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Introduction
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Jour et nuit
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déterminer, dans chaque cas, ce qui est pieux et ce qui ne l’est pas. La menta-
lité mythique érige directement un comportement individuel en norme
universelle de comportement, une opinion individuelle en vérité universelle,
du seul fait qu’il s’agit du comportement, de la volonté ou des déclarations
d’une individualité, homme ou Dieu, posée comme exemplaire. Ce qu’un
esprit mythique prend pour norme de pensée ou de conduite, c’est en fait
l’individu exceptionnel et exemplaire, grand homme, chef, héros ou Dieu.
Dans le domaine de la pensée comme dans celui de la conduite, il se soumet
toujours, par admiration, par amour, ou, le plus souvent, par peur, à une auto-
rité extérieure. Le culte de la personnalité, la soumission aveugle à quelque
grande personnalité constituent les caractéristiques fondamentales de la
mentalité mythique. Tout problème pratique ou théorique portant sur
l’absolu est résolu par référence à ce que veut ou pense un autre, une person-
nalité extraordinaire, réelle ou imaginaire, encore vivante ou ayant vécu « in
illo tempore », dont la volonté constitue la loi et l’opinion la vérité, et dont
les mythes content justement la geste. Ce qui caractérise donc essentiellement
esprit mythique c’est son inaptitude ou son renoncement à penser, à réfléchir
d’une manière personnelle et autonome —je ne dis pas solitaire— pour
« discerner le bien et mal », pour trouver ce qu’il doit admettre comme vrai
ou comme norme de comportement. Il se décharge de cette responsabilité sur
un autre : sur un héros mythique, « grand homme », un chef charismatique,
un Dieu, etc.
Or cette confiance faite aux Dieux n’est guère bien placée, puisque entre les
Dieux, entre les religions, comme entre les hommes existent les mêmes
conflits et les mêmes désaccords sur les mêmes objets. Entre les Dieux, entre
les religions, les conflits et les guerres naissent à propos des mêmes sujets : le
juste et l’injuste, le bien et le mal, la vérité et le mensonge ou l’erreur, en
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termes modernes, à propos des « valeurs ». La solution de nos problèmes ne
se trouve pas au ciel, entre les mains des dieux ou des chefs charismatiques,
des hommes providentiels et autres sauveurs. Attendre d’eux la réponse à nos
interrogations théoriques et à nos hésitations pratiques, c’est fuir le néces-
saire effort de réflexion, de pensée personnelle par la discussion et la
recherche méthodiques. L’opposition entre le mythe et l’idée revient à l’oppo-
sition entre l’opinion reçue de confiance et la pensée active. Le mythe est une
invitation à la divagation émerveillée de l’esprit à travers le temps et l’espace.
La philosophie refuse le vagabondage en pays imaginaires et, aux croyances
du dévot, elle oppose le doute, l’incrédulité. Mais aux yeux du croyant, l’incré-
dulité philosophique est une impiété qu’il stigmatise comme « incroyance »;
le doute serait diabolique, le « mécréant » pactiserait avec le mal. En réalité
en refusant de prêter naïvement foi aux fantasmes mythologiques, la philoso-
phie ne déclare pas la guerre au bien, elle veut seulement penser les
croyances mythologiques, c’est-à-dire les tenir ensemble sous le regard de
l’esprit, les peser et les soupeser pour déterminer leur poids de vérité, elle
refuse de livrer les hommes pieds et poings liés à la tyrannie, ennemie de la
liberté et donc aussi de la pensée.
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