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Poursuivant dans cette voie, nous avons décidé de reprendre au vol la question que
Jean Jamin (1998:65-69) posait dans Gradhiva: «Faut-il brûler les musées
d'ethnographie ?». N'étant pas encore prêts à mettre le feu à nos dépôts, nous avons
invité une brochette de collègues et amis à réfléchir à un nouveau programme pour notre
discipline, qu'il s'agisse de revitaliser les anciens paradigmes ou d'en proposer de
nouveaux. Faut-il rebaptiser nos institutions, comme le font de nombreux musées dits
aujourd'hui «de sociétés», «des cultures» ou «de(s) civilisation(s)», voire «du Quai X»
ou «de la Colline Y», neutralisant au passage le qualificatif apparemment déprécié
d'«ethnographique»? Serait-il judicieux de nous associer aux centres de culture
contemporaine ou aux musées d'art contemporain ? Vaudrait-il mieux raviver les
anciennes alliances avec nos collègues des musées d'histoire naturelle, dont l'objectif
consiste de plus en plus souvent à ramener l'homme et la société au centre de leurs
discours sur le vivant ? Voulons-nous plus ambitieusement devenir des centres
d'interprétation du patrimoine mondial, en abattant au passage les barrières existant
entre l'ethnographie d'ici et d'ailleurs ? Ou désirons-nous au contraire nous replier sur
une spécificité à redécouvrir, à redéfinir ? Telles sont quelques-unes des questions que
nous avons proposées à nos contributeurs.
Quels que soient nos champs d'activités et nos partenaires du moment, nous pensons
en tous les cas que nous devons rester des analystes et des traducteurs de la
quotidienneté, susceptibles de relier une expérience de l'ailleurs avec une implantation
et une implication locales. Telle semble être également la position des auteurs invités à
s'exprimer librement dans ce volume sur le passé, le présent et le futur des musées
d'ethnographie. Loin de proposer un enterrement de la discipline, leurs contributions
prouvent à quel point celle-ci peut se révéler pertinente dès qu'elle est mise en pratique
avec imagination et esprit critique.
Bien qu'elle ne résiste pas à de nombreux témoignages dignes de foi, la thèse d'Arens,
qui consiste à mettre radicalement en question la réalité du cannibalisme, est précieuse
en ce sens qu'elle impose la clause du soupçon à toute analyse posant cette activité
comme allant de soi dans telle ou telle société. Elle révèle en effet que cette notion
dissimule un piège à fantasmes d'altérité susceptible d'aboutir aux pires aberrations, tant
est biaisé le regard porté sur l'autre à travers elle.