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L’existence humaine et la culture

La Nature
Intro : Distinctions conceptuelles
Il existe quatre sens principaux au terme « nature », irréductibles les uns aux autres :

 La nature vue comme l'entièreté du monde physique, donc synonyme d'univers ou de


cosmos. La nature est l’ensemble ou la totalité des choses qui existent. Spinoza (la
« nature naturée ») elle s'oppose alors à l'irréel, au surnaturel.
 La nature vue comme la part du réel qui « est par elle-même », et subsiste sans
intervention d'une volonté ou d'une activité humaine, qui seront alors qualifiées
d'«artificielles» (c'est la définition utilisée dans l'idée de « grand partage » entre nature et
culture étudiée par Philippe Descola) ; elle s'oppose alors à la culture, l'artifice, l'intention et
la raison. « La nature » est alors ce qui ne subit pas la mise en forme d'une finalité
humaine technique. C'est dans cette optique qu'existent certains produits qualifiés de
« naturels » (ou biologiques), leur production n'ayant pas nécessité de produits « inventés »
par l'homme (par exemple un aliment sera dit « naturel » lorsqu'il ne contiendra aucun
adjuvant de synthèse).
 La nature vue comme la force spécifique qui fait advenir et changer le monde. La nature
est le principe de production des choses naturelles. Idée dynamique, qu'on retrouve
Spinoza (nature naturante), elle s'oppose alors à l'inertie, à l'entropie.
 La nature vue comme l'essence, le caractère inné, l'ensemble des propriétés
fondamentales d'une chose ou d'un être, cette dernière définition ayant un usage
grammatical distinct, fondé sur la locution « nature de » (la nature d'un alliage, d'un bois, du
beau, du juste, etc.). Cette définition aurait pour antonymes les idées de dénaturation ou de
transmutation.
Le mot nature a donc conservé des sens multiples (polysémie). Les
préoccupations environnementales actuelles montrent combien il importe d'identifier ces sens et
leurs finalités dans chaque contexte particulier : suivant la définition utilisée, le rapport de
l'Humanité à la « nature » n'est pas le même, et l'idée de « conservation de la nature » change
d'objet, d'objectifs et de méthodes.
Nous commencerons par envisager les rapports entre nature et culture chez l’être humain (sens
2) : comment penser l’articulation entre nature et culture au sein de l’identité humaine ?
Nous interrogerons ensuite la notion de « nature humaine » (sens 4) : l’être humain a-t-il une
essence ? Enfin nous nous pencherons sur les différentes cultures et sur la manière dont elles
permettent d’interroger les tendances ethnocentriques : existe-t-il des cultures naturellement
supérieures ?

1) Quel rapport établir entre nature et culture au sein de l’identité humaine ?

La distinction nature/culture (les sophistes distinguaient déjà ce qui est par nature, physis, et ce qui
est par convention, nomos) est constitutive de l’interrogation de l’homme sur lui-même et sur sa place
au sein de la nature. La difficulté est bien de penser comment s’articule nature et culture au sein de
l’identité humaine, en excluant d’emblée que l’homme soit un être entièrement naturel ou un être
entièrement séparé du reste de la nature. Que l’homme soit redevable de la logique du vivant et qu’il
se détache du monde de la vie en instituant une réalité bien à lui, fait signe vers l’ambigüité ou la
dualité de l’identité humaine, cette division interne peut aussi être rapportée au déchirement entre une
origine animale et une destination raisonnable.

1. La culture contre la nature.

Texte de Georges Bataille. L’homme est l’animal qui n’accepte pas simplement le donné naturel, mais
qui nie à la fois le donné naturel externe par son travail et sa technique, et le donné naturel interne en

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posant des interdits et en s’éduquant. La culture comprend à la fois l’ensemble des outils, techniques,
procédés matériels dont l’homme s’est doté en travaillant pour maîtriser les phénomènes naturels, et
l’ensemble des règles sociales, lois et interdits dont l’homme s’est doté pour civiliser son animalité.
Les normes culturelles sont autant d’exigences que l’homme s’adresse à lui-même pour surmonter sa
nature animale et sensible et rendre sa vie conforme à l’ordre de la raison. La culture s’institue contre
la nature, en s’opposant au donné naturel, elle est un ordre contrenature.

Le processus de la culture par lequel l’homme surmonte sa nature animale est l’éducation qui
concerne à la fois chaque individu (jusqu’à la Renaissance, l’éducation est pensée comme un procès
individuel qui concerne chacun et doit permettre d’acheminer de l’enfance vers l’âge adulte) et
l’humanité tout entière à travers l’histoire (à partir du XVIIIème siècle, l’éducation est pensée comme
un procès collectif et historique qui concerne l’humanité et son progrès à travers l’histoire). Dans ses
Réflexions sur l’éducation, (p.117 Manuel) Kant présente les 4 finalités de l’éducation : la discipline, la
culture, la civilisation et la moralisation. A chaque fois, il s’agit bien dans l’éducation de maîtriser et de
juguler une nature première sauvage, inculte, barbare et immorale afin d’accomplir notre humanité.
Les finalités de l’éducation visent les fins les plus hautes auxquelles l’humanité est destinée. Dans la
7ème proposition d’une Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, Kant écrit que
« nous sommes hautement cultivés par l’art et par la science. Nous sommes civilisés au point d’en
être accablés pour ce qui est de l’urbanité et des bienséances sociales de tous ordres. Mais il s’en
faut encore de beaucoup que nous puissions déjà nous tenir pour moralisés. »

2. La nature contre la culture.

L’opposition entre nature et culture peut se renverser de telle sorte que la nature représente une
norme ou référence positive permettant de dénoncer et de critiquer les imperfections de l’état de
culture qui, loin de signer l’accomplissement de notre humanité, accroît plutôt les inégalités et la
corruption, rendant l’homme à la fois malheureux et immoral. Les cyniques de l’antiquité dénonçaient
déjà l’hypocrisie et la le mensonge des artifices produits par la société. Jean Jacques Rousseau dans
le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1753), opère ce
mouvement qui consiste en une critique de la culture et des maux qu’elle engendre par le recours à
l’idée de nature, qui peut servir de norme pour penser une transformation des structures éducatives et
politiques de la société. L’état de nature n’a pas chez Rousseau le statut d’une réalité ayant préexisté
à l’état de société, c’est plutôt une construction théorique ayant valeur de fiction qui permet de
ressaisir par soustraction de ce qui nous contraint, le fond de liberté non assujetti de notre humanité.
Si le Second discours oppose le caractère pacifique et bon de l’homme sauvage à la soif de pouvoir
de l’homme civilisé, L’Emile (1762) envisagera une réforme de l’éducation qui mette au monde un
homme selon la nature ne connaissant pour règle que la nécessité de ses besoins, et Du contrat
social (1762), une réforme du droit politique qui garantisse la liberté qui appartient à la nature
humaine.

C’est donc bien au nom d’une pleine réalisation et d’un plein accomplissement des possibilités de
l’humanité que l’on fait jouer l’idée de nature comme d’une contreculture et nullement au nom d’un
retour à la vie animale.

3. Le dépassement de l’opposition nature/culture.

Il s’agit ici d’envisager l’articulation nature/culture non plus dans la perspective normative qui dit ce
que nous devons faire, les obligations qui nous échoient pour accomplir notre humanité – lutter contre
le donné naturel ou réformer les institutions culturelles défaillantes – mais dans une perspective
descriptive qui rende compte du fait que l’homme soit en partie redevable de la nature et de la culture
sans qu’il soit pour autant possible d’établir une frontière claire entre les deux.

La théorie de l’inachèvement naturel de l’homme :

 Platon, Protagoras, le « mythe de Prométhée ». p.286 Manuel

L’homme est le plus démuni des animaux, il est nu, sans instinct, sans protection, et c’est par le
détour de ses inventions techniques et de ses créations culturelles qu’il s’adapte à la vie. L’absence
de nature chez l’homme appelle un ersatz de nature, qu’est la culture sans laquelle l’homme ne
pourrait survivre.

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 Fichte, Fondement du droit naturel selon les principes de la doctrine de la science, 1796.

« Tous les animaux sont achevés et terminés, l’homme est seulement indiqué et esquissé. (…) La
nature a achevé toutes ses œuvres, pour l’homme uniquement elle ne mit pas la main et c’est
précisément ainsi qu’elle le confia à lui-même. La capacité d’être formé, comme telle, est le caractère
propre de l’humanité. »

La contrepartie de l’inachèvement naturel de l’homme est son éducabilité, sa capacité à être formé par
la société, sa capacité d’apprendre de manière illimitée tant au niveau individuel qu’à celui de
l’espèce.

 Lewis Bolk, théorie de la néoténie (1926).

L’être humain est un être prématuré dont les primates représentent la forme achevée, l’homme
présente un retard évolutif qui fait qu’il n’est pas fixé à la naissance mais a besoin d’une longue
maturation après la naissance, période de développement qui se déroule sous l’influence du social.
Cet inachèvement de l’homme est ce qui fait sa malléabilité ou plasticité, étant indéterminé, il est
ouvert aux influences de son environnement.

La dialogique nature/culture (Edgar Morin) :

« L’homme est un être culturel par nature parce qu’il est un être naturel par culture. »

La nature inachevée de l’homme appelle un prolongement culturel tandis que les développements de
la culture façonnent notre nature. On ne saurait rendre compte de la moindre conduite humaine par le
seul facteur biologique ou culturel, le biologique est d’emblée subverti par le culturel qui sélectionne,
interprète et active des structures d’accueil biologiques.

Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception (1945) :

Merleau-Ponty réfute l’idée de pouvoir séparer au sein du comportement humain ce qui relèverait de
la nature et ce qui relèverait de l’apprentissage social, même les conduites les plus spontanées
comme l’expression des émotions sont déjà traversées par des conventions culturelles, il n’est pas
non plus possible d’envisager les rapports entre nature et culture comme ceux de deux strates
superposées et en droit discernables. L’homme est à la fois totalement naturel et totalement culturel,
au sens où le moindre de ses comportements relève du biologique tout en étant subverti par la
culture. Ce qui définit l’homme par conséquent c’est son génie de l’équivoque ou de l’ambigüité par
lequel il échappe à toute classification et se dérobe à l’effort même de définition.

2) La nature humaine en question : l’homme a-t-il une essence ?


Sartre, L’existentialisme est un humanisme (1946) p.70-73 Manuel + fiche auteur
p.511 / Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, (1949) p.126-127 Manuel
L’axiome fondamental de l’existentialisme sartrien est « l’existence précède
l’essence » (héritage de Kierkegaard affirmant l’irréductibilité de l’existence au
concept et la nécessité de partir de l’existence telle qu’elle est vécue
subjectivement). Cette formule a pour intention de prendre le contre-pied explicite et
définitif du long héritage philosophique platonicien qui accorde au contraire une
préséance logico-ontologique à l’essence par rapport à l’existence.
La distinction essence/existence est capitale en philosophie (cf Aristote : l’essence
désigne ce qu’une chose est ; l’existence désigne le fait qu’une chose soit). Sartre
montre que l’essentialisme (affirmation du primat de l’essence sur l’existence) est
implicitement solidaire d’une vision technicienne et en dernier ressort
théologique du monde et de l’homme. La vision technicienne considère tout être
comme le résultat d’une production intentionnelle ; or il va de soi que rien ne pourrait

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être produit et ainsi parvenir à l’existence sans que le producteur dispose d’un savoir
préalable sur la chose à produire, sur son essence. L’essence précède donc
l’existence. Cette vision technicienne est pertinente tant qu’il s’agit de comprendre la
production par l’homme d’un objet quelconque (un coupe-papier par exemple). Mais
elle a été étendue à l’homme lui-même conçu alors comme le résultat d’un produire
divin. C’est ainsi que pour les philosophes du XVIIème siècle (Descartes, Leibniz),
l’essence de l’homme comme ensemble de déterminations fixes et immuables est le
concept de l’Homme présent dans l’entendement de Dieu et que celui-ci actualise
par sa volonté en conférant à l’homme l’existence effective. Il y aurait une nature
humaine abstraite, une essence universelle a priori de l’Homme, dont chaque
existence individuelle concrète et historiquement située ne serait qu’un échantillon
contingent. Les philosophes des Lumières pour avoir substitué la notion de nature (et
de nature humaine) à celle de Dieu, n’auraient accompli qu’un déplacement
sémantique.
Cet essentialisme a le tort de laisser impensée l’existence comme telle. La pensée
essentialiste est donc une pensée idéaliste et anhistorique : elle se réfère à une
abstraction d’homme n’ayant jamais existé.
C’est pourquoi Sartre procède à une inversion du rapport traditionnel entre essence
et existence. L’homme surgit dans le monde, existe de façon contingente, sans
raison, et ensuite seulement il acquiert un être déterminé : une essence. L’existence
est absolument première, elle se rencontre, elle est ce sur quoi l’on bute sans
pouvoir la déduire d’aucune essence préalable. L’existentialisme refuse de définir
l’homme de façon substantielle, il le définit plutôt par une indétermination radicale.
L’essence de l’homme est au futur, elle sera ce qu’il se sera lui-même fait être par la
série de ses actes tout au long de son existence. Cette indétermination foncière c’est
la liberté. La liberté n’est pas une propriété qui appartiendrait à une nature préfixée
de l’être humain, elle est le mode spécifique de l’existence de l’homme. (La liberté
est le thème unificateur des notions de subjectivité, de projet, d’acte et de
responsabilité).

3) Existe-t-il des cultures naturellement supérieures ?


a) La culture au sens anthropologique
C’est l’ensemble des manifestations culturelles spécifiques à un groupe humain, à une population
donnée dans l’espace et le temps. Tylor (britannique, fondateur de l’anthropologie comme science,
1832-1917) : « Le mot culture pris dans son sens ethnologique le plus étendu, désigne ce tout
complexe comprenant les sciences, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes et les
autres facultés et habitudes acquises par l’homme dans l’état social. » (1871). Au sens
anthropologique la culture désigne la diversité des systèmes de représentations et de valeurs propres
aux différents groupes humains et s’exprimant à travers leur langue, leurs mythes, leur religion, leurs
mœurs… Tandis que la culture par opposition à la nature oriente vers ce qui différencie l’homme par
rapport à l’animal, le sens anthropologique de la culture oriente vers ce qui différencie les peuples les
uns des autres.

b) Montaigne, « Des cannibales » p.124 Manuel, « chacun appelle barbarie


ce qui n’est pas de son usage » / Lévi-Strauss, Race et histoire p.120
Manuel, « l’ethnocentrisme ».

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c) Relativisme et universalisme p.111 Manuel

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