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QU’EST-CE QUE L’HOMME ?

(Notions : nature/culture)

I La conscience constitue-t-elle l’originalité de l’homme ?

1° La conscience immédiate et la conscience réfléchie

Le terme de conscience a un sens plus ou moins étendu et cela n’est pas sans provoquer des
confusions ou des difficultés de compréhension lorsqu’on l’évoque. Si on se réfère à son étymologie,
conscience signifie « cum scientia » c’est-à-dire « accompagné de savoir ». Dans la conversation
courante, lorsque nous disons par exemple que nous avons conscience d’un problème, cela signifie que
nous savons que ce problème se pose, que nous en connaissons la nature. La conscience renvoie donc à
un savoir. Il nous faut donc réfléchir sur la nature exacte de ce savoir. En effet une simple observation
de notre vie intérieure, ce qu’on appelle une introspection, nous conduit à distinguer des degrés
différents de conscience. Il est clair que l’intensité de notre conscience n’est pas la même lorsque
nous sommes concentrés, lorsque nous rêvassons, lorsque nous accomplissons un geste mécanique
comme pédaler, geste auquel nous ne prêtons plus aucune attention.

→ La conscience immédiate nous distingue en quelque sorte d’une pierre : sans vraiment y
réfléchir, je suis présent au monde, je sais que telle ou telle réalité m’entoure. Nous la partageons avec
les animaux, êtres sensibles, qui sont capables d'appréhender le monde avec leurs corps (leurs sens). Je
vois, je ressens le monde qui m'entoure, et j'interagis avec lui. C'est le premier niveau de conscience.

→ La conscience réfléchie nous distingue des animaux : lorsque je prête attention à une
idée, un sentiment, une intention etc., je prends du recul par rapport à moi-même, à ma propre
vie intérieure, je me vois en quelque sorte en train d’examiner cette idée, ce sentiment, cette
intention. Je ne me contente pas d’être présent au monde, je m’en rends compte, je sais que je le
sais. Il s’agit alors de la conscience réfléchie. Cette dernière définit la conscience par excellence.
Etre conscient ce n’est pas seulement savoir qu’on est présent au monde, c’est savoir qu’on le
sait. et conduit à distinguer un contenu de conscience, un « objet » (idée, sentiment, intention, etc.) et
un « sujet », c’est-à-dire un être qui sait qu’il réfléchit sur cet « objet » de conscience. La conscience
réfléchie entraîne qu’intérieurement nous sommes doubles, c’est-à-dire sujet et objet. Nous sommes
en quelque sorte spectateur de nous-mêmes ; nous nous percevons en train d’avoir une idée, un
sentiment, une intention… Ce savoir sur nous-mêmes, cette perception de nous-mêmes remettent en
cause l’innocence première, l’absence de savoir, autrement dit ce qui nous caractérise lorsque nous
faisons corps avec nous-mêmes, lorsque nous n’avons pas ce type de recul. Cette perte d’innocence
amène Sartre à proclamer que « toute conscience est comédie ». Parce que nous sommes conscients,
nous sommes condamnés à être en REPRÉSENTATION (cf Boris Cyrulnik), à choisir une certaine image
de nous-mêmes, à l’incarner en quelque sorte. Notre personne, c’est-à-dire cet être capable de dire « Je
» devient par la force des choses un personnage de composition comme l’est un comédien.
=>Ce niveau de conscience n'est atteint que vers 2 ans. (cf. Expérience du miroir, l'apprentissage du
« Je » vidéo Boris Cyrulnik)

C’est cela la conscience : ce n’est pas seulement savoir, c’est savoir qu’on sait.

=> Ainsi, la conscience ou ce qu’on appelle encore la SUBJECTIVITÉ, consistent dans cette
capacité à accéder au SENS. Or, cette capacité, dans sa nature intime, échappe à ce jour à notre
compréhension. Le neurobiologiste peut toujours lui associer telles ou telles structures cérébrales
précises sans pour autant rendre compte de l’aspect qualitatif de ce vécu, de cet accès au sens. La nature
intime de la conscience demeure bien à ce jour un mystère métaphysique. (étymologie : méta =au-delà et
de phusis= la nature)

II L’homme est un être culturel :

1° Les relations entre la nature et la culture


Qu’entendre par nature et culture ?

La nature renvoie à l’ensemble des réalités qui n’ont pas été créées par l’homme, que ce soit le
monde de la matière inerte, les êtres vivants et donc les caractéristiques héréditaires de notre corps. A
l’opposé, la culture est l’ensemble des réalités matérielles et spirituelles créées par l’homme. La culture
devient donc synonyme de la civilisation et non, comme on l’entend fréquemment, l’étendue plus ou
moins importante de nos connaissances.
De ce point de vue, tous les aspects de la vie humaine se rattachent à la culture, que ce soit nos
habitudes alimentaires, vestimentaires, le type d’habitat, nos techniques, nos traditions profanes ou
religieuses, nos croyances, les modes d’organisation des sociétés, l’ensemble de nos savoirs, nos œuvres
d’art, nos langues de communication…etc. A ce titre, il n’y a pas d’homme sans culture. Tout homme
possède peu ou prou des savoirs et des pratiques dans les différents domaines évoqués.

L’intelligence comme capacité d’apprentissage

Ce qui est vrai pour des espèces dont le système nerveux est rudimentaire peut-il s’appliquer à
l’ensemble des espèces animales, notamment les animaux domestiques qui nous entourent, car ces
derniers sont capables d’apprentissage. Si on considère que l’intelligence se définit par la capacité
d’apprentissage, alors ces animaux possèdent une forme d’intelligence, celle de s'adapter à leur
milieu. Cependant, il est également incontestable qu’ils adoptent des comportements identiques à tous les
membres de leur espèce, comportements qui ne résultent pas d’un apprentissage. A côté de
l’intelligence, ils se voient donc pourvus d’instincts.
En somme, au fur et à mesure du développement du système nerveux la part d’intelligence et
donc la capacité d’apprentissage croissent et la part d’instincts ou de comportements innés et
rigides décroît, dans la mesure où ces derniers deviennent moins indispensables à l’adaptation à
leur environnement et à leur survie. Il y a donc là une logique de l’évolution, qui vraisemblablement
sous la pression de la sélection naturelle, ne conserve dans l’organisation des êtres vivants que les
caractéristiques utiles à cette survie.
Or, si l’on poursuit dans cette logique, on comprend que l’homme, dont le cerveau est capable de
tout apprendre soit dépourvu d’instincts. Ces derniers, s’ils existaient, loin de le favoriser, deviendraient
de par leur rigidité et leur caractère stéréotypé, des obstacles à son progrès. Il semblerait que l’homme
moderne, l’homo sapiens sapiens, ne possède qu’un seul instinct,- et encore cela est-il sujet à discussion chez
les anthropologues, c’est-à-dire les spécialistes étudiant l’homme- à savoir celui de succion. En effet, un enfant,
dès la naissance, doit être capable de téter sa mère, de se nourrir sans passer par le préalable d’un
apprentissage en la matière.

Il faut distinguer instincts et besoins :


Mais alors qu’en est-il des instincts que l’opinion commune attribue à l’homme ? Peut-on contester l’existence d’un
instinct maternel ou sexuel par exemple ? Il convient, afin d’éclairer ce débat, de bien distinguer les notions de besoin
et d’instinct. L’homme, au même titre que l’araignée, possède des besoins, par exemple le besoin de se nourrir. Ce
besoin se traduit par un certain nombre de sensations d’ordre physiologique.
En revanche, l’instinct renvoie non à l’existence même du besoin, mais à la manière de satisfaire ce besoin,
aux moyens utilisés à cet effet. L’araignée tisse une toile afin de capturer ses proies. Toutes les araignées de la
même espèce font de même, en réalisant exactement la même toile, sans jamais l’avoir appris et sans que cette «
technique » naturelle soit perfectible grâce à un apprentissage. Si l’homme possédait un instinct en vue de se
nourrir, cela signifierait que tous les hommes, de toutes les époques, de tous les milieux, utiliseraient des techniques
naturelles identiques, non apprises par conséquent et non susceptibles de progresser.
L’absurdité d’une telle hypothèse apparaît alors clairement. Par rapport au besoin de se nourrir, la diversité des
moyens pour y parvenir, que ce soit dans les techniques utilisées ou bien dans le choix même de la nourriture, est
évidente. Il en va de même concernant la satisfaction du besoin sexuel où l’imagination de l’homme est fort riche.
C’est encore vrai à propos du prétendu instinct maternel, puisque là encore les manières de procéder en matière
d’éducation sont aussi variées que ne le sont les civilisations humaines (voir Annexes).

L’homme ne devient homme qu’au contact des hommes : (Vendredi ou les limbes du
Pacifique)

S’il est vrai que l’homme se voit dépourvu d’instinct, cela signifie que tous ses comportements,
c’est-à-dire toutes ses manières de procéder afin de satisfaire ses besoins relèvent d’un apprentissage et
n’ont aucun caractère naturel ou inné. En ce sens l’homme a besoin d’être en contact avec d’autres
hommes pour se comporter d’une manière bien définie, correspondant aux caractéristiques de la société
au sein de laquelle il se trouve.
Il y a là une différence essentielle avec le monde animal. Un chaton élevé et nourri par une
chienne par exemple adoptera néanmoins des comportements propres à son espèce. En revanche des
enfants abandonnés à la naissance ne deviendront pas spontanément des hommes, car il n’y a pas de
comportements héréditaires attachés à l’espèce humaine. Ils ne disposeraient pas d’un langage naturel et
donc ne pourraient pas développer leur pensée potentielle puisque ce développement est
indissociablement lié à celui de l’outil pour l’exprimer, à savoir une langue bien définie.
Le cas célèbre des « enfants sauvages », ou « enfants-loups » c’est-à-dire d’enfants recueillis dès la
naissance par des louves, illustre parfaitement le propos. Ces enfants, qui possèdent les capacités
d’apprentissage propres à l’espèce humaine, vont tenter d’imiter les loups, en se déplaçant à quatre pattes,
en imitant leurs cris etc. Mais, après avoir été repris en charge par les hommes, vers l’âge de six ans, ils ne
retrouveront jamais les capacités humaines. En effet, l’homme est en quelque sorte un prématuré
naturel. (C’est ce qu’on appelle le phénomène de « néoténie ») A la naissance, il possède la totalité de ses
neurones mais encore peu de connexions neuroniques. Ces dernières se mettront en place pour l’essentiel
lors des deux premières années. Cela suppose l’intervention parallèle d’un enzyme qui permet la mise en
place de la myéline, cette substance grise qui assure les liaisons neuroniques. Or, cet enzyme n’est actif que
lors des deux premières années. Autrement dit, si cette période n’a pas été mise à profit afin d’achever
pour l’essentiel la construction cérébrale, il est ensuite trop tard. L’homme ne devient homme qu’au
contact des hommes.
C'est ce qu'ont montré très récemment les études menées par Boris Cyrulnik 1 notamment
lors de son voyage dans les orphelinats de Roumanie : sans AUTRUI, sans d'autres hommes (c'est à
dire sans culture) l'enfant ne peut avoir une croissance biologique saine telle qu'elle aurait dû se
faire dans un environnement social stable. Ainsi, l'absence d'un environnement de sécurité affectif
suffisant conduit à des dysfonctionnements physiologiques, et empêche le développement biologique sain
de l'enfant (néoténie). Nous ne pouvons nous développer d'un point de vue biologique sainement que si
nous avons eu un cadre affectif stable. Dans le cas contraire (situations compliquées des parents :
angoisses, peurs liées notamment à l'environnement social : chômage, précarité, guerre, etc...) nous
voyons apparaître des vulnérabilités acquises qui peuvent ensuite se révéler à travers des comportements
de type violent par exemple, envers soi (scarifications, etc) ou envers les autres (terrorisme, délinquances).
Le débat à propos des influences de l’hérédité et du milieu dans le comportement humain est
sensible car trop souvent pollué par des considérations idéologiques ou des préjugés, sans compter les
conclusions scientifiques encore incertaines. L’origine de l’intelligence, du caractère, de la maladie
mentale constitue les trois grands problèmes concernés par ce débat.
L’opinion commune se fonde sur la ressemblance entre les générations pour accorder une
importance décisive à l’hérédité. Ce critère de ressemblance présente le mérite – mais un mérite
fallacieux- de l’évidence. Les chercheurs ne sont pas à l’abri de ce genre de préjugés. Aujourd’hui, il
semble qu’un consensus scientifique se dégage prenant en compte les deux facteurs en cause, à savoir
l’hérédité et le milieu en soulignant leurs relations indissociables et inextricables.
Ainsi, Lucien Malson, dans « les enfants sauvages » (voir corpus) explique : « A la vie close,
dominée et réglée par une « nature donnée », se substitue ici l’existence ouverte, créatrice et ordonnatrice
d’une « nature acquise ». […] La taille, le poids de l’enfant, par exemple, sont sous la dépendance de
potentialités héréditaires, mais aussi de conditions d’existence plus ou moins favorables qu’offrent le
niveau et le mode de civilisation. Que la nourriture, la lumière, la chaleur – mais aussi l’affection –
viennent à manquer et le schéma idéal de développement se trouve gravement perturbé. […] La vie
biologique a des conditions physiques extérieures qui l’autorisent à être et à se manifester, la vie
psychologique de l’homme des conditions sociales qui lui permettent de surgir et de se perpétuer. […] Dans
le domaine psychologique les difficultés d’un clivage rigoureux entre le naturel et le culturel deviennent
de pures et simples impossibilités. »
=> Boris Cyrulnik reprend également l'hypothèse du « frayage » de Freud qui montre que notre cerveau se
construit par la répétition d'informations issues notre milieu. Ainsi notre cerveau se câble en fonction de
nos expériences.

1 Lire : les nourritures affectives et/ou voir sur youtube : « Le récit de soi » ou « la biologie de l'attachement »
conférence à l'université de médecine de Nantes et de Lyon.
Ces analyses ne doivent pas conduire à minimiser à l’extrême le rôle de l’hérédité. Il est vrai que la
science actuelle n’a décelé aucun gène du caractère par exemple, si on entend par caractère la manière
habituelle et spontanée de se comporter. Pourtant les cas de ressemblances troublantes de comportements
entre lointains aïeux et enfants n’étant jamais entrés en contact n’est pas rare. De même est-il difficile de
refuser que les inégalités corporelles, patentes dans tous les domaines et concernant tous les organes,
s’arrêtent par miracle au cerveau. Comment expliquer par exemple le génie précoce de Mozart
uniquement par les effets de l’éducation ? A l’inverse, il va de soi que si Mozart n’avait pas évolué au sein
d’un milieu privilégié notamment sur le plan musical, jamais son talent naturel ne se serait exprimé.
D’ailleurs, si les études scientifiques établissent une proximité incontestable des comportements de
jumeaux vrais sur tous les plans, intellectuel et affectif, mettant ainsi en évidence le rôle du patrimoine
chromosomique, elles établissent tout autant la proximité d’enfants adoptés par rapport à leurs parents
adoptifs. Ce que l’hérédité peut faire, le milieu peut également le faire. Ces constats soulignent la
plasticité humaine et surtout le fait que l’hérédité et le milieu ont parties liées chez l’homme. Faute
de mieux, faute d’avoir pu déceler des origines génétiques précises, et même si cette idée reste pour partie
obscure, se développe le concept de « prédispositions » héréditaires qui appellent, pour pouvoir
s’épanouir, l’exploitation satisfaisante de l’éducation et donc du milieu. (video B. Cyrulnik)

C’est ce point de vue que François Jacob soutient, dans « Sexualité et diversité humaine » : « Si
l’organisme est le fruit d’une interaction du milieu et de l’hérédité, peut-on distinguer la part respective de ces deux
facteurs dans les performances intellectuelles ? Car l’interdépendance étroite des déterminants biologiques et des
déterminants sociaux est trop souvent sous-estimée, quand elle n’est pas purement et simplement niée pour des
raisons idéologiques ou politiques. » En somme, l’homme est un être où nature et culture se voient
intimement liées dans un tout original où il s’avère impossible de les repérer de manière distincte. (cf.
Mon cerveau a t -il un sexe?)

2° La notion de culture exclut-elle toute idée de nature humaine ?

Existe-t-il des prédispositions naturelles en matière de comportement chez l’homme ?


Si l’homme est dépourvu de comportements innés, si l’éducation et la culture jouent un rôle
déterminant dans la constitution de son humanité, il n’en reste pas moins vrai que la nature joue
également un rôle qu’on ne saurait ignorer. F. Jacob évoquait l’idée de prédispositions naturelles ou plus
précisément de « structures d’accueil » chez tout individu, structures d’accueil plus ou moins exploitées,
renforcées ou au contraire inhibées par l’action du milieu. Ce qui est vrai pour un individu particulier l’est
peut-être également pour l’espèce humaine. Cette dernière présente peut-être des prédispositions à
certains comportements qu’il appartient à l’éducation de favoriser ou au contraire de réprimer. Ces
prédispositions éventuelles, communes à tous les individus de l’espèce ne constitueraient pas une fatalité
mais ouvriraient seulement des possibilités offertes à la liberté humaine en vue de les épanouir ou de les
combattre.

Freud sera beaucoup plus radical et pessimiste à propos des prédispositions naturelles de
l’humanité. Pour lui, l’homme est traversé par deux pulsions, une pulsion de vie ou Eros qui le pousse à
vivre et à chercher des satisfactions et une pulsion de mort ou Thanatos qui le pousse à vouloir le mal pour
lui-même et les autres. Remarquons à cette occasion qu’une pulsion n’est pas un instinct. C’est une
force intérieure, indéterminée dans son objet précis et dans ses modalités d’action, et qui, de
manière aveugle et difficilement répressible conduit soit à l’affirmation de la vie, soit à sa
destruction. Ces pulsions sont considérées par Freud comme de nature biologique et non pas
générées par le milieu, ce que contesteront la plupart de ses disciples, excepté Mélanie Klein.
C’est ainsi que dans « Malaise dans la civilisation », Freud s’exprime ainsi à ce propos : […] « Cette
tendance à l’agression, que nous pouvons déceler en nous-mêmes et dont nous supposons à bon droit l’existence chez
autrui, constitue le facteur principal de perturbation dans nos rapports avec notre prochain ; c’est elle qui impose à la
civilisation tant d’efforts. [...] La civilisation doit tout mettre en œuvre pour limiter l’agressivité humaine et pour en
réduire les manifestations à l’aide de réactions psychiques d’ordre éthique. De là, cette mobilisation de méthodes
incitant les hommes à des identifications et à des relations d’amour inhibées quant au but ; de là cette restriction de
la vie sexuelle ; de là aussi cet idéal imposé d’aimer son prochain comme soi-même, idéal dont la justification
véritable est précisément que rien n’est plus contraire à la nature humaine primitive ». Nous construisons donc
une civilisation à partir des interdits moraux et sociaux. En effet, c'est par le biais de notre
frustration, que nous pouvons sublimer nos désirs refoulés par la création.

Comme on le voit, cette hypothèse se présente comme la description de prédispositions naturelles


et non comme des fatalités. La nature propose, le milieu dispose. L’humanité ne se réduit donc pas
à ces types de prédispositions. Elle est le fruit des interactions entre ces dernières et l’action du
milieu. L’originalité de la nature humaine est d’être dépourvue d’une nature imposée mais se
présente comme une manière d’être choisie par la civilisation.

L’idée de norme sur les plans biologique, sociologique, moral

Une norme est un modèle, un mode d’action auquel le sujet doit se conformer afin d’être en
accord avec des exigences soit biologiques, soit sociales, soit morales

→ Examinons en premier lieu la norme biologique. Il va de soi que tout être vivant est soumis à des
exigences naturelles, propres à son espèce, et qui lui permettent d’être adapté à son milieu et donc de
survivre. Si ces exigences ne sont pas remplies, on entre dans l’ordre du « pathologique ». Voilà ce
qu’affirme en la matière Canguilhem dans « Le normal et le pathologique » (1951) : « Nous ne pouvons pas
dire que le concept de «pathologique » soit le contradictoire logique du concept de « normal », car la vie à l’état
pathologique n’est pas absence de normes mais présence d’autres normes. En toute rigueur, « pathologique »
est le contraire vital de « sain » et non le contradictoire logique de normal…La maladie, l’état pathologique, ne
sont pas perte d’une norme mais allure de la vie réglée par des normes vitalement inférieures ou dépréciées…
Comme le dit Goldstein, (XX°siècle) les normes de vie pathologique sont celles qui obligent désormais
l’organisme à vivre dans un milieu « rétréci », différant qualitativement, dans sa structure, du milieu antérieur
de vie, et dans ce milieu rétréci exclusivement, par l’impossibilité où l’organisme se trouve d’affronter les
exigences de nouveaux milieux, sous forme de réactions ou d’entreprises dictées par des situations nouvelles.
Or, vivre pour un animal déjà, et à plus forte raison pour l’homme, ce n’est pas seulement végéter et se
conserver, c’est affronter des risques et en triompher ».

→ L’idée de norme au sein de la vie sociale concerne les comportements habituels, dominants, issus
d’influences souterraines comme les phénomènes de mode, ou bien encouragés et renforcés par
l’éducation du jour ou par le poids des traditions. Il s’agit donc d’une « norme » purement statistique.
Ceux qui s’en écartent sont considérés comme des originaux, voire si cet écart est important, des
marginaux. Les « normes » sociales relèvent davantage du jugement de fait que du jugement de valeur,
même si cette remarque reste ambiguë puisque les traditions sont censées incarner des valeurs
particulières à une civilisation donnée.

→ A vrai dire la notion de « norme » s’applique essentiellement aux comportements moraux. Par
exemple, la conception de l’homme selon Platon* définit une norme, un modèle, un paradigme qui
permettent à ce dernier d’être conforme à son essence, d’être véritablement « humain ». Ce sont des
valeurs qui sont en cause en l’occurrence. La norme sociale juge ce qui se fait ; la norme morale
juge de ce qui devrait se faire. Cette distinction entre les simples faits et les valeurs, entre ce qui se fait
et ce qui devrait se faire, se retrouve au niveau de l’idée de civilisation.

En premier lieu, la civilisation au sens large, renvoie à l’idée de culture. Nous savons qu’il n’y
a pas d’humanité sans culture, donc sans civilisation. En d’autres termes tout homme est civilisé. Le
sauvage, l’homme ayant vécu à l’écart de la culture depuis sa naissance, est une vue de l’esprit ou
bien décrit des cas exceptionnels témoignant que dans ces situations ces êtres ne parviennent pas à
développer leurs potentialités humaines.

Cependant nous utilisons le terme de civilisé dans un second sens et il ne s’agit plus, comme
dans le précédent usage d’un jugement de fait mais au contraire d’un jugement de valeur. La
civilisation est censée incarner un certain nombre de valeurs où le droit prime la force, où la personne
humaine est considérée comme la valeur suprême, où toute forme de violence se voit condamnée. Mais il
s’agit là des valeurs dominantes de l’Occident chrétien, pris comme étalon de la civilisation : dans
le film « Pocahontas » de Disney, et notamment la chanson « l'air du vent »** (oui oui j'assume et je
vous invite à le regarder!) nous voyons bien que la question du civilisé s'oppose à celui du
barbare/sauvage. Le barbare/sauvage ne sait pas lire ni écrire, il n'est pas alphabétisé par exemple.
On prend l'alphabétisation comme un critère de civilisation. Mais bien des civilisations ne
connaissaient pas l'écriture et la lecture et avaient développé des cultures orales très riches
(sociétés « traditionnelles »). Le sauvage a été dépeint comme celui qui répondrait à ses pulsions
sans passer par l'usage de sa raison. Le mot « civilisation » date de l'époque des grandes
découvertes et de la colonisation. Nous sommes allés « civiliser » les sauvages des autres continents
qui ne connaissaient ni l'écriture, ni les nouvelles techniques avancées comme le fusil ou le canon.
Le barbare étant celui qui est ignorant, et qui doit être « éclairé » des lumières occidentales
chrétiennes, que nous nous sommes empressés d'aller diffuser dans le monde entier en exploitant
terre et humains se trouvant sur notre chemin.

Aujourd'hui encore nous entendons ces termes dans les médias à chaque crime commis :
c'est barbare, inhumain, monstrueux, sauvage. Nous opposons l'humain à l'inhumain, en rejetant
l'inhumain des autres humains dignes de respect. Mais nous oublions que l'inhumain ne peut être
qu'un humain. Seul l'humain est capable de faire le mal volontairement. L'animal est répond
toujours à ses instincts, qui font de lui un être dépourvu de cruauté. La cruauté, l'inhumain est
donc proprement humain.

Toute la question est alors de savoir s’il y a un modèle d’humanité, bref s’il y a une nature
humaine permettant de juger les autres cultures à l’aune de ces valeurs là et donc de la nôtre. Est-il
objectif de juger que les cultures fondées sur la violence, le racisme, l’esclavage par exemple sont «
inhumaines » ou barbares ? Ces remarques nous ramènent au débat antérieur à propos de l’existence ou
non d’une nature humaine. Comme on le voit, ce jugement de valeur engage une certaine idée de l’homme
et ne relève pas d’une évidence neutre ou étrangère à toute idéologie.

D’ailleurs, à la question « Qu’est-ce que l’homme ? », ni la religion, ni la philosophie, ni la science


ne sont capables d’y apporter une réponse assurée. L’embryon n’est-il qu’un amas de cellules ou bien déjà
un être humain à part entière ? Quand commence l’humanité ? Doit-on prendre en compte que l’œuf
initial, dès la fécondation, contient les potentialités du futur être ? Ne s’agit-il pas en l’occurrence que des
potentialités biologiques, des « structures d’accueil » de ce dernier ? Si un homme est constitué par le
réseau de relations qu’il établit avec autrui, et les choix libres qu’il effectue, bref s’il est essentiellement un
être spirituel et moral, la réponse peut-elle être la même ? Tout ce débat nous renvoie donc aux
précédentes considérations. L’homme est vraiment un mystère pour lui-même.

*Pour Platon, l'homme (au sens humanité) est un être de raison, qui doit maîtriser ses pulsions.
Dans le cas contraire, il n'est pas digne d'être appelé homme.
** Regardez le film « Pocahontas » et écoutez attentivement la chanson de « l'air du vent » : qu'est
ce que Pocahontas veut dire à John Smith sur la nature ? La culture ? Le mot « sauvage » ?
Finalement, pourquoi le plus sauvage des deux serait John Smith et ses petits camarades ? Quel
rapport à la nature entretient J. Smith ? Pocahontas ? QU'est ce que l'animisme ?

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