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Philosophie
et contestation en Afrique.
Quand la différence devient un
différend
4

« Du même auteur »
-Politiques africaines et identités. Des liaisons
dangereuses, Saguenay, Différance Pérenne, 2014
-Identités et reconnaissance, Saguenay, Différance
Pérenne, 2014
-Les nasses identitaires en Afrique. Pour une remise
en question des pouvoirs balafrés, Les Éditions
Universitaires Européennes, 2011
5

Samba Diakité

Philosophie
et contestation en Afrique.

Quand la différence devient un différend.

DIFFERANCE PERENNE
6

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prévues par la loi.

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Papier : 978-2-924532-00-3
Numérique :978-2-924532-01-0
Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales
du Québec, 2015
Dépôt légal - Bibliothèque et Archives Canada,
2015

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Tel :+1 514 553 3405
7
8

À ma fille Samba Alîm Radhia,


À mon fils Samba Ahmed
9

Remerciements

Infinie reconnaissance aux professeurs Karamoko


Abou de l’Université d’Abidjan-Cocody et Komenan Aka
Landry, président de l’Université de Bouaké, qui nous ont
montré la voie à suivre…
10

« Aussi longtemps que l’on sacrifie des individus, aussi longtemps


que le sacrifice implique l’opposition entre collectivité et individu, la
duperie sera une constante objective du sacrifice. Si la foi en la valeur
de la substitution du sacrifice signifie le souvenir de quelque chose
qui, à l’origine, n’était pas une composante du soi, mais l’est devenu à
travers l’histoire de la domination, elle devient une non- vérité pour le
soi évolué : car le soi- l’individu- est justement l’homme qui ne
s’attribue plus le pouvoir magique de substitution. L’élaboration du
soi tranche justement cette relation fluctuante avec la nature, que le
sacrifice du soi prétend établir. Chaque sacrifice est une restauration,
démentie par la réalité historique dans laquelle il est entrepris. Mais, la
foi respectable dans le sacrifice est peut –être déjà un schéma devenu
mécanique, et suivant lequel les opprimés s’imposent une foi de plus
l’injustice qui leur fut infligée, afin d’être en mesure de l’endurer ».

HORKHEIMER (MAX) & ADORNO (W. THEODOR).-La


dialectique de la raison, Traduit de l’allemand par Eliane Kaufholz
(Paris, Gallimard, 1974),
11

Avant-propos

I. Les enjeux de la question

La contestation constitue l’objet de cet essai : non


comme mot, mais comme chose. Cette chose qui est au
cœur de toutes les cultures, de toutes les civilisations, nous
voudrions la saisir dans son fond afin qu’elle se dévoile
pour mieux comprendre ses enjeux. La contestation, il
faut le dire tout de suite, est un phénomène sociologique,
sociologisant même et en tant que tel, nous voudrions bien
la considérer sous la tutelle du penser, dans le miroir de la
philosophie critique .La contestation comme chose,
devient un fait social, coercitif, général. Selon le chosisme
durkheimien, « est chose tout objet de connaissance qui
n’est pas naturellement compénétrable à l’intelligence,
tout ce dont nous ne pouvons nous faire une notion
adéquate par un simple procédé d’analyse mentale, tout ce
que l’esprit ne peut arriver à comprendre qu’à condition de
sortir de lui-même, par voie d’observation et
d’expérimentations, en passant progressivement des
caractères les plus extérieurs et les plus immédiatement
accessibles aux moins visibles et aux plus profonds »1 .

La notion de la contestation ne peut être étudiée


isolement si l’on veut comprendre ses tenants et ses
aboutissants. Aujourd’hui, de plus en plus, on évoque des
cultures de la contestation, des fronts de refus, des
générations du front, de la coalition de la civilisation
contre la barbarie lorsque la contestation atteint son
paroxysme, lorsqu’elle est au stade du non-retour. Dans
tous les cas, qu’elle soit physique, morale ou spirituelle, la
contestation est violence et naît d’une situation elle-même
1
DURKHEIM(E.).-Les règles de la méthode sociologique (Paris,
Quadrige/PUF, 1992/1937), pp. XII-XIII
12

violente. L’histoire de la pensée ne finit pas de nous en


donner les raisons suffisantes et les preuves accablantes :
Socrate conteste les sophistes par la primauté du logos, par
l’esprit de la maïeutique en dénonçant la fausse sagesse,
mère de la tyrannie et de l’injustice. Par une prise de
conscience de « la nescience ,c’est-à-dire la conscience de
l’ignorance qui suscite le désir de savoir, lequel permet
l’amorce de la phase positive de la réminiscence comme
dialectique positive , c’est-à-dire productrice de savoir »2,
Socrate s’inscrit dans la mouvance de la pensée
contestataire, celle que la raison emprunte pour parvenir à
ses fins, en mettant l’adversaire le dos au mûr et qui n’a
d’autres solutions que de se rendre, puisqu’il ne peut que
se contredire, s’opposer à soi-même, à ses propres
pensées, à ses propres arguments. On connaît la suite de
cette ruse de la raison ; le retour du bâton est tenace, c’est
la prison, la ciguë, la mort.

Par ailleurs, Galilée Galileo Galilei, ce mathématicien,


physicien et astronome italien, fut l’un des premiers
fondateurs de la mécanique moderne et de la science
expérimentale. Il découvrit la loi de la chute des corps
dans le vide (contraire à la théorie d ’Aristote), et énonça
une première formulation du principe d’inertie et établit la
loi du pendule. Il fabriqua une lunette qui lui permit
d’observer les reliefs de la lune, les principaux satellites de
Jupiter, les anneaux de Saturne et les phases de Venus.
Rallié aux systèmes du monde proposé par Copernic, il
affirma la rotation de la terre autour du soleil–en
contradiction avec la conception géocentrique de son
époque -, il fut condamné par le tribunal de l’Inquisition.
Malgré l’angoisse de la mort, il aurait prononcé la célèbre
formule «Et pourtant, elle tourne... ». Nous lui devons

2
NIAMKEY (K.).-Les images éclatées de la dialectique(Abidjan,
Annales de l’Université d’Abidjan, 1991), p.2
13

aujourd’hui, toute la grandeur du concept de la


Révolution ;

Gramsci, pour avoir véhiculé des idées


révolutionnaires, qui consistent à instaurer un nouvel ordre
politique dans son pays, pour avoir osé lutter contre le
fascisme de Mussolini, mourut de tuberculose dans une
infirmerie pénitentiaire.

Jésus-Christ, de son côté, en prêchant l’amour de Dieu,


le pardon pour les pécheurs, recommandait la charité et
promettait la vie éternelle à ceux qui avaient la foi. Trahi
par Judas, il fut condamné par les juifs sur le mont du
Golgotha pour s’être déclaré fils de Dieu et d’être le
Chemin, la Vérité et la Vie.

Quant au prophète de l’Islam, Mohammad, après avoir


reçu par l’intermédiaire de l’Ange Gabriel, la mission de
faire connaître aux hommes la volonté de Dieu, et de
prêcher le monothéisme, rencontra l’hostilité des riches
marchands de la Mecque qui craignaient pour le
pèlerinage païen dans leur ville, très fructueux pour leurs
affaires. Il dut s’enfuir à Yatrib : ce fut l’Hégire.

Ces grands hommes sont morts pour avoir contesté,


mais ils sont encore parmi nous ; leur souvenir transcende
l’Histoire et leurs actions restent éternelles. Par leurs
œuvres et leurs contestations, ils ont construit leur histoire,
ils font l’Histoire, ils sont l’Histoire parce qu’ils se
confondent avec l’Histoire de par leur contestation qui fait
leur grandeur.

« La grandeur, comme le dit Karl Jaspers, s’éprouve


dans l’héroïsme du guerrier, dans la force fondatrice et
ordonnatrice du législateur, dans l’efficacité des plans et
des inventions, dans la révélation de puissances divines,
14

dans l’ébranlement et la délivrance par la poésie et l’art,


dans l’éclairement par la pensée. Dans un état de choses
primitif, tout cela ne faisait qu’un. « L’homme a une
histoire dès que la grandeur lui parle du fond du passé. Le
lien avec la profondeur du divin, la résolution morale, le
contenu du regard universel, la clarté du savoir ont leur
origine dans de grandes individualités. La façon dont on se
les approprie fait le niveau d’un peuple et déterminera
celui de l’humanité dans son ensemble »3.

Pour Jaspers, la grandeur de l’homme se trouve dans la


force de la pensée, dans la conviction que l’on se trouve
sur le bon chemin. La grandeur consiste à mourir pour une
idée. Dès lors, la contestation devient une Épreuve,
douloureuse, certes, mais exaltante. Le Grand homme est
le représentant de son peuple, de sa race, de sa culture, il
est le symbole du tout, l’universel, parce qu’il prend une
forme personnelle qui acquiert une signification objective,
une garantie contre le néant, le courage d’affronter
l’injustice, de la combattre et de la vaincre. « La grandeur
n’existe pas encore quand le quantitatif nous étonne,
quand nous percevons pour ainsi dire à la mesure de notre
impuissance la puissance de ceux qui nous dominent.
Nous ne nous voyons pas non plus la grandeur quand notre
instinct de soumission nous prive de notre responsabilité,
quand un désir d’esclavage trouve notre regard et
s’invente en surhomme »4.

Sur ce plan, la philosophie, parce qu’elle est pensée


autonome, parce qu’elle est ce courage de l’esprit de
sonder la profondeur des choses, ne peut provenir que de
la grandeur. Grandeur de Socrate, qui boit la ciguë parce
que les lois de son pays l’exigent ; grandeur de Marx qui

3
JASPERS(K.).-Les grands philosophes 1/, Traduit de l’allemand par
Floquet, J.Hersch, N.Naef, X.Tilliette Paris, Plon, 1989), p.19.
4
JASPERS (K.), op. Cit., p.23.
15

consacra sa vie à lutter contre la bourgeoisie pour instaurer


un monde de liberté afin que le libre épanouissement de
chacun soit la condition du libre épanouissement de tous.
La grandeur de la philosophie, c’est la grandeur de l’Esprit
dans sa phénoménologie, dans sa vérité selon le système
hégélien. Une phénoménologie de l’Esprit est une
description des chemins multiples mais ordonnés que suit
la conscience lorsqu’elle tente dramatiquement, de se
reconnaître comme Esprit, c’est –à- dire lorsqu’elle
accepte de vivre, comme conscience, les moments de sa
constitution. En prenant la conscience dans son
immédiateté, dans sa naïveté, dans son état natif, elle est
pédagogique puisqu’elle suit la voie qui permet d’aller du
non savoir au savoir réel.

L’Esprit arrive à s’exprimer comme art, comme


religion, comme philosophie. Au sein de chaque attitude
existentielle, se dessine une conception du monde, de
l’homme et de ses rapports non seulement avec lui-même,
mais aussi avec les autres, qu’il faut élucider et situer
selon son dynamisme propre, dans l’ordre de la pensée.
« De ce côté, écrit Hegel, il paraît particulièrement
nécessaire de faire de nouveau de la philosophie une
affaire sérieuse. Pour toutes les sciences, les arts, les
talents, les techniques, prévaut la conviction qu’on ne les
possède pas sans se donner la peine et sans faire l’effort de
les apprendre et de les pratiquer. Si quiconque ayant des
yeux et des doigts, à qui on fournit du cuir et un
instrument, n’est pas pour cela en mesure de faire des
souliers , de nos jours domine le préjugé selon lequel
chacun sait immédiatement philosopher et apprécier la
philosophie puisqu’il possède l’unité de mesure nécessaire
dans sa raison naturelle - comme si chacun ne possédait
pas aussi dans son pied la mesure d’un soulier.- Il semble
que l’on fait consister proprement la possession de la
philosophie dans le manque de connaissance et d’études.
On tient souvent la philosophie pour un savoir formel et
16

vide de contenu. Cependant, on ne prend pas assez compte


que ce qui est vérité selon le contenu , dans quelque
connaissance ou science que ce soit, peut seulement
mériter le nom de vérité si la philosophie l’a engendré ;
que les autres sciences cherchent autant qu’elles veulent
par la ratiocination à faire des progrès en se passant de la
philosophie , il ne peut y avoir en elle sans cette
philosophie ni vie, ni esprit, ni vérité »5. Cet extrait un peu
long du texte de la phénoménologie, nous permettra de
comprendre tout au long de notre cheminement
intellectuel, le débat sur la contestation de la philosophie
en Afrique.

L’Afrique peut-elle prétendre au titre de philosophie,


cette rare chose qui appartienne à l’homme ? Pourtant,
Hegel est formel, comme nous l’avons vu, tout le monde
ne peut être philosophe de même que tout le monde ne
peut être cordonnier. Karl Löwith a raison de dire que
« L’Histoire de la philosophie n’est pas, pour Hegel, un
événement en marge du monde ou au-dessus de lui, mais
elle est « le centre de l’histoire universelle ». Histoire de la
philosophie et histoire universelle sont dominées tous les
deux par l’Absolu en tant qu’Esprit du Monde. L’essence
de cet esprit est mouvement et par conséquent histoire »6.
Mais qu’elle est la place de l’Afrique dans cette histoire ?
Rien. Pardon, hier, c’était la soumission, la subordination,
l’esclavage et la colonisation et aujourd’hui, en plus des
mêmes mots, s’ajoutent les fléaux de toutes sortes : SIDA,
paludisme, famine, sécheresse et surtout les conflits de
tous genres : guerres civiles, rebellions, génocides,
totalitarismes, excisions, trafics des enfants, cet esclavage
des temps modernes.

5
HEGEL(G..W.F.).-La phénoménologie de l’espri , Traduction de
Jean Hyppolite, tome 1, (Paris, Aubier, 1941), pp.57-58.
6
LÖWITH (K.).- De hegel à nietzsche, Traduit de l’allemand par
REMI LAUREILLARD(Paris, Gallimard, coll . tel, 1969), p.49.
17

Mais, les africains contestent ce jugement de l’histoire,


de leur histoire. Ils contestent les autres et se contestent
eux-mêmes. Ils contestent leur situation de damnés de la
terre, la théâtralité de leur – être –dans – le – monde, la
vision eurocentrique du monde contemporain en narguant
ici et là, qu’ils appartiennent en totalité à l’Histoire
universelle et que sans eux, l’Occident n’est rien ; mais ils
contestent de plus en plus leurs propres dirigeants qu’ils
traitent de réactionnaires. Pour certains d’entre eux, le mal
se trouve à la racine, le vers est dans le fruit, il n’y a pas
de doute, « l’Afrique est malade d’elle-même »7. De toutes
les façons, les faits sont là et bien têtus. Mais comment
extirper le mal ? Telle est l’équation aux inconnues
connues dont la plus grande épreuve est de savoir
comment y arriver. Pour pasticher Lénine, que faire ?
Comment comprendre le ’’on en a marre ‘’des africains en
cette période controversée de la modernité et de la
mondialisation ? Tel semble être le sens de cet essai :
«Philosophie et contestation en Afrique .Quand la
différence devient un différend».

Nous n’avons aucunement l’intention de l’achever en


totalité, de l’épuiser entièrement ; seulement, nous
voudrions, comme nous l’avons dit, le saisir comme chose
non comme un être fini mais in-fini, in-déterminé qui se
ferme pour s’ouvrir et qui s’ouvre pour se fer-mer, pour
être ferme, pour se re-fermer. Nous voulons, dans la
traversée de la philosophie en Afrique, selon la formule de
Bidima, retracer l’histoire des idées de la contestation dans
la douleur de l’épreuve, les saisir au moment de leur
production et de leur réception dans leur sphère culturelle,
politique et sociale. Nous avons l’ultime conviction que
des idées engendrent d’autres idées, que la contestation est

7
DIAKITE (T.).-L’Afrique est malade d’elle-même (Paris, Karthala,
1999)
18

un pharmakon, qu’elle est aussi bien remède que poison.


Nous voudrions indiquer que la mutation des idées, que la
contestation, qu’elle soit politique ou culturelle ne peut
véritablement se détacher des idéologies et des sociétés
dans lesquelles elles naissent, prennent corps et formes. La
contestation jalonne l’histoire comme les idées dirigent le
monde. Là, encore, le retour à Hegel est nécessaire.
Si pour Hegel, l’esprit général du monde est le soleil
qui se lève à l'Est pour se coucher à l’Ouest, c’est que dans
ce mouvement où l’Esprit fait, en de durs combats,
l’apprentissage de la liberté, l’Afrique se trouve absente.
Pourquoi ? Pour Hegel, la pensée n’est pas seulement
l’enregistrement ou le formatage de ce qui est, de le
réduire à des notions générales et abstraites. Penser, c’est
appréhender ce qu’il y a d’essentiel et d’inessentiel dans la
réalité aux dépens de ce qui se donne immédiatement pour
vrai. Ici, l’essentiel, c’est l’universel en soi et pour soi, la
vérité qui fonde toute forme de réalité.
Ainsi, en accédant à la conscience de soi, l’homme
devient-il capable d’accéder à la pensée de ce qu’il y a
d’universel et de raisonnable en lui. La pensée révèle donc
l’homme à lui-même, en lui manifestant sa propre identité,
son propre fondement, sa propre vérité d’être un être libre.
Mais, nous dit Hegel, cela n’est possible que s’il intervient
une opposition entre le Moi et le monde, où l’homme peut
« laisser passer en douceur » sa propre réflexion entre lui-
même et le réel qui le constitue. Par la pensée donc,
l’homme se libère des limitations, des servitudes, des
totalitarismes et de l’indigence. Ce qui fait dire à Jean Paul
Frick que « Cette universalisation n’aurait cependant
aucun sens si elle ne débouchait pas sur un processus
d’extériorisation. L’homme qui se pense comme être libre,
qui «invente un monde libre », tient dans cette définition :
la «matière de son agir ». Ce qu’il pense, c’est aussi ce
qu’il doit vouloir. La liberté ne saurait se réduire à
l’intériorité, se cantonner dans l’utopie, dans la pensée
19

rêveuse. Hegel fera le procès de cette liberté réduite à un


vœu intérieur. La pensée authentique, donc la liberté
authentique, est également volonté. Et la volonté n’est
libre que lorsqu’elle pose elle- même ses propres objectifs,
lorsque ceux-ci ne lui sont pas dictés par quelque chose
d’extérieur »8.

La contestation est donc désir de liberté dans l’action


de la pensée. Les intellectuels donc contestent. Mais ne
serait- ce que par leur vocation ? De Socrate à Descartes et
à Sartre, sans oublier Marx et d’autres révolutionnaires, les
intellectuels ne passent –ils pas leur temps à remettre le
monde en question ? Les intellectuels africains sont-ils en
marge de cet élan ? Ne remettent-ils pas en question le
penser africain9 ?

L’histoire, dans son cheminement universel et


irréductible nous apprend qu’elle est faite de sauts et de
bonds, de paix et de guerres, de crises et de compromis, de
domination et de libération. L’Afrique ne saurait échapper
à cette marche implacable de l’histoire, elle, qui a connu
l’esclavage, (l’oppression, l’impérialisme, les maux de
toutes sortes). Elle a connu aussi les contestations pour sa
libération ; la marche des femmes sur Bassam, lorsque
leurs maris furent arrêtés par les colonisateurs, les
mouvements de libération nationale : l’ANC de Nelson
Mandela, le C.P.P.de Kwame Nkrumah, le RDA dont
l’une des têtes de file était le président Félix Houphouët
Boigny ,etc.

8
FRICK(J-P.).-Hegel la raison dans l’histoire ( Paris, Hatier, coll.
profil philosophie n°723), pp.29-30.
9
Il serait intéressant de voir notre thèse de doctorat 3 ème cycle,
intitulée :’’Marcien Towa : pour une remise en question du penser
africain’’, sous la direction du professeur ABOU KARAMOKO ,
thèse soutenue le 13 décembre 2001 à l’Université de Bouaké en Côte
d’Ivoire.
20

L’histoire universelle aime à s’incarner subitement en


un personnage auquel le monde entier prête aussitôt
obéissance. Ces grands hommes résultent de la rencontre
chez une personnalité unique, de l’universel et du
particulier, de la durée et du mouvement. Ils résument les
États, les civilisations, les cultures et les crises. Hegel
parlait de Napoléon, des grands hommes et de leur
passion ; il disait à propos que rien ne peut s’accomplir
dans ce monde sans passion.

Les grands hommes, comme le dit Hegel, les «hommes


historiques » sont les hommes d’action. « Leur affaire est
de connaître le (nouvel) universel, le stade nécessaire et
supérieur où est parvenu leur monde ; ils en font leur but
et lui consacrent leur énergie. L’universel qu’ils ont
accompli, ils l’ont épuisé en eux - mêmes ; mais ils ne
l’ont pas inventé ; il existait de toute éternité, mais il a été
réalisé par eux et il est honoré en eux- mêmes. Parce qu’ils
ont puisé en eux - mêmes, en une source qui n’a pas
encore surgi à la surface, ils ont l’air de s’appuyer
uniquement sur leur propre force ; et la nouvelle situation
du monde qu’ils créent et les actes qu’ils accomplissent
sont en apparence un simple produit de leurs intérêts et de
leur œuvre. Mais le Droit est de leur côté parce qu’ils sont
lucides ; ils savent quelle est la vérité de leur monde et de
leur temps ».10Ces hommes sont hautement surprenants
lorsqu’ils font passer un peuple entier d’un état de
civilisation à un autre. Lorsqu’une crise éclate, l’ancien et
le nouvel état culminent dans les individus supérieurs et
nous avons la révolution.

Dans l’Afrique actuelle, quel est l’effet produit par la


grandeur des Anciens sur les hommes ? Á quel moment
commençons-nous à en reconnaître leur présence ?

10
HEGEL(G.W.F).-La raison dans l’Histoire , traduction de
KOSTAS PAPAIONNOU (Paris , UGE 10/18, 1979), pp.121-122.
21

Houphouët Boigny, disait bien avant sa mort que le vrai


bonheur, on ne l’apprécie que lorsqu’on l’a perdu. Six ans
après sa mort, son pays est confronté à des contestations
les plus aiguës : coups d’État, rébellion, insécurité,
charnier de Yopougon, de Monokosoï, etc. Aujourd’hui,
son pays le réclame, et ses adversaires politiques d’hier le
regrettent. Quels sont les actes ou les qualités capables de
transformer en une admiration générale, l’admiration
latente des entourages de ces grands hommes ?

La destinée du grand homme est d’incarner une volonté


qui dépasse l’individuel : Soundjata Keita, le roi du Mali,
Biton Coulibaly de Sikasso, Shaka le zulu, ces hommes,
qui se sont heurtés à la pénétration coloniale, qui ont lutté
contre l’injustice et l’impérialisme ne sont pas morts pour
rien. « C’est un fait, nous dit Jacob Burckhardt, qu’il
n’existe pas de puissance qui n’ait été fondée sur un crime,
et pourtant les patrimoines matériels et spirituels les plus
importants des nations ne peuvent croître et fructifier que
si leur sécurité est garantie par le pouvoir. Ainsi, se
présente « l’homme selon le cœur de Dieu » (...) « Ainsi
l’on pardonne à l’homme qui a procuré la grandeur la
puissance et la gloire à une communauté, d’avoir commis
un forfait, notamment en rompant des traités politiques
imposés par la force, sous prétexte que l’intérêt de la
nation, de d’État ou du peuple est absolument inaliénable
et ne saurait donc être lésé d’une façon durable par quoi
que ce soit ».11

On pourra donc pardonner à Mao Tsé Toung, des


atrocités, à Lénine, « son pouvoir au bout du fusil » et à
tous les révolutionnaires de tous les siècles, car la
révolution n’est jamais innocente. Toute révolution n’est –

11
BURCKHARDT(J.).- Considérations sur l’histoire universelle,
version française de SVEN STELLING-MICHAUD & de JANINE
BUENZO(Paris, petite bibliothèque Payot , 1971 ), p.269.
22

elle pas violence ? La révolution, c’est la contestation, la


volonté de changer l’ancien ordre et d’imposer un ordre
nouveau. Dès lors, des questions surgissent : la
contestation est –elle un conflit de génération ou une lutte
des classes sociales ? La contestation peut-elle se départir
des idéologies ? Si, selon Marx, l’humanité ne se pose
jamais que les problèmes qu’elle peut résoudre, elle ne se
les pose pas à partir de rien. Il ne saurait avoir de
contestation s’il n’y a pas de problèmes, en dehors de
toute crise, de tout déséquilibre social. Quels sont donc les
enjeux des contestations ? Pour l’Afrique, que conteste-t-
on ? Plus vulgairement, qu’est-ce qui ne va pas ? On se
souviendra encore de la contestation des Ogoni au Nigéria
qui voulaient bénéficier des ressources pétrolières de leur
région et de la répression sanglante qui en a suivi avec à la
clé, la pendaison de leur leader, Ken Sarowiwa, par le
régime du dictateur Sani Abacha. On n’oubliera pas non
plus les contestations de rue qui ont fait partir du pouvoir
les dictateurs du Mali, le Général Moussa Traoré, Le
Maréchal Joseph Désiré Mobutu dit Sesé Séko Kuku
Ngbendu Wasa Banga du Zaïre, le Général Guéi en Côte
d’Ivoire, etc. Mais au prix de quels sacrifices ? Ceux qui
ont pris leurs places, ont-ils fait mieux que leurs
prédécesseurs ? Si la contestation elle- même, est une
épreuve, il est difficile de l’assumer lorsqu’elle se termine
dans le sang et surtout lorsqu’elle échoue ou se termine
par une réaction ou une contre –révolution.

Les contestations, pour parvenir aux indépendances,


sont restées en deçà des espérances des africains lorsque
celles-ci furent proclamées. Le remède est devenu pire que
le mal. Mais on n’accusera pas tous les africains, on ne
parlera pas de culpabilité africaine comme Jaspers parlait
de « culpabilité allemande » après le fascisme hitlérien.
Non. Nous parlerons de désarticulation politique de
certains dirigeants africains avec la complicité
23

bienveillante de l’Occident, l’éternel tuteur. Notre


contestation nous incite-t-elle au tribalisme, au génocide,
au cercle de fer de la violence, aux délits de faciès ? Nous
parlerons de désarticulation culturelle, la faiblesse d’une
culture oublieuse de ses fondements, de son essence, une
culture embrouillée, saoulée, alcoolisée, incapable de se
tenir sans béquilles parce que « barbarisée ». Et notre
langage dans tout ça ? Le moteur de notre contestation ?
S’humilie- t- il pour humilier à son tour et s’humilier soi-
même ? N ‘est –il pas un langage déchiré et déchirant ?
Que nous apporte véritablement une contestation de
clochers, de clochards dans un espace lui-même
clochardisé ? Peut-être que les dieux ont soif, soif de sang
et de vengeance non de progrès et d’épanouissement. Et le
savoir ? - Notre savoir ? - Il est démon-cratisé. Il reste à
faire un effort pour qu’il se rhabille de nouveau, pour qu’il
change de « codjo » pour porter un pantalon ou attacher un
pagne parce comme le dit un «reggaeman »ivoirien,
Kouch, « les temps sont entrain de changer » et un autre
de renchérir(Kimon), que « si tu n’as pas de souffle, il faut
arrêter la course ».

Faut-il mettre donc fin à l’épreuve, au combat du


développement et de la dignité sous prétexte que nous
sommes fatigués des avatars de la colonisation et de
l’esclavage ? Le savoir n’est- il pas in-fini ? N’est- il pas
savoir que parce qu’il se cherche et se partage pour se
muer en Bien au sens platonicien du terme ? Jaspers l’a
bien compris en analysant, les grands philosophes, « ceux
qui ont donné la mesure de l’humain » ; il faisait
remarquer et à juste titre que : « Le seul point, qui
engendre de soi la diversité, c’est la pensée. Par la pensée,
ceux que Socrate a frappés sont devenus d’autres hommes.
Cette pensée procure l’indépendance dans la fusion avec
ce qui importe totalement. Dans la pensée nous
appréhendons, nous hommes, notre suprême possibilité,
24

mais par la pensée nous sombrons aussi au néant. La


pensée est vérité seulement quand elle abrite en elle ce qui
par elle devient présent, mais qui est plus que la pensée.
Platon l’appelle le Bien, l’éternité de l’Être ; mais c’est là
une admirable interprétation platonicienne de Socrate. Par
Socrate la pensée est venue au jour avec l’exigence
suprême et le suprême danger »12.

Cette étude de la contestation nous introduit donc dans


la profondeur de la pensée, dans la réalité où les
antinomies deviennent agissantes. Elle tente de montrer les
luttes de l’homme à travers l’histoire, à connaître des
pensées et des actions parvenues à un maximum de clartés,
de profondeur, mais aussi de très grandes atrocités. « 1°
Devant la possibilité d’une tentation luciférienne, on
tombe dans le moralisme. En se défendant contre l’éclat
du mal, on en vient à en méconnaître sa puissance. Le
jugement porté sur une pensée mauvaise- jugement qui ne
peut jamais viser qu’une opération concrète dans sa
particularité – prend la gravité d’un jugement porté sur la
personne toute entière. La force émouvante du mal
échappe au regard et l’idée de la Félix culpa – idée
périlleuse et ambiguë, certes- perd son temps.

À cette erreur s’en oppose une autre : le mensonge qui


glorifie l’élément luciférien comme créateur, comme
l’élément authentique, comme celui auquel je dois me
confirmer et obéir, la volupté d’être coupable, orgueil de
l’esprit comme se suffisant à lui-même.
2° L’exception est méprisée, mesurée à l’échelle de la
règle générale. Dès lors, elle passe seulement pour faute,
maladie, déracinement, et non pas pour un destin fondé
dans la transparence ; la supprimer tel est le sens
impératif »13.

12
JASPERS(K), op.cit., p.156.
13
JASPERS(K.), op.cit., pp.111-112
25

La contestation, c’est l’opposition des pensées, des


positions, souvent très radicales qui se soldent très
fréquemment par des conflits. Contester, c’est s’opposer.
C’est avant tout et surtout contredire l’autre, montrer
qu’on a raison, c’est la force des arguments qui,
malheureusement se mue en la force des armes. Pourtant,
l’histoire de la philosophie nous apprend que la
philosophie est contradiction dans son essence. Elle ne
peut qu’être contradiction, mais dans l’esprit- de - sérieux.
L’Afrique est aujourd’hui encline à de nombreuses
contestations. Les conflits politiques et culturels sont
légions. Cette explosion est- elle le reflet d’une grande
mutation, d’une révolution tant attendue, ou la lassitude
d’une réaction, le discours du même au même ? De l’autre
pire que l’autre ?

On connaît la réponse du général De Gaulle à propos


des Événements de Mai-Juin 1968 en France. La cause est,
selon lui, dans la «grande mutation » que le monde
traverse en ce moment. Cette mutation est bien réelle. Le
monde est devenu un village planétaire grâce aux
inforoutes de la communication et de l’information.
L’Europe s’est globalisée, l’union européenne a pris forme
et la monnaie commune a pris de la valeur. « L’Euro » est
devenu une monnaie d’échange incontournable qui défie
le dollar américain. L’Europe des 10, des 15, etc. semble
imposer son hégémonie dans cette mondialisation où le
combat est semblable à celui d’Achille et de la Tortue.

Désormais, la citoyenneté n’est plus un privilège. Que


vaut l’Afrique à l’ère de la globalisation ? Que peut-elle
fournir de si grand ? Sa politique ? Pouah ! Sa culture ?
Peut-être ! Abou Karamoko a raison de dire que « la
question de la mondialisation et tout ce qu’elle engendre
est une métamorphose de la crise née des préoccupations
26

de notre temps. C’est pourquoi elle impose une nouvelle


philosophie de la nature, une nouvelle pratique dans notre
relation au milieu naturel qui engendre une contestation
globale et multiforme, des remises en cause, des replis,
des associations contre- nature qui ne visent plus
seulement la civilisation en tant que telle c’est –à- dire le
politique, mais la politique, l’économie, le social, la
morale, l’exister pour tout dire. D’où la résurgence et le
flux des revendications identitaires, d’irrédentismes
nationaux et nationalistes. Tout se passe comme si l’essor
du nationalisme et des revendications identitaires sont
constitutifs du phénomène de cette mondialisation au
grand dam de ses épigones. À penser le contraire, on
viendrait à rendre raison de cette contradiction flagrante
qui s’avère le déni de la victoire de la mondialisation sur
l’Etat-nation »14.

Quelle est la place de la jeunesse dans ce monde en


mutation ? Si aujourd’hui, les jeunes contestent, s’ils
prennent la rue, ce n’est pas par un plaisir déroutant, c’est
pour se faire entendre et se faire comprendre. Cette
génération déboussolée a besoin de repères, elle conteste
pour s’affirmer, pour se valoir ; elle a ses caractéristiques
propres- désir de vivre, de se réaliser pleinement.
Comment peut- il en être autrement dans la mesure où, la
plupart, au sortir de l’école et des Universités, se trouvent
sans formation professionnelle et sans possibilité de
reconversion ? Et si certains ont pu bénéficier d’une
formation professionnelle, l’emploi devient insuffisant.

14
KARAMOKO(A).-‘’La mondialisation: une boîte de pandore’’in
Repères , revue scientifique de l’Université de Bouaké,(Abidjan,
Presses Universitaires de Côte d’Ivoire (PUCI), 2002),vol.1N°1, 16-
17.
27

En Côte d’Ivoire, par exemple, on dénotait 750


médecins 15 en chômage en 2005 alors que la population
meurt pour insuffisance de personnel dans les hôpitaux.
Pendant ce temps, on recrute 1300 à 1500 policiers et un
millier de gendarmes, près de 3000 militaires . C’est le
propre des pays sous- développés ; on préfère sauver son
régime, sauvegarder son pouvoir que de penser aux
besoins de son peuple qu’on croit aider, dont on prétend
obtenir la légitimité.

Dans de tels régimes, les nécessités de la lutte obligent


les jeunes à la révolte, aux contestations et exposent l’État
aux scléroses, à des déviations, voire à une
dégénérescence. Les institutions et les méthodes de
gouvernement ou d’administration ont une tendance à
l’inertie ; elles peuvent à un moment, ne plus répondre aux
aspirations du peuple, aux réalités du moment et freiner le
développement normal de la société. Il appartient alors à
chacun de prendre en compte ses erreurs et d’assumer sa
responsabilité, toute sa responsabilité. Nul ne peut le faire
pour autrui et à la place d’autrui. L’histoire a déjà montré
des preuves. Là aussi les erreurs se paient et parfois
chères.

Nicole Dopchie explique cela de manière


psychanalytique par le truchement du complexe d’œdipe.
Selon lui, les jeunes ont accepté au départ, les images de
bons pères (l’État), leurs enseignants, leurs parents, la
société en général. « La société dans ce cas, serait vue,
comme le symbole du père comme l’équivalence de la
puissance parentale contraignante. Je vous rappelle le
mythe de Moïse, patriarche contre lequel ses fils se sont
révoltés, patriarche qui avait la puissance suprême et qui a

15
Le journal ‘’fraternité Matin’’ n°12058 du mardi 18 janvier 2005
sous la plume de DOUA GOULY a titré à la « une » : « 750 médecins
chômeurs Scandaleux » !
28

été supprimé par eux. Pour acquérir la puissance, il faut


supprimer celui qui possède la puissance ; pour devenir le
père, il faut détruire le père »16. Dopchie montre que le
rejet du père par l’enfant va de pair avec le rejet de la
société, le rejet des conventions, dans son essai de trouver
sa propre réflexion. Cela, dit-il, est aussi vrai sur le plan
moral que sur le plan vestimentaire.

Milie, Jolito ou Milagro17, ne renverse pas son « képi »


en vain, elle ne porte pas des jeans déchirés pour rien. Elle
le fait pour s’affirmer, pour montrer son désespoir de la
vie, sa déception d’un père qui l’a abandonné, d’une
société qui l’a rejetée, qui la refuse, une société en forme
de nasse où le pêcheur trouve du plaisir à attraper ses
poissons qui, dès qu’ils pénètrent dans la nasse, ne
peuvent plus en ressortir. Ils sont pris au piège de la vie
mais aussi pour la vie. Il faut savoir se débattre au prix de
tous les sacrifices sinon, on finit par y succomber. Milie
porte un jean déchiré, symbole non seulement de la misère
des peuples mais une misère qui est richesse, parce que,
ayant vécu dans la rue, elle a été formée non pas dans la
rue, mais par la rue qui lui a montré que le monde est faux,
égoïste et égocentrique. Ce monde est un monde déchiré
où on se sert de l’autre pour gravir des échelons. Dans
cette bassesse morale, il faut être digne, digne en
protestant, en contestant ce qui est, en montrant son
désaccord même si on ne peut rien y faire.

Revenons au propos de Dopchie. En effet, il pense que


les jeunes se révoltent parce qu’ils ont cette volonté de se
libérer de la puissance étouffante de leur société afin
16
DOPCHIE (N.).-‘’Un psychiatre devant la contestation ‘’in lutte
des classes ou conflits de générations (Bruxelles, cercle d’éducation
populaire a.s.b.l , 1969) , p.23
17
MILAGRO est l’actrice principale du feuilleton à succès Mùneca
Brava qui est diffusé sur les antennes de la télévision ivoirienne 1 ère
chaîne à partir de 19h30 .
29

d’obtenir une puissance encore plus sécurisante. « Ici se


pose le problème de l’expression de la violence quant à ses
origines psychologiques. On a beaucoup écrit à ce sujet là,
beaucoup d’expériences ont été faites qui nous ont montré
que la violence est un sentiment qui naît en réaction à une
sensation de privation profonde, au sentiment de ne pas
avoir reçu ce qui était fondamentalement nécessaire (...)
Or que manque – t- il de fondamental à nos jeunes ? Ce
qui leur manque, c’est une possibilité d’images
d’identification au niveau familial, au niveau de la société.
Il suffit de voir la qualité des substituts parentaux que l’on
offre aux jeunes, de ces idoles qui témoignent du
nivellement par le bas des aspirations des jeunes »18 .
C’est dire que les conditions de la jeunesse sont difficiles.
Ils ont trouvé ou reconquis le droit de parler. Ils ont appris
les leçons de leurs maîtres, ils ont lu Marx, Hegel, Levi-
Strauss, Mao, Marcuse, Sartre, Nietzsche, etc. Ils veulent
pousser l’épée dans les reins des adultes. Ils veulent une
désaliénation sociale, culturelle et politique. Leur vœu,
c’est de donner aux démocraties nouvelles des structures
nouvelles et un esprit nouveau.

Delpierre n’a peut-être pas tort de penser qu’« à


l’heure actuelle, les meilleurs deviennent surtout
contestataires »19 . Pour ce théologien, nous nous trouvons
dans une société foncièrement aliénée qu’on appelle
trivialement, « sociétés de consommation », une aliénation
flagrante qui entraîne de multiples conséquences. Du
Vietnam au Biafra, de l’Irak au Soudan, les jeunes veulent
comprendre le nouveau visage d’un monde, de ce « monde
cassé comme une montre cassée »selon l’expression de
Gabriel Marcel. Les jeunes contestent la faillite des

18
DOPCHIE (N.), op. cit., p.25.
19
DELEPIERRE (R.P.).- ‘’révolution et catholicisme,’’ in lutte des
classes ou conflits de générations (Bruxelles, cercle d’éducation
populaire a.s.b.l , 1969) , p.35.
30

démocraties, l’indifférence des décideurs politiques face


aux grands défis des temps modernes que sont le chômage,
les problèmes d’éducation, de santé, etc. «Contester, c’est
donc cela : se défier de toute rigidité idéologique, lutter
contre la sclérose de chaque institution. Remettre en
question. Suivre le mouvement d’une révolution
permanente.

Appliquée au procès de la société, cette contestation


découvre une contradiction fondamentale et inaperçue.
Non plus la lutte des classes entre les possédants des
moyens de production et les travailleurs ; ni même une
autre quelconque relevant des structures économiques.
Mais la division politique entre deux catégories de
citoyens : entre quelques privilégiés, les décidants, et la
masse, qui est exécutante »20 . Les jeunes contestent pour
se consoler, ils contestent pour que soit assoupli autant
qu’il se peut, les rouages de cette société Capitaliste. La
contestation de notre société, c’est la contestation de nos
valeurs politiques, économiques, culturelles et morales,
comme nous l’avons dit.

Les Evénements de Mai 1968 en France, comme le


disent Verstraeten et Benoist, corroborent ce fait. En effet,
la prétention de Mai 1968, a été celle d’une remise en
question universelle mais très radicale, provisoire et
méthodique à détruire toutes les anciennes opinions, avec
liberté et discernement. Ici, comme chez Descartes, au
pays de Descartes, le doute a envahi les esprits. Le cogito
a pris forme et se construit sans être trompé par un Malin
Génie. Comme Descartes, la jeunesse estudiantine voulait
faire une tabula rasa de leur quotidien, la radicalisation
même du doute hyperbolique. Mai 1968, c’était Présence
et Auto- affection, le rêve d’une reconquête insulaire et
pleine d’une pureté et d’une propriété inaltérables. La
20
DELPIERRE (R. P ) , op. cit., p.29.
31

volonté de cohérence entre le discours et l’action, entre la


théorie et la pratique, la revendication de la liberté, de
décision, d’autonomie, était identique dans les auditoires,
dans les Universités, dans la société globale, dans les
rapports humains. Faut- il s’étonner de ce que la
contestation ait commencé à l’Université ? Faut – il
s’étonner de ce que de jeunes intellectuels se soient permis
de juger leurs maîtres et l’organisation qui entendait les
former ?

«En effet, que découvrent ces étudiants ? Ils découvrent


que l’idéologie dominante qu’est l’humanisme,
humanisme bourgeois, qu’il soit d’ailleurs laïque ou
chrétien, eh bien cette idéologie dominante n’est qu’un
leurre : le leurre de cette société, sécrété par cette société,
pour mieux réaliser ses desseins collectifs par et à travers
la responsabilité de chacun. Le simple accomplissement
individuel du devoir, du devoir professionnel, du devoir
social, en tant que devoir purement formel, permet de faire
passer subrepticement à travers cette forme générale et
vide de la responsabilité, certains contenus qui, eux, ont
été décidés de manière extrêmement concertée et en
dehors de leur responsabilité. Ces contenus sont la
condition même, dans la mesure où ils se réalisent à
travers une sorte de libre décision des individus,
permettant à la Société de continuer à fonctionner selon
les règles générales qui la caractérisent, à savoir : maintien
du pouvoir d’une oligarchie capitaliste à la fois sur
l’ensemble des moyens de production, et sur l’ensemble
des grandes décisions portant sur l’orientation dans son
ensemble ». 21

21
VERSTRAETEN (P. ) .-‘’ Révolution de mai et idéologie
communiste’’, in lutte des classes ou conflits de générations
(Bruxelles, cercle d’éducation populaire a.s.b.l , 1969) , p. 68.
32

Les étudiants ne peuvent se révolter qu’au nom de cela


même qu’ils découvrent ; la mystification, à savoir
l’illusion de la liberté. Ils ne veulent plus être dupes, ils
veulent rester fidèles à ce qu’ils fussent. En revendiquant
une responsabilité soudaine neuve, soudaine radicale, les
acteurs de Mai 1968, à partir de leur échec antérieur sont
amenés à revendiquer une responsabilité sur les structures
ultimes déterminant le champ des possibles qui leur sont
présentés. Ils comprennent dorénavant que seule l’action
collective et non plus individuelle, leur permettra de
reconquérir leur liberté qui s’est brusquement évanouie.

Si selon le dictionnaire de l’Académie française,


contester, c’est « refuser de reconnaître le droit qu’une
personne prétend avoir à quelque chose. Il signifie par
extension : nier la justice d’un principe, d’une maxime, la
vérité d’un fait, etc. Il s’emploie quelque fois absolument,
dans le sens de débattre, disputer »22 . Cela veut donc
signifier que la contestation suppose une analyse réflexive,
un esprit critique, un raisonnement analogique, une
maturation intellectuelle, discursive et expérimentale. Il
s’agit d’une expérience directe qu’éprouve l’homme de
favoriser telle ou telle activité, d’un tout dont il veut
préserver une image et des normes valables. « Ainsi
devons- nous constater que la geste de Mai 1968 a
consisté à repérer globalement tous les signes actuels de la
civilisation française , politiques, universitaires, culturels,
comme frappés de cette même indignité qui colore le
monde livré par Descartes à l’empire du Malin Génie
moderne : le nom que Mai 1968 a donné au Malin Génie
moderne , c’est aliénation . Par l’usage magique et
délibéré de ce concept- carrefour né à la fois dans les
champs rousseauiste, hégélien, freudien, marxiste et
marcusien, et circulant de façon « folle » entre ces divers
espaces de signification, on a frappé globalement et
22
Dictionnaire de l’Académie française, 6è édition, , 1835
33

radicalement d’opprobre le type de société qui était, qui


est celui de la France en 1968. En ce mot proprement
trivial viennent se condenser une dénotation pathologique
et celle d’une frustration sociale et politique. Par lui, le
dialogue a été dénoué, et la brèche d’un silence abritant
une violence concentrée s’est installée entre les
interlocuteurs officiels et ceux qui les contestent, les
premiers devenant les signes métonymiques de
l’« aliénation par le système », les autres se refusant
farouchement à la communication, et frappant d’une
suspicion pathologique le monde qui les entoure « Je ne
vous parle plus, vous êtes un intellectuel. » D’un tel
interdit, d’un tel tabou soudain mis en place, nous avons
dit quelles sont les racines sacralisantes, les intentions
têtues qui l’habitent »23 .

Il en résulte que dans une société qui peut être définie


essentiellement comme une réalité dynamique, la
contestation est aussi une valeur. Autrement dit, on ne
saurait concevoir une société, politique ou culturelle sans
conflit, sans contestation. C’est précisément grâce aux
contestations que peut se produire un certain dynamisme
de production. Mais, il y’ a contestation et contestation ; et
celles qui se passent aujourd’hui, dans nos Universités,
avec les machettes, celles qui s’exhibent par les armes, les
guerres civiles, et les coups d’États doivent être mesurées
avec beaucoup plus de responsabilité, car le coût humain
est devenu exorbitant, des morts au Liberia, en Côte
d’Ivoire, en Somalie, en Irak...Il est facile d’une certaine
façon de déterminer ainsi de grands objectifs. Mais la
question fondamentale est de savoir comment agir alors,
comment peut –on envisager les choses ? Cohn-Bendit, le
leader de la contestation de Mai 1968, parlait de
« aménagements révolutionnaires ». Selon lui, il faut
d’abord déceler les structures sociales où la contradiction
23
BENOIST (J.M.) .-Marx est mort (Paris, Gallimard, 1970 ), p.17
34

est la plus flagrante et provoquer ensuite un conflit


explicite, c’est - à - dire, choisir d’une certaine façon les
points de moindre résistance et essayer, par ce biais,
d’avoir un essai sur l’ensemble. Mais cette stratégie trop
sociologisante peut –elle résoudre les crises en Afrique ?

Qu’on soit étudiants ou ouvriers, victimes d’une même


monstruosité de l’aliénation technicienne, ce monde
de « la libre dévoration », civilisation technicienne, société
de consommation, ,il est nécessaire de noter que le travail
intellectuel joue le rôle décisif dans la production et que la
pensée ne peut être en marge de son fondement , de son
lieu de prédilection, de sa « naissancéité », qu’on veuille
bien nous permettre ce néologisme.

La contestation, c’est aussi le refus de l’impunité, le


temps des assassinats : Kennedy, Malcom X, Martin
Lutter, Saddate, Thomas Sankara, Ernest Boka, Norbert
Zongo,etc. On assassine au Soudan, au Burundi, au
Rwanda, en Côte d’Ivoire, à Auschwitz. C’est aussi le
temps des viols et des tortures, de la radicalisation des
systèmes totalitaires dont la clé de voûte est l’atomisation
et l’isolement massif de la société où l’arrogance de la
fausse respectabilité fait place au désespoir anarchique.
Dans l’un de ses brillants ouvrages, Hannah Arendt, en
dénonçant les systèmes totalitaires, voulait « essayer de
dire et de comprendre ce qui s’était passé, pas encore sire
ira et studio, toujours avec douleur, mais non plus encore
avec une douleur sans voix. (...)Qu’est-ce qui s’est passé ?
Pourquoi cela s’est –il passer ? Comment cela a- t- il été
possible ? »24 Nous posons la même question pour savoir
et comprendre aujourd’hui la tragédie africaine, sa
déréliction culturelle et politique, les fondements de ces

24
ARENDT (H.).-Le système totalitaire, traduit de l’américain par
JEAN –LOUP BOURGET , ROBERT DAVREU et PATRICK LEVY
(Paris, Seuil, 1972) , p.9
35

conflits récurrents. De la manière dont Arendt,


s’interrogeait pour comprendre le massacre des juifs et des
russes par Hitler, Mussolini et Staline, de même, nous
voudrions comprendre pourquoi tant de barbarismes en
Afrique ? Pourquoi l’esclavage, la colonisation ? Pourquoi
les génocides, pourquoi les charniers de Yopougon, les
politiques de la terre brûlée au Soudan, les viols à Man et
les escadrons de la mort à Abidjan, pourquoi toutes ces
atrocités en Afrique ? À ces questions essentielles, nous
re-posons celle de Lénine : « que faire » ?

Ce que Hannah Arendt veut montrer, c’est les origines


du totalitarisme. Son intention est de dénoncer les
systèmes violents qui ignorent toute différence entre la loi
et l’éthique en dehors ou au dedans des camps de
concentration, cette atmosphère d’irréalité et de rêve,
créée par une apparente absence de but, est le véritable
cercle de fer, qui dissimulent, aux yeux du monde toutes
les formes de camps de concentration. « Ce ne sont pas
tant les barbelés, nous dit Hannah Arendt, que l’irréalité
habilement créée de ceux qu’ils enclosent qui provoque
des sévices aussi extrêmes et fait en définitive passer
l’extermination pour une mesure parfaitement normale.
Tous les actes qui furent perpétrés dans les camps ne nous
sont familiers que par référence au monde des
imaginations perverses et malignes. Ce qui est difficile à
comprendre, c’est que si ces horribles crimes prennent
place au même titre que de telles imaginations, dans un
monde fantôme, ce monde s’est ainsi dire matérialisé en
un monde achevé avec toutes les données sensibles du
réel, mais sans la cohérence et la responsabilité à défaut
desquelles la réalité ne demeure pour nous qu’une masse
de données incompréhensibles. Le résultat en est qu’un
lieu a été créé où des hommes peuvent être torturés et
abattus, sans que pourtant ni les tourmenteurs ni les
tourmentés , et moins encore les autres, à l’extérieur , ne
36

s’avisent qu’il s’agit là de quelque chose de plus qu’un jeu


cruel ou qu’un rêve absurde .(...)Le sens commun réagit
aux horreurs de Buchenwald et d’Auschwitz par cet
argument plausible : « quel crime devaient avoir commis
ces gens pour qu’on leur fasse des choses pareilles ! » ;
Ou en Allemagne et en Autriche, quand sévissent à plein
la famine, le surpeuplement, et la haine
générale : « Dommage qu’on ait cessé de gazer les
juifs ! » ; Et partout il y’ avait ce haussement d’épaule
sceptique qui accueille la propagande »25.

Qu’on nous excuse de la longueur de ce texte, mais il


est capital dans notre démarche car il nous permet de voir
la similitude avec des régimes totalitaires africains qui ne
disent pas leur nom. Gazer les juifs, c’est aussi d’une
certaine façon, massacrer les Tutsis et les Hutus au
Rwanda, c’est déporter les noirs dans les plantations
américaines. Les camps de concentration des juifs, c’est en
un sens, les Noirs d’Afrique, parqués dans les quais , sur
les bateaux, c’est les milliers de « Kounta Kunté »26,
enchaînés, c’est aussi et surtout, les Camps de Tiaroye,
pendant la 2è Guerre mondiale, et« sous les soleils des
indépendances », les camps de prison célèbres en Afrique
pour leur horreur : les camps Alpha Yaya et camp Boiro
en Guinée où le régime de Sékou Touré éliminait ses
25
ARENDT(H.), op.cit., pp.183-184.
26
KOUNTA KOUNTE est le personnage central du film du
réalisateur Noir- américain, ALEX HALEY qui a fait des recherches
pour découvrir la terre de ses ancêtres, ses « racines », dont le film
porte le nom. KOUNTA KUNTE fils d’ OMORO et de BINTA
KINTE est né au début du printemps 1750, dans le village de
Djouffouré, à quatre de jours de pirogue de la côte de Gambie, en
Afrique occidentale.Il est cet esclave qui a été arrêté sur les côtes de
l’actuelle Gambie et déporté avec ses compatriotes loin des terres de
ses ancêtres , et vendu comme esclave en Amérique, dans la douleur
de l’enchaînement et de la nostalgie. Le film est extrait de l’ouvrage
du même nom : Racines, traduit de l’américain par MAUD
SISSUNG , (Paris, ALTA, 1977)
37

adversaires politiques(cas de Diallo Telli), les camps de


Taoudenni et de Kidal au Mali, sous respectivement
Modibo Keita et le dictateur Moussa Traoré, le camp
pénal de Bouaké et celui de Séguéla, en Côte d’Ivoire dans
les années 70, etc.

Dans le contexte politique actuel, marqué par


l’apparition tous azimuts de nouvelles logiques
impérialistes, le recours aux droits de l’homme paraît voué
à l’échec. Face à un bilan jugé accablant, des organisations
de contestations vont naître pour dénoncer les tortures et
les injustices, à défaut de les supprimer :
Amnesty international, Human rights watch, Reporters
sans frontières sont les plus connues.

On se rend ainsi compte que les dictatures africaines,


les cultures de violences(excision, rejet des jumeaux,
sacrifices humains), totalitarismes, impérialismes, sont des
obstacles à l’épanouissement des individus, des atteintes
graves aux Droits de l’Homme et du Citoyen et contre le
droit inaliénable qu’a chaque peuple de disposer de lui-
même. Ainsi la prétendue formule qui consiste à croire
que « L’homme a des droits contre l’État que l’État lui
assure » paraît être un leurre. « De là une question qu’on
ne saurait plus longtemps éluder : si la négation totale des
droits de l’homme à l’époque contemporaine trouve
véritablement sa source intellectuelle dans les difficultés
présentes au cœur même de leurs déclarations, si
l’originalité de la nouveauté du totalitarisme ne réside en
réalité que dans une synthèse achevée de ces difficultés,
n’est-ce pas la conception moderne du droit tout entière
qu’il convient de remettre en cause ? Plus précisément : la
pensée moderne, égalitariste, sur laquelle s’appuient les
droits de l’homme n’est- elle pas inéluctablement vouée,
quelles que soient ses bonnes intentions, à se renverser
finalement en son contraire pour engendrer la terreur ?
38

N’y a t- il pas là, pour reprendre une expression des


théoriciens de l’école de Francfort, une « dialectique des
Lumières », l’irrationalisme de la terreur totalitaire étant
au fond la vérité du rationalisme égalitariste qui animait
initialement l’Aufklärung »27 ?

Ainsi donc, les questionnements sur les contestations


ne datent pas d’aujourd’hui. La contestation naît de la
société, de ses antagonismes, de ses contradictions, de son
mouvement et de sa dynamique. Les enjeux, comme on
vient de le voir, sont multiples et multiformes (politique,
culturel, économique, social). Nous n’avons pas la
prétention de les expliciter tous, cependant, notre but est
de comprendre les contestations africaines au regard de
celles qui ont déjà lieu dans maints endroits de notre
monde. De Socrate aux Evénements de Mai 1968 28,
27
LUC FERRY & EVELYNE PISIER KOUCHNER ’’les fondements
des droits de l’homme’’ in Encyclopaedia Universalis, Symposium
(Paris, Encyclopaedia Universalis France, 1985 ), p.56.
28
« Mai 1968(Evénements) .Vaste mouvement de contestation
politique, sociale et culturelle qui se développa en France et en Europe
au printemps 1968. La contestation française pris naissance dans le
milieu étudiant dès 1967 avec une violente critique de la guerre du
Viêt- name et, à travers elle, des Etats –Unis, symbole « d’une société
de consommation » déshumanisée. Ce malaise étudiant se précisa au
début de 1968 avec la création du Mouvement du 22 mars, animé par
Daniel Cohn-Bendit, qui remit radicalement en question l’université
« bourgeoise », fabrique de « chiens de garde » du système capitaliste.
L’agitation à l’université de Nanterre, fer de lance de la révolte, ,
gagna bientôt la Sorbonne et abouti rapidement à leur fermeture ,
aussitôt contestée par une occupation.La semaine du 3 au 10 mai fut
marquée par de nombreuses manifestations et un impressionnant
déploiement des forces de l’ordre.L’agitation culmina dans la nuit du
10 au 11 mai (nuit des barricades) au Quartier latin, marquée par des
centaines de blessés et d’arrestations.Le mouvement gagna le milieu
ouvrier et la France fut bientôt paralysée par la grève générale (20
mai ) .Cependant , d’importantes divergences apparurent entre la
révolte des étudiants , issus pour la plupart, de la bourgeoisie qui
aspire à une révolution « radicale » et le mouvement ouvrier ,
représenté par la CGT et le parti communiste qui condamnèrent tout
39

beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et l’océan de la


contestation continue de faire des vagues, dans les
religions, dans la politique, au sommet de la philosophie,
comme une « dynamite », « une révolution », « un
système », « une critique de la domination » ou encore la
proclamation d’une « négritude » pour changer l’ordre
ancien, rétablir un nouvel ordre politique et culturel. Ceci
nécessite de nombreux sacrifices, des souffrances et des
angoisses, l’acceptation des différences, l’imposition des
répétitions, mais aussi des contre- contestations et des
contre-révolutions, des Séparations dans la douleur. La
contestation, c’est donc une Épreuve de la vie, l’épreuve
du commencement, le commencement de l’épreuve.

II. L’Épreuve du commencement, le commencement


de l’épreuve

Dans un livre resplendissant, intitulé : Considérations


sur l’histoire universelle, Jacob Burckhardt, dans son désir
de montrer les heurts et malheurs en histoire, fait une

aventurisme « gauchiste » et souhaitaient inscrire la lutte sur le terrain


des revendications sociales. Le gouvernement Pompidou tira
habilement profit de ses dissensions , en suscitant la signature des
accords de Grenelle(25-27 mai 1968) , acceptés par les dirigeants
syndicaux mais rejetés par la base ouvrière, qui organisa avec la
gauche socialiste , plutôt favorable aux « gauchistes » et prête à
assumer le pouvoir , une manifestation au stade Charléty.Le 30 mai
1968, de Gaulle, après s’être assuré du soutien éventuel de
l’armée « entrevue avec le général Massu en Allemagne), décidé à
dénouer la crise, annonça la dissolution de l’Assemblée nationale et
des élections anticipées.Une imposante manifestation sur les Champs-
Elysées (30 mai 1968) s’organisa pour soutenir le régime.Les
élections législatives (23 et 30 juin) apportèrent une écrasante
majorité à l’UDR, soutien du régime, montrant ainsi la lassitude de
l’opinion publique. La crise de mai 1968 laissa d’importantes
empreintes par la réforme de l’université et surtout par une révolution
des mentalités (droits des femmes, etc.). »Sources, DOMINIQUE
VALLAUD, dictionnaire historique, (Paris, Fayard, coll. Le grand
livre du mois, 1998), pp588-590.
40

analyse du mal pour comprendre les guerres de religion et


autres contestations qui se terminent dans le sang. Avec
beaucoup de compassion, Burckhardt écrit : « Nous
plaignons comme ayant été malheureux des époques
anciennes, des peuples, des partis, des croyances
religieuses qui, en réalité, pendant de longues périodes,
n’ont fait que combattre pour un bien supérieur. On fait
pour le passé exactement ce que l’on voudrait faire
aujourd’hui, c’est – à- dire épargner la lutte aux tendances
qui ont la faveur du public et cueillir pour elles une
victoire sans effort. Nous sommes, par exemple pleins de
compassion pour les plébéiens romains ou pour les
Athéniens d’avant Solon qui luttèrent pendant des siècles
contre les durs patriciens, les Eupatrides et contre leur
impitoyable législation en matière de dettes. Mais nous
oublions que ce n’est qu’au prix d’une longue lutte que la
victoire des opprimés fut possible et que la vitalité et la
haute valeur de leur cause furent démontrées. Mais après,
combien courte fut la joie du triomphe ! et combien fragile
la cause que nous défendîmes contre une autre cause tout à
fait fragile ! La victoire de la démocratie entraîna
l’impuissance d’Athènes. Et ce fut au prix d’infinies
souffrances infligées aux peuples et d’une grave
dégénérescence intérieure que Rome subjugua l’Italie et
l’univers »29 .

Dans ce texte, l’auteur nous apprend que la démocratie


se critique, qu’elle peut rendre faible, qu’elle est fragile et
surtout qu’elle peut rendre impuissant un peuple, jadis très
puissant. La démocratisation des savoirs n’est jamais sans
heurts, elle est contestation perpétuelle, parce que la
démocratie naît de la contradiction, de la différence
englobée dans une totalité, celle d’un peuple unifié dont la
diversité est Unité bien que l’union soit apparente. La
démocratie qui a fait l’impuissance d’Athènes, c’est la
29
BURKHARDT(J.), op.cit., p.281
41

fuite des « cerveaux » des intellectuels, (Platon, Aristote,


Menon, etc.), sous le règne des dictateurs ; c’est la victoire
des sophistes sur Socrate. Là où était la force d’Athènes, là
aussi était sa faiblesse.

À l’analyse, Athènes d’hier est comparable à l’Afrique


d’aujourd’hui, à l’ère de la démocratisation des savoirs,
des savoirs dominants, à l’heure du triomphe des
intellectuels, quels intellectuels ! Pour quels savoirs ! Le
savoir de la domination, de la Séparation, de la déréliction
du langage, du nationalisme exacerbé, de l’ethnicisme et
du chauvinisme ? Et les dominés ? Ils deviennent des
apatrides, des exilés, des isolés, des peuples muets. Mais
l’histoire a montré que les peuples muets savent aussi
contester et dangereusement.

D’ailleurs, «Il se peut que toutes ces énergies qui ont


dû succomber aient été plus nobles et meilleures que celles
qui ont triomphé. Mais les vainqueurs, poussés pourtant
par le seul désir de dominer, préparent un avenir dont ils
n’ont eux- mêmes pas encore la moindre idée. L’on
pourrait croire qu’ils en ont un léger pressentiment, à les
voir dispenser l’État d’obéir à la morale générale alors
qu’elle demeure valable pour l’individu. C’est ainsi que
l’Empire romain fut créé à l’aide des moyens les plus
atroces, après l’extension de la lutte entre patriciens et
plébéiens dans la guerre des Samnites, et qu’il fut
complété au prix de torrent de sang, par la soumission de
l’Orient et de l’Occident. La raison historique de ces
événements, placés dans la perspective, nous semble
aujourd’hui, du moins, évidente. La création d’une
civilisation universelle commune a rendu possible la
propagation d’une nouvelle religion universelle, le
christianisme, qui furent toutes deux transmises aux
42

barbares Germains comme le futur ciment d’une nouvelle


Europe »30 .

Cependant, la religion chrétienne, d’ailleurs, comme


toutes les religions, n’a jamais été entièrement
indépendante de la culture des peuples qui la pratiquaient
ni de l’époque où elle fleurissait. De même, aucune
religion ne peut subir impunément l’épreuve historique et
implacable de la contestation. En effet, l’histoire des
religions nous apprend qu’elles sont nées de grandes
divergences et qu’elles n’ont pu s’imposer qu’après de
nombreuses contestations.

Dès le Commencement, l’épreuve était difficile. Le


changement, tout comme l’instauration de nouvelles
mœurs ou de nouvelles pratiques, est toujours sujette à des
contestations, parfois violentes. À cet effet, l’histoire du
Christianisme, nous donne des renseignements précieux.
Le dogme chrétien , fixé par les disciples du Christ , et les
pères de l’Église, est résumé dans le Symbole des
Apôtres ou dans le Symbole de Nicée : son credo est la
croyance en un Dieu unique, qui se différencie en trois
personnes, croyance en la nature divine qui débouche sur
la naissance terrestre du Christ (Incarnation) , en son
pouvoir de permettre et de racheter les fautes des
hommes, en sa mort et en sa résurrection , préfiguration de
la résurrection de l’humanité toute entière et du jugement
dernier qui marquera le terme de l’histoire universelle où
les justes iront au Paradis, et les injustes les infidèles, à
l’enfer .Il prône, également, la foi dans la mission et dans
l’enseignement de l’Église et de son chef.

En tant qu’instituons, l’Église a évolué selon des lois


qui, souvent conflictuelles, ont provoqué son
morcellement. D’abord, persécutée, puis tolérée et
30
BURCKHARDT (J.) , op.cit., p.289.
43

reconnue dans l’Empire romain, elle va connaître la


contestation avec la naissance du Protestantisme et son
idéologie qui veut marquer le triomphe d’une nouvelle
conception de l’homme, conception individualiste,
optimiste que l’on a appelé humanisme, mais qui produit
une désorganisation complète de la société médiévale. Il
conteste le fait que l’Église, entièrement préoccupée par
ses soucis d’ordre temporel et politique, se contente de
l’obéissance imposée aux nations catholiques sans tenir
compte de la détresse morale et religieuse du peuple. Cette
lutte réformatrice, va connaître de nouvelles proportions
avec, Martin Luther, maître en philosophie.

En effet, Saint Augustin, qui enseigne la négation du


libre arbitre et qui déifie la foi, supprime l’incertitude
dans laquelle l’Église laisse le pécheur à propos de son
rachat , donne à Luther , une réponse enfin satisfaisante :
au lieu de poursuivre dans l’angoisse une irréalisable
perfection , il faut croire en l’action rédemptrice du Christ
avec humilité ; puisque la volonté humaine n’est pas libre,
la foi, don de la grâce , n’apparaît que chez les âmes
prédestinées, les élues de Dieu. Or, selon Saint Augustin,
le moindre élan vers Dieu, est déjà le fait et le signe de la
grâce. Dieu se confond en l’homme du Bien, en l’homme
juste.

Un autre contestataire, Jean Calvin, maître en droit,


réclame comme Luther, des réformes. Législateur, il
voulait édifier un pouvoir religieux autonome, à côté du
pouvoir bourgeois. L’Église qu’il fonde est une institution
dure et peu sentimentale, moins soucieuse de l’amour que
de la grandeur et de l’honneur de Dieu. Alors que Luther
se désintéresse du temporel, dont il abandonne la gestion
au Prince, Calvin, quant à lui, impose la prépondérance
séculière de l’Église. Il propose un nouveau type d’homme
,l’homme-meilleur, l’homme –economicus, qui est
44

l’ébauche de ce qui sera le grand bourgeois capitaliste


moderne, l’impérialiste des temps modernes. Calvin
tourne l’intérêt de ses activités vers les activités
économiques .Si l’Église a condamné le prêt à intérêt, la
doctrine calviniste sait tourner et interpréter les textes et
reconnaît que dans la vie économique, le crédit est une
nécessité journalière. Pour Calvin, la richesse est le signe
le plus sûr de la grâce, de la prédestination. Qui n’est pas
riche ne peut prétendre au salut et à la saine adoration du
divin. Le salut spirituel passe par la réussite temporelle. Il
impose donc un monde temporel en progrès, un monde
technicien à outrance. La société réformée doit être
harmonieuse, solidaire, équilibrée, active. Tout gaspillage,
toute perte d’énergie, dans le jeu, dans les divertissements
sont à proscrire. Le pieux bourgeois calviniste doit être
pleinement maître de son temps et doit occuper
rationnellement ses journées à fructifier son avoir. Pour
lui, dans la cité, la pauvreté n’est pas honorée
contrairement à ce qu’a pu écrire la Bible ; l’homme doit
apprendre à être riche ,à le devenir et à le demeurer.
cependant, Calvin repousse l’idée d’une exploitation du
riche par le pauvre. La richesse est un ferment social ; elle
doit inciter les plus défavorisés au perfectionnement
individuel et au progrès constant. La richesse doit soutenir
la pauvreté On comprend alors, pourquoi Max Weber dira
que le calvinisme est le support même de la morale
capitaliste.

En définitive, proclamer le droit du croyant à se passer


de la hiérarchie, et même à reconnaître la valeur
rédemptrice des richesses, revenait à modifier l’état
d’esprit chrétien dans son ensemble, à remettre en cause
les normes chrétiennes qui imposaient l’obéissance
passive, et considéraient comme héroïques l’ascétisme et
le renoncement. Comme on le voit, le problème de
l’autorité de l’Église ne se limite –t-il pas trop souvent à
45

une mise en question de ceux qui détiennent l’Autorité ?


La présentation des cahiers de doléances, la contestation,
la désobéissance délibérée ne visent –elles pas à instaurer
un nouvel ordre évangélique, en s’insurgeant contre une
Église bâtie sur le chemin archaïque de la monarchie
absolue ? Toutefois, le malaise est plus fondamental et les
contestations deviennent récurrentes ;l’obligation du
célibat des prêtres lié au sacerdoce, le célibat des nones,
les scandales de pédophilie, les dîmes non déclarées, les
prêtres-pères, disons les prêtres-papas et tous ces
symptômes renvoient à une rupture de contact entre
l’homme et l’Église. Le langage religieux a perdu son
pouvoir de suggestion et de séduction. La légitimité de l
‘Église est contestée. Aujourd’hui, le croyant se demande
comment le monde sécularisé peut s’harmoniser avec la
religion. De toute évidence, les structures de l’Église, le
carcan dogmatique où la foi est restée emprisonnée, la
Bible même ne peut plus rester longtemps en marge de la
contestation et préserver des îlots sacrés à l’intérieur d’un
monde de plus en plus exigeant, intellectuel et fier de sa
liberté. Selon les contestataires, elles sont en contradiction
avec les normes évangéliques ou avec les valeurs
exprimées par le Concile de Vatican II. C’est le cas de
bien de réactions dans certains pays ou diocèses (celles
des groupes de catholiques portugais par exemple à propos
de la position des évêques dans la guerre coloniale en
Afrique). La contestation peut porter aussi sur le système
social lorsque les canaux de communication sont
déficients. Et aujourd’hui, l’église, et surtout le Vatican
reconnaît le bien fondé de ces contestations et va même ,
à présenter ses excuses au monde en ce qui concerne la
pédophilie des prêtres.

L’autre religion révélée, l’Islam, n’a pas échappé elle


aussi à la contestation. En effet, il y a à l’intérieur de cette
Civilisation, un immense déchirement et un antagonisme
46

opposant des valeurs et des systèmes pour le moins


contradictoires. Ayant connu une civilisation avancée et
un essor notoire des disciplines scientifiques et
philosophiques, il se trouve sans doute armé pour faire
face aux difficultés nouvelles. Cependant, les différentes
contestations ont engendré de principales écoles ou
tendances à la suite des divergences dans l’interprétation
du Coran, de la Sunna, et du Hadith. Les musulmans se
sont divisés, formant deux grandes sectes principales : les
Sunnites31 et les Schites.32 Les Sunnites dénient aux
descendants d’Ali (Calife de 656 à 661) tout droit au
31
«Les Sunnites appartiennent à plusieurs écoles juridiques
notamment :
-l’école Hanafite (699-767) : répandue surtout en Syrie , en Irak, au
Pakistan, en Afghanistan, en Inde, en Chine, et en Turquie. –L’école
Syrienne de l’Imam Al Ouzaï (mort en 774) : au Liban et en Syrie.-
l’école Malikite (720-796) : connue surtout en Egypte, au Maroc et en
Afrique noire. –L’école Chaféite (767-820) : majoritaire en Arabie,
en Indonésie, en Malaisie et en Jordanie. –L’école Hanbalite ( 780-
855) : répandue en Syrie, en Irak, et surtout en Arabie Saoudite . –
L’école Wahhabite (1703-1792) : qui dérive de l’école précédente et
qui est la seule à être reconnue officiellement. –L’école Salafite
(fondée par al –Afghani, (1839-1897 en Egypte)» .(source, l’homme
du XXè siècle et son esprit)
32
«Formés autour des partisans d’Ali, à la suite de sa déposition , le
Chiisme défend le Califat héréditaire et réserve aux Imams
descendant d’Ali, le droit de diriger les musulmans , Ali étant le
genre de Mahomet ( Paix et Salut soit sur Lui ).Persécutés par les
ABBASSIDES .,les Chiites trouveront des partisans surtout parmi les
peuples soumis et les minorités.Le Schisme donnera naissance à de
nombreuses sectes allant des plus modérées aux plus extrémistes :
-Kharijites ( VIIè siècle) :Golfe arabique, Zanzibar, Tunisie, Algérie.-
Ismaélites (VIIIè siècle ) : Syrie ( nombreuses ramifications) –
Nosairites (IXè siècle) : Syrie( région de Lattaquié et de Tartouse ).-
Druzes (XI è siècle) :sud de la Syrie, Mont –Liban et Galilée. –
Nizârites (XIIè siècle) : Inde , leur chef est l’ Aga Khan. –Imamites
(XVII è siècle) : Iran.-Sanusites ( 1837) : Libye, dynastie régnante
jusqu’à 1969.-Ahmadites ( 1880) :Inde , Indonésie.- Babistes (1884) :
Chiraz.- Bahaïstes : dérivent des précédents.-Mahadistes (1881) :
Soudan et Egypte.» (source, l’homme du XXè siècle et son esprit)
47

pouvoir et accordent autant d’importance à la Tradition


qu’au Coran. Il faut signaler aussi l’Association des Frères
Musulmans, fondée en 1928 par Hasan Al –Bauna, dont la
contestation consiste à mettre en place de nouvelles
réformes. L’essentiel de ses objectifs consiste dans la
réalisation d’un vaste rassemblement communautaire des
Musulmans, pour faire face aux influences occidentales et
marxistes. Elle prêche le retour à l’esprit de l’Islam et
invite les Musulmans à dépasser leurs oppositions
traditionnelles et leurs divisions dogmatiques et politiques,
pour former un seul grand État indépendant. Le Colonel
Kadhafi le signalait, déjà , lors d’une visite d’amitié en
août 2010 en Italie. Ce puissant État aura comme
Constitution, le Coran et fonderait sa législation et son
enseignement sur la Loi musulmane. Les contestations, les
extrémismes souvent violents de ces différentes tendances
ou sectes vont entraîner de troubles sociaux au point qu’on
a tendance à croire que l’Islam rime avec le terrorisme.
Les attentats du World Trade Center, les enlèvements
d’Al-Qaïda au Maghreb, montrent toutes les
contradictions de la religion de Mohamed avec ses
nouveaux disciples. On parle même de la guerre de la
Civilisation contre la barbarie, et Paul Berman n’hésite pas
à parler de les Habits neufs de la terreur33, depuis les
Evénements du 11 septembre 2002 aux États- Unis, avec
la destruction des deux tours jumelles du World Trade
Center par des terroristes au nom d’Allah. Comment et
pourquoi peut-on , au nom de Dieu, pour Dieu, commettre
des actes que Dieu même interdit ? « Toutefois, comme le
dit Emmanuel Kant, ce mécanisme s’oppose à la raison
humaine qui ne nous conduit que vers un seul être de tous
les êtres et qui ne peut le penser autrement que comme
suprêmement sain. Comment ? Devons-nous déduire le

33
BERMAN (P ;).-Les habits neufs de la terreur, Traduit de
l’américain par RICHARD ROBERT ,( Paris, Hachettes Littératures,
2004).
48

mal aussi d’un Dieu saint ? Les considérations suivantes


nous donneront des éclaircissements. On doit noter en
premier lieu que, parmi la foule des créatures, l’homme est
précisément celui qui doit élaborer ses perfections et, par
conséquent, doit aussi produire la bonté de son caractère
par lui-même. Pour cette raison, Dieu l’a doté de talents et
de capacités mais lui a également donné le pouvoir de
choisir ce qu’il veut en faire. Dieu a créé l’homme libre,
mais il lui a aussi donné des instincts animaux. Dieu a
donné à l’homme des sens que l’homme doit tempérer et
maîtriser en développant sa raison. Ainsi créé, l’homme
était certainement parfait dans sa nature et ses
dispositions ; mais quant au développement de celles-ci,
l’homme était encore inculte. L’homme devait être lui-
même responsable non seulement de la culture de ses
talents, mais aussi de la bonté de sa volonté. Une telle
créature, munie de grandes capacités dont l’utilisation
reste son affaire, est en fait d’importance. On peut en
attendre beaucoup mais, d’un autre côté, on peut aussi ne
pas moins craindre d’elle. L’homme peut se placer au –
dessus de toute une armée d’anges abouliques peut- être
mais, du même coup, il peut aussi s’abaisser en –dessous
des animaux insensés. Or, si l’homme veut amorcer le
début de sa culture, sortir de son état inculte et s’arracher à
ses instincts, que sera donc son sort ? Faux pas et bêtises !
Et qui remercier sinon lui-même ? » 34

Le mal constitue, somme toute un des éléments de


l’économie universelle, qui se présente sous l’aspect de la
violence et du droit du plus fort, du plus riche ou du droit
du plus rusé, préfigurés dans la lutte pour la vie. L’image
de Prométhée, le voleur de feu continue de hanter la
conscience collective de notre modernité. Avant Socrate,
Moïse, Jésus et Mahomet, Prométhée fut enchaîné pour

34
KANT (E. ).- Leçons sur la théorie philosophique de la religion
(Paris, UGE , COLL. LIVRE DE POCHE, 1993), pp.152-153.
49

avoir contesté les prescriptions de son supérieur, de Zeus,


le Tout -.Puissant dieu. Le mythe de Prométhée montre
toute l’épreuve du commencement de la contestation, mais
aussi le commencement de l’épreuve.

Si l’on doit rester sur la réserve dans ce domaine si


obscur des origines, il faut, cependant, admettre que le
mythe de Prométhée, a éveillé une profonde curiosité aux
préoccupations successives de l’avenir dans le domaine
religieux ou moral, ainsi que des aspirations qui, au cours
des siècles, ont prédominé dans le cœur humain. Comme
le révèle Louis Séchan, « Prométhée à qui, nous le
verrons, on attribuera même parfois la création de
l’homme, apparaît au Vè siècle comme le bienfaiteur de
l’humanité qu’il aime, en contraste avec une divinité
hostile et jalouse qu’il affrontera dans une lutte
douloureuse. Grâce au feu qu’il dérobe à Zeus pour le
donner aux hommes, il sera le premier artisan du progrès
matériel et moral, le prometteur de toute civilisation, mais
cela ne lui vaudra qu’une ample moisson de souffrance,
car il expiera sa révolte et son amour par un long
supplice »35.

Le mythe de Prométhée, c’est le mythe de la


contestation, le mythe de l’élévation de l’homme par la
conquête du feu car avec Prométhée, les rapports de
l’homme avec les dieux se transformèrent. Mais, la
contestation a un prix et s’assume, et la lutte ne prend pas
fin avec le châtiment, c’est au contraire le commencement
de l’épreuve. Car, Prométhée n’est plus cette victime qui
ne sait que souffrir et attendre sa grâce, enchaîné par les
bourreaux de Zeus, il ne cesse de tenir tête à ses ennemis.
L’épreuve de Prométhée devient à la fois une Rédemption
et un péché originel. « Pour les pères de l’Église, par

35
SÉCHAN (L.).-Le mythe de Prométhée (Paris, PUF, 1985) , pp.14-
15.
50

exemple, non seulement Prométhée, quand il évoque un


rédempteur futur, aurait en quelque sorte entrevu la
mission du Christ, mais ce Titan qui, pour avoir trop aimé
les hommes, souffre comme eux jusque dans sa chair, leur
semble préfigurer le destin de l’Homme- Dieu.
(...)Prométhée ne semblait –il pas, d’ailleurs, annoncer une
religion nouvelle par sa haine des dieux et les allusions
qu’il fait à la chute menaçante de Zeus ? »36

Ce qu’on exalte dans Prométhée, c’est l’orgueil du


contestataire, en présence d’une divinité oppressive et
puissante, c’est le contestataire conscient de son bon droit
et de sa force, l’apôtre et le garant d’un avenir meilleur, le
héraut des futures victoires. « D’où la valeur
« étiologique » du mythe dans son ensemble et l’allure
didactique du récit : visiblement s’y manifeste le souci de
rendre compte aux opprimés de leur misère, de la leur
faire accepter comme une contrainte inévitable, et par là
légitime. Le champion de l’humanité a été vaincu par la
force, et ses ruses même ont été déjouées par l’intelligence
infaillible du roi des dieux. Quant aux hommes, ils
supporteront à jamais le poids de cette défaite
irrémédiable : de là leur triste condition, de là ce dur
labeur du paysan, dont la récompense est si maigre. Telle
est la loi de Zeus : personne ne peut s’y soustraire, fût- ce
par la ruse ; Prométhée en est l’exemple mémorable »37.
Mais, de toutes les façons, Prométhée est le bienfaiteur de
l’humanité, son défenseur contre la tyrannie de Zeus et
l’artisan de son progrès- il a pris le feu du ciel pour le
donner aux hommes. Ce feu est une semence, la « source
de tous les arts ». Prométhée, ce héros voleur du feu,
devient l’initiateur de toutes les techniques dont
l’acquisition ouvrît pour l’humanité l’accès à la

36
SÉCHAN(L.), op.cit., pp.15-16
37
GOBLOT(J-J.).-Introduction à Prométhée enchaîné d’ESCHYLE ,
(Paris, Editions sociales, 1967), p.20.
51

civilisation. Il devient le défenseur du droit inaliénable


contre l’arbitraire et la violence.

Dans son ouvrage, Prométhée enchaîné, Eschyle, nous


révèle que Prométhée est le symbole de la contestation, de
la révolte. Pour Eschyle, la justice n’est point l’absolu
d’un « bon droit »subjectif, ni une justice intemporelle qui
n’aurait d’existence que dans le ciel des idées. Elle est la
juste harmonie qu’engendrera le Temps, et la contestation
de Prométhée s’inscrit objectivement dans l’ordre du
monde, dans sa genèse douloureuse, dans les rapports des
hommes avec les dieux et dans ceux des pouvoirs divins
entre eux. La contestation de Prométhée est donc une
révolution par quoi se réalise donc enfin la liberté des
hommes en faisant tomber le masque de la tyrannie et de
la domination. Alors s’illuminera pour l’humanité un
nouvel âge d’or, une société nouvelle fondée sur la
communauté des désirs et des biens, sur la paix, la justice
et la fraternité. « Par quelles voies la figure de Prométhée
est-elle donc devenue apte à constituer ce grand symbole
moderne dont nous parlions ? Il faut ici revenir un peu en
arrière, nous dit Goblot. Dès le XVIIe siècle, le philosophe
anglais Hobbes, théoricien et défenseur de la monarchie
absolue, avait vu en Prométhée l’image du rebelle
vainement insurgé contre le pouvoir du prince ; le mythe
était ainsi doté d’une signification politique très moderne :
quand le déclin de l’absolutisme allait commencer,
Prométhée était déjà prêt à incarner, d’une façon positive
cette fois, l’idée de la révolte et de la protestation contre la
tyrannie ».38

Ainsi, Prométhée est-il devenu le symbole de la


démocratie, l’instigateur des contradictions, des rebellions,
le héros de la contestation pour tracer les sillons du
progrès de l’humanité. Et après l’épreuve du
38
GOBLOT(J-J) , op. cit., p.82.
52

commencement, c’est le commencement de l’épreuve du


contestataire, sa dernière contestation avant le supplice :
« Aux actes enfin les mots cèdent la place :
« La terre s’est prise à vaciller, tandis qu’en ses
(Tréfonds résonne
«La voix grondante du tonnerre !
«L’éclair fait flamboyer ses torsades de feu
« Et dans le tourbillon des rafales la poussière s’élève
(En volutes !
« Les vents bondissent : tous leurs souffles contraires
« L’un l’autre s’affrontant, la discorde entre eux se
(déclare,
« Et l’éther s’est confondu avec les flots de la mer !
« Ah, je la reconnais, cette tempête qui s’avance :
« Zeus contre moi la précipite, et veut me faire
(Peur !
« O ma mère, ô terre sacrée, et toi, Ether
« Qui fait rouler autour du monde la lumière offerte
(à tous,
« Soyez témoins de l’injustice que je subis ! »39

Ce texte ne définit-il pas ici une pensée profondément


dialectique qui sait mettre à nu dans toute sa profondeur la
contestation, le conflit, le déchirement dans la vérité du
concept, malgré son contexte mythique ?

III. Textes, contextes, concepts

Cet essai a, comme nous l’avons dit, pour objet,


philosophie et contestations en Afrique. Il est donc un
texte contestataire, qui, certainement, sera virulent en
certains endroits et écorchera les règles de la langue
française, une langue qui n’est pas la nôtre mais qui nous

39
ESCHYLE – Prométhée enchaîné, (Paris, Editions sociales, 1967 )
, traduction nouvelle , introduction et notes par JEAN –JACQUES
GOBLOT, pp.162-163.
53

est imposée et que, malgré tout, nous sommes obligés


d’accepter et de l’utiliser comme outil de travail et de
communication. Le développement de la langue française
apparaît peu à peu à travers le temps ; entre temps, nos
langues africaines se meurent, étant donné que nous les
utilisons difficilement. Nous perdons plus de temps au
travail que dans nos familles respectives, l’un des rares
lieux où nous avons le privilège de nous exprimer
librement dans notre langue et d’être sûrs d’être compris.
Le français, notre langue d’emprunt, a sa composition
spécifique, son unité qui prend une forme spécifique. Tout
sujet demande un alinéa, toute phrase une majuscule et un
point, tout mot son espace blanc. La syntaxe et la
ponctuation deviennent plus précises, plus formelles du
fait qu’elles se visualisent. Le discours opère comme l’un
de ses canaux qui forment le faisceau de la
communication.

Aujourd’hui, l’Afrique est bouleversée et chaque mot


de notre texte se veut le récit renouvelé de ce
bouleversement. Notre texte devient le théâtre d’un
affrontement sans confusion, champ de bataille des idées
dans une Afrique dont l’unité s’effrite et qui ne trouve plus
à se nommer qu’à partir des calamités, des meurtrissures,
des dictatures qui l’ont si violemment déchirée. Notre
contestation, est l’intériorisation très forte de la douleur
aux prises avec les images épouvantables d’un continent
en délire. Notre texte est de la contestation, et comme tel,
il demeure engagé, si ce thème a aujourd’hui encore un
sens en Afrique. C’est pourquoi, nous avons jugé bon
d’exposer toute la problématique du thème pour en
dévoiler le sens, sinon les sens. Notre intention à travers
cette thèse, est non pas de changer l’Afrique, mais de
l’aider à se critiquer, à comprendre son mal, notre mal.
Car si l’Afrique, en tant que totalité s’effondre, elle
« libère la profusion des simulacres, des signes empruntés
54

et détournés de leur sens, à partir desquels une parole autre


devient possible. Que, dans le règne toujours plus insistant
de l’histoire, toute présence à soi et aux autres soit déniée
à l’individu fait que ce dernier ne revendique désormais
que son propre rôle : l’interprétation infinie de son
absence d’être »40.

Nous, nous voudrions revendiquer pour l’Afrique un


développement plus harmonieux, une liberté plus assurée
pour construire un monde à visage humain. Il est vrai que
ce ne sont que des intentions, et l’œuvre peut échapper à
son producteur ; mais notre vocation est de nous
conquérir, de nous comprendre, d’être esprit et de nous
connaître comme esprit ; nous voudrions nous perdre pour
nous gagner : pour agir et pour créer en contestant ce qui
est. Et ce qui est aujourd’hui en Afrique, c’est le culte de
la différence, la désarticulation politique et culturelle, les
crises identitaires aiguës qui débouchent malheureusement
sur la violence et la domination. Tels sont les éléments qui
animeront notre thèse. N’est - pas que la contestation est
un acte, l’acte de la liberté ?

Ce qui nous intéresse dans cet essai, ce n’est pas le


propre qui s’oppose au figuré, mais la critique qui
l’absorbe pour s’en approprier. Ce que nous recherchons,
c’est « la meilleure expression »de la contestation et nous
savons que quelque soit la nature du sens visé, il y ‘aura
toujours une expression meilleure que toutes les autres.
Nous voudrions, au-delà de cet essai, que notre langage
soit le reflet de la contestation qui se passe ici et ailleurs,
en Afrique et dans le monde, tant s’il est vrai que
40
QUINSAT (G. ) ‘’ La création littéraire –l’imaginaire et
l’écriture’’ in Encyclopaedia universalis, , symposium ( Paris,
Encyclopaedia universalis, 1986 ), p.138.
55

l’Afrique fait encore partie du monde. Que l’Afrique se


réconcilie avec ses identités, avec elle-même , pour
prétendre se réconcilier avec le reste du monde. Peut-être
qu’il y’ aura en nous un sentiment ; mais ce sentiment
n’est pas de la haine pour notre continent, mais de
l’amour, n’est-ce pas que qui aime bien châtie bien ?
Chaque sentiment que nous avons en nous a son mot
propre à réveiller une idée et ce sentiment est mieux
exprimé quand nous appuyons avec force sur les raisons
qui le produisent. Les détails de notre contestation sont
encore l’expression de notre sentiment d’appartenance à
l’Afrique.

En fait, cet essai s’organise à partir d’une période de


crise qu‘a connue l’Afrique depuis la période de
l’esclavage jusqu’à aujourd’hui .Il a pour ambition de
relater, selon l’expression de Bidima, la traversée de la
philosophie africaine par le déchirement de ses identités. Il
s’opère à cette époque, une exclusion quasi –totale de
l’Afrique à l’humanité, et cela va continuer jusqu’aux
années 60, période pendant laquelle de nombreux pays
africains vont accéder à leur indépendance, si formelle
soit- elle. C’est ce qui justifie notre première partie
intitulée : Histoire et contestation. Ici, notre devoir sera de
montrer dans les différents chapitres, l’origine de la
contestation de l’Afrique qui débouche sur sa non –
appartenance à l’humanité et à l’Histoire d’une part et sa
désarticulation culturelle qui est un branle- bas du
discours raciste et impérialiste, le rejet de toute civilisation
et de tout savoir à l’Afrique. Dès lors, les élites africaines
vont contester la situation de leur –être –dans – le – monde
pour s’affirmer plus dignement et faire reconnaître leur
appartenance à l’Histoire Universelle qu’on leur avait
déniée, d’autre part. Mais, comment s’y prendront-ils ? À
nos yeux, les contestataires africains ont privilégié le Culte
de la Différence pour se départir du joug colonial et
56

proclamer leur africanité, pour certains et leur négritude


pour d’autre ; ce qui va leur permettre d’imposer leur
« philosophie », disons, de faire admettre par la force des
choses, que le nègre est un être réel pensant et agissant,
qui a une raison et une histoire ; il n’est pas tombé du ciel
et ne pousse pas des terres comme des champions, il a une
philosophie, il a sa philosophie, il philosophe.

C’est ainsi qu’à partir des années 70, de nouvelles


vagues de penseurs africains vont adhérer à ces idéologies
pour relancer le fameux débat contradictoire de la
problématique de la philosophie africaine en général et de
la place de l’homme africain en cette période controversée
de la modernité, en cette période de crises aiguës du
continent africain où le despotisme, les guerres tribales, les
tyrannies , et la pauvreté sont le lot quotidien des
populations avec l’aide bienveillante et le regard complice
du néo-colonisateur. Tout ceci corroboré par les
Différends culturels. C’est pourquoi, cette partie, nous
avons bien voulu l’intituler : de la proclamation d’une
philosophie ‘’ethnique‘’ contestée au culte de la différence
culturelle.

En ce qui concerne notre troisième partie, elle


s’organise à partir des années 70 jusqu’aux années90,
période pendant laquelle, les occidentaux décident de ne
donner des aides qu’aux États qui auront accepté le
pluralisme politique. Le Sommet de la Baule invitait ainsi
les États africains, les partis uniques africains, à accepter
malgré eux, la « démocratie ». C’est ici que la fronde de la
contestation a été violente avec l’organisation dans
plusieurs pays, des Conférences nationales, des élections
pluralistes même si elles n’ont jamais été transparentes,
justes, libres et ouvertes à tous. Les conséquences, on les
connaît : les marches, les sit-in, les villes mortes, les pays
57

morts, les rebellions, les guerres tribales, les délits de


faciès, les charniers et les génocides.

Dans cette partie, nous avons voulu montrer les


contradictions entre les penseurs africains, les fondements
d’une part et les mécanismes de la machine contestataire
d’autre part, c’est – à- dire les idéologies qui ont provoqué
et qui continuent encore de provoquer de graves différends
politiques. Nous avons voulu étendre cette partie à
quelques grands contestataires de la pensée africaine
moderne, notamment à ceux qu’on a appelé, pour certains,
les « révolutionnaires », pour d’autres, les « critiques » ;
ces contestataires, qui à défaut de changer l’Afrique, l’ont
interprétée soit par des critiques soit par des actions aussi
modérées que violentes. Nous les analyserons par rapport
à leur pensée et nous essayerons de savoir si à travers eux
et leurs œuvres, nous pourrions bâtir une Afrique des
possibles, traversée çà et là d’angoisse et de certitude.
C’est ainsi que nous avons bien voulu intituler cette
dernière partie : des différends de la pensée à la pensée de
la différence. Enfin, nous essayerons de conclure non
pour achever ou pour mettre fin à ce que nous avons
commencé, mais pour l’ouvrir de nouveau en effectuant
seulement un arrêt, une pause, pour reprendre notre
souffle, regarder droit devant nous et emprunter les
chemins qui mènent à la Re-naissance africaine, les
chemins de la réconciliation des identités..

Dans chaque partie, nous avons choisi d’étudier le


domaine qui nous paraissait le plus révélateur ; d’où sans
doute, le lecteur pourrait sentir une impression de
discontinuité ou de l’absence de certains auteurs à la
lecture de nos différents chapitres. En outre, la pluralité
des théories, des auteurs, des concepts et des idéologies,
examinée, donne à ce travail un caractère historique de la
pensée africaine. Il est donc manifeste que les théories et
58

les auteurs que nous analysons sont utiles pour notre


engagement dans la voie de la contestation, et leurs
fonctions propres ne sont pas de persuader mais de voir les
moyens de persuader que comporte chaque sujet. Toute
parole peut être efficace pourvu qu’elle puisse atteindre
l’objectif visé ; et notre objectif, c’est contester ce qui est,
pour permettre à l’Afrique de re - partir de nouveau, de
bien partir cette fois. Nous n’avons pas voulu dans cet
avant-propos, nous soumettre à la délicatesse tache de la
définition des mots, car chaque mot a d’abord une
signification primitive et fondamentale qui lui vient de la
décision de l’usage qu’on en fait et qui doit être le
principal objet à définir dans un dictionnaire ainsi que
dans la traduction littérale d’une langue en une autre ; or,
comme nous l’avons dit, le français n’est pas notre langue
maternelle, elle n’est pas non plus la langue d’Afrique et
nous pensons, comme le dit Tzvetan Todorov, que « Le
sens est dérivé de la signification par analogie ou par
connexion , par métaphore ou par métonymie ; dans le
discours réel on n’a affaire qu’à du sens, la signification
est réservée au lexique, à une vue paradigmatique sur les
mots. La seule réalité empirique est le sens ; la
signification, elle, se situe à un niveau « profond », et non
de « surface »41.

Le sens de notre travail, c’est d’interroger les


philosophes pour comprendre les crises politiques et
culturelles en Afrique. Nous voudrions entrer en dialogue
avec l’histoire de la philosophie, en dialogue avec
l’Afrique elle-même, avec ses identités, elle même et
l’autre, elle et son autre. Mais ce dialogue n’est
véritablement possible que si nous acceptions de poser des
questions fondamentales pour nous-mêmes et à nous –
mêmes dans la liberté et la responsabilité du penser. « Il se
peut que toutes les raisons aient été données : il n’en
41
TODOROV (T . ) –Théories du symbole (Paris, Seuil, 1977), p.91.
59

restera pas moins à choisir celle qui est la bonne, la vraie,


celle que nous ferons nôtre, (...) en connaissance de cause,
responsable de notre jugement devant le tribunal de notre
raison. Ce n’est pas que les réponses que nous apporte et
propose l’histoire de la philosophie ne puissent rien nous
enseigner : seule la sottise croit n’avoir aucune dette
(...).Mais quand il s’agit de philosophie, la reconnaissance
de notre dette ne nous décharge pas de notre
responsabilité. (...)Posons donc notre question
traditionnelle, mais posons –la nous- mêmes et pour nous-
mêmes »42.

Pour notre part, nous voudrions poser nous- mêmes,


pour nous –mêmes, la question fondamentale de la
contestation, d’une part dans sa plus grande universalité,
d’autre part, dans ses déterminations culturelles et
politiques en Afrique. Il faut renoncer à se laisser obséder
par l’afro- pessimisme et assumer son africanité en toute
conscience en reconnaissant notre responsabilité dans les
crises actuelles auxquelles l’Afrique se trouve confrontée.
Nous voudrions refuser la fermeture sur soi du discours
de ressentiment pour proposer un discours ouvert qui
abrite, néanmoins, la séparation d’avec soi « la dualité du
dire et du dit, de la vérité et de son sens, sans lesquels il
n’y aurait aucun jeu au cœur du discours, aucun
mouvement, aucun procès de la réflexion. Il s’ensuit que
le discours est, d’autre part, ouvert à... : à l’autre qui lui
paraît réalité extérieure ; à l’autre qui le contre- dit –
liberté qui lui dit non et ainsi se dit , et qui prend diverses
figures se contre – disant entre elles ; à l’autre qui peut
refuser absolument d’entrer dans le discours – liberté
purement violente, retournée au silence ; à l’autre enfin
qui le comprend – tout sensé , réalité totale , cosmos- et en

42
WEIL (E.) –Essais et Conférences, tome I (Paris, Plon, 1970) ,
p.297
60

lequel il se comprend , compris et se comprenant , d’un


mouvement in- fini »43.

Ainsi notre œuvre est-elle une tentative d’accéder aux


frontières de la contestation en Afrique sans franchir les
limites, de remembrer la totalité du discours identitaire
sans s’épargner la violence de ses spécificités, de faire
prédominer le sens et la promesse de la re-naissance
africaine sans omettre la rigueur ni la structure. C’est dire
que notre œuvre sans cesse, s’expose aux soupçons et aux
interprétations. Il faut bien vouloir accepter notre dire qui
n’est qu’un indicible mal dit, ou un révélé mal interprété,
si notre parole est un masque qui s’annule ou se dévoile en
dévoilant. D’ailleurs, comme le dit Gilles Deleuze, «Toute
interprétation est détermination du sens d’un phénomène.
Le sens consiste précisément dans un rapport de forces,
d’après lequel certains agissent et d’autres réagissent dans
un ensemble complexe et hiérarchisé. Quelle que soit la
complexité d’un phénomène, nous distinguons bien des
forces actives, primaires, de conquête et de subjugation , et
des forces réactives , secondaires , d’adaptation et de
régulation. Cette distinction n’est pas seulement
qualitative et typologique. Car l’essence de la force est
d’être en rapport avec d’autres forces ; et, dans ce rapport,
elle reçoit son essence ou qualité »44.

Philosophie et contestation en Afrique, c’est donc de


cela qu’il s’agit ; et ce cri ne doit pas être entendu comme
une illumination de l’intelligence, mais comme la limite
même de notre imagination au miroir de notre continent,
de nos gestes et de nos dires. « Dans le champ intellectuel,
le choix politique est un arrêt de langage- donc une
jouissance. Cependant, le langage reprend, sous sa forme

43
KIRSCHER (G .) –La philosophie d’Eric Weil (Paris, PUF, 1989),
p.13.
44
DELEUZE (G.). -Nietzsche ( Paris, PUF, 1977), pp.23-24.
61

la plus consistante (le stéréotype politique). Ce langage –


là, il faut alors l’avaler sans nausée »45. Cela dit, notre
texte va t-il réconcilier l’Afrique d’avec elle-même et
l’Afrique d’avec le reste du monde ou va-t-il accroître la
déchirure entre ces identités ? Nous ne sommes pas assez
subtils pour le savoir, mais nous savons que chaque jour
vient avec son nouveau soleil, avec son temps et avec ses
humeurs. Notre Texte serait lui aussi ce nouveau soleil,
non pour éclairer l’Afrique ou pour sécher son linge, mais
seulement pour dire qu’il commence à faire jour et aider
les braves paysans qui parcourent, par la marche, de longs
chemins pleins de rosée pour se rendre dans leurs champs,
en tenant encore leurs dabas et leurs houes , à ne pas
prendre froid, à rester debout, prêt pour la conquête de la
liberté et de la lutte contre la domination.

Notre enjeu, c’est l’acceptation de la différence dans


une société mondialisée ; c’est la réflexion sur nous –
mêmes, et cette réflexion est l’identité déterminée à se
comporter en regard de cette différence comme identique à
soi, parce que la différence est diversité. Notre refus, c’est
d’être Tarentule ou l’Araignée nietzschéenne armée d’un
esprit de vengeance ou de ressentiment, dont la puissance
de contagion est son venin, dont la volonté est de punir et
de juger. Nous voulons que la différence soit le Différend
mais qu’elle ne prenne subrepticement la place du conflit
armé. « La différence n’est pas ce qui masque ou édulcore
le conflit : elle se conquiert sur le conflit, elle est au- delà
et à côté de lui. Le conflit n’est rien d’autre que l’état
moral de la différence ; chaque fois (et cela devient
fréquent) qu’il n’est pas tactique (visant à transformer une
situation réelle), on peut pointer en lui le manque –à -
jouir, l’échec d’une perversion qui s’aplatit sous son
propre code et ne sait plus s’inventer : le conflit est

45
BARTHES (R.).-Le plaisir du texte (Paris,Seuil, collection TEL
QUEL, 1973 ), p.70
62

toujours codé, l’agression n’est que le plus éculé des


langages. En refusant la violence, c’est le code même que
je refuse »46.

Nous savons que l’on souffre en Afrique et qu’un


homme qui souffre est un danger public, un déséquilibré
plus redoutable qui a du mal à dissimuler son mal ; son
délire est générateur d’événements ,sources de
contestations et inspirateur d’utopie. « Dans une cité
parfaite, tout conflit cesserait, les volontés y seraient
jugulées, apaisées ou rendues miraculeusement
convergentes ;y régnerait seulement l’unité, sans
l’ingrédient du hasard ou de la contradiction. L’utopie est
une mixture de rationalisme puéril et d’angélisme
sécularisé. Nous sommes noyés dans le mal. Non point
que tous nos actes soient mauvais ; mais, quand il nous
arrive d’en commettre de bons, nous en souffrons, pour
avoir contrecarré nos mouvements spontanés : la pratique
de la vertu se ramène à un exercice de pénitence, à
l’apprentissage de la macération »47.

Une chose est certaine : notre Afrique n’est plus celle


des siècles derniers. Un soleil nouveau s’est levé, l’air que
nous respirons n’est plus le même et les questions et les
préoccupations d’hier ont changé de nature. Notre
épanouissement dépendra de notre détermination, notre
liberté, viendra de notre décision, notre volonté fera de
cette Afrique- là, ce que nous voudrions qu’elle soit. Pour
notre part, nous connaissons notre temps sans le
comprendre, nous le vivons sans le saisir, nous y sommes
sans y être vraiment car notre temps est le temps des
échecs, le temps des dérélictions ; il demeure cette terra
difficultatis dont parlait Saint Augustin dans ses
Confessons. Mais ce temps est notre temps, il est temps de

46
BARTHES (R.), op.cit, pp. 27-28.
47
CIORAN –Histoire et utopie (Paris, Gallimard, 1960) , p.111.
63

l’homme à l’œuvre qui veut dresser la carte de son


humanité en réconciliant les identités, le temps de la
connaissance et de l’action, le temps de la Liberté.

Ainsi, contrairement à ce que disait Nietzsche,


devons-nous choisir notre adversaire pour faire la paix et
non la guerre, une paix pour notre pensée ; et si notre
pensée succombe, notre loyauté doit, néanmoins, crier
victoire. En conférant donc une signification culturelle et
sociale à notre ouvrage, nous voudrions tenter d’ouvrir
pour notre propre compte, l’une des voies de la Re-
naissance africaine. Cette voie ouverte, puisse le lecteur
l’emprunter avec plaisir dans l’épreuve ardente de la
Contestation.
64
65

Première partie : Histoire et


contestation
66

« Saches- le donc, toute création vraie n’est point préjugé sur


l’avenir , poursuite de chimère et utopie, mais visage nouveau lu dans
le présent lequel est réserve de matériau en vrac reçu en héritage , et
dont il ne s’agit pour toi ni de te réjouir ni de te plaindre , car
simplement comme toi , ils sont , ayant pris naissance ».
SAINT-EXUPERY (A.de).-Citadelle (Paris, Livre de
poche,1971), p.192.

« Agir dans la nature, transporter l’imprévisibilité humaine dans


un domaine où l’on est confronté à des forces élémentaires qu’on ne
sera peut-être jamais capable de contrôler sûrement, est assez
dangereux ».

ARENDT (H.).- La crise de la culture, traduit de l’anglais sous la


direction de Patrick Lévy, (Paris, Gallimard, 1972), p.85.
67

Chapitre 1: De l’origine de la contestation

« Le frère livrera son frère à la mort et le père son enfant ; les


enfants se dresseront contre leurs parents et les feront mourir. Et
vous serez haïs de tous à cause de mon Nom, mais celui qui aura tenu
jusqu’au bout, celui-là sera sauvé. »
« N’allez pas croire que je suis venu apporter la paix sur la
terre, je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive, car je suis
venu opposer l’homme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa
belle-mère ; on aura pour ennemis les gens de sa famille ».
« Qui aime son père ou sa mère plus que moi, n’est pas digne
de moi » .
LA SAINTE BIBLE, Evangile selon Saint Matthieu, cité par
STEPHANE (ANDRE).-L’univers contestationnaire (Paris, PBP,
1969, p..5).

« Celui qui commet une faute ou un péché, et puis les rejette sur un
homme innocent, portera la charge du mensonge et d’un péché
évident » .
LE SAINT CORAN, trad.Kasimirski, Sourate IV (Les femmes)
verset 112,(Paris, Garnier-Flammarion, 1970), p.99.

I. 1. Afrique : genèse d’un mal- entendu

«La politique des États est dans leur géographie » :


cette phrase de Napoléon qu’on trouve en germe dans les
Histoires de Hérodote, au livre VII de La Politique
d’Aristote où le stagirite formule une théorie des relations
entre le climat et la liberté et reprise à travers des siècles ,
montre que les Idées ne peuvent se départir du milieu dans
lequel l’on vit , et que l’Histoire des peuples, des nations
et des continents est solidement et intimement liée à leur
68

géographie . Les Choses et les Êtres sont nommés,


valorisés ou dépréciés selon leur lieu et leur milieu. Le
lieu de naissance d’une chose caractérise son être-là, son
devenir -être parce que déterminé par son avoir- été.
L’identité de tout être est l’émanation d’une origine, sa
spécificité décline sa différence et ouvre les brèches à
toutes sortes de supputations. Les données humaines,
physiques, économiques, et biogéographiques émanent de
la Géographie et imposent la marque indélébile de
l’Identité et de la Différence.

Désormais, le monde est soumis à la dictature du


milieu, aux effets de la Géographie. Cette dictature de
l’identité et de la nomination, la Philosophie elle –même
ne saurait s’y soustraire. Elle n’échappe pas à la
spécialisation, à la localisation, à la territorialisation. Tout
est une affaire de domaine, d’aspects et de lieux propres.
On parlera de Philosophie politique qui vise les données et
le domaine politique, la philosophie de la morale, du droit,
etc. Depuis les origines de la philosophie, la Grèce est
reconnue comme son Natal, son lieu propre, sa co-
naissance. La philosophie se détermine par la Grèce, parce
que née sur le territoire grec et valorisée par les grecs.
Socrate, Platon, Aristote, Pythagore, à qui l’on doit
aujourd’hui la notion de philosophie, sont des citoyens
grecs et l’on a pu dire que la philosophie est grecque dans
son essence même.

Mais, aujourd’hui, l’on parle de plus en plus de


philosophie allemande, américaine, africaine, chinoise,
etc. C’est dire que la philosophie se déterritorialise, mais
malgré sa déterritorialisation, elle est marquée par le sceau
de l’identité, de la spécificité et de la différence. La
philosophie elle-même devient géographique. Son histoire
se confond à sa géographie. Philosopher se fait dans le
rapport du territoire et de la terre. Ainsi Kant est- il moins
69

prisonnier qu’on ne croit des catégories d’objet et de


sujet, puisque son idée de révolution copernicienne met
directement la pensée en rapport avec la terre ; Husserl ,
quant à lui, exige un sol pour la pensée , qui serait comme
la terre en tant qu’elle ne se meut pas ni n’est en repos ,
comme intuition originaire. La philosophie serait
essentiellement Géophilosophie. « Mais n’y a t-il pas
aussi des territoires et des déterritorialisations qui ne sont
pas seulement physiques et mentales, mais spirituelles- pas
seulement relatives, mais absolues en un sens à déterminer
plus tard ? La philosophie est inséparable d’un Natal dont
témoignent aussi bien l’a - priori, l’innéité ou la
réminiscence. Mais pourquoi cette Patrie est –elle
inconnue, perdue, oubliée, faisant du penseur un Exilé ?
Qu’est- ce- qui va lui redonner un équivalent de territoire,
comme valant un chez soi ? Quelles seront les ritournelles
philosophiques ? Quel est le rapport de la pensée avec la
terre » ? 48

Mais on ne s’accorde pas quant au degré de


dépendance. Pour Barres, la politique est fondée sur la
« terre et les morts », c’est – à - dire sur la géographie et
sur l’histoire. Que l’homme soit enfermé dans le
déterminisme du sol et du milieu, qu’il ne puisse échapper
à la nature : c’est la base même de la philosophie de
droite. Les anciens auteurs, d’Hérodote à Montesquieu,
ont surtout insisté sur l’influence directe du climat sur les
comportements humains : leurs théories sont psycho-
géographiques. En effet, au livre XVII de De l’esprit des
Lois, Montesquieu notait que la grande chaleur énerve la
force et le courage des hommes tandis qu’il y a dans les
climats froids une certaine force de corps et d’esprit qui
rend les hommes capables des actions longues, pénibles et
hardies . Ainsi , ne faut-il donc pas s’étonner que la

48
DELEUZE (G.) & GUATTARI( F.) -Qu’est- ce que la
philosophie ? ( Paris, Minuit, 1991 ) , p.67.
70

lâcheté des peuples des climats froids les ait maintenus


libres , et que la servitude civile, c’est -à - dire l’esclavage
est liée au climat de la même façon car dans les pays
chauds, nous dit Montesquieu , les hommes ne sont portés
à un devoir pénible que par la crainte du châtiment , car
dit-il, l’esclavage y choque donc moins la raison. Ici, les
théories de Montesquieu reproduisent celles d’Aristote.
N’est –on pas déjà sur un autre plan ? La géographie
n’est-elle pas comme la violence qui force à penser ?

Le problème changerait si c’était un autre plan


d’immanence. Non pas celui qui consiste à faire croire
qu’il n’y a qu’une seule race civilisée : la race blanche,
qu’il n’y a qu’un seul monde : l’occidental. « Mais sur le
nouveau plan , il se pourrait que le problème concerne
maintenant l’existence de celui qui croit au monde , non
pas même à l’existence du monde, mais à ses possibilités
en mouvements et en intensités pour faire naître de
nouveaux modes d’existence encore , plus proches des
animaux et des rochers . Il se peut que croire en ce monde,
en cette vie, soit devenu notre tâche la plus difficile, ou la
tâche d'un monde d’existence à découvrir sur notre plan
d’immanence aujourd’hui. C’est la conversion empiriste
(nous avons tant de raisons de ne pas croire au monde des
hommes, nous avons perdu le monde, pire qu’une fiancée,
un fils ou un dieu...). Oui, le problème a changé » 49 . Il a
changé dans la mesure où par les préjugés de la
géomorphologie, de la géographie, nous n’arrivons plus à
réfléchir véritablement. « Dis –moi d’où tu viens, je te
dirais qui tu es ».

Notre provenance détermine notre identité, notre lieu de


vie ou de naissance qualifie notre être. « Nous avons vu
pourtant, avec Deleuze & Guattari, que la terre ne cesse
d’opérer un mouvement de déterritorialisation sur place
49
DELEUZE & GUATTARI, op. Cit., pp. 72-73.
71

par lequel elle dépasse tout territoire : elle est


déterritorialisante et déterritorialisée ; Elle se confond
elle- même avec le mouvement de ceux qui quittent en
masse leur territoire , langoustes qui se mettent à marcher
en file au fond de l’eau , pèlerins ou chevaliers qui
chevauchent une ligne de fuite céleste . La terre n’est pas
un élément parmi les autres, elle réunit tous les éléments
dans une même étreinte, mais se sert de l’un ou de l’autre
pour déterritorialiser le territoire. Les mouvements de
déterritorialisation ne sont pas séparables des territoires
qui s’ouvrent sur un ailleurs, et les procès de
reterritorialisation ne sont pas séparables de la terre qui
redonne des territoires. Ce sont deux composantes, le
territoire et la terre, avec deux zones d’indiscernabilité, la
déterritorialisation (du territoire à la terre) et la
reterritorialisation (de la terre au territoire). On ne peut pas
dire lequel est premier. On demande en quel sens la Grèce
est le territoire du philosophe ou la terre de la
philosophie »50. Et l’Afrique ? Le territoire de la
damnation et de l’anhistoire parce que l’un des
descendants de Cham aurait vécu en Afrique, en Égypte ?
L’Afrique est –elle anhistorique parce que son histoire est
–elle posée en forme d’extériorité, et que son concept ne
développe pas ou ne dévoile pas nécessairement son
Destin ? Manque – t-il à l ’Afrique le rapport au sujet
« comme universalité concrète ou comme universelle
individualité » 51? L’Afrique se confond-elle
nécessairement avec sa propre histoire ? Quelles identités
pour quelle(s) Afrique(s) ?

« Étrange valeur, note Yacouba Konaté dont la quête


cisaille nos habitudes quotidiennes et déverse les débris
du vieux monde que nous érigeons en reliques. Rigide
tracé dont le parcours excessivement balisé ne parvient

50
DELEUZE & GUATTARI, op. cit., p.82.
51
op. cit., p.90
72

pas cependant à proscrire les écarts de conduite. Nous en


devenons prisonniers. Non seulement de par l’ordre
injuste de la colonisation mais aussi de par notre
assujettissement au jeu des questions de l’autre »52.
L’objet se valorisant par son lieu propre, son « made in »,
son identité, quelle peut être la valeur de l’Afrique, son
prix d’achat, tant il est vrai qu’elle est devenue une
marchandise prête à appartenir au plus offrant, ? Quelle est
la pesée de l’Afrique et des africains dans cette vie ou
semble – t- il, la valeur des choses se reconnaît par leurs
prix ?

De toutes les façons, comme tout autre continent,


l’Afrique a une histoire, même si cette histoire est si
ténébreuse, si douloureuse, elle est quand même là,
implacable et infalsifiable malgré les explications,
révélatrices d’un égocentrisme culturel sur lequel se sont
bornés quelques fieffés charlatans occidentaux et qui
faussent totalement les perspectives réelles de l’Histoire
africaine. « L’histoire, comme le dit Hubert Deschamps,
est mouvement. L’univers de nos pères s’efface.
L’Europe, hier encore reine de la planète, n’est plus qu’un
problème douloureux, une femme mûre inquiète entre
deux jeunes géants s’exalte ; Elle a gaspillé ses ressources
et son domaine se restreint. Après l’Amérique, l’Asie
répudie. Le colonialisme. L’Islam s’exalte ; l’Afrique
noire, lentement, s’éveille. Un monde nouveau prend
naissance dans une inquiétude faustienne, traversée de
douleurs aiguës »53 .

52
KONATE (Y.).-‘’Les ambiguïtés de la carte d’identité de Jean
Marie Adiaffi in Revue de Littérature et d’Esthétique Négro-
Africaines (Abidjan, NEA, 1987), p.53.
53
DESCHAMPS ( H).-La fin des empires coloniaux (Paris, PUF, Coll.
« Que –je ? », 1969), p.5
73

Aujourd’hui, il n’est plus question d’empires, de Traite


négrière et de colonies mais de Territoires, d’États,
d’Unions plus ou moins indépendants. Ce ne sont pas
seulement des formules vides, des trompe-l’œil mais les
signes d’une évolution inéluctable, d’un changement sans
précédent. Que nous apporte ce changement ? Hier, Rome
naissante, se forgea une armée pour se défendre et
entreprit de conquérir le monde. Son impérialisme a
produit des fleurs imprévues, une civilisation traversée ça
et là de remous destructeurs des particularismes locaux
mûrs d’un avenir torturée. La pensée chrétienne, héritière
de la culture romaine, dans sa conquête du monde a
conduit les pères, interprétant la Bible, à une véritable
mystification de l’histoire africaine en considérant
l’Homme noir comme le descendant de Cham.
Colonialisme et Impérialisme semblent se confondre de
plus en plus. Les États dominateurs de l’histoire du monde
ne semblent plus continuer à se maintenir dans leur
situation de « Colonisation d’encadrement » selon
l’expression de Hardy, pour définir l’ensemble du
système colonial moderne. Aujourd’hui, l’action des
cadres européens, administratifs et économiques, se traduit
par une transformation profonde de pays techniquement et
politiquement arriérée. Il est vrai qu’au début du XXè
siècle, les anciens colonisateurs ne percevaient pas encore
les conséquences lointaines de ce progrès générateur
d’égalité et de révolte. Ils étaient sûrs de leur domination,
fiers de leur tâche civilisatrice. Ils voulaient, tel Atlas,
porter le monde sur leurs épaules invincibles, en célébrant
le « white man’s burden », le fardeau de l’homme blanc.
Mais l’Histoire de la pensée nous enseigne qu’un peuple
n’est jamais totalement orphelin et une civilisation jamais
totalement décadente. « Il semble bien qu’il existe entre
l’évolution d’une société et les mutations physiologiques
des hommes qui la composent un rapport intelligible. Ce
rapport – accessible à la vérification empirique – trace
74

dans le sable mouvant de l’histoire la figure d’une double


interdépendance dialectique entre l’institution sociale et
le cerveau humain qui la conçoit »54.

L’Histoire, celle écrite par les vainqueurs, a longtemps


conservé de l’Afrique une conception foncièrement
myope et archaïque. Au temps de Bossuet, avec une
démesure incontestée, on limitait l’Histoire Universelle à
Israël, aux gréco-romains et à l’ « Europe policée ». Dans
l’euphorie de cette gloire des Héros, Deleuze & Guattari
peuvent bien s’en réjouir en affirmant ceci : « Seul
l’Occident étend et propage ses foyers d’immanence. Le
champ social ne renvoie plus, comme dans les empires, à
une limite extérieure qui le borne en haut, mais à des
limites intérieures immanentes qui ne cessent de se
déplacer en agrandissant le système, et qui se reconstituent
en se déplaçant. Les obstacles extérieurs ne sont plus que
technologiques, et seules subsistent les rivalités internes.
Marché mondial qui s’étend jusqu’aux confins de la terre,
avant de passer dans la galaxie : même les airs deviennent
horizontaux. Ce n’est pas une suite de la tentative grecque,
mais une reprise à une échelle précédemment inconnue,
sous une autre forme et avec d’autres moyens, qui
relancent pourtant la combinaison dont les Grecs eurent
l’initiative, l’impérialisme démocratique, la démocratie
colonisatrice. L’Européen peut donc se considérer , non
pas comme un type psycho- social parmi les autres , mais
comme l’Homme par excellence , ainsi que le Grec l’avait
déjà fait, mais avec beaucoup plus de force expansive et
de volonté missionnaire que le Grec. Husserl disait que
les peuples , même dans leur hostilité , se groupent en
types qui ont un « chez soi » territorial et une parenté
familiale , tels les peuples de l’Inde ; mais seule l’Europe
, malgré la rivalité de ses nations , proposerait à elle –

54
ZIEGLER (J.).-Sociologie et Contestation, (Paris, Gallimard, Coll.
Idées, 1969), p.19.
75

même et aux autres peuples « une incitation à


s’européaniser toujours davantage », si bien que c’est
l’humanité tout entière qui s’apparente à soi dans cet
Occident , comme celle le fit jadis en Grèce »55.

Mais, aujourd’hui, la planète est notre champ, tous les


hommes sont devenus Voisins, des Proches. L’Européen
n’est pas plus excellent que l’Américain, pas plus que
l’Asiatique de l’Africain. À chaque minute, nous
recevons le choc de leurs nouvelles et ne pouvons nous
en extraire. Il n'y a plus d'étrangers. L’Histoire du monde
est bien la nôtre et l’européocentrisme n’est plus qu’un
avatar anachronisme et un égoïsme à abattre. L’Histoire
coloniale était hagiographique, héroïque (d’un seul côté) ,
patriotique, uniformément bienfaisante et civilisatrice .
Nous avons vu naître, par réaction naturelle, chez les
Africains, une histoire anticoloniale, mettant en scène,
aussi exclusivement, de blancs démons tortionnaires,
réactionnaires et exploiteurs. Ces images d'Epinal sont
toujours en vente. Coloniale, anticoloniale, ce sont les
deux faces contraires d’une même monnaie : toujours au
premier plan, les Européens, « les enfants de Japhet » et
leurs sempiternelles divisions .

Les conceptions occidentales de l’Histoire ont pénétré,


par l’école, les consciences africaines et se sont imposées
comme des déjà-là historiques et Philosophiques pour la
création des nations nouvelles et de civilisations
agressives à vocation dominatrices. L’Histoire de
l’Afrique serait un gruyère où il y aurait plus de trous
que de fromages. L’avenir comblera certainement les
trous, surtout que les traditions n’ont pas encore expiré et
que les pensées restent insondables. « Ce qui compte est la
différence du présent et de l’actuel. Le nouveau,
l’intéressant, c’est l’actuel. L’actuel n’est pas ce que nous
55
DELEUZE (G.) & GUATTARI (F.), op. cit., pp .93-94.
76

sommes , mais plutôt ce que nous devenons , ce que nous


sommes en train de devenir ,c’est- à- dire l’Autre, notre
devenir –autre . Le présent, au contraire, c’est ce que nous
sommes et, par là même, ce que nous cessons déjà
d’être. Nous devons distinguer non seulement la part du
passé et celle du présent, mais, plus profondément, celle
du présent et celle de l’actuel. Non pas que l’actuel soit la
préfiguration même utopique d’un avenir encore de notre
histoire, mais il est le maintenant de notre devenir »56 .
C’est dire que notre action doit consister à agir contre le
présent , et ainsi remodeler notre présent en faveur d’un
Avenir, cet Infini - Maintenant, l’Intensif-Devenir. Notre
Devenir doit être Actuel. Mais comment peut –on aider
l’Afrique à prendre sa place, toute sa place légitime dans
l’Histoire Universelle ? Quelle Afrique ? Et pour quel
monde ?

Les continents, apparaissent dans leur totalité comme


des fictions simplistes, des conventions géographiques.
Ethniquement et historiquement, il y a plusieurs Afriques
qui ont chacune leurs civilisations et leurs
Weltanschauungen et par conséquent, ne pourraient être
disjointes d’une géographie qui leur a servi de base et de
support. Une géographie, c’est-à-dire un espace doté en
chaque point d’un contenu concret, et marqué par des
discontinuités. Les caractères débouchent sur la notion
d’environnement, de milieu naturel, ils introduisent dans
le devenir des sociétés, des paramètres de limites, de
formes et d’étendues spatiales. L’Histoire ne peut donc
se distancier de la Géographie que pour la rejoindre et
l’épouser. C’est pourquoi pour disqualifier l’Afrique et les
Africains, l’on s’est d’abord borné à l’attaquer sur le plan
géographique.

56
DELEUZE (G.) & GUATTARI (F.), op.cit., p.107.
77

Or, il se trouve que cette géographie africaine, dans ses


traits d’architecture aussi bien que dans les milieux qui la
composent, offre de caractères vigoureux et bien nets.
Sans doute, l’Afrique manque –t- elle d’un élément
essentiel de contraste. De grands reliefs existent mais ils
sont morcelés. Aux prises avec les milieux à caractères
de marécages permanents ou saisonniers , et des cadres
naturels si souvent démesurés , les sociétés africaines
d’autrefois étaient singulièrement dépendantes ou
écrasées . La relation hommes – milieu se trouve alors
contenue dans des cadres étroits qui en croissent la
rigidité. D’emblée, à l’égard d’une nature souvent pauvre
ou contraignante, la marge de jeu des sociétés africaines
apparaissait donc réduite. La massivité et la tropicalité du
continent africain ont contribué à son isolement et à sa
marginalisation. Les « Explorateurs, s’interroge Dibi
Augustin, n’ont-ils pas mis l’accent sur la brutalité de
son climat et l’hostilité de ses terres qui le condamnent à
vivre replié sur lui- même ? Les puissances climatiques
sont d’un déchaînement et une influence tels que le
caractère historique y est intimement lié aux caprices et
brusqueries de l’extériorité naturelle. Ce qui pour l’esprit
devait simplement jouer le rôle d’un conditionnement
tend de cette façon à prendre plutôt la figure d’un destin
métaphysique. Le naturel donnant ainsi au spirituel sa
direction, la vie ne consistera - t- elle pas ici en
l’adaptation au monde physique ? » 57

Ainsi donc la restitution du passé de l’Afrique pose des


questions de toutes natures. L’Afrique avait été définie
« philosophiquement » depuis Hegel comme une terre sans
histoire. En effet, cet éminent penseur postulait que
l’Afrique était en dehors de l’Histoire Universelle. Hegel
niait toute Histoire, toute Liberté et toute Raison à

57
DIBI (A.K.).-L’Afrique et son autre : la différence libérée
(Abidjan,Strateca diffusion, 1994), p.8
78

l’Homme Africain. On doit, cependant, constater que la


philosophie de l’histoire est la discipline que Hegel a
enseignée le plus tardivement même si sa conception
générale de l’histoire était présupposée depuis longtemps.
La philosophie de l’histoire hégélienne commente la
succession des événements qui se sont déroulés au cours
des siècles, qui ont concerné les continents ou des empires
déterminés, des institutions précises, vu à l’œuvre tels
peuples ou tels hommes dont la stature fut absolument
originale. Elle s’est appuyée aussi , malgré Hegel, sur des
présupposés racistes , des préjugés et des suppositions
apprises dans des manuels d’histoire , des discours de
certains explorateurs, discours d’ailleurs tronqués et mal
ficelés. La philosophie de l’histoire s’intéresse donc à
l’histoire qui a effectivement lieu ,avec sa part
d’arbitraire, de hasard, de particularisme et de
subjectivisme qu’elle a comportée. Pour Hegel, l’histoire a
un sens, mais ce sens, dont la réalisation forme le cours de
l’histoire, traduit néanmoins d’un dynamisme qui n’est
pas le produit des circonstances historiques elles- mêmes.
Ce dynamisme semble être une pensée vivante qui
s’exprime dans l’ordre du monde et se saisit en lui. Pour
Hegel, la Raison gouverne le monde et par conséquent,
l’histoire universelle s’est, elle aussi, déroulée
rationnellement. Ce que Hegel veut faire comprendre,
c’est qu’il y’ a un ordre dans l’histoire et que la
philosophie est capable de démontrer la nécessité de cet
ordre, en s’appuyant sur la seule vitalité de la pensée .
Mais la philosophie n’apparaît-elle pas ici dans le système
hégélien comme un délire organisé, une supercherie ?

Dans La raison dans l’histoire, la motivation


intellectuelle de Hegel, sa prétention à tenir un discours
universel qui soit celui de la vérité n ‘est pas de la Vérité,
du moins ses postulats sur l’Afrique sont dirigés, bien
dirigés même et frisent le dogmatisme. Il est vrai que le
79

concept qui fonde la pratique philosophique est celui de


vérité : c’est l’exacte adéquation entre la pensée et l’être,
qui garantit finalement la validité du discours
philosophique. Lorsque la pensée exprime l’être, c’est –à -
dire ce qui est et non ce qui est vraisemblable et ce qu’on
croit, alors le discours philosophique trouve sa légitimité.
Mais comment un tel discours peut-il trouver sa légitimité
si Hegel déclare de manière péremptoire, s’agissant de
l’Afrique que « Ce continent n’est pas intéressant du
point de vue de sa propre histoire . Mais par le fait que
nous voyons l’homme dans un état de barbarie et de
sauvagerie qui l’empêche encore de faire partie
intégrante de la civilisation. L’Afrique , aussi loin que
remonte l’histoire , est restée fermée , sans lien avec le
reste du monde ; c’est le pays de l’or , replié sur lui-même
, le pays de l’enfance qui, au- delà du jour de l’histoire
consciente , est enveloppée dans la couleur noire de la
nuit. S’il en est ainsi fermé , cela tient non seulement à sa
nature tropicale , mais essentiellement à sa constitution
géographique ».58

Certes, il faut le reconnaître, l’Afrique est un continent


remarquablement massif et son éloignement est encore
bien supérieur. Divers obstacles contribuent à étirer les
lignes de communication partant du littoral : forêt et
reliefs principalement. Il est aussi vrai que le Sahara a
connu des périodes d’effacement. Derrière l’écran
saharien, l’Afrique tropicale et australe, jusqu’à la
colonisation, a vécu comme le dit Hegel, un peu en marge
du monde et a connu jusqu’à un certain point, une
évolution en vase clos. Les migrations, les entreprises de
dominations, les influences venues de l’extérieur l’ont
atteintes avec retard, et souvent sous une forme atténuée.

58
HEGEL(G. W. F. )- La raison dans l’histoire, Traduction de
KOSTAS PAPAIOANNOU, (Paris, Flammarion, coll 10-18, 1979),
p.247.
80

Protégées des contestations les plus brutales , mais privées


en même temps d’un élément de stimulation et de
fécondation , les sociétés installées au sud du Sahara s’en
sont trouvées marquées d’une dangereuse fragilité et d’un
certain manque de vigueur expansive . Dans tous les
domaines, il faut le noter, l’Afrique tropicale, dans ses
rapports avec le reste du vieux monde, a subi et reçu,
plus qu’elle n’a imposé et donné. Cela est vrai des
migrations, des entreprises politiques et même des
propagations d’ordre culturel, avec la profonde diffusion
de l’Islam.

Mais l’exercice particulièrement périlleux auquel se


livre Hegel, consiste à mettre en rapport climats et
civilisation. Est- il vrai, comme le dit Toynbee, que les
civilisations efficaces n’aient pu naître que dans certains
environnements naturels ? Les chances offertes au
développement d’une civilisation dépendent en réalité
dans une très large mesure de ses relations, dans le temps
et dans l’espace, avec d’autres ensembles culturels. On
glisse subrepticement sur un facteur de position
géographique difficile à isoler de l’influence du milieu
naturel. Une voie sûre pourrait s’offrir au raisonnement :
considérer la nature , non pas dans ses relations très
générales avec le Devenir des sociétés humaines, mais en
tant qu’elle favorise ou contrarie , d’une part la
multiplication des hommes , d’autre part la production du
surplus.

L’émergence d’une haute culture ne s’imagine pas,


tout d’abord, sans le support d’une densité de population
suffisante pour multiplier, activer et féconder les rapports
entre les hommes. L’exemple de l’Afrique même le
vérifie, où les foyers culturels les plus intenses
superposent à des aires anciennement et fortement
peuplées. Mais ces foyers demeurent isolés. Est- ce à dire
81

qu’il faille dénier toute originalité à la façon dont s’est


constitué le peuplement africain, dans ses rapports avec le
milieu géographique ? Ce serait aller trop loin et Hegel fait
un pas de trop lorsqu’il affirme : « Dans cette partie
principale de l’Afrique, il ne peut y avoir d’histoire
proprement dite. Ce qui se produit, c’est une suite
d’accidents, de faits surprenants. Il n’existe pas ici un but
un État qui pourrait constituer un objectif. Il n’y a pas une
subjectivité , mais seulement une masse de sujets qui se
détruisent . Jusqu’ici on n’a guère prêté attention au
caractère particulier de ce mode de conscience de soi
dans lequel se manifeste l’Esprit »59 .

Selon Hegel, la forme générale du caractère africain,


parce que l’Afrique vit isolée du reste du monde, diffère
complètement du monde culturel européen. Il a en soi
quelque chose d’entièrement étranger à la conscience
européenne. Quoi de plus normal, toutes les consciences
peuvent- elles nécessairement se ressembler, toutes les
consciences sont –elles identiques ? Que fait Hegel lui-
même de sa notion de dialectique, qui est le moteur de
son système ? Pour lui, « D’une façon générale, nous
devons dire que, dans l’Afrique intérieure , la conscience
n’est pas encore arrivée à l’intuition de quelque chose de
solidement objectif, d’une objectivité. Par objectivité
solide il faut entendre Dieu, l’éternel, le juste, la nature,
les choses naturelles. Dans la mesure où il est rapport avec
une semblable entité bien consistante, l’esprit sait qu’il
dépend d’elle, mais, en même temps, dans la mesure où
il s’élève vers elle, il sait aussi qu’elle est une valeur. Les
Africains, en revanche, ne sont pas encore parvenus à cette
reconnaissance de l’universel. Leur nature est le
repliement en soi. Ce que nous appelons religion, Etat,

59
HEGEL (G. W. F. ), op.cit., p.249.
82

réalité existant en soi et pour soi, valable absolument, tout


cela n’existe pas encore pour eux »60.

À en croire Hegel, ce qui caractérise les nègres, c’est


que leur conscience n’est pas parvenue à la contemplation
d’une quelconque objectivité solide. L’Africain ne serait
pas arrivé à la distinction entre lui, individu singulier et
son universalité essentielle étant donné que « L‘homme,
en Afrique, c’est l’homme dans son immédiateté.
L’homme en tant qu’homme s’oppose à la nature et c’est
ainsi qu’il devient homme. Mais, en tant qu’il se distingue
seulement de la nature, il n’en est qu’au premier stade, et
est dominé par les passions. C’est un homme à l’état brut.
Pour tout le temps pendant lequel il nous est donné
d’observer l’homme africain, nous le voyons dans l’état
de sauvagerie et de barbarie, et aujourd’hui encore il est
resté tel. Le nègre représente l’homme naturel dans toute
sa barbarie et son absence de discipline. Pour le
comprendre, nous devons abandonner toutes nos façons
de voir européennes. Nous ne devons penser ni à un Dieu
spirituel ni à une loi morale ; nous devons faire
abstraction de tout esprit de respect et de moralité, de
tout ce qui s’appelle sentiment, si nous voulons saisir sa
nature. Tout cela, en effet, manque à l’homme qui est au
stade de l’immédiateté : on ne peut rien trouver dans son
caractère qui s’accorde à l’humain. C’est précisément pour
cette raison que nous ne pouvons vraiment nous
identifier, par le sentiment, à sa nature, de la même façon
que nous ne pouvons nous identifier à celle d’un chien, ou
à celle d’un Grec qui s’agenouillait devant l’image de
Zeus. Ce n’est que par la pensée que nous pouvons
parvenir à cette compréhension de sa nature ; nous ne
pouvons en effet sentir que ce qui est semblable à nos
sentiments. Dans l’ensemble, nous trouvons ainsi, en
Afrique, ce qu’on a appelé l’état d’innocence, l’unité de
60
HEGEL (G.W.F.), op.cit., p.250.
83

l’homme avec Dieu et avec la nature. C’est en effet l’état


d’inconscience de soi. Mais l’esprit ne doit pas s’arrêter à
ce point, à ce premier état. Ce premier état naturel est un
état animal »61.

Si pour Hegel, le but de la philosophie , comme


discours vrai, n’est pas de dire à l’aide de concepts ou
d’idées ce que seraient les choses ou ce qu’elles seraient
éternellement dans leur indépendance, force- nous est de
reconnaître que son but ici, en abordant l’Afrique , est
d’offrir une copie stérile d’une réalité qui demeurerait
totalement extérieure et de montrer par la suite ,
l’expression de cette réalité qui manifeste la pensée , en
fournit un double dans lequel elle peut se contempler
comme en un miroir. Sa démarche philosophique
s’apparente alors à un travail non de découverte de
l’Afrique, de prise de conscience des africains mais
d’animaliser le nègre et de l’abâtardir en l’anhistorisant.
Pourtant, en d’autres lieux, Hegel, nous faisait croire que
la philosophie devait nous permettre de montrer que la
pensée peut se saisir elle- même dans toutes les formes
de l’expérience, dans la nature comme dans la culture.
Mais quand il s’agit de l’Afrique, la philosophie se
renverse et finit par marcher sur la tête comme le disait
Marx, concernant la dialectique de Hegel.

La philosophie hégélienne a conscience de la


difficulté de sa position, de la résistance qu’elle peut
rencontrer. Les hommes, même lorsqu’ils sont savants ou
éminents philosophes, restent généralement prisonniers
des présupposés de la séparation, du dogmatisme et des
oui- dires. Il ne faut absolument pas réduire la réalité à de
«pures » idées, aux constructions abstraites d’une
subjectivité pen-sante. Il ne faut pas non plus nier que les
hommes en général, et les africains en particulier soient
61
HEGEL (G.W.F), op. cit., pp.251-252.
84

des êtres de chair et de sang vivant dans un univers


concret si tropicalisé et isolé soit-il.

La pensée peut se saisir dans toutes les formes de


l’expérience. Mais pourquoi Hegel voudrait –il bien
penser que le nègre vit dans la naturalité ? Précisément,
parce que les êtres naturels ne parviennent pas à réaliser
ce mouvement de retour à soi, ce travail de réflexion sur
soi que seul un être pensant peut accomplir. Les êtres
naturels ne peuvent pas se comprendre eux- mêmes. Ils
ne peuvent pas se rendre maîtres des conditions, de leurs
conditions, de leur existence. La loi qui régit leur
existence leur est extérieure. Elle ne peut devenir
l’expression de leur simple vouloir car ils sont englués
dans le là- sensible, ils sont prisonniers de l’ici et du
maintenant. La domination du nègre sur la nature se fait
sous le mode de l’arbitraire. « C’est la volonté contingente
de l’homme qui s’élève au- dessus du moment naturel
qu’elle considère comme un moyen , auquel elle ne fait
pas l’honneur de le traiter de façon appropriée à son
essence, mais au contraire donne des ordres. Tout cela
contient toutefois un principe plus juste que celui qui est
impliqué dans le culte de la nature , que l’on considère
souvent comme celui de la piété , dans la mesure où on dit
que les phénomènes naturels sont l’œuvre de Dieu, en
laissant entendre que l’œuvre humaine, l’œuvre de la
Raison , n’est pas divine elle aussi. Le degré de
conscience auquel les nègres sont parvenus, n’est pas , en
effet, la conscience de son objectivité , et encore moins la
conscience de Dieu comme Esprit, c’est –à- dire comme
quelque chose qui est en soi et pour soi supérieur à la
nature. D’autre part, il ne s’agit pas non plus de
l’intelligence qui réduit la nature à l’état de moyen, qui,
par exemple, navigue sur la mer, et en un mot se rend
maîtresse de la nature. Le pouvoir du nègre sur la nature
85

est seulement une force de l’imagination, une domination


imaginaire »62 .

Ainsi chez le nègre, l’unité entre l’ordre de la pensée et


celui de la réalité est donc impossible dans l’ordre naturel.
Certes, la pensée n’est pas absente dans la Nature, mais
elle y est comme engluée comme nous l’avons déjà dit.
La Nature ne l’est cependant pas ; Il y’ a de la rationalité
en elle. Mais cette rationalité, il faut le souligner, n’est
pas du même type que celui de la culture. La pensée la
saisit toujours d’un point de vue extérieur. Elle ne peut la
reconnaître comme le résultat de sa propre visée, de son
propre but. C’est donc selon Hegel, en tant qu’Esprit et
non en tant que Nature que la pensée accède à sa vérité.
La vérité philosophique exige donc, comme moments
inséparables, autant une philosophie de la Nature qu’une
philosophie de l’Esprit.

On peut donc dire que chez Hegel l’histoire présente le


travail de l’esprit dans ce qu’il a de laborieux, d’hésitant,
de vivant. Elle montre comment l’Esprit se fraie le chemin
de la conscience de soi en utilisant les matériaux qu’il
trouve sur sa route. Et ces matériaux ne sont rien d’autres
que des conditions géographiques précises , favorables
ou défavorables , ce sont des peuples ayant certaines
caractéristiques , des dispositions psychologiques , des
tempéraments spontanés , qui vont les rendre capables ou
non d’exprimer la vie de l’Esprit. Ce que la philosophie
pourra exposer dans la sérénité de la pensée doit d’abord
s’accomplir « sur le terrain », dans la vie des peuples, en
tenant foncièrement compte des aléas qu’implique celle-ci.
L’Esprit doit pouvoir surmonter la nature mais en se
servant également d’elle pour créer son propre univers. Il
ne s’asservit pas à elle ; il s’en sert comme d’un matériau.
L’Histoire n’a donc pas été faite pour et par des hommes
62
HEGEL (G.W.F.), Op. Cit., pp.257-258.
86

abstraits ou des peuples abstraits. Elle a été faite par ceux


qui, en raison de certains traits circonstanciels et
accidentels, ont la chance de pouvoir exprimer l’Esprit à
un moment donné de son développement. Ainsi, a – t- elle
été faite par des peuples d’Orient, mais surtout par les
Grecs, les Romains, les peuples de l’Europe occidentale.

L’Afrique, quant à elle, reste selon Hegel, totalement à


l’écart de l’histoire universelle parce que ses conditions
géographiques et climatiques y empêchent l’homme de
sortir de son état naturel. La « mentalité des Africains
implique qu’ils sont au plus haut degré exposés à subir
l’influence du fanatisme. Le pouvoir de l’Esprit est si
faible chez eux, et si intense pourtant l’esprit en lui-
même, qu’une seule idée qui s’impose à eux est suffisante
pour les pousser à ne rien respecter et à tout détruire. On
les voit vivre longtemps de la façon la plus tranquille et la
plus débonnaire, mais cette douceur est capable de se
transformer, à l’improviste , en fureur. Si peu de choses
méritent en elles –mêmes du respect à leurs yeux, que
l’idée qui s’empare d’eux devient leur seul mobile et les
pousse à tout détruire. Toute idée jetée parmi des nègres
est saisie et réalisée avec toute l’énergie de la volonté.
Mais, dans le même temps, au cours de cette réalisation,
tout est détruit. Ces peuples sont longtemps tranquilles,
mais d’un moment à l’autre ils entrent en fermentation et
sortent alors complètement d’eux- mêmes. La destruction,
qui est la conséquence de ce mouvement violent, a sa
raison d’être en ce que ce n’est pas un contenu idéal, une
pensée, qui provoque ces impulsions, mais un fanatisme
plus physique que spirituel. Nous voyons ainsi, souvent,
des populations se précipiter avec une fureur singulière
sur la côte et tout massacrer, sans autre raison que la
fureur et la folie, avec un courage qui est le propre des
seuls fanatiques. Dans ces États, toute résolution a un
87

caractère fanatique, d’un fanatisme supérieur à tout ce


qu’on peut imaginer »63 .

C’est donc parce qu’il est incapable de se représenter


ses propres buts, de vouloir ce qui lui paraît conforme à sa
propre nature , que l’Africain ne parvient pas à prendre
ses distances vis- à- vis du naturel. Par manque de
pensée, il ne saurait être le représentant de l’Esprit. Cette
incapacité de se représenter ses propres buts signifie que,
face au monde, le nègre ne peut prendre conscience de sa
propre valeur, il n’en a d’ailleurs pas. Il est incapable de
rompre avec la Nature, incapable de s’éveiller à une
nouvelle forme de l’existence. Il ne parvient pas à la
conscience de soi, à la conscience d’une opposition entre
le monde extérieur et le monde intérieur . Cette expérience
sera douloureuse pour l’Afrique car elle est exposée à la
satisfaction et à la frustration qui découlent de sa relation
avec les autres peuples. Le nègre est être « sentant », être
sensible aux objets et aux autres êtres qui l’entourent. Il
se contente de satisfaire le besoin tel qu’il est. Il se livre à
la Nature au lieu de s’en libérer. Sans le dire nommément,
Hegel semble assimiler l’Africain à l’animal : « Il résulte
de tous ces différents traits que ce qui détermine le
caractère des nègres est l’absence de freins. Leur condition
n’est susceptible d’aucun développement, d’aucune
éducation. Tels nous les voyons aujourd’hui, tels ils ont
toujours été. Dans l’immense énergie de l’arbitraire
naturel qui les domine, le moment moral n’a aucun
pouvoir précis. Celui qui veut connaître les manifestations
les plus épouvantables de la nature humaine peut les
trouver en Afrique. Les plus anciens renseignements que
nous ayons sur cette partie du monde disent la même
chose. Elle n’a donc pas à proprement parler, une histoire.
Là –dessus, nous laissons l’Afrique pour n’en plus faire
mention par la suite. Car elle ne fait pas partie du monde
63
HEGEL (G.W.F), Op. cit., p.266.
88

historique, elle ne montre ni mouvement , ni


développement et ce qui s’y est passé , c’est-à-dire au
Nord, relève du monde asiatique et européen »64.Ces
propos de Hegel consistent à faire croire que l’Afrique est
« sauvage ».Dès lors la sauvagerie est érigée en méthode
de pensée et devient une nécessité philosophique pour
montrer la supériorité de l’Europe.

Mais comme le disent Paul Bohannan & Philip Curtin,


« Nobles ou dépravés, les sauvages servirent à expliquer
des phénomènes historiques aussi bien que psychiques,
mais les idées concernant les sauvages ne furent
qu’insuffisamment étayées par les faits. Dans la théorie
cosmologique connue sous le nom de « chaîne de l’être
», les sauvages furent, après les « maillons manquants »
des créatures mythiques, survivants de la théorie qui les
avait engendrés. Les sauvages étaient purs et avaient
échappés aux problèmes de l’industrialisation et aux
profonds (et forts pénibles) bouleversements sociaux.
D’autre part, les sauvages ne savaient pas parler, ne
connaissaient pas le feu et se trouvaient à la merci des
forces destructrices de la nature brute. Nous aurions tous
pu être de ces sauvages, sans la grâce de Dieu »65.

D’ailleurs, dans l’Antériorité des civilisations nègres,


un Savant Sénégalais, après plusieurs décennies de
recherche a fini par convaincre le monde que l’Afrique
est le continent des origines de l’Homme. En effet, selon
Cheik Anta Diop « Tout indique qu’à l’origine, à la
préhistoire, au paléolithique supérieur, les Nègres furent
prédominants. Ils le sont restés aux temps historiques
pendant des millénaires sur le plan de la civilisation, de la
suprématie technique et militaire. Tout esprit qui n’est

64
HEGEL (G.W.F), Op. Cit., p.269.
65
BOHANNAN (P.) & CURTIN (P.) .- L’Afrique et les Africains,
(Paris, Les éditions inter-nationales, 1973), p.15.
89

pas capable de recevoir cette idée, même si elle est


objectivement démontrée, ne peut, présentement, rien
apporter de durable à la science historique. Toute
conscience qui est devenue, par principe , inapte à
l’assimiler , est rétrograde, qu’elle que soit l’idée qu’elle
se fait d’elle- même et son aptitude à contribuer au
progrès réel de la conscience morale de l’humanité
pourrait en être fort limitée. La science historique , elle –
même , ne fournira , sur le passé , toute la lumière qu’on
peut atteindre d’elle , qu’à partir du moment où elle
intégrera dans ses synthèses la composante nègre de
l’humanité, dans une proportion en rapport avec le rôle
que celle-ci a vraiment joué dans l’histoire . Certains
esprits généreux croient que la solution consiste à
reconnaître d’emblée l’égalité intellectuelle aux noirs et à
expliquer leur retard par un déterminisme géographique.
Mais ils ne suivent plus du tout, dès l’instant que les
Noirs s’engagent à retrouver leur vrai passé, surtout, si
cette démarche conduit à des découvertes inattendues. Ils
trouvent cette attitude pour le moins excessive ou en
craignent les conséquences, sur le plan du rapprochement
des peuples ! Qu’ils se rassurent car la plénitude culturelle
ne peut que rendre un peuple plus apte à contribuer au
progrès général de l’humanité et à se rapprocher des
autres peuples en connaissance de cause. Elle n’entraverait
que le faux progrès qui s’accomplirait par l’étouffement
et l’élimination des valeurs culturelles de la majorité des
peuples au profit de quelques –uns. La conscience de
l’homme moderne ne peut progresser réellement que si
elle est résolue à reconnaître explicitement les erreurs
d’interprétations scientifiques, même dans le domaine très
délicat de l’Histoire, à revenir sur les falsifications, à
dénoncer les frustrations de patrimoines. Elle s’illusionne,
en voulant asseoir ses constructions morales sur la plus
monstrueuse falsification dont l’humanité ait jamais été
90

coupable tout en demandant aux victimes d’oublier pour


mieux aller de l’avant»66 .

Selon Cheik Anta Diop, bien avant que ne s’éteignent


les derniers Australopithèques, était apparu le premier
représentant de notre genre, Homo habilis dont les restes
furent exhumés en Afrique orientale et en Afrique du
Sud. Homo erectus succède à Homo habilis. Non
seulement, il va occuper l’ensemble du continent
africain, mais aussi conquérir tout l’Ancien Monde. Il est
l’auteur de la civilisation acheuléenne qui va s’étendre
jusqu’à la fin du Pléistocène moyen , au moment où
apparaissent les premiers Homo sapiens , tout d’abord
sous une forme archaïque ,parfois d’aspect
néandertaloïde( Kabwe- Broken Hill, en Zambie), puis
sous celle de l’homme moderne . C’est alors que se
constitue le stock à partir duquel va s’effectuer le
peuplement actuel de l’Afrique.

Ainsi, la découverte de restes de fossiles humanoïdes


et leur datation par la méthode du Potassium-Argon, dans
les couches volcaniques de la Gorge d’Oldoway en
Tanzanie et de l’Omo en Ethiopie ainsi que la découverte
de l’industrie de la pebble culture finissent –elles par
convaincre bien des sceptiques que le premier homme est
apparu en Afrique. Ainsi comme le dit Cheik Anta Diop,
« Le nègre est là dès l’origine , il est même seul à exister
pendant des millénaires et, pourtant, jusqu’au seuil de
l’époque historique , le « savant » lui tourne le dos ; il se
pose des problèmes sur sa genèse et fait même des
spéculations « objectives » sur le retard de son
apparition »67 . Les usages, les mœurs, et les institutions
de ces Anciens sont des enveloppes qui cachent des idées

66
DIOP (C.A.).-Antériorité des civilisations nègres : mythe ou vérité
historique ? (Abidjan, Club Africain de Livre, 1972 ), pp.10-11
67
DIOP (C.A), op. cit .,pp. 25-26.
91

spéculatives. Leurs œuvres sont des soubassements des


techniques actuelles dans la mesure où ils sont à la fois les
artisans et les produits de notre histoire.

Dans cette même logique, Edem Kodjo, en analysant


les pesanteurs de l’histoire africaine, arrive à la conclusion
que le plus riche musée des civilisations préhistoriques et
les plus riches gisements que les archéologues et autres
anthropologues, préhistoriens et chercheurs possèdent à
l’heure actuelle, restent l’Afrique. Pour lui, « Des
conditions biogéographiques particulièrement favorables
permettent à l’Afrique orientale et australe d’apparaître
comme des zones importantes de peuplement humain. Les
formes les plus variées d’industrie lithique se développent
grâce à l’ingéniosité de l’homme dans ces régions, où les
vestiges mis au jour sont des témoignages de
l’extraordinaire vivacité d’esprit de nos premiers
ancêtres. Cependant, malgré les conditions moins
clémentes, les autres parties du continent africain
participent ultérieurement, à leur manière, à l’essor du
progrès comme le prouvent les récentes découvertes
archéologiques. La révolution néolithique, véritable
tournant dans la vie des premiers hommes, va accentuer
leur stratification en classes socio – professionnelle et le
début d’organisation du pouvoir politique plongerait ses
racines dans le continent à l’époque où l’intelligence
humaine a perçu l’opportunité de semer et de récolter, la
possibilité d’élever des animaux pour en tirer des
aliments. Nous pouvons, en nous fondant sur les richesses
archéologiques de l’ensemble du continent, suivre ainsi
les premiers hommes dans leur aventure première »68.

Selon toujours Edem Kodjo, tous ces faits de la


préhistoire doivent être rappelés afin que le rôle de

68
KODJO(E.).-... Et demain l’Afrique (Paris, Stock, , 1965-1966,),
p.36.
92

l’Afrique dans l’exposition de la civilisation universelle,


soit soulignée et sa place reconnue de tous. L’Afrique
garderait d’immenses secrets dans la vallée du Nil qui ne
se dévoileraient au fur et à mesure que les recherches
avanceraient. Les lointains ancêtres de l’homme qui
vivaient en Afrique ont fait preuve d’une imagination et
d’une créativité insondable qui leur ont permis de lancer
l’humanité sur la voie du progrès. « En effet, la naissance
et le rayonnement des civilisations de la vallée du Nil ne
peuvent s’expliquer que par l’expansion d’éléments de
culture, à partir d’un centre unique d’impulsion qui , de
nos jours, grâce aux progrès des recherches
archéologiques africaines, peut être situé dans l’immense
périmètre constitué par les régions où Nil blanc et Nil
bleu se rejoignent pour former le cours du Nil principal .
C’est au cœur de l’antique Éthiopie , le « pays des Noirs
» selon les Grecs, que diverses influences venues du
Sahara en voie d’assèchement d’une part , au cœur de
l’Afrique subsaharienne d’autre part, ont convergé pour
faire germer la première civilisation que l’humanité ait
connue. Contrairement à ces historiens qui , pour satisfaire
leur vision ethnocentriste de l’histoire , s’acharnent à bâtir
sur des vestiges archéologiques moins significatifs de la
Mésopotamie une antériorité et une primauté de
civilisation que les faits et les récentes découvertes
viennent aujourd’hui démentir , c’est en fait , selon les
sources les plus autorisées à l’heure actuelle , sur le sol
africain que se lève l’aube de la civilisation . Mais, ce ne
sont pas seulement les trésors de la proto - histoire dont
peuvent s’enorgueillir l’Afrique et les Africains : il y a
aussi les vestiges de l’Antiquité et ceux du Moyen Âge .
À ce titre sont particulièrement éloquents les sites
historiques de l’Égypte ancienne avec les splendeurs
accumulées dans la vallée des Rois et en Haute –Egypte ,
les trésors architecturaux et sculpturaux du pays Ouaouat
du pays de Koush dans le Soudan actuel, les vestiges
93

prestigieux du pays d’Axoum en Ethiopie sans omettre


les trésors archéologiques africains amassés dans les
musées européens et américains »69.Sans examiner ici de
manière critique le regard de certains écrivains
occidentaux sur l’Afrique et les Africains, il convient,
cependant, d’analyser le discours de l’Autre sur l’Afrique
qui montre l’autre du discours, un discours révélateur d’un
égocentrisme culturel sur lequel on a peu travaillé et qui
fausse les relations entre l’Afrique et l’Occident.

I.2. Le temps du mépris : l’autre discours, le


discours de l’autre.

La pensée chrétienne, comme nous l’avons dit,


héritière de la culture romaine, l’est aussi de la tradition
juive. Celle-ci a d’abord conduit les Pères, interprétant la
Bible, à une véritable mystification de l’Histoire africaine,
dont il reste de nos jours plus d’une trace. Selon cette
pensée, en effet, l’Afrique aurait été peuplée depuis la
zone du bas- Nil, par les descendants de Cham, fils de
Noé. Cham, maudit par son père, aurait transmis cette
malédiction à ses descendants noirs progressivement
installés dans l’ensemble du continent. Cette malédiction
excuse commodément l’esclavage des nègres et leur
exploitation de toutes sortes par les occidentaux. Mais qui
croit encore au peuplement de l’Afrique depuis le bas –
Nil ? Au XIXe siècle, les certitudes de l’anthropométrie et
de l’anthropologie physique débutante avaient conduit à
classer les Noirs parmi les peuples inférieurs aux blancs
par la biologie, et donc par la culture . Cette position a
suscité les répliques sévères, mais bien objectives
scientifiquement du savant sénégalais Cheik Anta Diop.

En effet, ce dernier essaie de montrer la valeur de la


théorie kamitique en indiquant que« Le terme kamit est
69
KODJO (E.), op. cit., p.40
94

une ethnique ; logiquement, il signifie noir, charbonner ,


ébène, chair, dans les langues mêmes des peuples qui
l’ont transmis à l’histoire : égyptien et hébreu et dans les
langues africaines » 70 . Selon lui, On a, en Egyptien
ancien :
-Kem= noir, être noir
-Kemt=la Noire=l’Egypte
-hem=être chaud
-hemm= chauffer, devenir chaud
-hemw= chaleur, brûlure
en Hebreu
-Kham= fils de Noé, ancêtre biblique des Nègres dont
l’un des fils ,
Mitsraïm, alla habiter l’Egypte (Genèse X)
-Khum=marron
-Khom=chaleur
-Khama=la chaude, le soleil.

Dans une langue nègre comme le valaf on a :


-Khem=noir, charbonner par excès de cuisson
-Khemit= le résidu charbonné d’une cuisson, ce qui
a trop cuit au feu.
-Khemmel=faire charbonner
-Khomm=bien cuit
-Khamb= attiser le feu.
en peul et toucouleur : Kembu=charbon

Cheik Anta Diop pense que « La racine Khem a donc


proliféré dans les langues nègres. Il faut noter que les
Égyptiens n’ont jamais usé d’une ethnique, indiquant la
couleur de la peau, pour se distinguer des autres nègres.
Ils ne l’ont pas fait vis-à-vis des tribus nègres non
civilisées qui gravitaient autour des frontières du sud,
comme les barbares autour de l’Empire romain »71.

70
DIOP(C.A.), op. cit. , P.53.
71
DIOP (C.A) op. cit. , p.54.
95

Il ressort donc que pour toute l’Antiquité savante,


l’Égypte était avec l’Éthiopie le berceau de la race noire.
Il était donc normal et naturel qu’elle fut appelée « la
race noire » par les habitants qui y vivaient, c’est-à-dire
par les siens propres. Quoi qu’il en soit, l’identité de
l’étymologie du terme Kham, dans les langues concernées,
permet de se demander pourquoi et comment Kham (noir,
charbonné, ébène, etc. a été blanchi. Cette opération
politico- culturelle du blanchissement de l’ancêtre
charbonné, coïncide avec l’apogée du colonialisme. Il était
devenu, moralement indispensable , de blanchir les
origines de la civilisation égyptienne . « D’autre part, si
l’Egypte , d’après la bible même , était un pays de noirs
où les Israélites ont été persécutés pour la première fois ,
il est naturel que ces noirs, les descendants de Kham, de
Mitsraïn etc... soient maudits dans la littérature juive ,
entièrement postérieure à l’exode, à la « sortie d’Egypte »
et qui constitue la bible . Telle semble être l’origine
historique de la malédiction de Kham, origine inattendue
et bien différente des allégations habituelles qui ne
reposent sur aucun fondement scientifique . Il en ressort
de ce qui précède que les noirs, qui ont créées des
civilisations incontestables , cessent d’être noirs pour
devenir des khamites »72 .

En ce qui concerne la théorie du « khamito-


semitisme » qui est une théorie linguistique, il faut
reconnaître que le Semite est un blanc qui porte encore
les traces plus ou moins affaiblies, d’un métissage très
ancien avec l’élément noir. Il est donc admis que la
culture pharaonique est « africaine » , qu’elle ne saisit son
essence qu’à partir des cultures nègres du reste de
l’Afrique, que la civilisation antique Égyptienne est

72
DIOP (C.A.), op. cit. , pp.59-60.
96

essentiellement africaine . N’est-ce pas que l’Égypte est


avant tout terre d’Afrique ? Et que la civilisation
pharaonique peut servir d’introduction à la connaissance
du monde noir ? « Quelque idée que l’on ait sur les races
qui ont peuplé l’Egypte et le reste de l’Afrique Noire, on
est obligé de convenir que l’Égypte et l’Afrique Noire
appartiennent au même univers culturel : la culture
africaine actuelle plonge ses racines dans le limon de la
vallée du Nil »73 .

On comprend pourquoi des éminents chercheurs et


philosophes Grecs sont venus en Égypte pour s’abreuver
de son Savoir et de sa Sagesse. La liste de ces élèves
devenus des maîtres, fait remonter l’influence égyptienne
sur la pensée grecque à l’âge mythique où vécurent les
premiers ancêtres des Hellènes. Thalès De Milet apprit en
Égypte la Géométrie et l’Astronomie, fut le premier Grec
à calculer la période d’une éclipse. Pythagore aurait
passé 22 ans dans les Temples d’Égypte apprenant la
géométrie et l’astronomie qu’il étudia dans les sanctuaires
pendant toute la durée de son séjour. Oénopide apprit des
prêtres et astronomes que le soleil a une marche oblique
(l’éclipse oblique sur l’équateur céleste, dirigée au sens
contraire de celles des autres astres). Démocrite, de son
côté, fréquenta cinq ans les prêtres pour apprendre les
choses relatives à l’astronomie et à la géométrie. Platon
et Eudoxe vécurent treize ans à Héliopolis, apprenant la
géométrie, la théologie, toutes les sciences qui les
rendirent célèbres par la suite.

« Cependant aujourd’hui, lorsqu’on fait l’éloge de


Platon, qu’on souligne ses mérites intellectuels, on fait
volontiers abstraction de ce long stage, que même les
Grecs aussi chauvins que Strabon, ont relaté sans la
moindre réserve. Toute la pensée philosophique de Platon,
73
DIOP (C.A), op. cit. , p. 70.
97

comme l’a montré Amélineau dans les « prolégomènes »,


sa théorie des archétypes en particulier, plongent
profondément leurs racines dans la cosmogonie
égyptienne. Il en est de même de toute sa pensée
mathématique et de celle d’Eudoxe : « Nous y avons vu
des édifices consacrés jadis au logement des prêtres ; mais
ce n’est pas tout, on nous montra aussi la demeure de
Platon et d’Eudoxe : car Eudoxe avait accompagné Platon
jusqu’ici. Arrivés à Héliopolis, ils s’y fixèrent et tous
deux vécurent là treize ans dans la société des prêtres ;
le fait est affirmé par plusieurs auteurs ».Ainsi non
seulement Eudoxe et Platon , deux des plus célèbres
mathématiciens grecs , ont effectivement été les disciples
des Egyptiens , et passèrent plus d’une décade en Égypte
à y acquérir les connaissances mathématiques dont on
leur attribue volontiers l’invention en Occident , mais
même du temps de Strabon , on montrait encore à
Héliopolis , les chambres où ils vécurent »74. Pour
l’auteur de Antériorité des civilisations nègres , les Grecs
après avoir puisé les sciences chez les Égyptiens , ont
voulu les acclimater dans leur patrie par des traductions
de mémoire et d’ouvrages égyptiens . Ainsi « La secte
(Pythagore), l’Académie (Platon), le Lycée (Aristote) ne
sont que des répliques atténuées des confréries
sacerdotales égyptiennes, véritables castes héréditaires »75.

Mais si la civilisation égyptienne était nègre, si


l’Égypte était le grenier du savoir antique et si la
civilisation égyptienne était la plus ancienne que
l’humanité ait connue comment peut-on expliquer le retard
de l’Afrique aujourd’hui, la régression de sa civilisation ?
Cheik Anta Diop essaie de répondre à cette question en
affirmant que « le déclin de la civilisation égyptienne a
été précipité durant les derniers siècles de contact avec

74
DIOP (C.A),op. cit. , p.101-102.
75
DIOP (C.A.), op. cit. , p.100.
98

les jeunes civilisations issues d’elles , par cet immense


orgueil qui empêchait l’Egypte d’emprunter à ses élèves
de naguère et par ce système défectueux de
l’ « initiation ». Cette dernière institution, fatale au
développement intellectuel des peuples, tout le reste de
l’Afrique Noire l’a eue en commun avec l’Egypte. Dans
certains cas, cela reflète une influence culturelle directe,
dans d’autres une origine culturelle commune. Les Grecs
adoptaient une attitude inverse. Une fois terminée leur
initiation au près des prêtres égyptiens, ils parcouraient
les pays en faisant des conférences publiques, faisaient des
propagandes pour recruter leurs propres élèves et disciples
qui souvent les rémunéraient »76. Par ailleurs, dans
Nations nègres et cultures, Cheik Anta Diop écrit que le
déclin de l’Égypte est dû au fait que les civilisations
occidentales auraient bénéficié « d’apports multiples
favorisés par la configuration géographique de la
Méditerranée – véritable carrefour le mieux situé au
monde »77. Pour lui, « le génie matérialiste des Indo-
Européens :Grecs, Romains »78ainsi que « le christianisme
et les invasions barbares , vont interférer sur le terrain déjà
vieux de l’Europe Occidentale pour donner naissance à
une civilisation nouvelle(...) qui a hérité de tous les
progrès techniques de l’humanité grâce à des contacts
interrompus entre les peuples (...)C’est ainsi que dès le
XVème siècle , les portugais abordaient l’Afrique par
l’océan atlantique ; ils établirent les premiers contacts
modernes désormais interrompus avec l’occident »79 .

Ainsi, le génie européen va-t-il avoir raison de la


« mentalité primitive » africaine, une Afrique, malgré tout

76
DIOP(C . A), op. cit., pp. 100-101
77
DIOP (C.A),.-Nations nègres et cultures, tome I , (Paris, Présence
Africaine, 1959), P.49.
78
Ibidem, p.49
79
Ibidem, pp.49-50
99

ce qu’on vient de démontrer, considérée comme non –


civilisée, barbare,sauvage et anhistorique. Les qualificatifs
ne manquent pas : les hommes des arbres, les singes noirs,
la horde des mangeurs d’hommes. « En réalité, écrit
Marcien Towa, ce qui est en jeu, c’est la hiérarchisation
des civilisations et des sociétés , ni plus ni moins (...)En
effet, le mouvement qui anime l’Histoire multi- millénaire
de l’humanité n’a qu’un but : le triomphe final de la raison
, et de la liberté. Par conséquent, la présence ou l’absence
de la liberté et de la pensée, c’est-à-dire de la
philosophie, signifie l’appartenance ou la non
appartenance à l’histoire universelle. Le fait que la
philosophie, (...) la pure pensée et la liberté , ne se
rencontre qu’en occident veut donc dire en même temps
que seul l’occident est véritablement historique »80.

Ainsi l’Histoire se proclame. L’Occident seul s’érige le


droit d’attribuer les lettres d’entrée dans l’Histoire, à qui
elle veut. Au nom de la Liberté et de la Raison, on refuse
la raison à des peuples et à leur continent. L’isolement
géographique ainsi que la massivité de son relief ne sont
que des prétextes fallacieux pour refuser à tout un
continent le droit inaliénable à la vie et à l’existence. Mais
la négrophobie n’empêche pas l’occident de s’octroyer les
potentialités du « pays de l’or » dont parlait Hegel.
L’unification avec l’Afrique, c’est la haine de l’Occident
qui précipite l’Afrique hors de son moi, la rend oublieuse
d’elle-même, de son être et de son avenir. Mais l’on
oublie, à en croire Eric Hoffer que « La haine unit les
éléments les plus hétérogènes. Partager une haine
ordinaire, même avec un ennemi, c’est lui inoculer un
sentiment de parenté et saper ainsi ses facultés de

80
TOWA (M ; ). –Essai sur la problématique philosophique dans
l’Afrique actuelle, (Yaoundé, Clé, 1979), p.5
100

résistance »81. Le démon de la raison occidentale


considère l’Afrique comme l’Autre, l’Intruse de
l’humanité. N’est-ce pas que pour qualifier l’ennemi
intérieur de diable, il faut lui donner un ancêtre étranger,
blâmable et reconnu comme le Mal ? Le mépris de
l’Afrique s’est transformé en haine viscérale au point que
tout ce qui émane de l’Afrique est non sens. Comment
cela peut-il en être autrement quand « ses fils les plus en
vue singent le monde occidental : ils se mettent en habits
mais vont aux soirées pieds nus ; ils roulent en grosse
cylindrées alors qu’ils ne savent même pas fabriquer une
voiture (...) Entre l’aurore (l’Ethiopie orientale ) et le
couchant (l’Ethiopie occidentale), le pays des hommes à la
face brûlée est plus une topique mythologique que
géographique »82.

Même dans le cas d’un juste grief, notre haine vient


moins d’un tort qui nous est fait que du sentiment de notre
impuissance, de notre incapacité à nous élever au seuil de
l’Europe, et faire face à l’Europe et de la regarder droit
dans les yeux sans peur et sans gêne, de notre incapacité à
nous adapter à la situation présente de combat, de notre
lâcheté et de notre mépris de nous-mêmes. Il y a sûrement
un sentiment de culpabilité derrière tous les maux
auxquels nous sommes confrontés. Comment faire tort à
ceux qui nous haïssent, comment émousser
réciproquement notre haine envers eux ? C’est de nous
convaincre nous –mêmes de notre rôle à jouer dans
l’Histoire des autres à défaut d’avoir la nôtre propre. « Il
semble que, lorsque nous sommes accablés par le
sentiment de notre indignité, nous ne nous considérons pas
81
HOFFER (E.). . –Une foi aveugle (Paris, Nouveaux Horizons,
1966), p.152.
82
KONATE (Y.). – Identité et non –identité africaines : de
l’esthétique à la politique africaine (aspects ivoiriens), Thèse d’Etat,
(Paris, Université de Paris I , Panthéon-Sorbonne, 1988), tome1 ,
P.34.
101

nous-mêmes comme aussi déchu que certains et aussi


élevé que d’autres, mais aussi déchu que le rebut de
l’humanité. Nous haïssons alors le monde entier, et il
nous faut déverser notre inimitié sur l’ensemble des
vivants »83. Notre haine pour nous-mêmes et pour les
autres doit –elle donner un sens et un but à une vie vide ?

Á dire vrai l’Europe refuse l’humanité à l’Afrique en


s’appuyant sur le fallacieux mythe de la race, selon lequel
le noir serait le descendant de Cham. En le faisant, les
européens contestent la culture africaine en la
désarticulant.

83
HOFFER(E. ), op. cit. , p.161.
102

« La mise en place du régime colonial n’entraîne pas pour autant


la mort de la culture autochtone. Il ressort au contraire de
l’observation historique que le but recherché est davantage une
agonie continuée qu’une disparition totale de la culture pré-existante.
Cette culture, autrefois vivante et ouverte sur l’avenir, se ferme, figée
dans le statut colonial, prise dans le carcan de l’oppression. A la fois
présente et momifiée elle atteste contre ses membres. Elle les définit
en effet sans appel. La momification culturelle entraîne une
momification de la pensée individuelle. L’apathie si universellement
signalée des peuples coloniaux n’est que la conséquence logique de
cette opération » .
FANON (F.).-Pour la révolution africaine (Paris, Maspero, 1969,
p.35.).

« Ça porte toujours malheur de voir des nègres. Les nègres, c’est le


Diable » .
SARTRE (J-P).-La P… respectueuse, (Paris, Gallimard, 1947,
p.23.).
103

Chapitre II : De la contestation culturelle


II.I. Race et contestation

La préhistoire africaine a laissé , dans plus d’une


mémoire qui l’a inconsciemment enregistrée, après des
siècles de culture laïque , un réflexe déformateur intense ,
qui interdit d’admettre la pluralité des foyers d’éveil
culturel en Afrique et l’égalité , à situations historiques
égales , des civilisations noires et des civilisations
blanches .

Aussi récemment qu’en 1957, Gaxotte écrivait dans


‘’La Revue de Paris’’ : « Ces peuples n’ont rien donné à
l’humanité ; et il faut bien que quelque chose en eux les en
ait empêchés. Ils n’ont rien produit, ni Euclide, ni Aristote,
ni Galilée, ni Lavoisier, ni Pasteur. Leurs épopées n’ont
été chantées par aucun Homère »84. D’une manière
générale, les Occidentaux modernes s’émerveillent des
inventions et autres découvertes qui sont portées à l’actif
de leur civilisation et s’imaginent pour un peu qu’ils ont,
dans ce domaine, un monopole. « C’est oublier , d’une
part, que des trouvailles telles que la théorie einsteinienne
de la relativité ou la désintégration de l’atome viennent
au terme d’une longue évolution qui les a préparées et,
d’autre part, que maintes inventions aujourd’hui
dépassées et dues à des anonymes ont témoigné , en leur
temps et en leur lieu d’un génie au moins à celui des plus

84
GAXOTTE (P.),cité par JOSEPH KI-ZERBO, in Histoire de
l’Afrique noire, introduction (Paris, Hatier, 1978).
104

renommés de nos savants : les premiers australiens , par


exemple, qui fabriquèrent des boomerangs capables de
revenir vers leur point de départ ne disposaient
évidemment ni de laboratoires ni de services de
recherche scientifique , mais ils n’en parvinrent pas
moins à fabriquer ces engins , fort compliqués du point
de vue balistique ; de même les ancêtres des actuels
Polynésiens , lorsqu’ils essaimèrent d’îles en îles sans
boussole et avec pour seules embarcations leurs pirogues
à balancer , accomplirent des performances qui ne le
cèdent en rien à celles des Christophe Colomb et des
grands navigateurs portugais » 85 .

Assimilés à des bêtes fauves, ces gens que l’on


prétend dénués de toute culture et dont on considère la
vie comme primitive , des êtres à l’état sauvage , des non
civilisés qui représentent l’humanité au stade de l’enfance
sur le plan de l’existence individuelle , n’est pas étonnant
dans la mesure où quand les liens de la vie terrestre se
rompent, les liens d’amour deviennent très exécrables.
Mais de l’état de nullité où sont les peuples africains, ils
passeront un jour à l’action rédemptrice de leur être, car
c’est à ces conditions de révolutions radicales que
l’Afrique retrouvera sa dignité et sa place dans l’Histoire
universelle. « Les mesures se comblent dans le sommeil et
dans le silence . Elles se développeront dans la
douleur »86. Et l’Africain nouveau est prêt à affronter un
autre défi, à assumer une nouvelle douleur dans le
sommeil de l’espérance et de l’action, non celui de
l’esclavage mais celui de la liberté et du développement
harmonieux. L’héritage universel qui a été distribué à tous
les peuples ne doit pas être confondu. Le nôtre ne doit pas
passer dans des mains étrangères et illégitimes surtout

85
LEIRIS (M. ). Cinq études d’ethnologie (Paris, Denoël 1969), p.52
86
MARTIN (L.C de Saint).-l’homme de désir (Paris, UGE, 1973) ,
p.104.
105

lorsque ces mains sont sales. Que voulons-nous ? Quels


secours cherchons –nous après tant de servitude et de
néantisation ? Comme le dit Louis Claude de Saint –
Martin, « La vraie manière de demander le secours, n’est-
elle pas d’aller courageusement le chercher où il est ? Et
n’est-ce pas par l’action que la force se nourrit ? Aussi il
n’y a de grand que celui qui sait combattre parce que c’est
le seul moyen de savoir jouir; Et que le premier secret
pour être élevé au-dessus de nos ténèbres et de nos
fautes, c’est de nous y élever nous –mêmes »87.

Comment comprendre que l’Afrique doive toujours


continuer à s’offrir à la présence occidentale comme une
marionnette sans vie, obligée de se sentir toujours
coupable et s’inférioriser devant l’Autre ? Il semble que
dans l’histoire des peuples, une seule race est condamnée
à vivre en autarcie, en marge de l’humanité. Tout ce qui
vient de l’Afrique est d’emblée marqué du sceau de la
condamnation et de la malédiction. Les occidentaux ont
toujours pensé que l’Afrique demeure dans le silence, en
exécutant les ordres en aveugle ; qu’elle n’a ni mémoire ni
conscience de ce qu’elle opère. Mais l’Afrique n’est pas
morte une fois pour toutes, après l’esclavage et la
désarticulation de sa culture. Elle refuse de descendre dans
le tombeau que l’occident a bien voulu creuser. L’Afrique
ne s’écroulera pas sur ses fondements, sur sa culture. « Le
feu de l’espérance est sorti du sein de cette œuvre
merveilleuse : il a embrasé l’homme de courage ; il est
venu embraser l’âme au milieu de ses fers. Ses fers sont
tombés d’eux- mêmes, les portes de sa prison se sont
ouvertes ; elle a marché en liberté, et elle est allée
rejoindre ses frères »88.

87
MARTIN (L.C. de SAINT), op. cit., p.34.
88
MARTIN (L.C. de SAINT), op.cit., p.322.
106

On sait , depuis Rousseau, que la mauvaise culture, qui


est aussi la fausse culture, se développe dans l’opinion ;
celle de la malédiction du Noir et de son infériorité
intellectuelle apparaît dès lors comme une mauvaise
culture dans la mesure où elle a pris forme et corps dans
l’opinion occidentale chrétienne. Sous le masque de
l’intelligence différentielle, et donc du potentiel culturel,
réapparaît l’antique problème auquel on confère une base
biologique erronée. « Le préjugé racial n’a rien
d’héréditaire non plus que spontané ; il est un « préjugé »,
c’est -à- dire un jugement de valeur non fondé
objectivement et d’origine culturelle : loin d’être donné
dans les choses ou inhérent à la nature humaine, il fait
partie de ces mythes qui procèdent d’une propagande
intéressée bien plus que d’une tradition immémoriale.
Puisqu’il est lié essentiellement à des antagonismes
reposant sur la structure économique des sociétés
modernes , c’est dans la mesure où les peuples
transformeront cette structure qu'on le verra disparaître,
comme d’autres préjugés qui ne sont pas des causes
d’injustice sociale mais plutôt des symptômes . Ainsi,
grâce à la coopération de tous les groupes humains quels
qu’ils soient sur un plan d’égalité s’ouvriront pour la
Civilisation des perspectives insoupçonnées »89.
Le concept de race semble donc être le non sequitur
par lequel le monde moderne explique des forces qu’il
ne comprend pas. Ce terme nous plonge déjà dans la
perplexité. Historiquement, c’est un terme d’élevage, né
de préoccupations techniques de rendement. Darwin
semble être parti de là : de la sélection artificielle pour
imaginer sa sélection naturelle. La race continue de
soulever un problème social et philosophique
d’envergure. Le mot « race » est un terme utilisé par des

89
LEIRIS (M.). Cinq études d’ethnologie (Paris, Denoël 1969 ),
pp.79-80.
107

fanatiques pour projeter leurs actes de persécution ou des


idées sur la persécution. Il est utilisé comme terme
technique par les sciences biologiques, notamment par la
génétique. En tant que problème social, la race constitue
une « projection culturelle ». Il est impossible de vouloir
faire coïncider un groupe social avec une figure
biologique. Car « la nature biologique de l’homme s’est
constitué , et continue à se constituer , dans de continuels
métissages »90 même si , à l’instar de certains névrosés
qui projettent leurs difficultés dans un langage qui les
rassure mais qui est sans rapport avec « la cause » de leur
névrose, la société a créé le problème « racial » à partir
des concepts différents de celui du biologiste et du
généticien.

Richard Lewontin, essaie d’expliquer le phénomène


en montrant les différences entre l’inné, l’acquis et la
génétique. « Pour comprendre la diversité des hommes,
écrit-il, il faut connaître le rapport entre les différences
biologiques d’origine génétique et celles dues à
l’environnement. Le problème est souvent posé en termes
d’opposition entre « nature » et « culture ». Suis-je
différent de mon voisin en raison de mes gênes ou de mes
expériences vécues ? Nos différences de Quotient
Intellectuel (Q.I) résultent-elles de nos gênes ou des
conditionnements que nous avons subis ? Nous savons que
la différence de couleur de peau entre un Européen et un
Africain subsaharien est innée. En effet, les enfants
d’immigrés héritent de la couleur de la peau de leurs
parents et non de celle de la population locale. À
l’extrême opposé, le fait de parler français – plutôt que
polonais, par exemple, - est une pure détermination
sociale. Mais pour un trait donné, la différence entre les
individus est –elle un résultat de la nature ou de la
culture ? Posé en ces termes, le problème de l’origine de la
90
MEMMI (A.) .Le racisme (Paris, Gallimard, 1982), p.21.
108

différence est, comme nous le verrons, un non-sens


biologique »91.

Selon la Biologie, une race est un groupe


d’organisations dont les membres partagent une proportion
statiquement significative de gênes. La « race » fait ainsi
partie de l’équipement analytique de la science, elle ne
fait pas partie de ses données. Les races sont en
conséquence des populations naturelles et parce que les
membres des populations naturelles sont des êtres
matériels et occupent un espace , que de plus , ils doivent
se rencontrer pour se reproduire , chaque «race » a une
dimension géographique , une région où elle est
représentée. Les changements dans la mobilité
géographique entraînent généralement des changements
dans les gênes disponibles et finalement un changement
dans la race. Les races ne sont donc pas immuables. Il n’y
a pas de corrélation génétique entre la forme de la
mâchoire et la contexture des cheveux , entre la
musculature , la formation osseuse du poignet et la
présence ou l’absence de plis épicanthiques sur l’œil ,
pour déterminer les types raciaux que connaît le monde
moderne. La race est donc un concept scientifique qui sert
à désigner les « congénères ». Philosophiquement, c’est un
phénomène temporaire. « La tentative de marquer une
nette séparation entre les causes internes d’une part,
externes d’autre part, remonte au modèle mécanique des
organismes de Descartes , pour qui les êtres vivants – à
l’instar du monde physique- sont des sortes de
mouvement d’horlogeries analysables pièce à pièce.
Cette analyse cartésienne a été à l’origine de presque tous
les progrès de la biologie. La physiologie, la génétique et
la biologie moléculaire procèdent en brisant leur objet en
de morceaux de plus en plus petits, puis en essayant de le

91
LEWONTIN (R.).-La diversité des hommes, Traduit de l’anglais par
JEAN PIERRE LABRIQUE (Paris, Pour la science, 1982), p.14.
109

reconstruire à partir de ces fragments. Ainsi notre corps


est-il vu comme un faisceau d’organes, chacun
remplissant une fonction particulière »92.

La race est un concept et non une chose. Il est certain


que l’adaptation au milieu joue un rôle dans les liaisons
trouvées entre le climat et le physique humain, quoique
l’explication qui en est donnée ne repose généralement
que sur des hypothèses. Par exemple, Weiner souligne
qu’une des fonctions essentielles du nez est d’amener
l’air inspiré, au contact de la muqueuse nasale
constamment humidifiée par les sécrétions , à la saturation
de vapeur d’eau , requise pour que le mélange ne soit pas
nocif aux poumons , d’où l’avantage d’un nez haut et
étroit en climat désertique. Il serait dès lors opportun que
les Africains vivant au bord du Sahara , dans les pays
désertiques tels que le Mali, le Niger, le Burkina Faso, etc.
aient des nez étroits et hauts. Schreider , quant à lui,
explique en termes de morégulation le gradient
eurafricain des constitutions , et cite un travail qui
conclut à l’avantage d’un crâne haut et étroit en climat
très chaud , cette force absorbant moins de chaleur.

Cette adaptation résulte –t - elle d’une réponse du


développement individuel ou d’une évolution du
patrimoine génétique du groupe par sélection, tout au long
des générations ? On pourra supposer que les liaisons
entre climats et physiques ne sont que modestes dans
l’espèce humaine, malgré les appréhensions de certains
européens qui attribuent à l’Africain une mentalité
primitive parce qu’il vivrait dans une région tropicale, où
la réflexion devient une épreuve semblable à l’escalade
d’une montagne ; elles sont modestes dans la mesure où
les migrations et expansions changent le milieu où vit
une population , quand celle-ci ne le modifie pas elle-
92
LEWONTIN (R.). ,op . cit., p.15.
110

même par des moyens culturels ou ne trouve des moyens


culturels d’accroître sa production contre les éléments
hostiles , et où les patrimoines génétiques sont si souvent
remaniés par les mélanges et l’essaimage . La
confrontation des corrélations qui lient entre elles les
moyennes anthropométriques ou les fréquences génétiques
et de celles qui les lient au climat, témoigne que le
métissage et l’expansion à des zones climatiques
différentes , sont des facteurs qui rompent l’équilibre
adaptatif du patrimoine héréditaire vis-à-vis du milieu .
On peut donc en déduire que L’Homme , au cours de
l’histoire devient à même de modifier certaines pressions
sélectives. Par exemple, par une prophylaxie
médicamenteuse efficace, ou par l’élimination des
moustiques, il peut supprimer la malaria et par là, faire
disparaître progressivement certaines gênes pour autant
que ces derniers ne présentent d’avantage que vis-à-vis de
cette maladie.

Par ailleurs, le conditionnement historique d’un


organisme doit nous rendre prudents lorsque nous
utilisons des termes tels qu’aptitude ou capacité car nous
dit Richard Lewontin, « Les aptitudes , comme d’autres
aspects de la morphologie , de la physiologie ou du
comportement sont contingentes : elles dépendent non
seulement des conditions auxquelles l’organisme a été
exposé , mais aussi de leur succession historique »93. Sans
analyser ces faits, l’on s’est targué à affirmer que le nègre
est un être dénué de toute intelligence. Aujourd’hui
encore, certains intellectuels européens continuent de dire
que le Blanc est plus intelligent que le Noir. C’est ainsi
que dans leur livre the bell curve : intelligence and classe
struct ure in american life , Richard J. Herstein et
Charles Murray affirment de manière péremptoire que le
Blanc a une intelligence supérieure, plus fine et plus
93
LEWONTIN (R.). ,op. cit., p.17.
111

performante que celle du Noir et que, quels que soient la


classe sociale, le degré d’instruction , l’environnement et
les conditions sociales et financières d’un Noir, il serait
toujours moins intelligent que le Blanc parce que
l’intelligence ne s’acquiert pas . Selon eux, l’intelligence
est héréditaire94. Or, les tests psychologiques ont tendu à
montrer, après qu’on les eut perfectionnés de manière à
éliminer les différences dues à l’environnement social et
physique , à l’état de santé au milieu et à l’éducation, la
ressemblance foncière des caractères intellectuels entre
les différents groupes humains .

« En aucune manière , nous dit Michel Leiris, on ne


saurait dire d’une race qu’elle est plus (ou moins )
« intelligente » qu’une autre ; si l’on peut , assurément,
constater qu’un individu appartenant à un groupe pauvre
et isolé – ou à une classe sociale inférieure – se trouve
handicapé par rapport aux membres d’un groupe vivant
dans des conditions économiques meilleures (....), cela ne
prouve rien quant aux aptitudes dont il pourrait
témoigner dans un milieu plus favorable »95 . Ironies non
moins étrange, car c’est à partir du moment où les races
dites inférieures prouvent qu’elles sont à même de
s’émanciper que, les antagonismes deviennent plus ardus ;
dès lors que les hommes de couleur font pour les blancs,
figure de concurrents ou se voient reconnaître un
minimum de droits politiques , le dogme racial est affirmé
avec beaucoup plus d’acuité .

Le paradoxe est qu’après l’argument biblique, c’est


autour des arguments présentés sous le couvert masqué de
la prétendue Science et de son « objectivité» , qu’on

94
HERNSTEIN(R. J. ) & MURRAY (C. ). – The bell curve :
intelligence and class structure in american life (New York, Free
Press, 1994 )
95
LEIRIS (M. ). Cinq études d’ethnologie(Paris, Denoël 1969 ), p.29.
112

cherche à justifier rationnellement ce dogme


d’obscurantisme . « Comment prétendre encore qu’à
chaque race est lié un certain type de culture si l’on
considère non seulement les noirs du continent africain
mais ceux qui , au nombre de quelques trente cinq
millions , constituent aujourd’hui une partie de la
population des deux Amériques et des Antilles ?
Descendants d’africains dont la transplantation et la
dépossession d’eux –mêmes par la terrible condition
d’esclave avaient bouleversé la culture de fond en comble
, ils ont réussit à s’adapter à un milieu culturel pourtant
très différent dans celui dans lequel leurs ancêtres
s’étaient formés et à fournir à bien des cas ( malgré la
force du préjugé dont ils sont les victimes ) une
contribution importante à la vie comme au rayonnement
de cette civilisation dont les Occidentaux croyaient être
les représentants sans rivaux : pour s’en tenir au domaine
littéraire, il suffira de citer Aimé Césaire, nègre de la
Martinique , actuellement l’un des plus grands poètes
français, et Richard Wright , nègre du Mississippi, qu’on
peut regarder comme un des plus talentueux parmi les
romanciers américains »96.

L’erreur qui fournit un semblant de base théorique


au préjugé de race repose principalement sur une
confusion entre faits naturels d’une part, et faits culturels
d’autre part, ou pour être plus précis, entre les caractères
qu’un homme possède de naissance en raison de ses
origines ethniques et ceux qu’il tient du milieu dans
lequel il a été élevé, héritage social que trop souvent, on
omet de distinguer de ce qui est en lui héritage racial, tel
certains traits frappants de son apparence physique (
couleur de la peau par exemple) et d’autres traits non
moins évidents. S’il est des différences psychologiques
bien réelles entre les individus, elles peuvent être dues
96
LEIRIS (M. ), op. cit. , p.60.
113

pour une bonne part à son ascendance biologique


personnelle mais ne sont en aucun cas explicables par sa
race, autrement dit, le groupe ethnique auquel il se
rattache par la voie de l’hérédité.

Si l’histoire a assisté à l’éclosion de civilisations très


distinctes et si les sociétés humaines sont séparées par des
différences, il n’en faut pas chercher la cause dans
l’évolution raciale de l’humanité à se différencier à
partir de la souche unique dont tous les hommes qui
peuplent la terre sont vraisemblablement issus. Ces
différences relèvent du fait de variations culturelles
qu’on ne saurait expliquer ni par le soubassement
biologique ni même par l’influence du milieu
géographique. « Ainsi comme le fait remarquer Michel
Leiris, au lieu d’obtenir un tableau des races aux divisions
très nettes, on parviendra seulement à isoler des séries
d’individus qui présenteront l’ensemble des caractères
regardés comme constitutifs d’une race déterminée et
pourront être considérés comme les représentants les plus
typiques de cette race dont les traits distinctifs ne se
retrouvent pas tous ou ne se retrouvent qu’à un moindre
degré chez leurs congénères. Faudra- t-il en conclure que
ces individus typiques représentent la race en question à
l’état pur – ou presque – alors que les autres n’en seraient
que des représentants bâtards ?

Rien n’autorise à l’affirmer, car l’héritage biologique


d’un individu se composant d’une nombreuse série de
caractères qui viennent du père et de la mère et (...) «
doivent être conçus non comme de l’encre et de l’eau
qui se mêlent mais comme un assortissement de perles
qui s’arrangeraient d’une manière nouvelle pour chaque
individu », des individus représentant des arrangements
inédits sont constamment produits , de sorte qu’une
multitude d’associations différentes de caractères sont
114

ainsi obtenus en peu de générations . Le « type » ne


répond nullement à un état privilégié de la race ; il a une
valeur d’ordre essentiellement statistique et n’exprime
guère que la fréquence de certains arrangements
frappants »97.Ce que Leiris veut montrer, c’est
qu’appliqué à de larges masses au passé tumultueux, le
mot « race » peut vouloir signifier que par delà les
distinctions nationales ou tribales, on peut définir les
ensembles caractérisés par certaines concentrations de
caractères physiques, engagés dans un jeu historique de
contacts et de brassages constants.

Le discours du racisme ne peut donc pas être assuré


sur ses bases. Le racisme ne peut qu’être un biologisme
outrancier et un élitisme intéresser dans la mesure où il
se veut un fatalisme de la force qui n’est, en aucun cas,
un choix éthique. C’est une pseudo - théorie, qui, selon
Albert Memmi, « consiste en une mise en relief de
différences ; en une valorisation de ces différences ; enfin,
en une utilisation de cette valorisation au profit de
l’accusateur »98.

L’homme devient raciste, selon lui, lorsqu’il utilise la


différence contre autrui afin de trouver profit dans cette
stigmatisation .Tel a été l’objectif des colonisateurs. Ils ont
conclu qu’ils pouvaient, et devaient dominer le colonisé
en expliquant, en légitimant leur présence par les carences
du colonisé, sa différence de civilisation avec la leurs et
son appartenance à une ère géographique différente de
celle du colonisateur. La colonisation, au lieu d’être une
entreprise philanthropique, « fut surtout un système de
rapines » 99. L’utilisation de la différence contre la
victime, au profit de l’accusateur est le pivot du racisme

97
LEIRIS (M. )., op. cit. , pp 24-25. .
98
MEMMI (A.), op. cit., p.43.
99
MEMMMI (A.), op. cit., p.46.
115

colonial, perpétré en Afrique, un racisme colonial qui


déniait tout droit aux nègres et à l’inverse proposait tous
les droits in-finis aux colonisateurs, y compris celui du
droit d’existence du colonisé. Le colon était le créateur du
nègre dans la mesure où il était le seul à décider de sa vie.
La formule était claire, il faut ridiculiser celui qu’on veut
dominer pour le rendre docile.

« Depuis lors, d’un côté, devenus culturellement


complexés, politiquement confus et économiquement en
désarroi, l’Afrique et les peuples noirs se sont affaissés
dans un fauteuil roulant poussé par les puissances
européennes. Et il semble aujourd’hui que malgré tout
leur potentiel humain, minier, naturel et agricole, les
peuples africains ne soient nullement soucieux de
retrouver leur dignité historique bafouée, et de reprendre
entre leurs mains la conduite de leurs affaires culturelles,
politiques et économiques pour sortir du sous-
développement. Ce complexe est tellement sévère qu’il
pousse les Noirs à croire qu’ils n’ont rien de valable chez
eux, qu’ils doivent tout apprendre des Européens, tout
copier sur l’Occident et même penser comme les
Occidentaux face auxquels ils se croient intellectuellement
inférieurs »100. Absurdement, ils se croient même obligés
de se ‘’dépigmenter’’ pour paraître comme le Blanc. En
Afrique, aujourd’hui, les femmes et souvent même des
hommes sont devenus, ce que l’homme de la rue appelle
les « Tchatcho », ou encore les « panthères » pour avoir
utilisé des produits éclaircissants pour paraître ridicules.
Déjà, Frantz Fanon, avait décrit cela : Peau noire,
masques blancs. Il avait mis en garde par ces propos : «
Pour nous, celui qui adore les nègres est aussi « malade
« que celui qui les exècre.

100
EHUI (T.F. ) ; -L’Afrique noire : De la superpuissance au-sous
développement. (Abidjan, NEI, 2002), p.15.
116

Inversement, le Noir qui veut blanchir sa race est


aussi malheureux que celui qui prêche la haine du
Blanc »101. Blanchir sa peau, selon Fanon, ce n’est pas
seulement se ‘’dépigmenter’’ la peau, mais c’est aussi et
surtout s’imposer une déviation existentielle en
s’enfonçant dans le grand trou noir. Car selon lui, « «le
préjugé de couleur » est une idiotie, une iniquité qu’il
s’agit d’anéantir »102 . Le but de Fanon est clair dans cet
ouvrage : « c’est aider le Noir à se libérer de l’arsenal
complexiel qui a germé au sein de la situation coloniale
»103 car « le nègre infériorisé va de l’insécurité
humiliante à l’auto-accusation ressentie jusqu’au
désespoir. Souvent, l’attitude du Noir en face du Blanc ,
ou en face de son congénère , reproduit presque
intégralement une constellation délirante , qui touche au
domaine pathologique »104.

Le Blanc, dans sa volonté de subjuguer le Noir, a fini à


l’admettre et le Noir, à se faire admettre comme un être
primitif. Le colonisateur justifie spontanément ses
entreprises coloniales en se donnant bonne conscience
avec l’idée qu’il n’y a qu’une seule civilisation : celle de
l’Occident. Ce qui fournit à l’impérialisme un alibi
fallacieux : il faut civiliser le reste du monde, il faut
civiliser le nègre en le dénaturant, en le dé- culturant
jusqu’ à sa racine. On crée les termes de ‘’ mentalité
primitive’’, ‘’de société inférieure ‘’et de’’ non-civilisé ‘’.
Un tel climat d’aliénation a fini par faire perdre au Nègre
toute confiance en soi au point que comme le dit Cheik
Anta Diop, « il ne sera pas étonnant, que certains d’entre
nous, après en avoir pris connaissance, éprouvent encore

101
FANON (F .). Peau noire, masques blancs (Paris, Seuil, 1952),
p.8.
102
FANON (F. )., op. cit., p.25.
103
FANON (F.), op .cit., p.26.
104
FANON (F.), op. cit., p.50.
117

du mal à admettre que nous ayons vraiment assumé le


premier rôle civilisateur du monde »105.

Les paroles humiliantes s’identifient pour le nègre à


la parole sous hypnose ainsi qu’à celle de la psychanalyse
qui exhume des profondeurs de l’inconscient des images
enfouies et occultées par le lent travail de la conscience.
La plus enfouie de ces images surgit du souvenir de
l’esclavage, déchirure primordiale perpétuée à travers des
siècles par la mémoire collective de toute une race ;
l’image de ces esclaves enchaînés dans des caves des
bateaux des négriers est le souvenir d’une blessure à
jamais marquée dans l’histoire d’un peuple, d’une race.

C’est à juste titre que le réalisateur Noir-américain,


Alex Haley en retraçant son arbre généalogique, en
dévoilant sa « racine » noire , relate les atrocités de
l’esclavage à travers Kunta Kinté. Il écrit : « Les fouets
claquèrent pour les pousser vers un endroit où se
trouvaient déjà une dizaine d’hommes enchaînés sur
lesquels on déversait des seaux d’eau de mer remontés par
- dessus le bordage. Et puis, malgré leurs cris, les hommes
furent frottés par les toubabs avec des brosses à long
manche. Kounta se mit lui aussi à hurler sous le flot d’eau
salée qui pénétrait comme du feu dans les sanglantes
zébrures du fouet et dans la marque au creux de ses
épaules . Mais lorsqu’on se mit à le frotter à la brosse, en
insistant bien, pour décoller les plaques d’ordure, la
douleur devint intolérable, car les durs brins pénétraient
dans les sillons sanglants du fouet, arrachaient la peau,
fouillaient la chair à vif »106.

105
DIOP (C.A.).-Nations nègres et cultures (Paris, Présence
Africaines, 1959), p..54.
106
HALEY (A .) , op. cit., p.134.
118

Les stéréotypes véhiculés par la mentalité esclavagiste


et coloniale , qui transformèrent le nègre en être vu par les
autres, en être dont les autres parlent , s’accompagnent de
l’image d'un nègre, qui, d’une certaine façon, est
complice de son asservissement puisqu’il accepte de jouer
le rôle qu’on lui fait jouer. D’ailleurs, les nègres ne
livraient-ils pas leurs propres frères aux négriers ? N’y
avait-il pas un esclavage entre nègres, n’y avait –il pas des
« Onrons ? » considérés dans les sociétés africaines
comme des nobles qui ont droit aux meilleures tâches de la
communauté d’une part, et des « Djons », c’est –à - dire
des esclaves dont les rôles sont exclusivement d’assister le
noble et d’accomplir les tâches quotidiennes du maître,
d’autre part ?

Dans tous les cas, l’entreprise de déshumanisation que


fut l’esclavage qui a transformé les êtres humains en
bêtes brutes, en bêtes de somme , a décrété de façon
arbitraire ou à l’aide d’arguments pseudo- scientifiques ,
l’infériorité de la race nègre. La référence au craniomètre
rappelle l’utilisation que les scientifiques, au début du
XIXème siècle, firent de l’étude du crâne pour démontrer
la supériorité de la race blanche. À dire vrai, la
colonisation et l’esclavage ne sont ni évangélisation ni
entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les
frontières de l’ignorance, ni extension du droit, ils ne sont
qu’extermination d’une race, volonté manifeste d’anéantir
une civilisation en progrès car la colonisation ne s’est pas
exercée sur un terrain en jachère, mais sur des terres
habitées par des hommes habitant en sociétés organisées.

L’instauration de la civilisation européenne dans la


barbarie africaine, apparaît comme un faire-valoir culturel,
une pommade visqueuse à l’odeur nauséabonde dans la
mesure où l’entreprise coloniale qui s’abrite derrière la
« nécessité d’une mission civilisatrice », n’est rien d’autre
119

qu’une chosification de l’homme. Car , imposer à des


peuples ses valeurs de civilisation , et refuser de vouloir
reconnaître qu’il en existe d’autres que les siennes est
une entreprise de dé-civilisation, de dés-humanisation et
d’hypocrisie raciste au profit des grands intérêts
économiques de l’Europe. L’on comprend maintenant
pourquoi, en 1922, un administrateur des colonies criait
son indignation d’avoir découvert au cours de « sa
mission civilisatrice » d’administrateur des colonies, le
comportement des Blancs vis- à- vis des Noirs d’Afrique
Équatoriale.

Dans un roman, intitulé Batouala , véritable roman


nègre, René Maran s’inquiète de méthodes qui exploitent
et déciment des populations et des civilisations
entières : « Civilisation, civilisation,orgueil des Européens
et leur charnier d’innocents , Rabindranath Tagore, le
poète hindou, un jour, à Tokio, a dit ce que tu étais ! Tu
bâtis ton royaume sur des cadavres. Quoi que tu veuilles,
quoi que tu fasses, tu te meus dans le mensonge. À ta vue
les larmes de sourdre et la douleur de crier. Tu es la force
qui prime le droit. Tu n’es pas un flambeau mais un
incendie. Tout ce à quoi tu touches, tu le consumes » 107 .
On retiendra de Batouala que l’Europe a asservi un peuple
pour seulement des intérêts économiques et non pour
l’humaniser et l’ouvrir au monde.

D’ailleurs, aucune culture n’est absolument figée , et il


faut admettre que là où se rencontre une forte densité de
la population , les conditions sont meilleures pour que la
culture du groupe en question reçoive de meilleurs
développements . La multiplicité des contacts entre
individus différents est, pour chacun, une cause de vie
intellectuelle féconde. De même, moins un peuple sera
isolé et plus il aura d’ouverture sur l’extérieur et
107
MARAN (R.). Préface de Batouala, (Paris, Albin Michel, 1948).
120

d’occasions de contact avec d’autres peuples . Or,


l’Afrique n’était pas une terre en jachère, elle était habitée
par des hommes, ayant des visions du monde et des
pratiques différentes.

La nécessité d’éduquer les peuples regardés comme


attardés , et cela dans leur propre intérêt comme dans celui
de tous , est en effet, l’un des arguments dont les
colonialistes usent pour apporter au colonialisme une
justification, prétextant que la culture est une chose dont
l’essence est d’évoluer. Mais la culture ne peut pas évoluer
sous la barbarie, par des méthodes d’extermination et de
déshumanisation. Une culture se définissant comme
l’ensemble des modes d’agir et de penser, tous à quelques
degrés traditionnels, propres à une société, est inséparable
de l’histoire ; cette culture qui se transmet de génération
en génération en se modifiant suivant un rythme rapide
ou lent, n’est pas une chose figée mais une chose
mouvante. Par tout ce qu’elle comporte de traditionnel,
elle, bien que se rattachant au passé, a aussi son avenir, car
elle est constamment à même de s’augmenter d’un
rapport inédit ou de perdre certains de ses éléments qui
peuvent tomber en désuétude selon les intérêts des
nouveaux arrivants, c’est- à- dire des nouvelles
générations. « Or, dès l’instant que toute culture apparaît
comme un perpétuel devenir et faisant l’objet de
dépassements constants à mesure que le groupe humain
qui en est le support se renouvelle , la volonté de
conserver les particularismes culturels d’une société
colonisée n’a plus aucune espèce de signification . Ou
plutôt une telle volonté signifie, pratiquement, que c’est à
la vie même d’une culture qu’on cherche à s’opposer »108.

D’ailleurs, aucune culture ne peut se flatter d’être pure


et de demeurer stagnante. Les contacts entre individus
108
LEIRIS (M ; ), op. cit., p.92.
121

et entre peuples , les emprunts , les découvertes de


situation et de choses ignorées, sont des moyens par
lesquels , de l’intérieur comme de l’extérieur, une culture
se transforme. La prétendue civilisation dont l’Europe est
pourtant si fière aujourd’hui, s’est édifiée grâce à de
multiples apports venant des peuples non-européens.
L’alphabet, par exemple, nous révèle Michel Leiris, a été
transmis d’abord aux Phéniciens par les groupes
sémitiques voisins de la péninsule du Sinaï et , est passé
ensuite aux Grecs et aux Romains , puis s’est propagé
dans les parties plus septentrionales de l’Europe . Le
système de la notation des nombres n’est- il pas d’origine
arabe ?De même que l’Algèbre ? Les premiers astronomes
n’ont- ils pas apparu en Chalée ? N’est-ce pas en Inde ou
le Tukerstan qu’a été inventé l’acier ? Le café est
d’origine éthiopienne ; l’Egypte antique a fortement
influencé la Grèce, comme nous l’avons vu avec Cheik
Anta Diop :« Berceau de la civilisation pendant 10000 ans
au moment où le reste du monde est plongé dans la
barbarie , l’Egypte est restée longtemps pendant toute
l’antiquité , la terre classique où les peuples
méditerranéens viendront en pèlerinage pour s’abreuver
aux sources des connaissances scientifiques , religieuses,
morales , sociales, etc. , les plus anciennes que les
hommes aient acquises »109 et si le fameux « miracle »
grec s’est produit, c’est très précisément parce que la
Grèce a été un carrefour de rencontre de maints peuples,
de civilisations et de cultures différentes .

Y aurait-il, entre race et civilisation, une liaison de


cause à effet et chacun des divers groupes ethniques
serait-il , en somme , prédisposé à l’élaboration de
certaines formes culturelles , s’interroge Michel Leiris.
Selon lui, les différences physiques héréditaires ne sont

109
DIOP (C.A).- Nations nègres et cultures (Paris, Présence Africaine,
1959), tome I , P.49.
122

nullement cause des différences de cultures observables


entre les différents peuples. Seule l’histoire, la somme des
expériences successives vécues d’un homme, dans un
certain enchaînement, devra être prise en considération.
Cela sous –entend qu’une civilisation donnée n’est pas le
fait d’une race donnée, mais qu’il est normal, au contraire
que plusieurs races participent à l’élucidation d’une
civilisation. Une sorte de continuum de formes culturelles
qui a eu par exemple pour cadre l’Égypte depuis l’époque
néolithique. « L’histoire de l’Europe nous démontre, elle
aussi, combien les peuples sont capables de changer dans
leurs mœurs sans que leur composition raciale se soit
modifiée sensiblement et combien , par exemple , dans
les tranquilles fermiers scandinaves de notre temps des
descendants de ces Vikings redoutés qui, au IX è siècle ,
déferlèrent par voie de mer sur une grande partie de
l’Europe »110 ?

Des exemples analogues de variabilité dans les


aptitudes d’une même nation sont légions ; l’histoire des
beaux – arts nous en donnent des exemples édifiants , où
l’on voit tel pays briller un certain temps dans la
musique , les arts plastiques ou l’architecture, puis ne plus
rien produire de marquant pendant plusieurs années. Il
est donc vain de vouloir vaille que vaille chercher dans les
données biologiques relatives aux races une explication
des différences de cultures ou de civilisation pour montrer
la supériorité d’une culture par rapport à une autre, d’une
civilisation par rapport à une autre, d’une race par rapport
à une autre race. C’est donc plutôt par la considération de
ce qui a été l’histoire des différents peuples que par celle
de leur situation géographique, de leur reterritorialisation,
que l’on pourrait expliquer leur diversité culturelle. C’est
dire que l’histoire de l’humanité nous oblige à comprendre
que les progrès des cultures et des civilisations dépendent
110
LEIRIS (M. )., op.cit., p.61.
123

en grandes parties des occasions offertes à un groupe


donné de tirer des enseignements de l’expérience de ses
voisins et même des étrangers qui se sont implantés sur
son territoire. Car, les découvertes d’un groupe s’étendent
à d’autres groupes et, plus variés sont les contacts, plus
grandes sont les occasions d’apprendre. L’homme est donc
le résultat de ces ensembles complexes où concourent
l’adaptabilité, les patrimoines génétiques, les savoir-faire,
les cultures au sens le plus large. La prétendue supériorité
des cultures ou la pureté des races comme fondement
d’une causalité exclusive des autres de la civilisation
universelle sont des abstractions qui relèvent d’une
fausse science ou des idéologies mystificatrices du devenir
humain.

« Le fonctionnement de toute société suppose une


dépendance réciproque de ses membres. Mais la peur,
l’hostilité et l’agression sont également présentes dans le
commerce entre les hommes. À l’égard d’autrui, il y a en
chacun de nous des réactions positives et des réactions
négatives. Le racisme est un raté de la relation à autrui,
mais c’est un raté, en quelque sorte , coutumier. Interrogez
des gens au hasard : que ressentent-ils au contact d’un
étranger ? D’abord de la méfiance, sinon de la répulsion
et de la peur. L’étranger est cette plante insolite,
rencontrée au détour du chemin , dont le parfum même
peut être vénéneux . L’apparition de l’étranger, fût - il
proche , provoque un hérissement , une mise en garde ,
plus ou moins grande selon la distance des appartenances
respectives (...)Tout se passe comme s’il existait , en
même temps que de l’attirance , une allergie à autrui ;
dans allergie, n’y a-t-il pas allas , qui signifie autre en
grec, et ergon qui signifie réaction » 111? Et Albert Memmi
persiste : « Il faut bien l’admettre, enfin, la différence
inquiète ; parce que la différence, c’est de l’inconnu, et
111
MEMMI (A.), op. cit., p.35.
124

que l’inconnu semble gros de menaces. La différence


inquiète même si, quelquefois, elle séduit. La séduction
n’est d’ailleurs pas contradictoire avec le piquant de
l’appréhension »112.

Le racisme est donc une interprétation des différences.


Or, l’interprétation, comme la différence n’est jamais
neutre. Comme le dit Gilles Deleuze, « La différence est
cet état dans lequel on peut parler de LA détermination.
La différence « entre » deux choses est seulement
empirique, et les déterminations correspondantes,
extrinsèques. Mais au lieu d’une chose qui se distingue
d’autre chose , imaginons quelque chose qui se distingue
–et pourtant ce dont il se distingue ne se distingue pas de
lui. L’éclair par exemple se distingue du ciel noir , mais
doit le traîner avec lui , comme s’il se distinguait de ce
qui ne se distingue pas . On dirait que le fond monte à la
surface, sans cesser d’être fond. Il y a du cruel et même du
monstrueux, de part et d’autre, dans cette lutte contre un
adversaire insaisissable, où le distingué s’oppose à
quelque chose qui ne peut pas s’en distinguer , et qui
continue d’épouser ce qui divorce avec lui . La différence
est cet état de la détermination comme distinction
unilatérale. De la différence, il faut donc dire qu’on la fait
, ou qu’elle se fait, comme dans l’expression « faire la
différence ». Cette différence, ou LA détermination, est
aussi bien la cruauté»113.

Les colonisateurs européens, par exemple, défendaient


un ordre social prétendument fondé sur un ordre naturel et
la différence ainsi affirmée était à leur faveur. Elle
signifierait ainsi, l’inégalité, qu’elle soit biologique que
culturelle, biologique et culturelle conduisant à l’inégalité
économique et politique, c’est- à –dire à la domination et

112
MEMMI (A.),Ibidem, p.35.
113
DELEUZE (G.).-Différence et répétition ( Paris, PUF, 1968 ), p.43.
125

à l’oppression. Ils pouvaient agir comme ils le voulaient, à


leur guise et à leur aise sans que rien ne s’émeuve. Il
fallait tirer avantage de la dévalorisation d’autrui en
amenuisant sa différence. L’homme- noir, parce que
différent de l’Homme-blanc, semble avoir un visage
hideux. On dissout sa forme, on déforme son visage et on
en produit un monstre.

« À quel point les visages se déforment dans un tel


miroir, s’interroge Gilles Deleuze. Et il n’est pas sûr que
ce soit seulement le sommeil de la Raison qui engendre
les monstres. C’est aussi la veille, l’insomnie de la pensée,
car la pensée est ce moment où la détermination se fait
une, à force de soutenir un rapport unilatéral et précis
avec l’indéterminé . La pensée « fait » la différence, mais
la différence, c’est le monstre. On ne doit pas s’étonner
que la différence paraisse maudite, qu’elle soit la faute ou
le péché la figure du Mal promise à l’expiation. Il n’y a
pas d’autre péché que celui de faire monter le fond et de
dissoudre la forme. Qu’on se rappelle de l’idée d’Artaud :
la cruauté , c’est seulement LA détermination , ce point
précis où le déterminé entretient son rapport essentiel
avec l’indéterminé , cette ligne rigoureuse abstraite qui
s’alimente au clair- obscur »114.

De ces impressions, on pourrait dire que la différence,


c’est le mal. Et pour le Blanc, le Noir, c’est le Mal. Il
semble bien en revanche que la différence au lieu de léser
l’autre, devrait pourtant l’enrichir, étendre et améliorer sa
civilisation et non la considérer comme paradigme
épistémique, car, à dire vrai, il n’y a pas d’exception
culturelle, aucune culture ne peut se flatter d’être
définitive et achevée une fois pour toutes. On peut dire de
toutes les cultures qu’elles ont leurs défauts et leurs
qualités, leurs échecs et leurs réussites. Il est inutile de
114
DELEUZE (G.), op. cit., p.44.
126

faire vivre matériellement un peuple si on lui dénie sa


culture qui est son âme, si on lui refuse ses valeurs
ancestrales .Tout être, et par ricochet, tout peuple est
porteur de son état futur et celui- ci se réalisera
inexorablement si rien n’y fait obstacle.

Georges Balandier a raison de montrer que la


dynamique des sociétés dépend du sens et de la puissance
des modèles, des « figures » , qui marquent une coupure
par rapport aux représentations classiques. Pour lui, les
configurations sociales sont en mouvement et semblent
prendre l’aspect d’une œuvre collective toujours à refaire,
mais jamais achevée. « Le « progrès » n’est plus associé à
un développement continu, nécessaire et répétitif d’une
société à l’autre, il résulte de discontinuités et ses foyers
les plus actifs se déplacent dans l’espace au cours de
l’histoire »115. Il n’y a donc pas de peuples qui vivent
dans l’enfance ou qui seraient en dehors de l’histoire
universelle ; Il n’y a pas de peuples enfants, tous sont
grands, mais différents les uns des autres. Et ce qui est vrai
des cultures, l’est aussi sur le plan des races. « Dans ces
conditions, note Balandier, les changements fondamentaux
ne peuvent simplement résulter d’un progrès cumulatif ;
ils se réalisent par sauts , à la faveur d’un mouvement
discontinu , brusqué , sur le mode des mutations
reconnues dans l’ordre biologique .Et les lieux
d’émergence des formations sociales et culturelles
représentant « un état supérieur de l’évolution » varient au
long de l’histoire. Les sociétés leaders n’ont pas la
possibilité de rester indéfiniment porteuse d’une
dynamique de transformation qui est de nature
révolutionnaire plus qu’ « évolutionnaire » »116.

115
BALANDIER (G.).- Sens et puissance(Paris, puf, 1971 ), p.20.
120,
Ibidem.
127

Selon , l’auteur de Sens et puissance, « cette thèse


confère la fonction d’agent provocateur du progrès aux
sociétés les moins avancées ( et donc les moins
privilégiées ) parmi celles qui ont accédé à une même
étape de l’évolution ; à la manière dont le marxisme
montre les classes exploitées et dominées dans leur rôle
d’agent historique principal. En ce sens, les pays semi-
développés et les moins retardés des pays du Tiers –
Monde sont considérés comme ceux où germent les
mutations à venir, à long ou moyen terme » 117 .
L’ambition n’est plus de déterminer dans l’immédiat , les
étapes de l’évolution sociale ni de reconstituer les longues
perspectives de changement, mais de saisir le jeu des
mécanismes internes qui, du dedans, provoquent la
modification des groupes et systèmes sociaux . Rien n’est
donc statique car le changement est dans l’ordre des
choses. Rien ne demeure, tout coule, nous disait Héraclite.
« Le changement « implique comme caractéristiques
centrales la succession de différences dans le temps ,
mais à l’intérieur d’une identité qui se maintient » ; c’est
un processus qui suppose un lien de causalité entre les
différences la série aboutissant à la « différence finale».
Le développement est vu sous un aspect plus radical ; il
est « le changement qui procède directement de la
structure , de la substance ou de la nature de la chose qui
le subit » ; il vise à un accomplissement , aboutissement
d’une série d’état- et la connaissance des principes qui
régissent le passage de l’un à l’autre donne la
connaissance profonde de la chose soumise à sa loi »118.

Lorsque l’on porte les regards en arrière , il est


difficile d’arriver à comprendre comment nombre de
théories sur la culture et sur l’origine et le comportement
des Noirs ont pu être formulées. Ce n’est pas parce que

117
BALANDIER ( G.), op. cit. , PP.20-21.
118
BALANDIER ( G.), op. cit. ,pp.25-26.
128

les chercheurs modernes ignoraient la vérité, mais ils


feignaient de la reconnaître et de la dire. C’est vrai que la
vérité comme la pensée divise. Mais, toutes deux, elles
exigent des conventions et des règles qui sont autant de
garde-fous qui nous empêchent de refaire des erreurs
connues ou supposées ou même de nous fourvoyer dans
la confusion. Ces garde-fous devraient être les conditions
du minimum de confiance nécessaire à la cohabitation
humaine. Aujourd’hui, la véritable contribution des
cultures ne consiste pas à aligner une liste pléthorique
d’inventions particulières, mais dans l’écart différentiel
qu’elles offrent à l’humanité. La civilisation mondiale
n’est rien d’autre que la diversité des cultures, leur
coalition pour que l’échange de la culture entretienne la
culture de l’échange.

D’ailleurs, comme l’a vu Claude Lévi- Strauss, tout


progrès culturel émane d’une rencontre entre les cultures.
Il faut se garder selon lui, d’un particularisme aveugle qui
consisterait à réserver le privilège de l’humanité à une
race, à une culture ou à une société . L’humanité est
Diversité , et tous les peuples possèdent des méthodes ou
des techniques complexes pour dominer leur milieu. « Le
développement des connaissances préhistoriques et
archéologiques tend à étaler dans l’espace des formes de
civilisation que nous étions portés à imaginer comme
échelonnées dans le temps. Cela signifie deux choses :
d’abord que le « progrès » ( si ce terme convient encore
pour désigner une réalité très différente de celle à laquelle
on l’avait d’abord appliqué ) n’est ni nécessaire , ni
continu ; il procède par sauts, par bonds, ou, comme
diraient les biologistes , par mutation. Ces sauts et ces
bonds ne consistent pas à aller toujours plus loin dans la
même direction ; ils s’accompagnent de changements
d’orientation, un peu à la manière du cavalier des échecs
qui a toujours à sa disposition plusieurs progressions
129

mais jamais dans le même sens. L’humanité en progrès ne


ressemble guère à un personnage gravissant un escalier ,
ajoutant par chacun de ses mouvements une marche
nouvelle à toutes celles dont la conquête lui est acquise ;
elle évoque plutôt le joueur dont la chance est répartie sur
plusieurs dés et qui, chaque fois qu’il les jette , les voit
s’éparpiller sur le tapis, amenant autant de comptes
différents . Ce que l’on gagne sur un, on est toujours
exposé à le perdre sur l’autre , et c’est seulement de
temps à autre que l’histoire est cumulative , c’est – à- dire
que les comptes s’ajoutent pour former une combinaison
favorable » 119.

Et pourtant, l’Afrique et ses damnés de la terre


continuent d’être marginalisés et finissent eux –mêmes
par admettre leur condition de sous- développés, de
continent de crises et de malheurs. Qui peut encore croire
à ce continent où le soleil n’est jamais reluisant, où hier
semble être semblable à aujourd’hui ? Qui espère encore
de ces hommes, qui continuent encore de se livrer bataille
pour la conquête du pouvoir, en ne prenant pour seul
critère que l’appartenance ethnique ? Quelle Afrique peut-
on respecter si elle continue de se faire dicter des leçons
en titubant sur le chemin de l’histoire la sébile à la main ?
« L’Afrique ! De son nom ? Silence ou mépris. Silence
méprisant. C’est quelque part là - bas. C’est le tiers monde
ou peut- être le quart monde . Du savoir ? Quoi ? Lui en
reste – t- il encore quelque chose ? Le soleil de
l’Aethiopia, au zénith comme au coucher, pour avoir brûlé
ses ailes au savoir, celui-ci a (peut-être définitivement)
tourné le dos . Sinon on le possède »120. Très amer, Abou

119
LEVI-STAUSS (C.).- Race et Histoire ( Unesco, Gonthier, 1961),
p.38.
120
KARAMOKO (A . ).- ‘’Les enjeux du discours philosophique sur
l’Afrique, Thèse d’Etat (Abidjan, Université de Cocody, 1995-1996),
p.154.
130

Karamoko, continue : « La différence culturelle à été


convertie en une différence hiérarchique, c’est -à- dire en
inégalité. Nos sociétés, nos cultures et nos pensées ont été
différées parce qu’appartenant à un monde infériorisé
dans l’évolution linéaire de la Culture et de la Civilisation.
L’histoire est unique et à sens unique. Les sociétés
africaines, encore tribales sont l’image de ce que ne sont
plus les sociétés occidentales industrialisées. Elles sont
dites traditionnelles, pour masquer le biologisme que
véhicule ce qualificatif : prélogique, en retard de
civilisation. Cette conviction occidentale tenace est
souvent partagée par l’ethnologie »121 .

En effet, l’ethnologie est, en Afrique, à la croisée des


chemins. Dans sa tentative de connaître les africains et
leurs civilisations, elle finit par leur tracer une histoire
sans eux, en dehors d’eux. L’histoire de l’Afrique est déjà
toute tracée et est déjà écrite par les vainqueurs .
D’ailleurs, le barbare ignore le cours du devenir, surtout
que celui-ci ne lui appartient pas. L’histoire de l’Afrique
n’est pas son histoire, mais celle de l’Autre, celle écrite
par l’autre en lettres de sang. L’Africain ne peut rien
contre les désastres militaires ; hier, il ne pouvait rien
contre les injustices raciales, contre l’esclavage et la
colonisation . Aujourd’hui encore, il ne semble rien
pouvoir faire contre la néo-colonisation, contre les
dettes qui prennent l’allure de re-colonisation. Chez lui-
même, sur son sol, il est impuissant devant les crises
politiques aiguës, les cataclysmes cosmiques et les
injustices sociales. Comment l’Africain aujourd’hui,
endure –t-il ces souffrances qui entrent dans le lot
quotidien de chaque individu ? Que signifie « vivre »
aujourd’hui pour un nègre qui se trouve sur le continent
africain, tant il est vrai que chaque nègre veut s’immigrer
, que chaque nègre préfère être vendeur de tomates en
121
Karamoko (A. ), op. cit., pp.154-155.
131

Italie que de croupir dans la misère en Afrique ? Que vaut


encore ce continent dont la valeur continue d’être
contestée par ses fils mêmes ?

On a dit que le grand mérite du Christianisme , a été de


transformer la douleur d’état négatif en expérience à
contenu spirituel « positif ». Le Christ meurt pour sauver
ses adeptes. Et le rôle de ces derniers, c’est de continuer
l’œuvre de la rédemption. La mort du Christ serait vaine si
les Chrétiens ne poursuivaient son œuvre. De même
l’Islam ne peut s’affirmer que par la soumission à un
Dieu, Allah, et la reconnaissance tacite d’un prophète, le
prophète Mohamed ( Paix et Salut soit sur Lui ). La
chahada révèle bien ce fait : « il n’y a de Dieu que Allah
et Mohamed est son messager ». En fait, ce qu’il faut
comprendre ici, est, qu’un Chrétien qui a honte d’être
chrétien, qui ne se reconnaît pas chrétien n’est pas
chrétien. Cela en est de même pour un musulman. La
valeur de l’homme, c’est d’abord reconnaître son état,
s’accepter comme tel, afin de mieux s’affirmer. L’africain
est –il aujourd’hui content d’être africain ? Le nègre est –il
fier de sa race ? Si dans le Christianisme , on parle des
frères en « Christ » ; si en Islam, dès qu’on dit la
Chahada, on devient frère, et en Europe, qu’il suffit
d’appartenir à l’Union Européenne pour avoir un laissez –
aller, en Afrique, il suffit d’être africain pour se voir
refusé le droit d’entrée sur un territoire africain. Si en
Europe, on utilise les charters pour expulser les étrangers,
en Afrique , ils sont les premières cibles quand éclate une
crise grave . Ils sont les intrus, la source de tous les
malheurs, ils sont les aventuriers au comportement
inconnu qui risquent de perturber l’ordre établi. « Par
instinct, note Julien Freund , tous les peuples ont été
méfiants à l’égard de l’étranger, pour préserver
consciemment ou inconsciemment leur identité collective.
Mais surtout ils se sont généralement opposés à une
132

pénétration massive des étrangers , du moins s’ils en


avaient la possibilité matérielle . L’étranger devenait dès
lors l’ennemi qui menaçait l’intégrité de leur communauté
particulière ».122

Selon Julien Freund, la décolonisation a été une


réaction xénophobe de peuples qui ont profité d’une
conjoncture favorable pour chasser l’étranger et devenir
maîtres chez eux afin de préserver avec indépendance
politique , leur identité collective. Comment pourrait –il en
être autrement si le colonisateur a dépossédé le colonisé de
tous ses biens, même de sa dignité ?

« L’étranger est étranger parce qu’il est le sujet


d’autres coutumes , d’autres mœurs ou rites religieux et
familiaux , et que de ce fait il ne participe pas, sauf
exception aux relations « autonomes » et régulières de la
communauté . S’il est perçu comme un élément de
désorganisation de l’ordre reconnu , il éveille le sentiment
d’hostilité ou de rejet »123. Mais cette hostilité n’a pas
empêché le colonisateur européen de disposer de
l’africain, ce colonisateur, pourtant élément de
désorganisation des Civilisations nègres. Comment les
nouveaux arrivants ont-ils pu s’imposer ? Est-ce grâce à
la couardise des africains ou bien est-ce à cause de la
fragilité de leur culture ? Quoiqu’il en soit, traite et
domination coloniale ont désorganisé la société africaine
jusque dans son tréfonds, de sorte qu’aujourd’hui, le
continent n’a guère retrouvé son équilibre. L’Afrique a vu
désagréger son organisation sociale. Les classes
dirigeantes ont vu se déposséder de leur autorité au profit
des nouveaux venus. De nouvelles visions du monde, leur
ont été imposées, transformant nombre d’africains en

122
FREUND (J.).- « Les garde-fous et le mirador’’ in Racismes ,
Antiracismes (Paris, Librairie des Méridiens, 1986 ), p.22.
123
FREUND (J.) , op. cit., p. 23.
133

êtres désemparés. Il existait un fossé entre la société


européenne et la société africaine. En quel sens ?

«Au contraire des sociétés plus modernes, hétérogènes,


ouvertes, conflictuelles, nos sociétés traditionnelles nous
apparaissent comme des sociétés fermées , exclusives , se
méfiant des étrangers et des nouveautés qu’ils pourraient
introduire , centrées sur le maintien de la tradition et de
l’équilibre social qu’elle garantit. Toute l’éducation
donnée aux individus est conservatrice et dirigée vers la
connaissance et le respect du passé ; au contraire de
l’éducation moderne exaltant le neuf, l’ajustement aux
situations nouvelles et la volonté de transformation du
monde »124.

Dans le cadre du mythe civilisateur de la période de la


colonisation, les européens ont instauré une politique
raciste interdisant l’accès des africains à des emplois
présentant quelques qualifications. D’une façon générale,
tous les indigènes sont considérés comme pratiquement
sauvages, dans l’état d’Adam et Eve avant la chute, selon
le mot de Sir Charles Eliot. Nous l’avons déjà dit, la
science s’est fait l’écho de cette opinion en refusant toute
pensée aux indigènes : « Au début de la vie, les Africains
montrent un degré d’intelligence précoce , comparé à
celui de l’enfant européen ; ils apprennent avec facilité
jusqu’à ce qu’ils arrivent à l’âge de la puberté , jusqu’au
moment où la nature physique maîtrise l’intellect et,
fréquemment, le tue. Cette particularité , qui a été bien
observée chez d’autres races , parmi ce que nous appelons
les races inférieures, a été attribuée par certains
physiologistes aux sutures crâniennes précoces ...ils
peuvent imiter , mais ils ne peuvent inventer ou même
appliquer. Ils échouent constamment quand il s’agit de

124
MEISTER (A. ).- L’Afrique peut-elle partir ? (Paris, Seuil, 1966),
p.30
134

saisir ou de généraliser une notion »125. On le voit,


l’Africain est sauvage et sot, il ne peut intéresser que dans
la mesure où il reste sous-développé. Sans histoire,
possédant une civilisation inférieure, il faut maintenant
l’éduquer à reconnaître le Dieu –Sauveur Jésus , au nom
duquel la mission civilisatrice doit avoir lieu pour se
donner bonne conscience et faire comprendre aux plus
sceptiques que coloniser, c’est faire venir dans la religion
du Christ des adeptes. Au nom du Christ, l’Afrique
pouvait donc rejoindre le purgatoire en s’éloignant, par la
force des choses de sa prétendue religion, celle qu’on a
bien voulu appeler la religion des primitifs, encore que
cette fois, on reconnaît que le primitif est aussi un homme,
dans la mesure où il aurait une religion même si celle-ci
est différente de celle de l’Europe .

II.2. De la problématique de la religion , des


langues, de l’écriture et du savoir en Afrique

En Afrique noire, on croit en un Être plus puissant


que les nombreux autres êtres du monde invisible- esprits
des ancêtres, forces naturelles personnalisées- qui est à
l’origine du monde et le maintien de l’existence. Les
Européens, et plus particulièrement , les missionnaires
chrétiens , ont posé beaucoup de questions à ce sujet.
Partant des croyances philosophiques et théologiques
occidentales de la divinité, ils cherchaient à voir en
quelle mesure les croyances africaines s’en rapprochaient
ou s’en différenciaient.

L’expérience quotidienne du monde dont il faut


tirer la subsistance , a appris aux chasseurs et aux paysans
africains que la nature est bienveillante et peut avoir des
puissances inestimables , surtout que ses rythmes

125
ELIS (A.B).-The Ewe-speaking Peoples of the Slave of West Africa
cité par MEISTER (A. ), op. cit., p.56.
135

fondamentaux se répètent , indifférents aux conséquences


qu’ils produisent. Malgré l’absence des religions révélées,
les africains croyaient en l’existence d’un dieu suprême,
source de la création d’un monde visible et invisible. Ce
dieu Tout- Puissant pouvait porter différents noms, selon
les ethnies et les tribus. Il était considéré comme si
éloigné qu’il était difficile d’accéder à lui -même par des
prières. On n’ y arrivait que par des intercessions, des
intermédiaires de dieux plus proches, des sortes de dieux
secondaires tutélaires.

Pour les africains , à des périodes très lointaines, et


même maintenant dans certaines régions fortement non –
islamisées et non –christianisées, l’univers était régi par
deux principes contradictoires : le principe du bien incarné
par les dieux et le principe du mal, incarné par les génies.
Le culte des dieux montre la volonté de l’homme de se
subordonner aux forces naturelles et surnaturelles ou,
exprimer le besoin de mettre la pensée divine en
corrélation avec l’intelligence humaine. Le religieux
africain sait que « Deux vertiges attirent l’homme ,
quand l’aisance et la sécurité ne le satisfont plus , quand
lui pèsent la sûre et prudente soumission à la règle . il
comprend alors que celle- ci n’est là que comme une
barrière, que ce n’est pas elle qui est sacrée , mais ce
qu’elle met hors d’atteinte et que connaîtra et possédera
seul celui qui l’aura dépassée ou brisée . La limite une
fois franchie, il n’est pas de retour possible. Il faut
marcher sans cesse dans la voie de la sainteté ou dans
celle de la damnation , que joignent brusquement
d’imprévisibles chemins de traverse. Celui qui ose donner
le branle aux forces souterraines , est celui que n’a pas
contenté son lot , parfois celui qui n’a pu fléchir le ciel. Il
demeure qualifié pour en forcer l’entrée. Le pacte avec
l’enfer n’est pas une moindre consécration que la grâce
divine. Celui qui l’a paraphé , celui qu’elle a comblé ,
136

sont également séparés à jamais du sort commun et


troublent du prestige de leur destin les rêves des timides
et des rassasiés que n’aura tentés aucun abîme » 126.

Pour le sage africain qui croit en ses pratiques


religieuses, chaque activité du corps social ou culturel en
lequel nous sommes, est ce corps en totalité. Tout a un
rôle ici bas. La nature est bienveillante, elle est salvatrice
et l’on se doit de la respecter. Nous sommes
« signification» par référence à cette totalité diversifiée,
car elle –même est vocation significative et non
seulement signifiante, d’autres totalités . Le monde est une
chaîne, un enchaînement d’actes , de faits et de mots. Il
faut donc combattre, conjurer le mal pour obtenir le salut
qui est la même chose que la vie , et ceci , à l’aide d’idées
et d’actions religieuses , c’est – à- dire de croyances et de
rites. « La société, la nature sont censées reposer sur le
maintien d’un ordre universel , protégé par de multiples
interdits qui assurent l’intégrité des institutions , la
régularité des phénomènes. Tout ce qui paraît garantir
leur santé , leur stabilité est regardé comme saint, tout ce
qui semble la compromettre comme sacrilège . Le
mélange et l’excès, l’innovation et le changement sont
également redoutés. Ils se présentent comme des éléments
d’usure ou de ruine. Les diverses sortes de rites tendent à
les expier, c’est-à-dire à restaurer l’ordonnance qu’ils ont
troublée et à les admettre eux-mêmes dans cette
ordonnance , en neutralisant la force dangereuse , la
virulence que révèle le seul fait de leur intrusion , de leur
éruption dans un monde qui ne cherche qu’à persévérer
dans son être et qui ne rassure qu’immobile »127.

126
CAILLOIS (R.).- L’Homme et le sacré (Paris, , Gallimard, 1950),
p.76.
127
CAILLOIS (R . ), op. cit., p.171.
137

La croyance dans les esprits peut vouloir


caractériser l’animisme des civilisations africaines où la
vie agricole ne peut se soustraire de la croyance de rites et
de sacrifices, qui entraîne un sentiment de la solidarité des
hommes, aussi bien des mots que des vivants. Leur
participation au « cosmos » est signe de vitalité de la
civilisation et des prémisses à la cohésion du groupe et le
salut du peuple. Les sacrifices semblent établir une
communication entre le sacré et le non-sacré. Dans toutes
les parties du continent africain, la valeur suprême est la
vie, et le sacrifice ne supprime pas la vie (généralement
celui des chèvres ou des poulets) que pour entrer en
contact avec les sources de la vie, de redonner la vie en la
rendant plus vivifiante afin de rehausser la vie
humaine. « Le sacrifice cherche à établir une connexion
souhaitée entre deux domaines initialement séparés :
comme le langage le dit fort bien, son but est d’obtenir
qu’une divinité lointaine comble les vœux humains. Il
croit y parvenir en reliant d’abord les deux domaines par
le moyen d’une victime sacralisée ( objet ambigu qui tient
en effet de l’un et de l’autre ) , puis en abolissant ce terme
connectant : le sacrifice crée ainsi un déficit de
contiguïté, et il induit (ou croit induire), par
l’intentionnalité de la prière , le surgissement d’une
continuité compensatrice sur le plan où la carence
initiale , ressentie par le sacrificateur , traçait par
anticipation , et comme en pointillé , la voie à suivre à la
divinité »128 .

Le monde doit ainsi être constamment renouvelé par


les activités rituelles de l’homme, de façon que l’homme
puisse prospérer en même temps que le monde. Le rituel
peut aussi se déployer avec la médecine comme moyen de
guérir des maladies ou de prévenir contre des actes

128
LEVI-STRAUSS (C. ).- La pensée sauvage ( Paris , Plon, 1962 ),
p.270.
138

maléfiques des ennemis. En passant par le culte et le


sacrifice, l’homme peut accomplir sa tâche qui est de
fournir à l’univers la force de motivation. Il lui appartient,
par une vie droite et généreuse, d’éviter de créer des
situations antisociales, de désunion et anticosmique qui
provoquent le désastre, car comme le dit Roger Caillois,
« La guérison de toute blessure laisse une cicatrice. La
restauration de l’ordre lésé ne rend pas à celui –ci sa
stabilité primitive, sa virginité première. La vie ne subsiste
que grâce aux accrocs faits à l’immobilité, que par un
continuel renouvellement qui n’est pas sans fatiguer
l’organisme , contraint pour durer à une incessante
assimilation de matière neuve . Les rites d’expiation
solennelle des souillures , les diverses pratiques de
nettoyage et de purge qui réparent l’ordre du monde
constamment attaqué , ne peuvent jamais que ramener une
vertu qui ne sera jamais plus l’innocence , une santé
reconquise et prudente qui ne sera jamais plus la santé
triomphante et insouciante que la maladie n’a pas encore
touchée . Il est impossible « que le grain sous la meule
soit jamais replacé dans le cœur de l’épi », « que le lourd
bourgeon et la jeune nervure perce jamais l’écorce et soit
redéployée ».

Il importe de soustraire la nature et la société à


l’inévitable vieillissement qui les conduirait à la ruine si
l’on ne prenait la précaution de les rajeunir, de les recréer
périodiquement »129.Affirmer donc que la religion
africaine n’a pas de contenu moral, c’est ignorer ce qu’est
cette religion. L’Africain tient au respect scrupuleux du
sacré car on attend de lui, assistance et bénédiction. C’est
pourquoi, le sacré est protégé de toute atteinte du profane
pour ne pas qu’il perde ses qualités spécifiques, qu’il se
vide de sa puissance et de sa fugacité. La religion africaine

129
CAILLOIS (R.).- L’Homme et le sacré (Paris, , Gallimard, 1950) ,
pp.38-39.
139

semble avoir pour fondement des présupposés moraux qui


sous –tendent ses objectifs. Adorer Dieu, c’est rechercher
le bien, c’est s’éloigner du mal. L’Africain comprend son
dieu comme l’être de tous les Êtres, qui régularise tout et
qui justifie tout. Mais l’ethnologie européenne ferma les
yeux sur ce qu’il convient d’appeler la ‘’religion des
primitifs’’. Elle fut complice de toutes les négations
d’Autrui et masqua cette complicité d’une prétention au
« Savoir ». Quel Savoir ? Celui de l’Occident, car un
primitif ignore encore ce concept ; il ne peut pas savoir.
Comme Simias, il est encore ignorant. Mais, comme
Simias, il peut aussi être savant. Pour le moment, le nègre
est un être dominé, il n’a pas le pouvoir, donc ne peut
prétendre au savoir. N’est-ce pas que tout pouvoir est un
savoir ? Le savoir du nègre ne dépend pas de lui, mais du
maître, de son maître, qui a le droit de nommer et de
qualifier, qui a le droit de distinguer un vrai savoir du faux
savoir. Le savoir de l’africain est un faux savoir et
demeurera tel tant qu’il restera un être dominé. Dans cette
lutte pour la reconnaissance des savoirs, l’Afrique part
vaincue, son savoir est disqualifié et sa pensée est
considérée comme mythique, prélogique. Le jugement est
scientifique, ethnographique, il est démontré. Comment ?
Le Savoir est à eux. Cette Afrique, en marge du Savoir est
encore aujourd’hui plus coloniale qu’il en était du temps
des administrateurs blancs. « On accède à la culture
comme on accède à quelque chose de lointain, là-bas,
quelque part. C’est, à n’en pas douter, la chose la moins
partagée. Seule parvient à y accéder une minorité ; de
celle-ci se dégage une élite apte à diriger et à commander
le peuple »130. Toute l’Afrique n’échappe pas à cette
règle, malgré la courte paix de l’indépendance.

130
TOURE (A.).- ‘’Paysans et fonctionnaires devant la culture et
l’Etat’’ in Etat et bourgeoisie en Côte d’Ivoire (Paris, Karthala,
1982), p.240.
140

D’ailleurs, il n’ y eut pas indépendance, mais héritage


colonial. Les systèmes éducatifs africains le témoignent
amplement. Notre dépendance de l’extérieur conduit à la
stérilisation de nos systèmes éducatifs, à la paralysie de
nos cultures et à notre propre aliénation. Le colonialisme
vit du dedans de nos États et par le seul fait de leur
hétérogénéité, de leur artificialité politique et territoriale,
nos États meurent et nos cultures avec. L’on aurait pu
croire que les ethnologues diraient bien haut l’évidence,
la justice et la légitimité d’une culture africaine propre,
d’une religion qui a des fondements moraux. Mais, on va
même à prétendre que les africains regrettent le départ des
colonisateurs qui ne sont d’ailleurs jamais partis, et l’on
continue de croire que la culture africaine est désuète, sa
religion, une magie.

Claude Lévi-Strauss a raison, lorsqu’il dit dans La


pensée sauvage que « L’histoire n’est donc jamais
l’histoire, mais l’histoire - pour. Partiale même si elle se
défend de l’être, elle demeure inévitablement partielle, ce
qui est encore un mode de la partialité »131. Pour cet
auteur, l’image traditionnelle que l’Occident se fait des
sociétés dites primitives doit changer car, « Jamais et
nulle part, le « sauvage » n’a sans doute été cet être à
peine sorti de la condition animale , encore livré à
l’empire de ses besoins et de ses instincts , qu’on s’est trop
souvent plu à imaginer , et, pas davantage, cette
conscience dominée par l’affectivité et noyée dans la
confusion et la participation»132.

Si l’africain se fait une amitié avec la nature, c’est


parce qu’il sait que la nature a des secrets que l’on se doit
de connaître. En respectant la nature, en l’adorant,
l’Africain ne fait qu’accomplir un acte de dévotion. C’est

131
LEVI-STRAUSS (C. ).-op. cit., p.307.
132
LEVI-STRAUSS (C. ), op. cit. , p.58.
141

aussi parce qu’il est héritier d’une longue tradition


scientifique. Il sait que la guérison de certaines maladies
peut se faire à base des plantes. La pensée religieuse est
donc libératrice, par la protestation qu’elle élève contre le
non –sens, par sa vocation de réduire le mal des hommes.
« Ce savoir désintéressé et attentif, affectueux et tendre ,
acquis et transmis dans un climat conjugal et filial , est
ici décrit avec une si noble simplicité qu’il paraît
superflu d’évoquer à ce sujet les hypothèses bizarres
inspirées à des philosophes par une vue trop théorique
du développement des connaissances humaines. Rien, ici,
n’appelle l’intervention d’un prétendu « principe de
participation », ni même d’un mysticisme empâté de
métaphysique , que nous ne percevons plus qu’à travers le
verre déformant des religions instituées »133. Notre rapport
avec la terre, les animaux et les plantes , pour la
célébration des rites , nous pouvons l’attribuer volontiers
à une philosophie naturelle élaborée par des spécialistes,
eux –mêmes, héritiers d’une tradition depuis des
millénaires .

L’Africain utilise la terre, non pas pour la dominer,


mais pour la comprendre. Il veut comprendre ses
mystères. Il sait que la terre est sacrée. N’est- ce pas la
terre qui demeure notre dernier hôte ? N’est- ce pas aussi
de la terre que nous avons été formés ? Ne sommes –nous
pas terre ? La géomancie, qui consiste à expliquer les
phénomènes de la vie, le devenir du monde par l’analyse
du sable, par des figures, est un moyen de communication
entre l’Homme et le Sacré. L’herméneutique des signes
géomantiques, le jet des cailloux, montre la relation de
l’africain, le respect qu’il a pour la terre. La terre est un
Esprit, elle est Esprit. Elle est un personnage, qui, bien
que s’étant retiré pour se plier aux exigences de l’homme,
continue d’influencer les hommes. Il est vrai que s’il est
133
LEVI –STRAUSS (C.), op. Cit., p.53.
142

devenu difficile à un occidental d’entretenir des relations


très proches , collectives, culturelles avec le sol sur lequel
il marche avec ses souliers , il vit et travaille, construit des
appartements et des routes, pour des considérations de
développement et de modernité, s’il ne dessine plus sur la
terre des figures géométriques pour asseoir sa pensée, si
la fosse même où l’on dispose son cadavre est
soigneusement recouverte de pierre polie destinée à
cacher sur quoi elle repose et d’où elle vient, L’africain ,
au contraire se tisse une amitié avec la terre, pour montrer
que le savoir théorique n’est pas incompatible avec les
sentiments , que le savoir n’est profond que s’il est teinté
d’affectivité, car il est marquant et , un tel savoir, ne
s’oublie pas de sitôt.

Le déséquilibre entre le tiers –monde et l’occident


peut tirer son origine dans la familiarité que le premier a
conservée avec le sol, la terre, la poussière. Ainsi donc ,
« Le propre de la pensée sauvage est d’être intemporelle ;
elle veut saisir le monde , à la fois comme totalité
synchronique et diachronique , et la connaissance qu’elle
en prend ressemble à celle qu’offrent , d’une chambre,
des miroirs fixés à des murs opposés et qui se reflètent
l’un l’autre (ainsi que les objets placés dans l’espace qui
les sépare ) , mais sans être rigoureusement parallèles .
Une multitude d’images se forment simultanément, dont
chacune, par conséquent, n’apporte qu’une connaissance
partielle de la décoration et du mobilier, mais dont le
groupe se caractérise par des propriétés invariantes
exprimant une vérité. La pensée sauvage approfondit sa
connaissance à l’aide d’images mundi. Elle construit des
édifices mentaux qui lui facilitent l’intelligence du
monde pour autant qu’ils lui ressemblent. En ce sens, on
a pu la définir comme pensée analogique »134.

134
LEVI –STRAUSS (C.), op. cit., p.313.
143

Pour avoir méconnu ce fait, certains ethnologues


européens, dans le but de faire perdurer la domination sur
l’Afrique, ont dû classer deux types de société ; la société
primitive dans laquelle se trouve l’Afrique et les africains
d’une part , et la société civilisée dans laquelle se trouve
l’Occident d’autre part. Ces sociétés, selon ces
ethnologues et ethnographes, diffèrent de par leurs
manières opposées de penser, car il y’ a entre elles, non
seulement une différence de degré , mais aussi une
différence de nature . Ils tendent à s’appesantir sur les
différences entre peuples civilisés et peuples primitifs.
L’Occident est conscience du monde et moteur de
l'histoire. Les critères de primitivité et de civilisation
s’apprécient selon les critères archétypaux de l’Occident.
L’Afrique ne rentre dans la civilisation qu’à l’aube des
temps de l’Occident. Seul l’Occident a la foi, seul lui,
connaît Dieu et le sent, les autres peuples s’abolissent
dans la superstition et dans l’animisme. N’est-ce pas que
Dieu même a choisi son camp ? Tout se passe comme si
Dieu a choisi l’Occident pour se révéler. N’est –pas que
Jésus est représenté par l’Homme Blanc et le diable par
l’Homme noir ? L’ésotérisme blanc n’est- il pas le fait des
illuminés et l’ésotérisme noir, l’expression d’une pensée
démoniaque ?

L’ethnologie occidentale se propose de découvrir


l’homme, mais l’homme sans l’occidental, elle se veut de
juger les autres peuples par rapport à l’occidental. Mais
tout jugement n’est –il pas superflu, partial et partiel ?
Peut-on juger sans parti pris ? « Démarche de connivence
avec l’impérialisme, l’ethnologie est agression totale et
insidieuse. Puisque l’Occident est le seul moteur de
l’histoire et seul sujet historique, il s’agit pour lui de
découvrir les autres peuples dans la négation de leur
historicité. Car leur insertion dans l’histoire se paie au
prix de leur objectivation dans la grande lumière
144

inventive de l’Occident. Les rapports sont de sujet à objet


et pour connaître un objet il faut d’abord constater son
existence dans ses rapports à soi et dans ses rapports à son
environnement. Alors apparaît l’ethnologie dans toute son
efficience objectivante. Mais il faut d’abord vaincre la
distance qui sépare le sujet de l’objet. Et dans cette
entreprise à laquelle la réflexion est souvent étrangère,
tout constat étant résultat de la simple observation,
l’ethnologue est un chercheur « tous terrains » qui se
double d’un grand voyageur coureur d’océans. Le contact
est établi, non pas contact de collaboration de civilisations,
mais contact de destruction qui se fait inquisitoire et qui
doit amener ces peuples représentatifs de l’humanité
silencieuse à rompre leur silence pour se faire connaître,
se révéler dans leur totalité »135.

Mais comment l’Afrique peut-elle se révéler au monde,


si ses fils n’ont pas encore compris que la désunion sert
toujours les desseins étrangers en affaiblissant de
l’intérieur comme de l’extérieur les sociétés convoitées ?
La longue histoire des États africains en dit long sur ces
hommes politiques, qui, pour assouvir leurs ambitions
politiques, se font les alliés des ennemis de l’extérieur et
finissent par livrer leurs frères à la vindicte populaire et à
la marginalisation. À dire vrai, L’Afrique se révèle au
monde, mais de la manière la plus négative qui soit :
guerres, génocides, sida, famines, démocratismes, etc. De
ces crises répétées, l’Afrique prête le flanc aux
concepteurs de la mentalité primitive, dont Lévy- Brühl en
est le chantre le plus célèbre.

En effet, dans sa quête de montrer les différences entre


l’homme civilisé et l’homme primitif, Lévy –Brühl
masque les ressemblances et souligne les différences

135
KOUASSIGAN (G..A.).- Afrique : Révolution ou diversité des
possibles (Paris, L’Harmattan, 1985), pp.44-45.
145

toutes à l’avantage du blanc, de l’homme civilisé. Il savait


qu’il déformait les faits. Il montrait que la pensée
primitive est orientée vers le surnaturel, que tous les objets
et tous les êtres sont impliqués dans la vie du primitif dans
un réseau de participation ; pour résoudre ses problèmes,
le primitif ne peut que recourir à une puissance occulte et
invisible. Il qualifie de « prélogique » ces modes de
pensée (pensée magico-religieuse) qui sont indispensables
à l’homme primitif et absurdes aux yeux de l’occidental.
Mais Lévy- Bruhl ne veut pas dire que les primitifs sont
incapables de penser d’une façon cohérente, ce qui est
admirable à son actif , mais simplement que leurs
croyances sont incompatibles avec une conception
scientifique et critique de l’univers . Cela ne veut pas dire
également que les Européens ne peuvent pas suivre les
raisonnements des primitifs, bien au contraire, leurs
raisonnements sont logiques, ils sont raisonnables mais ils
raisonnent d’après des catégories différentes de celles des
occidentaux. Prélogique ne veut donc pas dire alogique ou
antilogique, dans la mesure où les principes de la logique
sont présents chez ces peuples. Mais prélogique veut
simplement dire que la mentalité primitive ne se laisse
pas dérouter par la contradiction qui est, comme le disait
Hegel, moteur du changement, dynamisme de la pensée et
progrès de l’humanité car c’est à partir de ce moment que
la raison prend conscience d’elle- même et se meut. Ce qui
semble absurde pour l’Européen, est accepté sans
difficulté. Mais ce que l’auteur de la mentalité primitive
refuse de dire, c’est aussi que ce qui semble absurde pour
les primitifs, est aussi accepté par les '‘civilisés'’ sans
difficulté.

Dans un tel schéma, qui est civilisé et qui ne l’est pas ?


Il est vrai que quand il dit que la mentalité primitive est
dépourvue de sens critique, il ne parle pas de la faculté de
l’individu à raisonner ni des différences biologiques entre
146

primitifs et civilisés, mais de différence sociale. Il veut


seulement montrer que les modes de pensée des primitifs
sont mystiques, imperméables à l’expérience et
indifférents à la contradiction. Ce sont des représentations
collectives, une sorte de Vorstellung, une représentation
commune à tous, collective. Cela veut dire que tous les
hommes primitifs pensent de la même manière, conçoivent
les choses de la même manière, mais de la manière
différente de celle de l’occidental. Si celui-ci perçoit les
choses de manière objective, le primitif les perçoit de
manière subjective, collective et mystique dans
l’immédiateté.

Selon lui, la notion de croyance n’existe pas chez les


primitifs , elle est contenue dans l’ombre, elle est l’ombre
même car la réalité dans laquelle vivent les primitifs est
elle- même mystique. Leurs représentations mystiques
suscitent les perceptions et ils ne remarquent que ce qui
présente un caractère d’affectivité dans tout ce qu’ils
voient et entendent. Afin de faire ressortir le caractère
particulier de la mentalité primitive, Lévy-Bruhl finit par
admettre que la pensée primitive diffère totalement de la
pensée civilisée occidentale. Mais, Lévy –Bruhl, pèche en
ne faisant pas de distinction entre les différentes couches
sociales de la société européenne elle-même. En opposant
la société primitive à la société civilisée, la question qui se
pose est la suivante : qui est le primitif, et qui est
l’occidental ?

En pensant que la mentalité primitive est indifférente à


la contradiction, n’est-ce pas là une remarque fort
illusoire ? Et comme Bergson l’a fait remarquer assez
malicieusement, Lévy-Bruhl qui accuse constamment
l’homme primitif de n’attribuer aucun événement au
hasard, admet lui aussi le hasard. Il se lance lui-même
dans la catégorie de la prélogique. Si comme le dit Lévi-
147

Strauss,« Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la


barbarie »136, le primitif est aussi l’homme qui croit et qui
élabore une pensée primitive. À dire vrai, Lévy-Bruhl a
été obsédé comme certains de ses collègues ethnologues,
par les notions d’évolution et de progrès. « On ne peut
s’en étonner, dira Evans-Pritchard, dans la mesure où il
s’agissait d’anthropologues en chambre, limités à leur
propre culture, à leur propre société, et dans cette société,
à un petit groupe d’intellectuels »137.

D’ailleurs Evans –Pritchard se convainc que toute cette


théorie de la primitivité des religions de certains peuples
n’est rien d’autre qu’ « une collection de reconstructions
absurdes d’hypothèses et de conjectures insoutenables, de
spéculations, de suppositions et d’affirmations insensées,
d’analogies impropres, de fausses interprétations et
d’erreurs » 138. Pour lui, aucun de ces théoriciens n’a
approché une population primitive et donc, leurs
informations sont fausses et peu dignes de foi. Leurs
spéculations ne doivent pas être prises comme argent
comptant, ni acceptées sans un examen critique de leurs
sources. Leur aveu, c’est de représenter les indigènes
comme des êtres puérils qui ont besoin d’une
administration paternelle et du zèle des missionnaires,
surtout qu’ils sont considérés comme des superstitieux qui
ont une coutume mystique, barbare et sensationnelle.
N’est-ce pas que quand on veut se débarrasser de son
chien, on l’accuse d’être malade de la rage ? Même si dans
ses Carnets, Lévy-Bruhl finit par se convaincre d’énormes
grossièretés qu’il a commises, force est de reconnaître que
le mal a été déjà fait ; d’autres personnes continuent de se
reconnaître en lui et n’ont certainement pas encore lu ses

136
LEVI-STRAUSS (C.), op. cit., p.22.
137
EVANS-PRITCHARD (E. E. ).-La religion des primitifs (Paris,
Petite bibliothèque Payot, 1971), p.128.
138
EVANS-PRITCHARD (E. E. ), op. cit., p.10
148

confessions. De toutes les façons, comme l’a noté


Janheinz Jahn, « des préjugés tenaces ont laissé se
former dans l’inconscient collectif des archétypes qui sont
purement et simplement des mythes. ‘’un vrai Européen ‘’,
cela fait surgir à l’horizon de la conscience l’image d’un
homme de haute culture , humaniste ouvert à tous les
courants intellectuels , tourné vers l’avenir et le progrès .
‘’Un vrai Africain’’ (‘’un nègre’’) croupit au fond de la
brousse , parmi ses fétiches et ses sorciers , ne sait ni lire,
ni écrire ; en même temps, il jouit du bonheur inconscient
de la ‘’vie naturelle ‘’, tout nu sous le soleil des tropiques,
et raconte de jolies histoires de crocodiles et d’éléphants .
Plus il est ‘’primitif’’, plus il est ‘’un vrai Africain ‘’. Un
Africain d’esprit cultivé et ouvert , qui préside avec
compétence et doigté un congrès scientifique , qui tient
des réunions politiques et écrit des romans et des poèmes
, n’est pas un ‘’vrai Africain’’.Il faut en finir avec ce
système de deux poids et deux mesures, et reconnaître
qu’en Europe aussi, nous avons beaucoup de gens qui se
laissent menés par des ‘’représentations collectives ‘’ et
sont parfaitement incapables de penser logiquement. Il
n’en va pas autrement en Afrique »139.

À la vérité, ces préjugés ne sont pas seulement


européens, ils sont aussi africains. Il n’est pas surprenant
de voir des intellectuels africains se targuer encore
d’avoir fait les Universités européennes, en s’affichant, et
en affichant sur la porte de leur bureau, docteur de
l’Université de Francfort, de la Sorbonne, etc. . Certains
mêmes finissent par se gausser de leurs collègues africains
qui ont les mêmes grades qu’eux et certainement qui ont
plus de compétence qu’eux, et qu’ils considèrent comme
des « docteurs indigènes , de docteurs locaux », tandis

139
JAHN (J.).-Muntu, L’homme africain et la culture néo-africaine,
Traduit de l’allemand par BRIAN DE MARTINOIR( Paris, Seuil,
1961), p.18.
149

qu’eux, se font appeler des spécialistes, des maîtres du


savoir de Francfort, de la Sorbonne, de Pennsylvanie , de
Havard ou de Oxford parce que , simplement, ils pu
visiter les locaux de ces Université ou ont pu y avoir
effectué une partie de leurs études. Cela montre que pour
ces Africains-là , le Savoir, le vrai Savoir, ne peut que se
trouver en Occident. C’est ce que Niamkey Koffi appelle
le ‘’procès d’agrégation’’ et qui est défini selon Abou
Karamoko comme « un rituel idéologique de
reconnaissance permettant à la classe des intellectuels, des
savants, des maîtres de pensée d’agrandir leur cercle .
C’est un procès par lequel telle ou telle société, tel ou tel
individu reçoit ou non son brevet d’invention ou la forme
–sujet dans la production des connaissances et des idées »
140
.

Mais que nous donnent ces intellectuels, sortant de


Francfort, d’Oxford et de la Sorbonne ? Que nous
apportent –ils de plus que des docteurs et agrégés locaux,
indigènes ? Rien véritablement, sauf que des apologies de
l’Occident, des mystifications pour se croire toujours
meilleurs que les autres qui sont restés sur place et qui ont
été enseignés par des maîtres dont les Occidentaux eux –
mêmes ne peuvent douter un seul instant de leurs valeurs
et de leurs connaissances. On continue encore de penser
que le savoir qui se donne en Occident est le vrai savoir et
que celui qui se donne en Afrique est un faux savoir. La
fin du complexe des nègres n’est donc pas pour demain.
La cure devrait commencer d’abord par nos intellectuels,
maîtres de nos Universités, dispensateurs du Savoir !
Quels Savoirs ! Et dans quelles langues ?

Dans sa préface de Les mots et les choses, Michel


Foucault écrivait : « Les codes fondamentaux d’une
culture – ceux qui régissent son langage , ses schémas
140
KARAMOKO (A.), op. cit., p.158.
150

perceptifs , ses échanges , ses techniques, ses valeurs , la


hiérarchie de ses pratiques – fixent d’entrée de jeu pour
chaque homme les ordres empiriques auxquels il aura
affaire et dans lesquels il se trouvera. À l’autre extrémité
de la pensée , des théories scientifiques ou des
interprétations de philosophes expliquent pourquoi il y a
en général un ordre, à quelle loi générale il obéit , quel
principe peut en rendre compte , pour quelle raison c’est
plutôt cet ordre –ci qui est établi et non pas tel autre »141.

Pour ce qui est de la civilisation africaine, son mode


d’être procède avant tout du verbe, qu’il soit parole,
rythme ou symbole. Le griot, maître de la parole ne
connaît que la parole. Le verbe est son instrument, la
parole , sa raison de vivre, sa vie ; car c ‘est de la parole
qu’il tire non seulement sa subsistance mais aussi son
statut dans la société. Pour le griot africain, la parole est
nourriture, pas parce que la parole se mange, mais parce
que la bonne parole n’est bonne qu’à être dite. Elle doit
être dite. Le meilleur roi, le meilleur chef, est celui qui
possède un bon griot. La modernisation de cette
‘’griotique’’ aujourd’hui, selon le terme de Niangoran
Porquet, semble être la mise en place des structures de la
communication. Un bon pouvoir est celui qui se’’ vend ‘’,
qui a une politique de communication très efficace. Un
bon représentant d’une institution, d’une firme
commerciale doit avoir l’art de convaincre. Les
journalistes d’aujourd’hui sont ce qu’étaient les griots
d’hier dans l’Afrique ancienne.

Mais le langage n’est pas seulement instrument de


communication. L’essence du monde négro-africain
réside dans la force dont la vie et le verbe actualisent les
manifestations profondes. Le langage apparaît dans ce cas

141
FOUCAULT (M.).-Les mots et les choses (Paris, Gallimard, 1966),
p.12.
151

comme l’expression de l’être – force, déclenchement des


puissances vitales et principes de leur cohésion. Le verbe
est créateur, fondateur et destructeur à la fois. Les
incantations sont un langage que le guérisseur ou le
féticheur utilise pour soigner un malade ou prévenir un
mal. Le jet des cauris, des cailloux ou l’exposition des
figures géographiques sur le sol permettent à l’initié
africain de savoir des choses, de comprendre certains
problèmes ou de se projeter dans un futur fût- ce- t - il
incompréhensible. Dans les sociétés africaines
traditionnelles, « le langage réel n’est pas un ensemble de
signes indépendants , uniforme et lisse où les choses
viendraient se refléter comme dans un miroir pour y
énoncer une à une leur vérité singulière . Il est plutôt
chose opaque , mystérieuse , refermée sur elle-même ,
masse fragmentée et de point en point énigmatique, qui se
mêle ici ou là aux figures du monde , et s’enchevêtre à
elles : tant et si bien que , toutes ensembles, elles forment
un réseau de marques où chacune peut jouer , et joue en
effet, par rapport à toutes les autres , le rôle de contenu ou
de signe, de secret ou d’indication . Dans son être brut et
historique (...), le langage n’est pas un système arbitraire ;
il est déposé dans le monde et il en fait partie à la fois
parce que les choses elles- mêmes cachent et manifestent
leur énigme comme un langage , et parce que les mots se
proposent aux hommes comme des chiffres à déchiffrer .
La grande métaphore du livre qu’on ouvre , qu’on épelle
et qu’on lit pour connaître la nature , n’est que l’envers
visible d’un autre transfert , beaucoup plus profond , qui
contraint le langage à résider du côté du monde , parmi
les plantes , les herbes , les pierres et les animaux »142.

Si l’africain, le féticheur, le guérisseur traditionnel ou


les classes ésotériques s’intéressent à la nature, c’est parce
que , pour eux, la nature nous parle et l’homme doit
142
FOUCAULT (M. ), op.cit., pp 49- 50 .
152

pouvoir lui répondre . Le rapport aux textes est de même


nature que le rapport aux choses . Le langage apparaît
ainsi comme le tissu ontologique dont est fait l’univers.
Par le langage , l’homme domine l’homme et domine la
nature. Les formules incantatoires en Afrique ont un rôle
ambivalent : elles assujettissent l’individu par la force du
verbe, comme elles peuvent le libérer par la même force
dans la mesure où le verbe, patrimoine de l’humanité et ,
par – delà elle, de la divinité, est envisagée comme
moellon initial de la chaîne des humains dans la
perspective de leur domination. Ici, le langage n’est pas
séparé du monde. Il se confond au monde ; il continue
sous une autre forme de se manifester, d’être le lieu des
manifestations et des révélations, et à faire partie de
l’espace et, où la vérité se manifeste et s’énonce.

« Le monde est couvert de signes qu’il faut déchiffrer,


et ces signes, qui révèlent des ressemblances et des
affinités, ne sont eux-mêmes que des formes de la
similitude. Connaître sera donc interpréter : aller de la
marque visible à ce qui se dit à travers elle, et demeurerait,
sans elle, parole muette, ensommeillée dans les
choses »143. Certes, il semble être un dire silencieux, un
instrument mystérieux dont quelques privilégiés
seulement connaîtraient les secrets. Il est aussi la figure
d’un monde en train de se faire, une civilisation qui a foi
en l’avenir et qui semble se perpétuer en se mettant à
l’écoute du monde. Et ce monde lui-même est un
ensemble de signes, de figures et de symboles. « Il n’est
plus que de les déchiffrer : « N ‘est –il pas vrai que toutes
les herbes, plantes, arbres et autres, provenant des
entrailles de la terre sont autant de livres et de signes
magiques ? ». Le grand miroir calme au fond duquel les
Choses se miraient et se renvoyaient , l’une l’autre, leurs
images, est en réalité tout bruissant de paroles . Les reflets
143
FOUCAULT (M.), op. cit., p.47.
153

muets sont doublées par des mots qui les indiquent . Et par
la grâce d’une dernière forme de ressemblance qui
enveloppe toutes les autres et les enferme en un cercle
unique, le monde peut se comparer à un monde qui parle :
« de même que les secrets mouvements de son
entendement sont manifestés par la voix , de même ne
semble –t-il pas que les herbes parlent aux curieux
médecins par leur signature , lui découvrant ... leurs
vertus intérieures cachées sous le voile du silence de la
nature ».Mais il faut s’attarder un peu sur ce langage lui-
même. Sur les signes dont il est formé. Sur la manière
dont ces signes renvoient à ce qu’ils indiquent »144 .

Le privilège de détenir des formules incantatoires, de


détenir le savoir sous son manteau, a dominé les sociétés
traditionnelles africaines. Et sans doute, il a été l’une des
grandes faiblesses des sociétés traditionnelles africaines.
Le savoir appartient à une élite, celle des initiés, il se
donne non seulement en fonction de la sagesse, mais aussi
et surtout selon les critères de l’âge. Dès lors, le savoir
devient gérontocratique. Dans ce contexte, seuls les vieux
sont habilités à répandre la lumière sur les visages du
peuple comme les astres dans l’obscurité, selon
l’expression de Foucault. Le savoir gérontocratique
appartient à un cercle ferme, fermé et se fermant sur soi-
même. Tel semble être le cri d’alarme de Hamadou
Hampatè Bah lorsqu’il affirme qu’ ‘’en Afrique, un
vieillard qui meurt est une bibliothèque qui se consume’’ .
Par ces propos, le sage de Bandiagara ne voulait pas
seulement dire que les vieux détiennent le savoir et la
sagesse, il voulait implicitement montrer sans offenser les
aînés, selon les préceptes de la société traditionnelle
africaine, que les vieux, détenteurs du savoir, le gardent
sous leurs manteaux, refusant ainsi de le divulguer.

144
FOUCAULT (M.), op. cit., p.42.
154

Dès lors, le savoir devient masqué, il est un masque


fétichisé qui risque de mourir de sa belle mort. Un tel
savoir est déjà assez trop mort pour vivre. Ici, le savoir,
parce qu’il n’est pas écrit, n’est pas aussi transmis comme
dans les agoras grecs. Comme dans les sociétés
égyptiennes, il se limite aux initiations. Comme nous l’a
révélé Cheik Anta Diop , « On met ici le doigt sur la
faiblesse , majeure peut-être , de la civilisation
égyptienne ; cette science gardée jalousement , n’a jamais
pénétré profondément l’esprit du peuple qui recevait un
enseignement exotérique . Le savoir était si précieux aux
yeux du prêtre égyptien qu’il préférait le garder et
l’étendre seulement à quelques individus privilégiés,
plutôt que d’agir comme son disciple grec et de le
répandre à l’échelle du peuple pour se faire un nom. Les
dispositions d’âme du prêtre égyptien sont à l’inverse de
celles du péripatéticien et expliquent toutes les difficultés
que des disciples comme Pythagore, Platon, Eurodoxe et
d’autres ont rencontré effectivement avant d’accéder aux
sciences. Parcourir les contrées comme le faisaient les
professeurs conférenciers grecs, pour rabattre la clientèle,
est un trait original de la culture hellène »145. Comme on
peut le constater, « l’Afrique traditionnelle » est
comparable à L’Égypte de l’Antiquité. L’on préfère
mourir avec le savoir que de le divulguer. Il n’est donc pas
étonnant que l’arbre tombe après que la racine soit coupée.
La bibliothèque africaine se brûle non pas parce que la
mort est un cruel destin, mais parce qu’on y a
volontairement mis du feu pour ne plus qu’elle serve aux
générations futures en masquant le savoir. Or, le propre
d’une bibliothèque n ‘est pas seulement la conservation
des livres, mais leur usage, c’est – à – dire leur lecture par
les hommes . Encore faut-il que ces hommes sachent lire.
Il est vrai qu’en Afrique et partout ailleurs, tout savoir est

145
DIOP (C.A.), op. cit. , p.99.
155

égoïste. Tout savant ne divulgue le savoir que malgré.


Mais, on ne devient savant que si on divulgue le savoir.

D’essence orale, la tradition africaine a ignoré depuis


belle lurette l’appui de l’écriture. Même si l’Afrique a
connu certains systèmes de transcription , c’est que pour le
sage africain, le signe graphique brise le rythme, affaiblit
la parole en la rendant inerte , la soustrait au secret, en la
mettant à la portée de tous et ruine ainsi son efficacité. Ici
aussi, le savoir se donne et s'apprend par cœur, dans
l’oralité. Pour nos Anciens, le langage vaut comme le
signe des choses . « Mais tout comme les signes naturels
sont liés à ce qu’ils indiquent par le profond rapport de
ressemblance , de même le discours des Anciens est à
l’image de ce qu’il énonce ; s’il a pour nous la valeur
d’un signe précieux, c’est parce que , du fond de son être ,
et par la lumière qui n’a cessé de le traverser depuis sa
naissance , il est ajusté aux choses humaines , il en forme
le miroir et l’émulation ; il est à la vérité éternelle ce que
les signes sont aux secrets de la nature (il est de cette
parole la marque à déchiffrer ) ; il a, avec les choses qu’il
dévoile, une affinité sans âge. Inutile, donc, de lui
demander son titre d’autorité ; il est un trésor de signes
liés par similitude à ce qu’ils peuvent désigner ».146

Le langage utilisé en Afrique avant la colonisation


n’était pas un langage absurde, séparé du monde. Il avait
un sens dans la mesure où les africains en savaient la
valeur et ce langage leur permettait de nommer. Il était le
lieu de révélation des choses. Mais, le langage a pour
nature première d’être écrit. C’est pourquoi, Michel
Foucault pense que le monde est en lui –même une
Écriture. Selon lui, chaque chose est un signe divin, un
mot écrit, une sorte d’herméneutique à déchiffrer. La
création de l’homme serait un signe de Dieu, un mot du
146
FOUCAULT (M.), op. cit., p.49.
156

divin. N’est-ce pas qu’au commencement, comme le


disent les Écritures, était le verbe ? Le monde est un
langage de Dieu. C’est pourquoi, toute philosophie est
d’abord une séméiologie. Philosopher, c’est montrer que
le monde a un sens, un ensemble de signes à déchiffrer,
une sorte de langage à découvrir. Dieu a écrit le monde par
sa parole. « Les sons de la voix n’en forment que la
traduction transitoire et précaire. Ce que Dieu a déposé
dans le monde , ce sont des mots écrits ; Adam, lorsqu’il a
imposé leurs premiers noms aux bêtes n’a fait que lire
ces marques visibles et silencieuses ; la Loi à été confiée
à des Tables , non pas à la mémoire des hommes ; et la
vraie Parole, c’est dans un livre qu’il faut la trouver »147.

Ainsi donc, la lecture apparaît comme la clé de voûte


d’un labyrinthe. Qui sait lire est sauvé dans la mesure où
la lecture permet à celui qui la comprend de savoir se
conduire dans cette vie. Cela ne peut en être autrement
car, l’écriture, en tant que principe ‘’mâle’’ du langage,
semble, et lui seul, détenir la Vérité. Les saintes Écritures
ne peuvent sauver que parce qu’elles sont la manifestation
du Saint, de la Vérité ; elles sont le langage de Dieu. Qui
veut être sauvé doit passer par les Écritures. Pour être
saint, il faut d’abord connaître le Saint et apprendre à être
saint. Comment peut-on être saint ou apprendre à être
saint, sans savoir que les Écritures sont le chemin pour
parvenir au Saint, à la vérité et à la vie et que nul ne peut
parvenir au Saint que par elles ? Dès lors, « Savoir
consiste donc à rapporter du langage. Á restituer la
grande plaine uniforme des mots et des choses. Á tout
faire parler. C’est – à- dire à faire naître au –dessus de
toutes les marques le discours second du commentaire.
Le propre du savoir n’est ni de voir ni de démontrer mais
d’interpréter. Commentaire de l’écriture, commentaire des
Anciens, commentaire (de) ce qu’ont rapporté les
147
FOUCAULT (M.), op. cit, p.53.
157

voyageurs, commentaire des légendes et des fables : on ne


demande pas à chacun de ces discours qu’on interprète
son droit à «énoncer une vérité ; on ne requiert de lui que
la possibilité de parler sur lui. Le langage a en lui –même
son principe intérieur de prolifération »148.

L’écriture est donc soumise à interprétation. Chaque


individu, avec toute sa subjectivité , pourvu qu’il ait une
qualification , qu’il sache lire et écrire dans un domaine
précis , peut se déclarer spécialiste dans telle ou telle
discipline. C’est ainsi qu’on rencontre partout dans le
monde, des ethnologues, des anthropologues, des
politologues qui se disent spécialistes de l’Afrique, alors
qu’ils n’ont certainement jamais vu l’Afrique. Leur
connaissance de l’Afrique se limite aux articles de
journaux, aux nombreux commentaires et autres écrits et
interprétations faits sur l’Afrique. Même des grands
penseurs rationalistes n’ont pas échappé à ce dogmatisme
desséchant, à des préjugés interprétés. Les lamentations de
Hegel dans son désir de baliser l’histoire universelle en
écartant l’Afrique, en la maintenant au stade de
l’immédiateté, sont une interprétation fallacieuse des écrits
et des rapports des autres. Il est connu de tous, l’histoire
ne s’écrit que sur des rapports et au profit de... Et l’histoire
de l’Afrique s’est écrite au profit de l’Occident et au
détriment des africains. Hegel, de son propre aveu, du
moins, de ce qu’il a laissé comme héritage à l’Afrique, son
écrit sur l’Afrique dans la raison dans l’histoire, montre
que le grand philosophe a été victime de sa propre ruse de
la raison ; dans la mesure où il n’a jamais fréquenté
l’Afrique, Hegel s’appuie sur des rapports d’autres
hommes.

Ces hommes sont –ils honnêtes ? Ont –ils pu pénétrer l


‘Afrique dont Hegel croit savoir qu’elle est un continent
148
FOUCAULT (M.), op. cit.,p.55.
158

replié sur lui-même , massif et tropical et qu’« Étant donné


cette configuration naturelle , les européens n’ont pu
acquérir que peu de connaissances sur l’intérieur de
l’Afrique »149 . Et Hegel, tout en se fiant sur des rapports
des hommes dont il ignore la moralité et la qualification,
dévoile toute sa subjectivité et son manque de rigueur en
ces termes : « On rapporte qu’aux XV-XVI siècles ,
d’horribles hordes , venant de l’intérieur , se sont abattues
, en plusieurs endroits très éloignés les uns des autres ,
sur les habitants plus paisibles des pentes et des régions
côtières. Plusieurs nations qu’on rencontre sur la côte
ouest semblent être des vestiges de ces invasions. Des
hordes de nègres ont pénétré aussi en Abyssinie. Quand
leur rage prit fin, elles se sont installées dans la région
côtière où elles se sont apaisées ; aujourd’hui elles se
montrent douces et industrieuses et rien, à première vue,
ne semble indiquer une quelconque barbarie. Cette
tempête a- t- elle été provoquée par un mouvement
intérieur et lequel ? On ne sait. Ce que l’on a su toutefois
de ces hordes c’est le contraste de leur attitude, qui
manifestait, dans ces guerres et ces expéditions l’humanité
la plus irréfléchie et la brutalité la plus répugnante ; mais,
leur rage ayant pris fin, elles se montraient dans le temps
calme de paix, douces et bonnes pour les Européens avec
lesquels elles avaient fait connaissance »150. Cela montre
que la philosophie elle- même ne peut se départir des
préjugés, des rapports des autres avec toutes leurs
subjectivités, ainsi qu’aux sentiments. Or, le sentiment
peut être objet de science, mais non le critère de vérité
scientifique. En le faisant, Hegel a baigné dans le
subjectivisme et le dogmatisme ambiants. Son testament
philosophique laissé à l’humanité non européenne, à une
humanité déshumanisée, est de montrer qu’en philosophie
comme partout ailleurs, tout se juge par rapport aux

149
HEGEL (G. W.F. ) , op. cit., p.248.
150
HEGEL (G. W. F.), op. cit., p.249.c’est nous qui soulignons.
159

rapports de l’Occident. Par rapport aux européens, les


sociétés africaines sont des hordes sauvages. Par rapport à
eux, les africains n’ont pas droit à l’histoire .Il n’est donc
pas étonnant qu’ils n’aient droit à une philosophie, car
l’éminent philosophe a déjà tranché : pas d’histoire donc
pas de philosophie . On n’est pas non plus étonné
aujourd’hui de savoir qu’il faut avoir leur quitus , leur
marque déposée, leur lettre de recommandation pour être
accepté dans le monde. Non seulement, ils supervisent nos
élections, mais aussi ils en choisissent les candidats et
imposent leur homme. L’ONU, l'UNESCO, OMC, etc. ne
sont que les caisses à résonance de l’Occident. Ils sont les
membres permanents à l’ONU, et , eux seuls , détiennent
le droit de veto. Lévi-Strauss a raison de dire que l’histoire
n’est jamais l’histoire, mais l’histoire-pour, partielle et
partiale, « Même une histoire qui se dit universelle n’est
encore qu’une juxtaposition de quelques histoires locales,
au sein desquelles (et entre lesquelles) les trous sont bien
plus nombreux que les pleins »151.

Dès lors se pose avec acuité le problème de l’écriture.


Les querelles en Histoire ne sont –elles pas des querelles
de mots ? Les différentes interprétations de la Bible ont
entraîné une scission de la religion chrétienne, on y
découvre les Protestants, les Évangélistes et des Témoins
de Jéhovah ; du côté de l’Islam, on y rencontre entre
autres, les Sunnites, les Chiites, etc. Chacun se dit détenir
la vérité selon son interprétation des Écritures Saintes. Les
conséquences, on les connaît : intolérance religieuse,
fanatismes belliqueux, contestations violentes, terrorismes.
Si l’Écriture sauve, force est de reconnaître
qu’aujourd’hui, elle semble être la cause de nos malheurs.

151
LEVI-STRAUSS (C.) .- La pensée sauvage (Paris, Plon, 1962),
p.307.
160

C’est pourquoi, Jean Paul Sartre nous exhorte à


réfléchir avant d’écrire. Selon lui, il faut se poser les trois
questions fondamentales suivantes : ‘’Qu’est- ce qu’écrire
‘’, ‘’Pourquoi écrire ? ‘’, ‘’Pour qui écrire ? ‘’.152Selon lui,
le langage est un instrument qui sert à nommer le monde.
Mais , à la vérité, l’on ne nomme rien du tout dans la
mesure où l’écriture peut nous conduire à des ambiguïtés
surtout si l’émotion , la passion, l’indignation sociale, la
haine politique, devenues choses, débordent de partout le
sentiment qui les a suscités. « Comment espérer qu’on
provoquera l’indignation ou l’enthousiasme politique du
lecteur quand précisément on le retire de la condition
humaine et qu’on l’invite à considérer, avec les yeux de
Dieu, le langage à l’envers »153 ? Pour Sartre, lorsque les
mots sont rassemblés, il faut qu’une décision étrangère au
langage soit intervenue, la décision de livrer à d’autres
les résultats obtenus. Cela montre clairement que les
différentes recherches sur l’Afrique n’ont pas été faites
pour les Africains, mais pour les non –africains. Il fallait
justifier la Traite des Noirs, le colonialisme par des écrits
destinés à la population non –africaine.

Dès lors, les évaluations par écrit que l’Occident a


établies en considérant les sociétés africaines aux prises
avec la modernité sont d’emblée faussées dans la mesure
où elles s’effectuent alors que les divers processus de
transformation des sociétés africaines ne sont pas encore
parvenus à leur terme. Mais la théorie de la supériorité
européenne étant bien établie, les règles scientifiques et
morales ne peuvent qu’être bien fossilées. Ce n’est pas par
hasard que l’histoire est écrite par les vainqueurs. Ce n’est
pas aussi par hasard que « Cette disproportion décisive
explique que les réactions résultant de l’infériorité subie

152
SARTRE (J. P. ).-Qu’est ce que la littérature ? (Paris, Gallimard,
1948).
153
SARTRE (J.P.), op. cit., p.25.
161

ne puissent s’exprimer que rarement de manière directe


et brutale. Pour une large part, elles interviennent
indirectement, elles opèrent dans la clandestinité – et
souvent, à la faveur de « masques » culturels. Ce n’est pas
par pur hasard si les récents mouvements d’émancipation
se sont inspirés, en certains pays, des techniques de
résistance mises au point dans les régions« occupées »
lors de la dernière guerre mondiale. Mais c’est là une des
expressions extrêmes du refus de la subordination : elle
met en présence d’une véritable organisation de la
résistance ; elle « révèle » les éléments de la société
dominée qui ont servi de points d’appui à la société
dominante ; elle manifeste le jeu de processus qui, dans le
champ des relations coloniales ou paracoloniales , tendent
à faire coïncider les réactions à l’encontre de la société
étrangère dominante avec celle opérant à l’encontre des
classes , couches ou groupements indigènes détenant le
pouvoir par délégation. En ce cas, les antagonismes
conditionnés du dehors et ceux qui naissent au sein de la
société colonisée tendent à agir dans le même sens »154.

En Afrique, pendant la colonisation, quand le nègre lit


des ouvrages d’ethnographie, il parle et «S’il parle,
comme le dit Sartre, il tire . Il peut se taire, mais puisqu’il
a choisi de tirer , il faut que ce soit comme un homme , en
visant des cibles et non comme un enfant , au hasard , en
fermant les yeux et pour le seul plaisir d’entendre les
détonations »155. Ainsi des auteurs comme Césaire,
Senghor, Eza Boto, etc. . ont- ils tous tiré, et leurs cibles
étaient connues : la lutte contre l’impérialisme et
l’eurocentrisme.

154
BALANDIER (G.), op. cit., p.177.
155
SARTRE (J.P.), op.cit., p.31.
162

Mais pourquoi les auteurs africains et européens ont –il


écrit sur l’Afrique ? Pour les européens –ethnographes, il
fallait parler de l’Afrique en termes de continent
anhistorique, en marge de l’humanité pour mieux le
dominer et profiter de ses richesses. Il fallait montrer que
le Noir était cet être primitif, livré à l’empire de ses
besoins et de ses instincts, dont la conscience est dominée
par l’affectivité et la participation béante sans
interrogation aucune, sans raison constituante, sans raison
constituée. Quant aux africains, ils voulaient montrer que
l’Afrique n’était pas ce qu’on dit d’elle, elle était ce
qu’elle est, c’est –à- dire autrement et non ce qu’on croit.
Écrire, c’était égaler l’occident, défendre la terre de ses
ancêtres ; comme le dit Sartre , pour eux, « Écrire, c’est
donc à la fois dévoiler le monde et le proposer comme
une tâche à la générosité du lecteur . C’est recourir à la
conscience d’autrui pour se faire reconnaître comme
essentiel à la totalité de l’être ; c’est vouloir vivre cette
essentialité par personnes interposées »156. Ces auteurs
africains aspiraient à la liberté, à la démocratie et à la
dignité. Et ils comptaient les défendre par leurs plumes.
Mais, « Un jour vient où la plume est contrainte de
s’arrêter et il faut alors que l’écriture prenne les armes.
Ainsi de quelque façon que vous y soyez venu, quelles
que soient les opinions que vous professées, la littérature
vous jette dans la bataille ; écrire c’est une certaine façon
de vouloir la liberté ; si vous avez commencé, de gré ou
de force vous êtes engagés.

Engagé à quoi ? Demandera –t- on. Défendre la


liberté, c’est vite dit. S’agit-il de se faire le gardien des
valeurs idéales, comme le clerc de Benda avant la
trahison, ou bien est-ce la liberté concrète et quotidienne
qu’il faut protéger, en prenant parti dans les luttes

156
SARTRE (J.P), op. cit. , p.76.
163

politiques et sociales »157 ? Pour les auteurs africains, la


mission était claire : il fallait lutter pour sauver son âme,
l’âme de l’Afrique, il faut se conquérir en conquérant sa
liberté, et conquérir avec soi les autres hommes ; ils
avaient compris qu’aucune liberté n’est donnée d’avance,
et que la liberté se mérite, elle est la gloire des héros. Ce
qui comptait pour eux, c’était l’obstacle à franchir , la
résistance à vaincre, le peuple à convaincre, c’était
chercher et voir la figure de la liberté, si possible se
confondre avec la liberté, être Liberté. La raison de
l’engagement des écrivains Noirs, c’est la conquête de leur
liberté. Ils se donnent, ils donnent leur vie pour sauver
leurs peuples. Pour l’écrivain Noir, les lecteurs Noirs
représentent la subjectivité. « Même enfance, mêmes
difficultés, mêmes complexes : ils comprennent à demi-
mot, avec leur cœur. En cherchant à s’éclairer sur sa
situation personnelle, il les éclaire sur eux-mêmes. La vie
qu’ils mènent au jour le jour, dans l’immédiat , et qu’ils
souffrent sans trouver de mots pour formuler leur
souffrance , il la médiatise , il la nomme , il la leur
montre : il est leur conscience et le mouvement par lequel
il s’élève de l’immédiat à la reprise réflexive de sa
condition est celui de toute sa race . Mais, quelle que soit
la bonne volonté des lecteurs blancs, ceux-ci représentent
l’Autre pour un auteur noir. Ils n’ont pas vécu ce qu’il a
vécu, ils ne peuvent comprendre la condition des nègres
qu’à la limite d’un effort extrême et en s’appuyant sur
des analogies qui risquent à chaque instant de les
trahir »158.

Le but essentiel de l’africain, c’est de produire et de


jouir de sa propre culture. En revendiquant sa liberté, il

157
SARTRE (J.P), op. cit. , p.83.
158
SARTRE (J.P), op. cit. , p.102.
164

revendique sa culture arrachée, dépouillée, marginalisée et


froidement enterrée. Il se révèle à soi et à son peuple
comme un individu dont l’identité a été détruite par des
frustrations économiques, politiques et culturelles. Son
écriture devient ainsi le cri d’alarme de son peuple, le cri
du désarroi, il se substitue à son peuple et devient son
porte –parole. Il vise à travers son peuple tous les hommes
afin que l’universalité du genre humain soit rétablie une
fois pour toutes. « Il jouit de cette chance extraordinaire
qu’il lui suffit de défendre son métier pour servir de
guide aux aspirations de la classe montante.

« Il le sait. Il se considère comme un guide et un chef


spirituel, il prend ses risques. Comme l’élite au pouvoir,
de plus en plus nerveuse, lui prodigue un jour ses grâces
pour le faire embastiller le jour suivant, il ignore la
tranquillité , la médiocrité fière dont jouissaient ses
prédécesseurs. Sa vie glorieuse et traversée avec des
crêtes ensoleillées et des chutes vertigineuses, est celle
d’un aventurier »159. Mais pour qui ces écrivains africains
écrivent-ils ? Car si la littérature est un moyen de
communication, elle exige un public averti. Or,
malheureusement, l’écrivain africain ne dispose pas d’une
audience. Il arrive fréquemment de comprendre que
l’écrivain et son audience ne parlent pas souvent le même
langage. Les raisons sont multiples. Il faut reconnaître
qu’en Afrique, l’écriture n’a pas acquis un caractère de
masse. Elle n’a toujours été réservée qu’à une certaine
élite minoritaire. C’est dire que les Savoirs de nos
peuples n’ont été consignés que rarement dans les livres.

« Dans ces conditions , tout le savoir du passé , qu’il se


laisse classer dans le domaine de l’économie , de la

159
SARTRE (J.P), op. cit. , p.135.
165

science ou du droit, toute notre littérature profane ou


sacrée , en somme , tous les faits de civilisation de nos
sociétés anciennes , ou bien s’exprimaient oralement et
appartiennent de ce fait au monde de la tradition orale ,
ou bien se manifestaient sous des formes concrètes et
visibles qui, parce que non classifiées et commentées par
des ouvrages , ne peuvent nous être révélés aujourd’hui
que par des témoignages oraux. Est donc document de
tradition orale toute parole juridique , historique,
artistique, etc. non pétrifiée par l’écriture mais également
tout discours sur la pratique scientifique , technologique ,
économique ou autre de notre société ancienne . Le
langage transcodé du tambour et du cor parleur relèvent
également de la tradition orale »160.

Par ce qui précède, l’on remarque que si la société


traditionnelle africaine est riche en tradition orale, elle est
par contre déficitaire en écriture , disons en ce qui est
écrit, la littérature européenne. Cette littérature n’est pas la
nôtre, et l’on nous juge par rapport à elle. Tout ce qui est
écrit comme signe, comme moyen de communication
entre l'homme et l'homme et entre l'homme et le divin, est
considéré comme non sens. Il faut écrire européen pour
appartenir à l’humanité. La grande domination de l’Europe
commence par là. Exclusion pour exclusion, ségrégation
pour ségrégation, qui ne sait lire et écrire les langues
européennes est inférieur aux européens. La création des
écoles évangéliques, des écoles primaires ont pour seule
vocation de détenir des appareils idéologiques culturels et
de maintenir la domination. Le maître donne le savoir, il
en est le seul détenteur et ce maître était blanc. L’école
devient le lieu non seulement du savoir européen, mais
aussi de l’apprentissage de sa culture. Le jeune africain

160
ZADI (Z.B.).’’ De la parole artistique proférée’’ in Revue de
littérature et d’esthétique négro-africaine (Abidjan, NEA, 1977),
n°1, p.120.
166

connaît les gaulois, Napoléon ; mais ne sait rien sur Shaka


le Zulu ; et s’il le connaît, c’est de manière négative,
parce que considéré comme un sanguinaire par les
maoïstes blancs. Cette école de la grande civilisation
européenne formera aussi des frustrés. Combien
d’enfants a-t-elle abandonné dans la rue ? Combien
d’africains aujourd’hui suivent leurs traditions et
apprennent leurs civilisations ? Et les langues maternelles,
combien d’africains les parlent ?

Le comble est que les intellectuels africains, une fois


arrivé chez eux, ne s’expriment qu’en français à une
population qui ignore tout de ce qu’ils disent. « Centre
autour duquel gravitent les autres institutions, l’école est
devenue un fétiche qu’il faut adorer de gré ou de force.
Car son verdict est impitoyable. À preuve la supériorité
dont le système social auréole les diplômés qui, du
coup, se trouvent investis d ‘un pouvoir et chargés de la
mission d’éduquer ( ?)les « analphabètes » dont
l’infériorité vient du seul fait de n’avoir pas fréquenté
cette société d’initiation « moderne « , qu’est l’école . À
preuve aussi l’exclusion des « analphabètes « , c’est – à-
dire de la grande majorité des populations africaines de la
sphère des conceptions et des décisions politiques . Quel
que soit le degré de son intelligence et de son dévouement
à la cause d’un Parti, un « analphabète » est condamné à
demeurer à l’ombre des lettrés et à exécuter leurs
décisions. Il porte en lui la marque indélébile de la non-
fréquentation de l’école, une sorte d’impureté congénitale
correspondant à l’état de l’incirconcision dans certaines
sociétés devenues traditionnelles. De même que la
circoncision, l’école purifie et libère l’adolescent »161.

161
TOURE (A.).-La civilisation quotidienne en Côte d’Ivoire, Procès
d’occidentalisation (Paris, Karthala, 1981), p.55.
167

Ainsi, se rend-on compte que l’écriture européenne est


sacralisée au point d’être la clé qui ouvre les frontières de
l’occident aux non civilisés, aux analphabètes. Il n’est
donc pas étonnant que ceux qui avaient appris l’écriture
européenne, que ceux qui sont allés à l’école européenne
aillent chez eux pour savoir comment ils vivent, pour se
perfectionner dans leur civilisation, pour faire comme eux
et être, selon le mot de Towa, semblables à eux,
incolonisables par eux, dans la mesure où qui ne connaît
pas leur langue, qui n’est pas allé chez eux, est
colonisable, et assimilable à un sauvage ; il n’a pas
d’histoire. N’est- ce pas qu’ils sont les seuls juges
habilités, de par leur position dominante, à décréter que
tel peuple appartient ou non à l’histoire ? L’écriture
devient ainsi critère d’historicité « Vous ne savez ni lire ni
écrire- selon la juridiction occidentale ? Eh bien, on a le
devoir ou la mission de vous rééduquer afin de faire de
vous des individus éclairés, c’est-à-dire alphabétisés. Ce
que vous saviez et conceviez hier n’a plus de valeur, des
idées neuves et seules dignes d’intérêt vous aideront à
vivre en vous adaptant à la société
« moderne »d’aujourd’hui. Le développement, mot
magique devant lequel toutes les contradictions se
taisent, panacée universelle inventée par l’Occident
capitaliste pour marquer sa supériorité, ne saurait se
réaliser sans alphabétisation »162.

Mais, l’écriture est aussi critère de civilisation. Ne pas


aller à l’école des européens est une maladie, a-t-on
coutume de dire en Afrique, et le remède, c’est le savoir
européen ou l’Europe elle- même. Ainsi après les départs
des chercheurs du savoir dans les écoles et les Universités
européennes, c’est le tour des « chercheurs » d’argent,
qui, prennent les chemins de l’immigration, de l’eldorado.

162
TOURE (A.), op. cit., p.82.
168

Mais là encore, il faut avoir un visa d’entrée sur leur sol.


On ne rentre pas au paradis les mains vides, il faut
présenter les biens et il faut avoir le savoir et les
spécialités requises. À défaut, vous devenez des ‘’sans –
papiers’’, soumis au rapatriement, c’est –à- dire au retour
au purgatoire. L’Afrique semble être ce purgatoire où les
hommes sont considérés comme des choses, c’est ce
continent vers lequel, les hommes sont entassés dans un
charter comme des bêtes sauvages pour leur rapatriement.
C’est ce continent qui manque de légitimité mais aussi de
légalité. Partout, en Afrique, tout est à l’envers. C’est ce
continent à qui l’on a tout refusé même la culture, et à qui
on impose tout. Les Africains eux- mêmes semblent
accepter cette idéologie de reniement.

Maurice Godelier a raison de penser que « la force la


plus forte d’un pouvoir d’oppression, de domination n’est
certainement pas la force violente, mais au contraire un
consentement des dominés à leur domination »163.Cela
est d’autant plus vrai que la colonisation européenne ainsi
que l’esclavage ont d’abord été acceptés par les
Africains. Les africains consentent à leur reniement et à
leur domination au point qu’ils considèrent l’européen
comme un dieu. Après la domination politique, c’est la
domination intellectuelle qui rime avec la marginalisation
des cultures africaines. Il n’est pas étonnant de voir des
intellectuel africains manifester de profondes indifférences
à l’égard des Savoirs qui sommeillent dans le peuple et
qui sont menacés de disparition « -Nos lettrés, dit Bernard
Zadi Zaourou, méprisent en effet le peuple , et sa science
et son art leur apparaissent comme une dérision . La
majorité de nos médecins par exemple dédaignent l’art
des guérisseurs « de la brousse » et nos juristes se
complaisent dans la pratique systématique et sans nuance

163
GODELIER (M.).-‘’Pouvoir et langage ‘’ in Communications
(Paris, Seuil, 1978), N°28, p.21.
169

du droit importé . Quant à nos philosophes , ils ne font


qu’entamer la controverse qui les oppose à eux – mêmes
sur la question de savoir s’il existe ou non une
philosophie africaine ; il est vrai que ce faisant , ils
philosophent encore...Pendant ce temps , ceux de nos
anciens que nous considérons , nous autres naïvement
peut-être , mais de toute bonne foi comme des penseurs ,
continuent de mourir , ne laissant rien ou presque rien
de ce qu’ils portaient en eux d’éclairant pour notre
société qui se cherche »164.

Le monopole du savoir par l’occident, c’est aussi


l’acceptation volontaire par les intellectuels africains de la
conception élitiste et ethnocentrique de l’écriture , qui
comme le dit Derrida, est un concept vulgaire qui n’a pu
historiquement s’imposer que par la dissimulation de
l’archi-écriture . Refuser l’écriture à un peuple, c’est une
tendance à la domination dont le but essentiel est la
négation de ses valeurs, c’est mettre en jeu des facteurs
d’inhibition. Le fétichisme de l’écriture, c’est la
manipulation des consciences pour empêcher l’autre de
prendre la parole et de s’expliquer. « Dans le fétiche, le
substrat politique est là, tout proche. Ainsi, l’ « écriture-
fétiche » ou (fétichisée) fournit un code de représentation
signifiant /signifié dans lequel le signifiant se joue
continuellement du signifié. De fait, en empruntant la
double voie de la représentation métaphorique et
métonymique l’écriture positive s’impose d’autant mieux
et engendre les modèles d’un raisonnement autoritaire :
autorité et domination des lettrés sur les illettrés. C’est
sur ce type de domination que se développent les sociétés

164
ZADI (Z.B.), op. cit. , p.121.
170

africaines modernes et cela s’appelle du beau nom de


civilisation »165.

Mais quelle est cette civilisation où on écrit pour faire


mal, où on refuse les valeurs de l’autre pour organiser
une violence au service de la reproduction de rapports de
domination ? La civilisation de l’écriture est aujourd’hui
encore largement élitiste, et les paradigmes culturels
dominants sont diffusés vers les classes subalternes avec
parcimonie et avec forte publicité. L’élite au pouvoir se
signale par des discours bruyamment philanthropiques
qui masquent des réalités de dépendance, des dépenses de
prestiges, de la possession des biens mal acquis. Et la
civilisation, cette écriture nouvelle devient l’image de cet
intellectuel africain désorienté, il faut le dire, qui prend ses
distances vis-à-vis du monde rural, qui se méfie de sa
culture, qui s’éloigne de la voie qui lui aurait sans doute
permis de forger les armes solides de sa libération.

« S’adonner à toutes ces pratiques, c’est faire un choix.


Or tout choix est aussi négation. Ce qui est négligé, nié ,
oublié, c’est toute la culture populaire dans son expression
rurale –folklorique globale , c’est –à – dire dans ses
diverses manifestations quotidiennes . Car, il convient de
le rappeler le folklore ne se résume pas aux danses
devenues traditionnelles et dites folkloriques , c’est toute
la vie quotidienne des ruraux dans ces multiples facettes
.(...)Parce que reprenant à son compte la conception
occidentale et capitaliste de la culture exprimée par les
ethnologues au service de l’administration coloniale ,
l’élite africaine a également emprunté le mot péjoratif de
"folklore" tout en voyant dans la réalité correspondante
un retard dans l’évolution et des signes d’infériorité

165
KOUAME (B.).-‘’Langues africaines et écriture : des Afriques à
réécrire’’ in Le Korè (Abidjan, , Université Nationale de Côte
d’Ivoire , 1990), N°26 , p.16.
171

certaine . Sur cette immensité dite stagnante, va donc se


superposer une culture dite moderne, importée et signe de
progrès permettant l’affirmation de cette élite.

C’est par rapport à cette culture dite moderne que la


culture authentique est insidieusement baptisée folklore ,
c’est ainsi qu’elle est devenue traditionnelle et folklorique
, c’est ainsi également qu’elle est soumise à un
processus de modernisation - domination irréversible ,
l’exode rural vidant les villages de leurs forces vives ,
l’industrialisation transformant le paysan en ouvrier et le
prolétariat ; c’est ainsi, enfin , qu’elle est condamnée à
mourir, l’appareil idéologique scolaire , ce lieu privilégié
de la reproduction des valeurs dominantes, lui fermant ses
portes »166.

L’école devient le seul moteur du changement, d’un


changement orienté d’avance. Dès lors, le savoir africain
se trouve dévalorisé. L’écriture devient la culture
exprimée et soutenue par les intérêts et les moyens
économiques. La consommation de l’écriture académique
fait perdre au ‘’lettré ‘’ africain sa propre langue. Après
avoir avalé sa langue, il ne peut qu’avaler sa culture.
Dans ce mécanisme, nous voyons comment intervient la
violence physique à côté de la domination idéologique.
« Car sans parler du discours, la question est passée à la
mode : avons-nous seulement commencé à penser le
pouvoir ? L’articulation violente d’un rapport de
domination n’en est-elle pas qu’une saisie en négatif,
qu’une saisie comme négativité ? Et si cette pensée se
révélait anté-capitaliste ? Si cette approche s’avérait
insuffisante, s’agissant particulièrement d’appréhender
politiquement cet « élément »de nos pratiques sociales,
« mass media » , « culture » , « communication » dites de
« masse »? La dominance de l’idéologie dominante n’est –
166
TOURE (A.), op. cit, p.p.208-209.
172

elle pas d’abord constitutive de nos pratiques sociales,


d’être l’élément de nos dire et faire ? La pensée comme
domination n’implique t-il pas de la penser autrement
que sous un rapport d’extériorité répressive ? de la penser
comme discours ? Et qu’est- ce à dire ? Ne serait- ce pas
mettre la dialectique au panier ? Mais le peut-on »167 ?
Absolument pas, car les langues africaines ainsi que les
symboles savent exprimer n’importe quel message par
des combinaisons pour former un univers de
significations et de signifiance.

Dans une logique de la pensée, l’homme africain


traditionnel sait reconnaître simultanément les propriétés
physiques et des propriétés sémantiques. Par les signes ou
même par le langage, l’africain peut marquer une
différence en dévoilant l’essence cachée des choses. Par
ce pouvoir sur les choses, il a un pouvoir sur les hommes à
travers les pouvoirs sur les choses, même si ce pouvoir
demeure secret et appartient à une élite. Il est vrai qu’en
Afrique, le savoir se cache, se masque pour se dissoudre
comme du sucre dans un verre d’eau, surtout si ce savoir
est un monopole. Interpréter les choses de la nature, n’est
pas seulement une manière de parler mais une manière de
penser et de vivre, une manière de poser des problèmes et
d’en trouver des solutions. Si pour les européens, ce savoir
est « imaginaire » et un savoir de « l’imaginaire » , mais
cet imaginaire n’est imaginaire que de nom. Les
véritables acteurs de l’histoire savent qu’ils utilisent des
moyens « symboliques » , mais ils « savent » aussi que
leur pouvoir au moyen des symboles , leur pouvoir sur les
symboles est un pouvoir efficace , réel et non illusoire
qui ne se constitue que par un acte de connaissance . Il
suffit seulement d’y croire et de l’essayer.

167
BOUILLON (A.).-Emprise discursive et domination in
Communications (Paris, Seuil, 1978), N°28, p.29.
173

L’écriture, si on la refuse à l’Afrique, on admettra


quand même une écriture symbolique qui se sert de
ressemblances plus ou moins cachées pour dévoiler le sens
des choses. « Si bien qu’au fond du langage parlé comme
de l’écriture , ce qu’on découvre , c’est l’espace rhétorique
des mots : cette liberté du signe de venir se poser , selon
l’analyse de la représentation , sur un élément interne , sur
un point de son voisinage , sur une figure analogue. Et si
les langues ont la diversité que nous constatons , si à
partir de désignations primitives , qui ont sans doute été
commises à cause de l’universalité de la nature humaine
, elles n’ont cessé de se déployer selon des formes
différentes si elles ont eu chacune leur histoire , leurs
modes , leurs habitudes , leurs oublis , c’est parce que les
mots ont leur lieu , non dans le temps mais dans un
espace où ils peuvent trouver leur site originaire , se
déplacer , se retourner sur eux- mêmes, et déployer
lentement toute une courbe : un espace topologique. »168.

L’homme traditionnel africain reçoit de la nature de


quoi faire des signes et ces signes lui permettent non
seulement de se servir mais aussi de communiquer avec
les autres hommes, avec le monde. Les signes sont pour
lui instauration profonde de l’ordre dans l’espace ainsi
qu’un pouvoir de nomination. « Que l’accès au sens et à
la pensée ,nous dit Schneider, au mot propre (au sens
d’approprier ), à ce qu’on veut vraiment dire , se fasse par
le biais d’idées impropres (au sens d’étrangères ), c’est
le constant enseignement de L’humanisme. Penser, c’est
peser. Le pour et le contre, le vrai et le faux , un grain et
un autre . Ce qui est et ce qui n’est pas. Mais c’est peser
d’abord le propre et l’étranger. Les idées du dehors ne
sont-elles pas les premières venues s’inscrire dans
l’appareil psychique, celles qu’une pesée va permettre

168
FOUCAULT (M.), op. cit., p.130.
174

d’approprier ou de reconnaître comme étrangères »169 ?


Il ne faut donc pas nier ici les aspects positifs de la
tradition orale africaine ainsi que la valeur des signes et
des formules incantatoires. Le travail intellectuel de nos
Anciens doit se mesurer aux références aux systèmes
symboliques. Pourquoi faut-il donc que l’Afrique mette
trop souvent sa main dans celle d’un grand livre pour
qu’il l’ « amène dans l’écriture , comme un enfant
toujours à la recherche de la main qui le guide , même
quand il sait où il est et où il va , simplement pour
toucher une main , une autre, adulte peut-être , plus grande
sûrement , qui le conduira , simplement parce que cette
main - là lui dit qui il est ? » 170.

Appliqué à l’Afrique, la grand- main, la main de


l’écriture européenne dit ce qu’est ce continent : c’est un
mineur incapable de conduire son propre destin.
L’Afrique, c’est cette terre des sauvages, sans écriture,
sans civilisation, dont les langues sont proches des
onomatopées du gibbon. À travers l’histoire de l’écriture
se lit ainsi une exclusion ; l’exclusion des africains du
champ de la réflexion et de la construction théorique.
Partant de ce fait, ils sont ipso facto exclus du pouvoir, du
pouvoir de la parole. C’est le Retour à l’enfance, quel
retour ! Ils n’ont jamais été adultes, ils ont toujours été
dans l’enfance et ils doivent y demeurer, et, eux –mêmes
se plaisent dans cet état ; enfance de l’humanité, enfance
de l’homme blanc ; parler une langue africaine, c’est
stagner dans la non –civilisation, c’est demeurer ce petit
enfant innocent. Ce mélodrame continue encore
aujourd’hui.

169
SCHNEIDER (M.).-Voleurs de mots (Paris, Gallimard, 1985 ), p.
104.
170
SCHNEIDER (M.), op. cit., p.270.
175

Mais ce petit enfant innocent, qui ne possède pas de


langage articulé était quand même heureux lorsqu’il
arrivait à communiquer avec ses semblables, à nommer les
choses et à les distinguer. « Dans tous les cas on se
propose de faire cesser le « silence » de l’espace en
nous faisant assister à la genèse de la dislocation dans
une ontologique. Toute existence implique dès lors une ex
- stase séparatrice d’où elle est issue et un désir d’ex-
stase libératrice conçue comme un retour vers l’originaire
et comme une guérison de la séparation . Ce jeu de la
conjonction et de la disjonction tente de suivre les
rapports génétiques et dynamiques de l’être du non –
être et du non –être de l’être »171.

Si par des signes et des symboles, si par leur langage,


les africains nomment les choses, le problème n’est donc
pas de savoir si le nom qu’ils donnent est né d’une
onomatopée ou si c’est un langage ou une pensée
primitive , mais d’en saisir l’essence . Platon ne disait –il
pas dans Le cratyle que nommer est un acte ?172 .Pour lui,
le nom ne provoque t-il pas la convergence des regards et
des gestes qui désigne une individualité détachée sur un
espace du monde ? Comme le dit Jean Brun, « Rappel
d’une expérience antérieure le nom permet d’évoquer ce
qu’il désigne en l’absence de ce à quoi il s’applique.
Donner un nom à quelqu’un ce n’est pas se donner
seulement la possibilité de le désigner, mais c’est aussi
vouloir se donner la puissance de le faire venir.
L’appellation se veut également appel. D’où toutes les
pensées magiques selon lesquelles connaître le nom
d’une chose ou d’un être c’est avoir déjà un pouvoir sur
cette chose ou cet être ; que ces spéculations ne soient que
superstitions au regard de la pensée scientifique

171
BRUN (J. ).- La conquête de l’homme et la séparation ontologique
( Paris, PUF, 1961 ), p.72.
172
PLATON , Cratyle , 387 c
176

n’empêche pas que , dans leur essence comme dans leur


échec, elles sont significatives de l’essence du langage
d’une part et de l’expérience de la séparation d’autre part .
Il ne suffit pas d’appeler quelqu’un pour qu’il vienne , que
ce quelqu’un ait entendu ou non l’appel qui lui était lancé
, mais la volonté d’appel n’en demeure pas moins ,
l’erreur n’est pas de croire au langage mais de croire
qu’il abolit toute séparation .

L’appellation est donc plus qu’une appellation ,


davantage qu’une possibilité d’évocation d’ordre
psychologique , elle est une intentionnalité d’invocation
qui cherche à abolir la séparation spatio-temporelle »173.
Mais l’appellation est abolition de la séparation spatio -
temporelle, elle est surtout désir de domination et de
puissance. L’Europe a nommé l’Afrique dans sa propre
langue, pour faire main basse sur sa culture, sur son
économie et sur son peuple . On nomme pour soumettre,
pour coloniser, pour asservir. Nommer une chose, c’est
déjà faire partir de sa création, c’est la faire advenir au
jour en lui donnant une identité. Mais c’est aussi la
reconnaître.

En ce qui concerne l’Afrique, l’Europe en la nommant


ne la reconnaît pas comme un autre –là, une différence
mais une différance. L’Afrique semble dépendre du
système de différences , elle ne se constitue qu’en se
dissolvant , en s’espaçant , en se différenciant .Si comme
le dit Jacques Derrida , la subjectivité aussi bien que
l’objectivité est un effet de différences , un effet inscrit
dans un système de différances , la réalité est aussi que
l’écriture pour l’occidental comme pour le lettré africain
est une marque de la différence entre le non-civilisé et le
civilisé . L’identité africaine est une identité trouée ,
fissurée et sans étiquette , repliée sur elle-même . Mais,
173
BRUN (J. )., op. cit., p.246.
177

comme le dit Dibi Kouadio Augustin , « Chaque peuple


n’est-il pas (...) en sa différence , un mode de la
manifestation de l’universel , cherchant à se donner un
visage, une expression , parmi plusieurs autres de la
nature humaine toujours éprouvée dans l’effectivité
historique ? (...) si nous essayons de faire attention au
monde comme il va , ne voyons –nous pas que
commencent à se fissurer , à vaciller en elles-mêmes , dans
tous les domaines , les différences que les hommes
avaient solidement établies ? Il y a un besoin de dialogue,
d’échange, d’ouverture sur autre chose que l’immédiateté
de notre culture particulière, de notre horizon habituel, de
nos vues »174.

Mais il ne faut pas se leurrer, il paraît qu’une culture est


supérieure à une autre. Dès cet instant, tout doit appartenir
à l’Europe et à défaut, l’Europe doit nommer ce qui
semble appartenir aux africains. C’est ainsi que les noms,
mêmes modernes de nos villes, portent encore les
stigmates de la domination : Brazzaville, Pretoria,
Johannesburg, Treichville, Bingerville, etc. Par ces
nominations, le langage semble donner au passé
l’assurance possibilité de se prolonger dans l’avenir, dans
l’ad-venir de l’Afrique, pour que le souvenir soit toujours
tenace, fréquent, inoubliable. En ce sens, la nomination est
ce par quoi le temps passe en nous qui, passons dans le
temps en laissant de solides traces. Ici pourrait-on dire, a
vécu Binger le colonisateur de la Côte d’Ivoire. Par la
nomination , le temps vient en nous aussi bien à la façon
d’un héritage douloureux ou d’une tradition considérée
comme supérieure , mais aussi comme le témoin d’une
mémoire qui saigne et d’un oubli jamais oublié . On
nomme parce qu’on a quelque chose à dire, du moins on
veut que les gens aient à dire quelque chose de nous. On
veut laisser des traces, on veut survivre au temps : c’est
174
DIBI (A.K), op. cit., p.80 et p.78.
178

sous Binger que la Côte d’Ivoire est devenue colonie


française. « On ne peut aller jusqu’à dire que la chose
porte son nom comme une housse. D’un autre côté, nul ne
peut mettre en doute que le nom est coordonné à la chose
comme à un objet.

Dans une telle représentation, nous faisons également


du nom un objet. La coordination, à son tour, a le
caractère d’un objet qu’on peut se représenter, qu’on peut
traiter et désigner selon les diverses modalités. La
relation entre la chose nommée et son nom se présente
constamment comme une coordination. Se pose
seulement la question de savoir si dans cette
coordination , correctement représentée , de la chose et du
nom, nous prêtons jamais attention à ce qui fait le
caractère propre du nom , et, d’une façon générale, si
nous sommes capables d’y prêter attention »175. Nommer,
c’est transcender la pensée et le temps. C’est aussi et
surtout immortaliser, c’est un mouvement de plongée dans
l’intériorité de chaque conscience. La nomination est
donnée « comme la voix d’une Transcendance, ou plutôt
comme une Transcendance qui est voix, comme un verbe
qui est l’être qui en disant se dit. « Au commencement
était le Verbe », et ce Verbe possède la puissance
absolue puisqu’il est le fiat par excellence et que le mot
a la possibilité de faire surgir du Néant ce qu’il appelle
»176 .

En nommant donc les choses et les africains, les


européens en arrivent à leur déformation. Les mots sont
changés, modifiés ou déformés ; L’écriture d’un mot ou
d’un nom se fait selon la conception ou selon
l’entendement du colonisateur, du « commandant » qui a

175
HEIDEGGER (M.).-Qu’appelle- t-on penser ? Trad. A.BECKER
& G.GRANEL, (Paris,Gallimard , 1959), p.135.
176
BRUN (J. )., op. cit., p.252.
179

et lui seul a, voix au chapitre. « On le sait , c’est bien sous


la transcendance de la domination , écrit Benoit Kouamé ,
que s’est établie une écriture positiviste pour la
dénomination « AFRIQUE » donnée ; tout comme pour
une prétendue question juive , s’est élaborée une écriture
nazie spécifique . Hélène Védrine a raison de souligner
« qu’avec l’écriture s’introduit la transcendance du
signifiant, mais c'est la transcendance du maître qui la
monopolise à son profit ». L’Afrique est entrée dans les
livres , elle a pris la forme des livres , mais le livre
n’apporte rien à l’Afrique , au contraire , il lui arrache tout
, il importe tout , il transporte tout. L’Afrique a pris la
forme des livres ? Mais son histoire, fort curieusement, ne
se trouve nulle part réellement écrite dans presque aucun
livre. Le coup est facile à comprendre : c’est qu’en tant
que cultures dominées, les réalités africaines sont des
réalités vaincues ; or il est plutôt rare que les vainqueurs
écrivent l’histoire des vaincus. Si au principe de toute
victoire il y a conservation de traces, le propre de celui de
l’échec et de la défaite est de ne pas laisser de trace.
L’écriture est à la fois une politique et une liturgie ; tant et
si bien que le sort qui est le sien se décide (et presque
toujours) sur la ritualisation d’un culte : celui des rapports
de force. Il n’y a pas d’écriture innocente ; et chacune de
ses formes cristallise et reproduit une signifiance qui se
veut toujours victorieuse. On le sait, la valeur d’échange
d’une écriture est indexée sur la puissance de l’autorité
qui en édicte l’axiologie de base implicite : les écritures
internationalement dominantes sont celles des cultures
régnantes et dominantes »177 .

Il est banal de constater que les noms de nos villes, nos


noms propres sont modifiés et sont pris en un grand
nombre d’acceptions différentes. C’est le schéma de la
domination de l’homme par l’homme, au moyen de
177
KOUAME (B .), op. cit., pp.10-11.
180

l’écriture et de la dénomination. « « terme « Afrique » est


une dénomination mythologique. Le destin mythique de
l’ « Afrique » commence par la magie d’une terminologie
qui exerce un pouvoir despotique et totalitaire sur une
multidiversité de genres culturels. Cette ruse mythique
ouvre l’antre terroriste du livre. Et voici que désormais
toutes ces pluridiversités de cultures entrent dans le
livre, prennent la forme du livre ; figure unificatrice d’une
écriture de la domination , née sous l’impulsion d’un
positivisme totalitaire . Les Afriques à réécrire ...
l’écriture dérive ici d’un choix et de la délimitation de
ce choix. Et en tant qu’écriture de délimitation , elle
présente nécessairement un caractère de clôture , mythe
qui entoure les Afriques par la complicité d’un idéo-
gramme et qui redouble le caractère totalitaire d’une
désignation déjà écrite »178.

Dans la sphère politique, cette prise en charge de la


pensée par l’autre, prend le visage hideux du
totalitarisme, en dérobant l’autre de l’usage de lui- même
en faisant de lui une instance tutélaire. La culture blanche
a fini par imposer au Noir une déviation existentielle. Le
Noir ne sait plus qui il est et à quel saint se vouer. Il ne se
comprend plus, il pense que les autres ne le comprennent
plus, il ne comprend plus les autres, et il ne sait même pas
qu’il ne se comprend plus et ne les comprend plus. Mais ,
« Étant donné que parler, c’est exister absolument pour
l’autre »179, le Noir parle pour se faire comprendre , il
parle pour exister et faire exister , pour faire changer sa
condition de damné de la terre ; il n’ignore pas que
« Parler, c’est être à même d’employer une certaine
syntaxe, posséder la morphologie de telle ou telle langue

178
KOUAME (B.), op. cit., .p. 10.
179
FANON (F.).- Peau noire, masques blancs , (Paris, Seuil, 1962),
p.15.
181

, mais c’est surtout assumer une culture , supporter le


poids d’une civilisation »180.

Cette inclusion culturelle , par la prise de la parole ,


signifie que le rapport du Noir à sa civilisation n’est pas
celui de deux réalités extérieures et indépendantes ,
puisque d’une part, le Noir se conçoit en se parlant à soi-
même , phénomène renvoyant à la conscience européenne
qui admet quand même que l’autre parle , même si pour
elle, l’autre parle pour ne rien dire ; d’autre part, la
conscience noire elle-même est conscience de ce
phénomène, elle est conscience de sa langue, donc de sa
culture.

Percevoir sa culture, c’est précisément la viser en tant


qu’existant réel, manifestation de soi et de son peuple.
Ainsi le sens du monde est déchiffré comme sens qu’il
donne au monde , à son propre monde , mais ce sens est
vécu comme objectif, il le découvre , sans quoi il ne
serait pas le sens qu’a le monde pour lui . Mais, la
différence fait problème car malgré ses signes et ses
symboles, la parole du Noir est sans saveur pour l’Europe.
Homme primitif, sans écriture, la différence du Noir
devient une négation, sa différence devient une
différenciation qui ne s’affirme pas en intensité, en qualité
et en réconciliation, mais en opposition différenciée. La
différence du Noir est pour l’européen un négatif, une
différence renversée. Selon l’expression de Gilles
Deleuze, « Toujours la bougie dans l’œil du bœuf »181, le
Noir devient l’insensible, le purgatoire, ce qui ne peut être
regardé que par dégoût ou par compassion, il est la limite
propre de la sensibilité, recouvert d’une civilisation qui
l’aliène ou qui la contrarie, il est suspendu à un espace

180
FANON (F.), Ibidem.
181
DELEUZE (G.).- Différence et répétition, (Paris, Puf, 1968),
p.303.
182

hostile qui le renverse et qui l’annule . « Il faut la


puissance d’une Cascade ou d’une chute profonde pour
aller jusque –là, pour faire de la dégradation même une
affirmation. Tout est vol de l’aigle, tout est surplomb,
suspens et descente. Tout va de haut en bas, et, par ce
mouvement affirme le plus bas – synthèse asymétrique.
Haut et bas ne sont d’ailleurs que des manières de dire.
Il s’agit de la profondeur, et du bas –fond qui lui
appartient essentiellement. Pas de profondeur qui ne soit
« fouilleuse » d’un bas-fond : c’est là que la distance
s’élabore, mais la distance comme affirmation de ce
qu’elle distancie, la différence comme sublimation du
bas »182.

Aujourd’hui, l’ère est venue de reconnaître la


domination dans le penser lui-même comme nature non
réconciliée. Il ne faut plus considérer l’écriture comme le
sommet de la civilisation en restant trop attaché à
l’héritage de la colonisation. La relation entre l’écriture et
savoir, entre savoir et puissance de civilisation reste ainsi
purement quantitative, mécanique et superfétatoire.
Admettre qu’il n’y a pas de savoir constitué sans écriture,
c’est imposer aux autres peuples qui semblent ne pas
avoir cette manne, une idéologie de la domination,
devenue totalitaire, absorbant la différence en la nivelant
par le bas, en la renversant même, en massacrant la liberté
en même temps que la culture. En soumettant à la tutelle
européenne le savoir, Tout le savoir, c’est permettre à la
totalité non comprise de se retourner contre les choses,
contre l’être et la conscience européenne. « Mais, comme
le dit Horkheimer & Adorno, cette nécessité logique n’a
rien de définitif. Elle reste liée à la domination dont elle
est à la fois le reflet et l’instrument .On peut donc mettre
en doute sa vérité, tout comme l’on peut récuser son
caractère d’évidence. La pensée, il est vrai a toujours su
182
DELEUZE (G.), op. cit., p.302.
183

s’y prendre pour déterminer sa propre ambiguïté. Elle est


la servante que le maître ne peut pas réprimer comme bon
lui semble. Lorsque les hommes devinrent sédentaires et,
plus tard, lorsqu’elle se réifia en loi et en organisation
dans l’économie marchande, la domination dut s’imposer
des limites. L’instrument de domination prend de
l’indépendance : l’intellect, instance médiatrice modère la
brutalité de l’injustice sans que la volonté intervienne. Les
instruments de la domination – langage, armes et
machines – qui doivent appréhender tout le monde,
doivent se laisser appréhender par tous »183 .

Sans doute, Schneider a-t-il raison de penser que les


livres sont aussi de prodigieuses machines de domination,
le décalage de toute la violence de son dire, de toute
l’épaisseur d’une identité déchirée ou cousue ; écrire, c’est
la voie royale de l’inconscient psychanalytique, c’est la
névrose des temps modernes c’est un acte manqué de la
lecture. On écrit pour faire taire ou pour faire révolter une
masse, un peuple. L’écriture est une révolte cachée, une
soumission voulue, une domination en silence. Révolte de
l’écrivain, révolte du lecteur, acquiescement de l’éditeur,
emprise sur la société. Ecrire, c’est donc influencer.
Reprenons alors la question sartrienne : qui écrit ? Le
désolé, le mélancolique, le révolté, mais aussi le dominé et
le dominateur. Celui qui écrit a une identité à la fois plus
faible et plus forte que celle des autres. Qui écrit ? Blancs
ou Noirs, nous tissons toujours et encore la même toile
d’araignée autour de nos cultures. Nous sommes tous en
mal d’écriture, nous sommes des humeurs mélancoliques,
des pervertis de l’écriture. Notre écriture n’est
qu’interprétation dépréciative et interminable de soi par
soi. L’écriture du dedans fait place à l’écriture du-

183
HORKHEIMER (M.) & ADORNO (T.W.).-La dialectique de la
raison, traduit de l’allemand par Eliane Kaufholz (Paris, Gallimard,
1974 ), pp.52-53.
184

dehors. « Des questions : possède –t- on son langage,


agencement singulier d’une pensée dans une langue ?
Que veut dire posséder, dans ce contexte fait de mots , de
représentations , d’idées , d’images , et non de choses ?
Dans un mot, un énoncé, qu’est- ce qui est à soi et à
autrui ? Le dire ne serait-il pas toujours indirect ? De
l’apprentissage de la parole , jusqu’à l’appropriation des
œuvres de la culture , n’y a t-il pas un déplacement
constant de la frontière entre nos mots et ceux d’autrui ,
un mouvement heurté d’illusion (élargissant mon
territoire de mots ) et de désillusion ( tout le langage , à
tout moment , est fait des mots de l’autre ) ? »184.

D’où provenons-nous ? Certainement d’un usage


incertain des mots où les rencontres, les lieux les plus
communs, deviennent des signes si bien qu’au fond du
langage comme de l’écriture, c’est l’espace rhétorique des
mots qu’on découvre. « Le langage d’action, c’est le corps
qui le parle ; et pourtant, il n’est pas donné d’entrée de
jeu. Ce que la nature permet , c’est seulement , c’est
seulement que, dans les diverses situations où il se trouve
, l’homme fasse des gestes ; son visage est agité de
mouvements , il pousse des cris inarticulés , c’est –à - dire
qui ne sont « frappés ni avec la langue ni avec les lèvres
».Tout ceci n’est encore ni langage ni même signe, mais
effet et suite de notre animalité . Cette manifeste
agitation a cependant pour elle d’être universelle ,
puisqu’elle ne dépend que de la conformation de nos
organes . D’où la possibilité pour l’homme d’en
remarquer l’identité chez lui- même et ses compagnons.
Il peut donc associer au cri qu’il entend chez l’autre , à la
grimace qu’il perçoit sur son visage , les mêmes
représentations qui ont, plusieurs fois , doublé ses propres
cris et ses mouvements à lui . Il peut recevoir cette
mimique comme la marque et le substitut de la pensée
184
SCHNEIDER (M.), op. cit., p.316.
185

de l’autre. Comme un signe. La compréhension


commence. Il peut en retour utiliser cette mimique
devenue signe pour susciter chez ses partenaires , l’idée
qu’il éprouve lui-même , les sensations , les besoins , les
peines qui sont associés d’ordinaire à de tels gestes et à
de tels sons : cri jeté à dessein en face d’autrui et en
direction d’un objet, pure interjection . Avec cet usage
concerté du signe (expression déjà), quelque chose
comme un langage est en train de naître »185.

Et pourtant, on a toujours nié ce langage à l’Afrique et


aux africains, on a considéré ce langage comme un
langage primitif. Il paraît qu’une civilisation qui possède
l’écriture est supérieure aux autres. Mais il n’y a pas
d’écriture innée. L’écriture est donnée, reçue, mais à
travers un apprentissage. L’écriture n’est jamais neutre,
elle est un ensemble de mots, de mots investis de désir,
de haine , d’amour , d’interdit et de révolte . Ainsi donc
l’histoire d’une civilisation, c’est l’histoire de son écriture.
Au carrefour des civilisations, disons des civilisations
d’écriture, l’Afrique est absente . Sa rencontre avec
l’Occident est tissée de mensonge et de ressentiment. « La
chose qui était vraie en elle, c’était cette fausseté de tous
les rapports qu’elle entretenait avec les autres et avec
elle-même . Ces émotions apprises, ces larmes de
circonstances , cette conviction démontrée –tout ce qui
vous faisait rire –ce n’est pas ça, ce n’est pas vrai, ce n’est
pas elle- c’était avec cela qu’elle parlait . Cette adaptation
excessive à la réalité des situations sociales comme à la
convention des sentiments , ces visages trop vrais pour
n’être pas des masques où elle se trouvait et se perdait ,
c’était avec cela qu’elle continuerait sa vie , sauf à se
briser comme une branche qui ne tient que par son
écorce , en apparence intacte , mais dépourvue de sève .
La mort avait en elle fait son travail depuis longtemps,
185
FOUCAULT (M.), op. cit., p120.
186

vidant l’extérieur de sa substance, empêchant l’échange


entre le dehors et le dedans. C’est avec cela qu’elle
mourrait, peut-être. Pourtant , c’est cela aussi qui (...)
touchait en elle, cette incapacité à être véritablement
touchée , lentement traversée par les mots (...)Elle
répondait trop vite, comme un enfant qui craint d’être pris
en faute ou en défaut , qui a peur de ne pas savoir la bonne
réponse , celle qu’on attend de lui et non celle qui monte
de soi . Elle comprenait tout très vite, trop vite, devançant
la question par une réponse qui en fait la faisait taire»186.
Un écart se creuse entre elle et celui qui veut la faire taire,
une ombre, un soupçon, une mélancolie. Ces choses qu’on
voit sans les voir vraiment, qu’on fait sans y penser,
apparaissent soudain détachées, énigmatiques ; est perdu
alors le rapport de confiance entre l’Afrique et l’Occident
avec ce qui va sans dire de mélancolie, d’hypocrisie et de
révolte . Désormais, il faudra écrire pour aplanir les
difficultés, pour recouvrer les proximités, pour montrer à
l’Occident que l’Afrique existe, qu’elle a une culture. Il
faut écrire Noir sur Blanc, Noir pour le Blanc. Une
nouvelle philosophie est née : c’est le Culte de la
Différence.

186
SCHNEIDER (M.), op.cit., p.236.
187

Deuxième partie : De la
proclamation d’une philosophie
‘’ethnique ‘’ contestée au culte de la
différence culturelle.
188

« La reconnaissance, au départ , de la diversité des


cultures humaines , constitue une trivialité dont
l’évidence masque la difficulté conceptuelle d’en saisir la
nature et la portée . Car où sont les frontières dans
l’espace et le temps d’une culture particulière ? Sur quels
fondements définit-on sa singularité » ?

AMIN (S.).-L’eurocentrisme, (Paris, Anthropos, 1988),


p.16.
189

Chapitre I : Les philosophies bantoues : de


l’affirmation d’une authenticité à l’idée d’une
philosophie spécifiquement africaine.

« Quand l’eau remue, la vase remonte » .


SARTRE (J-P).-Le diable et le bon Dieu (Paris, Gallimard, 1951,
coll. Théâtre National Populaire), p.19.

« Alors ? Est-ce que nous sommes vraiment perdus » ?


SARTRE (J-P).-Le diable et le bon Dieu (Paris, Gallimard, 1951,
coll. Théâtre National Populaire), p.13.

Dans un article intitulé ‘’ L’histoire revisitée ‘’,


Félix Torres écrit : « Dans la langue française, on sait que
le mot « histoire » désigne indifféremment ce qui est
arrivé. Relation aussi ancienne que l’apparition de la
conscience historique, mais qui n’a jamais été aisée. Aux
philosophies d’une histoire frayant sa voie, s’oppose
depuis près de deux siècles l’autonomie pointilleuse de la
discipline historique. Relation tranchée :l’histoire fabrique
le passé dans sa marche en avant , un passé de plus en plus
dévolu aux seuls historiens , spécialistes chargés de le
récapituler sinon de le garder en mémoire . Réalité à
l’œuvre, réalité désormais perdue : la distinction tranche
la frontière étanche du passé et du présent. Celle peut-être
d’une époque moderne, définie par son opposition
délibérée au passé.
190

Sommes-nous en train de vivre depuis quelques


années une remise en cause d’un tel rapport,
définitivement acquis semblait-il ? ».187 En ce sens, la
notion de génération pourrait bien être un nouvel outil
conceptuel, en permettant de joindre au cœur de
l’intellectuel contemporain africain, une dimension
individuelle et des éléments collectifs. Nombres de
phénomènes de changement ou de décalage
s’expliqueraient ainsi par l’existence de véritables
différends de la pensée. Ce serait notamment le cas de
l’engagement politique de nombreux intellectuels
africains, pendant et après la colonisation européenne.
Les ‘’fractures’’ au sein de la pensée collective procèdent
de la recherche systématique d’une ultime détermination
socio-économique, du nécessaire moteur de
l’infrastructure. Aujourd’hui, on commence à prendre
conscience de l’importance des clivages culturels,
politiques et sociaux.

L’histoire de l’Afrique est l’histoire de la révolution


des mentalités et selon le mot de Ariès, elle « nous brûle
les doigts ». elle « remet en question l’évidence acquise
du présent , certitude d’un point d’arrivée stable , celle au
fond de la coupure passé- présent digue étanche
garantissant l’intégrité respective des termes . Ligne de
démarcation qui est de fait la définition même de la
modernité, s’acharnant à rompre les amarres d’un passé
auquel elle tourne le dos. Elle s’obstine ainsi à édifier le
futur, sur l’axe linéaire du progrès, conscience radicale
qui se veut « dégagée de toute référence historique et ne
conservant de son rapport à la tradition qu’une opposition
abstraite à l’histoire dans son ensemble ». (Jürgen
Habermas) Dans cette conception , le passé qu’elle ne

187
TORRES (F.).- ‘’L’histoire revisitée in encyclopaedia universalis ,
symposium (Paris, Encyclopaedia Universalis, 1985), p.538.
191

cesse de laisser en arrière est un objet défunt , de peu


d’utilité pour le présent , et qui, au fur et à mesure de son
éloignement , désormais être abandonné...à la pure
curiosité historique »188. Mais le désir d’histoire est avant
tout exigence de lucidité. Qui veut rompre avec le culte de
l’ancien ou de celui du renouveau doit savoir réfléchir et
doit pouvoir faire attention. Le passé peut susciter le
progrès, mais il peut aussi le ralentir. Quant au présent,
en voulant tourner le dos à l’ancien, il s’oublie et se
perd. « Comment avec la reprise du passé, l’après
pourrait-il se trouver en arrière et non dans le
prolongement du déjà existant ? Comme le dit A. Renaut :
« N’ y a – t-il pas en effet , du point de vue de la
conscience historique contemporaine , quelque paradoxe
à vouloir réactiver une position philosophique antérieure
aux deux figures , hégélienne et heideggerienne , qui
semblent constituer aujourd’hui l’horizon indépassable
de toute réflexion sur la fin de la philosophie ? (...).
Reposant implicitement sur la conviction que l’histoire
de la philosophie suit une évolution linéaire (interprétée
comme progrès de l’esprit ou déclin de la pensée )(...), le
paradoxe souligné (...) ne fait véritablement problème que
pour une conscience historique qui reste plongée dans
l’historicisme : il n’y a paradoxe, en effet, que du point de
vue des deux premières pensées (...) de l’histoire de la
philosophie et de sa « fin », pensées pour lesquelles il va
de soi (et, répétons –le , c’est là la marque la plus claire
de l’historicisme ) que l’antérieur historique s’inscrit
nécessairement dans la dimension du pré- »189. Faut-il
donc Philosopher après la fin de la philosophie ? Quelle
serait donc cette fin ?

À la vérité, la philosophie est une activité re-


commençante, mais indissociable de l’histoire et de son

188
TORRES (F.), op.cit., p.540.
189
RENAUT (A.), cité par TORRES (F.), op.cit., pp.541-542.
192

histoire. L’histoire de la philosophie est solidaire d’un


cadre de référence normatif ; et ce système de référence
ne constitue nullement la délimitation d’un domaine
scientifique par rapport à l’expérience quotidienne. Écrire
l’histoire de la philosophie peut certes être considéré
comme une forme supérieure et méthodique d’un banal
récit, mais ce lien renforce la réflexivité du monde , du
monde déjà vécu. L’histoire de la philosophie constitue
un savoir lié à l’action. Cela prouve que « Toute histoire
est en principe ouverte et présuppose que son objet peut
être interprété sous un joug nouveau grâce à des
événements ultérieurs ( et grâce à des perspectives de
récits différents ). En ce qui concerne l’évolution d’un
domaine général de compétence théorique dont on peut
embrasser toutes les possibilités de réalisation , il n’y a ,
en revanche, qu’une seule théorie juste – et le
remplacement d’une théorie valable dans un premier
temps par une théorie plus performante ne dépend
nullement de la suite des événements ou de la
modification de l’angle sous lequel on les reconstruit .
Une histoire est essentiellement un contexte d’interactions
au sein duquel, de par leurs actions, des acteurs
produisent quelque chose »190.

Qu’en est-il de l’histoire de l’Afrique ? Qu’est-ce que


les africains ont produit de philosophique ? Pour répondre
à ces questions, il ne faut pas que notre raison se laisse
emporter par son élan, et que sa démarche ne nous mène
pas à ce qui est l’envers de toute philosophie. La
problématique est déjà apparente dans la façon dont on
invoque l’histoire de l’Afrique et de la philosophie
africaine, une philosophie dont on a du mal à découvrir si
c’est une philosophie que font les africains sans le savoir ;

190
HABERMAS (J.).- Après Marx, Traduit de l’allemand par Jean –
René Ladmiral et Marc B. de Launay, (Paris, Fayard, 1985), pp.192-
193.
193

ou la philosophie des africains telle que les africains la


font , en le sachant ; ou encore l’interprétation , par le
philosophe européen ou de la philosophie des africains ,
ou de la philosophie des philosophes . Mais la difficulté
devient plus grande encore quand des africains expliquent
cette philosophie africaine en l’identifiant à des ethnies, à
des tribus, à des mythes, à des manières collectives de
pensée et de parler. « Il suffit donc que l’histoire s’éloigne
de nous dans la durée, ou que nous nous éloignons d’elle
par la pensée, pour qu’elle cesse d’être intériorisable et
perde son intelligibilité, illusion qui s’attache à une
intériorité provisoire. Mais qu’on ne nous fasse pas dire
que l’homme peut ou doit se dégager de cette intériorité.
il n’est pas en son pouvoir de le faire , et la sagesse
consiste pour lui à se regarder la vivre , tout en sachant (
mais dans un autre registre ) que ce qu’il vit si
complètement et intensément est un mythe , qui
apparaîtra tel aux hommes d’un siècle prochain , qui lui
apparaîtra tel à lui-même , peut-être , d’ici quelques
années , et qui, aux hommes d’un prochain millénaire ,
n’apparaîtra plus du tout . Tout sens est justifiable d’un
moindre sens, qui lui donne son plus haut sens »191.

La philosophie est donc productrice de sens .On


comprend pourquoi Nietzsche intégrait à la philosophie
l’aphorisme et le poème, deux formes de pensée qui
impliquent une nouvelle conception de la philosophie,
une nouvelle image du penseur et de la pensée. Nietzsche
voulait, à l’idéal de la connaissance et à la découverte du
vrai, substituer l’interprétation et l’évaluation. Son objectif
était de fixer ‘’le sens’’ d’un phénomène et de déterminer
la valeur hiérarchique des sens sans en supprimer ni
atténuer leur pluralité. Le philosophe de l’avenir devient
donc artiste et médecin, en un mot législateur. Il devient

191
LEVI – STRAUSS (C.).- La pensée sauvage,(Paris, Plon, 1962),
p.304.
194

l’explorateur de l’unité de la pensée et de la vie. Car les


modes de pensée créent des façons de vivre et les modes
de vie inspirent des façons de penser.

« Nous devons penser la philosophie comme une


force. Or la loi des forces est qu’elles ne peuvent
apparaître, sans se couvrir du masque des forces
préexistantes. La vie doit d’abord mimer la matière. Il a
bien fallu que le philosophe que la force philosophique,
au moment où elle naissait en Grèce, se déguisât pour
survivre. Il a fallu que le philosophe empruntât l’allure
des forces précédentes, qu’il prît le masque du prêtre. Le
jeune philosophe grec a quelque chose du vieux prêtre
oriental. On s’y trompe encore aujourd’hui : Zoroastre et
Héraclite, les Indous et les Eléates, les Egyptiens et
Empédocle, Pythagore et les Chinois – toutes les
conclusions possibles. On parle de la vertu du philosophe
idéal, de son ascétisme, de son amour de la sagesse. On
ne sait pas deviner la solitude et la sensualité
particulières, les fins fort peu sages d’une existence
dangereuse qui se cachent sous ce masque. Le secret de
la philosophie, parce qu’il est perdu dès l’origine, reste à
découvrir dans l’avenir »192 . Mais quel est ce secret qu’il
faut découvrir ?

Pour Nietzsche, c’est le sens du monde, un sens du


monde qui consiste précisément dans un rapport de forces,
d’après lequel certaines forces agissent et d’autres
réagissent dans un ensemble complexe et hiérarchisé .
Dès lors, la philosophie ne serait qu’un discours de
fantasmes , le discours d’un désir sans fin déplacé et
idéalisé , sans fin réinvestit par des détours inédits . La
philosophie ne serait que le discours d’un « inconscient »
qui ne peut se lire, par une interprétation après- coup que
par les effets des instances qui le structurent. « Il était
192
DELEUZE (G.).-Nietzsche , (Paris, PUF, 1977), p.18.
195

donc fatal que la philosophie ne se développât dans


l’histoire qu’en dégénérant, et en se retournant contre soi,
en se laissant prendre à son masque. Au lieu de l’unité
d’une vie active et d’une pensée affirmative , on voit la
pensée se donner pour tâche de juger la vie , de lui
opposer des valeurs prétendues supérieures , de la
mesurer à ses valeurs et de la limiter , la condamner . En
même temps que la pensée devient ainsi négative, on voit
la vie se déprécier, cesser d’être active, se réduire à ses
formes les plus faibles, à des formes maladives seules
compatibles avec les valeurs dites supérieures. Triomphe
de la « réaction » sur la vie active, et de la négation sur la
pensée affirmative. Pour la philosophie, les conséquences
sont lourdes. Car les deux vertus du philosophe législateur
étaient la critique de toutes les valeurs établies , c’est- à –
dire des valeurs supérieures à la vie et du principe dont
elles dépendent , et la création de nouvelles valeurs ,
valeurs de la vie qui réclament un autre principe . Marteau
et transmutation. Mais en même temps que la philosophie
dégénère, le philosophe législateur cède la place au
philosophe soumis. Au lieu du critique des valeurs
établies , au lieu du créateur de nouvelles valeurs et de
nouvelles évaluations , surgit le conservateur des valeurs
admises »193.Tel semble être l’itinéraire emprunté par
certains penseurs africains, dans leur désir de proclamer
de vives voix , l’existence d’une philosophie africaine .
Mais la solution de la problématique de l’existence d’une
philosophie africaine ne se trouve pas dans la
proclamation d’un culte de la différence, mais dans son
exercice sans cesse renouvelé. «Car il ne servirait à rien
d’empoigner un marteau, si c’était pour taper à côté du
clou »194.

193
DELEUZE (G.), op. cit., p.21.
194
LEVI -STRAUSS (C.) , op. cit., p.295.
196

Pour notre part, il s’agira d’évaluer la multiplicité des


scansions des philosophies africaines non comme
philosophées mais comme philosophables. « non comme
le lieu du manque , fleuron en germination qui, dans ses
exubérances , dictions et scriptions se veut ,le champ où
tous les possibles s’essayent tour à tour, se provoquent ,
s’annulent et recommencent . Traiter de la philosophie
négro-africaine convoque la détermination partielle et
provisoire d’un ensemble de constellations dont le statut
exact ne se clarifie (et s’opacifie !) que par une
différenciation dialectique d’avec son autre : les états
autoritaires , les sectes mystiques , les fondamentalismes
laïcs et le règne de l’argent . Ces philosophies disent une
histoire particulière avec ses priorités, ses espoirs , ses
succès , ses ratages, ses inventions, intentions et
protentions . Se pose donc la question du lieu de ces
philosophies. d’où parle-t-on ? Cette question du lieu
convoque celle du sujet (qui parle ?), de l’objet (de quoi
parle-t-on ? ) et de la spécificité (qu’est-ce qu’une
philosophie ...africaine ?) .Outre la question du lieu ,
s’offre à nous l’inévitable et ennuyeuse question de la
définition : la philosophie négro-africaine a-t-elle un
statut propre qui ,la distinguerait dans sa tresse , son style
, sa translation et son économie des autres philosophies ,
ou simplement , n’est - elle qu’une succursale des
diverses philosophies occidentales et ses philosophes
d’honnêtes et imprévisibles délégués provinciaux »195 ?

Une chose est certaine : l’Afrique ne peut se


départir radicalement de l’Europe car cette Afrique- là a
subi de nombreuses meurtrissures pendant la colonisation
européenne. Après avoir nié son –être-là-dans-le-monde,
l’Europe nie à l’Afrique, toute civilisation, toute pensée et
toute histoire. L’absence de l’Afrique dans le domaine de

195
BIDIMA (J-G).- La philosophie négro-africaine (Paris, PUF,
1995), p.4.
197

la pensée est révélatrice de ce reniement. En effet, la


plupart des grands auteurs contemporains de l’histoire de
la philosophie ne parlent de l’Afrique qu’en fonction de la
philosophie méditerranéenne.
Contestant la marginalisation de leur continent par
l’Occident, des intellectuels africains et non africains
vont essayer de montrer que le respect de la diversité des
cultures est un préalable nécessaire à la compréhension et
à la solidarité entre les peuples , et que c’est sur ce
respect que reposent les chances d’un mouvement
civilisateur fondé sur une nouvelle appréhension du
monde . Mais cela n’est possible qu’en revalorisant la
diversité des cultures et en assurant la diversité de voies
d’accès au développement. Pour ces intellectuels africains,
la tâche essentielle est de promouvoir l’humain dans
l’humain, c’est-à-dire, promouvoir la culture de l’homme,
de l’homme Noir afin que celui-ci soit vu par le Blanc non
comme chose mais comme humain. Ce qui les désolait,
c’était la déshumanisation des civilisations africaines.
Leur vœu, c’était de renaître à l’histoire après l’expérience
coloniale en exprimant leur spécificité et des innovations
qu’exige leur entrée dans l’histoire universelle. Ils ne
savaient pas ce qu’on appelle culture, ils ont découvert
enfin que « La culture est le processus aux mille faces
par lequel l’activité élémentaire et naïve de la race se
transforme en savoir réfléchi et aboutit, à son stade le
plus élevé , à la science et à la philosophie , enfin à la
pensée pure . La forme extérieure dans laquelle la
culture s’incarne en face de l’État et de la religion est la
société , dans le sens le plus large du mot . Chacun des
éléments de la culture possède , à l’instar de l’État et de
la religion , sa période de formation , sa maturité où il se
réalise pleinement , son déclin et sa survie dans la
tradition commune , pour autant qu’il en est capable et
digne »196.
196
BURCKHARDT (J.), op. cit., p.84.
198

Pour les africains, l’exigence de leur bonheur devait se


reporter sur la culture . Il s’ensuit que ces différentes
définitions vont ouvrir la voie à toutes les analyses
visant à reconstruire , grâce à l’interprétation des
coutumes et des traditions , des proverbes , des institutions
, bref, de diverses données de la vie culturelle des
peuples africains , une Weltanschauung particulière , une
vision du monde spécifique, supposée commune à tous les
africains , et nécessairement philosophique . « Mais ces
peuples d’esclaves pour la plupart juridiquement
affranchis par l’indépendance peuvent-ils recouvrer la
plénitude de leur être pour la vie plurale de l’humanité et
du monde ? Cela est démarche de revendication de
changements radicaux en faveur de l’avènement d’une
histoire véritablement universelle nourrie des valeurs qui
sauve l’unité de l’humanité à travers les vertus créatrices
de sa diversité . Mais pour changer il faut d’abord savoir
ce qu’on est. Et les luttes de libération ne se font pas
catalyseur d’un processus accéléré d’occidentalisation du
monde mais d’abord reconquête de l’identité de chaque
peuple avant même que d’être revendication d’une
meilleure et plus juste distribution des richesses du
monde »197.

De toute évidence, la revendication d’une identité


corrobore une revendication propre de penser, d’agir et de
parler. Cette réaction contre l’européocentrisme qui niait
toute rationalité à la pensée africaine enfermée dans la
primitivité, est fortement marquée par l’ethnologie . Son
projet est de fonder une identité culturelle africaine en se
fiant au dynamisme traditionnel africain, eu égard aux
préjugés raciaux et idéologiques de l’esclavage et du
colonialisme. Dès lors, dans l’Afrique centrale et plus
précisément dans l’ex-Congo Belge, l’ex- Zaïre,
197
KOUASSIGAN (G.A), op. cit., p.56.
199

aujourd’hui, République Démocratique du Congo, de


nombreux intellectuels africains vont être fortement
préoccupés par la problématique d’une philosophie
ethnologique , nommée philosophie bantoue. En plus de
leur lieu de résidence, les adeptes de cette philosophie
‘’bantu’’ sont tous des hommes d’Eglise, des révérends –
pères, des prêtres ou des missionnaires. On peut les citer
pêle-mêle, ce sont : Placide Tempels, missionnaire belge
de l’Ordre des Frères Mineurs ; Alexis Kagamé, prêtre
rwandais ; Mulago Gwa Cikala Musharamina, prêtre ,
Lufuluabo Mizeka, prêtre franciscain zaïrois, Mujynka
Nimisi Ciri, L. De Sousberghe, Boelaert, tous deux
prêtres, etc.

I.1. La philosophie bantoue de Tempels.

Le Père Placide (Frans) Tempels est né à Berlaar


(Province d’Anvers en Belgique), le 18 février 1906. Il
entre au Noviciat des Frères Mineurs à Thielt, le 17
septembre 1924. Ordonné prêtre le 15 août 1930, il part
au Congo (ex-Zaïre) en 1933.

Après dix ans de travail missionnaire en brousse,


après bien des recherches et des essais, il trouva sa voie,
en s’intéressant directement et personnellement à l’homme
bantu, à ses déceptions, à ses joies, ses souffrances et ses
soucis, ses préoccupations et ses aspirations, c’est-à-dire à
l’homme total bantu. C’est à Kabondo-Dianda (dans le
Nord du diocèse de Kamina) vers les années 1944-1945,
qu’il prépare la publication de sa ‘’philosophie bantoue’’

L’avènement de la Philosophie bantoue de


Tempels, est de toute évidence, un tournant dans la
grisaille de la problématique de la philosophie africaine.
Depuis la parution de ce livre en traduction française à
Elisabethville, aujourd’hui Lubumbashi, en République
200

Démocratique du Congo, ex – Zaïre, il y a eu une


floraison des écrits sur les bantous. Cet éveil intellectuel
est à n’en point douter un soupçon du philosopher en
Afrique. L’ouvrage de ce missionnaire du Katanga est à la
fois une recherche, une négation et une affirmation.
Recherche d’une pédagogie nouvelle dans l’entreprise de
christianisation des bantous, Négation et dénonciation de
l’idéologie occidentale fondée sur le racisme, la
domination et l’exploitation du Nègre. Il est aussi
l’Affirmation de l’identité du Nègre et surtout sa capacité
de réflexion que l’auteur assimile à une philosophie
particulière dont il est nécessaire de comprendre pour
mener à bien l’œuvre de civilisation des Bantous .Ce livre
a eu l’aval des éminents penseurs comme Louis Lavelle,
J.P.Sartre, Gaston Bachelard, etc. De ce livre, Alioune
Diop dira : « Voici un livre essentiel au Noir, à sa prise
de conscience, à sa soif de se situer par rapport à
l’Europe. Il doit être aussi le livre de chevet de tous ceux
qui se préoccupent de comprendre l’Africain et d’engager
un dialogue vivant avec lui. Pour moi, ce petit livre est le
plus important de ceux que j’ai lus sur l’Afrique : c’est
que mes préoccupations me poussaient à l’espérer.
Comme elles m’ont poussé à souhaiter que Jean – Paul
Sartre mit son remarquable talent et sa rare indépendance
morale à projeter les éclairs de son esprit lumineux ,
subtil et agile , sur les méandres encore imprécis de notre
ténébreux destin . (...) Nous remercions le R. P. Tempels
de nous avoir donné ce livre, témoignage pour nous de
l’humilité, de la sensibilité et de la probité qui ont dû
marquer ses rapports avec les Noirs. (...) Qu’a–t-il
donc de plus saisissant que le spectacle de la détresse : un
être abandonné, dépouillé de toutes les garanties sociales,
réduit à sa propre liberté nue, à son impuissance originelle
et livré à la terreur du Destin » ? 198

198
DIOP (A.).- ‘’Niam M’paya ‘’Préface à La philosophie bantoue
du R.P. Tempels , ( Paris, Présence Africaine , 1944), p.7-8.
201

Les remerciements de cet intellectuel africain à


Tempels étaient légitimes dans la mesure où il était le
premier missionnaire courageux à dénoncer
publiquement, aux yeux du monde, dans un livre, les
souffrances d’un peuple, le bannissement d’une race au
nom d’une mission civilisatrice. Aussi l’ouvrage de
Tempels passait-il pour mettre en doute la grandeur et la
dignité de l’entreprise coloniale . Car , il se trouvait dans
le milieu colonial , des missionnaires parfaitement
respectables qui considéraient que le droit de colonisation
était un droit naturel et inaliénable. D’après ces
doctrinaires, c’était aux peuples avancés , disposant des
moyens techniques et intellectuels , appartenant à
l’histoire universelle , d’intervenir dans une Afrique où la
raison paresseuse est encore en sommeil et d’y exploiter
leurs biens par des méthodes de domination. Mais
Tempels n’était pas innocent ; pour bien le comprendre,
il faut suivre son itinéraire intellectuel afin de savoir ses
intentions réelles lorsqu’il écrit sa ‘’philosophie bantoue
‘’.
Mudimbé donne le ton :« C’est dans l’arrogance
d’une conquête coloniale faite pour durer des siècles
qu’un franciscain belge- Placide Frans Tempels –
missionnaire au Katanga écrit un petit ouvrage de
philosophie dont on peut dire qu’il ‘’barre ‘’ encore
nombre de penseurs africains . Ce que Tempels sait de
philosophie se réduit, pour l’essentiel, aux enseignements
reçus pendant sa formation religieuse. Il n’est pas un
professionnel de la philosophie, et ses préoccupations
majeures sont, dès son arrivée en Afrique en 1933,
d’ordre religieux ».199En effet, Tempels arrive en Afrique
avec les ambitions de réussir sa mission civilisatrice.

199
MUDIMBE ‘’Panorama de la pensée africaine contemporaine de
langue française in Recherche, Pédagogie et Culture , la philosophie
en Afrique, n°56 (Paris, AUDECAM, 1982), p.16.
202

Envoyé du Christ et de l’Église, sa mission était


essentiellement la proclamation de la Bonne Nouvelle.
Mais, Tempels se rend rapidement compte que cette
mission était périlleuse dans la mesure où les païens qu’il
était sensé convertir très rapidement, sont encore liés à
leurs pratiques fétichistes. Face à ces difficultés, il fallait
donc chercher à comprendre les causes profondes. C’est
ainsi qu’au bout de quelques recherches ethnologiques,
qu’il se rend compte que la raison du nègre n’a pas encore
éprouvé le besoin de connaître les théories scientifiques et
religieuses chrétiennes. « Dépourvu de logique, incapable
de comprendre la vérité de la religion chrétienne : tel est
le Noir bantu. Mais, ayant la passion de réussir, et peut-
être quelque intuition ou quelque sympathie, Tempels se
reprend et se trouve comme acculé à affirmer l’humanité
du Noir ainsi que l’existence en lui d’une logique qui lui
est propre. Il décide donc de se renoncer, de renoncer à
sa « logique occidentale » pour descendre et entrer dans
la manière bantu de sentir et de voir les choses. C’est ce
même processus qui conduit à être Grec parmi les Grecs,
Juif parmi les Juifs »200.

Quoiqu’on dise, de par son origine, la philosophie


bantoue fut un ouvrage populaire car , il était né d’une
situation de mécontentement et de désillusion des Noirs,
et par conséquent , il proposait une solution aux
colonisateurs qui sentaient la nécessité d’un nouveau
départ après la guerre . Le fait historique est indéniable : la
philosophie bantoue voulait rapprocher le colonisateur du
colonisé, le dominateur du dominé. Cet extrait de
Catéchèse Bantoue en est un élément révélateur : « Après
de nombreux échecs avec un christianisme occidental
compliqué et abstrait , le missionnaire cherche , peut-être

200
BINDA (N.), ..- Comprendre Tempels , in Recherche, Pédagogie et
Culture , la philosophie en Afrique, n°56 (Paris, AUDECAM, 1982),
p.43.
203

anxieusement une issue . En dépit de toutes ses


hésitations pseudo-théologiques, philosophiques ou
ethnologiques, il se décidera, peut-être, avec pour seule et
suffisante garantie l’universalité du Christ, à tenter
l’aventure et, sans regarder en arrière, à risquer le
plongeon jusque dans l’âme inconnue du Noir. Il acceptera
de se défaire de ses conceptions, de sa culture et même
de sa propre manière de comprendre le Christ. La solution
ne se trouve pas dans les théories ou des formules , mais
tout simplement dans l’âme de l’homme vivant , qu’il
soit Blanc ou Noir , car le règne du Christ doit être fondé
au-dedans des hommes tels qu’ils sont . Il faut se jeter la
tête la première dans la vie du prochain et l’accepter
telle qu’elle est »201.

Mais la vérité de la Philosophie bantoue réside


dans la tension de ces contradictions. En effet, Tempels
avait promis aux africains une ontologie logiquement
cohérente et complète en épousant la manière de sentir
et de voir du nègre , c’est-à-dire parler son langage ,
comprendre ses aspirations , rentrer en dialogue intime
avec lui. Il s’explique : « Nous ne prétendons pas que les
bantous soient à même de nous présenter un traité de
philosophie , exposé dans un vocabulaire adéquat (...)
C’est nous qui pourront leur dire , d’une façon précise ,
quel est le contenu de leur conception des êtres , de telle
façon qu’ils se reconnaissent dans nos paroles , et
acquiescent en disant : «tu nous a compris complètement ,
tu ‘’ sais ‘’ à la manière dont nous ‘’savons ‘’ »202.

201
FABIAN (J.).-Philosophie bantoue : Placide Tempels et son
œuvre vus dans une perspective historique. (Bruxelles, Centre de
recherches et d’information socio-politique , 1970), p.4.
202
TEMPELS (R-P—P).- La philosophie bantoue , (Paris, Présence
Africaine ,1961), p.24.
204

Cela montre clairement que Tempels, défenseur des


Noirs, finit par infantiliser des Noirs qu’il proclama
philosophes à leur insu. Comme le dit Ngoma Binda, «
dépourvu de logique, incapable de comprendre la vérité
de la religion chrétienne : tel est le Noir bantu. Mais ,
ayant la passion de réussir , et peut- être quelque intuition
ou quelque sympathie , Tempels se reprend et se trouve
comme acculé à affirmer l’humanité du Noir ainsi que
l’existence en lui d’une logique qui lui est propre »203.

On comprend pourquoi Binda peut penser que la


visée de Tempels est simplement de réussir sa tâche
d’évangélisation et de convertir les Bantous. Cette visée
selon lui, nécessitait pour Tempels, une méthode
particulière, une philosophie de l’enseignement, de
renoncement et de rencontre. Pour réussir ce pari, il lui
fallait s’intégrer dans l’ère bantoue, en découvrant la vie
forte des bantous, la vie totale, l’intensité dans l’être,
l’union vitale, et la fécondité bantoue. « Du coup,
Tempels découvre , à sa grande satisfaction , que cette
triple aspiration est celle-là même qui sous –tend toutes
les vies humaines , constituant l’essence du message du
Christ qui se proclame être la « Vie » et déclare être
venu pour que les hommes soient « féconds » et « unis ».

Il ressort que, presque, tous les écrits ethnographiques


de Tempels soient à la recherche de ce qu’est l’homme
noir dans ses aspirations les plus hautes. Celles-ci
découvertes comme vie forte, fécondité et communion,
l’on comprend également que tous ses écrits pastoraux et
philosophiques se centrent tous sur elles. Bref, La
Philosophie Bantoue ne s’explique donc que comme désir
de compréhension de l’homme de culture bantu dans ses
comportements et représentations spécifiques. Cette
compréhension est la condition nécessaire du succès de
203
BINDA (N.), op. cit., p.43.
205

toute action évangélisatrice »204 . Binda ne décolère pas. Il


croit que c’est au nom du christianisme que Tempels
veut attirer l’attention des colonisateurs, des missionnaires
et aussi des africains eux-mêmes sur les droits des Noirs.
« C’est alors qu’il tente de montrer que les Bantu ont
également une philosophie, c’est –à- dire une logique
pareille à la logique occidentale nonobstant les nuances.
Son projet politique de réhabilitation du Noir »205.

Il est vrai, aussi, que l’on qualifiait l’écrit de Tempels


de ‘’philosophie de la rébellion ‘’ car il défendait les droits
des Noirs dont les craintes étaient devenues des désespoirs
face à la rencontre des Blancs. Le droit des Noirs était
décapité et les chefs de famille après avoir perdu leur
souveraineté n’étaient bons qu’à être des étrangers soumis
sur leur terre d’origine. «Les employeurs (...), disent
ouvertement à leurs travailleurs que leurs palabres ne les
intéressent pas , ils ne leur donnent aucun loisir pour se
faire trancher et ajoutent même : ‘’J’ignore vos intérêts ,
je ne connais pas vos droits , je ne pense qu’à une chose ;
si ce soir il y a ici 300 briques , je vous donne 2f. ; il n’y a
rien d’autre entre nous . Pour le reste vous êtes un
étranger pour moi‘’. Là est le comble du désappointement
indigène. Il s’est rallié à nous pour devenir l’un des
nôtres ; au lieu d’être pris pour un fils de famille, il ne
devient qu’un salarié. Il se sait maintenant définitivement
rejeté, renié comme fils, classé comme non incorporable.
Rendre étranger un indigène c’est aussi le mettre en état
de guerre, c’est prévoir le moment où l’on va la
déclarer. Et ainsi partout , au lieu d’une franche adaptation
, d’une assimilation des cœurs et des idées , d’une
acquisition de la citoyenneté et du droit de la
communauté de patrie et de nationalité , et de cette
profonde communauté que l’indigène place dans le

204
BINDA (N.), op. cit., p.44.
205
Ibidem.
206

domaine métaphysique , il n’y a plus d’autre lien pour lui


que le paiement , les gros sous, sinon les tout petits , ceux
qu’il apprend successivement à rejeter lui-même , de
dévaluation en dévaluation »206.

Pour Tempels , il fallait humaniser l’homme bantou,


cet homme qui avait honte de sa situation d’indigène
soumis sans droit .Exaspéré, l’homme bantou lui confiait
ses déboires et ses peines et Tempels de ses propres
aveux en était bouleversé. « Et je fus moi-même
bouleversé par celui qui me confiait tout son être. Il y
eut un colloque d’homme à homme, d’être à être.
Ici nous pouvons déjà dire en trois mots comment
l’homme bantou me confiait sa personnalité intime. Il
me disait : nous désirons par –dessus tout :
1) la vie, la vie intense, la vie pleine, la vie forte, la
vie totale, l’intensité dans l’être :
2) la fécondité, la paternité et la maternité, une
fécondité grande, intense, totale, non pas seulement
physique ;
3) l’union vitale avec les autres êtres ; l’isolement
nous tue.
« Ce fut une véritable révélation. Nous découvrions
ensemble dans l’homme bantou tout un univers de
pensées et d’aspirations profondément humaines ».207

Il existe donc une ontologie spécifiquement bantoue, et


logiquement cohérente qui repose sur l’autorité et la
force de vie dominante des ancêtres, sur l’expérience de
la nature et des phénomènes vitaux. Parce que les bantous
ont une ontologie propre, une psychologie propre, ils
206
TEMPELS (R-P-P).-‘’La philosophie de la rébellion’’ in Dettes de
Guerres (Les Cahiers de la politique indigène) (Elisabethville ,
Editions de ‘’L’Essor du Congo’’, 1945) , p.22.
207
TEMPELS(R-P-P) . -‘’Les étapes d’une vie missionnaire’’ (A
propos du colloque d’Abidjan) , in Notre rencontre ,( Léopoldville ,
Centre d’Etudes Pastorales, 1962), pp.37-38.
207

possèdent donc une conception dynamique de l’être


tandis que tous les occidentaux posséderaient une
conception statique. En plus, sur le plan spécifiquement
humanitaire, les bantous ont une notion différente des
relations entre les hommes, de la causalité et de la
responsabilité. Les noirs suivent les principes de causalité
de leur philosophie des forces. « Pour eux la force est plus
qu’un attribut nécessaire de l’être : la force, c’est l’être,
l’être est la force. Là où nous voyons des êtres concrets,
eux voient des forces concrètes. Quand nous dirions que
les êtres se distinguent par leur essence ou nature, les
bantous diraient que les forces diffèrent par leur essence
ou nature .. A l’encontre de notre définition de l’être ‘’ce
qui est ‘’ ou ‘’la chose en tant qu’elle est ‘’, la définition
bantoue se formulerait ‘’ ce qui est force’’ ou ‘’ la chose
en tant que force ‘’ ou ‘’la force existante ‘’. C’est la
notion force qui tient chez eux la place de la notion être
de note philosophie. Tout comme nous, ils ont un concept
transcendantal, élémentaire, simple : chez eux ‘’force ‘’
comme chez nous ‘’être’’,» 208 .

Aussi les bantous désignent-ils des catégories


d’hommes suivant l’intensité de leur force. Mais la force
peut croître ou décroître ontologiquement jusqu’à
l’évanescence complète de son essence. Cependant, une
chose est certaine : chez les bantous, les forces ne
semblent pas subsister en soi ; le bantou ne peut concevoir
l’homme en tant qu’individu, aucune force ne constitue
une force autonome. Il y a là une hiérarchisation des
forces. Car « La vie de l’homme ne se borne pas à sa
seule personne , mais elle s’étend à tout ce qui est
paternalisé par son influence vitale , à tout ce qui lui est
ontologiquement subordonné : progéniture , terre ,
possessions , bétail et tout autre bien ... Donc tout ce qui

208
TEMPELS (R-P--P).- La philosophie bantoue, Traduit du
néerlandais par A. Rubbens , (Eiisabethville, Lovania, 1945) , p..33.
208

porte atteinte à son bien matériel sera atteinte à


l’intensité de la vie du propriétaire »209 .

Tel est selon Tempels, à grands traits, les fondements


de la philosophie bantoue. Après la déconsidération
rectifiée par la notion de solidarité et l’interdépendance
des forces, après la différence des logiques et la
dénonciation des exactions coloniales que sont la tyrannie,
l’exploitation , les travaux forcés , les injustices , des
causes réelles existent pour que les Noirs se rebellent ,
justement à cause de l’absence de bonne volonté des
blancs, leurs bourreaux .Tempels se veut le Père des noirs
, puisqu’après s’être éloignés de leurs pères pour
s’entendre de nouveau traiter par leurs nouveaux pères
comme des esclaves, des ennemis et des étrangers ,
Tempels, finit par se rebeller pour défendre les faibles en
‘’tirant ‘’sur le blanc , en intensifiant sa lutte politique par
l’écriture . Sa contestation se mue en philosophie des
‘’sans –espoirs’’ , lesquels finissent par gagner l’espoir en
pensant qu’ils sont désormais des philosophes de l’avenir ,
qu’ils philosophent, l’espoir est bien permis , il s’affirme
même. « C’est cette philosophie bantu, essentiellement
fondée sur la théorie des forces et de leur interaction,
que Tempels brandit en face du Blanc pour le séduire et
le confondre et, en fin de compte, pour tenter de l’amener
à respecter le Noir . De la sorte, le projet de Tempels
apparaît , ici encore, comme une forme spécifique de lutte
politique .

« En résumé , l’itinéraire intellectuel de Tempels est


essentiellement une lutte à trois temps dont la visée
dernière est le succès total dans sa mission de
civilisation , plus précisément de christianisation des
Bantu : adapter l’enseignement à la logique spécifique du

209
TEMPEELS, op. cit., p.114.
209

Noir ; que le Noir est aussi un homme, au même titre


que le Blanc : sa philosophie le confirme »210.

Mais cette contestation de Tempels ne suffit pas pour


accorder les esprits. Sa philosophie bantoue a subi de très
nombreuses critiques aussi bien négatives que positives,
plus négatives que positives. «Venues de partout , des
Blancs comme des Noirs , plusieurs de ces critiques se
sont avérées exagérées , parce que , précisément , elles
ont ignoré le souci profond de Tempels . Trop vite,
Occidentaux et africains ont contesté la méthode et le
statut philosophique du livre . Trop vite également, l’on a
rejeté ou reformulé le contenu ontologique de cette
philosophie. Et trop vite, enfin, l’intention politique de
cet ouvrage a été démasquée, maladroitement, et perçue
comme un moyen de domestication du Noir pour une
meilleure domination par le colon » 211 .

C’est ainsi que Le Père Edmond –Eloi Boelaert pense


que son compatriote a commis des erreurs sur la
philosophie thomiste. Pour lui, le grand tort de Tempels
semble être sa méconnaissance de la philosophie
universellement humaine dans la mesure où les concepts
de la ‘’ philosophie perennis ‘’ sont universels et qu’en
aucun cas, la notion bantoue de force vitale ne saurait
remplacer la notion européenne d’être . L’intelligence du
bantou ne sautait être différente de l’intelligence
européenne. Aussi remarque-t-il que Tempels a également
commis des erreurs sur la pensée bantoue elle-même en
se contredisant sans cesse car la notion de l’être
tempelsienne et ses propriétés ainsi que les lois de la
connaissance que l’auteur impute aux Noirs sont la
négation même de l’intelligence.

210
BINDA (N.), op. cit., pp. 45-46.
211
BANDA, Ibidem, p.46.
210

Le Père Edmond –Eloi Boelaert écrit : « Si l’auteur


avait essayé de baser une ontologie bantoue sur ces
manifestations rationnelles du primitif, il aurait bien
trouvé une intelligence primitive identique à la nôtre ,
une philosophie rationnelle , une ontologie du bon sens .
Il n’aurait pas médit de ses chers bantous comme il le
fait implicitement. Seulement, il s’est laissé tromper par
les apparences. Personne ne nie que les imaginations
magiques sont tout aussi répandues chez le primitif
qu’elles l’étaient chez nous au moyen âge. Ces
imaginations nous frappent , surtout parce qu’une
littérature ethnographique toujours plus abondante essaie
de nous faire croire que ces manifestations sont la pierre
fondamentale et la clé de voûte de l’esprit primitif, - tout
comme chez nous les écrits et les récits et l’inquisition
avaient conduit les gens à ne presque plus rien voir que
de la magie . Mais au-dessus de toutes ces billevesées ,
produits d’une imagination hantée par le mystère , la
pensée des bantous se révèle dans leur vie de tous les
jours , dans leurs actes ‘’profanes ‘’. Cette pensée existe
comme elle existait chez nous, au moyen âge , aussi
supérieure à toutes les élucubrations du royaume de la
peur , que la raison est supérieure à l’imagination , et que
la philosophie thomiste est supérieure aux divagations des
sorciers . L’auteur n’a pas remarqué que ces fameuses
lois des êtres et de l’intelligence ne sont que les lois –bien
connues dans la psychologie expérimentale – de
l’imagination comme elle se manifeste par exemple chez
les enfants, les rêveurs, les ivrognes. Ces lois - là existent
aussi bien chez nous que chez les primitifs. Mais aussi la
philosophia perennis a ses racines, non dans l’homme
occidental, mais dans l’homme tout court »212.

212
BOELAERT (E.).- ‘’La philosophie bantoue selon le R.P.Placide
Tempels’’, in Philosophie Africaine , Textes choisis II (Kinshasa,
PUZ, 1975), p.287.
211

Léon de Sousberghe, lui aussi prêtre et européen,


publiait à la suite de Tempels, un article intitulé ‘’Essai de
philosophie du primitif’’.Il part d’une remarque
fondamentale : le mot ‘’philosophie’’ est un mot galvaudé
qui se prête à toutes les équivoques et devient facilement
une expression ‘’passe-partout’’. Selon lui, le mot
‘’philosophie’’ prête à confusion et à équivoque dans
l’ouvrage de Tempels. Ce dernier aurait pu désigner une
sagesse ou exprimer une simple qualité d’âme, un
désarroi au sens de ‘’prendre son malheur avec
philosophie’’. Mais dire qu’il s’agit d’une philosophie
spécifiquement bantoue quand ceux –ci, les bantous
évolués,‘’civilisés, chrétiens retournent à leur
comportement de féticheurs et de paganistes chaque fois
qu’ils sont confrontés à un malheur n’a rien de
philosophique. Il reconnaît cependant , comme le dit
Tempels, que le comportement ne peut être identique pour
tous, universel à tous égards s’il n’a pas pour fondement
un ensemble d’idées, un système de valeurs , une
philosophie positive qui ait une vision complète de
l’univers . Il n’est donc pas étonnant que les bantous aient
des systèmes philosophiques, des principes de base qui
dérivent d’une ontologie logiquement cohérente.

Mais , « N’est- il pas évident, au contraire, qu’un


comportement universel pour tous n’est jamais basé sur
un système logique , un ensemble de concepts
logiquement coordonnés , mais sur quelque chose de bien
plus profond . Aucune doctrine qui a gagné les grandes
masses ne s’est établie et perpétuée en vertu d’un
système logiquement coordonné , mais bien parce
qu’elle exprimait des réalités dépassant toute philosophie
, tout agencement logique de concepts qui ne pouvaient
en être que des expressions partielles et déficientes . Ce
n’est jamais la cohésion logique d’un système, ou de
‘’quelques principes de base ‘’ qui explique son emprise,
212

son universalité, qui crée une patrie spirituelle où l’homme


retourne par atavisme aux heures de crise. Quand une
doctrine religieuse en vient, au cours de son histoire, à la
systématisation philosophique et logique, elle n’y trouve
pas une force de cohésion qui lui avait manqué jusque –là
, mais plutôt un élément de divergences , de discussions et
même de schisme ; la force de cohésion vient d’ailleurs.
Un pur système philosophique ne représente jamais
qu’un individu et dans la petite académie qu’il pourra
grouper, il y aura autant de divergences et de nuances
d’opinion que d’individus. Les systèmes ne gagnent pas
les masses comme systèmes de concepts »213 . Pour lui, le
bantou comme tout primitif, ne s’explique pas plus en
fonction d’une ontologie qu’il ne s’explique en fonction
de la science. En plus l’ontologie ne nous révèle en rien
en quoi un bantou serait différent d’un européen , un
catholique d’un protestant.« L ‘ontologie n’est ‘’la clé’’
d’aucun peuple. Elle n’est, croyons-nous , pas même
‘’une’’ des clés de l’âme bantoue . En la recherchant
dans des principes spéculatifs , nous risquons précisément
de manquer ce que l’auteur appelle ‘’l’intuition centrale ,
fondamentale des Bantous’’ et de ne jamais découvrir
les richesse essentielles et originales de leur pensée »214.

Mais la critique la plus véhémente de La philosophie


Bantoue de Tempels est à coups sûrs l’article du
camerounais Fabien Eboussi Boulaga, publié chez
Présence Africaine dont le titre en dit long sur l’intention
de l’auteur : ‘’Le Bantou problématique’’. Prêtre lui aussi,
Eboussi Boulaga est plus sensible aux équivoques de la
problématique de la philosophie bantoue de Tempels. Il
dénonce l’absurde complicité que Tempels voulait lier

213
DE SOUSBERGHE (L.).-‘’A propos de ‘’la philosophie bantoue’’
in Philosophie africaine , Tome II , Par A..J. SMET (Kinshasa,
PUZ , 1975), p.292.
214
DE SOUSBERGHE (L.).-, op. cit. , p.296..
213

avec des bantous très problématiques, de sorte à pouvoir


mieux les exploiter. Pour lui, la duperie, la double
cachotterie sont les intentions inavouées de Tempels .
Son objectif est l’évangélisation des Bantous, son projet,
un mensonge philosophique . Boulaga qui n’est pas dupe
, ne veut pas se laisser tromper ; il s’en inquiète et se
souvient : « Voici vingt ans , un livre révélait au monde
que le bantou était Monsieur Jourdain de la philosophie :
il en faisait sans le savoir . ‘’Philosophie Bantoue ! ‘’
Autour de cette surprenante alliance de mots , de
confuses batailles se livrèrent . A travers la défense
dogmatique d’un monde spirituel des uns et la lutte
désespérée des autres pour conquérir leur place au soleil
de la raison , nous discernons sans peine l’enjeu majeur de
notre temps : la reconnaissance efficace de l’homme par
l’homme , le commencement de la fin des temps
barbares où l’autre était nécessairement un animal
étrange à face humaine , un ennemi au lieu d’un
partenaire pour la même aventure ».215

Eboussi Boulaga tire à hue et à dia la pensée


tempelsienne de la philosophie en montrant ses faiblesses.
Il n’y voit d’ailleurs aucun mérite du missionnaire belge .
Pour lui, le livre de Tempels est une confusion entre les
termes de religion , de philosophie, d’ethnologie et de
magie. Son entreprise étant une‘’philosophie ethnologique
‘’en ce sens qu’elle est un donné composite fait d’actes de
coutumes, de savoir-faire , de vision du monde et de
langage propre à un groupe ethnique donné . Tout ce
système constituera une sorte d’universel concret dont le
fondement est la forme de comportement des bantous
pour se proclamer ‘’philosophie ‘’. C’est la philosophie
de la particularité, de la différence et de l’ethnie.

215
BOULAGA (F. E.). –‘’Le Bantou problématique (Paris, Présence
Africaine , 1968), N° 66 , P.4.
214

Puisqu’on leur refuse une philosophie, il faut la leur


reconnaître pour mieux les dominer.

La philosophie tempelsienne passe pour être une


philosophie de la domination, de l’assujettissement et du
mensonge ; il faut mentir à l’autre pour le coloniser. Le
Noir serait cet enfant qu’on flatte pour apparaître toujours
le Père qui console, qui défend et qui donne. Le système
de pensée élaboré par Tempels veut se donner comme la
structure du concret bantou, mais malheureusement, elle
ne peut être un universel abstrait dans la mesure où elle ne
cherche pas sa validité dans sa cohérence formelle mais
en sa substantialité. Cette pensée est une pensée sans les
bantous, faite en dehors d’eux et pour eux dont le support
indéfectible est la notion de ‘’force’’. Cette métaphysique
d’un autre genre ne se faufilerait, sans médiation entre
« des Concepts étrangers et une réalité étrange »216.

Le discours est bien réel, il est bien ethnologique et


tronqué de mythologie, c’est le discours de l’autre, une
fabulation véridique tissée de fil blanc. Le système
ontologique bantou a ce paradoxe d’être entièrement
inconscient en s’exprimant dans un vocabulaire inadéquat
et sans logique. Pourtant, Tempels nous avait promis le
contraire, c’est-à- dire, une pensée logique et hautement
autonome. « L’effort du Père Tempels se définit une fois
de plus comme une transposition déficiente , puisqu’elle
veut exprimer l’inexprimable à soi –même . Elle sera
discours sur l’ineffable, redoublement d’une
‘’conception’’ qui par nature ne peut se déployer,
s’expliquer elle –même. Le recours sporadique aux
propos banals du bantou, à son témoignage perd beaucoup
de sa force persuasive, s’ils ne manifestent pas de la
cohérence. Bref, de la pensée bantoue à la compréhension
qu’en a Tempels, il n’existe aucun intermédiaire objectif,
216
BOULAGA (F.E.), op. cit., p.8.
215

aucune médiation intellectuelle qui nous garantisse la


validité de sa démarche. Nous ne savons et nous ne
pouvons savoir si ‘’la pensée mythique’’ signifie
quelque chose pour lui . Elle ne peut devenir telle que s’il
descend de sa position surplombante, situé dans le ciel
absolu de LA philosophie »217. La théorie des forces
étant une contradiction de la pensée, le concept ne peut se
déployer parce que n’émanant pas d’une figure de la
vérité au sens hégélien du terme. Il n’y a pas de système
véritablement scientifique, le lecteur est obligé de
suspendre son jugement. Le culte de la force ne fait donc
pas le Bantou. Si cela est, alors le Bantou est bien
problématique. Il faut refuser le nivellement des
différences qui semble se muer en un culte de la différence
qui est bien le culte de la soumission, de la peur, de la
dépendance et du désespoir. C’est le ‘’je peux être comme
toi ;’’ sans l ‘être vraiment ; on se ment à soi –même en
enviant les autres .

Il est inconcevable ,selon Fabien Eboussi Boulaga, de


réduire comme le fait Tempels, tous les phénomènes à un
seul élément commun par le génie de la parole.« La
réduction de toutes choses à un dénominateur commun
aboutit à l’évacuation de ce qui fait l’originalité de
l’homme. Le Bantou de Tempels est un utilitariste avide
de s’assimiler la force vitale : la réalité pour lui est
seulement ‘’bonne à manger ‘’ (Lévi-Strauss) et non à
penser et à dire ; il n’est qu’instinct de conservation et de
procréation biologique. Or, cette ‘’ mise en œuvre des
forces naturelles’’ dont parle le Père Tempels nous
l’appelons culture. Et celle-ci n’est pas simple jeu ou
équilibre des forces, même chez le Bantou, même chez le
magicien » 218 .

217
BOULAGA (F.E.), op. cit, pp.9-10.
218
BOULAGA (F.E.), op. cit., p12.
216

La force, selon Boulaga, n’est donc pas un critère de


la pensée philosophique, surtout quand elle est prétendue
appartenir à une ethnie qui ne sait même pas comment
distinguer philosophiquement le statique du dynamique.
Les Bantou, ceux dont parle Tempels ne peuvent savoir ce
qu’est une vraie force et ce qu’est une chose , surtout
qu’ils rejettent le sensible hors de l’être , qu’ils n’ont
aucune notion de la science concrète qui, pour eux,
appartient selon Tempels, au domaine des approximations
et des suppositions . La science bantoue, si elle existe, ne
se réduit qu’à la divination et à l’imagination.
L’ambiguïté est tenace, et la contradiction devient
superlative. Le projet de la hiérarchisation des forces et
leur ontologie est l’échec de la mise en place de l’illusoire
philosophie Bantoue. C’est infantiliser les Bantous que de
penser pour eux, de vouloir dire ce qu’ils n’ont jamais dit
et de vouloir penser ce qu’ils n’ont probablement jamais
pensé.

D’ailleurs, Eboussi Boulaga s’interroge : « Quelle est


donc l’originalité de la philosophie de la force par
rapport à la philosophie grecque de l’être à laquelle elle
s’oppose » 219? Pour lui, l’erreur de Tempels est d’avoir
confondu la force et la pensée , l’être et l’agir, de n’avoir
pas compris que toute force est refus de discours , qu’elle
« est muette et brutale, elle n’articule rien »220. À réfléchir
par la force, à ne se contenter que de la force, la pensée
devient barbarie et la connaissance aléatoire. La morale,
le droit laissent place à l’immoralisme , à l’amoralité et à
l’impénitence , justement parce que la pensée ne gouverne
plus, ce qui commande, c’est la force vitale, l’essence du
Bantou, force arbitraire, fantaisiste qui devient une morale

219
BOULAGA (F.E.), op. cit., p.17.
220
op. cit., p.18.
217

subjective au lieu d’être objective comme l’avait déclaré


Tempels . Une telle morale frise la « lapalissade »221.

On le comprend , le Bantou ne s’appartient pas, il n’a


pas de morale, du moins une morale pervertie, c’est
pourquoi, il est un peuple dominé ; sa morale est une
morale déchirée et Tempels se donne le droit de la re-
coudre en la défendant. C’est l’auteur de la critique de la
raison pratique des bantoues, seulement les acteurs ont
changé, les lieux et probablement les hommes. Tempels
aurait-il pris la place de Kant ? De la mauvaise manière
sans doute. L’impératif catégorique change d’auteur et de
circonstance ; il devient à la fois un impératif religieux et
colonisateur. ‘’Agis de telle sorte que tu traites le Bantou
aussi bien dans ta personne que dans la personne du
missionnaire toujours en même temps comme une fin et
jamais simplement comme un moyen ‘’, mais ici la
subtilité est bien évidente, sinon pourquoi Tempels
soumettrait-il ses réflexions à la bonne volonté et au
jugement loyal de ses concitoyens européens, de ses
coreligionnaires ? Le mensonge est bien gros. L’idéal
serait de concevoir plutôt cette formule, ‘’agis de telle
sorte que tu traites le Bantou toujours comme un moyen et
jamais simplement comme une fin ‘’. Cet inverse de
l’impératif kantien est bien réel dans la mesure où « C’est
nous (les européens) qui pourrons leur dire d’une façon
précise , qu’elle est leur conception intime des êtres, et
eux acquiesceront alors en disant : Tu nous a compris, tu
nous connais à présent complètement, tu ‘’sais’’ à la
manière dont nous ‘’savons’’ »222.

‘’Le bantouisme ‘’ de Tempels est en définitive une


philosophie ‘’magique ‘’ qui, au lieu d’éclairer le bantou,

221
BOULAGA, op. cit., p.20.
222 TEMPELS (R-P-P).- La philosophie bantoue , (Paris, Présence Africaine ,, 1961), p.24.
218

obscurcit sa pensée et l’enfonce dans les ténèbres. Née


pour défendre une cause, elle devient la cause même de
l’exploitation des bantous pour mieux poursuivre la
fameuse mission civilisatrice. C’est comme le dit Boulaga,
une philosophie –recette. « La source était pure, mais, les
eaux sont polluées et n’y participent plus, la prémisse
était juste, mais le syllogisme existentiel est faux : seul le
point de départ est valable, mais il est en dehors du cours
actuel des choses. Pour fonder l’avenir celui-ci n’est
d’aucun secours, le temps présent est dévoyé : il faut
retourner au paradis perdu. Le présent dépourvu de toute
consistance a pour unique fonction de nous renvoyer à
un état original purement hypothétique, puisqu’il ne fonde
rien en vérité »223 .

Le bantou déshumanisé ne peut donc revendiquer une


philosophie vivante, malgré l’insistance des ‘’
philosophes’’ bantous à la recherche d’une authenticité
dont le pilier est le culte de la différence dans une
comparaison avec la philosophie européenne, dans le
sillage de Tempels : Kagamé appartient à cette lignée.

I.2. Les incertitudes de Kagamé et le surgissement


de la philosophie bantoue

L’Abbé Alexis Kagamé est né à Kiyanza


(Commune de Mugambazi en Préfecture de Kigali au
Rwanda) le 15 mai 1933.il entra au Petit Séminaire de
Kabgayi le 07 octobre 1933.À partir de 1935, il était
autorisé à recueillir, puis à analyser les récits, les poèmes
et autres genres de la tradition rwandaise. Ordonné prêtre
le 25 juillet 1941, il fut nommé Rédacteur en chef de
‘’Kinyamateka’’ (Le Nouvelliste), tâche qui lui permettra
de continuer les recherches commencées. Sa thèse sur ‘’La
223 BOULAGA (F.E.), op. cit., p.27.
219

philosophie Bantu-Rwandaise de l’Etre’’ fut publiée dans


la Collection des Mémoires in-8° de l’Académie Royale
des Sciences d’Outre-Mer de Bruxelles (tome XII, fasc. 1,
1956, 448 pages. Il fut professeur de philosophie et
d’histoire générale, professeur des cultures, membre du
Comité scientifique pour la rédaction d’une histoire
générale de l’Afrique par l’UNESCO.

L’originalité de Kagamé, c’est d’avoir pu montrer


à ses lecteurs, l’espace bantou, aussi bien sa géographie
que son histoire. Les résultats de ses recherches lui ont
permis de savoir que la dénomination ‘’Bantu’’ désigne un
groupe culturel de races qui s’étend des régions de
l’Equateur jusqu’au Cap. Les Bantu n’appartiennent pas à
une même race, cependant ils partagent les éléments
généraux d’une même civilisation. L’élément linguistique
‘’Bantu’’ comprend deux formes : MU-ntu qui signifie
Homme, et au pluriel, on a BA-ntu qui veut dire Hommes.
La racine étant ‘’ntu’’, mu et ba sont les deux formes du
classificatif. Kagamé nous apprend que c’est autour de
1852 que la forme au pluriel ‘’Bantu’’ fut introduite par
des linguistes, pour désigner le groupe de langues. Dans la
suite, les ethnologues, utilisèrent le mot ’’Bantu’’ pour
désigner la culture et les races qui vivaient dans cette
partie de l’Afrique Australe et Centrale.

Après cette mise au point, Kagamé fait remarquer que


l’honneur revient à Tempels d’avoir tracé la voie au
surgissement de la ‘’philosophie bantoue ‘’.Seulement
voilà, ce pionnier n’était pas un chercheur, il n’était donc
pas la personne requise pour parler de philosophie
bantoue, par conséquent, ses thèses ne sont pas valables au
même titre que celles d’un chercheur reconnu comme tel ,
et de surcroît, docteur en philosophie de l’Université
Grégorienne de Rome. Ici, le chercheur se proclame et
s’exhume. La recherche est du ressort des diplômés et des
220

spécialistes, la philosophie est une ‘’chasse gardée’’, un


rubicon à ne pas franchir. C’est la discipline des maîtres,
l’ouvrage des élites.Selon Kagamé, l’évangéliste Tempels,
n’avait aucune connaissance de la tribu des Baluba qu’il
évangélisait. « De ce fait son livre a été mal intitulé , car
on ne peut prétendre à la découverte de la philosophie
‘’Bantu’’ à travers le comportement d’une seule tribu. Et
encore faut-il ajouter que, en analysant le livre page par
page on découvre qu’il n’y figure aucune forme de
documentation ‘’Bantu’’, sur laquelle se serait appuyé
pour étayer ses affirmations. Ce fut là sans conteste une
méthode gravement déficiente »224 .Cependant, Kagamé
reconnaît qu’il est certain que, sans la publication de la
Philosophie Bantoue de Tempels, sa thèse n’aurait pas eu
lieu sur le même sujet. Il reconnaît aussi qu’« il abordait à
son tour le sujet pour mettre en pratique la méthode qu’il
estimait plus objective en une matière aussi nouvelle
que singulièrement importante en sciences ethno-
africaines »225.

De son propre aveu donc, la recherche de Kagamé


débouche sur une «science ethno-africaine » et non sur
une philosophie. Pourtant de contradiction en
contradiction, il prétend « rechercher les éléments d’une
philosophie ‘’Bantu’’ d’abord au sein d’une langue
déterminée ; ne rien affirmer qui ne soit étayé d’une
preuve culturelle indubitable, transcrite dans la même
langue originale et traduite littéralement dans celle
accessible au lecteur étranger »226. Ces affirmations sont
importantes dans la mesure où Tempels nous apprend
malgré lui, qu’il fait une science ethno-africaine, qui ne
224
KAGAME (A.).-‘’L’ethno-philosophie des ‘’Bantu’’ ‘’, in La
philosophie contemporaine chroniques, par les soins de R .
KLINBANSKY, tome IV (Frienze, ‘’La Nuova Italia’’ Editrice ,
1971), pp.591-592.
225
KAGAME(A), op. cit., p.592.
226
KAGAME,Ibidem,p.592.
221

peut prétendre au titre de philosophie, ensuite il montre


que cette science est établie, non pour les Bantu, mais pour
le lecteur étranger. Et ce lecteur étranger, est, à n’en point
douter, le lecteur européen. En vérité, Kagamé retourne à
Tempels, il achève sa théorie là où il l’avait commencée,
c’est- à-dire à l’ouvrage de son maître Tempels. Il
continue l’exhumation du culte de la Différence. Aussi
faut-il noter que Kagamé ne fait pas mieux que Tempels
dans la mesure où, après avoir affirmé que le titre de
Philosophie Bantoue ne correspondait pas à l’ouvrage de
Temples, il écrit lui aussi La philosophie Bantu comparée
de l’Etre. En quoi donc l’ouvrage de Tempels est une
ethno-philosophie et le sien est une philosophie ? Suffit-il
de déclarer son propre ouvrage de ‘’philosophique ‘’pour
qu’il soit considéré comme tel ?

À dire vrai, Kagamé est certainement ce chercheur qui


n’a pas encore trouvé les vertus de la sagesse et qui se
cherche sans jamais se re-trouver. Ce n’est pas parce
qu’on a consulté des livres de philosophie que ce qu’on
écrit est forcément philosophique. Ce n’est pas non plus
parce qu’on a découvert que , dans une « culture sans
écriture , telle que celle des ‘’bantu’’, les conceptions
philosophiques sont soit incarnées dans la structure des
mots , soit condensées dans certains proverbes , soit
développées dans l’un ou l’autre genre littéraire ( fables,
contes, récits, poèmes), soit enfin mêlées aux doctrines
religieuses ou aux institutions sociales »227, qu’on
prétend faire de la philosophie ou bien qu’on prétend
attribuer à ce peuple, précisément le peuple bantu, une
pseudo-philosophie, surtout qu’on a reconnu vouloir faire
une science ethno-africaine . Et puis suffit-il d’avoir
consulté , fut-il attentivement « 231 grammaires,
dictionnaires et revues spécialisées , transcrivant
entièrement les classes de chaque langue, ainsi que les
227
KAGAME , op. cit., p.593.
222

termes », pour les envoyer ensuite sous forme de


questionnaire dans toute la zone de culture bantu et « au
fur et à mesure que les réponses arrivaient , elles étaient
portées sur la carte correspondant au chapitre sous
examen »228, pour oser avoir fait de la philosophie ?
L’objet et la méthode de cette science, utilisée par Kagamé
n’a vraiment rien de philosophique. À défaut d’être du
linguisme, elle est une ethno-linguistique. Sa logique
formelle en philosophie bantu qui traite du problème de
l’idée exprimée par le terme, ensuite du jugement rendu
par la proposition et enfin du raisonnement exprimé au
moyen du syllogisme relève d’une abstraction aberrante
.L’ontologie ‘’Bantu’’ dont il parle, est aussi une
abstraction linguistique dans la mesure où l’auteur
reconnaît que la conception des Bantu « relève du
système pseudo-scientifique intimement lié à la magie
»229 .

À dire vrai, Kagamé n’a pu se démarquer de Tempels


dont il critiquait la méthode et l’objet . Le surgissement de
la philosophie bantu ne semble être rien d’autre qu’un
rugissement ethnologique, un culte de la différence pour
montrer qu’il existe chez des peuples sans écriture des
penseurs , et que ces peuples sans écriture sont des
penseurs dans la mesure où leur langue est pleine de
sagesse proverbiale et que les contes sont riches
d’enseignement .Il s’étonne du fait que « Certains
haussent les épaules lorsqu’on leur parle de philosophie
‘’Bantu’’, parce qu’ils confondent philosophie et
philosophes . Il n’y a cependant aucun homme , jouissant
de l’usage normal de la raison , qui n’agisse sous la
lumière de principes philosophiques , ou à quelque culture
– même primitive –qu’il appartienne . La différence est
que, au sein d’une culture technicisée , il existe des

228
Ibidem.
229
KAGAME, op. cit., p.605.
223

philosophes ou penseurs qui ont pris conscience de ces


principes , les ont analysés et systématisés , ou qui
s’occupent à les brasser pour découvrir éventuellement
de nouveaux aspects à substituer aux conceptions
antérieurement reçues . Pareils penseurs, au contraire, sont
inconnus dans une culture sans écriture . Ici les principes
sont vécus et mis en pratique d’une manière implicite,
sans possibilité d’en arriver au stade de la prise de
conscience . De la même manière et sur des plans
différents, les mêmes hommes articulent les sons sans en
arriver à leur figuration au moyen des lettres de l’alphabet
, et ils parlent correctement leur langue sans possibilité
pour eux d’en arriver à l’énoncé des règles grammaticales
.Ainsi disposons-nous de tous les matériaux nécessaires à
une philosophie Bantu qu’il s’agit de systématiser , de
même que d’autres ont figuré les sons du langage et mis
en ordre les règles grammaticales dont les autochtones
n’avaient auparavant aucun moyen d’une prise de
conscience » 230.

Il est donc intéressant de noter que, selon Kagamé, la


cosmologie Bantu n’est rien d’autre que la métaphysique
de l’être insensitif , englobant de ce fait le végétal .C’est
donc à partir du principe fondamental de la fin ultime
que la culture Bantu fixe les lois qui régissent l’agir de
l’homme : la loi de base étant ici la loi du sang qui sera la
base du culte des trépassés en vue duquel a surgi
l’institution de la divination . De ce fait, nous pouvons
faire la remarque suivante : chez Kagamé, la philosophie
Bantu, c’est l’acceptation de la vie pour pouvoir être, car
vivre, c’est être. « La vie serait, selon Iyay Kimoni, le
point de mire de la culture africaine. Le concept de la vie
dépasserait la simple expression du biologisme et
embrasserait l’homme (... dans sa totalité réelle ,
actuellement réalisée et actuellement capable d’une
230
KAGAME, op . cit., p.591.
224

réalisation plus intense note a) . La vie pour le négro-


africain déborderait tous les champs d’énergie matérielle
et spirituelles, les valeurs familiales , l’amour des enfants
, l’attachement au clan , l’honneur de la parole donnée ,
la fidélité à la coutume , l’amour du terroir , l’opposition à
l’envahisseur , la bravoure et la modestie par laquelle
l’homme africain se garde de se poser en égal vis-à-vis
des forces supérieures . La vie se placerait au terme de
l’enquête ethnologique au niveau des valeurs spirituelles
de l’homme qu’elle exprime dans sa signification la plus
totale. La vie désignerait, en définitive le rang propre de
l’homme dans l’ordre des êtres en indiquant le rapport
ontologique qui les constitue forces agissantes dans
l’univers . C’est pourquoi dire de l’homme qu’il vit ,
c’est affirmer de lui qu’il est adulte , fort physiquement ,
enraciné dans sa terre , dans ses lois , et prêt à perpétuer
l’identité du groupe . C’est reconnaître aussi qu’il est
libre, d’une liberté positive qui est acceptation totale du
poids de l’existence »231.

Aussi loin que l’on recule l’horizon du monde


traditionnel Bantu , ce qui se sent et qui fait penser à une
matrice symbolique identique au sens de la totalité , c’est
le sens de la vie , le pouvoir de liaison du sang à la fois
coextensif et intérieur aux êtres .Leur pâtir semble
présupposer leur être-actif et cela revêt de toute nécessité
un caractère affectif, une capacité d’éprouver la réalité
autrement que par une relation d’ustensilité. Il apparaît
donc que la pensée de Kagamé riche dans la tradition
africaine par son contenu reste cependant dans une
impuissance idéologique incapable de se dégager de
l’ethnologie avilissante et baigne dans une impuissance
morbide à dépasser une critique abusive , soumise elle-
même à une idéalité impensée sur un site arbitrairement

231
KIMONI (I.).- Destin de littérature négro-africaine ou
problématique d’une culture (Kinshasa, PUZ, 1975), p.121.
225

considéré comme le lieu théorique d’où il faut partir


pour définir la philosophie africaine. Une telle conception
ne fait que substituer un problème à un autre qu’on pensait
avoir résolu. « Nous pensons que la possibilité de
radicaliser le sens de la découverte traditionnelle , à
savoir la relation interne du vivre et de l’être ou la
relation de l’être vrai à l’être réel immédiatement
connue à partir du corps, est d’une manière décisive mise
sur le chemin de sa solution par certains auteurs
occidentaux eux-mêmes , et non par le genre d’études
linguistiques où l’on oublie trop facilement que l’humour,
l’ironie , comme formes du pouvoir de la chair capable
de rire , est l’éthique très sérieuse du sentiment et des
visées métaphoriques de l’unité cosmo- vitale de
l’individu . Cette éthique est celle de quelqu’Un qui parle
ces langues négro-africaines , que l’on étudie en dehors de
la vie qui s’éprouve et s’efforce de durer , dans la forme
vivante d’un visage et non pas d’une image ».232

Si l’on lit attentivement ‘’La philosophie bantu


comparée ‘’ de Kagamé , l’on s’aperçoit ,selon Kahang
Rukonkissh, que par delà la langue philosophique
aristételo-thomiste , qui sert malheureusement à l’auteur
de matrice conceptuelle et de point de référence pour
asseoir sa théorie de ‘’philosophie bantu’’ et pour définir
ce qu’il appelle les catégories de l’être chez les Bantu,
ce que Kagamé récuse, c’est la validité du dualisme
substantialiste au point qu’il rejette la détermination de
l’absolu comme , selon le mot de Saint Augustin , ‘’Ipsum
esse subsistens ‘’de la métaphysique de l’évidence
rationnelle opposée à la fausse évidence sensible ,
comme évidence de la représentation sur celle de la

232
KAHANG A RUKONKISSH TSHAAW TSHA MAKWEGN,
‘’L’Affectivité et l’expérience du temps.Essai sur la visée‘’Bantu’’ de
maturité’’,thèse de Doctorat de IIIè cycle, (Strasbourg, Université de
Strasbourg, décembre1979), p.5.
226

perception qui ne l’est pas par elle –même. Si pour


Kagamé, il existe un mythe de la communion des vivants
et des morts , des choses et des êtres réels, des vies
individuelles et typiques, capables de la relation au
monde, à la vie, une vie , qui , par elle-même, se rend
témoignage à elle-même , alors la critique des épigones
est fondée . « L’immédiateté de la vie dans son savoir
sapientiel a servi des prétextes à tous ceux qui ont
cherché par l’épreuve de la vie comme valeur africaine
à prolonger des représentations indéfendables pour leur
propre prestation sociale , sur un terrain politique où le
problème était d’ores et déjà faussé . L’immédiateté de
la vie est le pouvoir d’être par soi –même , pouvoir
qu’aucune histoire idéologique en dehors du rapport
individuel au temps et à la qualité ne peut conférer à
quelqu’Un ».233

Une lecture attentive des auteurs de la philosophie


bantu et bantoue fait apparaître que la question de la
contestation de fond qui constitue l’intérêt de la
contestation , réside dans la remise en question d’une
conception de la philosophie africaine par opposition à
une plénitude de l’existence de la philosophie tout court ,
qui se réaliserait dans la philosophia perennis dans une
‘’ultima realitas’’ de tel être –là entendu comme moins
réel et insignifiant. La remise en question porte sur
l’analogie de l’être comme raison interne de l’être-là en
vertu d’une relation à ‘’l’ultima realitas’’. Cependant, il
ne faut point incriminer les langues bantu dont les
données n'ont pas été elles-mêmes inscrites dans une
problématique philosophique au sein d'une société
engagée dans une aventure théorico-philosophique.

Des auteurs tels que Tshiamalenga- Ntumba, Lufuluabo


et consorts qui donnent à l’analyse linguistique un autre
233
KAHANG, op. cit., p. 9.
227

dessein de vérité qu’une description de la langue


finissent par reconduire des représentations fixes , sans
en extraire des questions proprement philosophiques , avec
probablement un dessein de penser plus radicalement que
la sagesse , à un moment historique de la vérité : N’est-ce
pas que l’élément de sagesse donne à penser ?

I.3.Tshiamalenga Ntumba : l’impasse de la


philosophie ethnique ?

L’abbé Tshiamalenga Ntumba est né le 01


novembre 193 à Mbuji-Mayi en République Démocratique
du Congo ( ex Zaïre ).Après des études secondaires au
petit séminaire de Kabwe (1946-1952) et des études
philosophiques et théologiques au grand séminaire de
Kananga (1953-1958), il s’inscrit à la Faculté de
Théologie de Kinshasa (Lovanium) et y obtient une
licence de théologie (1959-1962). Après des études
philosophiques à l’Université de Bonn (Allemagne) de
1968 à 1971, il enseigna à la Faculté de théologie
Catholique à l’Université Nationale du Zaïre. Il est
docteur en Théologie .

Tshiamalenga Ntumba fait à la suite de Tempels et de


Kagamé, une vision Ntu de l’homme .Sa pensée semble
être un essai de philosophie linguistique et
anthropologique .Il s’appuie sur la signification structurale
des signes linguistiques , mots , phonèmes, qui ne sont
signifiants que par leur différence d’avec les autres
signes avec lesquels ils forment un système. Selon lui,
« Au niveau du dire, la signification sera fonction de
l’usage, mieux , elle sera cet usage même : c’est la
signification vivante, la seule qui, en fin de compte ,
intéresse l’herméneutique. En rigueur des termes, la
signification est à distinguer soigneusement de la
référence à quelque entité extra-linguistique , abstraite ou
228

concrète : la signification relève de la synonymie et est


donc rigoureusement intra-linguistique »234 .

Tshiamalenga Ntumba pense que le morphème radical


‘’ntu’’ structure toutes les compositions grammaticales
qui se rapportent à la présence de ‘’l’être-là’’ de quelque
chose .Il met également en exergue la classification des
êtres selon ‘’la catégorie’’ , ‘’NTU’’. Or, le morphème
radical est en fait une manière de désigner selon les écoles
linguistiques, le monème ou la modalité ou l’élément
dénombrable des classes nominales. On ne saurait le
qualifier de catégorie que par assimilation philosophique.
Hors d’un discours philosophique , ‘’ntu’’ ne saurait être
une catégorie .Si pour lui, le penser est plus une
organisation du langage de la communauté qu’une
véritable création d’un langage entièrement nouveau,
cela sous –entend que l’individu est entièrement limité
par sa communauté linguistique .Il ne peut penser que ce
que pense sa communauté .

À l’analyse, il n’y a donc pas à proprement parler


d’événement conceptuel ; il ne se passe rien de nouveau
dans le monde de l’esprit à partir de cette expérience du
moi communautaire , d’autrui et du monde .En effet, dans
une culture où l’air de la famille est étendu à tous les
êtres–là de l’univers dévitalisé , le sens cosmologique
fondamental peut être élucidé pour répondre sans doute
à une préoccupation , à un intérêt spéculatif réel , mais
rien n’exclut que l’interprétation lexico - sémantique , ne
repose que sur une présupposition fausse , sur un fantasme
malentendu. Il suffit pour cela que la thèse de la
constitution par l’extériorité de tout l’être , réductible à
l’objectivité , soit ontologiquement la seule possibilité de
la présence pour que le sens de la totalité n’appartienne

234
NTUMBA (T.).-’’La vision Ntu de l’homme, in philosophie
africaine, textes choisis I (Kinshasa, PUZ , 1975), p.160
229

qu’au réalisme naïf d’une subjectivité aliénée aussi bien


par la prétention à une autonomie réelle et par la
confusion de son autonomie imaginaire avec la structure
interne de tout ce qui est , même si les analyses de
Tshiamalenga Ntumba l’ont conduit à conclure que
‘’être-là’’, c’est « être en relation avec la totalité de ce qui
existe et en particulier avec l’homme pour qui l’existant
est être –là, de façon à pouvoir être rencontré ».235

Cette vision totalitaire du monde négro-africain


l’amène, malgré lui, à se poser les questions
suivantes :« ‘’Qu’est-ce que la philosophie africaine’’ ? –
La question peut s’articuler de la manière
suivante :a)Qu’est-ce que la philosophie et quelles en sont
les exigences ?b) Les visions africaines de l’homme, du
monde et de l’absolu, peuvent-elles prétendre au statut
épistémologique ,i.e. au genre de recherche et de
connaissance caractéristique de la philosophie ? c)
Quelles sont, dans l’Afrique d’hier et d’aujourd’hui, les
principaux thèmes que l’on peut qualifier de
philosophiques –je ne dis pas spécifiquement –
africains ?d) Comment apprécier les recherches
philosophiques africaine contemporaines ? »236.

Selon lui, l’expression ‘’philosophie africaine’’ a ici, un


usage restrictif dans la mesure où elle ne concerne que la
‘’philosophie négro-africaine subsaharienne’’, car « C’est
cette dernière surtout qui fait problème et non, par
exemple, la philosophie arabe africaine »237.

235
NTUMBA (T.).-‘’Langue et philosophie, le cas de Ciluba, Actes
de la 1ère Semaine philosophique de Kinshasa, (Kinshasa, université
du Zaïre, 1977), p.153.
236
NTUMBA (T.).-‘’Qu’est-ce que la philosophie africaine ? ‘’ in La
philosophie africaine , tome1, Actes de la 1ère Semaine philosophique
de Kinshasa , (Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique, 1977),
p.33.
237
NTUMBA, op. cit., p.34.
230

Implicitement, Ntumba reconnaît l’existence d’une


philosophie arabe africaine et semble remettre en cause,
disons, il doute foncièrement de l’existence d’une
philosophie négro-africaine. Pourquoi ? La raison semble
être due au fait que les arabes africains ont découvert et
utilisé l’écriture bien avant les négro-africains. Ces
derniers, s’ils ‘’philosophaient’’ ne peuvent le prouver que
par la tradition orale . Ce qui amène l’auteur à faire des
remarques suivantes :

« Par ‘’philosophie africaine traditionnelle’’ j’entends


l’ensemble des énoncés explicites de tradition orale
(sentences, maximes apophtegmes, proverbes, dictons,
mythes, épopées) des négro-africains au sujet de ce qui
en est, en fin de compte pour eux, de l’homme, du monde
et de l’absolu. Par ‘’philosophie africaine contemporaine
‘’ j’entends les ébauches faites par les philosophes
africains et africanistes , soucieux de méthode scientifique,
en vue soit de ‘’restituer’’ une pensée africaine
traditionnelle cohérente et ouverte à des prolongements,
soit de ‘’constituer’’ une pensée originale commandée par
la fidélité aux valeurs ancestrales et par les impératifs de
libération et de développement , soit de ‘’critiquer ‘’, de
façon constructive les recherches africaines en cours. Il va
de soi que le jugement à porter sur la philosophie
africaine sera nuancé suivant qu’il s’agit de philosophie
traditionnelle, de philosophie restituante, de philosophie
constituante ou de philosophie critique. Plus radicalement
encore, ce jugement est, lui-même, fonction de l’idée
qu’on se fait des exigences auxquelles doit satisfaire une
pensée pour être appelée philosophique »238. Mais qu’est-
ce donc la philosophie et quelles en sont les exigences ?

Selon Ntumba, la philosophie n’a pas une définition


univoque dans la mesure où les philosophies divergent
238
Ibidem.
231

quant à l’intention , aux méthodes, et aux résultats


obtenus. « En particulier , on peut dire que chaque
philosophe a Sa définition de ‘’philosophie’’ qu’il tend ,
abusivement , à considérer comme La définition de La
philosophie »239. Ainsi pour se donner bonne conscience et
prétendre ainsi à l’existence d’une philosophie africaine,
notre auteur va-t-il s’adresser à l’histoire de la philosophie
qu’il va brandir tel un drapeau de conquête. Dans ce cas ,
le choix des philosophies présocratiques semble être le
mieux indiqué pour justifier sa thèse. L’oralité étant son
credo de réflexion, il affirme : « La philosophie est
l’ensemble des philosophies historiquement attestées ;
telles sont celles de Solon l’Athénien, de Thalès de Milet,
des Sept Sages,des Hymnes orphiques, des Pythagoriciens,
des Ioniens, des Eléates, de Platon, de Kant, de
Wittgenstein I et II , etc...Corrélativement , la définition de
‘’philosophie’’ est l’ensemble des définitions des
‘’philosophies ‘’ historiquement attestées telles qu’elles
sont impuissantes , prises séparément , à faire justice à
chacune des philosophies historiquement attestées. En
d’autres termes, la philosophie n’existe pas, à l’état de
réalisation historiquement attestée. Il n’existe que des
philosophies divergentes quant à la forme et quant au
contenu, et donc allergiques à tout dénominateur commun
susceptible d’en constituer la définition »240.

Ainsi, pense l’auteur, il y aura et il y a une pluralité de


définitions de la philosophie, sans pour autant la
déterminer adéquatement ni l’achever définitivement .Il ne
saurait avoir de critères absolus de la définition de la
philosophie. Par conséquent, il faut relativiser les
définitions que l’on donne à la philosophie. « Il s’en suit
que la philosophie africaine traditionnelle et la
philosophie africaine contemporaine n’existent ni en

239
Ibidem.
240
NTUMBA, op. cit., pp.34-35
232

droit ni en fait . Et il faut en dire autant de toutes les


philosophies de tous les continents. Non seulement elles
sont conditionnées par leurs contextes linguistico-
culturels, mais encore par le génie de chaque philosophe
ou de chaque collectif de philosophes »241.

Si l’on s’en tient à ce postulat , on accepterait sans


risque de se tromper que la philosophie est à la fois partout
et nulle part. La philosophie, c’est sa décidabilité de même
que son contexte historique et linguistique . Ainsi, nous dit
Tshiamalenga Ntumba, « Si ‘’l’histoire de la philosophie
‘’ appelle‘’ philosophie’’ les fragments des présocratiques
, les’’ Pensées ‘’ d’une Marc-Aurèle ou les ‘’Maximes’’
d’un Larochefoucauld et autres textes semblables, alors
bien des textes de tradition africaine orale peuvent être
appelés philosophiques au sens historique défini plus
haut »242 .Dès lors l’argument de l’existence de la
philosophie africaine est tout trouvé : la philosophie, c’est
aussi l’oralité. Socrate n’avait pas écrit, il avait cependant
parlé. Le raisonnement a la forme d’une implication
formelle suivant le modèle de la logique
interpropositionnelle : « ‘’Si le statut épistémologique
d’une partie de la pensée négro- africaine traditionnelle
(A) est identique au statut épistémologique d’une partie
de la pensée présocratique et de pensées semblables (B) et
si le statut épistémologique de ladite pensée présocratique
est philosophique (C), il s’ensuit que le statut
épistémologique de ladite pensée négro-africaine (A) est
philosophique (C).Grossièrement formalisé, il vient : ((A-
B)  (B C)) (A  C), ce qui est une tautologie »243.

Ainsi, à la question de savoir si les Bantu traditionnels


ont-ils une philosophie ou même des philosophies,

241
Ibidem, p.35.
242
NTUMBA, op. cit., p.36.
243
NTUMBA, op. cit., p.37.
233

Tshiamalenga Ntumba estime que «certains contes, récits,


proverbes, etc. sont des moyens consciemment choisis par
les Bantu traditionnels pour transmettre le fruit de la
réflexion sur le monde , l’homme et l’absolu. Il s’agit là
certes d’une philosophie inachevée et fragmentaire. Mais
toute philosophie, même la mieux élaborée, reste
fragmentaire et inachevée en tant qu’entreprise humaine. Il
y a seulement des degrés dans l’inachèvement »244. Il
pense qu’à la manière des fragments présocratiques, ces
énoncés constituent la philosophie africaine traditionnelle.

À ce niveau de réflexion, la problématique de la


philosophie africaine traditionnelle s’éclaircit et apparaît
sous des aspects aussi bien lumineux qu’ombrageux ; elle
ne peut être que celle qui prend comme objet ou prétexte
de réflexion la tradition africaine . Or, cette tradition
relève davantage de l’oralité. Dès lors, « parler de ‘’
philosophie africaine’’ , n’est-ce pas un ‘’lapsus linguae’’
doublé d’un vol de l’intégrité et de l’authenticité de la
pensée africaine ? Peut-on se penser soi-même et sa propre
pensée dans une langue étrangère et en traduction ? Si
non, ne faut-il pas alors se taire , en donnant la parole aux
seuls ‘’féticheurs’’ de nos villages, i.e. à ceux que
l’Occident n’avait pas encore ‘’truqués’’ ? (...)L’Africain ,
digne de ce nom, doit constamment se garder de tomber
dans le piège de l’aliénation de soi en troquant ses
catégories linguistiques contre les catégories linguistiques
et le mode culturel propre à celui qui l’a colonisé , au
prix d’une grave ‘’confusion des langages’’.« Ici donc,
tout alignement , toute équation hâtive , sont contraires à
l’affirmation de soi de l’Africain»245.
244
NTUMBA (T.).-‘’Langue et philosophie, le cas de Ciluba, Actes
de la 1ère Semaine philosophique de Kinshasa, (Kinshasa, université
du Zaïre, 1977), p.159.
245
NTUMBA (T.).-‘’Qu’est-ce que la philosophie africaine ? ‘’ in La
philosophie africaine , tome1, Actes de la 1ère Semaine philosophique
234

Pour notre auteur, la notion de la philosophie n’étant


pas univoque, cela autorise donc un emploi souple mais
correct fondé sur l’histoire de la philosophie elle-même.
Chaque peuple, considérant l’usage de sa culture, peut
prétendre à faire la philosophie. Selon lui, la traduction ne
doit pas être un obstacle à l’affirmation d’une philosophie
dans la mesure où ‘’Le ‘’féticheur ‘’ qui réactualise une
sentence ancestrale, la ‘’traduit’’ dans sa vie avec tous les
acquis de l’évolution sociale et de l’acculturation
auxquels nul n’échappe complètement.

« ’’ le primitif pur’’ est impensable s’il vit dans un


monde engagé dans le procès de la planétarisation : sa
pensée n’est jamais ‘’pure’’,elle est toujours déjà
contaminée par autre que soi . Toujours il traduit »246.
Toute traduction devient dans ce cas, une autoréalisation
culturelle, une autoformation . L’autre problème de
traduction auquel Ntumba s’emploie à critiquer est la
traduction d’une langue étrangère en sa langue propre.
Pour lui, la promotion de la communication intersubjective
compense le fait que chaque traduction soit une trahison.

D’ailleurs , il s’interroge : que serait la Bible judéo-


chrétienne sans ses ‘’relectures ‘’et sans ses
‘’traductions’’ ? « Une‘ ’relecture ‘’en tant que traduction
du passé dans le présent est une nécessité impérieuse de
la vie pleinement assumée . En termes d’économie
politique, on peut dire que les biens de la culture , une
fois produits, doivent circuler . douanières que sont les
diverses traditions et diverses langues parlées sur notre
planète , la traduction et la relecture en constituent
l’opération de dédouanement, fût-ce à l’intérieur d’une

de Kinshasa , (Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique, 1977), pp


.41-42.
246
NTUMBA (T.), op. cit., p.43.
235

même nation ! ‘’se taire’’ est impossible , car prendre


conscience qu’on se tait , se dire à soi-même qu’on se tait
, c’est encore parler ! Le fait est que nous ne cessons de
parler . Et, on l’a vu, parler, réactualiser, interpréter ,
même dans sa langue maternelle , c’est traduire, en tout
cas, ‘’relire à de nouveaux frais ‘’, c’est-à-dire , relativiser
sa propre authenticité en l’ouvrant nécessairement à
autrui , avec tous les risques que cela comporte
d’enrichissement et /ou d’appauvrissement . Tout, en
l’homme, l’œuvre à autre que soi, pour le meilleur et pour
le pire : désir de vivre, d’aimer , de savoir, de communier
et de communiquer . En ce sens , le repli définitif sur soi
est un suicide . Ce peut seulement être une stratégie
temporaire en vue de concentrer ses énergies potentielles
. un jour, celles-ci doivent bien se traduire en travail , i.e.
en dépense communicative , i.e. . traduisante »247 .

La pensée de Tshiamalenga Ntumba est donc claire :


parler de philosophie africaine, c’est parler des exigences
de la tradition africaine. On ne peut parler de philosophie
africaine sans le savoir vraiment. c’est pourquoi, il réfute
avec véhémence les pensées de Towa, de Hountondji et
autres Franz Crahay, qui, selon lui, réfutent le nom de ‘’
philosophie africaine’’ traditionnelle et semblent
considérer la philosophie africaine
d’’’ethnophilosophie’’.Mais, s’interroge-t-il, « Fait-on de
‘’l’ethnophilosophie’’ en étudiant le poème parménidien
ou tel mythe socratique ? Un Paul Ricoeur , étudiant la
symbolique du mal attestée par la tradition judéo-
chrétienne , est-il pour autant , un ethnophilosophe ? Si
oui, alors, toute philosophie de restitution herméneutique
est, à la limite, de l’ethnophilosophie, et le mot devient
‘’innocent’’.

247
Ibidem.
236

Que toute restitution herméneutique comporte, pour


l’herméneute, toujours en même temps le danger de
‘’projeter’’ sa propre philosophie derrière celle qu’il
interprète, c’est ce qui n’échappe à personne. L’on peut
même reconnaître que ce dernier est insurmontable. Même
si on ne faisait que ’’ répéter’’ les affirmations du tiers , le
fait même de les répéter dans un contexte donné ferait en
sorte que la ‘’répétition ‘’perdrait son ‘’innocence’’ et
deviendrait une interprétation, i.e. une réactualisation. De
plus, une restitution qui ne comporterait aucun
‘’prolongement critique’’, aucune ‘’systématisation’’,
serait dépourvue de tout intérêt philosophique : elle ne
constituerait qu’un ‘’document’’ pour l’historien. Il suffit
que l’herméneute marque assez où finit la ‘’restitution ‘’ et
où commence sa propre lecture. Par ailleurs, une pensée
ne cesse pas d’être une pensée du seul fait qu’elle n’est
pas écrite, encore moins signée »248.

Ainsi donc la philosophie africaine ne pourrait-elle se


valoir que par le retour à la source traditionnelle : « C’est
dire que la production philosophique a bien des visages et
qu'il ne faut pas dogmatiquement privilégier une option
au détriment d’une autre . Encore une fois, ‘’la’’
philosophie a priori n’existe pas . Simplement, il peut être
plus urgent et il est urgent de pratiquer une philosophie
‘’engagée’’ plutôt qu’une philosophie simplement
‘’académique’’ »249. Tel était le vœu du Mouvement de la
Négritude.

248
NTUMBA, op. cit., p.45.
249
NTUMBA, op. cit., p.46.
237

Chapitre II. De la Négritude à la


problématique de l’Esthétique négro-
africaine : du retour aux sources à la source.

« La fonction critique de l’art, sa contribution à la lutte pour la


libération, réside dans la forme esthétique .Une œuvre d ’art n’est
authentique ou vraie ni en vertu de son contenu (c’est-à-dire d’une
représentation »correcte » des conditions sociales), ni en vertu de sa
« pure » forme, mais parce que le contenu est devenu forme »
MARCUSE (H.).-La dimension esthétique. Pour une critique de
l’esthétique marxiste, Traduit de l’anglais par Didier Coste (Paris,
Seuil, 1979), p.22.

« Si la libération est notre but, alors la chose la moins avisée que


nous puissions entreprendre est certainement la restauration du
monde ancien, la conservation de notre spécificité, le culte de la
différence et de l ’originalité, puisque la cause de notre défaite et de
notre condition actuelle de dépendance effective est à chercher dans
notre spécificité, dans ce qui nous différencie de l ’Europe, et nulle
part ailleurs » .
1
TOWA (M.).-Essai sur la problématique philosophique dans
l’Afrique actuelle (Yaoundé, Clé,1981), p.40.

Autour des années 30, l’on assiste à l’éclosion à Paris


d’un mouvement littéraire animé par des jeunes noirs . Sa
doctrine, rompre avec les traditions littéraires occidentales
sur les plans artistiques et idéologiques. En effet, le 01-
juin 1932, sur la couverture rouge vif d’une mince
238

brochure, s’allongent de grandes lettres noires : Légitime


défense.

L’avertissement des premières pages ressemble bien à


un manifeste. L’on sait qu’en cette période là, tout le
monde se voulait révolutionnaire. C’est ainsi que la
conquête de la liberté rimait avec le marxisme ,
notamment la mise en garde de Marx dans l’ouvrage
destiné aux prolétaires de tous les pays, aux hommes dont
la liberté était confisquée par les classes bourgeoises . Le
Manifeste du parti communiste de Marx et de Engels a
sans nul doute beaucoup influencé les théoriciens africains
de cette époque. L’on ne sera pas étonné de savoir qu’une
fois l’indépendance obtenue, nombre de présidents
africains se soient réclamés du socialisme.

Noirs martiniquais, antillais, tous des étudiants à Paris,


ces jeunes semblent bien décidés à ne plus composer
avec ‘’l’ignominie environnante ‘’.Pour cela , ils veulent
bien se servir des armes que l’Occident même leur a
offertes : le communisme et le surréalisme, mais aussi et
surtout l’existentialisme . Les maîtres de leurs idées sont
connus : Marx, André Bréton, Sigmund Freud, Arthur
Rimbaud, Jean –Paul Sartre. Ils déclarent la guerre à cet
‘’abominable système de contraintes et de restrictions,
d’exterminations de l’amour et de limitation du rêve ,
généralement désigné sous le nom de civilisation
occidentale ‘’. Les invectives se mêlent de plus en plus
aux professions de foi . Selon eux, il est temps d’abominer
l’hypocrisie humanitaire , ‘’cette émanation puante de la
pourriture chrétienne .‘’ Ils haïssent la pitié et se foutent
des sentiments .C’est désormais la pensée de la rébellion
qui rejette systématiquement la ‘’personnalité d’emprunt’’
et refusent d’être honteux de ce qu’ils éprouvent. En
somme, ils se reconnaissent – malgré leur éducation –
différents des Européens auxquels leurs pères souhaitaient
239

s’assimiler. Leur différence raciale et culturelle, ne leur


paraissait pas être une tare, mais au contraire une fierté.
Fier d’être soi- même, fier de sa race, de sa culture et de sa
civilisation, fier d’être Noir. C’était une promesse féconde
teintée de révolte et de ressentiment. « C’était là en 1932,
renverser une hiérarchie de valeurs solidement établie
aux Antilles et dont souffraient encore des pays déjà
indépendants comme Haïti. Ce renversement des valeurs ,
premier pas vers la reconnaissance de la ‘’négritude , il
est remarquable qu’il ait été accompli par de jeunes
intellectuels idéalistes , bénéficiaires pourtant, du fait de
leurs origines bourgeoises , d’une situation sociale
privilégiée , mais bâtie sur l’exploitation de la masse et le
préjugé racial »250 .

‘’Légitime défense’’ va influencer les étudiants noirs


de Paris. Elle dépassa le cercle des Antillais et atteignit
les étudiants africains dans la mesure où toutes les idées
d’où allaient germer la renaissance culturelle des Noirs
d’expression française s’y trouvaient : critique du
rationalisme, souci de reconquérir une personnalité
originale, le retour à l’authenticité , refus d’un art asservi
aux modèles européens, révolte contre le capitalisme
colonial. De légitime défense à l’Etudiant noir, les idées
des étudiants noirs vont faire leur effet. « Ses promoteurs
s’efforcent dès le départ , d’enraciner leurs œuvres dans
la tradition culturelle négro-africaine .L’Afrique, humiliée
par des siècles d’esclavage, de colonialisme et
d’oppression raciale devient le sujet même de cette
nouvelle production littéraire. La création artistique des
animateurs du mouvement ne se cantonne pas dans une
contemplation passive du monde. Elle est militante. Tout
en étant les malheurs et les désespoirs des peuples noirs,

250
KESTELOOT (L.). Les écrivains noirs de langue française :
naissance d’une littérature, ( Bruxelles, Université Libre de
Bruxelles, 1967), pp.25-27.
240

l’art de ces jeunes gens , exilés dans la culture occidentale


, répand un écho sonore et lyrique , car il contient un
espoir et une croyance en un avenir radieux du continent
et de ses fils dispersés par les malheurs passés et présents
sur les autres planètes . C’est un véritable réquisitoire
aboutissant à un sursaut de conscience . Le Noir et ses
valeurs entrent dans la littérature . Le voile du mépris se
déchire . La bataille pour la promotion de la culture négro-
africaine se livre sur le terrain même de son agresseur et
de son fossoyeur. Quelle témérité ! La jeunesse a pour elle
, l’ardeur, la foi. Son combat pour la défense et
l’illustration de la culture négro-africaine prend de
l’ampleur en mesure qu’elle se heurte au cours de sa
progression , aux innombrables obstacles dressés par la
politique . La réalité se présente dans toute sa lucidité . Le
Noir n’est même plus capable de produire et de jouir de sa
propre culture . Même s’il en était encore capable, aurait-il
la faculté d’en profiter pleinement ? La revendication
culturelle débouche sur l’exigence des libertés
251
fondamentales pour les Noirs » .

Cette revendication d’indépendance fut longuement


préparée et n’a éclaté qu’au terme d’une lente évolution.
Les écrivains dits de la ‘’Négritude’’, ont attiré sans cesse
l’attention sur les abus de la colonisation et de la
chosification de l’homme Noir. « Mais l’Occident ne
voulait rien entendre ! Il est vrai qu’à cette époque, il était
lui-même fort occupé à remettre en question ses propres
valeurs . Dès le début de ce siècle, la philosophie, l’art, la
littérature avaient ébranlé les bases culturelles de la société
française. Mesure, raison, progrès, vérité absolue, tous des
piliers sur lesquels leur majuscule, assaillis bientôt par

251
DAILLY (C.).-‘’Vers une révolution idéologique de la littérature
négro-africaine ‘’in Revue de littérature et d’esthétique négro-
africaine, tome1, (Abidjan, Nouvelles Editions Africaines, 1977),
p.31.
241

une vague prodigieuse qui libérait l’esprit et la


sensibilité de toute entrave. (...)Les idées démocratiques
bourgeoises qui avaient nourri le XIXe siècle tombaient en
désuétude.(...)Cet effondrement et ces contradictions ne
pouvaient demeurer ignorés des hommes de couleur ;
fallait-il qu’ils attendrissent patiemment que l’Europe ait
résolu ses affaires de famille , sans profiter des leçons du
triste spectacle qu’on leur offrait pour remettre à leur tour
en question la puissance de l’Occident ? Comment
s’étonner que cette époque ait connu l’éveil des
nationalismes africains ? Le mythe de la civilisation
occidentale comme modèle et comme absolu , enseigné
dans les colonies , s’effritait dès que les Africains
mettaient le pied en France »252.

S’aidant des travaux des ethnologues européens , tels


Léon Frobenius, Jean Delafosse, Marcel Mauss, Michel
Leiris, ils revendiquent le droit d’être enfin eux-mêmes.
« Révolution culturelle ! Littérature de contestation !
premier symptôme de la décolonisation en
marche »253 !Ils décident alors de donner à leurs peuples
la liberté de choix et le sens critique. Les idéologies de la
Contestation vont s’accentuer ; elles ont pour noms : le
socialisme de Marx, le surréalisme d’André Bréton, la
psychanalyse de Freud et l’existentialisme de Sartre. Que
tire la Négritude de ces idéologies ? Que lui apportent-
elles et pour quels buts et quels objectifs ? « Critique de
l’Occident et revalorisations des cultures indigènes se
renforcent pour rendre aux intellectuels colonisés leur
dignité. Car c’est bien là le but recherché . Ils estiment
qu’ils n’ont pas à devenir semblables aux colonisateurs :
ils sont ses égaux , et cependant différents . C’en est fini
pour eux de renier leur race , d’être honteux de leur

252
KESTELOOT (L.).-Négritude et situation coloniale (Yaoundé, Clé,
1968 ), pp6-7.
253
KESTELOOT, Ibidem.
242

couleur, de leur corps, de leur passion fondamentale et


particulières ; ils ont cessé de « vivre dans un domaine
irréel déterminé par les idées abstraites et l’idéal d’un
autre peuple »(René Ménil). Devenus conscients de leur
aliénation , ils ressentent plus vivement celle de leur
peuple et surtout la domestication des évolués.

Les intellectuels noirs vont assumer alors leurs


responsabilités. C’est à eux qu’il appartient de montrer la
route , de remettre de l’ordre dans le chaos de
254
l’acculturation , de ressusciter le peuple asservi » . Ont-
ils réussi leur pari ? Que visaient les idéologies pré-citées
et quelles étaient leurs places dans ce vaste mouvement de
la Négritude ?

II. 1.La Négritude dans le sillage du surréalisme ?

La souffrance subie, le terrorisme verbal du


colonisateur européen qui affirmait qu’il n’y avait de
civilisation qu’occidentale, n’a pas été sans rappeler ces
énonciations tapageuses , provocantes , comminatoires
qui furent celles d’un mouvement que l’on croyait depuis
longtemps tombé en désuétude et ne survivant plus que
par la vertu de quelques volumes rangés sur les rayons de
la littérature africaine .La révolte de la jeunesse noire à
Paris, a réalisé avec éclat ce que le Surréalisme avait
toujours rêvé de justifier : une révolution qui n’eût
d’autres motifs que l’irrationnel besoin de l’individu
d’exprimer ses désirs même les plus invraisemblables , de
prendre possession de la rue , de faire savoir avec
véhémence , et au besoin par le recours à la violence ,
qu’un ordre de l’inconscient existe , qui ne saurait se
satisfaire des médiocres compensations de la vie
quotidienne : évasions ou divertissements.

254
KESTELOOT, op. cit., p.11.
243

Les poètes surréalistes , épris de l’insolite , des


rencontres , des conjonctions imprévues du beau et du
bizarre , de la vie ordinaire devenue une aventure,
n’eussent certainement pas désavoué un mouvement qui
montrait enfin que la terreur pouvait être belle , que la
contestation peut être une violence inouïe , que la
rhétorique,art de convaincre mais aussi de métamorphoser
, servait mieux les vérités provocantes que la propagande
officielle , et pouvait détourner les murs de leur usage
ordinaire pour en faire des supports de mots d’ordres et
d ‘évidences à valeur poétique.

Par ailleurs, le surréalisme , en raison de son caractère


cosmopolite , voire universaliste , prétend représenter plus
qu’un groupe ou mieux que les problèmes de rénovation
littéraire d’une nation . Son génie s’apparente aux traits
mêmes du monde moderne : internationalisme, recherche
passionnée de solutions nouvelles dans les techniques,
libération des peuples, liberté des individus , ou dans un
exotisme qui prend valeur de révélation (goût prononcé
pour le jazz, les religions asiatiques, l’art nègre ).

Dans une certaine mesure, la Négritude avait une


semblable vocation ; exprimer un malaise général de la
race noire ,être universelle, chercher des domaines
nouveaux pour compenser la situation précaire du Noir,
son sentiment de vulnérabilité , exprimer une solidarité
qui n’allait pas sans quelques prétentions aux
messianismes mystiques . Les auteurs de la Négritude sont
certains de revendications surréalistes (droit absolu de
l’individu à remettre en question la communauté sociale)
et certains de ses conduites ou de ses mises en scènes .

L’illusion commune de ces deux mouvements dont


nous faisons le parallèle fut de croire en l’instauration
d’un âge d’or : changer le monde est une affaire de
244

langage , de sorte que le rôle du poète à la fois savant,


messie, aventurier , devient primordial et ne tolère aucune
compromission . Comme les surréalistes, on pourrait aussi
qualifier les tenants du mouvement de la Négritude de
mouvement avant –gardiste , c’est-à-dire s’arrêter à cet
aspect de recherche parfois scandaleuse qui fut le sien
pour nombres de critiques littéraires .Pour l’instant, disons
que l’expérimentation ne fut pas une fin en soi, mais
seulement un moyen parmi tant d’autres dont usaient les
poètes nègres pour illustrer leur conception de la vie et
de la destinée .

On sait qu’André Breton dans son Manifeste du


surréalisme, définissait le surréalisme en 1924 comme
« un certain automatisme psychique qui correspond aussi
bien à l’état de rêve , état qu’il est aujourd’hui fort
difficile de délimiter » à propos d’un terme dont il
corrigera sans cesse la portée sans être toujours
conséquent envers lui- même. Cependant, le premier
manifeste du surréalisme définit la surréalité comme un
« Automatisme psychique pur par lequel on se propose
d’exprimer , soit verbalement, soit par écrit, soit de toute
autre manière , le fonctionnement réel de la pensée .
Dictée de la pensée , en l’absence de tout contrôle exercé
par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique
ou morale . Le surréalisme repose sur la croyance à la
réalité supérieure de certaines formes d’association
négligées jusqu’à lui, à la toute puissance du rêve , au jeu
désintéressé de la pensée . Il tend à ruiner définitivement
tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer
à eux dans la résolution des principaux problèmes de la
vie »255 .

255
BRETON (A.), cité par VERONIQUE BARTOLI-ANGLARD in
Le surréalisme, (Paris, Nathan, 1989), p.5.
245

On voit ce que cette définition doit à la pratique


freudienne de la libre association : tout mécanisme
analogique involontaire de la pensée exprime le
surréalisme, en dehors de toute considération de moralité :
c’est précisément la manière dont, pour Freud, s’exprime
l’inconscient du névrosé. Il semble bien qu’Aragon ait eu
une vue plus cohérente du surréalisme . En effet, dans le
premier numéro de « la Révolution surréaliste » en 1924,
il fait l’analyse de la puissance d’invention développée
par le surréalisme. Le surréalisme, dit-il, doit être
considéré comme un moyen terme entre le réel et l’irréel ;
le réel, c’est à la fois l’utilitaire , le technique, l’objectif ;
l’irréel, c’est le refuge dans l’imaginaire , la récréation du
monde pour des nécessités affectives ; le surréel naît de
l’insatisfaction de l’esprit et de sa puissance d’invention ;
nulle idée de refuge dans la surréalité , mais au contraire ,
la volonté d’affronter une objectivité inquiétante qu’on
s’efforce habituellement d’ignorer par le recours à la
connaissance vulgaire qui s’établit selon des normes
sécurisantes .

Ici encore, le parallèle avec les définitions de la


Négritude sont sans ambages si l’on en juge aux
définitions que Senghor nous donne de la Négritude :
« Dans quelles conditions avons-nous , Aimé Césaire et
moi, lancé dans les années 1933-1935, le mot de
Négritude ? Nous étions alors plongés , avec quelques
autres étudiants noirs , dans une sorte de désespoir
panique. L’horizon était bouché. Nulle reforme en
perspective , et les Colonisateurs légitimaient notre
dépendance politique et économique par la théorie de la
table rase .Nous n’avions , estimaient-ils, rien inventé, rien
créé, rien écrit, ni sculpté, ni peint, ni chanté. Des
danseurs ! et encore...Pour asseoir une révolution efficace,
notre révolution, il nous fallait d’abord nous débarrasser
de nos vêtements d’emprunt – ceux de l’assimilation –et
246

affirmer notre être , c’est-à-dire notre négritude .


Cependant, la Négritude ,même définie comme
« l’ensemble des valeurs culturelles de l’Afrique noire »,
ne pouvait nous offrir que le début de la solution de notre
problème , non la solution elle- même. Nous ne pouvions
plus retourner à la situation d’antan, à la négritude des
sources . Nous étions des étudiants de Paris et du XXème
siècle ? De ce XXème siècle dont une des réalités est,
certes, l’éveil des consciences nationales, mais dont une
autre, plus réelle encore, est l’interdépendance des peuples
et des continents . Pour être vraiment nous- mêmes , il
nous fallait incarner la culture négro-africaine dans les
réalités du XXème siècle. Pour que notre négritude fût ,
au lieu d’une pièce de musée, l’instrument efficace d’une
libération , il nous fallait la débarrasser de ses scories et
l’insérer dans le mouvement solidaire du monde
contemporain »256.

La Négritude devient alors comme le surréalisme, refus


de se laisser assimiler, affirmation de soi, révolte : « Il en
est de l’indépendance comme de la Négritude. C’est
d’abord une négation, je l’ai dit, plus précisément
l’affirmation d’une négation . C’est le moment nécessaire
d’un mouvement historique : le refus de l’Autre, le refus
de s’assimiler, de se perdre dans l’Autre. Mais parce que
ce mouvement est historique , il est du même coup
dialectique . Le refus de l’Autre , c’est l’affirmation de
soi »257.Nous ne sommes pas loin ici de la négation
absolue du Dada surréaliste, le langage organisé ,
instrument de contrôle de la société sur les individus ,
auquel, on oppose la liberté absolue de la création

256
SENGHOR (L.S.)- Rapport sur la doctrine et la propagande du
parti, Congrès constitutif du Parti du Rassemblement Africain
(P.R.A.), fascicule ronéotypé, (Dakar, 1979), p.14.
257
SENGHOR, op. cit., p.25.
247

spontanée , et bientôt le nihilisme le plus absolu et


parfois le plus grotesque.

En effet, le 08 février 1916, naît à Zurich, au cabaret


Voltaire, le mouvement Dada : c’est dans cette ville que
se sont expatriés des artistes venus de différents pays
européens comme Tristan Tzara(roumain), Hans Arp
(alsacien), Richard Huelsenbeeck (allemand) ; il s’agit des
nihilistes qui rejettent la notion d’art en tant que telle
.C’est à l’aide d’un coupe-pied pointé au hasard sur les
pages d’un dictionnaire, que fut choisi le nom du
‘’mouvement’’, un nom le plus dénué de sens possible,
‘’dada’’ dont Trista Tzara conservera dans toute son
œuvre la spontanéité qui définit le groupe Dada .

« Quand on a vécu l’absurde, on ne peut plus accorder


de crédit à une fiction , quelle qu’elle soit . Dada est
profondément subversif : il remet en cause la société, la
fonction de l’art et tous les gestes littéraires héritiers du
passé ; il voit dans la libre expression le moyen de se
révéler à soi et aux autres . Attaquer le langage , c’est se
révolter contre la société et se donner des moyens
authentiques pour récréer le monde.« Contre les
représentations culturelles , il convient de recentrer son
point de vue , de refuser tout idéalisme : pour Tristan
Tzara, « la pensée se fait dans la bouche. » Il n’y a rien
d’autre que des mots : la pensée naît de la main qui forme
les caractères sur le papier et du corps qui ressent les
émotions ; nulle autre considération ne doit prévaloir et
on veut nous imposer des règles , des institutions qui
brident la liberté d’expression : « quelle langage lui-
même soit un phénomène d’ordre social , rien de plus
incontestable ».(Grains et issues) ‘’Dada’’ devient un mot
d’ordre lancé contre toutes les formes de contraintes : il
faut mettre à bas toute la société et retrouver la vie, se
conquérir soi-même dans l’unité des contraires . À une
248

période de destruction doit succéder une reconstruction


qui se fonderait non sur un choix mais sur une éternelle
« double postulation » »258.Tel était aussi à quelques
degrés près, le sens du mouvement de la Négritude. On
sait que pour Senghor, la pensée se fait dans l’émotion
comme elle se fait dans la bouche chez Tzara. L’émotion
serait la spécificité du nègre, une certaine attitude affective
du noir : « Le rythme , qui naît de l’émotion , engendre à
son tour l’émotion .Et l’humour, l’autre face de la
Négritude. C’est dire sa multivalence »259, écrit Senghor.

Tout mouvement artistique et littéraire obéit à des


présupposés idéologiques et se donne nécessairement des
règles pour définir ses actions. Les tenants de la Négritude
veulent remettre en cause les sociétés colonisatrices
européennes. Ils croient à un changement radical des
choses, pour imposer un ordre nouveau. Avant d’être une
école littéraire, La Négritude est avant tout un mouvement
de Contestation qui proteste contre l’aliénation des nègres,
contre le processus de la domination d’une minorité
blanche. Ils étaient au seuil d'un nouveau cri: celui de la
liberté . Un « acte décisif avait été perpétré. Les moutons,
parqués dans une bergerie sordide, las de bêler
stupidement , s’étaient soudain mis à hurler , semant la
panique parmi les loups »260.

L’appel à la contestation s’assortit d’une lutte


idéologique inspirée du surréalisme, mais aussi du
marxisme. La négritude dans ce cas implique une double
analyse, culturelle et politique. Comme le surréalisme, le
Mouvement de la Négritude« a prôné la révolte

258
BARTOLI-ANGLARD (V.) .- Le surréalisme , (Paris, Nathan,
1989), p.24.
259
SENGHOR (L.S.).-Ethiopiques, (Paris, Seuil, 1956), p.116.
260
JUMINER (B).-Au seuil d’un nouveau cri, (Paris, Présence
Africaine, 1973), p.24.
249

permanente et totale de la transgression des tabous ; il a


lancé un défi aux lois logiques admises sans examen
critique : il s’agissait, pour un groupe de jeunes gens , de
ne plus se contenter de la platitude quotidienne mais de
retrouver toutes les richesses de l’existence que nous
masquent des habitudes stérilisantes .« Le discours du
pouvoir tente d’imposer sa vision du monde , présentée
comme l’expression de la vérité . La société se révèle
incapable de satisfaire l’individu »,la critique politique du
système de la contestation que tenteront de mener à bien
les auteurs de la Négritude , s’inscrit dans la continuité de
Marx. Ils contestent l’hypocrisie des règles édictées par
le christianisme occidental, l‘institution officielle . « Le
rejet de la religion s’accompagne d’une virulente remise
en question de toute notion de culpabilité et d’un parti-
pris provocateur d’obscénité. Contre une morale misogyne
qui donne encore de la femme l’image de la tentatrice ou
de la forme animale de l’animal de l’homme, contre une
morale qui fustige la passion présentée comme
l’instrument de la dégradation de l’homme , ils réhabilitent
l’amour et l’union charnelle et spirituelle dans le
couple »261.

Remettre, ainsi en question la position du sujet dans la


société a pu apparaître comme un décentrement du
fondement même de la culture africaine. Certains ont
même vu la Négritude comme un anti-humanisme.
L’imposition de la Grande Royale, par exemple, avec un
caractère autoritaire, allié à sa forte personnalité, lui
permet de trancher les problèmes, même si la solution
qu’elle propose n’est pas celle de la majorité , elle finit par
s’imposer : « Samba Diallo avait vu souvent la Grande
Royale se dresser , seule, contre l’ensemble des hommes
. (...)Elle était toujours victorieuse , parce que nul n’osait

261
BARTOLI-ANGLARD (V.), op. cit., p.6.
250

lui tenir tête longtemps »262.Certains critiques se sont


même demandé si ce personnage était vraisemblable dans
une société africaine où la femme n’est pas l’égale de
l’homme, une société dans laquelle la femme ne peut que
jouer qu’un rôle subalterne , une société traditionnelle et
musulmane , que l’on croit porter traditionnellement à
mépriser la femme . Dans tous les cas, la Grande Royale ,
semble être ici la représentante du fond culturel
traditionnel africain. En faisant preuve d’un esprit
pragmatique développé qui sait passer outre les
appréhensions de caractère religieux que vivent les
marabouts et le chef coutumier , en tirant les conséquences
des prémisses qu’elle n’a pas voulues, elle déclare sans
ambages : « Notre grand père, ainsi que son élite ont été
défaits. Pourquoi ? Comment ? Ces nouveaux venus le
savent. Il faut le leur demander ; il faut aller apprendre
chez eux l’art de vaincre sans avoir raison »263.

Dans Les bouts de bois de Dieu, le rôle exceptionnel


des femmes qui font cinquante kilomètres à pied pour
soutenir leurs maris grévistes de Thiès à Dakar, malgré
une multitude d’obstacles, de lourdes fatigues et de
privations de toutes sortes, montre le lien solide de leur
entraide et l’émancipation de la femme noire. Les femmes
contribuent au succès de la grève des cheminots. La
vieille Niakoro conseille la prudence car l’expérience des
grèves antérieures lui , a en montré certaines fâcheuses
conséquences . Elles se joignent aux hommes pour
combattre les forces de l’ordre ,elles affrontent
courageusement les miliciens . L’héroïque Penda, d’abord
comme prostituée de Thiès qui vit sous l’impulsion de ses
intérêts et de ses désirs, ensuite comme femme engagée ,
saisie d’un vif sentiment de solidarité , emboîte le pas des
grévistes et se mêle à l’action sociale en faveur des

262
KANE (C.H).- L’aventure ambiguë , (Paris, Julliard, 1961), p.49.
263
KANE (C.H.), op. cit., pp.44-45.
251

cheminots du Dakar –Niger. –Comme femme contestée,


elle doit faire face au mépris des épouses des grévistes
qui n’entendent pas bénéficier de son assistance encore
moins de sa compagnie permanente. Mais son courage
finit par imposer sa personnalité à tous, hommes et
femmes et à lui faire gagner une loyale estime. De ce fait,
elle réussit comme citoyenne respectée grâce à son action
sociale , à faire oublier sa condition antérieure pour ne
plus paraître , malgré son statut de ‘’femme libre’’ que
comme citoyenne à part entière.–Première femme
émancipée, elle s’impose comme martyre, après avoir
bravé les hommes et guidé les femmes. Elle tombe sous
les balles des forces miliciennes de Dakar ; mais ce n’est
plus la modeste prostituée que l’on élimine, c’est une
héroïne qui tombe et dont le sang fera germer de
nouveaux courages.

À tous ses lutteurs noirs, Bertené Juminer peut écrire :


« Jaillis des entrailles de la nuit , poussés à bout par vos
détresses, assoiffés de dignité perdue, vous aviez lavé
votre humiliation dans le sang. Rouges «étaient vos mains
désormais, aussi rouges que celles des maîtres ; mais vos
échines , trop longtemps courbées, s’étaient du même coup
raidies ; vos bouches, trop longtemps muettes avaient
conquis le verbe de la revendication fulgurante ; vos
forces , trop longtemps gaspillées à enrichir autrui , à
couper, à gerber, à transporter la canne maudite et, en
même temps , à préparer à petit feu votre mort collective ,
avaient enfin porté feu et mort chez les colons . La peur
avait changé de camp. Hier, l’esclave tremblait devant le
maître ; aujourd’hui, c’était autour du maître de craindre
l’esclave. Les jeux étaient faits. Au bout de cette lutte
implacable, chaque camp avait un choix : pour vous, vivre
libres ou mourir ; pour les Blancs, accepter ou disparaître.
Vous étiez debout, tous dressés contre le système. Si
vous n’étiez pas tous de marrons, vous étiez tous des
252

rebelles. Et les plus efficaces , les plus redoutés d’entre


vous, n’étaient pas ceux qui surgissaient armés des
montagnes , mais les combattants de l’intérieur, truffant
chaque plantation de menaces subversives , la minant
comme un ver mine un fruit et préparant la besogne
révolutionnaire . La révolution ne pouvait plus mourir.
Elle prenait racine dans la conscience même de chacun
d’entre vous et s’alimentait sans cesse au feu de votre
misère. Pour le tuer , il aurait fallu vous tuer tous, c’est-à-
dire tuer aussi l’esclavage , car une fois l’esclavage
disparu, le maître perd sa raison d’être »264.

Bien entendu, les auteurs de la Négritude ont cherché à


retrouver la magie de la parole et de l’action, à mettre en
œuvre les forces psychiques de l’individu et à renouer
avec une pratique magique de la parole . Mais il faut
mettre en pratique cette recherche de ‘’la pierre
philosophale’’ avec la volonté d’agir dans le réel et de
pratiquer à la fois sa propre auto-critique et une critique
exigeante de la société. Il faut donc souligner que la
négritude a une histoire en tant que groupe constitué
mais qui dépasse ce cadre pour faire partie intégrante de
notre mythologie .

La Négritude prend acte de la rigidité des cadres


imposés par la société colonisatrice européenne : elle veut
remettre en question les conditions de vie des nègres qui
font de ces derniers des étrangers sur leurs propres terres,
sur la terre de leurs ancêtres .Il s’agira donc de
transformer les structures sociales en commençant par
modifier la représentation que l’occident a du Nègre : il
faut commencer par briser le moule idéologique de la
subordination, de l’infériorité du Nègre qui empêche
l’individu de prendre conscience de ses aspirations

264
JUMINER (B)., op. cit., pp24-25.
253

personnelles . C’est au nom de la richesse de la culture


africaine et des immenses possibilités des Nègres que la
Négritude conteste la représentation caricaturale du Noir .
« Il faut refuser de se compromettre en s’insérant dans
un système d’exploitation éhonté de l’homme par
l’homme afin de respecter ses propres exigences .
L’existence est conditionnée par le regard que chacun
porte sur soi : il convient de rejeter tout système qui
donnerait une théorie quelconque de la condition humaine
, par définition trop générale » 265.

Ici, l’on pourrait admettre clairement que les idées du


mouvement de la Négritude découlent du surréalisme sa
devancière, surtout que les auteurs de la Négritude
semblent avoir emprunté le titre de leur revue de
contestation au mouvement surréaliste . En effet,
Véronique Bartoli-Anglard souligne que le pamphlet de
André Breton était « intitulé Légitime Défense , en
1926 : mise au point destinée à préserver l’autonomie du
groupe »266.On comprend alors la sérieuse accointance, la
sérieuse similitude qu’il y a entre le surréalisme et la
Négritude. On peut même se demander si la Négritude
n’est pas une transposition du surréalisme en Afrique, si
elle n’est pas l’autre nom du surréalisme, mais du
surréalisme africain ?

Ainsi, la Négritude peut –elle apparaître à bien des


égards comme fille du surréalisme, comme une révolution
culturelle qui bouleverses les conditionnements des esprits
. Il s’agit d’aboutir à une nouvelle Déclaration des Droits
de l’Homme pour tous les peuples, où les Noirs aussi
doivent avoir voit au chapitre. Il convient de se faire de
modifier les comportements aussi bien ceux des
colonisateurs que ceux des Noirs , de se réconcilier avec

265
BARTOLI-ANGLARD (V.), op. cit., p26.
266
BARTOLI-ANGLARD (V.), op. cit., p.27.
254

l’imaginaire et la vie concrète pour résoudre les


contradictions de la société africaine foncièrement aliénée
.Pour les auteurs de la Négritude, la réflexion sur le
langage est un instrument dans la lutte à mener pour la
liberté et pour l’authenticité de l’expression . Il faut
remettre en cause le primat de la supériorité d’une
civilisation par rapport à une autre . Désormais, il faut
attaquer l’autre dans la langue de l’autre , dans sa fonction
de communication en essayant de penser à quelles
conditions l’homme noir peut être ou devenir vraiment
lui-même en maîtrisant la parole, celle du Blanc, c’est- à
– dire en la transformant , en faisant d’elle non plus
l’instrument d’une aliénation sociale mais celui de la
conquête de la liberté . « Le langage devient une arme :
c’est en restaurant le règne de l’imagination créatrice que
l’individu pourra vraiment s’exprimer de façon
authentique et non plus en se satisfaisant des règles
théoriques du réalisme et du principe de l’imitation . Le
langage est à la fois l’instrument de la communication
avec autrui mais aussi de sa libération : dedans et
dehors »267.

Ainsi grâce à la poésie, il est possible de retrouver une


parole pétrie de chair et de sens . Il faut vivre sa poésie
mais tout en tentant de se dépasser soi-même dans
l’amour ou dans la folie. Comme le dit Léon Gontran
Damas, « Le temps du refoulement et des inhibitions a
fait place à un autre âge : celui où l’homme colonisé
prend conscience de ses droits et de ses devoirs
d’écrivain, de romancier ou de conteur, d’essayiste ou de
poète . La pauvreté , l’analphabétisme , l’exploitation de
l’homme par l’homme , le racisme total et politique dont
souffre l’homme de couleur noire ou jaune , le travail
forcé , les inégalités , les mensonges, la résignation, les
escroqueries, les préjugés, les complaisances, les lâchetés ,
267
BARTOLI-ANGLARD (V), op. cit., p.17.
255

les démissions, les crimes commis au nom de la liberté ,


de l’égalité , de la fraternité , voilà le thème de cette poésie
indigène d’expression française ...De plus en plus,
politique et littérature s’entrepénètrent et leur
synchronisme se fait de plus en plus dans les œuvres des
représentants de la nouvelle école »268.

Telle est la raison pour laquelle les poètes reprennent


à leur compte le thème occultiste de l’analogie. Si la
dominante sémantique essentielle à toute poésie est
l’image, pour le négro-africain, elle devient un aspect
fondamental de la vie. Toute représentation est image ,
affirme Senghor, et l’image est symbole, idéogramme ,
ligne et couleur . « L’image, dira Césaire, relie l’objet ,
achevé , en en montrant la face inconnue , d’accuser sa
singularité , mais par la confrontation et la révélation de
ses rapports , définit non plus son être, mais ses
potentialités ; bref, le dote de sa transcendance
fondamentale. C’est pourquoi il est très vrai de dire
qu’elle est essentielle à la poésie »269 . Ainsi donc la
pensée négro-africaine restitue toute sa charge signifiante
à l’image poétique. Source sacrée et valeur suprême,
l’image devient analogie avec l’objet , elle le signifie , ce
qui traduit un désir de transport et de transfert
monadique. Cette conception de l’image poétique nous
permet d’analyser la problématique de l’art africain dans
notre dynamique de la contestation.

268
LEON GONTRA DAMAS, cité par MINYONO-NKODO (M-f).-
Les bouts de bois de Dieu de Sembène Ousmane , (Paris, Editions
Saint-Paul, Collection ‘’Comprendre’’, 1979), p.13.
269
KESTELOOT (L.).-Aimé Césaire ,Poète d’aujourd’hui, (Paris,
Seghers ; 1962), n°85 , P.205.
256

II.2.De la problématique d’une esthétique négro-


africaine

Dans l’avant –propos de son ouvrage « Qu’est-ce que


l’esthétique ? », Marc Jiménez écrivait : « Il y a seulement
une vingtaine d’années, le mot « esthétique », employé
pour désigner la réflexion philosophique sur l’art ,
apparaissait prématurément vieilli. Bien que son sens
moderne ne date que du XXVIIIe siècle, il semblait
désuet et prêt à disparaître . Certains philosophes allaient
jusqu’à déclarer de façon humouristique , que « dans une
histoire bicentenaire depuis le milieu du XVIIIe siècle
jusqu’au milieu du XXe siècle, l’esthétique s’est révélée
comme un insuccès brillant et plein de résultats » A quoi
tient ce paradoxe ? Certainement aux diverses
significations du mot esthétique ; »270C’est dire que
l’Esthétique, à peine née, est confrontée à sa propre
définition. Appliquée à l’Afrique, elle semble être
totalement dépourvue de sens surtout que ce continent est
déjà confronté à la difficile problématique de l’existence
d’une philosophie .De ce point de vue , l’esthétique négro-
africaine ne serait qu’un leurre, une simple vue de l’esprit
dans la mesure où son objet , l’art, est lui-même sujet à
controverse , « un domaine à part, et de surcroît , ambigu.
lié à une pratique , il engendre des objets palpables ou
donne lieu à des manifestations concrètes qui prennent
place dans la réalité : il se prête à des expositions dans
tous les sens du mot. Pour reprendre une formule du
grand historien et sociologue de l’art Pierre Fanscatel,
« l’art n’est pas velléité mais réalisation ».

Cependant , l’art ne se contente pas d’être là, car


il signifie aussi une manière de représenter le monde , de
figurer un univers symbolique lié à notre sensibilité , à

270
JIMENEZ (M.).-Qu’est-ce que l’esthétique ? , (Paris, Gallimard,
1999), p.9
257

notre intuition , à notre imaginaire , à nos fantasmes .


C’est son côté abstrait. En somme, l’art s’ancre dans la
réalité sans être pleinement réel en déployant un monde
illusoire dans lequel , souvent- mais pas toujours -nous
croyons qu’il ferait mieux vivre que dans la vie
quotidienne »271. Tel semble être l’art africain décrypté
par le mouvement de la Négritude dont le but était de
promouvoir une culture africaine qui peint la nature par
des symbolismes et des figures . On mesure sans peine la
difficulté de cette tâche, surtout à cause de l’ambiguïté de
l’art dont nous avons parlé avec Marc Jiménez et surtout à
cause du fait qu’à certains moments, l’art peut paraître
comme , selon le mot de Nietzsche, le « colifichet » de
l’existence, « tel un petit ornement chargé d’apporter un
peu de fantaisie dans une vie asservie au fonctionnel »272.

On sait que les premières théories de l’art africain


ne sont élaborées de manière cohérente et systématique
qu’à partir des années 60. Cela est compréhensible
précisément en raison du choc que les œuvres d’art
provoquent sur la sensibilité. Mais si l’art africain n’a pas
été vite systématisé, cela ne veut pas dire qu’il n’est pas
reconnu. Certes, sa considération comme une Esthétique
est encore au stade d’une problématique. « Mais qu’est- ce
au juste que l’Esthétique ? S’interroge Denis Huisman.
En un premier sens – qui est d’ailleurs son sens premier-
la Philosophie de l’Art désigne originellement la
SENSIBILITE (étymologiquement aisthésis veut dire en
grec sensibilité) avec la double signification de
connaissance sensible (perception) et d’aspect sensible de
notre affectivité .(...) C’est ainsi que Paul Valéry pouvait
dire « l’esthétique, c’est L’ESTHETIQUE »(...).En un
second sens , beaucoup plus actuel, elle désigne « toute
réflexion philosophique sur l’Art »(...).C’est dire que

271
JIMENEZ (M), op. cit., p.10.
272
JIMENEZ (M.), op. cit., p11.
258

l’objet et la méthode de l’Esthétique dépendront de la


façon dont on définira l’art »273.

Sans trop s’éloigner de cette définition, l’ivoirien


Mémel Foté fait une ouverture plus large de la notion .
Pour lui, « Esthétique, comme adjectif, dérive du mot
grec : aisthésis, faculté de percevoir ou de sentir.
L’activité de réflexion qu’on appelle esthétique s’entend
en deux sens . Comme activité philosophique , l’esthétique
peut être , au sens général, la théorie de la sensation .
Ainsi Kant nomme –t-il Esthétique transcendantale
l’étude des conditions a priori de la sensibilité , des
conditions qui rendent possible l’expérience humaine, la
perception des phénomènes , c’est-à-dire de l’espace et du
temps . En particulier, l’Esthétique peut être la théorie de
la sensation du beau et du jugement de goût . Cette
théorie comprendrait une psychologie des fonctions
sensorielles (ouïe, vue, odorat, etc.), une psychologie de
l’intelligence , une métaphysique de la signification du
beau. Comme activité scientifique, l’esthétique est la
théorie positive de l’art : elle se diversifie en une
anthropologie et une histoire, en une sociologie et une
technologie, en une psychologie intégrant la
274
philosophie » .

De cette définition, on comprend aisément nous dit


Harris Mémel –Foté , que la philosophie occidentale
veuille contester l’idée de cette esthétique comme
philosophie sous prétexte que les Africains ne sont pas
intellectuellement aptes à une réflexion ou à une
spéculation sur l’art , encore moins sur la philosophie . il

273
HUISMAN (D.).-L’Esthétique, (Paris, PUF, coll. « Que sais-
je ? » ,1992), pp.3-4.
274
MEMEL-FOTE (H.).-‘’L’idée d’une esthétique négro-africaine’’
in Revue de littérature et d’esthétique négro-africaine , (Abidjan,
Nouvelles Editions Africaines , 1977), p13.
259

cite d’abord Gobineau : « Le nègre possède au plus haut


degré la faculté sensuelle sans laquelle il n’y a pas d’art
possible ; et d’autre part l’absence des aptitudes
intellectuelles le rend complètement impropre à la culture
de l’art, même à l’appréciation de ce que l’intelligence
des humains peut produire d’élevé. Pour mettre ses
facultés en valeur, il faut qu’il s’allie à une race
différemment douée »275. Ensuite, il cite Hume « I am apt
to suspect the negroes, and in general all the others
species of men (for there are four of thive different kinds )
to be naturally inferior to the whites . There never was a
civilised nation of any other complexion than white , nor
even any individual eminent either in action or
speculation . No ingenious manufactures amongst them,
no arts , no sciences. On the other hand , the most rude
and barbarous eminent about them , in their valor, from of
government , or some other particular . Such and uniform
and constant difference could not happen , in so many
countries and ages , if nature are not made an original
distinction betwist these breeds of men . Not to mention .
Our colonies, there are Negroe slaves dispersed all over
Europe , of which none ever discovered any symptom of
ingenuity ; tho’ low people, without education , will start
up of amongst , and distinguisssh themselves in every
profession . In Jamaica indeed they talk of one negroe as
a man of parts and learning ; but ‘ its likely he is
admired for very slender accomplishments , like a parrot,
who speaks a few words plenly »
« Traduction : « Je suis porté à considérer les nègres –
et , en général, toutes les autres espèces humaines ( car il
y a quatre ou cinq différentes )- comme étant de nature
inférieure aux blancs . Il n’a jamais existé de nation
civilisée, ou d’individu de couleur autre que blanche, qui
se soit distingué par ses hauts faits ou des spéculations

275
Gobineau, Essai sur l’inégalité des races humaines, cité par
MEMEL-FOTE (H.), op. cit., p.14.
260

philosophiques . Les noirs ne connaissent ni industries


ingénieuses , ni arts , ni sciences, tandis que les plus rudes
et les plus barbares des blancs, tels les Germains, les
Tartares d’aujourd’hui, ont toujours eu quelque chose de
remarquable , soit leur courage, soit leur système de
gouvernement ou quelque autre particularité . Si cette
différence apparaît uniforme et constante, dans tant de
pays et à tant d’époques, c’est que la nature a
préalablement établi une distinction entre ces races
humaines . Sans parler de nos colonies, il y a , un peu
partout en Europe, des esclaves nègres chez lesquels
personne n’a trouvé trace d’ingéniosité . Mais l’on voit
continuellement des blancs de sang inférieur, sans
instruction, se distinguer parmi nous, dans toutes les
professions . Il est vrai qu’à la Jamaïque l’on parle d’un
certain nègre comme d’un homme accompli et cultivé ;
il est probable cependant qu’on l’admire pour des talents
bien minces, comme un perroquet qui énonce
distinctement quelques paroles »276.

Ainsi donc l’épreuve de la vie du monde négro- africain


a été interprétée comme un avatar de la psychologie de la
connaissance, une enfance de la raison et de la
connaissance objective s’il en est .On la considère même
comme une vision particulière à côté d’autres formes de
représentations du monde qu’on croit hautement
supérieures. Cela implique que l’art africain a valeur
puérile et dans ce cas, il est affecté d’un coefficient
péjoratif d’intentionnalisme primitif, propre à la mentalité
inférieure , au stade où elle structure le monde et les
visions du monde à partir non d’une pensée objective,
mais par simple ressemblance fonctionnelle et
représentative .

276
HUME , cité par MEMEL –FOTE (H.),, op. cit., p.14-15.
261

Vue sous cet angle, l’esthétique négro-africaine est la


connaissance au rouet, des ouï –dires. La pensée africaine
serait la conscience qui affirme tout en niant à la même
seconde sa propre saisie interne en la généralisant à
toutes les formes de la nature. Mais comme l’essentiel
dans cette affirmation, c’est la méprise de la connaissance
des africains sur la teneur objective de la nature et de la
vie elle – même , c’est tout l’art africain, tout genre
confondu qui est censé être en dehors de la Vie et semble
être suspendu à un miracle ou à un hasard dont on ne sait
trop l’origine véritable . Le fond du débat porte en réalité
non sur le concept de l’esthétique mais sur la capacité du
Nègre à forger un art , à concevoir quelque chose de
sensé.

Mais du point de vue de la connaissance , la remise en


cause des choses de la vie , par les découvertes
contemporaines ,l’importance accordée à la
surdétermination des significations symboliques , issues
des pratiques artistiques et culturelles des Noirs , a fini par
imposer comme allant de soi , le génie nègre. En effet,
l’Afrique est symbolisme, elle est symbole. Les rites
funéraires, les masques et les statuettes des nègres ne sont
pas seulement qu’ornements, ils sont pleins de sens. Ils
peuvent ne pas être reconnus par l’Occident, mais leur
langage reste intact. Car , c’est à travers ce qu’ils disent
que réapparaît tout le temps ce qui est à dire. Si l’art
africain « n’a ni commencement ni fin c’est parce qu’il
est effort pour nous installer d’emblée dans l’instance
même du à dire . Car il y a toujours à dire , non pas parce
que l’on n’a pas encore tout dit, mais c’est parce que c’est
toujours le Même que l’homme a à dire ; le Même, c’est-
à-dire, non pas la même chose comme dans un rabâchage
sans portée , mais ce Même qui fait que toutes les
consciences sont mêmement autres , qu’elles se
ressemblent en tant qu’elles sont séparées les unes des
262

autres et qu’elles ne peuvent pas coïncider »277. Le


problème est de savoir si l’expérience africaine de l’art
signifiant et significatif est simplement coextensif à ce
que peut nous en donner une conscience par la science et
la philosophie.

Mémel –Foté Harris répond que l’esthétique africaine ,


en tant qu’objet d’un débat scientifique paraît présenter
quatre caractères :
- Elle est une discipline objective
- Elle est une discipline de synthèse
- Elle est une discipline jeune
- Elle est une discipline essentielle à toute théorie du
développement .Selon l’auteur de‘’L’idée d’une esthétique
négro-africaine’’, elle serait une discipline objective qui
ne doit pas être racialisée en désignant une activité qui
serait particulière aux Africains et maîtrisables par les
seuls Africains, mais il faut faire en sorte qu’elle soit une
discipline qualifiée « par la particularité de son objet
socio-culturel, géographiquement délimité »278 . Elle est
aussi une discipline de synthèse par ses sources externes
et internes, notamment par Léo Frobénius, Marcel Griaule
et par des « chercheurs africains intellectuellement formés
en Europe ( L.S. Senghor) »279.

Selon Mémel-Fotè , par son objet, l’esthétique négro-


africaine « n’est pas seulement la connaissance de
l’essence du beau et du sentiment esthétique (M. Griaule,
L.S.Senghor, A.A.Gerbrands, M. Leiris, H. Memel –Foté,
etc.) mais c’est encore celle de l’histoire de l’art africain
(Léo Frobénius, B.Fagg, Ch. Anta Diop, etc.) et celle des
rapports de cet art avec la société (J. Delange, J. Laude

277
BRUN (J.).- Les conquêtes de l’homme et la séparation
ontologique, (Paris, PUF, 1961), p.254.
278
MEMEL-FOTE (H.)., op. cit., p.15.
279
MEMEL-FOTE (H), Ibidem, p.15.
263

et J. Maquet, K. Nkétia et F. Bebey, B.Traoré et J.


Mbiti.etc.) »280. Par sa méthode, elle est dominée par
« deux constantes principales : l’approche
pluridisciplinaire , la liaison de l’analyse et de la synthèse
. Au premier niveau, alliance de la philosophie et de la
science. Non pas dans le sens où une esthétique se serait
ici développée comme philosophie explicite et
systématique (accompagnant et fécondant la science) »281.
Et à un second niveau, « l’investigation scientifique
proprement dite met en œuvre les approches et les
résultats de plusieurs disciplines des sciences
humaines »282. Par ses résultats, on aboutit, aujourd’hui à
« une théorie intégrée où les constantes esthétiques
mises en lumière paraissent dominer l’ensemble des arts :
sculpture, musique, littérature, etc. Ex. le concept de
l’unité des arts »283. Elle est une discipline jeune , «
manifeste aux obstacles qu’elle vient à peine de
surmonter et aux insuffisances théoriques qui la
caractérisent ».284

Pour Memel-Foté, les obstacles sont d’ordre


idéologique à cause de la théorie de l’évolutionnisme et
du primitivisme ; l’obstacle méthodologique,
technologique , structurel et historique. Les insuffisances
résideraient dans l’état des analyses et dans les essais
d’explication. Enfin, selon lui, l’esthétique négro-
africaine est essentielle à toute théorie du développement .
Il y a donc « lieu par conséquent de rappeler aux
idéologues et aux philosophes africains que la théorie de
l’art , pièce maîtresse de toute esthétique , loin d’être
une théorie anti-développement , est une structure

280
MEMEL –FOTE (H), op. cit., p16.
281
Ibidem.
282
Ibidem.
283
Ibidem.
284
Ibidem.
264

essentielle d’une théorie du développement intégral de la


société des hommes »285.

Mais faut-il rappeler cela aux philosophes africains ?


Quel philosophe ignorerait –il encore aujourd’hui le rôle
de la théorie de l’art dans le processus de développement
d’une nation ? Ainsi parler de l’échec de la théorie de l’art
ne peut –il avoir qu’un sens : l’art est un échec au sens
jaspérien du terme ; tout art est une réussite dans la
mesure où il échoue , où il échoue non pas là où d’autres
activités réussissent , mais seulement dans la mesure où il
échoue sur un fonds qu’il ne peut totalement explorer
mais dont l’inextinguible découverte était sans nulle doute
le pôle justificateur et insondable de son entreprise.

D’ailleurs, Hegel, dans son Introduction à l’esthétique,


nous apprend que « Le beau intervient dans toutes les
circonstances de notre vie ; il est le génie amical que
nous rencontrons partout . En cherchant seulement autour
de nous où et comment, sous quelle forme , il se présente
à nous, nous trouvons qu’il se rattachait jadis par les liens
les plus intimes à la religion et à la philosophie . Nous
trouvons notamment que l’homme s’est toujours servi de
l’art comme d’un moyen de prendre conscience des
idées et des intérêts les plus élevés de son esprit . Les
peuples ont déposé leurs conceptions les plus hautes
dans les productions de l’art , les ont exprimées et en ont
pris conscience par le moyen de l’art . La sagesse et la
religion sont concrétisées dans des formes créées par l’art
qui nous livre la clef grâce à laquelle nous sommes à
même de comprendre la sagesse et la religion de
beaucoup de peuples ».286

285
Op. cit., p.18.
286
HEGEL (G.W.F).- Introduction à l’esthétique , (Paris, Aubier-
Montagne, 1964), p.p.12-13.
265

L’intention de Hegel est claire : c’est montrer que la


philosophie de l’art forme un anneau nécessaire dans
l’ensemble de la philosophie .Et comme tel, il convient de
l’inclure dans la philosophie tout entière ; et comme la
philosophie est le support à tout développement, il importe
donc pour Hegel de mentionner que, étant donné qu’il y a
des beautés diverses propres aux différents arts, il faut
donc partir de l’idée de beau. Et ce qui l’intéresse est le
beau artistique. « Pourquoi ? Tout simplement parce que le
beau artistique est toujours supérieur au beau de la nature.
C’est une production de l’esprit, et « Le beau artistique
tient sa supériorité du fait qu’il participe de l’esprit et, par
conséquent, de la vérité, si bien que ce qui existe n’existe
que dans la mesure où il doit son existence à ce qui lui
est supérieur et n’est ce qu’il est et ne possède ce qu’il
possède que grâce à ce spirituel. Le spirituel est le vrai.
Ce qui existe n’existe que dans la mesure où il est
spiritualité . Le beau naturel est donc un réflexe de
l’esprit. Il n’est beau que dans la mesure où il participe de
l’esprit. Il doit être conçu comme un mode incomplet de
l’esprit, comme un mode contenu lui-même dans l’esprit,
comme un mode privé d’indépendance et subordonné à
l’esprit »287.

L’une des conséquences de cette supériorité est que ,


pour Hegel, l’art ne saurait avoir pour but d’imiter la
nature .Il y a chez lui, cette certitude que l’esprit humain
est lui-même une parcelle d’un esprit qui le dépasse ,
c’est-à-dire, un esprit absolu qui régit l’ensemble de la
pensée et des activités humaines tout en se déployant au
cours de l’histoire. Comme le dit Marc Jiménez, « L’art
est inclus dans cette histoire : il exprime , comme la
religion et la philosophie , la façon dont l’esprit parvient
à surmonter l’opposition ou la contradiction entre la

287
HEGEL (G.W.F).-Introduction à l’esthétique, (Paris, Aubier -
Montaigne, 1964) ,p.10.
266

matière et la forme , entre le sensible et le spirituel. Il est


ainsi la manifestation concrète de l’esprit , du vrai dans
l’histoire de l’humanité »288.

Dans cette ascension de l’esprit, dans l’histoire de


l’humanité, la poésie, selon Hegel, semble occuper le plus
haut degré. Pour lui, c’est la poésie qui n’a pas de patrie et
non pas la musique. « Ainsi la poésie serait une forme
d’art idéal, universel, présent à toute époque ,
transhistorique , si l’on peut dire , dans la mesure où il
s’impose avec la même force à travers les trois formes
particulières , symbolique, classique, romantique »289.

Il n’est donc pas étonnant que les auteurs africains,


surtout ceux de la Négritude usent de la poésie pour
tenter de redécouvrir la lumière unique de la liberté. Une
telle exploitation de l’art est un des facteurs essentiels du
verbe poétique qui essaye d’éveiller les synesthésies
réconciliatrices de l’Afrique d’avec le monde et de
l’Afrique d’avec elle-même car le verbe poétique tente
d’opérer des transmutations et des transmigrations
d’individualités , et Rimbaud n’a pas tort de parler d’une
« «Alchimie du verbe ». Dans la mesure où la poésie tend
à conférer à la parole cette vertu incantatoire dont elle a
soif, le verbe poétique cherche à être « le « sésasme
ouvre-toi ! » de toutes les monades »290.

Dès lors, dans cette quête inlassable du Graal


‘’Afrique’’, l’itinéraire poétique des auteurs de la
Négritude, depuis l’Afrique captive, crucifiée jusqu’à
l’Afrique libérée est exaltant. Ils ont rêvé le monde, leur
monde. Mais souvent, ils sont devenus des cas
pathologiques, des schizophrènes, des paranoïaques,

288
JIMENEZ (M.), op. cit., p.187.
289
Op. cit., p.194.
290
BRUN (J), op. cit., p.259.
267

désaxés ou névrosés, malades anormaux ou fous, si l’on


en croit aux critiques acerbes de Towa, de Hountondji et
autres Adotévi Stanislas Spéro. Partant d’un véritable
échec de la civilisation européenne, issu du déchirement et
de l’aliénation de la société africaine , ces auteurs
africains ont pu s’enraciner dans leur sol natal , dans un
pieux retour aux sources , mais après avoir profité des
leçons de l’Occident. C’est ainsi par exemple que la
poésie senghorienne, malgré des réminiscences
européennes n’a pas trahit le style nègre, même si elle
emprunte les sentiers de l’amour courtois ou le
souterrain du surréalisme comme nous l’avons signifié.

Le poète d’Ethiopiques, issu de cette civilisation


africaine qui a survécu à l’ancien empire du Mali, a
assimilé en lui la culture européenne sans rien perdre de
la sienne. Pour Senghor, le domaine privilégié du Noir
semble être celui de l’émotion. Celle-ci nous intime de
devenir plutôt que de comprendre ; par là , la poésie n’est
pas seulement connaissance, mais une véritable
communion. Comme le dit Gusine Gawdat Osman ,
« Cette faculté exceptionnelle d’alerter, d’ébranler tous
les sens de l’être , mettant sens dessus-dessous toutes ses
possibilités émotionnelles , se retrouve dans toute poésie
négro-africaine ; elle devient l’émotion , acte de
sympathie entre le poète et autrui, pareillement au
Récitant qui fait participer l’assemblée , adhère lui-
même totalement à ce qu’il psalmodie et chantant la
gloire de tel roi, le fait en participant à sa victoire , par le
geste , la parure, le mot... »291

Dans l’entendement de Senghor, l’émotion est au


service de la fonction cognitive du langage, car elle le

291
OSMAN (G).-L’Afrique dans l’univers poétique de Léopold Sédar
Senghor, (Dakar-Abidjan-Lomé, Les Nouvelles Editions Africaines,
1978), p.21.
268

dépasse pour révéler le « moi ». « la fonction émotive


dans l’art en Afrique noire , oppose l’homo vates qui fait
du monde une œuvre d’art , à « l’homo faber » qui
conçoit et traite le monde comme une machine , voilà
pourquoi elle fait vibrer le poète dans son psychisme le
plus profond ; elle met en émoi toute une manière de
vivre et de sentir le monde par l’accent , le rythme ,
l’intonation , les sonorités , le choix du mot, de l’image,
l’engageant tout entier . C’est sa relation la plus profonde
avec l’univers, la plus attachante »292.

Les poètes africains , en créant la chose ou la personne


par leurs œuvres, s’engagent et engagent avec eux leurs
ethnies, leur passé historique, leur appartenance
géographique , leur attaches sociales et extra-sociales .Le
poète africain se sert donc des réalités et des faits
quotidiens qui constituent la trame de sa vie passée et
présente , tout en faisant appel aux vivants et aux morts .
On comprend pourquoi, selon Senghor, la civilisation
africaine procède d’une vision unitaire et existentielle du
monde. Dans un tel cas, l’art ne peut être divisé car , les
arts en Afrique noire, sont d’abord liés l’un à l’autre , les
uns aux autres, de même qu’ils sont fonctionnels, engagés
et collectifs.

« Ce qui frappe , c’est la valeur humaine de


l’ontologie négro-africaine , sa valeur culturelle. Car
qu’est-ce que la culture sinon l’effort de l’Homme pour
s’adapter à son milieu par les médiations sociales et
pour adapter ce milieu à ses activités génériques ? C’est
le lieu de noter les deux traits fondamentaux de l’ontologie
négro-africaine . Le premier est que la hiérarchie des
forces vitales ne fait qu’exprimer l’intégration de
l’univers à la famille ou, peut-être plus exactement, la
dilatation de la famille aux dimensions de l’univers .
292
OSMAN, op. cit. , p.22..
269

Dieu, qui préside à l’unité de l’univers –le Négro-africain


est monothéiste -, est l’Ancêtre des ancêtres claniques , et
ceux-ci participent à et de sa force vitale . Tout comme
les forces cosmiques que sont les astres et les forces
inférieures , incarnées dans les animaux , plantes et
minéraux . Le second trait de cette ontologie est la place
éminente qu’occupe l’homme vivant , l’Existant, dans la
hiérarchie des forces. L’homme est le centre de l’univers,
qui n’a d’autre but que de renforcer sa force , de le rendre
plus vivant et existant, de le réaliser en personne. Je dis
personne, je veux dire un être libre, l’être le plus libre qui
soit. Comme quoi la liberté, qui transcende les
déterminations contingentes est au cœur du problème, est
le nœud ombilical du monde »293 .

Cette interprétation établit un lien entre la poétique et


la politique. Sur un plan plus général, elle révèle les
implications politiques au sens large du terme – et le
discours sur l’art. On comprend dès lors , l’angoisse de
l’homme-africain , prisonnier d’un monde inhospitalier ,
habité en permanence par la peur, préoccupé par le souci
que représente la perte de sa culture. Mais cette situation
est paradoxale, car s’ouvrir au monde et à l’autre , sont
autant de preuves de son existence . Preuves négatives,
douloureuses, mais qui attestent , par le fait même ,
l’aspiration permanente de l’homme à être ce qu’il est.
Quelles chances l’Africain a-t-il de recouvrer son
authenticité ? En vérité , elles sont bien minces. Elles
reposent sur sa capacité de continuer à pratiquer sa
culture, à retourner aux sources ou plutôt sur sa décision
de poursuivre le travail de ses Anciens. Choix palliatif,
qui lui évite de sombrer dans l’ennui et le désespoir
sécrétés en permanence par la situation coloniale . « Il

293
SENGHOR (L.S.).- ‘’Psychologie du négro-africain ou conscience
et connaissance’’ in Philosophie africaine, tome I, (Kinshasa,
Presses universitaires du Zaïre, 1975), p.37.
270

existe toutefois une autre possibilité offerte à cet-être-


pour-la-mort, voué à un destin funeste et imprévisible ,
conscient d’une finitude qui confère sens et authenticité
(tardive) à son existence ; cette possibilité est celle que se
donne la parole poétique d’ « habiter » poétiquement
sur cette terre » 294.

Ce n’est pas non plus l’idée du beau qui fait recourir à


l’authenticité, mais c’est sûrement l’idée qu’il y a quelque
chose de beau à faire. En voulant accomplir sa tâche de
vouloir appeler au retour aux sources, la poésie veut être
belle .

Mikel Dufrenne a raison de dire que « la poésie, si


l’on en considère seulement le comportement à l’égard
de la matière qui lui est propre, entreprend de restaurer le
langage en le ramenant à sa source »295. Le poète africain
parle, non pour parler , mais pour utiliser le langage
comme outil au service d’une pensée . « Parler reste au
moins un hommage que l’homme rend à l’homme , un
geste de bonne volonté qui atteste que la communication
avec le semblable est toujours possible . Et cette
communication n’est jamais tout à fait sans objet :
évoquer le temps qu’il fait , c’est encore une façon de
dire que nous sommes au monde , livrés à la contingence
, et que le temps nous est donné sans que nulle
temporalisation puise à notre gré ; demander à quelqu’un
comment il se porte , si usée et aperçue que soit
aujourd’hui la métaphore , c’est déjà carrière à une théorie
du psycho-somatique. Il ne faut donc pas dire que la
compréhension authentique se conquiert contre les
propos quotidiens , mais plutôt qu’elle se conquiert à
partir d’eux , et à condition de leur faire crédit » 296.

294
JIMENEZ (M), op. cit., p.350
295
DUFRENNE (M.).- Le poétique, (Paris, Puf, 1963), p.34.
296
DUFRENNE (M), op. cit., p.36.
271

Pour Dufrenne donc , « La poésie dit le monde . C’est


là son vrai sujet »297. Et le poétisable n’est rien d’autre
que ce qui se prête à être illimité en un monde poétique
par la vertu du langage poétique et l’expression poétique
ne serait rien d’autre que la présence sensible du
signifiant dans le signifié mais aussi le pouvoir qu’a le
signifiant d’élargir le signifié aux dimensions d’un
monde . « Il ne s’agit pas, on s’en doute , d’un monde
repérable aux contours déterminés , peuplé d’objets
parfaitement identifiables . C’est plutôt une aurore de
monde , une promesse. L’idée , au lieu de se figer et de
se durcir, nous investit , nous sensibilise et semble se
répandre sur toutes choses . Ainsi un beau visage peint
toutes choses autour de lui aux couleurs de l’amour ;il
appelle l’amour , mais aussi l’irradie ; et toutes choses ,
comme pour lui répondre , parlent avec lui de l’amour :
voici que se révèle à moi le monde de l’amour ; la vérité
de l’amour est dans cette surrection d’un monde qui
anime et qui auréole l’aimé . Combien de temps l’amant
émerveillé séjournera-t-il dans ce monde ? Le temps d’un
regard peut-être, mais qu’importe ? Etre au monde n’est
pas seulement être dans le monde , c’est être capable du
monde , s’ouvrir à cette troisième dimension selon
laquelle objet ou concept cessent parfois d’être plats et
répandent leur sens en tout sens . Le monde n’est pas
seulement l’indéfini de l’univers, le recul de tout horizon,
mais ce foyer de possibles auxquels un mot aussi bien
qu'un concept peuvent donner l'essor. Ainsi fait la poésie.
Elle joue avec ces mots à longue portée, puissants
comme les phares dont l’éclat creuse l’espace. Les
maîtres- mots du poète, il ne faut pas les prendre à la
lettre , comme le fait délibérément un psychanalyste de
l’art, il faut les faire sonner avec leurs plus lointaines

297
DUFRENNE , op. cit., p.70
272

harmoniques »298. Faire donc la poésie selon Dufrenne,


c’est découvrir un sens dans la mesure où découvrir ce
monde, c’est recueillir le sens du poème ; et l’état
poétique bien qu’il soit un état d’enchantement, est aussi
un état de connaissance. « Psychologie mythique aussi,
non point en ce qu’elle porte sur le mythe, mais en ce
qu’elle est contenue dans le mythe ; car le mythe du
poète comporte généralement un mythe de la création.
Sans doute ce mythe veut-il être une analyse véridique
capable , à la fois d’objectivité , et de normativité si
quelque art poétique peut s’en déduire »299.

Ainsi donc, l’on peut dire que si le mystère de l’art ne


s’arrête pas aux barrières culturelles , on ne saurait en dire
autant du message qu’il véhicule. Pour comprendre
pleinement un art, et saisir avec clarté son message, il
faut connaître les éléments essentiels de son arrière-plan
culturel. En Afrique, nous sommes en présence d’un art
qui, en dépit de la diversité de ses productions et des
styles propres à chaque peuple, frappe par la récurrence
de thèmes qu’il aborde , la permanence de certaines
règles, et la parenté qui unit entre elles les œuvres les
plus lointaines . L’art est donc essentiel à l’analyse d’une
culture parce qu’il permet à des « penseurs », parmi les
plus pénétrants et les plus originaux d’une société, de
communiquer leurs expériences . Pour connaître donc les
pensées des peuples, il est nécessaire de jeter un regard
interrogateur sur leurs productions artistiques.

Le masque, par exemple, est l’une des formes les plus


significatives en Afrique et est porté comme un élément de
costume. Il révèle les formes symboliques de la Politique,
du Savoir et de la Religion qui peuvent s’incarner au
tribunal ou dans le rituel, de façon à donner force de loi

298
DUFRENNE, op. cit., pp73-74.
299
DUFRENNE , op. cit., p.92.
273

au drame juridique ou au mythe religieux. « On voudrait


dire que l’homme a fait des idoles parce qu’il était
religieux , c’est comme si l’on disait qu’il a fait des outils
parce qu’il était savant ; mais au contraire la science n’est
que l’observation des outils et du travail par les outils .
De même je dirais plutôt que la première contemplation
eut pour objet l’idole, et que l’homme fut religieux parce
qu’il fit des idoles . Il fallait rendre compte de cette
puissance du signe, et inventer la mythologie pour
expliquer le beau »300.

En effet, dans la plupart des sociétés africaines, on ne


présume pas que le mythe est pseudo-historique ou qu’il
se réfère au passé . Il est plutôt employé pour expliquer,
voire pour communiquer l’immédiat, le tangible. Une
grande partie du drame masqué africain est une
réincarnation des mythes fondamentaux de la création, de
la structure du pouvoir, de la société, de l’histoire et de la
religion. Est-ce la révélation profonde de l’irréductibilité
du monde négro-africain à l’extériorité par l’épreuve de
l’intériorité humaine et par l’expérience onirique où
s’approfondit la faisabilité de l’homme adulte , non pas
seulement par l’âge mais aussi et surtout par la maturité
de l’esprit capable d’analyse et de prise de conscience
dans ce qu’il a de plus exaltant et de plus effroyable ?

Léopold Sédar Senghor commente, de son côté, ce


monde que l’on qualifie d’animisme nègre de la manière
suivante : « Le monde n’est pas, dans sa réalité , une
somme de couleurs , de formes , d’odeurs, une somme des
qualités sensibles . Il n’est même pas , comme l’enseigne
la physique d’aujourd’hui , une somme de particules
perpétuellement en mouvement . Pour le nègre, il y a un
monde d’âme . Qu’est-ce que l’âme ? Les idées du Nègre
sur l’âme sont extrêmement nuancées et, d’un peuple à
300
ALAIN (E.C. dit).- Propos sur l’esthétique, (Paris, Puf, 1948), p.10
274

l’autre elles varient dans les détails . On peut dire que c’est
une force spirituelle , un principe de vie intellectuelle et
morale , qui anime chaque être , chaque plante , chaque
chose pourvue d’un caractère propre : la montagne ,
caverne, rocher, lac. C’est l’âme qui meut le corps mais
elle ne le peut faire que par l’intermédiaire du souffle
vital. Celui-ci est le principe de la vie psychique ... il y a
en troisième lieu le double, qui, bien que perceptible, a la
mobilité de l’esprit : c’est l’essence de l’être »301.

Aujourd’hui en Afrique, on peut encore se poser la


question de savoir ce que représentent encore pour
beaucoup d’africains, notamment les jeunes, les initiations
traditionnelles, le poro par exemple au pays senoufo, telles
celles qui ont trait aux mystères des origines, à la
fécondité , à la vie adulte . Sont- elles uniquement des
formes symboliques ou des systèmes d’éducation dont se
charge aujourd’hui l’école occidentale qu’on a vite
qualifiée de moderne ?

À la vérité, nombreux sont les africains, qui, emportés


par les vagues de l’école occidentale , ne croient plus à ces
initiations, à ces formes symboliques masquées, qu’ils
considèrent de superflues, de dépassées. Ils ne voient plus
en ces initiations que des débris de tradition condamnés à
disparaître inexorablement avec ‘’ l’évolution’’. Les
danses africaines sont considérées comme folkloriques.
Leurs célébrations ne seraient rien d’autre qu’une curiosité
dépourvue de tout engagement ; juste pour écouter sans en
saisir le sens .Ainsi la répétition initiatique des rites
traditionnelles, les pas des danseurs , le sens des mélodies
, les répétitions ont pour but le partage de l’irréel d’avec
le réel dans le flux universel, dans la communion avec
l’ici et l’ailleurs, le présent et le passé , la mise du

301
SENGHOR (L.S.).- Liberté I . Négritude et humanisme (Paris,
Seuil, 1964), p.71.
275

néophyte dans des conditions d’épreuve et de


dépassement de soi, celle de l’éducation morale , du
courage d’être-homme, celle selon la formule de Roger
Garaudy, de « danser sa vie » ; un autre nom de la liberté ,
ne stimule plus aujourd’hui la jeunesse « moderne »,
encore moins une problématique du fondement , à la
lumière de la totalité , de l’être du devenir et à l’être ,
comme mode de présence d’un nouveau type d’homme,
de cet africain nouveau, l’excellent, non le médiocre, par
l’éveil à la réalité et à la prise de conscience de soi par le
sens du corps . Comme le dit Maurice Merleau Ponty, « Si
notre corps ne nous impose pas , comme il le fait à
l "animal , des instincts définis dès la naissance , c’est lui
du moins qui donne à notre vie la forme de la généralité
et qui prolonge en dispositions stables nos actes
personnels. Notre nature en ce sens n’est pas une vieille
coutume , puisque la coutume présuppose la forme de
passivité de la nature . Le corps est notre moyen général
d’avoir un monde. Tantôt il se borne aux gestes
nécessaires à la conservation de la vie , et corrélativement
il pose autour de nous un monde biologique ; tantôt ,
jouant sur ces premiers gestes et passant de leur sens
propre à un sens figuré , il manifeste à travers eux un
noyau de signification nouveau : c’est le cas des habitudes
motrices comme la danse . Tantôt enfin la signification
visée ne peut être rejointe par les moyens naturels du
corps ; il faut alors qu’il se construise un instrument , et il
projette autour de lui un monde culturel »302.

Un art affranchi des valeurs est donc un non-sens .


Comprendre les œuvres d’arts africains, c’est percevoir
leurs failles et leur signification en se référant à leurs
valeurs . C’est pourquoi, nous dit Adorno, « l’esthétique
a été élevée au rang de connaissance émancipatrice

302
MERLEAU-PONTY (M).- Phénoménologie de la perception
(Paris, Gallimard, coll. Tel , 1945), p.171.
276

transcendant selon ses propres termes l’espace et le temps


de l’art par l’auto-négation du contemplateur qui s’abîme
virtuellement dans l’œuvre . Il est contraint à ce faire
par les œuvres d’art dont chacune est index veri et falsi ;
seul celui qui se soumet à ses critères objectifs le
comprend ; celui qui s’en moque est le consommateur .
Le moment subjectif subsiste néanmoins dans le
comportement adéquat par rapport à l’art : plus est grand
l’effort de participation à la réalisation de l’œuvre et de
sa dynamique structurelle , plus est grande la part de
sujet investie dans la contemplation , plus le sujet
s’oubliant lui-même perçoit l’objectivité : même dans la
réception , la subjectivité médiatise l’objectivité »303.En
effet, pour cet auteur, si les œuvres d’art ne peuvent être
expliquées intégralement par leur genèse, il ne faut
cependant pas ignorer que l’expérience esthétique se
cristallise dans l’œuvre particulière ; cela importe de ne
pas en isoler aucune indépendamment de la conscience
qui en fait l’expérience . L’œuvre d’art doit s’enraciner
dans l’œuvre concrète tout en gardant sa dimension
théorique .L’œuvre d’art n’est pas seulement art, « elle
possède le caractère chosal d’un fait social et converge
finalement dans l’idée de vérité avec du méta-
304
esthétique » .

L’art demeure donc une théologie qui nie sa réalité


pour devenir une réalité sui generis et la seule manière
de concevoir la vérité de l’œuvre d’art, c’est de rendre
lisible un élément transsubjectif dans l’en-soi imaginé
subjectivement . Dans ce cas, l’œuvre sert de médiation à
ce transsubjectif. « Et pourtant , devant la menace d’une
transformation de l’art en barbarie , il convient sans

303
ADORNO (T.W.).- Autour de la théorie esthétique , paralipomena,
introduction première, traduit de l’allemand par MARC JIMENEZ
&ELIANE KAUFHOLZ (Paris, Klincksieck, 1976) , pp.15-16.
304
ADORNO, op . cit., p.20.
277

doute plutôt de se taire que de passer à l’ennemi et de


favoriser une évolution qui revient à s’insérer dans le
statu quo parce qu’il est le plus fort. Le caractère
problématique de la fin de l’art proclamée par les
intellectuels réside dans la question concernant son
pourquoi, sa légitimation face à la praxis hic et nunc.
Mais la fonction de l’art dans ce monde totalement
fonctionnel est son absence de fonction ; c’est pure
superstition que de croire qu’il peut intervenir
directement ou inciter à intervenir . L’instrumentalisation
de l’art vient saboter sa protestation contre
l’instrumentalisation ; ce n’est que lorsque l’art prend en
compte son immanence qu’il convainc la raison pratique
de sa déraison . Pour s’opposer au principe de l’art pour
l’art irrémédiablement tombé en désuétude, l’art ne cède
pas aux fins qui lui sont extérieures, mais il renonce à
l’illusion d’un pur royaume de beauté qui se révèle
rapidement comme kitsch. En une négation déterminée, il
enregistre les membra disjecta de la réalité empirique où
il a sa place et les rassemble en les transformant en une
réalité qui est monstruosité »305. Tel semble être le sens
du racisme anti –racisme de la Négritude, qui fait de ce
mouvement un encagement et compromet
douloureusement sa ‘’philosophéité’’.

En effet, la Négritude est traditionaliste, son vœu est la


pureté originelle de son projet, sa revendication par l’art
est selon Bidima « curieusement occidendentalocentrée.
L’art africain n’était produit et étudié qu’en fonction de
l’autre pan de la problématique coloniale consistant pour
les Africains , à « prouver à tout prix » qu’ils ont une
culture aussi valable que les autres cultures . Cette lecture
de l’art africain, qui part de l’ethnologue allemand Leo
Frobénius en passant par L.S. Senghor jusqu’aux peintres
africains actuels comme Ahyi (Togo), est une réponse
305
ADORNO (W.T.), op. cit., pp.92-93.
278

coloniale à un questionnement lui-même colonial.


Comme les ethnologues européens , les Africains ont
insisté sur leur différence et l’originalité de leur art.
Comme les explorateurs européens , ils s’attardent sur la
tradition et son reflet sacré dans les arts , ce faisant, leur
lecture déifie le passé afin d’éviter le présent qui peut
ouvrir vers les possibilités futures . Traditions immuables
et bonnes , sacralité incurable des arts africains et
exhibition sans examen d’un passé anté-colonial où l’art
aurait indiqué l’harmonie des sociétés africaines , tels
sont les schémas qui ont structuré et qui encadrent
encore la plupart des colloques , livres et séminaires sur
l’art africain »306.

Selon Jean –Godefroy Bidima, les auteurs


africains en général et la Négritude en particulier, mettent
l’accent de manière ostentatoire sur le passé en
escamotant de ce fait la dimension actuelle et proleptique
de ces arts . Dès lors, l’art nègre n’apparaît désormais
plus que comme une marchandise qui se vend et qui frise
la folklorisation dans la mesure où cet art n’est produit et
ne se vend que parce qu’il est réglé par les goûts des
touristes occidentaux. « Le propos n’est pas ici d’exhiber
la pertinence d’une tradition africaine à glorifier en face
d’une modernité mal assumée , mais d’instituer une
modalité d’expression de l’existence et de l’art africain
sous la catégorie de la Traversée . Au –delà des dualismes
installés ( tradition/ modernité , écriture/ oralité,
mythe/raison) l’Afrique vit à l’heure actuelle dans
« l’entre-deux » .Comme les occupants du fameux Radeau
de la méduse du peintre Th . Géricault, l’Afrique survit
dans la possibilité du naufrage et dans celle du sauvetage
. Ceci implique que, dans l’analyse des constellations
artistiques africaines , l’important c’est moins le passé

306
BIDIMA (J-G.).-La philosophie négro-africaine , (Paris, PUF ,
1995), P.60.
279

/provenance (ce sur quoi insistent tous les artistes ) et le


futur (grand alibi des messianismes africains actuels et
pentecôtistes américains en Afrique ) que le mouvement
de la traversée » 307.

En vérité, ce que veut révéler Bidima, c’est de


faire comprendre que l’art africain n’a pas aussi
malheureusement pu se départir du culte de la différence .
Son souhait est que la philosophie africaine se déplace
des traditions africaines (le passé) vers la translation de
ces traditions. selon lui, les auteurs africains ont
l’impérieux devoir de se poser les questions suivantes
« Quel est l’art des marginalisés des sociétés africaines
traditionnelles ? Quelle fut l’expression artistique des
bannis , des « pervers » et autres marginaux ? Une lecture
traversière de l’art africain suggère une lecture de la
société africaine de travers . Seul l’art des dignitaires
tribaux est représenté sous le vocable totalisant de l’art
africain »308.

Selon lui, il faut refuser l’image tribale , sectaire et


ethnophilosophique de l’art. « On parlera de l’esprit
Akan, ou Baoulé dans l’art. S’opère ainsi une liaison
intuitive entre les œuvres d’art et la conscience nationale
ou tribale qui aboutit souvent à un chauvinisme
totalisant. Car, il y a exaltation de l’esprit national ou
tribal. A travers cette vue, la notion de force est placée en
amont comme production de l’œuvre d’art , la force est
ainsi substansifiée et rapportée à l’esprit national /tribal.
Dans ce paradigme du plein, l’œuvre d’art exprime la
vérité d’une communauté , sa moralité , sa conformité et
son unité . Ce paradigme du plein dit avec certitude la
réalité , et , avec le pouvoir éclairant de ses schèmes , se
mue en donateur de sens , en diction du pensable et fait

307
BIDIMA (J-G), Ibidem, p.60.
308
BIDIMA , Ibidem.
280

voir et valoir les catégories du spectaculaire légitime


sur fond d’élaboration normative et d’assurance » 309.

On comprend aisément que le vœu de Bidima est un


appel à la création d’un art révolutionnaire, d’édifier une
esthétique de la dissonance qui s’interdit l’indifférence
et l’apologie d’un ordre répressif. « Il aurait fallu voir
dans cet art le problème des matériaux , des formes , du
rapport aux symboles , des styles et des écoles, ses
copulations avec les mythes et les religions , ses diverses
influences , ses complications avec l’oralité et ses
implications sur la temporalité , le rôle de l’Etat et du
marché avec leurs désublimations , sa liaison avec le
voir, le sentir, le faire-valoir et le faire-croire , sa
réversibilité , ses jeux d’espaces et surtout la polysémie
de ses métaphores »310.

Bidima opte donc pour la conception adornienne de


l’art. En effet, en dénonçant l’industrie culturelle, Adorno
reconnaît cependant que le processus qui livre
aujourd’hui aux musées les œuvres d’art est irréversible.
En outre , l’intégration inévitable de l’art traditionnel
dans le système marchand , donne selon lui, argument
pour défendre les œuvres d’avant-garde . Pour lui, il faut
être résolument moderne . L’une des idées maîtresses de
l’esthétique d’Adorno est de faire savoir que les œuvres
d’art ne critiquent pas suffisamment la réalité en la
peignant de façon réaliste, en jouant sur le caractère
figuratif de leur sujet ou de leur contenu. Selon lui, la
distinction entre la forme et le contenu n’a aucune validité
. « C’est justement lorsque la forme paraît émancipée de
tout contenu préétabli que les formes prennent d’elles-

309
BIDIMA, op. cit., p.64.
310
Ibidem.
281

mêmes leur expression et leur contenu propres ».311


Dans son apparence esthétique, l’œuvre d’art doit prendre
position à l’égard de la réalité qu’elle nie en devenant
une réalité sui generis. Elle doit protester contre cette
même réalité au travers de son objectivation. L’art doit
pouvoir écrire les souffrances de l’histoire.

« Dans l’art contemporain, nous dit Adorno, on voit se


dessiner la fin de l’alternative entre la gaieté et la gravité,
le tragique et le comique, la vie et la mort. Ainsi , l’art
renie tout son passé , sans doute parce que cette alternative
familière exprime la coupure entre le bonheur de voir
que la vie continue , et le malheur , qui est le médium
dans lequel elle peut justement continuer. L’art , quand il
se place au-delà de la gravité et de la gaieté , peut être le
signe de la réconciliation aussi bien que de l’horreur ,
par la démythification totale du monde . Cet art-là
correspond autant à une réaction de dégoût devant
l’omniprésence de la publicité franche ou clandestine en
faveur de l’existence qu’à un moment de réticence
devant le cothurne qui surélève la souffrance, prenant
toujours pour parti son immuabilité . L’art n’est pas très
gai de nos jours, mais il n’est pas non plus très grave, face
au passé récent. On commence à se demander s’il a
jamais été aussi gai que la culture veut en persuader les
hommes »312 .

De son côté, alliant Esthétique et Politique pour mieux


comprendre les identités en Afrique, Yacouba Konaté
montre que l’Afrique a encore du chemin à faire, si elle
veut encore espérer au développement. Dans un article

311
ADORNO (T. W.).- Autour de la théorie esthétique , Traduit de
l’allemand par MARC JIMENEZ ET Eliane KAUFHOLZ ( Paris,
Klincksieck, 1976), p.53.
312
ADORNO (T.W.).- Notes sur la littérature , traduit de l’allemand
par Sibylle MULLER (Paris, Flammarion, 1984), pp.435-436.
282

resplendissant, intitulé «la génération zouglou», il montre


en quoi, la culture, et surtout, la musique peut être un
facteur de cohésion sociale, d’éveil de conscience sociale
et de contestation pour la mise en place d’un nouvel ordre
politique et social. Mais tout en militant pour cette voie,
le professeur Konaté, dénonce la perversion de la société
et dénote le fait que nos sociétés ne tirent pas
suffisamment de leçons véhiculées par la génération
zouglou. S’appuyant donc sur, «ASEC-KOTOKO», , titre
phare, des Poussins chocs, qui stigmatise la violence, la
stupidité et la xénophobie perpétrée sur des prostituées
ghanéennes, après un match de football, Konaté
écrit :«comment peut-on s’adonner à la chasse aux
étrangers le jour et rechercher la tendresse de l’étrangère,
le soir ? Comment un homme qui porte une étrangère dans
son cœur, peut-il participer aux lynchages des étrangers ?
Comment des jeunes qui, pour la plupart, ont un vécu
pluriethnique quotidien, peuvent-ils s’adonner si
facilement à la xénophobie ?Dans le cosmopolitisme de la
grande ville africaine, la citoyenneté reste une donnée
fragile. Repérable à sa position dans les travées ethniques
qui subsistent au cœur des villes, l’étranger l’est aussi par
rapport à la répartition ethnique du travail. Dis-moi quel
métier tu exerces, je te dirai d’où tu viens Le football a
beau être un langage universel, un sport cosmopolite, il est
un foyer de passions propice à réveiller les vieux démons
qui dorment au cœur des foules. Le premier cri de haine
réveille la bête immonde, car quand lève le flot mugissant
de la foule, s’active un pouvoir de débilisation qui décuple
le pouvoir destructeur de la violence. Après avoir déversé
sa violence et sa haine sur l’autre, le sujet le recherchera
pour se supporter lui-même. Le regard intérieur l’aidera
peut-être à ne pas retomber dans les mêmes bassesses,
l’auto-dérision, l’humour aussi car l’un et l’autre
prescrivent des exercices d’éveil critique. L’humour est
aussi « une marque de savoir-vivre ». Ce savoir-vivre
283

ensemble doit intégrer les communautés étrangères qui


partagent les espoirs et les angoisses de l’actualité
nationale. C’est par leur immersion dans la nouvelle
culture de masse qui est celle de leur environnement
immédiat et celle de leur génération, que les générations
nouvelles, toutes origines confondues, participent à la
culture nationale dont ils sont les consommateurs et les
inventeurs.»313Surtout, quand cette culture prône le culte
de la différence. Dans une telle situation, la revendication
de la dignité du Noir n’est-elle pas compromise ?

II.3. Des idéologies de l’authenticité africaine :


engagement ou encagement ?

Le mouvement de la Négritude a levé le voile qui


cachait certains aspects de la colonisation en Afrique. Il a
attiré vraisemblablement l’attention du monde, la
curiosité , l’intérêt sur les problèmes coloniaux , sur la
politique coloniale en Afrique. Il n’était, en vérité, pas
dans l’entendement de ce mouvement de condamner la
civilisation européenne. Mais son but essentiel était de
montrer que l’Homme est ’’UN’’ ; que l’Humanité , notre
Humanité ne doit pas être seulement l’apanage de la
société occidentale , mais tout simplement l’apanage des
hommes qui ont des droits égaux à la liberté , à la justice,
à la paix ; des hommes qui sont faits pour s’entendre ,
malgré leurs différences.

Pour réussir ce pari, il fallait mettre en place une


‘’philosophie’’ afin de tracer les sillons hardieux d’une
Civilisation de l’Universel, selon le mot de Senghor. Mais
si le projet de la négritude est de faire reconnaître la

313
KONATÉ (Y.).-« Génération zouglou» , Cahiers d'études
africaines, 168 | 2002, [En ligne], mis en ligne le 25 décembre 2005.
URL : http://etudesafricaines.revues.org/index166.html. Consulté le
05 septembre 2010.
284

civilisation africaine par une prise de conscience aiguë


de la singularité des problèmes africains , sa démarche
n’est-elle pas ethnique, voire ethnologique ? Par ailleurs,
la vision de la négritude de la civilisation négro-africaine
peut-elle prétendre au titre de philosophie ?

Il faut le dire tout de suite, dans l’entendement des


auteurs africains , l’idée sous-jacente au concept et à
l’idéologie de l’authenticité était la restauration de la
philosophie anthropologique traditionnelle afin de faire
face aux divers défis politique, économique, social et
culturel de notre temps. Cette idéologie se veut avant tout
une ‘’philosophie’’ politique. Rejetant l’assimilation et le
mimétisme culturel , des théoriciens africains et non –
africains ont proposé des solutions visant à restaurer
l’équilibre interne de la civilisation africaine .

Dès octobre1971, Joseph Désiré Mobutu, devenu Le


Maréchal Joseph Désiré Mobutu dit Sesse Seko Kuku
Ngbendu Wasa Banga( guerrier qui va de victoire en
victoire sans que personne ne puisse l’arrêter), lance sa
campagne de l’authenticité. Celle-ci fait tâche d’huile : au
Togo, Etienne Eyadema devient Gnassingbé Eyadema ;
au Tchad ,François Tombalbaye devient N’garta
Tombalbaye. Le Zaïre devient le centre
d’expérimentation de la nouvelle trouvaille. Des décisions
spectaculaires sont prises, notamment la nationalisation
de la grande et prodigieuse Université Catholique de
Lovanium qui devient Université Nationale du Zaïre
(U.N.A.Z.A.). Les prénoms chrétiens sont remplacés par
des noms et surnoms africains . Même le port des habits
en prend un coup : disparition du complet veston
européen ; changement du nom de la monnaie nationale
qui s’appelle désormais Zaïre au lieu du franc congolais .
La république qui était appelée le Congo –Léopoldville ,
devient République du Zaïre pendant que le parti unique ,
285

c’est-à-dire le Mouvement Populaire de la République


devient la seule et unique organisation politique ; des
groupes d’animation sont formés au sein du parti unique
national pour galvaniser les troupes à proclamer
l’authenticité ; les villes et les provinces sont débaptisées.
C’est ainsi que Léopoldville devient Kinshasa,
Stanleyville devient Kisangani, Elisabethville devient
Lumbashi, la province du Katanga devient le Shaba.

Mais si nous revenons au terme de l’authenticité, on se


rend compte que ce mot vient du grec authentikos qui
qualifie celui « qui agit sous sa propre autorité et
responsabilité ». L’authenticité serait donc la qualité de
l’homme qui pense et agit par soi-même et pour soi-
même, l’homme majeur , selon la formule de Kant. Elle
vise l’idée d’autonomie par rapport à celle de
l’hétéronomie , c’est-à-dire l’idée ,comme le dit
Christophe Wondji, « de celui qui pense et agit par lui-
même par rapport à celui dont la pensée et l’action sont
dictées par un autre ; l’idée d’autodétermination par
rapport à celle d’hétérodétermination, c’est-à-dire l’idée
de celui qui se détermine à partir de lui-même par rapport
à celui qui est déterminé par autrui »314. L’authenticité se
réfère donc à l’autonomie et à l’unité de la conscience
collective, une sorte de volksgeist allemand , visant la
réintégration de soi dans le tissu social, tout en en
revendiquant une liberté de conscience, d’appropriation
de soi pour assumer son être-là –dans - le - monde face à
l’occident. Les tenants de l’authenticité, veulent
reconquérir leur autonomie existentielle de nègre, leur
pureté originelle, leur être perdu sans bâtardisation
aucune.

314
WONDJI (C.).- L’authenticité africaine : Mythe et réalité in
Revue de littérature et d’esthétique négro-africaine , (Abidjan, NEA ,
1977), p.133.
286

Ainsi , selon Mobutu Sesse Seko, l’homme


authentique, disons , le ‘’zaïrois authentique’’ « est un
homme entièrement LIBERE de toutes les formes
d’aliénation mentale , politique , économique et socio-
culturelle. En ce sens, l’authenticité est l’autre nom d’une
liberté politique , économique et culturelle totale »315.
Recourir à l’authenticité, c’est retourner aux sources
ancestrales ; c’est porter les noms ancestraux africains
tout en refusant les noms d’emprunt occidentaux sans
résonance et référence africaine ; c’est renoncer au
langage d’emprunt et à ce qui vient du dehors. C’est aussi
et surtout être fier d’être africain avec des particularités
propres à l’africain tout en renouant avec la culture
africaine propre , avoir des comportements spécifiques
africains , élaborer des théories philosophiques, artistiques
et techniques compatibles avec le progrès. Pour tout dire,
être authentique, c’est agir par soi-même. « Authenticité
elingi koloba : kosala maka-mbo nyonso ndenge ezaali
pensé , conçu par nous-mêmes » 316dit Mobutu Sesso
Seko.

On le voit, l’homme ’’authentique’’ est un homme


engagé dans la révolution politique économique et
culturelle de son pays , qui revendique la pré-séance de la
société sur l’individu, au sens sartrien du terme ; dans
l’authen- ticité, la société précède l’individu. Le bien
public doit prévaloir sur le bien privé, la politique sur la
religion .Le mot d’ordre est ‘’servir et non se
servir’’ .« L’homme authentique ne peut s’éprouver
comme libre que si tous les hommes , et en particulier ,
les frères africains sont libres du racisme et du
colonialisme . Il doit donc consentir tous les sacrifices

315
Mobutu Sesse SEKO,, cité par NTUMBA (T.). in ‘’La vision n’tu
de l’homme’’ in philosophie africaine tomeI , (Kinshasa, PUZ ,
1975) , P.173.
316
NTUMBA , op . cit., p.173.
287

nécessaires en vue de libérer tous ses frères. Il doit lutter


contre toutes les formes d’aliénation à travers le monde .
Ce faisant , il aura un soin particulier à respecter partout
l’authenticité des autres aires culturelles »317 À l’analyse,
l’idéologie de l’authenticité semble non seulement se
reposer sur l’existentialisme sartrien de l’engagement , de
la liberté et de l’humanisme en prônant le retour aux
sources, mais aussi il s’appuie sur le socialisme de Marx
pour montrer qu’il faut servir et non se servir, en montrant
que dans l’authenticité, le libre développement de chacun
est la condition du libre développement de tous.

De Sartre, on retiendra que la liberté se confond


pratiquement avec l’existence de la conscience , c’est-à-
dire avec celle du pour-soi. Toute philosophie de
l’existence postule donc la liberté comme principe , non
seulement de l’action – de la praxis, mais aussi de la
réflexion . L’existence est liberté et ne peut qu’être
liberté ; elle l’est comme conscience qui se pose pour soi
et non comme chose . Pour Sartre, l’homme est condamné
à être libre. Dans la liberté s’éclaire l’existence tout
entière comme précédant et rendant possible toute
essence , toute qualité ou toute faculté. C’est que la
liberté n’est pas d’abord une notion : c’est mon existence
même dans la mesure où je suis celui qui me fais être .
C’est ce projet même qui s’appelle liberté : projet qui ne
se réalise pas dans l’intimité douillette d’un ego
renfermé sur lui-même , mais s’accomplit comme être -
au - monde , c’est-à-dire comme être –pour - autrui, en
‘’situations’’. Avoir un motif d’agir , c’est toujours le
viser , l’intentionner dans la mesure où la conscience vise
le monde comme ‘’ décompression d’être’’, trou dans la
densité du monde et des choses.

317
NTUMBA, op. cit., p.174.
288

Chez Sartre, le choix du projet ne peut jamais être


justifié : il est absurde. Il faut penser sans mots, sur les
choses , avec les choses, et La nausée l’explique
bien : « L’absurdité, ce n’était pas une idée dans ma tête ,
ni un souffle de voix , mais ce long serpent mort à mes
pieds, ce serpent de bois. Serpent ou griffe ou racine ou
serre de vautour, peu importe. Et sans rien formuler
nettement , je comprenais que j’avais trouvé la clef de
l’Existence , la clef de mes Nausées, de ma propre vie. De
fait, tout ce que j’ai pu saisir ensuite se ramène à cette
absurdité fondamentale . Absurdité : encore un mot ; je
me débats contre des mots ; là- bas, je touchais la chose
Mais je voudrais fixer ici le caractère absolu de cette
absurdité . Un geste , un événement dans le petit monde
colorié des hommes n’est jamais absurde que
relativement :par rapport aux circonstances qui
l’accompagnent »318. Ainsi la seule chose que ne puisse
choisir la liberté, c’est de ne pas choisir. Choisissant, elle
s’engage dans une situation , situation qu’elle dévoile mais
qu’elle ne peut éluder et qui lui donne lieu de se déployer
mais dont elle n’est jamais totalement maîtresse. Comme
le dit Marc Froment-Meurice , pour Sartre, « Choisir, ce
n’est en effet jamais possible qu’à partir d’un monde qui
se dévoile , et dont je suis solidaire . Solidaire parce que ce
monde m’implique , sans toutefois jamais me déterminer ;
parce que jetés ou délaissés à ce monde , nous ne pouvons
jamais reprendre notre existence comme fondement
d’elle-même »319.

Ainsi , toute liberté étant considérée , c’est-à-dire jetée


au monde , l’engagement n’est que la conséquence , sur le
plan humain et social d’un tel état de fait, lié à la
condition humaine.« Nous sommes condamnés à

318
SARTRE (J-P).- La nausée, (Paris,, Galliumard, 1938), p.184.
319
FROMENT- MEURICE (M-).- Sartre et l’existentialisme (Paris,
Fernand Nathan, coll. Les intégrales de philo, 1984), p.66.
289

l’engagement , comme nous sommes condamnés à être


libres ; l’engagement n’est pas l’effet d’une décision
volontaire , d’un choix qui lui préexisterait . Je ne décide
pas d’être ou non engagé , je suis toujours déjà engagé ,
comme je suis jeté au monde. L’engagement et le
délaissement sont un seul et même état de fait »320.

Être engagé, c’est être embarqué, être jeté au monde ,


qu’on le veuille ou non ; c’est dire aussi qu’on est libre ;
c’est la situation d’un existant pour qui l’historicité n’est
qu’un mode de dévoilement de son – être- au- monde
originaire par laquelle il se fait être. Ainsi donc, comme le
dit Emmanuel Mounier , « Au premier regard le souci de
l’existence authentique semble mal accordé aux
servitudes de l’action . L’action actériorise , l’action
simplifie , étale et disperse , avilit souvent . Une des
attitudes qui peuvent sembler devant elle, pour un
existentialiste les plus naturelles est le retrait sur une vie
recueillie , le refus du divertissement , le goût de
l’existence sécrète, intense, authentique, au besoin
exceptionnelle et provocante »321 . En s’appuyant donc sur
l’existentialisme, surtout que Sartre avait écrit ‘’ Orphée
noir’’, des auteurs africains voulaient fonder une
‘’philosophie’’ qui revendique l’être-là de l’Africain. Il
fallait s’opposer à la colonisation en reconnaissant la
valeur de sa propre culture, en remémorant le passé, en le
déterrant pour mieux l’embellir.

Césaire écrira son Cahier d’un retour au pays natal


pour réussir le saut par-dessus les eaux de l’abjection. Et
la seule voie, selon lui, conduisant au salut, est celle de
l’authenticité ; surtout que l’authenticité consistait pour
lui, à se reconnaître d’abord Martiniquais, à assumer le

320
FROMENT8MEURICE (M.), op. cit., p.73.
321
MOUNIER (E.) .- Malraux Camus Sartre Bernanos l’espoir des
désespérés ( Paris, Seuil, 1953), p.140.
290

destin sans grandeur de son peuple , à trembler avec lui


du commun tremblement. Ce n’est qu’alors qu’il
distinguera le sens, la valeur et la fonction historique de
la Négritude , comprise comme étant la conception de
l’existence propre à l’homme noir , ainsi que son
exigence de justice et de dignité , comme une
postulation irritée de la fraternité. Les idéologies de
l’authenticité se sont donc accaparées froidement de la
pensée sartrienne. Ils en ont marre de la domination, ils
ont La Nausée du colonialisme et du néo-colonialisme.
« Pour eux... c’est autre chose . Ils ont vieilli autrement.
Ils vivent au milieu des legs, des cadeaux et chacun de
leur meuble est un souvenir . Pendulettes, médailles,
portraits, coquillages, presses-papiers, paravents, châles.
Ils ont des armoises pleines de bouteilles, d’étoffes, de
vieux vêtements, de journaux ; ils ont tout gardé. Le passé,
c’est un luxe de propriétaire »322 .

Si donc les idéologies de l’authenticité ont pour


fondement les théories de l’existentialisme, surtout que
Jean-Paul Sartre a donné une caution particulière à la
Négritude en écrivant ‘’Orphée Noir’’,force est de
reconnaître que l’existentialisme dont ils se servent n’est
que biaisé, perverti même . Car telle qu’elle est formulée,
l’idéologie de l’authenticité repose véritablement sur une
conception étriquée de l’histoire , une conception
desséchante de la métaphysique et de la société africaine.
Elle pense les Africains en termes d’essence , c’est- à -
dire de manière d’être et d’agir immuable et éternelle,
liée à la race . Certes, elle prône l’enracinement, la
revalorisation des cultures africaines et que comme le dit
Simone WEIL, « L’enracinement est peut-être le besoin le
plus important et le plus méconnu de l’âme humaine .
C’est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une
racine par sa participation réelle, active et naturelle à
322
SARTRE (J-P).-La nausée, (Paris, Gallimard, 1938), p.99.
291

l’existence d’une collectivité qui conservent vivants


certains trésors du passé et certains pressentiments
d’avenir. Participation naturelle, c’est-à-dire amenée
automatiquement par le lieu, la naissance , la profession ,
l’entourage. Chaque être humain a besoin d’avoir de
multiples racines . Il a besoin de recevoir la presque
totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par
l’intermédiaire des milieux dont il fait naturellement
partie »323.

On sait que la recherche des essences a abouti naguère


à une classification ontologique des races . Le nègre est
émotion et âme, ce qui le prédispose à l’art et à la
sensualité . Le Jaune est esprit de religiosité qui le
prédispose à la contemplation et à la méditation, tandis
que le Blanc est raison et entendement, ce qui le
prédispose à la science et à la technique . En appliquant
cela à la société et à son évolution , cette conception
stéréotypée aboutit à une vision psycho-biologique de
l’homme. Or, les civilisations sont comme les hommes,
leurs géniteurs ; comme eux, elles naissent, grandissent et
meurent. Il faut donc sortir de ce carcan fiévreux de la
statique culturelle, de ce confusionnisme brutal et
tourmenté. En pensant de la sorte, l’Authenticité apparaît
comme un concept ambigu, une idéologie ambivalente
reposant sur une conception raciale et étroite de l’histoire
. En effet, en postulant une histoire africaine, destinée aux
africains, « L’Afrique aux Africains », l’ histoire africaine
ne serait qu’ une histoire particulière des Noirs. Or,
l’histoire est cumulative, et l’histoire africaine s’inscrit
inéluctablement dans le courant de l’histoire mondiale
inséparable de l’histoire des autres peuples. L’histoire est
imbrication, interdépendance. Aucune histoire ne peut
s’isoler et se départir de l’histoire mondiale. Seulement,

323
WEIL (S).- L’enracinement, (Paris, Gallimard, coll. Idées, 1977),
p.61.
292

comme le dit Hannah Arendt, « La tâche de la conscience


est de comprendre ce qui s’est passé , et cette
contemplation (...), est la manière pour l’homme de se
réconcilier avec la réalité ; sa fin réelle est d’être en paix
avec le monde . L’ennui est que si la conscience est
incapable d’apporter la paix et de produire la
réconciliation, elle se trouve immédiatement engagée
dans son genre propre de guerre »324 .

En Afrique noire, comme partout ailleurs, l’histoire se


déroule en une succession de luttes, parfois sanglantes
entre l’homme et la nature, entre l’homme et les autres
hommes, entre même les différentes civilisations. La chute
des valeurs anciennes peut revêtir des valeurs neuves .
Hannah Arendt a bien compris cela lorsqu’elle affirme que
« La fin d’une tradition ne signifie pas nécessairement
que les concepts traditionnels ont perdu leur pouvoir sur
l'esprit des hommes . Au contraire , il semble parfois que
ce pouvoir de vieilles notions et catégories devient plus
tyrannique tandis que la tradition perd sa vitalité et
tandis que le souvenir de son commencement s’éloigne ;
il peut même ne révéler toute sa force coercitive
qu’après que sa fin est venue et que les hommes ne se
révoltent même plus contre lui »325 .

D’ailleurs, une des idées les plus perverties de cette


idéologie de l’authenticité, est l’imbroglio conceptuel
’’racisme anti-racisme’’. Ici, l’on remarque qu’une culture
qui semble lutter contre le racisme et la domination, qui
prône la culture de l’universel, selon les dires des ténors
de la Négritude, devient plus raciste que les racistes
puisqu’elle est une doctrine idéologique qui voit le jour
dans un contexte idéologique. Et le caractère idéologique

324
ARENDT (A.).- La crise de la culture ,, traduit de l’anglais sous la
direction de Patrick Lévy,( Paris, Gallimard,1972), p.17.
325
ARENDT (H.), op. cit., p.39.
293

de ce genre de doctrine ne fait guère de doute dans la


mesure où il s’agissait d’émettre des observations
fragmentaires en dehors de leur contexte et d’entraîner
les hommes dans une action collective en vue de faire
triompher par la voie politique une position avérée. Si
tel était le désir de la Négritude et de l’Authenticité, elles
l’ont bien réussi car d’éminents penseurs et hommes
politiques ont adhéré à leur cause. Pourtant, l’antiracisme
est un racisme qui s’ignore.

Pierre - André Taguieff a raison de dire qu’ « Il n’est


guère difficile de juger laquelle , de ces deux logiques ,
est la pire. Car l’on ne peut éviter d’évaluer , faute d’être
un ange »326. Selon lui, le rejet de l’universel par
l’antiracisme se manifeste dans des discours attestés qui
prônent le rejet de l’unité de l’espèce humaine ou rejet de
l’idée régulatrice d’une communauté humaine formant
l’au-delà de toutes les différences collectives. La position
anti –universaliste revient à prendre le parti exclusif de ce
qui est , le concret des identités collectives raciales ,
ethniques, culturelles , nationales contre ce qui
exprimerait l’universel.

« Qu’en est-il du racisme impliqué par la logique de


l’assimilation ? Peut-on l’ériger en modèle théorique
d’un type distinct de racisation :le racisme
assimilationniste ? Celui-ci pourrait être défini comme
l’entreprise de réduction universelle des différences et/ou
identités collectives à un modèle unique, celui de
l’instance impériale se proposant de réaliser une telle
homogénéisation planétaire , et à qui serait susceptible
de profiter le « crime » . Le racisme d’assimilation n’est
cependant qu’une variété du racisme inégalitariste , dont

326
TAGUIEFF (P-A). –‘’Racisme et antiracisme : modèles et
paradoxes, in Racismes antiracismes , (Paris, Librairie des Méridiens,
1986), p.265.
294

il présente sous une forme explicite la logique profonde :


réduction de la pluralité des modèles de vie collective à
un seul ( le sien ; ethnocentrisme ), position de soi comme
supérieur sur une «échelle de valeur universelle , unique
et absolue , prescription d’une assimilation à son modèle
culturel autoréférentiel (et auto-préférentiel) de tous les
autres peuples »327.

Quand l’Authenticité veut recourir à ses anciennes


sources, elle disqualifie par là, les cultures étrangères et
toutes autres valeurs différentes des siennes. D’ailleurs
peut-elle refuser les formes culturelles occidentales,
surtout qu’elle est déjà assimilée ? La langue française a-
t- elle été bannie par les tenants de l’authenticité ? S’il
fallait retourner aux sources ancestrales, les tenants de
l’authenticité feraient mieux de vivre dans les taudis de
leurs ancêtres , de porter les haillons et de ne boire que
l’eau du marigot ou du puits. Pourtant, rien de tout cela
n’a été fait. Ils n’y tiennent même pas. C’est dire que rien
n’est statique.

L’histoire est évolutive . Comme le dit Hannah Arendt,


« Les valeurs sont des articles de société qui n’ont
aucune signification en eux-mêmes mais qui , comme
d’autres articles, n’existent que dans la relativité en
perpétuel changement des relations et du commerce
sociaux . Par cette relativisation , les choses que l’homme
produit pour son usage et, tout à la fois , les normes
conformément auxquelles il vit , subissent un changement
décisif ; elles deviennent des entités d’échange et le
détenteur de leur « valeur » est la société et non pas
l’homme qui produit, utilise et juge. Le « bien » perd son
caractère d’idée, de norme par laquelle le bien et le mal
peuvent être pesés et reconnus ; il est devenu une valeur
qui peut –être échangée avec d’autres valeurs telles que
327
TAGUIEFF (P-A) , Ibidem.
295

celles de convenance ou de pouvoir. Le possesseur de


valeurs peut refuser cet échange et devenir un « idéaliste »
qui estime la valeur du « bien » plus grande que la valeur
de la convenance ; mais cela ne rend pas la « valeur » du
bien si peu que ce soit moins relative »328. Où donc
trouver la valeur suprême, à l’aide de laquelle , mesurer
toutes les autres ? La question est bien embarrassante .

Et les tenants de l’authenticité semblent ignorer cette


question à travers les sentiers sinueux du labyrinthe de
l’exaltation de la différence et du culte du passé. « Les
grandes choses sont évidentes d’elles-mêmes , brillent
par elles-mêmes »329. On ne peut obliger toute une
génération, tout un peuple à retourner massivement aux
sources pour y demeurer. Pour quelles raisons et pour
quels buts ? L’intention de ces auteurs est bien inavouée.
Car « Tous les jugements qui ne sont pas inspirés par un
principe moral (considéré comme démodé) ou qui ne sont
pas dictés par quelque intérêt personnel sont considérés
comme une affaire de « goût » , et cela dans un sens
différent de celui qu’on a en tête quand on dit que c’est
une affaire de goût de préférer la bouillabaise à la soupe
aux pois »330.

Si l’authenticité telle qu’elle est conçue, se veut une


idéologie du développement , n’apparaît-elle pas comme
l’expression d’une idéologie des impasses politiques des
classes dirigeantes africaines pour masquer leurs carences
de gestion des hommes et des affaires de leurs pays ?
N’est-elle pas une diversion des masses pour pouvoir ,
contrairement à leur slogan, « se servir au lieu de
servir » ? Les faits le prouvent : au Zaïre où il a été prôné,

328
ARENDT (H.).- La crise de la culture, traduit de l’anglais sous la
direction de Patrick Lévy, (Paris, Gallimard, 1972), pp. 47-48.
329
ARENDT (H), op. cit., p.71.
330
ARENDT (H.), op. cit., p.73.
296

le chantre de l’authenticité, Mobutu, a été un richissime


dictateur qui avait plusieurs comptes dans les banques
occidentales tandis que ses compatriotes vivaient dans la
misère la plus atroce. Son retour aux sources signifiait de
boire à la source sans en laisser une goutte d’eau pour les
plus assoiffés. Quant à Eyadema, cet autre dictateur, il
avait lui aussi des comptes bancaires en Occident et
terrorisait sa population ; d’une main de fer, il a fait une
trentaine d’années au pouvoir, et y est resté jusqu’à sa
mort en 2005. Tombalbaye, ne fut pas non plus, lui aussi,
un bon exemple. Chassé du pouvoir, parce que dictateur, il
mourut dans des conditions misérables. Comme on le voit,
le but inavoué des théories de l’authenticité, était de
détourner le peuple des vrais problèmes du développement
afin de l’aliéner, de l’asservir et de le dépouiller
copieusement. Le slogan « servir au lieu de se servir »
était donc un slogan creux, un discours « trompe-l’œil »
pour voiler leur impuissance et leur incapacité à subvenir
aux besoins de leurs peuples respectifs et de maintenir le
statu quo politique. Il n’est donc pas étonnant que ces
« authentifieurs», (si on nous permet le néologisme),
soient tous des dictateurs avérés et qu’ils aient fait des
dizaines d’années au pouvoir, tout en refusant l’ouverture
aux autres par le pluralisme politique et la démocratie.

L’authenticité apparaît donc dans son fond comme un


rejet de la différence , refus ou impossibilité d’accepter
l’autre comme différent, c’est-à-dire comme non
identique ou non ressemblant à soi. C’est une
hétérophobie dont l’idéologisation et la politisation lui
confèrent une fonction instrumentale dans une guerre
idéologique dont l’un des objectifs est de paralyser
l’adversaire, de le mettre hors course par la désinformation
. C’est pourquoi sa fonction tactique est volontiers mise
en évidence par des idéologues conservateurs , qui se
disent « nationalistes » ou « libéraux ». En prônant
297

l’antiracisme, ces théories d’authenticité , et surtout la


Négritude et autres ethnophilosophies qui la propagent ,
peuvent être considérées comme un nationalisme
xénophobe, et comme tel, elles peuvent être dénoncées
comme une méthode de terrorisme intellectuel , une
entreprise d’occultation et d’aveuglement grossier. Car ,
comme le signale fort bien Pierre-André Taguieff,«
L’antiracisme opère une mise en évidence et en relief de
l’identité « raciale », « ethnique » ou « culturelle » des
individus, qu’il assimile à une origine indépassable . Ce
qui revient à légitimer , certes involontairement , la
réduction raciste – que l’on prétend combattre - de
l’individu à une classe d’appartenance fixe, se confondant
avec ses « origines » (raciales, ethniques, culturelles). Le
fatalisme raciste est ainsi reconduit , conforté, confirmé.
Cet effet pervers de l’antiracisme se retrouve dans la
revendication identitaire , dès lors qu’elle absolutise les
différences et identités d’origine . En bref, que l’on se
dise « raciste » (rare) ou « antiraciste » » (courant), on
légitime le critère racial de différenciation entre les
humains , on tend à le présenter comme le critère
principal et déterminant de classification des individus .
C’est un tel « bétonnage » des différences collectives ,
coulées dans le vocabulaire exclusif de la race , qui
constitue un effet pervers dominant de l’antiracisme .
au « vivre ensemble avec nos différences » des
antiracistes répond le « vivre séparés avec nos
différences » des racistes. Il est clair que la référence à la
différenciation raciale représente un présupposé
commun aux ennemis idéologiques déclarés , et qui
enveloppe un postulat second et implicite : les
différences sont traitées comme indépassables, ou comme
des frontières infranchissables . En bref, tout se passe
comme si c’était à l’intérieur du même cercle de
préjugés que s’affrontent les frères ennemis, accordés sur
298

un réductionnisme et un fatalisme « différentialistes ».


»331.

L’on comprend maintenant, à juste raison pourquoi les


philosophies Bantoues et la Négritude sont considérées
comme des ethnophilosophies, des philosophies sectaires,
segmentées qui prônent le culte de la différence pour
n’advenir que comme indifférentes aux problèmes
cruciaux de l’Afrique, aux problèmes de développement
économique, culturel, social et politique de ce continent.
Il n’est donc pas surprenant que ces idéologies, qu’on a
prétendument appelées « philosophie » aient subi des
critiques parfois véhémentes, des contestations d’ordre
structurel et idées d’autres auteurs d’Afrique et d’ailleurs
qui, en refusant le culte de la différence et la pensée
collective , privilégient la pensée de la différence . Mais
une telle pensée est-elle elle-même exempte des
différends ? La différence n’est - elle pas déjà dans son
essence, dans son avoir – été un Différend ?

331
TAGUIEFF(P-A), op. cit., pp..280-281.
299

Troisième partie : Des différends


de la pensée à la pensée de la
différence
300

« Si l’Afrique ne nage pas, elle sera noyée » .


DIAKITE (S.).-Technocratie et question africaine de
développement. Rationalité technique et stratégies collectives ,
(Abidjan, Strateca Diffusion, 1994), p..20.

« Faut-il raviver l ’originel, ressusciter l’original ? Ce n’est plus


possible ». LEFEBVRE (H.).-Le manifeste différentialiste (Paris,
Gallimard, 1970), p.67.
301

Chapitre I : De l’engagement au socialisme.

« Mais ce qui vaut pour la nature vaut aussi pour la réalité sociale ;
si les relations de causalité sont toujours insuffisantes , c’est que toute
société détermine en son sein des zones d ’inertie qu’elle soumet à
une systématisation qui leur est extrinsèque ; en ce sens les relations
sociales apparaissent dans le mythe qui les traduit à son niveau
propre comme une réalité naturelle ; l ’inverse est tout aussi vrai » .

SEBAG (L.).-Marxisme et structuralisme (Paris, PBP, 1964),


p.167.

I.1. De la problématique du socialisme africain

Dans les années 6o, de nombreux États africains


ont eu accès à leur indépendance , à leur auto—
détermination. Cependant, des écrivains africains
continuent encore de proclamer leur négritude et
l’exaltation de leur passé comme certificat d’identité
foncière. L’exhumation des philosophies collectives,
appelées à tort ou à raison ‘’ethnophilosophie’’ continuent
de se frayer un chemin dans la mince production
philosophique africaine . Entre temps, l’Afrique, peut se
targuer d’avoir de grands intellectuels formés à l’école
occidentale. Sur place, en Afrique, des Grandes Écoles et
des Universités prestigieuses vont se faire entendre par
l’organisation des colloques, des séminaires, des débats et
l’instauration des chaires de philosophie africaine . Les
Universités Nationales de Côte d’Ivoire, de Lovanium
devenue l’Université du Zaïre, de Yaoundé, ont sans nulle
doute produit de grands penseurs et élaboré de grandes
302

théories autour de la problématique de la philosophie


africaine. Tous les aspects du continent africain sont
passés au peigne fin : les problèmes du développement,
de la culture, de la religion, de la science et de la
politique et aujourd’hui, des Droits de l’Homme et de la
Communication.

Il faut le dire, les sociétés africaines se développent à


des rythmes variables, en fonction à la fois de leurs
traditions nationales et de l’influence de l’Occident. Les
influences étrangères étant différentes dans leur sens et
dans leur importance suivant les pays et les générations,
certains intellectuels ont jugé bon de s’appuyer sur le
modèle de la dynamique sociale occidentale pour amorcer
le processus de développement de l’Afrique . Il est vrai ,
que les divers éléments de la même classe sociale
n’avaient pas la même réceptivité aux nouvelles idées et
les idées elles-mêmes changeaient plus rapidement
certains goûts et certaines façons de penser que d’autres .
Toute synthèse historique ressemble donc à un lit de
Procruste, mais sans synthèse, l’histoire se désintègre en
atomes innombrables et sans signification . Une fois que
l’on a tenu compte de la situation africaine post-
indépendance, il est utile de considérer les années 70
comme un âge de transition entre deux environnements
intellectuels. Si l’on veut comprendre ce qui est impliqué
par « les innovateurs sociaux »332, selon les mots de
Nathalie des Gayets, il faut d’abord connaître d’où tirent-
ils leurs idées, leurs arguments , leurs attitudes et les
valeurs contre lesquelles ils sont en réaction . « Cette
expression récente-« les innovateurs sociaux »-, mais
aujourd’hui couramment employée, désigne donc une
multiplicité de particuliers qui ont pour dénominateur

332
GAYETS (Nathalie des.).-‘’les innovateurs sociaux’’ in
Encyclopaedia Universalis (Paris, Encyclopaedia
universalis,1985) ,symposium ,p.704.
303

commun de tenter une « révolution du quotidien » en


apportant des solutions pratiques qui soient « autres »
dans les formules qu’ils adoptent pour améliorer leur sort
ou celui de leurs contemporains ».333Ce n’est pas
l’information elle-même qui nous intéresse ici, mais
l’influence des idéologies et pensées occidentales sur les
standards africains, les nouvelles attitudes qu’elle favorisa
et qui, à leur tour, déclenchèrent de nouvelles
contestations.

S’appuyant sur les anciennes idées des révolutionnaires


du Siècle des Lumières, une certaine élite africaine va se
mouvoir pour revendiquer à l’Occident et à l’Afrique elle-
même, des droits et des devoirs. Comme va le prouver le
cours de nos travaux, « l’assurance des gens cultivés, leur
ardeur à s’engager dans des spéculations philosophiques
et politiques radicales, l’empressement d’une classe
sociale privilégiée à railler la religion et à adopter des
principes égalitaires, tout cela repose sur une conviction
quasiment générale de l’immuabilité de l’ordre social.
Personne ne semble avoir considéré la possibilité d’un
bouleversement économique et social capable de
transformer l’ordre de la société ».334

Les idées de ces penseurs africains ont pour finalité de


changer les données de la vie quotidienne et de pourvoir
aux carences des pouvoirs publics à partir des
interventions concrètes dans un espace limité. Les valeurs
traditionnelles s’effritent ou sont refondues dans un
creuset où se mêlent les aspirations du siècle et les
possibilités qu’offre l’avenir immédiat. Dans la mesure où
le changement qui se dessine au travers de ces initiatives

333
GAYET, Ibidem.
334
NORMAN (H. ).-Histoire de la pensée européenne .4. Le siècle
des lumières , traduit. Françoise Werner et Michel JAnin, (Paris,
Seuil, 1972), p.134.
304

novatrices semble atteindre les structures mentales elles-


mêmes, peut-être revêt –il une dimension plus
« spirituelle » que politique. Les multiples brèches qu’il
effectue dans les conduites des individus, attachés à
trouver un équilibre et à faire valoir leur diversité
semblent apparaître comme étant les prémisses d’une
« révolution ».

L’histoire est riche de ces situations dans lesquelles un


groupe social ou intellectuel se renforce ou s’affaiblit
par ses créations imaginaires en vue de changer ce qui est.
Pour l’Afrique, ce qui est, c’est la mise en place et le
fonctionnement des totalitarismes, l’imposition
d’idéologies explicites. Il importe de comprendre
comment le discours idéologique vient répondre à des
modèles imaginaires antérieurs peu explicités et fortement
investis. Il importe aussi de comprendre comment ces
imaginaires se sont transformés en discours officiels et se
sont transformés en instrument de pouvoir, participant dès
lors au contrôle et au renforcement d’un climat
d’enthousiasme et de terreur. On ne peut ici que donner
une idée approximative de la complexité des influences
lointaines, des idéologies qui ont pesé jusqu’à nos jours
sur l’art, sur la politique et sur la pensée africaine et que
nous retrouverons à l’œuvre tout au long de cette partie
,surtout en décryptant la pensée du Rédempteur Noir,
l’Osagyefo Francis Nwia Kofie Kwame Nkrumah.

I.I.1.Une nouvelle terre et un homme nouveau : l’A-


frique de Kwame Nkrumah

Francis Nwia Kofie Kwame Nkrumah naquit le 18


septembre 1909 dans le sud-ouest de la colonie
britannique de la Gold Coast (Côte de l’Or), dans un
village du nom de Nkroful. Il appartient à l’ethnie Nzima
, qui constitue une minorité établie à cheval sur la
305

frontière de la Côte d’Ivoire et du Ghana. Très proches


des Agni-baoulé sur le plan linguistique et culturel, les
Nzima constituent une branche du groupe Akan qui
comprend également les Ashanti , bâtisseurs aux XVIIIe
et XIXe siècles d’un empire du même nom s’étendant
sur un territoire comprenant la majeure partie du Ghana
actuel et une portion de la Côte d’Ivoire, du Togo et du
Burkina Faso actuel.

En 1939, Nkrumah obtint une licence en économie, une


autre en sociologie à l’Université Abrahams Lincoln de
Pennsylvanie ; ce qui lui valut d’être retenu comme
enseignant dans ladite Université. Il obtint en 1942, la
maîtrise en sciences de l’éducation et en philosophie. En
1945 , Nkrumah s’inscrit en thèse de philosophie dont le
thème est « Esprit et pensée dans une société sans écriture
, étude ethno-philosophique avec un examen particulier
du cas du peuple akan de la Côte de l’Or ». 335 Nkrumah
fut président du Ghana de 1960 à 1966. Il est l’un des
fondateurs de la Charte de O.U.A. (Organisation de
l’Unité Africaine ) en 1963 à Addis-Abeba. Partisan d’un
panafricanisme révolutionnaire, il se rapprocha de la
Chine populaire. Renversé par un coup d’État militaire en
1966, alors qu’il se trouvait à Pékin, Nkrumah se réfugia
en Guinée auprès de son ami Sékou Touré. Il mourût à
Bucarest en Roumanie en 1972.

Se préparant déjà à son futur rôle qui consistera , à


son tour , sur le sol africain, à résoudre toute la question
coloniale et le problème de l’impérialisme, Nkrumah
orienta tous ses efforts et toute son énergie vers
l’apprentissage des techniques d’organisation politique .
Pour en arriver à l’idée d’une unité économique
impérative, Nkrumah part de plusieurs constatations. En

335
ROONEY (DAVID).-Nkrumah, l’homme qui croyait à l’Afrique
(Paris, J.A Livres, 1990),p.19.
306

effet, après quelques années d’indépendance, d’expérience


politique, les États africains se sont rendus compte que
l’indépendance politique seule ne suffit pas pour les faire
sortir de l’état de l’indigence et de la frustration
économique dans lequel le colonialisme les avait
maintenus. Le néo-colonialisme qui a pris la relève du
colonialisme vise dans la subtilité à affaiblir les États
africains indépendants en les divisant pour réaliser
tranquillement le pillage de leurs ressources .

Pour lui, « Le colonialisme à l’ancienne mode n’a


pas entièrement disparu. Il constitue toujours un problème
africain, mais il bat partout en retraite. Une fois qu’un
territoire a reçu une indépendance nominale, il n’est plus
possible , comme c’était le cas au siècle dernier , de faire
marche arrière. Aujourd'hui des colonies peuvent encore
exister, mais il n’est plus possible d’en créer de nouvelles
. Au lieu du colonialisme comme principal instrument
de l’impérialisme, nous trouvons à l’heure actuelle le
néocolonialisme »336.

En effet, Nkrumah montre que l’Afrique regorge de


fabuleuses richesses naturelles (minières, énergétiques,
agricoles) indispensables à la marche des économies des
puissances industrielles. Mais ces richesses ne profitent
guère aux peuples et aux États africains. Ces derniers,
pris individuellement, ne sont pas économiquement
viables à cause de leurs ressources technologiques. Entre
eux, les échanges restent insignifiants à cause des
barrières douanières et monétaires. De ce fait, les projets
économiques ne vont guère au –delà des frontières
politiques de quelques États. Dans ces conditions, la
formation du capital, si vital pour le développement ,
devient difficile car, les termes de l'échange se

336
NKRUMAH (K.).-Le néo-colonialisme dernier stade de
l’impérialisme (Paris, Présence Africaine, 1973), p.9.
307

détériorent davantage et dévalorisent les recettes de


l'exploitation . Ainsi donc les États africains sont devenus,
au plan économique, victimes de leur micronationalisme
habilement entretenu par le néo-colonialisme. Or,
« L’essence du néo-colonialisme, c’est que l’Etat qui y
est assujetti est théoriquement indépendant, possède tous
les insignes de la souveraineté sur le plan international.
Mais en réalité, son économie, et par conséquent sa
politique , sont manipulées de l’extérieur.

Cette manipulation peut revêtir des aspects divers.


Par exemple, dans un cas extrême, les troupes de la
puissance impériale peuvent être stationnées sur le
territoire de l’Etat colonial et en contrôler le
gouvernement. Plus fréquemment pourtant le contrôle est
exercé par des moyens économiques ou monétaires.
L’Etat néo - colonial peut être obligé d’acheter les
produits manufacturés de la puissance impérialiste à
l’exclusion des produits concurrents venus d’ailleurs. Le
contrôle de la politique de l’Etat néo-colonial peut se
faire par des versements assurant les frais de
fonctionnement de l’Etat, par l’introduction de
fonctionnaires à des postes où ils peuvent dicter une
politique , et par le contrôle monétaire exercé sur les
changes grâce à un système bancaire contrôlé par la
puissance impérialiste »337 .

Cette contestation de Nkrumah est encore aujourd’hui


d’actualité,34 ans après sa mort. En effet, les États
occidentaux ont toujours voulu partir de l’Afrique sans
partir véritablement. L’implantation des bataillons
militaires dans plusieurs États montrent la mainmise de
l’Occident sur l’Afrique prétendument indépendante. Le
43è BIMA (Bataillon d’Infanterie Marine d’Abidjan),
unité d’élite de l’armée française, les camps de Djibouti,
337
NKRUMAH(K.), op. cit., pp.9-10.
308

du Gabon et du Sénégal montrent bien l’asservissement


des Etats africains , incapables de résoudre les problèmes
du continent. L’Occident fait et défait les chefs d’État
africains dans la mesure où « Dans les systèmes néo-
coloniaux, comme l’ancienne puissance impérialiste a
théoriquement renoncé au contrôle politique, si les
conditions sociales imposées par le néo-colonialisme
suscitent une révolte , le gouvernement local peut être
sacrifié et un autre gouvernement , tout aussi soumis ,
peut lui être substitué. D’un autre côté , dans tout
continent où le néo-colonialisme existe sur une vaste
échelle, les pressions sociales capables d’engendrer des
révoltes dans les Etats néo-colonialistes affecteront
également les Etats qui ont accepté de refuser ce système
et les impérialistes possèdent ainsi une arme toute prête ,
avec laquelle ils peuvent menacer leurs opposants , s’ils
semblent défier dangereusement leur pouvoir »338.

Ainsi, tant pour leurs plans de développement que pour


leur survie, les États africains font –ils appel à l’assistance
étrangère qui devient bonant malant une sorte de « cheval
de Troie » du néo-colonialisme. Car, c’est à travers une
coopération enchaînée que les puissances imposent à
leurs « partenaires » africains des rapports défavorables
de sujétion en hypothéquant leur développement par la
détérioration des termes de l’échange. En fait, « À la
notion de termes de l’échange des marchandises, nous dit ,
J.M.Albertini ,certains économistes préfèrent celle de
termes de l’échange factoriel simple qui indique le
pouvoir d’achat d’une unité de production , ou encore
celle de termes de l’échange factoriel double qui établit le
rapport entre l’unité de production nécessaire dans deux
pays pour mettre sur le marché une quantité de biens
d’égale valeur. De fait, dans l’état actuel des
connaissances statistiques, il est presque impossible
338
NKRUMAH (K.) , op.cit.,p.13.
309

d’établir valablement les termes de l’échange factoriel.


Généralement on établit le rapport entre les prix à
l’exportation et les prix à l’importation , et on obtient
ainsi les termes de l’échange net :
Termes de l’échange net =indice du prix des
exportations
Indice du prix des
importations
Lorsque les termes de l’échange sont supérieurs à 100,
il y a amélioration ; dans le cas contraire, il y a
détérioration »339.

Cela ne surprend guère dans la mesure où le


capitalisme , comme l’indique Nkrumah, grâce à des
fusions , des amalgames, des accords commerciaux et des
contrats ainsi que des quota de production et des fixations
de prix , s’est érigé en confraternité internationale. Les
conflits entre les trusts et les combinats financiers et
industriels européens et américains , pour un nouveau
partage des ressources et des matières premières du
monde, des marchés et des produits finis et des
investissements , finirent par entraîner la guerre dans
certains États africains pour rester dans les limites de la
diplomatie. « Le but recherché, nous dit Nkrumah, est le
ralentissement du progrès des pays en voie de
développement. Quand les circonstances favorisent des
entreprises d’un caractère réellement industriel , il faut
veiller à ce que leur développement ne se fasse que par
à-coups .L’objectif essentiel est de susciter une
croissance extrêmement faible de l’industrie des
nouveaux Etats afin qu’ils puissent continuer à fournir
l’armature de la concentration des forces impérialistes ,

339
ALBERTINI (J.-M.).-Les mécanismes du sous-développement
(Paris, les éditions Ouvrières, 1975),pp.111-112.
310

en vue de la lutte intérieure et de la lutte contre le


socialisme »340.

En fait ce que l’on peut faire de ces contestations


économiques de l’Osagyefo, c’est que le continent africain
est soumis à la domination occidentale. Et « Le néo-
colonialisme aujourd’hui représente l’impérialisme à
son stade final »341. Le néo-colonialisme est la forme la
plus totale de la domination sociale, culturelle et politique
des États du tiers-monde par les pays occidentaux. Comme
le dit Albertini, « Il est difficile d’isoler la domination
socio-culturelle et politique de la domination économique
. En effet, du fait même que les relations de production,
de consommation et de commercialisation internationales
mettent en contact des hommes ,les rapports économiques
inégaux suscitent inévitablement un complexe d’infériorité
culturelle ; quant à l’impact de la société industrielle sur
le tiers-monde , il ne peut que perturber le mode
d’organisation sociale de ce dernier adapté à une
économie traditionnelle .

Il ne faut pas oublier non plus que la domination


économique du monde est l’objet d’une vive concurrence
où interfèrent les impératifs économiques et idéologiques
. Les nations développées , aux intérêts divergents , entrent
en compétition dans la réalisation de leur stratégie
mondiale ;et leur domination économique tend
naturellement à s’appuyer sur une domination politique
plus ou moins camouflée »342. Selon cet auteur, cette
politique se fonde sur deux convictions racistes
fondamentales : il faut apporter la civilisation occidentale
aux peuples « barbares » d’Afrique, car rien n’est meilleur
pour un homme que de ressembler à un occidental, à un

340
NKRUMAH(K.), op. cit., p.68.
341
NKRUMAH (K),op. cit., p..9.
342
ALBERTINI (J. -M.), op.cit.,p.146.
311

européen et aucune civilisation n’est supérieure à la


civilisation occidentale. On comprend pourquoi la
colonisation est devenue un lavage de cerveau qui s’est
attaquée à la personnalité du nègre pour le persuader à
imiter le blanc colonisateur. À l’école, on parle à l’enfant
noir de ses ancêtres « les gaulois » et en même temps, on
lui apprend qu’avant l’arrivée des Blancs, ses grands
parents étaient des « sauvages ». On ignore leur art, leur
religion et on leur dénie toute histoire et toute philosophie.
En fait l’homme noir est totalement traumatisé. « Cette
traumatisation socio –culturelle explique sans doute
pourquoi la révolte du tiers-monde est d’abord une
révolte nationaliste . La revendication nationale de la
souveraineté et de l’indépendance est une manière de
s’affirmer à nouveau soi-même , de recréer sa personnalité
, de se redonner une identité »343.

De cette amère constatation, Nkrumah déduit que , tant


que l’Afrique demeurera divisée , elle restera la proie du
néo-colonialisme et ne pourra jamais arriver à une
émancipation économique réelle , garante de son
indépendance politique. Pour lui, la seule issue qui s’offre
à l’Afrique pour quitter ce « « bourbier », c’est l’unité.
Dans le domaine économique, cette unité aura comme
fondement la planification et l’édification d’un marché
commun africain. En effet, « Dans un pays du tiers-monde
, la première qualité d’un plan est d’être simple. L’erreur
de base d’un bon nombre de planifications est de vouloir
établir une cohérence totale et un équilibre économique
global.C’est oublier qu’un pays en voie de développement
ne forme pas un tout homogène , que son économie est
désarticulée . Au départ, il faut déterminer quelles sont les
désarticulations et les dominations qui brisent l’unité et
le dynamisme interne du pays . Plutôt que d’établir un
inventaire des besoins par des calculs artificiels du
343
ALBERTINI (J.-M),op.cit., p.148.
312

capital global nécessaire, il faut étudier les structures


fondamentales »344. Le plan est donc avant tout une prise
de conscience collective des problèmes de développement
. Il suppose des options qui doivent être exprimées
clairement par les pouvoirs politiques . « Faire un plan,
c’est définir, en fonction des objectifs politiques choisis
et de leur signification humaine , les moyens de tous
ordres capables de permettre la réalisation de ces
objectifs durant une période limitée (...).Le plan donne
un sens à toutes les mesures partielles et aux actions
conjoncturelles visant à éviter , par exemple les pressions
inflationnistes. Le plan permet des compromis
raisonnables entre les divers groupes économiques et
sociaux , par exemple entre l’agriculture moderne , le
secteur traditionnel et les zones urbaines . Le plan est,
enfin et surtout , dans le quotidien et à travers des
réalisations précises , l’expression d’un engagement
profond de la société et l’instrument de maîtrise du
développement. En définitive – et c’est peut-être là le
rôle essentiel du plan - il est la mobilisation économique
des villages, des régions et de toutes les forces sociales du
pays »345.

Dans le cas de l’Afrique, il est clair que l’unité offrirait


de meilleures conditions d’industrialisation ainsi que la
mise en commun des ressources matérielles et humaines
car la désarticulation caractérise bien la situation des
pays en voie de développement , mais il ne faut pas
oublier qu’elle est intimement liée aux dominations
externes qui pèsent sur l’économie et la société de ces
pays du tiers-monde. Aujourd’hui, avec les dominations
économiques , sociales , politiques et culturelles imposées
par l’Occident, la non-articulation est devenue
désarticulation ; les économies et les sociétés urbaines

344
ALBERTINI (J.-M), op.cit., p194.
345
ALBERTINI (J.-M), op. cit., pp.199-200.
313

sont devenues dépendantes de l’extérieur, de vastes


secteurs de l’économie, gouvernés par les grandes firmes
internationales , ont pris un caractère insulaire et
progressivement, les économies traditionnelles ont perdu
leur ancienne cohérence sans pour autant intégrer à
l’économie nationale. « Les masses populaires comme
l’élite de la société sont d’ailleurs souvent des plus
réceptives à cet impérialisme de la pensée. Les modèles
culturels américains ou européens , parés du prestige de
la réussite matérielle , opèrent une dangereuse séduction
sur les consciences . Le système de valeurs de l’Occident
, sa culture, sa langue, sa religion sont autant de moyens
de promotion pour celui qui a le sentiment d’être victime
de traditions et de modes de pensée réactionnaires » 346.

En outre, si Nkrumah ne s’oppose pas à l’aide des


puissances impérialistes, il souhaite, cependant, que cette
aide ne continue pas à enfoncer les économies des États
africains par les taux élevés de l’usure. Il ne faut pas
récupérer de la main droite ce qu’on a « bien » voulu
donner par la main gauche. Il faut éviter le surendettement
par l’aide pour ne pas que le Tiers-monde continue
d’être dans l’impasse, selon les propos de Paul Bairoch
qui attestent que l’obstacle, « qui , lui, vise surtout les
objectifs en matière d’aide du Tiers-monde , réside dans
l’opposition d’une forte fraction de l’opinion publique
insuffisamment avertie des implications des problèmes
du développement .Des slogans tels que « charité bien
ordonnée commence par soi-même » ayant des résonances
beaucoup plus grandes que les propagandes axées sur
des sentiments altruistes en faveur d’ « inconnus ».
(...).Donc si les moyens existent et peuvent être aisément
déterminés pour une mise en œuvre d’une stratégie
mondiale du développement, objectivement il faut avouer
que la probabilité de leur adoption est extrêmement
346
ALBERTINI (J.-M.), op. cit., p.150.
314

faible , du moins à court terme. Bien sûr il suffirait que...


si...Comme le pauvre de cette vieille histoire qui dit à qui
veut l’entendre qu’il s’en est fallu d’un mot, d’un seul
pour qu’il soit aujourd’hui millionnaire »347.

Pour revenir à Nkrumah, il faut noter que , selon lui, le


développement de l’Afrique passe nécessairement par
l’unité africaine, elle- même sous-jacente d‘une révolution
africaine qui a ses ennemis internes et externes. La
liquidation de ces ennemis (qui sont , d’une part, les
réactionnaires bourgeois et féodaux africains, les
gouvernements fantoches et les régimes racistes
d’Afrique Australe, et d’autre part, les puissances
impérialistes , colonisatrices et néo-colonisatrices) ne peut
se faire que par la lutte des classes qui revêt des formes
différentes selon les cas : la lutte politique, la guerre
civile, la guerre de libération. Ce qui emmène Nkrumah à
se poser une question fondamentale : l’unité africaine se
bâtira –t-elle d’un seul coup avec l’ensemble des États
africains (aux régimes politiques différents voire opposés
ou à partir d’un noyau d’États qui remplissent certaines
conditions politiques et idéologiques ? La réponse de
Nkrumah semble se pencher pour la dernière option
« Car, selon lui, la libération et l’unification de l’Afrique
ne peut dépendre d’un consentement , de préceptes
moraux , ou d’une conquête morale. Ce n’est qu’avec le
recours aux armes que l’Afrique se débarrassera des
derniers vestiges du colonialisme , d’impérialisme et de
néo-colonialisme et sera libérée et unie dans le
socialisme . En cela les masses africaines ont le soutien
et l’assistance du monde socialiste »348.

347
BAIROCH (P.).-Le Tiers-monde dans l’impasse
(Paris,Gallimard,1971), pp.358-359.
348
NKRUMAH (K).-La lutte des classes en Afrique (Paris, Présence
Africaine, 1972), p.107.
315

L’option de Nkrumah est donc claire : L’Afrique a


connu l’oppression et l’exploitation. De ce fait, chaque
État doit être engagé dans la lutte révolutionnaire et les
masses africaines doivent s’unir pour un même idéal : la
guerre de libération de l’Afrique , c’est-à-dire la lutte
armée qui doit être intensifiée et coordonnée à des
niveaux stratégiques et tactiques .La lutte des classes est
donc au cœur du problème,puisqu’il s’agit essentiellement
d’une lutte entre oppresseurs et opprimés. Et cette lutte des
classes est à la base de la lutte des ouvriers et paysans
d’Afrique. Il faut lutter contre la bourgeoisie minoritaire
au pouvoir en Afrique qui vénère les institutions
capitalistes et singe leurs anciens maîtres coloniaux afin
de garder leur statut. « L’Afrique possède ainsi un noyau
central de bourgeoisie , peu différent de celui des
colonisateurs et des colons par les positions privilégiées
qu’elle occupe et qui constitue une minorité égoïste ,
intéressé , réactionnaire au milieu des masses exploitées
et opprimées. Malgré son apparente puissance qui repose
sur le soutien qu’elle reçoit du néo-colonialisme et de
l’impérialisme, cette bourgeoisie est extrêmement
vulnérable. Il suffit que ce lien vital soit rompu pour
qu’elle perde ses positions privilégiées. Et devant la prise
de conscience de la lutte des classes en Afrique et la
montée des masses ouvrières et paysannes, la bourgeoisie
africaine et ses acolytes masqués néo-coloniaux et
impérialistes tremblent »349.

Nkrumah, en prônant la lutte des classes et la


révolution africaine semble s’engager dans la voie
marxiste du socialisme scientifique. Ce socialisme
scientifique africain se trouve au cœur de l’unité
africaine ; tous deux, ils sont organiquement
complémentaires dans la mesure où le socialisme de
Nkrumah vise absolument :
349
NKRUMAH (K.), op. cit., p.13.
316

1) la propriété commune des moyens de


production , de distribution et d’échange ; une production
pour le besoin et non pour le profit.
2) La planification par l’État des moyens de
production basée sur l’industrie et l’agriculture
modernes.
3) Le pouvoir politique aux mains du peuple
grâce à la transformation , par la masse totale des
travailleurs, de l’appareil gouvernemental nécessaire en un
appareil exprimant leurs besoins et leurs aspirations .
4)L’application des méthodes scientifiques à toutes
les sphères de pensée et de production . Dès lors, le
socialisme devra fournir une nouvelle synthèse sociale
dans laquelle la société technique avancée est abusée de
maux épouvantables et des profonds clivages de la
société industrielle capitaliste.

Nkrumah ne peut donc prôner que le socialisme


scientifique qui est , selon lui, le seul vrai socialisme dont
les principes sont immuables et universels et la seule issue
pour y parvenir est de mener des politiques visant les buts
généraux du socialisme ,prenant forme dans les
circonstances spécifiques et concrètes et dans les
conditions particulières d’un pays donné et à un moment
donné de son histoire. « Si la révolution socialiste n’est
pas encore passée au stade du dogme, si elle n’a pas non
plus reçu la consécration de l’Histoire , il est évident
qu’elle ne peut reposer sur des compromis , et que les
principes du socialisme sont immuables et tendent à la
socialisation des modes de production et de distribution .
Tous ceux qui, par opportunisme politique, se disent
socialistes tout en se réclamant de l’impérialisme, servent
les intérêts de la bourgeoisie . Momentanément induites en
erreur, les masses finiront par en prendre conscience et
par démasquer ce prétendu socialisme , rendant ainsi
317

possible l’avènement d’une authentique révolution


socialiste »350.

À l’analyse, on se rend compte que Nkrumah refuse ,


comme le dit Komenan Aka Landry,toute vue schématique
de l’évolution historique, « qui consisterait à voir dans
l’histoire de l’humanité une progression inexorable et
méthodique de l’esclavage au socialisme et finalement au
communisme , en passant par le féodalisme et le
capitalisme . Il ne pense pas que le plein développement
du capitalisme soit le prélude nécessaire au socialisme .
Pour lui, le saut d’une période ou d’une autre dans un
pays particulier est possible . et cela s’est en fait produit
dans l’histoire »351.

Procédant donc à une analyse approfondie des deux


phénomènes (impérialisme et colonialisme), Nkrumah
admet qu’ils sont les deux aspects d’une même réalité :
l’exploitation économique qui ne disparaît que par
l’indépendance politique , une indépendance qui doit être
le premier objectif, c’est-à-dire la première bataille des
peuples colonisés. Pour lui, la victoire est au bout de la
« conscientisation » et de l’organisation des masses
travailleuses des villes et des campagnes et aussi de
l’unité des peuples colonisés. Ainsi donc « L’objectif
principal des révolutionnaires du Monde Noir doit être la
libération et l’unification totales de l’Afrique sous un
gouvernement panafricain socialiste. La réalisation d’un
tel objectif ne pourra que satisfaire les aspirations des
peuples africains du monde entier .Tout en faisant
triompher la révolution socialiste internationale, cela fera
progresser le monde vers le communisme auquel tendent

350
NKRUMAH (K.), op.cit, p.31.
351
AKA (K.L.).-‘’Kwame Nkrumah face à la « bourgeoisie
africaine », in Annales de l’Université d’Abidjan, série D, tome IX
(Abidjan, Annales de l’Université d’Abidjan, 1976), p.405.
318

toutes sociétés , selon le principe : de chacun selon ses


capacités , à chacun selon ses besoins »352.À partir de ce
moment-là, Nkrumah apparaît comme l’un des précurseurs
du Panafricanisme, concept demeuré longtemps vague,
comme axe de référence de sa pensée et de son action
politique. Et de là apparaît la nécessité qu’il y a à
examiner le panafricanisme pour comprendre toute la
pensée de Kwame Nkrumah.

Défini généralement comme une expression de


solidarité entre les peuples noirs du monde , c’est-à-dire,
les Noirs d’Afrique ou d’ascendance africaine, symbole
du nationalisme et de l’unité du Monde noir, le
Panafricanisme puise ses origines en dehors du continent
noir avec ceux-là mêmes qui n’étaient liés à l’Afrique
que par un vague et lointain souvenir : les Noirs antillais et
les Noirs américains ou encore afro-américains , qui, tous,
constituent les Noirs de la Diaspora. Mouvement de
protestation raciale, parti d’Amérique, le panafricanisme
élut domicile en Europe, avant de viser totalement le
continent africain, son domaine de prédilection. Il n’est
pas seulement un mouvement de solidarité entre les
peuples noirs, mais il est aussi et surtout un mouvement
politique et culturel qui a donné naissance à de nombreux
autres mouvement ou idéologies relatifs à l’indépendance
et à l’unité des peuples noirs.

Il faut noter que la traite des Noirs , de même que la


colonisation ont favorisé la genèse de ce mouvement né
hors d’Afrique, par les africains de la Diaspora. Ceux –ci,
loin de la terre de leurs ancêtres, ont été marginalisés ; et
Franklin Frazier explique bien ce fait : « Ils avaient été
capturés en Afrique au cours des guerres entre tribus ou
par des expéditions de négriers , parqués dans des bateaux
, transportés aux Antilles et finalement vendus sur les
352
NKRUMAH (K.), op. cit.,p.108.
319

marchés . Après avoir été « brisés » et dressés , on les


expédiait, soit dans les plantations du pays – soit dans les
colonies anglaises , et plus tard aux Etats –Unis , où ils se
trouvèrent disséminés un peu partout en groupe d’effectif
plus faible .Dans les plantations du sud, le Noir était à peu
près totalement dépouillé de son héritage culturel africain
, et il ne gardait aucune chance de pouvoir jamais le
reconstituer . Il avait été en effet séparé de ses parents et
de ses amis, et s’il lui arrivait de rencontrer un compagnon
qui fût de la même tribu ou parlait le même dialecte, on
se hâtait de l’isoler. Il fut donc dès le début contraint
d’apprendre l’anglais , ne fût - ce que pour obéir aux
ordres de ses maîtres blancs . Les souvenirs qu’il pouvait
avoir gardés de son pays et de ses coutumes s’estompaient
et perdaient leur signification dans la vie du Nouveau
Monde ; et comme tous les esclaves étaient des hommes
jeunes , il était exclu que pût se reformer une organisation
sociale qui aurait perpétué et transmis l’héritage
ancestral »353. Ainsi la nostalgie de la terre ancestrale, de
la mère patrie, ressentie par les descendants d’esclaves
noirs nouvellement libérés et qui tournaient leurs regards
vers ce continent noir bafoué et humilié par des siècles
d’esclavage et l’oppression de la colonisation vont aspirer
à « un retour aux sources » qui suscita , ce qu’on a appelé
aux Etats –Unis, « le problème noir » ou encore « la
question noire ».

En effet, par « question noire », il faut entendre


l’ensemble des problèmes qui se posèrent aux Noirs aux
États-Unis après l’abolition de l’esclavage car même
après l’abolition de l’esclavage après la Guerre de
Sécession (1861-1865), par le Parlement américain avec
l’adoption du 13è Amendement,les habitudes esclavagistes
n’ont guère cessé . Pour donner un contenu à la liberté
des Noirs, en 1868 et en 1870, les 14è et 15è Amendement
353
FRAZIER (F.).-Bourgeoisie noire (Paris, Plon, 1969), pp.11-12.
320

(rajoutés à la Constitution américaine ), confèrent aux


Noirs, les mêmes droits civiques et politiques que ceux
dont jouissaient les Blancs. Mais, malgré ces efforts, les
Noirs ne possédaient pas des moyens appropriés pour
faire valoir leurs droits, mêmes les plus inaliénables . Ils
avaient des problèmes de logement , de ségrégation
raciale, de qualification professionnelle. C’est ainsi que
des Noirs américains engagèrent alors une lutte opiniâtre
pour combattre la ségrégation et se faire reconnaître afin
de pouvoir s’émanciper dignement. Il s’agissait
véritablement de réclamer la réhabilitation du Noir, de
faire reconnaître tous ses droits civiques afin de réaffirmer
la personnalité et la dignité de la race noire. C’était de
brandir un culte de la différence. Étant donné que certains
d’entre ces noirs pensaient que le problème Noir aux États
–Unis allait de pair avec la question coloniale en Afrique,
ils décidèrent alors d’engager les mouvements de « retour
aux sources » africaines .

Cela semble se concrétiser en 1787 , lorsque des


abolitionnistes anglais comme William Wilberforce et
Surtout Graham Sharpe furent débarqués sur les côtes de
la Sierra Leone actuelle, quatre cents Noirs affranchis .
Cela était une esquisse de solution aux problèmes posés
par l’abolition de l’esclavage sur le sol anglais en 1772.
En les ramenant en Afrique, on pensait parachever la
libération des Noirs sans ressources en leur procurant des
terres cultivables et en diffusant les principes de la
religion chrétienne sur les côtes africaines. On déversera
sur les côtes sierra-leonaises les affranchis de la Nouvelle
Ecosse en 1792, les immigrants antillais , les « marrons »
de la Jamaïque , etc., Cet exemple anglais inspira les États
–Unis qui créèrent le Liberia en 1847. En fait , cette idée
est venue des Quakers qui pensaient que les Noirs
rapatriés en Afrique pouvaient devenir de bons
321

missionnaires en diffusant la « bonne nouvelle »parmi les


tribus autochtones .

Ces rapatriements semblent symboliser le renouement


entre le continent africain et ses fils que des siècles
d’esclavage avaient séparés . Ce symbolisme de la mère –
patrie retrouvée , terre de liberté pour ses enfants , va
germer pour se muer en un mouvement qui revendique
le retour aux sources , en Afrique, sous la houlette de
Marcus Aurélius Garvey (1885-1940), William Edward
Burghard Du Bois(1868-1963), Henry Sylvester- Williams
, Jean Price – Mars (1876-1969)et des intellectuels afro-
américains .

Le premier cité, Marcus Garvey est un jamaïcain ,


arrivé aux États-Unis en 1916, il est celui qui a lancé le
mouvement « Retour aux sources » à travers des slogans
tels « l’Afrique aux africains », « il faut que l’Afrique soit
libre » ou encore « Debout puissante Race ». Pour lui,
l’Afrique est la « terre promise » . Sa philosophie se
trouve fondée sur la notion de pureté de la race . Malgré
ses brillantes idées pour fonder un « Empire Noir », tout
en montrant que Satan est blanc et que les anges sont
noirs, on retiendra que Marcus Garvey a évolué vers un
racisme noir aussi bien contre les blancs que contre
ceux qu’il appelait les hybrides de la race noire, les
mulâtres. Son « antiracisme opère une mise en évidence
et en relief de l’identité « raciale », « ethnique » ou
« culturelle » des individus , qu’il assimile à une origine
indépassable .Ce qui revient à légitimer ,certes
involontairement , la réduction raciste – que l’on prétend
combattre - de l’individu à une classe d’appartenance
fixe, se confondant avec ses « origines »(raciales),
ethniques, culturelles). Le fatalisme raciste est ainsi
reconduit , réconforté, confirmé. Cet effet pervers de
l’antiracisme se retrouve dans la revendication identitaire
322

, dès lors qu’elle absolutise les différences et identités


d’origine (...).C’est un tel « bétonnage » des différences
collectives , coulées dans le vocabulaire exclusif de la
race, qui constitue l’effet pervers dominant de
l’antiracisme »354.

William Edward Burghard Du Bois, quant à lui, est un


mulâtre afro-américain.Inspirant la« Négro-renaissance » ,
il entendait réhabiliter et émanciper la race noire . En
1908, il fonde avec des blancs libéraux L’Association
nationale des gens de couleur (NAACCP), après avoir
créé en 1905 le « Mouvement du Niagara » pour lutter
contre l’organisation raciste du Ku Klux Klan. Il voulait
opter pour tous les droits des Noirs par des moyens non
violents et non racistes . Son but était de parvenir à
l’intégration totale du Noir à la société américaine dans
l’égalité des races . Pour lui, « Derrière toutes les
curiosités de la vie- qui sont tout aussi attractions pour
le sage que pour le « dilettante » - reposent les dangers
obscurs qui projettent des ombres à la fois grotesques et
affreuses . Il est évident qu'au seuil de notre vie , nous
possédons ce que le monde recherche dans les déserts et
les solitudes . Une force courageuse séant aux semi-
tropiques appartient aux Noirs et si, restant sourds aux
appels du Zeitgeist nous nous refusons à utiliser et
développer ces hommes , nous risquons la pauvreté et
aussi notre perte . Si , emportés par les arrières- pensées ,
nous corrompons la race prisonnière en nos serres ,
épuisant tout à la fois son sang et ses forces comme on
le fit par le passé comment pourra –t- on échapper à la
décadence nationale ? Ce n’est que par un sain égoïsme ,
qui seul peut nous être donné par l’Instruction , que les

354
TAGUIEFF (P-A).-‘’Racisme et antiracisme’’, in Racismes,
antiracismes ( Paris, Méridiens, 1986), p.280.
323

droits de chacun pourront être reconnus dans le


tourbillon du travail »355.

En fait , le panafricanisme , avant d’être un mouvement


politique, est d’abord un mouvement culturel, une
contestation culturelle. Il est en réalité la réplique contre la
dépersonnalisation du Noir à qui l’on déniait toute
dimension humaine . Il apparaît sans nul doute comme
mouvement visant à la réhabilitation et à l’unité du Monde
Noir. Du Bois lui-même donnera le ton avec son livre
célèbre, intitulé Âmes noires . Mais que nous révèle –t- il
dans ce livre si célèbre ?Dans Âmes noires , Du Bois
dénonce l’esclavage et la ségrégation tout en célébrant
les valeurs culturelles nègres , dans la mesure où c’était
sur des arguments culturels que l’on se fondait pour
justifier l’infériorité de la race noire et sa damnation .Il
faut donc détruire ces images stéréotypées . Dès lors, le
panafricanisme devient l’expression du nationalisme noir
. « C’est une menace qui s’étend bien au-delà et attend le
Monde Noir tout entier , et le monde extérieur au Voile. Il
y a , aujourd’hui peu de différence entre ce que pense,
rêve ou désire le Noir. Dans la vie spirituelle du pays il
est et demeurera pour longtemps à demi-oublié . Pourtant
un jour viendra où le Noir pensera et voudra agir par lui-
même , cela on ne peut le cacher . Et il pensera et agira en
fonction de ce qu’il aura appris dans les balbutiements de
l’enfance de sa race . Aujourd’hui les ferments de sa lutte
se situent dans les luttes du monde blanc comme une
roue à l’intérieur d’une autre roue. Au –delà du Voile se
retrouvent les mêmes problèmes à une plus petite échelle.
Par-dessus tous, il y a le Voile .Peu de gens connaissent
ces problèmes , et peu de ceux qui les connaissent veulent

355
DU BOIS (W.E.B).- Âmes noires, traduit de l’américain par Jean-
Jacques FOL ( Paris, Présence Africaine, 1959), p.89.
324

y prêter attention . Pourtant il faudra bien qu’un jour


quelqu’un s’y intéresse ».356

Et Du Bois s’y intéresse bien. Il montre qu’en


Amérique , en dépit de la Guerre de Sécession, qu’il
appelle la guerre de compromis, Le Noir n’est pas libre .
Les paysans noirs du sud sont des journaliers enserrés par
la Loi et les coutumes dans un esclavage économique. Ils
ne doivent leur salut, si cela en est un, que par la mort ou
le pénitencier. Mais, nous dit Du Bois « Quand les bâtons
, les pierres et les bêtes forment le seul entourage d’un
peuple , son attitude est largement déterminée par une
opposition aux forces naturelles et à leurs conséquences .
Mais quand à la terre et à la brutalité s’allient la cruauté
des idées et des hommes , l’attitude d’un groupe humain
peut essentiellement revêtir trois formes . D’abord, un
sentiment de révolte . Ou bien une tentation pour se
soumettre au groupe le plus important . Enfin, un effort
soutenu pour parvenir à un propre développement en
dépit de l’opinion environnante . L’influence de ces
diverses attitudes se retrouve dans l’histoire des Noirs
Américains , comme on la retrouve dans l’évolution de
leurs dirigeants »357.

Du Bois pense qu’il ne faut jamais se lasser de


dénoncer la discrimination raciale du sud. Il ne faut
encourager aucune exploitation de l'homme, aucune
ségrégation par le silence car ces maux sont désagréables,
surtout lorsqu'ils se dressent sur les chemins de la
civilisation , de la religion et de la bienséance commune .
Le Noir a donc besoin d’instruction, de savoir véritable
pour se prendre en charge et assumer de lourdes
responsabilités dans le monde afin que vienne un jour où
l’homme noir « saisira un évangile de révolte et de

356
DU BOIS (W.E.B.), op. cit., pp.80-81.
357
DU BOIS (W.E.B.), op. cit., p.53.
325

revanche et jettera ses forces nouvelles en travers du


courant »358 . Selon lui, les caractéristiques de notre
époque résident fondamentalement dans le contact des
peuples sous-développés aux civilisations européennes,
malgré les meurtrissures de la guerre, de l’esclavage, de
l’extermination. L’apport de la civilisation doit être sans
frontières afin que triomphent le droit et la justice . « Tout
homme digne de ce titre doit au vingtième siècle , se
rendre compte que dans la future compétition les
légitimes survivances du passé doivent aboutir au
triomphe du bon, du bien et du beau. Il faut construire la
société future en préservant ce qui est noble , en
bannissant toute cupidité et toute cruauté .Pour que cet
espoir se réalise, nous sommes appelés à prendre de plus
en plus conscience de ce phénomène de contact des races
, à en étudier de plus en plus minutieusement les données
en laissant de côté nos désirs et nos craintes »359.

Il faut donc viser le progrès de toute une race et de


toute une civilisation car selon lui, le progrès n’est pas
une question d’aumône, mais de sympathie et de
coopération. Le Noir doit refuser la charité s’il veut bien
aspirer à son Émancipation .La vie ne vaut-elle pas mieux
que la nourriture et le corps plus que le vêtement ? Les
préjugés raciaux , loin de décourager les Noirs, doivent au
contraire les galvaniser afin qu’ils soient maîtres de leur
destin. Ils ne doivent pas abêtir les ambitions , lasser les
cœurs et enterrer les volontés et les cultures . Il faut
davantage s’instruire car si c’est en forgeant le fer qu’on
devient forgeron, « Cette maxime est sage quand on
l’applique aux garçons d’Allemagne et aux filles
d’Amérique. Elle est encore plus sage quand il s’agit des
garçons Noirs qui ne connaissent rien du travail et n’ont
guère la possibilité d’apprendre . Il faut apprendre aux

358
DU BOIS (W.E.B.), op. cit., p101.
359
DU BOIS (W.E.B.), op.cit., p.148.
326

penseurs à penser- connaissance nécessaire en une époque


de logique libre et insouciante ; et ceux dont le destin est
plus important doivent avoir la plus soigneuse formation
pour penser comme il se doit. S’il en est ainsi ne serait-il
fou de demander qu’elle peut être la meilleure éducation
que l’on puisse donner à un ou sept ou soixante millions
d’êtres ! Doit-on leur enseigner le commerce ou les arts ?
Ni l’un ni l’autre, et tous. Apprendre le travail aux
travailleurs. Apprendre à penser aux penseurs. Faire des
charpentiers , des charpentiers et des philosophes , des
philosophes. Et des fats, des sots .Nous ne pouvons
pourtant nous arrêter ici. Nous avons à notre charge non
des hommes isolés mais un groupe vivant, un groupe
dans un groupe. Et en fin de compte le résultat de notre
éducation ne doit pas être le seul maçon ou le seul
philosophe , mais l’homme . Et pour cela nous avons
besoin d’idéaux larges et purs et non le but sordide de
l’affairiste, ni les pommes d’or »360. C’est dire que le
panafricanisme , dans l’entendement de Du Bois , ne doit
pas être un cadre rigide d’activités , il doit être un
dépassement, une mission ; non celle de dévorer les autres
, de supprimer les autres vocations ou même de les
anéantir, mais celle d’accomplir la vocation collective la
plus large possible , la plus humaine possible .

« Mais, au delà de tout cela couve silencieusement le


feu du vrai cœur noir. Puissance remuante et errante des
âmes humaines qui ont perdu leur étoile passée et
recherchent dans la grande nuit un nouvel idéal religieux.
Un jour viendra pour le Réveil, quand dix millions
d’âmes prisonnières s’élanceront irrésistiblement vers le
But, hors des Vallées d’Ombre et de Mort, où tout ce qui
fait que la vie vaut d’être vécue-Liberté, Justice et Droit-
est estampillé du « Pour Blancs Seulement. » »361.

360
DU BOIS (W.E.B.), op. cit., pp.85-86.
361
DU BOIS (W.E.B.), op.cit., p.179.
327

Ainsi donc , c’est par la voie de la reconstitution


culturelle , scientifique et politique, que ces différents
auteurs cherchent à redécouvrir et à réhabiliter l’Afrique.
Tous avaient en commun, l’unité de la race noire afin de
lui assurer sa liberté et sa dignité.

Ces idées de la diaspora noire ont sans nulle doute


influencé Nkrumah, qui , mûrissant sa conception unitaire
sous l’action pratique de la lutte, évolua de l’acceptation
des groupes régionaux à la thèse d’un seul État africain
qu’il défendit à Addis-Abeba en 1963. Cette unité de
l’Afrique doit prendre en charge les aspects économiques,
historiques et culturels. Pour parvenir à cette fin, Nkrumah
va élaborer une « Philosophie », une doctrine qui
convienne à toute l’Afrique , une idéologie qui vivifierait
l’Afrique et orienterait son sort en la grandissant aux yeux
du monde dans l’unité et la liberté retrouvée. Et la
philosophie qui doit soutenir cette révolution sociale est
celle que Nkrumah appelle : Le Consciencisme. « Le
Consciencisme est l’ensemble , en termes intellectuels ,
de l’organisation des forces qui permettront à la société
africaine d’assimiler les éléments occidentaux ,
musulmans et euro-chrétiens présents en Afrique et de les
transformer de façon qu’ils s’insèrent dans la personnalité
africaine . Celle-ci se définit elle-même par l’ensemble
des principes humanistes sur quoi repose la société
traditionnelle. La philosophie appelée ‘’Consciencisme’’
est celle qui, partant de l’état actuel de la conscience
africaine, indique par quelle voie le progrès sera tiré du
conflit qui agite cette conscience »362 .

Dès lors, le Consciencisme apparaît comme la


philosophie qui doit amorcer la révolution sociale ,

362
NKRUMAH (K).- Le Consciencisme (Paris, Payot, 1965, pp.119-
120.
328

culturelle et politique africaine. Il est le support du


changement, le socle du développement africain. Il doit
avoir pour objectif la réalisation d’un égalitarisme
ontologique et infrastructurel dont l’Afrique a besoin pour
son épanouissement. En tant que philosophie africaine, le
Consciencisme doit reconstituer l’égalitarisme entre les
sociétés africaines et mobiliser toutes les ressources
nécessaires en vue de cette reconstitution. Pour parvenir à
cette fin, seul le matérialisme peut soutenir ce projet.
Comme il le dit lui-même :« notre philosophie doit trouver
ses armes dans le milieu et les conditions de vie du
peuple africain ; c’est à partir de ces conditions que doit
être créé le contenu intellectuel de notre philosophie.
L’émancipation du continent africain, c’est l’émancipation
de l’homme. Cela requiert deux buts : premièrement,
reconstituer la société égalitaire ;secondairement,
mobiliser logiquement toutes nos ressources en vue de
cette reconstitution »363.Le Consciencisme devient ainsi
une théorie , un système qui sous-tend à la fois la
métaphysique et la politique dans une sorte de relation
d’implication logique. « Le grand principe moral du
Consciencisme est de traiter chaque homme, comme une
fin en soi, jamais comme un moyen. Tel est
l’enseignement du matérialisme et le fondement objectif
de l’égalitarisme »364.

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui comme hier, la pensée de


Nkrumah a été et demeure l’objet de plusieurs
controverses. Cependant, elle aura permis d’amorcer le
processus de l’élaboration d’une philosophie africaine .
D’ailleurs, il est aujourd’hui difficile de parler du
développement de l’Afrique sans aborder les théories de
l’auteur du Consciencisme. Mais , posons –nous tout de

363
Ibidem
364
NKRUMAH(K).-Le Consciencisme, traduit. Micheline Bonnet
(Londres, Nelson, 1964), p.164.
329

suite cette question :la philosophie du consciencisme,


élaborée par Nkrumah, considérée par lui-même et par
certains auteurs africains comme de la philosophie
africaine, est-elle vraiment une philosophie africaine ou
une idéologie dont le but inavoué est la domination des
masses africaines ? Quoiqu’il en soit, force-nous est de
reconnaître que l’essence du nkrumahisme vient du
marxisme, donc de la philosophe occidentale, de cet
Occident que Nkrumah a visité, où il a appris la
philosophie et qu’il critique avec tambours et trompettes.
Que tire-t-il de la philosophie occidentale ?

Nkrumah, en s’appuyant sur la philosophie occidentale,


se réfère au philosophe des opprimés, au combattant de la
Liberté : Karl Marx. De cet auteur, Nkrumah hérite de la
notion de classes. En effet, Dans Le manifeste du parti
communiste de Marx et d’Engels, la première phrase de la
première partie est énoncée comme suit : « L’histoire de
toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte de
classes »365 . De cette phrase historique, Nkrumah semble
retenir la notion de lutte de classes pour bâtir sa
philosophie de libération et de l’unité de l’Afrique. Pour
lui, les deux classes qui ne peuvent coexister en Afrique
sont la classe bourgeoise interne et externe, la classe au
service du colonisateur et les paysans et artisans africains
qui peuvent tenir office de prolétaires. Il faut donc
supprimer cette lutte de classes pour aboutir comme Marx
à une société africaine sans classes car pour lui, « La seule
solution possible au problème de l’inégalité sociale est
l’abolition du système de classes. Car la division existant
entre ceux qui planifient , organisent , administrent, d’une
part, et ceux qui exécutent les travaux manuels d’autre
part, recrée sans cesse le système des classes. En général,
il est difficile, sinon impossible, à un individu donné, de

365
MARX (E.).& ENGELS (F.).-Le manifeste du parti communiste,
tradit.Gérard Cornillet (Paris, Editions sociales , 1986), p.53.
330

s’évader de son milieu d’origine. Même lorsque l’on parle


« d’égalité des chances », il subsiste un fond d’inégalité.
L’expression elle-même est bien spécifique : il s’agit en
fait d’arriver à un meilleur niveau social. Les classes
dirigeantes n’ont pas seulement une force de cohésion :
elles sont aussi conscientes de leur position dominante ,
ainsi que du fait qu’elles auront à défendre leurs intérêts
et leur position , face à la menace de la révolte – chaque
jour plus active- du prolétariat africain »366.

Sur ce point, Nkrumah est aussi utopique que Marx car


la nouvelle société africaine ne peut se départir de la lutte
des classes ; l’on ne peut supprimer des classes en
Afrique, surtout qu’une nouvelle bourgeoisie voit le jour
en Afrique à l’heure du Néo-colonialisme. Pour Nkrumah,
comme pour Marx et Engels, le processus historique
commence et se termine par des sociétés sans classes,
alors que la phase intermédiaire est déterminée par
l’opposition des intérêts des différentes classes.
L’antagonisme des classes , au niveau de la production et
de la consommation , prend la forme de l’opposition
entre colonisateurs et colonisés ; et au niveau de l’État,
cela prend la forme de l’opposition entre les privilégiés
et les gens dépouillés de leurs droits , entre propriétaires et
non- propriétaires, entre dominants et dominés dans la
mesure où l’idéologie de la classe dominante est
nécessairement une théorie conservatrice orientée vers la
défense du statu quo car les dominateurs ont tout intérêt à
défendre leur domination et les rapports de propriété qui
les favorisent.

Ainsi le nkrumahisme serait –il institué dès les années


60 comme une autre philosophie de l’histoire africaine,
assignant au prolétariat africain une mission historique ,

366
NKRUMAH (K.).-La lutte des classes (Paris, Présence africaine ;
1972), p.21.
331

tout comme chacun des peuples a occupé dans


« l’odyssée » hégélienne, sa fonction de progrès, si bien
que certains auteurs africains pensent que la philosophie
africaine commence véritablement par le « Consciencisme
» et les théories révolutionnaires de Nkrumah ? Aussi
faut-il noter que dans une autre perspective, on pourrait
dire que pour Nkrumah, quiconque s ‘efforce d’introduire
l’intelligibilité en ce qui concerne aussi bien le passé que
le présent que le calcul portant sur les combats à venir en
Afrique, doit en appeler à la lutte des classes qui est seule
capable d’expliquer la complexité du devenir historique
de l’Afrique . À ceux qui pensent que la société africaine
est une société sans lutte de classes, Nkrumah démontre
scientifiquement que la société africaine est divisée en
deux classes, la bourgeoisie et le prolétariat. L’histoire de
la société capitaliste africaine, est l’histoire de cette lutte.
Tout montre d’ailleurs que les colonisateurs et les
colonisés, les dominants et les dominés appartiennent et
ont toujours appartenu à des groupes irréductiblement
opposés dans leurs intérêts.

Les divers socialismes utopiques africains, comme ceux


de Senghor et de Nyerere, se flattaient de supprimer la
lutte des classes et de restaurer la société divisée dans son
unité. Nkrumah, lui, constate l’inefficacité de leurs
analyses. Pour lui, la division sociale et la lutte des classes
sont trop radicales pour qu’elles puissent être effacées par
des moyens qui ne prendraient pas en compte ou ne
remettraient pas en question leurs racines profondes, c’est
–à - dire, l’exploitation des peuples colonisés et ne s’en
prendraient qu’à des symptômes. Au-delà donc de ces
socialismes sentimentaux et tribaux, Nkrumah veut mettre
en place un socialisme scientifique, en montrant la place
et le rôle des masses africaines dans la société africaine.
Ainsi, le socialisme de Nkrumah se veut-il scientifique au
sens marxien du terme, et se donne l’ambition de retrouver
332

l’harmonie sociale que seule a troublé la mauvaise


volonté de quelques fieffés colonisateurs et les néo-
colonialistes .Ces idées gardent le mérite extraordinaire de
semer dans la société africaine les premiers ferments de
l’action révolutionnaire. Les artisans et les paysans, de
même que les intellectuels africains, au contact de ces
idées, acquièrent la certitude que leur condition n’est pas
une fatalité, que leur destin dépend d’eux-mêmes, que leur
condition est le résultat d’une exploitation économique,
politique et culturelle contre laquelle ils peuvent lutter et
remporter la victoire. Il fallait donc donner à la masse
africaine, surtout intellectuelle, une conscience claire de
leur situation, d’où « la philosophie appelée «
Consciencisme » est celle qui, partant de l’état actuel de la
conscience africaine, indique par quelle voie le progrès
sera tiré du conflit qui agite
actuellement cette conscience »367.

Cette philosophie dénote le fait que la mutation d’un


système économique et social à un autre ne se fait pas
d’elle-même . Elle n’a rien d’une fatalité économique. Elle
nécessite l’intervention des hommes, non pas les hommes
en général, mais des hommes de la classe opprimée, les
colonisés et exploités africains car l’objet de la
transformation de la société africaine est de briser les
chaînes de la colonisation, ces formes juridiques,
appropriées, d’utiliser des forces productives que
défendent les bourgeois internes et externes africains, ces
hommes de la classe privilégiée, les colonialistes et les
néo-colonialistes. C’est la classe opprimée par le système
existant, qui est la seule force sociale capable de réaliser
cette transformation en faisant la révolution parce qu’elle
y est naturellement poussée par ses intérêts. Ce sont
également ces intérêts qui poussent la classe au pouvoir à
défendre jusqu’au bout le système d’exploitation existant.
367
NKRUMAH (K.).- Le Consciencisme (Paris, Payot,1965), p.120.
333

Le socialisme ne peut qu’être le résultat de la victoire du


prolétariat africain sur la bourgeoisie coloniale et néo-
coloniale.

Le nkrumahisme est scientifique. Au lieu d’appeler les


africains à abandonner le système chaotisant
d’exploitation, d’indignité et d’injustice, pour un autre
meilleur, Nkrumah démontre que la transformation de la
société africaine découle du conflit entre le
développement des forces productives et la force
juridique de leur utilisation qui a son expression dans la
lutte des classes. Il démontre que cette transformation est
la condition nécessaire de tout progrès à venir et que le
prolétariat opprimé par le système existant est la seule
force capable socialement, de réaliser cette
transformation. « Car, dit-il, c’est avec l’accord de la
bourgeoisie que les monopoles internationaux continuent
à dépouiller l’Afrique et à déjouer les plans de la
révolution africaine. Par conséquent, il s’agit de dénoncer
et de mettre un terme à l’action de la bourgeoisie
africaine. C’est le but de la lutte du prolétariat, tendant à la
libération totale et à la socialisation du continent africain
faisant ainsi progresser la cause de la révolution
socialiste mondiale »368 .

Ici, il apparaît que le socialisme de Nkrumah, à l’image


de celui de Marx et d’ Engels est bien scientifique, et ce
socialisme est scientifique parce qu’il considère que le
capitalisme, en se développant, se transforme en un
système où la propriété des instruments de production est
sociale. C’est –à - dire que l’utilisation des forces
productives n’est plus le fait d’une classe privilégiée et
particulière. De cette façon, la condition fondamentale de
tout antagonisme de classe se trouve supprimée : la

368
NKRUMAH ( K).-La lutte des classes en Afrique (Paris, Présence
africaine, 1972), p.76.
334

société socialiste africaine sera une société sans classes.


Le socialisme scientifique de Nkrumah veut prouver qu’il
n’est d’activité théorique opératoire que celle qui se
greffe directement sur les pratiques des masses . Il a bien
vu comme Marx, que l’utopisme ne consiste nullement à
rêver une société mieux organisée ou désorganisée , mais
à proposer un objectif de combat qui ne s’articule pas
immédiatement sur les luttes réelles.

Dès lors, le socialisme scientifique de Nkrumah signifie


non pas que celui-ci refléterait exactement la réalité
sociale africaine, mais qu’il élabore des concepts tel que
« le Consciencisme » qui éclairent des actions déjà
existantes , afin de les renforcer , de les développer et de
leur fixer des objectifs bien précis. Cette version du
socialisme est bien révolutionnaire. Sous la forme
nouvelle que lui a donnée Nkrumah, les idées socialistes
ont pour la première fois en Afrique, une réalité en tant
que théorie, en même temps que leur réalisation devient
possible. Le socialisme de Nkrumah n’est pas une
chimère, une exigence idéale et abstraite, mais une théorie
scientifique de l'évolution historique dessociétés africaines
et un programme politique clair et efficace pour le
mouvement ouvrier et paysan d’Afrique. Son socialisme
consiste à observer les faits de la société africaine, à
observer les lois du mouvement général de l’histoire
africaine ré-coloniale et post-coloniale. Mais sa théorie
est au service de la classe opprimée. Elle doit permettre à
la classe opprimée, en lutte contre la bourgeoisie de
comprendre son rôle historique fondamental : celui de
bâtisseur du socialisme africain. Sur ce point, le
socialisme de Nkrumah est bien différent de celui de
Julius Nyereré et de celui de Léopold Sédar Senghor.
335

I.I.2 L’Ujamaa de Julius Nyereré : un autre visage du


socialisme africain ?

Julius Kambarage Nyereré, surnommé par ses pairs


comme le « mwalimu », c’est-à-dire le lettré, est né en
mars 1922. Après un diplôme d’enseignement obtenu en
1945, il est titulaire en octobre 1952, d’un nouveau Master
of Arts. Il avait trente trois ans quand sonna l’heure de la
fondation du TANU(Tanganyika African National
Union). Sa pensée socialiste semble se résumer au
discours « Ujamaa, the basis of African socialism », daté
de 1962. ‘’Ujamaa’’ est le mot emprunté à l’arabe par le
Swahili, pour désigner la fraternité que le malimu vit
régner jadis au village de son père et qu’il rêve de faire
régner en Tanzanie au niveau de la nation. Il faut noter que
Nyereré fut président de la république de la Tanganyika
en 1962 (ancien État de l’Afrique orientale allemande
puis britannique) ; il négocia en 1964 la formation de
l’État fédéral de Tanzanie (Tanganyika et Zanzibar) qu’il
présida jusqu’à en 1985. Il finit par démissionner en
laissant le pouvoir à Ali Hassan Mwinyi, pour se
consacrer aux résolutions des multiples crises politico-
militaires en Afrique.

Pour Nyereré, « Le socialisme , comme la démocratie,


est une attitude d’esprit. dans une société socialiste, c’est
la mentalité socialiste, et non l’adhésion inconditionnée à
un modèle politique standard, qu’il faut pour s’assurer que
les gens ont en cœur le bien-être les uns des autres »369.
L’allusion est bien faite à Nkrumah qui se réclame du
socialisme scientifique de Marx et dont le mode de
gestion des affaires sociales et politiques de son pays, le
Ghana est basé sur le modèle chinois. Pour lui, en effet,

369
NYERERE (J.K.).-Ujamaa ou le fondement du socialisme africain
in ‘’Philosophie africaine’’, textes choisis I , (KINSHASA , PUZ,
1975), p.255.
336

les profondes divisions de classe qui existaient en Europe,


n’ont pas leur place dans le socialisme africain et n’ont pas
de parallèle dans la société africaine . Il n’y avait pas de
classes dans la société africaine traditionnelle et il n’y en
a pas entre les africains aujourd’hui. Ce qui est une totale
opposition à Nkrumah qui pense que la société africaine
comme toutes les sociétés, est l’émanation de la lutte des
classes. Pour Nyereré, il n’y a pas de classes dans la
société africaine car le mot n’a pas d’équivalent dans les
langues africaines .

Mais Nyereré connaît-il objectivement toutes les


langues africaines, si lettré soit-il ? D’ailleurs, suffit-il de
penser qu’un mot ou une réalité sociale n’ait pas
d’équivalent linguistique chez un peuple donné pour ne
pas qu’elle soit une réalité ? Dans une certaine mesure, on
peut dire que la masse africaine étant encore peu
structurée, encore marquée par une grande interprétation
entre éléments traditionnels et éléments évolués, entre
riches et pauvres et les classes dirigeantes étant seulement
en train de se faire , il y avait peu d’opposition entre riches
et pauvres, mais cela ne voudrait pas dire qu’il n’y en avait
pas du tout. Considérant le « Ujamaa »comme le
socialisme tanzanien, Nyereré s’interroge : « Que
représente le socialisme pour nous ? Comment pouvons-
nous l’approcher ? A certains égards la réponse à ces
questions se trouve implicitement contenue dans le mot
que nous avons choisi pour caractériser notre objectif. Ce
n’est pas par hasard que nous avons choisi le mot
« ujamaa » pour définir notre politique socialiste ; le mot
ne résulte pas non plus uniquement du désir de trouver
l’équivalent swahili du mot « socialisme ». Le swahili est
une langue en évolution et continue, quand c’est
nécessaire, d’incorporer des termes étrangers dans son
vocabulaire ; c’est ainsi que nous disons des objectifs de
certains pays qu’ils ont « « kiloshalisti ».Nous avons
337

choisi le mot « ujamaa » pour des raisons spéciales .


d’abord c’est un mot africain qui met ainsi l’accent sur
l’africanité de la politique que nous voulons poursuivre.
Ensuite son sens littéral est « l’état de famille » si bien
qu’il apporte à l’esprit de notre peuple l’idée d’un
engagement mutuel dans la famille telle que nous la
connaissons. Par conséquent, en employant le mot
« ujamaa », nous affirmons que pour nous le socialisme
veut dire construire sur les fondations de notre passé, et
construire comme nous l’entendons. Il ne s’agit pas
d’importer en Tanzanie une idéologie étrangère pour
qu’elle étoffe nos modèles sociaux particuliers »370.

Non conscient d’une lutte de classes entre bourgeoisie


et prolétaire, ou feignant de le reconnaître, Nyereré
recherchait pour son peuple, et pour son peuple seulement,
l’institution d’une harmonie dont la réalisation n’exigerait,
selon lui, d’autres transformations que celles de la
mentalité des hommes engagés dans le combat
social . « Le vrai problème est donc de savoir si chacun de
nous est prêt à s’engager à construire un état dans lequel
aucun homme n’a honte de sa pauvreté au regard de la
prospérité d’un autre, et où aucun homme ne doit avoir
honte de sa richesse au regard de la misère d’un autre .
sommes –nous prêts à bâtir une société où les rapports
entre les hommes seront ceux d’une complète égalité et
d’un esprit de libre coopération ? Chacun d’entre nous doit
donner une réponse à cette question ; les jeunes y ont une
responsabilité plus particulière , qui se double pour ceux
qui sont instruits d’une tentation spéciale, parce que dans
une société capitaliste ils seraient les mieux placés pour
obtenir des privilèges aux dépens d’autres »371. Pourtant,

370
NYERERE (J.k.).-Liberté et socialisme (Yaoundé, Clé, 1972),
pp.35-36.
371
NYERERE (J.K.).- Indépendance et éducation (Yaoundé Clé,
1972), p.64.
338

la société tanzanienne est bien capitaliste. Or, le


capitalisme engendre toujours une lutte des classes , une
perpétuelle contradiction . À ce propos, Nkrumah pourra
répondre que « Toute situation historique produit sa
propre force dynamique »372, par conséquent, « si la
révolution socialiste n’est pas encore passée au stade du
dogme, si elle n’a pas non plus reçu la consécration de
l’Histoire, il est évident qu’elle ne peut reposer sur des
compromis, et que les principes du socialisme sont
immuables et tendent à la socialisation des modes de
production et de distribution. Tous ceux qui, par
opportunisme politique, se disent socialistes tout en se
réclamant de l’impérialisme , servent les intérêts de la
bourgeoisie. Momentanément induites en erreur, les
masses finiront par en prendre conscience et par
démasquer ce prétendu socialisme , rendant ainsi possible
l’avènement d’une authentique révolution »373.

Embellissant donc le souvenir de la société


traditionnelle, le président Nyereré, rappelle pourtant le
principe de l’entraide donnant la sécurité à chacun, pour
préserver l’égalité humaine en en résolvant, malgré lui et
il le reconnaît, le problème des inégalités de revenus
dans les conditions de la vie économique de son pays en
évitant que les différences actuelles dans les revenus ne
deviennent sacro-saintes . « En Tanzanie cela signifie que
nous devons sauvegarder et renforcer nos méthodes
démocratiques ; il nous faut arriver à ce que chaque
citoyen joue un rôle actif et direct dans le gouvernement
de son pays . Cela signifie aussi que nous devons corriger
les différences flagrantes des revenus , que nous avons
héritées du colonialisme, et faire en sorte que l’inégalité
qui n’existe sur la scène internationale entre les salaires
des ouvriers d’usines et des services publics d’un côté ,

372
NKRUMAH (K)., op. cit., p.31.
373
NKRUMAH (K.), op. cit., p.30.
339

et ceux des travailleurs agricoles de l’autre, ne se


reproduise pas chez nous. En d’autres termes nous devons
veiller à ce que chaque personne touche un revenu
proportionnel au service qu’il rend à la société.(...)Par-
dessus tout, il nous faut redonner vie à cette philosophie
de la coopération dans la production et de partage dans la
distribution, qui était une part essentielle de la société
africaine traditionnelle».374

Nyereré reconnaît que cela ne va pas être facile car cela


signifie qu’il faut affronter en même temps les problèmes
de l’accroissement de la production et de la reconstruction
du comportement égalitaire . Mais il ne faut jamais perdre
de vue que le but premier de la société, c’est l’homme , sa
raison d’être, est et demeure l’homme en tant que
personne , son développement, sa santé, sa dignité, son
honneur et donc son bonheur. Mais cet homme sait aussi
que ses actions doivent être , pour son propre bien ,
réduites à celles qui sont compatibles avec le bien de son
unité sociale, c’est-à-dire, sa famille .

« Ainsi la société idéale est basée sur l’égalité entre les


hommes et sur une combinaison de la liberté et de
l’unité de ses membres . L’égalité, parce que ce n’est que
sur cette base que les gens pourront travailler en
coopération ; la liberté parce que l’individu n’est servi par
la société que s’il en fait partie ; l’unité, parce que c’est
seulement lorsque la société est unie que ses membres
peuvent vivre et travailler dans la paix, la sécurité, et le
bien-être »375. En revanche, la société doit préserver
l’humanité fondamentale de chacun de ses membres
ainsi que L’inviolabilité de son existence. Il ne doit pas

374
NYERERE(J.K).- Indépendance et éducation (Yaoundé, Clé,
1972), pp.62-63.
375
NYERERE (J.K.).- Liberté et socialisme (Yaoundé, Clé, 1972),
p.14.
340

avoir une discrimination entre ses membres à cause de


leurs liens de parenté, de leur lieu de naissance ou de leurs
croyances religieuses. L’homme doit être la justification
de son existence.

Ainsi donc « L’essence du socialisme se trouve dans


l’acceptation pratique de l’égalité entre les hommes.
C’est-à-dire le droit égal de chaque homme à mener une
vie convenable avant que quiconque ne possède un
excédent qui dépasse ses besoins son droit égal de
participer au Gouvernement ; et sa responsabilité égale de
travailler et d’apporter sa contribution à la société dans la
limite de ses capacités »376.Pour lui, un véritable
socialisme commencerait sa véritable analyse des
problèmes d’une société particulière à partir des réalités de
cette société. « La tâche d’un socialiste est d’étudier
personnellement la meilleure façon d’aboutir à des
objectifs qu’il s’est choisis dans les conditions du
moment.Il lui appartient de réfléchir à la façon
d’organiser la société, de résoudre un problème particulier,
ou d’effectuer certains changements en mettant l’accent
sur l’importance de l’homme et sur l’égalité humaine. Il
est particulièrement important que nous comprenions
cela, nous, Africains. Nous sommes en train de chercher à
tâtons la voie qui nous mène au socialisme, et nous
courons le risque d’être obnubilés par cette nouvelle
théologie , et de tenter ainsi de résoudre nos problèmes
en fonction du sens que les prêtres du marxisme donnent
à la parole de Marx. Si tel est le cas nous échouerons. Les
conditions de l’Afrique sont très différentes de celles de
l’Europe au temps où Marx et Lénine écrivaient et
travaillaient »377.

376
NYERERE (J.K.).-Indépendance et éducation (Yaoundé, Clé,
1972), p.62.
377
NYERERE (J.).- Liberté et socialisme (Yaoundé, Clé, 1972), p.52.
341

Cela montre très clairement que Nyereré se départit très


clairement de Nkrumah et du socialisme de Marx. Son
socialisme est typiquement africain, selon lui, totalement
différent du socialisme européen. « Voilà qui n’a rien à
voir avec Marx ; les gens n’ont jamais entendu parler de
lui. Ils possèdent pourtant les éléments d’une base sur
laquelle ils peuvent construire le socialisme moderne.
Repousser cette base revient à accepter l’idée que
l’Afrique n’a rien à apporter à la marche de l’humanité ;
c’est arguer que la seule façon d’accompagner des
progrès en Afrique est de rejeter notre passé et de nous
laisser séduire par les doctrines de quelque autre
société »378.Comme on le voit, le socialisme de Nyereré
est un socialisme traditionnel, rétrécit et non ouvert. Il
n’est pas scientifique comme celui de Nkrumah. Il est un
socialisme authentiquement africain, familial et
communautaire. Il se ferme à l’autre, il refuse l’autre, il
veut demeurer soi-même, il est teinté d’africanité. Pour
tout dire, le socialisme de Nyereré est basé sur l’héritage
culturel africain.

Cependant, comme le dit Albert Meister, « L’incessant


rappel de l’égalité dans la société traditionnelle oublie le
caractère misérable de cet égalitarisme, un égalitarisme
fondé sur le fait de l’inexistence d’une plus-value sociale
à repartir, « une juste et équitable distribution de la
pauvreté ». La sécurité des individus était celle de la tribu
tout entière et chacun était riche ou pauvre selon que la
tribu était riche ou pauvre , mais l'entraide et la sécurité
étaient limitées au petit univers fermé de chaque tribu.
L'idée moderne de l’égalité sociale et économique est au
contraire universaliste, s’étend à tous les milieux et
groupes sociaux et à tous les individus , femmes incluses,
et a pour but principal de redresser les inégalités de
répartition d’une plus-value sociale qui n’existait pas dans
378
NYERERE, op. cit., p.53.
342

les sociétés africaines qui sont le modèle du socialisme


africain »379 .

Selon cet auteur, en effet, le mythe de l’égalité


n’empêche pas la création d’une classe ou d’une élite
dirigeante comme le prétend Julius Nyereré. D’ailleurs,
l’histoire des sociétés africaines montre que les classes
africaines ou les élites africaines ne demeurent pas en
relations égalitaires avec les masses populaires. L’objectif
inavoué de Nyereré, est de masquer la stratification
croissante de la société tanzanienne. Son socialisme est un
mythe de l’égalité qui retarde la prise de conscience des
différences classes sociales . « Cette différence provient
en partie du fait que la revendication de l’égalité dans le
socialisme africain est encore bien plus dirigée contre les
colonisateurs et leurs alliés étrangers (Asiatiques, par
exemple) qu’à l’égard de leurs propres dirigeants . Ici de
nouveau le thème de l’émancipation raciale pénètre celui
de l’émancipation sociale ; on pourrait même dire qu’il
l’hypothèque en attirant toute l’attention et que le jour
où ils seront émancipés nationalement nos pays
découvriront qu’une classe dirigeante s’est constituée sous
le couvert de leur lutte pour une réelle indépendance
nationale » 380 .

Selon toujours Meister, Les déclarations de certains


dirigeants africains dont Nyereré , qu’il n’y a pas de
classes sociales dans la société africaine et que tous les
Africains ont des buts communs , ont, c’est ce que ces
auteurs ne disent pas, la double fonction : celle de faire la
nation et celle de renforcer la position des élites , donc
eux-mêmes et des appareils d’État qu’eux-mêmes, en tant
qu’élites, contrôlent ; «en idyllisant la vie tribale, en

379
MEISTER (A.).-L’Afrique peut-elle partir ? (Paris, Seuil, 1966),
p.324.
380
MEISTER (A.), op. cit., p.325.
343

exagérant les sentiments de sécurité et même de bien-être


de l’individu au sein de la grande famille traditionnelle,
en passant sous silence l’état de guerre incessant entre
tribus, le socialisme africain aboutit à une vision passéiste
de la société. L’âge d’or est dans le passé et le
modernisme n’a pas d’autre utilité que de permettre le
retour aux formes de vie et de solidarité d’un passé
idéalisé »381.

Comme on le voit, le socialisme de Julius Nyereré n’a


rien de spécifique d’avec celui de Kwame Nkrumah. Si le
premier est authentiquement africain , selon son auteur, le
second est scientifique ; si celui-ci est une théorie du
retour aux sources africaines, celui-là est une émanation
du marxisme calqué sur le matérialisme dont l’essence
fondamentale est la lutte des classes. En vérité, Nyereré
semble plus proche de Senghor que de Nkrumah dans son
désir de transformation, de changement de l’Afrique.

I.I.3.Léopold Sédar Senghor et le socialisme –négritude

Léopold Sédar Senghor est né à Joal au Sénégal, le 9


octobre 1906. Homme politique et écrivain, il fut président
de la République du Sénégal après l’indépendance (1960-
1980). Né dans une famille catholique de commerçants
prospères, Senghor passa à Paris l’agrégation de
grammaire. Élu Député à l’Assemblée constituante sur la
liste du Bloc africain soutenu par la SFIO en 1945 et
Ministre dans le Gouvernement Français d’Edgar Faure
(1955-1956),il fut élu président de la République après
l’indépendance en 1960, Senghor marqua de son sceau la
vie politique sénégalaise et africaine durant près de 20ans.
Président-poète, il démissionna le 1er janvier 1981 au
profit de son Premier ministre , Abdou Diouf. Membre de
l’Académie française, il est décédé en 2001.
381
MEISTER (A.), op. cit., p.327.
344

Si dans la deuxième partie de notre travail, nous avons


abordé le concept de la Négritude en général sans spécifier
celle de Senghor, ici, notre travail consistera à donner
quelques idées du socialisme de Senghor, tout en montrant
que ce socialisme ne peut se départir véritablement de sa
négritude . En effet, comme nous l’avons déjà dit, la
Négritude se définit elle –même objectivement comme
l’ensemble des valeurs de civilisation de la diaspora noire
sur les plans artistique, moral, culturel, politique et social.
Subjectivement, elle se définit comme l’acceptation de cet
état de choses et sa projection dans l’histoire de
l’humanité, de l’humanité africaine. Pour Senghor, c’est
la primauté donnée à l’intuition, à l’émotion, au rythme,
au sens du groupe. Senghor dira que « l’émotion est nègre
tandis que la raison est hellène »382.

On remarquera que l’engagement politique de Senghor


est l’émanation de son engagement culturel. Faut-il
véritablement dissocier l’homme politique de l’homme
culturel, le dirigeant politique de l’artiste-poète ? Ce n’est
donc pas un hasard si, en lui, poète, militant, homme
d’État forment un tout indissociable. La thématique de la
poésie senghorienne tient véritablement en un maître
mot : Amour. Amour de l’Afrique, Amour de l’Homme.
Sa poétique est faite de rythmes qui est au-delà du signe,
qui explique l’univers, qui est le flux et le reflux,
l’inspiration et l’expiration, la mort et la naissance. Chez
lui, les images , comme chez le Négro-Africain, selon lui,
ne sont pas ‘’équations » mais « analogies ».Pour Senghor,
si l’on définit la Négritude comme ensemble des valeurs
du monde noir, celles-ci relèvent d’emblée de l’existence
historique et non de l’essence pure, notamment des luttes
économiques et sociales dont l’issue peut provoquer la

382
SENGHOR (L.S.).-Liberté I. Négritude et humanisme
(Paris,Seuil,1964),p.24
345

destruction ou la transformation de ces valeurs . À partir


de ce moment, on peut dire qu’il y a du socialisme dans la
pensée de Senghor et ce socialisme semble être situé au
bout du développement logique de la Négritude.

Mais, il faut le dire tout de suite, les rapports de


Léopold Sédar Senghor avec le socialisme scientifique,
représenté par le marxisme, sont en fait issus d’un double
mouvement d’approbation et de réfutation. Tout en lisant
Marx , il recommande aux africains une relecture de Marx,
en montrant que le marxisme est un humanisme, le
fondement de la dignité re-trouvée. Cependant, à un
moment donné, il semble réfuter le socialisme de Marx en
mentionnant que l’actualité de Marx semble se référer
exclusivement aux problèmes d’Europe tout en occultant
les problèmes africains. Pour lui, le marxisme qui devrait
être universel est plutôt eurocentré, partant, sa valeur
scientifique, sa contradiction majeure, est de se présenter
comme une science, tout en étant, malgré ses dénégations,
une éthique. Pour lui, la thèse du développement uniforme
met en cause l’existence même, donc la lutte des classes
au sein des sociétés africaines actuelles . Dès lors, il faut
réclamer à la théorie marxiste les services qu’elle est
susceptible de rendre à la société africaine . Dans cette
perspective, il ne faut point se laisser assimiler à une
doctrine élaborée dans un contexte historico-culturel
européen, mais assimiler cette doctrine pour en faire un
outil d’émancipation africaine . Et ce « phénomène nous
pousse, par métissage culturel, dans la Voie de l’Universel
en même temps qu’il tend à provoquer en nous une
réaction d’autodéfense contre l’uniformisation et pour
l’enracinement, en profondeur, dans notre identité
culturelle. Il est donc, en soi, une bonne chose ; le tout est
de bien s’en servir »383.Ce que Senghor reproche à Marx,

383
SENGHOR (L.S.).-‘’Entretien sur la civilisation de l’universel’’ in
Les grands révolutionnaires (Paris, Martinsard, 1978), p.494.
346

c’est de ne pas prendre en compte les problèmes africains


dans sa théorie de luttes des classes, d’ignorer qu’en
Afrique aussi, il ya la classe la plus basse des prolétaires,
c’est-à-dire le peuple africain dans sa totalité et la classe
la plus haute des bourgeois qui n’est rien d’autre que le
colonisateur européen.

Ainsi donc « La Civilisation de l’Universel, c’est le


métissage culturel, aussi large que possible »384. Voici de
manière résumée, quelques traits de la pensée de Léopold
Sédar Senghor. Elle consisterait à prôner la « Négritude »
et à revendiquer l’identité culturelle africaine afin de se
frayer un chemin pour la douloureuse expérience de la
Civilisation de l’Universel sous-tendue par un socialisme
humaniste et universel. Dès lors, comme le dit Albert
Meister, « Les termes politiques que nous venons
d’employer possèdent leurs équivalents sur le plan
spirituel et littéraire. Il me semble que deux tendances
peuvent être dégagées : d’une part, correspondant à un
nationalisme exacerbé, une tendance à l’affirmation
farouche de la supériorité de la culture et de la civilisation
africaines sur le technicisme d’origine européenne-
tendance maximaliste du socialisme africain ; d’autre part,
partant de la critique des concepts de « négritude » et de
« personnalité africaine », une tendance qui cherche à
recréer une authentique culture africaine tenant compte
des influences indélébiles, même si elles ne sont pas
approuvées, du colonialisme et du modernisme »385. Ce
qui nous amène maintenant à analyser les contradictions
de la pensée africaine, d’en saisir les fonds et d’en
dévoiler les Différends.

384
SENGHOR (L.S.), op.cit., p.495.
385
MEISTER (A), op. cit., p.320.
347

« Bon gré mal gré, les adultes constatent que des centaines de
milliers de jeunes remettent en cause un ordre social encore basé sur
l ’autorité et la force. Il est de moins en moins possible d’entretenir des
illusions sur l’avenir d’une école répressive car l’ampleur de la
contestation ébranle le statu quo dans l’enseignement, la famille, l’armée,
la religion » .
MENDEL (G.)& VOGT (C.).-Le manifeste éducatif. Contestation et
socialisme (Paris, PBP , 1972), p.208.

« Le pouvoir n’ignore pas que la réalité du technicien est la


contestation permanente et réciproque de l’universel et du particulier et
qu’il représente, au moins en puissance ce que Hegel a appelé la
« conscience malheureuse » ».
SARTRE (J-P).- Qu’est- ce qu’un intellectuel ?(Paris, Gallimard,
1972), p.36.
348
349

Chapitre II : Du dévoilement des


différends

II .I. De la contestation critique

L’Afrique a acquis son « indépendance » tant


demandée par ses fils, il y a belle lurette . Comme nous
l’avons vu, la lutte a été âpre, les méthodes ont été
diverses. De la Négritude au Socialisme africain, en
passant par le Panafricanisme , les africains aspiraient à
leur liberté, à leur autonomie. Les élites africaines ont-
elles accompli véritablement leur mission de leaders ? Les
différents socialismes africains que nous venons d’évoquer
nous conduisent à des remarques suivantes : tous se
réclament du socialisme, tous veulent l’unité de l’Afrique,
son harmonie et son développement. Mais , en vérité,
comme le dit Albert Meister, « La contribution principale
du socialisme occidental au socialisme africain réside dans
le vocabulaire : un vocabulaire radicalement différent de
celui de la période coloniale et suspect aux yeux des
gouvernements de jadis, donc susceptibles aujourd’hui de
capter le sentiment de ressentiment des masses, de
dramatiser le pouvoir, de donner l’illusion de changements
importants. Purement verbal, le socialisme ne conduit pas
à faire revivre les institutions dont il se réclame »386.

386
MEISTER (A.), op. cit., p.328.
350

En effet, malgré l’affirmation tous azimuts du


socialisme africain, l’Afrique demeure plus que jamais
divisée. Les organisations africaines (U.A, CEDEAO, etc.)
restent pantoises et impuissantes devant les graves crises
politiques et sociales africaines. Les exemples sont
légions : les guerres civiles au Rwanda, en Côte d’Ivoire,
au Burundi, au Liberia, au Congo, etc. ne trouvent des
débuts de solution que par les Accords en dehors de
l’Afrique. L’entente et l’union entre les africains
demeurent une chimère, l’entraide, un vain mot. La
bourgeoisie bureaucratique augmente de jour en jour,
l’exploitation se fait plus hideuse. « En fait, les plans de
développement apparaissent en réalité davantage comme
des plans d’africanisation des appareils d’Etat que comme
des plans de développement, comme des plans de
reconversion d’économies faites jusqu’à présent pour les
Blancs en économies à faire par les Africains. Il est même
probable que ce n’est qu’au terme d’une période assez
longue de transition, de passation des pouvoirs qu’on
pourra vraiment parler de développement »387.

Car, c’est sous ces idéologies dites socialistes, que la


personnification de la vie politique et les rapports de
clientèle comme fondement au parti unique et à la
dictature a conduit finalement au regain des influences
tribales . De plus, ces élites du socialisme se sont séparées
progressivement de leurs peuples , et par leurs actions ont
contribué à tracer ce que J. Berthelot et F.Ravignan ont
bien appelé « les sillons de la faim » en instaurant des
modèles impossibles de développement, de solidarité et
de gestion des deniers publics. Pour ces auteurs, « Alors
que, sur les plans économique et politique, la domination
du Nord est imposée aux peuples du Sud, ceux-ci, dans
leur ensemble, opposent peu de résistance à la domination
culturelle des pays industriels. Les divers aspects du genre
387
MEISTER (A.), op.cit., p.331.
351

de vie occidental sont en effet considérés comme un


modèle à suivre : modèle de consommation, technologies,
mode de répartition du territoire entre ville et campagne,
modèle éducatif, règles du jeu économique, d’organisation
administrative et rapports sociaux qui en découlent. Ces
différents aspects du modèle de société sont largement
interdépendants, mais le modèle de consommation est
sans doute la variable la plus indépendante et donc la plus
importante »388.

En premier lieu, par rapport à la misère du peuple, le


train de vie de l’élite apparaît plus luxueux que dans les
sociétés plus avancées. Cela révèle de l’identification très
forte avec les tribus et les ethnies et la personnification
des relations avec d’autres leaders politiques et les masses,
la personnification du pouvoir, sa gestion familiale et
clanique qui débouche foncièrement sur sa prédation, «le
vouloir-tout-prendre». Dès lors le pouvoir du chef est le
pouvoir de la tribu, de l’ethnie et son train de vie est à la
mesure de la puissance de son ethnie, de sa tribu et du
groupe qu’il incarne . « Ces considérations nous
permettent finalement de comprendre pourquoi les partis
uniques africains sont des leviers de changement social
bien moins puissants que les partis uniques des pays
socialistes : alors que ces derniers se trouvent au-dessus
des masses et n’hésitent pas à prendre des mesures
impopulaires en les justifiant au nom de la construction
du socialisme , les partis uniques africains sont trop liés à
leur électorat pour prendre de telles mesures et se bornent
finalement à une distribution sur les régions des aides
étrangères et des ressources nationales ; cette distribution
résultant du marchandage parlementaire bien plus que
des priorités nationales. En ce sens , le parti unique

388
BERTHELOT(J.)&RAVIGNAN (F.).-Les sillons de la faim, textes
rassemblés par le Groupe de la Déclaration de Rome (Paris,
L’Harmattan, 1980), p.176.
352

africain est un instrument d’immobilisme et il n’est pas


étonnant que ses doctrines du « socialisme scientifique
africain » reflètent la même tendance »389.

Aujourd’hui, sous les pouvoirs pluralistes dits


démocratiques africains, comme sous les pouvoirs
socialistes, les partis uniques d’hier , c’est la décadence
.Comme le dit Adotévi Stanislas Spéro Kodjo, « (Rien n’a
changé)(L’exploitation s’est faite plus hideuse et plus
efficace. Des bourgeoisies sous-développées ont été mises
en place pour restaurer les régimes qui se contentent de
succéder sans réforme au pouvoir colonial. Les anciens
vassaux se sont transformés en vavasseurs. Leur
inefficience et la fragilité de leurs fondements les rendent
plus maniables. Les fêtes et les palais participent de la
même nécessité. L’Afrique demeurant ce qu’un dicton
américain appelle « ce continent que Dieu a mis en réserve
pour l’humanité ». Il s’agit – dans la mesure où l’Afrique
est exclue de cette humanité- d’assurer par le confort de
ses dirigeants le silence autour de son dépouillement »390.

Aussi, convient-il de noter que tous ces théoriciens du


socialisme africain , ont été des dirigeants, des hommes
d’État africains. Senghor , comme nous l’avons dit plus
haut, a fait une vingtaine d’années au pouvoir d’État,
Nyereré en fit plus de dix ans et Nkrumah, également une
dizaine avant d’être évincé par un coup d’État militaire .
Qu’ont donc apporté à l’Afrique ces socialistes
politiques ? Qu’est-ce que le socialiste africain
aujourd’hui ?

« Le socialisme africain- c’est maintenant un truisme, -


est un rempart contre les coups de trique de la démolition.

389
MEISTER (A.), op. cit., p.285.
390
ADOTEVI (S.K.S).-Négritude et négrologues (Paris, UGE,1972),
p.225.
353

Il dissimule la physionomie de la dénomination néo-


coloniale, de la domination tout court ; Il n’éclaire point le
vrai visage de l’Afrique qui est de misère. Il aggrave
notre retard, en se présentant comme l’idéologie de la
lutte contre l’indignation et les révoltes à naître . Il
éloigne des masses africaines la perception périlleuse ,
pour les dirigeants, de leur dégradation, de leur
abaissement constant. Il a pour mission de rendre
décentes les alléchantes bouffonneries des hymnes
nationaux. Il camoufle la dépravation des étendards. Il
accorde victimes et victimaires. Il met au garage la
révolte. Il mystifie enfin en propageant des vérités
partielles et partiales sur les réalités africaines.
L’expérience prouve que les besoins africains, le destin
des nègres sont désormais étrangers aux valeurs, aux
promesses et aux aspirations de nos chefs d’État. Le
socialisme africain est une imposture »391.

Aussi, voudrions-nous nous atteler à saisir la société


africaine socialiste dans son fond afin de comprendre ses
différends et provoquer ses contestations .Au-delà du
socialisme africain, c’est la problématique de la
philosophie africaine qui est mise ici en jeu, car qu’on
réfute le socialisme africain ou qu’on l’accepte, on est
obligé de passer par ces auteurs qui sont considérés
comme des précurseurs de la Philosophie africaine .
Nkrumah n’est –il pas le concepteur du
« Consciencisme » ? N’ est-il pas l’un des fondateurs du
panafricanisme et n’a- t -il pas été le premier à utiliser en
1945, comme nous l’avons dit, le terme
d’ethnophilosophie en s’inscrivant à une thèse de doctorat
à l’Université Abrahams Lincoln aux États-Unis ? Ce
concept n’a t- il pas été vulgarisé par de nombreux auteurs
africains et occidentaux au point qu’il se soit imposé
aujourd’hui à la philosophie africaine , à la philosophie
391
ADOTÉVI (S..K.S), op. cit., pp.131-132.
354

tout court, qu’il soit écrit en un mot selon un auteur, ou en


deux mots selon tel autre auteur ?

Senghor, de son côté, n’est- il pas considéré


aujourd’hui comme le chantre le plus écouté de la
Négritude ? Ce concept ne s’est- il pas imposé à
l’Occident et au monde ? Le concept de la Négritude et
Senghor lui-même ne sont –il pas des éléments à part
entière de la Civilisation de l’Universel ? Premier africain,
agrégé de grammaire, « il faut reconnaître à Senghor le
mérite d’avoir montré au cours de ces trois dernières
années que la Civilisation de l’Universel n’est que la
modernisation conçue, non pas de manière endogène, ni
même plus, comme juxtaposition de deux cultures, mais
comme moyen de réintégrer nos sociétés dans
l’histoire »392. N’a t- il pas eu le mérite de démissionner du
pouvoir d’État pour le remettre à son Premier Ministre,
ceci n’est- il pas un exemple de démocratie et d’ouverture
dans une Afrique où le Pouvoir est personnalisé,
autoritaire, divin où le dirigeant politique est un tout- dieu
qui a un pouvoir éternel ? Quant à Nyereré, n’a-t-il pas
aussi démissionné de la présidence de son pays ? Comme
Senghor, n’est-il pas lui aussi un modèle d’ouverture ?
Son concept de Ujamaa ‘est-il pas un concept pris en
compte dans la philosophie Africaine ?

Dans tous les cas, notre tâche est d’aborder la


problématique de cette philosophie africaine en identifiant
les contradictions, les Différends afin de libérer les
Différences. Aussi notre Critique apparaîtra-t-elle non
seulement comme un reflet gnoséologique, mais aussi un
point de vue de la connaissance qui se reconstruit pour
s’investir dans une objectivité, c’est-à-dire une sorte de
Théorie critique de la société africaine, une approche de
la « Philosophie sociale » qui motive la décision d’en
392
ADOTÉVI (S.K.S.), op. cit., p.203.
355

faire usage. « A la limite ce n’est là qu’un fait dont il


reste à établir le sens théorique. Mais il est clair qu’il
s’agit déjà d’un sens virtuel : le mot « critique » et ses
constellations sémantiques traduisent en effet la
revendication d’un projet théorique qui s’identifie et se
donne à penser, dans les deux cas, comme « critique ».
L’élucidation de cette revendication conditionne donc
celle de l’identité des projets qui se nomment ainsi.(...) La
répétition de la problématique critique telle que nous la
saisissons en ce point de départ est donc plus qu’un simple
fait a-signifiant, et moins qu’un sens déterminé. C’est ce
qui nous assure d’avoir, pour nous mettre en route, un
enjeu réel, dans la mesure où ce fait de la répétition
signifie per se son propre sens : c’est une invitation à
l’expliciter, puisqu’il le désigne virtuellement »393. Faut-il
voir ici une preuve de cette schizoïdie latente du penser
africain, ramené à son point de départ, comme à l’éternel
présent de ses propres Différends ?

L’un des « jeux » favoris de la pensée africaine,


pendant ces dernières années, était et est encore de
ressusciter des formes censées être dépassées
historiquement, en ressuscitant des figures mortes. Comme
le dit Jean-François Revel, « Le mélange le plus contre-
révolutionnaire qui puisse exister dans le tiers monde est
celui du passéisme et du socialisme. Mis ensemble, ils ont
pour effet de perpétuer la stagnation économique tout en
justifiant la dictature politique. La question du socialisme
dans le monde en 1970 ne semble pas être en définitive :
comment instaurer le socialisme afin de faire la
révolution ? mais bien : comment instaurer le socialisme et
néanmoins faire la révolution ? L’étonnante variété des
socialismes africains, - socialisme padmorien, socialisme –
négritude de Senghor, socialisme spiritualiste de Kofi

393
ASSOUN (P-L). & RAULET (G.).- Marxisme et théorie critique
(Paris, pbp, 1978) ; pp.23-24.
356

Baako, socialisme- austérité de Nyereré, - recouvre en fait


un conservatisme profond »394.

Notre critique se comprendra comme une généalogie,


se définissant comme un rappel à soi et à l’Afrique, un
rappel à l’origine, en s’efforçant de dénouer le serpent qui
se mord sa propre queue, en montrant où est sa tête pour
lui permettre de ramper selon son rythme. Il nous faut
donc tester l’idée de la philosophie africaine en essayant
de lui assigner son mode de dérivation afin d’examiner
son objectivité intrinsèque, ses voies rocambolesques,
mais aussi sa ténacité à continuer son chemin douloureux
et à vouloir imposer à son Afrique, un nouvel ordre
politique, social, culturel et économique. Notre stupeur
vient que l’Afrique est malade d’elle-même et la
philosophie doit diagnostiquer le double état, à la fois
stuporeux et fiévreux, du malade africain. « Il s’agit de
retrouver la visée du devoir- être et la position des
problèmes dans l’optique du tout social, de son destin, en
lui, du destin de l’homme »395, de l’homme –africain.

Si l’Afrique veut s’émanciper, il faut que la philosophie


africaine s’identifie à un sujet aliéné, à une Afrique aliénée
qui crie et qui conteste, qui proteste. C’est pourquoi, notre
critique est avant tout, un cri pour l’Afrique, un cri contre
l’Afrique, un cri pour que les africains essaient de se
débarrasser des Tiques du sous-développement. C’est
pourquoi, la Critique nous apparaît comme un Cri- tiques,
un cri aux tiques, ; un cri-tiques c’est-à-dire un appel à
détruire les tiques qui sucent le sang du peuple africain..
Le Cri-tiques, c’est le dépassement de la fausse clôture de
l’authenticité. Notre cri, c’est le son perçant émis par la
voix de l’Afrique ,c’est le vagissement d’une révolution

394
REVEL (J-F.).-Ni Marx ni Jésus (Paris, Robert Laffont, 1970),
p.80.
395
ASSOUN (P-L) & RAULET (G.), op. cit., p.125.
357

africaine. Ce cri doit être la marque du nouveau –né, la


nouvelle exclamation d’un nouveau commencement, une
nouvelle marque, une Re-marque, un nouveau signe de
progrès, une empreinte indélébile du développement
africain débarrassée de tout insecte aptère parasite qui
suce le sang de l’Afrique. « L’intérêt émancipatoire
permet la présence transcendantale d’un moment de
dépassement à l’œuvre à la fois dans l’intérêt technique et
dans l’intérêt pratique (des sciences herméneutiques) ;
dans le premier il cherche à dépasser la puissance aveugle
de la nature non maîtrisée par l’homme, dans le second la
puissance incontrôlée d’une idéologie non percée à jour.
Trois sphères d’objectivation se déploient donc dans
l’histoire (le travail, le langage, la domination ) et d’autre
part la critique se donne la tâche de les dialectiser entre
elles»396. La Critique a donc pour objectif de détruire le
Cri-tiques, le cri des tiques en les anéantissant par la
Critique de la pensée, de la philosophie..

Aujourd’hui, en Afrique, nous sommes bien au cœur


d’un syndrome, celui qui consiste à réagir à l’agitation
culturelle et sociale avec de nouveaux leviers techniques,
la philosophie et la contestation. « En fin de compte , le
rôle de la philosophie est la compréhension critique de la
genèse historique de ces conflits et la médiation qui en
résulte constituera la base d’une réunification qui re-
spiritualisera effectivement ce qui est devenu
incompréhensible »397. Les complexités de la totalité, la
tyrannie des institutions fossilisées montre toute l’ampleur
de la société africaine. La liberté d’être engagé dans un
travail significatif, la liberté de rencontrer les autres, la
liberté d’appartenir au parti politique de son choix sans
être manipulé doivent figurer parmi les actions

396
ASSOUN (P-L) & RAULET (G.), op. cit., p.182.
397
SCHROYER (T.).-Critique de la domination, traduit de
l’américain par Jacques Debouzy (Paris, Payot, 1980), p.26.
358

nécessaires au développement de l’Afrique , de la nouvelle


Afrique. Cette A-frique se doit de porter, comme le
proclamait l’intellectuel béninois Albert Tévodjrè
,«l’intelligence au pouvoir», ainsi que cet autre graffiti de
la révolte de Mai 1968 à Paris « l’imagination au
pouvoir ». Car le constat est amer ; l’homme- africain a
perdu à la fois l’unité de soi et du monde. Il est « sans feu
ni lieu » dans un monde en pleine mutation et se trouve
incapable d’entrer dans ce monde selon son propre
vouloir. Il est un être aliéné, aliéné deux fois: aliéné par la
perte de l’unité du soi ; aliéné par la perte du monde
social, par la perte du cosmos dont il devrait faire partie
intégrante. Il est assujetti à la totale confusion et au hasard
total du tout. La grande masse de la population africaine
est condamnée aux tâches puériles, malsaines et
dangereuses. L’inégalité sociale est grandissante. Comme
le dit Trent Schroyer, « L’interaction sociale devient le
pillage mutuel et la fraude systématique, afin de s’emparer
du produit de l’autre. Le monde de l’homme , dans la vie
selon les normes communes, n’est perçu que comme le
réseau du besoin individuel et de l’intérêt personnel »398.
Dans une telle situation, où pour chaque africain, la lutte
pour la survie fait la loi, où chacun se demande de quoi
sera fait demain, alors que faire ? « Quels sont les
processus capables de créer un système social, dans lequel
développement social et développement individuel
peuvent être réconciliés sans engendrer un système
autoritaire et hautement centralisé »399 ?Il va falloir
interroger des philosophes africains pour avoir des
esquisses de réponses.

398
SCHROYER (T.), op. cit., p.80.
399
SCHROYER (T.), op. cit., p.241.
359

II. I.1.Du concept de révolution radicale de Marcien


Towa.

« Actuellement, l’Afrique est, dans son ensemble,


sous le contrôle d’un système mondial de domination et
d’exploitation. Le capitalisme international s’est imposé à
nos sociétés grâce à sa force physique supérieure qu’il
tire de la connaissance scientifique des éléments et des
processus naturels, et de l’application de cette
connaissance à l’activité militaire et productive. D’autre
part, négriers , colonialistes et néo-colonialistes ont
toujours trouvé dans toutes les populations indigènes des
complices, dirigeants ou hommes du peuple, prêts à
collaborer avec eux moyennant des avantages personnels
immédiats. L’alliance , au niveau social et politique, avec
les forces moralement malsaines, se prolonge, dans le
domaine culturel, par l’encouragement de tous les
éléments qui, dans les civilisations traditionnelles, sont
jugées favorables au renforcement de la domination »400.

Ces aveux de Marcien Towa, montrent que l’Afrique ne


s’appartient pas en propre ; elle est un continent dominé.
Dominé aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur. Il
révèle que la libération des contraintes inhérentes à
l’utilisation des forces productives pour les besoins
sociaux des africains n’est pas suffisante. La lutte
émancipatrice doit permettre à chaque africain de se
libérer des identités- moi pour rechercher le bonheur par
la science . Pour lui, si l’Afrique est confrontée à des
problèmes de misère, il faut rechercher les raisons en
Afrique même et non ailleurs. C’est pourquoi ,Towa veut
remettre en cause le penser africain en dénonçant avec
véhémence les idéologies de la Négritude qui prônent le

400
TOWA (M.).-L’idée d’une philosophie négro-africaine
(Yaoundé,Clé, 1979), p.52.
360

retour aux sources, pour faire advenir au jour ce qui est


déjà mort. Il pense que la Négritude, surtout celle de
Senghor, a favorisé la domination de l’Afrique en
s’assujettissant à l’Occident. La Négritude, à ses yeux,
n’est rien d’autre que « l" idéologie quasiment officielle
du néo-colonialisme, le ciment de la prison où le néo-
colonialisme entend nous enfermer et que nous avons
donc à briser. En Afrique aussi c’est le radicalisme
iconoclaste et non le culte superstitieux et mystificateur de
la différence et de l’essence du soi, qui, paradoxalement
permet de se trouver et d’être soi »401 .

Des auteurs tels que Eboussi Boulaga, Adotévi


Stanislas Spéro Kodjo , Njoh Mouelle Ebenezer ,semblent
affirmer la même chose en ce qui concerne la Négritude.
Ils sont tous unanimes que « le mouvement de la
négritude manifeste aujourd’hui une incapacité d’assurer
son propre dépassement. Il était la référence d’hier mais il
n’est pas la référence véritable d’aujourd’hui. Notre
regard a davantage intérêt à se tourner vers nous-mêmes
désormais qu’à continuer à se promener à l’extérieur, en
quête d’approbation et d’applaudissement »402. Mais la
critique la plus acerbe semble être celle de l’ auteur de ‘’
Négritude et négrologue’’. En effet, Adotévi pense que la
négritude n’a fait que ressasser le passé, en attisant une
sensibilité morbide. Elle a activé les propagandes en
ignorant les vrais problèmes de développement de
l’Afrique .La négritude serait l’opium de la conscience
africaine. « Pour tous les poètes nègres, « Pigments »
confirme cette vérité que la négritude tout entière est désir
d’eunuque, stérilité mobile. Métastase. La réalité, celle qui
appelait la restructuration du monde, est en effet (...),

401
TOWA (M.). –Essai sur la problématique philosophique dans
l’Afrique actuelle (Yaoundé, Clé, 1979), p.47.
402
NJOH –MOUELLE (E.).-Jalons II. L’africanisme aujourd’hui
(Yaoundé, Clé, 1979), p.21.
361

affaire de révolution et non de bouillonnement cosmique.


C’était, à la révolution en Afrique qu’il fallait s’atteler.
Hier comme aujourd’hui et non à polir des vers »403 !

En fait, ce que ces auteurs reprochent à la Négritude


senghorienne, c’est l’idéologie du retour aux sources, la
revendication d’une originalité ainsi que la proclamation
du culte de la différence et son « refus » d’amorcer le
processus révolutionnaire du continent africain. Comme
les philosophies bantoues, la Négritude serait une
prétendue philosophie de l’authenticité. Or, nous dit Towa,
les peuples « qui ont voulu préserver leur originalité, leur
être profond sont en train de se perdre en se perdant
(...)(car) incapables de riposter adéquatement au défi du
temps, succombent sous le poids du passé, s’éloignent de
la scène de l’histoire et deviennent un champ d’action et
d’extension de l’autre »404.

Pour Towa, la solution aux problèmes africains ne se


trouve pas dans les repliements sur soi. Il faut que
l’Afrique accepte de se « vendre » à l’autre pour s’acheter
qualitativement. Cela passe nécessairement par
l’encadrement rapide des élites techniciennes en vue
d’augmenter les capacités économiques et développer les
compétences . Pour cela, Marcien Towa, préconise des
changements institutionnels profonds dans le sens d’un
socialisme assorti de discussions franches et honnêtes et
la liquidation des intégrismes identitaires . Il n’est donc
pas étonnant que Towa prenne effet et cause pour le
socialisme de Nkrumah en affirmant que « Exception
faite du Consciencisme du Dr. Nkrumah, le débat sur la
philosophie africaine a jusqu’ici tourné autour de sa
propre existence et possibilité, de l’aptitude des cultures

403
ADOTEVI (S.K.S), op. cit., p.82.
404
TOWA (M.).-Essai sur la problématique philosophique dans
l’Afrique actuelle (Yaoundé, Clé, 1979), pp.45-46.
362

africaines et des Africains au mode de pensée


philosophique (...) le Consciencisme constitue un
avènement au sens propre ; il marque l’âge philosophique
de l’Afrique moderne. Depuis quelque temps déjà, on se
demandait(...) si une philosophie africaine était possible.
Nkrumah vient de prouver la marche en marchant : le
Consciencisme est un ouvrage de philosophie africaine,
le premier »405.

Il considère que la philosophie africaine commence par


l’auteur du Consciencisme, qui , par ses idées
révolutionnaires , n’a pas accepté l’idéologie de
l’authenticité. En s’appuyant sur le matérialisme de Marx,
Nkrumah a voulu changer l’Afrique par un socialisme
scientifique . Il est vrai que pour Towa, ce dont l’Afrique
a besoin aujourd’hui, c’est la science et la technique .Elle
n’a pas besoin de se cantonner derrière le rideau de la
tradition, du passé. Il pense qu’il faut allumer l’incendie
« dans lequel se consumeraient tous les éléments morts de
nos cultures et se purifieraient leurs éléments vivants, ceux
qui impulsent et accélèrent notre mouvement ascensionnel
au lieu de le freiner ou le dévier »406. Pour lui, comme
pour son compatriote Njoh Mouelle Ebenezer, le retour
aux sources est une banalité, une aliénation intellectuelle
et même culturelle car « on ne retourne pas aux sources
pour y séjourner indéfiniment (...)On n’invente pas une
nouvelle idéologie ou une nouvelle philosophie en
recousant ensemble des morceaux de valeurs empaillées,
ramassées, ça et là, avec en arrière-pensée, le désir de
donner le jour à un socialisme qu’on baptise « Africain ».
Surtout qu’après avoir parlé d’un tel socialisme Africain,

405
TOWA (M.).-‘’Le consciencisme : émergence de l’Afrique
moderne à la philosophie’’ in Abbia (Revue culturelle
camerounaise)(Yaoundé, 1968), n° 20.
406
TOWA ‘M.), Essai sur la problématique philosophique dans
l’Afrique actuelle (Yaoundé, Clé, 1979), p.51.
363

on se montre incapable de le traduire dans les faits en


préférant la solution traîtresse qui consiste à laisser les
monopoles étrangers dominer votre économie »407.

D’ailleurs, le passé n’est pas toujours reluisant pour


toujours y référer avec empressement . «La volonté de
comprendre n’implique pas le refus de juger »408. En cela,
Jean-François Revel, semble rejoindre Towa, lorsqu’il
pense que la révolution du Tiers –Monde , a pour unique
condition qu’eux-mêmes apportent un remède au sous –
développement économique. Or, même ceux d’entre les
pays économiquement faibles, qui ont des ressources, n’y
parviennent pas en raison d’une déficience administrative
et d’une insuffisance de volonté d’encadrement du
personnel et une cohérence dans la gestion, sans oublier un
manque de tradition démocratique . Car, selon lui, la
plupart des pays du Tiers - Monde sont gouvernés
autoritairement, ce qui entraîne l’enchaînement ,
l’incompétence, la dictature, la corruption, les rebellions et
les coups d’Etat. En plus , « les pays du tiers monde sont
presque tous enfoncés culturellement dans le passé, et ils
ont tendance , poussés par l’obsession de retrouver leurs
« racines », à s’y enfoncer encore davantage , et ainsi à
serrer le plus fort possible le frein qui s’oppose à toute
progression : religion, islamique, organisation tribale en
Afrique noire »409.

Pour Revel, la recherche de l’authenticité est un


freinage culturel abêtissant qui augmente les difficultés
de l’Afrique notamment la surnatalité qui fait que le taux
démographique reste largement supérieur au taux de
croissance. Il note que « le nationalisme leur enlève tout

407
NJOH MOUELLE (E.), op. cit., p.18.
408
ARON (R.).-Dix-huit leçons sur la société industrielle (Paris,
Gallimard, 1962), p.29.
409
REVEL (J-F.), op. cit., pp.75-76.
364

esprit critique et les porte à attribuer leurs retards à des


complots. Toute guerre de libération ou de résistance
centuple légitimement le nationalisme , mais une fois
l’indépendance acquise, ce nationalisme conduit à la
xénophobie et au racisme , devient une barrière au
développement et conduit éventuellement à donner des
compensations militaires aux échecs économiques , ce
qui aggrave ces derniers . La manœuvre est d’ailleurs
délicate , pour un chef révolutionnaire dans ces pays, car il
lui faut , afin de réveiller les masses du tiers monde, faire
appel au nationalisme et réveiller les coutumes
traditionnelles »410. Cela est l’apanage des pays sous –
développés africains . Aujourd’hui, encore, des dirigeants
africains, incapables d’assurer le bonheur de leurs
peuples se précipitent à souffler le feu du nationalisme
outré et irrévérencieux. Les crises politiques en Afrique,
notamment au Congo, au Burundi et en Côte d’Ivoire ont
révélé une nouvelle génération de politiciens qui activent
le feu du nationalisme pour combler les insuffisances de
gestion politique et l’incapacité du régime à résoudre les
problèmes quotidiens de leurs peuples . Lorsqu’un
problème surgit, on accuse l’Occident colonisateur et on
voit « une main mystérieuse », la main du Satan, de
l’étranger. Une nouvelle race de dirigeants est née : les
Patriotes. Nous y reviendrons .

Au demeurant, ceux qui estiment que la seule


récréation est dans le passé, et dépeignent
dédaigneusement la culture occidentale, sont
réactionnaires. Car, « Jadis, à la diversité des cultures
répondait l’uniformité des individus à l’intérieur de ces
cultures. C’étaient les cultures qui créaient les individus :
à l’avenir ce sont les individus qui créeront les cultures .
Différentes les unes des autres, les cultures anciennes
fabriquaient des individus qui se ressemblaient.
410
REVEL (J-F), op. cit., p.76.
365

Désormais, et ce processus est commencé aux Etats- Unis,


ce sont les individus qui, en fonction de leurs affinités , se
regrouperont pour créer des cultures qui ne seront plus
totalement conditionnées par le système de production.
Car on oublie un peu trop le despotisme des cultures
traditionnelles, ces prisons qu’étaient le village, la tribu, la
paroisse, la corporation, la famille »411. Certes, toute
civilisation a emmagasiné un héritage énorme d’éléments
culturels. Mais l’évolution de toute société nécessite des
métamorphoses. On ne peut pas changer de société, sans
abandonner une partie de soi, de sa culture , donc de son
être. « L’un des effets de la révolution mondiale doit être
précisément d’affranchir l’individu de l’esclavage culturel
à l’égard du groupe où le hasard l’a fait naître . Elle
aboutira en fait à l’uniformisation planétaire de la société
et à un polymorphisme culturel d’élection et d’invention
à l’intérieur de cette société. Il en résulte que la société
dans laquelle cette révolution a aujourd’hui le plus de
chances de surgir est celle où s’observe ce double
mouvement : la tension entre l’uniformisation socio-
économique et le polycentrisme culturel, un polycentrisme
culturel provenant de la multiplicité des initiatives et non
pas de la juxtaposition de croyances traditionnelles et de
coutumes ancestrales imposées aux individus »412.

Ces remarques révèlent, nous dit Towa, le sens


profond du combat pour la libération de l’Afrique. Ce
combat doit « viser l’émergence d’une Afrique prospère,
puissante et auto-centrée, une Afrique formant un centre
autonome de besoins et d’aspirations , d’expression , de
conception, de décision et de réalisation sur les plans
politique, économique et culturel . Tel est le sens de la
révolution qu’il s’agit d’opérer. L’impérialisme
n’épargnera aucun effort pour l’empêcher et nous ne

411
REVEL (J-F), op. cit., p.86.
412
REVEL (J-F), op. cit., pp.86-87.
366

devons nous épargner aucun sacrifice pour l’imposer»413


.Mais, comment peut-on faire une révolution, si on est
attaché foncièrement à un passé infranchissable, si on est
obnubilé par la peur du futur ? Qu’est-ce qu’une
révolution sans changement radical , dans une société
désagrégée par le passéisme culturel et coutumier, alors
que toute révolution est nécessairement engagement de
l’être entier, invention d’une nouvelle culture, abandon
d’une partie de soi-même ? « C’est ce que ne
comprennent pas de nombreux dirigeants du tiers monde
, qui croient que des crédits et une assistance technique
injectés dans la société traditionnelle devraient suffire à
provoquer le démarrage économique. Ce démarrage
supposerait une métamorphose politique , et non pas
seulement une singerie de révolution , d’ordinaire simple
coup d’Etat militaire placé pour les besoins de la phase
sous l’appellation socialiste . L’originalité culturelle ne
consiste pas à réchauffer le passé. Certes le monde de
demain ne devra pas uniformiser tous les genres de vie .
Une diversité d’un type nouveau devra y renaître , mais
une diversité qui ne résultera plus de la dépendance à
l’égard d’une tradition , pittoresque pour ceux qui la
regardent de l’extérieur , mais figée pour ceux qui la
vivent . La diversité future résultera au contraire de la
liberté et de l’invention : elle fera l’objet d’un choix vrai
et non d’un spectacle touristique . Il ne s’agira pas de nier
le droit à l’originalité culturelle , bien au contraire, ni le
droit à la diversité des cultures et des genres de vie .
Mais le raisonnement qui consiste à dénoncer
l’uniformisation de la civilisation technique au nom des
cultures traditionnelles ou des genres de vie hérités de
systèmes de production et d’organisation sociale
anciens me paraît erroné »414.

413
TOWA (M.).-L’idée d’une philosophie négro-africaine (Yaoundé,
Clé, 1979), p.54.
414
REVEL (J-F), op. cit., pp.82-83.
367

Il n’est donc pas étonnant que , pour amorcer le


développement de l’Afrique, Towa énonce l’idée d’une
« révolution radicale ». Selon lui, seule la révolution peut
résoudre les problèmes de l’Afrique . Cette révolution
n’est pas seulement politique, mais elle doit être culturelle
et sociale . Le départ de cette révolution commence par
l’enterrement quasi- total des idéologies de la Négritude
et des philosophies bantoues. Towa pense que la
révolution africaine doit d’abord commencer par la
pensée. C’est pourquoi, il réfute la Négritude et les
philosophies bantoues qu’il qualifie d’ethnophilosophie,
c’est-à-dire une discipline qui n’est ni véritablement
ethnologique, ni véritablement philosophique .Pour lui,
ces idéologies ne sont pas de la philosophie , et si la
philosophie africaine existe, elle doit se définir autrement.

Towa dénonce « cette philosophie bantoue » car elle se


résigne dans le particularisme et la spécificité . Pour lui, la
notion de philosophie bantoue est un truisme car on ne
saurait parler de philosophie collective étant donné que ce
qu’un philosophe propose, c’est un débat contradictoire
libre sous le contrôle de l’esprit critique . La philosophie
bantoue, cet avatar de la négritude est une philosophie
populaire, si cette expression a encore un sens, dans la
mesure où « La philosophie populaire recherche moins la
pénétration intellectuelle que l’édification par
l’enthousiasme enflammé par le beau, le sacré ou la
religion . Elle croit trouver dans ce zèle brûlant un
raccourci vers le vrai , lui épargnant de suivre le long
chemin de culture philosophique , le mouvement riche et
profond à travers lequel seul l’esprit parvient au savoir .
Le résultat décevant en est en fait la présomption d’idées
toutes faites qu’on n’estime pas utile de soumettre à la
discussion (...).Le recours au sens commun, à la pureté de
la conscience ou à l’innocence du cœur comme
368

fondement ultime des ‘’vérités avancées’’ par la


philosophie populaire ruine en fait toute possibilité de
dialogue et d’accord entre les hommes »415.

La philosophie africaine existe, à condition que les


auteurs africains fassent une critique sans complaisance
de leurs cultures au lieu de s ‘ébaudir dans le culte de la
différence. Si nous avons été vaincus par l’Occident, c’est
certainement parce que nos cultures ont de redoutables
lacunes . Il s’impose alors en nous, de façon impérative,
une action plus énergique et plus profonde .Pour échapper
à l’impérialisme européen, Marcien Towa préconise à
l’Afrique de « se nier pour s’approprier le secret de la
puissance européenne »416. La civilisation de l’Universel
étant un projet, « il faut aller apprendre chez eux l’art de
vaincre sans avoir raison »417. Pour lui, le chemin du
bonheur de l’Afrique passe par l’Occident, par
l’appropriation du secret de l’occident, de leur arme
miraculeuse qui est « la nécessaire médiation conduisant
à une réelle affirmation de nous-mêmes dans le monde
actuel »418. Voilà où semble se trouver le couac de la
pensée de Towa.

II.I.2.Jidenu Paulin Hountondji : de l’idée d’une


philosophie africaine à la proclamation d’une philosophie
européenne

Paulin Jidenu Hountondji fait partie de ceux qu’on


appelle « les philosophes » africains, notamment à cause
de ses prises de positions politiques et de ses nombreuses
recherches et publications sur le devenir de la philosophie

415
TOWA (M.).- Essai sur la problématique philosophique dans
l’Afrique actuelle (Yaoundé,Clé, 1979), pp.64-65.
416
TOWA (M.), op. cit., p.42.
417
KANE (C..H).-L’aventure ambiguë (Paris, Julliard, 1961), p.45.
418
TOWA (M.), op. cit., p.42.
369

en Afrique. Dans son ouvrage le plus célèbre, Sur la


philosophie africaine. Critique de l’ethnophilosophie, il
s’évertue comme l’indique le titre de son ouvrage, à
critiquer l’ethnophilosphie comprise comme les
philosophies bantoues et la Négritude. Même s’il écrit le
mot « ethnophilosophie » en un mot, contrairement à
Towa qui l’écrit en deux mots « ethno-philosophie », force
est de reconnaître que la pensée de Hountondji n’est pas
foncièrement éloignée de celle de Towa .Il pense que
depuis la célèbre Philosophie bantoue de Tempels, il y a
eu une quantité de prises de position antagonistes sur ce
problème . Selon lui, de nombreux travaux ont essayé de
démontrer l’existence d’une philosophie africaine
comprise comme une vision du monde collective ,
différente de la pensée occidentale en général, ou alors
l’existence de philosophies africaines , de philosophies
collectives propres à différents sous-groupes , telle que la
philosophie yoruba, la philosophie diola la philosophie
luba, etc. Puisque ce débat n’est toujours pas clos, il fallait
qu’il donnât son point de vue pour éclairer les lanternes
de ceux qui croient encore qu’il faut se laisser obnubiler
par notre passé pour activer une philosophie morte, peut-
être même inexistante. Pour Hountondji, le but de Tempels
était exclusivement de trouver une nouvelle méthode
d’évangélisation et de colonisation par la mise en édition
de la philosophie bantoue.

Cependant, lors d’une table ronde sur les philosophies


africaines, Hountondji reconnaît « qu’il est important de
remarquer que le problème de l’existence ou de la non –
existence de la philosophie africaine renvoie de toute
nécessité au problème de la nature de la philosophie en
général. Il est important de noter que la thèse
ethnophilosophique se fonde sur une certaine idée de la
philosophie , qu’en général l’ethnographe lui-même ne
prend pas la peine d’expliciter, d’élucider. Il est clair que
370

l’affirmation , la thèse selon laquelle il existe une


philosophie africaine repose sur une certaine idée de la
philosophie . Elle implique en effet que l’on ait le droit de
nommer philosophie un système de pensée collectif plus
ou moins spontané . C’est un peu contre cette idée que se
sont élevées les critiques de l’ethnophilosophie »419.

Mais après avoir critiqué la philosophie bantoue et la


Négritude considérée comme de l’ethnophilosophie, que
nous propose Hountondji ? Qu’appelle-t-il Philosophie
africaine ? La réponse de Hountondji est pleine
d’ambiguïté. « J’appelle, dit-il, philosophie africaine un
ensemble de textes : l’ensemble, précisément, des textes
écrits par des Africains et qualifiés par leurs auteurs eux-
mêmes de philosophiques »420. Dès lors la philosophie
africaine n’est- elle pas devenue une géophilosophie ?
Hountondji s’en défend sans convaincre. Pour lui, à la
conception ethnologique de la philosophie africaine , il a
donc proposé d’en substituer une autre : la philosophie
africaine , c’est la littérature philosophique africaine . Il
prétend que « ce n’est pas à proprement parler une
définition. C’est une caractérisation encore externe de
l’objet à définir, ayant pour effet d’en déterminer le
genre, en attendant de pouvoir en préciser la différence
spécifique. Cette caractérisation est polémique : elle
écarte d’emblée l’idée d’une philosophie implicite ,
silencieuse, latente, et rappelle brutalement , par delà les
spéculations ethnologiques, à l’évidence, à vrai dire
élémentaires, qu’il n’y a de philosophie que dans et par le
discours»421. Il reconnaît que sa définition de l’Africanité,
419
HOUNTONDJI (J. P.).-‘’table ronde sur les philosophies
africaines’’ in Recherche, Pédagogie et culture, la philosophie en
Afrique, (Paris, AUDECAM, 1982), P.9 , n°56.
420
HOUNTONDJI (J.P.).- Sur ‘’la philosophie africaine’’, Critique
de l’ethnophilosophie (Paris, Maspéro, 1977), p.
421
HOUNTONDJI (J.P.).-‘’Que peut la philosophie ? (Paris, Présence
Africaine),p.49, n°119.
371

comme celle qu’il propose de la philosophie et donc de la


philosophie africaine est polémique mais que l’instance du
texte est incontournable car la philosophie comme projet
est un avatar du discours . En définissant la philosophie
africaine comme un ensemble de textes, il pense n’avoir
fait que rappeler , par delà les élucubrations d’une
anthropologie métaphysique faisant feu de tout bois et
tirant prétexte des thèmes les plus récents de la
philosophie occidentale. Pour lui, il ne faut pas la figer en
l’identifiant à un contenu culturel, religieux ou
idéologique déterminé, en la rivant à un être-là fini, en la
faisant prisonnière d’elle-même.

Mais qu’entend-il par Africain ? Selon lui, il n’y a pas


de vrai africain et de faux africain, de vrai béninois et de
faux béninois, de vrai ivoirien et de faux ivoirien. Il
s’oppose aux revendications de type nationaliste. Pour lui,
l’Africain , « c’est tout simplement quelqu’un qui se
rattache , par son ascendance biologique, à cette portion
de monde qu’on appelle l’ Afrique , qu’il soit par ailleurs
croyant ou athée, pieux ou impie envers les ancêtres ,
patriote ou politiquement inconscient, révolutionnaire ou
réactionnaire , etc. L’Afrique comprise comme un concept
géographique , c’est la possibilité reconnue d’une
pluralité de valeurs concordantes ou discordantes , le lieu
de contradiction multiples engendrant par leur
mouvement, le mouvement même de l’histoire . Il fallait
donc commencer par démythifier l’africanité en la
réduisant en fait- le fait tout simple , et, en soi,
parfaitement neutre, de l’appartenance à l’Afrique- en
dissipant le halo mystique de valeurs arbitrairement
greffé sur ce fait par les idéologues de l’identité africaine .
Il fallait , pour penser la complexité de notre histoire ,
rendre à sa simplicité originaire le théâtre de cette histoire
et, pour penser la richesse des traditions africaines ,
appauvrir résolument le concept d’Afrique, le délester de
372

toutes les connotations éthiques, religieuses,


philosophiques, politiques, etc., dont l’avait surchargé une
longue tradition anthropologique , et dont l’effet le plus
visible était de fermer l’horizon, de clore prématurément
l’histoire »422.

Hountondji pense que la philosophie africaine doit


s’engager dans d’autres directions et non dans celles
antérieurement tracées, celles de la Négritude et des
philosophies bantoues. Il veut que la philosophie africaine
soit une philosophie de l’engagement et de la praxis. Il
faut que le philosophe africain dénonce les dictatures
africaines, s’incarne dans les masses, transforme le réel.
En fait, il semble militer pour une philosophie marxiste et
althussérienne pour le développement de l’Afrique. « Le
philosophe africain ne peut pas non plus ignorer cette
évolution. C’est pour tenter d’en tirer les leçons que je
me suis risqué naguère, en m’inspirant des enseignements
d’Althusser , à définir la philosophie comme une théorie
de la pratique scientifique , théorie dont le développement
dépend , à ce titre , du développement réel des
connaissances scientifiques »423.

Cependant, et contrairement à Towa, Hountondji ne


semble pas adhérer à la réflexion du’’ Consciencisme ‘’ de
Nkrumah qu’il considère d’ailleurs comme un idéologue.
Pour lui, les doctrines de Nkrumah sont arbitraires ,
notamment les réponses qu’il apporte aux problèmes de la
nature dernière, de l’origine de l’être ainsi que la
correspondance biunivoque qu’il prétendait établir entre
les diverses figures du discours philosophique et les
figures du discours politique. Il montre que tout au long du
Consciencisme, on « voit Nkrumah se débattre dans une
contradiction visiblement insurmontable. L’impossible

422
HOUNTONDJI (J.P.), op.cit., p.52.
423
HOUNTONDJI (J.P.), op. cit., p.64.
373

synthèse entre le matérialisme et la croyance religieuse,


l’incohérence d’un système qui prétend concilier le
matérialisme et le théisme- cette fine fleur de l’idéalisme
– et aboutit, de ce fait, à un éclectisme , voilà où mène
l’effort têtu de Nkrumah pour fonder métaphysiquement
sa politique . La raison dernière de ce cul- de –sac
théorique, c’est que le leader ghanéen admettait, d’une
part, que tout projet politique appelait nécessairement un
fondement philosophique , lequel ne pouvait résider , dans
le cas d’un projet politique révolutionnaire , que dans le
matérialisme ; et que d’autre part, il se croyait obligé , par
respect pour la tradition culturelle africaine du moment,
d’admettre la possibilité et la légitimité de la foi
religieuse .La seule solution véritable eût été,
(...)d’évacuer le problème lui-même en tant que faux
problème , d’interroger courageusement et, finalement ,
de répudier l’hypothèse tacite d’une profondeur
métaphysique du politique , d’admettre qu’une position
politique requiert des justifications politiques, au sens le
plus large et le plus compréhensif du terme, et non de
justifications philosophiques »424 .

Si Hountondji réfute l’ethno-philosophie comme


support du développement africain ; s’il pense que le
‘’Consciencisme’’est une idéologie, voire un
‘’idéologisme’, alors qu’est-ce que la philosophie africaine
et que peut la philosophie en Afrique ? Pour lui, la
philosophie africaine doit s’appuyer sur la philosophie
européenne. Elle doit se définir comme une réflexion sur
la logique des sciences , sur les conditions de leur
constitution et de leur développement , sur les rapports
théoriques et historiques qu’elles entretiennent ; bref,
elle doit être « la philosophie comme théorie de la
science au sens le plus large de l’expression , peut
aujourd’hui jouer un rôle considérable en éclairant d’une
424
HOUNTONDJI (J.P.), op. cit., p.62.
374

lumière nouvelle le problème , désormais classique, de la


contribution de la science et de la technologie au
développement de nos sociétés »425.

En résumé, quel que soient les réponses que Hountondji


donnera aux différentes critiques qui lui seront adressées
par, d’une part , Olabiyi Babalola Yaï, et d’autre part, par
Niamkey Koffi et Abdou Touré, force est de reconnaître
qu’il reste tributaire de la philosophie européenne et que
la
philosophie en Afrique doit pouvoir s’identifier à la
science et à la technologie . Dans ce cas, si Towa et
Hountondji reprochent à l’ethnophilosophie de susciter et
de proclamer le culte de la différence et de l’originalité, il
faut aussi dire que ces deux auteurs semblent , à leur tour ,
proposer à l’Afrique, le culte de l’occidentalisme et de
l’élitisme . Tels sont les reproches qui leur ont été faits
par certains auteurs critiques africains .

II.II. De la libération de la différence à la


problématique des idéologies identitaires : l’entre-deux
de la philosophie africaine.

II. II.1. De la contre-contestation critique

Le reproche qu’on fait à Towa et à Hountondji, est


celui de vouloir occidentaliser la pensée, le savoir et même
la culture. On reproche à Towa et à Hountondji de vouloir
faire phagocyter la culture africaine par la culture
occidentale . « Tout porte à croire que pour améliorer la
qualité matérielle et surtout spirituelle de la vie, il faut
nécessairement s’occidentaliser , recourir ou simplement
se résigner au reniement de soi pour accéder à
l’assimilation qui détruit tous efforts d’invention en
détruisant les chances e l’invention dans la perspective
425
HOUNTONDJI (J.P.), op. cit., p.65.
375

d’une vie plurale. L’ethnocentrisme de l’Occident qui est


la ligne maîtresse de notre temps objective les autres
peuples en niant leur substantialité pour les appréhender
en tant que phénomènes »426.

Il est vrai que Towa et Hountondji aient raison de dire


qu’il faut exorciser la hantise de l’originalité et de la
différence, mais à vouloir devenir l’autre, on risque de se
perdre en perdant l’autre. On risque de ne rien devenir en
fin de compte . Si la révolution radicale doit être un
emprunt occidental, elle n’a rien de révolutionnaire car la
révolution consiste à transformer la réalité et non à
« faire comme ». La révolution a d’abord besoin d’un
socle, d’une base existante. «Et cette base est
indispensable : pour aboutir au cerveau, il faut bien
disposer d’abord de la cellule nerveuse »427. Or, Towa va
même à réclamer pour l’Afrique une philosophie
occidentale, disons la philosophie hégélienne dans la
mesure où selon lui, il n’y a pas une philosophie africaine
commune et immuable , il conclut que « la question de
savoir si nous avons ou non une philosophie , doit être
résolument subordonnée à l’examen impartial et au
jugement objectif de la valeur intrinsèque de la
philosophie au sens européen du terme, et du rôle qu’elle
est susceptible de jouer relativement à notre dessein
fondamental »428. Du côté de Hountondji, il semble
préconiser la philosophie althussérienne à prédominance
scientifique.

La philosophie préconisée par Towa et Hountondji est


donc une philosophie européenne. Alors que nous
apportent-ils de neuf ? Quelle révolution radicale veulent-

426
KOUASSIGAN (G.A).-Afrique : Révolution ou diversité des
possibles (Paris, L’Harmattan, 1985), p.55
427
REVEL (J-F), op. cit., p.120.
428
TOWA (M.), op. cit., p.5.
376

ils nous imposer ? N’est-ce pas là une réaction ? Towa


n’est-il pas de mauvaise foi lorsque dans son essai, il
explique les bavardages de Hegel sur l’Afrique ,
notamment dans La Raison dans l’histoire et les Leçons
sur l’histoire de la philosophie ? Towa ne justifie-t-il pas
ici les insultes de Hegel à l’endroit de l’Afrique quand il
préconise cette philosophie ? Towa ne serait-il pas un
adepte de la philosophie de l’histoire hégélienne ?

On sait que pour Hegel, n’ont valeur en tant


qu’individus que les personnages de « l’histoire du
monde » qui accomplissent les grands desseins généraux
de l’histoire universelle et représentent un esprit populaire
appelé à dominer ou une idée qui prend à bras le corps
l’universel. Napoléon était pour Hegel, l’un de ses
personnages. En ce qui concerne Towa, il semble que
Nkrumah semble bien remplacer Napoléon. Car, Nkrumah
et Napoléon ont ceci de commun : ils sont tous deux des
hommes d’État, dit-on visionnaires. Quant à Hountondji
dont l’idole est Althusser, il a en commun avec Amo, « le
savoir », puisqu’ils sont tous des « docteurs ès
philosophie ». Pour Towa, comme dans la philosophie
hégélienne, le phénomène fondamental de la vie
historique, c’est la transformation , le changement
continuel des peuples , des États, des individus , la
naissance et la disparition , l’essor et le déclin, la
construction et la destruction . Rien n’est constant.
L’action et la souffrance sont les éléments dominants de la
vie . L’histoire serait ce ‘’tas de décombres confus’’ et un
‘’abattoir’’ où est sacrifié le bonheur des nations , des
États et des individus . Point n’est besoin ici de faire le
développement de la théorie de l’histoire hégélienne, mais
il faut reconnaître que chez Hegel, le rôle de la
philosophie est de savoir comment il faut se comporter
dans la société des hommes . On ne peut se tirer d’affaire
en fuyant les problèmes qui se posent aux hommes . Se
377

dérober au problème posé, c’est déjà l’abandonner. Il faut


donc aborder les problèmes de manière radicale dans
toute leur radicalité. Et Hegel y entre à fond en ayant
recours à l’unique philosophie . La philosophie doit avoir
une attitude de défense et d’attaque en alternant l’espoir et
le désespoir. Dans un tel cas, la révolution devient
l’ébranlement des choses. « On peut maintenant
comprendre en quel sens Hegel juge que la liberté de la
Révolution est la forme présente devenue universelle, de
la liberté métaphysique originaire de l’être- soi et conçoit
ainsi que la révolution est elle-même une situation
capitale , une époque décisive de l’unique histoire
universelle , dont le principe est connu et spirituellement
conservé dans la tradition de l’unique philosophie »429.

En critiquant l’ethnophilosophie, Towa et Hountondji


ne sont –il pas eux-mêmes des ethnophilosophes ? Car
l’Afrique n’est pas une terre vierge. La philosophie, pour
s’affirmer et s’affermir , aujourd’hui , en Afrique, doit
rencontrer les prétentions d’une certaine ethnologie au
moins . Elle sera donc historique , puisqu’il faut
comprendre d’où viennent ces prétentions , puisqu’il faut
déterminer les limites d’un savoir et en préciser les tâches
spécifiques . Il est vrai que l’intention de Towa et même
celle de Hountondji, dans leur examen critique de ce qu’ils
nomment ethno-philosophie , peut être acceptable, surtout
lorsqu’ils affirment qu’une tradition culturelle n’est pas
en elle - même une philosophie et que pour assurer le
Devenir de l’Afrique, l’exercice d’un libre examen de
l’esprit est indispensable et qu’à confondre tradition et
philosophie, à penser qu’une philosophie implicite existe
une fois pour toutes dans les mœurs et les coutumes
africaines , on risque de manquer le sens et la valeur de
ces coutumes, on oublie également le sens et la valeur de

429
RITTER (J.).-Hegel et la révolution suivi de personne et propriété
selon Hegel (Paris, Beauchesne, 1970), p.42.
378

la philosophie et on offre à l’Afrique un passé sans


histoire, un devenir sans avenir.

« Et pourtant, nous dit Jacques Moutaux, la


philosophie ne peut croître et prospérer en Afrique sans
prendre en compte le passé de l’Afrique . Car la
philosophie, étant débat où l’individu prend ses
responsabilités , ne peut pas être un produit d’importation
,comme des produits de consommation , tels que le coca-
cola , ni même comme une technique quelconque –
agricole ou chirurgicale , par exemple . Si la philosophie
est indispensable pour que l’Afrique se donne un avenir,
il faut que l’Afrique se donne elle-même sa philosophie .
Parce qu’ils pensent que le destin de l’Afrique devra
quelque chose à la philosophie , les philosophes d’Afrique
doivent prendre la responsabilité de la philosophie
africaine , étant bien admis que la philosophie ne peut
jamais cependant perdre de vue le nécessaire et
l’universel. L’opposition de la philosophie à l’ethno-
philosophie, opposition de principe, ne peut donc pas
présenter le caractère sommaire d’une contradiction
brutale »430. Par ailleurs, si on veut parler de la philosophie
africaine, il faut d’abord que la raison philosophique elle-
même se fasse africaine pour devenir universelle . Il faut
aussi accepter que les philosophies modernes, comme les
choses vivent et meurent, éclairent ou laissent sans traces
selon ce qu'elles ont conçu et aperçu de la formation
d'une communauté universelle. Il faut comprendre que
« Les philosophes anticipaient. Ce qu’ils concevaient,
rêvaient, annonçaient se produit et continue de se produire.
La communauté humaine n’est plus seulement une idée ;
elle est un fait, qui ne ressemble pas à tout ce que les
philosophes en disaient ou espéraient, mais un fait : les

430
MOUTAUX (J.).-‘’Philosophie, ethnologie, ethno-philosophie’’ in
Cahiers philosophiques (Paris, Centre national de documentation
pédagogique, décembre 1986), n°29, p.65.
379

historiens aujourd’hui l’attestent »431 .C’est ainsi que la


critique de Olabiyi Babalola Yaï vient à point nommé.

II.II.1.1. Olabiyi Babalola Yaï

Dans un article virulent, publié chez Présence africaine


et intitulé ’’Théorie et pratique en philosophie africaine :
misère de la philosophie spéculative’’, Babalola Yaï
dénonce l’occidentalisme et l’élitisme de Towa et de
Hountondji. Dans son intention de faire une analyse
concrète dans une situation concrète (il cite Lénine), Yaï
reconnaît le mérite de Towa et de Hountondji d’avoir écrit
un ouvrage dans cette grisaille des productions
intellectuelles africaines. Il commence en pastichant
Hampaté Bah, ce sage africain dont le mérite est de
valoriser les traditions orales africaines tout en
reconnaissant que l’Afrique a besoin de s’ouvrir à l’Autre
tout en étant elle-même. Pour ce sage africain, le monde
n’est beau que parce qu’il est pluriculturel. N’est-ce pas
que la beauté d’un tapis dépend de la variété de ses
couleurs ? Yaï ne cite donc pas cet écrivain émérite
innocemment. En le faisant, il veut d’emblée, inviter Towa
et Hountondji à réfléchir aux propos de ce sage africain,
en analysant que les cultures africaines ont encore leur
place dans le microcosme culturel. Yaï écrit : « Si le sage
Amadou-Hampaté Bâ a pu écrire qu’en Afrique, chaque
vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle, on peut
tout aussi bien dire, avec la fierté de paraphraser un sage,
qu’en chaque livre qui paraît (d’un africain s’entend), c’est
l’Afrique qui renaît , ou se meurt. Car un (nouveau) livre
est toujours un événement dans la conjoncture
intellectuelle aride de nos douloureuses Républiques
d’Afrique »432.

431
MOUTAUX (J.), op. cit., p.82.
432
YAI (O. B).-‘’Théorie et pratique en philosophie africaine.
Misère de la philosophie spéculative(Critique de P. Hountondji , M.
380

Il pense que les intellectuels africains actuels, dits


‘’modernes’’ ne font des productions littéraires que pour
avoir des diplômes ou des promotions , alors que ceux
d’hier , les intellectuels ‘’traditionnels’’ écrivaient pour les
besoins de la cause africaine à la grande stupéfaction du
colonisateur . Ici, l’auteur en louant les mérites de Towa et
de Hountondji, n’oublient certainement pas leurs
devanciers , ceux justement, qu’ils ont critiqués en
considérant leurs pensées d’ethnophilosophie . Pour Yaï,
si les intellectuels africains, au moment de la colonisation,
ont écrit des ouvrages, les intellectuels post-
coloniaux,« sauf exceptions, nos nouveaux lettrés et les
universités que nous avons sont autant de machines à en
répéter le modèle- n’ont pas de contact avec
l’intelligentsia « traditionnelle ». Ils ne s’inscrivent pas
dans une tradition contre laquelle ils peuvent se révolter .
On ne peut donc dire qu’ils sont en situation de
révolutionner quoi que ce soit . Peu dédaigneux des
avantages matériels que leur offre la société dite de
consommation , ils sont enclins à en colporter les
sécrétions intellectuelles et culturelles en général sans
l’effort préalable de digestion. Dans ce sens, ils méritent
bien l’appellation de lumpen - intelligentsia. C’est
précisément parce que la lumpen –intelligentsia ignore les
traditions intellectuelles d’Afrique qu’elle participe de / à
la nouvelle trahison des clercs »433.

En s’adressant à Hountondji, Yaï reconnaît que son


ouvrage ‘’ Sur « la philosophie » africaine’’ a le mérite
d’exister ; il est bien écrit même s’il suscite bien des
murmures . Mais que leur reproche-t-il véritablement ?
D’abord , leur formation intellectuelle et les maisons

Towa et autres), in cahiers philosophiques , (Paris, Centre national


de documentation pédagogique, 1986), P.65 , n°29.
433
YAI (O. B.), op. cit., p.66.
381

d’édition qui les publient. Yaï les accuse d’être sortis de


l’école occidentale et d’avoir pour référence
philosophique, Marx, Althusser, Hegel. Pseudo-
révolutionnaires, « ils aiment à se faire passer pour
« iconoclastes- révolutionnaires », label que vient
renforcer le choix des éditeurs réputés libéraux ou de
gauche (Clé, Maspero) qui publient leurs ouvrages,
lorsqu’ils sont francophones »434. Ensuite, il les qualifie de
« nationaliste », de ‘’ philosophes spéculateurs –
abstraits’’ ; comme tels, « leur conception aristocratique
de la philosophie apparaîtra alors comme le geste
nécessaire à l’émergence d’une idéologie qui permet au
philosophe africain d’entériner ou même de conforter la
hiérarchisation actuelle des sociétés africaines néo-
coloniales , tout en lui permettant de produire un discours
de gauche sans praxis correspondante , ou au pire avec
une praxis de droite »435.

S’adressant à Towa, qui pose la question : existe-t-il


une philosophie africaine ? Yaï pense qu’une telle
question est idéologique dans la mesure où elle ne peut
venir que d’une éminence. En posant une telle question,
Towa en savait déjà la réponse étant donné qu’en posant
comme donnée première la philosophie européenne,
promue à la dignité de philosophie tout court et qu’on
intime à la philosophie africaine hypothétique l’ordre de
s’y conformer pour être ‘’une philosophie’’, on s’aperçoit
alors que la réponse est loin d’être innocente et la réponse
loin d’être objective . La méthode de Towa n’est donc pas
scientifique ; elle est subjective et arbitraire car, « Poser ,
à partir d’une définition nécessairement culturelle de la
philosophie, la question d’existence de la philosophie
africaine , comme de toute autre discipline, c’est
renouveler l’intolérante interrogation du personnage de

434
YAI (O.B.), op. cit., p.69.
435
YAÏ ,Ibidem.
382

Montesquieu : « Comment peut-on être persan ? ». Il faut


convenir qu’il s’agit là d’une interrogation idéologique,
une interrogation digne d’ethnologues, qu’on n’hésiterait à
qualifier d’ethnocentristes si elle n’était le fait
d’Africains »436.Au demeurant, la question de la
philosophie africaine est une non –question car, elle est
une affirmation déguisée, une négation affirmée de la
philosophie africaine.

Quant à Hountondji, Yaï pense que ce dernier se


réfugie commodément dans la géographie en fuyant le
débat sur le contenu de la philosophie africaine . « La
définition de Hountondji est insuffisante en ce qu’il
suffit d’être né en Afrique et d’écrire des textes à
intention philosophique pour être philosophe africain .
Ainsi n’importe quel individu spécialiste de Spinoza ,
Kant, ou Wittgenstein , pourvu qu’il soit né en Afrique ,
est un grand philosophe . A ce train, et avec un peu de
générosité , Alexandre Dumas et Pouchkine seraient
également des écrivains africains. Eh bien que non, le
critère géographique conduit à une imposture »437. De
plus, il ne suffit pas comme le prétend Hountondji d’écrire
des textes dits philosophiques, pour se considérer comme
philosophe . La qualification au titre de philosophe doit se
faire sur des critères hautement sérieux. Les critères que
donne Hountondji seraient des critères élitistes .

Ainsi , le critère que semble proposer Yaï est celui de


la pertinence du discours philosophique par rapport au
sort et aux luttes des peuples africains . An nom de cette
pertinence, nos deux auteurs devraient comprendre que
toute philosophie naît d’un père ; une philosophie, venue
au jour, emprunte toujours le chenal d’un individu ou d’un
groupe. On ne saurait donc parler de philosophie

436
YAÏ (O. B), op. cit., p.70.
437
YAÏ, op. cit., p.71.
383

collective d’une part, et de philosophie tout court, d’autre


part. Les deux auteurs le savent bien ; eux, qui empruntent
leurs théories à Hegel , Marx , ou Althusser. Du reste, les
traditions africaines sont nées des philosophies
individuelles avant d’être considérées comme des
philosophies explicites . Aussi, convient-il de noter que
les proverbes africains que disqualifient Towa et
Hountondji comme discours philosophiques à cause de
leur concision , ne seraient en réalité que l’aboutissement
sous une forme rythmique et poétique, d’un long
développement parfois philosophique . « À telle enseigne
que ces philosophies deviennent « anonymes » et peuvent,
le temps et la pratique sociale y aidant, se transformer en
véritables idéologies et donner l’impression à
l’observateur averti ou de mauvaise foi, ou au philosophe
abstrait qui n’utilise que les données ethnographiques de
deuxième main, qu’il est en présence d’une « philosophie
collective » »438.

En fait, Yaï dénonce l’eurocentrisme et l’élitisme des


deux auteurs africains en montrant qu’ils sont des africains
aliénés, justement parce qu’ils sont des assimilés, sortis de
l’école occidentale . Leur élitisme, leur philosophisme et
leur scientisme ne leur ont pas permis de voir la réalité des
problèmes africains. « Cesserons-nous enfin d’être
complices et victimes de ce qu’il convient désormais
d’appeler l’idéologie européenne, c’est-à-dire de l’illusion
qu’entretient partout l’Europe, qu’elle est comme le droit
divin , la conscience rectrice du monde ? Le théoricisme
peut mener également vers cette douce mitoyenneté entre
la chaire universitaire et le strapontin politique, position
confortable qui permet au philosophe d’avoir une praxis
de droite et un discours de gauche . Position qui,
objectivement en tout cas fait de lui, en attendant mieux,

438
YAÏ (O.B), op. cit., p.76.
384

« le commis du groupe dominant pour les fonctions


subalternes de l’hégémonie » (Gramsci) »439.

En définitive, ce que l’on peut retenir de la pensée de


Olabiyi Babalola Yaï, c’est la critique de l’élitisme et
d’occidentalisme de Towa et de Hountondji. Il leur
reproche de ne pas prendre effet et cause pour leur
continent, le continent africain, en montrant la domination
de l’Europe sur l’Afrique. Intellectuels aliénés, ils ne sont
pas révolutionnaires, mais réactionnaires , parce qu’
insoucieux des vrais problèmes de leur continent, et
candidats à l’assimilation et à l’appropriation de l’Afrique
par l’Europe . Tels son aussi les reproches adressés par
Niamkey Koffi à l’endroit de Towa et de Hountondji .

II.II.1.2.Niamkey Koffi

Dans le débat sur les ‘’controverses sur l’existence


d’une philosophie africaine’’, Niamkey Koffi tente de
démontrer ‘’l’impensé de Towa et de Hountondji’’. De
son propre aveu, sa contre- contestation des pensées de ces
deux auteurs est purement d’ordre philosophique. Comme
Aristote qui disait à son ami Platon qu’il préférait la vérité
à l’amitié, Niamkey Koffi affirme d’entrée de jeux que,
parce que toute critique porte en creux une heuristique
qui permet le progrès du savoir, « qu’on ne juge donc
pas cette correction de tir qu’est cet ensemble de
réflexions critiques comme prenant pour cible un Towa
ou un Hountondji que par ailleurs nous admirons. Notre
attitude critique ne doit pas , pour des raisons de solidarité
historique, se développer essentiellement en direction de
l’Occident, au risque de demeurer l’expression viscérale
d’une agressivité par ailleurs justifiée. Instaurer un débat
interafricain nous gagnerions à corriger les bévues et les
myopies intellectuelles des uns et des autres en vue d’une
439
YAÏ (O.B), op. cit., p.84.
385

renaissance culturelle africaine non hypothéquée ni par le


dogmatisme ni par l’obscurantisme. Sapere Aude ! »440.

Les propos de Niamkey Koffi sont bien clairs : il pose


le débat de la philosophie africaine sous l’angle de la
‘’renaissance de la culture africaine’’ . Dès lors , il voit la
philosophie africaine et la philosophie en général sous
l’angle culturel. Même s’il prétend admirer les deux
auteurs qu’il critique, son expression est bien viscérale et
agressive. Niamkey, en voulant se démarquer des
philosophes ‘’occidentalistes ‘’africains , s’appuie sur des
auteurs ‘’occidentaux’’, en occurrence Gramsci et
Althusser pour les critiquer. Il montre que le débat sur
l’existence de la philosophie africaine est aussi vieux que
le débat sur la philosophie en général. Pour lui, « la
communication philosophique est une communication
impossible. Aussi les philosophies meurent-elles de rire
dans la mesure où pour elles , il ne peut y avoir de
référendum. C’est pourquoi leur histoire est une histoire
de coups d’états successifs . Tout ici n’est que rapport de
forces ... épreuve de force... »441.

C’est donc pour détrôner Towa et Hountondji que


Niamkey Koffi semble utiliser l’épreuve de force, un
coup d’état culturel, en mentionnant que la philosophie
est le singulier d’une chose plurielle . Elle n’est pas en
général un concept et n’a pas de correspondant empirique.
En s’appuyant sur Althusser, il affirme qu’« A cette
enseigne, toute définition de la philosophie inaugure une
thèse, c’est-à-dire une position sur et dans la

440
NIAMKEY (K.).-‘’L’impensé de Towa et de Hountondji’’ in
Annales de l’Université d’Abidjan, Lettres, série D, Tome IX
(Abidjan, Annales de l’Université d’Abidjan, 1976), p.409.
441
NIAMKEY (K.).-‘’Controverses sur l’existence d’une philosophie
africaine ‘’ in Revue de littérature et d’esthétique négro-africaine
(Abidjan, NEA , 1977), P.145,N°1.
386

philosophie »442. Et comme il est facile de soutenir contre


cette thèse, une antithèse, Niamkey montre que le fait
d’affirmer l’origine de la philosophie en Grèce, est non
seulement une dénégation même de la philosophie mais
aussi une vision fixiste et continuiste de l’histoire en
général et de la philosophie en particulier. La philosophie
étant donc un singulier traversé par l’infinie richesse du
pluriel, il n’y a donc pas une philosophie mais des
philosophies . D’ailleurs, nous dit Niamkey , on peut se
demander qui a établi les critères de la philosophie , pour
qui ? Et pour quoi ? « Ces question polémiques font voir
que la prétendue histoire de la philosophie n’est rien
moins qu’une histoire élaborée au profit de l’Occident
hégémonique et dans une visée apologétique et
hagiographique. L’histoire de la philosophie telle qu’elle
a été constituée est l’histoire d’un mythe : le mythe de la
philosophie en soi qui, du ciel, aurait débarqué en Grèce
comme en un point de chute . La philosophie n’a pas une
origine unique car elle n’est pas une , elle n’a pas l’unité
d’un sujet »443.

À partir de ce moment, la pensée de Niamkey Koffi se


découvre aisément. Si la Grèce n’est pas le seul lieu de
procréation de la philosophie, si la philosophie n’a pas une
origine unique, elle a d’autres origines ; et l’Afrique peut
prétendre à l’une de ces origines-là. C’est à juste raison
qu’il reproche à Towa et à Hountondji leur conception
occidentaliste de la philosophie et surtout leur définition
de la philosophie comme discipline scientifique . Or, à
l’analyse, Niamkey semble définir la philosophie comme
Culture . En considérant la philosophie comme Science,
leur pensée devient idéologique .« En effet, dit-il, ces
philosophies en tant qu’elles se donnent comme critique
du savoir s’efforcent de montrer les savoirs qu’elles

442
Ibidem, p.145.
443
Ibidem, p.146.
387

jugent comme des savoirs erronés ou non. Ce


fonctionnement est caractéristique de toute philosophie
qui se déploie par essence comme critique du faux savoir
au nom du savoir vrai qu’elle nomme la Science , notion
idéologique qui rassemble en un point impossible la
diversité des savoirs empiriques pour en constituer une
unité idéale et idéelle »444.La philosophie comme science
serait donc une imposture.

En dénonçant la critique de l’ethno-philosophie par


Towa et Hountondji, Niamkey Koffi considère ses deux
auteurs comme des hagiographes de la philosophie élitiste-
occidentale. Pour lui, la question « existe-t-il une
philosophie africaine » est superflue dans la mesure où
elle s’avère sans objet. Il récuse le fait que ces deux
penseurs affirment que c’est par l’exploitation des
sciences et l’appréhension des philosophies constituées et
instituées que la philosophie africaine pourra émerger.
Selon lui, on peut se demander en vertu de quelle
nécessité la tradition comme point de départ d’une
réflexion peut-être considérée comme non-
philosophique ? Pour Towa et Hountondji, la tradition
n’étant pas une science, la tradition africaine ne peut se
prévaloir d’aucun titre à la fondation d’une quelconque
réflexion philosophique. Ils auraient donc tort car la
philosophie naît des visions du monde et des opinions
initiales en tant que questionnement d’un savoir non
questionné. « Dès lors toute propédeutique philosophique
apparaît comme un commencement caractérisé par un
tâtonnement vers quelque chose qui n’a pas de nom.
L’opinion est un conceptualisable en quête de son
concept. C’est un quelque chose d’indéfini mais toutefois
orienté vers un stade normatif : la certitude ou la vérité

444
NIAMKEY (K.).’’L’impensé de Towa et de Hountondji’’
(Abidjan, Annales de l’Université d’Abidjan, 1976), p.411., série D ,
Tome IX.
388

exposée « à la lumière du jour ». Comment donc ce


schème qu’est l’opinion , le non-savoir, se transforme en
certitude absolue ou en Science ? Comment le
conceptualisable devient un conceptualisé ? »445. À ses
yeux, La philosophie n’est donc pas une science , mais
une entreprise d’annexion par l’opinion à des fins
polémiques et apologétiques car tout système
philosophique se nourrit du système des autres en les
assimilant pour en faire sa propriété privée. Dès lors, si
toute nouvelle philosophie fait figure de vieux vins dans
de nouvelles outres, en se systématisant par l’opinion,
« quelle signification conférer à la signature du système
pour rendre intelligible l’anonymat des pensées africaines
ou de la philosophie dite populaire ? »446.

D’ailleurs, si la philosophie de Socrate était une


pensée à enseignement oral, il faut donc nuancer l’oralité
des cultures africaines . Et puis, nous dit Niamkey Koffi,
l’Afrique avait et possède encore des formes spécifiques
d’écriture, si l’on considère cette dernière comme un
procédé qui traduit des signes verbaux par des signes
graphiques . Bref, un système de signes qui exploite les
possibilités de perception visuelle. Cela montre que
l’Afrique n’est nullement le chantre de non-écriture , de
l’unanimisme et de pensée collective. Si les pensées
africaines ne sont pas attachées à celles d’un Aristote, d’un
Platon ou d’un Hegel, cela ne veut pas dire que les
sociétés traditionnelles étaient carantes, mais que leur
mode de production intellectuel était collégial. En pensant
la philosophie uniquement au sens européen du terme,
Towa et Hountondji veulent imposer des pensées
dominantes à un peuple dominé, des pensées en
domination contre les pensées sous domination . Ils ont
adopté une position conforme à leur classe

445
Ibidem, p.417.
446
Ibidem, p.420.
389

d’intellectuels élitistes afin d’imposer à l’Afrique toute


entière une philosophie académique. Car la philosophie
ne saurait se réduire à l’histoire occidentale de la
philosophie . Parler donc de vraie ou de fausse
philosophie, c’est instaurer les conditions théoriques de la
perpétuation de l’hégémonie de la domination occidentale
, de la domination des intellectuels, des classes dominantes
sur les masses africaines, sur les classes dominées.
Hountondji et Towa seraient ainsi des constructeurs
d’idéologies pour gouverner les autres, en bons
intellectuels traditionnels. « D’ailleurs, il apparaît
manifeste que tous les discours qui dénient la
philosophie aux sociétés africaines précoloniales ne sont
fondés ni sur une étude empirique des faits mais sur
des théories abstraites et idéologiques hégémoniques de
l’activité philosophique , ni sur une analyse de classe. Ces
discours n’ont pu échapper à l’idéalisme parce qu’ils sont
restés essentiellement intra-philosophiques . Ils ne sont pas
justes non pas seulement parce qu’ils ne militent pas en
faveur de nos intérêts d’africains mais encore parce qu’ils
rejettent les valeurs philosophiques anciennes sans nous
en préciser , par une étude objective , les misères de la
nature. S’il faut rompre avec le passé , nous pensons qu’il
faut en faire une analyse précise qui détermine
l’opportunité de cette rupture . Opter pour des idéologies
discontinues sans justification scientifiques , cela
s’appelle snobisme intellectualiste . C’est ce danger qu’il
nous semble avoir décelé chez Towa et Hountondji . Ce
discours est donc une correction de tir non une
revendication de la philosophie comme un droit de
l’Homme qui, au demeurant, n’est qu’un signe de signe.
D’ailleurs nous nous plaçons non pas sur le plan du droit
mais du fait »447.

447
NIAMKEY (K.)’’Controverses sur l’existence d’une philosophie
africaine ‘’ in Revue de littérature et d’esthétique négro-africaine
(Abidjan, NEA, 1977), p.162.
390

II.II.2. L’Entre-deux de la philosophie africaine

Dans son ouvrage sur « Nietzsche » , Gilles Deleuze


écrivait : « Le philosophe évalue la vie d’après son
aptitude à supporter des poids, à porter des fardeaux. Ces
fardeaux, ces poids sont précisément des valeurs
supérieures. Tel est l’esprit de lourdeur qui réunit dans un
même désert le porteur et le porté, la vie réactive et
dépréciée, la pensée négative et dépréciante. Alors, on n’a
plus qu’une illusion de critique et un fantôme de création.
Car rien n’est plus opposé au créateur que le porteur.
Créer, c’est alléger, c’est décharger la vie, inventer de
nouvelles possibilités de vie. Le créateur est législateur-
danseur »448.

Ainsi donc, à l’image du porteur nietzschéen, l’Afrique


a –t- elle porté des poids mais il paraît que ce qui lui
manque , c’est Le Créateur. Mais , si l’Afrique est ce
porteur infatigable qui continue encore à porter des poids,
la question est de savoir quel est ce poids que l’Afrique
porte ? Quand ce porteur se sera-t-il déchargé du porté ?
En effet, ce que l’Afrique, en tant que porteur porte, c’est
les guerres civiles, la famine, les maladies, les crises
politiques successives, les crises identitaires, le
chauvinisme et autres tribalismes . Il est vrai que cela peut
paraître comme des valeurs supérieures pour Nietzsche,
mais pour les africains, ces valeurs sont la dénégation de
l’être-homme, une condamnation non à la grandeur mais à
la bassesse, à la déchéance. Ces valeurs ne sont pas une
sorte de surgissement originel, mais un nivellement par le
bas. Et quand le porteur se sera-t-il déchargé de son
poids ? Les africains eux-mêmes diront
vraisemblablement : pas dans l’immédiat, pas avant des
décennies.
448
DELEUZE (G.).-Nietzsche (Paris, PUF, 1965), p.20.
391

Pourtant , le poids pèse, il est pesant. La destination de


la décharge est longue, très longue même, mais personne
ne veut vouloir venir au secours du porteur. Le seul
changement est celui-ci : au lieu d’être chargé du dehors,
l’africain prend lui-même les poids pour les mettre sur son
dos ,il se charge du dedans, augmente sa charge qui est,
d’ailleurs ,très lourde à supporter. Son destin est donc
entre ses mains. Tel cet âne, sa survie dépend de son effort
à supporter le poids . Tel l’âne, il part avec un poids et
retourne avec un autre poids, il ne connaît pas de répit. Ce
qu’il lui faut, c’est soit la résignation, soit l’imagination à
se débarrasser de son propre poids, de sa propre charge.
Faut-il le laisser en chemin ? Pour qui ?Faut-il le donner
aux autres ? Personne n’en voudra. Faut-il continuer à le
porter pour s’écrouler enfin ? Que faire ? Il faut un
Créateur, cet inventeur de nouvelles possibilités de vie, ce
législateur-danseur. Mais, ce créateur manque. Alors
l’Afrique piétine, dandine justement parce qu’elle est mal
partie, elle s’est donnée une charge que personne ne veut.

Le propre de l’âne est de porter des poids. Pour


l’Afrique, les conséquences sont lourdes. Elles le sont
aussi pour la philosophie africaine, « Car les deux vertus
du philosophe législateur étaient la critique de toutes les
valeurs établies, c’est-à-dire des valeurs supérieures à la
vie et du principe dont elles dépendent , et la création de
nouvelles valeurs , valeurs de la vie qui réclament un
autre principe. Marteau et transmutation. Mais en même
temps que la philosophie dégénère, le philosophe
législateur cède la place au philosophe soumis. Au lieu du
critique des valeurs établies , au lieu du créateur de
nouvelles valeurs et de nouvelles évaluations, surgit le
conservateur des valeurs admises »449. Dès lors, la vie de
l’africain se réduit à des formes adaptatives et
449
DELEUZE (G).-Nietzsche (Paris, PUF, 1965), pp.19-20.
392

secondaires. Son devenir devient au sens nietzschéen du


terme, un devenir-maladif de toute la vie, un devenir-
esclave de tous les hommes. Car ,en Afrique, « Tout est
renversé : les esclaves s’appellent des maîtres, les faibles
s’appellent des forts, la bassesse se nomme noblesse. On
dit que quelqu’un est fort et noble parce qu’il porte : il
porte le poids des valeurs « supérieures », il se sent
responsable . Même la vie, surtout la vie, lui semble dure
à porter. Les évaluations sont tellement déformées qu’on
ne sait plus voir que le porteur est un esclave , que ce
qu’il porte est un esclavage , que le porte - faix est un
porte -faible- le contraire d’un créateur, d’un danseur. Car,
en vérité, on ne porte qu’à force de faiblesse, on ne se fait
porter qu’à volonté de néant »450 .

La valorisation des sentiments négatifs ou des passions


tristes, voilà la mystification sur laquelle l’Afrique semble
fonder son pouvoir : c’est l’éternel retour, qui consiste
dans un cycle, c’est-à-dire dans un retour du Tout, dans un
retour au tout , dans un retour au Même , dans un retour du
Même. Pourtant, il fallait envisager ce Grand Retour « Ou
bien , comme le dit Nietzsche, on affirme la nécessité du
hasard. Dionysos est joueur. Le vrai joueur fait du hasard
un objet d’affirmation : il affirme les fragments, les
membres du hasard ; de cette affirmation naît le nombre
nécessaire , qui ramène le coup de dés. On voit quelle est
cette troisième figure : le jeu de l’éternel Retour. Revenir
est précisément l’être du devenir, l’un du multiple, la
nécessité du hasard. Aussi faut-il éviter de faire de
l’éternel Retour un retour du Même. (...)Car le Même ne
préexiste pas au divers(...).Ce n’est pas le Même qui
revient , puisque le revenir est la forme originale du
Même , qui se dit seulement du divers , du multiple , du

450
DELEUZE (G.), op. cit., p.29.
393

devenir. Le Même ne revient pas, c’est le revenir


seulement qui est le Même de ce qui devient »451.

L’idée que nous retenons de l’éternel retour, c’est cet


effort artistique pour penser la structure artistique du
monde. C’est ce qui abolit l’opposition entre le passé et
le futur, en même temps qu’elle confère au passé la
marque d’un avenir ouvert , potentiel , qui donne au futur
la permanence, la solidité, l’immutabilité du passé. Nous
concevons cet éternel retour du même non comme
seulement une nouvelle dimension du temps et de
l’existence des objets réels et de leur détermination
spatiale, mais comme une chose qui est et n’est pas en ce
lieu , tout lieu disparaît et réapparaît de nouveau . Ici,
« le temps n’est point pensé comme un temps concret
historique ou encore moins comme temps physique ,
mais comme temps essentiel, comme la temporalité du
temps , comme ce qui rend possible le temps empirique
tout en le dépassant. Car tout ce qui se produit dans le
temps n’est pas nécessairement temps réel, tout ce qui se
produit n’a pas la dignité de ce qui détermine le temps
comme temps , de ce qui rend possible le temps tout en
lui conférant sens et fait de lui le temps humain.
L’accidentel dans le temps , qui constitue à la fois le non-
temps dans le temps , est en effet détruit par le surhomme
, mais uniquement pour que le temps se manifeste plus
clairement dans sa propre temporalité , pour que l’éternel
artistique puisse vivre , pour que le temps , en ce par quoi
il est temps pour l’homme en tant qu’homme possible ,
c’est-à-dire pour le surhomme , soit dès lors aboli dans
son faux passé, mais aussi dans son futur mensonger- par
exemple celui « du dernier homme »- et pour qu’il soit
reconnu , en vertu de son passé , de son présent et de son

451
DELEUZE (G), op. cit., p.36.
394

futur réels, comme l’éternel retour du même »452. L’éternel


retour du même doit être pour nous ce souffle de l’esprit
créateur qui, en tant qu’art, est jeu instructif. Et ce jeu,
comme le dit Deleuze, parce qu’il est instructif, est éternel
et peut être aimé comme cette éternité vivante englobant
à la fois le passé, le présent et le futur, un présent
continuel. « L’éternel Retour est la Répétition ; mais c’est
la Répétition qui sélectionne , la Répétition qui sauve .
Prodigieux secret d’une répétition libératrice et
sélectionnante »453.

Pour l’Afrique , cette répétition libératrice et


sélectionnante doit être la tâche de la philosophie. Une
philosophie qui doit être le croisement de deux
généalogies ; d’une part, elle doit être produite dans le
sillage de l’homme d’hier, de l’homme –africain avant les
indépendances et d’autre part, de l’homme d’aujourd’hui
qui veut périr pour renaître et de deux cultures :
l’occidentale et l’africaine. Car « Le triple niveau supposé
d’une pensée naturellement droite , d’un sens commun
naturel en droit, d’une récognition comme modèle
transcendantal, ne peut constituer qu’un idéal
d’orthodoxie. La philosophie n’a plus aucun moyen de
réaliser son projet , qui était de rompre avec la doxa. Sans
doute , la philosophie récuse-t-elle toute doxa particulière ;
sans doute ne retient-elle aucune proposition particulière
du bon sens ou du sens commun . Sans doute ne
reconnaît-elle rien en particulier. Mais elle conserve de la
doxa l’essentiel, c’est-à-dire la forme ; et du sens
commun , l’essentiel, c’est-à-dire l’élément ; et de la
récognition,l’essentiel, c’est-à-dire le modèle(concordance
des facultés fondées dans le sujet pensant comme

452
GRLIC (D.).Nietzsche et l’éternel retour du même ou le retour de
l’essence artistique dans l’art in Nietzsche aujourd’hui , (Paris,
UGE, 1973), pp.126-127.
453
DELEUZE (G.), op. cit., p.40.
395

universel, et s’exerçant sur l’objet quelconque). L’image


de la pensée n’est que la figure sous laquelle on
universalise la doxa en l’élevant au niveau rationnel »454.

Nous voulons que la philosophie africaine soit une


philosophie de la Répétition, au sens deleuzien du terme.
Mais cette répétition, comme le dit Gilles Deleuze, ne doit
pas être une généralité. « Répéter, c’est se comporter, mais
par rapport à quelque chose d’unique ou de singulier, qui
n’a pas de semblable ou d’équivalent. Et peut-être cette
répétition comme conduite externe fait-elle écho pour
son compte à une vibration plus secrète, à une répétition
interne et plus profonde dans le singulier qui l’anime »455
. Si la répétition en Afrique est possible, c’est contre
l’originalité, cette manie du culte de la différence. Mais,
c’est aussi contre « le tout-prendre-occidental » qui dénie
toute culture et toute civilisation africaine au point que
l’Afrique devient ce continent du « presque rien », du
« tout sauf ».

Penser l’Afrique, c’est «faire de la répétition même


quelque chose de nouveau ; la lier à une épreuve , à une
sélection, à une épreuve sélective ; la poser comme objet
suprême de la volonté et de la liberté »456. Il s’agit d’agir
pour l’Afrique , de faire de l’Afrique une Liberté et une
tâche de la Liberté. Il faut , dans la roue de l’éternel retour
nietzschéen, tout le jeu mystique de la perte et du salut en
libérant la volonté de tout ce qui l’enchaîne et en faisant
de la répétition l’objet même du vouloir. Certes, cette
répétition est déjà, en elle-même, ce qui même enchaîne,
mais c’est aussi ce qui sauve et guérit, c’est le jeu théâtral
de la mort et de la vie, de l’authenticité africaine et de la

454
DELEUZE (G.).-Différence et répétition (Paris,
PUF,1968) ,pp.175-176.
455
DELEUZE (G), op. cit., pp.7-8.
456
Ibidem, p.13.
396

renaissance de la culture africaine sur les rails de la


Modernité. « Il y a un tragique et un comique de
répétition. La répétition apparaît même deux fois, une fois
dans le destin tragique, l’autre dans le caractère cosmique .
Au théâtre , le héros répète, précisément parce qu’il est
séparé d’un savoir essentiel infini. Ce savoir est en lui,
plonge en lui, agit en lui, mais agit comme une chose
cachée, comme une représentation bloquée. La différence
entre le comique et le tragique tient à deux éléments : la
nature du savoir refoulé, tantôt savoir naturel immédiat,
simple donnée du sens commun, tantôt terrible savoir
ésotérique ; dès lors aussi la manière dont « il ne sait pas
qu’il sait ». Le problème pratique en général consiste en
ceci : ce savoir non su doit être représenté , comme
baignant toute la scène , imprégnant tous les éléments de
la pièce , comprenant en soi toutes les puissances de la
nature et de l’esprit ; mais en même temps le héros ne
peut pas se le représenter , il doit au contraire le mettre en
acte, le jouer , le répéter »457.

L’Afrique est ce théâtre qui consiste à s’auto-saisir


avec tous ses rapports et à trouver en elle-même les
expressions philosophiques qui peuvent la développer
avec toutes ses modifications . On ne se contentera pas
dans un discours, de parcourir la suite des idées dites
ethnophilosophiques ou philosophiquement africaines ; on
s’arrête , au contraire sur chacune d’elles et on tourne
autour comme dans un spectacle, pour saisir les points de
vue sous lesquels elles se développent et se lient les unes
aux autres. La philosophie africaine devient un jeu. « Le
jeu d’un imparfait sans fond, d’un présent différé et d’un
futur toujours énigmatique »458. Car le discours
philosophique en Afrique serait un dispositif complexe

457
Ibidem, p.25.
458
REY (J-M).-L’enjeu des signes . Lecture de Nietzsche. (Paris,
Seuil, 1971), p.48
397

jouant sur plusieurs registres et s’étageant sur différentes


stratifications dont les énoncés viennent masquer une
absence de fondement. « Parce qu’elle est l’enjeu
d’instances qu’elle ne peut nommer, sauf à se détruire
elle-même dans sa cohérence idéale, parce qu’elle
méconnaît la « force » d’un désir qui la met en œuvre ;
parce qu’elle se centre sur une valeur absolue de vérité et
qu’elle réduit les pouvoirs du discours à la simple
expression »459. Pour toutes ces raisons, la philosophie
africaine use de toutes les ressources du signifiant
philosophique, tout en travaillant à l’effacer dans son
« équivocité » et à l’utiliser comme simple moyen
d’expression d’un sens qui lui est antérieur. Ce qu’il faut
reproduire par la scène de la Répétition , c’est la
polyvalence de ce signifiant philosophique , le jeu de
masques qui s’y est institué et codifie dont on ne perçoit
, à la réalité, que les contre-coups. Les masques, c’est
l’ethnophilosophie bantoue ; c’est le retour aux sources de
la Négritude ; c’est le socialisme africain scientifique ou
authentique ; c’est la philosophie critique européenne de
Towa ou de Hountondji ; c’est enfin la philosophie de la
contre-contestation critique qui retourne sans le savoir à
la même philosophie qu’elle considère d’élitiste .

Il est vrai, toute philosophie est déjà prise dans le


réseau, dans le piège indéfini de l’interprétation et ne peut
se lire que dans une aire stratifiée de signifiants. Tout
discours philosophique se dévoile dans un espace où
coexistent tout un ensemble de concepts négatifs , des
forces déplacées, des interprétations sédimentées. « Nous
sommes en droit de parler de répétition , quand nous nous
trouvons devant des éléments identiques ayant
absolument le même concept . Mais de ces éléments
discrets , de ces objets répétés , nous devons distinguer
un sujet secret qui se répète à travers eux, véritable
459
REY (J-M), op. cit., p.14.
398

sujet de la répétition . Il faut penser la répétition au


pronominal , trouver le Soi de la répétition , la singularité
dans ce qui se répète . Car il n’y a pas de répétition sans
un répétiteur , rien de répété sans âme répétitrice »460.

Lire les effets de cette méconnaissance , constitutive


de la pensée africaine , saisir dans les lacunes de la
philosophie africaine les retours « bavards » du signifiant
, constituent la métaphoricité comme la «base »des
concepts et le lieu de leur enracinement. La philosophie
africaine se déchiffre dès lors comme un symptôme dans
la trame de l’histoire. Peut-être, faut-il, suivant les termes
de Freud, un renversement de la chaîne des effets. En
philosophie africaine, aujourd’hui, « La scène « visible »-
le contenu manifeste –commande de l’ensemble du texte ;
simple façade dont la fonction est de cacher la mise en
scène , la production de la syntaxe « philosophique ».
Tout se qui s’est donné comme « profondeur » , « fond
ultime », « maître-mot », se résout en un simple pli
superficiel . La « profondeur » , l’ « arrière-monde », le
« monde-vrai » sont à situer dans une logique de la
fiction : formations de compromis dont la syntaxe doit
être démontée, dont l’économie doit être inscrite dans
l’espace qui fait communiquer le jeu des instances et le
réseau des symptômes »461. Le malentendu philosophique
a pris entre autres, la forme des injures dilatoires , d’une
métaphorisation et d’une symbolisation toujours
fragmentaire et discontinue.

Pourtant, le langage philosophique est toujours hors


différence et hors jeu , il ne peut s’énoncer que dans un
ordre toujours déjà produit, que dans une hiérarchie déjà
fixée, que dans un « code »dont les fondements sont tus.
L‘histoire de la philosophie a été le déploiement et la

460
DELEUZE (G.), op. cit., p.36.
461
REY (J-M), op. cit., p.33.
399

dissimilation d’un jeu de concepts dont la syntaxe n’était


pas produite, déploiement qui est la dissimilation de ce
qu'il produit et de ce qui le rend possible. Si le discours
philosophique dissimule l'espace dans lequel il se
construit, force est de reconnaître que la philosophie
africaine a du mal à décoller conceptuellement selon le
terme de Franz Crahay. « Mais que faut-il entendre par
décollage conceptuel ?En somme, il s’agit, pour la pensée,
de décoller franchement du mythe ; pour la conscience
réflexive , de se déprendre de la conscience mythique . On
peut entendre par mythe une association d’idées et
d’images , dotée d’une relative permanence à l’intérieur
d’une collectivité plus ou moins étendue , où elle dessine
des schèmes d’attitudes et des conduites fondamentales. Si
la conscience mythique est coriace, si , les mythes
résistent , c’est à cause de leur cohésion intrinsèque et de
leur adéquation à un ensemble de données économico-
sociales . Le mythe, c’est d’abord la sécurité. Il a réponse
à toute question. Il ramène sans détour l’extraordinaire
au déjà vu, dessinant ainsi la temporalité qui lui est
propre, celle de la répétition . Le mythe , enfin, suffit à
soutenir une sagesse, c’est-à-dire une manière d’être au
monde sensée, digne, mesurée et heureuse. L’existence
d’une sagesse de tradition fera normalement paraître
superflue ou dangereuse l’aventure philosophique, c’est-à-
dire , aussi, la quête d’une sagesse nouvelle dont on ne sait
pas d’avance si elle ne ruinera pas l’ancienne. Une
sagesse bien établie commence par désamorcer l’aventure
spéculative, la tentation philosophique »462.

Le problème est maintenant de savoir si la philosophie


africaine ne consiste pas , entre autres choses, à nous
faire retrouver le Même en nous livrant l’Identique. La

462
CRAHAY (F.).-‘’ Le décollage conceptuel : condition d’une
philosophie bantoue in philosophie africaine (Kinshasa, PUZ, 1975),
pp.337-338.
400

référence au mythe, dont fait allusion Franz Crahay, n’est


véritablement pas un critère pertinent de conditionabilité
de la philosophie ou de sa non –admissibilité dans le
concert des nations à « philosophie ». Car on sait que la
philosophie platonicienne naît et vit du mythe. Le mythe
est le moyen qu’utilise Platon pour tenter de combler la
distance qui sépare le visible qui aveugle de la lumière
invisible qui rend les choses visibles à l’intelligence .

Le mythe tente, selon Jean Brun, de surmonter


l’intervalle qui sépare l’éternité de son image mobile , le
temps, dans les instruments duquel notre âme a été
plongée . Le mythe apparaît dès lors comme le moyen par
lequel l’intemporel devient un récit dans la bouche des
hommes ; c’est la façon qu’a l’Un de venir se localiser
dans les cadres du discours ; c’est la façon qui est donnée
à l’homme de rendre l’invisible visible, intelligible. Grâce
au mythe, on comprend que l’indicible peut se raconter et
l’incommunicable, se communiquer . Il parvient à nous
supprimer la distance de cet au-delà. Le mythe, selon
Brun, serait une voie anagogique qui tente de susciter en
nous une anamnèse capable de nous reconduire « là bas »
où se trouve une origine que nous avons perdue . Le mythe
apparaît dès cet instant, comme une anabase par le
Logos. « Pensée anagogique , le mythe indique les signes
ascendants capables de provoquer en nous une
anamnèse ; la philosophie peut être alors comparée à une
navigation qui nous conduirait vers la source unique , qui
nous donnerait le point de départ qui conduit vers « là
bas ». En découvrant une anabase par le logos vers ce « là
haut » où habitent les dieux , la philosophie s’efforce de
transcender toute séparation. Finalement tout mythe tente
de retrouver la carte d’un continent perdu »463.

463
BRUN (J.).- Les conquêtes de l’homme et la séparation
ontologique (Paris, PUF, 1961), p.29.
401

Alors ne faut-il donc pas permettre à l’Afrique de


rechercher sa propre carte pour se re-trouver ? L’africain
n’a-t-il pas le droit comme tout peuple, à l’instar du peuple
grec, de comprendre que « tout ce qui se dévoile à
l’homme plonge profondément ses racines dans la divinité,
que tout ce qui paraît à l’homme est l’expression d’une
ontophanie dans laquelle celui-ci doit chercher à la fois
sa mesure et son sens » 464? La responsabilité du logos ,
de son sens et de ses effets, revient à l’assistance , au
« philosophoire », à la présence comme présence d’un
philosopher, comme présence d’un père, si l’on considère
que le sujet parlant est le père de sa parole. L’Afrique est
le père de sa philosophie. Comme le dit Jacques Derrida,
« Le logos est un fils , donc , et qui se détruirait sans la
présence , sans l’assistance présente de son père . De son
père qui répond. Pour lui et de lui. Sans son père, il n’est
plus, précisément , qu’une écriture »465.

Les mythes font l’Afrique. Ils sont la sève vivifiante de


ce continent. Ils sont le père de l’Afrique et l’africain
interroge le père, son père. Il a toujours besoin de
l’assistance de ce père chaleureux, sentimental et
protecteur . A lui seul, il est incapable de se défendre et
de s’assister lui-même. Est-ce un signe d’immaturité et
d’irresponsabilité ? La Grèce antique était-elle immature
et irresponsable ? « Cette misère est ambiguë : détresse de
l’orphelin certes, qui a besoin non seulement qu’on
l’assiste d’une présence mais qu’on lui porte assistance et
vienne à son secours ; mais en plaignant l’orphelin , on
l’accuse aussi , (...), de prétendre éloigner le père , de
s’en émanciper avec complaisance et suffisance »466 .

464
BRUN (J.), op. cit., p.33.
465
DERRIDA (J.).-‘’La pharmacie de Platon’’ in Tel Quel (Paris, tel
quel, 1968) ; p.13 ; N °32.
466
DERRIDA (J.), op. cit., p.13.
402

Si , comme nous le dit Derrida, le logos a donc un père


et n’est un logos qu’assisté de son père, c’est qu’il est
toujours un étant, un étant vivant. « Le logos est un zôon.
Cet animal naît, croît, appartient à la physis »467. Il faut
noter que Logos a ici, le sens du discours, d’argument
proposé et seul le discours peut avoir un père et les
penseurs dits ethnophilosophes-africains peuvent être
considérés comme des logoï, ces enfants du logos africain
« Assez vivants pour protester à l’occasion et pour se
laisser questionner , capables, à la différence des choses
écrites, de répondre , aussi , quand leur père est là. Ils sont
la présence responsable de leur père »468. Leur désir, c’est
de s’assumer en assumant leurs propos, leur vœu ,
transcender le monde pour se faire reconnaître, ne s’y
engager et ne s’en détacher que par l’action de la pensée,
de leur pensée . Car, c’est en pensant le monde qu’ils le
dominent , c’est en se pensant eux-mêmes qu’ils se
possèdent et se conduisent. Ils veulent bien comprendre et
cela les obligent à mieux se souvenir. Comme le dit
Joseph Vialatoux, « comprendre, c’est bien se rendre ; car
la vérité comprise chasse l’erreur admise »469.

Pour cet auteur, en effet, comprendre, c’est se donner à


la vérité qui se montre. Dès lors, la philosophie est une
intention de compréhension, elle a besoin de comprendre
pour être une intention d’unité. Et en tant qu’intention
d’unité, elle est l’intention de la pensée vers la sagesse,
justement parce qu’elle est intention vers le sujet. Or, « Le
sujet profond n’est pas une réalité toute faite , mais qui
se fait en se découvrant, et se découvre en se faisant ; non
une réalité réalisée, mais se réalisant »470. Il n’est donc

467
DERRIDA (J.)., op. cit., p.15.
468
DERRIDA (J.), op. cit., p.14.
469
VIALATOUX (J.)..- L’intention philosophique ( Paris, PUF,
1973), p.18.
470
VIALATOUX (J.), op. cit., p.71.
403

pas seulement un spectateur, mais un acteur « jouant son


rôle dans le drame universel où il est engagé »471. Dès
lors, la philosophie semble se confondre à la sagesse dans
la mesure où elle devient transcendance, engagement et
détachement.

Selon Joseph Vialatoux, en effet, la philosophie , en


tant que retour conscient et réfléchi doit pouvoir
humaniser le monde en le spiritualisant . Mais cela a
besoin de courage dans cette arène de la pensée où nul,
selon l’expression de Kant, n’est champion où les
divergences des philosophes sont nombreuses et où
l’histoire de la philosophie ne serait rien d’autre qu’une
longue histoire de controverses . « On pourrait , sous ce
jour, comparer les doctrines philosophiques à un arc-en-
ciel dont les couleurs , réfractées et ramifiées, expriment à
leur façon , par leur complémentarité réciproque , une
même source de lumière. Une pensée humaine , dans la
vie humaine , ne saurait connaître qu’approximativement
–per speculum in enigmate - ; notre connaissance est une
connaissance approchée et approchante , et non une
plénitude d’intuition . La pensée humaine est une pensée
à se rectifier et corriger sans cesse »472 .

Le courage philosophique apparaît donc comme le


courage de la raison, l’intention rationnelle de l’homme ,
inquiète, en quête de sagesse. Une pensée courageuse est
une pensée dramatique capable de penser
personnellement et donc héroïquement , courageusement
,pour se réaliser pleinement en se pesant. N’est-ce pas que
«peser, c’est penser. Penser, c’est peser »473? Si donc
penser, c’est peser, c’est surtout peser ce qu’on est et non

471
VIALATOUX (J), op. cit., p.10.
472
VIALATOUX (J.), op. cit., p.99.
473
BACHELARD (G.).-La philosophie du non (Paris, PUF, 1994),
p.26.
404

pas toujours ce qu’on a. Pour la philosophie africaine, il


importe qu’on se pèse et non qu’on pèse ce qu’on a , ce
qu’on avait. Ce qu’on a, vaut-il réellement ce qu’on est ?
Si nous voulons que notre philosophie marche , il nous
faut lui donner une démarche courageuse, celle de
s’affirmer et de contester, de juger sa culture et de pouvoir
s’en affranchir en certains moments. « La démarche
philosophique est celle d’une réflexion vécue, elle
demande que nous prenions un recul personnel par
rapport à notre histoire quotidienne . Celle-ci, il ne suffit
pas de se livrer. Réfléchir, même de façon vécue , sur le
temps , n’est assurément pas se contenter de vivre le
temps , ou, comme on dit, de se laisser vivre »474.

Il est vrai , comme le dit Ferdinand Alquié , que le


souci de reconstruction historique devrait prévaloir sur le
souci de correction philosophique, pour permettre de
retrouver , plus profondément , la vraie philosophie. Mais,
l’auteur de Signification de la philosophie reconnaît de
même que « Toute pensée , en effet, ne se saisit comme
telle qu’en affirmant son indépendance à l’égard de ses
causes , de son milieu, de son environnement, de ses
conditions , de son temps . Elle réclame une autre source :
la liberté, elle se veut une autre fin : la vérité »475. C’est
dire donc que la philosophie naît d’une conscience
angoissée , d’une situation trouble pour acquérir sa liberté
et sa vérité. « S’il y a donc un besoin de philosophie ,
c’est qu’il y a un manque dans la réalité , de l’irréalité
dans la réalité, de l’inhumain dans l’humain. La
philosophie vient de ce qu’il y a un désir d’autre chose,
d’une autre organisation de la société , et de ce que ce

474
ALQUIE (F.).- Signification de la philosophie ( Paris, Hachette,
1971), p.95.
475
ALQUIE (F.), op. cit., p.34.
405

désir ne peut pas s’affranchir des vieilles formes


sociales »476.

La philosophie , c’est donc la vérité au présent : la


certitude, si l’on veut bien admettre les contenus de la
pensée d’Eric Weil. Pour ce dernier, comme nous l’avons
signifié, toute philosophie naît et se sait naître de la crise
d’un savoir immédiat et total qui ne se réfléchissait pas
lui-même. Quel que soit le nom qu’on lui donne, ce nom
peut être une opinion, un bon sens , une certitude ou
même une tradition, la vérité est que ce savoir n’est pas
un savoir d’un objet distinct , mais savoir du monde ,
savoir total et immédiat du Tout vivant et vécu. Comme
tel, ce savoir apparaît comme un discours implicite ,
correspondant à une catégorie philosophique qui pense le
Tout sans penser qu’elle le pense. On pourrait dès cet
instant,penser à la philosophie africaine « traditionnelle ».
Mais ,existe t-il une philosophie traditionnelle opposée à
une philosophie moderne ? En pensant soi-même ou en
discutant avec soi-même, même intérieurement, l’homme
ne se dédouble –t-il pas en homme de la tradition et en
homme de la modernité et de l’ouverture , en homme de la
diversité culturelle, en homme universel ?

L’homme discute avec soi-même. Tout homme


s’interroge en discutant, en interrogeant pour mieux se
conduire dans cette vie. Discuter, c’est donc se conduire,
agir et penser pour s’universaliser. Comme le dit Gilbert
Kirscher , « La pensée se pense à partir de sa source , et
dans la pensée du fini, la source est création pure, œuvre-
langage, mouvement de la révélation du fond qui se
dérobe en se révélant, jaillissement de la possibilité qui
ne fige pas dans une réalisation particulière : elle est
poïein poésie, poésie fondamentale parce que poésie du

476
NJOH -MOUELLE (E.).-Jalons .Recherche d’une mentalité neuve
(Yaoundé, Clé, 1970) , p.75.
406

fond créateur, du fond - œuvre, du fond –discours en sa


source » 477. Ainsi, la pensée se pense-t-elle donc en
Afrique pour retrouver son sol de crédibilité et être un
pouvoir - être qui s’engage dans la réalisation du possible
sur les sillons de la perte de sa liberté. En Afrique aussi,
« Le discours philosophique a atteint le point où il
comprend que tout problème philosophique se pose au
discours , à partir du discours, en vue du discours, mais en
tant qu’il refuse tout retour au discours absolu, parce qu’il
s’est approprié l’héritage de la révolte et qu’il en assume
le discours incohérent »478 . Dès lors, le discours
philosophique doit devenir un discours révolutionnaire,
pour se vouloir efficace et technique afin de viser un but,
celui de la réalisation d’un monde à visage humain, d’une
Afrique qui peut partir, d’une Afrique, certes ambiguë,
mais majeure. « La solution consiste , pour le discours
philosophique , à intégrer la révolte dans le discours
cohérent, ce qui revient pour lui à se comprendre comme
discours agissant, à passer à l’action »479. La philosophie
se réalise et se termine dans l’action.

Pour l’Afrique, cette action doit toujours être en cours.


Et la fin de cette action doit être la réalisation de la liberté
raisonnable. Mais, comment se représenter cette liberté
dans une Afrique en crise, dans une Afrique qui brûle et
qui fait brûler la pensée ? Mais, à l’analyse, n’est – ce pas
la pensée elle-même qui brûle cette Afrique-là ? Il est vrai
que toute pensée brûle. Et la pensée africaine brûle. Et
l’Afrique avec. L’Afrique du feu ; l’Afrique en feu ;
l’Afrique pour le feu ; et l’Afrique crie au feu. Mais,
comme le dit Bachelard, le feu frappe sans avoir besoin de
brûler. « Le feu et la chaleur fournissent des moyens

477
KIRSCHER (G.).-La philosophie d’Eric Weil (Paris, PUF, 1989),
p.320.
478
KIRSCHER (G), op. cit., p.327.
479
KIRSCHER (G), op. cit., p.347.
407

d’explication dans les domaines les plus variés parce


qu’ils sont pour nous l’occasion de souvenirs
impérissables, d’expériences personnelles simples et
décisives. Le feu est ainsi un phénomène privilégié qui
peut tout expliquer. Si tout ce qui change lentement
s’explique par la vie , tout ce qui change vite s’explique
par le feu. Le feu est intime et il est universel. Il vit dans
notre cœur. Il vit dans le ciel. Il monte des profondeurs de
la substance et s’offre comme un amour. Il redescend
dans la matière et se cache , latent, contenu comme la
haine et la vengeance. Parmi tous les phénomènes , il est
vraiment le seul qui puisse recevoir aussi nettement les
deux valorisations contraires : le bien et le mal. Il brille au
Paradis. Il brûle à l’Enfer. Il est douceur et torture. Il est
cuisine et apocalypse. Il est plaisir pour l’enfant assis
sagement près du foyer ; il punit cependant de toute
désobéissance quand on veut jouer de trop près avec ses
flammes. Il est bien-être et il est respect. C’est un dieu
tutélaire et terrible , bon et mauvais. Il peut se
contredire : il est donc un des principes d’explication
universelle »480.

Cependant, il reste à savoir, si pour l’Afrique, ce feu


est Paradis ou Enfer. S’il brille ou s’il brûle ; s’il est
porteur de connaissance ou s’il est porteur de sinistres
flambeaux. Le feu en Afrique prouve –t-il son humanité ?
Apparaît-il aujourd’hui comme un instinct de vie ou un
instinct de mort ? Comment rêver le feu en Afrique ?
Comment rêver au feu ? « Le feu dans le foyer fut sans
doute pour l’homme le premier sujet de rêverie, le
symbole du repos, l’invitation au repos. On ne conçoit
guère une philosophie du repos sans une rêverie devant
les bûches qui flambent. Aussi d’après nous, manquer à la
rêverie devant le feu, c’est perdre l’usage vraiment humain

480
BACHELARD (G.).-La psychanalyse du feu ( Paris, Gallimard,
1949), pp.23-24.
408

et premier du feu. Sans doute le feu réchauffe et


réconforte. Mais on ne prend bien conscience de ce
réconfort que dans une assez longue contemplation ; on ne
reçoit le bien-être du feu que si l’on met les coudes aux
genoux et la tête dans les mains. Cette attitude vient de
loin. L’enfant près du feu la prend naturellement. Elle
n’est pas pour rien l’attitude du Penseur. Elle détermine
une attention très particulière , qui n’a rien de commun
avec l’attention du guet ou de l’observation. elle est très
rarement utilisée pour une autre contemplation. Près du
feu, il faut s’asseoir ; il faut se reposer sans dormir, il faut
accepter la rêverie objectivement spécifique »481 avant
que ces « intellectuels » ne forcent la porte du four pour
entrer dans le mystère du feu afin de propager l’incendie
dans les champs, au milieu des troupeaux , face au silence
impuissant du berger. Le nouveau Prométhée est arrivé,
mais cette fois, avec de nouvelles intentions , avec un
nouveau rôle, dans un nouveau rôle, avec une nouvelle
houe pour semer du feu, le feu du Différend, le feu de la
haine et du triomphe de l’identitaire. Et ce feu-là
aujourd’hui, en Afrique, brûle sans qu’on ne puisse
l’éteindre. S’arrêtera-t-il ? Où ? Quand ? Et comment ?
Pour le moment, il continue son chemin ardent en brûlant
de luxuriance.

481
BACHELARD (G), op. cit., p.37.
409

Chapitre III : Pour une remise en question


de la re-naissance africaine

«Ni anlara ansara»


Joseph ki-zerbo

III.I -La cure de soi

L’Afrique est aujourd’hui à la croisée des chemins. Ces


chemins qu’elle a empruntés ont mené à plusieurs
bifurcations pour enfin se croiser à un Carrefour unique,
celui du sous-développement, l’Afrique sous-développée.
Mais le sous-développement en lui-même n’est pas une
fatalité. Toutes les grandes nations, tous les continents et
tous les individus sont passés par là. Ce qui peut être
mauvais, c’est d’y demeurer. L’on transcende le sous-
développement lorsqu’on prend conscience de son état de
sous-développé. Il semble qu’en Afrique, cette prise de
conscience est en latence. Dès lors, le sous-développement
de l’Afrique devient un sous –développement culturel,
c’est-à-dire un sous-développement des mentalités. Sous-
développement culturel, parce que les Africains semblent
encore s’africaniser dans leur originalité par des slogans
de retour aux sources . Non satisfait d’une source
originelle des cultures, l’on parle de plus en plus dans
certains pays africains, de citoyens de source, différents
des citoyens d’adoption. L’originalité devient la
410

condition de citoyenneté et d’abreuvage des individus.


Mais la source est tarie et l’eau ne coule plus. L’Afrique
devient à la fois une ombre et un désert.

« Mais cette ombre annonce autre chose, dont le


savoir nous est présentement suspendu. L’homme
(l’africain s’entend) ne pourra même pas appréhender et
prendre en considération ce suspens, tant qu’il persistera
à se mouvoir dans la simple négation de son époque. Le
repli sur la tradition , frelaté d’humilité et de présomption
, n’est capable de rien par lui-même , sinon de fuite et
d’aveuglement devant l’instant historial »482.En effet, la
course à l’originalité aggrave les symptômes du sous-
développement-et cela ne se produit que trop souvent.
L’expérience tend à prouver le retour aux sources,
l’exaltation de la différence et de l’originalité accentue
l’inégalité et le sous-développement. Sera-t-il jamais
possible d’estimer le coût du gaspillage culturel et des
décisions mal conçues qui sont dûs à une recherche
effrénée de l’originalité et de l’authenticité fondée sur
l’application des principes inégalitaires et différentiels
mal appropriés , fruit soit des intentions bassement
politiques, soit de l’inertie, de l’incompétence à mettre en
place une stratégie de développement et de bonheur pour
les peuples africains ? Qui pourrait prévoir exactement les
conséquences de cette intolérable déviation culturelle
dans une Afrique tribalisée, multi-ethnique et
multicivilisationnelle ? Le fond de la question est de
savoir si le simple fait de naître hors d’un pays,
d’embrasser la culture d’un autre pays suffit à priver un
individu de ses droits les plus élémentaires , à priver un
individu de sa liberté, de son droit à la parole, de
nourriture , nécessaires à son développement physique et

482
HEIDEGGER (M.).-Les chemins qui ne mènent nulle part , Traduit
de l’allemand par Wolgang Brokmeier (Paris, Gallimard, 1980),
p.125.
411

intellectuel, de la responsabilité de s’instruire ou de toutes


les autres commodités fondamentales de l’existence dans
un monde où les ressources sont plus que suffisantes pour
satisfaire ces besoins .

« Accablés par les déceptions et devant la vanité des


tentatives à changer l’ordre existant par la voie
institutionnelle , les découragés ont recours à des moyens
plus radicaux pour réaliser ces transformations et corriger
la répartition inéquitable de la puissance et de la richesse.
A mesure que la conscience des disparités se renforce
chez les pauvres et qu’une nouvelle conception de la
justice sociale se développe , on voit apparaître de
nouveaux concepts relatifs à la violence et au droit de
propriété. La violence , considérée auparavant comme
l’action physique de nuire ou de détruire et, par suite,
rangée dans la catégorie des actes illégaux et sanctionnés
par la loi, prend progressivement , pour beaucoup une
nouvelle définition qui englobe l’action de nuire
483
indirectement » .

La reconquête de l’identité perdue prend alors la


forme d’une lutte de libération , parce qu’il prétend
renverser les cours des choses devenu « naturel », le
combat du peuple captif ou de l’ethnie marginalisée reste
fondamentalement incompréhensible pour ses
« maîtres ».Cette dangereuse nécessité émane d’un besoin
de transformation profonde de nos sociétés et de nos
visions du monde. Cependant , des questions profondes et
précises méritent d’être posées : ne devrions-nous pas
respecter les différences des autres ? Est-il nécessairement
avéré que notre culture tribale est meilleure que celle des
autres ? N’y a-t-il pas là une sorte d’impérialisme ?

483
BROWN(L.R.).-Vers un monde sans frontières , traduit. Jean Noël
Aquitapace ( Beyrouth, Copyright, 1972), p.27.
412

Notre histoire ne serait-elle que de démêlés


souvent sanglants d’ethnocentrismes originels également
exclusionnistes ? « Théoriquement, à chaque moment de
l’histoire et pour chaque groupe ou individu, la série des
points de vue possibles est infinie. En fait, l’expérience
nous enseigne qu’il n’est pas facile pour un individu de
trouver d’autres points de vue que ceux qui sont les plus
communément acceptés par la société, le groupe ou la
culture auxquels il appartient . Qu’est-ce en effet qu’une
culture sinon la sélection d’un petit nombre de points de
vue plus ou moins unanimement partagés » 484?

Certes, chaque peuple est attaché à son histoire.


Aucun individu ne peut se départir de ce qu’il a été. Il faut
aimer son histoire. Mais aimer son histoire, c’est aussi
l’assumer. Et assumer son histoire, c’est accepter sa vérité
implacable, c’est-à-dire qu’elle n’est pas toujours
reluisante. C’est admettre qu’elle a connu des hauts et des
bas. Pour l’Afrique, assumer son histoire, ce n’est pas la
brandir comme un trophée aux yeux du monde, mais c’est
admettre que l’histoire est cumulative. Etre original, ce
n’est pas demeurer ce qu’on a été, mais c’est vouloir
devenir ce qu’on voudrait être, c’est être autrement.
Nietzsche l’explique bien : « Qu’est-ce que l’originalité ?
C’est voir quelque chose qui n’a pas encore de nom, qui
ne peut encore être nommé, bien que cela soit sous les
yeux de tous. Tels sont les hommes habituellement qu’il
leur faut d’abord un nom pour qu’une chose leur soit
visible . Les originaux ont été le plus souvent ceux qui
ont donné des noms aux choses »485. Cela montre
clairement que si nous voulons être original, nous devrons
être autrement, nous devrons être des inventeurs, des

484
CARFANTAN (J-Y)& CONDAMINES (C.).-Qui a peur du tiers
monde ? (Paris, Seuil, 1980), p.167.
485
NIETZSCHE (F.).-Le gai savoir . Tradit.Pierre Klossowski (Paris,
Club français du livre, 1977), p.260.
413

créateurs. Mais, ce n’est pas créer en exhumant son passé.


Ce n’est pas inventer en déterrant ce que les autres, nos
ancêtres ont créé. Ceci est un legs et non une invention,
une originalité.

La métaphore nietzschéenne du troupeau semble bien


indiquer notre situation actuelle pour celui qui sait voir et
qui sait observer autour de lui . « Observe le troupeau qui
paît sous tes yeux : il ne sait ce qu’est hier ni aujourd’hui,
il gambade, il broute, se repose, digère, gambade à
nouveau, et ainsi du matin au soir et jour après jour,
étroitement attaché par son plaisir et son déplaisir au
piquet de l’instant, et ne connaissant pour cette raison ni
mélancolie ni dégoût. C’est là un spectacle émouvant
pour l’homme qui regarde , lui, l’animal du haut de son
humanité, mais envie néanmoins son bonheur- car il ne
désire rien d’autre que cela : vivre comme un animal, sans
dégoût ni souffrance , mais il le désire en vain, car il ne le
désire pas comme l’animal. L’homme demanda peut-être
un jour à l’animal : « Pourquoi ne me parles-tu pas de ton
bonheur, pourquoi restes-tu là à me regarder ? » L’animal
voulut répondre, et lui dire : « cela vient de ce que j’oublie
immédiatement ce que je voulais dire »- mais il oublia
aussi cette réponse, et resta muet- et l’homme de
s’étonner. Mais il s’étonne aussi de lui-même , de ne
pouvoir apprendre l’oubli et de toujours rester prisonnier
du passé : aussi loin, aussi vite qu’il coure, sa chaîne court
avec lui »486 .

Pour Nietzsche, l’homme doit s’arc-bouter contre la


charge toujours plus pesante et écrasante du passé qui
entrave sa marche comme un obscur et invisible fardeau.
Mais, ce fardeau, l’homme, s’il ne peut pas s’en
débarrasser, peut , néanmoins, le nier s’il le veut. Mais, il

486
NIETZCHE (F.).-Considérations inactuelles I&II , Traduit. P
IERRE Rusch (Parisn Gallimard, 1990), p.95.
414

s’émeut comme au souvenir d’un paradis perdu. Comme


dans l’innocence d’un enfant, il joue, aveugle et comblé
entre les barrières du passé et de l’avenir. Selon
Nietzsche, on ne peut vivre sans oublier, sans abandonner
une partie de soi-même. « Toute action exige l’oubli , de
même que toute vie organique exige non seulement la
lumière , mais aussi l’obscurité . Un homme qui voudrait
sentir les choses de façon absolument et exclusivement
historique ressemblerait à quelqu’un qu’on aurait
contraint à se priver de sommeil ou à un animal qui ne
devrait vivre que de ruminer continuellement les mêmes
aliments. Il est donc possible de vivre , et même de vivre
heureux , presque sans aucune mémoire , comme le
montre l’animal ; mais il est absolument impossible de
vivre sans oubli. Ou bien , pour m’expliquer encore plus
simplement sur mon sujet : il y a un degré d’insomnie , de
rumination , de sens historique , au-delà duquel l’être
vivant se trouve ébranlé et finalement détruit, qu’il
s’agisse d’un individu, d’un peuple ou d’une civilisation ».
487

Il est donc étonnant que des africains continuent encore


à demander réparation de la Traite négrière et de la
Colonisation sans se poser la question de savoir
l’implicabilité de leurs ancêtres dans ce cours de l’histoire
honteuse de l’humanité. En Afrique, on veut toujours
mettre le bâton dans la plaie au lieu de chercher à la
guérir. Et lorsque la plaie devient infectieuse et purulente,
on commence à se demander que faire ? Et, n’ayant pas de
solution , on se tourne vers l’extérieur, cet extérieur qu’on
a accusé d’avoir provoqué la blessure , de nous donner
maintenant les remèdes appropriés. Notre passé ,
aujourd’hui, est devenu le fossoyeur de notre présent.
Comme le dit Nietzsche, nous semblons avoir perdu notre
force plastique, « je veux parler de cette force qui permet
487
NIETZSCHE (F), op. cit., p.97.(L’italique est de l’auteur).
415

à l’individu de se développer de manière originale et


indépendante , de transformer et d’assimiler les choses
passées ou étrangères , de guérir ses blessures , de réparer
ses pertes, de reconstituer sur ses propres fonds les
formes brisées. Il existe des gens tellement dépourvus de
cette force qu’un seul événement , une seule souffrance ,
souvent même une seule légère injustice suffit, comme
une toute petite écorchure, à les vider irrémédiablement
de tout leur sang ; il existe d’autre part des gens que les
plus terribles , les plus horribles catastrophes , que même
les actes de leur propre méchanceté affectent si peu ,
qu’ils retrouvent immédiatement ou peu après un certain
bien-être et une sorte de bonne conscience . Plus la nature
profonde d’un individu possède des racines vigoureuses ,
plus grande sera la part du passé qu’il pourra assimiler ou
accaparer , et la nature la plus puissante , la plus
formidable se reconnaîtrait à ce qu’il n’y aurait pour elle
pas de limite où le sens historique deviendrait
envahissant et nuisible ; toute chose passée, proche ou
lointaine , elle saurait l’attirer, l’intégrer à soi et pour ainsi
dire la transformer en son propre sang »488

L’Africain d’aujourd’hui , ne doit –il pas


transformer son passé en son propre sang ? Doit-il
continuer à avoir une âme conservatrice et adoratrice d’un
passé lointain ? Notre authenticité n’est-elle pas en elle-
même ouverture vers, transcendance et engagement ?
L’exhumation de notre passé comme certificat d’humanité
ne se mue –t-il pas en un tragique certificat de
décès ? « Pour nous servir d’une image passablement
audacieuse : l’arbre sent ses racines plus qu’il ne peut les
voir, mais il en évalue la grandeur à la grandeur et à la
vigueur de ses branches visibles. En cela, déjà ; il peut se
tromper : Combien alors se trompera-t-il au sujet de la
forêt environnante, qu’il ne connaît que dans la mesure où
488
NIETZSCHE (F), op. cit., pp.97-98.
416

elle l’entrave ou l’aide dans sa croissance- et rien de


plus. La sensibilité traditionaliste d’un homme, d’une cité,
d’un peuple tout entier est toujours limitée à un champs
extrêmement étroit ; la plupart des phénomènes lui
échappent totalement , et le peu qu’elle en perçoit, elle le
perçoit de trop près et de façon trop fragmentaire. Elle ne
peut mesurer son objet, elle accorde donc à toute chose
une égale importance , et trop d’importance à chaque
chose particulière »489.

Il faut donc empêcher que la sensibilité du peuple


africain s’émousse. L’histoire de l’Afrique doit servir
aussi bien la vie passée que la vie future. Il ne faut pas se
déchoir dans la moisissure en ayant une passion
universelle pour tout ce qui est ancien. Notre authenticité
nous empêche d’opter résolument pour le renouveau tout
en paralysant nos actions. L’Africain nouveau doit faire
une cure de soi. « Il ne peut vivre, s’il n’a pas la force de
briser et de dissoudre une partie de son passé, et s’il ne fait
pas de temps à autre usage de cette force : il lui faut pour
cela traîner son passé en justice, lui faire subir un sévère
interrogatoire et enfin le condamner ; or tout passé vaut
d’être condamné-car tout ce qui relève de l’homme a
toujours été soumis à la puissance et à la faiblesse
humaine. Ce n’est pas la justice qui juge ici : c’est encore
moins la grâce qui prononce le verdict : mais la vie seule,
cette puissance obscure, entraînante, insatiablement
assoiffée d’elle-même »490. Il nous faut donc examiner
notre passé d’un point de vue critique en le passant sous le
crible de notre raison. Il nous faut nier notre être intime
pour devenir nous –mêmes , c’est-à-dire autrement. Il nous
faut passer le fer à notre racine afin de la débarrasser de
ses éléments morts et purifier ses éléments vivants. Il est
vrai que ce processus est toujours dangereux, dangereux

489
NIETZSCHE (F), op. cit., p.111.
490
NIETZSCHE (F), op. cit., p.113.
417

pour la vie elle-même. Mais qu’est-ce qui n’est pas


dangereux ? Le passé lui-même n’est-il pas dangereux ?

Dans une couronne pour Udomo, Peter Abrahams


explique bien la peur du passé par le héros Udomo et la
peur du présent par Sélina et Adeboy. En effet, accusé
d’avoir détruit les coutumes , Udomo réplique à ses
détracteurs : « « Ecoutez Sélina . Je vais vous dire quels
buts je poursuis. Notre pays a, ou plutôt avait, trois
ennemis. De l’un deux , j’ai fait un allié. Mais mettons
qu’il y en ait trois . Le premier c’est l’homme blanc. Puis
il y a la misère, et enfin le passé. Tels sont nos trois
ennemis . Quand je suis arrivé ici, je croyais n’avoir à
faire face qu’ à un seul ennemi : le Blanc. Mais dès
l’instant où je me suis défait de lui, les autres ennemis me
sont apparus, plus grands, plus dangereux que le Blanc. A
côté de ces deux-là, le Blanc faisait presque figure d’allié.
Eh bien, j’ai fait de lui un allié, qui lutte avec nous contre
la misère. Il travaille pour nous à présent, construit pour
nous, de sorte que ceux qui viendront après nous auront
du pain et un foyer. Il y a maintenant des écoles et des
hôpitaux dans le pays. Les jeunes hommes et les jeunes
femmes sortent de leur torpeur. Pourquoi croyez- vous
que j’aie dépensé tant d’argent pour les envoyer à
l’étranger ? Parce que j’ai besoin qu’ils se joignent à moi
pour lutter contre notre troisième ennemi, le pire que
nous ayons : le passé...J’ai accompli pour la forme les rites
du ju-ju, j’ai participé aux cérémonies du sang et je me
suis prosterné devant les autels de nos ancêtres .
Maintenant, je n’ai plus à le faire. Il y a aujourd’hui
suffisamment de jeunes gens qui ont mis au rancart ces
superstitions périmées pour que je puisse me dresser
contre tout ce qui est laid et mauvais dans notre passé. Et
vous Sélina, et vous Adebhoy, que j’ai aimé autrefois
comme un frère, vous êtes le passé. Je vous abattrai !
C’est vous qui faites obstacle à l’évolution de la grande
418

Afrique. Allez –y combattez-moi à la conférence du parti,


vous verrez qui l’emportera ! Vous venez trop tard, mes
amis. Trop tard... »491.

Par ces propos, Peter Abrahams, par l’intermédiaire de


Michael Udomo , nous incite à penser notre passé et à
pouvoir nous en défaire. C’est seulement à partir de la
plus haute force du présent que nous avions l’impérieux
devoir d’interpréter notre passé. C’est au plus profond de
nous-mêmes que nous devrions comprendre du passé, ce
qui est grand , ce qui est digne d’être conservé et su. Il
nous faut réduire le passé à notre mesure. Et Udomo le dit
bien à Louise : « C’est en toute liberté , si tant est qu’une
telle chose existe, que nous avons choisi de vouer nos vies
à une cause : libérer un continent. C’est notre raison
d’être. Quelqu’un m’a dit un jour que nous étions la
génération perdue ; nous n’avons plus d’attaches avec le
passé de notre race, et nous ne nous sommes pas encore
fait une place dans votre monde , à vous... »492.

En nous repliant donc sur notre passé, pour retrouver


notre identité perdue, nous nous détournons alors de
l’horizon infini de la culture universelle et nous nous
retranchons dans le dernier réduit de notre égoïsme où on
ne peut que se flétrir et se dessécher. C’est vrai qu’il faut
entrer en nous-mêmes pour nous connaître, selon les
préceptes de Delphes du« connais –toi toi- même ». Mais
, on ne se connaît mieux que par rapport à l’autre, qu’en
prêtant l’oreille à nos véritables besoins et en abandonnant
nos besoins factices . C’est seulement en ce moment là, et
en ce moment seulement que nous serons ‘’Original’’, que
nous rentrerons en possession de notre personnalité
propre. Nietzsche l’explique si bien : « Chaque individu

491
ABRAHAMS (P.).- Une couronne pour Udomo , Traduit. Pierre
SINGER.( Paris, Stock, 1958), pp.291-292..
492
ABRAHAMS (P), op. cit., p.41
419

doit organiser son chaos intérieur en réfléchissant à ses


véritables besoins . Il faudra bien un jour que son
honnêteté , son caractère fort et véridique se refuse à
toujours répéter , apprendre, imiter ; il commencera alors
à comprendre que la civilisation peut être autre chose
que la décoration de la vie , c’est – à - dire une manière
de la travestir et de la déformer ; toute parure, en effet,
cache l’objet paré. Alors se dévoilera à lui la conception
grecque de la civilisation , qui, contrairement à la
conception latine , voit en celle-ci une nouvelle et
meilleure physis , sans distinction d’un intérieur et d’un
extérieur, sans dissimilation ni convention : la conception
d’une civilisation où se réalise l’accord de la vie et de la
pensée , du paraître et du vouloir. Il apprendra alors à
travers sa propre expérience que c’est la force supérieure
de leur nature morale qui a permis aux Grecs de
triompher de toutes les autres civilisations , il apprendra
que tout progrès de la sincérité doit préparer et favoriser
la vraie culture, dût cette sincérité nuire parfois gravement
à la forme de culture qui jouit en ce moment-là de la
considération générale, dut-elle même précipiter la chute
de toute une civilisation à caractère purement
décoratif »493 .

D’ailleurs, Cheik Anta Diop a montré que les Grecs


sont venus s’abreuver du savoir égyptien dont la
civilisation était nègre. Il faut les en féliciter , ces grecs
pour leur esprit d’ouverture, pour leur intelligence et leur
audace. Il faut oser. Il faut accepter l’autre en s’offrant à
l’autre pour connaître l’autre et s’approprier l’autre. Le
savoir est Ouverture, la culture aussi. D’ailleurs, la culture
n’est-elle pas le Savoir ? Une civilisation fermée sur elle-
même n’est - elle pas une civilisation morte ? Tant il est
vrai, comme le dit Antoine de Saint-Exupéry qu’ « une
civilisation est un héritage de croyances , de coutumes et
493
NIETZSCHE (F), op. cit , p.169.
420

de connaissances acquises au cours des siècles , difficiles


parfois à justifier par la logique , mais qui se justifient
d’elles-mêmes , comme des chemins , s’ils conduisent
quelque part, puisqu’elles ouvrent à l’homme son étendue
intérieure »494.

III. II. La palissade de l’espérance

Notre civilisation doit donc être notre chemin si elle


peut nous conduire quelque part. Pour que nous trouvons
ce chemin, il nous faut bien l’interroger pour ne pas
qu’elle soit ‘’ces chemins qui ne mènent nulle part’’.
Nietzsche peut donc nous intimer cet ordre
pressant :« Dressez autour de vous la palissade d’une
haute et vaste espérance , d’une espérance pleine d’espoir.
Formez en vous l’image sur laquelle se réglera l’avenir
et oubliez la croyance superstitieuse qui vous condamne
à ne plus être que de simples épigones . Cet avenir vous
donne assez à méditer et à découvrir »495.

Si l’Afrique veut se développer, il faut qu’elle aille


chercher l’espoir. Mais cet espoir se trouve en chacun des
africains, en l’étendue intérieure de chacun de nous . Si la
culture africaine pour autant qu’elle veut comprendre, se
comprendre et comprendre les autres, qu’elle veut tout
comprendre ,elle doit s’ouvrir inexorablement à tous les
points de vue et tenter d’essayer toutes les perspectives
extérieures pour amorcer la machine du développement.
Une fois que le refus automatique au passé et le désir de se
transformer en profondeur auront été notre leitmotiv, notre
culture pourra libérer l’Africain universellement.
L’exigence d’ouverture à l’autre qui se présente à notre
culture comme une exigence d’une volonté du Bien, finit,

494
SAINT –EXUPERY (A.).- Pilote de guerre (Paris, Gallimard,
1942), p.105.
495
NIETZSCHE (F.), op. cit., p.135.
421

dans l’entreprise de la réflexion sur soi, sur les conditions


de possibilités de notre épanouissement, sur les apories de
notre culture, par être conduite à une réflexion où elle se
dépasse elle-même , où elle se réfléchit elle –même
comme une particularité dans une totalité qui la comprend
, dans une africanité de la mondialité dans la mesure où
elle se comprend , se fait comprendre et trouve son sens
dans la sphère mondiale de la Culture . Notre culture qui
ne se pose elle-même que pour s’exposer dans nos faits
et gestes dans nos discours, ne peut valoir comme
principe absolu de ces faits et gestes, de ces discours
qu’à la condition de s’identifier à la raison culturelle
universelle .

Pour nous , Africains, L’Aventure est déjà à son terme


et c’est à partir de ce terme atteint que Herbert Marcuse
peut nous inviter à comprendre notre rapport avec nous-
mêmes et avec les autres. Le rapport de notre culture avec
notre société doit nous permettre de forger une nouvelle
image de l’homme et de la culture , de l’homme apte à
faire avancer sa vie par le travail ,en s’assumant pour se
libérer. Vu les situations politiques et sociales de
l’Afrique , aujourd’hui, nous devons à la manière de
Herbert Marcuse, nous poser ces questions
fondamentales : quelle force portent les masses africaines
et chaque africain en tant qu’entité individuelle à vouloir
s’aliéner dans les dictatures politiques et culturelles et quel
principe historique de mort les détourne de leur
libération ?

Comme Marcuse, nous proposons « le grand refus » ,


qui doit animer sans cesse un repérage de ce qui fomente
, dans les failles des systèmes africains , un mouvement
révolutionnaire. Nous devons utiliser un élément commun
pour notre libération . « Cet élément commun est la
recherche d’un « langage authentique », le langage de la
422

négation en tant que le Grand Refus d’accepter les règles


d’un jeu dans lequel les dés sont pipés. L’absent doit être
rendu présent , parce que la plus grande part de la vérité
est en cette absence »496. Il nous faut donc utiliser la
pensée dialectique qui doit partir de l’expérience que
notre continent n’est pas libre, que les africains et le
continent africain existent dans des conditions d’aliénation
. Il faut donc chercher à comprendre la réalité, c’est- à-
dire comprendre ce que sont les choses véritablement, ce
que sont l’Afrique et les Africains . Et cela signifie, le
rejet de leur simple facticité .

Le refus définit dès lors le processus de la pensée aussi


bien que celui de l’action . Par ce geste, on comprendra
que « le pouvoir de la pensée négative est la force
motrice de la pensée dialectique employée comme
instrument pour analyser le monde des faits dans les
termes mêmes de son inadéquation interne »497. Cette
pensée dialectique, comme le pense Marcuse, est
nécessairement destructrice . Car la libération qu’elle
apporte, quelle que soit sa nature , est une libération en
pensée, en théorie et le divorce de la pensée et de la
théorie , de la pensée et de l’action , fait partie intégrante
d’un monde non-libre. « Sa fonction consiste à briser
l’assurance et le contentement de soi du sens commun , à
saper la confiance funeste dans la puissance et le langage
des faits , à démontrer que la non-liberté est établie au
cœur des choses et que le développement de leurs
contradictions internes conduit nécessairement à un
changement qualitatif, à l’explosion et à la dissolution de
l’état de choses en place »498.

496
MARCUSE (H.).- Raison et révolution , Traduit. Robert Castel &
Pierre – Henri Gonthier ( Paris, LES Editions de Minuit, 1968), p.45.
497
MARCUSE (H), op. cit., p.42.
498
MARCUSE (H), op. cit., p.44.
423

On sait que l’éthique du refus n’a pour Marcuse du sens


que dans le rapport , théorique et pratique , avec des
forces de transgression et de libération . C’est pourquoi,
comme lui, notre pensée critique ne doit pas consentir à
l’observation ; elle doit avoir pour connotation
personnelle l’endurance d’un espoir dans une Afrique où
l’on semble avoir perdu tout espoir. Il faut repérer , pour
l’Afrique, des indices révolutionnaires . Pour nous, les
buts de cette révolution doivent être préservés dans la
volonté de la pensée d’abolir la misère dans laquelle tout
le continent africain se trouve plongé, de supprimer les
besoins intenses de l’Afrique, de poser le bonheur et le
plaisir comme éléments constitutifs de la liberté de
l’homme-africain . Chaque africain devrait goûter au
délice du bonheur. N’est-ce pas que la liberté commence
avec la propriété ? Ne se développe-t- elle pas, comme
l’a montré Hegel , sous le règne universel de la loi qui
reconnaît le droit égal de tous à la propriété ? Mais ,
malheureusement, ceci n’est qu’un slogan en Afrique. Le
peuple croupit sous les déboires de la misère. Seul , un
groupe ; seule, une classe est propriétaire, c’est la classe
au pouvoir. On chante la race et on brandit le passé pour
entonner l’hymne du socialisme africain. Quel
socialisme ?« L’identification politique de la liberté et de
la dépendance n’est qu’une phase creuse si la
communauté à laquelle l’homme libre est rattaché a priori
ne garantit pas la possibilité d’une réalisation de son
être- là conforme à la dignité de l’homme , ou du moins
si elle ne peut pas créer cette possibilité. L’identité de la
liberté et du lien politique (...), loin de la rendre superflue
, appelle au contraire cette question : comment se présente
cette communauté à laquelle on veut que je m’attache ?
Est-ce qu’elle assurera la protection de ce qui fait le
bonheur et la dignité de l’homme »499 ?

499
MARCUSE (H).-Culture et société , Traduit. Gérard Billy, Daniel
Bresson& Jean-Baptiste Grasset (Paris, Les Éditions de Minuit,
424

Aujourd’hui, nous avons besoin de nouvelles valeurs


mais tout en nous enracinant dans notre culture.
S’enraciner dans notre culture, ce n’est pas la regarder de
dos, mais de face. C’est la fixer et l’interroger. C’est lui
faire avouer l’inavouable, c’est lui faire dire l’indicible.
Nul ne peut le nier, chaque individu est tenu de se
soumettre aux valeurs culturelles. Mais , en retour, celles-
ci ne doivent pas être désuètes et il est du devoir de chaque
individu de faire entrer ces valeurs culturelles dans sa vie,
en pénétrer leur existence et leur faire transfigurer pour
modeler sa vie , une vie à renaître par sa culture.

Tel un arbre qui veut grandir, nous avons besoin de


racines, de racines solides qui s’enfoncent dans la terre
nourricière pour s’humecter de l’humus de leur milieu.
Sans ce milieu, la racine ne peut pas s’enfoncer
profondément. Il faut que le milieu soit propice et
favorable . Le devoir du milieu, c’est l’acceptation de
l’arbre par l’enfoncement de ses racines . Le devoir des
racines, c’est leur enfoncement dans la terre pour mieux se
fixer et permettre à l’arbre de grandir , de propager son
ombre par les bifurcations de ses branches ; et sous cette
ombre, l’homme pourra s’y reposer, le voyageur fatigué
pourra s’asseoir pour se reposer, le penseur pourra
méditer, l’homme politique pourra prendre des décisions .
Cet arbre pourra aussi donner des fruits dont pourront se
nourrir l’orphelin, le mendiant et l’affamé. Mais que fera
l’arbre pour son milieu sans lequel , il n’aura pas vu le
jour ? Ce milieu qui l’a accepté et qui lui a été favorable ?
Eh bien, l’arbre reconnaissant, laissera tomber ses fruits et
ses feuilles qui serviront de nourriture au milieu et le
fertiliseront. Tel est à nos yeux, le sens de l’enracinement,
de notre enracinement , et Simone Weil l’explique
correctement : « Un être humain a une racine par sa

1970) , pp.99-100.
425

participation réelle, active et naturelle à l’existence


d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors
du passé et certains pressentiments d’avenir. Participation
naturelle, c’est-à-dire amenée automatiquement par le
lieu , la naissance , la profession , l’entourage. Chaque être
humain a besoin d’avoir de multiples racines. Il a besoin
de recevoir la presque totalité de sa vie morale,
intellectuelle, spirituelle, par l’intermédiaire des milieux
dont il fait naturellement partie »500.

Mais, aujourd’hui, il semble que l’africain ait perdu à


la fois l’unité de soi et du monde ; il est sans « feu ni
lieu », selon une formule hégélienne dans ce monde et
incapable d’entrer dans le monde transcendant son propre
vouloir. L’Africain est aliéné. Son aliénation exprime une
perte sur deux tableaux : perte de l’unité de soi et perte du
monde social. À L’heure actuelle, en Afrique, les
complexités de la totalité, la tyrannie des institutions
fossilisées, et les espoirs pour le futur, font de
l’appréhension de la réalité présente africaine, la tâche la
plus ambitieuse que nous pouvons réaliser. Avons –nous
déjà perdu l’appétit pour toutes les valeurs de la vie ?Une
valeur, qui , sous sa forme extrême, mène au désespoir
intégral de tout un peuple, une valeur accablante qui
environne l’africain sans ouverture ni fin possible ?

Notre visée doit être la réalisation des possibilités


objectives cachées par l’immédiateté du présent. Pour ce
faire, il nous faut une remémoration critique qui consiste
à devenir-pour-soi et à comprendre que les rapports
productifs sont des rapports sociaux et qu’ils fournissent
un champ de réalisation humaine. L’espoir de libération de
l’Afrique doit donc s’enraciner dans un niveau
d’existence plus général et plus profond. Il faut arriver à
surmonter la perte de l’existence historique, en situant
500
WEIL (S.).- L’Enracinement (Paris, Gallimard, 1977), p.61.
426

l’élan vers la libération dans une couche plus profonde


de la condition humaine . Dans ce cas, « C’est sur la
culture que doit se reporter l’exigence de bonheur des
individus. Mais les antagonismes sociaux qui sont à la
base de la culture ne permettent à cette exigence de s’y
faire une place que sous une forme intériorisée et
rationalisée. Dans une société qui se reproduit par la
concurrence économique, le simple fait de revendiquer
une existence plus heureuse pour l’ensemble constitue
déjà un acte de rébellion » 501.

Mais, il faut continuer la lutte, il faut revendiquer la


justice contre l’injustice, il faut se battre pour la
revendication historique du bonheur universel des
individus. Nous voulons conserver notre culture ? Cela est
une bonne chose, mais toute culture s’améliore et la
culture doit faire des valeurs d’hommes. Comme nous l’a
montré Marcuse, les valeurs d’hommes font d’ailleurs
partie de la définition de la culture par opposition à la
simple civilisation . L’âme n’est –elle pas fondée , depuis
Descartes sur l’originalité du moi comme res cogitans ?
« La culture ne signifie pas tant un monde meilleur
qu’un monde plus élevé , un monde qui n’adviendra pas
à la suite d’un bouleversement du système de vie
matériel, mais par une évolution qui a son siège dans
l’âme des individus. L’humanité devient une disposition
intérieure ; la liberté, la bonté , la beauté deviennent des
qualités de l’homme : compréhension pour tout ce qui est
humain , connaissance de ce qu’il y eut de plus noble à
toutes les époques , estime portée à tout ce qui est sublime
et puissant, respect de l’histoire , où toutes ces vertus ont
mûri. Une telle disposition doit produire une conduite
qui ne s’en prend pas à l’ordre établi. L’homme cultivé
est celui pour qui les vérités de l’humanité ne sont pas
un cri de guerre mais un comportement. Ce
501
MARCUSE (H), op. cit., p.114.
427

comportement entraîne un savoir-vivre : il faut montrer


harmonie et équilibre jusque dans les moindres actions
quotidiennes . La culture doit pénétrer et ennoblir ce qui
existe et non mettre quelque chose de nouveau à sa
place. C’est ainsi qu’elle élève l’individu , sans le libérer
de son humiliation réelle. Elle parle de la dignité de
l’Homme , sans se soucier d’une existence réellement
plus digne des hommes . La beauté de la culture est avant
tout une beauté intérieure et ne peut toucher l’extérieur
qu’à partir de l’intérieur ; son domaine est essentiellement
celui de l’âme »502.

III.III. Refus du triomphe identitaire

Mais que remarquons –nous en Afrique ? Les tragédies


culturelles : l’abâtardissement et l’anthropophagie, des
ultra-nationalismes, des patriotismes d’un nouveau genre.
On active la haine tribale, on réclame en Côte d’Ivoire, des
ivoiriens d’origine , des ivoiriens de source multi-
séculaire, entre temps, on admet, sinon on marginalise des
ivoiriens d’adoption, des ‘’adaptables’’. Cette
catégorisation des individus a entraîné pour ce pays, jadis,
oisif de paix, une rébellion armée qui persiste encore et
qui a laissé une plaie béante. Au Rwanda, c’est le refus de
la coexistence culturelle entre Hutus et Tutsis qui a
entraîné un génocide. Au Soudan, c’est la rupture de banc
entre le nord-musulman et le sud-chrétien. Y a t-il encore
une parcelle paisible en Afrique ? Les damnés de la terre
veulent-il vraiment recommencer une histoire de
l’homme ? Leur histoire ?

Frantz Fanon ne le croit pas. Son constat est effrayant :


en Afrique, après la colonisation, on distille des idéologies
totalitaires çà et là pour s’accaparer des postes détenus par
les étrangers. La bourgeoisie nationalitaire brandit
502
MARCUSE (H), op. cit., p.118.
428

énergiquement les notions de nationalisation des cadres,


d’africanisation des cadres, une démarche teintée de plus
en plus de racisme et de xénophobie. « De leur côté, le
prolétariat des villes , la masse des chômeurs , les petits
artisans, ceux que l’on a coutume d’appeler les petits
métiers, se rangent sur cette attitude nationaliste, mais,
rendons-leur cette justice : ils ne font que calquer leur
attitude sur celle de leur bourgeoisie. Si la bourgeoisie
nationale entre en compétition avec les Européens , les
Artisans et les petits métiers déclenchent la lutte contre
les Africains non nationaux. En Côte- d’Ivoire, ce sont les
émeutes proprement racistes antidahoméennes et
antivoltaïques503. Les Dahoméens et les Voltaïques qui
occupaient dans le petit négoce des secteurs importants
sont l’objet , au lendemain de l’indépendance , de
manifestations d’hostilité de la part des Ivoiriens . Du
nationalisme nous sommes passés à l’ultra-nationalisme ,
au chauvinisme , au racisme. On exige le départ de ces
étrangers, on brûle leurs magasins, on démolit leurs
échoppes, on les lynche et, effectivement, le
gouvernement ivoirien les somme de partir, donnant
ainsi satisfaction aux nationaux »504. Aujourd’hui, encore,
des années après l’indépendance, les choses n’ont guère
évolué, elles semblent devenir plus alarmantes au point
qu’un Président Sénégalais, Abdoulaye Wade, au plus fort
de la crise ivoirienne en 2003, a pu dire que « ce qu’un
Burkinabé subit en Côte d’Ivoire, un Africain ne le subit
pas en France ».

Le mécanisme est identique dans plusieurs pays


africains. Si en Côte d’Ivoire, ce sont les Burkinabés et les
Maliens, au Sénégal, ce sont les Maliens ; Au Maroc, c’est

503
Les Dahoméens et les Voltaïques, sont appelés respectivement
aujourd’hui, les Béninois et les Burkinabés.
504
FRANTZ (F.).-Les damnés de la terre (Paris, Maspéro, 1968),
p.101.
429

la chasse aux ressortissants de l’Afrique subsaharienne.


Au Ghana, les Nigériens ; Au Zimbabwe, les agriculteurs
blancs. « Et, de fait, partout où la bourgeoisie nationale
par son comportement mesquin et l’imprécision de ses
positions doctrinales n’a pu parvenir à éclairer l’ensemble
du peuple , à poser les problèmes d’abord en fonction du
peuple, partout où cette bourgeoisie nationale s’est
révélée incapable de dilater suffisamment sa vision du
monde , on assiste à un reflux vers les positions
tribalistes ; on assiste , la rage au cœur , au triomphe
exacerbé des ethnies. Puisque le seul mot d’ordre de la
bourgeoisie est : remplaçons les étrangers et qu’elle se
hâte dans tous les secteurs de se rendre justice et de
prendre les places , les petits nationaux : chauffeurs de
taxi, vendeurs de gâteaux, cireurs de souliers vont
également exiger que les Dahoméens rentrent chez eux
ou, allant plus loin, que les Foulbé retournent à leur
brousse où à leur montagne »505.

Ainsi, l’Unité Africaine devient-elle une formule


vague dans la mesure où les bourgeoisies nationales sont
incapables d’édifier la nation sur des bases solides et
fécondes . Comme le dit Konaté Yacouba, « Même les
victoires des Noirs se retournent contre eux »506 . Les
fronts nationaux qui avaient fait reculer le colonialisme ,
se disloquent et consument leurs défaites. Dans les pays
africains, les luttes implacables que se livrent les ethnies et
les tribus, le souci agressif de la bourgeoisie appendicitaire
d’occuper les postes rendus libres par le départ des
étrangers vont donner naissance à des compétitions
religieuses et à des guerres fratricides. « C’est à la fois la
misère du peuple, l’enrichissement désordonné de la caste

505
FANON (F.), op. cit., p.103.
506
KONATE (Y.).-‘’Les ambiguïtés de la carte d’identité de Jean
Marie Adiaffi ‘’ in Revue de littérature et d’esthétique négro-africaine
(Abidjan, NEA, 1987), p.61.
430

bourgeoise, son mépris étalé pour le reste de la nation qui


vont durcir les réflexions et les attitudes. Mais les menaces
qui éclosent vont entraîner le raffermissement de
l’autorité et l’apparition de la dictature . Le leader, qui a
derrière lui une vie de militant et de patriote( ?) dévoué,
parce qu’il cautionne l’entreprise de cette caste et ferme
les yeux sur l’insolence , la médiocrité et l’immoralité
foncière de ces bourgeois, constitue un écran entre le
peuple et la bourgeoisie rapace . Il contribue à freiner la
prise de conscience du peuple. Il vient au secours de la
caste, cache au peuple ses manœuvres devenant ainsi
l’artisan le plus ardent au travail de mystification et
d’engourdissement des masses. Chaque fois qu’il
s’adresse au peuple il rappelle sa vie , qui fut souvent
héroïque , les combats qu’il a menés au nom du peuple,
les victoires qu’en son nom il a remportées , signifiant
ainsi aux masses qu’elles doivent continuer à lui faire
confiance . Les exemples foisonnent de patriotes africains
qui ont introduit dans la lutte politique précautionneuse
de leurs aînés un style décisif à caractère
nationaliste »507.

Ce caractère nationaliste, disons, nationalitaire a


provoqué en Afrique, le Triomphe de l’Identitaire par la
catégorisation fixe des individus. Après les formules
« trompe-l’œil » de l’Africanité et de l’unité africaine,
c’est l’ouverture des plaies béantes de l’authenticité et de
l’originalité qui ont pour bifurcation, entre autres,
l’Ivoirité, la Sénégalité, etc. Au nom d’un idéal politique,
on finit par y greffer un concept culturel divisionniste,
exclusionniste , ségrégationniste et extraverti. Les
individus de source, multiséculaires, les individus en
« ET », de pères et de mères eux-mêmes de source et les
individus en « OU », de père ou de mère. C’est la
recherche de l’identité, de l’homme-vrai, de l’homme-
507
FRANTZ (F.), op. cit., p.110.
431

originaire, de l’homme-authentique. « L’histoire n’est


suscitée que dans sa dimension stratifiée, monumentale et
ornementale. On en brise le mouvement pour justifier et
réinscrire les combats dans un périmètre endogène où la
capacité de continuité de l’ethnie , de la race, de la nation
sera mise en avant. On cherche à nier la césure entre hier
et aujourd’hui pour résumer le présent bouleversant et
bouleversé. Et ce à travers tout un réseau d’échanges, de
permanence et de régularité. La plasticité des sociétés
cède devant l’assaut des structures mentales plus ou
moins idéologiques qui ligaturent les ouvertures vers
l’ailleurs . La recherche d’identité procède bien d’une
formalisation de la société et surtout du pouvoir qui à
travers ses corps se réserve à un droit de regard sur
l’histoire et les systèmes de valeurs, de représentations et
de références »508.

C’est le rejet de l’ouverture aux peuples qui se saisit à


partir de La Différence et des particularités. Les
particularités proviennent de la terre et du sol, des ethnies,
du climat, de la fonction, des communautés de sang et de
lignage attachées à un sol, en bref des origines. Elles ont
pour vocation de prolonger l’originel ou l’original, à
travers des événements et des institutions relativement
anciennes ou mises sur place pour forger des idéologies .
Ces particularités naissent du sol natal et de l’espace
selon un processus aveugle et quasi naturel. Elles
naissent isolées, puis elles s’affrontent, ce qui les
transforme en différence. Or, nous dit Hegel,« La
différence est la négativité qu’a dans soi la réflexion ;
le néant qui se trouve dit par le parler identique ; le
moment essentiel de l’identité elle-même, qui en même
temps, comme négativité d’elle-même, se détermine et

508
KONATE(Y.), op. cit., p.65.
432

est différente de la différence »509 . Les particularités se


modifient et se transforment en différences. Cette
différence, nous dit Hegel, est la différence en et pour soi,
la différence absolue et la différence de l’essence, non pas
différence par rapport à l’extérieur mais différence se
rapportant à soi. « Mais le différencié par rapport à la
différence est l’identique. Elle est donc elle-même et
l’identité. Toutes deux ensemble constituent la
différence »510

Cette catégorisation des individus d’un même pays


présuppose elle-même une déréalisation de la dimension
de l’individuel. En effet, d’autre part, des individus sont
assignés à des classes d’humains inférieurs , ayant droit à
toutes les tâches sauf à des tâches politiques, et d’autre
part, des individus supérieurs en tant que représentants de
la classe originelle . Par la déréalisation de l’individu,
nous entendons désigner le processus de dissolution de
l’individuel comme tel dans une entité collective qui seule
existerait réellement, et de façon telle qu’on la pourrait
dire permanente et l’autre évolutive. Ici , encore, c’est la
théorie de l’évolution ; après des années, les enfants de
l’adaptable pourront devenir des originaux, de père et de
mère eux –mêmes ... d’origine. Cette thèse de la fixité des
appartenances individuelles, de la catégorisation des
citoyens présuppose la thèse de la permanence des types
d’appartenance. Cette communauté d’appartenance est
posée comme la valeur des valeurs en même temps
qu’elle est interprétée comme la seule vraie réalité –
comme type substantiel, ou substance première dans
l’ordre social et anthropologique. C’est l’idéologie supra-
individualiste d’un destin préétabli pour les peuples.

509
HEGEL (G.W.F).-Science de la logique , Traduit. P.J. Labarrière
&Gwendoline Jarczyk(Paris, Aubier Montaigne, 1976), p.46.
510
HEGEL(G.W.F), op. cit., p.47.
433

« La recherche de l’identité correspond donc à une


historicité dont la rationalité ne se thématise pas toujours
dans des théories de l’identité à penser leur identité et à
se présenter comme identité adhère à la nécessité
d’exclusion de l’histoire qui rend possible toute réflexion
essentialiste. En effet, si toute recherche d’identité se
soutient positivement par une stimulation réussie de la
mémoire, cette mémoire reste plus liée aux légendes,
aux mythes qu’à l’histoire »511 .La catégorisation
essentialisante de l’individu implique l’inéluctabilité et
l’insurmontabilité de l’incarnation du type. Il s’opère
ainsi un déplacement de l’individualité , de son schème,
du niveau de l’individu biologique à celui de la
communauté « originelle », définie comme le seul
véritable individu. L’individu de seconde zone, l’individu-
greffé, le bâtard culturel n’a d’autre statut que d’être un
épiphénomène du type ‘’original’’, un moment de
l’épiphanie de celui-ci. Ce qui se met en place, c’est le
déterminisme génétique.

Dès lors, les distances culturelles et les frontières


nationales deviennent des barrières infranchissables. La
biologisation, la naturalisation, des différences entre les
« identités » collectives absolutisées viennent légitimer
la prescription de séparer ce qui diffère en nature. Le
piège, nous dit Konaté Yacouba, consiste à remplacer une
idole exogène par une endogène, en choisissant dans la
généalogie de son peuple, dans la mémoire de ses ancêtres
un âge d’or à restituer et à redorer pour retrouver la dignité
et la liberté perdues. Ainsi donc « Le récit d’identité
maintient par ses oublis le lien entre l’histoire telle qu’on
l’a vécue et l’histoire telle qu’on veut la vivre et la revivre.
La recherche d’identité ne casse donc pas immédiatement
le cours de la violence qui fait s’effondrer les mythes et
les modèles de la domination . Souvent, trop souvent
511
KONATE(Y.), op. cit., , p.64.
434

hélas ce qu’elle réussit le mieux , c’est de rapprocher les


actes politiques de leurs victimes. L’identité c’est aussi le
manteau qu’on jette sur le désastre de notre présent pour le
doter d’une légitimité historique, culturelle, négociée à
coups de falsification. Il y a des recherches d’identité
troublantes. Très troublantes »512.

En dehors de cela, il faut dire que ces singularités


identitaires ne sont rien d’autre qu’héritage subi voué à la
disparition ou hypostase au service d’une domination qui
tente d’imposer son hégémonie et de faire sa place au
soleil en renouvelant dans sa perspective la déchirure
sociale par la déréliction du langage et la forfaiture
politique. Cette domination identitaire, à la recherche de
la race pure, n’est rien d’autre que l’expression d’un
pouvoir dominant s’appropriant les antagonismes tribaux
et les inégalités politiques à ses propres fins afin d’en
régir un usage social. Dès lors, on abandonne sur la scène
de l’histoire des refoulés socio-culturels, en ignorant que
retrouver une identité perdue, c’est admettre de nouveau
une identité aliénante.

« Cette ambiguïté procède même de l’idéologie de la


fidélité et du développement dont la racine est le
corollaire. En effet en caressant nos radicelles, on flatte
notre orgueil en retrempant des bourgeons dans la noble
source de notre généalogie . Si celle-ci n’apparaît pas
tout à fait comme il faut, on peut la falsifier ou alors
prendre la mesure du dynamisme de notre ascendance à
triompher des injustices . Plus qu’une soif de vérité , la
recherche d’identité est la croyance en une répétition de
l’histoire . Celle-ci est conçue comme la poursuite en
profondeur d’un courant inexorable qui peut
dédramatiser notre manque de maîtrise de notre présent
et de notre avenir. Devant un présent angoissant il est
512
KONATE (Y.), op. cit., .p.65-66.
435

rassurant en effet de savoir d’où on vient. En l’apprenant


on se gratifie d’une participation à l’histoire qui si elle ne
stimule pas notre activité sur le présent peut nous
installer dans la fatalité »513.

Or, nous dit Jürgen Habermas, il devrait exiger des


homologies entre les structures de l’identité du moi et
celles de l’identité collective. Le moi épistémique en tant
que moi en général, est caractérisé par des structures
universelles des facultés de la connaissance, du langage et
de l’action. Toutes ces facultés, chaque moi singulier les a
en commun avec tous les autres moi. C’est dans ce cas
que chaque moi pratique se constitue et s’affirme
comme moi individuel au fur et à mesure de ses actions.
C’est grâce à ces auto-identifications que la personnalité
de l’homme se construit, que l’homme se fait reconnaître
pour se distinguer de l’autre en s’imprégnant d’une
conscience morale associative et collective.

« Le fait d’assurer la continuité, qui caractérise les


identités à des rôles, renvoie à la validité intersubjective
et à la stabilité dans le temps des attentes de
comportement. Dès lors que le développement de la
conscience morale a dépassé ce stade conventionnel,
l’identité à des rôles est menacée, car le moi se retire
alors en deçà de tout rôle particulier. Un moi dont on
attend qu’il soit en mesure de juger toute norme donnée
à la lumière des principes qu’il a intériorisés, c’est-à-dire
qu’il soit en mesure de considérer toute norme de façon
hypothétique et d’en assurer le fondement, ne peut plus
attacher son identité à des normes et à des rôles « tout
faits ». La continuité ne peut être assurée que par une
activité d’intégration propre au moi »514. Cela montre que

513
KONATE (Y.), op.cit., p.66.
514
HABERMAS (J).-Après Marx, Traduit. Jean- René Ladmiral &
Marc B. de Launay (Paris, Fayard, 1985), p.50.
436

notre liberté qui se pose elle-même dans nos actions et


dans nos discours ne peut valoir comme principe absolu
qu’ à condition de s’identifier à la raison. « Mais
comment comprendre le discours qui ne trouve pas sa
source dans l’acte d’une liberté prenant conscience
d’elle-même ? Comment comprendre le discours qui
ignore la liberté ; le discours du dogmatisme ? »515.

En Afrique, les idéologies nationales sont devenues


anthropophages et vampiristes. Modes de totalisation, elles
ne sont rien d’autre que des nationalismes honteux des
hérauts nationaux du tiers-mondiste hexagonaux.
L’idéologie identitaire réputée d’être un nationalisme
mauvais, illégitime qui tente d’asseoir la domination
formelle de sa version concurrente . Les impasses
tragiques ou mélodramatiques ne sont rien d’autre que
des réaménagements de l’ordre dominant afin de faire
main basse sur les luttes actuelles et de fuir les véritables
problèmes du développement. Les idéologies nationales
devraient souder les populations et leur permettre de lutter
contre l’ennemi commun : le Sous-développement. Le
vœu du peuple est de vivre ensemble . « Or, nous dit
Alain de Guyader, celui de l’idéologie nationale est
d’induire l’acceptation d’une séparation réelle parce
qu’elle produit des sujets assujettis aux normes d’une
domination garantissant la liberté d’exploitation de
l’homme par l’homme dans les conditions capitalistes de
la production . Ce qui ne manquera pas de continuer sous
un nouveau label si les désirs de ces idéologues viennent
à se réaliser , ce qui n’est nullement impossible : moins en
raison du passé invoqué que du mode de développement
du capitalisme , des problèmes auxquels il doit faire face

515
KIRSCHER (G), op. cit., p.78.
437

, de ses effets sauvages et de l’hégémonie de sa forme


idéologique »516.

Il est temps maintenant de s’attaquer à la racine de


l’exploitation et de la domination. La situation actuelle de
l’Afrique provient d’une histoire qui fut aussi celle d’une
déculturation. Autrement dit, la réémergence de l’Afrique
ne peut être libératrice que si elle fait partie d’une critique
globale du passé et du présent : comme conscience auto-
émancipée de toutes les aliénations subies qui se sont
relayées, sédimentées, coagulées. Il faut cesser de faire
des alibis idéologiques en voulant devenir ce qu’on n’a
jamais été. « Car donner dans ce panneau aguichant ne
peut vouloir dire que deux choses : ou bien on exprime
par là une conscience malheureuse manifestant son
impuissance par quelque apologie de l’exotisme
précapitaliste badigeonné aux couleurs de l’ordre du
jour, mirage tout droit issu d’une idéologie nationale en
gestation qui cherche à recruter et qui a bien du mal à
forcer les portes du destin , ou bien , en faisant au bas
mot un contresens historique où l’insuffisance se le
dispute aux motivations troubles, on fabrique des verges
pour se faire fouetter. Il est à ce sujet très significatif de
constater, par - delà la floraison culturelle à laquelle nous
assistons depuis quelques années( fort en dessous des
exigences de l’époque quand elle ne sert pas directement
un projet idéologique), que les nationalismes minoritaires
ne purent mieux faire qu’illusion, arrivant après la
bataille comme autant de retombées idéologiques obligées
pour survivre de s’arrimer au char miné de la gauche ou
de se nourrir de tous les poncifs du populisme gauchiste
avec ce que cela comporte d’opportunisme, de
confucianisme et d’incohérence. Ce qui montre à quel
point ils sont en retard sur l’histoire que font ceux que le

516
LE GUYADER (A.).-Contributions à la critique de l’idéologie
nationale/1 (Paris, Livre de poche, coll. 10/18, 1978), pp.21-22.
438

système exploite et opprime le plus durement et qui ne s’y


reconnaissent pas ou momentanément , partiellement et
très superficiellement »517 .

Il est maintenant opportun de remettre la notion


d’identité à distance en refusant un culte de la différence
dont l’assise construite sur les morceaux de sel sous le
soleil de plomb africain a été incapable de produire à
l’Afrique un processus libérateur. Malheureusement,
nous prouvons toujours aux yeux du monde que « Notre
histoire ce n’est pas seulement celle de nos vestiges sacrés
mais aussi celle de nos ordures, de nos restes »518.Au lieu
de réaliser la vision de l’africain par la maîtrise de la
nature pour instaurer une conscience heureuse, la
recherche de l’originalité, le Culte superstitieux de la
Différence et de l’authenticité a superposé de nouvelles
dominations aux dominations déjà existantes de
l’Africain. Ainsi la fermeture des horizons à de
nombreuses consciences africaines, dans une civilisation
exclusionniste , n’est-elle pas simplement une crise du
développement ou de l’organisation sociale ; c’est une
crise de l’existence humaine, c’est une crise de perversion
de l’âme, donc de la culture africaine . Car « Le pouvoir
unificateur des visions ne s’exerce pas seulement contre
les discrépances cognitives, mais aussi contre la
désintégration sociale . La structuration unitaire de la
somme de savoir stocké et harmonisé au sein des
systèmes interprétatifs n’est donc pas seulement référée à
l’unité du moi épistémique , mais aussi à celle du moi
pratique »519 .

C’est pourquoi, il faut émanciper la culture africaine en


l’humanisant. Il faut réapprendre la socialisation et non

517
LE GUYADER (A.), op.cit., pp.28-29.
518
KONATE (Y.), op.cit., p.66.
519
HABERMAS (J.), op. cit., p.39.
439

prôner le terme galvaudé du socialisme africain. Il faut


développer les catégories méta-historiques par une
nouvelle conceptualisation de l’histoire africaine en tant
que celle-ci est constituée par des systèmes d’interaction
symbolique qui forment le cadre institutionnel de la
société fondée sur des valeurs sociales qui permettent à
l'Homme, sans distinction de race et d’ethnie de s’engager
dans le discours inter- relationnel et des interactions à
buts communautaires. Au lieu de cela, ce qui se produit,
c’est la déshumanisation ; ce qui se produit, en réalité,
c’est un processus de désinstitutionnalisation , de
désafricanisation,dans lequel les institutions traditionnelles
se détériorent sous l’assaut des forces fonctionnelles
négatrices et négatives de ratiocination et de dé-
différenciation et par lequel les idéologies nationalitaires
doivent fusionner , sous l’effet du tribalisme et de
l’ethnicisme ambiants engendrés par des propos
totalitaires et mis en avant par des intellectuels sous des
habits noirs de l’obscurantisme. Mais comment les
Africains peuvent-ils se libérer de ce joug de fer ?
Comment peuvent-ils obtenir spontanément leur
émancipation ?

Herbert Marcuse nous en donne la solution : « Il faut


les éduquer et les guider, leur apprendre à être libres et ce
d’autant plus que la société dans laquelle ils vivent a
recours à des moyens plus variés pour modeler et
préformer leur conscience et pour les immuniser contre
tout choix possible . Cette idée d’une dictature éducatrice
préparatoire est devenue une composante intérieure de la
révolution et de la justification du despotisme
révolutionnaire »520. Si ,selon Marcuse, la culture
apparaît comme l’ensemble des fins morales , esthétiques
et intellectuelles (valeurs) qu’une société considère
comme le but de l’organisation, de la division et de la
520
MARCUSE (H), op. cit., p.300.
440

direction du travail, pourquoi, au nom de l’idéal de la


culture, des peuples s’affrontent entre eux, des
intellectuels si bien cultivés allument les cultures en y
mettant du feu ? Si la culture peut se définir comme un
processus d’humanisation de l’homme, comment
expliquer le fait qu’en Afrique, la culture re-devient le
processus de déshumanisation, si l’on tient compte des
guerres dont les fondements sont culturels ? En réalité ,
pour que la culture humanise l’homme, il faut la
débarrasser de sa cruauté, du fanatisme et de la violence
non sublimée. Dans ces conditions, il impose à nous , sans
complaisance , de manière critique, d’examiner nos
cultures en posant les questions de relation entre les
valeurs et les faits, non seulement en tant que problème
relevant de la connaissance mais aussi en tant que
problème surgissant de la structure sociale.

Mais que pouvons-nous faire d’autre pour redresser


nos cultures fossilisées dans la mesure où chacun sait
qu’en Afrique comme ailleurs, « la culture fut toujours
le privilège d’une petite minorité, une affaire de richesse,
de temps et de chance ? Pour les masses populaires
défavorisées, « les valeurs supérieures » ont toujours été
des paroles vides ou des exhortations et des illusions
dépourvues de sens , elles étaient dans le meilleur des cas
des espérances et des aspirations qui restaient
insatisfaites. La position privilégiée de la culture , le
fossé entre la civilisation matérielle et la culturelle
intellectuelle , entre la liberté et la nécessité , était aussi
le fossé qui entraîne le maintien de la culture non
scientifique sous la forme d’un « domaine
réservé » »521.Dès lors, ne faut-il pas déchirer le voile
idéologique de la culture en exigeant une sublimation
continuelle ? Comment donc éviter la répression
culturelle ? Le progrès même de la civilisation ne tend-elle
521
MARCUSE (H), op. cit., p.317.
441

pas à rendre la rationalité illégitime ? Les libertés et les


satisfactions existantes des individus ne sont-elles pas
liées aux exigences de la domination ? Ne deviennent –
elles pas elles-mêmes des instruments de répression ? La
question la plus profonde est la suivante : si la civilisation
est ce qui prend la culture en charge, comment cette
civilisation peut-elle produire librement la liberté alors
que la domination est devenue partie intégrante de
l’appareil mental des peuples et des États ?

« En tout cas, on ne peut pas éviter la question en


montrant la destructivité qui a régné tout au long de
l’histoire. La destructivité de l’étape actuelle ne révèle pas
sa pleine signification que si le présent est mesuré , non
pas d’après les étapes passées , mais d’après ce qu’il
pourrait permettre d’obtenir. Il y a plus qu’une différence
quantitative entre les guerres, faites par des armées
professionnelles dans des espaces limités , et des guerres
dirigées contre des populations entières à l’échelle de
tout le globe ; entre l’utilisation des inventions techniques
dans le but de libérer le monde de la misère, ou au
contraire dans le but de la conquérir et de causer des
souffrances ; entre le fait que des milliers de personnes
sont massacrées dans des combats et que des millions
sont scientifiquement exterminés avec l’aide des
médecins et d’ingénieurs ; entre le fait que des exilés
peuvent trouver refuge en traversant une frontière , ou
qu’ils sont pourchassés tout autour de la terre ; entre le fait
que des gens sont naturellement ignorants et le fait qu’ils
sont rendus ignorants par une action quotidienne
d’information et de divertissement. C’est avec une plus
grande facilité que la terreur est considérée comme
normale et la destruction comme constructive »522.

522
MARCUSE (H).-Eros et civilisation , Traduit. Jean –Guy Nény &
Boris Fraenkel (Paris, Les Editions de Minuit, 1963), p.95.
442

Nous voulons lutter contre la domination occidentale,


mais comment ? Nous produisons peu et nous
consommons beaucoup, surtout ce qui vient de l’occident.
Or, la production et la consommation reproduisent et
justifient la domination. Pour nous libérer de la
domination , il nous faut nous procurer des biens de
consommation et les augmenter. Penser à cela, c’est
promouvoir notre civilisation. Car, la civilisation est avant
tout le progrès. Or, nous ne progressons pas comme nous
le voudrions. Nous pensons que le progrès se trouve
ailleurs, chez l’occident. Mais, le progrès ne se donne pas,
on le cherche en travaillant. Mais comment peut-on
réellement travailler, si nos plans de développement ne
sont axés que sur l’élimination de nos adversaires
supposés redoutés ? Comment progresser si notre
civilisation est confrontée aux maux les plus profonds de
l’humanité : guerres, persécutions, génocides, fanatismes,
maladie, misère, rebellions, violences ?

À dire vrai, notre civilisation est une civilisation


répressive. Nous voudrions le développement, nous
voudrions être libéré de la domination, alors il nous faut
lutter. Et notre libération dépend de notre victoire sur notre
sentiment de culpabilité. « La liberté implique le risque
de la vie , non pas parce qu’elle implique l’abolition de la
servitude, mais parce que le contenu même de la liberté
est défini par la « relation négative » réciproque avec
l’autre . Et puisque cette relation négative affecte toute la
vie, la liberté ne peut être « prouvée » qu’en mettant en
jeu la vie elle-même »523 . Mettre en jeu la vie elle-
même, ne consiste pas à brader sa vie en des œuvres
inutiles. C’est au contraire offrir sa vie en sacrifice. C’est
lutter contre les injustices et les inégalités ; c’est
désaliéner son existence . « La lutte se révèle dans
l’antagonisme entre le devenir et l’être , entre la courbe
523
MARCUSE (H), op. cit., p.106
443

montante et le cercle fermé, entre le progrès et l’éternel


retour, entre la transcendance et le repos dans la
satisfaction. C’est la lutte entre la logique de la domination
et la volonté de satisfaction »524. La civilisation commence
par la réalisation collective de ce but :la lutte pour le
plaisir , contre la domination pour imposer « sa »
domination.

Les Africains veulent changer l’Afrique. Mais cela


commence d’abord par la libération de notre continent.
Libérer l’Afrique, c’est la libérer de sa servitude. Chaque
africain doit d’abord se libérer de ce qu’on a fait de lui
dans la société où il vit. Il faut une autolibération. Mais
comment s’autolibérer ? Par l’éducation. L’autolibération
est avant tout autoéducation. mais en tant que telle, « elle
suppose d’abord éducation par autrui. Dans une société où
l’inégal accès au savoir et à l’information fait partie de la
structure sociale, la distinction et l’antagonisme entre
éducateurs et éduqués sont inévitables. Ceux qui ont reçu
de l’éducation ont mission de se servir de leur savoir pour
aider les hommes et les femmes à se rendre compte de
leurs capacités authentiquement humaines et à jouir. Il
n’est d’éducation authentique qui ne soit politique et, dans
une société de classe, l’éducation politique est
inconcevable sans une direction, formée et rodée à la
théorie et à la pratique de l’opposition radicale. La
protestation spontanée en une action organisée à même
de faire évoluer et de transcender des besoins et
aspirations immédiats dans le sens de la reconstruction
radicale de la société, de transformer la spontanéité
immédiate en spontanéité organisée »525.

524
MARCUSE (H), op. cit., pp.113-114.
525
MARCUSE (H).- Contre-révolution et révolte , Traduit. Didier
Coste (Paris, Seuil, 1973), p.68.
444

Mais, malheureusement, aujourd’hui, en Afrique, sous


le masque de l’intellectualisme, le tragique fonde
l’éducation des masses, l’histoire de l’Afrique, sa raison
et l’histoire de sa raison. Les porteurs de savoir sont
devenus des faux –porteurs de savoirs. Leur raison croise
la violence ; le savoir croise le mal ; le savoir devient le
Mal. Comment et pourquoi la raison des intellectuels a –t-
elle toujours besoin d’un meurtre pour se fonder ? Comme
le dit Michel Serres, « Au paradis perdu des sources et de
l’herbe verte, le savoir universel rencontre le mal
singulier, injustice, amours déçues, violence, meurtre,
faim. A l’endroit de la came où le singulier relaie le cycle
universel et lisse, la douleur locale crie son récit. (...) La
souffrance et le malheur, la douleur, l’injustice et la faim
se trouvent au point où le global touche au local,
l’universel au singulier, la science à la culture, la
puissance à la faiblesse, la connaissance à l’aveuglement
ou Dieu soi-même à son incarcération »526.

Sous les discours des intellectuels africains, les


pouvoirs sont devenus de plus en plus répressifs. Sous le
masque de l’intelligentsia, apparaît la réalité de la
servitude universelle, la dissolution de la dignité en une
liberté de choix préconditionnée. Comment libérer
l’Afrique avec des intellectuels devenus réactionnaires ?
En réalité, il n’y a pas et il n’y aura jamais de changement
social qualitatif, pas de révolution sociale sans l’apport des
intellectuels africains. Pour la libération de l’Afrique, il
faut que chaque intellectuel africain se libère
individuellement ; et se libérer individuellement signifie
ici un dépassement de l’individu.

Il est vrai , il n’y a pas d’intellectuels neutres


comme il n’y a pas d’intellectuels bons une fois pour
toutes. Comme le dit Régis Debray, « L’homme- qui-écrit
526
SERRES (M.).- Le tiers –instruit (Paris, Gallimard, 1991), p.115.
445

est donc bien celui par qui le scandale arrive : la


violence, le pouvoir, la faute »527. Mais, aujourd’hui,
l’Afrique a plus que besoin de cohésion et d’un langage
qui décide sur les champs de bataille économique,
politique et culturel. Le rôle de nos intellectuels devrait
être de dénoncer les tares du pouvoir qu’eux-mêmes ont
bien voulu installer et instaurer. Il ne s’agit plus de
dénoncer un pouvoir politique quand on se trouve hors
des cercles du pouvoir, quand on se trouve dans
l’opposition et de refaire les mêmes erreurs, souvent
même plus quand on parvient au pouvoir en instaurant des
systèmes totalitaires. Certes, nous savons que « De tous
ses congénères en humanité, l’animal intellectuel est le
plus enclin à se mouler sur son milieu social d’existence.
Regardez autour de vous, ce cercle tragi-comique : les
milieux intellectuels, ceux d’où part l’information , sont
généralement les mieux « informés », mais pas comme ils
le pensent. Dis-moi dans quel milieu tu vis, et je te dirai,
caméléon, ce que tu vas me dire. Car ta vocation est de te
brancher sur les canaux de communication disponibles, et
rien ne se transmet mieux que le déjà reçu, qui jalonne les
limites du recevable »528.

De qui l’Afrique a-t-elle réellement besoin ? Des


intellectuels qui doivent être, selon la formule de
Gramsci, l’autoconscience culturelle, l’autocritique de la
classe dominante. De ces hommes et femmes qui luttent
pour la libération de leurs peuples en dénonçant les
régimes totalitaires, en créant de nouvelles valeurs de
vivre. Ce dont l’Afrique a besoin, c’est les intellectuels qui
pensent et qui se soucient chaque jour de la misère de
leurs concitoyens et non les amuseurs et les charlatans,
parasites et profiteurs de leurs peuples. Ce dont l’Afrique a

527
DEBRAY (R).- Le scribe ( Paris, Bernard Grasse et Fasquelle,
1980), p.23.
528
DEBRAY (R.), op. cit., pp.311-312.
446

besoin , c’est celui qui accepte d’entrer dans le temps et de


l’ouvrir. C’est celui qui accepte de sortir du ventre de sa
mère, du berceau , de l’ombre portée par la maison du
père et du paysage juvénile ; c’est ce voyageur infatigable,
contemplateur, questionneur, créateur, acteur. C’est cet
homme nouveau qui s’expose pour apprendre , qui veut
entrer dans un monde nouveau en inversant son corps avec
un esprit-de-sérieux pour chercher des remèdes pour
guérir cette Afrique balafrée et forger une machine
égalitaire, selon l’expression de Alain Munc. Cet homme
nouveau existerait-il enfin ? « Ce vieux mythe de la
pensée socialiste se serait-il accompli, sans révolution, ni
lutte de classes ? Serions –nous désormais tous pareils ?
Si la machine avait fonctionné sans entrave ni effets
pervers, sans doute le serions –nous »529. Hélas !C’est le
retour du même. Après l’ère « des grilleurs d’arachides »,
c’est l’heure des « nouveaux riches ».

L’horizon appartient désormais à l’individualisme,


alors qu’on se proclame socialiste. Les grandes
bureaucraties se mettent en place. L’on progresse de
contre-effets en contre-effets. Le mouvement de la société
africaine s’apparente aujourd’hui bien davantage à la
houle qu’au déplacement d’un train. « Le temps du mètre
d’arpenteur est terminé. Mètre d’arpenteur pour mesurer
l’égalité ou l’inégalité, comme si celles-ci s’appréciaient
comme une distance, tantôt en mètres, tantôt en milles.
Mètre
d’arpenteur pour cadrer les phénomènes sociaux : les
classes, l’organisation collective ou même les conflits.
Mètre d’arpenteur pour borner les âges de la vie :
l’adolescence , la vie active, la retraite. Mètre d’arpenteur
pour définir les types d’insertion sociale : l’oisiveté, le
chômage, le travail. Mètre d’arpenteur pour fixer ces

529
MUNC (A).- La machine égalitaire (Paris, Bernard Grasset,
1987), p.81.
447

codes dont nous croyons, peut-être à tort depuis Foucault


et Baudrillard, qu’ils nous gouvernent, davantage que
nous ne les gouvernons...

Au mètre d’arpenteur succède le flou : renversement


dont ni nos modes de pensée ni nos organisations n’ont
encore pris conscience. La réalité se met à échapper aux
catégories »530. Pour nous –mêmes , il nous faut changer
l’Afrique. Mais comment ? Le-changer-l’-Afrique ne
consiste pas à revenir en arrière, mais à avancer. Il ne
consiste pas non plus à vouloir une révolution silencieuse
ou une révolution tranquille ( si ces concepts ont encore un
sens), mais à établir un ordre nouveau. Car la situation
actuelle des forces à l’échelle mondiale ne permet pas
seulement aux formes politiques de prendre une
existence effective, elle permet aussi le déploiement de la
puissance et de la volonté de la puissance. Pour nous , il
s’agit de penser à des volontés politiques . Ces volontés
politiques ne doivent pas être le culte de la personnalité,
émanation du culte de la différence. Il ne s ‘agit pas de
construire des châteaux de prestige alors que le peuple vit
sous des taudis. Le temps de la mise en scène de la
splendeur et de la mise en spectacle du politique est
dépassé. Des représentations des édifices religieux,
militaires, civils ne sont rien d’autres que des instruments
de domination, de folklorisation d’une minorité d’élite
parvenue au pouvoir de manière schizoïdale. Les
maniaques de la politique font le pendant des maniaques
de la culture. Au cours de leurs bouffées délirantes, ils
mènent le peuple hors de lui par des logiscismes
idéologiques dont ils ont du mal à maîtriser les limites et
les sens. La catégorisation des individus, le culte de la
différence, le chauvinisme, l’exacerbation de la haine et de
la xénophobie, tels sont quelques éléments de ce
logiscisme délirant. Henri Lefebvre a raison lorsqu’il
530
MINC (A.), op. cit., p.94.
448

affirme que « Le logiscisme idéologique entraîne des


refus obstinés et se change en une sorte de logique de
l’absurde , poussée jusqu’à l’extrême. Refus de quoi ? De
la pensée, sous prétexte que circulent des représentations
(idéologies), - ou de l’œuvre, sous prétexte que circulent
des produits suspects .Hormis le Prince qui l’ignore, la
Logologie ou logomanie traduit (ex-prime) un malaise, un
mécontentement de soi et de la vie, une santé mauvaise
encore plus qu’une mauvaise conscience : une méfiance ,
une méconnaissance fondamentales . On divague et
dérive du Logique à l’Inconscient : l’un compense l’autre.
On veut couper ce qui dépasse , réduire et détruire ce
résidu insupportable , le vécu, possibilité de révolte. On
répète aux gens que la vie n’est que la vie – pénible par
essence –et que la mort n’est que la mort, grandiose mais
représentable, donc conjurable. Prendre barre sur les gens
, dominer non seulement par le verbe du rhéteur mais par
la loi du logiscisme, c’est un projet aux racines idéales
qui vont loin. Ne pas reculer mais au contraire mener
jusqu’au bout les terrorismes conjugués de la logique et
de la loi, telle est la cohérence du projet »531.

Ainsi , les discours séparatistes, nationalitaires


entraînent-ils la logique de l’absurde. L’absurde, c’est la
rébellion ivoirienne ; c’est le génocide rwandais ; c’est le
conflit angolais ; les tragédies congolaises et soudanaises.
L’absurde, pourrait-on dire, c’est l’Afrique tout entière
dans la mesure où le discours politique est devenu une
logologie, une négation contemplative de l’existence. Tout
n’est que mensonge . « L’arbre vigoureux tue autour de
lui les autres plantes ; il règne sur un espace ; telle ou telle
espèce domine une forêt ».532 Voici métaphoriquement
établi le vrai visage de l’Afrique . Cet appauvrissement de

531
LEFEBVRE (H).- De l’Etat.4. Les contradictions de l’Etat
moderne (Paris, UGE, 1978), p.46.
532
LEFEBVRE (H), , op. cit., p.49.
449

la pensée ramène la vie à la duplicité, à la fétichisation


d’une culture, à l’insistance, disons à une identité
répétitive nostalgique des temps anciens. Dès lors
s’instaure de manière violente et récurrente la crise
d’identité, l’aporie de l’identité. « L’identité elle-même
devient contradictoire dans un état critique dont les
symptômes se multiplient actuellement. La dialectique se
restitue non sans douleur »533.

Il est vrai que le logiscisme n’a rien d’innocent. La


manipulation du peuple pour le dominer fraie son chemin
sur les voies naturelles de la confiscation du pouvoir, si
vieillissant soit-il, l’obsolescence, la sénescence. Le
devenir avance par « les –mauvais- côtés » avec la
suffisance des gens qui s’installent au trône comme des
immortels. « Il s’ensuit que le pouvoir politique qui se
sert de la logique n’a guère besoin de la conscience
philosophique. Il s’en sert comme le homard et le crabe
se servent de leurs pinces , sans en connaître le
mécanisme »534. Aujourd’hui, en Afrique, l’on tend
inexorablement vers l’idolâtrie des pouvoirs absolus et le
fétichisme des États. Le constat se fait dans les espaces
appropriés : édifices, monuments, espaces publics, les
cérémonies, les rituels codés, dans les bus, etc. Dans ces
lieux, se déroulent et circulent les discours, les slogans
identitaires, la parlerie, selon l’expression de Henri
Lefebvre , les parlottes et pourparlers. Cette logologie, à
n’en point douter, accompagne l’appauvrissement et le
meurtre du langage, le brouillage et le discrédit de tous les
codes, le déchirement de la pensée par l’envers et le
renversement du verbe. N’est-ce pas cela qui pousse vers
les violences absolues ?

533
LEFEBVRE (H.), op. cit., p.56.
534
LEFEBVRE (H), op. cit., p.65.
450

Notre contestation, c’est le refus de la banalisation du


mal ;c’est refuser que la violence devienne un instrument
normal d’action politique et culturelle soumis au calcul et
que par là, elle se voit recouverte d’une neutralité
désenchantée qui la dédouane , la met en libre circulation
pour instaurer une concurrence déloyale. Les crises
politico-sociales en Afrique démontrent bien la radicale
inégalité de pouvoirs qui indiquent comment la
domination est garantie par des pouvoirs politiques qui
enveloppent la possibilité de la violence effective. Nous
sommes mêlés indissociablement à la réalité d’un social
violent et l’apparition de la violence de ce social . Les
chaînes de télévision, les journaux du monde entier, ne
font que pulluler les images atroces sur le continent
africain. En Afrique même, c’est l’appel à la haine tribale ;
c’est les écrits xénophobes ; c’est l’appel à la violence
démesurée.535

« Quelle que soit leur intensité, les images ne sont que


des images. Dans l’expérience immédiate, la violence , ce
sont du bruit, du sang, de la fureur, de la peur, et l’on est
rarement simple spectateur : il faut agir, obéir, faire son
travail, s’abriter. L’implication est corporelle , sensorielle,
pratique. Du sang, ce n’est pas seulement une flaque
brillante sur le papier glacé d’un magazine de luxe ou des
taches noires sur un mauvais bellino, c’est poisseux, tiède,
douceâtre, ça coule, il faut l’arrêter ou éventuellement on

535
Lors de la guerre civile rwandaise, la radio mille Collines a appelé
à l’extermination des deux ethnies Hutus et Tutsis en activant la haine
tribale. Ceci a entraîné le génocide . De même en Côte d’Ivoire, un
journaliste de la Radiotélévision Ivoirienne (R.T.I), du nom de Victor
Kpan Debass, a estimé que pour que le conflit ivoirien cesse, il
suffisait simplement que la Côte d’Ivoire décidât de chasser de son
territoire 1/3 des burkinabés, étant donné que ces burkinabés sont près
de 3 millions . On accusait l’Etat du Burkina Faso d’être les bras
séculiers de la rébellion ivoirienne qui a occupé le nord depuis le 19
septembre 2002.
451

n’a même pas le temps de s’en occuper. En ce sens


irréversible, l’effectivité de la violence est celle d’une
dégradation irréversible , l’infugurale même. Les images
de la violence se bornent à tourner autour ; elles en
donnent l’avant ou l’après. Avant : le déploiement des
forces, la menace, l’attirail, les insignes-casques , bottes,
masques, armes, insignes, sirènes. Après : les dégâts, les
bilans- travelling sur la désolation ou chiffres abstraits de
la mort. Spectacle stylisé d’un flot d’images toutes
semblables qui deviennent les redites de l’habitude »536.

La criminalisation de la vie politique est partout


présente en Afrique. Elle apparaît cyniquement sous le
masque de la démocratie et du respect des valeurs
culturelles et du Droit. Tout en se dissimulant derrière les
raisons du calcul et les rideaux du silence, un silence-
bruyant, elle se donne comme loi du milieu en se
maquillant en stratégie, en s’identifiant en gangstérisme ou
à l’opportunisme réaliste, en ritualisant le pouvoir.
Comme le dit Yves Michaud, « La stratégisation de la vie
politique intérieure reste un jeu contrôlé et payant tant
que les adversaires partagent des critères communs
concernant les coûts de la violence et ses bénéfices
politiques. En ce sens, il y a un salaire de la violence.
L’émeute, le soulèvement, le terrorisme peuvent être des
moyens efficaces d’imposer des concessions »537. Ces
concessions, c’est l’acceptation des compromis par la prise
des armes . Ici, c’est la rébellion, là bas, c’est les coups
d’État. Et la violence continue , ponctuée de menaces. La
violence tend à devenir l’instrument du réformisme. C’est
la montée des extrêmes et des extrémismes. Le peuple
innocent regarde, embarrassé, rêveur entre l’espoir et
l’incertitude. « On aurait eu ainsi affaire à des sortes de

536
MICHAUD (Y).- Violence et politique (Paris, Gallimard, 1978),
pp.51-52..
537
MICHAUD(Y.)., op.cit., pp.79-80.
452

matches sportifs entre équipes aux talents différents


devant des spectateurs indécis »538. Ce n’est donc pas un
hasard si les choix de valeurs sont laissés en blanc pour
l’instauration de ce que Michaud appelle la porno –
politique.

Selon lui, « La porno-politique, c’est en effet la gestion


de la violence politique considérée comme instrument
commode, efficace , fiable et rentable : payant, ainsi que
l’on dit très bien. Sans forcément la jubilation maligne
de la transgression mais parce que le monde est comme
il est : avec la froideur du milieu. Ce qu’on pourrait
appeler le gangstérisme politique : non le romantisme de
la révolte, le monde des bandits défiant spectaculairement
le droit, mais le quotidien banal de la grande délinquance
comme entier »539. Les faits les plus accablants de cette
porno-politique apparaissent avec le recours à des
groupes para-étatiques ou para-instutitionnels qui
exercent la violence en marge d’une légalité dont la
façade ne peut cacher que le vide. Nous sommes
confrontés à la dureté d’une Afrique qui a perdu sa
transparence pour n’apparaître que comme un continent
à- part. Tout se passe comme si en Afrique, Culte de la
Différence et Différend passaient l’un dans l’autre,
introduisant le soupçon, rongeant de l’intérieur le rapport à
l’autre, détruisant les liens de la culture et de la
politique, du savoir et du social, engendrant des monstres
dont on ignore la signification . Notre Afrique semble
être cet espace ouvert et imprévisible où les liens
culturels se rompent au nom d’un culte de la différence, où
les turbulences naissent de la méconnaissance de
l’histoire. « Fantasmes et réalités, expérience et discours
perdent leurs lignes de partage : pièges du savoir-pouvoir,

538
MICHAUD (Y), op. cit., p81.
539
MICHAUD (Y), op. cit., p.170.
453

pièges des illusions réitérées et démystifiées, connivence


éternelle du croire et du faire croire »540.

Notre génération saura se méfier des séductions et des


théories trop bien closes sur elles-mêmes. Elle saura
comprendre le sens de la Contestation. Comprendre le
sens de la contestation, c’est accepter l’Afrique
autrement. C’est vouloir une autre Afrique, une A-frique ;
l’Afrique renouvelée, l’Afrique qui renaît et non l’Afrique
qui sort de ses cendres, non l’Afrique calcinée. Notre
génération doit vouloir une Afrique nouvelle. À
l’Africain-Authentique, nous voulons substituer
l’Authentique –Africain. Mais qu’est-ce que
l’Authentique-Africain ? L’Authentique-Africain, c’est
selon nous, cet homme qui a lutté contre l’oppression, qui
ne se lasse pas de vaincre, qui tient à sa dignité, qui
refuse d‘abdiquer quels que soient les difficultés .Comme
le dit Raymond Aron, «Chaque génération part de
l’acquis en vue de nouvelles aventures. Elle a raison mais
court un péril : répéter l’histoire à force de l’ignorer.
Pour chaque génération , en chaque pays, il s’agit de
traduire une révolte en action. Parfois, quand la société ou
la classe dirigeante ont perdu la capacité de se réformer,
la révolution devient la seule issue. Quand la société n’est
pas travaillée par l’aspiration révolutionnaire, quand les
changements nécessaires n’exigent pas la violence
(parfois même excluent l’emploi de la violence), le refus
radical, la contestation systématique servent d’alibi au
conservatisme, à la paresse, au snobisme à moins qu’ils ne
finissent par provoquer une catastrophe. A partir d’un
certain point de désordre, toutes les sociétés , saines ou
malsaines réagissent »541.

540
VÉDRINE (H. ).-Les ruses de la raison (Paris, PBP,1982), p.8.
541
ARON (R.).- L’opium des intellectuels (Paris, Calmann-
Lévy,1965), p.13.
454

Nous ne pouvons continuer d’accepter l’indifférence


dans une Afrique où chaque jour est un signe d’angoisse,
où la domination se perpétue même si elle change de
formes. Que devenons-nous dans une Afrique où « les
luttes sanglantes pour le pouvoir se poursuivent.
L’imaginaire hypertrophié masque la violence du
quotidien. Sur l’aphasie des masses, plane le dogmatisme.
Comme dans les idéologies de la fin du politique, la
compréhension du social-historique est mise entre
parenthèses. Et comme la bureaucratie ne peut même pas
se contester virtuellement, il ne reste plus que
l’opposition ou la dissidence... Temps de hérésies et
peut-être des renversements »542.

Notre hérésie, c’est les pseudo-révolutions appelées


rebellions et coups d’États, qui après quelques jours
seulement d’espoir, se transforment en systèmes
totalitaires, en idéologie de granit où les théories et les
discours gravitent , vacillent dans les mystifications ,
élaborent des trajectoires sociales déviationnistes. On
théâtralise la césure sociale, on instaure une pratique de
la coupure, on invente des différends pour étouffer des
contestations. On déchire les identités. Notre temps de
renversements, c’est le tout –à-l’envers. C’est le
renversement des valeurs morales, on chante la culture
tout en la dévaluant ; on la marchandise selon nos intérêts.
On renverse les pouvoirs légaux et légitimes ; on
assassine les idées, on inspire des fictions dès l’origine en
faisant perdre la liberté. La lutte pour la gloire et les
ambitions démesurées deviennent l’affaire des élites
sachant manier les vertus du lion et celles du renard.

Notre génération saura refuser l’extraordinaire silence


sur l’essentiel en revendiquant le droit à la contestation ,
en s’offrant la possibilité de changer les systèmes une
542
VEDRINE (H), op. cit., p.16.
455

fois qu’ils sont établis, en mettant en place une nouvelle


rationalité fondée sur l’idée du changement, le refus du
pouvoir absolu. Car comme le dit Hélène Védrine,
« Entrer en communauté ne signifie pas s’attrouper et
communier avec un dictateur »543. Notre rôle est de
refuser d’être des pantins aux mains des dictateurs. Nous
voudrions être « Cet Autre qui se loge dérisoire et
dissident entre les systèmes . Vieille taupe ou bouteille à
la mer »544.

Notre salut, croyons-nous ne peut venir que de notre


raison elle- même et d’une auto-critique de son
fonctionnement. Si nous ne pouvons échapper à notre
siècle, il nous faut donc le mériter en refusant d’être
solidaire d’un monde de la domination . C’est pourquoi, à
la barbarie perpétuée aujourd’hui en Afrique, la
philosophie doit répondre , et de son échec même , tirer les
conséquences, toutes les conséquences. Notre philosophie,
comme toute philosophie, après avoir manqué sa promesse
de libération de l’homme, est contrainte de se critiquer
elle-même sans ménagements.

Après le génocide rwandais, après les guerres civiles du


Liberia, de la Côte d’Ivoire, du Congo, de l’Angola,
l’échec de la culture africaine n’est plus à démontrer. La
perpétuation de l’horreur interroge la philosophie, la
blâme et la met devant ses responsabilités. Elle lui
réclame l’auto-réflexion du penser . Ceci implique que
pour que ce penser pense l’autre, il doit aussi penser
contre soi-même. Il ne s’agira donc plus de croire que tous
nos maux proviennent de l’Occident en offusquant
hypocritement nos erreurs et nos responsabilités. C’est
bien à l’intérieur de l’Afrique que tous les modèles sont
parasités, que tous les systèmes sont fissurés, que tous les

543
VEDRINE (H), op. cit., p.84.
544
VEDRINE (H), op. cit., p.88.
456

murs sont lézardés au point que dominés et dominants


mutuellement piégés sont retenus par les mailles du filet et
ne pourront jamais s’échapper. Car, « A l’explosion des
machines infernales, le Monstre tapi derrière des polices
et ses bien-pensants a répondu en perfectionnant ses
techniques : chaînes irréversible d’esclavage et d’auto-
esclavage, manipulations de l’opinion, concurrence et
hypocrisie. Finies les rigueurs de l’Inquisition, à nous la
communication.

Et s’il y avait des trous dans le filet ? Si chasseurs et


gibiers échangeaient leurs rôles ? Si du renard et du loup
on ne sait qui trace les mille chemins du réel ? Qui
invente les stratégies de fuite tout aussi efficaces que les
massifs englobements d’un système bien incapable de
s’auto-réguler ? Règles du jeu incertaines où personne ne
sait à l’avance qui sera le gagnant ou le perdant »545.Il
importe donc pour nous de retourner la culture africaine à
sa racine de crédibilité en l’analysant et en la regardant
dans le miroir de la philosophie. Il est temps pour nous de
nous interroger, comme Hannah Arendt : « Qu’est-ce qui
s’est passé ? Pourquoi cela s’est-il passé ?Comment cela
a-t-il été possible ? »546.

Ce qui s’est réellement passé est que l’Afrique a été


victime de la colonisation et de l’esclavage. Les Noirs ont
été humiliés et considérés comme des sous –hommes. On
leur a refusé leur liberté et on leur a refusé l’histoire.
L’Africain perd ainsi son identité et se trouve aliéné. Dès
lors, une révolte s’instaure au niveau des intellectuels
africains qui proposent une nouvelle vision de l’histoire et
de la culture africaine. Ils montrent même que l’Afrique ,

545
VEDRINE (H), op. cit., p.162.
546
ARENDT (H.).- Le système totalitaire, Traduit de l’américain par
Jean – Loup Bourget, Robert Davreu & Patrick Lévy(Paris, Seuil,
1972), p.7.
457

berceau de l’humanité avait , sinon, a une philosophie


indépendamment de la philosophie occidentale : c’est le
culte de la différence. On refuse l’eurocentrisme, on
proclame la Négritude, on affirme un retour aux sources, à
l’authenticité culturelle.

« La reconnaissance, au départ, de la diversité des


cultures humaines, constitue une trivialité dont l’évidence
masque la difficulté conceptuelle d’en saisir la nature et
la portée. Car où sont les frontières dans l’espace et le
temps d’une culture particulière ? Sur quels fondements
définit-on sa singularité ? Par exemple, peut-on parler
aujourd’hui d’une culture européenne englobant
l’ensemble occidental, en dépit des expressions
linguistiques différentes ?Si oui, y inclura-t-on l’Europe
Orientale, en dépit de son régime social et politique
différent, l’Amérique latine en dépit de son sous –
développement , le Japon, en dépit de es racines
historiques non européennes ?Peut-on parler d’une seule
culture du monde arabe, ou arabo-islamique, d’une seule
culture de l’Afrique noire, de l’Inde ? Ou doit-on
renoncer à ces conceptualisations englobantes et se
contenter d’observer la spécificité des sous-ensembles
constitutifs de ces grands ensembles ? Mais alors où
s’arrêter dans l’engrenage sans fin de la singularité
provinciale ? Et quelle est la pertinence des différences
observées, leur force explicative des évolutions
sociales »547 ?

Aujourd’hui, les choses ne sont plus les mêmes.


L’histoire peut se répéter à condition que les Africains
aient perdu la mémoire. Mais il ne s’agira pas , après des
meurtrissures de vouloir imposer la vengeance ou de
vouloir faire comme l'Autre. Il s’agit pour nous d’avoir la

547
AMIN (S).-L’eurocentrisme . Critique d’une idéologie ( Paris,
Paris, Anthropos, 1988), p.16.
458

volonté du changement, de comprendre qu’on ne peut pas


raser une tête à l’absence de la personne concernée.
Personne ne fera l’Afrique à la place des Africains eux-
mêmes. La maturité nous impose à pouvoir régler les
problèmes qui se passent sur notre continent et à pouvoir
nous dépasser. Notre culture n’est pas parfaite, aucune
culture n’est parfaite, c’est à l’homme de re-chercher sa
perfection. Or, rien n’est définitivement acquis. Tout
progrès nécessite une douleur parfois très grande. Il ne
s’agit pas pour nous d’oublier ce qu’on a fait de nous, de
notre histoire, mais de savoir comprendre ce qui s’est
réellement passé afin d’avancer vers le progrès.

Les grandes douleurs doivent fouetter notre orgueil


pour renaître de nouveau à l’histoire. Si on vous refuse
une histoire, il faut créer une autre, la sienne en propre.
Mais, on ne peut créer la nouvelle qu’en se souvenant de
l’ancienne qu’on a blâmée, sublimée. Car, comme le dit
Raymond Aron, « L’histoire humaine implique , par
essence , la conservation. Elle n’est pas seulement
transformation, elle suppose que les hommes vivent dans
des institutions, créent des œuvres et que ces institutions et
ces œuvres durent. L’histoire existe parce que la
conservation des œuvres humaines pose aux différentes
générations la question d’accepter ou de refuser l’héritage
du passé. Le rythme du devenir , selon les secteurs de la
vie sociale, dépend de la nature de la réponse d’une
génération à l’œuvre des générations précédentes.

La conservation permet le progrès lorsque la réponse


d’une génération à la génération précédente consiste
simultanément à conserver l’acquis antérieur et à y
ajouter. Quand il y a accumulation du passé et de
l’actuel, lorsque l’on peut concevoir la succession du
temps comme une addition progressive d’œuvres, alors, de
manière strictement positive, on parle de progrès, chaque
459

génération possédant plus que la génération


548
précédente » .Mais, ce n’est pas encore progresser que
de retourner aux sources pour y demeurer ; que de remuer
les fibres identitaires pour provoquer des ségrégations.
L’Afrique veut le progrès. Mais que fait-elle pour advenir
au progrès ? Il suffit d’avoir la volonté de sortir du sous-
développement. Le progrès est un état d’esprit et un
processus cumulatif comme le développement lui-même.
L’Afrique est, certes, miséreuse ; mais la misère en tant
que telle n’exclut pas le développement, pas plus que le
sous –développement ne soit une fatalité. Mais, le sous –
développement est une phase historique qui possède ses
contraintes spécifiques, internes et externes, faisant
obstruction au progrès vers l’indépendance économique et
une croissance spontanée et équilibrée. Comme le dit
Tibor Mende, « Le processus du développement est
normalement freiné à la fois par des causes internes et
externes . Les causes externes sont inhérentes au
fonctionnement même du système économique et
financier mondial soutenu par les puissances
dominantes. Quant aux obstacles internes, ils peuvent être
constitués par une large variété de causes allant de
l’inadaptation des institutions aux attitudes personnelles
ou aux valeurs héritées. Mais le « système » qui contient
les freins externes au développement exerce également
ses effets sur les obstacles internes. Il peut ainsi
diminuer leur obstruction ou , inversement, il peut les
prolonger ou même les aggraver. C’est ici donc que le
clivage historique prend de l’importance . Car les forces
externes qui bénéficient des blocages existant dans les
pays sous-développés sont liées aux forces internes, qui
ont un intérêt direct à la prolongation de ladite situation.
Les deux tendent à se renforcer mutuellement. En fait, le
résultat est fréquemment une véritable alliance entre

548
ARON (R).- Dix huit leçons sur la société industrielle (Paris,
Gallimard, 1962), pp.77-78.
460

l’influence extérieure et les forces internes au profit du


conservatisme . Leur dénominateur commun est leur désir
mutuel de maintenir le statut quo »549.

Mais, les valeurs de changement ont actuellement pris


le pas sur celles du statut quo . L’invocation d’un avenir
meilleur a fait voler en éclats la fidélité au passé.
Désormais, le départ de la course au développement est
donné ; remportera la victoire celui qui saura le plus
radicalement possible, se débarrasser de tous les
handicaps possibles que sont le manque d’ambition, le
goût trop timoré pour la liberté, une volonté de puissance
vacillante, la peur de perdre son âme , la peur de s’ouvrir à
l’autre pour l’affronter. Carfantan et Condamines le disent
bien : «Le temps des affamés réactionnaires et des affamés
progressistes est en train de passer. Le danger est qu’ils
soient tous ensemble et silencieusement jetés dans la
fosse commune. C’est que la foi a fait place au désarroi ;
la furieuse acrimonie d’aujourd’hui n’a d’égale que la
généreuse ferveur d’hier »550.

Notre indépendance dépendra de notre Nirvâna


économique. Or l’économie n’est forte que lorsque la
culture est ajustée, examinée, que lorsqu’on s’ouvre à
l’autre. Toute culture est ouverture à l’autre et non
renferment sur soi, repli frileux aux conséquences
dévastatrices. L’abondante littérature sur l’Afrique doit
interpeller notre conscience : l’Afrique ambiguë, l’Afrique
noire est mal partie, l’Afrique malade d’elle-même,
l’Afrique peut-elle partir ? , l’Afrique majeure, etc. afin de
changer cette Afrique-là. C’est dans ce contexte que
l’Africain, à défaut d’être révolutionnaire, devrait être

549
MENDE (T).-De l’aide à la recolonisation (Paris, Seuil, 1972),
p.118.
550
CARFANTAN (J-Y.)& CONDAMINES (C.).-Qui a peur du tiers
monde ? (Paris, Seuil, 1980), p. 202.
461

révolté. Notre révolte ne consistera pas seulement à


constater mais à dénoncer. L’Africain révolté, c’est ce
contestataire qui décide de remettre en question le penser
africain ; c’est cet homme qui relève les tares de la société
africaine dans son fond. C’est celui qui accepte dans son
âme que le mal de l’Afrique n’est pas seulement sa
rencontre avec l’Occident mais son incapacité à dépasser
les contradictions, en se dépassant en autrui.

La génération d’aujourd’hui doit être la génération


révoltée, contestataire. L’Africain doit être l’homme
révolté. Mais, « Qu’est-ce que un homme révolté ? Un
homme qui dit non. Mais s’il refuse, il ne renonce
pas :c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier
mouvement. Un esclave , qui a reçu des ordres toute sa
vie, juge soudain inacceptable un nouveau
commandement. Quel est le contenu de ce « non » ?

Il signifie, par exemple, « les choses ont trop duré »,


« jusque-là oui, au-delà non », « vous allez trop loin », et
encore, « il y a une limite que vous ne dépasserez
pas » .En somme , ce non affirme l’existence d’une
frontière. On retrouve la même idée de limite dans ce
sentiment du révolté que l’autre « exagère », qu’il étend
son droit au-delà d’une frontière à partir de laquelle un
autre droit lui fait face et le limite. Ainsi le mouvement
de révolte s’appuie, en même temps , sur le refus
catégorique d’une intrusion jugée intolérable et sur la
certitude confuse d’un bon droit, plus exactement
l’impression , chez le révolté, qu’il est « en droit de... ».
La révolte ne va pas sans le sentiment d’avoir soi- même,
en quelque façon , et quelque part, raison. C’est en cela
que l’esclave révolté dit à la fois oui et non. Il affirme en
même temps que la frontière, tout ce qu’il soupçonne et
veut préserver en deçà de la frontière. Il démontre, avec
entêtement, qu'il y’ a en lui quelque chose qui vaut« la
462

peine de... », qui demande qu’on y prenne garde. D’une


certaine manière, il oppose à l’ordre qui l’opprime une
sorte de droit à ne pas être opprimé au-delà de ce qu’il
peut admettre »551.

Nous voudrions être cet esclave qui revendique sa


liberté, qui refuse sa condition d’être ; qui apprend qu’on
ne naît pas esclave, on le devient. L’Africain voudrait cet
esclave qui a soif de la liberté et de la dignité et qui sait
que l’esclave a le droit de s’affranchir et que ce droit est
inaliénable, être cet esclave qui sait que personne ne le
sortira de sa condition d’opprimé, que personne ne le
libérera s’il ne brise pas lui-même ses propres chaînes.
Nous voudrions être cet esclave qui apprend qu’une prise
de conscience naît de la révolte, qu’elle vient au jour avec
la révolte. Notre contestation, c’est d’être l’homme
révolté qui possède la conscience de ses droits. Notre but,
c’est de comprendre avec Albert Camus que « Pour être,
l’homme doit se révolter, mais sa révolte doit respecter la
limite qu’elle découvre en elle-même et où les hommes ,
en se rejoignant, commencent d’être. La pensée révoltée
ne peut donc se passer de mémoire : elle est une tension
perpétuelle »552.

Mais, notre homme révolté n’est pas celui qui prend


des armes pour tuer ses semblables ; il n’est pas non plus
cet intellectuel qui déchire le langage pour le muer en
instrument de dépeçage humain ; il ne saurait être cette
jeunesse qui prend des machettes pour revendiquer sa
condition ou pour refuser le droit à la différence. Notre
homme révolté, c’est celui qui refuse de travestir sa
révolte en oscillant entre le sacrifice et le meurtre ; c’est
celui qui veut une justice distributive et non une justice

551
CAMUS (A.)- L’homme révolté (Paris, Gallimard, 1951), pp.25-
26.
552
CAMUS (A), op. cit., p.34.
463

sommaire. « Mais sommes nous encore dans un monde


révolté ; la révolte n’est- elle pas devenue , au contraire
l’alibi de nouveaux tyrans ? »553 . Mais, la souffrance n’a
qu’un temps ; les tyrannies elles-mêmes sont soumises au
temps et à la volonté des masses. La liberté recommence
un jour. L’histoire a peut-être une fin ; notre tâche,
pourtant, n’est pas de la terminer, mais de la créer, à
l’image de ce que désormais nous croyons être bon. La
philosophie, du moins nous apprend que l’homme peut se
faire soi-même ; que l’homme ne se peut que dépasser et
que l’homme est ce qu’il devient plutôt qu’il ne devient ce
qu’il est. L’histoire est donc une perpétuelle
transcendance, un dépassement de soi , un engagement.
Dès lors toute entreprise historique est un risque qu’il faut
assumer jusqu’au bout ; elle ne peut qu’être une aventure
douloureuse mais exaltante. Notre histoire est révolte,
perpétuelle révolte contre l’Occident et contre Nous-
mêmes.

« Si la révolte pouvait fonder une philosophie , au


contraire, ce serait une philosophie des limites, de
l’ignorance calculée et du risque. Celui qui ne peut tout
savoir ne peut tout tuer. Le révolté , loin de faire un
absolu de l’histoire , la récuse et la met en contestation , au
nom d’une idée qu’il a de sa propre nature. Il refuse sa
condition, et sa condition, en grande partie, est historique.
L’injustice, la fugacité, la mort se manifestent dans
l’histoire . En les repoussant , on repousse l’histoire elle-
même. Certes, le révolté ne nie pas l’histoire qui l’entoure
, c’est en elle qu’il essaie de s’affirmer. Mais il se trouve
devant elle comme l’artiste devant le réel, il la repousse
sans s’y dérober. Pas une seconde , il n’en fait un absolu.
S’il peut participer , par la force des choses, au crime de
l’histoire, il ne peut donc le légitimer. Le crime rationnel,
non seulement ne peut s’admettre au niveau de la révolte
553
CAMUS (A.), op. cit., p.337.
464

, mais encore signifie la mort de la révolte . Pour rendre


cette évidence plus claire, le crime rationnel s’exerce, en
premier lieu, sur les révoltés dont l’insurrection conteste
une histoire désormais divinisée »554.

Il convient maintenant de savoir que seul celui qui veut


bâtir l’avenir doit posséder le droit de juger . Cela n’est
aussi possible qu’en portant son habit neuf de la
contestation. Pour l’Afrique, nous avons l’impérieux
devoir de regarder droit devant nous sur la route épineuse
du développement ; mais nous avons aussi l’obligation de
jeter des regards fictifs derrière nous, pour savoir si nous
ne nous sommes pas trompés de chemin ou si quelqu’un
ne nous poursuit pas avec une kalachnikov ou une
machette. Il nous faut nous assigner un but : celui du
développement. Notre avenir nous donne assez à méditer
et à découvrir. Nous pouvons quelque chose pour
l’Afrique, mais n’allons pas demander qu’elle nous
indique les moyens et les instruments nécessaires pour le
réaliser. « A cette heure où chacun d’entre nous doit
tendre l’arc pour refaire ses preuves, conquérir, dans et
contre l’histoire, ce qu’il possède déjà, la maigre moisson
de ses champs, le bref amour de cette terre, à l’heure où
naît enfin un homme, il faut laisser l’époque et ses
fureurs adolescentes. L’arc se tord, le bois crie. Au
sommet de la plus haute tension va jaillir l’élan d’une
droite flèche, du trait le plus dur et le plus libre 555».

De notre engagement, dépendra donc sûrement l’avenir


de notre continent et de nous –mêmes. C’est pourquoi,
nous avons voulu multiplier des problèmes pour entrevoir
des questions dans les domaines mêmes où nous apportons
des réponses. Mais ce ne sont que des réponses et non les
réponses. De sorte qu’en nous séparant, nous aurons la

554
CAMUS (A), op. cit., p.347.
555
CAMUS (A), op. cit., p.367.
465

conscience que la Re-naissance de l’Afrique a peut-être


commencé, mais n’a pas encore atteint sa vitesse de
croisière .L’Afrique avance, cela est indéniable. Elle n’a
pas encore dit son dernier mot au monde, mais il lui faut
d’abord apprendre et accepter de dire ses premiers mots à
soi-même : La RÉCONCILIATION DES IDENTITÉS.
466
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africaine : mythe et réalité’’ in Revue de littérature et
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africaine (Abidjan, NEA, 1977), n°1
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Revues et magazines

-L’Ivoirité ou l’esprit du nouveau contrat social du


président Henri Konan Bedié (Abidjan, Presses
Universitaires de Côte d’Ivoire, 1996,21 cm x 14,5cm, 179
p.).
-Revue française d’études politiques africaines, N°58
(Paris, Revue françaises d’études africaines, 1979, 22cm x
14 cm, 116 p.).
- Annales de l’université d’Abidjan 1983, Série D tome
XVI lettres et sciences humaines (Abidjan, éditions,
24x15, 5cm, 352P.).
-Amnesty international, la torture : instrument de
pouvoir, fléau à combattre (Paris, Seuil, avril 1984, coll.
Points, 18cm x 11,5cm, 342p.).
Archives de la philosophie du droit n°7 (Paris, Sirey,
1962,24cm x16ccm,325p.).
-Revue tiers-monde. Le tiers monde en l’an2000, tome
XII, n°47 (Paris, PUF, juillet-septembre, 1971, 24cm x15,
5cm 689p.).
-Annales de l’université d’Abidjan, série D, Lettres,
tome VI (Abidjan, annales de l’Université d’Abidjan,
1973,24cm x15, 5cm,368p.).
- Actes du colloque de Neuchâtel, les 16 et 17
Décembre 1983 Marx et les sciences Humaines
(Lausanne, éditions L’âge d’homme, 1987, coll. raison
dialectique, 21x14cm, 157P.).
-Université nationales de côte d’ivoire les images
éclatées de la dialectique par Niamkey Koffi numéro
spécial des annales de l’université d’Abidjan. Lettres
(Abidjan, université nationale de côte d’ivoire, 1991,
24x15, 5cm, 110P.).
514

-Frat-mat N°12058, du mardi 18juin 2005


- Université nationale de côte d’ivoire annales de
l’université d’Abidjan Série D Tome XVIII lettres
(Abidjan, Université nationale de côte d’ivoire,
1985,23x15, 5cm, 226P.).
- Revue de litterature et d’esthétique négro- africaines,
(Abidjan, les nouvelles éditions africaines, LENA, 1987,
24x16cm, 110P.).
-Cahiers de la politique indigène) (Elisabethville,
l’essor du Congo, 1945).
- REPÈRES.- Revue Scientifique de l’université de
Bouaké philosophie et sciences humaines (Abidjan-
Riviera, éditions PUCI, Septembre 2000, 21x14, 5cm,
138P.).
- Annales de l’université d’Abidjan, 1977 Série D tome
X lettres et sciences Humaines (Abidjan, éditions annales
de l’université d’Abidjan, 1977, 24x15,5cm, 279.).
- Cahiers d’études africaines 66- 67 (Paris, éditions
Mouton, 1978, 24x16cm, 409P.).
- Afrique contemporaine Numéro spécial 180 l’Afrique
face aux conflits sous la direction de Jean du Bois de
Gaudusson et Michel Gaud.(Paris, la documentation
Française, 1996, 24x16,5cm, 275P.).
- Philosophie africaine texte choisis II et bibliographie
sélective par A.J. SMET professeur à l’université
Nationale du zaïre (Kinshasa, presses universitaires du
zaïre, 1975, 23x16cm, 557P.).
Revue de littérature et d’esthétique négro- Africaine
(Abidjan, nouvelles éditions Africaines, 24x16cm, 193P.).
- Recherches philosophiques africaines études publiées
par le département de philosophie et Religions africaines.
La philosophie Africaine (Kinshasa, Faculté de théologie
catholique, 1977, 24x16cm, 175P.).
- Le korè (A la conquête de l’homme) numéro 26 année
1990(Abidjan, Université Nationale de côte d’Ivoire,
1990, 24x15,5cm, 71P.).
515

Ouvrages techniques et encyclopédies

- A la recherche d’une politique efficace et réaliste par


DO Linh Giam (Fribourg/ Suisse, institut international des
sciences sociales et politiques, 1969, 20,5x14, 5cm,
183P.).
-ANGUE (FERNAND).- La dissertation française,
grands concours scientifiques et techniques et examens
d’administration (Paris, Bordas, 1968,18x13cm, 351p.).
BONNARD (H.) ARVEILLER(R.)Exercices de
Grammaire par la 4e et la 3e (Paris, éditions S.U.D.L,
1954, 18,5x14, 5cm, 382P.).
-DE BASCH (CHARLES) & DAUDET (YVES).-
Lexique de politique Etat- vie politique relations-
Internationales (Paris, Jurisprudence générale Dalloz,
1984, coll. des études politiques économiques et sociales,
18x11cm, 416P.).
ENCYCLEPEDIA UNIVERSALIS-(Paris,
Encyclopaedia Universalis France S.A. 1985, 30X22cm
1096P.).Tome 1 à 15.
FOLSCHEID (DOMINIQUE) &
WUNENBURGER(JEAN).-Méthodologie philosophique
(Paris, PUF, 1992, coll. premier cycle, 22x15cm, 366p.).
FOULQUIE (PAUL).-Quelques conseils pour la
dissertation philosophique (Paris, 2ditions de l’école,
1967, 19x13cm, 120p.).
- GIRODET (JEAN).- Dictionnaire Bordas des pièges
et difficultés de la langue française (Paris, Larousse
Bordas, 1996, 21,5x14cm, 896P.).
La conjugaison 1200verbes (Paris, Hatier, 1990, coll.
Bescherelle, 19,5x14cm, 175p).
- La guerre ou la paix ? (Paris, UNESCO, 1980, 24x15,
5cm, 241P.).
516

- LEGRAND (D.).- Méthode de stylistique Française


(Hermmerlé, petit et Cie, 1971, 21,5x15, 5cm, 215P.).
- Les grands révolutionnaires Socialistes Utopistes et
Anarchistes à la recherche du bonheur (Poitiers, éditions
Martinsart, 1977, 27x19, 5cm, 447P.).Tome I à 15
-philosophique J. Vrin, 1983, coll. bibliothèque des
textes philosophiques, 21,5x13, 5cm, 196P.).
-Les philosophes du XVIII siècle Montesquieu - J. -J.
Rousseau- Voltaire Buffon- Diderot (Paris, libraire
Aristide quillet, 1961, coll. Encyclopédique des classiques
quillet, 18x11, 5cm, 459P.).
-L’homme du XXe siècle et son esprit (Toulouse,
Edition Impressions, 1971, 31x23, 5cm, 430P.).Tome1 à
tome 4
-LIEGOI (GEORGES).-Multiplan facile (Alleur,
Marabout, 1985,18x11cm, 126p.).
- PAUL EMILE- Littré Dictionnaire de la langue
française tome1 a. b. c.( Monte – Carlo, Edition du cap,
1968, 27x21cm, 1403P.).
- Petit Robert (Paris, petit Robert, 1973, 23,5x15, 5cm,
1969P).
-SAÏDA (JEAN-PIERRE).- Savoir bien écrire (Paris,
RETZ, C.E.P.L, 1976, coll. Savoir communiquer, 19,5x16,
5cm, 255p.).
- VALLAUD (DOMINIQUE).- Dictionnaire
historique (Paris, librairie Arthème Fayard, 1995,
20,5x14cm, 1016P.).
517

Table des matières

Remerciements………………………………………..9
Avant-propos………………………………………..11
I Les enjeux de la question………………………….11
II.L’Épreuve du commencement,
le commencement de l’épreuve………………...39
III- Textes, contextes et concepts………………........52
Première partie :
Histoire et contestation………..................................65
Chapitre I.
De l’origine de la contestation……………………..67
I-I. Afrique : genèse d’un mal- entendu…………….67
I-II. Le temps du mépris : l’autre discours,
le discours de l’autre…………………………………93
Chapitre II.
De la contestation culturelle……………………….103
II.I. Race et contestation…………………………...103.
II.II. De la problématique de la religion,
des langues, de l’écriture et du savoir en
Afrique…………………………………………….134

Deuxième partie :
De la proclamation d’une philosophie ethnique
contestée au culte de la différence
culturelle…………………………………………184

Chapitre I.
Les philosophies bantoues : de l’affirmation d’une
authenticité à l’idée d’une philosophie spécifiquement
africaine…………………………………………….189
I.I. La philosophie bantoue de Tempels……………199
518

I.II. Les incertitudes de Kagamé et le surgissement de


la philosophie bantu………………………………218
I.III.Tshiamalenga Ntumba et l’impasse de la
philosophie ethnique ?............................................. .227
Chapitre II :
De la Négritude à la problématique de l’esthétique
négro-africaine : du retour aux sources à la
source………………………………………………237
II.I. La Négritude dans le sillage du surréalisme ?...242
II.II. De la problématique de l’esthétique négro-
africaine…………………………………………….256
II.III. Les idéologies de l’authenticité africaine :
engagement ou encagement ?....................................283

Troisième partie :
Des différends de la pensée à la pensée de la
différence…………………………………………..299

Chapitre I :
De l’engagement au socialisme……........................301
I.I.De la problématique du socialisme africain….....301
I.I.1.Une nouvelle terre et un homme nouveau : l’A-
frique de Kwame Nkrumah………………………...304
I.I.2.L’Ujamaa de Julius Nyereré : un autre visage du
socialisme africain ?..................................................335
I.I.3.Senghor et le socialisme –négritude…………..343
Chapitre II :
Du dévoilement des différends…………………….349
II.I. De la contestation critique…………………......349
II.I.1.Du concept de révolution radicale de Marcien
Towa………………………………………………..359
II.I.2. Jidenu Paulin Hountondji : De l’idée d’une
philosophie africaine à la proclamation d’une
philosophie européenne…………………………….368
519

II.II. De la libération de la différence à la


problématique des idéologies identitaires : l’entre-deux
de la philosophie africaine………………………….374

II.II.1. De la contre-contestation critique………….374

II.II.1.1. Olabiyi Babalola Yaï……………………..379

II.II.1.2.Niamkey Koffi……………………………384

II.II.2.L’Entre-deux de la philosophie africaine……390

Chapitre III :

Pour une remise en question de la re-naissance


africaine…………………………………… 409

III.I. -La cure de soi………………………………..409

III.II. La palissade de l’espérance………………….420

III.III. Du refus du triomphe identitaire…………...427

Bibliographie……………………………………….476

-Ouvrages de philosophie générale et de l’histoire de la


philosophie…………………………………………476

Articles…………………………………………….507

Revues et magazines………………………………513

Ouvrages techniques et encyclopédies……………515

Table des matières………………………………….517


520

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