles.L'organisationdu processus conditions de la modernité tardive. En conséquencede quoi
le projet néolibéraldesdeux décenniesentourant l'an 20OO
6 Hartmut Rosl, "1hs speedof global flows and the pace of demo-
a en fait poursuivi la politique d'accélérationde la société
cratic Dolitics ", ,oc.cit. (et en particulier desflux de capitaux)en réduisantou même
s5l l' ,
Conùours
il'unethéone
crirtque
del'accêlération
sociale Lacrttique : lespathologies
fonctionnaliste deladésynchronisation
7 8,
en éradiquantle contrôle ou l'organisationpolitiques - à des auteurstels que Blumenberg ou Lûbbe la reproduc-
traversdesmesuresde dérégulation,de privatisationet de tion culturelle, c'est-à-direle passaged'un savoir et de
iuridification. normesculturellesd'une générationà l'autre, qui apporte
Mais une désynchronisationnocive n'apparaîtpasseule- une certainedosede stabilitéet de continuité à la société,
ment entrel'économieet lesautressphèresde la vie sociale, sembleêtre,elle aussi,un processus inévitablementchrono-
elle apparaîtaussià l'intérieur même de l'économie: ainsi, phage.Si le monde vécu est dynamisé jusqu'aupoint où il
l'accélérationrapidedesmarchésfinanciersaprèsles révolu- n'y a plus ou très peu de stabilitéintergénérationnelle,les
tions politiqueet numérique,autourde l'année1989,a clai- générationsvivent virtuellement dans des o mondes diffé-
rement mené à une rupture nette entre les vitessesen rents >, ce qui menacede bloquer la reproduction symbo-
constanteaugmentationde l'investissementet du capital, lique de la société.Et, enfin, la capacitécréativede la société
d'une part, et le rythme tranquille de l'économien réelle pour trouver des réponsesréellement innovatrices à des
", conditions changeantespourrait bien nécessiterune quan-
c'est-à-dire de la productionet de la consommationréelles,
tité considérablede ressources temporelles< libres > ou
d'autrepart. Commenous le savonstous, cecia eu comme
abondantesqui permettent de jouer, de s'ennuyer,de ne
résultat en 2008 la plus grave crise financière et écono-
rien faire, aussibien qu'ellespermettent d'allouer du temps
mique depuis 1930. Tandis que les transactions écono-
qui seragâchéet mal utilisé en apparence.Il sepourrait donc
miques ou financièrespeuvent être accélérées presque
bien que la pulsion inlassablede Ia sociétémoderne vers
indéfiniment,il n'en va pasde mêmede la productionet de
l'innovation et la dynamisationincessantessoit la causequi
la consommation : vous pouvezréaliserdesprofits en ache-
sapesa capacitéà l'innovation essentielleet à l'adaptation
tant et en revendantdesactionsen quelquesfractions de
créative.En ce sens,une forme très solidede scléroseet de
seconde,maisil n'y a pasd'équivalenten cequi concernela
blocagepourrait apparaîtrederrière la surfacehyperdyna-
production réelle- et, de même,vous pouvezacheterdes
mique dessociétésmodernestardives.
biens et des servicesen quelquessecondes,mais vous ne En résumé : une critique fonctionnaliste de l'accéléra-
pouvezpasles consommeren quelquessecondes. Il semble tion socialeest à même de trouver beaucoupde symptômes
donc existerun fossétemporel secreusanttouiours un peu de pathologiespotentiellesliéesà la vitesse,à traversune
plus entre l'achat et la consommation (pensezpar exemple analyseapprofondiedesproblèmeset desprocessusde la
au fossétemporel entre le fait d'acheterun liwe et le fait de (dé-) synchronisation,et ce à tous les niveaux de la vie
le lire, ou entre l'achatd'un télescopeet son utilisation). socialedansla sociétémodernetardive.
Cette forme de désynchronisationculturelle fournit selon
moi un point de départ particulièrement fructueux pour la
réintroduction d'un conceptde faux besoinsdansla Théorie
critiquecontemporaine. 7 Hans BLUMËMna,LebenszeltuwlWeltzeit,op. cit.
ir Klaus BACKHAUS &
Cependant,il se peut qu'il existed'autresformes de 8 Hermann LUBBE, " Gegenwartsschrumpfung",
Holger Bouus (dir.), Die Beschleunigungsfalle oder der Triumph der
désynchronisationdysfonctionnelle dans le tissu temporel Schililkriite (3' éd. augmentée), Schâffer-Pôschel,Stuttgart, 1998,
de la modernitétardive.Parexemple,commel'ont exprimé p.129-164.
e8
l
[c critiquenormartve
: I'idêologie
ratisitée
702
| I ros
Contours
d'unethéorie del'accélâation
cnrtque sociale La critique normative : l' idêologierevisitée
de nos échecs,et la massecroissantede tous ceux qui sont remplissentles quatreconditions du totalitarismedéfinies
exclusde Ia roue deshamsterspar le chômagenous rappelle au chapitre 9, c'est-à-direque a) ellesexercentune pression
combien ce prix peut êtreélevé. sur les volontéset les actionsdessujets; b) on ne peut pas
Cependant,cesnormes temporelles,bien qu'étant les leur échapper,c'est-à-direqu'ellesaffectenttous les sujets;
normesdominantesde la société- réfléchissez seulementà c)ellessontomniprésentes, c'est-à-direqueleur influencene
la façondont l'enseignement estpresqueentièrementcarac- selimite pasà l'un ou I'autredesdomainesde la vie sociale,
térisépar l'accoutumanceà des normes temporelles: mais qu'elle s'étendà tous sesaspects; et d) il estdifficile ou
apprendreà remettreà plus tard sasatisfaction,à suiwe à la presqueimpossiblede les critiquer et de les combattre.Une
lettre des horaireset des rythmes, à résisteret même à critique desnormessocialescachéesde la temporalitétrouve
ignorerlesbesoinset lespulsionsde soncorpsiusqu'àceque donc ici sonpoint de départ: cesnormesviolent la promesse
le < bon moment > arrive, et, avant tout, à se dépêcher-, qui estau cæur de la modernité,la promessede réflexivitéet
sont deschosestrèsdifférentesdesnormesmoralesou reli- d'autonomie.
gieusesque nous connaissonsdu passéou d'autrescultures:
même si ellessont clairementconstruitessocialement,elles
ne seprésententpassousune apparenceéthique,ni même
commedesnormespolitiques,mais comme desfaits bruts,
deslois de Ia nature qui ne peuvent êffe ni remisesen ques-
tion ni discutées.Lesnormestemporellesparaissentsimple-
ment être " là u, et il est du ressortdes individus de les
satisfaireou non. Il n'y a donc absolument aucun débat
moral ou politique à proposdu pouvoir du délai imposéet
des diktats de la vitesse- les normes conespondantes
æuwent en tant que force temporelle silencieuseet cachée
qui permet à la sociétémoderne de se percevoir comme
étant exemptede sanctionset, en termes éthiques,restric-
tiveaminimz,Le,,langage silencieux> du temps,commel'a
expriméil y a longtempsEdwardT. Hall3, est assezefficace
pour satisfairel'immensebesoinde régulationdessociétés
modernesprécisémentparcequ'il le reste- silencieux,
inaperçu,idéologiquementindividualisé et naturalisé.C'est
justementpour celaque les normestemporellesprennent
un aspectquasimenttotalitaire à notre époque: elles
104
|
Lacritique 7: la promessebrtsëe
éthique delamodemité
105
| I roz
d'unethbrtecitiquedeI'aæêlération
Contours sæiale Lacntique 7:la promessebfisêe
éthique delamodernité
Même notre aspiration,dans la modernité tardive, à l'auto- obtenir l'autonomiedanssavie de famille n'a jamaiswaiment
détermination des caractéristiques de notre corps- notre fonctionnénon plus, commel'a montré CharlesTaylora.
sexeet nos gènes- prolongel'impulsion de la modernitéet Néanmoins,le < systèmemodeme" de privatisationéthique,
sapromessed'autonomie. de capitalismeéconomiqueet de politique démocratiquea
Mais il est important de voir que ce projet n'est devenu réussià ( maintenir le rêveen vie n jusqu'audernier tiers du
possibleet plausibleque dans le contexte d'une sociétéqui xx" siècle: la promessed'une ( existencepacifiée>, pour
setrouvait déià dans un processusd'accélérationsociale: reprendrele terme de Marcuse,était crédibleen ce qui
l'autodéterminationindividuelle ne fait sensque dans un concernel'attente d'une croissanceéconomiqueforte, du
monde qui a dépasséun ordre socialfixé de façon prétendu- progrèstechnologique,du plein-emploi,de la diminution des
ment ontologique dans lequel les classessocialeset les horairesde travail et de l'existenced'un État-providenceen
domainessociaux(et les autoritéspolitiqueset religieuses) extension.L'histoirepouvait toujoursêtreinterprétéecomme
sont définisune fois pour touteset simplementreproduits tendant vers un point auquel la lutte économique(quoti-
d'unegénérationà l'autre.Leprojetde la modernitéacquiert dienne),le combat pour la survieet la compétition sociale
son caractèreplausibleet son attrait avecl'émergencede perdraientleur pouvoir déterminant sur notre forme de vie
l'n énergiecinétiqueu de la société,pour ainsi dire, avec individuelleet collective.En effet,le capitalismesemblaitêtre
l'avènementd'un changementsocialaccéléré.De façon un systèmeéconomiqueculturellementacceptableà la seule
similaire,l'émergenced'une économiecapitalisteforte, lumière de la conviction profonde- propagéeet partagéepar
productiveet orientéeversla croissance, ainsiquele progrès sespartisans,d'AdamSmith à Milton Friedman- qu'il finirait
scientifiqueet technologiquequi l'accompagne,a produit par devenirsi productifet si fort quelesêtreshumainsseraient
les ressources nécessaires pour donner sa oédibilité à la enfin libresde poursuivreleursprojetsde vie individuels,leurs
promessed'un modelagepolitique (redistributif) de la rêves,leursvaleurset leursbuts sansêtremenacéspar lesépées
sociétéet d'un pouvoir discrétionnaireindividuel. de Damoclèsdu manque,du déclin et de l'échec.L'accéléra-
Pourrésumer: le processus de modernisationde l'accéléra- tion et la compétitionpouvaientainsiêtreconsidérées comme
tion sociale (compétitive) et le proiet (éthique) de l'auto- desmoyensd'atteindrel'autodétermination.
nomie et de l'autodétermination pouvaient, en principe au On l'auracompris,ma thèseestque cettepromesse n'est
moins, se soutenirmutuellement.Bien sûr, d'une certaine plus crédibledans la o sociétéde l'accélération> moderne
façon, la modernité n'a jamaistenu sesengagements: un tardive.Le pouvoir de l'accélérationn'estplus perçucomme
vaste nombre de gens,probablementla maiorité, étaient une forcelibératrice,maisplutôt commeune pressionasser-
empêchésde menerune vie autodétenninéeparlesforcesliées vissante.Bien sûr, pour les acteurssociaux,l'accélérationa
à desconditionsde travail hétéronomes.Celan'est passeule- toujoursété les deux à la fois : une promesseet une néces-
ment wai, selonmoi, pour lestravailleurssalæiésmais égale- sité.À l'époquede l'industrialisation,par exemple,elleétait,
ment pour lesemployeurset lesdirecteurs: ils n'ont iamaispu
maîtriserlesrèglesdu jeu,ils ont seulementapprisà ioueravec
4 Charles T,lvron, " Legitimation crisis ? u, in Charles TAyLoR,Prrilo-
ellesavecsuccès.Et le o grand compromis" consistantà
sophy ancl the Huffian Sclences.Philosophical Pqperc2, Cambridge
accepterI'hétéronomiedans sa vie professionnellepour University Press,Cambridge, 1985,p. 248-288.
I ros
108 |
I
d'unethêorie
Contours del' accélération
critique sociale La critiqueéthique! :la promessebrtsêe
delamodernitê
pour la plupart desgens,plutôt la secondeque la première, < resterdansla course,, de maintenir leur compétitivité,de
mais elle porta néanmoinsen elle le potentiel libérateur ne pas tomber de la roue deshamsters.De plus en plus,
pendanttout le xx" siècle.Aujourd'hui cependant,au début même les pratiquesreligieuses, les partenairesde vie et les
du xxr siècleu mondialiséo, la promesseperd de son poten- familles,les hobbyset les règlesde santésont sélectionnés
tiel, la pressiondevient accablanteà un point tel que les selon une logique de compétition. La vitessedu change-
idéesd'autonomie individuelle et collective (démocratique) ment socialet l'instabilitédesconditionsdu milieu rendent
deviennentanachroniques. formellementdangereuxle développementet la poursuite
L'autonomiepeut êtreconsidérée commela promessede d'un n projet de vie >. L'autonomie,au sensconsistantà
définir les buts, les valeurs,les paradigmeset les pratiques s'accrocherà des aspirationsindividuellesmême dans les
d'une vie bonne aussiindépendammentque possibledes coups du sort, est devenueanachronique,comme Kenneth
pressionset limitationsextérieures. C'estla promesse que la Gergennous le rappelle: dansun chapitreiudicieusement
forme prise par nos vies le
sera résultatde nos convictions intitulé < Incontrôlableu 1<Out of controlo), il décrit avec
et aspirationsculturelles,philosophiques,écologiqueset subtilité le passagede I'idée ( moderneancienne> d,auto-
religieuses,et non pas de pressionsnaturelles,socialesou nomie au concept,dansla modernité tardive, de ( surf > effi-
économiqueso aveugles>. Ainsi, la modernisation,au sens cace: t Je lutte aussicontre mon apprentissage moderniste
de l'accélération sociale,étaitintrinsèquementconnectéeau qui visel'améliorationconstante,les progrès,le développe-
projet de la modernitépar le fait que l'augmentationde la ment et l'accumulation.J'apprendslentementle plaisirqu,il
dynamiquesocialeet l'énergiecinétiquecroissantede la y a à renoncer à tout désir de contrôler tout ce qui
sociétéservaientprécisémentà libérerles gensde cespres- m'entoure. C'estIa différenceentrenageravecdétermination
sions: individuellement commecollectivement,elle produi- 't, versun point deI'océsn- en maîtrisantlesvagues pour atteindre
saitlesressources nécessaires à la réalisationde l'autonomie. sonbut - et fTotterharmonieusement au gré desimprévisibles
Cependant,il s'avèreà présentque l'accélérationsocialeest mouvements desflotss.
"
plus forte que le proiet de la modernité : elle continue, Cela,bien sûr,ne signifiepasque les suietsde la moder-
inchangée,alorsque salogique'sedressemaintenantcontre nité tardive inclinent à la passivité: resterdans la course
la promessede l'autonomie.Au stadequ'elle a atteint dans demandela capacitéà prendreles vagueso dèsqu,une
"
la modernité tardive - dans les sociétésoccidentalesau occasionprometteuseseprésente,et en tant que tel, bien
moins - l'accélérationn'assureplus les ressources néces- sûr,celademandede considérables capacités de iugementet
sairesà la poursuitedesrêves,desbuts et desproietsde vie de flexibilité. Néanmoins,la créativité,la subjectivitéet la
individuels,et au modelagepolitique de la sociétéselonles passionne serventplus le but de l'autonomieau vieux sens
idéesde iustice,de progrès,de durabilité, etc. C'estplutôt < moderneu, ellessont désormaisutiliséespour augmenter
l'inverse: lesrêves,lesbuts,lesdésirset lesplansde vie indi- notre compétitivité. Politiquement,il est devenu évident
viduels sont utilisés pour alimenter la machine de aujourd'hui que la pauvretéet le manque ne peuvent pas
l'accélération.
Pourles suiets,le défi centralest devenude meneret de 5 Kenneth Grncm, Tfte SaturatedSeIf, op. cit., c}Iap xvrn Souligné par
modeler leurs vies d'une manière qui leur permette de nous.
110 |
Itr
d'unethéorie
Contours del'accélération
critique sociale Lacnnque 7: la promesse
éthique bfisêe
dela modemité
être vaincusdans une économie capitaliste.Lesréformes nécessairement à un état d'aliénation.Je veux suggérerici
politiques du xxr sièclene serventpasà améliorules condi- que l'aliénationpeut être définiepréliminairementcomme
tions socialeset à modelerla politique selon desbuts un étatdanslequellessujetspoursuiventdesbutsou suivent
culturels et sociaux définis démocratiquement.Le but des pratiquesque, d'une part, aucun acteur ou facteur
presqueunique de l'organisationpolitique est plutôt de externene lesobligeà suiwe - il existedesoptions alterna-
maintenir ou de rendrelessociétéscompétitives,de soutenir tives possibles- et que, d'autre part, ils ne désirentou
leurscapacités à l'accélération.Lesréformessont donc iusti- n'approuventpas ( vraiment >. Ainsi, nous nous sentons
fiéescomme étant des n adaptationsnécessaires o à des aliénéslorsquenous travaillonstoute la iournéeet jusqu'à
besoinsstructurels.Le changementpolitique est défendu minuit sansque personnene nous I'ait demandé- et bien
par la menaceque sinon - si nousne baissons pas les impôts que nous ( voulions ) vraiment rentrer tôt à la maison (et
ou si nousn'luvronspas la voieaux manipulations génétiques- que nous l'avons peut-êtrepromis à notre famille). L'aliéna-
nous commenceronspar chuter, puis nous resteronsen tion émergeaussi lorsque nous mettons en place de
retrait,renvoyésà un état de pénurieet de totale pauvreté. nouvellesréformesde l'enseignement ou de l'économie,ou
La promesse de l'autonomiepolitique,de modelerla société de nouvellesrèglesde gestionque nous n'approuvonspas
au-delàde la nécessitééconomique,devient,dansun tel < vraiment ), ou lorsqueles entrepriseslicencientdesgens
cadre,un vaguespectre.C'estparceque les logiquesde la pour faire de plus grosprofits ou augmenterleur compétiti-
compétition et de l'accélérationn'ont pas de freins ou de vité : nous doutons beaucoupdesrésultats,et nous aurions
limitesinternes: ellesmobilisentd'immensesénergiesindi- pu agir autrement; néanmoins,<< nous devionsle faire,
viduelleset socialesmais, au bout du compte, ellesles aspi- d'une manièreou d'une autre >. De façon similaire,en poli-
rent jusqu'àla dernièregoutte.Logiquement,il n'y a aucune tique, l'aliénation peut émergerlorsquenous décidonsde
autre issueà cette évolution que le sacrificede toutes les participerà une guerreque nous îe sentons paswaimmtiusti-
énergiesindividuelleset politiquesà la machinede I'accélé- (
fiée(et que nous ne voulons pas vraiment,), ou Iorsque
ration, symboliséepar la roue des hamstersde la compéti- nous soutenonsdespolitiquesde renforcementde l'indus-
tion socioéconomique.Cela,bien sûr, est équivalent à trie automobilecontre toute raison écologique: à chaque
l'hétéronomietotale,à I'inversionabsoluede la promesse de fois que nous faisons< volontairement) ce que nous ne
la modernité. voulonspas vraimentfaire. Si un tel état persiste,nous
Comment pourrions-nousvérifier,ou au moins rendre pouvons(individuellementaussibien que collectivement)
plausible,une telle affirmation, celle d'un fossécroissant mêmeoublierceque nousvoulions<waiment > faire- mais
entre le projet de la modernité - l'autonomie - et Ie stade un vague sentiment d'hétéronomie demeure,sansagent
atteint par l'accélérationsocialedansla modernitétardive? inhibiteur.C'estpourquoiie traceraidansle dernierchapitre
Selonmoi, les conditions socialesdanslesquelles,d'une lescontoursd'une o théoriecritique> et d'une phénoméno-
part, les acteurssont encoreengagésde manièreéthique logiede l'aliénationsociale.
pour l'idéed'autodétermination,alorsque,d'autrepart, ces
mêmesconditions sapentde plus en plus Ia possibilité
de suivre ou de réaliseren pratique cette idée, mènent
712 |
La critique éthique2 : I' aliênation revisitêe
7 !4 11s
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sociale
d'unethêofieuitiquedel'dccêlhation
Contours Lacritique
êthique
2 : I' aliénation
revisitêe
beaucoupsi ce n'est la plupart desprocessussociaux,Ieur leurspannes.Mais si vous en changezdeux fois par an, leurs
localisationou leur situation spatialen'est plus pertinente caractéristiquesindividuellesne vous intéressentplus : vous
ou même déterminable.Le tempset I'espace,commele dit voulez seulementsavoircomment faire marchercesfichus
3
Anthony Giddens,deviennentu désencastrés". machins.Ainsi, l'accélérationsocialecréeune plus grande
Tout celan'implique pas nécessairement l'< aliénation mobilité et un plus grand désengagement de l'espace
par rapportà l'espace>,maiscelala rend possible.Il estinté- physique,mais elle accentueaussinotre aliénation par
ressantà cet égardque lesdirecteursd'hôtel signalentqu'ils rapportà l'environnementphysiqueou matériel.
doivent de plus en plus souventrassurerleurs clients quand
ceux-ciappellent la réception en quête d'orientation : ils b) L'aliénationpar rapportaux choses
demandent dans quelle ville ou dans quel pays ils se trou- Nous sommesainsi déjà enftésdans l'espacedes
vent. Pourdevenirn familier u d'un espaceterritorialdonné, choses.Lemonde deschosescomporteau moins deux types
pour se sentir " chez soi o dans un monde spatial,nous d'obiets: les chosesque nous produisonset les chosesque
avonsbesoinde certainesformesd'intimité construite: le nousutilisonsou quenousconsommons.Lesêtreshumains,
terme allemand Heimat signifie précisémentque nous selon moi, ont toujours des relationsintimes et constitu-
sommesintimes d'un certainespaceen tant que tel, même tives avecau moins certainsobietss. En fait, les chosesavec
de partieset de segmentsque nous n'occuponspasou dont lesquellesnous vivons et travaillons sont dans une certaine
nous n'avonspasbesoin.Cependant,cesformesd'intimité mesureconstitutivesde notre identité. Cependant,notre
et de familiarité demandentdu tempspour sedévelopper.Si relation au monde des chosesvarie avecla vitessedes
vous déménagezsanscesse,vous vous déconnecteztôt ou échanges.Si vous gatdezvos chaussettes, votre voiture ou
tard d'un quelconqueespacegéosocialen tant que tel ; vous votre postede radio portatif pendant desdécennies,ou au
avezbesoin de savoir où se trouvent le supermarché, moins pendant desannées,ou, pour le dire autrement : tant
l'épicerie,ainsique l'école,le bureauet la sallede sport,mais que vous considérezque vous garderezvotre voiture, votre
lesespaces qui les séparentdemeurent< silencieux> au sens radio portative ou vos chaussettes- ou votre ordinateur ou
des o non-lieux 4 ', de Marc Augé : ils ne racontent aucune votre téléphone- jusqu'àcequ'ils soientcassés ou trop usés,
histoire, ne transportent aucun souvenir, ils ne sont pas il y a de grandeschancesqu'ils deviennent une partie de
entrelacésavecvotre identité. Cecifinira égalementpar être vous-même,et, inversement,que vous deveniezune partie
vrai pour vosespaces de vie plusintimes,par exemplel'équi- d'eux-mêmes.Une voiture que vous avez rêparê.e dix fois
pement de votre cuisine : si vous gardezle même réfrigéra- vous-même, ou deschaussettes quevousavezreprisées vous-
teur et le même four pendant desdécennies,vous savezà même sont appropriées et individualisées,
ou de manière
quoi ils ressemblent,ce qu'ils sentent, comment ils plusparlanteencore: intériorisées parvous.Vousles< inves-
sonnent ; vousconnaissezmêmeleursdéfautset la nature de tissezu et vous les percevezdans toutes les dimensions
sensuelles, et ellesportent égalementavecelleslesmarques
Anthony GIDDENS, de l4 fiodemité, L'Harmattan,
LesConséquences
Paris,1994 (trad. Olivier MeYer)' 5 Tilmann HABIÀMAI, GeliebteObjekte.Syntboleund Instumentederlden-
Marc AucÉ, Non-lieut, oP. cit. titàtsbildung,Suhrkamp,Francfort, 1999.
115
I lnt
C;on6urs il'une thêoneoirique del'accél&ationsoaale Lauinqueéthique
2 : I' aliênanon
ratisitée
118
|
d'unethêorie
Contours sociale
uitiquedel'accëlération Lacritique
éthique
2 : I' aliênation
revisitêe
concerneles logiciels.J'étaisvraiment familiariséau vieux rapport aux produits et outils technologiquesque nous
programmeWord-pour-DOS. J'en connaissaischaqueoption, venons d'aborder: dans la vie moderne,nous devons
chaquepetit truc.Jepouvaisfairetout cedont j'avaisbesoin. constammentmanipulerdeséquipementset desoutils - et
J'étaiségalementassezfamilierdu systèmeXP : ie savaisbien résoudredestâches- que nous n'avons jamaisvraiment
m'en servirsurla basede mesbesoinsquotidiens.Maisje me apprisà gérer,que nous ne nous sommesjamaisvraiment
senstotalementillettré faceà ma nouvelleinterfaceVista: appropriés.Ainsi, alorsmême que j'écrisce texte avecmon
je ne saisplus comment utiliser les raccourcis,comment nouveaunetbook,l'ordinateurfait deschosesétranges- le
insérerdesgraphiqueset destableaux,etc. En résumé: le curseursemet soudainà bougeret à sauteret sesvoiessont
nouveaulogiciel et moi, nous demeuronsvéritablement pour moi absolumentimpénétrables,et cela créeun senti-
aliénésl'un par rapportà l'autre,et la mêmechoseseproduit ment d'aliénation même pendant l'une desraresactivités
avecma nouvellemontre, mon nouvel iPod @on,pour être qui me font habituellementme sentir ( en harmonie > avec
honnête,je n'utilise pasd'iPod, mais je ne comprendspas moi-même,en l'occurrencecellequi consisteà écrireun
mon nouveaubaladeur),mon nouveaumicro-ondes. livre. Plustôt dans la journée,i'ai pris l'avion de Vienne à
Bien sûr, les individus de l'ère moderne essayentde Zutich, et je ne me suisiamaisvraiment senti rassuréavecles
compensercesexpériencesd'aliénationperturbantesen procéduresque je devaissuiwe. La même choseseproduit
acquérantdes objets exclusifset onéreux,comme par avecma déclarationd'impôt et avecdestas d'autresformu-
exemple un vase exotique, un piano à queue ou un téle- lairesque ie doisremplir.
scopehaut de gamme, qui sont censésresterpour long- L'aliénationémergeici habituellementdu fait que nous
temps.Maisle plus souvent,la porositén'est pasatteinteet ne trouvonsjamaisle tempsde nousinformer réellementau
à sa place se développele complexede culpabilité : ces sujet deschosesqui sont sur le point de nous concerner.
chosessont si chèreset nous avonssi peu de tempspour Chaquemanuel, chaquecontrat que nous signons(particu-
elles,nous leur accordonssi peu d'attention.Ainsi, nous lièrementsur Internet) et chaquecomprimé que nous
vivons, nous évoluonset nous travaillons dansdesenviron- prenonsimpliquent d'abordl'avertissement< Merci de lire
nementsqui nousdemeurentétrangers. attentivement les informations suivantesavant d'effectuer
quoi que ce soit - et bien sûr nous ne lisons jamais
"
c) L'aliénationpar rapportà nosactions (complètement)le manuel, le contrat et les n conditions
Il n'est donc pas du tout surprenantque nous généraleso, ou la notice du médicament,avant de les
puissionségalementcommencerà nous sentir aliénéspar utiliser. Ainsi, la surcharged'information est I'une des
rapport à nos propresactions.Si le contrairede se sentir raisonsde notre sentiment d'aliénation (que nous l'appe-
aliéné est ( se sentir chez soi > (à un certain endroit, avec lions ainsiou pas)dansle mondemoderne.
certainespersonnesou dans le cadrede certainesactions, Celan'est passeulementvalablepour leschosestechno-
par exemple),alorsnous pourrions dire en réalitéque très logiqueset lesdécisionsmineures,c'esttout aussivrai pour
souventnous ne nous sentonspas cheznous quand nous les grandschoix de la vie : considérezun lycéenpassantle
faisonsce que nous faisons.L'aliénation,ici, peut provenir bac et se demandantà quelle licences'inscrire.N'importe
de deux causes,la premièreétant liée à l'aliénation par quel guide qu'il consultelui donne ce même conseil
720 I
lnt
Contours d'une théorie cntique del'accëlêrationsocidle Lauitiqueëthique
2 : I' aliénation
revisitêe
t22 123
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Contours sociale
del'accélâation
d'unethêoieuinque Lauitiqueêthique
2 : l' aliênation
rcvisitée
724 | 12s
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Contours
d'unethêone
critiaue sociale
del'accêlération Lacrirtque
êthique
2 : I' aliénation
revisitée
Cetteforme étrangeet tout à fait nouvelle d'aliénation rnauvaispour la vie bonne - et c'estde façon évidenteun
par rapportà nos propresactionsrésulteselonmoi elleaussi point de départprometteurpour revisiterle conceptdes
deslogiquesautopropulsées de la compétitionet de l'accélé- u faux besoins,.
ration. Dansun monde structurépar les impératifsde la En fin de compte,cependant,nous avonstendanceà
vitesse,nous ne sommespas seulementbien avisésde oublier ce que nous voulions <waiment > faire et qui nous
rechercherla réalisationà court termede nos désirs(comme voulions vraiment être - nous sommestellement dominés
regarderla télévision)plutôt que leur évolution à long terme par la nécessitéd'épuiserla " liste deschosesà faire> et par
fiouerdu violon), nous sommesaussiamenés,commeje l'ai les activitésde consommationà gratificationimmédiate
dit auparavant,à acheterdes < potentialités> et desoptions (commefaire du shoppingou regarderla télévision)que
plutôt que desbiens- et à compenserainsi le renoncement nous perdonsla sensationqu'il existe quelque chose
à la consommation n réelle> par une augmentationdu d'o authentique> ou de cherà nosyeux.Ainsi,commel'a dit
< shopping> : nous ne prenonspas,ou ne trouvonspas,le Ôdôn von Horvâth, nous finissonspar avoir l'impression
temps de lire LesFrèresKaramazov- au lieu de cela,nous qu'en fait nous sommesquelqu'un de très différent- nous
achetonsaussiL'Idiot de Dostoïevski; nous ne prenons pas n'avonssimplementpasle tempsd'êtrece quelqu'un.Cela
le temps d'apprendrevraiment à utiliser notre télescope signalecependantl'existencede deux autresformesd'alié-
(celaprend beaucouptrop de temps : pendant quatre des nation : I'autoaliénation
d'un côté,et une forme trèsparticu-
cinq nuits où vous proietez de sortir votre nouvel instru- lière d'aliénation par rapport au temps de l'autre.
ment, les nuagesobscurcissent la vue, la cinquièmenuit, il Commençonspar cettedernière.
fait un froid glacial,la sixièmenuit vous ne vous sentezpas
trèsbien, la septièmenuit vous Ie sortezbel et bien - mais d) L'aliénationpar rapportau temps
vous comprenezrapidementqu'il estextrêmementdifficile Alorsque nouspouvonsmesurerobjectivementle
de trouver ne serait-ceque la Lune dansle petit secteurdu temps à l'aide d'une pendule,l'expériencedu temps, sa
ciel que vousvoyezà traversle viseur),au lieu de celanous n duréeintérieure>, est un phénomènesubjectifet insaisis-
achetonsun nouvel appareilphoto que nous pouvonsthéo- sable.Une demi-heurepeut êtreincroyablementcourteou
riquement fixer sur le viseur du télescope.Ainsi, nos atrocementlongue, selon les circonstanceset les activités
pouvoirspotentiels,les options et les occasionsauxquelles dans lesquellesnous sommesengagés.Cependant,les
nousavonsaccèsaugmententsanscesse, alorsquenos capa- recherchesempiriquesont vraiment fourni quelques
cités concrètesde < réalisationn diminuent progressive- résultatstout à fait cohérents(et surprenants)au suiet de
ment. Nouspossédons davantagede livres,de CD, de DVD, notre expérienceintérieuredu temps.Nous pouvonsainsi
de télescopes, de pianos, etc. que jamaisauparavant,mais vérifier aisémentà partir de notre propre expérienceet de
nous ne pouvons pas les digérer.Puisquela < digestion > notre propre mémoire le phénomèneappelé< paradoxe
demandetrop de temps et que nous ressentonsun besoin subjectifdu temps ,. Il signifie quele tempsde l'expérience
et
impérieuxet croissantde rattraperle retardtemporel,nous le tempsdu souvenitont des qualitésinverses: si vous faites
compensonsde plus en plus la consommationirréaliséeà quelque chosequi vous plaît vraiment, et que vous en
traversle shopping.C'estbon pour l'économie,maisc'est ressentez beaucoupd'impressionsfraîches,intenseset
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I
Contours
d'unethêorie
oitiquedel'accélëration
socicle Laqitiqueêthique
2 : l,aliênation
revisitêe
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I |
Contours
d'unethêorte ilel' accêlêration
critique sociale Lacrttique
éthique
2 : l' aliênation
revisitëe
130 |
I rsr
Contours
d'unethéone del' accélêration
crinque sociale
Lacritique
éthique
2 : l'aliénation
revisitée
7s2 I 133
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sociqle La uitique êthique2 :l'aliênanon tevisitée
d'unethêoneoitiquedel' accêlérarton
Contours
17'
Le fait que l'autoaliénation soit donc un danger immi- dépression, comme Alain Ehrenbergle suggère Si c'est
nent dans la sociétéde l'accélérationmodernetardive est < l'importance de ce que nous aimons > qui constitue notre
presqueévidentà partir de ce que j'ai montré jusqu'àmain- identité 18,alors la perte d'un tel sens,d'une hiérarchie
tenant. Si nous sommesaliénéspar rapportà I'espaceet au persistantede la pertinenceet de la direction,ne peut que
temps ainsi que par rapport à nos propres actions et expé- mener à une distorsionde la relation à soi-même.L'aliéna-
rienceset par rapport à nos partenairesd'interaction,nous tion par rapport au monde et l'aliénation par rapport à soi
ne pouvonsque difficilement échapperà une sensationde ne sont pasdeux chosesséparées mais simplementles deux
profonde aliénation de soi. Car, comme CharlesTaylor et facesde la même pièce.EIlepersistelorsqueles o axesde
bien d'autresdans le débat sur le communautarismedit résonance> entre l'être et le monde deviennentsilencieux.
libéral (et bien d'autresavant eux) l'ont exposéde façon
convaincante,notre perceptionde nous-mêmesémergeà
partir de nos actions,de nos expérienceset de nos relations,
à partir de Ia façon dont nous sommesplacés(et dont nous
nous plaçonsnous-mêmes)dans le monde social et spatio-
temporelincluant le monde deschoses16.Touslesépisodes
d'actionet d'expérience que nous avonstraversés,toutesles
options à notre disposition,les gensque nous connaissons
et les chosesque nous avonsacquisessont lesmatériauxde
basede nombreux récits que nous pourrions faire de nous-
mêmes,de nombreuseshistoiresque nous pourrions
élaborerpour déterminernotre identité. Néanmoins,
aucunede ceshistoiresne sembleconcluante,car aucune
d'ellesn'estvraimentappropriée.(Il n'estpasdu tout surpre-
nant que nous soyonspeu enclins à écouterles histoiresde
la vie desautres...)Qui nous sommes,et comment nous
nous sentonssont deschosesqui dépendentdescontextes
dans lesquelsnous évoluons,et nous ne semblonsplus
capablesd'intégrer cescontextesdans notre expérienceet
dansnotre action. Ce qui pourrait très facilementmener à
l'u épuisementde l'être > ou même au burn-outet à la
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Conclusion
lnt
Aliénation et accêlération Conclusion
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Aliénationet accêlûanon
Conclusion
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I |
Aliénation
etaccélêr
arton
I r+s
Aliénationet accêlêr
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146 147
I |
Aliênationet accêlér
ation
Bibliographie
148
|
Table
Remerctements
Introduction
Premièreparne
Une théortedel' accêlêration sociale
1s1
|
Aliénationet accélêration
Table
chapiûer L'accélération
et la critique
desconditionsdereconnaissance
sociale 78
9 L'accélération
chapirre commenouvelleforme
detotalitarisme 84
partie
Troisième
Gontoursd'unethéortecrtfique
deI' accêlér
ationsociale
10 Troisvariantesd'une critique
Chapitre
desconditionstemporelles 89
7s2 |
Du mêmeauteur.Dans la mêmecollection
HartmutRosa
Accêlëration
Unecritiquesociale
dutemps
Traduitde I'allemand
par DidierRenault
2oro. 48opages
IS B N978-2-70Zr-5482-8
I
L'expérience majeure de la moder- que la désynchronisation des évolu-
nité est celle de I'accélération.Noue le tions socioéconomiqueset la dissolu.
savons et l'éprouvons chaque jour : tion de l'action politique font peser
dans la société modeme. ( tout une gnve menace sur la possibilité
dwient oujours plus rapide u, Or le même du progrès social.
temps a longtemps été négligé dans Marx et Engels affirmaient ainsi
les analyses de la modemiæ au profit que le capitalisme contient intrinsè-
des processus de rationalisation ou quement une tendance à volatiser
"
d'individualisation. C'est pourtant le tout ce qui est solide et bien établi ,.
temps et son accélération qui, aux Dans ce liwe magistâl, Hartrnut Rosa
yeux de Hartmut Rosa,permettent de prend toute la mesure de cette
comprendre Ia dynamique de la analyse pour constnrire une véritable
modernité. u critique sociale du temps D suscep-
Pour ce faire, il livre dans cet tible de penser ensemble les transfor-
ouvrage une théorie de l'accélération mations du temps, les changemenB
gociale susceptible de penser sociaux et le devenir de l'individu et
ensemble l'accélération technique de son rapport au monde.
(celle des transports, de la communi-
cation, etc.),I'accélérationdu change-
ment sociâl (des styles de vie, des
structureE familiales, des affiliations
politiques et religieuses) et I'accéléra-
tion du rythme de vie, qui se mani-
feste par une expérience de stress et
de manque de temps.
La modemité tardive, à partir des
années r97o, connaît une formidable
pousséed'accélération dans ces trois
dimensions.Au point qu'elle en vient
à menacer le projet même de la
modernité: disgolution des attenteset
des identités, sentiment d'impuis-
sance, c d{rcmporalisation " de l'his-
toire et de la vie. etc, t'auteur montre
-CompositionFacompo.Lisieux.
, Impressionréaliséepar CPI Bussière
à SainçAmand-Montrond(Cher).
Dépôt légal du 1* tirage : janvier 2012.
Suitedu 1"'tirage (2) : juin201.2.
N' d'impression: 12222914.
Imprimé en France