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Jules Lefevre Lundi 6 Décembre

Puis-je juger la culture à laquelle j’appartiens ? Quel est la légitimité d’un tel jugement car il semble
que je doive absolument tout ce qui me constitue, et donc mon libre arbitre comme mon esprit
critique, à la culture à laquelle j'appartiens ? Juger sa propre culture, c’est se juger soi-même, c’est-
à-dire émettre une opinion à propos de ce que nous sommes, et il paraît pourtant impossible d’être
à la fois juge et partie. Et en supposant qu’il existe un point de Sirius extra-culturel qui permette de
la juger, ce jugement sur notre culture et donc sur nous-même est-il même compréhensible et
assimilable ? Se pose alors le problème suivant :

Juger sa propre culture est-il possible et bénéfique à l’Homme ?

Ici, nous parlerons de la culture au sens du socle commun de valeurs, de normes, de croyances et de
pratiques d’une civilisation. Nous nous interrogerons sur la légitimité de l’homme pour juger sa
propre culture comme pour juger les autres, sur quels critères nous devons établir ce jugement et si
il est possible à l’homme de tirer substance de son jugement.

Qui connais mieux une chose que celui qui la vit ? À cela, on répond souvent « personne ».
Si il faut juger la culture à laquelle nous appartenons, nous serions alors les mieux placés pour cela.
Juger sa culture, c’est d’abord se juger soi-même. Alors comment nous juger au mieux, autrement
qu’en connaissant toutes les aspérités de nous-même. Il est extrêmement courant de mépriser un
jugement extérieur au prétexte que cet « autre » ne nous connaît pas autant que nous nous
connaissons, et cela s’applique à la culture. Ainsi, nous rejetons toute critique au prétexte que nous
sommes les maîtres et acteurs de cette culture et donc les seuls véritables juges de celle-ci. Avant de
la juger il faut tout de même la connaître un minima.
N’en déplaise aux multiculturalistes et universalistes, il existe plusieurs cultures, et chacune est
propre à sa civilisation. Charles de Gaulle le disait, « la France est un pays de race blanche, de
culture gréco-romaine et de religion chrétienne » ; voici donc les valeurs de notre société, de notre
culture, de notre civilisation. En reprenant dans l’ordre les mots du Général, ici nul besoin de juger
une race, le début est à la culture. Cette culture gréco-romaine, culture qui façonna toute la
civilisation occidentale comme nous la connaissons aujourd’hui, compta parmi ses rangs le
philosophe Socrate, qui écrivit ceci : « connais-toi toi-même ». Il appelait là à une reflexion sur
notre essence, sur la définition même de l’Homme, et cette connaissance de soi permettrai donc de
se juger. Se connaître permet de nous attribuer à nous-même une valeur et une opinion. Au delà de
se connaître soi-même, connaître l’autre peut également nous permettre de nous juger; la
comparaison amène le jugement.
En comparant les cultures selon la méthode instinctive, c'est à dire sur son avancement
technologique, technique et idéologique, il nous devient possible de hiérarchiser ces cultures, de
juger l’autre et donc de se juger soi-même. Lorsqu’il arriva en Égypte, Napoléon tout comme ses
hommes fut frappé d’une chose, chose que l’Empereur à en devenir fit objet de tout une lettre à son
épouse, Joséphine de Beauharnais. Cette lettre traduisait un étonnement certain, il écrivit ceci : « ils
n’ont même pas de moulins » en parlant des égyptiens qu’il avait rencontré. Napoléon et les soldats
qui l’avait suivi était trop habitué au pain pour s’en passer et enseignèrent aux Égyptiens l’art de
dompter les rivières et de faire du pain. En s’ouvrant à de nouvelles cultures, nous pouvons
constater les différences entre celles-ci et la nôtre, ce qui nous offre alors les outils pour émettre une
opinion et juger notre propre culture. Mais la découverte de nouvelles cultures est-elle réellement
un pas vers l’autre permettant de prendre ainsi du recul sur nous-même, ou est-ce là plutôt la
découverte de nouvelles raisons d’inférioriser l’autre et de se rassurer sur la supériorité de sa propre
culture ?
Jules Lefevre Lundi 6 Décembre

L’ethnocentrisme, défini par Claude Lévi-Strauss dans Anthropologie structurale comme un


« phénomène naturel, résultant des rapports directs ou indirects entre les sociétés », est le repli sur
soi, sur sa culture au détriment de l’imprégnation ou du moins de la compréhension de la culture des
autres. Nous ne pouvons pas avoir conscience de la culture des autres comme nous avons
conscience de la notre, puisque cette culture est fondée sur une langue, des traditions séculaires, une
religion et des croyances millénaires qui nous sont propres et qui ont imprégné tous nos ancêtres et
toute la pensée que nous aurons jamais ; adonc est-il réellement possible de se détacher de ce tronc
rustique et mastodontesque afin de le juger, tout en prenant pour ce jugement des codes et des règles
impromptus puisqu’aucune culture jugée ne peut dicter les règles là du jugement. Là est un nouveau
problème puisqu’il est tout bonnement impossible de juger une culture avec les règles même de la
culture qu’on juge.
En omettant ce paradoxe là, nous avons instinctivement et naturellement une tendance à penser
notre culture comme plus importante et supérieure aux autres. Montaigne l’écrivait d’un ton
ironique « Là dans ma société est toujours la religion parfaite, l’administration parfaite, l’usage
parfait […] de toutes choses ». Ce chauvinisme culturel est d’un instinct survivaliste car la
détestation de soi n’est bonne en rien et pour rien. Impossible peut-être, ardu au moins, de
combattre cet instinct d’ethnocentrisme.
Le principe même du jugement est en tout point questionnable, puisque cela implique de se placer
au dessus de ce qu’on juge. Ainsi, quelconque individu peut-il prétendre à s’élever au dessus de tout
une culture ? N’est-ce-t-il pas là un peu prétentieux de penser qu’il peut juger de haut la culture qui
est le fruit de tout une histoire et d’une tradition. Qui plus est, n’est-il pas redevable à sa culture de
l’avoir constitué en tout et pour tout ? C’est d’une certaine manière ce que développe Socrate dans
Le Criton de Platon. S’il refuse de s’échapper alors qu’il est l’objet d’une condamnation injuste,
c’est qu’il ne peut se placer au-dessus, et agir contre les lois et la culture auxquelles il est redevable
de ce qu’il est, il préfère accepter la condamnation que renier ses principes, et il mourra donc en
buvant la cigüe. Les critères du jugement sont tout aussi douteux que son principe, puisqu’ils ont
été acceptés en norme comme étant l’avancement technologique, technique et idéologique. Or,
Levi-Strauss écrit que si ce critère était par exemple l’adaptation à un milieu hostile, la civilisation
Européenne arriverait loin derrière les Inuits ; il semble que la civilisation française actuelle
arriverait également en queue de liste.
Le grand problème du jugement de l’autre culture et donc de la nôtre par comparaison est visible
entre les lignes de ce texte : point d’objectivité n’est dans ce jugement. Les hommes ont toujours
jugé simplement une culture : si ses mœurs leurs paraissaient humains et assez développés alors il
n’y avait rien à remarquer. Au contraire, si ses mœurs leurs paraissaient un peu trop sauvages pour
être perçus comme développés, cette culture leur était bien inférieure. Montaigne, dans Des
Cannibales ironise en écrivant comme ultime argument plaidant l’incivilité des cannibales : « mais
quoi, ils ne portent point de hauts de chausses ! », écrivant là tout le manque de discernement qu’ont
les hommes aux égards des différences, et il va des fondements métaphysiques et séculaire de
l’humain pour définir sa conception de la civilisation : les Européens se moquent des Cannibales car
ces derniers n’ont point de hauts de chausses, et les Cannibales se moquent du Roi Charles IX, qui
accéda au trône à l’âge de 10 ans, et de ses hommes costauds et emmuraillés dans leurs armures
rutilantes, qui ridiculisaient malgré eux le Roi.
L’autre, l’étranger semble au mieux incompréhensible et au pire haïssable. Qui n’a pas fait
l’expérience une fois dans sa vie d'observer deux personnes parlant une langue qui lui était
étrangère, et de croire que ces deux personnes parlent de lui, le critiquent et le vilipendent ? Les
mœurs et la culture de l’étranger sont tellement éloignées des nôtres qu’elles nous semblent parfois
Jules Lefevre Lundi 6 Décembre
à peine mériter le nom d’humaines. Combien de fois dans l’histoire de part et d’autre de la planète
a-t-on mis en doute l’humanité de ceux dont la culture était différente ? L’ethnocentrisme naît certes
de la difficulté à porter un jugement objectif sur sa propre culture mais il peut sortir renforcé d’une
confrontation à ce qui est différent de soi. Le barbare c’est l’autre, celui qui ne parle pas comme un
être humain, ou encore c’est le sauvage, celui qui vit dans la forêt comme un animal. Il ne nous
ressemble pas, nous fait peur : l’inconnu fait peur à l’homme depuis la nuit des temps, et à raison
peut-être. Dans tous les cas en refusant aux mœurs différentes le statut de culture on dénie à l’autre
son humanité. La question se pose de savoir, dès lors, ce qui peut orienter dans un sens différent la
rencontre de l’autre. Qui est réellement barbare ? Les plus grands génocides ont été effectués par
des peuples qui se revendiquaient civilisés, ainsi les nazis ont assassiné plus de six millions de juifs,
les communistes russes en ont tué deux millions et les Khmers rouges ont supprimé cinq millions de
vies cambodgiennes. Ces génocides ont été réalisés à l’aide de moyens techniques, les nazis ont
utilisé la mort par asphyxie grâce aux techniques du gaz. Mais en réalité qu’est-ce qui nous permet
de comprendre la relativité de ses valeurs et de prendre du recul par rapport à tout ce qu’on nous a
inculqué ? Montaigne comme d’autre s’est livré à cette réflexion dans son ouvrage Les Essais.

Aussi, si l’appartenance à une culture rend délicate et difficile toute forme de jugement sur
cette culture, cela n’est en rien impossible. Mais pour avoir quelque pertinence ce jugement doit
s’appuyer sur une véritable confrontation avec les autres et sur une analyse et une réflexion qui
s’appuient et se nourrissent d’une véritable culture. Il faut apprendre à avoir du recul sur soi-même,
s’extérioriser et chercher au plus profond de soi ce qui semble le plus rationnel. Après avoir réussi
cet exploit, serions-nous capables de tirer quelque chose de cette réflexion ? Si nous arrivions à la
conclusion que notre culture est réellement bonne, cela inclurait alors que d’autres ne le sont pas et
donc qu’il existerait une hiérarchie, hiérarchie qui pourrait s’avérer comme motrice d’une volonté
de domination. Mais au contraire, si nous arrivions à la conclusion que notre culture est bel et bien
mauvaise ou inférieure à une autre, il faudrait alors s’en détacher et cette idée là conduit à un
nihilisme suicidaire. Nous en voyons les effets directs aujourd’hui, tout ce que Nietzsche avait
annoncé : « Ce que je raconte, c’est l’histoire des deux prochains siècles. Je décris ce qui viendra,
ce qui ne peut manquer de venir : l’avènement du nihilisme. » et on peut rapidement le définir
comme ceci « soupçon [de suicide] qui pourrait facilement mettre les générations futures dans
l'effrayante alternative : "Ou bien supprimez vos vénérations - ou bien supprimez-vous vous-
mêmes ! Le dernier terme serait le nihilisme ; mais le premier, ne serait-ce pas également - le
nihilisme ? », extrait du Gai Savoir. Aujourd’hui, la doxa est à la détestation et à l’abandon de sa
propre culture sur bien des aspects, le désir de l’altérité sans jamais vraiment la définir, en outre, un
profond désir de suicide philosophique.
Ainsi la culture est cette dimension paradoxale de l’humain qui semble à la fois l’enfermer et lui
donner la possibilité d’une libération. La culture est à la fois l’obstacle au jugement que je peux
porter sur elle et le moyen de surmonter cet obstacle.

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