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COORDINATION ÉDITORIALE: Barbara Caretta-Debays

SOUTIEN À L’ÉDITION: Kevin Cordeau, Christophe Horguelin et Monique Moisan


ILLUSTRATIONS: Marie Quilvin
GRAPHISME: Louise-Andrée Lauzière
ADAPTATION NUMÉRIQUE: Studio C1C4

© Les Éditions Écosociété, 2016

Dépôt légal: 4e trimestre


ISBN ePub 978-2-89719-284-4

Nous remercions le Conseil des arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication.
Nous remercions le gouvernement du Québec de son soutien par l’entremise du Programme de
crédits d’impôt pour l’édition de livres (gestion SODEC) et la SODEC pour son soutien financier.
Remerciements

NOUS REMERCIONS TOUT SPÉCIALEMENT notre amie Chantal Lambrechts,


éditrice indépendante récemment disparue, qui nous a conseillés avec
finesse, enthousiasme et générosité dans la présentation de notre projet
éditorial.
Merci à Dave Jacke, maître américain en permaculture, qui transmet les
secrets des jardins-forêts comestibles et qui a inspiré à Bernard Alonso le
parallèle entre l’écosystème humain et celui des forêts millénaires.
Merci à Hugo Loza Valdez qui a accompagné avec patience et
bienveillance nos séances de travail. Ses références pleines d’humour ont
souvent stimulé fort à propos l’hémisphère droit de nos cerveaux!
Enfin, merci la vie, fidèle instigatrice de rencontres providentielles et
auteure assidue de scénarios improbables…
Préface
Construire dès aujourd’hui le monde de demain

En novembre 2013, Jean-Marie Pelt nous a reçus chaleureusement dans


son bureau de l’Institut européen d’écologie à Metz (France), institut
qu’il a créé en 1971 pour «promouvoir toute initiative visant à améliorer
la qualité de vie, de l’environnement et des rapports entre les hommes».
Enthousiasmé par notre projet de livre, il a accepté d’en rédiger la
préface. Ce qui fut fait en mars 2015. Quelques mois plus tard, en
décembre, il décédait à l’âge de 82 ans. Toute sa vie, cet agrégé en
pharmacie, chercheur, professeur et passionné de botanique, auteur
d’une soixantaine d’ouvrages, a largement partagé son amour du vivant
avec le grand public.

AVANT DE DÉCOUVRIR CET OUVRAGE, je ne connaissais de la permaculture que


le nom. Elle était pour moi une version «améliorée» de l’agroécologie,
prenant en compte des critères plus larges en l’arrimant plus solidement
encore aux valeurs globales de l’écologie. Mais j’ignorais que l’on puisse
imaginer une permaculture humaine.
Que signifie au juste permaculture? Dans perma, il y a «permanent» en
anglais, c’est-à-dire durable, «soutenable». Quant à culture, cela évoque les
deux sens du mot culture comme agriculture et comme culture humaine.
L’intérêt majeur de la permaculture est de s’inspirer des modèles de la
nature pour promouvoir un mode de vie éthique et moins prédateur, en
jetant un pont entre les lois de la nature et les lois régissant les sociétés
humaines dont je m’efforce de montrer, d’ouvrage en ouvrage, les étroites
imbrications. L’être humain, comme les animaux et les plantes, est soumis à
des lois qui sont valables pour tous les êtres vivants. Bref, sciences
naturelles et sciences humaines se réconcilient dans les principes
fondamentaux de la permaculture, ce qui n’est pas une mince affaire.
Il suffit de prendre pour exemple les lois de l’évolution qui s’appliquent
au monde de la biologie comme à nos sociétés. Dans les deux cas, les
mécanismes sont les mêmes: mutations, hybridations, migrations,
isolements, spéciations… Il n’est pas interdit de comparer une espèce
sociale (une entreprise, un syndicat, un parti politique ou une religion) à une
espèce biologique. Les unes et les autres évoluent selon les mécanismes que
je viens d’évoquer. Il est donc parfaitement légitime de considérer que la
nature est une matrice pour comprendre les évolutions sociales de
l’humanité et donc de saisir d’un même regard et selon les mêmes critères
la permaculture dans les champs et les jardins et la permaculture chez les
groupes humains.
Une telle démarche reste profondément novatrice. Des siècles durant, et
notamment depuis les temps modernes, nous avons séparé et cloisonné les
savoirs en disciplines, chacune enfermée dans son pré carré et
«s’hybridant» ô combien difficilement à d’autres disciplines. Chacune
campe dans sa propre culture. Or la permaculture dynamite les frontières.
Sa toute première qualité est donc à mes yeux cette approche transversale.
À la lecture de cet ouvrage, je pense que cette sensibilité est prometteuse,
annonciatrice d’innovations fructueuses dans de nombreux domaines.
Les auteur.es de l’ouvrage commencent par définir la permaculture
comme «une approche systémique qui permet de créer des écosystèmes
viables en s’inspirant des lois de la nature. […] Elle cherche à prendre soin
de l’être humain et de l’environnement tout en générant la vie et en
favorisant l’abondance et le partage». L’être humain étant une espèce
naturelle et culturelle, il est inclus par son corps dans la nature biologique,
mais il en émerge par son esprit. Il est
une personne avec la capacité de
choix et de responsabilité. Il ne
saurait être perçu comme extérieur à
la nature, comme «maître et
possesseur» de la nature selon
l’expression si critiquable de
Descartes, infligeant à celle-ci sa
domination et sa prédation.
Nous sommes formatés par la
culture contemporaine dominante:
produire et consommer toujours plus,
emportés par le progrès scientifique, technique et industriel, quitte à
négliger et à étouffer notre identité profonde. D’où ce malaise existentiel
aujourd’hui si perceptible. Comment dans ces conditions retrouver du sens,
comment éviter le surmenage, le manque de références, de repères, d’idéal,
d’espérance… La nécessité, souvent cruelle, de devoir s’adapter à des
contraintes extérieures finit par tuer notre intériorité. Mais lorsque celle-ci
se rebiffe, lorsque des expériences spirituelles s’amorcent, un nouveau
monde qui part des profondeurs de nous-même nous met en marche, à notre
modeste échelle, vers une transformation du monde extérieur. On retrouve
l’adage célèbre de Gandhi: «Sois toi-même le changement que tu veux voir
dans le monde.» Nous voici dès lors en porte-à-faux entre nos aspirations
profondes et le modèle économique dominant qui s’impose à nous par le
flux médiatique continu qui nous submerge. Nous cherchons donc à nous
référer à un autre modèle et c’est ici que la permaculture nous donne des
clés.
Pour qui sait comprendre son langage, si précieux aux yeux de nos
ancêtres de l’ère préindustrielle, la nature nous offre maints exemples de
son art. Elle a su résoudre des problèmes qui se posaient à la plante comme
à l’animal; des problèmes qui sont aussi les nôtres. Ne nous offre-t-elle pas
les modèles de la bande auto-agrippante (plus connue sous son nom de
marque Velcro), inspirée des micro-crochets de la fleur de bardane, du verre
autonettoyant, inspiré de la goutte d’eau ruisselant sur la feuille de lotus
sans la mouiller, de l’engin qui vole à l’instar de l’oiseau ou de l’hélicoptère
qui fait du surplace comme ces insectes du groupe des Silphidae? Autant de
modèles que nous reproduisons dans nos technologies. C’est le
biomimétisme.
La nature nous offre aussi le modèle du fonctionnement des
écosystèmes, de toutes ces espèces en relation les unes avec les autres,
s’échangeant des services qui sont à la base même des subtils équilibres
soutenant ces entités. Il en est de même des sociétés humaines, vastes
écosystèmes où chaque individu, chaque groupe, chaque profession, chaque
institution apporte sa contribution à l’équilibre de l’ensemble. Encore faut-il
que cet équilibre soit celui que nous souhaitons, où la nature, les êtres
vivants, les personnes, les groupes humains accèdent à leur plein
épanouissement. Tel est l’objectif primordial de la permaculture humaine.
Dans cet ouvrage, les auteur.es ont développé une foule de sujets qui
contribuent à la création et au maintien de ces équilibres. Ils nous proposent
12 pistes pour construire des équipes unies et opérationnelles, ce que l’on
appelle l’intelligence collective, car «si tout seul on va plus vite, ensemble
on va plus loin». Tel est l’un des adages appréciés des permaculteurs.
J’aime aussi cette phrase de Charles Darwin: «Les espèces qui survivent ne
sont pas les plus fortes ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le
mieux aux changements.» Et cette adaptation sera d’autant plus aisée
qu’elle s’appuiera sur le principe de coopération; en effet, dans la nature
comme dans la société, les êtres vivants ne sont pas seulement en
concurrence mais aussi en coopération, ce que la recherche en biologie met
chaque jour davantage en évidence.
J’ai beaucoup aimé la vision des auteur.es concernant un juste équilibre
entre le cerveau droit et le cerveau gauche. Le cerveau gauche est le grand
gagnant de la modernité. Il analyse, déduit et se trouve parfaitement à l’aise
dans le monde des technologies de l’informatique et de la communication,
où l’on suit sur nos engins les séquences logiques et linéaires: taper 1, taper
2… Rien de tel pour le cerveau droit, celui des émotions, des intuitions, des
sensations, des affects, le cerveau de la créativité et de l’élan spirituel. Ce
sont ces deux cerveaux que l’éducation doit permettre de développer
simultanément. L’école ne sera plus alors seulement la croissance des
savoirs, mais l’expression créatrice d’une société en mouvement vers une
croissance qualitative. La permaculture est donc une autre façon de voir le
monde, une transition vers un autre modèle de société, une manière
différente de sentir et d’agir. Un chemin que parcourent les collectivités et
les villes en Transition…
L’ouvrage décrit les différentes étapes permettant d’aboutir à un
«design», c’est-à-dire, selon la définition des auteur.es, à «un ensemble de
pratiques destinées à concevoir, à planifier, à aménager, à structurer un
espace, un projet, un groupe, des relations ou des organisations pour les
rendre féconds, abondants et durables». Ces designs s’inspirent toujours des
lois de la nature et visent à mettre en place les meilleures stratégies pour
assurer le fonctionnement du système: production d’énergie, protection de
la biodiversité, rendement optimal des ressources, recyclage, réduction de
l’impact écologique des activités humaines, etc. Un design pourra aussi
bien viser la vie d’une personne que celle d’un groupe ou d’une
communauté (collectif urbain, habitants en zone rurale…).
Ces bases étant posées, le corps de l’ouvrage développe l’ensemble des
pratiques nécessaires pour prendre soin de la terre et de l’humain,
notamment en répondant autrement à ses besoins fondamentaux. L’ouvrage
décline alors tout un ensemble de pratiques et de comportements en
s’inspirant chaque fois d’exemples où ceux-ci ont produit des résultats
opérationnels. Il est de ce point de vue une source d’informations
extrêmement précieuse, offrant des modèles qui fonctionnent déjà et
desquels on peut s’inspirer. À lire ces développements, on se sent déjà en
marche vers ce nouveau monde, celui de demain.
La forme donnée par les auteur.es à leur livre n’a rien à envier au fond.
Le plan est parfaitement structuré, et l’on suit aisément le parti pris éditorial
et le développement des idées et des propositions. La langue est claire, le
style, fluide, et je m’étonnais en lisant ce livre que ce qui aurait pu être
aride soit aussi agréable à lire. On ressort de cette lecture convaincu, car les
auteur.es sont convaincants. Et l’on comprend que tout se joue finalement
sur l’amour. L’amour de la nature, l’amour des humains entre eux… C’est,
de façon sous-jacente, un grand projet de fraternité, de solidarité et de
convivialité.
Ami.es lecteurs, je suis persuadé que vous partagerez le sentiment qui
m’habite en découvrant la richesse et les vastes potentialités de ce concept
de permaculture. Je vous souhaite d’y prendre tout le plaisir que j’ai moi-
même ressenti en le découvrant. Nul doute que ce livre connaîtra le succès
qu’il mérite. Bon voyage dans le monde de la permaculture, si différent du
nôtre et pourtant si aisément accessible à tous ceux et celles qui, comme
nous, souhaitent œuvrer à l’émergence d’un nouveau monde.
Jean-Marie Pelt

AUTEUR, ENTRE AUTRES OUVRAGES RÉCENTS, DE:


Cessons de tuer la terre pour nourrir l’homme! Pour en finir avec les
pesticides (avec Franck Steffan), Paris, Fayard, 2012.

Héros d’humanité, Paris, Flammarion, 2013.

Le monde a-t-il un sens? (coécrit avec Pierre Rabhi), Paris, Fayard,


2014.
L’aigle ou la voie de la transformation

DANS CERTAINES TRIBUS AUTOCHTONES DU NORD ET DU SUD DE L’AMÉRIQUE,


les plumes d’aigle sont un signe honorifique de sagesse et d’autorité.
C’est pourquoi elles ornent les parures des chefs et des guerriers
qui se sont singularisés par leur bravoure.
Pourquoi des plumes d’aigle?
Selon les Anciens, en plus de ses qualités de rapace, cet oiseau de proie se
distingue par sa longévité.
Il peut vivre plus d’un demi-siècle.
Cependant, lorsqu’il atteint une trentaine d’années, l’aigle se trouve
confronté à une épreuve décisive…
Arrivé à cet âge, il a de longues serres élimées
qui ne réussissent plus à saisir la proie à coup sûr.
Son bec, émoussé, n’est plus aussi tranchant pour déchiqueter ses prises.
Les plumes de ses ailes, devenues trop lourdes, rendent son vol maladroit et
pesant.
Alors, soit l’oiseau laisse le temps accomplir son œuvre et dépérit;
soit il s’engage dans un processus de transformation long de 150 jours
environ
et une nouvelle vie pourra s’offrir à lui…
S’il s’engage dans la voie de la transformation, l’aigle rejoint un lieu retiré,
accessible à lui seul,
au sommet d’une montagne ou sur une haute corniche.
Là, à l’abri de toute présence importune, l’aigle frappe son bec contre la
roche, jusqu’à le briser…
Il lui faut ensuite attendre de longues semaines pour que repousse un
nouveau bec bien acéré.
Il s’efforce également d’arracher ses vieilles serres devenues encombrantes
afin de laisser pousser de nouvelles serres vigoureuses.
Enfin, l’aigle arrache son plumage ancien pour laisser place
à de nouvelles plumes souples et puissantes
qui lui permettront de retrouver un vol alerte.
Ainsi régénéré par cette longue épreuve,
l’aigle peut reprendre son vol et aborder avec vigueur la nouvelle vie qui
s’offre à lui.

Les Anciens racontent cette histoire aux jeunes pour les préparer à affronter
les transformations souvent longues et douloureuses qu’ils ne manqueront
pas de vivre au cours de leur vie. De tout temps, l’humain, comme l’aigle,
comme toute espèce vivante, est un jour amené à se dépouiller des attributs
qui ont jadis fait sa force avant de retrouver une nouvelle vitalité et de
poursuivre son évolution. Aujourd’hui, une telle mue apparaît vitale à la
survie des sociétés humaines: soit elles acceptent de se défaire des schémas
anciens devenus obsolètes et laissent émerger des modèles plus respectueux
de l’humain et de la nature; soit…
Introduction
Accompagner les personnes et les groupes dans la
Transition

LA CONSCIENCE GRANDISSANTE D’UN MONDE EN FIN DE


CYCLE

LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET CITOYENNE a déjà commencé. Le yoyo du prix


du pétrole conjugué à la crise économique mondiale et à l’inquiétude face
aux désordres climatiques ont amorcé des bouleversements dans nos
habitudes. L’individualisme, forgé dans l’euphorie de la croissance
industrielle et de la consommation sans bornes, est ébranlé: on réfléchit
avant de prendre sa voiture, on regarde les étiquettes avant d’acheter, on
s’inquiète de la performance énergétique de son logement, etc. Les
comportements collectifs deviennent monnaie courante: covoiturage,
jardins partagés, chantiers participatifs, trocs en tout genre. L’organisation
sociale et économique est remise en question: l’alimentation, la santé,
l’éducation, l’agriculture, l’énergie, la finance, la gouvernance, l’accès aux
ressources naturelles, etc. Toutes les activités humaines sont revues à la
lumière d’une situation nouvelle: la conscience d’un monde fini et fragile.
Des changements s’imposent, urgents, perçus comme inquiétants par
nombre de citoyens et citoyennes. Les repères anciens disparaissent alors
que les nouvelles bases ne sont pas encore clairement dessinées.
L’URGENCE DE PASSER À L’ACTION

L’urgence d’entrer en transition se fait d’autant plus ressentir que la


pression démographique augmente: la population mondiale devrait passer
de sept milliards d’individus en 2010 à neuf milliards en 2050.
Actuellement, un humain sur deux est un citadin. En 2050, trois humains
sur quatre vivront en milieu urbain, la plupart dans des villes gigantesques.
Les modèles urbains actuels montrent leurs limites: les plus grandes
métropoles occupent actuellement 2% de la surface du globe et elles
consomment les trois quarts de l’énergie disponible, émettant au passage
80% du CO2 d’origine humaine. Qu’en sera-t-il avec deux milliards de
citadins supplémentaires?
Les besoins humains fondamentaux, eux, restent les mêmes. Pour vivre
en paix, épanoui, pour être créatif, créateur, l’humain doit être assuré de
pouvoir se nourrir, se loger, se vêtir, se déplacer, communiquer… On est
loin du compte aujourd’hui, des millions de personnes étant dans
l’impossibilité de satisfaire ces besoins vitaux. Comment l’humanité
pourra-t-elle faire face à l’explosion démographique en cours sur une
planète aux contours limités? Il est inévitable de repenser les modèles
économiques et socioculturels actuels, déjà obsolètes.
Préparons-nous à vivre sans énergies fossiles! À défaut d’agir, de vraies
ruptures sont à craindre. Qui est prêt, personnellement ou collectivement, à
faire face à une rupture totale d’approvisionnement énergétique pendant
plusieurs jours ou, pire, plusieurs semaines? À une panne d’électricité
majeure à la suite d’un séisme, d’une tempête, d’un tsunami, d’un accident
nucléaire ou d’un attentat? Il ne s’agit pas d’un scénario de science-fiction:
toutes ces situations se sont présentées dans un pays ou un autre ces
dernières années. Soudain, plus de lampes (heureusement, les bougies
s’allument encore avec une allumette!), plus d’éclairage public, plus d’eau
au robinet (l’eau de la ville est distribuée par des systèmes de pompes
électriques), plus de plaques de cuisson pour faire à manger, plus de
chauffage à part les poêles à bois (tous les systèmes de chauffage
fonctionnent avec une pompe électrique, y compris les poêles à granulés),
plus d’eau chaude pour la douche, plus de voiture (les stations-service
fonctionnent à l’électricité) ni de livraison dans les magasins (les
supermarchés ont trois jours de réserves alimentaires), plus de journaux,
plus de radio ni de télévision, plus de téléphone, plus d’ordinateur, plus
d’Internet, plus de courriels! Plus d’ascenseur pour rentrer chez soi ou
quitter le bureau. Plus de paiement par carte bancaire, plus de distributeur
d’argent. Quasiment tout fonctionne à l’électricité ou au pétrole!
Une rupture d’approvisionnement et c’est la société toute entière qui
sombre dans la paralysie, avec un effet domino difficilement imaginable à
grande échelle. À part quelques pays comme le Canada dont la production
électrique repose à 60% sur l’énergie hydraulique (96% pour la province de
Québec), une énergie locale et non polluante, la plupart de nos sociétés
dépendent lourdement des énergies fossiles. Même la France, dont les
dirigeants vantent l’indépendance et les performances énergétiques grâce au
nucléaire, dépend à 100% de l’uranium importé pour alimenter ses
centrales. L’uranium, une ressource fossile stratégique (donc fragile) et non
renouvelable, qui fait tourner une industrie dont les risques et les déchets
radioactifs posent des problèmes majeurs, non résolus.

PRENDRE EN MAINS LES ÉNERGIES DANS SA VIE

Prendre conscience de la précarité de la situation invite à réduire notre


dépendance envers les énergies fossiles, à limiter nos émissions de gaz à
effet de serre qui menacent le climat et à engager très concrètement la
transition vers des énergies renouvelables dans toutes les dimensions de nos
vies: notre approvisionnement en eau et en nourriture, notre logement, nos
déplacements, nos activités sociales, professionnelles, culturelles. L’enjeu
prioritaire aujourd’hui est de mettre nos modes de vie – individuels,
familiaux, collectifs – en adéquation avec les ressources disponibles sur la
planète.

LA PERMACULTURE HUMAINE RÉPOND À CETTE DÉLICATE


PÉRIODE DE TRANSITION

Pour relever un tel défi et construire le monde nouveau qui émerge, la


permaculture humaine propose une approche novatrice, globale, créative,
interactive. Elle transpose sur le terrain humain les bases de la permaculture
classique, un concept né il y a une quarantaine d’années dans le monde
anglophone. Cette pratique naturelle de l’agriculture, définie par les
Australiens Bill Mollison et David Holmgren, connaît depuis quelques
années un fort succès dans le monde francophone. Les formations en
permaculture se multiplient à grande vitesse en France, en Suisse, en
Belgique, au Canada. Les festivals font florès, attirant une foule de jeunes
de même que des adultes de tous âges désireux de s’initier à cette approche.
Mais la dimension humaine de la discipline reste largement méconnue dans
le monde francophone. Il est temps de combler cette lacune!
L’originalité de l’approche «permaculture humaine» est de considérer la
discipline dans son sens le plus large. Il s’agit de (re)construire les
écosystèmes humains en s’inspirant des modèles de la nature: multiplier les
interactions entre les personnes plutôt que de fonctionner chacun.e dans son
coin; produire plus d’énergie qu’on n’en consomme; utiliser des outils
simples plutôt que high-tech – ils sont tout bêtement plus faciles à entretenir
et à réparer!
Cette démarche rejoint la quête d’un nombre croissant de contemporains
qui cherchent à concevoir ensemble des solutions face aux incertitudes
présentes et à venir.

CONSTRUIRE LE CHANGEMENT AU LIEU DE LE SUBIR

Parce que nous savons qu’«un autre monde est possible», parce que nous
contribuons à le construire autour de nous, nous proposons aux lecteurs
francophones de s’approprier les clés de la permaculture humaine (chapitre
1). Par un processus de design (chapitre 2), nous invitons chacun.e à se
poser les bonnes questions et à trouver les réponses appropriées à sa
situation particulière, loin des recettes toutes faites. Ce livre invite le lecteur
à se réconcilier avec la nature – dont nous dépendons totalement puisque
nous en faisons partie intégrante –, à (re)découvrir ses liens vitaux avec
l’eau, le sol et la forêt (chapitre 3) et à «permacultiver» son alimentation,
pour la rendre cohérente avec les enjeux d’aujourd’hui (chapitre 4).
Ce livre propose à tout.e citoyen.ne éclairé.e les outils nécessaires à la
transition. Chacun.e les adaptera à son rythme et à sa convenance, là où il se
trouve – dans sa famille, son quartier, son association, à l’école, en
entreprise… Fort.e de la compréhension des enjeux globaux liés à ses
gestes de la vie quotidienne, inspiré.e par des pionniers et des exemples de
solutions alternatives réussies, chacun.e pourra réaliser le design de sa vie
quotidienne, réorganiser ses activités de façon durable et harmonieuse, de
façon à créer des écosystèmes viables et fertiles autour de soi, en toute
conscience et en toute liberté. Chacun.e aura probablement à dépasser
d’inévitables «résistances au changement». La levée de ces résistances sera
facilitée lorsqu’on aura vu que d’autres ont franchi le pas et se portent au
mieux!
Au permaculteur enthousiaste qui découvre de nouvelles perspectives et
qui serait tenté d’assommer ses proches par de fastidieuses exhortations,
rappelons que notre seul pouvoir se limite à nous transformer nous-même.
Inutile de chercher à changer les autres! C’est notre exemple qui leur
donnera – ou non – le désir de s’engager à leur tour dans un processus de
changement. Un tel choix est strictement personnel… et extrêmement
contagieux!

Demain
Nous saluons au passage le formidable succès du film Demain de Cyril Dion et
Mélanie Laurent, projeté dans une trentaine de pays; un million de spectateurs rien
qu’en France, César du meilleur documentaire 2016. Nous ne pouvions espérer
meilleur préambule à ce manuel! Celles et ceux qui ont vibré en voyant Demain
trouveront dans ce livre les moyens concrets de construire autour d’eux ce nouveau
monde auquel ils aspirent. Tous pourront engager leur propre métamorphose.
Quel impact avez-vous sur la planète?

NOUS VOUS PROPOSONS ICI QUELQUES TESTS ludiques à effectuer pour évaluer
l’impact de vos activités personnelles ou collectives sur la planète.
L’objectif est de prendre conscience de cet impact pour tenter de le limiter,
bien sûr.

CALCULEZ VOTRE BILAN CARBONE ET VOTRE EMPREINTE


ÉCOLOGIQUE

Quelle est la surface de votre logement? Combien de kilowatts/heure


d’électricité consommez-vous chaque année? Quel âge a votre
réfrigérateur?
Combien de kilomètres par an parcourez-vous avec votre voiture? En
transports en commun?
Combien de fois par semaine mangez-vous de la viande? Ou du poisson?
Quelle quantité de beurre et de fromage? Combien consommez-vous
de fruits et de légumes produits localement ou hors saison? Buvez-
vous de l’eau du robinet ou de l’eau en bouteille?

Quelle quantité de déchets ménagers évacuez-vous chaque semaine?


Quel est votre budget annuel pour les ordinateurs et les autres équipements
électroniques? Quel budget pour les chaussures et les vêtements?

Quelle quantité de viande ou de croquettes consomment vos animaux


domestiques?
Combien de semaines partez-vous en vacances au soleil?

Répondre à ce type de questions sur son logement, ses modes de


transport, son alimentation et ses autres produits de consommations est
riche d’enseignements. Prendre conscience de l’effet de nos modes de vie
sur la planète et sur le réchauffement climatique est un préalable pour
réduire notre bilan carbone et notre empreinte écologique. Qu’est-ce à dire?

Le bilan carbone

Le bilan carbone permet d’évaluer le volume de gaz à effet de serre


(notamment le CO2 ) émis par une personne ou un groupe au cours de leurs
activités afin de réduire leur impact sur le climat. La nature des énergies
utilisées (fossiles ou renouvelables) et la quantité d’énergie consommée
mettent en évidence la dépendance des personnes ou des groupes vis-à-vis
des énergies fossiles et leur vulnérabilité face à une (éventuelle) crise
énergétique. Très utile, donc!
Nous vous invitons à réaliser en ligne* votre bilan carbone! Un test
allant de quelques minutes à plus d’une heure selon les calculateurs:
www.bilancarbonepersonnel.org/ (quelques minutes)
www.coachcarbone.org/ (160 questions)

Il existe des calculateurs beaucoup plus complexes pour réaliser le bilan


carbone des entreprises, des collectivités…

L’empreinte écologique

La notion d’empreinte écologique émerge au sein du Club de Rome dans les


années 1970 et s’impose dans le public lors de la conférence de Rio
(Sommet de la Terre) en 1992.
L’empreinte écologique révèle l’influence des activités humaines sur
l’ensemble des ressources naturelles (surexploitation des sols, de l’eau, des
forêts, de la faune et de la flore terrestre et aquatique), à la différence du
bilan carbone qui s’intéresse à l’effet de ces activités «seulement» sur le
climat. L’empreinte écologique confronte la pression des activités humaines
à la «biocapacité» de la Terre à se régénérer (à reconstituer ses ressources et
à absorber les déchets produits par les humains). Les ressources de la
planète sont limitées et la population augmente. Si je consomme plus que la
part arithmétique de ressources naturelles qui me revient, si je consomme
plus vite que ce que la nature peut reconstituer, si je produis plus de déchets
que ce que la planète peut assimiler, alors j’altère le capital naturel,
j’accapare le bien commun, j’empiète sur la part de mes contemporains et
sur celle des générations à venir.
L’empreinte écologique s’applique à toutes les échelles: individu, ville,
pays ou humanité. Elle se traduit en équivalent «hectares» et en équivalents
«planètes»: «Combien de planètes faudrait-il si tout le monde vivait comme
moi?»
Quelques exemples de calculateurs en ligne proposés en zone
francophone**:

QUÉBEC:

www.mddelcc.gouv.qc.ca/jeunesse/jeux/questionnaires/Empreinte/Ques
tionnaire.htm

FRANCE: www.cite-
sciences.fr/archives/francais/ala_cite/expo/tempo/planete/portail/labo/e
mpreinte.html
SUISSE: www.wwf.ch/fr/agir/vivre_mieux/calculateur_d_empreinte/

BELGIQUE (version expresse):


http://calculators.ecolife.be/fr/calculator/calculez-votre-
empreinte%C3%A9cologique?
lang_select=1www.footprintnetwork.org/fr/index.php/GFN/page/calcul
ators/

Nous consommons les ressources d’une planète


et demie: cherchez l’erreur!
Une fois soustraite de la surface du globe la superficie des océans, des déserts et
des montagnes, une fois ménagée la place nécessaire aux autres espèces animales,
il reste en moyenne un hectare et demi de terres biologiquement productives, ou trois
terrains de football (soccer), pour chacun.e des sept milliards d’individus
contemporains. C’est peu pour répondre aux besoins d’une personne pendant toute
sa vie (eau, nourriture, espace vital, matériaux pour produire tous les équipements
dont elle aura besoin, vêtements, transports…). D’autant que cette part se réduit au
fur et à mesure que la population augmente. La Chine, les États-Unis, l’Inde, le Brésil
et la Russie pèsent à eux seuls pour 50% dans l’empreinte écologique mondiale.
Si rien ne change dans nos modes de vie (mais c’est en train de changer!), en
2050, l’humanité aura besoin de l’équivalent de trois planètes pour répondre à ses
exigences, transformer ses déchets et résorber ses pollutions. Les intérêts de cette
dette écologique seront très lourds pour l’alimentation, la santé et le porte-monnaie
de nos petits-enfants. Il est urgent d’adopter un mode de vie compatible avec les
ressources limitées de la planète.
RÉDUISEZ VOTRE BILAN CARBONE ET VOTRE EMPREINTE
ÉCOLOGIQUE

Ce livre tout entier poursuit cet objectif! Les résultats aux tests de bilan
carbone et d’empreinte écologique sont souvent surprenants – et stimulants.
En mettant en évidence les postes les plus lourds, écologiquement parlant,
dans nos modes de vie, ces tests nous encouragent à chercher comment
améliorer les résultats.
Nous vous suggérons de faire ces deux tests une première fois avant de
lire ce livre. Puis une seconde fois quelques mois plus tard, lorsque vous
aurez amorcé votre transition, intégré quelques principes de sobriété
énergétique et de mutualisation de vos ressources. La progression sera
étonnante!
* Les logiciels spécialisés sont beaucoup plus adaptés que le format papier pour faire rapidement de
tels calculs.

** Vous trouverez en ligne des calculateurs adaptés à la région du monde où vous vivez.
1 Des clés
pour aborder la permaculture humaine
Définitions et fondements de la permaculture
classique
Je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout,
non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les
parties.

– Blaise Pascal (1623-1662)

LA PERMACULTURE HUMAINE REPREND les principes de la


permaculture telle que définie par les fondateurs Bill Mollison et David
Holmgren dans les années 1970 et les applique plus spécialement au terreau
humain. Quelques clés permettent de comprendre le sens de cette
transposition et de l’effectuer avec succès.

Les permaculteurs débutants aimeraient entendre une définition simple du


concept de permaculture. Or, il serait réducteur de l’enfermer dans une
seule définition tant elle englobe des pratiques et des domaines variés.
Disons dans un premier temps que la permaculture est une approche
systémique qui permet de créer des écosystèmes viables en s’inspirant des
lois de la nature. D’abord envisagée dans son application agricole, elle a
évolué pour s’intéresser plus largement à la culture, incluant les dimensions
sociales et économiques. C’est un mélange de sagesse ancestrale et de bon
sens, enrichi de découvertes scientifiques. La permaculture apporte une
compréhension globale et des solutions locales qui limitent l’impact des
activités humaines sur la planète.

La permaculture s’inspire du fonctionnement des écosystèmes naturels, des


ensembles dynamiques d’organismes vivants qui interagissent entre eux et
avec le milieu dans lequel ils vivent, et qui échangent de l’énergie et de la
matière pour maintenir et développer la vie. Tout écosystème est appelé à
évoluer, à se transformer, à s’ajuster aux changements extérieurs par un
processus d’adaptation. Sinon, il est voué à disparaître! L’interrelation de
tous les écosystèmes imbriqués les uns aux autres depuis la nuit des temps
permet à la vie de subsister et de se renouveler. C’est ainsi que l’immense
puzzle qu’est notre planète Terre, dont chaque pièce est un écosystème
complexe, se perpétue depuis environ 4,5 milliards d’années. Ces
écosystèmes se sont élaborés, affinés et perfectionnés pour permettre la
propagation des espèces et assurer leur continuité. Les écosystèmes sont
d’autant plus dynamiques et féconds qu’ils sont liés à une grande diversité
d’espèces, chacune stimulant et renforçant les autres par des interactions
positives.

La permaculture s’inspire des lois qui régissent les écosystèmes naturels


pour organiser les activités humaines de façon aussi harmonieuse que
possible. Cette approche propose la création d’un design durable, viable,
qui tienne compte de toutes les strates de l’écosphère et qui veille à
multiplier les interactions entre les systèmes créés. Le permaculteur et la
permacultrice sont invité.es à porter leur attention sur les ressources
naturelles – faune, flore, eau, sols, vent, soleil – mais aussi sur l’économie,
sur l’agriculture, sur l’urbanisme ainsi que sur les relations et sur les
échanges entre les individus. On peut résumer l’esprit de la permaculture en
disant, avec ses fondateurs, qu’elle cherche à prendre soin de l’être humain
et de l’environnement, tout en régénérant la vie, en favorisant l’abondance
et le partage.

Les trois piliers de la permaculture

LE DESIGN, UN OUTIL DE CONCEPTION EFFICACE

Le mot design, emprunté à l’anglais, s’est imposé dans le jargon de la


permaculture, même francophone. Il évoque dans ce contexte un ensemble
de pratiques destinées à concevoir, à planifier, à aménager, à structurer un
espace, un projet, un groupe, des relations ou des organisations afin de les
rendre féconds et durables.

Dans la nature, les espèces s’adaptent à leur environnement. Chez les


humains, il en va autrement. Dans le monde industriel fondé sur l’idée que
la croissance économique est infinie, l’éducation s’est donnée pour mission
de rendre les gens efficaces en termes de production et de consommation.
Les écoles et les universités enseignent des méthodes de travail, des
techniques, des contenus pédagogiques adaptés à cet objectif. Les diplômes
valorisent les élèves qui entrent dans ce moule, laissant les autres de côté.
De la même façon, l’humain intervient sur l’environnement pour qu’il
réponde aux besoins fixés par la société – quitte à défier les lois
fondamentales de la nature. Nous façonnons les paysages à notre guise,
sans grand égard pour les formes de vie préexistantes, sans connaître ni
nous soucier des conséquences à long terme de ces actes.

La permaculture invite au contraire à prendre en compte à la fois les


besoins fondamentaux des humains et ceux de l’environnement dans la
perspective d’un bien-être général à long terme. L’intervention humaine
consistera à créer des systèmes en synergie et en harmonie les uns avec les
autres, en respectant les lois de la nature et les éléments d’origine du lieu.
Le permaculteur s’efforce d’intervenir le moins possible sur l’écosystème
étudié, de valoriser tout ce qui est porteur de vie. Il transforme ce qui peut
l’être et n’apporte de l’extérieur que le minimum d’éléments. C’est
pourquoi chaque design ne peut qu’être unique. On pourra s’inspirer de
connaissances acquises ou d’une réalisation connue, mais chaque design
sera particulier à chaque situation.

LES FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES

La permaculture repose sur l’idée que la nature est spontanément


abondante, que la vie se perpétue d’elle-même, indéfiniment, par
l’interrelation de toutes ses formes existantes. Ainsi une forêt détruite par le
feu peut se reconstituer grâce à l’interaction avec d’autres systèmes vivants
capables de la faire renaître. Comme toute espèce vivante, l’espèce
humaine a un rôle spécifique à jouer; l’être humain est doté d’une capacité
singulière à créer, à agir de façon délibérée et réfléchie – pour le meilleur et
pour le pire. Cette liberté lui confère une grande responsabilité. En faire
bon usage suppose beaucoup de sagesse et d’intelligence. Or, l’Homo
sapiens, apparu il y a seulement 200000 ans sur une planète vieille de 4,5
milliards d’années, commet depuis quelques décennies de sérieuses erreurs
de jeunesse: en exploitant les ressources humaines et naturelles pour
satisfaire des intérêts particuliers à court terme, l’«Homo industrialis»
menace l’équilibre et la pérennité du système Terre. La permaculture est
une invitation – parmi d’autres – lancée à l’homme moderne pour l’aider à
retrouver la sagesse. La nature et l’efficacité de ses mécanismes de
régénérescence offrent l’exemple à suivre: c’est le biomimétisme. En
restaurant les équilibres des écosystèmes naturels grâce aux outils de la
permaculture, l’humanité pourra retrouver petit à petit sa juste place dans
l’univers.

L’ORIGINE ET L’ÉVOLUTION DU MOT PERMACULTURE

Le concept de permaculture a été inventé en Australie, dans les années


1970, pour faire face à la crise climatique majeure qui sévissait déjà alors.
Le mot est né de la contraction entre «permanent» et «culture». En anglais,
«permanent» contient, dans ce contexte, l’idée de durabilité plutôt que de
permanence dans le temps. «Culture» évoque, en anglais comme en
français, à la fois la culture des sols et la dimension culturelle. Dans ce
livre, nous entendrons la culture dans son sens le plus large: culture des
sols, culture de soi, cultures humaines; de même que nous parlerons de la
nature aussi bien en termes d’environnement que de «nature humaine».

La permaculture n’a rien inventé! De tout temps, bien avant que le mot
«permaculture» existe, les Peuples Premiers prenaient «soin de l’homme et
de l’environnement en générant l’abondance dans un esprit de partage»!
Depuis des décennies, un peu partout dans le monde, des personnes ou des
groupes éclairés entretiennent la flamme, redonnent vie et crédit à des
pratiques ancestrales qui avaient disparu, étouffées sous les feux de l’ère
industrielle, en les enrichissant de l’apport des plus récentes découvertes
scientifiques. Ces démarches qui intègrent, dans une vision à long terme, le
respect de l’être humain et de l’environnement convergent vers le même
but que la permaculture. Selon leur domaine d’application, elles se
nomment agroécologie, agroforesterie, biodynamie, biomimétisme,
sociocratie, économies alternatives, alliances citoyennes, architecture
vernaculaire, bioélectronique, cercle de paroles…

Dans ce livre, le mot «permaculture» englobe l’ensemble des activités qui


appliquent et imitent les lois naturelles des écosystèmes pour créer une
dynamique de vie, quel que soit le domaine d’application.
L’héritage des fondateurs

Deux Australiens, considérés comme cofondateurs de la permaculture, ont


contribué à la propagation de ce mouvement à l’échelle mondiale.

BILL MOLLISON (1928-2016) – Nous saluons avec gratitude la


mémoire de ce fondateur de la permaculture, dont nous apprenons le décès,
à la fin septembre 2016, alors que nous bouclons ce livre. Il est chargé de
cours au Département de psychologie environnementale de l’Université de
Tasmanie lorsqu’il rencontre le jeune David Holmgren. Ils publient
ensemble, en 1978, Permaculture One (Transworld Publishers), fruit de
leurs échanges sur les liens entre l’agriculture, l’aménagement du paysage
et l’écologie; une vision que Mollison avait résumée sous le terme
permaculture dès 1974. En 1978, Mollison crée la communauté Tagari à
Stanley, en Tasmanie, établissement de 28 hectares qui parvient à
l’autosuffisance. En 1979, il crée le premier Institut de formation à la
permaculture et il publie Permaculture Two: Practical Design for Town and
Country in Permanent Agriculture (Tagari Publications1). En 1988,
Mollison publie Permaculture: A Designer’s Manual et, en 1991,
Introduction to Permaculture (révisé en 1997)2.

Mollison propage également la permaculture en donnant des formations


intensives de 72 heures à travers le monde, formations qui deviendront le
standard international des cours de design en permaculture. Il définit
quelques principes pour réaliser un design. Plusieurs sont devenus des
slogans chez les permaculteurs:

Travailler avec la nature plutôt que contre elle.

Prévoir l’efficacité énergétique.

Les seules limites sont celles de notre imagination.

La diversité est la base de la résilience.


Chaque élément doit remplir plusieurs fonctions.

Chaque fonction est remplie par plusieurs éléments.

Faire le plus petit effort pour le plus grand changement.

Le problème d’un élément est la solution d’un autre élément.

Prendre la responsabilité de sa vie, maintenant.

Mollison met en évidence le fait que la solidité et l’efficacité d’un système


proviennent de la qualité et du nombre de ses interconnexions: par
exemple, si l’un de ses éléments défaille ou dysfonctionne, c’est qu’il lui
manque un autre élément. Mollison propose donc d’introduire un nouvel
élément dans le système pour régler le désordre. Il a reçu le prix Nobel
alternatif en 1981.

DAVID HOLMGREN (1955) – En 1978, il publie avec Bill Mollison


Permaculture One. Il expérimente et précise la démarche permaculturelle
dans la ferme de sa mère, puis dans la sienne propre. En 2002, il définit 12
principes qui fondent, selon lui, une société soutenable et publie
Permaculture: Principles & Pathways Beyond Sustainability3, basé sur
25 années d’expérience. Holmgren fait le pari que la consommation
énergétique va décroître après le pic pétrolier. Sa vision a inspiré Rob
Hopkins et le mouvement des Villes en Transition. Holmgren donne des
«cours certifiés de design en permaculture» depuis 1991. Il a contribué à
fonder l’écovillage australien de Fryers Forest, où vivent 11 familles.
L’application des principes de la permaculture a permis de restaurer ce site
de 120 hectares dévasté par l’exploitation d’une mine d’or, notamment en
développant la forêt et en stockant des réserves d’eau. Holmgren travaille
également à la restauration des banlieues.

POUR EN SAVOIR PLUS: Holmgren Design. Permaculture-Vision-


Innovation, https://holmgren.com.au/.
En réalité, ces trois piliers de la permaculture interagissent de façon
vertueuse: si je prends soin de la Terre, les humains en bénéficient par une
meilleure qualité de vie. Si je prends soin de la Terre et des personnes,
l’abondance générée pourra être partagée équitablement. L’équité motivera
les personnes à prendre soin des autres et de la Terre, etc.

Toutes les espèces vivantes évoluent et participent au mouvement de la vie.


L’éthique de la permaculture met en évidence la place particulière de l’être
humain dans la création et son rôle dans la co-construction du monde. Elle
contribue à éclairer le sens de notre présence sur la Terre.

LES PRINCIPES DE LA PERMACULTURE DÉFINIS PAR DAVID


HOLMGREN

L’illustration de l’«homme maison» (ci-dessous), inspirée du dessin qui


figure sur le site de David Holmgren, représente la position juste de
l’humain dans l’univers. La personne et son habitat sont harmonieusement
connectés à l’environnement. Il appartient à chacun.e, selon Holmgren, de
devenir un.e citoyen.ne responsable et d’apporter sa contribution à la
construction d’un monde durable, sans attendre que les solutions arrivent
toutes faites, d’en haut.

L’éthique de la permaculture

Pour respecter l’éthique de la permaculture, le permaculteur s’engage


à:

Prendre soin de la Terre

Prendre soin, c’est protéger, témoigner attention, respect et gratitude. Ce


point concerne ce qui vit dans toutes les strates de l’écosphère: la vie du sol
et du sous-sol, les micro-organismes, ce monde invisible à l’œil nu, le plus
peuplé et oublié; l’eau sous toutes ses formes, la vie aquatique et sous-
marine; l’atmosphère, l’air et les composants gazeux nécessaires à la vie;
les planètes qui influencent la vie sur Terre, ainsi que les réalités invisibles
– selon les croyances de chacun.

Prendre soin de l’humain

Veiller à ce que chaque personne, dès son enfance, ait les conditions pour
vivre, grandir, évoluer en conscience, épanouir son être dans toutes ses
dimensions et réaliser ce pour quoi elle est née. Veiller à ce que chaque
individu ait accès à l’abondance inhérente au principe de vie. Organiser le
travail de façon à ce que l’être humain ait à peiner le moins possible pour
produire les biens dont il a besoin.

Partager équitablement les ressources, redistribuer les surplus

Comme notre planète a des ressources limitées et abrite une population


humaine en forte croissance, la permaculture encourage la sobriété dans la
production et la consommation. Elle appelle au partage équitable des
ressources naturelles et des biens. Elle invite à trouver un juste équilibre
entre les besoins de chacun.e – présents et à venir – et ceux des autres
organismes vivants (humains, animaux, végétaux).

Les douze principes de la permaculture

Observer et interagir

Capter et stocker l’énergie

Obtenir une récolte, une production de richesse

Appliquer l’autorégulation et accepter les réactions

Utiliser et valoriser les ressources et les services renouvelables


Éviter la production de déchets

Concevoir le design d’ensemble avant d’en venir aux détails

Intégrer plutôt que séparer

Adopter des solutions modestes et lentes

Favoriser la biodiversité

Repérer et valoriser les «effets bordures»

Réagir aux changements de façon créative


L’apport de la permaculture humaine
COMME TOUT CE QUI EST «VIVANT», la permaculture évolue.
Aujourd’hui, les pionniers du changement aspirent à transformer leur vie
dans toutes ses dimensions, pas seulement dans le travail de la terre. Ils
cherchent des pistes de solution. Le contexte actuel n’est plus celui des
années 1970 qui a vu naître la permaculture. Le mouvement s’adapte aux
exigences du temps présent pour contribuer à la nouvelle conscience qui
émerge, pour faciliter la transition vers la nouvelle humanité qui point. Il
nous faut donc aller plus loin: intégrer le facteur humain dans le processus
de design. Nous portons en nous l’énergie créatrice qui anime toutes les
strates de la vie. Permacultivons nos vies tout entières! Bill Mollison lui-
même terminait son ouvrage Permaculture 2 en affirmant: «La véritable
sécurité réside en nous-mêmes, la meilleure assurance est celle constituée
par la présence de bons amis et de bons voisins, et dans la possibilité de
vivre dans une société qui ait un sens.»

Le livre que vous avez entre les mains apporte des clés pour mener à bien
les premières étapes du processus de transformation. D’autres apparaîtront
au fil des expériences et des besoins.

DEVENIR PERMACULTEUR

Avant de changer le monde, il convient de se changer soi-même! En effet,


tout changement de comportement et de pratique est le fruit de
transformations intérieures. Pour s’intégrer dans son écosystème, le
permaculteur cherchera d’abord à définir son propre rôle – sa «niche»,
selon la définition proposée par le biologiste George Evelyn Hutchison à la
fin des années 1950 et utilisée en permaculture. Chaque être humain fait
pleinement partie du mouvement de la création. À ce titre, chacun.e a un
rôle spécifique à jouer dans le grand puzzle de l’humanité. Découvrir ce
rôle donne un sens à sa vie, un sentiment d’être à sa place, associé à la
création permanente du monde. Cette découverte suppose souplesse et
ouverture d’esprit, une transformation profonde de nos schémas de pensée,
une déprogrammation progressive de nos habitudes… ce qui peut prendre
un peu de temps! Les étapes du design présentées dans ce livre vont aider
chacun.e à transformer sa vie dans différentes dimensions de façon à
s’intégrer à son écosystème de manière productive et réjouissante.

Le permaculteur éclairé trouvera mille occasions pour affiner cette


transformation personnelle et mettre ses talents au service de son
environnement: développer la fonction créative de l’hémisphère droit de
son cerveau; améliorer et enrichir son milieu par sa simple présence; limiter
sa consommation et utiliser les ressources de façon modérée; isoler son
logement, préférer des habitats construits avec des matériaux locaux,
biodégradables; participer à l’émergence de l’habitat groupé et partagé;
contribuer à l’accès de tous à l’eau potable, prendre soin de la retourner
purifiée après usage; favoriser la production d’une nourriture saine et
locale, l’accès de tout le monde à la nature, à la terre, aux soins; protéger
les terres agricoles menacées par l’étalement urbain et la bétonisation;
promouvoir les énergies renouvelables; limiter la production de déchets et
favoriser le recyclage; soutenir le développement des monnaies
alternatives; s’autoriser à exprimer son rôle dans un emploi adéquat;
promouvoir l’égalité sociale; adapter sa ville, son quartier, son village, à la
Transition; favoriser le travail en équipe; promouvoir et utiliser des modes
de transport «doux» (écologiques) et collectifs; multiplier les occasions de
rencontres intergénérationnelles; exercer son droit à la différence, à la
liberté de pensée et d’action; préserver des zones vierges de toute action
humaine; promouvoir la biodiversité des espèces naturelles; favoriser la
pluralité à tous les niveaux pour augmenter l’efficacité des systèmes;
préférer l’interdépendance à l’autosuffisance; prendre conscience que
toutes les espèces vivantes ont une valeur et un rôle intrinsèques; créer
l’harmonie et la coopération; éviter la compétition; éduquer les enfants en
les aidant à devenir eux-mêmes; adopter un mode de vie sobre, orienté vers
l’être plutôt que l’avoir, un mode de vie générateur de joie…

Quel que soit le domaine dans lequel on les applique, les principes de la
permaculture augmentent l’efficacité des systèmes. Ils génèrent une
dynamique et une abondance des richesses disponibles, y compris
humaines. Grâce à la stimulation de l’hémisphère droit de notre cerveau,
siège de la créativité et de l’intuition, l’action juste surgira spontanément,
inspirée par notre nature profonde, elle-même intimement reliée au tout.
Nous présentons ici plusieurs facettes de cette discipline, sans prétendre
aucunement à l’exhaustivité. Ce livre a pour ambition de faire découvrir
une démarche riche et créative. Chacun.e pourra ensuite l’approfondir selon
ses priorités et ses goûts.

PRÉCISION DE LANGAGE: La permaculture est une vision, une


approche appliquée à un écosystème, une philosophie, et non une
technique. Ainsi, on «applique la vision ou les principes de la permaculture
au jardin ou à l’entreprise», on «développe une approche permaculturelle
de la ville». En revanche, on ne peut pas faire un jardin ou dessiner un plan
«en permaculture», comme on l’entend pourtant régulièrement, pas plus
qu’on ne peut faire une maison «en architecture»! L’idée est répandue dans
les pays francophones que la permaculture est une technique agricole. Cette
vision réductrice vient d’une traduction limitée de l’anglais, qui prive le
concept de son sens profond.
Changer le monde en commençant par soi-
même
COMMENT POURRIONS-NOUS CHANGER le monde extérieur sans
d’abord (ou en même temps) transformer notre terrain intérieur? Le facteur
humain, ce n’est pas seulement «les autres», c’est d’abord soi-même. Se
changer soi-même? Toute une aventure! Changer est le plus souvent une
chose que les événements de la vie nous imposent. Décider de se changer
soi-même est un acte de courage. Il s’agit d’associer les deux hémisphères
de notre cerveau de façon à ce qu’il nous guide vers une attitude juste, plus
personnelle.

Un changement durable, profond, assumé ne peut aller que de l’intérieur


vers l’extérieur. Il nous enracine alors dans notre dimension profonde, dans
notre relation avec ce qui est «plus grand que soi», dans nos relations avec
les autres et la société.

Comment amorcer ce changement intérieur? Laissons se déployer notre


«zone 00» (prononcez «double zéro»)! La zone 00 est une «invention»
récente dans l’histoire de la permaculture. Les premiers permaculteurs
avaient défini cinq zones et secteurs concentriques, depuis l’habitat (zone
0) jusqu’à la nature sauvage (zone 5) de façon à économiser les
déplacements de la vie quotidienne. Au fil du temps, il est apparu qu’il était
impossible de ne pas prendre en compte la singularité des habitants eux-
mêmes: leur «niche», leur sensibilité, leurs besoins profonds. C’est ainsi
qu’est apparue la zone 00, qui représente la réalité la plus intime de chacun.
Une zone qui s’inspire de l’observation de la zone 5, intouchée ou rendue à
la nature. Cette zone 5 peut inspirer mes attitudes dans tous les domaines:
la création de mon habitat, mes choix alimentaires, mes projets… C’est à
partir de cette zone 00 que se forme le germe du changement, celui qui
permet de retrouver l’harmonie avec le mouvement du monde et de faire de
soi un humain accompli.
Légende du colibri

Un jour, raconte la légende amérindienne, un immense incendie se déclare


dans la forêt. Tous les animaux, terrifiés, fuient le désastre. Seul le colibri,
le plus petit oiseau de la forêt, s’active. Il fait des allers-retours incessants
entre une mare et le brasier, rapportant chaque fois quelques gouttes d’eau
dans son minuscule bec. Agacé par cette agitation dérisoire, le tatou lui
lance: «Colibri! Tu es fou! Tu ne crois pas que tu vas éteindre le feu avec
ces quelques gouttes d’eau! Fuis avec nous!

– Tout seul, je n’éteindrai pas l’incendie, mais je fais ma part», répond le


colibri.

LA CONTAGION PAR L’EXEMPLE

Comme le rappelle la légende amazonienne du colibri, rendue célèbre en


France grâce à Pierre Rabhi, le changement est contagieux: d’individu à
individu, l’exemple se propage à un groupe puis à une société tout entière.

Depuis toujours, des hommes et des femmes innovent en introduisant de


nouvelles façons de faire en matière d’art, d’architecture, de technologies,
de gestion des ressources naturelles… Ces innovations ont eu des
répercussions sur l’ensemble de l’humanité, souvent bien au-delà de leur
environnement géographique immédiat. Ainsi, en travaillant à mon
évolution personnelle, je contribue à l’évolution globale. Je redeviens partie
du tout, en lien avec les autres membres de l’humanité.

QUOI TRANSFORMER ET COMMENT?


Si le contexte dans lequel je vis m’incite à l’immobilisme (c’est souvent le
cas pour qui vit dans un cadre sécurisant), je peux délibérément choisir de
construire les conditions propices au changement. L’exercice de ma liberté
humaine peut même m’amener à prendre des risques pour chercher le sens
profond de ma vie. Cela suppose de:

SORTIR DU DÉNI: ma vie actuelle ne me satisfait pas pleinement?


Je rêve d’autre chose? La survie n’est pas la vie. Regardons les choses
en face.

OSER ÊTRE SOI-MÊME: accepter d’être différent, unique.

DÉPASSER LES SOLUTIONS SIMPLISTES: prendre le temps de


rechercher, voire d’inventer des réponses adaptées à ma situation
particulière. Sortir des solutions «copier-coller».

RESTER POSITIF, CRÉATIF, CONFIANT: je fais de mon mieux,


avec patience. Avec le temps et grâce aux occasions qui ne
manqueront pas de se présenter si je suis déterminé, je vais réussir ma
transition, c’est certain.

CÉLÉBRER LA VIE! Chaque jour offre un motif de réjouissance, si


petit soit-il. Être à l’affût de ces petits (et grands) bonheurs aide à
accueillir l’inattendu et à découvrir le sens et les potentiels qui s’y
cachent.

Principe de permaculture n° 1
Observer et interagir

QUAND COMMENCER LE PROGRAMME?

C’est aujourd’hui le moment favorable, à la fois pour vous engager sur


votre chemin personnel et pour participer au grand mouvement de la
transformation globale! Une fois que vous aurez intégré ces préalables, les
étapes du design vous guideront pas à pas pour construire la seule vie qui
puisse vous satisfaire pleinement: la vôtre!

SEPT MILLIARDS D’INDIVIDUS UNIQUES

Le besoin d’être reconnu et aimé nous amène souvent à nous conformer à


ce que l’on imagine que les autres attendent de nous. Oser être soi-même,
c’est s’autoriser à être différent, se permettre d’exprimer qui l’on est par le
biais de sa «niche», dans sa totalité, sans crainte d’être rejeté. Dans notre
société formatée, seuls quelques «originaux» osent vivre selon leurs
aspirations profondes. Ils maintiennent vivante la flamme qui ouvre les
chemins de l’humanité nouvelle.

L’EXPÉRIENCE PERSONNELLE DE L’UNITÉ

La recherche de sens nous amène tôt ou tard à faire l’expérience de l’unité,


à prendre conscience que chaque humain est un élément du tout,
indissociablement connecté au flux de vie qui porte ce monde. Cette
expérience apporte un sentiment de plénitude qui encourage à dépasser tous
les obstacles pour continuer son chemin! Cette découverte spirituelle peut
se faire au cours d’une immersion dans la nature, à l’occasion d’une
émotion esthétique, dans la méditation, la prière…

Le changement qui en résulte est à la mesure de l’intensité de l’expérience.


Chacun.e trouvera alors les réponses qui lui conviennent, au fur et à mesure
de son évolution, selon ses valeurs, éventuellement selon la «sagesse» ou la
tradition spirituelle dont il/elle se sent le plus proche.
Retrouver notre appartenance profonde à la
nature
«L’HOMME EST UN ABRÉGÉ DE L’UNIVERS», assurait le chercheur
et philosophe Jean-Marie Pelt, dans la lignée de la physique quantique et de
traditions anciennes. Notre appartenance à la nature est inscrite au plus
profond de chacune de nos cellules. La nature est notre nature! Si l’on
transposait l’histoire de la vie sur Terre (3,8 milliards d’années) à l’échelle
de la vie humaine, on pourrait dire que la vie est apparue il y a 38 ans, les
premiers humains il y a 4 mois (400 000 ans), l’Homo sapiens il y a 2 mois
(200 000 ans) et la société de consommation, 1 minute (60 ans)! Les
contemporains que nous sommes sont donc un peu jeunes pour prétendre
réinventer le monde à leur guise! Il serait sans doute plus sage de s’appuyer
sur l’expérience millénaire de la vie. Les erreurs ne font-elles pas partie de
l’apprentissage?

Depuis quelques siècles, l’humanité croit qu’elle est souveraine, qu’elle


peut (et doit) dominer le monde, que notre liberté consiste à nous affranchir
des lois naturelles qui nous façonnent. Nous avons oublié que nous faisons
partie intégrante de cette nature. La détruire, c’est aussi nous détruire. Se
séparer d’elle, c’est perdre le sens profond de notre présence sur Terre.
Résultat: l’être humain se sent exilé et cherche par toutes sortes de moyens
– souvent illusoires – à retrouver le véritable sens de la vie, en harmonie
avec le tout.

«La Terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la


Terre. Toutes les choses sont liées. Ce qui arrive à la Terre arrive aussi aux
fils de la Terre. L’homme n’a pas tissé la toile de la vie, il n’est qu’un fil du
tissu. Tout ce qu’il fait à la toile, il le fait à lui-même.» Cette déclaration,
que l’on prête au chef indien Seattle (discours supposé de 1854 devant le
premier gouverneur du territoire américain de Washington), porte le germe
de la conscience qui se développe aujourd’hui.

Correspondance entre une horloge et l’âge du temps

Si nous acceptons l’idée que notre planète est vivante, on comprend que
chaque élément de son «corps», chaque personne, a un rôle spécifique à
jouer. Reste à trouver lequel et à le mettre en œuvre. La complexité des
relations entre les éléments naturels permet au système de rester en
équilibre et en bonne santé. Les éléments non intégrés ou inutiles
disparaissent. Comme le rappelle le philosophe franco-britannique Edward
Teddy Goldsmith, fondateur de la revue The Ecologist4: «Pour que
l’écosphère conserve sa stabilité, tous les êtres vivants qui la composent
doivent obéir à une véritable hiérarchie de lois qui, à elles toutes, forment
les lois de la nature.» Seul problème, l’humanité moderne perturbe, par son
mode de vie, cet ordre: «C’est l’incapacité de l’homme contemporain à
respecter les contraintes protégeant l’intégrité et la stabilité des divers
systèmes sociaux et écologiques qui déclenche leur déstabilisation et leur
désagrégation.» Certes, reconnaît Goldsmith, «on peut enfreindre les lois
gaïennes, mais il faut en payer le prix». Et cela peut même se solder par la
mort du système…

Et si l’humanité apprenait à se positionner comme un partenaire de la


nature, associé à l’évolution, à la co-création du monde… Ce manuel de
permaculture est là pour aider chacun.e à se laisser conduire, voire inspirer
par l’intelligence naturelle, oubliée, refoulée au fond de nous. Ce n’est pas
d’un apprentissage que nous avons besoin, mais plutôt d’une sorte de
désintoxication, pour sortir du formatage qui a étouffé notre véritable
identité. Bonne nouvelle: dans des circonstances favorables, nos potentiels
endormis ne demandent qu’à s’éveiller. Notre liberté consiste aujourd’hui à
retrouver en nous l’énergie créatrice qui porte toutes les strates de la vie, à
rejoindre le mouvement de l’évolution comme tous les autres êtres vivants
qui, eux, n’ont jamais cessé de coopérer avec la création – ils n’ont pas le
choix.
Principe de permaculture n° 4
Appliquer l’autorégulation
et accepter les rétroactions

MÛR POUR LE CHANGEMENT?

Si vous avez le sentiment confus d’un manque de sens dans votre vie, une
insatisfaction récurrente, si vous avez l’impression de courir et de ne jamais
arriver à destination, vous êtes mûr.e pour le changement. Pas question de
franchir le pas en réponse à quelque influence extérieure. Le signal viendra
(s’il vient!) de l’intérieur, du ras-le-bol face à votre situation actuelle. Petit
à petit, vous allez apprendre à déprogrammer vos habitudes, vos évidences,
vos comportements dysfonctionnels par rapport à la nature. Vous allez avoir
envie de simplifier ce qui peut l’être, par étapes, pour laisser place à un
équilibre dynamique et serein. «Celui qui a compris l’immense simplicité
des choses, celui qui a entendu la note unique sous le bruit universel, celui-
là possède le monde», affirmait le paléontologue, théologien et philosophe
Teilhard de Chardin. Encourageant!
La nature, un modèle à imiter
«LA NATURE, ÇA MARCHE – ce n’est pas comme l’économie!» On peut
dire que Jean-Marie Pelt, le célèbre botaniste, avait le sens de la formule.

Dans la nature, aucune entité n’est isolée du tout, nous rappelait-il lors de
notre rencontre à Metz. Tout est en relation avec tout. C’est le principe
d’associativité: des éléments simples s’associent jusqu’à former des entités
complexes qui présentent de nouvelles propriétés. Teilhard de Chardin dit
très bien que la complexité de la matière génère la vie, puis la complexité
de la vie génère la conscience, puis l’esprit. Mais justement, avec sa
conscience et sa capacité de liberté, l’homme – l’être le plus évolué de
l’univers – n’applique pas automatiquement le principe d’associativité.
L’homme moderne ne veut plus être soumis aux lois universelles. Il se voit
comme l’exploitant, l’exploiteur du monde, et non plus comme le jardinier.
Il idolâtre plus la technologie que l’écologie. Les contemporains, et surtout
les jeunes, connaissent le monde à travers l’écran de leur ordinateur. On a
perdu le sens de l’intuition: le cerveau droit est en punition dans le système
binaire informatique. La pensée moderne a par exemple du mal à admettre
que le tout est plus que la somme des parties. Il y a rupture d’équilibre entre
le micro et le macro. La vocation de l’Institut européen d’écologie (NDLR:
institut que Jean-Marie Pelt a fondé à Metz) est justement de réintroduire
l’homme dans le vaste système de la nature. La nature peut inspirer
utilement les modèles d’organisation sociale et économique de notre monde
moderne.

Principe de permaculture n° 7
Concevoir le design global
avant d’en venir aux détails

Or l’être humain moderne a oublié qu’il appartient au grand cycle de la vie.


Il invente des systèmes qui contreviennent aux lois de la vie et mettent en
péril son propre avenir. L’approche de la permaculture lui suggère
aujourd’hui de puiser dans les modèles de la nature l’intelligence de
rebondir, d’évoluer, de s’adapter. Il a tout à y gagner: l’épanouissement de
son identité profonde, le sentiment de plénitude d’être relié au tout, la
liberté d’être ce qu’il est. En imitant les formes de la nature, en s’inspirant
du fonctionnement des écosystèmes, l’humain exerce son pouvoir de
cocréer le monde.

De tout temps, de grands philosophes d’Orient et d’Occident ont adressé la


même invitation aux hommes. Lao Tseu déjà disait: «Connais l’unité et tu
connaîtras la totalité.» Conviction partagée par la Cabbale, la tradition
ésotérique du judaïsme: «Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas.»
Ou par Pascal dans ses Pensées: «Je tiens pour impossible de connaître les
parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans
connaître les parties […]. Le tout est plus que la somme des parties.» Des
artistes de génie comme Léonard de Vinci ou Gaudi ont également puisé
leur inspiration dans la nature. Plus récemment encore, dans son encyclique
Laudato si’5, le pape François rappelle aux humains leur appartenance à la
nature: «Nous oublions que nous-mêmes sommes poussière. Notre propre
corps est constitué d’éléments de la planète, son air nous donne le souffle et
son eau nous vivifie comme elle nous restaure.» Il poursuit, dans le chapitre
«Une écologie intégrale»: «Tout est intimement lié; les problèmes actuels
requièrent un regard qui tienne compte de tous les aspects de la crise
mondiale […]. Nous sommes inclus dans la nature, nous en sommes une
partie et nous sommes enchevêtrés avec elle. […] Il est fondamental de
chercher des solutions intégrales qui prennent en compte les interactions
des systèmes naturels entre eux et avec les systèmes sociaux. Il n’y a pas
deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une
seule et complexe crise socioenvironnementale. Les possibilités de solution
requièrent une approche intégrale.»

APPRENONS DE LA NATURE À «VIVRE AVEC GRÂCE»

Au XXe siècle, des scientifiques ont fait de l’imitation de la nature une


nouvelle discipline, aux applications très pratiques: le biomimétisme. Ce
concept a été défini par le chercheur américain Otto Schmitt puis développé
par la biologiste américaine Janine Benyus: «Vous avez un projet, un
problème? Observez la nature, elle vous montrera la solution», nous disent-
ils en substance. Janine Benyus s’émerveille «des génies qui vivent, avec
grâce, dans la nature». Elle s’émeut du «renouvellement, chaque année, du
miracle des saisons». «Qui saurait coordonner tant de complexité, tant de
beauté? […] Prenons conseil auprès de ces organismes et de ces
écosystèmes dans la conception de nos projets!» recommande-t-elle dans
une vidéo en ligne.

1-5-2

Correspondance entre le macro et le micro

Sa démarche part du principe que, quel que soit le défi auquel l’humain doit
faire face, au moins une autre espèce sur la planète a eu à affronter une
situation similaire. Au moins une espèce a mis en place, au fil de
l’évolution, des stratégies efficaces et durables, sans polluer, sans
consommer plus d’énergie qu’elle n’en dispose, sans émettre de gaz à effet
de serre. L’être humain a tout intérêt à s’inspirer de ces solutions qui ont
fait leurs preuves pour créer des organisations, des produits ou des services
performants et pérennes. Et, plus généralement, pour apprendre à vivre lui
aussi «avec grâce», durablement et en bonne intelligence avec les autres
espèces vivantes. Le Biomimicry 3.8 Institute6, créé aux États-Unis par
Janine Benyus et son équipe, forme des jeunes, des étudiant.es et des
professionnel.les à cette approche. Il met également en ligne gratuitement
une base de données pour faciliter et mutualiser les inventions inspirées de
la nature: www.asknature.org. Le site est alimenté par les recherches
d’ingénieurs, de chercheurs, de techniciens et d’architectes qui travaillent
dans le sens du biomimétisme et de l’écoconception.

QUELQUES MALENTENDUS À LEVER SUR LES NOTIONS DE


HIÉRARCHIE ET DE CONCURRENCE…

Dans la nature, il n’y a pas de hiérarchie entre les espèces: c’est notre
vision anthropocentrique qui introduit une notion de hiérarchie. C’est nous
qui avons couronné le lion comme roi des animaux de la jungle. Bien sûr,
chaque espèce a un rôle défini, spécifique. Le rôle d’un charognard n’est
pas celui d’un insectivore ni d’un pollinisateur. Dans une ruche, le rôle
d’une ouvrière est différent de celui d’une reine, mais sa valeur n’est pas
moindre. L’écureuil s’abrite dans le noisetier qui le nourrit, puis il enterre
ses surplus de noisettes ici et là, dont il oublie une partie. C’est ainsi qu’à
son insu il se fait planteur d’arbres! Qui est le plus important? L’arbre dans
son rôle d’habitat et de producteur de nourriture ou l’écureuil qui assure la
postérité de l’arbre en plantant ses semences? Tous font partie d’un
ensemble complexe de fonctions qui permettent au monde de se perpétuer.
Il en va de même dans le règne végétal. La fonction du chêne n’est pas
«supérieure» à celle du roseau. L’humble mousse qui recouvre le sol de la
forêt, comme bien d’autres formes de vie, visibles ou invisibles à l’œil
humain, est aussi utile que les grands arbres.

Une coopération efficace s’observe au sein du règne animal et du règne


végétal ainsi qu’entre les deux. Les plantes légumineuses, par exemple,
fixent l’azote de l’air dans le sol, le transforment en nodules et en utilisent
une partie pour leur croissance. À leur mort, elles laissent une grande
quantité d’azote, qui est nécessaire à la croissance des autres plantes. De
même l’oiseau granivore est ainsi conçu qu’il ne peut digérer qu’une petite
quantité des graines qu’il picore. L’excédent, stimulé par les sucs gastriques
et enrobé de ses fientes, est ensuite relâché ici et là pendant qu’il vole,
assurant le développement de nouvelles plantes. «Les oiseaux sont les
acteurs désintéressés d’une grande partie de nos paysages», selon la belle
expression du jardinier, botaniste et auteur Gilles Clément.

… ET SUR LA NOTION DE COMMUNICATION

L’humain a la particularité de disposer du verbe, en plus du langage non


verbal. Cela lui permet d’élaborer sa pensée, d’exprimer ses émotions,
d’enrichir les échanges avec ses pairs et… de se confronter à eux.
D’accord, pas d’accord, j’ai raison, tu as tort… Dans sa lente évolution vers
la maturité, l’humain finira par comprendre que la variété des points de
vue, la diversité des expériences sont complémentaires et enrichissantes,
chacun.e apportant un éclairage sur la complexité d’une situation.
Principe de permaculture n° 8
Intégrer plutôt
que séparer ou diviser

1-5-3

Une même réalité peut apparaître sous des aspect divers. Tous sont justes et
complémentaires.

UN CHANGEMENT DE REGARD À OPÉRER

Nos sociétés ont tendance à négliger cette notion de complémentarité et à


survaloriser certaines fonctions au détriment d’autres: le travail des
ouvriers qui réalisent les routes est souvent disqualifié au profit du rôle des
ingénieurs qui les ont dessinées. Leurs fonctions sont pourtant totalement
dépendantes et complémentaires les unes des autres: que seraient les études
et les dessins des ingénieurs sans personne pour les concrétiser? Et sans
automobilistes pour en profiter!

Les écosystèmes sociaux inspirés de la permaculture visent l’intérêt


général, comme dans la nature. De la même façon que la permaculture
propose de restaurer les sols, appauvris par des décennies de traitements
inadaptés, la permaculture humaine propose aujourd’hui de restaurer le
terrain humain en s’appuyant sur ses potentiels oubliés et la résilience des
systèmes. De même que le sol est spontanément autofertile et porte des
fruits, l’humain est naturellement créatif s’il trouve les conditions
adéquates pour épanouir ses talents.

Parfois, l’être humain passe à côté de belles occasions. Imaginons que les
premiers Européens à avoir posé le pied en Amérique, plutôt que de
chercher à détruire la richesse des peuples autochtones, eussent accueilli
leur différence. Ils auraient contribué à la création d’un véritable Nouveau
Monde, fruit des expériences des deux cultures, bien plus riche que la
somme des deux: une civilisation à la fois respectueuse de la nature et
dynamique sur le plan technologique.

Plus près de nous, des expériences de complémentarité fonctionnent bien:


dans l’«agriculture soutenue par la communauté» (ASC au Québec, AMAP
en France), la conjonction des fonctions profite à tous. Le consommateur
paie d’avance au producteur ses paniers hebdomadaires de légumes et lui
donne, à l’occasion, des coups de main. Le producteur en retire une sécurité
financière, un soutien matériel et social. Les adhérents ont la satisfaction de
consommer des produits de qualité, bio et locaux, de soutenir une
entreprise, de faire partie d’un réseau. Tout le monde est bénéficiaire.

CLÉ DU SUCCÈS: Prendre le temps d’observer les modèles de la nature,


les imiter et les appliquer dans nos designs.
Le concept de niche écologique appliqué à
l’humain
UN ÉCOSYSTÈME NATUREL EST EFFICACE et pérenne si chacun de
ses éléments est à sa place, joue bien son rôle dans une interrelation
bénéfique avec un maximum d’autres éléments, créant ainsi de la vie et de
l’énergie. Il en est de même pour les groupes humains. La nouvelle
humanité se construira d’autant mieux si chacun.e a trouvé sa «niche», son
rôle, et fonctionne en harmonie et en complémentarité avec les autres.

LA NICHE ÉCOLOGIQUE DES PLANTES ET DES ANIMAUX

La notion de niche écologique a été définie par le zoologue anglo-


américain G. E. Hutchison en 1957. Cette notion définit à la fois la position
occupée par un organisme, une population ou une espèce dans un
écosystème et les conditions nécessaires à son existence. La niche englobe
l’habitat où l’espèce évolue, son régime alimentaire, ses rythmes
d’activités, ses zones de reproduction, ses relations avec les autres espèces,
ses stratégies pour assurer la survie du groupe et l’équilibre de son
écosystème.

Pour mieux faire comprendre la différence entre niche et habitat, l’écologue


américain Eugène Odum précisait en 1959: la niche d’une espèce est sa
profession, son habitat est son adresse. Par exemple, la niche de la
coccinelle est de contrôler la quantité de pucerons dans un milieu en les
mangeant. Toutes les coccinelles sont programmées pour exécuter cette
même tâche. Toutes perçoivent les pucerons à grande distance grâce aux
antennes performantes dont elles sont équipées. Leurs mandibules sont
ingénieusement conçues pour les ingérer. Leur vocation est infaillible.
Aucune coccinelle n’a d’autre mission. S’il n’y a pas de pucerons sur un
site, la coccinelle n’a aucune raison de s’y trouver. Sa faiblesse est d’être
une proie facile pour les oiseaux insectivores qui chassent sur les mêmes
territoires. Pour compenser cette faiblesse et la préserver de ses prédateurs,
pour assurer un design durable, la nature a inventé des parades: la
coccinelle dégage une substance qui repousse les oiseaux. Et son apparence
– des points noirs sur fond rouge – est inquiétante pour les oiseaux.

Chez les insectes sociaux comme les abeilles, les fourmis et les termites,
des groupes d’individus ont des fonctions complémentaires, utiles à leur
espèce tout entière. Chez l’abeille, par exemple, il y a les bourdons
reproducteurs, la reine pondeuse, les ouvrières qui occupent
successivement les rôles de soldates, de ventileuses, d’infirmières, etc. Leur
morphologie, voire leurs organes sont adaptés à ces fonctions particulières
dans la ruche, la fourmilière ou la termitière.

Dans la nature, toutes les espèces travaillent au bien commun, toutes


produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment, toutes contribuent à la
pérennité de l’écosystème. Même les parasites s’arrangent pour ne pas
détruire l’espèce dont ils tirent leur subsistance. Seule exception: l’humain!

L’HOMO SAPIENS, UNE ESPÈCE À PART

L’humanité dans son ensemble ne déroge pas à la règle: elle a bien un rôle
collectif à jouer dans le grand écosystème de la Terre, rôle que l’on pourrait
résumer en disant qu’il est de contribuer à l’évolution du monde en créant
de nouveaux écosystèmes.

Parmi les aspects qui différencient l’humanité des autres espèces animales,
un point nous intéresse particulièrement dans ce chapitre: en plus de son
rôle en tant qu’espèce, chaque personne humaine est dotée d’une identité
particulière qui a besoin de s’exprimer, de s’épanouir au fil du temps. Cette
identité personnelle n’est pas révélée d’emblée. Sa recherche amène (en
principe) chacun.e à tracer son propre chemin pour trouver sa place et
occuper sa niche personnelle. Cette recherche est laissée à l’initiative et à
l’appréciation de chacun. Elle relève de la liberté individuelle, attribut
exclusif de l’espèce humaine: liberté de choisir entre le meilleur et le pire
ou de ne rien choisir du tout. Cette exception dans le règne du vivant
complique singulièrement la tâche de l’humain. «Je te propose de choisir
entre la vie et la mort, entre la bénédiction et la malédiction. Choisis donc
la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance», exhorte Moïse
(Deutéronome 30,19). L’humanité a donc le pouvoir de choisir de cocréer
le monde… ou de le détruire.

Autre différence significative, l’humain est probablement le seul être vivant


à avoir conscience de son existence, de son individualité, de son unicité par
rapport aux autres individus de l’espèce; le seul capable de s’interroger sur
sa place dans le monde… et à avoir l’illusion d’être séparé des autres
humains et du monde; le seul à devoir accomplir un cheminement
personnel pour retrouver la conscience de faire partie du tout.

UNE NICHE INDIVIDUELLE À DÉCOUVRIR

Alors que le rôle des animaux et des plantes est inscrit dans leur
programme génétique, l’humain doit découvrir le sien. Dès le plus jeune
âge, certains enfants se révèlent hyper-sociaux, attentifs aux autres.
D’autres bâtissent des cathédrales avec des pièces de Lego. Les ingénieux
ont toujours des outils à portée de la main pour inventer quelque chose.
Certains naissent avec des facilités intellectuelles, capables de mémoriser
au-delà de la moyenne ou de tenir des raisonnements déconcertants.
D’autres ont des aptitudes scientifiques ou artistiques, une attirance pour le
commerce. On pourrait imaginer des systèmes éducatifs conçus pour aider
les enfants à prendre conscience de leurs dispositions naturelles et à
découvrir leur niche dès le plus jeune âge. Ce n’est pas le cas le plus
courant. Pour trouver son identité particulière et l’accomplir, chacun.e va
au contraire devoir s’extraire du moule dans lequel l’éducation l’a formaté.

Le processus de design va aider chacun.e à définir et à s’approprier sa niche


individuelle (4e et 5e étapes du design). Cette découverte procure souvent
un soulagement, voire une joie – la joie des retrouvailles. En effet, au fond
d’elles-mêmes, beaucoup de personnes ressentent que leur vraie place est
différente de celle qu’elles occupent actuellement. Cette recherche apporte
en tout cas une amorce de réponse au trouble qui hante de façon récurrente
nombre de contemporains: «Je ne trouve pas ma place», «Ma vie ne rime à
rien»…

L’UTILITÉ DES NICHES DANS UN PROJET COLLECTIF


Dans un projet collectif, l’identification des niches individuelles est un
préalable: elle permet à chacun.e d’occuper des fonctions au plus près de
ses aspirations profondes et au groupe d’organiser au mieux la
complémentarité des aptitudes ainsi que les interrelations. Attention: pas
question d’enfermer quiconque dans un rôle pour répondre aux besoins
d’un groupe. C’est à chacun.e de reconnaître et d’assumer sa niche
personnelle. On imagine mal de demander à une coccinelle de jouer, pour
dépanner, même temporairement, le rôle d’un pollinisateur! C’est pourtant
une pratique courante dans le monde des humains…

Si la permaculture a tant de succès depuis quelques années, c’est qu’elle


aide l’humain à retrouver sa place dans l’univers et dans la société; elle lui
propose des outils pour accomplir son rôle de cocréateur.

CLÉ DU SUCCÈS: Prenez le temps de découvrir votre niche personnelle.


Soyez patient.e et faites confiance à votre intuition!

PPRÉCISION DE LANGAGE: Dans ce manuel, le mot niche sera utilisé


pour définir le rôle des personnes ou des éléments dans leur milieu, les
fonctions qu’ils vont pouvoir remplir pour être en harmonie avec leurs
talents naturels.

Histoire de la petite anémone de mer

1-6-2

– Papa, qu’y a-t-il de l’autre côté du récif? demande la petite anémone de


mer.

– Pourquoi poses-tu cette question? On est bien ici, sur ce gros rocher, à
l’abri de la houle. Nous avons de la nourriture à profusion, tu es en sécurité
au milieu de toute la famille! Que demander de plus?
La petite anémone comprit qu’il valait mieux ne plus poser ce genre de
question qui la rendait étrange aux yeux des siens. Mais sa soif d’aventure
était insatiable. Elle remarqua un détail: quand la lame venait se fracasser
contre le récif, des millions de petites bulles d’air se formaient autour d’elle
et remontaient en dansant vers la surface. Elle se dit que si elle en attrapait
suffisamment, elle aussi pourrait remonter à la surface et enfin aller voir ce
qui se passait de l’autre côté du récif.

Le moment arriva pour tenter l’aventure. À la faveur d’une belle vague, le


manteau bien gonflé de milliers de petites bulles d’air, l’anémone se laissa
entraîner dans le tourbillon d’eau et de bulles. Et elle parvint à se détacher
du rocher! Être ballottée dans tous les sens n’était certes pas très
confortable mais cela lui donnait une formidable sensation de liberté. Ce
qui était franchement désagréable, c’était d’entendre les cris inquiets de sa
famille: «Attention, c’est dangereux, tu vas te faire écraser! Reviens, tu es
folle!»

Il en aurait fallu davantage pour décourager la petite anémone. Le fracas


tourbillonnant de la lame ne la faisait même pas tressaillir. Comme un
bouchon, elle se laissa porter au sommet de la houle puis déposer
délicatement de l’autre côté du récif.

Là, l’eau était calme et paisible, chaude et cristalline, d’un bleu turquoise
comme elle n’en avait jamais vu. Sur le fond de sable fin, des anémones
blanches chevauchaient d’énormes coquillages, des poissons clowns
tachetés d’orangé nettoyaient joyeusement les tentacules de ses congénères.
Enfin la vie avait des couleurs et prenait sens.
Deux hémisphères du cerveau valent mieux
qu’un
1-7-1

NOTRE CERVEAU EST COMPOSÉ (entre autres) de deux hémisphères.


Chacun.e a une fonction spécifique, complémentaire à celle de l’autre.
Notre vie moderne nous a amenés à valoriser les qualités d’efficacité et de
rationalité liées à l’hémisphère gauche – celui qui permet de classifier,
raisonner, argumenter, exclure – au détriment des qualités intuitives de
l’hémisphère droit, souvent dévaluées: des qualités dites «féminines»,
artistiques, émotionnelles, l’imaginaire, le rêve… Les apprentissages
scolaires, par exemple, sont fondés sur l’hémisphère gauche, laissant peu
de place aux fonctions créatives de l’hémisphère droit.

LE CERVEAU DROIT À NOTRE SECOURS

Avec la permaculture, il s’agit de retrouver la complémentarité des deux


hémisphères, conçus pour fonctionner de concert, en parfaite harmonie.
Ainsi, quiconque désire développer son plein potentiel de créativité (et
contribuer à l’évolution de l’humanité!) aura avantage à stimuler
l’hémisphère droit de son cerveau. C’est grâce à cet hémisphère droit que
nous pouvons accéder à la «mémoire du vivant», imprimée dans chacune
de nos cellules. De grands personnages comme Hildegarde de Bingen,
Léonard de Vinci, Albert Einstein, Gandhi et Janine Benyus ont développé
leurs deux hémisphères, épanouissant aussi bien leurs talents scientifiques
qu’artistiques ou spirituels.

L’hémisphère gauche apporte la conscience du je, de l’ego et des


détails. Si le cerveau gauche fonctionne sans l’appui de l’hémisphère
droit, il donne une vision étroite, parcellaire et figée de la réalité.

La partie gauche de notre cerveau est notre «bibliothèque personnelle».


L’hémisphère gauche enregistre nos expériences (positives et négatives) et
les informations acquises depuis notre naissance. Notre bibliothèque
s’étoffe au fil de nos apprentissages. Elle nous permet de trouver des
solutions rapides et rassurantes en nous référant à des repères connus. Elle
nous oriente donc vers le passé. Face à un trou, par exemple, l’expérience
pousse le plus souvent à dire «on le bouche». Cette seule approche limite la
créativité que l’hémisphère droit nous apporterait en élargissant le champ
des possibles.

L’hémisphère gauche sélectionne, trie, interprète les innombrables


sensations captées par le cerveau droit, les organise, les verbalise… Le
langage, la faculté de raisonnement et d’analyse, l’intelligence
mathématique, la notion du temps et le sens du détail résident dans
l’hémisphère gauche. C’est lui qui nous rappelle que c’est le moment de
payer les factures, de faire le plein d’essence, de semer les radis…
L’hémisphère gauche est aussi le monde de la thèse et de l’antithèse, le
siège de nos interminables ruminations: «Je n’aurais pas dû… Si j’avais
su… On ne m’y reprendra plus… C’est de ma faute… Oui, mais, en même
temps…»

L’hémisphère gauche apporte la conscience du je, de l’ego et des détails.


Si le cerveau gauche fonctionne sans l’appui de l’hémisphère droit, il donne
une vision étroite, parcellaire et figée de la réalité.

La partie droite du cerveau, toujours disponible, appréhende, au présent et


de façon globale, même à notre insu, un ensemble d’images,
d’informations, de sensations et l’énergie qui s’en dégage. Elle reçoit la
«vibration» du monde par le biais des émotions. C’est elle qui peut nous
mettre en contact avec la bio-information, c’est-à-dire la mémoire du
monde, une connaissance inscrite dans nos cellules dès notre conception.
L’hémisphère droit nous permet de communiquer avec des personnes qui
parlent une autre langue que la nôtre, grâce au langage non verbal. C’est
ainsi qu’un enfant chinois peut comprendre un enfant espagnol. Le cerveau
droit permet même d’entrer en contact avec les autres règnes de la nature.
Pour accéder à la bio-information, il nous faut développer l’attention au
moment présent. Marcher pieds nus, sentir le parfum du sol mouillé après
la pluie, le vent sur sa peau, écouter le silence de la nature sont des
expériences sensorielles qui peuvent faciliter cette attention. Certaines
personnes ont ces facultés de façon innée. Tout le monde peut les
développer. L’hémisphère droit a besoin de calme pour que ses facultés
fonctionnent. Une respiration lente, des mouvements tranquilles
prédisposent à l’ouverture du cerveau droit.

L’hémisphère droit apporte la conscience du nous, du collectif, une vision


globale, intuitive, créative. Si le cerveau droit fonctionne sans l’appui du
gauche, il donne une vision confuse et non opérationnelle des situations.

LA NÉCESSAIRE COOPÉRATION DES DEUX HÉMISPHÈRES

Seule l’utilisation coordonnée des deux hémisphères du cerveau apporte


une compréhension à la fois globale et synthétique de la situation, comme
les deux yeux permettent de capter les trois dimensions. Telle une antenne,
l’hémisphère droit capte des informations au travers de sensations,
d’émotions et les transmet à l’hémisphère gauche qui les analyse et les rend
disponibles: «J’ai une idée!»

Petit test: Caressez votre bras en y mettant toute votre attention, mais en
pensant en même temps à ce que vous ferez demain. Vous allez voir qu’il
est difficile de sentir et de penser en même temps! Soit vous ressentez le
contact sur votre peau, soit vous pensez à demain. Pour occuper utilement
la partie gauche du cerveau, on peut lui demander de percevoir la pression
de notre talon sur le sol, la chaleur sur la peau, les sons qui nous
parviennent – sans chercher à les identifier. Cet acte volontaire vous installe
dans le moment présent (cerveau droit) et vous rend perméable à ce qui
vous entoure.

Avec l’expérience, nous pouvons choisir d’orienter notre regard, de passer


d’un hémisphère à l’autre en apprenant à nous poser. Avant de prendre une
décision, par exemple, nous pouvons délibérément faire une pause, le
temps d’une inspiration et d’une expiration pour observer nos sensations,
nos images intérieures (hémisphère droit). Cette attention au présent fera
toute la différence. La décision qui s’ensuivra (hémisphère gauche) ne sera
que plus éclairée.
Prenons l’exemple d’un chasseur en train de pister un animal. Ses cinq sens
sont à l’affût (hémisphère droit): par la vue, il découvre les traces sur le
terrain; par son ouïe, il scrute le moindre bruit; par le toucher (sensation du
vent sur son visage), il se positionne sous le vent de sa proie; son odorat et
son intuition le guident sur une piste; déjà il perçoit le goût du gibier qui va
le régaler. Il est totalement présent et dans la partie droite de son cerveau.
Tout à coup il aperçoit sa proie. Il s’immobilise, se prépare, tend son arc.
Un subtil mélange d’expérience et d’analyse (gauche), de vision globale et
d’intuition (droit) lui indique le moment opportun pour décocher sa flèche.
Les deux parties de son cerveau coopèrent pour lui permettre d’atteindre
son objectif.

NOTRE CERVEAU, UN ALLIÉ TRÈS MALLÉABLE

Bonne nouvelle: notre cerveau est dynamique, en perpétuelle


reconfiguration. C’est pourquoi il est capable, à tout âge, d’intégrer de
nouveaux apprentissages. Des réseaux et des connexions de neurones
peuvent se renforcer, se réorganiser, se multiplier… ou disparaître, selon les
besoins de la personne de s’adapter à de nouvelles conditions (internes ou
externes). La neuroplasticité du cerveau ainsi que la neurogenèse (capacité
du cerveau à créer de nouveaux neurones à partir de ses propres cellules
souches) nous ouvrent de belles perspectives: notre cerveau peut nous
fournir la capacité de transformer nos habitudes et d’épanouir nos
potentiels! Il suffit de le solliciter, comme l’a démontré la neurologue
italienne Rita Levi-Montalcini, Prix Nobel de médecine en 1986 (décédée
en 2012 à l’âge de 103 ans)7.

L’hémisphère droit apporte la conscience du nous, du collectif, une


vision globale, intuitive, créative. Si le cerveau droit fonctionne sans
l’appui du gauche, il donne une vision confuse et non opérationnelle
des situations.

Quelques «trucs» pour activer l’hémisphère droit de notre cerveau

FAITES SILENCE! Le fait de parler active la partie gauche du cerveau


et distrait de l’attention au présent.
ÉVITEZ LE STRESS. L’agitation est l’ennemie du cerveau droit.
Respirez calmement, marchez et bougez aussi lentement que possible.

REGARDEZ CE QUI VOUS ENTOURE dans une vision périphérique,


sans prêter attention aux détails.

N’AYEZ AUCUNE INTENTION PRÉCISE. Soyez uniquement dans le


ressenti de l’instant.

NE VOUS POSEZ PAS DE QUESTION. Laissez passer les pensées,


comme des nuages dans le ciel, sans vous y arrêter.

Si vous ressentez une émotion, une contraction ou une expansion, prenez-


en conscience puis poursuivez l’exercice tranquillement, en expirant
profondément. RESTEZ DANS LE RESSENTI.

1-7-2

Dans la vie de tous les jours, prenez l’habitude de vous connecter avec ce
que vous trouvez beau dans la nature: goûter le silence, la qualité de l’air, la
chaleur du soleil sur votre peau (attention aux rayons UV!), prendre des
bains de lune ou observer les étoiles, marcher pieds nus sous la pluie, sentir
l’eau ruisseler sur votre visage, toucher l’écorce des arbres, jardiner les
mains nues, écouter le vent dans les arbres, se baigner dans un lac ou une
rivière sans trop de vêtements sur le corps… Si vous vivez en ville, allez
visiter une exposition de peinture, promenez-vous dans un parc, assistez à
un concert, goûtez la beauté des regards, rencontrez des personnes sages et
sereines, pratiquez le yoga, le taï-chi. Prenez le temps d’apprécier la saveur
des aliments.

À chacun.e d’inventer les conditions qui lui conviennent pour retrouver le


contact sensitif avec le vivant, pour faire vibrer son être «naturel».

EXPANSION, CONTRACTION: LES MESSAGES DE L’HÉMISPHÈRE


DROIT

Une fois attentif à l’instant présent, vous êtes en mesure d’éprouver la


sensation de contraction ou d’expansion que provoque en vous telle idée,
tel lieu, telle personne, telle information. Nous connaissons tous cette
sensation subtile de légèreté dans la poitrine dans les moments de bonheur
ou, au contraire, ce poids oppressant devant une contrariété ou un coup dur.
La sensation nous parvient instantanément, en direct du cerveau droit, avant
d’être comprise et analysée par la partie gauche du cerveau. C’est cette
sensation qu’il nous faut apprendre à détecter pour savoir ce qui est juste
pour nous, ce que nous dit notre instinct, notre intelligence intérieure. Avec
de l’entraînement, ce ressenti deviendra de plus en plus perceptible, puis
automatique.

CLÉ DU SUCCÈS: Exercez l’agilité de votre cerveau droit! Soyez


attentif.ve aux sensations de votre corps. Votre intuition va s’affiner petit à
petit.

Faites une expérience, au restaurant par exemple: ouvrez le menu et lisez la


description des plats proposés. Repérez lesquels déclenchent un signal
positif (expansion). Une fois que vous l’avez perçu, allez dans la colonne
des prix et voyez la différence! Si votre choix s’est porté sur un plat à prix
fort, vous allez aussitôt ressentir la contraction. À l’inverse, si votre choix
est en phase avec votre porte-monnaie, vous resterez dans l’expansion.

Retrouver ce sens oublié est le premier objectif d’un permaculteur en


devenir. Ressentir consciemment la vie en soi. Enrichir les designs de notre
intuition et de toutes les expériences, petites et grandes, de nos vies. Pour
développer cette aptitude, décidons délibérément, tout au moins jusqu’à
que cela devienne automatique: «J’active mon cerveau droit; je me pose,
j’expire et j’inspire lentement.» Vous serez surpris de constater que votre
cerveau coopère volontiers et comprend rapidement ce que vous attendez
de lui.

Avec la pratique, vous allez progresser. Petit à petit, vous pourrez laisser
«infuser» les images et les sensations plus longtemps avant de passer au
stade de l’analyse. Dans un travail en équipe, avant de vous positionner,
faites la même chose, soyez à l’écoute de vos sensations vis-à-vis des
autres personnes ou du projet. Expansion? Contraction? Alors vous pouvez
réfléchir à la suite à donner. Ce temps de pause est indispensable pour saisir
et comprendre (dans le sens étymologique du terme, «prendre avec»)
l’ensemble des éléments et concevoir un design viable.

EXERCICES À PRATIQUER SEUL.E

La marche du Japa

Cet exercice peut se faire n’importe où, même en ville. Il aide à retrouver la
sérénité, la présence à soi-même et aux autres lorsqu’une pensée devient
envahissante ou que la dispersion menace. Marchez d’un pas rythmé,
regardez droit devant vous dans une vision périphérique en respirant par le
nez et portez votre attention sur votre talon gauche. Chaque fois que celui-
ci touche le sol, prononcez dans votre tête un mot d’une syllabe de votre
choix à connotation positive. Par exemple, «beau», «vaste», «bon» ou une
note de musique que vous aimez, «ré». Ou alternez les mots «ici» et
«maintenant». Changez de mot si l’effet s’estompe!

1-7-3

Le stop and go ou l’escargot

Les yeux fermés, marchez, pieds nus si possible, à l’intérieur ou à


l’extérieur, aussi lentement que vous le pouvez. Dix minutes pour parcourir
un mètre! Concentrez toute votre attention sur les muscles en action, le
poids qui passe d’une jambe à l’autre, les sensations que vous renvoie le
sol, votre respiration, les images qui passent dans votre tête. Chaque fois
que votre mental divague, arrêtez-vous, expirez et recommencez à marcher
lentement.

EXERCICE À PRATIQUER À DEUX

Le trespasso
Cet exercice est excellent pour apprendre à rester dans l’hémisphère droit
du cerveau, au-delà des émotions que vous pouvez ressentir. Il se pratique
de préférence à deux ou seul face à un miroir. Asseyez-vous face à l’autre
personne, suffisamment proche d’elle pour fixer son œil gauche. Dans un
premier temps, fermez les yeux, respirez calmement par le nez et gardez
votre attention sur l’air qui entre et sort de vos poumons. Dès que vous êtes
prêt.e, entrouvrez les yeux, regardez l’œil gauche de votre partenaire.
Réciproquement, votre partenaire regarde votre œil gauche. Si vous
pratiquez seul devant un miroir, regardez votre œil droit dans le reflet du
miroir. Essayez de trouver le calme, sans tension, sans penser à rien.
Observez simplement ce que vous ressentez, sans vous échapper du
moment présent. Laissez passer les tentatives de votre hémisphère gauche
de vous détourner de l’exercice. Si un bavardage mental s’installe, ou une
gêne, une tension provoquée par la proximité de l’autre, évacuez la
sensation dans une expiration profonde. Faites cet exercice pendant trois à
quatre minutes et répétez-le quelques fois. Vous serez surpris.e de constater
qu’il devient rapidement facile. Vous pourrez alors, à loisir, choisir de vous
installer dans cet état d’ouverture, quelles que soient les circonstances.

Ces exercices permettent d’expérimenter les mouvements d’un hémisphère


à l’autre. Ils développent en vous la capacité de laisser volontairement la
place au cerveau droit avant que le cerveau gauche ne donne ses
instructions.

QUAND L’HÉMISPHÈRE DROIT DU CERVEAU RAMÈNE À


L’ESSENTIEL

La docteure JILL BOLTE TAYLOR est neuroanatomiste, diplômée de


l’Université Harvard (États-Unis). En 1996, alors qu’elle a 37 ans, elle est
frappée par un accident vasculaire cérébral consécutif à la rupture d’un
vaisseau sanguin dans l’hémisphère gauche de son cerveau. Elle perd
l’usage de la parole, la capacité de lire et de marcher ainsi que tous ses
souvenirs. Elle retrouvera progressivement toutes ses facultés au bout de
huit ans, au prix d’une rééducation de tous les instants. Dans un livre
intitulé Voyage au-delà de mon cerveau8, la Dre Taylor raconte à la fois en
tant que patiente et médecin comment elle a pu observer le fonctionnement
de l’hémisphère droit de son propre cerveau. Alors qu’elle était totalement
privée du pouvoir de communiquer et de comprendre les mots qu’elle
entendait, elle captait intuitivement tout ce qui se passait autour d’elle. Elle
se sentait bien, en paix, malgré la gravité de la situation.

De son expérience originale (un chercheur dans le rôle du patient), elle tire
une sagesse qu’elle transmet largement depuis: la méditation, la création
artistique, la prière stimulent l’hémisphère droit du cerveau et permettent
d’atteindre un sentiment de paix, d’harmonie, de communion avec
l’univers. Équilibrer l’activité des deux hémisphères évite de se laisser
mener par le seul hémisphère gauche, siège du raisonnement rationnel, qui
nous incline au doute, à la peur, à la colère.

Pour aller plus loin:

• François Joliat, Henri Laborit: pour quoi vous dire, Paris, L’Harmattan,
2000.

• Sally P. Springer et Georg Deutsch, Cerveau gauche, cerveau droit à la


lumière des neurosciences, Bruxelles, De Boeck, 2000.

• Marie-Françoise Neveu, Les Enfants «actuels». Le grand défi «cerveau


droit» dans un univers «cerveau gauche», Paris, Exergue, 2006.
Le travail en équipe ou l’intelligence collective

Tout seul on va plus vite.


ensemble on va plus loin.

– Dicton populaire
INTÉRÊTS PARTICULIERS OU COLLECTIFS? IL FAUT CHOISIR
L’HUMAIN EST UN ÊTRE DE RELATIONS. Il est par nature lié aux autres. Le bébé
naît totalement dépendant de ses parents. Il lui faudra de longues années
pour accéder à l’autonomie. Dans les sociétés traditionnelles, une fois
adultes, les humains s’entraident spontanément pour construire leurs
habitations, pourvoir à leurs besoins alimentaires, élever les enfants, se
protéger contre les prédateurs… Une solidarité qui a presque disparu dans
nos sociétés du chacun.e pour soi et qui rend la survie de chacun.e
beaucoup plus précaire et angoissante.
La plupart du temps, lorsqu’une personne éprouve le besoin de
retrouver le contact avec sa propre nature, elle cherche à se rapprocher d’un
groupe avec lequel elle pressent qu’elle pourra à la fois exprimer sa
singularité et recevoir du soutien. De même que chaque personne doit
découvrir sa niche pour trouver son équilibre et son épanouissement, tout
groupe doit prendre conscience de sa raison d’être ensemble (la niche du
groupe) pour atteindre ses objectifs de façon efficace et pérenne.
Pour qu’un groupe fonctionne bien, il est important que chaque individu
ait une idée claire de son propre rôle dans l’équipe et connaisse celui des
autres. La position de chacun.e doit être acceptée et reconnue par
l’ensemble des membres de l’équipe. Chaque personne peut alors apprécier
et respecter les forces des autres (pour les mettre au profit du projet) et
accepter leurs faiblesses pour les compenser. Un climat de confiance et une
bonne qualité de communication dans le groupe sont donc déterminants
pour permettre ce subtil équilibre.
Dans le monde vivant, le pouvoir est focalisé sur un objectif unique: la
survie de l’espèce. Seuls les plus forts gagnent et se reproduisent. Les luttes
qui se jouent entre congénères ont pour principale fonction la sélection
génétique et la pérennité de l’espèce. Les fourmis n’ont pas d’opinion
personnelle ou d’intérêt individuel à défendre face au groupe…
Dans les sociétés modernes, les
humains poursuivent bien d’autres
objectifs que la survie de l’espèce, au
point que les contemporains semblent
parfois oublier cet objectif premier!
Même si le dicton populaire enseigne
que «l’union fait la force», la
tendance est de défendre des intérêts particuliers (personnels, familiaux,
d’entreprise, de parti, de groupe de pression, de nation, etc.). Aujourd’hui,
l’urgence collective est bien de dépasser nos réflexes de défense et de
compétition, de renforcer le sens du bien commun en créant des réseaux, en
recherchant des complémentarités, en protégeant le droit à la différence, en
portant une attention particulière aux plus faibles.

Principe de permaculture n° 11
Repérer et valoriser
les effets bordures

LES PEUPLES PREMIERS NOUS MONTRENT L’EXEMPLE

Certains peuples autochtones ont développé des mécanismes de


communication et des systèmes de prise de décision qui leur permettaient
de vivre en paix. Ils s’accordaient l’espace nécessaire pour laisser
s’exprimer la créativité de chacun.e tout en multipliant des zones d’échange
qui rendaient leurs relations fécondes. Toute l’organisation sociale,
économique, culturelle, spirituelle visait l’équilibre et la pérennité du clan.
Traditionnellement, chez les Inuit par exemple, la cellule familiale était
formée d’un couple, de leurs enfants célibataires, parfois d’une mère ou
d’une sœur veuve, d’un enfant recueilli. L’homme actif le plus âgé était le
porte-parole de la famille. Le rassemblement de plusieurs familles pour
partir à la chasse constituait le deuxième niveau de l’organisation sociale.
Comme le relève l’explorateur Jean-Louis Etienne9, un Inuit pouvait ne
rencontrer que quelques centaines de personnes durant sa vie, le plus
souvent liées à lui par une sorte de réseau de solidarité. Plus ce réseau était
étendu, plus grandes étaient ses chances de survie individuelle. Les
décisions étaient prises en commun. La taille du groupe de chasseurs
dépendait de la richesse de la région et si la nourriture venait à manquer, le
groupe se scindait en unités plus petites. Les Inuit utilisaient de nombreux
moyens pour renforcer la cohésion du groupe: le mariage arrangé dès
l’enfance (les parents des enfants promis l’un à l’autre se trouvaient ainsi
unis par un lien de parenté), l’échange de conjoints, l’adoption d’un enfant,
etc.

CLÉ DU SUCCÈS: Focalisez votre attention sur les qualités de vos


coéquipiers, et non sur leurs limites! Acceptez que vous ne pouvez
apprécier toutes les facettes de leur personnalité.

Voici quelques pistes pour «permacultiver» vos équipes de façon ludique. Elles
peuvent être utilisées en stage, en famille, au travail, dans le quartier, le village.
Elles permettent de construire des équipes homogènes et enthousiastes. En
quelques jours, voire quelques heures, des personnes d’horizons divers
nouent des liens de confiance. Le nous prend le pas sur les je et le groupe y
puise une force étonnante.
À qui, à quoi va servir le projet visé par le groupe? «Il n’y a pas de
vent favorable à celui qui ne sait pas où il va», dit Sénèque. C’est vrai
aux niveaux personnel et collectif. Une vision claire de l’objectif est
déterminante pour faire converger les efforts vers le même but et
stimuler la créativité. L’objectif doit aussi mobiliser et entretenir la
flamme du groupe. Si l’enthousiasme des équipes est fort, il n’y a plus
de place (ou moins de place) pour les conflits stériles entre les
personnes.

JEU Ici et maintenant


Il s’agit d’un jeu rythmé à pratiquer en cercle avant de commencer une réunion
de travail. À tour de rôle, chaque personne exprime comment elle se sent par
une couleur, un mot, un geste, une température ou un son. Ce jeu élargit la
conscience, rend attentif à l’instant présent et facilite la cohésion du groupe. À
renouveler trois fois par jour si nécessaire!

12-01Formuler

À l’école, nous recevons des notes individuelles pour un travail


individuel. Au travail, nous nous démarquons de nos collègues dans
l’espoir de gagner reconnaissance et distinctions. L’intérêt individuel
prime sur l’intérêt du groupe. Cette concurrence rend les relations
humaines tendues. Défendre sa place, imposer son pouvoir… Le je se
sent menacé par le nous. La concurrence n’est plus au service de la
pérennité du groupe. Elle se transforme en rivalité, en lutte dérisoire
pour gagner plus, posséder plus, satisfaire son ego. Et si, au cours de
notre travail de transition personnelle ET collective, nous essayions de
nous concentrer sur le bien du groupe, en mettant en veilleuse, pour un
temps et pour l’efficacité du résultat, nos histoires et nos opinions
personnelles?

JEU Je, nous


Pendant un repas d’équipe, interdiction de direje. C’est une invitation à vivre au
présent et à se décentrer de soi. Parfait pour dépasser les crispations autour
des egos et pour forger une conscience collective!

12-01Formuler

Vanter ses qualités personnelles est un exercice très constructif, même


s’il apparaît souvent difficile. Connaître les forces de chacun.e,
recenser les ressources humaines disponibles permettent de déceler et
de valoriser les différences et les complémentarités. Cela instaure un
regard positif entre les personnes et facilite les interactions
fructueuses. À ce stade, on n’évoque pas les points faibles!

JEU Rien que du positif!


En équipes de cinq à six personnes, chacun.e expose aux autres, à tour de
rôle, les qualités qu’il et elle se reconnaît: qualités humaines, compétences
techniques, talents artistiques, prouesses sportives, etc. (deux minutes par
personne). Les autres prennent en note. Puis chaque équipe rend compte au
grand groupe: à tour de rôle, quelqu’un présente les qualités d’un.e membre de
son équipe. On note sur une grande feuille. On a sous les yeux un magnifique
tableau: les ressources humaines du groupe.

12-01Formuler

Se dévoiler n’est pas évident. On craint le jugement des autres, le rejet.


En jouant un «rôle», on se croit protégé.e. Or, tenter d’entretenir une
image idéale de soi – ou différente de la réalité – provoque un stress
qui est l’ennemi de la créativité et du bien-être. En créant un climat de
confiance, chacun.e pourra retrouver l’innocence de l’enfant, révéler la
personne qu’elle est réellement. Il n’y a pas de danger à être soi-
même… ou plutôt il y a des risques qu’il est intéressant de prendre
dans un contexte approprié.

JEU Confiance!
Huit à dix personnes forment un cercle serré. Une personne se met au milieu,
les bras croisés sur la poitrine, les yeux fermés et les pieds joints. À tour de
rôle, chaque membre du cercle la pousse, en douceur, vers d’autres bras qui la
reçoivent. Une fois la confiance établie, on passe au suivant.
12-01Formuler

Une parole positive, encourageante, constructive valorise les personnes


et stimule le groupe; si le compliment est sincère, bien sûr…

JEU Félicitations!
Choisir un refrain sur le thème de la congratulation du style «C’est à ton tour de
te laisser parler d’amour» de Gilles Vigneault. À chanter à chaque occasion
spéciale: un anniversaire, un dossier bouclé, une bonne idée, une rencontre
fructueuse, une personne qui arrête de fumer, qui arrive à l’heure…

12-01Formuler

Si vous avez tendance à prendre toute la place en groupe ou à ne pas la


prendre du tout, dans les deux cas, c’est un extrême à corriger. Voici
quelques trucs pour aider chacun.e à prendre sa juste place:
LE BÂTON DE PAROLE (inspiré d’une tradition amérindienne): seule

la personne qui a en main le bâton de parole a le droit de


s’exprimer. Une fois qu’elle a terminé, elle remet le bâton à une
autre personne qui a demandé la parole.
LE VEILLEUR: à tour de rôle, une personne de l’équipe se met en
retrait pour veiller à la qualité des échanges et aux temps de
parole. Tenir cette place développe des qualités d’écoute et
d’observation. Précieux pour ceux et celles qui pensent ne pas
avoir ces qualités.
JEU Chacun.e sa place!
Trouver une tâche utile à réaliser, qui demande de la force et du temps. Par
exemple, déménager le contenu d’un hangar, creuser un fossé, déplacer un
piano. Le groupe prend d’abord le temps de s’organiser – qui fait quoi, selon
ses forces et ses compétences. Quand chacun.e sait ce qu’il a à faire, exécuter
le travail en silence et chronométrer la durée de son exécution. Étonnant!

12-01Formuler

Admettons qu’il existe mille autres visions possibles que la nôtre.


Dans un climat de confiance et de respect, un échange entre différents
points de vue peut enrichir – ou pas – les positions de chacun. Bien
loin du besoin compulsif de polémiquer, d’imposer son avis, si
fréquent dans les groupes.

JEU L’aveugle et l’infirme


Deux amis, un aveugle (yeux bandés) et un infirme (chevilles liées), voyagent
ensemble. Soudain des brigands attaquent. Comment les amis vont-ils faire
face à la situation? Une seule solution: la coopération! L’aveugle charge
l’infirme sur son dos et l’infirme guide l’aveugle. Les deux peuvent ainsi
échapper aux brigands. Jeu d’extérieur en zone dégagée!
12-01Formuler

Prendre une décision par «consentement», c’est s’assurer que personne


n’est contre, à la différence des décisions prises par «consensus» où
tout le monde doit être pour et où une seule opposition suffit à bloquer
la décision. Le groupe qui fonctionne par consentement n’est pas dans
la recherche d’une solution idéale (ce qui pourrait prendre un peu de
temps!), mais d’une position commune à laquelle tout le groupe pourra
«consentir». Ce mode de décision évite les conséquences d’un vote
classique où la majorité ressort dans la position du vainqueur et la
minorité, frustrée, attend l’occasion de prendre sa revanche.

JEU Ni oui ni non


Quelqu’un lance une conversation et interpelle le groupe. Le jeu consiste à ne
jamais prononcer ni oui ni non. Exercice à renouveler pour constater les
progrès accomplis!

12-01Formuler

Les résultats n’en seront que plus riches. En début de séance, établir
l’ordre du jour et préciser l’heure de clôture. En fin de réunion,
rappeler les décisions prises et noter les points non traités à inscrire à
l’ordre du jour de la réunion suivante.
JEU La banque du temps
Se munir d’un jeu de 52 cartes. Chacun.e reçoit en début de réunion quelques
cartes dont la valeur correspond au temps de parole autorisé. On veille à
l’équité entre les participants et participantes. Les négociations sont autorisées.
Ce jeu invite à cibler ses interventions.

12-01Formuler

Le déroulement d’un projet peut prendre une tournure différente de ce


que vous imaginiez. Ce n’est pas grave. Ne vous sentez pas remis en
question. Si vous avez un doute, demandez des précisions. Évitez les
suppositions.

JEU Le ridicule ne tue pas


Un.e membre du groupe arrive avec un déguisement, un nez de clown, une
grimace, un bonnet… En un instant, les carapaces tombent. Le climat est alors
propice au travail et à la créativité. À la prochaine rencontre, ce sera le tour
d’une autre personne.

12-01Formuler
Chaque jour, chaque action offre des occasions de se réjouir
collectivement. Une façon de valoriser le rôle de chacun.e, de prendre
conscience de l’efficacité du groupe, d’entretenir et de renforcer la
confiance collective quant à l’issue du projet.

JEU Let’s dance!


Lancez pendant quelques instants une musique très rythmée pour surprendre.
Certains bondiront pour danser. Les plus timides suivront!

12-01Formuler

Notre habillement, l’intonation de notre voix, l’expression de notre


visage, les mouvements de nos yeux, nos gestes, notre façon de
marcher, de nous asseoir envoient des messages à celles et ceux qui
nous entourent et révèlent mieux que n’importe quel discours qui nous
sommes vraiment. En sommes-nous conscient.es? Bien avant de savoir
parler, les enfants sont champions pour exprimer ce qu’ils veulent. Des
adultes de langues différentes, après quelques tâtonnements,
parviennent très bien à communiquer, au-delà des clivages
linguistiques. Les politiques, les communicateurs, les commerciaux
utilisent le langage du corps pour renforcer leurs messages.

JEU Mime
Chaque personne écrit un mot, n’importe lequel, sur un petit papier. On réunit
les papiers dans une corbeille. À tour de rôle, chacun.e en tire un et doit mimer
ce qui est écrit, sans dire un mot. Les autres ont une minute pour deviner le
mot.

tableau

EXEMPLE INSPIRANT inspirant


Le rêve du dragon: une pratique pour mener à
bien des projets collectifs
Constatant que 99% des projets innovants échouaient avant d’avoir abouti, JOHN
CROFT, un permaculteur australien, cofondateur de la FONDATION GAÏA, a mis au
point une approche pour aider les groupes à concrétiser leurs rêves. Son objectif est
de permettre à chacun.e de se développer personnellement tout en cocréant des
projets au service du vivant.
La démarche, à la fois ludique et structurante, invite chacun.e à affronter ses
propres dragons (ses peurs) qui sont à l’origine de la plupart des conflits. Inspirée de
la culture aborigène d’Australie, elle laisse une large place à l’intuition et à la
célébration pour entretenir l’enthousiasme des débuts.

John Croft propose un parcours en quatre étapes:


1 RÊVER, VISUALISER. L’intuition de l’initiateur d’un projet doit rejoindre les besoins
ou les attentes d’un public pour pouvoir prendre corps.
2 PLANIFIER. C’est le moment pour les porteurs de projet de se poser les bonnes
questions, de se confronter au réel de façon à construire un plan d’action solide.

3 RÉALISER. C’est la phase de concrétisation, d’application du plan d’action:


contrats signés, personnes embauchées, graines semées, etc.

4 ÉVALUER ET CÉLÉBRER. Une étape trop souvent négligée. Là encore, il est


nécessaire de se poser les bonnes questions pour tirer les enseignements de
l’expérience partagée. Cette étape permettra de poursuivre le processus de création
collective dans les meilleures conditions.

Depuis 25 ans, plus de 700 projets ont vu le jour en appliquant cette méthode.
Rob Hopkins l’a utilisée avec succès pour lancer le mouvement des Villes en
Transition et rédiger son Manuel de transition10
2 Le design
mode d’emploi
Définition du design en permaculture
LE MOT DESIGN – ANGLICISME DÉSORMAIS accepté dans la langue
française – évoque un ensemble de pratiques destinées à concevoir, à
planifier, à aménager, à structurer un espace, un projet, un groupe, des
relations ou des organisations pour les rendre féconds, abondants et
durables. L’objectif d’un design est d’organiser des interactions bénéfiques
et harmonieuses entre le plus grand nombre d’éléments, incluant les
personnes, chacune étant un élément à part entière du design. Chaque
élément a plusieurs fonctions, ce qui lui permet d’exprimer son plein
potentiel, et chaque fonction peut être assumée par plusieurs éléments, ce
qui rend le système dynamique et pérenne.

En permaculture, un design s’inspire des lois de la nature pour déterminer


les meilleures stratégies et pour assurer la viabilité et la résilience d’un
système. Il met en place l’organisation la plus adaptée à chaque situation.
Un design réussi crée de l’énergie, produit de la diversité et de l’abondance,
et réduit l’impact écologique de l’activité humaine sur le milieu, comme le
montrent les exemples pédagogiques qui suivent. L’assemblage des
éléments qui le composent rend chaque design unique.

COMMENT FONCTIONNE UN DESIGN?

Le grand écosystème qu’est notre planète est conçu de telle façon qu’il
fonctionne sans intervention humaine. Il évolue par lui-même en s’adaptant
aux variations de situations. De même, une fois en place, notre design
tendra à s’adapter aux changements qui apparaîtront. Un écosystème créé
par l’humain, dont le fonctionnement dépendrait totalement d’interventions
extérieures, ou qui ne saurait pas s’adapter aux changements serait voué à
disparaître.

Si, par exemple, je dépends exclusivement d’un salaire, d’une subvention,


d’une pension de retraite, d’un minimum social; si, dans mon habitat, je
dois régulièrement repeindre des murs, traiter le bois, vider une fosse
sceptique; si une entreprise doit chaque année entièrement renouveler ses
équipes, les former; si nous devons périodiquement ajouter des intrants –
même biologiques – dans un potager, faire des tailles répétitives pour
activer la fructification des arbres, retourner le sol: cela signifie que la
viabilité du système n’est pas assurée à long terme. Un tel système réclame
beaucoup de travail et d’énergie. Un design permaculturel vise un
fonctionnement plus léger.

Bien sûr, des interventions pourront se révéler nécessaires au cours de la


mise en œuvre d’un design. Cependant, l’objectif final demeure
l’autonomie, à l’instar des écosystèmes naturels. Nos interventions viseront
seulement à mettre en place le processus et à l’activer. Dans la nature, il
faut une centaine d’années pour créer deux à trois centimètres d’épaisseur
de sol. Par des actions adaptées, nous pourrons créer un sol fertile en
quelques années et le laisser s’organiser ensuite par lui-même, comme nous
le verrons au chapitre suivant.

UN PROCESSUS ÉVOLUTIF

Le design est un processus évolutif et créatif: il permet de faire l’état des


lieux d’une situation à un instant donné, puis de clarifier les intentions et
les objectifs de la personne ou du groupe concerné. Un design permet
d’organiser ou de réorganiser un écosystème de façon à ce qu’il s’adapte
aux changements durablement et en souplesse. S’il y a lieu, des retouches
seront apportées pour atteindre la viabilité recherchée. «Design and re-
design», répète ainsi Bill Mollison.

CLÉ DU SUCCÈS: Prendre son temps, ne pas griller d’étapes! Il est plus
facile de modifier un plan que de revenir sur des actions déjà engagées.

L’INTENTION DES PROTAGONISTES, LE FIL CONDUCTEUR DU


PROJET

script5

Avant de vous lancer, il est important de comprendre la raison principale


qui vous amène, vous ou votre groupe, à vouloir réaliser le projet. Qu’est-
ce qui vous anime? À quels besoins répond ce projet? À qui va-t-il
bénéficier? Quel en est l’objectif? Chaque personne est invitée à répondre
personnellement à ces questions, seule ou en groupe selon le cas.
L’intention commune qui se dégagera de cette réflexion ou de ce partage
sera le fil conducteur autour duquel le projet va se construire et l’équipe se
souder.
Les neuf étapes du design

LES PERMACULTEURS ET PERMACULTRICES ONT DÉVELOPPÉ à l’origine un outil


en sept étapes pour guider les débutants dans le processus du design, outil
généralement désigné par l’acronyme OBREDIM, correspondant à la première
lettre de chacune des étapes décrites ci-après.
La plupart des Occidentaux étant aujourd’hui conditionnés à jouer des
rôles qui ne leur conviennent pas, il nous est apparu indispensable d’ajouter
deux étapes: l’une pour établir les niches des personnes et des projets;
l’autre pour éveiller la créativité en stimulant l’hémisphère droit du cerveau
par des exercices et des jeux adaptés (étape «rêves et remue-méninges»).
Nous présentons donc ici une approche du design en neuf étapes. Par souci
de clarté, nous présentons ces étapes les unes après les autres, de 1 à 9:
OBRE-NI-RERE-DIM. Bien sûr, dans la réalité, le processus est interactif et non
linéaire. Tout est lié! Chaque étape amène à ajuster et à affiner ce qui a été
envisagé au cours des étapes précédentes. Dans un premier temps,
contentez- vous de suivre les étapes et d’en apprécier l’efficacité. Avec
l’expérience, vous pourrez adapter cet outil à votre guise.

OBSERVATION

BORDURES

RESSOURCES

ÉVALUATION
+ NICHE
+ RÊVES ET REMUE-MÉNINGES

DESIGN

INSTALLATION

MAINTENANCE

MÉTHODOLOGIE

ÉTAPE 1 Observer la situation sans analyser


Que ce soit pour élaborer un design de vie, de lieu ou de projet, l’apprenti
permaculteur prend d’abord le temps de se poser, d’observer ce qu’il ressent
ici et maintenant, sans analyser, sans juger, sans expliquer et surtout en
veillant à ne pas rechercher de solutions immédiates! Il s’agit simplement
de prendre connaissance des réalités présentes dans leur profondeur, dans
leur singularité, de les appréhender intuitivement, de se laisser surprendre
par l’émotion qu’elles génèrent à l’intérieur de soi, comme le ferait un
enfant. Pour retrouver ce regard d’ouverture, il suffit (!) de solliciter son
cerveau droit, comme nous l’avons expérimenté plus haut.

CONTRACTION/EXPANSION: UN RÉVÉLATEUR ÉMOTIONNEL


UTILE EN TOUTES CIRCONSTANCES

Durant cette phase d’observation neutre, le permaculteur note l’intensité de


ses réactions émotionnelles, de 1 (faible) à 5 (forte), face à tel ou tel
élément qu’il observe. Ses émotions peuvent être agréables: comme nous
l’avons déjà vu, on parle alors d’«expansion». Cette émotion évoque un
sentiment de légèreté, de gaieté, de confiance alors que la «contraction»
exprime une contrariété, une impression de gêne, de malaise. Ni
questionnaire ni ordre du jour pour cette première étape. Laissez-vous
guider par la saveur du ressenti. Soyez dans la confiance! Avec un peu
d’entraînement, cet exercice devient un révélateur émotionnel utile dans
bien des circonstances. Il nous apprend aussi à rechercher les situations qui
nous procurent de la joie et à décoder celles qui nous contrarient. Exprimer
l’expansion que l’on ressent face aux autres suscite un climat de confiance
qui apaise la crainte, souvent inconsciente, de ne pas être accepté.e. Cette
simplicité est une vertu indispensable à qui veut porter les couleurs de la
permaculture humaine! Elle crée un confort dans le groupe et la pratiquer
aide à se réapproprier le plein potentiel de créativité de l’hémisphère droit
du cerveau, pour le mettre au service de la vie, en soi et autour de soi. Un
défi pour l’être humain contemporain!
Dans cette première étape d’observation sans analyse, notre
conditionnement à vouloir trouver des solutions rapides à toute situation est
souvent un obstacle, voire un handicap pour créer un design juste. Devant
une nouvelle situation, il est souvent tentant de plaquer une réponse connue
ou de s’aligner sur ce qu’on imagine être la position du groupe. Or, la
diversité des perceptions est une richesse! Chaque personne a un rôle
spécifique à jouer. Qu’une seule personne n’ose pas exprimer sa position et
c’est tout le groupe qui se trouve privé de ce qu’elle porte d’unique…

CLÉ DU SUCCÈS: Se centrer sur son ressenti, en faire bénéficier le


groupe, sans se soucier du regard des autres.

Principe de permaculture n° 1
Observer et interagir

ÉTAPE 2 Identifier l’effet bordure

Tous les traités de permaculture parlent de l’«effet bordure». Cette notion a


été mise en évidence par David Holmgren et Bill Mollison pour désigner la
zone d’échanges particulièrement fertile qui se développe à la lisière de
deux environnements distincts. Par exemple, dans une forêt riche de 1 000
espèces (faune et flore confondues), à côté d’une prairie également riche de
1 000 autres espèces, la lisière (ou zone d’échanges) comptera les 2 000
espèces initiales plus un nombre X d’espèces spécifiques, attirées par la
richesse de ce nouveau milieu propice à leur fécondité. Dans les régions
chaudes, la mangrove est l’environnement qui se développe entre les berges
et la mer. Certaines espèces animales ou végétales évoluent uniquement
dans cette zone d’échanges.
L’effet bordure désigne une réalité complexe et subtile, fruit parfois de
millions d’années d’adaptation. Le sol présente, dans sa partie superficielle
(environ 20 centimètres d’épaisseur), une zone d’échanges particulièrement
féconde grâce à la rencontre des énergies tellurique et solaire, ce qui permet
un foisonnement de vie exceptionnel, le plus abondant de notre écosystème
terrestre. De même dans le monde marin, les couches superficielles de
l’océan, dans la zone d’échanges avec la lumière solaire, recèlent une
fécondité immense. Même chose dans les relations humaines: la diversité
des talents réunis autour d’un projet crée une zone de rencontres
particulièrement fertile, si toutefois les conditions sont réunies pour faire de
cette diversité un atout et non un motif de confrontations stériles, c’est-à-
dire si chaque membre de l’équipe adhère à cette aventure. La coopération
entre un scientifique et un poète pourrait par exemple sembler incongrue au
premier abord. La permaculture humaine la regarde comme une occasion à
saisir: le scientifique apportera de la rigueur au poète et ce dernier apportera
de la souplesse, de l’harmonie et de la beauté à leur projet commun!

CLÉ DU SUCCÈS: La zone d’échanges est d’autant plus riche qu’elle


intègre les éléments existant préalablement.

ÉTAPE 3 Déterminer les ressources disponibles et les besoins à


satisfaire
Dans cette 3e étape, la personne
ou le groupe devra inventorier les
ressources disponibles à l’interne et
dans l’environnement extérieur,
repérer les facteurs limitants et définir
ses besoins et ceux des membres. Il s’agit là d’un inventaire objectif,
factuel, où l’hémisphère gauche du cerveau a toute sa place, et non plus
d’une observation sensitive comme dans la 1re étape. La diversité des points
de vue étant source de richesse, chaque membre du projet pourra contribuer
à cette étape.

LES RESSOURCES DISPONIBLES À L’INTERNE: ressources humaines


(compétences et goûts de chacun.e ), ressources naturelles (l’eau, le
sol, le terrain), ressources matérielles (logements, bureaux,
véhicules, équipements), financières (revenus, crédits), familiales
(aides possibles le week-end)…
LES FACTEURS LIMITANTS À L’INTERNE: facteurs humains comme les conflits
ou la discrimination quant à l’âge, la race, le sexe, le handicap.

LES RESSOURCES EXTÉRIEURES AU PROJET: dans un projet collectif, voir


comment d’autres projets similaires ont réussi, étudier les outils
qu’ils utilisent (charte, finances, législation), contacter les
associations spécialisées, s’informer sur les accompagnements
possibles, les ressources du voisinage, l’environnement naturel
(sources, lacs, rivières, forêts, reliefs), les autorités politiques
locales, les activités économiques et sociales (l’agriculture, les
commerces et organisations alentour), les voies d’accès (gares,
routes, réseau fluvial, aéroport), repérer les réseaux de monnaies
alternatives, sans oublier la lecture du Manuel de Transition de Rob
Hopkins.

LES FACTEURS LIMITANTS EXTERNES: contraintes réglementaires,


économiques, culturelles, climatiques, distances, etc.

La personne ou le groupe devra ensuite indiquer


ses besoins actuels et à venir:

LES BESOINS MATÉRIELS ET IMMATÉRIELS: besoins en nourriture, en eau


potable, en locaux, revenus, moyens de transport, appuis,
formations, clientèles. Besoin de reconnaissance, d’espace, de temps
d’échanges, de repos, de sécurité.

Un projet collectif a besoin de compétences diverses et


complémentaires (ressources humaines, conseils juridiques, fiscaux),
d’appuis (la mairie, la banque), de finances, de temps, d’un échéancier. Il
lui faudra aussi répondre au besoin de sécurité de l’un, au besoin de se
sentir utile de l’autre, de donner du sens à sa vie, besoin d’être reconnu dans
son appartenance à un groupe ou une idéologie, etc.
Pour un design individuel, lister précisément tous les besoins que vous
établis pour votre situation. Cette liste vous sera utile ultérieurement. Et
dégager LE besoin qui vous semble prioritaire, le plus urgent, celui dont
découleront les étapes suivantes.

ÉTAPE 4 Évaluer et trier les données recueillies


Il s’agit ici de trier les données récoltées au cours de la troisième étape.
Il est bon de faire ce tri lorsque les données sont encore fraîches dans votre
tête. Le but de ce tri est de synthétiser l’ensemble des paramètres et de
mettre en évidence les éléments qui seront nécessaires pour identifier votre
fil conducteur – la feuille de route qui va vous guider le processus du
design. De là apparaîtra la raison d’être de votre projet individuel ou
collectif: son utilité au regard des besoins de la société. Ce n’est pas encore
le temps de l’analyse ni de la recherche de solutions. N’anticipez pas!
Nous proposons ici un truc pour faciliter cette opération de tri:

Les triangles à trier

Sur une grande feuille, dessiner un triangle et inscrire, sur la pointe du


haut, les besoins des personnes ou du système; sur la pointe inférieure
gauche, les rôles que les personnes ou le système aimeraient remplir;
sur la pointe inférieure droite, les intentions, les désirs, les objectifs
des personnes ou du système.
Répartissez les données recueillies au cours de la 3e étape sous les
titres correspondants. Ces trois catégories sont très proches. Si vous
doutez du bon emplacement, écrivez en marge des côtés du triangle,
entre deux pointes.
Notez le contenu de la zone 00 qui se dégage.
Le triangle à trier

CLÉ DU SUCCÈS: À ce stade, ne formulez aucune solution pour le


design collectif. Vous risqueriez de bloquer la créativité de vos
partenaires. Attendez l’étape Remue-méninges. Il existe toujours plusieurs
solutions possibles à une situation.

ÉTAPE 5 Découvrir, connecter et analyser les niches

Des «T» pour découvrir et connecter les niches


De façon générale, commencer par examiner l’aspect humain du projet:
quels sont les rôles, les fonctions que les personnes concernées aimeraient
occuper spontanément? Quelles sont leurs aptitudes naturelles? De même
pour les éléments du système: quels sont leurs fonctions et leurs rôles les
plus évidents?
Dessiner un T pour chaque personne et chaque élément du système.
À droite, inscrire tout ce qui fait
les atouts, les compétences, ce que la
personne pense pouvoir apporter au
groupe, ses goûts, ses fonctions
possibles, ses loisirs, ce qu’elle fait
volontiers, tel qu’établi au cours de la 4e étape. En dessous, inscrire les
forces de la personne ou des éléments, perçues ou exprimées par
l’intéressée elle-même ou par les coéquipiers et coéquipières.
Dans la partie gauche du T, inscrire les besoins de la ou des personnes
ou des éléments, tels que formulés plus haut. Puis inscrire en dessous les
faiblesses ressenties (par l’hémisphère droit du cerveau).
De la synthèse de ces informations, la niche apparaît maintenant de
façon évidente et le fil conducteur se précise. Ce fil conducteur est le lien
entre la niche des protagonistes et la niche du projet.
Il en résultera des combinaisons fécondes et créatives entre les
personnes, les fonctions, les systèmes. De là, des groupes, des familles, des
guildes pourront se former au service du projet.
En effet, le permaculteur désireux d’apporter sa pierre à l’évolution
collective pourra élargir son design à la recherche de l’intérêt général: il
cherchera à intégrer le bien commun à ses objectifs personnels.
La niche des protagonistes plus la niche du projet nous donnent le fil
conducteur du projet.
Dans un design réussi, des convergences évidentes apparaissent entre la
niche des membres de l’équipe et la raison d’être du projet. Il est possible
d’ajuster la niche du projet aux talents des membres de l’équipe, mais
l’inverse serait impraticable! En effet, chaque être humain a un besoin
impératif d’exprimer son identité. Le design doit offrir à chacun.e un espace
d’expression et d’épanouissement.
Le rôle des permaculteurs est de façonner le design pour répondre aux
besoins et aux niches des protagonistes, et non pour que ceux-ci s’ajustent
coûte que coûte aux besoins du design, comme le fait la société industrielle.
Une fois la niche et le fil conducteur déterminés, il faut reconnaître, en
peu de mots, la force et le défi majeurs du projet. Un design réussi intègre la
force des personnes et des projets et compense leurs faiblesses de façon à
maintenir durablement le système. Comme dans la nature, les humains
auront à inventer des mécanismes, à trouver des solutions pour compenser
leurs faiblesses.
Attention à ne pas passer trop rapidement sur cette étape de découverte,
de connexion et d’analyse des niches. La hâte de passer à l’action pourrait
vous faire prendre une mauvaise direction. Distinguer le fil conducteur du
projet est une étape incontournable; inutile de passer à l’étape suivante tant
que celle-ci n’est pas claire. Posez vos crayons, prenez du recul et redites-
vous à voix haute les cinq premières étapes du design, comme dans le
scénario d’un film. Regardez votre feuille de route et confirmez la raison
d’être de votre projet avec vos coéquipiers et coéquipières.

CLÉ DU SUCCÈS: Reconnaître les faiblesses des personnes ou des


projets permet de les compenser et de consolider le design.

ÉTAPE 6 Rêves et remue-méninges


Appelez cette étape comme vous voulez: brain storming, tempête d’idées,
remue-méninges… C’est l’étape du rêve, où tout est possible. Il suffit de
laisser jaillir votre imagination, le rêve sans limite, l’idée géniale qui surgira
des hémisphères droits de chacun.e des membres de l’équipe, désormais
entraînés. C’est la partie créative, la plus stimulante du design. Les étapes
précédentes ont permis à chacun.e de saisir les différentes composantes du
projet et d’avoir une vision globale des besoins et des attentes. À ce stade,
chacun.e laisse son inspiration suivre le fil conducteur défini au cours de
l’étape précédente.
Là encore, l’hémisphère droit de notre cerveau sera invité à dépasser les
formes apprises, souvent convenues – monocultures rectilignes, maisons à
angles droits… – pour libérer l’imagination vers des formes inspirées de la
nature – courbes, méandres, formes fractales… Il est important de prendre
son temps, de penser souvent au projet. Les promenades, le jardinage, les
temps de transport, la méditation, la nuit peuvent être des moments
favorables pour laisser émerger des idées. Ayez un calepin avec vous pour
noter les images qui surgiraient. Vous pourrez reprendre vos notes dans les
temps de partage avec vos coéquipiers. Accueillez toutes les idées, même
les plus extravagantes, sans vous limiter. Ne freinez pas votre créativité ni
celle de vos coéquipiers. Il sera toujours temps dans l’étape suivante
d’éliminer les moins pertinentes.
Soyez innovants! Amusez-vous par exemple à réaliser un arbre à idées
(ou mind map). Cette représentation graphique fonctionne comme le
cerveau, par association d’idées. Derrière des formes qui peuvent être
artistiques, l’arbre à idées permet de mettre en évidence des liens entre des
éléments, des concepts de même nature ou qui se complètent. D’un seul
coup d’œil apparaîtront alors les connexions les plus inattendues – géniales,
qui sait –, qu’elles soient réalistes ou non. Elles ouvriront des pistes
d’action.
N’hésitez pas à imaginer plusieurs scénarios, explorez toutes les pistes.
Certaines – peut-être celles que vous aurez suggérées – devront être
abandonnées à l’étape suivante au profit de scénarios qui sembleront plus
adaptés à la situation. Pas facile à accepter? C’est la permaculture humaine:
les idées de chacun.e contribuent à l’avancée collective du projet.
CLÉ DU SUCCÈS: Ne limitez pas votre créativité. Ni celle des autres
membres de l’équipe!

ÉTAPE 7 Concevoir un design fonctionnel


Le design peut être un plan d’action personnel, un aménagement paysagé,
une maquette, une planification dans le temps d’actions précises, etc.

Le design d’un espace


Ce manuel étant orienté vers la permaculture humaine, nous avons fait le choix de ne
pas développer ici d’exemple de design de lieu, stricto sensu. De nombreux ouvrages
abordent cette question en détail. Pour nous, la première zone autour de laquelle
créer tout design de lieu est la zone 00. Les autres zones (de 1 à 5) s’organisent en
fonction des personnes qui vivent dans l’écosystème créé.

Après s’être assurée d’avoir bien respecté les principes de base définis
par le père de la permaculture puis validé les pistes retenues lors du remue-
méninges, l’équipe vérifie que le projet envisagé constituera un écosystème
viable et pérenne:

Le projet répond-il à un besoin de l’écosystème (groupe ou société)?


Lequel?

Va-t-il créer de la richesse? Pour qui?


Va-t-il produire plus d’énergie qu’il n’en consommera?
Le projet bénéficiera-t-il à tous les éléments ou à toutes les personnes
du système et au-delà?
Chaque élément sera-t-il en relation avec d’autres éléments du
système?
Chaque élément (ou chaque membre) aura-t-il plusieurs fonctions?

A-t-on bien pris en compte la diversité des compétences, les forces et


les faiblesses de chacun.e et celles du projet lui-même?
Le projet a-t-il les moyens de ses ambitions? Est-il viable?
Comment sera assurée sa pérennité?
A-t-on évalué son impact environnemental, social, économique?

Si le design envisagé s’avère solide et satisfaisant, alors l’équipe


construit un échéancier avec des étapes réalistes (début et fin souhaitée du
projet).

CLÉ DU SUCCÈS: La priorité des priorités est la pérennité du système.


À terme, toutes les actions prévues doivent être viables.
ÉTAPE 8 Installer, mettre en œuvre le design

Au cours des étapes précédentes (3e,


4e, 5e et 7e), vous avez déterminé le
fil conducteur du projet et les actions
prioritaires qui vont vous permettre
de valoriser les forces et de
compenser la faiblesse principale des
personnes et du projet. Il est temps de passer à la mise en œuvre du design.
Suivez votre cap en souplesse, guidé par l’hémisphère droit de votre
cerveau. Accueillez les imprévus et modifiez les plans, si nécessaire. Ne
vous crispez pas sur un objectif à atteindre à tout prix. Restez humble, à
l’écoute de vos partenaires et des surprises que vous apportent les
événements. «Laisser aller les choses là où elles veulent aller», comme
l’écrit Rob Hopkins dans le Manuel de transition11.

CLÉ DU SUCCÈS: Soyez très méthodique, notamment en ce qui


concerne le budget et la programmation des actions. Réfléchissez,
écoutez vos partenaires, consultez des personnes expérimentées, prenez
votre temps.

ÉTAPE 9 Maintenir la pérennité du design

Quel que soit le projet, sa pérennité et


sa maintenance doivent être une
préoccupation constante pour le
permaculteur dès la 4e étape
(évaluation et tri des données
recueillies). Il s’agit maintenant de vérifier la capacité du projet à
s’autoréguler. Cette précaution vous permettra de passer harmonieusement
des rêves de départ à leur concrétisation.

CLÉ DU SUCCÈS: Tout projet demande à être ajusté, reconstruit ou


amélioré au fil du temps. «Design and re-design», dit Bill Mollison.

L’Université collaborative internationale de la Transition (UCIT)


propose des ressources en ligne (en accès libre) et des modules de
formation (payants) pour pratiquer le design de vie:
www.universitetransition.org/formations/design-design-de-vie/.
3 Prendre soin
de la Terre
La biodiversité, clé de l’équilibre

L’ÊTRE HUMAIN, COMME TOUT CE QUI VIT et respire, dépend d’un ensemble
complexe d’éléments naturels. Sur certains d’entre eux, il n’a aucune prise:
la rotation de la Terre autour du Soleil, la gravité, le cycle des saisons… Sur
d’autres, il peut avoir, par ses activités, un impact neutre ou négatif. Il peut
aussi avoir un impact positif s’il choisit de restaurer les milieux qu’il a
détruits ou déséquilibrés par des activités désordonnées.

CHIFFRES-CHOCS

En moins de deux générations humaines, la taille des populations des


espèces sauvages a fondu de moitié sur la planète. C’est ce qu’affirme l’ONG
internationale WWF dans son rapport de 2014 Indice Planète Vivante
(diagnostic établi sur un échantillon représentatif de plus de 10 000 populations
de mammifères, d’oiseaux, de reptiles, d’amphibiens et de poissons depuis
1970). Or, «les différentes formes du vivant sont à la fois la matrice des
écosystèmes permettant la vie sur Terre et le baromètre de ce que nous faisons
subir à notre planète, notre unique demeure. En nous désintéressant de leur
sort, nous courons à notre propre perte», rappelle le WWF.

Nous choisissons ici de mettre en évidence le lien vital qui unit l’être
humain à l’eau, au sol et à la forêt. Depuis un siècle, l’activité humaine a un
impact majeur sur ces trois éléments, avec des conséquences en chaînes
imprévisibles, notamment sur le climat et sur la biodiversité. La plupart des
ressources, malgré les atteintes qu’elles subissent, auront tôt ou tard la
capacité de se régénérer. Mais l’être humain? Jusqu’où saura-t-il faire face
aux désordres qu’il entraîne? Jusqu’où pourra-t-il survivre dans un
environnement qui serait devenu totalement hostile? Quand prendra-t-il
conscience que négliger ou détruire son milieu équivaut à s’autodétruire?
Ne cédons pas au pessimisme ni au découragement: l’humanité a une marge
de manœuvre pour redresser la barre et choisir d’adopter, en connaissance
de cause, des comportements plus vertueux, en harmonie avec les lois de la
nature. C’est le rôle d’un design permaculturel.

COMPRENDRE POUR PRÉVOIR ET S’ADAPTER

Découvrir la fragilité et la complexité des mécanismes de la nature,


comprendre les liens de cause à effet entre nos comportements et certains
désordres qu’ils peuvent engendrer est un préalable pour nous motiver à
effectuer des changements dans nos habitudes. Cela est particulièrement
utile à l’heure où les scientifiques annoncent des hausses de température
moyenne de 1 à 5 degrés Celsius, selon les prévisions, ce qui nous assure de
fortes turbulences. Une hausse de 1°C engendre 7% d’évaporation
supplémentaire de l’eau. L’évaporation étant le moteur de la circulation des
flux atmosphériques, elle va amplifier les phénomènes climatiques: plus de
pluies brutales, d’inondations soudaines et de sécheresses, plus de chaleurs
extrêmes…
Avant d’examiner chacun des trois écosystèmes, eau, sol, forêt, voici
quelques repères:

Un écosystème naturel est un ensemble vivant rassemblant différentes


espèces en interrelation les unes avec les autres et avec leur milieu
dans un espace donné. Il est composé de producteurs (en particulier les
plantes), de consommateurs (entre autres les animaux) et de
bioréducteurs (en particulier les micro-organismes), aidés de l’énergie
solaire. L’association de tous ces éléments crée de la vie. Si rien ne
vient l’en empêcher, un écosystème naturel évolue, théoriquement,
vers un état stable («climax»). Un ensemble complexe d’actions et de
rétroactions l’amène en réalité à s’adapter en permanence.

Tout écosystème naturel a des «fonctions» écologiques multiples et


complexes, essentielles à la bonne marche et à l’équilibre de
l’écosystème Terre. Les innombrables interactions et les échanges
d’énergie et de matière qu’ils entretiennent entre eux leur permettent
de se maintenir en équilibre dynamique et d’évoluer. Tous les
écosystèmes naturels ont pour fonction de garder vivantes de
gigantesques réserves de biodiversité, qui sont elles-mêmes la clé de la
résilience des écosystèmes et de leur capacité à s’équilibrer et à
s’adapter.

Principe de permaculture n° 4
Appliquer l’autorégulation
et accepter les réactions

La biodiversité rend des «services» écologiques ou écosystémiques


gratuitement à toutes les espèces vivantes, notamment à l’humain qui
en tire nombre de bénéfices sans avoir rien à faire pour les obtenir:

Services d’approvisionnement: en eau, en nourriture, en énergies, en


ressources telles le bois, les fibres textiles, les métaux, etc.

Services de régulation: les océans, les rivières, les sols, les forêts
stockent, acheminent, filtrent, purifient, restituent de gigantesques
réserves de biodiversité et d’eau douce, porteuses de quantités de
nutriments et de micro-organismes… sans que personne n’ait à
intervenir! Leur capacité de résilience leur permet par exemple de
réguler les maladies et de jouer un rôle de tampon sur le plan
climatique.

Services d’appui: les écosystèmes offrent des habitats aux plantes et


aux animaux, des matières premières pour l’habitat humain et toutes
les conditions pour produire la nourriture nécessaire aux plantes, aux
animaux et aux humains.

Services «culturels» ou «aménités»: les écosystèmes naturels offrent


également aux humains des services immatériels tels que la beauté des
paysages qui inspire les artistes ou invite à la contemplation, le plaisir
d’escalader les montagnes ou de surfer sur les vagues, l’occasion
d’apprendre en observant la nature et de partager ses découvertes.

Principe de permaculture n° 10
Utiliser, valoriser et
favoriser la biodiversité

La biodiversi… quoi?
Le mot biodiversité recouvre l’ensemble des formes de vie sur Terre, des plus petites
aux plus grandes, l’ensemble des interactions complexes qu’elles entretiennent, leurs
fonctions et leurs modes de vie. Cette diversité biologique résulte d’une évolution
façonnée au fil de milliards d’années. La communauté du vivant, dont l’humanité fait
intégralement partie et dont nous dépendons totalement, a une origine commune: un
même ADN qui se différencie. Il existe donc des relations de parenté entre toutes les
espèces. Découvrons dans ce chapitre nos liens de parenté avec le monde végétal et
animal!
POUR EN SAVOIR PLUS: «Biodiversité: que recouvre ce mot», Saga science,
Centre national de la recherche scientifique (CNRS),
www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosbiodiv/index.php?pid= decouv_chapA.
L’eau, c’est la vie!

Rien ne se perd, rien ne se crée,


tout se transforme.

– Antoine-Laurent de Lavoisier (1743-1794)

L’EAU, UN ÉLÉMENT INDISPENSABLE À TOUTE FORME DE


VIE

C’EST DANS L’EAU QUE LA VIE EST APPARUE sur la planète Terre. C’est dans
l’eau salée du liquide amniotique que commence la vie humaine. Le corps
humain, constitué en grande partie d’eau (en moyenne 70% de son poids),
porte dans ses cellules l’empreinte de l’origine marine de la vie.
L’eau douce est vitale à toutes les espèces animales et végétales
terrestres, pour s’hydrater et respirer. Bien avant de mourir de faim, la
plupart des animaux ou des végétaux privés d’eau meurent de soif en
quelques jours. Tous nos organes ont besoin d’eau, y compris la peau et les
poumons à qui l’humidité de l’air est nécessaire. Même les espèces qui sont
adaptées au désert ou qui hibernent dépendent de l’eau.
La fonction de l’eau dans l’écosystème Terre est de maintenir en vie
toutes les espèces. Rien de moins! Les océans jouent un rôle primordial de
tampon thermique pour réguler les climats, car l’eau stocke la chaleur du
soleil et sa température varie beaucoup moins vite que celle de la Terre. Les
océans fonctionnent également comme un puits de carbone, leurs couches
supérieures recyclant chaque année environ 100 milliards de tonnes de
carbone, soit 60 fois plus qu’il ne s’en trouve dans l’atmosphère.
Le caractère vital de l’eau est inscrit dans la plupart des cultures
humaines et des traditions spirituelles. Combien de récits, de rituels autour
de l’eau liés à la fécondité, à la naissance, à la purification, voire à la mort?

DE L’EAU TOMBÉE DU CIEL

D’où vient l’eau? «L’eau nous vient des étoiles!» résume joliment le
biologiste Pierre Mollo. «Au commencement (il y a 15 milliards d’années),
il y eut le Big Bang. L’univers est concentré en un point minuscule, à des
températures inimaginables (milliards de milliards de degrés). Puis, il y a
cinq milliards d’années, le monde est minéral, baignant dans le CO2 . La vie
est venue du ciel lorsque des comètes et des météorites de glace ont fondu
en frôlant la Terre, apportant eau douce et bactéries anaérobiques (vivant
sans oxygène). Un beau jour, à la faveur d’éruptions volcaniques libérant
des sels minéraux des entrailles de la Terre, une bactérie (cyanobactérie) a
commencé à produire de l’oxygène par photosynthèse. Les bactéries se sont
multipliées tout en absorbant le CO2 et toutes sortes de particules toxiques.
Petit à petit, elles se sont sédimentées, formant des reliefs et des continents.
Depuis lors, le vent chargé du sable des déserts (silice) nourrit les océans et
permet le développement des diatomées (phytoplancton) dans l’eau. Ce
plancton végétal produit de l’oxygène et nourrit à son tour le plancton
animal.» C’est ainsi que l’eau donna naissance à la vie, à la chaîne de vie
marine, laquelle donna ensuite naissance à la chaîne de vie terrestre.
Principe de permaculture n° 5
Utiliser et valoriser les ressources
et les services renouvelables

Les scientifiques avancent plusieurs hypothèses complémentaires sur


l’origine de l’eau, régulièrement remises en question par de nouvelles
découvertes. Il est aujourd’hui admis que «l’eau est présente dans tout le
cosmos sous forme de glace ou de vapeur. Mais d’eau liquide, point, en
dehors du système solaire où notre chère planète est la seule à jouir, au
grand jour, du charme de l’eau liquide», affirme-t-on au CNRS. Les
scientifiques continuent d’étudier le «cycle cosmique de l’eau» dans le
milieu interstellaire, livrant petit à petit des informations qui bouleversent
les conceptions admises jusqu’ici.

L’EAU N’A PAS ENCORE RÉVÉLÉ TOUS SES SECRETS

La science contemporaine définit l’eau par la composition chimique de sa


molécule: H2O (un atome d’oxygène relié à deux atomes d’hydrogène par
des forces électrostatiques). En revanche, certaines des propriétés physiques
de l’eau défient la mécanique des fluides et restent à ce jour mystérieuses.
De nombreux chercheurs tentent de percer ses mystères, au péril parfois de
leur carrière.

POUR EN SAVOIR PLUS: Dossier scientifique: l’eau, Centre national de la


recherche scientifique (CNRS),
www.cnrs.fr/cw/dossiers/doseau/decouv/proprie/MenuProprie.html.

L’eau, le sol, la forêt… et l’humain: une


histoire de famille (1 de 3)

LE PLANCTON MARIN, PREMIER PRODUCTEUR


D’OXYGÈNE
La première forme de vie est apparue sur Terre – plus précisément en mer – il y a
quelque 3,8 milliards d’années. Grâce à la présence de minéraux émis par des
éruptions volcaniques, des bactéries ont évolué en plancton végétal ou
phytoplancton. De cette forme initiale, unicellulaire, sont nées les algues bleues, les
plus anciennes, puis toutes les variétés d’algues et de végétaux aquatiques. Cette
biomasse marine, aujourd’hui plus importante que toutes les forêts réunies, produit,
par photosynthèse, plus de la moitié de l’oxygène nécessaire à la vie sur Terre. Et le
phytoplancton capte plus de 50% du CO2 de l’atmosphère. Ces végétaux marins sont
donc l’un des poumons de la planète, qui permettent au sol et à toutes les espèces
végétales et animales de respirer. (Suite à la p. 100)

Un volume d’eau douce à jamais constant

La quantité d’eau douce disponible sur Terre est limitée et constante depuis
les origines. «L’eau que l’on boit a déjà été bue plusieurs fois», aime à dire
le paysagiste Gilles Clément dans ses conférences. «Peut-être même par un
dinosaure», suggère un internaute!
C’est toujours la même eau qui circule et qui alimente sans cesse les
rivières, les glaciers, les nappes phréatiques, les sols… sans oublier nos
robinets. On estime que 1 000 kilomètres cubes d’eau s’évaporent chaque
jour des océans sous l’effet du soleil. Elle devient gazeuse et se transforme
en nuages qui finissent par retomber sous forme de pluie ou de neige. Puis,
31% des précipitations s’évaporent à nouveau, 16% ruissellent et rejoignent
les cours d’eau, 23% s’infiltrent et alimentent les nappes phréatiques, les
rivières et les gouffres souterrains. Une partie de l’eau retombée au sol
alimente les plantes via leurs racines. Une partie de cette eau est restituée
sous forme gazeuse (vapeur d’eau) par la transpiration des feuilles. Le
volume total d’eau en circulation sur la planète est toujours le même. Avec
des temps variables de séjour dans les différents «réservoirs» (de huit jours
dans l’atmosphère à plusieurs milliers d’années dans les glaciers). L’eau
douce qui retourne à la mer emporte avec elle des matières organiques
terrestres et perpétue le développement du plancton, donc de l’oxygène et
de toute la chaîne de la vie marine.
L’eau est donc une ressource rare et précieuse. D’autant plus que son
volume, constant, doit être partagé entre un nombre croissant d’humains et
d’activités. Avec des écarts de 1 à 10 000, les réserves d’eau douce sont très
inégalement réparties sur Terre. Et inégalement sollicitées. L’hémisphère
Nord dispose de plus de réserves et en consomme énormément.
L’hémisphère Sud dispose de moins de réserves et en consomme beaucoup
moins, malgré une plus forte pression démographique. Ainsi, la menace de
«stress hydrique» pèse de façon très inégale sur les différentes régions du
monde.

L’humain n’a accès qu’à 1% de l’eau douce


disponible sur Terre
97% eau salée

eau douce dont plus des deux tiers sont gelés (glaces et glaciers) et le reste
est liquide. Dans le tiers liquide, les trois quarts sont des eaux souterraines
3%
inaccessibles à l’humain (pour l’instant). Ne reste accessible à l’humain que le
quart du tiers liquide, soit moins de 1% de l’eau douce existant sur Terre.

SOURCES: World Water Council, Office international de l’eau, Centre national de la


recherche scientifique (CNRS).
DE VASTES RÉSERVES D’EAU (PRESQUE) DOUCE SOUS LES
MERS?

Une étude scientifique internationale publiée en décembre 2013 dans la


revue Nature12 affirme que d’énormes volumes d’eau seraient piégés sous
les océans depuis des millions d’années. Des volumes estimés à 3 fois le
volume des eaux de surface ou 100 fois supérieurs à l’eau prélevée par les
humains en un siècle de consommation à outrance (le XXe). Il s’agit en fait
d’eau saumâtre, moins salée que l’eau de mer, donc plus facile à désaliniser.
Exploiter cette ressource est tentant pour les pays déficitaires en eau douce
et, surtout, pour les tenants d’une consommation tous azimuts! En revanche,
cela n’est pas rassurant pour la préservation des ressources naturelles
encore à découvrir.

Neuf pays se partagent 60% des réserves mondiales d’eau douce: le Brésil, la
Russie, les États-Unis, le Canada, la Chine, l’Indonésie, l’Inde, la Colombie et le
Pérou.

L’HUMAIN RECHERCHE LA PROXIMITÉ DE L’EAU

Les communautés humaines s’installent de préférence à proximité de l’eau:


au bord des fleuves, le long des estuaires et des littoraux, autour des lacs
intérieurs. Non seulement l’eau constitue une ressource nécessaire à la vie,
elle recèle aussi de forts potentiels énergétiques et offre aux populations un
moyen de communication aisé vers l’intérieur des terres. Les grandes
civilisations sont nées au bord de l’eau. C’est en Mésopotamie, sur les
terres fertiles baignées par le Tigre et l’Euphrate, que les êtres humains ont
inventé les techniques d’irrigation les plus novatrices, 60 siècles avant
Jésus-Christ. Ces techniques ont permis à l’agriculture de se développer. Et
c’est une fois que le besoin primordial de nourriture a pu être satisfait
qu’une fécondité culturelle a pu éclore. C’est d’ailleurs sur les rives fertiles
du Tigre et de l’Euphrate que naîtra, bien plus tard, l’écriture.

Principe de permaculture n° 2
Capter et stocker l’énergie

UNE CHAÎNE DE POLLUTION DÉSTABILISANTE

Du fait de la proximité des peuples avec l’eau, les rivières, les fleuves, les
lacs, la mer sont à la fois la ressource et le réceptacle de toutes les activités
humaines. Les Anciens savaient utiliser l’eau sans la polluer et la gaspiller.
Aujourd’hui, le manque de conscience de notre appartenance à la nature
ainsi que la densité de population aux abords de l’eau rendent la situation
critique. Si l’eau douce reste certes une ressource renouvelable (par le cycle
de l’évaporation et des précipitations), elle est désormais menacée. En effet,
les activités domestiques et surtout agricoles et industrielles dans les pays
riches génèrent des pollutions terrestres et ensuite aquatiques (par
ruissellement). Ces dégradations déstabilisent les milieux naturels terrestres
et marins, mettant en péril la santé et la vie de nombre d’espèces, y compris
l’humain. Cette chaîne de pollution des eaux est désormais assez bien
connue des autorités et du public. Cette situation nécessite une mobilisation
générale.

NAPPES PHRÉATIQUES EN DANGER


Un autre risque sérieux est beaucoup moins connu: l’eau que nos sociétés
modernes utilisent sans compter est, sur nombre de territoires,
essentiellement prélevée dans les nappes phréatiques. Une fois utilisée dans
nos éviers, lavabos, douches et toilettes, cette eau est le plus souvent rejetée
dans le réseau collectif d’eaux usées (égouts) et rejoint des stations
d’épuration. Là, les eaux usées sont «lavées» et renvoyées vers une rivière,
laquelle se jette dans la mer. Cela signifie que l’essentiel de l’eau prélevée
dans les nappes phréatiques n’y retourne pas et que les réserves souterraines
ne sont plus alimentées. Cette situation est aggravée par le déboisement
irraisonné qui assèche les sols (et dérègle les climats). Quelques spécialistes
de l’eau tirent la sonnette d’alarme depuis des années sur ce risque
d’épuisement des réserves souterraines mais semblent peu entendus par les
autorités. D’où la puissante exhortation que nous adressons aux citoyen.nes
de renvoyer leurs eaux de pluie à la terre ainsi que leurs eaux usées après
épurement par pédo- ou phytoépuration. Pour préserver la vie terrestre et
marine (donc la production d’oxygène), la permaculture propose des
mesures pour prendre soin de l’eau.
Le cycle technique de l’eau

Principe de permaculture n° 6
Éviter la production
de déchets

LES BESOINS HUMAINS EN EAU DOUCE

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS):


100 litres d’eau douce par personne et par jour (l/P/J) sont nécessaires
pour vivre «confortablement».
50 l/P/J permettent de vivre «décemment».
20 l/P/J permettent de survivre. Sur ce volume, 2 à 3 l/P/J doivent
absolument être potables pour l’eau que boivent les humains et la
préparation des aliments.

Des consommations d’eau très inégales d’une


région du monde à l’autre
PAR HABITANT ET PAR JOUR

États-Unis* 600 litres

Canada* 300 à 400

Europe 130 à 250


France 130 à 160

Asie, Amérique du Sud 50 à 100

Afrique subsaharienne 10 à 20

* Les citoyens nord-américains paient un forfait d’eau potable. Au Québec, le prix de


l’eau est intégré aux taxes publiques. Ces modes de gestion n’incitent pas à
l’économie!

Source: Département du développement durable, «L’utilisation de l’eau en agriculture»,


Eau et agriculture. Produire plus avec moins d’eau, Rome, Organisation des Nations
unies pour l’alimentation et l’agriculture, 2002,
www.fao.org/docrep/005/y3918f/y3918f03.htm.

CHIFFRES-CHOCS
Accès à l’eau potable dans le monde (ONU)

Un humain sur trois n’a pas accès à l’eau potable et vit dans une
situation dite de «stress hydrique» (lorsque les ressources sont
inférieures aux besoins).

La moitié de l’humanité boit de l’eau «douteuse», voire


dangereuse et doit parcourir des kilomètres pour accéder à un
point d’eau. C’est une atteinte aux droits humains tels que définis
par la communauté internationale.
Oui, 1% seulement de l’eau du robinet est
utilisé en tant qu’eau potable (7% si l’on y
ajoute la préparation des aliments)! Au final,
93% de l’eau potable est utilisée pour
l’hygiène et le nettoyage. Un gaspillage qu’il
convient de reconnaître et de réduire.

SOURCE: «Les usages de l’eau: les usages domestiques», Centre d’information sur l’eau,
www.cieau.com/les-ressources-en-eau/en-france/les-usages-domestiques.

DONNER UNE PLACE PRIORITAIRE À L’EAU


DANS TOUT DESIGN
La mobilisation des autorités nationales et internationales pour réduire la
consommation d’eau douce (et surtout d’eau potable) et pour préserver la
qualité de l’eau s’amplifie d’année en année. Tant mieux. Ces actions du
haut vers le bas sont nécessaires, mais elles sont loin d’être suffisantes. Pour
que la tendance au gaspillage et à la pollution s’inverse rapidement, la
mobilisation de chacun.e est nécessaire. Au niveau individuel et collectif,
une véritable révolution est nécessaire dans l’usage de l’eau potable. La
présence d’eau douce et sa qualité déterminent le potentiel de
développement économique, social et culturel d’un site ou d’une région.
C’est pourquoi tout design permaculturel accorde une place prioritaire à cet
élément.
Inclure l’eau dans les designs que vous allez entreprendre est nécessaire.
Et ce n’est pas compliqué. Le plus difficile est de se convaincre de
l’urgence de changer nos habitudes et de transformer notre regard.
Voici quelques mesures simples et efficaces que tout citoyen et
citoyenne de bonne volonté, surtout s’il est permaculteur, peut mettre en
place pour préserver, valoriser et bonifier les ressources en eau dans son
logement, dans son jardin, sur son terrain:
cesser d’utiliser des produits polluants;
évaluer, limiter et contrôler sa consommation d’eau potable;
veiller à utiliser l’eau plusieurs fois avant de la rendre à la terre;
installer des toilettes sèches à compost;

traquer les fuites sur le réseau d’eau potable (15 à 20% de l’eau
distribuée);

capter l’eau de pluie;


faciliter le ralentissement, la dispersion et l’infiltration de l’eau de
pluie dans la nappe phréatique (noues, fossés d’infiltration)13;
purifier et dynamiser l’eau;
stocker l’eau sur des points hauts (pour faciliter sa distribution),
aménager des bassins et autres réservoirs;

limiter l’arrosage (choix des variétés végétales) et freiner l’évaporation


du sol (paillis ou «mulch»);

arroser abondamment de temps en temps, plutôt que peu et souvent;


traiter vos eaux grises (douches, vaisselle, lessive) par pédo- ou phyto-
épuration;
s’informer sur les ressources en eau de son territoire (provenance,
qualité, traitement).

Principe de permaculture n° 9
Préférer des solutions
modestes et lentes
Des pionniers de l’eau
RENÉ QUINTON (1866-1925) – «Notre organisme est un
gigantesque aquarium marin dans lequel baignent des
milliards de cellules.»
Selon ce biologiste et médecin français, le plasma
dans lequel baignent les cellules des mammifères (dont
nous sommes) est identique au liquide marin originel
(dilution mise à part). Les maladies apparaissent lorsque l’équilibre entre certains de
ces éléments est rompu. Il suffit, selon lui, d’absorber de l’eau de mer purifiée et
isotonique, aux concentrations physiologiques, pour rétablir l’équilibre et aider
l’organisme à reprendre le dessus sur la maladie ou la fatigue. Le procédé «Plasma
Quinton», très pratiqué du vivant du chercheur, y compris en milieu hospitalier, a
ensuite été délaissé au profit de remèdes plus «modernes». Il est aujourd’hui utilisé
en naturopathie.

POUR EN SAVOIR PLUS: René Quinton, L’eau de mer, milieu organique.


Constance du milieu marin originel, comme milieu vital des cellules, à travers
la série animale, Paris, Masson, 1912.

LOUIS-CLAUDE VINCENT (1906-1988)– «L’eau capte les forces vibratoires de


l’univers et les répercute dans tous les milieux vivants.»

Associé à la DRE JEANNE ROUSSEAU, ce fondateur de la bioélectronique a


mis en évidence la faculté de résonance de l’eau et sa capacité à répercuter dans les
milieux vivants les informations cosmo-électromagnétiques qu’elle reçoit. Il a mis au
point une technique physico-chimique pour mesurer le potentiel hydrogène (pH), le
potentiel électronique (rH2) et la résistivité électrique (rô) des solutions aqueuses et
ainsi évaluer la vitalité de l’eau, d’un aliment ou l’état du «terrain» biologique d’une
personne. Cette approche permet également de corriger un terrain pour le maintenir
en bonne santé. Pour obtenir une eau potable de qualité, la bioélectronique propose
d’associer la filtration et la revitalisation. «Les notions fondamentales de pureté et de
vitalité sont ignorées par les services officiels, plus préoccupés de la quantité d’eau à
vendre que de la qualité de l’eau à boire», regrettent les bénévoles de l’association
bioélectronique, «reconnue d’intérêt général».

POUR EN SAVOIR PLUS: Votre santé naturelle, www.votre-sante-naturelle.fr.


JACQUES BENVENISTE (1935-2004) et LUC MONTAGNIER (1932): «L’eau
conserve l’empreinte électromagnétique des molécules ayant été à son
contact.»

Médecin et immunologiste français, Jacques Benveniste s’est fait connaître du grand


public par ses travaux sur la «mémoire de l’eau» à la fin des années 1980. Il révèle
que l’eau conserverait l’empreinte électromagnétique de molécules ayant été en
contact avec elle, même après que ces molécules ont disparu à la suite de très fortes
dilutions. Cette vision est contestée par une partie de la communauté scientifique.
Luc Montagnier, biologiste français, Prix Nobel de médecine 2008 pour la découverte
du virus VIH responsable du sida, appuie ses recherches actuelles (détection des
infections bactériennes chroniques) sur les découvertes du Dr Benveniste.

POUR EN SAVOIR PLUS: Le film documentaire On a retrouvé la mémoire de


l’eau!, de Christian Manil et Laurent Lichtenstein, 2013, www.france5.fr/et-
vous/France-5-et-vous/Les-programmes/LE-MAG-N-28-2014/articles/p-20549-
On-a-retrouve-la-memoire-de-l-eau.htm
Le sol aussi, c’est la vie
Une feuille morte tombée au sol n’est pas une souillure,
c’est une nourriture.

– Gilles Clément, jardinier planétaire

LE SOL, LE SUPPORT DE NOTRE VIE

NOUS NAISSONS SUR LE SOL, nous marchons sur le sol, nous tirons
notre nourriture du sol, nous y construisons nos habitations, nos routes,
nous y développons toutes nos activités et nous avons peu conscience de la
vie qui y grouille: sept millions d’invertébrés vivent sous la semelle d’un
seul randonneur! La plupart des Peuples Premiers vénèrent le sol comme
source de toute fertilité. Les Andins font aujourd’hui encore des offrandes à
la Pachamama, la terre-mère nourricière.

La nature du sol et la vie qui règne dans son épaisseur occupent peu de
place dans la conscience collective des sociétés modernes. On oublie que
sous nos pieds, invisibles à l’œil nu, se jouent des équilibres subtils, vitaux
pour tous les cycles de la vie terrestre et marine, et donc pour notre survie.
En effet, la plus grande partie de la biodiversité terrestre vit dans le sol et
non sur le sol. Dans un mètre carré de sol en bonne santé vivent dans un
équilibre fragile jusqu’à 260 millions d’espèces animales et le double
d’espèces végétales, chacune ayant des fonctions particulières dans
l’ensemble de l’écosystème. Chaque gramme de sol contient jusqu’à
100 000 espèces bactériennes nécessaires aux équilibres vitaux des
organismes terrestres!

Lieu de la rencontre entre les forces telluriques qui viennent des


profondeurs de la Terre et les énergies cosmiques des astres et des planètes
qui influencent la vie sur Terre, le sol est une zone d’échanges
particulièrement riche, un capital vivant pour la planète et ses habitants.

DES FONCTIONS VITALES POUR L’ENSEMBLE DE


L’ÉCOSYSTÈME
Les sols remplissent des fonctions nombreuses et complexes dans
l’écosystème, d’ordre à la fois structurel, physique, chimique et biologique.
Ils produisent et entretiennent la biomasse (forêts, prairies, cultures) dont
nous tirons notre nourriture (fonction de production). Plus cette diversité
est grande, plus les micro-organismes du sol sont en mesure de transformer,
digérer la matière organique (végétaux et animaux morts – et, jusqu’à un
certain point, nos déchets) en nourriture pour les végétaux (fonction de
transformation). Il en résulte un humus fertile, à même de maintenir en
bonne santé les innombrables populations de plantes et d’animaux qui y
résident (fonction d’habitat).

Les sols jouent un rôle important de régulation: ils stockent, acheminent,


filtrent, purifient, recyclent, restituent de gigantesques réserves d’eau
douce. Ils ont donc un rôle tampon dans la circulation des masses d’eau
ainsi que sur le plan climatique, grâce à l’inertie thermique de cette eau
qu’ils contiennent (fonction de résilience).

Les sols sont également d’excellents dépollueurs de l’eau (fonction de


filtre) grâce aux cycles biogéochimiques du carbone et de l’azote associés
aux plantes. Ils jouent ainsi un rôle majeur dans la qualité de l’eau et dans
le stockage du carbone.

Bref, les sols sont un capital inestimable pour la vie sur Terre. Un capital
fragile car il suffit de peu de temps, de peu d’actions désordonnées pour les
rendre stériles.

3-3-1

Le cycle de la matière

DES SERVICES ÉCOLOGIQUES GRATUITS POUR L’HUMANITÉ

Les sols offrent de multiples services, gratuitement, aux êtres humains:


matériaux pour nos habitations, fibres pour nos vêtements, minerais,
pétrole. Ce sont des réservoirs de nutriments (notamment des minéraux)
essentiels à la santé des plantes, des micro-organismes, des animaux et des
humains. Et un réservoir génétique source d’innovations scientifiques
(thérapeutiques ou autres).
Enfin, la beauté des paysages que les sols offrent à notre regard sont autant
d’occasions d’épanouissement physique, psychique, culturel et spirituel.

LE SOL, UNE RESSOURCE NON RENOUVELABLE ET LIMITÉE

Le sol se compose d’une partie minérale et d’une partie organique riche en


eau et en air. La partie minérale (argiles, limons, sables) résulte de la
dégradation de la roche-mère due aux intempéries (précipitations, vents,
variations de température), avec l’appui de la multitude d’organismes
vivant dans la partie organique du sol (bactéries, champignons, vers de
terre, insectes et autres invertébrés, plantes, animaux vivants et morts) et de
complexes processus biochimiques (azote, phosphore, potassium, oligo-
éléments). En fonction de l’association de ces différents éléments, le sol se
structure en agrégats plus ou moins homogènes d’argile, de limon et de
sable qui déterminent ses propriétés, notamment celle de retenir plus ou
moins l’eau. Selon la topographie du lieu (exposition à l’érosion,
écoulement de l’eau, pente), le sol forme des couches successives: les
horizons du sol.

Dans tous les cas, il faut du temps, beaucoup de temps pour qu’un sol se
forme: des siècles ou des milliers d’années selon les circonstances (on
compte en moyenne 100 ans pour créer 1 centimètre de sol). Tellement de
temps, en fait, que le sol est considéré comme une ressource non
renouvelable. En milieu tempéré, l’épaisseur des sols (au-dessus de la
roche-mère) varie de 0 à 2 mètres. Elle peut atteindre 10 mètres en zones
tropicales. On considère qu’un bon sol agricole est constitué de 45% de
matière minérale, 25% d’eau, 25% d’air et de 5% de matière organique.

3-3-2

3-3-3

OÙ SONT LES TERRES ARABLES AUJOURD’HUI?

La couche arable (c’est-à-dire cultivable) susceptible de produire nos


aliments représente une épaisseur de 15 à 30 centimètres du sol.
Les terres arables sont une ressource limitée, du fait même des limites de la
planète:

Trois quarts de la surface de la Terre sont occupés par les océans.

Du quart de «pomme» restant, deux tiers sont des déserts, des


montagnes, des zones recouvertes de glace.

Il ne reste donc qu’un tiers de ce quart de pomme pour nourrir


l’humanité. Et on en retire en ce moment la pelure: ce sont des terres
érodées, appauvries par nos pratiques et que l’homme peut restaurer.

L’eau, le sol, la forêt… et l’humain: une histoire de famille (2 de 3)

CE QUE LE SOL DOIT À LA VIE AQUATIQUE

Depuis 3,5 milliards d’années, le plancton marin se reproduit et meurt. En


retombant au fond de l’eau, d’énormes quantités de microalgues se sont
sédimentées et ont fini pas former des reliefs. Lorsque la mer s’est
progressivement retirée, des continents et des paysages sont apparus. C’est
ainsi que les squelettes des coccolithes (nanoalgues), riches en calcaire, ont
forgé les célèbres falaises de craie d’Étretat (France), au fil de millions
d’années! De même les roches silicatées d’Auvergne et d’Ardèche ont été
formées par la sédimentation et la fossilisation de squelettes de diatomées,
l’espèce la plus répandue de phytoplancton. C’est (entre autres) de la
dégradation de ces roches-mères que naissent les sols qui, à leur tour, ont
permis à la vie terrestre de se développer. (Suite à la p. 113)

3-3-4

Les cinq principes de l’autofertilité du sol

LES CINQ PRINCIPES DE L’AUTOFERTILITÉ DU SOL

Depuis des millénaires, les végétaux se perpétuent sans aucune intervention


humaine! Apprenons à connaître les conditions qui permettent au sol de
donner de lui-même en abondance. Nous pourrons alors reproduire ces
conditions pour restaurer la vitalité de nos sols et cultiver nos jardins avec
un minimum de travail.

Tout ce qui vit – les plantes, les animaux, les humains – meurt,
inéluctablement. La vie microbienne du sol digère et transforme tous les
résidus végétaux, animaux, minéraux en matières assimilables qui vont à
leur tour nourrir le monde végétal. Les sols jouent en quelque sorte le rôle
de tube digestif de la biosphère. De la présence de matière organique sur le
sol et de la capacité des micro-organismes à la transformer dépendent
directement la qualité et la fertilité du sol… et la santé des végétaux qui y
poussent (de même que la santé du corps humain dépend largement de la
vitalité de sa flore intestinale).

LE SOL EST NATURELLEMENT AUTOFERTILE

L’autofertilité des sols repose sur cinq principes complémentaires et


interdépendants. Ils agissent bien sûr tous en même temps. Si l’humain
s’inspire de ces principes et les applique pendant une période suffisamment
longue sur un terrain dégradé, les sols vont s’en trouver régénérés. Ils vont
retrouver leur autofertilité.

1er principe de l’autofertilité: maintenir le sol couvert

À l’état naturel, les sols ne restent pas nus (sauf dans les déserts). Si l’être
humain ne s’en mêle pas, un sol sauvage mis à nu accidentellement
(incendie, inondation, irruption volcanique) ne le restera pas longtemps.
Une conspiration d’éléments contribuera à le recouvrir: sous l’action du
vent et des oiseaux, des plantes pionnières s’installent, ingratement
nommées mauvaises herbes. Des semences enfouies dans la terre sortent de
leur dormance et germent. Ainsi le couvert végétal se reforme, les forêts
repoussent, produisent une biomasse dont la décomposition créera de
nouveau de l’humus. Et la vie végétale et animale reprendra son cours.

Le permaculteur veille donc à recouvrir son sol d’un mulch. Tous les
matériaux organiques font de bons paillages: feuilles mortes, bois raméal
fragmenté (BRF), branches coupées, copeaux de bois, résidus de tontes de
gazon, journaux, cartons, tapis ou tissus de fibres naturelles, laine de
mouton… Par leur présence, ces matériaux vont activer la vie souterraine,
laquelle va à son tour activer leur décomposition, laquelle va créer de
l’humus et relancer les cycles de la vie. Même une bâche en plastique peut
protéger le sol des intempéries, de l’érosion, et stimuler l’activité des
micro-organismes de la terre.

tableau2

Paillage = paillis = mulch

Ces trois mots sont strictement synonymes pour désigner la couverture


végétale (et parfois minérale) qu’il est recommandé de déposer sur la terre,
au pied des plantes, pour limiter l’évaporation, éviter le lessivage et le
dessèchement du sol, le garder meuble, faciliter la formation d’humus grâce
à la décomposition de ces matières organiques. Les permaculteurs
emploient volontiers le terme mulch, emprunté à l’anglais. Ce couvert
limite également la croissance des herbes pionnières.

3-3-5

2e principe de l’autofertilité: laisser respirer le sol, ne pas le compacter

L’eau et l’oxygène sont des éléments vitaux pour les plantes, pour les
micro-organismes et pour les animaux qui vivent dans le sol. L’eau et
l’oxygène doivent pouvoir circuler en profondeur dans la terre pour
alimenter toutes les strates de vie. Par les galeries que creusent les vers de
terre, les taupes, les renards, par le brassage de terre que produisent les
fourmis, les cloportes, les araignées, les mille-pattes, la faune maintient le
sol aéré et l’eau peut y pénétrer. Une fois le sol couvert (principe n° 1), le
permaculteur veille à ce que cette respiration puisse se faire: il dessinera
des chemins sur son terrain pour éviter de tasser le sol n’importe où par ses
piétinements. Il évitera tout spécialement de marcher ou de s’appuyer sur
les zones cultivées pour ne pas refermer les espaces créés par la faune.
Ainsi la terre gardera sa souplesse et sa fertilité, et laissera pénétrer l’eau et
l’air nécessaires à la vie de ses habitants.

3e principe de l’autofertilité: ne pas retourner le sol


Chaque strate du sol joue un rôle particulier, vital au bon fonctionnement
de l’ensemble. La vie de chaque strate s’est adaptée à la disponibilité
d’oxygène: certains micro-organismes, insectes, champignons vivent en
surface et ont pour rôle de transformer les matières végétales et animales
qui y tombent. Ils vivent en symbiose avec nombre d’éléments qui, comme
eux, se trouvent en surface et ont besoin d’air et de lumière. D’autres
espèces vivent plus en profondeur et rendent les nutriments du sol
assimilables par les plantes. Ces espèces vivent dans l’obscurité, en milieu
anaérobique (sans oxygène). Qu’un jardinier retourne la terre et toute cette
organisation se trouve sens dessus dessous. Une grande partie de la vie du
sol périclite: les organismes anaérobiques meurent de se retrouver en plein
air et sous le soleil. Les espèces de surface, privées d’oxygène, meurent
asphyxiées.

Pourquoi diable l’être humain a-t-il pris l’habitude de retourner le sol? Bien
sûr, l’objectif initial est d’oxygéner la terre. L’humain laboure pour
décompacter le sol. Mais pourquoi le sol est-il compacté? Parce que
l’humain y a passé la charrue. En effet, exposée aux lessivages de la pluie,
aux assauts du soleil et du vent, la terre retournée se dessèche et
s’appauvrit. Le passage du soc compacte la terre sur quelques centimètres,
créant une semelle de labour, une couche dure que l’air, l’eau et les racines
des plantes auront du mal à pénétrer. Ce compactage entraîne une perte de
rendement de 10 à 30%. Le labourage crée donc un cercle vicieux: de la
destruction de toutes ces espèces résulte une baisse de fertilité et de vitalité
des plantes qui ne peuvent plus jouer leurs rôles symbiotiques. Elles
deviennent alors vulnérables aux maladies et montrent des signes de
faiblesse qui attirent les ravageurs. C’est un double gâchis: le travail fourni
est contre-productif et la fertilité du sol se trouve réduite. Aucun produit
miracle ne pourra compenser durablement cette perte de vitalité.

Le permaculteur opte pour l’action naturelle des micro-organismes du sol.


C’est la faune du sol, en particulier les vers de terre, et la micro-faune qui
font le travail!

Contrairement à ce que laisse supposer une croyance répandue, c’est bel et


bien le travail du sol, et non les cultures elles-mêmes, qui épuisent la terre.
Les plantes ne puisent dans le sol que 5% des composants nécessaires à
leur croissance (environ 2,5% d’azote et 2,5% de minéraux divers). Pour le
reste, elles sont composées d’eau (environ 75%) et 20% de leur biomasse
est créée par photosynthèse (grâce à la lumière).

4e principe de l’autofertilité: diversifier et associer les cultures

Les végétaux sont des êtres vivants, sociaux, capables d’«émotions», qui
«préfèrent» vivre en compagnie d’autres espèces plutôt qu’en monoculture.
Dans la nature, la biodiversité s’installe et se perpétue spontanément; les
plantes se côtoient dans une diversité interactive. Ce brassage est un atout
pour l’équilibre végétal et, par extension, pour la vie du sol. Sur nos
immenses parcelles plantées en lignes droites où règne la monoculture
(production de l’hémisphère gauche de notre cerveau), il n’existe plus de
zones d’échange, ces zones riches où se renforcent les richesses de
plusieurs milieux. La monoculture provoque un appauvrissement minéral
(tous les végétaux utilisent les mêmes nutriments) et génétique (pas de
croisement). Les plantes ainsi fragilisées attirent les mêmes virus, les
mêmes maladies, les mêmes prédateurs qui captent les mêmes signaux de
faiblesse des végétaux à de grandes distances et viennent s’en repaître. À
l’instar des grands prédateurs, ils choisissent les individus faibles, plus
faciles à attaquer. Plus ces ravageurs trouvent des plantes affaiblies à
manger, plus ils se reproduisent, pérennisant ainsi leur espèce (les limaces,
par exemple).

Bref, plus nous cultivons en monoculture, plus les sols s’affaiblissent, plus
les cultures qui y poussent sont fragiles et plus elles attirent virus,
ravageurs, maladies, alouette! Pour briser ce cercle vicieux, le permaculteur
favorisera les interactions entre les plantes en associant les cultures.
Appuyons-nous également sur l’allélopathie, cet ensemble d’interactions
biochimiques par lesquelles une plante émet des substances qui la protègent
des prédateurs ou des maladies. Ou sur la symbiose entre des plantes et des
champignons du sol: ces derniers peuvent transférer à la racine des plantes
les substances dont elles ont besoin mais qu’elles ne savent pas capter
seules. En échange, les plantes vont donner au champignon de la matière
végétale fabriquée par photosynthèse. La productivité peut ainsi augmenter
de façon considérable.
3-3-6

5e principe de l’autofertilité: laisser les résidus végétaux se décomposer sur


place

Dans la nature, à leur mort, les végétaux et les animaux restent là où ils
sont tombés et se transforment en humus, sans intervention humaine.
Imitons ce processus et laissons mourir sur place la partie des végétaux que
nous n’utilisons pas! Selon les cas: feuilles, tiges, racines, paille et même
«mauvaises» herbes de nos jardins avant qu’elles ne montent en graine.
Cette biomasse servira de paillis naturel qui nourrira les micro-organismes,
les protégera des variations de température. Elle contribuera à créer de
l’humus et à augmenter la fertilité naturelle de la terre.

QUELQUES SIGNES QUI INDIQUENT QUE L’AUTOFERTILITÉ EST


ATTEINTE

Lorsque l’autofertilité s’installe, des signes apparaissent petit à petit:

La bonne santé des plantes est le premier indicateur; elles sont


productives et se reproduisent abondamment.

La présence de nombreux vers de terre.

La présence d’insectes et d’oiseaux variés.

La souplesse de la terre et sa bonne odeur de sous-bois.

Enfin, la présence de mycorhize à la racine des plantes: de longs


filaments blancs qui s’installent dans les racines des plantes et qui
sentent bon le champignon. Ils sont le résultat de l’association entre
des champignons, des racines et des bactéries. Leur rôle est de briser
les grosses molécules de lignine, ouvrant ainsi l’accès des bactéries à
l’intérieur du bois. S’ils sont présents un peu partout sur le terrain (pas
seulement sur un résidu de compost), c’est que le sol a atteint
l’autofertilité.
Lorsque vous observez tous ces signes sur votre terrain, alors il est temps
de cesser tout apport d’intrant, même de compost. La suralimentation est
nocive pour les plantes comme pour les humains! Une fois que le sol a
retrouvé son activité biologique, il suffit de maintenir le paillage et de
laisser le sol s’autoréguler. Cultivez… la patience. Prenez le temps
d’observer. Laissez à la nature le temps de faire son travail!

DES SOLS TROP SOUVENT MALTRAITÉS, EN DANGER

L’humain utilise le sol pour produire sa nourriture, construire son habitat,


ses routes, prélever des fibres végétales, du fourrage pour les animaux,
stocker et extraire de l’eau et des énergies, se divertir, faire la guerre.
Toutes ces activités mobilisent des surfaces de sol de plus en plus grandes
et occasionnent déboisement, asséchement, érosion et pollution des terres
arables, régression de la biodiversité, trop souvent jusqu’à la destruction de
cette ressource irremplaçable et de la vie qu’elle contient.»

Le ver de terre, principal allié du jardinier

Savez-vous qu’un sol en bonne santé contient une tonne de vers de terre par
hectare, soit 3 millions d’individus (ou 300 individus par mètre cube)? Un
hectare compte alors 15 kilomètres de galeries et une quantité incalculable
de turricules, ces déjections riches en humus et sels minéraux que l’on
retrouve entortillées sur la terre. Ce laboureur ne fait qu’oxygéner et
enrichir la terre, sans la perturber! Il travaille tous les jours, gratuitement.
Pas besoin de pétrole! Donnez-lui de bonnes conditions d’habitat et de
nourriture (de la matière organique), et sa générosité vous surprendra.
Aucun risque d’être débordé par une prolifération de vers de terre:
lorsqu’ils atteignent le seuil maximum d’individus, les vers cessent de se
reproduire.

Le ver de surface Eisenia fœtida, communément appelé ver à compost, a


une espérance de vie moyenne de sept ans. Il pondra environ 65 œufs par
an qui donneront jusqu’à 260 bébés (incubation: 28 jours). Le lombric, qui
vit plus en profondeur, a une espérance de vie de 15 ans. Leur présence aide
les plantes à lutter contre les parasites, notamment les nématodes.

SOURCE: Institut de recherche pour le développement, www.ird.fr.


Tassés, pollués, acidifiés, retournés: les mauvais traitements infligés aux
sols principalement depuis une soixantaine d’années par l’agriculture
industrielle détruisent les micro-organismes et la biodiversité végétale et
animale. La partie érodée du sol est emportée dans sa course vers les
rivières et les océans, transportant avec elle des produits de synthèse qui
vont déstabiliser d’autres milieux fragiles. Tous les écosystèmes naturels
étant indissociablement liés les uns aux autres, là où l’écosystème sol vient
à perdre son équilibre, par effet domino, il entraîne à sa suite nombre
d’autres écosystèmes.

Collectivement, l’humain a peu conscience de la gravité de l’impact de ses


activités sur la ressource sol. Il fait en quelque sorte l’autruche quant aux
conséquences que ces usages irraisonnés pourraient avoir à terme,
notamment sur la production d’eau et de nourriture ainsi que sur le
réchauffement climatique.

La communauté internationale commence tout juste à prendre la mesure de


la situation. Un premier Rapport sur l’état des ressources mondiales en sols
est paru en décembre 2015 sous l’égide de l’Organisation des Nations unies
pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), fruit du travail de 200
scientifiques de 60 pays. Le Plan d’action mondial pour freiner la
dégradation des sols exhorte à promouvoir des pratiques de gestion durable.
Faute de quoi, «le carbone contenu dans les sols pourrait être relâché dans
l’atmosphère, aggravant le réchauffement de la planète lié à la combustion
des énergies fossiles», alerte la FAO.

Tout permaculteur de bonne volonté visera (entre autres) à limiter l’impact


de ses activités sur le sol, de façon à préserver ses précieux équilibres. Que
vous viviez en ville ou à la campagne, les designs que nous vous invitons à
mettre personnellement en place vous aideront à procéder par étape, à vous
poser les questions utiles pour créer un espace adapté à la fois au lieu et à
vos besoins. Vos réponses seront bien sûr propres à votre situation
particulière.

choc-noir

CHIFFRES-CHOCS
Des sols sous haute pression

Au niveau mondial, le tiers des sols est modérément ou fortement


dégradé par l’érosion, par l’épuisement des substances nutritives,
l’acidification, la salinisation, le compactage ou la pollution chimique.

40% des terres seraient touchées par les phénomènes de


désertification.

L’augmentation de la population mondiale se traduira par une hausse


de 60% de la demande de nourriture, de fourrage et de fibres d’ici
2050.

Depuis le XIXe siècle, 60% du carbone stocké dans les sols et dans la
végétation a disparu sous l’effet du défrichage au profit de
l’agriculture intensive et de l’urbanisation, selon la FAO et l’ONU.

La France est le troisième consommateur mondial de pesticides (après


les États-Unis et le Japon) et de loin le premier utilisateur en Europe,
indique le Sénat de France.

Au Québec, le milieu agricole a consommé plus de 90% des pesticides


vendus dans la province en 2014, ce qui représente plus de 4 millions
de kilos. Le ministère de l’Environnement du Québec indique qu’il
s’agit des ventes les plus élevées depuis 1992.

QUELQUES GESTES ÉCOLOGIQUES POUR BONIFIER VOTRE SOL

Dans un jardin ou sur un balcon, chacun.e peut, là où il vit, faire quelques


gestes simples pour aider le sol à retrouver sa vitalité et son autofertilité,
l’objectif à terme étant le non-agir!

LE BOIS RAMÉAL FRAGMENTÉ (BRF): cette méthode reproduit ce


qui se passe naturellement dans toute forêt: on couvre la terre de fines
branches – les rameaux de l’année, fraîchement hachés avec une tondeuse à
gazon. Leur forte teneur en minéraux, acides aminés, enzymes, protéines,
cellulose, sucres, amidon et bactéries les rend particulièrement efficaces
pour enrichir, irriguer, structurer et réguler la vie des sols.

LE BIOCHAR (CHARBON À USAGE AGRICOLE) OU TERRA


PRESTA (TERRE NOIRE): pour créer une terre particulièrement fertile
comme celles observées sur des sites précolombiens en Amazonie. Il s’agit
d’enfouir dans la terre, une fois pour toutes, du charbon de bois produit à
basse température, par pyrolyse, donc plus riche en carbone. Grâce à sa
porosité, ce matériau filtre l’eau, stocke l’humidité du sol, améliore le cycle
de l’azote et du carbone, offre un habitat à de nombreux micro-organismes.
Il procure des rendements très supérieurs aux rendements habituels.

LES ENGRAIS VERTS: moutarde, phacélie, trèfle, vesce, sarrasin: ces


plantes fixatrices d’azote sont des cultures éphémères qui retiennent les
éléments nutritifs du sol et le protègent entre deux cultures ou deux saisons.
Elles produisent de la matière organique et laissent sur place une grande
quantité de nodules d’azote pour les cultures suivantes. Elles servent
ensuite de paillis ou alimentent le compost. Leurs fleurs attirent, outre le
regard, les pollinisateurs et autres insectes auxiliaires.

LE SEMIS DIRECT SOUS COUVERT VÉGÉTAL (SCV): il consiste à


semer sa future récolte (plusieurs variétés de blé, par exemple) dans une
culture préalable de divers engrais verts recouverte de paille. Un semoir
adapté dépose la graine dans le sol et rebouche la terre après son passage
sans perturber la microfaune et la microflore souterraines. Cette pratique
enrichit le sol en matières organiques et le protège des aléas climatiques.
Elle est très économique en temps de travail, en intrants (il n’y en pas), en
eau et en pétrole. Elle permet d’obtenir des rendements abondants à
moindre coût.
LE COMPOSTAGE: en attendant que votre sol retrouve son autofertilité,
vous pouvez l’aider en faisant des apports de compost. Vos résidus verts
(restes de légumes et de fruits, tontes de gazon) sont associés à des résidus
bruns (paille, feuilles mortes, carton) et mélangés de temps en temps pour
les aérer. Un taux d’humidité adapté facilitera la décomposition. Surtout,
ne pas enterrer le compost: il produirait du méthane qui tue les micro-
organismes. Le compost restaure les sols et permet aux collectivités de
faire des économies de traitement d’ordures ménagères.

Variantes:

Le compostage de surface: même principe. Il suffit de jeter vos


épluchures de légumes et de fruits sur les plates-bandes que vous
souhaitez enrichir. Et de les couvrir de matières sèches. Attention aux
rongeurs!

Le compostage homéopathique: on répand en surface du compost en


cours de décomposition (semi-mûr) et on le recouvre de matières
sèches. Cet apport bactérien va stimuler la vitalité du sol.

APPORT DE FUMIER EN SURFACE: du fumier de bonne qualité


(vérifiez le régime alimentaire des animaux et leurs traitements
vétérinaires), de préférence déjà enrichi de matière sèche (litière) et, bien
entendu, paillé, apportera également un complément de nourriture à votre
sol en attendant que celui-ci atteigne l’autofertilité.

PRÉPARATION DU SOL PAR LA CULTURE DE POMMES DE


TERRE: efficace en climat tempéré pour transformer une pelouse ou un
terrain vague en jardin nourricier! Dessinez les plates-bandes que vous
souhaitez rendre autofertiles. Couchez l’herbe, sans même l’arracher, et
plantez tous les 40 centimètres des pommes de terre de variété robuste.
Recouvrez de 50 centimètres de paille pour garder le tout dans l’obscurité.
Lorsque le plant de pommes de terre aura traversé la paille (ne vous
inquiétez pas, cela arrivera!), vous pourrez planter des poireaux ou des
haricots secs. Une fois les légumes récoltés, laissez les résidus sur place.
Votre terrain est prêt pour le printemps suivant!

PRÉPARATION DU SOL PAR LA CULTURE DE PATATES


DOUCES: en climat chaud, cette culture prépare le sol comme le fait la
pomme de terre en climat tempéré. Faites germer des patates douces et
plantez-les dans un premier temps dans du terreau. Lorsque leur système
racinaire sera développé, repiquez-les dans le sol, même enherbé, avec un
peu de fumier, tous les 30 centimètres. Pendant les premières semaines,
arrosez fréquemment après les fortes chaleurs. Au bout d’un an, le sol est
recouvert de végétation, les patates sont prêtes. Après la récolte, laissez la
biomasse sur place et paillez. Le sol est prêt pour les cultures de votre
choix.

Dans le chapitre intitulé «Prendre soin de l’humain», vous trouverez des


exemples de jardins forestiers, d’agroécologie, d’agroforesterie et de
biodynamie qui appliquent les principes d’autofertilité du sol pour produire
de la nourriture dans les meilleures conditions.

Des pionniers du sol

MASANOBU FUKUOKA (1913 - 2008), microbiologiste japonais:


«Cultivez l’art du non-agir. Laissez agir la nature!»

De la paille! Rien que de la paille! Ni labour, ni engrais – pas même de


compost –, ni produit chimique, ni désherbage, ni taille, ni engins, ni
pétrole… «L’agriculture sauvage» de cet homme de terrain imprégné de
philosophie bouddhiste a inspiré Bill Mollison et David Holmgren dans
leur définition de l’«agriculture permanente». Par ses rendements en riz,
fruits, légumes, agrumes, céréales, il a même convaincu la FAO, qui
recommande désormais de réduire la pratique du labour pour préserver les
sols.
POUR EN SAVOIR PLUS: Masanobu Fukuoka, La révolution d’un seul
brin de paille. Une introduction à l’agriculture sauvage, Paris, Guy
Trédaniel Éditeur, 2005.

PERCIVAL ALFRED YEOMANS (1905-1984), ingénieur des mines


australien – «De l’eau propre et un sol équilibré: voici les ressources de
base d’une nation.»

Dès les années 1950, Yeomans recommande aux agriculteurs des régions
arides de recueillir et de stocker l’eau de pluie et de ruissellement sur leur
terrain, selon les courbes de niveau. Son système de «lignes-clés» (keylines,
en anglais) permet de «recréer en deux ou trois ans des sols qui auraient
mis un siècle à se développer naturellement». Il invente une charrue qui
porte son nom, aujourd’hui utilisée dans de nombreux pays. L’engin, conçu
pour de grandes surfaces, aère le sol sans le retourner ni le compacter. «Si
les nations prenaient pour objectif le bon état des sols, les autres problèmes
se résoudraient d’eux-mêmes», affirmait ce visionnaire.

POUR EN SAVOIR PLUS: Percival Alfred Yeomans, Water for Every


Farm: A Practical Irrigation Plan for Every Australian Property, Sydney,
K.G. Murray, 1973.

LYDIA BOURGUIGNON (1949) et CLAUDE BOURGUIGNON


(1951), respectivement docteure ès sciences et ingénieur agronome français
– «Le BRF est un moyen rapide et efficace pour faire renaître un sol mort.»

Dans les années 1980, Lydia et Claude Bourguignon affirment que «90% de
l’activité microbiologique des sols en Europe a été détruite par l’agriculture
intensive». Ensemble, ils fondent en 1989 le Laboratoire d’analyse
microbiologique des sols (LAMS) et contribuent à faire connaître le sol en
tant qu’écosystème complexe et fragile. Ils prônent le retour aux haies et à
une agriculture agro-sylvo-pastorale pour restaurer les sols.
POUR EN SAVOIR PLUS: Claude et Lydia Bourguignon, Le sol, la terre
et les champs. Pour retrouver une agriculture saine, Paris, Sang de la Terre,
2015.
La forêt, trait d’union entre ciel et terre
3-4-1

Les forêts précèdent les peuples.


Les déserts les suivent.

– François-René de Chateaubriand (1768-1848)

LA FORÊT, UN REMPART FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE

LES FORÊTS PRODUISENT PRÈS DE LA MOITIÉ de l’oxygène dont le


monde vivant a besoin et absorbent, par leur végétation et leurs sols, 40%
du gaz carbonique. Par le couvert végétal formé par les feuilles tombées au
sol, les arbres créent de l’humus, lequel stocke et filtre de grandes quantités
d’eau et d’humidité.

Par le biais de la transpiration des végétaux et de l’évaporation, par leurs


racines, des milliards de mètres cubes d’eau transitent par les arbres. Sans
les forêts, une partie des pluies ne pourraient plus se former. Les arbres
influent sur le cycle de l’eau en raison de leur développement foliaire
important. Pour 1 mètre carré de surface au sol, un arbre présente de 3 à 10
mètres carrés de feuillage. Lorsqu’il pleut, 20 à 50% de la pluie est retenue
par le feuillage14. Les racines des arbres constituent un réseau hydraulique
privilégié, dirigeant l’eau vers les nappes phréatiques. Par leurs racines, les
arbres préviennent l’érosion et le lessivage des sols. À la mort des arbres,
les racines pourrissent dans le sol et entretiennent sa fertilité naturelle.

Les forêts freinent le vent et préviennent les phénomènes climatiques


extrêmes. Comme les océans, les forêts jouent ainsi un rôle de tampon
climatique. Elles sont des réserves immenses et privilégiées de biodiversité,
source de nourriture et de refuge pour la faune, pourvoyeuse de
combustibles, de vêtements, de plantes médicinales, etc.

La forêt joue également un rôle social important par le contact qu’elle offre
avec la nature: promenades, jeux, détente, sport, créativité, apprentissages,
voyages, contemplation qui éveille notre conscience… Toutes activités
nécessaires à l’équilibre physique, psychique et spirituel des humains. Les
«bains de forêt» sont de plus en plus recherchés par les citadins. Sans
oublier leur rôle de sanctuaire, vital pour les rares populations humaines qui
y vivent depuis toujours en harmonie, tirant de la forêt, et sans la détruire,
tout ce dont elles ont besoin. Ces populations indigènes sont sans doute les
seules vraies garantes de la préservation des forêts.

COMMENT NAISSENT LES FORÊTS?

À l’état naturel, différents types de végétaux se succèdent pour créer une


forêt. L’Anglais Robert Hart (1913-2000) les classe en sept strates. Les
végétaux de chaque strate laissent sur place une biomasse qui prépare le sol
pour accueillir les strates suivantes. La mort des uns permet la vie des
autres. Chacun est énergie créatrice pour le suivant.

Les sept strates de la forêt selon Robert Hart

LES PLANTES PIONNIÈRES. Sur un sol dénudé, arrivent d’abord des


herbacées vivaces, aussi nommées adventices, dont le rôle est de recouvrir
rapidement le sol et de le nourrir. Font partie de cette famille les graminées
– que l’on nomme souvent mauvaises herbes. Elles se ressèment
spontanément, forment des racines et meurent en laissant sur place de la
biomasse carbonée qui nourrira les micro-organismes. Elles ont besoin de
beaucoup de lumière et disparaîtront lorsque les arbres leur feront trop
d’ombre.

LA STRATE ARBUSTIVE. Les oiseaux et quelques mammifères, attirés


par ces milieux riches, abandonnent dans leurs déjections, au gré de leur
passage, des graines de petits fruits d’épineux picorées ailleurs. Ces
graines, une fois transformées dans le tube digestif des animaux, sont dans
les meilleures conditions pour germer. Les graines voyagent aussi très
librement avec le vent ou sous les semelles des promeneurs. C’est ainsi que
des buissons de framboises, de cassis, de mûres, de groseilles sauvages se
développent. Les épines de ces arbustes protègent des herbivores les jeunes
pousses d’arbres et leur permettent de croître au travers des ronces.
LA RHIZOSPHÈRE (milieu où se développent les racines). Les
rhizomes fendent le sol pour l’ameublir. Ils laissent des racines mortes
derrière eux, créent des galeries qui permettent à l’air, à l’eau et aux
éléments nutritifs de circuler dans le sol. On trouve dans cette strate les
carottes, les navets, les pommes de terre, le pissenlit, les fougères, le
chiendent, les asperges, etc.

LA STRATE ARBORÉE BASSE (moins de 5 mètres) faite de jeunes


arbustes, certains à croissance rapide. Ces pionniers ont en général un bois
cassant et la vie courte. Ils laissent sur le sol une biomasse abondante
composée de feuilles, de branches et de troncs qui créent le couvert
forestier. On compte parmi eux les fruitiers nains, le boulot, le sumac de
Virginie.

DES PLANTES COUVRE-SOL SE DÉVELOPPENT en surface,


comme certaines espèces de cucurbitacées (les courgettes, par exemple) ou,
grâce à leurs racines aériennes, les stolons du fraisier.

LA CANOPÉE est la partie supérieure de la forêt (5 mètres et plus). Elle


traverse les autres strates végétales et grandit au milieu de cette diversité.
Cette strate compte les bois nobles, comme le chêne, le hêtre, les grands
fruitiers. Ils apportent de l’ombre, vivent longtemps et laissent de grandes
quantités de biomasse sur le sol.

LA STRATE DES GRIMPANTS (lierre, kiwi, vigne vierge, lianes,


glycine). Ils ont le rôle d’étouffer (à la longue) et de faire tomber les plus
grands arbres pour régénérer la forêt. Ils grimpent le long des troncs
jusqu’à la cime pour recevoir la lumière nécessaire à leur fructification.
Petit à petit, les grimpants créent autour des troncs qu’ils colonisent un
milieu propice aux maladies de l’écorce. Après des années, l’arbre finira
par tomber, créant ainsi une clairière. Et le cycle des strates reprendra.

3-4-2

Les sept strates de la forêt

Avec le temps, un sol mis à nu accidentellement (incendie spontané ou


autre catastrophe naturelle) se recouvre progressivement de ces sept strates
et finit par recréer une forêt. Ce mécanisme de régénération se produit
partout sur la planète, avec bien sûr des espèces différentes selon les
régions. Lorsque nous organisons ces strates en interrelation les unes avec
les autres sur un même terrain, avec «un peu» de patience, nous créons une
forêt! Il faudra sept siècles, avertit le botaniste et biologiste Francis
Hallé15, pour qu’une forêt plantée de la main de l’humain concentre les
caractéristiques d’une vraie forêt primaire.

En choisissant des plantes qui nous donnent des fruits et des légumes, nous
créons un «jardin-forêt» comestible et autogéré! Plus la diversité végétale
est grande dans ces strates, plus variés sont les habitats pour la faune et plus
grande est la vitalité du sol. Ce milieu captera l’eau et favorisera un
microclimat propice aux régimes de pluie.

LES VRAIES FORÊTS PRIMAIRES DE PLUS EN PLUS RARES

Les forêts couvrent actuellement environ le tiers de la superficie terrestre et


renferment plus de la moitié du carbone accumulé par les écosystèmes
terrestres. Les trois grandes zones de forêts tropicales primaires sont
aujourd’hui:

l’Amazonie (Brésil, Pérou, Colombie);

la République démocratique du Congo;

l’Indonésie.

À eux trois, ces sites regroupent les deux tiers des forêts primaires de la
planète.

L’eau, le sol, la forêt… et l’humain: une histoire de famille (3 de 3)

NOS ANCÊTRES LES ARBRES

Alors que le phytoplancton peuplait les océans depuis plus de 3 milliards


d’années, une partie du monde végétal a quitté la mer pour coloniser la
terre ferme il y a «seulement» 450 millions d’années. De là, toutes les
variétés de plantes terrestres se sont développées, puis, plus tard encore (il
y a 230 millions d’années), les dinosaures, premiers grands animaux
terrestres et «hier», l’humain. Tous reliés par cette même chaîne de
l’évolution, tous membres de la grande famille du vivant. L’humain, le petit
dernier de la famille, a bien des choses à apprendre de la sagesse de ses
«ancêtres» les arbres, qui pratiquent d’eux-mêmes la résilience. Il n’y a
qu’à voir le bien-être que ressentent la plupart des personnes en présence de
grands arbres. Les uns prennent soin des autres.

3-4-2

Les arbres remplissent de multiples fonctions.

Les forêts intouchées par l’humain ne représenteraient plus que 5 à 10% de


l’ensemble des forêts du globe. Elles sont de plus en plus rares et de plus en
plus fragmentées et isolées, en particulier dans l’hémisphère Nord: les
forêts couvrent des territoires de 20 à 300 hectares seulement, souvent sur
des sols pauvres et acides.

COMMENT FONCTIONNE UNE FORÊT?

La quantité de carbone sur Terre est constante, mais le carbone connaît des
transformations qui en font un puissant agent de recyclage. La disponibilité
de carbone est déterminante dans le développement des êtres vivants, car
cet élément est à la base des cellules organiques. Tous les aliments produits
par l’agriculture et consommés par l’humain (glucides, lipides, protéines)
sont issus des chaînes carbonées. Par photosynthèse, les végétaux captent
une partie du CO2 atmosphérique et l’utilisent pour créer de la biomasse.
Cette biomasse stocke le CO2 et le conserve, même une fois retourné au
sol. C’est ce qu’on appelle le «puits de carbone».

Les plus grandes réserves de carbone se situent dans les sédiments


accumulés au fond des océans (plus de 50 millions de gigatonnes de
carbone – Gtc) et dans la vie animale et végétale des eaux océaniques
(39 000 Gtc). Les réserves de carbone dans l’atmosphère et la biosphère
(sols, plantes, forêts, animaux) sont beaucoup plus modestes (moins de
2 000 Gtc) mais vitales pour la vie sur Terre. Les principales formes du
carbone présentes dans l’atmosphère sont le dioxyde de carbone (CO2 ) et
le méthane (CH4 ).

Le déséquilibre des flux de carbone entre ces divers réservoirs entraîne des
conséquences sur l’ensemble des cycles de vie.

Le carbone est soluble dans l’eau. C’est pourquoi la capacité de stockage


de carbone des océans est beaucoup plus élevée (63 fois) que celle de
l’atmosphère. Par leur respiration et leur décomposition, les êtres vivants
(végétaux et animaux) dégagent du CO2 . Par photosynthèse, les végétaux
fixent ce carbone dans la biomasse et produisent de l’oxygène. Les
tourbières stockent à elles seules deux fois plus de carbone que la biomasse
vivante.

Situation sans précédent dans l’histoire de l’humanité, la concentration de


CO2 atmosphérique dépasse aujourd’hui de 35% celle des 420 000
dernières années: environ 400 parties par million en volume (ppmv) en
2015. Une concentration qui augmente à un rythme 10 fois, voire 100 fois
plus rapide qu’auparavant16. En cause: la combustion de grandes quantités
d’énergies fossiles qui libèrent du CO2 beaucoup plus rapidement que ne
peuvent en absorber les puits de carbone. La déforestation aggrave ce
déséquilibre, les forêts ne pouvant plus jouer leur rôle.

Les processus de photosynthèse, de respiration et de transpiration des


végétaux, de décomposition et de combustion de la biomasse entretiennent
la circulation naturelle de l’oxygène et du carbone entre la forêt et
l’atmosphère. Déboiser sans laisser le temps aux forêts de repousser a de
lourdes conséquences sur le cycle du carbone. En effet, la végétation
forestière ne peut plus assurer la photosynthèse et d’importants stocks de
carbone accumulés dans les écosystèmes forestiers sur de longues périodes
se trouvent exportés loin du lieu où les arbres ont grandi. Le cycle du
carbone est ainsi rompu.

ABATTAGE RAISONNÉ OU SAUVAGE?


Le bois est une ressource écologique et renouvelable tant qu’elle n’est pas
surexploitée. Un bois dur se régénère en 100 ans en zone tempérée et
stocke durablement le CO2 . Dans certains cas (pour fabriquer de la pâte à
papier ou des habitats légers, par exemple), le chanvre, qui a un cycle de
vie d’une saison, peut avantageusement remplacer le bois.

Traditionnellement, l’exploitation forestière occupait une place noble dans


les politiques de développement. On exploitait les forêts primaires
seulement en bordure des routes. Après la Seconde Guerre mondiale,
lorsque les engins militaires ont été recyclés en engins agricoles,
l’exploitation a changé d’échelle et a commencé à s’attaquer aux
profondeurs des forêts primaires, sans considération pour leur
renouvellement. Depuis les années 1980, une prise de conscience sur ce
pillage gagne (trop) lentement les acteurs de la filière bois, des producteurs
aux transformateurs, des commerçants aux politiques et, en bout de chaîne,
le public et les consommateurs. Avec, bien sûr, beaucoup de résistance de
la part des lobbies qui tirent des mégaprofits d’une exploitation sauvage.
Dans cette jungle commerciale, les citoyen.nes ordinaires ont une carte à
jouer: leurs choix de consommation, ce qui suppose qu’ils connaissent
l’impact de leur comportement quotidien sur les forêts. Pour ce faire, il
convient d’abord de distinguer l’abattage raisonné des forêts et l’abattage
sauvage, illégal.

choc-noir

CHIFFRES-CHOCS

Les trois quarts des perturbations du cycle mondial du carbone sont


directement liés à la combustion d’énergies fossiles.

Abattre de grandes forêts primaires pour planter des cultures rapides à haut
rendement économique, telle est la principale cause de la déforestation des
plus importants massifs forestiers au monde. Cette destruction est le fait de
puissants groupes industriels qui privilégient leurs profits immédiats à une
gestion durable des forêts et qui, parfois, font fi des réglementations
internationales. Cet abattage permet notamment de produire du soja destiné
au bétail ou des agrocarburants (palmiers à huile, canne à sucre), ou de
faire du profit sur les bois précieux. La pression démographique et le
développement économique des pays les plus boisés ainsi que
l’augmentation de la demande des pays occidentaux en produits exotiques
et en bois de chauffage aggravent la situation.

Que fait-on des forêts qu’on abat?

Sur la totalité du bois abattu sur la planète, 15 à 30% sont commercialisés


de façon illégale, notamment pour laisser la place à de lucratives cultures
céréalières destinées au bétail. Le marché noir du bois génère un chiffre
d’affaires de 100 milliards de dollars par an. La criminalité liée à ce trafic
est de plus en plus organisée et souvent associée à d’autres crimes:
meurtres, corruption, fraudes et vols, en particulier au préjudice des peuples
autochtones.

Sur les 70 à 85% de bois commercialisés de façon légale:

53% sont utilisés comme bois de chauffage;

27% pour produire sciages, placages et contreplaqués (bâtiment, meubles);

16% pour produire pâte à papier, emballages, panneaux de particules et


fibres;

4% pour des usages divers.

SOURCES: Interpol et Programme des Nations unies pour


l’environnement, Carbone vert, marché noir. Exploitation illégale, fraude
fiscale et blanchiment dans les forêts tropicales du monde, 2012,
www.unep.org/pdf/RRAlogging_french_scr.pdf et Organisation des
Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, Situation des forêts du
monde. Mieux tirer parti des avantages sociéconomiques des forêts, 2014,
http://www.fao.org/3/a-i3710f.pdf.

Le commerce illégal du bois pèse aussi lourdement sur la ressource. À


Madagascar, la surexploitation et le commerce illégal du bois de rose et du
bois d’ébène ont détruit en un siècle les quatre cinquièmes du patrimoine
forestier de l’île.
Abattre des forêts primaires sans considération pour le temps qu’elles
mettent à se reconstituer est un crime contre le vivant: elles ont besoin de
siècles pour se régénérer, sans compter que la biodiversité humaine,
animale et végétale qu’elles abritent s’en trouve le plus souvent détruite à
jamais.

La gestion durable des forêts, vers laquelle tend la communauté


internationale, cherche à concilier biodiversité et satisfaction des besoins
humains. C’est bien sûr un progrès. Néanmoins, ces forêts à usage
industriel, le plus souvent plantées en monoculture, n’ont rien à voir – du
point de vue écologique – avec les forêts primaires. Elles sont faites pour
pousser vite et produire du bois bon marché: eucalyptus pour la pâte à
papier, palmiers à huile pour les agrocarburants, soja pour l’industrie
alimentaire. Comme toute monoculture, ces plantations ont des effets
négatifs sur l’environnement. Telles les invasions de tordeuses des
bourgeons de l’épinette (un insecte ravageur) que l’on combat par des
traitements aériens de pesticides. L’étalement urbain, la construction de
routes, l’aménagement irréfléchi des territoires contribuent également à
détruire de grandes surfaces de forêts.

QUEL LIEN ENTRE NOTRE CONSOMMATION ET LES FORÊTS?

Outre notre consommation de viande et de cuir (chaussures, maroquinerie,


ameublement) qui implique un abattage d’arbres toujours plus intensif,
nous consommons force papier de toilette, mouchoirs en papier, essuie-tout,
filtres à café, couches culottes, lingettes et emballages souvent inutiles.
Prenons le temps de faire la liste des produits issus du bois présents dans
notre environnement et voyons ceux que nous pourrions supprimer ou
remplacer par d’autres produits n’affectant pas les forêts.

L’association L’Envol vert propose un quizz en ligne pour évaluer l’impact


de notre consommation quotidienne sur la forêt: http://empreinte-
foret.org/quizz.

ENTRONS EN «SYLVILISATION*»! DES ACTIONS CONCRÈTES


POUR SOUTENIR LA FORÊT
La nature produit spontanément de la diversité. Si nous voulons contribuer
à recréer des territoires aussi harmonieux que les écosystèmes complexes
que sont les forêts, oublions les projets de monoculture! Ils ne sont pas
durables et ne jouent pas les rôles multiples des forêts naturelles.

Entrons en «sylvilisation», en interdépendance, en cogestion, en


coresponsabilité, en mode solidarité. Apprenons, là où nous sommes, à
rendre sa place à la forêt, à cohabiter avec elle, à la protéger, à la faire
revivre. La permaculture propose des gestes concrets pour y contribuer.

À voir

L’erreur boréale (1999), un film documentaire réalisé par l’artiste et


militant québécois Richard Desjardins et le cinéaste Robert Monderie, qui
dénonce les coupes à blanc pratiquées dans les forêts boréales du Québec
pour l’industrie des pâtes à papier.

Ce que je peux faire pour protéger la forêt si je suis un ou une simple


citoyen.ne:

J’évalue l’impact de mes habitudes alimentaires sur les ressources


naturelles et je revois les produits que je consomme, notamment mes
achats de viande. Cette démarche est à la portée de tout un chacun, y
compris en ville.

J’apprends à lire les étiquettes, à connaître les labels, je boycotte les


produits fabriqués à partir de bois exotiques. Je vérifie que mes achats
de planchers, meubles, bois de construction portent bien le label Forest
Stewardship Council (FSC).

Je limite ma consommation de papier et de produits dérivés du papier


(lingettes, papier de toilette, couches-culottes, mouchoirs en papier,
essuie-tout, filtres à café).

Si je possède un terrain, je développe des zones 5, des lieux où les sept


strates de végétation spontanée vont pouvoir se déployer et entraîner à
terme toute la dynamique de la biodiversité végétale et animale.
Je plante des forêts comestibles!

Un garde-fou: L’éco-socio label Forest Stewardship Council (FSC)


garantit que la production de bois ou d’un produit à base de bois
respecte les principes d’une gestion durable des forêts.

choc-noir

CHIFFRES-CHOCS

Les trésors de la forêt

Les forêts abritent 80% de la biodiversité terrestre.

Elles couvrent le tiers des terres émergées.

Les forêts tropicales intouchées par l’humain couvrent 6% des terres


émergées. Elles hébergent les trois quarts de la biodiversité terrestre et
renferment un précieux gisement de molécules.

Les forêts sont le dernier refuge de très nombreuses espèces animales


et végétales.

La moitié des forêts tropicales a disparu depuis 1945.

Un mètre cube de bois stocke une tonne de CO2.

Environ 13 millions d’hectares de forêts disparaissent chaque année


dans le monde (soit la superficie de l’Angleterre).

Plus de 1,6 milliard de personnes dépendent à divers degrés de la forêt


pour vivre.

300 millions de personnes vivent dans ou aux alentours des forêts.

60 millions de personnes dépendent presque entièrement de la forêt


(notamment les peuples indigènes).
Dans les zones fortement déboisées, le risque de contracter le
paludisme est 300 fois plus élevé que dans les zones de forêt intactes.

SOURCES: Fonds mondial pour la nature, Sauvons les forêts, Rapport


Forêts vivantes 2015,
http://awsassets.wwfffr.panda.org/downloads/living_forest_report_resume.
pdf et Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture,
Situation des forêts du monde…, op. cit.

Ce que nous pouvons faire pour protéger la forêt si nous sommes une
association, un réseau, une municipalité:

Faisons connaître au grand public les enjeux liés à la forêt: films,


témoignages, visites, rencontres de témoins éclairés sur le sujet
contribuent au changement des consciences et des comportements
collectifs.

Plantons des arbres (si possible fruitiers) ou encourageons la


plantation d’arbres sur nos territoires.

Plaidons auprès des responsables politiques pour que tout projet de


développement maintienne ou reconstitue une zone 5 intouchée,
inconstructible. Les citoyen.nes peuvent faire bouger les choses en ce
sens, ne serait-ce que par leur bulletin de vote.

CLÉ DU SUCCÈS: Multiplions les corridors écologiques (si possible


forestiers) et les zones 5. Laissons se déployer la biodiversité.

3-4-4

Des actions pour préserver les forêts

DES FORÊTS COMESTIBLES POUR «LIBÉRER LA FERTILITÉ DU


SOL»

À la suite de Robert Hart, plantons, là où nous vivons, des forêts


nourricières. Robert Hart voulait offrir à son frère handicapé une nourriture
savoureuse et biologique. Il était également sensible à la question de la
faim dans le monde et voulait trouver une réponse simple, reproductible
dans n’importe quel pays. Il était convaincu, par son expérience
personnelle, qu’il était possible de cultiver sur de petites parcelles des
jardins nourriciers, capables de fournir tout à la fois du plaisir, de la beauté,
de l’entraide, de la nourriture de qualité pour les humains et les animaux,
de lutter contre l’érosion des sols et même de contribuer à un
épanouissement spirituel. Il tirait son inspiration des petites communautés
autosuffisantes et démocratiques promues par Gandhi (1869-1948) et aussi
des «économies fraternelles» alternatives du Japonais Toyohiko Kagawa
(1888-1960). Dès les années 1930, ce dernier a prôné la plantation d’arbres
fruitiers et à coques pour protéger les sols et procurer de la nourriture aux
humains et aux animaux.

Pendant 30 ans, sur son petit terrain de 500 mètres carrés au Pays de Galles,
Robert Hart a montré que le rôle de l’humain dans le jardin se limite à
entretenir les conditions pour «libérer la fertilité» contenue naturellement
dans le sol, en laissant les racines et les vers de terre construire leurs
réseaux de circulation d’énergie. Ainsi entretenu, le sol ne souffre plus des
aléas climatiques (excès de chaleur ou d’humidité). Pour faire pousser des
plantes héliophiles (ayant besoin de soleil), il suffit de ménager une
clairière en abattant occasionnellement un ou deux grands arbres. Par ses
expérimentations personnelles, Robert Hart a prouvé qu’une telle forêt
miniature (avec ses sept strates) peut arriver à maturité en quatre ans en
zone tempérée.

Les conseils de Robert Hart pour démarrer un jardin-forêt

Choisir des espèces végétales communes (ou même exotiques selon


votre goût).

Commencer par planter de grands fruitiers à intervalles de 6 mètres


dans toutes les directions.

Planter à mi-distance des fruitiers nains.

Planter des petits fruits et des groseilliers entre les arbres ou sur les
bordures.
Installer des plantes herbacées et des légumes pérennes17.

Contenir les plantes qui empiètent sur les autres. Un travail quasi
quotidien à la belle saison pendant les premières années!

Garder le sol paillé. Le couvrir de branches hachées (BRF) renforcera


les défenses naturelles du sol face aux insectes nuisibles et aux
maladies, sans détruire la microfaune. Le paillage limitera les
indésirables et entretiendra la fertilité et l’humidité du sol.

Au besoin, faire des épandages de purin d’ortie, d’algues ou de


consoude.

Des générations de permaculteurs ont suivi ces conseils (en les adaptant,
bien entendu, à la diversité des situations) pour obtenir une production
maximale avec un travail minimal!

Pour en savoir plus:

L’Américain Dave Jacke, professeur de design, a écrit un ouvrage en


deux tomes sur les jardins-forêts comestibles avec son associé Éric
Toensmeier: Edible Forest Garden, White River Junction, Chelsea
Green Publishing, 2005. Un ouvrage complet pour démarrer une forêt
fruitière et comprendre les mécanismes évolutifs des forêts.

Un ouvrage traduit en français, du Britannique Patrick Whitefield:


Créer un jardin-forêt. Une forêt comestible de fruits, légumes,
aromatiques et champignons au jardin, Marsac, Éditions Imagine un
Colibri, 2012.

CLÉ DU SUCCÈS: Votre pouvoir immédiat sur la qualité de l’eau, des


sols et de la forêt découle de vos choix de consommation. Comme le dit
l’écosociologue québécoise Laure Waridel: acheter, c’est voter18.
inspirant

EXEMPLE INSPIRANT

Planter des forêts pour sauver les huîtres!

SHIGEATSU HATAKEYAMA est un ostréiculteur japonais. En 1989, ses


huîtres deviennent impropres à la consommation à la suite d’une infestation
d’algues rouges. Il observe, enquête… et trouve une solution originale au
problème.

Celui que l’on surnomme aujourd’hui «le grand-père des huîtres»


s’aperçoit que les algues toxiques rouges se nourrissent de la pollution de la
rivière voisine. Il se souvient alors d’un voyage qu’il avait fait en Loire-
Atlantique (France) quelques années plus tôt. Il avait observé que des forêts
de feuillus sur les rives de la Loire filtraient naturellement les eaux
pluviales terrestres en même temps que le fleuve charriait vers la mer des
nutriments dont se nourrissaient les huîtres. Il réalise à ce moment que
l’écosystème ne peut être compris que dans sa globalité. «La solution
consiste à reconstruire l’écosystème, de la terre à la mer, se dit-il. Il faut de
l’humus pour nourrir les huîtres!» (L’humus contient du fer et de l’acide
fulvique qui permettent la photosynthèse et la fixation de la chlorophylle
sur le plancton que mangent les huîtres.) Il réunit les maires et riverains
concernés – impossible en effet d’obtenir de bons résultats si toutes les
personnes vivant au bord de la rivière ne partagent pas la même vision, les
mêmes valeurs. Et il propose de planter une forêt de feuillus en amont de
l’estuaire. Des agriculteurs le suivent, une poétesse riveraine crée le
mouvement «La forêt est amoureuse de la mer»… et le miracle opère: petit
à petit, la qualité de l’eau s’améliore et la culture d’huîtres peut reprendre.
Vingt-cinq ans plus tard, 30 000 arbres ont été plantés sur les berges de la
rivière, des programmes sont menés pour réduire l’usage des pesticides
dans les cultures et réguler le ruissellement des eaux. L’expérience est
connue dans tout le pays et sur tous les continents. Elle figure aujourd’hui
dans les programmes scolaires au Japon. Chaque année, 10000 enfants sont
invités sur place pour planter des arbres et prendre conscience du lien entre
l’activité humaine, l’eau des rivières, le sol, la forêt et la mer. L’Université
de Kyoto a créé un département à la frontière de la foresterie et du monde
maritime. Et l’ingénieux ostréiculteur a reçu le prix Héros de la forêt des
Nations unies.

Après le tsunami qui a dévasté la région en 2011, Shigeatsu Hatakeyama a


observé que toute vie avait disparu de la mer. Quelques mois plus tard, lui
et son équipe se sont étonnés de la vitesse à laquelle le monde sous-marin
reprenait vie. Une résilience possible grâce à la présence d’un écosystème
complet, complexe et équilibré. Un exemple encourageant pour les
ostréiculteurs et les forestiers prêts à coopérer.

POUR EN SAVOIR PLUS:

Assocation Mori-Umi (en anglais):


http://mori-umi.org/english/history.html.

Prix Héros de la forêt: www.youtube.com/embed/vhaVXrUhkHU.

Des pionniers de la forêt

AKIRA MIYAWAKI (né en 1928): «Les arbres indigènes ont le pouvoir


de guérir la Terre.»

Botaniste japonais, spécialiste de la restauration des forêts sur des sols très
dégradés, il a planté 40 millions d’arbres au Japon et ailleurs avec la
méthode de génie écologique qui porte aujourd’hui son nom. Il choisit ses
arbres parmi des essences pionnières et secondaires autochtones,
complémentaires dans leurs fonctions, porteuses de mycorhizes, plantées
serrées pour recréer des couverts forestiers. Il y associe une grande
diversité d’essences d’accompagnement (40 à 60 types de plantes, voire
davantage en zone tropicale) pour les «soutenir». La concurrence entre les
végétaux renforce ceux qui survivront. Miyawaki fait souvent planter les
arbres par des enfants pour favoriser une plantation aléatoire, comme dans
la nature.
FRANCIS HALLÉ (né en 1938): «Fréquenter des arbres remet l’homme à
sa juste place.»

Ce botaniste français, biologiste et admirateur des forêts équatoriales,


rappelle que les forêts se débrouillaient très bien avant l’arrivée de
l’humain, c’est-à-dire depuis au moins 350 millions d’années! Les arbres,
les plus grands des êtres vivants, les plus âgés de tous les temps, sont selon
lui des modèles d’autonomie, de lenteur, de profondeur et de résilience dont
nos sociétés ont grand besoin. L’humain, au contraire, est totalement
dépendant du règne végétal, sans en avoir toujours conscience; il vit dans
l’urgence, est souvent superficiel… Selon ce spécialiste, l’agroforesterie,
avec ses bons rendements, est une réponse qui concilie intelligemment les
besoins des humains, des animaux et des plantes. «Enfin on redonne à
l’arbre le rôle protecteur qu’il a toujours eu dans les cultures traditionnelles.
Il faudra des centaines d’années de recherche pour vraiment comprendre les
promesses de ces géants», estime le chercheur.

POUR EN SAVOIR PLUS: Francis Hallé est l’initiateur du film-


documentaire Il était une forêt, réalisé par Luc Jacquet (2013).

SEBASTIÃO SALGADO (né en 1944) et LÉLIA SALGADO (née en


1947): «En replantant des arbres, on replante des sources.»

Après avoir couvert, en tant que photographe, tous les désastres causés par
les humains (génocides, exodes, famines), Sebastião Salgado a entrepris,
avec son épouse Lélia, de replanter la forêt Atlantique qui existait jadis
dans son Nordeste brésilien natal, une région désertifiée à la suite de
l’abattage effréné des forêts. Après quelques tentatives, le couple a réussi à
planter, avec l’aide d’enfants des écoles, 2,5 millions d’arbres de 300
espèces différentes sur la ferme familiale de 750 hectares. En 15 ans, l’eau,
la vie, les animaux sauvages sont revenus. Le terrain est devenu parc
national. Éducation à l’environnement, programmes d’insertion de
personnes en difficulté, production de semences et recherches complètent et
diffusent la démarche. Un exemple inspirant pour garder (ou reprendre)
espoir. Un modèle pour tous les lieux sinistrés de la planète.

POUR EN SAVOIR PLUS: Sebastião Salgado a réalisé de nombreux


ouvrages et expositions photos. Le Sel de la Terre, un film documentaire
réalisé par Wim Wenders en 2014, retrace le parcours de Salgado. Le parc
national de l’Institut Terra: www.institutoterra.org.
* Sylvilisation est un terme inventé dans les années 1950 par un Métis du Québec et repris par le
Micmac Magamigo. Voir http://sylvilisation.tripod.com/.
4 Prendre soin
de l’humain
Permacultivons notre alimentation

PARMI LES BESOINS HUMAINS, celui de manger et boire est à la fois le plus
immédiat, le plus impératif et le plus «affectif». Nos habitudes alimentaires,
héritées de l’enfance, façonnent notre identité individuelle et marquent
notre appartenance culturelle. Il est donc particulièrement dérangeant de les
voir remises en question. Pourtant, ne nous en déplaise, les modes
alimentaires actuels dans les pays industrialisés sont appelés à évoluer: ils
ne sont ni généralisables ni durables. Ils engendrent une vulnérabilité
sociale et économique intenable à long terme; ils reposent sur une
dangereuse dépendance envers le pétrole et entretiennent des inégalités
criantes entre les différentes régions du monde, incompatibles avec le
principe de souveraineté alimentaire et de justice sociale. Nos habitudes
alimentaires sont source de pollutions multiples et portent atteinte à la
biodiversité; elles épuisent les ressources naturelles, occasionnent
d’énormes gaspillages et des problèmes de santé majeurs. Bref, il est temps
de changer nos modèles!
Nombre de ressources alimentaires nutritives, économiques,
écologiques et délicieuses sont méconnues, sous-utilisées ou sous-estimées.
Certaines souffrent d’une image négative. Au permaculteur et au citoyen.ne
de bonne volonté que vous êtes, nous livrons ici un ensemble d’éléments
pour nourrir… votre conscience et votre créativité. Et nous vous proposons
une dégustation qui va – nous l’espérons – vous donner le goût d’élargir
votre palette gustative et de tester de nouvelles formes de nourriture. Il est
sûr que vous allez découvrir là des sources insoupçonnées de plaisir et de
santé!
Les Nations unies ont reconnu dès 1948 le droit à l’alimentation dans la
Déclaration universelle des droits de l’homme. Cinquante ans plus tard, le
droit international précise: «Se nourrir dans la dignité, produire soi-même
son alimentation ou l’acheter» est un «droit de l’homme». Produire ses
aliments suppose d’avoir accès à la terre, aux semences, à l’eau. Acheter sa
nourriture suppose qu’elle soit «disponible, accessible et adéquate», c’est-à-
dire «culturellement acceptable», précise le droit international. Qu’en est-il
de ce droit élémentaire au XXIe siècle, alors que près d’un milliard de
personnes survivent en étant sous-alimentées et qu’un autre milliard
souffrent d’obésité et autres pathologies liées à une alimentation
déséquilibrée? Dans les pays riches, un nombre croissant de citoyens
dépendent de l’aide alimentaire. Qu’en sera-t-il du droit à l’alimentation en
2050, alors que nous serons neuf milliards d’humains, dont plus des deux
tiers habiteront en ville, et que déjà plusieurs indicateurs sont passés au
rouge: recul constant des surfaces agricoles du fait de l’étalement des villes
et d’un bétonnage effréné; développement des cultures destinées au bétail et
aux agrocarburants; sols usés par 60 ans de traitements chimiques intensifs;
stocks de poissons qui s’effondrent du fait de la surpêche?
Tous les États membres d’organisations internationales s’accordent à
reconnaître que ce n’est pas tant le manque de nourriture disponible sur la
planète qui pose problème, mais surtout le fait qu’un nombre croissant de
personnes ne peuvent y accéder faute de moyens financiers. C’est donc le
système d’échanges qui est inapte à répondre aux besoins humains.

4-1-1

La nourriture est nécessaire à la vie et les êtres vivants sont en compétition pour obtenir leur part.
Principe de permaculture n° 3
Obtenir une récolte

UNE SOLUTION RECONNUE: L’AGRICULTURE FAMILIALE,


LOCALE ET DURABLE

Comment donc faciliter l’accès de tous à une nourriture «adéquate»? En


développant l’agriculture familiale, recommandent aujourd’hui en chœur
les experts! Depuis une dizaine d’années, les organisations internationales
prennent conscience que la solution au désordre agricole mondial passe par
l’échelle familiale, locale et durable. La question n’est plus seulement
«combien» de tonnes produire, mais «comment» les produire. Dans les
cercles scientifiques aussi bien que politiques, on vante aujourd’hui les
mérites de l’agroécologie. Cette révolution dans la vision de l’agriculture au
niveau mondial a été possible grâce aux agriculteurs, aux chercheurs et aux
ONG qui, depuis une vingtaine d’années, partout dans le monde, innovent
dans le domaine de la production alimentaire. Ils ont prouvé que des
pratiques durables peuvent à la fois apporter de bons rendements, respecter
la qualité de vie et l’autonomie des agriculteurs et protéger
l’environnement, tout en étant viables sur le plan économique.
D’autres sources de nourriture sont largement sous-exploitées à ce jour.
La mer offre des ressources inestimables: hormis la pêche (en crise), la
culture du plancton et des algues, ainsi que l’aquaculture durable sont pleins
d’avenir. De même l’élevage d’insectes, source traditionnelle de protéines
dans certaines cultures. Encore peu connue en Occident, cette ressource a
l’avantage d’être accessible à l’échelle artisanale, sur de petites surfaces.
Elle exige peu d’eau et peu d’énergie fossile.
Principe de permaculture n°10
Utiliser et favoriser
la biodiversité

Il est grand temps de diversifier les sources de nourriture et de trouver


des solutions de rechange aux modes alimentaires dominants dans les pays
riches. Il est aussi grand temps de rapprocher les zones de production de
nourriture des zones de consommation, à savoir essentiellement la ville.

La Société suisse de nutrition propose un test en ligne pour établir soi-même,


en quelques minutes, l’état des lieux de notre pyramide personnelle et évaluer
dans quelle mesure elle est équilibrée: www.sge-ssn.ch/fr/toi-et-moi/tests/test-
pyramide-alimentaire/. La SSN propose aussi des conseils pour se rapprocher
de ce qu’elle considère comme un équilibre optimal.

Accepter de modifier nos comportements suppose de bien comprendre


en quoi nos modes de vie actuels ont des conséquences globalement
néfastes pour le bien-être et l’avenir de l’humanité. La permaculture
propose des voies pour faciliter cette transition: de nouvelles pratiques qui
ont des effets bénéfiques sur le plan social, économique et sanitaire à
l’échelle tant individuelle que collective.
Ce chapitre sur l’alimentation présente des alternatives probantes dans
les domaines de l’agriculture, de l’élevage, des ressources halieutiques
(aquatiques) et entomologiques (les insectes). Autant de pistes à explorer,
de solutions à imiter et à adapter là où l’on vit et qui pourront en inspirer
d’autres. Ces exemples sont autant d’arguments en faveur de nouveaux
comportements alimentaires, eux-mêmes porteurs de nouveaux équilibres
pour les humains et pour la planète.

Principe de permaculture n° 12
Réagir aux changements de façon créative

À LA RECHERCHE D’UNE ALIMENTATION JUSTE

Comment choisir sa nourriture? Comment trouver le régime le plus «juste»


pour soi, c’est-à-dire en harmonie avec les lois de la nature et avec son
environnement? Faut-il être végétarien, végétalien, macrobiotique,
crudivore, frugivore, locavore, entomovore (consommateur d’insectes),
vegan (exclure de sa vie tout produit d’origine animale, même le miel et la
laine, pour des raisons éthiques)? Faut-il suivre un régime Okinawa, paléo,
méditerranéen, instinctif, sans gluten, viking, DASH, alcalin? Le choix est
vaste. Pas facile de se faire une idée personnelle sur le régime adapté à ses
propres besoins tant les débats sur le sujet sont passionnés, viscéraux. Les
adeptes de chacun de ces régimes sont souvent persuadés que leur choix est
le meilleur, l’unique, la seule garantie d’une bonne santé. La force de leurs
convictions exclut souvent la part de vérité des autres options.
Plutôt que de vous laisser séduire ou repousser par telle ou telle
tendance, nous vous apportons ici matière à réflexion et vous invitons à
vous poser les questions pertinentes pour trouver vos propres réponses.
Chaque option privilégie certains critères. À chacun.e d’élaborer le design
alimentaire qui lui convient le mieux en intégrant dans l’équation sa
situation géographique, son activité, ses convictions personnelles et, bien
sûr, ses éventuelles fragilités de santé. Dans tous les cas, il faudra veiller à
couvrir ses besoins énergétiques et nutritionnels, qui sont multiples, subtils
et complexes. Pour réaliser son propre design alimentaire, on pourra
s’inspirer d’un exemple de design familial. Les sections qui suivent
proposent des pistes de transition vers une alimentation adaptée à l’humain
moderne et à son milieu; une manière de «permacultiver» notre
alimentation.
Selon leur culture, leur situation géographique et leurs ressources, la
plupart des États – et des diététiciens – émettent des recommandations sur
le régime alimentaire qu’ils jugent adéquat pour rester en bonne santé. Ces
recommandations sont parfois résumées sous forme de «pyramides
alimentaires»: selon les critères retenus dans tel ou tel contexte, les aliments
qui forment le socle de la pyramide devraient constituer la base de
l’alimentation et les aliments qui se trouvent au sommet devraient rester
exceptionnels. Il n’existe donc pas UN régime qui serait universellement
bon. Chaque culture développe sa vision de la chose. La personne soucieuse
de sa santé pourra également dessiner sa propre pyramide.

UNE LOI UNIVERSELLE: MANGER POUR VIVRE… ET ÊTRE


MANGÉ!

L’être humain, comme tout être vivant, doit nécessairement manger pour
vivre. Assurer notre subsistance occupe une part importante de notre
activité quotidienne (comme chez les animaux). Cette priorité alimentaire
conditionne l’autre impératif de toute espèce: se reproduire. Sans nourriture
suffisante et saine, pas de fécondité, pas de pérennité de l’espèce.
S’alimenter avec une nourriture de qualité est une priorité absolue.
Tout ce qui est vivant mange ce qui est vivant (ou qui l’a été) pour
assurer sa survie. C’est ainsi que fonctionne la chaîne alimentaire, du plus
petit organisme au plus gros. L’oiseau gobe des insectes et bénéficie des
débris végétaux que ceux-ci ont mangés. Le lion chasse une gazelle et
profite des vertus de l’herbe qu’elle a broutée. Le charognard, comme les
micro-organismes du sol, se nourrit des cadavres. L’énergie de vie se
transmet ainsi, à travers la mort, pour créer du vivant. Cette loi ne connaît
pas d’exception. À nous d’affiner notre observation et de développer notre
conscience: comme tout être vivant, notre énergie vitale vient de notre
alimentation et des forces que nous recevons de la nature. Le blé, la pomme
ou le poisson portent la vie. Leur vitalité nourrit en profondeur le corps et
l’esprit de celui qui l’absorbe, bien au-delà des éléments strictement
nutritifs. Nous avons autant besoin de ces subtils signaux de vie que des
calories qui nourrissent notre organisme.
À sa mort, un humain nourrit les bactéries et autres micro-organismes
du sol. Ces derniers transforment le cadavre en matières assimilables par
d’autres formes de vie, comme des arbres ou d’autres végétaux. Le grand
cycle de la vie et de la mort engendre la vie. Acceptons humblement d’y
participer! Et rappelons-nous que cette nature merveilleusement conçue ne
nous a pas encore tout révélé. Notre connaissance de la vie est encore
limitée. Soyons attentifs, curieux, ouverts et laissons-nous surprendre!
L’hémisphère droit de notre cerveau nous y aidera.

COMMENT S’ALIMENTENT LES ANIMAUX SAUVAGES

En tant que permaculteurs, nous avons avantage à observer le


fonctionnement de la nature, et particulièrement des animaux sauvages,
pour comprendre celui des omnivores que nous sommes. Nous pourrons
alors nous inspirer de ces observations pour retrouver un mode de vie
durable, en rapport avec nos besoins et notre environnement.
L’anatomie des animaux est adaptée à la nourriture disponible là où ils
vivent

Grâce aux poils de ses fanons, la baleine filtre les énormes quantités
d’eau de mer qu’elle engloutit pour ne retenir que le minuscule
plancton, base de sa nourriture.

Le bec du colibri est parfaitement ciselé pour recueillir le nectar au


fond du calice des fleurs. Par le battement de ses ailes, le colibri
contribue en même temps à la pollinisation des fleurs dont il se nourrit.
Le bec massif des perroquets leur permet de casser les grosses graines
qui composent leur nourriture.
Les pattes des poules sont dotées de grandes griffes pour gratter le sol,
les canards ont des pattes palmées pour nager et plonger.

La physiologie des animaux est adaptée à la nourriture disponible

L’ours, comme la marmotte, accumule de grandes quantités de graisse


avant l’hiver puis hiberne jusqu’au retour de la belle saison. Son
rythme cardiaque diminue pendant l’hibernation. Sa fourrure mue
pendant la saison chaude.
Pendant l’hiver, les outardes, les baleines et les monarques migrent
vers les climats plus cléments, dans des régions où la nourriture est
disponible.

Le régime des animaux s’adapte aux aliments disponibles sur leur


territoire
Les chauves-souris se sont adaptées à des environnements variés sur la
planète, en fonction des aliments disponibles. Certaines espèces de
chiroptères sont frugivores, d’autres sont insectivores. D’autres encore
sucent le sang d’animaux vertébrés et ont développé une salive
anesthésiante. Certaines se nourrissent de fleurs qu’elles pollinisent au
passage.
Les requins dormeurs préfèrent manger du plancton, disponible en
abondance, plutôt que d’attaquer des proies.

Le rythme de prise de nourriture dépend directement des besoins et des


circonstances

Une lionne qui chasse consomme une énorme quantité de calories pour
attraper sa proie et la mettre à mort. Une fois la satiété atteinte, le
fauve peut rester une semaine sans manger: son régime carnée,
hautement énergétique, lui permet de manger irrégulièrement et de
prendre le temps de digérer.

Les herbivores poursuivis par la lionne déploient eux aussi beaucoup


d’énergie. À la différence des carnivores, leur physiologie leur impose
de passer la majeure partie de leur temps à manger de petites quantités
de végétaux puis à les digérer en plusieurs étapes dans un tube digestif
à plusieurs poches.

Des stratégies de clan

Certains poissons, comme le thon, vivent en bancs serrés pour se


protéger des prédateurs. Pour les mêmes raisons, certains oiseaux,
comme les moineaux, vivent en volées.
Les lionnes qui allaitent demeurent avec les lionceaux pendant que les
autres mères chassent les proies qu’elles partagent au retour.
Les coyotes et les loups chassent en embuscades.

La sélection naturelle assure la pérennité de l’espèce

Seuls les saumons les plus vigoureux réussissent toutes les étapes de la
dure remontée de la rivière depuis l’océan pour pondre leurs œufs et se
reproduire.
La mante religieuse dévore son mâle reproducteur après
l’accouplement, évitant ainsi tout risque de consanguinité avec sa
progéniture à venir.

Jane Goodall a longuement étudié les chimpanzés. Dans son livre Nous
sommes ce que nous mangeons19, la primatologue britannique relève des
similitudes entre ces hominidés et l’humain. Comme les chimpanzés,
l’humain est omnivore. L’anatomie des uns et des autres leur permet aussi
bien de cueillir des fruits dans les arbres que de casser des noix, déterrer des
racines, fabriquer des outils pour attraper des insectes, chasser ou pêcher.
Leur métabolisme ne leur impose pas de stocker des réserves importantes
de graisse. Le nomadisme des chimpanzés fait qu’ils disposent d’une
nourriture fraîche et variée tout au long de l’année. Quatre heures de travail
par jour leur suffisent pour répondre à leurs besoins en nourriture. Le reste
du temps est utilisé à jouir des relations sociales. Des pistes pour
l’organisation sociale des humains20!

L’ESPÈCE HUMAINE, UNE EXCEPTION AUX LOIS DE LA


NATURE?
L’observation de la nature montre que:

Grâce à leur métabolisme et à leur mode de vie, toutes les espèces


sauvages sont adaptées à leur environnement. Seul l’humain tente
d’adapter son environnement à ses besoins.

Toutes les espèces se nourrissent des aliments disponibles là où elles


vivent. Seul l’homme moderne consomme des produits importés
parfois de l’autre bout du monde.
Réciproquement, les aliments nécessaires au développement d’une espèce
se trouvent dans son environnement. C’était le cas pour les humains
avant l’ère de la concentration urbaine. Les choix économiques
entravent de plus en plus souvent cette règle.
La diversité et la quantité de nourriture absorbée par un animal sont
proportionnelles à ses besoins énergétiques. L’humain peut manger au-
delà de ses besoins, au risque de se rendre malade.
La reproduction des espèces dépend de la disponibilité en nourriture. Là
encore, l’humain fait exception, la natalité dans certains pays étant
parfois inversement proportionnelle à la disponibilité d’aliments.

De nos jours, une grande partie des espaces naturellement nourriciers


ont disparu. Pour une large majorité de contemporains, la quête de
nourriture s’est transformée en recherche de travail qui procure (dans le
meilleur des cas) les moyens nécessaires pour faire ses courses au
supermarché. Mais à quel prix? Avec quelle empreinte écologique? Et quels
résultats sur la santé? Les populations de l’hémisphère nord tirent 80% de
leurs ressources alimentaires des pays du Sud et la plupart des aliments
parcourent en moyenne 5 000 km avant d’arriver sur la table d’un
Occidental21. Pensons au thé, au café, au chocolat, au sucre, au riz, aux
agrumes, aux fruits exotiques qui réjouissent régulièrement nos palais.
Même les pommes de terre, les tomates et les haricots qui poussent dans
nos jardins ont été importés jadis du bout du monde, à la suite des Grandes
découvertes.
L’espèce humaine serait-elle la seule à organiser délibérément sa
dépendance alimentaire envers un environnement extérieur au sien? La
seule à se reproduire sans ajuster sa population à la nourriture disponible?
L’Homo industrialis est-il en train de perdre le contact avec l’information
inscrite dans ses gènes au point que son corps ne reconnaît plus
intuitivement ce qui est bon ou mauvais pour lui? Normalement, des signes
devraient l’alerter sur le danger de substances toxiques dans son
alimentation. Ce n’est plus le cas. Selon nombre d’études convergentes,
depuis quelques décennies, les dépouilles humaines, imprégnées de
pesticides et d’agents de conservation, se décomposent de plus en plus
lentement. L’humain réussira-t-il un jour à échapper au cycle de la vie – à
ne plus retourner à la terre pour nourrir une autre vie? Les rêves de toute-
puissance et d’immortalité de l’humanité sont-ils en train de se réduire de
façon dérisoire à un encombrement des cimetières?

L’HUMAIN, OMNIVORE DE PAR SA CONSTITUTION

Mais revenons aux origines… À la différence des animaux qui migrent, qui
hibernent ou qui stockent de la graisse pour l’hiver, à la différence des
plantes qui entrent en dormance, l’Homo sapiens ne dispose d’aucun
mécanisme physiologique pour faire face aux variations saisonnières ou
pour stocker son énergie. Il doit manger chaque jour une nourriture variée.
Il est omnivore de par sa constitution. Ses membres inférieurs lui
permettent de se déplacer vers les aliments disponibles selon les saisons. Au
début de son histoire, l’humain est nomade. Son «intelligence de groupe»
lui permet de développer des stratégies complexes pour trouver sa
nourriture, la cueillir, la glaner, la chasser ou la pêcher. Avec le temps,
l’humain invente des outils et apprend à domestiquer des bêtes pour faciliter
sa quête. Avec l’invention du tour à potier, l’humain stocke et cuit des
aliments dans des récipients. Puis l’invention de la roue, 3 500 ans avant J.-
C., en Mésopotamie (l’actuel Irak), révolutionne sa vie quotidienne: le
travail du sol devient plus facile, l’agriculture se développe et produit des
céréales que l’on peut stocker. L’humain n’a plus besoin de se déplacer pour
chercher sa nourriture. Il devient sédentaire. Avec l’invention quasi
concomitante de l’écriture, l’humain quitte la préhistoire et entre dans
l’histoire!

4-1-2

choc-noir CHIFFRES-CHOCS

En 2015, 1 milliard de personnes étaient obèses et 1 milliard de personnes étaient


malnutries.

De la nourriture pour qui?


Trois quarts des surfaces agricoles mondiales sont utilisées pour élever du
bétail et produire leur nourriture.

Près de la moitié de la production mondiale de céréales sert à l’alimentation du


bétail*.

Assiettes vides aussi dans les pays riches


Environ 180 millions de repas sont servis chaque année en France aux plus
démunis par des associations caritatives.
En Europe, 18 millions de personnes dépendent de l’aide alimentaire. Au
Canada, ce sont 841 000 personnes, ce qui représente une augmentation de
25% depuis la crise économique de 2008.

Pertes et gaspillages
57% des calories produites dans le monde n’arrivent jamais dans une
assiette**.

À ce gaspillage, il faut ajouter les terres, l’eau, les engrais, l’énergie, le travail,
le temps nécessaires à la production de ces calories.

Empreinte écologique de la viande et du blé


Produire 1 kilo de bœuf exige 15 mètres cubes d’eau, 6 kilos de céréales et 8
mètres carrés de terrain.

Produire 1 kilo de blé requiert 1,3 mètre cube d’eau et 1,5 mètre carré de
terrain***.

* Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, Le
droit à l’alimentation, facteur de changement, 10 mars 2014,
www.srfood.org/images/stories/pdf/officialreports/20140310_finalreport_fr.pdf.

** Catherine Esnouf, Marie Russel et Nicolas Bricas (dir.), duALIne – Durabilité de


l’alimentation face à de nouveaux enjeux. Questions à la recherche, rapport Inra-Cira
[France], 2011.
*** Water Footprint Network, Product Water footprint, http://waterfootprint.org/en/water-
footprint/product-water-footprint/.

La dentition de l’Homo sapiens lui permet de se nourrir d’un large


éventail d’aliments. Ses incisives mordent dans la chair des fruits, ses
molaires (si tout va bien) cassent les fruits à coques et broient les racines
des plantes. Grâce à ses canines, il peut déchiqueter la viande. Alors que
nombre d’herbivores ont une panse à plusieurs poches pour assurer la
digestion complète des végétaux, l’humain a un estomac unique, à même de
digérer des aliments variés.

L’HUMAIN MODERNE EN QUÊTE D’UNE AUTRE FAÇON DE


S’ALIMENTER

De plus en plus de citoyens conscients des enjeux environnementaux et


sanitaires liés à l’alimentation industrielle rêvent d’une production
alimentaire familiale, locale, savoureuse et saine. Les potagers individuels
et collectifs fleurissent, en ville comme à la campagne. Les plantes
sauvages comestibles sont appréciées, recherchées. Les modes alimentaires
alternatifs sont légion. À l’instar des permaculteurs, de nombreuses
personnes cherchent de toutes leurs forces à retrouver une alimentation en
harmonie avec la nature.

QUELS SONT NOS VRAIS BESOINS?

Que nos activités soient physiques, intellectuelles, créatives ou psychiques,


elles nécessitent une certaine quantité de calories. La nourriture est là pour
nous les apporter. Plus nous sommes actifs, plus nous avons besoin de
calories, et inversement. La teneur énergétique et la quantité des aliments
consommés devraient donc être en rapport direct avec notre activité. Un
employé de bureau assis toute la journée n’a pas les mêmes besoins qu’un
maçon. Les excès de calories s’accumulent sous forme de graisse et
engendrent des désordres. Or l’alimentation moderne est plus souvent
dictée par un modèle économique (faire tourner l’industrie alimentaire) que
par nos réels besoins énergétiques. Dès les années 1940, la Dre Catherine
Kousmine22 a démontré le lien entre une alimentation déséquilibrée et le
cancer, et a mis au point avec succès un régime adapté pour ses patients.
Le rythme de la prise de nourriture est en principe régulé par notre
horloge biologique: nos besoins en calories déclenchent la sensation de
faim. Mais les fameuses expériences de Pavlov ont démontré que les
habitudes sociales finissent par primer sur cet aspect biologique. Le rituel
de se mettre à table à des heures précises nous a écartés de nos besoins
physiologiques.

LE MESSAGE ANTI-VIE DE L’ALIMENTATION INDUSTRIELLE

Les céréales hybrides et autres produits génétiquement modifiés qu’on


trouve de plus en plus dans les rayons des supermarchés sont altérés pour
empêcher leur reproduction naturelle. Le message inscrit dans leurs cellules
est: bloquer la continuité de l’espèce. En consommant ces végétaux, les
animaux et les humains incorporent ce message: bloquer la continuité de
l’espèce. Et si cette injonction mortifère s’inscrivait dans le code génétique
de nos propres cellules? Notons qu’une baisse notable de la fertilité chez les
hommes est déjà observée au niveau clinique; leur nombre de
spermatozoïdes régresse constamment depuis quelques décennies. Certains
voudraient expliquer cette situation par une dose de stress trop importante.
Mais le stress a toujours existé! Que dire du stress de l’homme
préhistorique combattant un mammouth? Le stress d’un soldat sur le front?
Le stress joue parfois un rôle positif en permettant à l’être humain d’être
plus efficace en situation périlleuse, pour protéger les siens ou réussir un
examen. La cause de la baisse de la fertilité humaine est à rechercher
ailleurs. Des travaux scientifiques mettent en évidence le lien de cause à
effet entre la consommation de produits chimiques courants inscrits sur la
liste officielle des produits «cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques» et la
baisse de la fertilité. De même, la consommation de viande provenant
d’élevages industriels transmet à nos cellules un message bien différent de
celui transmis par la viande d’un animal sauvage ou élevé à la ferme.
Même les fruits de la terre sont aujourd’hui coupés de leurs racines. À
l’état naturel, seule une graine mature pourra germer, c’est-à-dire
transmettre la vie. Ce message de vie du fruit mûr que nous mangeons
alimente à son tour notre vitalité humaine. Dans l’économie industrielle,
pour faciliter le transport des fruits et des légumes, pour gagner quelques
semaines (et quelques dollars) sur leur cycle de maturation, ils sont le plus
souvent cueillis avant maturité. Ils finissent de mûrir dans des conteneurs
pendant leur transport, loin du sol, du soleil et de l’eau du ciel. Le message
qu’ils portent n’est évidemment pas le même. De même l’eau de source ou
minérale que nous buvons dans des bouteilles en plastique a perdu sa
vitalité d’origine.

MAINTENIR OU RESTAURER L’ÉQUILIBRE DU TERRAIN

Au début de cet ouvrage, nous avons établi un parallèle entre le sol et le


«terrain humain». L’un et l’autre sont vivants, se cultivent et portent fruit…
si tout va bien. La vie microscopique souterraine, telle la flore intestinale
d’un organisme, assimile tout ce qui vit et meurt sur terre et influe
directement sur la santé des végétaux, en partie grâce à l’équilibre du pH.
Dans le sol comme pour son propre organisme, le permaculteur cherchera,
dans une vision systémique, à restaurer l’équilibre du terrain plutôt qu’à
supprimer les symptômes qui pourraient découler d’un déséquilibre. Un
terrain (sol ou humain) au pH équilibré permettra à l’individu (humain ou
plante) de mobiliser ses propres défenses immunitaires pour réagir aux
agressions extérieures (maladies, parasites, conditions climatiques
extrêmes, etc.).
CE QUI EST VERT ET RICHE EN CHLOROPHYLLE ÉQUILIBRE
LE PH DU SOL ET… DU TERRAIN HUMAIN

L’alimentation moderne, comme les produits chimiques phytosanitaires


(terme ambigu qui induit en erreur) a tendance à acidifier les terrains
(agricoles et humains), donc à les rendre vulnérables aux maladies.
Comment équilibrer le pH? Pour l’humain, cet équilibre passe par une
alimentation contenant environ 80% de produits alcalinisants (grosso modo
fruits et légumes verts frais) et autour de 20% d’aliments acidifiants
(certaines céréales ou légumineuses, et produits animaux). En bref, manger
des fruits et des légumes verts, frais, vivants et crus (ou peu cuits) équilibre
le pH. Aucun risque d’en manger trop: l’organisme humain ne peut être
exagérément basique.
L’eau, un élément vital

BOIRE POUR VIVRE

Un être humain peut vivre longtemps sans manger mais ne peut survivre
que quelques jours sans absorber d’eau. Boire, c’est s’hydrater pour
maintenir la teneur en eau constitutive de l’organisme: en moyenne 45 litres
pour un adulte de 70 kilos, soit 65% de son poids! Les organes vitaux – le
cerveau, le cœur, les reins, les poumons, le foie, le pancréas – ainsi que le
sang, les muscles et la peau contiennent entre 70 et 80% d’eau. Une partie
de l’eau de l’organisme est éliminée par les excrétions – urine,
transpiration, selles – et par l’expiration. Il convient de compenser ces
pertes aussi régulièrement que possible. C’est pourquoi il est recommandé
d’absorber environ deux litres et demi d’eau par jour (un volume qui varie
bien sûr en fonction de l’âge, de l’activité, de la température, etc.).
L’équivalent d’un litre d’eau peut venir des aliments et un litre et demi des
boissons23. Attention: les boissons diurétiques (thé, café, alcool) accélèrent
l’élimination, donc la déshydratation. La sensation de soif est le signe que
l’organisme manque d’eau. Il faut donc boire avant d’avoir soif! Notre
rythme de vie nous fait souvent négliger cet impératif. Avoir une réserve
près de soi facilite le geste. Nos cellules assimilent plus facilement une eau
à une température proche de celle du corps, soit entre 30° et 40° C.
Boire, c’est aussi répondre au besoin de l’organisme en sels minéraux et
en oligo-éléments, des substances minérales captées par l’eau sauvage au
contact des roches souterraines et nécessaires à la régulation des fonctions
vitales de l’organisme humain: fluorure, chlorure, phosphate, calcium,
magnésium, potassium, sodium, fer, cuivre, manganèse, zinc, sélénium,
silicium. Les sels minéraux représentent de 4 à 5% du poids de notre corps.
Les oligo-éléments, tout aussi essentiels, ne doivent être présents dans le
corps qu’en très faibles quantités24. Magnifique et vitale dépendance de
l’être humain vis-à-vis de l’eau jaillie des entrailles de la Terre pour réguler
ses fonctions internes les plus subtiles, comme le démontre le professeur
Louis-Claude Vincent. Oui, nous sommes UN avec la Terre, UN avec
l’univers!

L’EAU, UN BIEN COMMUN… MAL RÉPARTI ET MENACÉ PAR


LA POLLUTION

La meilleure eau pour s’abreuver serait une eau de source vitalisée au


contact de la terre, de l’air et du soleil, riche en minéraux et disponible près
de chez soi. Une telle eau sauvage («eau brute», disent les spécialistes) est
malheureusement de plus en plus souvent rendue impropre à la
consommation, car exposée à nombre de polluants. Il est fortement
recommandé, aujourd’hui, de ne pas boire l’eau des torrents et des rivières.
En France, «50% des eaux de surface et 40% des eaux souterraines sont en
mauvais état chimique», reconnaît le Centre d’information sur l’eau. Les
excédents de nitrate et les pesticides utilisés dans l’agriculture industrielle
ruissellent lorsqu’il pleut, rejoignent les rivières (puis la mer), s’infiltrent
dans les nappes phréatiques, donc dans les puits et les zones de captage.
Sans compter les particules toxiques en suspension dans l’air qui retombent
avec les précipitations…
Comme nous l’avons déjà mentionné, aujourd’hui, un humain sur deux
doit faire plusieurs kilomètres pour accéder à un point d’eau. Pourtant,
l’accès permanent à l’eau potable est un droit humain défini par les Nations
unies en 2002: «[…] droit à des ressources en eau suffisantes, saines,
physiquement et économiquement accessibles pour ses besoins personnels
et domestiques. […] [L’eau] ne doit pas présenter de micro-organismes, ni
de substances chimiques, ni de risque d’origine radiologique susceptibles de
menacer la santé des personnes», précise le texte25. Or, un tiers de la
population mondiale ne dispose pas de sanitaires ni même de latrines. Une
situation qui induit des risques majeurs de pollution des réserves d’eau
naturelles, et qui se répercute, bien sûr, sur la qualité de l’eau à boire.
Dans les pays riches, l’eau potable arrive aujourd’hui au robinet ou en
bouteille. L’eau courante est un luxe récent (c’est seulement à la fin des
années 1980 que les derniers logements français ont été équipés en eau
courante). Nos aïeux auraient-ils pu imaginer qu’un jour l’eau se vendrait
dans des bouteilles en plastique? Depuis peu, des citoyens pionniers
s’exercent à potabiliser les eaux de pluie à la maison (voir p. 142-143). Un
mouvement qui pourrait se développer dans les années à venir…
En France, l’eau du robinet est le produit alimentaire le plus contrôlé.
Elle compte «parmi les eaux les plus sûres du monde», assurent les
autorités. Pourtant, trop souvent, elle contient une forte teneur en chlore,
déplorent les usagers. Dans l’Hexagone, 62% de l’eau potable provient de
ressources souterraines – captage d’une source ou forage d’une nappe
profonde – et 38% d’eaux de surface – fleuve, rivière, lac.

LE MARCHÉ DE L’EAU EN
FRANCE
L’eau en bouteille

Environ 6 milliards de litres vendus chaque année.

154 litres d’eau plate embouteillée consommée par an et par habitant.

240 000 tonnes de déchets plastiques.

Chiffre d’affaires: environ 2 milliards d’euros en 2012. Leaders: Nestlé (leader


mondial) et Danone.

L’eau du robinet

Pas de déchets, pas de transport une fois les réseaux en place.

Chiffre d’affaires du leader Véolia: 4,5 milliards d’euros en 2011.

EAU DU ROBINET OU EAU EN BOUTEILLE?


À grand renfort de publicité, les embouteilleurs (industriels de l’eau en
bouteille) ont réussi à persuader une large partie des populations que l’eau
en bouteille est de meilleure qualité que l’eau du robinet. À de rares
exceptions près, il n’en est rien.
De nombreux organismes mènent régulièrement des analyses. Pendant
deux ans, le Fonds mondial pour la nature (WWF) a mené en France des
analyses comparatives avec un laboratoire agréé par le ministère de la
Santé. L’ONG a testé l’eau du robinet chez des particuliers dans 50 villes
ainsi que l’eau en bouteille en provenance de 15 sites différents. Près de 180
molécules ont été recherchées dans l’eau du robinet, parmi lesquelles des
perturbateurs endocriniens (HAP, PCB, bisphénol A, organochlorés,
pesticides) dont les effets, même à dose infime, peuvent se révéler très
néfastes, surtout s’ils sont présents en «cocktail». Dix-neuf molécules ont
été détectées: essentiellement des nitrates, des résidus chlorés ou bromés, de
l’aluminium, dans des proportions qui respectaient néanmoins les normes
en vigueur. Des traces d’hydrocarbures ont également été décelées dans
plus de 20% des eaux échantillonnées. «Pour obtenir des eaux potables, les
collectivités ont recours à des moyens de traitements de plus en plus
sophistiqués et coûteux au fur et à mesure que les pollutions augmentent»,
observe l’ONG dans son rapport26. «Les fermetures de captages pollués se
multiplient, ainsi que le nombre d’interconnexions entre les réseaux, de
manière à diluer les pollutions. Cette fuite en avant ne peut plus durer»,
alerte le WWF qui mène régulièrement des actions de protection de
l’environnement.
L’eau en bouteille testée par le WWF sur 15 sources a révélé la présence
de quatre micropolluants (nitrate, aluminium, antimoine et plomb) dans des
concentrations inférieures aux normes réglementaires. Conclusion: au
robinet comme en bouteille, l’eau contient une diversité de molécules qui,
bien qu’en faibles doses, présentent des risques à long terme (et mal
connus) pour la santé. Plutôt que d’opposer l’eau du robinet et l’eau en
bouteille, cette enquête du WWF montre que «l’urgence est de protéger les
ressources d’eau en amont et plus généralement les ressources en eaux
brutes».
Les différences majeures entre l’eau du robinet et l’eau en bouteille se
jouent plutôt sur le plan économique et environnemental: l’eau en bouteille
coûte de 100 à 300 fois plus cher que l’eau du robinet! Le coût énergétique
de la fabrication des bouteilles en plastique, à base de pétrole, est élevé.
Une fois pleines, elles sont acheminées souvent sur de longues distances
(émissions de CO2 ). Enfin, elles génèrent des milliers de tonnes de déchets
coûteux à recycler dont une partie échoue dans la nature. De plus, comme
toute substance naturelle coupée de son milieu, l’eau qui stagne dans des
bouteilles perd sa vitalité d’origine. Sur le plan énergétique, elle porte un
message d’inertie. Un effet que nombre de contemporains découvrent au fur
et à mesure qu’ils s’informent et qu’ils retrouvent l’accès à leur hémisphère
droit.
Les habitants des pays riches qui ont la chance de disposer d’une eau de
bonne qualité au robinet, qu’ils en profitent! Pourquoi acheter de l’eau en
bouteille si l’eau du robinet répond à leurs besoins en sels minéraux? Ainsi,
boire un litre d’eau du robinet par jour couvre 15 à 25% des besoins
quotidiens en calcium.

ET NOUS, PERMACULTEURS ET PERMACULTRICES, QUE


FAIRE CONCRÈTEMENT?

Souvenons-nous que la permaculture recommande que chaque fonction soit,


si possible, assumée par trois éléments. Une précaution particulièrement
importante pour l’eau.
Veillons donc, en plus du robinet qui nous fait oublier la potentielle
fragilité de l’approvisionnement, à contribuer à l’entretien du puits, de la
source ou de la rivière les plus proches – si nous avons la chance d’en avoir
dans notre environnement. Faisons analyser la qualité de ces eaux
naturelles. En fonction des résultats, voyons ce qui peut être fait en amont,
en mobilisant éventuellement la municipalité ou les riverains, pour réduire
les pollutions et rendre cette eau saine. Une agriculture sans pesticides y
contribuera évidemment. Stockons l’eau de pluie, même dans les régions où
il pleut beaucoup. Veillons à la filtrer, à la dynamiser, à la revitaliser pour la
rendre potable. Veillons à ce qu’elle retourne à la terre pour alimenter les
nappes phréatiques et le cycle de l’eau.
Ne gâchons pas cette précieuse ressource. En tant que citoyens et
citoyennes permaculteurs, cessons d’utiliser l’eau potable pour arroser le
jardin (qui préfère l’eau de pluie), pour alimenter la chasse d’eau des
toilettes (opter pour des toilettes sèches27) ou pour laver la voiture (l’eau de
pluie ou l’eau grise des douches fait très bien l’affaire). Il appartient à
chacun.e de prendre soin de l’eau, de recycler ses eaux grises, de bannir
l’usage de tout produit toxique pour l’eau ou la terre, de ne rien rejeter dans
le réseau d’assainissement qui risque de l’affecter. Ouvrons nos placards
d’entretien et faisons un diagnostic sans concession des produits toxiques
(et souvent inutiles) qui s’y trouvent. Portons à la déchetterie tout ce qui
risquerait de polluer la terre et l’eau (de plus en plus de déchetteries traitent
à part les produits toxiques). Cessons d’acheter ces produits dangereux pour
l’être humain et pour l’environnement. De nombreuses alternatives
naturelles existent pour l’hygiène du corps et pour l’entretien de la maison
et du jardin.
Le vortex de l’eau

REVITALISONS L’EAU QUE NOUS BUVONS!


Comment obtenir une eau potable aussi vivante que possible, là où nous
vivons? L’eau naturelle ne se trouve ni dans les bouteilles vendues dans le
commerce ni, en général, sous nos pieds. Et encore moins dans les
installations miracles proposées par des dynamiseurs ou revitaliseurs
souvent chers, dont l’efficacité n’est pas prouvée. Changeons de regard et
voyons l’eau comme un élément résilient, qui peut se régénérer, comme tout
ce qui est vivant. Plusieurs procédés peuvent se conjuguer:

L’eau du robinet traitée au chlore ou à l’ozone peut être bonifiée avant


d’être bue en la filtrant avec du charbon actif ou un filtre à osmose
inverse.

On peut aussi la battre au fouet avant de la laisser décanter quelques


heures. Le mouvement oxygène l’eau et facilite l’évaporation d’une
partie du chlore.
On peut agrémenter l’eau du robinet en y ajoutant une branche de
menthe fraîche ou de toute autre plante aromatique, quelques pétales
de fleurs comestibles (roses, calendula, capucine, dahlia), une ou deux
gouttes de jus de citron frais ou d’huile essentielle (de menthe poivrée,
par exemple). Les plantes transmettent à l’eau une partie de leurs
propriétés. Et la carafe apporte en même temps un élément décoratif
sur la table, toujours apprécié.

Exposez l’eau quelques instants au soleil. Elle captera la force vitale


de l’astre puis vous la transmettra lorsque vous la boirez. Et les
particules chlorées s’évaporeront plus rapidement.

Vous pouvez créer un vortex (tourbillon) en transvasant l’eau d’un


récipient à un autre. Elle gagne alors en biodisponibilité, hydrate
mieux les cellules et améliore l’élimination des toxines. L’eau ainsi
énergisée doit être bue aussitôt. Il serait inapproprié de la stocker. Le
même principe de vortex peut être utilisé à plus grande échelle sur un
terrain récupérant l’eau de pluie.
Préférer les récipients en verre: le verre est composé à base de schiste
ou de sable, matériaux présents dans le fond des rivières. L’eau se
reconnaît dans le verre, alors que le plastique peut en altérer la qualité
par les risques de transfert de particules.

DYNAMISER L’EAU: QU’EST-CE QUE ÇA


VEUT DIRE?
En observant la nature, VIKTOR SCHAUBERGER (1885-1958), garde-forestier
autrichien, constate que l’eau s’écoule dans un mouvement tourbillonnant (vortex)
sans consommer d’énergie. Ce mouvement spiralé permet à l’eau de capter
davantage d’oxygène et d’énergie. «Lorsqu’elle tourbillonne, l’eau se dynamise, se
purifie et se vivifie», affirme-t-il, ouvrant des pistes pour une eau de meilleure qualité.
Schauberger repère que l’eau est extrêmement sensible aux vibrations. Ses
recherches l’amènent à affirmer que l’eau est non seulement support de toute vie,
mais également «support de la conscience terrestre». Cet inventeur, passionné de
biomimétisme avant l’heure, s’inspire des mouvements des poissons dans les
torrents pour réaliser des prototypes de moteurs à implosion ne consommant aucun
carburant.

POUR EN SAVOIR PLUS: Alick Bartholomew, Le génie de Viktor


Schauberger. Et si la pénurie d’eau et d’énergie était un faux problème?, Paris,
Le Courrier du livre, 2014.

BOIRE EN CONSCIENCE
Selon les travaux de Masaru Emoto, le fait de
prendre activement soin de l’eau que nous buvons
imprime un message de vie dans la «mémoire» de
l’eau, message qui se transmet à nos cellules et
renforce notre corps et notre esprit de façon
bénéfique. Idem si nous formulons une intention
positive avant de boire de l’eau, affirme ce
chercheur. On imagine volontiers en effet que
boire en conscience – comme manger, parler ou
travailler en conscience – favorise l’équilibre
physiologique et psychologique.

POUR EN SAVOIR PLUS: Masaru Emoto, L’eau,


mémoire de nos émotions, Paris, Guy Trédaniel, 2006.

EXEMPLE INSPIRANT
Boire l’eau du ciel
Devenir «eautarcique» grâce à l’eau de pluie! C’est ce
que propose le chercheur belge JOSEPH ORSZAGH sur
son site d’information Eautarcie:
www.eautarcie.org/index-fr.html. Ce site présente,
gratuitement, un ensemble de dispositifs écologiques peu coûteux pour «une
valorisation intégrale de l’eau de pluie» dans la maison ainsi que des réponses
écologiques aux questions d’assainissement, de gestion des eaux grises, de toilettes
sèches, et aux politiques de l’eau. Le tout est assorti d’une réflexion philosophique
enrichie par 20 ans d’expérimentations et de recherches universitaires sur la gestion
durable de l’eau.
Le site invite à quitter l’automatisme du «tout à la poubelle» et son pendant du «tout à
l’égout» qui ont un coût écologique et collectif élevé. Les solutions de potabilisation
de l’eau de pluie proposées par Eautarcie permettent de boire une eau de grande
qualité qui n’a subi aucun traitement chimique.

Selon Joseph Orszagh, la notion d’eau «potable» est avant tout juridique: elle doit
satisfaire à une cinquantaine de paramètres physicochimiques et microbiologiques.
De telles normes bactériologiques rendent la désinfection chimique incontournable,
notamment par l’adjonction de chlore. Le chercheur lui préfère la notion d’eau
biocompatible, qui relève de la bioélectronique de Louis-Claude Vincent et qui se
passe de toute désinfection chimique.
Joseph Orszagh invite les citoyennes et citoyens à potabiliser leur eau de pluie avec
le procédé Pluvalor, mais ne cherchez pas un tel équipement dans le commerce: il
n’en existe pas! À chacun.e de le réaliser… Le procédé Pluvalor est un montage que
chacun.e peut adapter chez soi sur le réseau de plomberie existant. Tous les détails
se trouvent sur le site d’Eautarcie. L’essentiel du coût est lié à la citerne.

Joseph Orszagh estime que l’objectif pour la santé (et l’autonomie) est de produire un
minimum de cinq litres d’eau potable par jour et par personne: soit l’eau de boisson et
de cuisson des aliments. La formule la plus simple et la plus économique consiste à
recueillir l’eau de toiture dans une cuve enterrée en béton ou en briques
(récupérées). Le béton neutralise l’acidité naturelle de l’eau de pluie et la charge
légèrement en sels minéraux (50 milligrammes/litre). Ce dispositif reconstitue
artificiellement les conditions d’une cavité rocheuse dans laquelle l’eau se conserve
très bien, à l’abri de la lumière et des variations de température. Pour les petits
budgets ou des petites quantités, l’eau sera tout simplement extraite de la citerne
avec un seau fixé au bout d’une corde! Pour une réserve d’eau plus conséquente, la
citerne possède un compartiment de décantation (20% du volume total) et un
compartiment de stockage (80%). Le volume de stockage dépend de la surface du
toit collecteur.
Les besoins en filtration de l’eau de pluie dépendent du climat de votre région; prévoir
un filtre à osmose inverse avec un préfiltre de 5 microns pour retenir les sédiments,
une membrane et du charbon actif pour retenir les bactéries et les pollutions
chimiques. «C’est la seule technique qui corrige la composition chimique et
électrochimique de l’eau pour un prix abordable», affirme le chercheur Joseph
Orszagh.

En Belgique, plus de 750 000 personnes utilisent depuis des années l’eau de pluie
pour leur hygiène personnelle. Parmi elles, plus de 100 000 personnes l’utilisent aussi
comme eau de boisson. Pour le plus grand bien de leur santé et de leur porte-
monnaie!
FILTRER TOUTE EAU SAUVAGE
Pour n’importe quelle eau sauvage (source, lac, rivière, nappe phréatique), la filtration
bactériologique peut être effectuée par microfiltration céramique, par simple gravité.
On obtient ainsi une eau de boisson de bonne qualité. Ce dispositif très simple, qui
fonctionne sans électricité et sans consommables compliqués, retient les bactéries et
autres agents pathogènes tout en laissant passer les oligo-éléments nécessaires à la
santé (magnésium, calcium, etc.). On pourra y associer une filtration des substances
chimiques en remplissant la bougie céramique d’une dose de charbon actif. Ce
dispositif retiendra le chlore, le mauvais goût et les résidus de pesticides, y compris,
bien sûr, dans l’eau du robinet. Voici un exemple de filtre vendu tout fait: http://filtre-a-
eau-ecologique-par-gravite.blogspot.com.

Par précaution, le site Eautarcie déconseille fortement l’usage des lampes UV,
technique biocide, c’est-à-dire qui détruit la vie: l’observation de plantes arrosées
avec de l’eau traitée aux UV laisse craindre des effets négatifs sur la santé humaine.
D’autant que la microfiltration céramique ou les filtres à osmose inverse suffisent
largement à garantir une eau potable de haute qualité.
Se nourrir grâce aux végétaux

L’URGENCE D’ENTRETENIR LA BIODIVERSITÉ VÉGÉTALE

APRÈS LES DESTRUCTIONS MASSIVES de la Seconde Guerre mondiale en


Europe, l’euphorie des Trente Glorieuses (1945-1975) a emporté
l’agriculture dans le tourbillon d’une Révolution verte à haute technologie.
Travail standardisé, automatisé, apport systématique d’engrais et de
pesticides sur d’immenses parcelles déboisées, rendements multipliés de
façon spectaculaire… et 60 ans plus tard, des sols menacés de stérilité.

Sept mille espèces de plantes ont été cultivées ou consommées comme aliments tout au long de
l’histoire de l’humanité, aime à rappeler José Graziano da Silva, directeur général de la FAO.
Aujourd’hui, quatre cultures seulement – le riz, le maïs, le blé et la pomme de terre – constituent
la base alimentaire de l’écrasante majorité des humains, ce qui représente une perte inestimable
de la biodiversité génétique et culturelle. Ne permettons pas que la richesse de l’identité et des
traditions alimentaires disparaisse, ni la sagesse de nos ancêtres. Si nous perdons ces ressources
uniques et irremplaçables, il nous sera bien plus difficile de nous adapter au changement
climatique et d’assurer une alimentation saine et diversifiée pour tous. Notre dépendance à
l’égard d’un petit nombre de cultures a des conséquences négatives à la fois sur les écosystèmes
et sur notre santé28.

Mais ne cédons pas au pessimisme! Depuis quelques années, les


grandes organisations internationales qui impulsent les politiques mondiales
ne croient plus aux mirages d’une agriculture 100% industrielle. Dans les
sillons tracés par de petits agriculteurs novateurs, des écologistes et des
chercheurs, elles encouragent et soutiennent désormais l’agriculture
familiale et la préservation de la biodiversité. «L’agriculture familiale
permet d’augmenter la productivité sur des petites parcelles. Elle contribue
à la sécurité alimentaire et nutritionnelle et améliore les moyens de
subsistance des populations, poursuit le directeur général de la FAO. Elle
préserve la biodiversité dans les champs et jusque dans nos assiettes; elle
protège notre terre, notamment grâce à nombre d’espèces végétales oubliées
ou sous-utilisées. Et elle protège notre santé29.» On peut dire que les enjeux
et les solutions sont connus, proclamés au plus haut niveau.
Alors que des millions de familles continuent d’être dépossédées de
leurs lopins de terre, repoussées dans la misère des mégalopoles par le
rouleau compresseur de l’industrie agroalimentaire (qui continue de tourner
à plein régime), comment aujourd’hui inverser la tendance, assurer la
transition vers une agriculture à visage humain? Sur le terrain, les
agriculteurs pratiquant l’agroécologie (ou quelque autre nom qu’on donne à
ces pratiques respectueuses des êtres humains et de la nature) font encore
figure de marginaux aux yeux de bien des observateurs. Il faudra du temps
avant que les décideurs des États, des régions, des territoires prennent
connaissance de ces nouvelles approches, les respectent, les soutiennent et
se les approprient.

L’AGROÉCOLOGIE ET L’AGROFORESTERIE PEUVENT


NOURRIR LA PLANÈTE30

L’agroécologie désigne à la fois une science et des pratiques nées de la


rencontre entre les sciences agronomique et écologique. Elle vise à
améliorer la résilience et la durabilité des systèmes agricoles en imitant les
processus naturels, c’est-à-dire en créant des interactions et des synergies
bénéfiques entre les éléments de l’écosystème. Autant dire que
l’agroécologie est l’application, dans le domaine de l’agriculture, des
principes de la permaculture!
En recyclant sur place la matière organique, l’agroécologie développe la
fertilité des sols et offre des conditions optimales à la croissance des
végétaux, ce qui évite l’introduction d’intrants coûteux et polluants.
L’agroécologie cultive la biodiversité à l’intérieur et autour des systèmes de
production en associant à des cultures aussi diverses que possible du bétail,
des arbres, des pollinisateurs, des insectes, les organismes du sol, de la
pisciculture. Elle diversifie les espèces et les ressources génétiques des
fermes. Elle recherche la productivité et l’équilibre de l’ensemble du
système agricole plutôt que la productivité de telle ou telle variété.
L’agroécologie concentre une grande quantité de connaissances et de
techniques élaborées par les agriculteurs eux-mêmes. Ils deviennent acteurs
du développement de leurs exploitations en tissant des liens d’échange et de
solidarité entre eux. L’agroécologie est un outil qui redonne vie au sol et
aux populations, en réduisant la pauvreté; les agriculteurs, assurant eux-
mêmes la fertilité des sols grâce aux effluents d’élevage, aux résidus
agricoles et à la plantation d’arbres fixateurs d’azote ne sont plus
dépendants des fournisseurs d’engrais extérieurs. Cette dimension sociale
est importante dans le succès de l’agroécologie (et de la permaculture en
général).
De nombreux exemples, sur différents continents, confirment ce
processus vertueux. En Zambie, par exemple, du maïs cultivé sans engrais à
proximité d’une variété d’acacia fixatrice d’azote, Faidherbia albida,
atteint des rendements moyens de 4,1 tonnes par hectare, contre 1,3 tonne
par hectare pour du maïs cultivé en dehors de la zone plantée d’arbres. On
devine l’impact social sur les populations concernées.
L’agroécologie cherche et innove. Elle a mis au point une stratégie
originale pour lutter contre les mauvaises herbes et les insectes nuisibles: la
stratégie de répulsion-attraction (push and pull, en anglais). Il s’agit de
chasser les insectes en plantant au
milieu des cultures – entre les rangs de
maïs, par exemple – des plantes
répulsives (comme le Desmodium) tout
en les attirant ailleurs – vers des
plantations de napier ou herbe à
éléphant, par exemple, une plante
gluante dans laquelle ils se trouvent
piégés. Cette stratégie de répulsion-
attraction permet de doubler le
rendement du maïs! Elle permet non
seulement de lutter contre les parasites
sans faire usage de pesticides, mais elle
offre aussi d’autres avantages: le
Desmodium peut être utilisé comme
fourrage pour le bétail. Plus de 10 000
familles en Afrique orientale ont
adopté cette méthode après en avoir
entendu parler dans des réunions d’information, des bulletins diffusés à la
radio nationale ou encore dans des fermes-écoles.
Au Japon, des agriculteurs ont constaté que, dans les rizières, les
canards et les poissons étaient aussi efficaces que les pesticides pour
combattre les parasites tout en constituant une source supplémentaire de
protéines pour leur famille. Les canards mangent les mauvaises herbes et
leurs graines, ils consomment des insectes et d’autres nuisibles. Le travail
de désherbage, habituellement effectué à la main par des femmes, diminue,
et les excréments des canards se transforment en nutriments pour les
végétaux. Ce système a été adopté en Chine, en Inde et aux Philippines. Au
Bangladesh, l’Institut international de recherche sur le riz indique que les
rendements des cultures ont augmenté de 20% et que les revenus nets se
sont accrus de 80%.
Des études scientifiques internationales confirment l’efficacité de ces
pratiques. La plus systématique a été menée en 2008 par l’équipe du
biologiste britannique Jules Pretty. Elle compare les résultats de 286 projets
récents d’agriculture durable couvrant 37 millions d’hectares dans 57 pays
pauvres, soit 3% des terres cultivées de ces territoires. L’étude constate une
augmentation moyenne des récoltes de 79% et un enrichissement des foyers
de 73 à 150% selon le type de cultures. Ces méthodes sont accessibles à
tous et adaptables partout, car elles nécessitent peu d’investissements. Elles
sont économes en eau, en énergie, en terre, en travail!
«Des millions de personnes pourraient échapper à la pauvreté, à la faim
et à la dégradation de l’environnement si les pays déployaient plus d’efforts
pour promouvoir l’agroforesterie», répète la FAO ces dernières années. En
associant sur un même espace des cultures, des arbres et des pâturages,
l’agroforesterie offre des moyens de subsistance aux agriculteurs (fruits,
légumes, bois, fourrage, viande, produits laitiers, fibres textiles) et des
produits d’exportation (noix de coco, café, thé, caoutchouc, gomme) qui
peuvent compléter leurs revenus.
Près de la moitié des terres agricoles de la planète bénéficient d’arbres
sur au moins 10% de leur superficie. L’exploitation de ces bordures boisées
offre un formidable potentiel de subsistance pour des millions de personnes,
tout en limitant sensiblement l’érosion en saison des pluies. Au Costa Rica,
une loi accorde des subventions aux activités agroforestières associant
cultures, arbres et bétail. En 10 ans, 10 000 contrats d’agroforesterie ont été
signés et 3,5 millions d’arbres plantés dans des exploitations agricoles. Un
vrai changement de vie pour les paysans concernés.
Dans les zones arides, la récolte de l’eau permet de mettre en culture
des terres autrefois dégradées et abandonnées. En Afrique occidentale, par
exemple, des barrières de pierre posées autour des champs ralentissent le
ruissellement pendant la saison des pluies. La capacité de la terre à retenir
l’eau s’en trouve multipliée par 5 ou par 10, la production de biomasse
multipliée par 10 ou par 15 et le bétail peut se nourrir de l’herbe qui pousse
au pied des barrières de pierre après les pluies. Ces dispositifs très simples
conservent l’humidité du sol, reconstituent les nappes phréatiques et
limitent l’érosion. Les agriculteurs concernés sont gagnants sur toute la
ligne. Qu’attend-on pour généraliser ces pratiques?
Une autre option permettant d’augmenter naturellement la productivité
est de choisir des plantes pérennes31: sur plus de 50 000 végétaux
comestibles existants sur cette planète, 99% sont des plantes qui restent en
place plusieurs années. Or, notre alimentation moderne est avant tout
composée de plantes annuelles qu’il faut ressemer chaque année. Pourtant,
salades, épinards, oseille, oignons, poireaux, choux, rhubarbe: quantité de
plantes potagères ont des variétés «perpétuelles». Elles nécessitent
évidemment beaucoup moins de travail, de frais, d’énergie et sont tout aussi
délicieuses. Allez, un peu d’audace!

Le quinoa, un allié pour la sécurité et la


souveraineté alimentaires internationales
Le quinoa – «mère de tous les grains» en quechua – est le seul végétal qui contient à
la fois les huit acides aminés essentiels (protéines), des oligo-éléments et des
vitamines. Cette plante originaire des hauts plateaux boliviens (4 000 mètres
d’altitude) se cultive également en plaine (dans les Pays de la Loire, par exemple).
Elle résiste à la sécheresse, à la pauvreté des sols et à une salinité élevée, supporte
des températures comprises entre – 8 et + 38 °C. Dans un contexte de changements
climatiques et de crise alimentaire, le quinoa offre une excellente source de nourriture
alternative. En 2013, tous les États ont été invités par les Nations unies à cultiver du
quinoa en vue de renforcer leur souveraineté alimentaire. Le quinoa, qui n’est pas
une céréale mais de la famille des chénopodiacées (comme les épinards), ne contient
pas de gluten. Il peut être utilisé de multiples manières dans l’alimentation.

PRODUIRE ET ÉCHANGER LES SEMENCES PAYSANNES

Les semences, c’est la vie. Elles contiennent une identité génétique depuis
des millénaires et assurent la continuité des espèces – celle de la plante elle-
même et celle des espèces qui s’en nourrissent, comme les humains. Les
historiens estiment que, depuis la naissance de l’agriculture, il y a environ
10 000 ans, les humains ont sélectionné les semences les plus productives
des plantes les plus délicieuses pour assurer leur alimentation. Plus tard, les
échanges commerciaux entre l’Europe et l’Orient et les Grandes
Découvertes ont fait circuler les semences à l’échelle planétaire,
contribuant, par leur croisement, à enrichir le patrimoine végétal des
différentes régions du monde.

REFUSER LES HYBRIDES F1

L’ère de l’agro-industrie est en train de mettre en péril ce riche patrimoine.


En 1933, les États-Unis produisent le premier maïs hybride F1 (First Filial
Generation), ouvrant la voie à une gigantesque manipulation du vivant. Un
hybride F1 est le résultat du croisement de deux plantes «parents» choisies
pour leurs qualités particulières: couleur, taille, vitesse de croissance,
résistance, etc. À la première génération, les qualités cumulées des deux
plantes sont garanties. Seul hic, les plantes ainsi obtenues sont instables:
elles perdent certaines caractéristiques à la génération suivante. Les
jardiniers ou les paysans sont donc obligés de racheter des semences au lieu
de ressemer une partie de leur production comme ils le faisaient depuis
toujours. Cette situation les enferme dans la dépendance et l’endettement
vis-à-vis des semenciers.
Aujourd’hui, cinq grandes firmes internationales contrôlent les trois
quarts des semences mondiales. Elles se déclarent détentrices de brevets sur
ces semences, interdisant aux agriculteurs de les utiliser.

BOYCOTTER LES PRODUITS CONTENANT DES OGM

Chaque pays a sa propre définition d’un organisme génétiquement modifié


(OGM). On peut dire qu’un OGM est un végétal, un animal ou un micro-
organisme auquel a été ajouté, le plus souvent par génie génétique, une
portion d’ADN appartenant à un autre organisme (transgénèse) dans le but
de lui conférer de nouvelles propriétés. Cette modification est transmissible
à la descendance de l’organisme modifié. Les OGM sont utilisés pour la
recherche, l’agriculture et l’agroalimentaire, la santé, l’industrie, les
cosmétiques.
Le premier végétal génétiquement modifié, un plant de tabac, a été
obtenu en 1983. Onze ans plus tard, en 1994, la première plante comestible
OGM, une tomate, est commercialisée. Selon l’International Service for the
Acquisition of Agri-biotech Applications (ISAAA), 28 pays cultivaient des
plantes OGM en 201432, pour un total mondial de 180 millions d’hectares
de terres agricoles. Les États-Unis viennent en tête avec 73 millions
d’hectares, suivis de près par la Chine et par l’Inde. Il s’agit principalement
de cultures de soja et de maïs pour le bétail ainsi que de colza, de coton et
de tabac. L’Union européenne résiste, avec seulement 0,1% de ses terres
cultivables soumises aux OGM. Entre les deux, le Canada compte
12 millions d’hectares concernés par les cultures transgéniques. Presque
partout, ces pratiques progressent.
L’argument de vente peut paraître séduisant: éviter les attaques des
maladies et des insectes, augmenter la productivité. En réalité, ces plantes
génétiquement modifiées présentent un danger majeur pour les plantes
naturelles de la même famille dont le patrimoine génétique risque de se
dégrader. Quant à l’impact à long terme sur la santé des consommateurs de
produits OGM, personne n’a actuellement le recul suffisant pour pouvoir en
juger. Il est donc raisonnable d’appliquer le principe de précaution.

EXIGEONS LA LIBRE CIRCULATION DES SEMENCES


PAYSANNES!

Devant ces menaces et ces abus, la résistance s’organise. Des réseaux


militants facilitent le contact entre les personnes ou les groupes souhaitant
échanger ou acheter des semences paysannes, en contournant le monopole
des grosses firmes.
En tant qu’élément de l’écosystème, l’humain a son rôle à jouer dans la
circulation des semences, comme les oiseaux, les animaux terrestres et le
vent grâce auxquels les semences se sont toujours propagées librement. Une
toison de mouton, les semelles d’un randonneur contribuent à ce grand
voyage des semences, rappelle le paysagiste et botaniste Gilles Clément.
Aujourd’hui, prendre soin des semences est devenu une priorité pour
résister à la menace des gros «semenciers».
Le permaculteur désireux de produire sa nourriture et de contribuer à la
souveraineté alimentaire de sa famille ou de son territoire veillera donc à
trouver un circuit de distribution garantissant l’origine et la qualité des
semences ou des plants qu’il utilise. Il veillera à récolter et à conserver ses
propres graines pour pérenniser ses récoltes et échanger avec d’autres
cultivateurs. Ce soin demande de l’engagement, de la patience, de
l’observation, de bonnes connaissances botaniques et de la pratique. Chaque
espèce a sa particularité, ses besoins. Les jardiniers débutants
commenceront avec quelques variétés rustiques autogames (qui
s’autofécondent) comme les tomates, les aubergines, les haricots, les pois,
la laitue, la mâche.
En tant que particuliers, prenons l’habitude de demander à nos
fournisseurs quels types de semences ont été utilisés pour produire les
fruits, les légumes, les céréales qu’ils vendent. Si la demande est de plus en
plus fréquente, les fournisseurs s’adapteront. Le client est roi, dit-on. Si
vous êtes agriculteur, rapprochez-vous des réseaux militants pour trouver
des semences paysannes. La plupart des législations en interdisent le
commerce, mais nul ne peut interdire de les troquer. Dans la plupart des
pays, des réseaux citoyens s’organisent pour assurer une libre circulation
des semences agricoles. Au Québec, l’artiste Patrice Fortier est devenu
semencier pour préserver des espèces de plantes rares ou oubliées et en
faire des «variétés anciennes du futur»! Dans son jardin de la région du
Bas-du-fleuve, il cultive des végétaux dont il revend les graines à travers le
monde et transforme aussi ses récoltes en projets artistiques. Un film est
consacré à cet agriculteur original qui met sa passion au service de la
biodiversité.

POUR EN SAVOIR PLUS:

La société des plantes, www.lasocietedesplantes.com/.

Le semeur, un documentaire de Julie Perron, Les films du 3 mars, 2013


(77 minutes), https://vimeo.com/ondemand/lesemeurfr.

PRODUIRE BIO ET LOCAL EN VILLE


Approvisionner les villes en nourriture en produisant au plus près des lieux
de consommation est un enjeu majeur pour l’avenir. Souvenons-nous que
les trois quarts de la population mondiale vivront dans des villes en 2050.
Or, les supermarchés n’ont que trois jours d’autonomie en cas de rupture
d’approvisionnement en pétrole (grève des transports, crise sociale,
économique ou géopolitique). Autant dire que les citadins ont tout intérêt à
anticiper la situation et à organiser localement des circuits
d’approvisionnement alternatifs pour construire la souveraineté alimentaire
de leurs territoires. De plus, s’approvisionner à l’échelle locale garantit la
fraîcheur des produits, ce qui permet de les déguster crus, un atout pour la
santé, comme on l’a vu plus haut.
L’agriculture urbaine moderne est née à Détroit, aux États-Unis, à la fin
des années 1960, dans un contexte de crise économique et de montée du
chômage. La population locale, désemparée, privée de ressources, a petit à
petit investi les friches et les terrains laissés vacants avec le déclin de
l’industrie automobile. Objectif numéro un: cultiver de quoi se nourrir.
Fermes, potagers, vergers, serres, ruches et poulaillers se sont
progressivement installés dans la ville et ont permis de relancer une forme
d’économie locale. Face aux incertitudes à venir (démographiques,
économiques, écologiques), des citadins et des responsables politiques
repensent désormais la relation entre la ville et les sources
d’approvisionnement. Aujourd’hui, l’agriculture urbaine de proximité est
un modèle de production qui se développe dans de nombreuses villes du
monde33. L’objectif est tout simplement de subvenir aux besoins des
populations locales. Des particuliers, des restaurateurs, des hôpitaux, des
écoles franchissent le pas et investissent des toits-terrasses d’immeubles,
des pelouses de jardins publics ou privés. Des terrains abandonnés
deviennent de potentiels espaces nourriciers. Preuve qu’il est possible de
contribuer à la production de nourriture en ville! En France, une trentaine
d’agglomérations travaillent depuis des années à cet objectif34. Au Québec,
Montréal est déjà considérée comme une ville nourricière et de nombreuses
initiatives en agriculture urbaine y ont cours: un sondage réalisé en 2013
indique que 42% des Montréalais cultivent des fruits et des légumes35.

EXEMPLE INSPIRANT
Un jardin-forêt pédagogique en
pleine ville
Le JARDIN DES FRATERNITÉS OUVRIÈRES à
Mouscron, en Belgique, est un jardin d’Éden qui produit
en abondance de la nourriture et qui diffuse
généreusement ses précieux enseignements. On vient souvent de loin pour
rencontrer GILBERT CARDON et visiter son fabuleux jardin. Il faut le voir pour le
croire: 2 000 variétés d’arbres et 5 000 variétés de plantes comestibles ou
médicinales prospèrent sur 1 800 mètres carrés, en pleine ville! Cela fait 40 ans
qu’avec Josine, son épouse, Gilbert cultive son jardin et, surtout, diffuse son
approche permaculturelle auprès de tous ceux qui le souhaitent. Une vision qui lui est
naturelle, comme innée, qu’il s’est forgée par l’observation «et un peu par paresse»,
dit-il, avant même que le concept de permaculture soit défini. Lorsqu’il avait 30 ans,
Gilbert ne connaissait rien au jardinage, assure-t-il. Et la crise du textile a frappé.
Comme beaucoup d’autres, il a dû se mettre à produire de la nourriture pour sa
famille. Proche des mouvements d’éducation populaire, le jeune autodidacte
découvre le jardinage bio et les ouvrages de Claude Aubert. De fil en aiguille, Gilbert
découvre la permaculture et les pionniers australiens. Il est séduit et passe aussitôt à
la pratique.
Au fil des années, la vocation de son jardin évolue et devient surtout
pédagogique. «Je voulais prouver que l’abondance est à portée de main, pourvu
qu’on laisse faire la nature», raconte Gilbert. La visite donne le vertige: 800 variétés
de tomates, 400 variétés de pommiers, 160 variétés de poiriers, 80 variétés de vignes
et d’agrumes, 70 variétés de pruniers, 60 variétés de cerisiers, 50 variétés de
framboises, 35 variétés de figuiers et de ronces fruitières, des centaines de variétés
de fleurs. Un cerisier pleureur voisine avec un citronnier des haies, un poivrier, une
allée de ronces, de dahlias comestibles, de mûriers qui croulent sous des dizaines de
kilos de fruits. Sans une once de produits chimiques, bien sûr. «Le secret, c’est le
sol!» résume Gilbert. Un sol hyper-riche, qui reçoit en direct, depuis plus de 30 ans,
les pelures de fruits et de légumes de la famille, les tontes, les tailles. Un sol qui n’est
jamais retourné pour ne pas perturber les micro-organismes, qui regorge de vers de
terre (trois kilos par mètre carré!) et qui est exceptionnellement riche en humus
(12%). Grâce à sa couverture organique, il n’est nul besoin de l’arroser, même en
période de canicule, précise notre guide. L’eau s’infiltre dans les nombreuses galeries
creusées par les vers et est stockée comme dans une éponge. «Nous sommes
toujours un peu en avance sur les livres, plaisante Gilbert. Nous travaillons de moins
en moins et produisons de plus en plus! On ne peut même plus ramasser tout ce que
produit le jardin. Chacun.e se sert et il en reste beaucoup, pour les oiseaux et pour la
terre.»

Tous les semis démarrent dans des pots (la végétation est trop dense pour
envisager des semis en plein sol); une variété différente par pot, identifiée par des
étiquettes bien lisibles. Et ils sont entreposés sous des abris plus ou moins étanches
ou le long des allées. Au Jardin des Fraternités ouvrières, on ne fait pas dans le high-
tech. On se félicite d’avoir récupéré une bâche pour faire telle serre, une tôle comme
coupe-vent, des grilles d’égout pour paver une allée. «Ici, on coopère avec la nature.
C’est elle qui fait le travail. On lui crée juste les conditions favorables, explique le
maître jardinier. Le plant est arrosé par la coupelle du pot pour ne pas lui faire subir
de choc thermique. Quand les plants sont suffisamment grands, on repique les plus
beaux en pot, puis en terre, sans arrosage, insiste le maître. L’humus apporte
l’humidité nécessaire. Et le stress du repiquage fortifie la plante. On peut ainsi gagner
trois semaines de culture. Pendant ce temps, le terrain est disponible pour d’autres
plantes. Les choux se repiquent à racines nues, les carottes à quatre à cinq par pot et
les navets, avec la motte. Les courges arrivent avant les adventices. Le terreau sert
deux fois.» Il connaît son affaire sur le bout des doigts, Gilbert! Il faut s’accrocher
pour le suivre. «Ici, pas besoin de tuteurs pour les haricots. Ils grimpent aux arbres,
tout seuls!»
Dans le jardin de Gilbert, les seuls engrais utilisés sont les herbes sauvages.
«Tout ce qui a été vivant se corrompt et retourne à la terre, rappelle Gilbert. Les
éléments nourriciers restent actifs dans les plantes mortes. Grâce au purin végétal,
les propriétés des plantes s’équilibrent et s’harmonisent pour fortifier les semis et
soigner le jardin, naturellement et gratuitement!»

Recette de purin végétal


La recette est simple: une cuve (non métallique) ou une fosse (200 à 1 000 litres)
alimentée par l’eau de pluie, dans laquelle les jardiniers jettent toutes les feuilles et
racines d’ortie, de consoude, de prêle, de renoncule, de fougère, de sureau ou de
toute autre «mauvaise herbe» (avant la montée en graines) poussant sur place. «La
terre «sait» quelles plantes lui sont nécessaires pour être fertile. Elle leur permet de
se développer là où elle en a besoin», confie Gilbert le vieux sage.

Compter 100 à 200 grammes de plantes fraîches pour 10 litres d’eau. Laisser
fermenter deux ou trois jours en remuant de temps en temps. Laisser reposer deux à
trois semaines. Diluer avant d’arroser: une part de purin pour cinq parts d’eau. On
peut ajouter une poignée d’algues pour atténuer l’odeur qui se dégage.
De même, la prévention contre les attaques de nuisibles ou de maladies est
assurée par la biodiversité, «comme en Bolivie où on cultive en association des
centaines de pommes de terre différentes. Les parasites ne s’y retrouvent plus dans
une telle diversité de couleurs et d’odeurs. Les uns deviennent la nourriture des
autres, un champignon est mangé par un autre champignon. Le terrain est “vacciné”.
Tout se régule naturellement», assure Gilbert.

Une mare alimentée par les eaux de pluie attire insectes, batraciens, hérissons.
Des caches sont aménagées pour ces animaux qui jouent un précieux rôle
d’auxiliaires. Dans les arbres fruitiers, des petits pots suspendus la tête en bas et
bourrés de chiffons offrent le gîte et le couvert aux perce-oreille. Ces derniers sont
ainsi à pied d’œuvre pour se régaler des larves ou œufs d’insectes qui auraient prévu
de s’installer dans les fruits. Ici et là, des tas de pierres ou de branchages servent de
nid aux butineurs qui pollinisent le potager.
Seules les limaces restent un défi, bien qu’en régression au fil du temps.
L’équipe de Gilbert a tout essayé et préconise finalement le «stationnement à
limaces», à base de son de seigle, qui attire les gourmandes. Il suffit alors de
ramasser les gêneuses et de les offrir aux poules. Infatigable, Gilbert poursuit son
enseignement devant un auditoire médusé. «Un arbre affaibli produit davantage et
plus vite qu’un arbre fort», assure-t-il. Et de recommander «la taille Lorette» (du nom
de son inventeur, Louis Lorette, vers 1900): une taille d’été – de mi-juin à mi-
septembre – qui présente selon lui tous les avantages. «Les fruits sont déjà formés;
on voit ce qu’on fait. Cette taille maintient l’arbre plus petit et permet d’associer à son
pied la culture de différents légumes ou petits fruitiers qui entretiennent l’humidité.
Comme elle se pratique à la période où les nuisibles (pucerons, chenilles) se
développent sur les bourgeons apicaux, elle permet de les repousser: la taille modifie
la composition de la sève qui, du coup, ne convient plus aux nuisibles: ils meurent de
faim ou vont voir ailleurs. Pour limiter la propagation des champignons, les branches
malades sont laissées au pied. Elles «vaccinent» l’arbre de façon homéopathique. La
nature ne brûle pas les branches tombées au sol», s’exclame Gilbert. «Faisons de
même! En été, les plaies occasionnées par la taille cicatrisent naturellement grâce
aux températures plus élevées. La taille Lorette est facile, elle s’apprend en deux ou
trois heures. Elle évite totalement le recours aux produits chimiques, même bio. Les
solutions les plus simples, populaires, accessibles à tous sont toujours les
meilleures!» résume le pédagogue.

Résultat de toutes ces pratiques: la végétation est tellement dense qu’elle crée
un microclimat. En hiver, la température au sol est de 3° à 4° C supérieure à celle de
l’air, phénomène appréciable dans un pays plutôt frais.
Un peu plus loin, aménagée autour d’un ancien lavoir alimenté par l’eau de pluie,
une serre californienne offre aux plants de tomates, de poivrons, d’aubergines et de
melons un abri chaud et ensoleillé plusieurs semaines avant l’heure. Derrière la vitre
face au sud, des tuyaux d’eau peints en noir captent la chaleur du soleil et la stockent
dans l’eau du lavoir, régulant ainsi les variations de température extérieure. Des
poissons rouges vivent dans le bassin et se nourrissent des larves de moustique.
L’été, des arbustes à feuilles caduques plantés à l’extérieur limitent les surchauffes.

Une autre curiosité du Jardin des Fraternités ouvrières est la banque de


semences (ouverte aux seuls adhérents). On y trouve, minutieusement rangées dans
de petites enveloppes fabriquées à la main par des bénévoles, 5 500 variétés de
semences, originaires d’un peu partout, numérotées, classées, dont seul Gilbert
connaît les codes par cœur. Les adhérents viennent s’y fournir, pour quelques
centimes. La caisse est sur la table. Il suffit d’y déposer son dû. Même chose pour le
«Cours de jardinage naturel», recueil des enseignements donnés par Gilbert qui,
polycopié, s’arrache pour quelques euros (ce cours sera peut-être un jour disponible
en format numérique?). «Autrefois, nous pouvions envoyer des semences par la
poste à nos adhérents les plus éloignés. Maintenant, nous n’avons plus le temps.
Nous recevons tellement de visiteurs», se réjouit le professeur.
Gilbert et son épouse accueillent également dans la maison familiale la
coopérative alimentaire créée dans le quartier. Aujourd’hui, la coop compte 1 500
membres, dont une centaine de bénévoles actifs. Environ 250 personnes suivent
régulièrement les cours (gratuits) de jardinage, de taille, de greffe. Et les achats
groupés se sont élargis aux livres (2 000 titres à disposition), aux machines à laver ou
autres biens de consommation courante. Un microcosme heureux inventé de toutes
pièces dans une petite ville belge bien ordinaire.

POUR EN SAVOIR PLUS:


Jardin des Fraternités ouvrières (avec des cours vidéos de jardinage gratuits en
ligne): http://fraternitesouvrieres.over-blog.com.

Documentaire La jungle étroite, de Benjamin Hennot, 2013 (57 min.).

Réseau de Potagers urbains biologiques (Belgique): www.potagersurbains.be.

PRODUIRE DES VÉGÉTAUX CHEZ SOI

À plus petite échelle, chacun.e peut aussi produire chez soi, même en
appartement, quelques herbes aromatiques, des champignons, des tomates
et des graines germées. Cela demande peu de place, peu d’investissement,
peu de travail, juste un peu de liberté d’esprit pour mettre les cultures en
route. Ces mini-cultures apporteront un complément intéressant d’aliments
nutritifs et beaucoup de plaisir, y compris pour les enfants qui adorent faire
pousser des végétaux. Des pionniers ont ouvert la voie…

RÉCOLTER ET CUISINER LES RESSOURCES SAUVAGES

De plus en plus de citoyens, urbains et ruraux, aiment apprendre à


reconnaître des plantes sauvages comestibles lors de leurs promenades, en
ville comme à la campagne. Les plantes sauvages sont belles, abondantes,
généreuses en nutriments et gratuites.

CONSERVER LES VÉGÉTAUX

Les modes de conservation des végétaux ne manquent pas. Ils visent à


prolonger la durée de vie des aliments en privant de ressources (notamment
d’oxygène) les micro-organismes qui pourraient s’y développer. À l’échelle
domestique, profitons de la pleine saison de tel fruit ou de tel légume pour
en manger cru, mais pensons aussi à en conserver une partie pour en
profiter en toutes saisons.
Quel que soit le mode de conservation choisi, privilégions le critère de
faible consommation en énergie de façon à réduire notre dépendance aux
énergies fossiles:

simple stockage dans un endroit sec et bien zventilé pour les fruits à
coques, pour certaines variétés de pommes de terre et de pommes
(attention aux rongeurs);
enfouissement dans le sable (carottes);

séchage de fruits et de légumes: peut se faire dans un four solaire ou à


bois;
stérilisation, sirops, confitures: peuvent se faire au feu de bois;
rafraîchissement: peut se faire dans un «zeer» ou «frigo du désert»;
réfrigération, congélation, surgélation: ces procédés ont l’inconvénient
majeur de demander des équipements sophistiqués et de l’électricité
24 h/24 h pendant toute la durée de conservation.

Certaines techniques de conservation des végétaux ne nécessitent


aucune énergie extérieure:

conservation des légumes dans l’huile (tomates séchées);

conservation de fruits dans l’alcool (mais les vitamines disparaissent);


le seul procédé qui ne demande aucune énergie extérieure ET qui
permet aux vitamines de se développer est la lactofermentation. Le
levain, les yaourts, la choucroute, les cornichons en saumure, le kéfir,
la sauce soja sont le résultat d’une fermentation lactique.

POUR EN SAVOIR PLUS: «120 recettes végétariennes. Pour chaque saison,


chaque moment, pour chacune, chacun…», magazine Kaizen, hors-série n°
4, www.kaizen-magazine.com/produit/hors-serie-4-invitations-
vegetariennes/.

EXEMPLE INSPIRANT inspirant


Brooklyn Grange Farm, New York
Créée en 2010 par BEN FLANNER et ANASTASIA COLE PLAKIAS, la Brooklyn
Grange Farm (www.brooklyngrangefarm.com/) est reconnue comme la plus grande et
la plus remarquable des fermes urbaines. Elle couvre plus d’un hectare en plein cœur
de New York, sur les toits de deux immeubles. Elle produit plus de 25 tonnes de fruits
et légumes par an, qui sont vendus aux restaurants voisins et dans une boutique sur
place. L’expérience s’est ensuite enrichie de poulaillers et de ruches. La ferme ouvre
régulièrement ses portes aux résidants des immeubles adjacents, organise toutes
sortes d’animations à l’intention des écoliers et des formations professionnelles pour
les adultes.

Une nouvelle manière de produire en ville


La Brooklyn Grange Farm pratique de manière innovante la culture bio sur des toits-
terrasses. Certains aménagements et la gestion des eaux de pluie permettent la
culture en pleine terre, sur 20 à 30 centimètres de profondeur. La ferme cultive ainsi
une quarantaine de variétés de tomates, laitues, poivrons, choux frisés, bettes à
carde (blettes), fines herbes, haricots, radis et carottes. Elle a ensuite introduit
quelques poules pondeuses et une trentaine de ruches, lui permettant de diversifier
son offre.
Des circuits courts de vente
Les produits de la Brooklyn Grange Farm sont acheminés vers les restaurants du
quartier, les marchés locaux, les commerces de détail et la boutique de la ferme. Les
habitants des deux immeubles peuvent bien sûr se fournir directement à la ferme
grâce à un système de paniers.

Recyclage des déchets sur place


La ferme recycle sur place les déchets organiques au moyen de bacs composteurs et
du compostage de surface. Les poules participent également au travail en picorant
les épluchures et en grattant le sol. La matière issue de la décomposition des déchets
sert à nourrir la terre qui alimente à son tour les plantes potagères. Cette démarche
s’inscrit dans un cycle vertueux qui maintient le renouvellement des nutriments dans
ce substrat hors sol.

Vers une abondance partagée


Le modèle de la ferme urbaine permet de créer une production alimentaire locale en
ville qui profite aux habitants du quartier et des quartiers voisins. L’idée maîtresse est
de créer une abondance en fruits et légumes frais, bio, locaux et de saison, et de
tisser des liens entre les citadines et citadins autour d’un lieu collectif et d’une activité
commune.

Animations pédagogiques
La ferme s’est également donné une mission pédagogique. Elle s’est associée en
2011 à City Growers, un programme éducatif sans but lucratif, pour faire découvrir
aux enfants et aux jeunes adultes le site et les activités agricoles qui s’y tiennent. La
ferme propose des excursions et des ateliers sur les thèmes du vivant, de la nutrition
et du développement durable. Plus de 10 000 jeunes ont été ainsi accueillis à
Brooklyn Grange Farm.

Formations professionnelles
La ferme attribue chaque année une centaine de certificats aux adultes qui ont suivi
sa formation professionnelle d’agriculteur urbain. Elle souhaite ainsi assurer la relève
pour l’approvisionnement des villes et l’expansion du modèle des fermes urbaines.
Elle s’est récemment liée au Refugee and Immigrant Fund, dans Queens, pour offrir
des emplois aux réfugiés d’Afrique, d’Asie et d’Amérique centrale. En échange, ces
derniers apportent leurs traditions culturelles et agricoles, augmentant ainsi la
diversité au sein de la ferme.

EXEMPLE INSPIRANT
La culture sur fenêtres!
La société fait face à des défis nouveaux et colossaux,
comme la gestion de l’énergie et l’approvisionnement des
villes en nourriture. Le projet WINDOWFARMS («fermes
de fenêtre») vise à relever ces défis grâce à une
communauté créative et innovante. Créé en 2009 par Britta Riley et Rebecca Bray, le
projet Windowfarms fait pousser des plantes en hydroponie dans l’un des endroits les
plus inattendus pour de l’agriculture: les appartements urbains. Les deux principaux
objectifs sont de permettre aux citadins de produire une partie de leur alimentation
chez eux toute l’année et d’innover ensemble, grâce au web, dans le but de faire
évoluer les villes vers une consommation durable.

Une nouvelle manière de produire hors-sol


Une ferme de fenêtre est un système hydroponique vertical. L’hydroponie est une
technique d’agriculture hors sol: la culture des plantes est réalisée dans un substrat
neutre et inerte (sable, billes d’argile, laine de roche), régulièrement irrigué d’une
solution qui apporte des sels minéraux et des nutriments essentiels à la plante. Cette
technique est couramment utilisée dans la production en serre. Britta Riley, entourée
d’une équipe de designers, a transposé la topologie de la serre à celle de
l’appartement et adapté le système hydroponique pour cultiver au bord d’une fenêtre
ses propres épices, aromates, fruits et légumes.
Produire chez soi toute l’année
L’installation est idéale pour les fines herbes, les laitues, le chou frisé, les tomates
cerises, les fraises, les poivrons, les cornichons, les piments, les petits pois ou les
plantes médicinales. En revanche, le système ne convient pas pour faire pousser les
tubercules, les céréales et les légumes-racines. Une ferme de fenêtre peut faire
pousser jusqu’à 25 plantes simultanément. Cette manière de produire en intérieur
toute l’année assure un confort alimentaire et améliore la qualité de vie du foyer. De
même, cette façade verte apporte une touche décorative, fraîche et vivante au
logement.

Une conception modulaire basée sur la récupération


L’installation a été pensée pour être modulaire et évolutive afin de s’adapter à toute
forme de fenêtre et aux besoins de chaque habitant. Elle peut être fabriquée à partir
de bouteilles recyclées ou d’autres éléments courants du quotidien qui serviront à
contenir les plantes. Une petite pompe à air apporte au goutte à goutte des
nutriments liquides dans les bouteilles remplies de billes d’argile.

Partager librement les plans de conception en accès libre


Les plans de conception sont en accès libre sur le web (open source) afin de diffuser
largement le modèle des windowfarms à travers le monde et de permettre à tout un
chacun de lancer sa production verticale. La plate-forme web propose également de
partager ses résultats, questions et innovations. Ce partage permet au système de
s’améliorer avec le temps et de devenir un véritable programme collaboratif de
«recherche et bricolage» (R&D-I-Y – Research & Develop-It-Yourself ), comme le
précise Britta Riley.

Constituer une communauté de windowfarmers


Le projet Windowfarms recrute, relie et assiste des citoyens et citoyennes du monde
entier. En 2015, une communauté de 36 000 fermiers de fenêtres de par le monde
s’était regroupée et tentait de relever des défis dans d’autres domaines: santé,
infrastructures sociales, énergie ou plus généralement «gestion» de notre planète.
Sensibiliser aux enjeux de la santé et de l’environnement
Dans notre système alimentaire actuel, il faut de 7 à 10 calories de pétrole pour
produire une calorie de nourriture. Le système Windowfarms permet de rapprocher la
source alimentaire du consommateur et de limiter considérablement l’emploi
d’énergie. Rappelons que cultiver est une compétence humaine de base; elle nous
conduit à une meilleure compréhension du vivant et induit une meilleure qualité des
aliments, profitable à notre bonne santé.

POUR EN SAVOIR PLUS: Pour entrer dans la communauté: Transition verte,


www.transition-verte.com/.

Le frigo du désert
CONSOMMATION: zéro énergie fossile. Le fabriquer est simple comme bonjour: deux pots
de terre cuite (type pots de fleurs) de tailles différentes. Colmater les trous du fond avec des
bouchons de liège. Mouiller les pots, puis emboîter l’un dans l’autre en remplissant
l’interstice de sable mouillé. Poser le tout sur une coupelle remplie d’eau pour maintenir
l’humidité des pots et du sable. Mettre sa plaque de beurre ou ses yaourts à l’intérieur et
recouvrir le tout d’un épais linge mouillé. La différence de température entre l’intérieur et
l’extérieur produit de la condensation qui génère du froid à l’intérieur. C’est pourquoi plus il
fait chaud dehors, plus il fera froid dedans!

4-3-2

La lacto-fermentation: le nec plus ultra de la


conservation écologique!

Comment ça marche?
Privés d’oxygène (milieu anaérobique) et légèrement salés, les légumes et les
agrumes, plutôt que de se dégrader sous l’action de certaines bactéries qu’ils
hébergent, développent seulement des ferments lactiques qui se nourrissent de
glucides. Ces ferments lactiques inhibent le développement des autres bactéries.
Lorsque le milieu atteint un pH assez acide (autour de 4), la fermentation lactique se
stabilise et l’aliment peut se conserver des mois. Il reste cru et vivant. Les aliments
lactofermentés peuvent être considérés comme des compléments alimentaires,
riches en vitamines et stimulants pour le système digestif. Ils renforcent le système
immunitaire. Il ne faut pas en abuser puisqu’ils sont salés. On peut en ajouter une
cuillerée à soupe dans une salade ou un plat de féculents.

Comment faire?
Laver, râper ou émincer des légumes bio en très petits morceaux. Y associer
les légumes, les épices et les aromates qui vous chantent et ajouter du gros sel
(30 grammes par litre).

Ébouillanter des bocaux en verre et leurs couvercles.

Remplir les bocaux avec les légumes en les tassant au maximum pour chasser
l’air et remplir d’eau tiède.

Poser une planche de bois sur les pots bien remplis et laisser à température
ambiante (entre 15 et 25 °C), à l’abri de la lumière pour démarrer la
fermentation.

Après deux ou trois jours, bien refermer les couvercles et conserver au frais
(cave, cellier) pendant un mois avant de déguster.

Les conserves lactofermentées se gardent jusqu’à un an. Si la couleur ou l’odeur


des légumes n’est pas agréable lorsque vous ouvrez le bocal, c’est que le processus
a échoué. JETER alors le contenu.

EXEMPLE INSPIRANT
Hélène, interprète des plantes sauvages
HÉLÈNE vit à l’orée d’un bois. Elle a fait le choix d’une vie simple, proche de la
nature. La jeune femme aime marcher pieds nus, libérée des chaussures, «pour
goûter la richesse des sensations avec les végétaux, sentir la température du sol et
éviter d’écraser qui que ce soit». Nous l’avons suivie
dans l’un des parcours découverte des plantes sauvages
qu’elle organise avec l’association LE VAL’HEUREUX,
dans les Côtes-d’Armor, en France.

«La meilleure période pour récolter des plantes


sauvages, c’est le printemps, explique-t-elle. Les
bourgeons gorgés de vie sont tellement savoureux. Plus
tard en saison, certains végétaux ont un goût plus
prononcé.» Pour les initiés, toute l’année se prête à l’observation des baies, des
fruits, des fleurs. Livre d’identification en main, Hélène nous entraîne sur des chemins
creux qu’elle connaît par cœur, loin de toute source de pollution. Premier contact
avec des orties, «les reines des fossés, riches en protéines, en fer, en vitamines. Rien
de mieux pour se remonter en cas de coup de pompe». Un peu plus loin, des
pissenlits, déjà en fleurs, attirent les butineuses. On peut croquer les boutons sur-le-
champ. Du plantain, pour calmer les piqûres d’insectes, délicieux en salade. Des
achillées millefeuilles, cicatrisantes, pour lesquelles Hélène semble avoir une
tendresse particulière. Un petit massif de violettes, très jolies sur un sorbet. Le long
d’un vieux mur en pierres, voici des nombrils de vénus; leurs feuilles charnues
croustillent sous la dent. Un peu plus loin, du lierre terrestre en fleurs, riche en
vitamine C et expectorant. Délicieux en salade. Un petit détour par la côte et nous
voilà, émerveillés, devant un gros massif de roquette sauvage.
De retour en cuisine, l’effervescence nous gagne. Quelques pétales de rose du
jardin et de mauve sauvage dans les carafes d’eau transforment les pichets en
tableaux vivants! Magnifique. Et tellement simple! La salade verte du potager prend
des couleurs et des saveurs avec quelques fleurs de bourrache, de vesce et de
capucines. Hélène s’émeut de l’alliance des plantes sauvages et des plantes
cultivées, «aussi bien dans le jardin que sur la table». Certains préparent une poêlée
d’orties, d’autres des beignets de sureau, d’autres encore un pétillant de fleurs de
sauge. Tartes, sirops, confitures, sorbets, gelées… Les façons d’accommoder et de
conserver les plantes sauvages sont infinies.

Bien sûr, Hélène nous met en garde: «Ne récoltez que les plantes que vous
reconnaissez de façon certaine. Si vous avez un doute, vous laissez! La seule façon
d’éviter les plantes toxiques, c’est d’apprendre auprès des connaisseurs. Cette
transmission directe est nécessaire. Les livres ne suffisent pas. Et, bien sûr, prélevez
seulement ce que vous êtes sûrs d’utiliser. Cueillez, n’arrachez rien, de façon à
préserver la ressource.»
Tout ce qu’elle sait, Hélène l’a appris en aiguisant son sens de l’observation, dans les
livres, en suivant des cours d’herboristerie, mais surtout en écoutant des aînés avec
qui elle a fait de nombreuses sorties botaniques. C’est ainsi qu’elle a approché «les
plantes indicatrices de sol» avec le botaniste Gérard Ducerf, découvert le langage
des fleurs aux côtés de Marc Grollimund, passionné de jardins-mandala, suivi
l’herboriste Thierry Thévenin sur le chemin des herbes de vie, à la «Fête des
Simples», et appris à faire confiance avec «les bonnes herbes» de l’ethnobotaniste
Pierre Lieutagh. «Il est rassurant d’être en lien avec les plantes sauvages, de savoir
qu’elles peuvent nous nourrir, nous donner leurs forces et même nous soigner,
témoigne Hélène. Petit à petit, on perçoit qu’on vit au cœur du même écosystème. On
peut s’appuyer sur elles. La nature pourvoit à nos besoins, sans qu’on n’ait rien à
faire. C’est cadeau: on n’a plus qu’à dire merci!» C’est d’ailleurs à l’occasion d’un
problème de santé qu’Hélène s’est mise à étudier les plantes sauvages. «Un médecin
avait diagnostiqué une infection, se souvient la jeune femme. Je ne souhaitais pas
prendre d’antibiotiques alors j’ai cherché dans les livres quelles plantes pourraient
correspondre à ma situation. Et ça a marché! Depuis, chaque fois que j’ai un petit
problème de santé, je cherche d’abord du côté des plantes. Petit à petit, j’ai
complètement cessé de prendre des médicaments. Je ne consulte que pour avoir un
diagnostic. Pour cela, les médecins sont irremplaçables.»

Grâce aux plantes sauvages, Hélène a fait de belles rencontres, découvert des lieux
qu’elle n’aurait jamais visités spontanément, approché des réalités invisibles. «Un
grand bonheur!» Tout simplement.

CONTACT: Association Le Val’heureux, 22400 Hénansal, France


www.levalheureux.fr.

POUR EN SAVOIR PLUS:

Gérard Ducerf, Encyclopédie des plantes bio-indicatrices alimentaires et


médicinales, Briant, Promonature, 2014.

Marc Grollimund, L’almanach des fleurs sauvages. Quatre saisons de


découvertes végétales, Paris, Delachaux et Niestlé (Terre sauvage), 2007.

Thierry Thévenin, Les plantes sauvages. Connaître, cueillir, utiliser, La


Geneytouse, Lucien Souny, 2012.

Pierre Lieutaghi, Le livre des bonnes herbes, Arles, Actes Sud, 1996.
Marie-Claude Paume, Sauvages et comestibles. Herbes, fleurs et petites
salades, Saint-Rémy-de-Provence, Édisud, 2011.

FORMATIONS:

Association pour le renouveau de l’herboristerie: www.arh-herboristerie.org/.

Syndicat des Simples: www.syndicat-simples.org/fr/index.php.

Cap Santé: www.capsante.net/.

Guilde des herboristes (Québec), www.guildedesherboristes.org/.

Herbothèque - Institut de formation en herboristerie et en médecine


traditionnelle, www.herbotheque.com/.
Se nourrir grâce aux animaux

UN ENJEU DE SANTÉ PUBLIQUE

Produire une viande rouge de bonne qualité nécessite un hectare de prairie


par vache. Or, depuis 40 ans, l’élevage industriel prive le bétail de la
richesse nutritive naturelle des pâturages. Par voie de conséquence, la santé
du bétail et la qualité nutritionnelle de la viande et de ses produits dérivés
(lait, beurre, fromage) s’en trouvent diminuées. L’alimentation carnée est de
plus en plus désignée comme un facteur de risque prépondérant pour la
santé humaine, un enjeu de santé publique.
Le régime carné, devenu traditionnel dans les sociétés occidentales
modernes, est également dévastateur pour l’environnement: il mobilise de
larges surfaces agricoles – souvent au détriment des forêts – et de grandes
quantités d’eau. En 40 ans, la production mondiale de viande de bœuf a
doublé, affirme la FAO36. On estime qu’à l’horizon de 2050, la population
mondiale pourrait consommer 60% de protéines animales de plus qu’elle
n’en consommait en 2012, ce qui accroîtra la pression sur les ressources
naturelles de la planète. Les produits de l’élevage fournissent près de la
moitié des protéines dans les pays développés (en moyenne 48%), moins
d’un tiers (28%) dans les pays en développement.

LA RICHESSE NATURELLE DES PÂTURAGES

Quelle est la différence entre le lait d’une vache qui passe ses journées au
pré et le lait d’une vache qui passe sa vie en stabulation industrielle? À
l’œil, quasiment aucune. Au goût, les initiés verront vite la différence à la
crème du lait issu du pré. Mais c’est à l’analyse biologique que se révèlent
les différences les plus criantes.
Nous avons interrogé le Dr Bernard Schmitt, endocrinologue, chercheur
et directeur du Centre d’enseignement et de recherche en nutrition humaine
(CERNH)37. Inquiet, comme ses collègues, de constater depuis une
vingtaine d’années une augmentation massive des pathologies «modernes»
comme le surpoids, l’obésité, le diabète, les maladies cardiovasculaires, le
cancer, il a entrepris des recherches sur le lien entre alimentation et santé.
«Nous sommes ce que nous mangeons, rappelle le chercheur en nutrition.
La qualité nutritive de notre alimentation a un impact décisif sur notre
santé.»
Il a mené des études sur le bétail, l’environnement et l’humain. Les
résultats ont montré que le lait des vaches qui passent la journée au pré
détient un taux d’acides gras bien équilibré entre oméga 6 et oméga 3 alors
que le lait des bêtes qui sont nourries en stabulation de fourrage sec et de
farines présente un excès d’oméga 6 et un déficit important d’oméga 3.
Mêmes différences pour les volailles en liberté ou en batterie et leurs œufs.
La santé des animaux dépend bien sûr directement de leur alimentation et
de leur mode de vie. Les déséquilibres enregistrés dans l’organisme du
bétail se retrouvent automatiquement dans l’organisme des personnes qui
consomment le lait, le beurre ou les œufs de ces animaux, puis se
répercutent, après des années, sur la santé humaine.
Les enquêtes du Dr Schmitt démontrent l’impact de différentes filières
d’élevage sur la santé de patients souffrant d’obésité, de diabète et de
maladies cardiovasculaires. Des populations de patients volontaires ont été
soumises pendant trois mois à un régime alimentaire strict. Tous avaient
apparemment le même menu. Mais la moitié des menus étaient
confectionnés avec des produits fermiers soumis à un cahier des charges
très précis et l’autre moitié avec des produits industriels. Au bout d’un
mois, les relevés biologiques sanguins des deux groupes de patients étaient
très différents: les uns avaient retrouvé l’équilibre souhaitable entre oméga
6 et oméga 3 (rapport de 1 à 4) tandis que les autres présentaient toujours le
déséquilibre pathogène (rapport de 1 à 12) entre ces deux acides gras
essentiels. Dans les mois suivant l’expérimentation, les patients qui avaient
bénéficié de produits fermiers conservaient durablement les avantages du
régime – car «les oméga 3 inhibent la production des cellules graisseuses»,
explique le Dr Schmitt – alors que les personnes qui avaient mangé de la
nourriture industrielle reprenaient du poids rapidement. Le Dr Schmitt a
prouvé qu’un régime riche en oméga 3 grâce à la viande d’animaux nourris
avec un supplément de lin (plante naturellement riche en oméga 3) avait les
mêmes effets protecteurs contre les maladies cardiovasculaires qu’un
régime riche en poissons.
Fort de cette démonstration scientifique de l’influence du mode
d’élevage sur la qualité nutritive de la viande, du lait, du fromage et des
œufs, le Dr Schmitt décide de faciliter la commercialisation de produits
animaux bons pour la santé en agissant sur la chaîne alimentaire, c’est-à-
dire sur la nourriture du bétail. «Je suis convaincu que l’alimentation seule
peut améliorer la santé de la plupart des patients qui souffrent de ces
maladies modernes. Il suffit qu’ils aient accès à des aliments sains», insiste-
t-il. En l’an 2000, sous l’impulsion du chercheur, un collectif rédige une
charte38 de production et de transformation garantissant l’équilibre entre les
omégas 6 et les omégas 3, nommée charte Bleu-Blanc-Cœur.

CHIFFRES-CHOCS
Alimentation et santé

L’obésité tue plus que la faim


À l’échelle mondiale, l’obésité tue trois fois plus que la
malnutrition: 3,4 millions de personnes en 2010. Le
chiffre a doublé en 30 ans. En 2014, on comptait un
demi-milliard d’obèses et 1,5 milliard de personnes en surpoids. En 2013, 66% de la
population des États-Unis était obèse ou en surpoids (contre 55% en 1990).

Enfants en surpoids

42 millions d’enfants de moins de 5 ans sont en surpoids*.

Maladies cardiovasculaires
Première cause de mortalité dans le monde (9 millions de décès par an); deuxième
cause en France, après le cancer.

Cancer
Plus de 30% des décès dus au cancer seraient évitables grâce à une meilleure
hygiène de vie, notamment en réduisant la consommation de viande rouge**.

Diabète
Les cas de diabète diagnostiqués dans le monde sont passés de 30 millions à
260 millions entre 1985 et 2005. Environ 7,3% de la population mondiale est
concernée. En France, les cas de diabète de type 2 ont doublé en 15 ans. Au
Québec, 80% des personnes diabétiques souffrent d’embonpoint ou sont obèses au
moment du diagnostic.
Allergies alimentaires
Elles sont devenues le quatrième problème de santé publique dans le monde, selon
l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette pathologie chronique
potentiellement grave touche 25% des enfants dans les pays riches. En 2050, une
personne sur deux sera allergique, selon les prévisions de l’OMS.

SOURCES:

* Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, Déclaration de


Rome sur la nutrition, Deuxième conférence internationale sur la nutrition, 19-
21 novembre 2014, www.fao.org/3/a-ml542f.pdf.

** Organisation mondiale de la santé, Prévention du cancer,


www.who.int/cancer/prevention/fr/.

En France, convaincu de l’impact positif de cette démarche sur la santé,


le chef du restaurant interministériel AURI, où déjeunent notamment les
services du premier ministre et le personnel du ministère de l’Agriculture,
intègre depuis 2011 des produits Bleu-Blanc-Cœur et bio dans ses menus. À
bon entendeur…
Ces études ont amené le Dr Schmitt à tenir un discours étonnant dans la
bouche d’un médecin: «La rotation des cultures et la polyculture sont
déterminantes pour la santé. Elles permettent de cultiver avec moins
d’intrants et de préserver la biodiversité et la vie des sols»! Cette
déclaration rejoint l’avis des chercheurs et des responsables les plus en
pointe sur l’agriculture: l’agriculture à échelle humaine préserve la santé du
bétail et, par conséquent, la santé humaine. «Les Inuit présentent 10 fois
moins de problèmes cardiovasculaires que les Occidentaux, insiste le
médecin. Car ils mangent du poisson, qui lui-même se nourrit de plancton,
une source formidable d’oméga 3.»
CHIFFRES-CHOCS

Protéines animales et
environnement

Consommation de viande

En 40 ans, la production mondiale de volailles a augmenté de près de 700%*. La


production de porc a été multipliée par trois et celle de bœuf, par deux. Le pic de
consommation semble avoir été atteint dans les pays riches qui enregistrent ces
dernières années une légère baisse.

Monoproduction de lait

83% du lait mondial est produit par la seule race de vaches Holstein**. Bonjour la
diversité biologique et économique…

Impact de l’élevage bovin


Produire un kilo de protéines d’origine bovine demande en moyenne 10 kilos de
céréales et 100 fois plus d’eau que la production d’un kilo de protéines végétales.
L’élevage bovin exige 28 fois plus de surface et 11 fois plus d’eau que l’élevage
de porcs ou de volailles. Il émet cinq fois plus de gaz à effet de serre et a un impact
sur l’environnement globalement 10 fois plus lourd que les autres productions
animales.

Insectes
La production de protéines d’insectes ne requiert quasiment pas d’eau.
SOURCES:

* Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, L’élevage dans le


monde en 2011. Contribution de l’élevage à la sécurité alimentaire,
www.fao.org/docrep/016/i2373f/i2373f.pdf.

** Fondation Heinrich Böll et les Amis de la Terre, Atlas de la viande: la réalité et les
chiffres sur les animaux que nous consommons, 2014,
www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/latlasdelaviande.pdf.

LE NÉCESSAIRE ÉQUILIBRE ENTRE OMÉGA 6 ET OMÉGA 3

Ces deux acides gras essentiels sont absolument nécessaires à la santé


humaine et animale. L’organisme humain ne les produit pas. On ne peut les
puiser qu’en absorbant des végétaux qui en contiennent à l’état naturel (par
photosynthèse) ou en consommant des produits d’animaux qui se
nourrissent de ces végétaux (viande, lait, œuf). Un rapport de 1 (oméga 3) à
4 (oméga 6) est considéré comme équilibré. Les produits d’élevage
industriel présentent plus souvent un rapport de 1 à 10 ou de 12 et peuvent
même atteindre un rapport de 1 à 40, ce qui est très pathogène.
Les omégas 3 (anti-inflammatoires) se trouvent dans l’herbe verte des
prairies (chlorophylle), le lin, le colza, la luzerne, le quinoa, le plancton. En
hiver, une vache à qui l’on ajoute 5% de graines de lin à son fourrage voit
doubler, en un mois, le taux d’oméga 3 de son lait. Et l’humain qui
consomme ce lait voit son taux d’oméga 3 sanguin multiplié par 2,5 en un
mois. Les poissons gras sauvages tels que saumon, truite, sardine ou
maquereau, qui se nourrissent de petits poissons ayant eux-mêmes mangé
beaucoup de plancton, sont de très bonnes sources d’oméga 3.
Mauvaise nouvelle pour l’industrie pharmaceutique: un apport de 5% de
farine de lin dans le pain suffit à répondre à nos besoins en oméga 3. La
consommation quotidienne de 80 grammes de ce pain (environ deux
tranches), pendant un mois, suffit à réduire le taux de cholestérol de 10%, le
taux de triglycérides de 36% et les besoins en insuline de 30%! Attention,
les graines de lin doivent être extrudées, car leur enveloppe est
cyanogène39.
Les omégas 6 saturés (pro-inflammatoires) se trouvent en quantité dans
le fourrage des animaux, le maïs, le soja, l’huile de palme. Le lait des mères
qui mangent une nourriture industrielle présente un taux quatre fois trop
élevé d’oméga 6, déséquilibre qui se transmet bien sûr à leur bébé, avec des
risques d’obésité, de diabète, de maladies cardiovasculaires.

MANGER OU NE PAS MANGER DE PRODUITS ANIMAUX?

Manger ou ne pas manger de viande? Boire ou ne pas boire du lait à


l’âge adulte? Manger ou ne pas manger du fromage? Ces questions très
sensibles font polémique. Elles comportent des dimensions à la fois
nutritionnelles, diététiques, économiques, culturelles, philosophiques,
religieuses et… affectives. Nous proposons ici quelques éléments de
réponse pour alimenter votre réflexion sur le sujet. Libre à chacun.e
d’adhérer au régime alimentaire de son choix, d’approfondir par des
lectures, des rencontres, les points qui lui semblent nécessiter des
éclaircissements. Le cas échéant, chacun.e pourra prendre conseil auprès
d’un médecin ou d’un nutritionniste et, au final, décider, en conscience, de
sa transition alimentaire personnelle et familiale.
Dans tous les cas, le permaculteur évitera les excès et veillera à ne pas
cautionner les filières où l’animal, réduit à n’être plus qu’un produit de
consommation, connaît des conditions de vie indignes. Nous aurons la
même attention avec les végétaux: eux aussi sont vivants et «sensibles» aux
soins (ou mauvais traitements) qu’on leur prodigue.
UNE GRANDE DIVERSITÉ DE PROTÉINES ET DE VITAMINES
VÉGÉTALES

Les tenants de la viande invoquent souvent le nécessaire apport de


protéines. Certes, la viande est riche en protéines. On sait aujourd’hui que
bien d’autres aliments en contiennent également, notamment en associant
céréales complètes (seigle, riz sauvage…) et légumineuses (soja, fèves,
lentilles, pois, haricots secs…), en consommant sarrasin, quinoa, amarante,
oléagineux, graines germées (radis, luzerne, tournesol…), fruits secs, fruits
à coques, algues, plancton. Ces protéines végétales apportent des bénéfices
pour la santé (elles sont également riches en fibres et pauvres en matières
grasses) et elles sont bénéfiques du point de vue de l’empreinte écologique:
elles nécessitent jusqu’à 10 fois moins de surface agricole que le bétail. De
plus, les légumineuses engraissent les sols (engrais verts). La
consommation d’insectes constitue également un apport protéinique
remarquable. Les tenants du lait et du fromage évoquent le besoin en
calcium, vitamines B et C, mais on sait aujourd’hui que bien d’autres
aliments en contiennent tout autant (sésame, fruits secs, tofu), voire
davantage (le plancton).

DES ARGUMENTS ÉCOLOGIQUES DE BON SENS

Les adeptes du «moins ou pas de produits animaux» font aussi valoir, outre
les questions diététiques (comme l’acidité qu’apporte la viande), des
arguments écologiques de bon sens. Sachant que la surface de la planète est
limitée et que produire 1 kilo de viande exige de 3 à 14 kilos de végétaux
(et les surfaces agricoles correspondantes), on comprend bien qu’avec 9
milliards de bouches à nourrir en 2050, la consommation de viande ne
pourra pas continuer à grimper indéfiniment. Les hypothèses d’évolution de
la demande en viande d’ici 2050 varient de – 50 à + 80% selon les études.
On observe que les classes aisées et éduquées des pays industrialisés sont
les premières à intégrer les messages nutritionnels et à limiter leur
consommation de viande, entraînant petit à petit les autres couches sociales.
Cette nécessaire maîtrise de la demande est bien perçue par certains États
(tel le Brésil), qui mettent en place des politiques éducatives (et
contraceptives) dans ce sens. Si les arguments écologiques ne suffisent pas,
le coût sanitaire de régimes alimentaires déséquilibrés pourrait aider
certains États à passer à l’action. En Chine, où, en 30 ans, la consommation
de viande a été multipliée par 4 et celle de lait par 10, près de 25% de la
population souffre de surpoids ou d’obésité. Quel gouvernement resterait
longtemps passif devant une telle tendance?
Une piste de solution pour répondre aux besoins en protéines
consisterait peut-être à mieux équilibrer les sources végétales et animales en
introduisant par exemple, et petit à petit, quelques repas végétariens et des
protéines à base d’insectes dans son régime. C’est ce que préconisent
nombre de nutritionnistes et de défenseurs de l’environnement. La Suède,
elle, envisage une taxe carbone sur la viande rouge.

BOIRE OU NE PAS BOIRE DU LAIT?


De plus en plus de nutritionnistes et de naturopathes mettent en garde contre les
effets du lait de vache sur la santé, pendant que les lobbies industriels vantent les
atouts santé de ce nutriment animal. Rappelons que l’humain est le seul mammifère à
boire du lait à l’âge adulte et, de surcroît, la seule espèce à boire le lait d’une autre
espèce. Les produits dérivés du lait – fromage, yaourts, lait caillé – présenteraient
aux yeux de certains diététiciens moins d’inconvénients que le lait lui-même.
Chacun.e jugera. Dans tous les cas, la consommation massive de lait et de produits
laitiers a les mêmes conséquences environnementales que l’élevage: mobilisation de
larges surfaces agricoles, consommation de grandes quantités d’eau et d’énergie.

ÉLEVER SES PROPRES ANIMAUX?

Si nous consommons de la viande, il est important de connaître sa


provenance. Quelle qualité de vie et quelles conditions d’abattage ont
connues les animaux? Dans les abattoirs, les bêtes attendent leur tour. Elles
entendent les cris de celles qui les précèdent et produisent des toxines liées
à la peur. On peut facilement imaginer que leur viande reste marquée d’une
façon ou d’une autre par ce stress. Qui en a mesuré l’impact subtil sur les
émotions du consommateur? Un animal en liberté abattu dans son
environnement naturel n’a pas le temps d’avoir peur et la qualité de la
viande est incomparable.
Pour qui possède un terrain, pourquoi ne pas élever soi-même du petit
bétail? Volailles, brebis, chèvres…

Quelques questions à se poser avant d’envisager un projet d’élevage

Quels sont les besoins en viande de ma famille?

Quelles espèces d’animaux pourraient cohabiter sur mon terrain (éviter


la monoculture)?
De quel espace chaque bête aurait-elle besoin (espace extérieur, enclos,
abri)?
Quelles fonctions écologiques ces différents animaux pourraient-ils
jouer à la ferme?

Quels seraient leurs besoins et leurs apports énergétiques?


Quelle nourriture pourrais-je produire sur place pour les nourrir?

Quel serait mon budget pour entretenir ces animaux?


Quelle eau serait disponible pour eux?

Comment vais-je gérer les fumiers?


Comment vais-je limiter l’impact de l’élevage sur le sol?

Qui procéderait à l’abattage et où?


Combien de temps quotidien ces animaux vont-ils demander chaque
jour?
Qui va apprendre à s’en occuper?

Comment vais-je gérer la descendance de ces animaux?


Où puis-je demander conseil et me former?

La philosophie biodynamique de Rudolph Steiner peut donner des pistes


pour répondre à ces questions.

Des poulets baladeurs multifonctions

Élever quelques poulets dans son jardin permet de s’assurer une production
familiale d’œufs frais et de viande de bonne qualité. Principe permaculturel:
multiplier les fonctions (au moins trois fonctions par action). En plus de
leur service alimentaire, les poulets tondent le gazon, ils mangent un grand
nombre d’insectes, de limaces, d’escargots et d’autres larves, fertilisent le
sol avec leurs fientes. Ils peuvent éventuellement être une source de
revenus. Sans parler de l’immense plaisir de communiquer avec ces
volatiles très sociaux!
Pour optimiser l’utilité des poules dans le jardin, on peut leur construire
une cage mobile, légère, sans fond, avec perchoir, eau et protection contre
les intempéries. On déplace cette cage régulièrement dans les zones qu’on
souhaite travailler. Les poulets deviennent alors de véritables auxiliaires
dans le jardin.

L’élevage de pigeons

L’arboriculteur, apiculteur et philosophe Maurice Chaudière pratique sur


son terrain de l’élevage en douceur. Il élève des pigeons, une source de
protéines qui demande très peu de travail et un budget nul en dehors de la
construction du pigeonnier. Les volatiles se débrouillent quasiment seuls
pour trouver leur nourriture et reviennent au pigeonnier pour élever leurs
petits et dormir. Le permaculteur adaptera le nombre de couples au nombre
de pigeonneaux qu’il souhaite obtenir. Si les naissances sont trop
nombreuses, il régulera en prélevant quelques œufs pour sa consommation!

Accueillir des abeilles

Pour assurer la pollinisation de son potager et obtenir du miel, le


permaculteur installera une ou plusieurs ruches, selon l’espace et la flore
disponibles. Les abeilles et leur miel sont liés à l’aventure humaine depuis
ses origines. Des peintures rupestres attestent que nos ancêtres prélevaient
déjà le miel et la cire des essaims sauvages. L’alliance entre l’humain et les
abeilles est d’autant plus nécessaire que les abeilles assurent de 70 à 80% de
la pollinisation des espèces végétales. Un tiers de notre nourriture dépend
directement de leurs services de pollinisation. Une relation de dépendance
résumée dans une citation apocryphe bien connue: «Si l’abeille disparaissait
du globe, l’homme n’aurait plus que quelques années à vivre.» Cette
menace s’accentue néanmoins visiblement depuis les années 2000: la
monoculture affame les abeilles, les pesticides les empoisonnent… et le
varroa, un minuscule acarien importé d’Asie du Sud-Est par mégarde, les
décime (dans sa région d’origine, le varroa ne détruit pas l’abeille indigène
qu’il parasite). Résultat: la moitié des colonies de la planète ont disparu en
25 ans. Dans certaines régions du monde, le syndrome d’effondrement des
colonies d’abeilles touche plus de 50% d’entre elles. Désormais, leur refuge
est en ville, ce qui ne résout pas le problème de la pollinisation des plantes
alimentaires. La diversité des pollens et la température de l’air en ville
seraient plus favorables aux butineuses. Ainsi, pas moins de 600 ruches sont
disséminées dans la capitale française: sur les toits du Grand Palais et de
l’Opéra de Paris, dans les jardins du Luxembourg ou à proximité de balcons
fleuris et autres bouquets d’arbres. Ces ruches des villes produiraient de
trois à quatre fois plus que certaines ruches des champs.
Si vous décidez de vous lancer avec une première ruche, n’oubliez pas
de faire le design de votre projet et d’en vérifier la faisabilité.
Vous pourrez consulter avec profit ces textes:
Jérôme Alphonse, Un petit rucher bio. Tous les conseils pour bien
débuter, Paris, Rustica, 2015.

Maurice Chaudière, Apiculture alternative, Suilly-la-Tour, Findakly,


2005.
Alicia Munoz, «Tendance: les ruches urbaines prolifèrent», Bio à la
Une, 12 octobre 2012, www.bioalaune.com/fr/actualite-
bio/6034/tendance-ruches-urbaines-proliferent.

… et ces films:
Markus Imhoof, Des abeilles et des hommes, 2012.
Mark Daniels, Le mystère de la disparition des abeilles, Arte Thema,
2010.

Time is honey
Avec son programme de pollinisation de la ville, sa mission d’essaimage, ses zones
de butinage, ses «comptes-épargne-abeilles», une Banque du miel a été mise en
place par le Parti poétique en région parisienne. Le précieux nectar urbain, distribué
sous l’étiquette «Miel Béton» (200 à 300 kilos par an) et «Miel de la Banque», est très
recherché lors des événements citoyens et artistiques de la capitale française. Outre
le miel, l’idée est de produire de la richesse humaine et de l’esprit critique là où il en
manque. N’hésitez pas à souscrire au Fonds mellifère international (FMI)!
www.banquedumiel.org/banque.html.
De nombreux collectifs apicoles ayant une mission similaire existent aussi au
Québec. Voir: la coopérative Miel Montréal http://mielmontreal.com ou l’entreprise
Alvéoles www.alveole.buzz.
EXEMPLE INSPIRANT
Se nourrir avec les animaux
Depuis 20 ans, MICHEL JARRY pratique «l’agro-sylvo-
cynégétique» en dordogne. Il entretient un équilibre
dynamique entre une faune semi-sauvage qu’il chasse
(principalement des daims) et une biodiversité sylvestre
et agricole savamment contrôlée. Une activité plurielle qui lui permet d’être autonome
en nourriture, en eau et en bois, et de bien gagner sa vie.

Michel Jarry est un homme heureux. Il vit «en communion avec la nature» et
estime avoir «une qualité de vie idyllique». Cet ancien patron d’une grosse boucherie
industrielle, lassé d’une vie parisienne trop agitée, a choisi un jour de migrer avec sa
famille au cœur du Périgord. Arrivé en 1970 sur un terrain de 80 hectares – «des
terres pauvres et de la forêt, à 500 mètres d’altitude» –, Michel fait d’abord de
l’agriculture conventionnelle, «comme tout le monde dans ce coin-là». Il achète un
troupeau de vaches limousines (100 têtes). «On avait un rêve, on voulait réussir.»
Mais après quatre ou cinq ans, Michel découvre que ce n’est pas viable. «Je ne
voulais pas devenir un gagne-petit avec un avenir limité.» Il revend son troupeau et
met 30 hectares en culture irriguée de maïs et plus de 20 hectares de seigle et
d’avoine. «Les cours étaient soutenus, nous étions maîtres de la récolte. On vendait à
qui voulait, on gagnait bien notre vie.» Puis arrive la Politique agricole commune de
l’Europe (PAC). Il devient obligatoire de passer par une coopérative agricole. Refus
net de Michel, qui veut «garder sa liberté, ne pas se sentir mené par d’autres. Avec
l’augmentation des prix des semences, des engrais, du carburant, des financements
extérieurs devenaient nécessaires. Les prix de vente ont chuté de 40%. Des aides
étaient prévues, mais on sentait venir le naufrage du système.» Michel quitte le navire
de la PAC «par fierté et par bon sens». Il vend tout: tracteurs, système d’irrigation… Il
se dit que les produits haut de gamme, de qualité, sont dans l’air du temps. Très vite,
une nouvelle piste se dessine: il aime la forêt, le gibier, la liberté, l’innovation.

L’activité cynégétique (chasse) n’est pas encore réglementée en 1986. Pas


besoin de gros matériel, ni d’engrais. Jolies plus-values en perspective… «J’ai voulu
présenter mon projet à la Chambre d’agriculture. On m’a pris pour un farfelu, on a
refusé de me recevoir! Le Crédit agricole a rejeté mes demandes de financement.
J’étais hors cadre, un déshonneur pour le monde agricole, un utopiste.» Alors il se
lance. Tout seul. En autofinancement, Michel clôture 40 hectares de terrain sur 2
mètres de haut. Il achète des daims et des cerfs (il renoncera vite aux cerfs, «trop
gros et trop violents») auxquels il organise «une vie en semi-liberté, la plus proche
possible du contexte naturel». Le rêve d’autonomie est à portée de main. Il peut
produire sur son terrain toute la nourriture nécessaire à sa famille: de la viande
(gibier, volailles), des légumes, des fruits. Il peut faire du bois de chauffage et a une
source d’eau potable sur son terrain (elle alimente la maison familiale par gravitation).
Michel plante 350 arbres fruitiers, installe un potager et gère son cheptel de gibier en
rapport avec l’espace disponible.
Par ses observations, ses rencontres avec des professionnels et ses lectures, il
affine son plan. «À l’état sauvage, on compte une à deux bêtes pour 100 hectares, ce
qui laisse à la nature le temps de se régénérer, explique Michel. Je fais le choix d’une
gestion contrôlée, plus concentrée: trois à quatre bêtes par hectare, environ 40 kilos
de viande. À raison de 12€ le kilo, ça me laisse une très bonne marge. Même en
comptant 5 kilomètres de clôture par hectare.» Aujourd’hui, son cheptel tourne autour
de 80 têtes.

L’observation du bol alimentaire des bêtes lui révèle le secret de leurs mets
préférés. Les cervidés raffolent des fruits de la forêt: châtaignes, glands, racines,
genêts, ronces, chiendent, lichens, champignons sauvages plutôt que les belles
prairies que Michel leur avait d’abord destinées. L’homme s’adapte. Il organise le
terrain de façon à ce que le gibier dispose d’un tiers de bois, un tiers de semi-ligneux
et un tiers d’herbes. Sans oublier quelques hectares de cultures (navets, raves,
sarrasin, seigle), en rotation, comme réserve de nourriture en cas d’aléas climatiques.
Michel sait ce que diversité veut dire. Dans les bois, il élague juste ce qu’il faut pour
entretenir et favoriser le développement des champignons. «Les bolets, les gens
aiment ça. Deux cents kilos par an à 15€ le kilo, c’est rentable! Pas de travail, sauf le
ramassage.» Avec une association, il monte un atelier de conserve de châtaignes
pour exploiter les plus beaux fruits; le second choix revient aux daims. Il lance la
production de triticale, un croisement entre le blé et le seigle, pour nourrir ses
volailles. Quarante tonnes par an! L’autonomie, toujours…
Michel est un commerçant, un homme d’affaires qui diversifie ses revenus. Mais
il est avant tout un amoureux des arbres. Il pourrait en parler des heures. Il avait
planté deux hectares de chêne rouge, d’acacia, de douglas, de saule, d’aulne. Mais la
tempête de 1999 a ravagé la ressource qui devait financer sa retraite. «Je suis
associé à la nature. C’est elle qui décide, admet humblement le vieux sage. L’homme
ne fait que courir pour se protéger de l’eau, du soleil, du vent.» Depuis, Michel a
replanté 10 hectares d’arbres, dont un bon nombre d’essences qu’apprécient
particulièrement les daims.

L’observation est l’outil principal de Michel. Tous les jours, il sillonne sa forêt en
4x4 avec ses jumelles. Il repère les biches sur le point de mettre bas, suit les faons,
identifie les bichettes (femelles d’un à deux ans – les plus savoureuses), surveille les
hères (mâles de six mois à un an) et les daguets (daims d’un à deux ans) prêts à être
tirés. «Mon but, c’est d’avoir un cheptel au top! Si la pression du cheptel devient trop
importante et qu’elle menace la santé de la forêt, je régule. Je joue le rôle du
prédateur. Les clients me passent commande, selon leurs préférences.» Le moment
venu, il abat la bête sur place, dans la forêt, dans son environnement. Pas de stress
indu pour l’animal. Ce qui est bien meilleur pour la viande. Il la saigne, l’éviscère, la
dépouille et l’amène au contrôle vétérinaire. Puis, dans l’atelier qu’il a aménagé sur
sa ferme, il débite la bête – des morceaux bien préparés, sous vide, qu’il conserve en
chambre froide (ses compétences de boucher sont remarquables). Par le bouche à
oreille, il s’est constitué une clientèle fidèle, friande de ses produits haut de gamme,
dans un rayon de 50 kilomètres. Il faut dire que quand on a goûté à cette viande, on
s’en souvient! Les clients (200 à 300 foyers) peuvent venir acheter sur place, dans sa
boutique. Michel fait aussi une tournée en camion dans la proche campagne avec de
délicieuses volailles de grain (20€ pièce en moyenne). Du grain qu’il produit sur
place, bien sûr.

L’homme des bois est «heureux de cette qualité de vie, heureux de vendre beau
et bon». Combien d’heures par semaine travaille-t-il? «Planter un arbre, le greffer,
vous appelez cela travailler? s’exclame-t-il. C’est du bonheur. Et puis quelle
satisfaction de laisser quelque chose de vivant derrière soi. Cette forêt représente de
l’énergie pour 50 ans!»
Occasionnellement, la ferme accueille également des chasses sportives,
inspirées de pratiques québécoises. Des passionnés, souvent étrangers, viennent
pour tirer, sans chiens ni chevaux, une ou deux bêtes choisies sur catalogue. Ils
restent une journée et repartent avec leurs trophées et les massacres (les bois). Une
activité lucrative, qui mobilise peu de temps.

Depuis 2007, son fils, qui travaillait dans l’administration publique, a pris la suite.
Michel, bien sûr, continue avec lui. C’est seulement dernièrement qu’il a découvert
que sa démarche globale, basée sur l’observation attentive et la recherche d’équilibre
entre les différents éléments de l’écosystème, s’apparentait à un mouvement en
pleine expansion qu’on appelle… la permaculture!
CONTACT: michel.jarry36@sfr.fr.
Se nourrir grâce à la mer

LA MER, UN GIGANTESQUE
GARDE-MANGER

Les océans recouvrent les trois quarts


de la surface de la planète et recèlent
de ressources inestimables pour se
nourrir. La pêche, l’aquaculture,
l’élevage de crustacés et la
conchyliculture (élevage des
coquillages) ne sont que la partie
visible de ce gigantesque réservoir de
nourriture. La science commence à
découvrir les vertus nutritives du
plancton et des algues, des végétaux
surabondants en mer et déjà familiers
sur la table de bien des cultures,
notamment en Asie. Du coup, quelques
toques occidentales nous invitent à les
cuisiner.

LA PÊCHE ARTISANALE, UNE MANNE POUR DES MILLIONS


DE FAMILLES DANS LE MONDE
Le poisson offre le même apport de protéines que la viande. La plupart des
espèces sont riches en oméga 3 et contiennent toutes sortes de vitamines (A,
D, B), d’oligo-éléments (zinc, cuivre, iode, sélénium et fluor), de sels
minéraux (phosphore) et de l’iode. Autant d’atouts pour la santé.
La pêche et l’aquaculture emploient directement, selon un rapport de
l’ONU40, environ 55 millions de personnes dans le monde, dont la plus
grande partie en Asie (87%). Ce chiffre est à multiplier par trois si on y
ajoute les filières associées, en amont et en aval. Au niveau mondial,
l’activité est essentiellement artisanale, assumée pour moitié par des
femmes.
La pêche artisanale capture 30 millions de tonnes de poissons destinés
exclusivement à l’alimentation humaine. Avec des moyens techniques et
financiers très supérieurs, la pêche industrielle en capture autant; plus de
35 millions de tonnes qui seront transformées en farines et huiles à
destination des poissons d’élevage et du bétail.
La pisciculture, qui représente près de 50% de l’activité halieutique, est
le secteur alimentaire le plus dynamique en termes d’emploi. En Asie – le
continent qui concentre près de 90% de l’activité –, les effectifs ont été
multipliés par 4 ces 10 dernières années. La production piscicole
industrielle explose et est principalement destinée à l’exportation. Censée
éviter le pillage des mers, l’aquaculture pose d’autres problèmes: elle
concerne surtout des poissons carnivores (saumon, dorade, bar) et
consomme donc des quantités énormes de petits «poissons fourrages». Pour
produire un kilo de saumon, de bar ou de dorade d’élevage, il faut 4 à
5 kilos de poissons sauvages (hareng, sardine ou maquereau). Les élevages
prélèvent donc quatre à cinq fois plus de poissons qu’ils n’en produisent. En
outre, ces exploitations sont très polluantes et utilisent de grandes quantités
d’hormones et d’antibiotiques. L’aquaculture de poissons herbivores ne
semble pas être pour demain.
La consommation mondiale de poisson par habitant va de 10 kilos dans
les pays pauvres à 29 kilos dans les pays riches. Sa part dans l’alimentation
mondiale augmente en moyenne de 3% par année. La consommation de
poisson contribue donc à améliorer le régime alimentaire de bien des
populations fragiles.

DES MENACES QUI PÈSENT LOURD SUR LA RESSOURCE

De grosses menaces planent sur la ressource halieutique: la surpêche, des


techniques de capture de plus en plus destructrices pour l’environnement,
des quantités importantes de poissons rejetées à la mer du fait de leur
moindre valeur marchande, la pêche illégale qui se mesure en millions de
tonnes, certains engins – filets, chaluts, palangres de fond – qui agressent
les fonds marins, les pollutions chroniques ou accidentelles des océans et le
bétonnage des côtes qui détruisent les habitats.
Un tiers des mangroves, des herbiers marins, des récifs coralliens ont
ainsi disparu en 50 ans, de même qu’un quart des marais salants. Sans
oublier la pression de la croissance démographique. Les changements
climatiques aggravent également la situation. En effet, l’augmentation de la
concentration de CO2 dans l’atmosphère provoque une hausse de la
température et une acidification de l’eau de mer, deux facteurs favorisant la
prolifération épisodique d’algues toxiques qui provoquent la mort ou la
migration de certaines espèces vers de nouveaux territoires. Les
déplacements accidentels d’espèces (faune et flore confondues) sont
également accélérés par le trafic maritime qui déverse en permanence des
tonnes d’eau d’un océan à l’autre par leurs ballasts, perturbant ainsi la
diversité biologique et menaçant les chaînes alimentaires.
La flotte de pêche mondiale est devenue deux fois plus puissante que ce
qui serait compatible avec une exploitation viable des océans: augmentation
du nombre de navires, augmentation de leur capacité de pêche, de leurs
moyens technologiques (repérages aériens, sonars, radars, cartographies
sous-marines, réfrigération). Et les subventions accordées au secteur par les
États n’arrangent rien. Les pays qui disposent d’une flotte industrielle ont
tant appauvri leurs zones de pêche initiales qu’ils travaillent désormais sur
toutes les mers du globe, avec des moyens surdimensionnés. Les artisans
pêcheurs subissent par ricochet l’effet de la surpêche et doivent eux aussi
aller pêcher toujours plus loin, avec plus de carburant, pour subvenir à leurs
besoins.
Selon la FAO, 90% des grands prédateurs marins ont disparu de
certaines parties des océans depuis les années 195041. Car leur nourriture –
de plus petits poissons – a disparu pour cause de surpêche ou de raréfaction
du plancton, rompant ainsi la chaîne alimentaire. La communauté
internationale saura-t-elle prendre les mesures qui s’imposent pour
équilibrer les besoins humains et la ressource?

UNE PÊCHE MONDIALISÉE, UN DROIT UNIVERSEL PARFOIS


DÉVOYÉ ET DES SOLUTIONS LOCALES

Aujourd’hui, 40% des produits de la pêche mondiale sont vendus sur les
marchés internationaux (contre 20% de la production du blé et 5% de la
production du riz). Ce flux de richesse échappe bien sûr aux petits pêcheurs
et fragilise les économies locales.
Dès 1995, la FAO a négocié avec les acteurs concernés un Code de
conduite pour une pêche responsable. Ce document en a inspiré beaucoup
d’autres. Ces dernières années, sous l’impulsion d’Olivier de Schutter,
rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation (rapporteur
d’autant plus spécial qu’il est courageux), la communauté internationale
s’est trouvée embarquée dans une série d’obligations au titre du respect des
Droits de l’homme. Ces obligations visent à protéger la pêche artisanale et
les populations locales. Elles passent, par exemple, par la réduction des
volumes de pêche et par la création d’«aires marines protégées» (AMP) qui
garantissent, en principe, la sécurité alimentaire des populations côtières.
Or, pétries de bonnes intentions, ces mesures juridiques internationales
présentent, selon certains observateurs, un risque de privatisation des
océans: en effet, ces aires marines protégées, souvent financées par des
investisseurs privés, via de grandes ONG, favoriseraient surtout… les
intérêts des investisseurs eux-mêmes (et non l’intérêt des pêcheurs),
investisseurs qui n’ont le plus souvent rien à voir avec le monde de la pêche
mais qui imposent leurs critères de «pêche durable». Nombre de petits
pêcheurs se trouveraient ainsi interdits de travailler dans leurs zones de
pêche nourricières et traditionnelles42 au profit du développement
d’activités lucratives menées par des opérateurs privés, comme l’achat de
quotas de pêche43 et le développement du tourisme «nature». «Ce n’est pas
la pêche côtière qui menace les océans, ce sont les pollutions chimiques»,
tempête le biologiste marin Pierre Mollo lors d’un entretien qu’il nous a
accordé en 2015.

Pêche artisanale versus pêche industrielle


En Europe, 80% des bancs de poissons de la Méditerranée et 47% de ceux de
l’Atlantique sont victimes de surpêche.

En France, la pêche artisanale représente 80% de la flotte et 50% des emplois.


SOURCE: Département des pêches et de l’aquaculture de la FAO, La situation
mondiale des pêches et de l’aqualculture 2012, Rome,
www.fao.org/docrep/016/i2727f/i2727f.pdf.

Quoi qu’il en soit, petit à petit, l’imaginaire collectif évolue dans le sens
de la protection des stocks de poissons et de la défense des petits pêcheurs.
Aux Maldives, par exemple, la seule pêche au thon autorisée est désormais
la pêche à la ligne à partir de bateaux locaux. Dans l’État brésilien de
Ceará, les pêcheurs de langouste se sont organisés en coopératives pour
vendre directement les produits de leur pêche à des détaillants américains.
Résultat: hausse de 70% de bénéfices pour les petits pêcheurs! Au Pérou,
pays qui fournit près de la moitié de la production mondiale de farines et
d’huiles de poisson, le gouvernement applique depuis quelques années une
politique volontariste pour favoriser la pêche et la consommation locales de
poisson et pour limiter la production de produits dérivés industriels.
Dans nombre de pays, des zones réservées à la pêche artisanale ont été
négociées sous la pression des petits pêcheurs. Au Cambodge, par exemple,
ceux-ci ont obtenu l’établissement de droits d’usage locaux. Bien sûr, les
violations continuent, mais le droit a changé de bord. Ces succès ouvrent
des perspectives de changement dans d’autres pays. En Europe également,
des mesures sont prises pour accompagner la transition vers une pêche
durable, protéger la ressource et développer l’aquaculture. Toute la
difficulté consiste bien sûr à veiller à l’application des engagements pris et à
éviter les effets pervers.

Et nous, permaculteurs, permacultrices,comment choisir des produits


de la mer «durables»?

Toutes ces réalités invitent à la vigilance. À moins de pouvoir acheter son


poisson sur le quai à l’arrivée des bateaux, mieux vaut se poser quelques
questions et bien lire les étiquettes si l’on s’approvisionne chez le
poissonnier ou au supermarché:
Ce poisson est-il de saison? Où a-t-il été pêché? Appartient-il à une
espèce surpêchée, menacée? Comment a-t-il été capturé (pêche
sélective ou non)? S’il est issu de l’aquaculture, comment a-t-il été
nourri? Détient-il un label? Si l’étiquette n’est pas assez explicite,
posez des questions! Le consommateur a le droit d’être informé pour
motiver son choix.

Pour connaître la saisonnalité des poissons, renseignez-vous dans votre


région.

En France, voir la liste établie par Terre vivante:


www.territoiresenliens.org/wp-content/uploads/2014/09/Saison-
poissons-.pdf.
Au Canada, Greenpeace a établi une liste rouge des poissons qu’il ne
faut surtout pas acheter. On peut la trouver à l’adresse suivante:
www.greenpeace.org/canada/Global/canad/report/2010/6/Poissons%20
-%20Faites%20le%20bon%20choix.pdf.
Pour connaître les espèces à privilégier ou à éviter, voir le Conso-guide
pour une consommation responsable des produits de la mer, édité par
le WWF: assets.panda.org/downloads/guide_poisson.pdf. Ce document
est facile à glisser dans son sac pour choisir son poisson de façon
éclairée.

Au niveau international, l’écolabel


du Marine Stewardship Council
(MSC), organisation sans but lucratif
créée en 1997 par le WWF et Unilever,
certifie que les poissons sauvages, frais
ou transformés, ont été pêchés de
manière «durable44». Bien que le MSC
se présente comme indépendant, il est
contesté par certaines organisations de
pêcheurs qui le considèrent au service
d’autres intérêts (économiques) que les
leurs. Ceux-là lui préfèrent la
démarche de Blue Fish en cours
d’élaboration en Europe45. Regroupant
sous la forme associative tous les
acteurs de la filière – professionnels, scientifiques, institutions publiques et
citoyens des communautés littorales –, Blue Fish défend un modèle social
fondé sur la diversité des métiers du secteur dans le but de «protéger à la
fois l’environnement marin et les communautés de pêcheurs». À l’échelle
locale, d’autres labels existent, comme la marque «Bar de ligne de la pointe
de Bretagne» qui assure le consommateur d’un poisson sauvage de très
bonne qualité, pêché dans le respect de son environnement.
MICRO ET MACRO ALGUES: DES RESSOURCES D’AVENIR

«En 2050, il faudra nourrir 9 milliards d’humains. Les protéines terrestres


ne suffiront pas. Le plancton peut jouer un rôle décisif dans les chaînes
alimentaires», martèle dans ses communications Pierre Mollo, chercheur en
biologie marine et défenseur du plancton depuis 40 ans.
Micro ou macro, les algues concentrent les bienfaits de l’eau de mer.
«Elles recèlent dans leurs tissus la totalité des éléments de base qui
constituent la planète et notre organisme: toute algue marine possède
l’ensemble des sels minéraux et des oligo-éléments connus à ce jour. Vraies
bombes de vitamines, elles sont toniques, forment un bouclier et stimulent
nos défenses naturelles. Parmi les sources alimentaires de vitamine B12,
elles sont mieux placées que le lait. Cette richesse nutritive sous une forme
organique naturelle les rend particulièrement assimilables46.»
Les algues apparaissent aujourd’hui comme une ressource nutritive
sérieuse pour l’avenir de l’humanité. En particulier pour les publics fragiles
(enfants ou adultes malnutris, convalescents, réfugiés) ou les cas
particuliers (sportifs qui ne peuvent emporter en expédition que de petits
volumes de nourriture).

PRÉCAUTIONS SANITAIRES
Depuis une quinzaine d’années, on observe dans 15 à 100% des populations de
poissons sauvages ou d’élevage des parasites qui peuvent se révéler dangereux
pour l’humain. À l’origine, les anisakis sont des vers parasites du tube digestif des
cétacés et des oiseaux marins. Leurs larves (nématodes) se transmettent dans la
chaîne alimentaire et se développent dans les viscères et la chair du poisson. Les
larves sont particulièrement pernicieuses car elles ne se voient pas à l’œil nu. Le ver
lui-même se devine si on y prête attention: une petite spirale translucide roulée sur
elle-même. Chez l’humain, les larves ou les vers peuvent déclencher des allergies ou
des troubles digestifs parfois violents, appelés anisakiase.

La prévention consiste à éviscérer le poisson dès qu’on l’a pêché ou acheté et à


le conserver au froid. Avant de le consommer, il doit être cuit à plus de 60 °C ou
congelé à – 20 °C pendant 24 heures minimum pour détruire les parasites qu’il
pourrait contenir. Les sushis, les poissons marinés, fumés ou salés ne doivent donc
être consommés qu’après congélation.

POUR EN SAVOIR PLUS: Agence nationale de sécurité sanitaire de


l’alimentation [France], www.anses.fr.

LE PLANCTON: UN IMMENSE POTENTIEL NUTRITIF ET


THÉRAPEUTIQUE

Riches en protéines (50 à 60%), en lipides (oméga 3) et en vitamines C et


B12, les planctons végétaux connus présentent un grand intérêt nutritif. Et
l’aventure ne fait que commencer! On ne sait pour l’instant en cultiver
qu’une dizaine d’espèces sur les centaines de milliers existant à l’état
naturel (toutes ne sont pas comestibles). Les microalgues comestibles
peuvent s’accommoder avec des pâtes; elles entrent déjà dans la
composition de friandises, boissons, céréales du petit déjeuner, barres
nutritives ou biscuits. «Un jour, on aura un moulin à plancton sur la table, à
côté du moulin à poivre, et on saupoudrera nos aliments de spiruline
sèche», prophétise Pierre Mollo dans ses conférences.
Déjà, les compléments alimentaires à base de microalgues font fureur
dans les boutiques bio et sur Internet, en comprimés, capsules, suspensions,
extraits solubles, ampoules buvables. À raison souvent de plusieurs
centaines d’euros le kilo (et conditionnés en quelques dizaines de
grammes), ils gagnent petit à petit le cœur (et l’estomac) des
consommateurs. Grâce à ses principes actifs, le plancton représente
également un immense potentiel thérapeutique. Un marché de 1 à 2
milliards d’euros (1,5 à 3 milliards de dollars canadiens)47.

UNE BIODIVERSITÉ MENACÉE

Mais des menaces pèsent sur ces précieuses ressources marines. Certaines
espèces végétales et animales de plancton disparaissent car elles ne trouvent
plus leur nourriture ou les conditions pour vivre dans leur environnement
habituel. Le réchauffement climatique, la présence de pesticides ou
d’espèces exotiques arrivées par bateau bouleversent la chaîne alimentaire
(et, par ricochet, la pêche).
Le réchauffement climatique pousse certaines espèces animales et
végétales à migrer vers le nord au rythme de 23 kilomètres par an. Cela
représente plus de 1 000 kilomètres depuis les années 1950! Du coup, les
espèces les moins mobiles – coquillages, larves fixes – ne trouvent plus leur
nourriture et disparaissent.
Avec les pesticides, des espèces toxiques de plancton prennent la place
d’espèces indigènes, rendent certains coquillages non consommables ou
coupent l’appétit des poissons. «Réduire les pesticides de 50% ne suffit pas.
Il est urgent de passer à zéro pesticide», affirme Pierre Mollo.

Les navires de pêche commerciaux (60% du fret mondial) transportent


dans leurs ballasts de l’eau de mer qui contient jusqu’à 7 000 espèces
végétales et animales qu’ils relâchent dans d’autres mers du globe.
Certaines espèces ainsi introduites, n’ayant plus leurs prédateurs naturels,
deviennent invasives et détruisent les écosystèmes. La situation est
particulièrement critique dans les mers fermées, comme la mer Noire et la
Baltique.
Menaces aussi sur le maërl (ou lithothamme), un substrat marin
composé de débris d’algues et de coquillages. Très riche en sels minéraux
(calcium, magnésium, fer), ce réservoir de biodiversité a été abondamment
utilisé comme engrais dans la filière bio, pour reminéraliser l’eau potable,
en complément alimentaire et autres usages. L’extraction en a été interdite
en 2010 pour éviter sa disparition. Mais les dégâts sont sérieux. «C’est le
garde-manger des poissons et leur habitat. Il ne faut plus y toucher», supplie
Pierre Mollo.

PLANCTON ET OURS BLANC, MÊME COMBAT

«Le plancton est la source de la vie et les humains ne le savent pas, se désole le chercheur. Il est
invisible, alors on n’y croit pas! L’ours blanc est beaucoup plus populaire. Pourtant, ils
appartiennent à la même chaîne alimentaire, l’un à la base, l’autre au sommet. Si le premier
disparaît, le second disparaît aussi, et toutes les espèces qui vivent entre les deux.»

Pierre Mollo regrette que ni les citoyens ni les États ne pensent à


défendre «ce petit peuple de la mer, maître des océans, qui compose 98% de
la biomasse marine et produit plus de 50% de l’oxygène que nous
respirons». «Le plancton devrait être inscrit au Patrimoine mondial de
l’humanité, plaide le scientifique. Il peut apporter des réponses simples et
durables à la question de la nutrition. Il appartient aux cuisiniers, aux
gestionnaires de collectivités, aux associations de solidarité et aux
consommateurs de montrer l’exemple.»

Deux grandes familles: le phytoplancton et le


zooplancton
La découverte du plancton est liée aux avancées du microscope. Les premières
classifications datent du XIXe siècle. Les chercheurs continuent de découvrir de nouvelles
espèces.

* Autotrophe: produit sa propre matière organique à partir de la lumière du soleil, de


minéraux et d’eau.
** Hétérotrophe: incapable de produire sa propre matière organique. Doit se la procurer
par l’alimentation.

DES «ERRANTS» QUI MODÈLENT NOS PAYSAGES

Le mot «plancton» – du grec plaktos, «errant» – désigne des êtres vivants


aquatiques qui se déplacent uniquement au gré des courants, faute de
pouvoir se mouvoir par eux-mêmes. Il existe une grande diversité de
planctons en milieu marin, en eau douce et en eau saumâtre.
Selon l’espèce, leur taille varie de la fraction de micron à plusieurs
millimètres, voire plusieurs dizaines de centimètres. Les plus petits
planctons sont de la famille des virus ou des bactéries. Viennent ensuite
ceux de la famille des champignons. Les plus connus sont les planctons
végétaux (phytoplancton) et animaux (zooplancton). Certains vivent sous
forme planctonique de façon permanente (le phytoplancton et certains
zooplanctons) tandis que pour d’autres cette forme est temporaire: la
plupart des animaux marins, mollusques, crustacés commencent leur vie au
stade zooplanctonique, à l’état de larves ou d’alevins. La méduse, qui ne se
déplace qu’au gré des courants, compte parmi les plus grands planctons.
La sédimentation de microalgues depuis 3,5 milliards d’années a sculpté
nos reliefs et nos paysages. En France, par exemple, les coccolithes, riches
en calcite, ont contribué, avec d’autres organismes, à la formation des
falaises crayeuses du pays de Caux (Haute-Normandie). De même les
roches silicatées d’Auvergne et d’Ardèche ont été formées par la
sédimentation et la fossilisation de squelettes de diatomées.
Pour produire 100 grammes de chair, le thon, poisson carnivore, a avalé
un kilo de petits poissons bleus (sardines), qui ont eux-mêmes dévoré
10 kilos de zooplancton carnivore, qui a lui-même absorbé 100 kilos de
zooplancton herbivore, qui a lui-même englouti une tonne de
phytoplancton! Le poisson est un sacré concentré de plancton!

SOURCE: Cap vers la nature, Le petit guide du plancton, www.cap-vers-la-


nature.org/planctonique-le-petit-peuple-de-l-eau-petit-guide-du-
plancton.html.

LE CAS COPÉPODES
Le copépode, un petit crustacé, est l’animal le plus répandu sur la planète. La
population mondiale de copépodes se renouvelle tous les deux mois et représente 40
milliards de tonnes de nourriture, soit 150 fois plus que la production mondiale de
viande d’élevage!

Le krill, un zooplancton permanent, ancêtre de la crevette, est particulièrement


riche en oméga 3 et en chitine (calcium). Il est la nourriture des méduses, des
crevettes, des oiseaux de mer, des poissons et des baleines. L’humain peut profiter
de ses vertus en mangeant des crustacés et des poissons. Cette ressource est
également utilisée en aquaculture et dans l’industrie pharmaceutique. Par des
interactions complexes et subtiles qui nous échappent encore largement, le krill est
également la clé de l’équilibre d’autres écosystèmes. Il conviendra de le protéger du
pillage.

UN INTÉRÊT NUTRITIF ET PÉDAGOGIQUE

Actuellement, trois variétés de plancton végétal, parmi les plus riches à la


fois en protéines (jusqu’à 70%) et en lipides (oméga 3), sont actuellement
autorisées pour la consommation humaine en Europe. D’autres espèces
pourraient suivre. Elles tendent à neutraliser l’acidité de notre organisme,
due à une alimentation industrielle. Ces microalgues, déjà connues comme
complément alimentaire, arrivent petit à petit sur les tables gastronomiques.
Seuls freins à leur consommation alimentaire: le manque d’habitude, leur
couleur bleu-vert, un petit goût marin qui ne plaît pas à tout le monde.
LA CHLORELLE: Cette microalgue unicellulaire vit aussi bien dans l’eau
douce que dans l’eau salée. Exceptionnellement riche en protéines
végétales (60%), en chlorophylle (4%), en acides gras essentiels, en
vitamines (A, bêta-carotène, B12, C, E et K), en sels minéraux
(calcium, fer, phosphore, manganèse et zinc) et en acides aminés, elle a
des effets très bénéfiques sur la santé. Selon Plancton du monde, un site
scientifique qui fait autorité en matière de plancton, elle fournit 40 fois
plus de protéines que le soja, le riz ou le blé et 10 fois plus de vitamine
A que le foie de bœuf. C’est la plante la plus riche en chlorelle (quatre
fois plus que la spiruline). Connue pour son pouvoir nettoyant et
purifiant, la chlorelle aide à éliminer les agressions liées à la pollution.
On lui attribue également des vertus curatives: lutte contre les ulcères
gastriques et duodénaux, cicatrisation, régénération des cellules,
protection contre les maladies respiratoires, lutte contre la constipation.

POUR ALLER PLUS LOIN: «Module de formation du plancton», Plancton du


monde, http://plancton-du-monde.org/module-formation/chryso2.html.

L’ODONTELLA AURITA: Une diatomée riche en oméga 3, sels minéraux,


oligo-éléments et vitamines. Les scientifiques de l’Institut français de
recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) assurent que 2 à 3
grammes par jour suffisent à couvrir nos besoins et à combler les
carences liées à une nourriture industrielle déséquilibrée.
LA SPIRULINE: Cette cyanobactérie est l’une des plus anciennes formes
végétales apparues sur Terre. Elle se trouve à l’état naturel dans les
eaux douces du lac Tchad et les eaux salées du lac Texcoco, au
Mexique. Sa production en bassins devient de plus en plus courante.
Riche en protéines (65%), en fer, en vitamines A et B12, en oligo-
éléments, en antioxydants et en oméga 3, elle est recommandée par la
FAO pour combattre la malnutrition infantile. Une dose de 15 grammes
de spiruline sèche équivaut à 100 grammes de viande de bœuf. Elle est
l’une des seules sources de protéines non animales (avec le soja) à
contenir les 20 acides aminés essentiels. Et elle est facile à produire
avec peu de moyens. Sa couleur bleu-vert foncé et sa légère odeur de
poisson freinent son intégration dans la gastronomie, notamment
française, pour l’instant.
«La spiruline est un complément alimentaire intéressant lorsqu’on
souffre d’une carence alimentaire ou en période de convalescence,
estime Geneviève Arzul, ancienne biologiste de l’IFREMER. On n’en a
pas besoin en usage courant si on est bien nourri et en bonne santé48.»
Le biologiste Pierre Mollo, lui, voit la spiruline comme un aliment à
part entière: «Il est vrai que c’est un aliment idéal pour les sportifs, les
personnes âgées, les malades qui ont besoin d’une alimentation
particulièrement riche. Mais la spiruline convient à tout le monde. En
milieu scolaire, des menus expérimentaux intègrent 3 grammes de
spiruline par repas. Ils sont associés à des programmes d’éveil, pour
sensibiliser les enfants aux équilibres environnementaux entre terre et
mer. À la maison, on peut avoir des paillettes de spiruline sur la table,
comme la fleur de sel ou le poivre, pour le plaisir. Bientôt, on produira
sa spiruline fraîche à la maison.»

POUR ALLER PLUS LOIN: Fédération des spiruliniens de France,


www.spiruliniersdefrance.fr/.
UNE MICROCULTURE ÉCOLOGIQUE ET ÉCONOMIQUE

Cultiver des microalgues présente beaucoup d’avantages. La culture


demande peu d’espace – on peut même en produire dans un appartement ou
sur un voilier! Elle se pratique en circuit fermé; elle est donc économique
en eau et produit peu de déchets. Elle exige de la lumière, de la chaleur,
beaucoup de patience et de rigueur. Dans les conditions de température
optimales (autour de 35 °C), les microalgues se développent très
rapidement: leur biomasse peut augmenter de 25% par jour. Les cultures
sous serres non chauffées donnent de très bons résultats, même dans les
régions fraîches, pendant six mois de l’année. Le reste du temps, la
spiruline se repose, entre en dormance.
Les fermes de spiruline fleurissent dans les campagnes françaises à
raison d’une trentaine par an! Deux cents fermes produisent déjà environ
30tonnes par an de la précieuse algue bleue.

PRODUIRE DE LA SPIRULINE DANS SA CUISINE, C’EST


(BIENTÔT) POSSIBLE

Bientôt, grâce à une phytotière, chacun.e pourra produire de la spiruline


fraîche dans sa cuisine ou son salon (le dispositif est élégant), aussi
facilement qu’on fait ses yaourts. Cet appareil domestique, inspiré par
Pierre Mollo et l’ingénieur et philosophe Georges Garcia dans le cadre de
l’association La Voie bleue, à Toulouse, permettra de produire 10 à 20
grammes de protéines fraîches par jour, sans impact environnemental.
Développé par la jeune entreprise toulousaine Alg & You, l’appareil devrait
être commercialisé dans le courant de 2017. Cette invention a été lauréate
2014 du concours mondial «Innovation 2030».
POUR ALLER PLUS LOIN: La voie bleue http://la-voie-bleue.org et Alg & You
www.alg-and-you.com.

Pour ceux et celles qui voudraient produire de la spiruline «à


l’ancienne»:

Maria Fuentes et Gilles Planchon, La spiruline pour tous. Culture


familiale, La Chapelle-sous-Huchon, Passerelle Éco, 2014. Un bassin
de sept mètres carrés suffit pour une famille de six personnes.
Jean-Pierre Jourdan, Manuel de culture artisanale, http://petites-
nouvelles.pagesperso-orange.fr/Manuel.pdf (220 pages, téléchargeable
gratuitement en ligne).

Une autre variété de plancton, la klamath (ou Aphanizomenon flos-


aquae – AFA) est intéressante. Identifiée par Cortés au XVIe siècle, cette
microalgue bleu-vert, présente à l’état naturel dans le lac Klamath, en
Oregon (États-Unis), compte parmi les aliments les plus complets et
équilibrés: 60% de protéines (3,5 fois plus que le bœuf ou les œufs), plus de
115 micronutriments dont les vitamines B1, B12 et K, des minéraux, des
oligo-éléments, des acides aminés, des oméga 3. Parmi toutes les vertus qui
lui sont reconnues, notons ses propriétés anti-inflammatoires et
antioxydantes. Certaines études mettent néanmoins en garde contre la
possible présence de toxines associées à cette microalgue.

POUR EN SAVOIR PLUS sur la biodiversité planctonique:


Pierre Mollo et Anne Noury, Le manuel du plancton, Paris, Charles
Léopold Mayer, 2013.
Maëlle Thomas-Bourgneuf et Pierre Mollo, L’enjeu plancton, Paris,
Charles Léopold Mayer, 2009.

COMMENT CUISINER LE PLANCTON?

Cuisiner le plancton est dans l’air du temps. On y vient! Quelques chefs s’y
essaient, ainsi que des passionnés qui croient en l’avenir de ces précieux
végétaux marins. Les dégustations sont de plus en plus fréquentes dans les
salons gastronomiques. Ouvrez vos yeux et préparez vos papilles!
Le chef d’un restaurant parisien, sensible aux démonstrations de Pierre
Mollo, prévoit de bientôt régaler ses convives avec un succédané de caviar
à base de spiruline sphérifiée. «Pourquoi priver les végétariens de ces
délicieux amuse-bouches?» interroge le scientifique gourmet.

Pour ceux et celles qui veulent cuisiner le plancton à la maison:

La Cuisine au plancton, un film de Jean-Yves Collet (26 minutes,


2010), www.jeanyvescollet.com/les-films-extraits-dossiers/140-la-
cuisine-au-plancton. Le chef Marc Foucher teste différents mets au
plancton auprès de Bernard Schmitt, médecin nutritionniste, et Pierre
Mollo, chercheur.

DES MACROALGUES DANS NOS ASSIETTES!

S’il faut un microscope pour observer le plancton (microalgues), les


macroalgues sont bien visibles sur nos côtes maritimes, dans les rochers et
sous nos pas. Outre les paysages changeants qu’elles dessinent entre marées
hautes et marées basses, les 25 000 espèces d’algues offrent elles aussi un
beau potentiel nutritif. En France, les 850 espèces présentes sont toutes
comestibles – avec un plaisir gustatif variable. Vingt-quatre variétés sont
autorisées par le gouvernement français depuis février 2014 pour
l’alimentation humaine.
Il y en a des bleues (les plus anciennes), des brunes, des rouges et des
vertes. En réalité, toutes sont vertes sous leurs pigments colorés, du fait de
la chlorophylle. Plongez une algue brune ou rouge dans l’eau bouillante,
vous verrez! Toutes vivent par photosynthèse. Les algues vertes, qui ont
petit à petit colonisé la terre ferme, se sont diversifiées et ont formé des
mousses, des lichens, puis toutes les variétés que nous connaissons de
plantes terrestres, y compris les arbres!

LES QUALITÉS NUTRITIVES DES MACROALGUES

Dans un pays comme le Japon où elles sont intégrées aux coutumes


alimentaires, les algues sont consommées crues ou cuites selon les cas. En
Occident, leur utilisation comme légumes est récente, même si elles sont
utilisées depuis longtemps par l’industrie agroalimentaire comme additifs
(gélifiants, stabilisants, épaississants). Sur les côtes françaises, certaines ont
également été utilisées jadis dans l’alimentation pour le bétail.
Les algues sont riches en protéines, en oméga 3, en vitamines, en oligo-
éléments, en antioxydants et en fibres. Elles sont un excellent substitut au
lait animal pour le calcium. On en trouve sous différentes formes dans les
magasins bio ou les rayons spécialisés: déshydratées, en conserve (tartares,
soupes, sauces) ou sous forme de pâtes aux algues.
Si on a la chance d’habiter près de la mer, rien de plus simple que de
cueillir des algues quand on se promène sur les rochers.
QUELQUES CONSIGNES À RESPECTER AVANT DE
RÉCOLTER LES ALGUES POUR LES CONSOMMER
Cueillir vos algues de préférence au printemps: comme toutes les plantes, les jeunes
pousses sont plus tendres et plus savoureuses. Profiter de la marée basse (en
particulier lors des forts coefficients) pour accéder, au point le plus bas de l’estran, à
des variétés inaccessibles autrement. S’éloigner de la côte réduit les risques de
pollution. Ne prélever que des algues accrochées au rocher. Ne jamais consommer
les algues échouées sur la plage: elles sont probablement mortes.

Cueillir les algues sans les arracher! Avec un couteau ou une paire de ciseaux,
couper la tige au-dessus du pied de façon à ce qu’elle puisse repousser. Ne pas
retourner les rochers: la biodiversité végétale et animale qui y est associée (côté
lumière, côté ombre) en serait perturbée pour plusieurs années.
Les noms communs ou commerciaux des algues variant d’une région à l’autre, il
est recommandé d’utiliser les noms latins qui, eux, ne prêtent pas à confusion. On se
familiarise finalement assez vite!

Une fois sorties de l’eau, les algues se dégradent rapidement. Ne cueillir que ce
que vous pouvez consommer dans les 24 heures. Après, c’est trop tard. La loi
française autorise de ramasser le volume qui tient dans une main. Inutile de remplir
des paniers que vous devrez jeter au bout de deux jours.

COMMENT CONSERVER LES ALGUES?

Si on veut les consommer fraîches, les algues doivent être préparées


aussitôt récoltées. Certaines peuvent se conserver: on peut les faire sécher
au soleil sur un fil de nylon tendu ou sur un séchoir (ou, à défaut, dans un
four à très basse température, sur du papier sulfurisé pour qu’elles ne
collent pas), puis les réduire en paillettes (Porphyra, Palmaria palmata,
Ulva).
Certaines peuvent se conserver surgelées, en les roulant dans des petits
sacs de congélation (Palmaria palmata, Himanthalia). On les décongèlera
sous l’eau froide pour les cuisiner immédiatement. On peut aussi les garder
dans le bas du frigo en y ajoutant un peu de sel.
Seule la très délicieuse Laurencia pinnatifida, avec son petit goût
poivré, ne se conserve pas. À déguster (en quantité modérée) sur le rocher
ou dans la journée. Idéale pour l’apéritif!

SAUVAGES OU ÉLEVÉES

En France, la filière des macroalgues se développe à grande vitesse, surtout


en Bretagne. Elles sont soit récoltées en mer, soit cultivées dans des fermes
marines. Aqua-B-Marinoë, à Lesconil, dans le Finistère, remonte 300
tonnes de laminaires par an, transformées sur place. Il en reste sept fois
moins une fois séchées. L’entreprise, en constant développement depuis sa
création en 1992, propose une grande variété de préparations à base
d’algues, toutes délicieuses: fraîches en salades, déshydratées en paillettes,
en tartares, en tapas, dans des pâtes.
Côté culture, 1 000 hectares de fonds marins pourraient potentiellement
être mis en culture d’algues alimentaires en Bretagne. Les conchyliculteurs
(éleveurs de coquillages, ils sont 700 en Bretagne) – notamment les
ostréiculteurs (éleveurs d’huîtres) – sont les mieux placés pour cette
activité: ils ont déjà le «foncier marin» (difficile d’accès), l’outillage pour
aller en mer. Les pics de travail sont en hiver pour les huîtres et à la belle
saison pour les algues. Les deux activités pourraient donc aller de pair. Une
première entreprise, Algolesko, s’est mise à la tâche en 2013 sur la pointe
bretonne et cultive la Saccharina latissima, une laminaire sucrée de grande
taille (de 2 à 7 mètres de longueur). L’entreprise prévoit d’exploiter à terme
200 hectares. Objectif: produire autour de 6 000 tonnes par an à destination
du marché national et international (Chine, Russie, États-Unis, etc.). Les
débouchés concernent l’alimentation, mais aussi les cosmétiques et la
pharmacopée. Il y a là une source de création d’emplois. Restera à s’assurer
que la culture d’algues ne tombe pas dans les travers des méga-exploitations
agricoles en monoculture.

choc-noir CHIFFRES-CHOCS
À propos des algues…
90% des algues françaises sont produites en Bretagne.

La filière des algues alimentaires n’est exploitée en France que depuis une
trentaine d’années.

La consommation alimentaire en France tourne autour de 1 000 tonnes par an.

Une trentaine d’entreprises exploitent la filière dans les secteurs alimentaire,


cosmétique, pharmaceutique.

Environ 3 000 hectares de côtes bretonnes seraient disponibles pour la culture


de macroalgues.

La France produit chaque année 70 000 tonnes d’algues: 50 tonnes seulement


sont cultivées, les autres sont sauvages.

La France importe 140 000 tonnes d’algues.

Au total, 15 millions de tonnes d’algues sont produites dans le monde


(principalement en Asie), dont les trois quarts sont destinées à l’alimentation.

La Chine est le premier producteur d’algues (10 millions de tonnes).

Le Japon consomme 2 millions de tonnes d’algues alimentaires par an.

4-5-6

Coupe d’un estran


LES DIFFÉRENTES FAMILLES D’ALGUES

Elles sont décrites ici telles qu’elles apparaissent, de bas en haut de l’estran
(la zone du littoral qui est découverte à marée basse).

Les algues rouges

Porphyra tenera (ou nori): riche en protéines, utilisée pour rouler les
sushis et les makis, ou en paillettes.
Palmaria palmata (ou dulse): utilisée séchée, en paillettes ou en chips.
Sert aussi de fourrage pour les animaux.

Chondrus crispus: gélifiante. Excellente pour faire prendre les


confitures, les gelées, les flans. Pour neutraliser les traces d’arsenic
qu’elle contient naturellement, il faut faire subir à cette algue les
assauts du soleil et de la pluie pendant quelque temps jusqu’à ce
qu’elle devienne blanche.
Laurencia pinnatifida: délicieuse crue, en apéritif, avec son petit goût
poivré.

Gracilaria verrucosa: d’où est extrait le gélifiant végétal agar-agar.

Les algues brunes

Saccorhiza polyschides (ou bulbosa), Undaria pinnatifida (ou


wakame au Japon), Himanthalia elongata (ou haricot de mer): se
conservent très bien au congélateur, crues. Servir en légumes ou en
apéritifs.

Laminaria saccharina (ou ceinture de Vénus ou kombu royal):


cultivée en Bretagne.
Laminaria digitata (ou kombu breton).

Alaria esculenta.

Ces algues de la famille des laminaires remplacent avantageusement le


papier d’aluminium! On y enveloppe les viandes ou les poissons avant de
les mettre au four. Elles attendrissent la viande et accélèrent leur cuisson
ainsi que celle des légumineuses et des pommes de terre. Elles réduisent
également l’acidité de la tomate dans les sauces.

Les algues vertes

Ulva lactuca (ou laitue de mer): celle qui prolifère lorsqu’il y a trop
d’azote dans l’eau. Elle se consomme séchée, en paillettes ou en
papillote.

Enteromorpha intestinalis (ou cheveux de mer): en forme de petits


tubes. Riche en calcium. Utilisée en paillettes ou dans les sushis.
Codium: rare. Surtout utilisée en cosmétique.

QUELQUES RECETTES FACILES À FAIRE CHEZ SOI POUR


S’INITIER

Ceux qui habitent loin de la mer trouveront la plupart de ces algues dans les
magasins bio, déshydratées, en conserve ou en rayons frais.

Salade terre et mer

Cuire et décortiquer un crabe ou une araignée de mer. Y ajouter – hachés


menus – un chou vert, quelques radis, du fenouil (tige et feuilles), de
l’oignon, des herbes aromatiques, de la criste marine, de la Laurencia et
d’autres algues fraîches, un citron pressé et son zeste, de l’huile d’olive, les
œufs du crabe. Servir avec une mayonnaise aux algues.

Sel aux algues

Faire sécher au soleil, au printemps, des Palmaria palmata, de la Porphyra,


des Ulva lactuca ou des entéromorphes. Une fois séchées, on les réduit en
poudre et on les mélange à du sel marin. Le mélange, coloré, est joli. C’est
une façon facile de consommer des algues, souvent et à petites doses.

Beurre aux algues

Dans un beurre souple (sorti du frigo), ajouter de la Laurencia, de la


Porphyra, de l’Ulva et/ou de la Palmaria palmata tout juste cueillies et
finement hachées. Mélanger à la fourchette. Servir sur des toasts à l’apéritif
ou tout simplement pour parfumer les pommes de terre, les pâtes ou les
haricots verts. On peut ajouter de l’ail haché.

Mayonnaise aux algues

Ajouter des algues séchées, au moment de servir, dans la mayonnaise. Un


plus pour accompagner les crustacés. On peut remplacer les algues par de la
criste marine fraîchement cueillie en haut de l’estran.

Graines torréfiées aux algues

Mélanger des graines de carotte, de céleri, de coquelicot, de courge, de


tournesol et de sésame. Les torréfier à la poêle. Y ajouter des paillettes
d’algues (voir plus haut «Sel aux algues»).

Délices apéritifs

Sécher de l’Himanthalia elongata fraîchement récoltée. Passer à la poêle


avec un peu d’huile en remuant sans cesse. L’algue passe d’abord au vert
puis au brun puis au noir. Hors du feu, ajouter un peu de tamari et de
sésame. Découper au ciseau et servir en apéritif.

4-5-7

Plateau de fruits de mer

Pour étonner vos invités, présentez vos fruits de mer sur un lit de goémon
passé à l’eau bouillante (puis refroidi, bien sûr). Effet fluo garanti!

Flan au sureau (ou à l’orange, à la cardamome, à la verveine, au vin rosé,


au champagne)

Délayer 4 à 5 grammes d’agar-agar dans un litre de lait et porter à


ébullition. Ajouter ensuite sucre, épices, arômes et crème fraîche, selon
votre goût. Laisser refroidir. Servir frais.

Pommes de terre marines

Cuire des pommes de terre bio dans leur peau à la vapeur, ou mieux, dans
une soupe de poisson ou un court-bouillon de crabe. Une fois tièdes, les
huiler et les envelopper de Porphira. Passer au four. Servir brûlant. On
mange tout. Un régal.
POUR ALLER PLUS LOIN EN CUISINE: Ouvrage collectif, Savez-vous goûter… les
algues?, Rennes, Presses de l’EHESP, 2016, www.presses.ehesp.fr/produit/savez-
vous-gouter-les-algues/.

LES ALGUES SONT AUSSI BONNES POUR LE JARDIN

S’il est formellement déconseillé de consommer des algues échouées sur la


plage à la suite de tempêtes (elles sont mortes), en revanche, ces naufragées
feront merveille dans le jardin de ceux qui ont la chance de vivre près de
l’océan. En particulier les laminaires. Elles apportent à la terre des sels
minéraux qui activeront la vie du sol. Tous les jardiniers côtiers le savent,
qui en rapportent des brouettes à l’automne. On les ramasse après une
bonne averse pour les dessaler!

EXEMPLE INSPIRANT inspirant


Cueillette et festin d’algues sur la pointe du
Finistère
L’association bretonne CAP VERS LA NATURE anime des week-ends de découverte
des algues à l’île de Sein ou à Molène, dans le Finistère. Les amateurs se pressent,
de plus en plus nombreux, pour apprendre à identifier les algues, les cuisiner et les
savourer. Embarquement pour un week-end totalement dépaysant…
SIMONE GRASS est une militante. Par le biais de l’association Cap vers la
nature, elle consacre son énergie à faire connaître les trésors écologiques et nutritifs
que recèlent le plancton et les algues des côtes bretonnes. Dany Caderon, sa
complice, est une artiste culinaire. Le calendrier de la balade est calé sur les
éphémérides: au printemps pour avoir des pousses d’algues toutes jeunes; à marée
basse de fort coefficient pour bénéficier d’un accès à des variétés d’algues
inaccessibles autrement.

Les pieds dans l’eau, Simone lit comme dans un livre ouvert les merveilles que
recèle le microcosme d’une flaque d’eau. Un grouillement de vie d’une rare beauté:
des coquillages, des larves, des bourgeons d’algues de toutes les couleurs. Pas
grand monde n’aurait remarqué tous ces détails sans son œil avisé. La spécialiste
raconte la symbiose entre telle algue et tel coquillage, explique comment récolter les
précieux végétaux marins (avec une paire de ciseaux) pour ne pas les arracher; ainsi
ils repousseront. Il suffirait d’un geste maladroit (retourner un rocher sans le remettre
en place) pour détruire tout ce petit monde.

Soudain, quelqu’un découvre un massif de Laurencia pinatifida. La dégustation


s’organise autour de cette petite algue rouge croustillante au goût délicieusement
relevé. Et notre guide d’interpeller les gourmands: «Attention, si vous n’êtes pas
habitués à manger des plantes sauvages, allez-y doucement! Sinon, vous pourriez le
regretter [et avoir mal au ventre].»
Simone parle affectueusement du plancton qui régule le climat par
photosynthèse, en captant le CO2 de l’atmosphère et en produisant de l’oxygène.
Elle explique comment, d’une année à l’autre, les champs d’algues évoluent selon la
température ou l’ensoleillement. Avant de quitter les rochers, nous goûtons la criste
marine, une plante du haut de l’estran, très parfumée et riche en vitamine C, capable
de métamorphoser une salade.

De retour «à terre», chacun.e étale sa récolte sur une table. Classement par
famille: les algues rouges, les brunes, les vertes. Des oreilles ébahies écoutent notre
maître raconter la création du monde, les premiers végétaux apparus dans la mer il y
a 3,5 milliards d’années, la naissance des forêts grâce aux algues vertes qui ont
colonisé la terre ferme. Les noms latins s’entrechoquent dans les têtes! Il faudra un
peu de temps pour se familiariser.
Bientôt, Dany prend le relais. D’un coup d’œil, elle apprécie les ressources
étalées sur la table et envoie chercher les poissons qu’un pêcheur de l’île a mis de
côté pour le groupe. Et les préparatifs commencent. Des heures de préparatifs pour
hacher, effiler, malaxer, broyer, faire revenir, passer au four, marier les fruits de la mer
et de la terre. Tout le monde s’y met. Pendant que les uns étendent des algues à
sécher sur un fil, d’autres préparent l’apéritif – occasion de savourer les premières
préparations tartinées – ou commencent la soupe de poisson, prennent force notes et
photos.

Des heures plus tard, le festin est prêt. Le menu est tout droit sorti de la mer et
de la créativité débridée de Dany, de nos paniers ou des filets des pêcheurs de l’île,
qui nous rejoindront pour festoyer. Plus jamais une balade sur l’estran ne sera
comme avant…
POUR EN SAVOIR PLUS: Stage «Algues et cuisine», Cap vers la nature,
www.cap-vers-la-nature.org/peche-a-pied-algues-et-cuisine.html.
Se nourrir grâce aux insectes

MANGER DES INSECTES, C’EST


TENDANCE… ET C’EST
L’AVENIR!

Aujourd’hui, tout salon gastronomique


qui se respecte invite à la dégustation
d’insectes sur un stand entomophage.
Les curieux, les intrépides et les
caméras s’y pressent. Dans les
restaurants branchés des capitales
européennes et américaines, les menus
insectes font fureur: grillés, au four, à
la plancha, à la poêle, déshydratés ou
en poudre, façon tex-mex ou à la fleur
de sel, en apéro, en verrine ou flambés
au rhum. Cette consommation qui
paraît pour le moins déroutante aux contemporains occidentaux était
pourtant connue dans nos contrées depuis l’Antiquité, notamment dans le
bassin méditerranéen. Quatre siècles avant Jésus-Christ, Aristote cite le
goût des Grecs pour les larves de cigales et les sauterelles grillées enfilées
en chapelets. Les Romains se régalaient déjà de larves de scarabées. Plus
tard, l’Évangile raconte que dans le désert, l’ascète Jean-le-Baptiste se
nourrissait «de sauterelles et de miel sauvage». Au XVIIIe siècle, on prêtait
à certains insectes des vertus médicinales. À l’ère industrielle, réduits en
poudre, séchés, les insectes ont intégré le rayon des compléments
alimentaires sous la forme discrète de barres, boissons et farines protéinées
ou sous la forme encore plus discrète d’additifs. On n’a même pas
l’occasion de se sentir dégoûté!

LA PLUS GRANDE BIODIVERSITÉ ANIMALE

Les insectes représentent 80% des espèces animales connues. Ils sont les
premiers à avoir colonisé la terre ferme. De 1 000 à 1 500 espèces –
insectes, larves et vers comestibles – sont régulièrement consommées par 2
milliards d’habitants sur la planète, principalement en Afrique et en Asie:
fourmis, punaises, criquets, grillons, termites, sauterelles, chenilles, vers à
soie, asticots, etc. Leur préparation varie selon les régions et les traditions:
ils sont servis seuls ou accompagnés, vivants, nature ou frits, bouillis,
confits ou macérés dans l’alcool, avec ou sans sauce, en condiments, en
amuse-gueule, en plat principal ou en dessert.

DE GROS ATOUTS NUTRITIONNELS

L’immense biodiversité d’insectes représente une source de protéines


sérieuse pour les temps qui viennent! Ils offrent de nombreux avantages
nutritionnels. Sans compter les molécules qui peuvent en être extraites, à
usage médical. Les Nations unies recommandent de les intégrer dans la
nourriture des animaux, en attendant que les blocages culturels s’estompent
et que l’entomophagie (la consommation d’insectes) soit culturellement
acceptable dans les pays qui n’en sont pas encore coutumiers.
Les insectes comestibles sont riches en protéines: leur teneur moyenne
en protéines peut dépasser 50% de leur poids sec. Ces protéines sont
présentes indépendamment de leur âge, de la saison de leur capture et de
leur alimentation. La présence de peptides fonctionnels leur confère des
vertus contre l’hypertension, des bénéfices pour la musculation (dénutrition,
sportifs) et le renforcement du système immunitaire, contre le diabète de
type 2 et l’ostéoporose. Les larves et les asticots, gros mangeurs de feuilles
printanières, sont riches en oméga 3, au même titre que les escargots, gros
consommateurs de végétaux. La carapace des criquets, grillons et
sauterelles, riche en calcium et en magnésium, a des propriétés
antirhumatismales, antimicrobiennes et antioxydantes. À l’instar de la fibre
alimentaire, la carapace agit comme un probiotique, régulant notamment la
flore digestive et l’absorption des lipides, ce qui en fait un agent
amincissant! Enfin, de par leur teneur en vitamines et en oligo-éléments, les
invertébrés ont des propriétés antioxydantes et immunostimulantes.
Par ailleurs, les insectes étant très éloignés de l’être humain dans la
chaîne de l’évolution, ils ne sont pas vecteurs de maladies pour lui, comme
peuvent l’être les élevages traditionnels en cas d’épidémie (vache folle,
grippe aviaire). Compte tenu de leur richesse nutritionnelle, les insectes
représentent également une solution alternative pour nourrir les volailles,
car ils sont plus économiques et plus écologiques que les céréales.

DES PROTÉINES À FORT RENDEMENT ET À FAIBLE IMPACT


ENVIRONNEMENTAL

L’économiste Bruno Parmentier50, spécialiste de l’alimentation, confirme


que, mathématiquement, ce sont bien les insectes qui permettront de fournir
les protéines nécessaires pour nourrir les 9 milliards d’humains attendus sur
Terre en 2050. Il faut 10 kilos de végétaux pour obtenir un kilo de bœuf
alors que ces mêmes 10 kilos de végétaux permettent de produire 9 kilos
d’insectes, rappelle le spécialiste. Le bœuf se nourrit surtout pour entretenir
son sang chaud tandis que les bêtes à sang froid sont beaucoup plus
performantes: elles utilisent peu de nourriture pour produire beaucoup plus
de protéines.
Le ramassage traditionnel d’insectes dans les pays du Sud offre aux plus
pauvres un précieux apport nutritionnel et, éventuellement, un moyen de
subsistance (par le commerce). Le ramassage permet en même temps de
réguler des colonies invasives de ravageurs (sauterelles) et de protéger les
productions agricoles.

Des protéines dans les lampadaires de la ville


CLAIRE LEMARCHAND, designer française, a imaginé des dispositifs urbains pour
élever des insectes en ville. Ce «microbétail urbain» contribuerait à fournir une
denrée alimentaire de proximité, tout en créant des emplois et en agrémentant la
vie des citadins. Des grillons pourraient être élevés dans des sortes de lampadaires
à proximité des marchés, les résidus de fruits et légumes leur servant de nourriture.
La nuit tombée, la lumière des LED et le chant des grillons envahiraient
agréablement l’espace urbain. Un éleveur prendrait soin des insectes et de leur
vente. Des vers à farine (ou ténébrions) pourraient être élevés dans les bureaux
avoisinants, nourris avec les papiers (composés de cellulose et de son de céréales)
jetés par les employés. En faisant broyer leurs papiers dans un digesteur ad hoc,
ceux-ci contribueraient à alimenter l’élevage, à recycler les déchets et à
approvisionner le restaurant d’entreprise. Il n’y a plus qu’à trouver des partenaires
prêts à s’engager! En attendant, Claire Lemarchand pense que ce projet est «un
outil de dialogue, de sensibilisation, d’interpellation des acteurs». Espérons que son
projet interpellera aussi les citoyens afin qu’ils sollicitent ce type de dispositifs
auprès de leurs élu.es et de leurs employeurs!

CONTACT: claire.lemarchand@citedudesign.com.

Des fermes d’insectes comestibles commencent tout juste à se


développer dans les pays du Nord. Au Québec, la Coentreprise paysanne
d’Armandie, à Frelighsburg, s’est lancée dans l’aventure51. Cet élevage
présente bien des avantages écologiques et économiques. Du fait qu’il exige
peu de nourriture, il a un rendement 70 fois supérieur à celui des bovins et
autres bestiaux. Il demande peu d’investissement, peu d’espace, peu d’eau,
peu d’énergie et peu de travail. Le cycle de reproduction des insectes est
très rapide. C’est donc une activité économiquement rentable, qui peut
même être menée en ville, c’est-à-dire là où les besoins en nourriture sont
de plus en plus importants. Enfin, l’élevage d’insectes évite le risque de
prélèvements excessifs en milieu naturel.
Principe de permaculture n° 6
Éviter la production
de déchets

POUR EN SAVOIR PLUS sur l’élevage d’insectes:


Insectarium de Montréal, http://espacepourlavie.ca.

«Comment faire son élevage d’insectes comestibles?», Des insectes


dans l’assiette, www.restaurantdinsectes.fr/elevagesinsectes.php.

Alors, prêt à devenir entomophage ou entomovore? Comme pour tout ce


qui est nouveau, il faut un peu de temps pour s’habituer à l’idée. Mais les
circonstances pourraient nous y pousser. On mange bien des crabes et des
crevettes! Ils sont eux aussi de la branche des arthropodes. Tout est question
de regard et de représentation!

Des recettes simples et originales pour un


repas entomovore

En apéritif: amuse-bouche aux grillons


Sur des tranches de concombre, étaler du fromage blanc enrichi d’ail écrasé et de
fines herbes. Déposer une olive noire, un petit morceau de tomate, une feuille de
basilic et quelques grillons déshydratés. Servir frais.
En plat: pizza aux insectes
Étaler sur une pâte à pizza du coulis de tomate, des champignons de Paris tranchés
en lanières, 10 grammes de criquets déshydratés, quelques olives noires et du
gruyère râpé. Cuire à four chaud pendant 15 minutes.

En dessert: croustade des amoureux en verrines


Préparer une croustade aux pommes. Ajouter à la farine 10 grammes de sauterelles
déshydratées et broyées. Cuire au four (8 minutes). Installer dans les verrines les
pommes, le caramel salé puis la croustade. Réservez une sauterelle par verrine pour
la déco!

SOURCE: Recettes inspirées de Mangeons des insectes, www.mangeons-des-


insectes.com/recettes.

EXEMPLE INSPIRANT
Une culture d’insectes dans
mon salon
CHANEL vit dans un petit village du Québec. Elle a
tellement aimé le goût des insectes qu’elle a décidé d’en
élever elle-même. Pour le plaisir d’abord, puis pour les
protéines. La jeune femme nous ouvre la voie de l’entomophagie.

«Fabuleux! Plus que bon! Un peu comme de la peau de poulet rôti ou des chips
bien croustillantes.» C’est ainsi que Chanel décrit le délice qu’elle éprouve à manger
des insectes. Tout a commencé vers 1995 lorsqu’elle était étudiante et qu’elle s’est
engagée comme bénévole pour l’événement «Croque-Insectes» à l’Insectarium de
Montréal. Elle n’a jamais oublié le plaisir particulier qu’elle a ressenti en dégustant
son premier scorpion laqué – une recette thaïlandaise.
Constatant que les insectes étaient introuvables sur les marchés, cette
permacultrice comprend que la seule solution consiste à lancer son propre élevage.
Ce qu’elle fait en mai 2013. Elle commande par Internet des vers de farine destinés à
l’alimentation animale. Deux mille larves de ténébrion (un coléoptère), soit 200
grammes, pour 20 dollars canadiens. «Je suis pauvre, je ne pouvais pas faire plus.»
Bénéficiant d’«une très haute formation en cuisine dans les grands restaurants»,
Chanel n’avait aucun doute sur ses goûts et aucune crainte quant à sa capacité à
préparer des mets délicieux à partir d’insectes! Lorsqu’elle entend l’OMS déclarer que
les insectes sont les protéines du futur, son choix se confirme.
Pourquoi des vers de farine et pas des grillons ou des sauterelles? «Les vers ne
sautent pas! explique la jeune femme en riant. Ils ne volent pas, ne grimpent pas. Ce
sont les insectes les plus faciles à élever.» Les bacs d’élevage sont empilés sur une
échelle à pâtisserie dans le salon, ce qui prend peu de place. Leur nourriture? Du
son, de la farine d’avoine, quelques épluchures de légumes pour l’apport en humidité
(les larves ne boivent pas). Un kilo de nourriture fournit un kilo d’insectes. Ils peuvent
vivre très entassés les uns sur les autres dans de petits espaces (200 000 spécimens
par bac), ne dégagent pas d’odeur, ne produisent pas de déchet. Tous les avantages.
Seul bémol à l’aventure entomologique de Chanel: le cycle de développement des
petites bêtes est lent. Six mois par génération, à la température de sa maison. Le
cycle serait réduit à trois mois avec quelques degrés de plus. Son cheptel est tout de
même passé de 200 grammes à 6 kilos en un an et demi.
En attendant que son élevage atteigne un seuil durable (équilibre entre les
prélèvements et le renouvellement des effectifs), Chanel ne récolte que quelques
individus pour les faire déguster à sa famille ou aux amis. Son compagnon est
conquis ainsi que son fils de neuf ans et ses copains. Chanel pense déjà aux
quiches, boulettes, chili, saucisses d’insectes qu’elle va bientôt pouvoir confectionner.
Elle s’étonne que personne ne sache lui dire à partir de quand elle pourra prélever
suffisamment de larves chaque semaine pour nourrir sa famille. «Même l’éleveur de
l’Insectarium de Montréal ne sait pas», s’amuse-t-elle.

Quand son expérience sera bien établie avec les vers de farine, Chanel prévoit
de diversifier sa production. Elle pense aux grillons (un cycle de six semaines), aux
phasmes, aux locustes. Et puis, pourquoi pas créer la filière? «Le Jardin botanique de
Montréal songe à ouvrir un restaurant avec dégustation d’insectes. Il faudra bien qu’il
trouve des fournisseurs», suggère la jeune femme. Oui, l’entomophagie en Occident
est vraiment en devenir!

OMNIVORES, ET DEMAIN?
De par sa constitution, l’humain est omnivore. La nature offre une grande
variété de ressources alimentaires. Jouissons donc de cette diversité et
mobilisons notre inventivité pour développer des modes de production
adaptés aux enjeux d’aujourd’hui.
En zones urbaines, sur les pelouses des maisons de banlieue, dans les
squares de nos villes, sur les toits-terrasses des immeubles, utilisons les
surfaces disponibles pour produire de la nourriture de qualité et de
proximité. Explorons la possibilité d’installer des microfermes telles que les
décrivent Perrine et Charles Hervé-Gruyer dans leur ouvrage Permaculture.
«Deux cents mètres carrés bien travaillés permettent de produire toute
l’année l’équivalent de 12 paniers de fruits et légumes hebdomadaires»,
assurent les auteurs. Ils savent de quoi ils parlent: dans leur ferme du Bec
Hellouin, ils produisent 60 à 80 paniers sur 1 000 mètres carrés. Ces
microfermes peuvent conjuguer la culture de petits fruits, de plantes
médicinales, de champignons, l’élevage de petits animaux, l’apiculture,
l’aquaculture. «Plus la ferme est petite, plus elle est productive», affirme le
couple. Vision partagée par le jardinier-maraîcher québécois Jean-Martin
Fortier dans son Manuel d’agriculture biologique sur petite surface�: il y
donne la recette pour nourrir 200 familles en cultivant un hectare.

Aliments nouveaux et nanoparticules:


l’inconnu
Depuis quelques années, des «aliments nouveaux» (novel food, en anglais)
apparaissent sur le marché. On qualifie ainsi les aliments qui n’étaient pas reconnus
dans l’alimentation humaine dans une région donnée avant une date donnée. Les
autorités sanitaires évaluent l’intérêt et les risques de telles innovations et décident
d’autoriser ou non leur mise sur le marché. En Europe, un «aliment nouveau» est un
aliment ou un ingrédient qui n’était pas reconnu comme tel avant le 15 mai 1997. Ce
sont généralement des produits issus de la recherche scientifique et technologique ou
des aliments traditionnels venus de pays tiers. Les algues, les insectes et certaines
plantes entrent dans cette catégorie.

C’est le cas aussi de la «nanoalimentation» (nanofood, en anglais), une haute


technologie consistant à utiliser des nanoparticules (un millionième de millimètre)
pour «améliorer» la couleur, le goût, la consistance et la conservation de la nourriture.
Nanoémulsions, nanocapsules, nanocapteurs: 300 nano-ingrédients ou additifs
seraient déjà sur le marché. Profitant d’un flou juridique, les grands groupes de
l’agroalimentaire (Nestlé, Kraft, Heinz, Unilever) se dispensent d’afficher la présence
de ces nano-ingrédients sur les étiquettes. Ces particules sont si petites que
certaines peuvent traverser la barrière cellulaire. Leur toxicité et leur effet à long
terme sont méconnus. On touche là à un domaine expérimental, hors de portée,
même pour la plupart des scientifiques. Les nanotechnologies sont également
utilisées en amont de l’alimentation, dans l’agriculture (nanopuces, nanocapteurs
pour détecter les maladies, nanopesticides, nanovaccins), et en aval, dans les
emballages alimentaires. Quid de leurs effets sur la santé, sur l’environnement? On
est très loin des modèles de la nature et des solutions simples. Au nom du principe
de précaution, on privilégiera le plat du jour: une assiette de sauterelles grillées. C’est
plus sûr.

Des pionnières de
l’alimentation
HILDEGARDE DE BINGEN (1098-1179), mystique
allemande – «L’épeautre met de l’allégresse dans l’esprit
de l’homme.»

Les enseignements de cette moniale sur l’«homme total» (dans ses dimensions
physique, psychique et spirituelle) se voient confirmés, huit siècles plus tard, par les
sciences modernes (et par l’Église catholique qui l’a faite docteure de l’Église en
2012). Sur le plan alimentaire, Hildegarde souligne le lien entre notre alimentation et
notre état intérieur. L’abbesse bénédictine recommande certains aliments et des
recettes qui «donnent la joie et la clarté d’esprit». Ce sont des aliments alcalinisants,
qui équilibrent le pH de notre organisme. C’est le cas de l’épeautre, une céréale qui
contient les huit acides aminés essentiels et qui est riche en calcium, en phosphore et
en magnésium. Hildegarde dit de cette céréale qu’elle est «réchauffante et purifiante
pour l’homme» (le blé, dont la valeur nutritive est moindre, a progressivement
remplacé cette céréale ancienne). Le fenouil, les châtaignes, les amandes et le
galanga font également partie de ces précieux «aliments de la joie». Hildegarde
recommande également l’usage des plantes médicinales et «un jour de décharge»
(jeûne ou diète légère) hebdomadaire.

POUR EN SAVOIR PLUS:


Jany Fournier-Rosset, Les «recettes de la joie» avec sainte Hildegarde, Saint-
Cénéré, Pierre Téqui, 2005.

Gottfried Hertzka et Wighard Strehlow, À la table de sainte Hildegarde,


Montsûrs, Résiac, 2011.

Wighard Strehlow, L’art de guérir par l’alimentation selon Hildegarde de Bingen.


Recettes, traitements et régimes, Paris, François-Xavier de Guibert, 2007.

DEEPIKA KUNDAJI, semencière dans le Tamil Nadu (Inde)– «Les semences


familiales sont la clé de l’autonomie alimentaire.»

La vocation première du «Jardin pour tous», près d’Auroville, dans le sud de l’Inde,
est la conservation et la diffusion d’une centaine de variétés de semences potagères
traditionnelles de l’Inde. Son objectif? Que tous ceux qui le souhaitent puissent se
réapproprier la production de leur propre nourriture, quelle que soit la qualité de leur
terrain, même s’ils n’ont aucun moyen financier. L’aventure de Deepika a commencé
il y a une vingtaine d’années à Pebble Garden («le jardin de cailloux»), sur trois
hectares de terrain totalement stérilisés par un déboisement sauvage. Avec son
compagnon Bernard Declerq, ingénieur agronome belge, ils ont patiemment restauré
le sol, sans importation de matière organique, sans main-d’œuvre extérieure, sans
mécanisation. Aujourd’hui, une forêt d’essences indigènes et un potager de 2 000
mètres carrés ont remplacé le désert rouge de latérite! Et Deepika consacre son
énergie à encourager le développement de banques de semences familiales, jusque
dans les pays occidentaux.

POUR EN SAVOIR PLUS: Adeny, «Les leçons de Deepika», Défendre


l’environnement, 20 juillet 2013, http://adeny.overblog.com/les-leçons-de-
deepika-1.
RENÉE FRAPPIER, nutritionniste québécoise– «Choisis des aliments auxquels tu
veux ressembler!»

Sensibiliser, éduquer, prévenir… Professeure de chimie puis formatrice en


alimentation végétarienne, cofondatrice de l’association MANGER SANTÉ BIO
(Québec), pilote de l’exposition Manger santé et vivre vert, Renée Frappier consacre
sa vie, depuis 40 ans, à la pédagogie alimentaire. Cette femme à la fois scientifique
et intuitive ouvre une multitude de pistes simples et concrètes pour allier nourriture,
plaisir, santé et environnement. «Il est important d’apprendre à choisir des aliments
qui nous ressemblent ou auxquels on veut ressembler, explique-t-elle. L’objectif est
d’adopter petit à petit une alimentation à la fois saine, végétarienne, biologique,
locale, de saison et éthique!» Cette fervente défenseure des fruits et des légumes
recommande de manger cru autant que possible. Son site Internet regorge de
recettes originales pour cuisiner, cultiver, comprendre. Des recettes proposées par
une palette de spécialistes qui l’entourent.

POUR EN SAVOIR PLUS:


Association Manger Santé Bio, www.mangersantebio.org.

Renée Frappier, Le guide de l’alimentation saine et naturelle, Montréal,


Asclépiade, 2 volumes, 1987-1990.

À la campagne, cultivons la biodiversité végétale et animale sur une


multitude d’exploitations à échelle humaine et restaurons les sols. Là
encore, inspirons-nous des pistes ouvertes par Perrine et Charles Hervé-
Gruyer avec leur idée de «systèmes agraires solidaires»: ces prototypes
novateurs, concentrés de connaissances agronomiques et de pratiques
manuelles fructueuses, apparaissent particulièrement pertinents. Il s’agit de
«réunir sur un même territoire un grand nombre d’activités agricoles
complémentaires» à même de nourrir les populations locales. Les surfaces
déjà cultivées en monoculture (avec des céréales, par exemple) pourraient
être renaturées par la plantation massive d’arbres et converties en
polycultures. Ces modèles incluraient des réserves de biodiversité, une forêt
comestible, la production de céréales, une ferme d’élevage bovin, de
l’aquaculture et autant de microfermes qu’il en faut. Une telle organisation
permettrait le développement de toutes sortes d’activités annexes: artisanat,
transformation et vente, production d’énergie, tourisme vert, pédagogique,
etc. Le résultat en serait heureux d’un point de vue non seulement
écologique, mais aussi économique et social.
En ville comme à la campagne, osons les insectes, l’une des productions
de protéines les plus écologiques qui soit. Pensons production de plancton à
la maison. Près des littoraux, intégrons les algues dans nos cueillettes. Dans
tous les cas, l’urgence est de rapprocher les espaces de production des
espaces de consommation et d’apprendre à s’affranchir de la dépendance
envers le pétrole. En plus de contribuer à la souveraineté alimentaire de nos
territoires, ces pratiques seront l’occasion de créer du lien social et de
l’emploi.
Un design pour nourrir ma famille

MAINTENANT QUE VOUS AVEZ INTÉGRÉ la complexité des liens entre nos
modes de vie et la santé de la planète, vous êtes encore plus motivé pour
amorcer les premiers changements. L’alimentation est l’un des domaines
privilégiés pour expérimenter. Nous vous proposons ici de réaliser votre
design alimentaire individuel, familial ou collectif, selon le cas, pour une
alimentation saine et équilibrée.

Principe de permaculture n° 1
Observer et interagir

Pour se nourrir, l’humain a besoin quotidiennement d’une diversité


d’aliments qu’il peut produire sur place, ramasser, cueillir, glaner, chasser,
pêcher, troquer ou acheter. Il a aussi besoin d’une eau de bonne qualité. Il
n’existe pas une forme d’alimentation qui serait bonne pour tous. À
chacun.e de développer, par l’observation et la réflexion, l’alimentation qui
lui convient, en phase avec sa situation géographique, son âge, son activité,
son entourage, etc. Sans oublier de se laisser guider par son intuition –
l’hémisphère droit du cerveau! Un régime adéquat est un régime qui
procure joie et santé.

LES BONNES QUESTIONS À SE POSER


C’est le moment de vous référer au descriptif détaillé des neuf étapes du
design.

Observer

Quels sont les types d’aliments que je consomme le plus souvent?

Ceux qui me font le plus de bien?

D’où viennent les produits que je mange le plus souvent?

Est-ce que j’achète des aliments transformés ou je les prépare plutôt


moi-même?

D’où vient l’eau que je bois?

Est-ce que je produis moi-même certains de mes aliments?

Quel temps est-ce que je consacre à produire ou à préparer ma


nourriture?
Est-ce que j’aime préparer et consommer mes repas?

Quelles sont mes motivations pour manger? Me nourrir, socialiser,


trouver du plaisir, combler des émotions, remplir un vide ou
simplement par habitude?

Ai-je des réserves de nourriture en stock? De quelle sorte? Pour


combien de temps?

Si ma santé m’impose un régime particulier, comment est-ce que je le


vis? Suis-je en relation avec des personnes dans la même situation?
Est-ce que j’arrive à faire de mes repas un moment de plaisir? Ai-je
une bonne connaissance des propriétés des aliments que je peux ou
non consommer?
4-7-1

Identifier l’effet bordure

Je mange le plus souvent seul ou en compagnie?

Chez moi ou à l’extérieur?


Quel rôle jouent ma culture, mon éducation, ma religion, ma santé
dans mes choix alimentaires?

Quels sont les producteurs bio de fruits, légumes et viande près de


chez moi et les circuits de distribution alternatifs, marchés de
producteurs, restos bio, etc.?
Avec qui pourrais-je m’associer pour acheter des aliments locaux et
bio?

Comment puis-je mettre en place un troc de nourriture entre voisins


(poireaux contre pommes, par exemple)?

Recenser mes ressources et mes besoins

Quel budget puis-je consacrer à la nourriture?

Quels aliments (y compris les herbes aromatiques) puis-je cultiver


chez moi?

Quels sont mes besoins en calories (selon mon activité)?

Évaluer et trier les données

Lien entre mes besoins et les ressources disponibles:


Puis-je produire une partie de ma nourriture?

Dans mes habitudes alimentaires actuelles, quelles sont celles qui sont
en accord avec les principes de la permaculture? Quelles sont celles
qui s’en éloignent? Quelles évolutions seraient bienvenues?
En cas de rupture d’approvisionnement en énergie, quels produits –
parmi ceux que j’utilise régulièrement – risquent de devenir
indisponibles? Par exemple, en Amérique du Nord ou dans le nord de
l’Europe: thé, café, chocolat, huile d’olive, oranges, bananes, citrons,
etc.

Les niches de votre alimentation

Si vous avez des pratiques particulières, tentez d’éclaircir vos motivations:


êtes-vous végétarien par respect des animaux, par dégoût de la viande, par
difficulté de la digérer? Voyez avec franchise si cette alimentation vous
convient en termes d’énergie ou si elle vous satisfait, surtout d’un point de
vue philosophique ou idéologique. Dans tous les cas, vous adapterez votre
design alimentaire à vos besoins et à vos choix. Personne ne vous forcera à
changer.

Rêve et remue-méninges (à faire avec des proches)

Quelle serait mon alimentation idéale? D’où viendrait-elle? Elle serait


produite, distribuée et cuisinée par qui, où, comment? Est-ce que je
produirais moi-même certaines herbes, certains fruits et légumes, des œufs?
Comment conserverais-je ces aliments?

Concevoir le design
Déterminez les relations possibles avec les producteurs et distributeurs
locaux, les voisins jardiniers, les amis, la famille. Ces alliés sont votre
équipe. Voyez ce que vous pouvez mettre en place chez vous (jardin,
balcon), y compris pour l’eau. N’essayez pas de tout changer en même
temps! Donnez-vous du temps pour faire votre transition, en douceur.

Installer, mettre en œuvre le design dans l’espace et dans le temps

Établissez un calendrier d’actions avec des étapes concrètes selon les


saisons, intégrant vos besoins, vos goûts, vos fournisseurs et alliés possibles
ainsi que vos éventuelles limitations. Ne supprimez aucun produit que vous
aimez sans substitut qui vous convienne tout à fait. L’ingrédient principal de
la santé, c’est la joie!

Maintenir la pérennité du système

Vérifiez que le système que vous avez mis en place est cohérent (relisez au
besoin quelques passages de ce chapitre). Peut-il fonctionner durablement?
Votre potager vous apporte-t-il une base de légumes, de fruits et de plantes
médicinales? Vos fournisseurs sont-ils proches de chez vous? Aimez-vous
cuisiner avec les produits locaux et de saison? Votre alimentation vous
apporte-t-elle des satisfactions en termes de nutrition et de partage avec vos
proches? Toutes ces conditions sont nécessaires pour que les bonnes
résolutions s’ancrent dans le temps!

Principe de permaculture n° 9
Préférer des solutions
modestes et lentes
CLÉ DU SUCCÈS: Le meilleur moment pour amorcer votre transition,
notamment alimentaire, c’est aujourd’hui! Pourquoi attendre?
Conclusion
Devenir artisanes et artisans du changement

LA LECTURE DE CE LIVRE VA FAIRE DE VOUS, chers lecteurs et lectrices, des


artisan.es du changement. Vous allez rejoindre la foule de citoyen.nes
anonymes qui partout, sans faire de bruit, contribuent à la construction du
monde de demain: un monde plus beau, plus équitable, plus fraternel dont
nous rêvons tous et toutes.
En vous appropriant les outils proposés dans ce manuel, vous allez
pouvoir construire votre chemin de transition personnelle et soutenir celle
de votre groupe d’appartenance – famille, association, mouvement, quartier,
village. Chacun.e à sa façon, à son rythme, selon ses besoins et ses désirs va
élaborer son design de vie et le design de ses projets, établir une stratégie,
construire un plan d’action pour atteindre ses objectifs.
Les débutant.es y trouveront la motivation: pourquoi est-il nécessaire
d’amorcer tous ces changements? Par où commencer? Les personnes déjà
engagées dans l’aventure trouveront motif à approfondir leur pratique, à
l’élargir à de nouveaux champs. Car, bien sûr, toutes les dimensions de la
vie peuvent bénéficier de l’approche de la permaculture humaine: notre
façon de nous relier aux autres, à nous-mêmes, à notre nature profonde,
notre façon de produire, de travailler, de partager, d’habiter, de nous
déplacer, notre façon de nous vêtir… La lecture de ce livre ouvre des pistes
pour diminuer notre impact sur la planète dans toutes nos activités.
Où que vous soyez sur le chemin, vous pouvez faire un pas de plus:
VÉRIFIEZ que vous êtes bien dans votre «niche». Si ce n’est pas le cas,
appliquez-vous à la découvrir.

ENTRAÎNEZ-VOUS À ACTIVER l’hémisphère droit de votre cerveau. Son


agilité est précieuse pour développer votre intuition et vivre l’attention
consciente au moment présent.
N’OUBLIEZ PAS D’INSCRIRE votre design de vie dans un projet plus large,
collectif, qui bénéficie au bien commun.

APPUYEZ-VOUS SUR UNE ÉQUIPE et multipliez les effets-bordures.

CÉLÉBREZ VOS PETITES VICTOIRES! Soyez positif et patient. Vos progrès


stimuleront votre entourage et réciproquement!

Dans quelque temps, vous pourrez refaire les tests que nous vous avons
proposés au début de cet ouvrage pour constater le chemin parcouru et vous
encourager à continuer. Votre bilan écologique personnel aura probablement
progressé; bravo, continuez! Sinon, relisez le chapitre «Les clés de la
permaculture humaine»! Vérifiez également que le bilan de votre équipe
progresse également, sans pour autant «tanner» qui que ce soit! À vous de
créer, de façon subtile et discrète, les conditions de l’évolution de votre
entourage.
Annexe
Pour aller plus loin en permaculture humaine

LE SUCCÈS DE LA PERMACULTURE ouvre une multitude de pistes pour


entreprendre des changements et stimuler la créativité. C’est bien! Si cette
approche vous a conquis.e, si vous décidez d’engager votre transition
personnelle et que vous désirez vous former davantage à la permaculture, il
convient de choisir une formation de bonne qualité. Pour ce faire, soyez
vigilant.e: certaines personnes se déclarent permaculteur, designer ou
professeur après quelques jours de formation et la réalisation d’une butte
couverte de paille dans leur jardin… C’est largement insuffisant! Bien sûr,
rien ne remplace les années de recherche et de pratique. Plus que le
diplôme, c’est l’expérience concrète de la vie – tout spécialement en
permaculture – qui fait la qualité d’un bon professeur.
Quel que soit le mode d’apprentissage que vous préférez, renseignez-
vous bien sur le parcours et le nombre d’années de pratique des formateurs
que vous avez choisis. Où se sont-ils formés? Quels projets concrets ont-ils
réalisés en appliquant les principes de la permaculture? Depuis combien de
temps? Avec quels effets? Dans quels réseaux sont-ils reconnus?

L’HÉRITAGE DES PERMACULTEURS ANGLOPHONES

Dans le monde francophone, les premières formations en permaculture ont


été données il y a une trentaine d’années52. En France, c’est l’agronome
espagnole Emilia Hazelip qui a été la première à organiser des formations
intensives de 72 heures, en invitant des professeurs anglophones
(Américains, Australiens, Anglais, avec traduction simultanée): Sego
Jackson, directeur de l’Institut de permaculture d’Amérique du Nord, en
1985 et Lea Harrison, une Australienne directement formée par Bill
Mollison, en 1986. Puis ce fut au tour du Français Marc Bonfils en 1987.
Depuis, les formations se sont multipliées en France. Dans leur ferme de
l’Aude (dans le sud du pays), Andrew et Jessie Darlington, ceux-là mêmes
qui avaient servi d’interprètes aux premiers enseignants anglophones, sont
devenus de s références. Les premiers festivals de permaculture, à partir de
2009, ont lancé d’autres professeurs francophones comme Steve Page (qui
n’exerce plus), Steve Read et Bernard Alonso, coauteur de ce livre. En
2010, l’Australienne Robin Francis a donné sa première formation en
France (avec traduction simultanée par le couple Darlington). Elle y revient
de temps en temps pour donner des formations en «permaculture sociale».

LES COURS DE DESIGN EN PERMACULTURE

Les cours de design en permaculture (CDP, ou PDC en anglais) sont la


première étape, incontournable, pour se former dans le domaine. Ce sont
des modules de 72 heures, qui abordent 14 thématiques permettant de
mener à bien un design. Une fois que vous en avez suivi un et que vous
avez obtenu votre «certificat de permaculture», vous pouvez demander à un
instructeur – le vôtre ou un autre – de l’assister dans ses formations. C’est
une façon de consolider vos bases en permaculture, de se familiariser avec
différentes façons d’enseigner et de pratiquer, d’élargir votre réseau dans le
monde de la permaculture et… de voyager! En général, les assistant.es sont
dispensé.es des frais de formation. Ils participent seulement aux frais de
nourriture et d’hébergement.
Après un CDP, il convient de pratiquer la permaculture pendant deux
ans ou plus (selon Bill Mollison) sur un ou plusieurs projets concrets avant
de prétendre au titre de professionnel.le. Ce temps permet d’ajuster ses
choix («design and re-design»), d’appliquer la permaculture dans sa vie
quotidienne et de mûrir sa propre démarche.
Vient ensuite le temps de chercher un coach pour se faire accompagner
jusqu’à l’accréditation. C’est cette personne qui évaluera si vous êtes prêt.e
à enseigner à votre tour. On a toute la vie pour devenir un bon professeur,
grâce à l’expérience acquise au fil des années de pratique!
En attendant, l’étudiant permaculteur peut organiser des stages
d’«Introduction à la permaculture» (souvent de deux jours), avec l’accord
du coach.

GAGNER SA VIE AVEC LA PERMACULTURE?

Si vous envisagez de devenir professionnel.le, la première chose à faire est


de cerner vos motivations et vos besoins. Pourquoi souhaitez-vous devenir
professionnel.le? Pour créer votre emploi? Transmettre ce que vous avez
appris («passer au suivant»)? Enseigner les principes et la pratique de la
permaculture? Réaliser ou partager des expériences concrètes liées à la
Transition? Devenir «designer professionnel»? Quel secteur de la
permaculture vous intéresse le plus?
Vous pouvez poursuivre votre formation sur le terrain: recherchez des
personnes expérimentées qui pourraient vous accompagner dans les
thématiques que vous avez choisies, le principal étant que ces personnes
s’inspirent du modèle de la nature. Faites du troc: proposez-leur quelque
chose en échange du partage de leurs connaissances et de leur expérience.
Vous pourrez ensuite plus facilement faire valider votre expérience auprès
de formateurs reconnus dans les réseaux de permaculteurs.
Lorsque plusieurs candidat.es sont prêt.es, leurs coaches se regroupent
pour organiser une présentation publique, le plus souvent collective. Ce
n’est pas un examen, c’est un partage d’expérience, suivi d’un échange, qui
permet de s’assurer que le candidat a bien assimilé la démarche globale,
notamment le design. Un moment inspirant!

LE MONDE FRANCOPHONE EN EFFERVESCENCE

Les formations se multiplient à grande vitesse en zone francophone ces


dernières années. Il est bien sûr impossible de les citer toutes. Nous
donnons ici quelques pistes qui permettront à chacun.e de rechercher ce qui
l’intéresse plus particulièrement. La liste suivante n’a donc rien d’exhaustif.

BERNARD ALONSO continue de proposer des formations en France, en


Suisse, en Belgique, au Québec, en Nouvelle-Calédonie et à l’île de La
Réunion. www.universitetransition.org/

Dans L’École de la permaculture, un documentaire sorti en France en


septembre 2016, plusieurs formateurs présentent leur vision de la
permaculture. http://ecole-permaculture.fr

En Belgique, plusieurs initiatives se développent pour proposer des


formations, par exemple:

FABIENNE DELCORPS a créé une «ferme didactique en permaculture» et


propose des formations longues. http://cense-equi-voc.org/.

KALI DE KEYSER, ingénieure agronome, propose des CDP. Contact:


kali@swing.be.
LES JARDINS DES FRATERNITÉS OUVRIÈRES offrent des cours de jardinage bio
qui appliquent les principes de la permaculture. Ces cours sont également
disponibles en ligne. http://blog.toutallantvert.com/2015/03/09/cours-de-
jardinage-bio-en-permaculture-en-ligne-fraternites-ouvrieres-de-mouscron/.

En Suisse, le portail suisse roman de la permaculture fait le lien entre les


personnes intéressées et oriente vers des formations. www.permaculture.ch.

Au Québec, la proximité avec les États-Unis, qui regorgent depuis


longtemps d’excellents professeurs, explique peut-être le fait que peu de
professeurs accrédités y enseignent en français. Bernard Alonso a créé les
premiers CDP en français en 1993 avec GRÉGOIRE LAMOUREUX, un
francophone expatrié en Colombie-Britannique. GRAHAM CALDER,

anglophone bilingue, fondateur de P3 PERMACULTURE, donne également des


formations au Québec et ailleurs dans le monde. www.p3permaculture.ca/.

DES FORMATIONS EN LIGNE

Il existe aussi des cours en ligne. Plus rapides, plus économiques, mais bien
sûr sans la dimension humaine si précieuse. Le MOOC53 des Colibris
«Concevoir une oasis» (gratuit) a connu un succès étonnant début 2016
avec une équipe d’une dizaine de professeurs et plus de 27 000 inscrits! Des
rencontres régionales ont suivi.
Depuis 2016, Bernard Alonso donne des formations en ligne sur le
design (certaines gratuites, d’autres payantes) avec quelques associés, tous
engagés dans le mouvement de la permaculture.
www.universitetransition.org/
Principe de permaculture n° 9
Préférer des solutions
modestes et lentes
Notes

1. Permaculture 1. Une agriculture pérenne pour l’autosuffisance et les exploitations de toute taille
et Permaculture 2. Aménagements pratiques à la campagne et en ville ont été traduits en français
chez Charles Corlet, coll. «Équilibres» (2006 et 2011).

2. Ce dernier est traduit en 2013 par Passerelle Éco sous le titre Introduction à la permaculture,
préfacé par Claude et Lydia Bourguignon.
3. Livre traduit en français en 2014 sous le titre Permaculture. Principes et pistes d’action pour un
mode de vie soutenable, Paris, Rue de l’Échiquier.

4. Edward Teddy Goldsmith, Le tao de l’écologie. Une vision écologique du monde, Monaco, Le
Rocher, 2002.
5. Pape François, Lettre encyclique Laudato si’ sur la sauvegarde de la maison commune, Rome,
Libreria Editrice Vaticana, 2015,
http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/encyclicals/documents/papa-
francesco_20150524_enciclica-laudato-si.html.

6. http://biomimicry.net. Pour la version française, voir Institut Biomimicry Europa,


www.biomimicry.eu.
7. Rita Levi-Montalcini, L’atout gagnant. À un âge avancé, notre cerveau garde des capacités
exceptionnelles que chacun peut utiliser, Paris, Robert Laffont, 1999.
8. Jill Bolte Taylor, Voyage au-delà de mon cerveau. Une neurobiologiste victime d’un accident
cérébral raconte ses incroyables découvertes, Paris, JC Lattès, 2008.
9. «Les Inuits», L’encyclopédie polaire,
www.jeanlouisetienne.com/poleairship/encyclo_histoire_05.htm.

10. Rob Hopkins, Manuel de transition. De la dépendance au pétrole à la résilience locale,


Montréal, Écosociété, 2010.
11. Rob Hopkins, op. cit., p. 166.

12. Vincent E. A. Post et al., «Offshore Fresh Groundwater Reserves as a Global Phenomenon»,
Nature, no 504, 5 décembre 2013, p. 71-78.
13. Les trois S en anglais: slow it, spread it, sink it.

14. «Eau et forêt, une association naturelle», Office national des forêts [France],
www.onf.fr/gestion_durable/++oid++91e/@@display_advise.html.
15. Francis Hallé, Plaidoyer pour la forêt tropicale, Arles, Actes Sud, 2014.

16. Paul Falkowski et al., «The Global Carbon Cycle: A Test of Our Knowledge of Earth as a
System», Science, vol. 290, no 5490, 13 octobre 2000.
17. Aymeric Lazarin, Mon potager de vivaces. 60 légumes perpétuels à découvrir, Mens, Terre
vivante, 2016.

18. Laure Waridel, Acheter, c’est voter. Le cas du café, Montréal, Écosociété, 2005.
19. Jane Goodall, Nous sommes ce que nous mangeons, Arles, Actes Sud, 2008.

20. Voir Deni Ellis Béchard, Des bonobos et des hommes. Voyage au cœur du Congo, Montréal,
Écosociété, 2014.
21. Équiterre, «Kilométrage alimentaire», www.equiterre.org/fiche/kilometrage-alimentaire.

22. Association Kousmine en France, www.kousmine.fr.


23. Centre national de la recherche scientifique, «L’eau dans l’organisme»,
www.cnrs.fr/cw/dossiers/doseau/decouv/usages/eauOrga.html.

24. Un apport excessif de ces nutriments pourrait s’avérer nocif.


25. Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, Le droit à une alimentation
suffisante et le droit à l’eau, www.fao.org/docrep/007/y4683f/y4683f0d.htm.
26. Fonds mondial pour la nature, L’eau de boisson. Analyses comparées de l’eau du robinet et l’eau
en bouteille, 2011.
27. Joseph Jenkins, Le petit livre du fumain. Manuel de compostage de fumier humain, Montréal,
Écosociété, 2017.

28. Séminaire international Cultures du passé et nouvelles cultures pour affronter les défis du XXIe
siècle, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Cordoue,
décembre 2012, www.fao.org/news/story/fr/item/166370/icode/.
29. Ibid.
30. Rapport du rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation présenté à
l’Assemblée générale de l’ONU dans le cadre du Conseil des droits de l’homme, 20 décembre
2010.
31. Aymeric Lazarin, Mon potager de vivaces…, op. cit.
32. James Clive, Global Status of Commercialized Biotech/GM Crops: 2014, International Service
for the Acquisition of Agribiotech Applications (ISAAA), Brief no 49, 2014.
33. Voir notamment Jennifer Cockrall-King, La révolution de l’agriculture urbaine, Montréal,
Écosociété, 2016.
34. Terres en villes, www.terresenvilles.org.

35. «Agriculture urbaine: sondage auprès de la population de l’île de Montréal», Ville de Montréal,
http://donnees.ville.montreal.qc.ca/dataset/agriculture-urbaine-sondage.
36. Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), L’élevage dans le
monde en 2011. Contribution de l’élevage à la sécurité alimentaire, Rome, 2012,
www.fao.org/docrep/016/i2373f/i2373f.pdf.

37. Le CERNH est basé à l’hôpital de Lorient, en France.


38. La charte Bleu-Blanc-Cœur a été définie en 2000 par un collectif de scientifiques, d’agriculteurs,
d’agronomes, de médecins et de consommateurs. Elle garantit l’équilibre entre les omégas 3 et les
omégas 6. En 2014, quelque 5 000 éleveurs et producteurs et 750 produits bénéficient en France
du label Bleu-Blanc-Cœur, un label contrôlé par les autorités sanitaires. La filière s’est
développée ailleurs, notamment en Suisse (2001), au Québec (2008) et en Belgique (2014).

39. Voir la charte Bleu-Blanc-Cœur, www.bleu-blanc-coeur.org/.


40. Olivier de Schutter, Rapport intermédiaire du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation,
New York, Assemblée générale des Nations unies, 8 août 2012,
www.srfood.org/images/stories/pdf/officialreports/20121030_fish_fr.pdf.

41. Organisation des Nations pour l’agriculture et l’alimentation, La situation mondiale des pêches et
de l’aquaculture (SOFIA), 2014, www.fao.org/fishery/sofia/fr.
42. Voir le film documentaire de Mathilde Jounot, Océans, la voix des invisibles, Portfolio
Production, 2016.

43. Alain Le Sann, «Qui veut des millions? Les pêcheurs entre les mains des fondations, des lobbies
environnementalistes et des fonds d’investissements», Bulletin Pêche et développement no 129,
Centre de réflexion, d’information et de solidarité avec les peuples d’Afrique, d’Asie et
d’Amérique latine, 1er juin 2016.
44. Marine Stewardship Council, www.msc.org.

45. Blue Fish, Association européenne pour la promotion de la pêche durable et responsable,
www.bluefisheurope.org/fr.
46. «Les algues», Biocontact, n° 210, février 2011, http://biocontact.fr/magazines-numeriques-au-
format-pdf/19-b.html.
47. TecKnowMetrix, État de l’art. Projet Algasud, juillet 2009,
www.algasud.fr/getlibrarypublicfile.php/100/algasud/collection_library/200900074/0001/Livrabl
eDraft_AlgaSud_300709.pdf.
48. Entretien avec Cécile Guiochon.
50. Bruno Parmentier, Faim zéro. En finir avec la faim dans le monde, Paris, La Découverte, 2014.
51. Voir http://cepdarmandie.com/.
52. Deux liens sur l’histoire de la permaculture en France: Passerelle Éco,
www.passerelleco.info/auteur.php?id_auteur=11261 et Le paysage comestible,
http://lepaysagecomestible.com/andy-et-jessie-darlington.
53. Pour Massive Open Online Course: «cours ouvert en ligne et massif».
Faites circuler nos livres.
Discutez-en avec d’autres personnes.

Si vous avez des commentaires, faites-les-nous parvenir ; nous les


communiquerons avec plaisir aux auteur.e.s et à notre comité éditorial.

LES ÉDITIONS ÉCOSOCIÉTÉ


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