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Économie rurale

Agricultures, alimentations, territoires


334 | mars-avril 2013
334

Philippe Descola - L’écologie des autres.


L’anthropologie et la question de la nature - Paris,
Ed. Quae, coll. Sciences en question, 112 p., 8,60 €
Franck-Dominique Vivien

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/economierurale/3918
ISSN : 2105-2581

Éditeur
Société Française d'Économie Rurale (SFER)

Édition imprimée
Date de publication : 15 mars 2013
Pagination : 107-108
ISSN : 0013-0559

Référence électronique
Franck-Dominique Vivien, « Philippe Descola - L’écologie des autres. L’anthropologie et la question de
la nature - Paris, Ed. Quae, coll. Sciences en question, 112 p., 8,60 € », Économie rurale [En ligne],
334 | mars-avril 2013, mis en ligne le 15 mars 2013, consulté le 22 avril 2019. URL : http://
journals.openedition.org/economierurale/3918

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NOTE DE LECTURE

Or cette dualité entre nature et culture


Philippe Descola
– que l’on projette aisément sur les
autres cultures et sociétés humaines, les
L’écologie des autres. jugeant ainsi à l’aune de nos représen-
L’anthropologie et la question tations – n’est que le reflet de l’ontolo-
de la nature gie naturaliste adoptée par la pensée
moderne occidentale.
Paris, Éditions Quae,
coll. « Sciences en question », 112 p., 8,60 €
Il ne s’agit pas, précise Descola, de
jeter l’anathème sur cette ontologie
naturaliste – pas plus, d’ailleurs, que de
’anthropologie, quand elle se consti-
Lcomme e
tue à la fin du XIX siècle, se conçoit
la science de l’interface ou, si l’on
fustiger l’activité scientifique et techni-
cienne qui s’appuie sur celle-ci – mais de
préfère, des compromis entre la nature reconnaître que ce n’est qu’une manière
et la culture. Pour les appréhender, les parmi d’autres de se représenter les inte-
anthropologues vont adopter principa- ractions entre humains et non-humains.
lement deux postures épistémologiques, Profitant d’une question qui lui est posée
auxquelles Philippe Descola, titulaire de au terme de sa conférence, Descola, en se
la chaire d’anthropologie de la nature référant à son ouvrage, Par-delà nature
au Collège de France, nous initie en et culture (Gallimard, 2006), présente
nous exposant la controverse qui opposa rapidement ces autres ontologies adop-
Claude Lévi-Strauss et Marvin Harris, au tées par les communautés humaines, qui
milieu des années 1970. varient, d’après lui, selon les continuités
et discontinuités entre humains et non-
– La première approche – que l’on peut humains perçues par les sociétés entre
qualifier de « matérialiste » – est portée intériorité (états affectifs et mentaux) et
par ceux qui, comme Harris, avancent extériorité (corps et processus matériels).
que le rapport de l’homme à son mi- Le naturalisme, on vient de le voir, se
lieu doit s’envisager essentiellement caractérise par une continuité physique
comme adaptation à un ensemble de entre les êtres et une discontinuité vis-
contraintes naturelles.
à-vis de leur intériorité. Pour l’animisme,
– La seconde approche – celle de Lévi- les non-humains sont dotés d’une inté-
Strauss, que l’on peut qualifier de riorité analogue à celle des humains,
«mentaliste » – pense ce rapport entre mais tous les êtres varient selon leurs
l’homme et son milieu sous la forme corps qui ouvrent à des mondes spéci-
de particularités du traitement symbo- fiques. Dans le totémisme, humains et
lique d’une nature homogène dans ses non-humains partagent, dans des classes
limites et ses modes de fonctionnement. particulières, des qualités physiques et
Même si les hypothèses diffèrent quant morales. L’analogisme repose sur une
à la manière d’agencer ces deux ordres discontinuité générale des intériorités et
et de les faire interagir – d’un côté, la des extériorités, le monde étant peuplé
culture vue comme dispositif adaptatif de singularités.
aux contraintes naturelles ; de l’autre, la
culture conçue comme ordre autonome Après avoir passé en revue et critiquer
entretenant des rapports contingents les différentes stratégies pour dépasser ce
avec le milieu écologique –, ces deux clivage entre nature et culture – approche
postures épistémologiques partagent la phénoménologique, « sociologie symé-
même césure fondamentale entre des trique » de Callon et Latour –, Descola
régularités matérielles et universelles plaide pour un programme de recherche
(la nature sous la forme de l’ensemble structuraliste qui viserait à saisir les régu-
des non-humains ou de l’armature bio- larités et les invariants des différentes
logique de l’homme) et des systèmes de manières dont les hommes habitent le
valeurs particularisés : les cultures. monde et tissent avec les non-humains

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NOTE DE LECTURE

des liens très divers, constants ou occa- notre époque. Et la construction sociale
sionnels, mais qui ne sont pas illimités. de la crise environnementale contempo-
C’est à une « écologie des relations », avec raine – dans laquelle la science joue un
une anthropologie ouverte à différentes rôle primordial – résonne nécessairement
sciences de la vie et du comportement, avec ces ontologies qui structurent les
que nous invite Descola. Ce qu’il illustre manières dont les sociétés conçoivent les
rapidement, dans le cadre des échanges rapports entre humains et non-humains.
qui suivent sa conférence, en reliant les On ne peut donc que recommander la
lecture de ce petit ouvrage, aux vertus
diverses ontologies présentées plus haut
si apéritives, qui sera assurément une
et différentes conceptions du temps.
source de découverte et de méditation
On prend grand plaisir à lire cet ou- pour le chercheur au sujet de sa propre
vrage publié dans l’excellente collection discipline et de certains de ses objets
« Sciences en question », dirigée par d’étude – je pense, pour ma part, mais
Raphaël Larrère, plaisir à suivre une in- ce n’est qu’un exemple parmi d’autres,
telligence vive et fine, qui, fidèle à cette à la façon dont la notion de « services
grande tradition de l’anthropologie fran- écosystémiques » s’est imposée depuis
une quinzaine d’années dans le champ
çaise, s’attaque à des questions scienti-
scientifique et politique en mettant en
fiques de grande ampleur, en s’exprimant
scène une telle dualité entre nature et
culture. ■
dans une très belle langue. La probléma-
tique des rapports de l’humain à la nature,
cela n’aura échappé à personne, est une Franck-Dominique VIVIEN
des plus cruciales et des plus épineuses de Université de Reims Champagne-Ardenne

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