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L’homme entre nature et culture

Introduction
Pourquoi dire de l’homme qu’il est un « être de culture » ? Cela provient d’un premier constat : tous
les groupes humains possèdent des modes de vie différenciés, qui se transmettent par tradition et sont
sujets à évolution.
Tout homme possède une histoire, une langue propre, une religion, et produit ou apprécie des œuvres
techniques et artistiques d’une façon déterminée. Le signe de la culture, c’est la différence des
manières de faire dans le temps et l’espace (se nourrir, se loger, parler, etc.)
Deux choses frappent par leur contraste : 1/la parenté biologique de tous les êtres humains (ils ont les
mêmes besoins, le même métabolisme, les mêmes organes, et les mêmes capacités reproductives qui
définissent l’humanité comme espèce) qui définit l’idée de nature et 2/ la grande diversité des façons
de vivre, de croyances, d’organisation sociale, qui définissent l’idée de culture.
Cette diversité de cultures est à l’origine de bien des incompréhensions entre les hommes  : il est
difficile d’aller contre les habitudes qui ont formé mon goût et mes dispositions. Ex : J’ai beau faire un
effort pour trouver succulent une larve de palmier et pour imaginer que d’autres trouvent plaisir à s’en
nourrir, je ne peux me forcer à l’apprécier.
En l’homme, dispositions naturelles et pratiques culturelles semblent se compléter, de sorte que ce qui
est naturel pour l’homme, c’est de vivre selon les usages d’une culture. Nous n’appartenons pas
seulement au genre humain, mais à une culture. La culture exerce une pression sur chacun de ses
membres : nous dépendons d’elle dans la construction de notre personne, de nos goûts, de nos
croyances.
Problématique
Dire que l’homme est un être de culture pose 3 types de problèmes :
1/ Doit-on concevoir la culture comme un développement de notre nature au sens de dispositions
naturelles comme l’intelligence, le sens de la justice, etc ou bien comme une modification de la
nature ?
Autrement dit, faut-il opposer nature et culture, ou bien se complète-t-elle l’une l’autre ? Ex : la
violence est-elle un fait de nature ou de culture ? L’homme est-il naturellement bon ou méchant ?
2/ Si tout est culturel en dehors des normes biologiques, cela signifie-t-il que toutes les cultures sont
relatives ? N’existe-t-il aucune norme universelle ? Peut-on parler de nature humaine si tout est relatif
et variable ? Quel accord peut-on trouver sur des questions fondamentales comme la justice l’égalité
des droits politiques s’il n’existe aucune sentiment commun entre les différents groupes humains ?
Est-il possible de juger une cultures et à l’aide de quels critères ?
3/Le rapport entre culture et liberté. La dépendance de l’individu à l’égard des codes dans lesquels il a
été élevé peut-elle être vaincue ?

I/ La culture, réalisation d’une nature.


1/ L’idée de nature
Notre nature, c’est l’ensemble de nos dispositions et facultés ; ce que nous pouvons faire, et qui
comprend une dose de liberté et de choix. Cette nature s’éduque, ce qui est le signe d’une adaptabilité.
Ex : l’homme possède par nature une aptitude au langage mais il acquiert par la culture la maîtrise
d’une langue en particulier.

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Sans culture, la nature humaine peut-elle se réaliser ?
Cf le cas de « l’enfant sauvage », Victor de l’Aveyron.
Retrouvé à l’âge de 8 ans, les caractéristiques principales de l’homme ne s’étaient, faute de contact
avec une culture humaine, pas développées => incapacité à la station debout, absence de langage
articulé, développement différent des sens, etc.
2/ Le rôle des habitudes et la réalisation de la nature humaine
Aristote insiste sur le rôle des habitudes (des coutumes) dans le développement de la nature humaine.
Il dit que ce qui fait la force de l’habitude, c’est la répétition ; ces actes répétés finissent par former
une continuité dans l’individu. Nous avons donc une responsabilité dans les choix successifs que nous
avons pris. Nous sommes responsables de ce que nous devenons à travers nos habitudes.
Mais chaque habitude prise limite un peu plus notre liberté ; si on entend par liberté le choix entre
différents possibles : Aristote prend l’exemple de l’intempérant qui au bout d’un certain temps, perd la
liberté de vivre de façon modérée. Chaque décision s’apparente au fait de « lâcher une pierre » sans
pouvoir la rattraper.
Ainsi l’homme n’est pas immédiatement tout ce qu’il peut être, ou doit être : il n’est pas parfait de
nature. « On ne naît pas homme, on le devient », écrit Aristote.
L’ambition morale d’une culture est de réaliser la nature de l’homme. Selon Aristote, l’homme est un
être « sociable et raisonnable ». IL est donc aisé de dégager un critère pour déterminer la valeur d’une
culture selon Aristote : c’est celle qui permet à ses membres de réaliser leur nature d’homme, en
respectant la hiérarchie naturelle de leurs facultés. La culture doit permettre l’épanouissement de la
nature, c’est-à-dire de la raison et de la sociabilité.

II/ Le propre de l’homme est de pouvoir revêtir toute nature.


1/ Qui est le barbare ? Ethnocentrisme et relativisme culturel.
L’une des sources de la réflexion sur les différences entre les cultures provient de la découvert des
Amériques et de leur population.
Cf Texte de Montaigne :
« Darius demandait à quelques Grecs pour combien ils voudraient prendre les coutumes des Indes, de
manger leurs pères trépassés (car c’était leur forme, estimant de leur pouvoir donner plus favorable
sépulture que dans eux-mêmes), ils lui répondirent que pour rien au monde ils ne le feraient  ; mais,
s’étant aussi essayé de persuader aux Indiens de laisser leurs façon et prendre celle de la Grèce, qui
était de brûler les corps de leurs pères, il leur fit encore plus d’horreur. Chacun en fait ainsi, d’autant
que l’usage nous dérobe le vrai visage des choses. Rien n’est si grand ni si admirable au premier abord
que peu à peu on ne le regarde avec moins d’étonnement » (Montaigne, Essais, I, XXIII)
Le texte porte sur l’incompréhension entre les Grecs et les Indiens anthropophages sur les rites
funéraires : crémation ou rite cannibale. Il veut d’abord illustrer la relativité des normes culturelles.
Pourtant, si on ajoute l’inhumation, on peut comprendre symboliquement chacune de ces pratiques.
 Le feu fait retourner au divin
 Etre inhumé nous ramène à la terre ou à la poussière dont nous sommes nés
 Qu’une partie de nous soit ingérée par nos descendants nous fait retourner à la communauté,
qui porte chacun de ses membres passés et à venir en elle-même.
Il y a donc autant de raisons défendre chaque pratique que de la trouver répugnante, et donc aucune
raison de préférer l’une à l’autre car elles remplissent toutes la même fonction. Ce qui serait barbare,
c’est l’absence de cérémonie, et non le rite des cannibales.
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Nous devrions pouvoir nous dire rationnellement que ce qu’éprouvent les cannibales lors de
funérailles est tout à fait similaire à ce que nous éprouvons, car la différence n’est que de forme.
Pouvons-nous nous identifier à la douleur des cannibales ?
« L’usage nous dérobe le vrai visage des choses » : ce vrai visage, c’est la douleur du deuil.
Serions-nous capables de faire abstraction de la différence de pratiques ?
« Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ; nous n’avons d’autre mire de la vérité et de
la raison que l’exemple et l’idée des opinions et usages des pays où nous sommes  » (Montaigne,
Essais, XXXI, « Des Cannibales »)
La culture façonne nos manières de penser et de sentir, et fait écran entre nos sentiments naturels et
nous.
2/ Le costume et la coutume : Pascal
Le propre de la culture est de se faire passer, via le sentiment, comme ce qui est naturel. L’illusion est
donc inscrite au cœur de la culture. Toute culture est un ensemble de signes qui sont décodés par
chacun, mais qui restent opaques ou ambigus pour les représentants d’une autre culture. Par exemple,
on n’identifiera pas forcément la hiérarchie au sein d’un groupe culturel différent du nôtre, alors qu’il
est facile par la simple observation psychologique de déterminer les rapports de domination dans notre
groupe de référence.
Tous nos gestes, toutes nos attitudes consistent en façons qui forment autant de signes envoyés,
intentionnellement ou non, aux autres qui sont nos témoins permanents. Cet ensemble de signes
s’objectivent dans le costume dans lequel nous nous présentons à la société : avec ce costume, c’est
tout un rôle que nous endossons et que nous portons au milieu de la scène sociale. Le modèle de la vie
humaine est donc celui du théâtre dans cette perspective.
Cette comédie des apparences est souvent dénoncée => exemple de Diogène le Cynique, qui équipé en
plein jour d’une lanterne, déambulait dans les rues d’Athènes en proclamant « je cherche un homme »
- c’est-à-dire un homme authentique, sans costume social. Puisque toutes les coutumes sont relatives,
autant n’en adopter aucune et revenir à la nature.
« Certains racontent que, sur le point de mourir, il (Diogène) ordonna qu’on le jette au-dehors, sans
sépulture, livré en proie aux bêtes sauvages, ou bien qu’on le culbute dans quelque fosse en le
recouvrant d’un peu de poussière » (Les cyniques grecs) => Le refus de tout rite signifie ici, pour
Diogène, le retour de l’homme au monde sauvage d’où il n’aurait jamais dû sortir.
Pourtant cette attitude, largement antisociale, est largement illusoire car elle suppose une «  nature »
dont on ne fait jamais l’expérience. Nous sommes, dès la naissance, dans la culture. => Pascal dit que
l’homme est toujours déjà un être dénaturé, un être contradictoire, « mi-ange, mi-bête ».

CCL : Eduquer, est-ce révéler les tendances naturelles de l’homme comme le pense Aristote, ou bien
est-ce inventer, instituer comme le pensent Montaigne et Pascal ?

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