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À Victoria
Table des matières
Couverture
Page de titre
Page de Copyright
Avant-propos
Introduction
communication
PREMIÈRE PARTIE
La Brigade
Le cercle de Conrart
La Table Ronde
Le salon d’Holbach
Le groupe de Coppet
La restauration de la sociabilité
Le Grenier de Delécluze
Le Petit Cénacle
Le Doyenné
Le cénacle réaliste
Cénacles hagiographiés
Cénacles romancés
L’année 1862
La stratégie du Parnasse
Le « groupisme » (1870-1885)
Mondanisation du cénacle
Le Cercle zutique
Le café Guerbois
L’année 1880
Les Nabis
Le Grenier d’Auteuil
et Madame Daudet
Huysmans et alii)
Le « groupe de la NRF »
DEUXIÈME PARTIE
Physiologie du cénacle
La sociabilité de divertissement
La sociabilité mondaine
La sociabilité d’ostentation
La sociabilité spectaculaire
La sociabilité conviviale
La sociabilité communautaire
La sociabilité professionnelle
La sociabilité confraternelle
La sociabilité de consécration
La sociabilité cénaculaire
Aspect topographique
Aspect protocolaire
Les divertissements
La causerie
Cahier de conversations
La lecture
TROISIÈME PARTIE
Le cénacle en mouvement
Phase de formation
La « loi » de l’homogénéité
La cohésion négative
Le noyau amical
Chef de chœur
Le sociolecte cénaculaire
Phase d’institutionnalisation
L’épreuve de la dénomination
L’épreuve de la médiatisation
L’épreuve de la mobilisation
L’épreuve de la hiérarchisation
Phase de dissolution
Sanctuarisation
Routinisation
Mondanisation
Perpétuation
QUATRIÈME PARTIE
Le cénacle en représentation
La correspondance
Album amicorum
Épigraphes et dédicaces
La critique de complaisance
Préfaces et « manifestes »
La poésie cénaculaire
Satires du cénacle
Cellulairement
Bande noire
Apologies du cénacle
Invisibilité médiatique ?
La contre-offensive parnassienne
La médiatisation restreinte
La littérature du souvenir
De la légende à l’histoire
Télescopage de mémoire
Conclusion
Cénacles et barricades
La Bella scuola
Notes
Bibliographie sélective
Annexes
Remerciements
Cahier photos
Avant-propos
« À l’origine de toutes les fermentations humaines, à la naissance
de toutes les écoles, et même des plus grandes religions, il y a
toujours de très petites coteries, d’imperceptibles groupes
longtemps fermés, longtemps impénétrables ; bafoués, fiers de
l’être, et avares de leurs clartés séparées. Au sein de ces secrètes
sociétés germe et se concentre la vie des très jeunes idées et se
passe le temps de leur première fragilité. L’amitié, la sympathie, la
communauté des sentiments, l’échange immédiat des espoirs et
des découvertes, la résonance des sentiments analogues qui se
renforcent par leur reconnaissance réciproque, et jusqu’à
l’admiration mutuelle, sont des conditions précieuses et peut-être
essentielles de renouvellement intellectuel. Ces petites églises où
les esprits s’échauffent, ces enceintes où le ton monte, où les
valeurs s’exagèrent, ce sont de véritables laboratoires pour les
lettres. Il n’y a point de doute, Messieurs, que le public, dans son
ensemble, n’ait droit aux produits réguliers et éprouvés de
l’industrie littéraire, mais l’avancement de l’industrie exige de
nombreuses tentatives, d’audacieuses hypothèses, des
imprudences même ; et les seuls laboratoires permettent de
réaliser les températures très élevées, les réactions rarissimes, les
degrés d’enthousiasme sans quoi les sciences ni les arts n’auraient
qu’un avenir trop prévu. Tels étaient nos cénacles. »
(Paul Valéry, Discours de réception à l’Académie française,
1927)
Le temps des cénacles
« À cette époque, le temps des cénacles, […] où on pût causer de
poésie, rien que de poésie, était loin1. » (A. Racot)
« Dans leur enthousiasme, dans leur amour pour l’art, ils avaient
[…] formé un camp à part, échafaudé des théories, bâti des
systèmes artistiques, en démolissant tout ce qui les entourait. Ils
avaient même institué pour leur usage exclusif la Société des Vrais
Bons. Jusqu’ici tout allait bien mais sitôt engagés dans cette voie,
ces Messieurs se crurent arrivés : ils s’imaginèrent avoir dompté le
succès ; ils se drapèrent dans leur gloire… future2. » (Ferlet)
Si on le compare à d’autres phénomènes qui ont marqué la vie littéraire et
artistique tels que le spectacle vivant, la presse périodique ou le Salon de
peinture, le cénacle a une durée de vie assez brève. Sa longévité est
toutefois suffisante pour qu’il soit possible d’en écrire l’histoire, depuis son
émergence vers 1800 jusqu’à sa déshérence peu après 1900. Cette histoire
ne commence pas ex nihilo, ni ne s’arrête ex abrupto (le cénacle a une
préhistoire et connaît un épilogue), mais, globalement, elle couvre le
xixe siècle.
La Brigade
Le cercle de Conrart
La Table Ronde
Le cas du groupe de la Table Ronde, qui prend forme vers 1646, a partie
liée avec le précédent. La Fontaine en est l’élément resté célèbre mais
certainement pas l’élément moteur : il ne le fréquente qu’au cours de ses
séjours à Paris pendant ses études et jusqu’à son mariage17. La Fontaine,
déjà lié à Maucroix et à Furetière, rencontre alors Tallemant des Réaux,
Antoine Rambouillet de La Sablière, François Cassandre. Ils ont tous
environ 20 ans et sont issus de bonnes familles. Ils côtoient des musiciens,
fréquentent des cabarets, surtout celui de la Table Ronde qui donne son nom
collectif aux « Paladins ». Survenue une dizaine d’années après la fondation
de l’Académie française, la formation de ce groupe ne peut se penser
indépendamment de celle-ci. C’est même l’Académie, par son
institutionnalisation rapide et efficace, qui force le groupe des jeunes
hommes de lettres à investir une forme de sociabilité plus souple, plus
festive. Le cabaret joue dès cette époque un rôle de soupape pour un grand
nombre d’hommes de lettres. On ne compte plus ceux qui ont fréquenté
« La Pomme de pin » : Saint-Amant, Charles Sorel, Furetière, Théophile de
Viau, Cyrano de Bergerac, trouvant ainsi une échappatoire aux normes
politiques imposées ainsi qu’aux normes religieuses. Au cabaret on peut
opposer la chanson grivoise et irrévérencieuse au langage docte et mondain
des salons et des académies. Le cabaret se prête mal cependant à
l’élaboration d’une stratégie collective, et sans doute est-ce pour cette
raison que les Chevaliers se sont mis à l’abri, dans le secret de l’intérieur
que le xviie siècle tend justement à segmenter (installation de toilettes,
changement de statut de la chambre à coucher qui devient un lieu interdit)
et à protéger des atteintes, ou des regards, de l’extérieur. Après quelque
temps de flottement, le groupe se fixe chez Pellisson – le même auquel on
doit le récit de fondation de l’Académie. La solidarité amicale y bat son
plein. Document inestimable pour notre propos, la lettre que Cassandre
envoie à Maucroix, pour le tenir informé de ce qu’il manque des festivités
parisiennes, donne, dans le genre de la poésie cénaculaire, une idée sûre des
activités du groupe.
Le salon d’Holbach
*
Les origines (1800-1820)
La secte des Méditateurs
L’histoire des cénacles commence avec un groupe qui n’a laissé pour
ainsi dire aucune trace dans l’histoire des arts30 et de la littérature. La
« société de peintres et de poëtes31 » qui se rassemble autour de Maurice
Quaï à la toute fin du xviiie siècle ne se rattache à aucun mouvement à
venir : elle n’anticipe même pas ce qui suivra vingt ans plus tard avec le
romantisme. Elle préfigure en revanche, structuralement, un type de
sociabilité spécifique promis à un bel avenir. La secte des « méditateurs »
est en effet dotée des quatre composantes groupales que l’on retrouvera
chez Hugo en 1830, Leconte de Lisle en 1865 ou Mallarmé en 1885 : un
lieu de sociabilité régulier, un chef charismatique entouré de disciples, des
rites très sophistiqués, une religion de l’art poussée jusqu’au fanatisme. La
secte, comme nous l’apprend Étienne Delécluze dans ses Souvenirs32 sur
l’atelier de David, se réunit au Louvre dans l’entresol situé au-dessus de
l’atelier des Horaces, où logeaient les frères Franque33. C’est là, vers 1797,
que Maurice Quaï, élève brillant de David, commence à endoctriner ses
confrères en leur exposant des théories supposées renouveler radicalement
les principes artistiques. L’audace du jeune homme impressionne son
entourage : il est vrai que Maurice Quaï ne propose rien de moins qu’une
« révolution ». L’artiste veut « reprendre l’art ab ovo34 » en se tournant vers
les Grecs de l’âge primitif. Encore cette rupture va-t-elle au-delà de la seule
contestation de l’esthétique davidienne, car l’élève rebelle préconise
également de ressusciter les « belles mœurs et les beaux vêtements des
premiers siècles35 », c’est-à-dire de vivre comme à l’époque des Grecs et
des Étrusques. Ses prises de position séduisent quelques disciples de David,
et, bientôt, un groupe de sécessionnistes se constitue, reconnaissables à leur
tunique blanche et à leurs longs cheveux36. C’est cette curieuse « secte »
que Charles Nodier intègre en 1802, lors de son deuxième séjour dans la
capitale37 :
Tu avais ouï parler souvent […], écrit-il à son ami Weiss, de ces
artistes qui portaient l’habit phrygien, qui ne se nourrissaient que de
végétaux, qui habitaient en commun, et dont la vie pure, et hospitalière,
était une vivante peinture de l’âge d’or ? Je les ai trouvés. – Il y a deux
mois que je passe mes journées au milieu des méditateurs, que je vis
avec eux, que je mange leur lait et leur miel ; que je m’assieds sur leurs
nattes, et que je retrempe tout mon être à leur école38.
Le portrait que fait le jeune Franc-Comtois du leader de la secte et
de ses cosectaires fait sourire tant il est teinté d’excès. Il n’empêche
qu’il permet de comprendre pourquoi, malgré le peu de consistance
de sa doctrine, le jeune dissident fait un « véritable ravage39 » dans
l’imagination de ceux qui l’écoutent. Maurice Quaï, plus qu’un
« maître », est un leader, dont le charisme passe autant par
l’éloquence que par l’apparence. Nodier y insiste à plusieurs
reprises dans ses lettres à Charles Weiss : il faut le voir40. Ainsi se
trouve dévoilé, dès le début du xixe siècle, le mystère de l’attrait
surnaturel du cénacle, dont l’« influence » s’exerce d’abord
physiquement par la coprésence de tous les membres en un lieu
donné. Au-delà du complexe d’idées sous-tendues par un
prophétisme de la pureté retrouvée, mêlant éthique et esthétique41,
il y a d’abord un visage et une voix : « Sa figure était belle, admet
Delécluze, et sa barbe, qu’il portait contre l’usage général, donnait
de la gravité à sa physionomie, d’ailleurs très avenante. Doué d’une
élocution facile, il portait promptement la conviction dans l’esprit
des autres, aussi devint-il bientôt un véritable sectaire dans l’école
de David, qu’il abandonna en entraînant avec lui plusieurs de ses
camarades42. » « Sa voix, écrit un Charles Nodier totalement
subjugué, est comme l’harmonica, et son éloquence est comme un
parfum délicieux qui flatte doucement les sens, et qui pénètre
toutes les facultés […]. Ajoute à tout cela, les formes sublimes de
l’antique, et ces accessoires romanesques de turban, de manteau de
pourpre, de brodequins, d’essences et de parfums… tu verras que
cet homme est une féerie, un demi-Dieu43 ! » Maurice Quaï tire son
autorité de sa rupture audacieuse avec David qui représente l’ordre
ancien, mais cette autorité est décuplée par une posture
excentrique, qui en fait un modèle fascinant, presque surhumain,
pour ses disciples. Restait à inventer une sociabilité spécifique qui
transformât les « belles leçons44 » du peintre en une « Cène45 »
mystique : le groupe se donne rendez-vous dans un couvent
désaffecté (la Visitation Sainte-Marie), à Chaillot, à l’écart de Paris,
ou bien, s’il fait nuit, chez l’un des cénacliers46 : là on s’assoit en
rond sur des tapis, on fume des tabacs d’orient dans des pipes de
bambous, on mange des oranges et des figues sèches, on lit la
Bible, Homère ou Ossian, et surtout on écoute les sermons inspirés
du Maître : « Maurice s’est levé, il a déployé son grand manteau de
pourpre, et il a parlé une langue si éloquente et si magnifique, que
je croyais lire encore la Bible47. » À l’époque où Nodier participe
aux cérémonies des « Illuminés de l’art », le groupe est composé
d’une dizaine d’individus : Horace et Joseph Hue, Hilaire Perié,
Pierre et Joseph Franque, Auguste Gleizes, Lucile Messageot,
Marcel Prault, Fabre d’Églantine fils48. L’auteur des Proscrits ne
doute pas que ces « noms jusqu’ici négligés par la renommée,
figureront avec honneur parmi ceux des maîtres de la peinture, et
des héros de l’humanité49 ». En réalité, tous sombreront dans
l’oubli après la mort prématurée du maître50. Mais le souvenir du
groupe des Méditateurs, premier cénacle identifiable, demeurera
vivace dans la mémoire collective jusque tard dans le siècle…
Son statut d’hapax dans les vingt premières années du xixe siècle pourrait
laisser penser que la secte des Méditateurs n’appartient qu’accidentellement
à l’histoire des cénacles, qu’elle n’en est que le signal de départ fortuit. Or,
son rattachement à notre chronologie n’a rien d’artificiel car la secte
prolonge son existence dans le discours social. Trente ans après son
extinction, la secte des Méditateurs ressuscite à l’occasion de la publication
d’un article de Delécluze51 dans lequel il établit un parallèle entre les
« Méditateurs de l’Antique » et les poètes du « Petit Cénacle ». Le point de
départ de cette comparaison est ténu (le port de la barbe) mais, explique
Delécluze, il cache quelque chose de profond : les « Gothiques de 1832 »
ont en commun avec les « Antiques de 1799 » la volonté de régénérer les
arts par un retour à la pureté primitive (ici l’Antiquité, là le Moyen-Âge), en
s’inspirant non seulement des canons de l’époque, mais en adoptant son
modus vivendi. S’appuyant sur leur incapacité créative et sur la pauvreté de
leur production, le critique ne se prive pas d’ironiser sur la naïveté de « ces
jeunes têtes » qui s’imaginent « avoir un talent vrai, fort et poétique », qui
se persuadent « de donner une direction nouvelle et heureuse aux lettres et
aux arts52 », uniquement parce qu’ils restaurent « les idées, les usages et le
costume » de leurs ancêtres. Mais, riposte Nodier qui prend leur défense la
même année, en dépit de la bizarrerie de leur comportement et du ridicule
de leur accoutrement, quand bien même ils auraient délaissé la création53
pour se « réfugier dans la méditation54 », Maurice Quaï et ses cosectaires
méritent considération parce qu’ils sont les premiers à avoir cru dans le
pouvoir régénérateur de l’art et à s’être donné pleinement les moyens de
parvenir à leur idéal de pureté. Au reste, ajoute-t-il, si rien de concret n’a
résulté de cette aventure spirituelle, il n’est pas douteux que Maurice Quaï a
influé sur ses disciples et qu’il « prolonge un reflet réel, quoique inaperçu à
travers notre littérature et nos arts55 ».
De l’aventure fugitive et sans lendemain des Méditateurs, on peut donc
tirer ce premier enseignement que, si le cénacle a besoin d’un substrat
d’idées nouvelles pour prendre, il n’est pas nécessaire que ces idées soient
puissantes ou fécondes. Du moment qu’elles sont appuyées sur les
« principes fixes56 » d’une souveraineté de l’art et de la poésie et articulées
à un savant dispositif rituel, du moment surtout qu’elles sont portées par
une figure charismatique exceptionnelle, elles remplissent leur fonction
cohésive. Les éléments de doctrine approximatifs, voire fumeux57 –
insuffisants en tout cas pour déboucher sur un mouvement – n’empêchent
pas la secte des Méditateurs de faire groupe. Son succès est avant tout
l’œuvre d’un leader qui, en assimilant l’art à un sacerdoce, réussit à se faire
passer pour un messie, à transformer ses compagnons en disciples et à les
faire adhérer à une même religion de l’Art. Dans la secte des Méditateurs
s’origine donc une formule sociabilitaire qui fait des hommes pratiquant
l’art, non pas seulement de simples agents, mais des mystiques chargés
d’une mission plus haute. C’est à ce titre que cette « tribu d’ange », comme
la qualifiera joliment Nodier, mérite de figurer, en dépit de sa non
descendance, dans l’histoire des cénacles comme son point d’origine, sa
cellule-souche.
Le groupe de Coppet
La restauration de la sociabilité
Le Grenier de Delécluze
Le Cénacle de la rue Notre-Dame-des-Champs
Le Petit Cénacle
« Vous êtes tout à coup devenu leur prophète, leur Dieu, écrit Alexandre
Duval en 1830 ; vous avez parlé, ils vous ont écouté avec respect ; vous
avez prêché votre loi, ils ont suivi vos préceptes ; vous avez ordonné des
chefs-d’œuvre, ils ont travaillé ; enfin vous avez opéré des miracles, et les
théâtres sont tombés.216 » Inexact, si l’on se réfère à la dynamique interne
des cénacles romantiques, ce résumé montre à quel point l’ascendant du
leader charismatique sur la communauté émotionnelle qui l’entoure s’est
accru avec les semaines de mobilisation pour Hernani. Le déplacement de
la ferveur romantique vers le Théâtre-Français en annonce un autre : le
déménagement de la famille Hugo, rue Jean-Goujon (le voisinage ne tolère
plus les allers et venues de l’appartement de la rue Notre-Dame-des-
Champs), coïncide avec une nouvelle configuration du Cénacle. Pas plus
que le salon de l’Arsenal n’a cessé ses réunions du Dimanche et le salon de
Vigny ses matinées du Mercredi, le Cénacle de Victor Hugo n’a subitement
disparu au lendemain des batailles. En revanche, les habitués de
l’appartement de la rue Jean-Goujon, puis de la Place Royale, ne sont plus,
pour une bonne part, ceux de la rue Notre-Dame-des-Champs. Le lieu de
sociabilité a survécu, mais avec un personnel considérablement rajeuni et
dans un autre quartier de Paris, loin de Sainte-Beuve, des Devéria et des
Deschamps. La mutation ne s’est pas opérée sans douleur : Sainte-Beuve
rapporte par exemple que Guttinguer ne voulait plus remettre les pieds chez
Hugo, tandis que l’archéologue Leprévost décidait d’y rester de mauvais
gré217. Les souvenirs de Théodore Pavie sont précieux à cet égard, tant pour
l’énumération des nouveaux intimes que pour la mesure de l’idolâtrie dont
le maître des lieux faisait l’objet :
Souvent je me reporte aux années de bonheur et de gloire, au temps
où Victor Hugo habitait ce bel appartement de la place Royale, tout
rempli de souvenirs historiques, où nous passions de si douces soirées.
Le cénacle s’était en partie dissous, de nouveaux visages remplaçaient
les anciens : Théophile Gautier, caché sous le pseudonyme d’Albertus,
Pétrus Borel, Jehan Duseigneur, qui plus tard se nomma tout
simplement Jean, etc. Après le dîner, durant les beaux jours, on ouvrait
la fenêtre à deux battants, et le poète, dans tout l’éclat de sa renommée,
portant haut sa belle tête que David allait couronner de lauriers,
paraissait sur le balcon. Il y avait toujours, sur la place, un certain
nombre de curieux, provinciaux, parisiens et étrangers, qui guettaient ce
moment, et tournaient à la fois leurs regards vers Hugo, qu’entourait un
cortège d’amis. Je me retirais alors au second plan, pour que ce public
en quête de célébrités n’égarât pas ses regards sur un inconnu218.
Ces « nouveaux visages » apparaissent chez Hugo durant l’été
1829219. Il est plus que vraisemblable que le groupe composant le
Petit Cénacle se soit constitué à peu de distance du couronnement
hugolien. La situation de Théophile Gautier, à cheval sur l’art et la
littérature, hésitant entre deux carrières, est celle de la plupart de
ses compagnons. À l’exception de Nerval, tous pratiquent peu ou
prou les arts plastiques. Aucun hasard donc à ce que ce soit dans
l’atelier de Garnaud, en 1828, que Pétrus Borel ait lié connaissance
avec Jules Vabre, apprenti architecte comme lui, et avec Jean
Duseigneur. Ces trois-là fréquentaient l’atelier d’Eugène Devéria, il
est donc fort probable que ce soit par l’intermédiaire du lithographe
qu’ils aient trouvé sur leur route Gautier, Nerval et Maquet –
proches quant à eux depuis le collège Charlemagne.
S’ils se réunissent dès avant février 1830, s’ils ont déjà à cette date
envahi les principaux lieux de sociabilité romantique, c’est évidemment
Hernani qui va leur servir de point de ralliement. Seule nous intéresse ici la
liste des fidèles claqueurs dans le récit donné par Adèle Hugo de la soirée
du 25 février :
J’ai retrouvé, raconte le témoin de la vie de Victor Hugo, une liste
des tribus Gautier, Gérard, Pétrus Borel, etc. J’y lis les noms suivants :
Balzac, Berlioz, Cabat, Augustus Mac-Keat (Auguste Maquet), Préault,
Jehan du Seigneur, Joseph Bouchardy, Philadelphe (celui-ci n’a pas
encore adopté l’anagramme de son prénom) O’Neddy, Gigoux,
Laviron, Amédée Pommier, Lemot, Piccini, Ferdinand Langlé,
Tolbecque, Tilmant, Kreutzer, etc., mêlés d’approbations collectives :
l’atelier d’architecture de Gournaud, treize places, l’atelier
d’architecture de Labrousse, cinq, l’atelier d’architecture de Duban,
douze, etc.220
À l’exception d’Alphonse Brot (Célestin Nanteuil est cité plus haut
dans le texte), tous les Jeunes-France221 sont là, molestant les
« grisâtres » et autres « perruques ». Tout cela appartient à la
légende d’Hernani, comme le gilet cerise ou le lion de Mlle Mars.
Le Petit Cénacle n’est connu que par de rares sources dont les principales
sont, au moment des faits, Feu et flamme de Philothée O’Neddy et Les
Jeunes-France de Gautier, ainsi que l’Histoire du romantisme d’un
Théophile Gautier vieillissant. Dans le conte des Jeunes-France, la chambre
de Philadelphe ressemble à s’y méprendre à l’atelier de Duseigneur décrit
quarante ans plus tard dans l’Histoire du romantisme, avec ses croquis de
Devéria, ses compositions de Boulanger et son morceau de cuir de Bohême
au mur, avec la tête de mort pour pendule et l’exemplaire de Cromwell,
signé par le maître, trônant sur une étagère222. On retrouve dans le « chaos
indébrouillable223 » de Philadelphe un exemplaire des Orientales, la tête de
mort, le papier à cigarette espagnole, ainsi que les accessoires
indispensables du jeune-France, une dague de Tolède et un verre à
Champagne. Pénétrons maintenant dans le « jeune atelier de Jehan » sis
dans une boutique de fruitière près de la rue de Vaugirard mais transformé
par O’Neddy en « magique et profond sanctuaire224 ». Les mêmes objets y
reparaissent : « un clair-semé de bosses, d’oripeaux, / De papel espagnol, de
médailles, de pots. » Et encore, pêle-mêle, « une œuvre de sculpture », de
« poudreux mannequins, de jaunâtres squelettes225 ». Quelle que soit la
source, le même ensemble hétérogène et hétéroclite reparaît, ce capharnaüm
auquel va répondre le désordre des paroles. Éclairé par « la gerbe de
punch », embrumé par les « vingt calumets », l’atelier ne tarde pas en effet
à accueillir « un tourbillon d’incohérentes phrases, / De chaleureux devis,
de tudesques emphases226 ». Les contempteurs des camaraderies raillent-ils
la polyphonie argotique, fermée au non initié ? Qu’à cela ne tienne. Chez
l’un, ce sera une compétition de « Coq-à-l’âne, rébus, sornettes,
calembourgs [sic]227 », un « chaos de jurons, de boutades / De Hurrahs, de
tollés et de rodomontades228 », chez l’autre, ce seront « [d]es juremens, des
soupirs, des cris, des grognemens229 ». S’amuse-t-on des concours
d’exclamations romantiques ponctuant chaque lecture publique ? O’Neddy
propose des acclamations qui « s’élancèrent / Avec plus de fougue, de
fureur / Qu’un Te Deum guerrier, sous le grand Empereur230 !…. » :
« c’était, conclut-il, du siècle un fidèle reflet, / Un pandæmonium bien riche
et bien complet !….231 »
Ces descriptions sont à prendre avec prudence. Le quotidien, dans le
« sombre atelier », devait être plus studieux et moins orgiaque, à en croire
Nerval qui écrit à Sainte-Beuve, en 1832, qu’il est depuis deux ans « entré
dans le petit cénacle dont [Du Seigneur] fait partie et où je m’attache de
plus en plus. Certes, il n’a pas été formé dans l’intention de parodier l’autre,
le glorieux cénacle que vous avez célébré, mais seulement pour être une
association utile et puis un public de choix où l’on puisse essayer ses
ouvrages d’avance et satisfaire jusqu’à un certain point ce besoin de
publication qui fait qu’on éparpille un avenir de gloire en petits triomphes
successifs. C’est aussi un aiguillon bien puissant de s’entendre demander
tous les jours : qu’as-tu fait ? et que de voir autour de soi des gens qui
travaillent232 ».
En fait, du quotidien du Petit Cénacle, hors la légende dorée d’Hernani,
on ne sait à peu près rien. Quelques épisodes et quelques frasques sont
connus : le tapage nocturne qui conduit Nerval pour quelques jours à
Sainte-Pélagie ou encore le camp des Tartares dans lequel les Jeunes-France
s’enferment pour quelques semaines d’insouciance et de rébellion
gentiment réprimées par la maréchaussée233. On en sait davantage sur leurs
productions littéraires. La fondation de L’Artiste, en février 1831, servira de
tremplin à la plupart des « Bousingots » comme on les appelle à tort : en
1832 et 1833, Alphonse Brot y place cinq contes, Pétrus Borel plusieurs
articles. Bouillonnante en 1832, la production jeune-France connaît son
année la plus florissante en 1833234, alors même que le Petit Cénacle a
commencé de se débander. L’accueil critique est plutôt chaleureux dans la
presse de gauche, sous la plume de Buchez et de Pierre Leroux, et dans
L’Artiste, mais partout ailleurs les railleries alternent avec les
éreintements235. Force est de constater que, malgré la renommée dont ils
jouiront post mortem, malgré leurs entrées à l’Arsenal et en dépit de
l’intérêt souvent malveillant des journaux, les membres du Petit Cénacle,
Nerval excepté, sont ignorés du grand public pendant le temps de leur
engagement. Ces « enfants perdus du romantisme » sont, comme tant
d’autres venus de province à Paris pour y trouver la gloire, victimes de la
surpopulation poétique.
La date de dispersion du groupe demeure très obscure. On sait seulement
que, dans les derniers mois de 1833, seuls Duseigneur et Jules Vabre
côtoient encore Borel au quotidien dans une maison de la rue Fontaine-au-
Roi où il vit dans la misère. Philothée O’Neddy, redevenu Théophile
Dondey, a dû abandonner la carrière littéraire quand son père est mort du
choléra-morbus, Alphonse Brot et Bouchardy se sont détachés et entament
leurs carrières respectives, l’un de romancier, l’autre de dramaturge.
Maquet fait de même, avant d’inaugurer sa longue et fructueuse
collaboration avec Dumas. Seuls restent Gautier, qui écrit en 1833 son
premier « Salon », Nerval et Célestin Nanteuil. Ceux-là se dirigent vers
l’impasse du Doyenné, où ils vont constituer la première communauté de la
bohème littéraire.
Le Doyenné
Le regain des salons
Le cénacle réaliste
Huit ans plus tard, en 1849, naît un groupe qui présente des similitudes
avec les cénacles de la grande époque romantique : c’est le « cénacle
réaliste », qui se tient, une fois n’est pas coutume, dans un café, à la
brasserie Andler-Keller310, l’ex café de la Rotonde. La brasserie est ouverte
au public (comme tous les débits de boisson), mais le groupe se réunit dans
« une salle du fond, prise sur la cour de la maison, derrière le billard et à
côté de la cuisine311 » (voir cahier d’illustrations). On est donc entre soi,
séparé symboliquement du tout-venant, des joueurs de dominos et des
lecteurs de journaux. Courbet a fait de ce café situé au 28 rue des
Hautefeuille312 une sorte d’annexe de son atelier (situé au n° 32) où il s’est
installé au printemps 1849313. C’est là qu’il dîne, mais c’est surtout là qu’il
« tient ses assises314 ». Car dans cette petite salle enfumée, on ne se
contente pas de boire des chopes de bière, de manger de la soupe au
fromage et des saucisses, ou de fumer la pipe, à la façon des paysans de
Franche-Comté, on prêche la nouvelle doctrine. Le pape du réalisme,
flanqué de son évêque, Champfleury, catéchise les fidèles à midi (le jeudi),
pendant le déjeuner. « Comme les fouriéristes, se souvient Champfleury,
Courbet parlait hardiment de tous les arts, de toutes les sciences et donnait
des conseils », « après le repas, chaque soir, c’étaient des conférences sur la
poésie315 ». La description un peu ironique que fait l’auteur des Bourgeois
de Molinchart de ce drôle de cénacle fait ressortir la dimension sectaire du
groupe : la Brasserie Andler est un « temple », un « sanctuaire », une
« thébaïde », un « réfectoire monacal316 ». Courbet en est le grand prêtre –
excommunicateur, si l’on s’écarte du dogme. Le dosage artiste/écrivain est
plus équilibré que chez les Buveurs d’eau, même si la dominante reste
artistique : à côté de Bonvin, Chenavard, Castagnary, Préault, Armand
Gautier, Corot, Daumier, on trouve Duranty, Henri Thulié, Jules Assézat,
Barbara, Fernand Desnoyers, Th. Pelloquet, Jules Vallès, Montégut, Pierre
Dupont, G. Mathieu et Max Büchon. Les femmes, il va sans dire, sont
absentes de cette « fête quotidienne de six à onze heures du soir317 ». Les
soirées, quoique animées, se différencient des estaminets et autres caboulots
où journalistes, écrivains ratés, chanteurs, dandys cherchent pêle-mêle à se
faire voir et se faire entendre. Champfleury, pour marquer cette rupture
avec la tradition anarchique du café, insiste sur le fait que les réalistes de la
Brasserie Andler ne « conservaient aucune trace des ornières de la Bohême
par lesquelles la plupart avaient passé318 ». À la différence des clans
bohémiens, le groupe réaliste a un chef de file et une doctrine solidement
charpentée (n’a-t-elle pas donné lieu à un « Manifeste » et à une série
d’explications, en manière de défense et d’illustration, par Champfleury lui-
même ?). Certes cette école n’a « ni journaux, ni revenus, ni fidèles pour
payer le casuel319 », mais elle a un leader charismatique, des disciples
dociles, des rites spéciaux, une doctrine cohérente, un étendard visible en -
isme et même, tardivement il est vrai, une revue défendant ses thèses320.
Surtout, elle a la ferveur qui caractérise les groupes d’avant-garde. De 1850
à 1860321, peintres, critiques, désillusionnés, « habiles cherchant à tirer parti
de la nouvelle école322 », débutants, oisifs et curieux se pressent à
l’enseigne de la Rotonde, car la « Brasserie », sous le régime autoritaire de
Courbet, a acquis l’aura du Cénacle de Hugo. Champfleury, dans ses
Souvenirs, ne peut du reste s’empêcher de faire le parallèle avec les
cénacles de l’âge d’or : « Ces réunions avaient quelque rapport avec celles
du romantisme ; il s’y mêlait en plus une saveur rustique particulière323. »
Ce qui est sûr, c’est qu’avec ce cénacle, un nouveau mode d’affirmation de
l’avant-garde se met en place, qui rappelle le romantisme par
l’enthousiasme de ses membres, et annonce le naturalisme par ses
interventions spectaculaires dans l’espace public et par son goût de la
polémique324.
Cénacles hagiographiés
Le cénacle ne saurait toutefois être considéré sous le seul angle de
l’histoire sociale : il est aussi affaire d’imaginaires. Lorsqu’on sort de la
chronologie des faits sociaux pour entrer dans celle des discours, on
s’aperçoit que le cénacle n’a jamais cessé de travailler les imaginaires de
l’art et de la littérature341. À l’époque romantique, le discours social sur le
cénacle doublait déjà la vie matérielle des cénacles. Ce discours, rappelons-
le, avait pris plusieurs formes : dans le genre apologétique, les poésies
cénaculaires – dont le modèle-type est la pièce de Sainte-Beuve de 1829
intitulée « le Cénacle » – avaient proclamé l’union sacrée des cénacliers.
Les articles polémiques ou satiriques avaient visé au contraire à démystifier
les pratiques cénaculaires, à démasquer ses impostures, à mettre à nu les
ressorts du cénacle. Attaques régulières qui, en dépit de leur violence, ou à
cause d’elle, avaient entretenu malgré tout la légende du cénacle.
S’y ajoute, à partir de 1840, un discours hagiographique dont bénéficient
plusieurs cénacles effacés de la mémoire collective. Les récits idéalisés de
Sainte-Beuve (1840, 1844), de Dumas (1849, 1852) et de Hugo (1849),
ressuscitent les Dimanches de l’Arsenal342, contribuant du même coup à
lancer le mythe d’un âge d’or où les poètes œuvraient de concert. La mort
de Nerval, en 1855, dernière victime en date du bataillon sacré, offre
l’occasion aux survivants de l’époque bénie du romantisme de rendre un
nouvel hommage au cénacle. Gautier fait publier le recueil de La Bohème
Galante343, dans lequel Nerval évoque ses souvenirs du Doyenné. Le
groupe, jusqu’alors méconnu du grand public, entre dans la légende dorée
des cénacles romantiques.
Qui se souvient encore de la rue du Doyenné ? C’est pourtant de là,
c’est pourtant d’une des maisons de cette rue, aujourd’hui oubliée et
rayée de la topographie parisienne, que sortirent un jour, avec tout un
bagage de charmants chefs-d’œuvre, quelques-uns des plus rares
écrivains et enchanteurs de ce siècle. Peintres, musiciens, poëtes,
romanciers et statuaires, c’était un cénacle au grand complet que le
cénacle de la place du Carrousel, et un des foyers les plus ardents, les
plus tumultueux, et, en définitive, les plus féconds de la poésie et de
l’art contemporains344.
L’idée que les chefs-d’œuvre de la littérature naissent en milieu
cénaculaire, que les œuvres majeures jaillissent presque toujours
d’une collectivité enthousiaste, commence à s’installer dans la
conscience collective. Mais l’Arsenal et le Doyenné ne sont pas les
seuls cercles à refaire surface. En 1856, Champfleury, dans un
article de « sa » Gazette, fait revivre les rites d’intronisation de
cette « bande de matamores », tous jeunes-France « à cœur de
salpêtre », qu’on appelait alors « société du Bousingot » :
Entre autres choses curieuses de ce cénacle, où l’on se réunissait
certain jour de la semaine pour y lire ces admirables poésies et ces
romans pharamineux qui devaient former par la suite une série de
volumes intitulés les Soirées du bousingot, Gérard m’a conté qu’un
certain jour le poète Alphonse Brot lut une histoire d’une invention
merveilleuse [suit l’histoire rapportée] et que cette nouvelle obtint un tel
succès, que M. Alphonse Brot fut reçu membre du Bousingot et sacré
poète345.
On est bien sûr dans la légende, mais il n’est pas anodin qu’au
même moment, Bouchardy se souvienne lui aussi du Petit Cénacle
dans une lettre qui ne sera publiée qu’une quinzaine d’années plus
tard dans l’Histoire du romantisme de Théophile Gautier :
Sainte et belle réunion, mon cher Théo, que celle où chacun était
pour le frère qui aime, l’ami qui se dévoue et le compagnon de route qui
fait oublier la longueur ou la fatigue du chemin. Réunions plus belles
qu’on ne peut le dire, où tous souhaitaient le succès de tous sans
exagération insensée et sans vanité collective, où chacun de nous offrait
de prêter son épaule au pied de celui qui voulait tenter de gravir et
d’atteindre346.
De son côté, plus de cinquante ans après sa disparition, Delécluze
rappelle à ses contemporains l’existence de la secte des
Méditateurs347. Son chef, jadis tourné en dérision348, est présenté
cette fois sous un jour favorable : « dans les traits de [Maurice
Quaï], dans son caractère, il y avait quelque chose de ce qui
distingue les hommes appelés à commander à leurs
semblables349. » L’heure est à la commémoration. À défaut
d’occuper l’espace social, le cénacle occupe le terrain de
l’imaginaire. Après 1840, il n’est plus permis de douter qu’il a joué
un rôle historique dans la création artistique et littéraire. Les
Parnassiens s’en souviendront.
Le déplacement du cénacle vers le domaine de l’art, observé
précédemment, se marque quant à lui par l’apparition de gravures
représentant des groupes restreints. Henri Valentin fait paraître en 1849
dans Le Magasin pittoresque un dessin représentant un atelier d’artistes, où
l’on reconnaît les figures de Gautier et de Nerval, cernées par des peintres
et des sculpteurs350. Quelques années plus tard, Courbet allégorise sa
domination sur le monde des arts dans L’Atelier du peintre : l’homme qui
tient le pinceau est au centre de la toile, tandis que le poète (Baudelaire) est
relégué à droite du tableau… Une mise à l’écart de la figure du poète, jadis
centrale, est également repérable dans l’eau-forte de Léopold Flameng351,
où le même Baudelaire se tient les bras croisés dans le coin sombre d’une
mansarde d’artistes, où sont réunis autour du grabat du propriétaire une
pléiade de rapins352. Mais c’est sans doute dans un dessin au fusain intitulé
La Brasserie Andler-Keller353 (vers 1855) que Courbet illustre de la
manière la plus forte l’ascendant pris par la peinture sur la littérature en
milieu cénaculaire (voir cahier d’illustrations) : on y voit le peintre plein de
morgue s’entretenir avec deux disciples (Trapadoux et Wallon) qui boivent
littéralement ses paroles. Tout un symbole résumant ce que tend à devenir le
cénacle à l’exact milieu du siècle : une réunion d’artistes354.
Cénacles romancés
L’année 1862
La stratégie du Parnasse
Mondanisation du cénacle
Le Cercle zutique
Le café Guerbois
En 1870, Zola n’a pas encore noué de relations amicales avec les
principaux tenants du réalisme. Cette solitude ne l’empêche pas de se
projeter en chef d’école. Porté par ses convictions, Zola déclare sans
ambages, en 1868, « appartenir […] à un groupe d’écrivains
naturalistes558 », tout à fait fictif à cette date. Zola récidive en 1872 en
évoquant, comme si elle existait déjà, « l’école moderne du naturalisme »,
promettant l’action prochaine de « ce groupe naturaliste559 ». Se rêve-t-il en
Manet du naturalisme ? S’inspire-t-il du prophétisme de Leconte de Lisle ?
Ou n’applique-t-il pas plutôt les recettes de la Maison Hachette où il a
travaillé comme responsable de la publicité ? Quoi qu’il en soit, sa
détermination est telle qu’il est admis, dès 1872, aux Dimanches de
Flaubert et aux soirées de l’éditeur Charpentier : il fait désormais partie de
la « bande des quatre » (Daudet, Goncourt, Flaubert, Zola). En 1874, Zola
intègre pour la première fois de sa carrière un groupe littéraire : c’est le
« Dîner des cinq » (les quatre et Tourgueniev) qui se tiendra irrégulièrement
pendant six ans. Zola prise énormément ces « batailles théoriques entre
gens qui, au fond, s’entendaient560 », peut-être parce qu’elles lui rappellent
les salutaires logomachies du Guerbois. Il y conquiert l’estime de ses pairs
sans parvenir à leur imposer ses vues : non seulement ses commensaux se
défient de cet ambitieux cadet, mais aucun d’eux n’est favorable à
l’adoption d’une bannière collective. « J’appartiens à une école, ou plutôt à
un groupe littéraire561 », rectifie significativement Zola en 1875. On assiste
en quelque sorte au retour de l’ère du soupçon (1829), marquée par la
défiance systématique à l’encontre de tout ce qui s’apparente de près ou de
loin à un groupe doctrinal. Zola se plie, bon gré mal gré, à la situation. On
le voit fréquenter différents milieux littéraires : il se rapproche de Catulle
Mendès à qui il remet son Assommoir (c’est l’époque où Mendès reçoit rue
de Bruxelles les collaborateurs de La République des Lettres) ; il répond
présent aux soirées des Daudet où se mélangent poètes et prosateurs, ex-
Parnassiens et futurs naturalistes562.
Zola comprend cependant peu à peu que, s’il veut se pousser sans
froisser ses pairs, il lui faudra passer par une stratégie groupale, constituer
son propre cénacle. Heureusement, celui-ci existe déjà à peu de choses près.
Joris-Karl Huysmans réunit en effet dès 1875 ses amis et quelques
collègues du ministère dans son logis de la rue de Vaugirard, les mercredis :
autour de « tasses de thé563 » se rassemblent Henry Céard, Maurice Du
Seigneur (le fils de Jean Duseigneur, l’hôte du Petit Cénacle), Albert
Pinard. Dans la préhistoire du groupe de Médan, le cénacle de Huysmans
occupe une place particulière parce que s’y tisse in vivo le réseau
sociabilitaire. C’est en effet par Huysmans, dira Céard, que « Zola nous fut
révélé […]. L’œuvre ne nous suffisait plus, nous étions travaillés du désir de
voir l’homme, de faire connaissance avec l’écrivain564 ». Suite à cette
« révélation », Henry Céard va rendre visite à Zola. À l’issue de cette
première rencontre, Zola saisit l’occasion : il l’invite à revenir. Mieux, il
l’appelle à reterritorialiser le cénacle : « Vos amis seront les bienvenus », lui
assure-t-il565. Les Jeudis débutent en 1876 dans le petit hôtel avec jardin
qu’il occupe rue Saint-Georges (n° 21) : « Ce fut là […] que se
rencontrèrent, pour la première fois, un groupe de jeunes hommes de lettres,
que les journaux ont désignés parfois sous cette appellation énormément
spirituelle : la queue de Zola566 ». Qui sont ces jeunes ? Céard, Huysmans,
Hennique, Maupassant et Alexis, tous romanciers, un peu déçus de la
mollesse « des trois maîtres de l’heure présente567 ». « Dès lors, nous fûmes
cinq. Notre petit groupe se trouva constitué. Un beau jeudi soir, tous les
cinq, en colonne serrée, nous nous rendîmes chez Zola. Et, depuis, chaque
jeudi, nous y sommes retournés.568 » L’auteur de Thérèse Raquin reproduit-
il, malgré lui, le cénacle féodal des romantiques et des Parnassiens ? Se
pose-t-il à son tour en chef charismatique tyrannisant ses disciples ? Paul
Alexis, dans ses Notes d’un ami, clarifie les choses, soulignant ce qui
différencie ce cercle fraternel des cénacles solennels569 antérieurs :
La vérité est que nos rapports avec Zola, loin d’être des rapports
d’élèves à maître, ne diffèrent nullement de l’intimité, de la camaraderie
affectueuse qui règne entre nous cinq. Au contraire, chacun de nous, je
crois, se gênera moins avec lui qu’avec les autres, lui confiera plus
librement certaines choses. Lui, un pion ? un normalien in partibus ?
Allons donc ! Un pontife ? Pas davantage ! Cet intérieur de la rue de
Boulogne, où l’on ne fait jamais de lectures, où l’on dit ce qui vous
passe par la tête, où chacun est souvent d’un avis très différent, où l’on
n’est même pas forcé d’avoir un avis, où le plus souvent il n’y a pas de
conversation générale, enfin ce grand cabinet de travail où nous passons
de si bonnes soirées, riant parfois comme des enfants, de tout, de tous,
et même les uns des autres, est bien l’opposé d’une chapelle, malgré les
vitraux des deux fenêtres570.
Si Zola reste discret sur ses Jeudis, il ne peut éviter (ou le souhaite-
t-il secrètement ?) que le bruit ne s’en répande. Dans le meilleur
des cas, cela le rapproche d’hommes rares comme Mallarmé, qui
accepte, ravi, l’invitation du romancier571 ; dans le pire, cela
déclenche dans la presse folâtre toutes sortes de fantasmes scabreux
sur les mœurs collectives des naturalistes. C’est désormais l’ombre
du cénacle bousingot qui plane sur les Jeudis des Batignolles !
Huysmans est obligé de dégainer sa plume pour mettre fin aux
« racontars ». Ni impassible, ni excentrique, le cénacle de Zola est
tout simplement « bourgeois », comme Zola le revendiquera lui-
même dans la préface de L’Assommoir572 :
Un soir par semaine ce « ventre cérébral » (l’expression est de
M. Barbey d’Aurevilly) reçoit quelques amis ou quelques élèves.
Plusieurs jeunes romanciers : Marius Roux, Paul Alexis, Henry Céard,
Hennique, Guy de Valmont [Maupassant] qui professent pour l’homme
une sincère sympathie et pour l’écrivain un fervent enthousiasme, se
réunissent, à la nuitée, dans son « petit salon ». Zola […] cause, parle
posément, dit quels sont ses plans, s’émerveille d’être si mal compris
par la critique, mais son langage ne décèle ni découragement, ni
aigreur573.
Ironie du sort, en 1877, les attaques que Zola avait déclenchées
contre le cénacle se retournent contre lui. La stratégie cénaculaire
éprouve ses limites. Mais il est trop tard pour reculer. Zola relève le
gant : hissant le drapeau naturaliste, il fonde la légende
médaniste574. En 1880 – est-ce la mort du grand maître du réalisme
qui l’y pousse ? – Zola semble déterminé à « ne négliger aucun
moyen de gloire et d’influence575 ».
L’année 1880
Le groupe des impressionnistes
Les Nabis
Le Grenier d’Auteuil
Le « groupe de la NRF »
Physiologie du cénacle
« Aujourd’hui, on va, on vient, on s’écrit, on se télégraphe, on
s’invite, on se donne rendez-vous, on va se chercher en auto. On
ne conçoit guère un de nos contemporains, misanthrope décidé, se
retirant au milieu d’un désert immense, dans une île inhabitée, afin
de fuir l’humanité exécrée ! Non ! on organise des réunions, des
matinées, des soirées, des fêtes, des réceptions, des bals, des
représentations, des concours. Souvent tout cela n’est pas encore
assez, on fonde des cercles, on élabore des statuts de clubs pensant
au précepte du proverbe : “Qui se ressemble, s’assemble1”. » (P.-
L. Hervier)
« Physiologie : étymologiquement, science de la nature. » Le Robert
définit la physiologie comme l’étude des fonctions « normales » d’un être
vivant. Appliquée au monde social, elle consiste à décrire une réalité
humaine de manière objective. « Les physiologies » désignent également, à
partir de 1835, des ouvrages décrivant les caractéristiques
comportementales d’un groupe social ou professionnel2 (le concierge, le
notaire, le forçat, la grisette, etc.). Comme l’a montré Walter Benjamin3, le
xixe siècle a eu la passion des types sociaux. La littérature dite
« panoramique » a passé au crible certaines mythologies des temps
modernes4. Elle a oublié le cénacle.
Les pages qui suivent ne prétendent pas réparer cette lacune, elles
entendent seulement dresser son portrait à travers l’analyse de ses
comportements typiques. « Les Cénacles peints par eux-mêmes », tel aurait
pu être le titre de cette partie, qui laisse délibérément de côté l’action du
cénacle dans et sur le champ littéraire – sa fonction, qu’on traitera en
troisième partie –, pour se focaliser sur ses invariants morphologiques – sa
nature.
Envisagé sous cet aspect, le cénacle appelle une multitude de questions,
d’abord en ce qui concerne sa spatialisation (localisation, disposition,
ameublement, décoration) ; ensuite quant à sa fréquentation (effectif
moyen, périodicité des rencontres, règlement intérieur) ; enfin à propos de
ses activités : que fait-on d’ordinaire dans un cénacle ? Y parle-t-on et y lit-
on ses œuvres comme dans un salon ? Y débat-on comme à l’académie ? Y
plaisante-t-on comme dans un café ? Qu’a de si particulier la parole
cénaculaire qui justifie sa durable fascination sur les contemporains ?
La récurrence sur un siècle entier d’un phénomène tel que le cénacle
induit logiquement une certaine permanence structurale. Qui veut en
esquisser les contours doit cependant au préalable déjouer les pièges de la
terminologie. Comme nous l’avons en effet rappelé en introduction,
s’appuyer sur la dénomination est un leurre : Sainte-Beuve refusa
rétrospectivement l’appellation de cénacle au cercle de Hugo en disant qu’il
ne s’était agi que d’un « salon5 » ; Vallès emploie le mot pour évoquer les
réunions du « Café Mariage6 » ; des historiens tels qu’André Billy,
accentuant la confusion, parlent de « cafés cénaculaires7 », etc.
Inversement, nous savons dorénavant que certaines formations
sociabilitaires baptisées « cénacle » par les contemporains, n’en ont pas eu
les caractéristiques. Aussi le physiologiste doit-il résister à deux tentations
symétriques : la première consiste à sous-estimer ce que recouvre le mot, la
seconde au contraire à le surestimer. Le « cénacle », en tant que concept de
sociabilité, ne mérite ni cet excès d’honneur d’être présenté comme la
forme dominante de sociabilité qui aurait phagocyté toutes les autres –
cénacularisant le salon, l’académie et le café –, ni cet excès d’indignité
d’être dilué dans les autres formes de sociabilité, en alléguant par exemple
qu’il ne serait qu’un des avatars (sous un nom nouveau, mais fallacieux) de
formes préexistantes telles que le salon, le café et le cercle. En fait, le
cénacle, forme nouvelle de sociabilité au xixe siècle, côtoie en bonne
intelligence toutes les autres formes existantes. Aussi nous reviendra-t-il
d’évaluer dans quelle mesure il se distingue morphologiquement des formes
concurrentes et concomitantes, afin de lui octroyer sa véritable place au sein
des sociabilités culturelles du xixe siècle.
Deux méthodes seront mobilisées dans cette partie pour modéliser la
forme-cénacle : la première – comparative – s’efforcera de confronter le
cénacle à l’éventail des sociabilités littéraires en mettant l’accent sur les
divergences et les convergences morphologiques. La seconde – inductive –
s’attachera à repérer les invariances, à dresser la liste des caractéristiques
communes des formations sociabilitaires correspondant a priori à la forme-
cénacle. Cette seconde approche visera à entrer plus avant dans la
connaissance de cette cellule sociale, secrète à bien des égards, qu’est le
cénacle. Au final, le croisement de ces deux enquêtes devrait permettre d’en
offrir un portrait fidèle.
*
Panorama des sociabilités culturelles parisiennes
Pour situer le cénacle dans la constellation des sociabilités culturelles de
Paris que fréquentent les hommes de lettres, il convient d’abord d’effectuer
un premier tri entre différents ordres de sociabilités, selon que ces
sociabilités sont régulières ou ponctuelles, fondées sur la participation
active ou non des hommes de lettres, mixtes ou purement littéraires. On
s’aperçoit alors que le cénacle n’est en réalité qu’un sous-ensemble d’un
ensemble très vaste des sociabilités auxquelles les hommes de lettres
parisiens participent au xixe siècle. Le cénacle appartient en effet à la
catégorie spécifique des sociabilités régulières, participatives et littéraires,
au même rang que les comités de rédaction (par exemple le groupe du
Globe), les syndicats littéraires (la Société des gens de lettres), ou les
académies (l’Académie française) ; et, de manière plus globale, à la
catégorie des sociabilités participatives mais non exclusivement littéraires,
tels que les cercles, les loges, les salons, les cafés, les conférences, les
cabarets, les dîners, les communautés.
Passons rapidement sur les sociabilités les plus éloignées à première vue
du modèle cénaculaire – si l’on s’en tient du moins aux trois critères retenus
de la périodicité, de la participation et de la mixité : les sociabilités
ponctuelles. Elles réunissent des hommes de lettres à l’occasion d’un
événement exceptionnel. Parmi elles, citons les visites, amicales ou de
courtoisie, d’hommes de lettres à un confrère, comme en reçoivent
fréquemment les Goncourt ; ou celles plus codifiées d’un néophyte au
maître (Hugo à Chateaubriand) ; à un illustre poète emprisonné (Dumas,
Sainte-Beuve et Hugo reçus à la Force par Béranger8) ou hospitalisé (Pierre
Louÿs reçu par Verlaine). Relèvent également de cette tradition les visites
de l’écrivain auprès de l’académicien, ou les interviews d’écrivains
réalisées par des reporters ou des écrivains-journalistes9 chez l’interviewé
ou dans un lieu public – ainsi Jules Huret interrogeant Verlaine au François
Ier pour L’Écho de Paris10.
Les hommes de lettres se rencontrent aussi quand surviennent de grands
événements de la vie privée : les cérémonies de mariage, de plus en plus
fréquentes à mesure que le métier d’homme de lettres tend à devenir
« respectable » (mariages de Marie Nodier et Jules Mennessier, de Judith
Gautier et Catulle Mendès, de Marie de Heredia et Henri de Régnier, de
Jeanne Hugo et Léon Daudet) ; les soupers organisés pour célébrer la
fondation d’un journal ou d’une revue ; les bals costumés et autres fêtes
plus ou moins réservés aux artistes et hommes de lettres (ainsi, le bal
costumé organisé par Alexandre Dumas en mars 1833 et le bal naturaliste
tenu chez les Charpentier en 1878) et les enterrements (celui de Balzac en
1850, celui, grandiose, de Victor Hugo en 1885, celui de Francisque Sarcey
où se presse le Tout-Paris littéraire et intellectuel en 1899).
Un cas limite est celui des « banquets littéraires » de la Troisième
République. Calquée sur le modèle républicain, cette manifestation réunit
un grand nombre d’hommes de lettres en l’honneur d’un homologue, avec
le soutien financier d’un éditeur ou d’un journal, éventuellement sur la base
de l’attachement à un mouvement littéraire. Relevons, parmi tant d’autres :
le banquet en l’honneur de Sully Prudhomme en 1881, le banquet du
81e anniversaire de Victor Hugo en 1883, le banquet offert en 1884 par
Lemerre pour l’élection à l’Académie française de François Coppée et pour
la réception de sa propre Légion d’honneur, le banquet en hommage à
Mallarmé en 1888 et le déjeuner en l’honneur d’Émile Zola en 1893. Le
banquet se justifie soit pour honorer un grand homme, soit pour des raisons
promotionnelles et publicitaires, lors de la fondation d’une revue ou de la
publication d’un livre qui a fait événement comme le Pèlerin passionné de
Jean Moréas en 1891. L’événement se veut d’autant plus porteur de
consécration que le programme du banquet et les discours qui y sont
prononcés sont diffusés dans des journaux et des revues. Le banquet
représente également l’occasion d’une célébration dépassionnée,
œcuménique, de la communauté des hommes de lettres, auxquels
s’adjoignent certains éditeurs (le déjeuner Zola, pour l’achèvement des
Rougon-Macquart, est aussi une sorte de banquet pour son éditeur
Charpentier) et certains journalistes11. Le cas des « banquets » de La Plume
est plus problématique encore parce que l’hybridation des formes de
sociabilité – entre banquet, dîner, spectacle et cénacle – y est très forte12.
Ces sociabilités ponctuelles, bien qu’elles n’aient aucun rapport
morphologique avec le cénacle, entrent parfois en résonance avec lui. La
visite auprès d’un maître de cénacle est souvent la première marche qui
conduit l’aspirant à son introduction dans le sanctuaire et à son intégration
par la communauté. Inversement, le banquet littéraire en représente la
dernière, en quelque sorte le couronnement : pour manifester leur gratitude,
les fidèles organisent un banquet en l’honneur de leur chef (c’est le cas des
« jeunes » pour les maîtres du naturalisme, des Greniéristes pour Goncourt
et des Mardistes pour Mallarmé). Le cénacle étant, au propre comme au
figuré, une petite famille, il n’est pas étonnant non plus de retrouver, dans
une touchante unité, l’ensemble des cénacliers autour d’une tombe, d’un
autel ou d’une vasque pour un baptême. Tous ces événements participent de
la synergie cénaculaire, en ce sens que s’y renforcent les liens affectifs
cultivés dans l’enceinte du cénacle.
Sortons à présent des demeures privées pour entrer dans les cafés, les
restaurants, les tavernes, les brasseries et autres cabarets. La liste qui
précède, non exhaustive, ne doit pas laisser penser qu’il y ait des cloisons
étanches entre tous ces lieux. Les cafés qui faisaient cabaret étaient
nombreux (le Chat Noir, le Soleil d’Or), de même que ceux qui faisaient
restaurant (le café de Paris, le Procope, le café Riche) ; pareillement, les
termes de brasserie, de taverne et de restaurant sont souvent
interchangeables. Une particularité les réunit tous cependant : il s’agit de
lieux ouverts, sans droit d’entrée, mais où les consommations sont payantes.
Conséquence logique : tous ces lieux, quoique socialement différenciés,
sont le théâtre d’un grand brassage de populations. Se pose alors la question
de savoir comment s’effectue le passage du simple café, fréquenté
occasionnellement, ou même régulièrement, par des hommes de lettres, au
« café littéraire », considéré comme forme de sociabilité spécifiquement
culturelle, voire au « café cénaculaire » ?
Création littéraire et lieu de consommation d’alcool sont liés dans
l’imaginaire de la littérature51. « Toujours les littérateurs fréquentèrent le
cabaret et cette affection n’a pas été sans leur nuire dans l’esprit bourgeois,
écrit ainsi Ernest Gaubert en 1910. Leur pauvreté, leur dédain et leur
ignorance des soins et des soucis d’un foyer, leur imposant le goût de ces
lieux publics où ils retrouvaient, avec l’amitié de gens ayant les mêmes
goûts, l’apparence d’un beau décor, une atmosphère familière et la double
excitation de discuter et de boire52. »
Comme tous les mythes, celui du café littéraire contient une part de
réalité. Sa fréquentation par les hommes de lettres est vérifiée à chaque
grande période de l’histoire littéraire – Maurice Agulhon a raison d’écrire à
cet égard que le café est un « personnage historique53 ». Apparus au
e
xviii siècle, quand le café devient une boisson prisée à côté du chocolat et
du thé les cafés ont connu un engouement jamais démenti54. Au xixe siècle,
une hiérarchisation se dessine, depuis les « assommoirs » jusqu’aux
luxueux « cafés » des boulevards, en passant par les bistrots de quartier. Les
hommes de lettres les fréquentent sans discontinuer. Les romantiques ont
défilé sur les cafés des Grands Boulevards, la bohème des années 1840 s’est
réfugiée dans les brasseries du Quartier latin, les naturalistes se sont
retrouvés dans les « cabinets particuliers » des grands cafés de la rive
droite, les symbolistes et les décadents ont fréquenté les cafés de la rive
gauche. On se souvient d’avoir aperçu Baudelaire au Momus, Verlaine au
François Ier, Villiers à la brasserie Pousset, Barbey au Tabourey, Mendès au
Napolitain, Champfleury à la brasserie Andler, Zola au café Guerbois. Pour
autant, il est exceptionnel qu’un café ou qu’une brasserie soit devenu le lieu
d’élection et de réunion d’un groupe littéraire. Le cas des cafés des
Boulevards (ils formaient une chaîne quasi ininterrompue sur le boulevard
de Gand, puis des Italiens) est significatif. Les témoignages dont on dispose
sont sans ambiguïté : on vient là essentiellement pour être vu55. Le Tortoni
est une scène où l’homme de lettres est en représentation56. Plus que le
carrefour des tendances littéraires, c’est le théâtre des élégances
vestimentaires. Aussi les dandys et autres lions s’y sentent-ils à l’aise. Ils ne
sont pas les seuls. Les cafés ont été le quartier général, tôt dans le siècle,
des vaudevillistes, des chroniqueurs et autres journalistes. Pour ces derniers,
qui s’interdisent les discussions élevées, le café représente une forme de
sociabilité incontournable.
S’il est désormais établi, en ce qui concerne du moins le xixe siècle, que
le stéréotype de l’écrivain composant dans une salle de café est sans
fondement, en revanche, le journal et le vaudeville, deux formes d’écriture
fondamentalement collective au xixe siècle, sont intimement reliés au café.
Malgré la prudence que doivent inspirer les sources en la matière, les cafés
ont été, autant que les salles de rédaction, les foyers du journalisme57.
Ainsi, Dinochau ou la brasserie des Martyrs passent pour les lieux où se
sont « improvisés » et composés nombre de petits journaux du Second
Empire. De la même façon, le Sherry-Cobbler auquel est associée la figure
de Catulle Mendès vers 1875, abrite, selon Émile Goudeau, un « incroyable
mélange d’écrivains et de générations58 » : de vieux Parnassiens reconnus,
de jeunes « Vivants » et de futurs « Hydropathes ». Mendès, qui préside les
réunions, ne s’y pose pas en chef d’école, mais en directeur d’une revue (La
République des Lettres), qui se donne pour unique objectif de regrouper,
sans parti pris et toutes tendances confondues, des talents confirmés et des
poètes débutants59. Il en va de même, au moins sous la monarchie de Juillet,
des auteurs de vaudevilles et de mélodrames écrits à la chaîne et le plus
souvent en collaboration. Dans le « café de vaudevillistes », écrit Félix
Pyat, le littérateur amateur aura garde de ne pas laisser traîner ses bonnes
répliques, sinon « l’on vous enferme au garde-manger littéraire, où l’on
entasse au milieu des plans, des fins de couplets et des bons mots, achetés,
surpris, volés dans la journée60 ». Les vaudevillistes « mangent là, ils
travaillent là, ils dorment là ; c’est leur domicile ; c’est aussi leur bourse de
commerce, où l’on cote les cours des théâtres61 ».
Ce n’est pas pour autant, quoi qu’en ait dit l’histoire anecdotique des
sociabilités littéraires, que les « cafés littéraires » se sont mis à abriter des
hommes de lettres réunis en groupes combatifs. Ne prenons qu’un
exemple : le François Ier appelle irrésistiblement le nom de Verlaine. À lui
seul, il semble témoigner de la « fécondité » poétique du café. Loin
d’opposer une résistance à cette image de « poète de brasserie », Verlaine
s’est complu à la renforcer en se laissant décrire, croquer, photographier et
même interviewer dans le café. Mais il semble plus que douteux que les
symbolistes y aient « tenu leurs assises62 ». Rares, voire inexistants, sont les
documents qui nous montrent Verlaine en leader charismatique, instruisant
ses disciples ou leur montrant la voie… Si Verlaine est un chef de file, il est
un chef fantomatique, « impossible à saisir » (Gide) auquel on ne peut se
référer qu’abstraitement63.
En tant qu’espace public (commercial et de loisir), le café propose donc
une sociabilité ouverte. Tourné vers l’extérieur, il se définit avant tout
comme une scène (ou arène) littéraire, offrant à chacun, selon ses talents, la
possibilité d’une reconnaissance immédiate (c’est la fameuse « machine à
gloire »), voire un succès public, sans passer par les voies institutionnelles
(salon, maison d’édition, presse critique, et Académie). Il suppose par
conséquent un recours obligatoire à des pratiques bruyantes (déclamations,
chansons), humoristiques (parodies, satires, blagues64), excessives
(canulars, provocations diverses), avec, pour seule garantie de sortir du lot,
la surenchère. Qu’il s’agisse du Momus, du Dagneaux, du Dinochau, de la
brasserie des Martyrs ou du Divan Le Peletier, il est inconcevable de
trouver là la moindre tranquillité, l’isolement nécessaire : le poète doit
consentir à partager l’espace avec une clientèle étrangère, sinon hostile, aux
grandes questions de l’Art. Ce sont moins – pour nous servir du mot de
Julien Gracq – des lieux de ralliement que des lieux de « collision65 ». En
quoi les cafés s’opposent, sauf dans le cas – exceptionnel – d’un lieu offrant
un espace privatisable, au cénacle, espace calme, clos et sélectif.
La sociabilité communautaire
Aspect topographique
Aspect protocolaire
Les divertissements
Le goût pour ces « jongleries » est confirmé par Fontaney dans son
Journal intime : c’est Hugo, un jour, alignant des calembours « à
perte de vue sur le Dey pendant le dîner171 », ou Émile Deschamps
« débitant pendant la route un tas d’acrostiches et de niaiseries de
même force ».
Le divertissement reprend ses droits dans les grandes occasions (aux bals
costumés chez les Nodier ou chez les Charpentier172) ou lors de « sorties »
hors du cadre cénaculaire. Une fois fondus dans la foule d’une fête ou dans
les rues de Paris, les hommes de lettres savent rire, chanter et danser comme
tout un chacun. À l’époque romantique, les dîners littéraires ne remplissant
pas encore les agendas, les écrivains s’échappaient de l’intérieur
confortable du cénacle pour festoyer dans des endroits plus variés. Les
soirées chez Hugo s’agrémentaient couramment de promenades pour voir
les couchers de soleil sur les plaines de Montrouge ou en haut des tours de
Notre-Dame. Pétrus Borel a organisé plusieurs bals costumés, dont aucun
cependant n’a égalé celui organisé en 1833 par Alexandre Dumas avec ses
trois cents invitations, ses décorateurs d’intérieur (Delacroix, Boulanger,
Nanteuil, Grandville, Alfred et Tony Johannot) et ses centaines de bouteilles
de vin. Les Jeunes-France quittaient fréquemment l’atelier de Duseigneur
pour aller choquer le bourgeois ailleurs : « Un beau jour, se souvient
Théophile Dondey, quelques-uns d’entre nous firent quelque part un dîner
assez vif. En s’en revenant, sub nocte per urbem, on était très bruyant, on
chantait une chanson peu attique dont le refrain était Nous avons fait ou
Nous ferons du bouzingo (notez bien l’orthographe). Bref, on scandalisa
tout un quartier de Lutèce, et on commit amplement le délit de tapage
nocturne173 ». On se donne enfin rendez-vous au théâtre pour soutenir une
pièce dont c’est la première, déterritorialisation ponctuelle, qui, quoique
exceptionnelle, apporte la preuve a contrario que le cénacle a moins pour
vocation de divertir ses membres que de les souder autour d’une cause
artistique.
La causerie
extrait n° 1
extrait n° 2
Comme Delécluze, Juste Olivier utilise son journal pour exprimer ses
sentiments et ses pensées intimes, sans dessein de le publier. Comme lui, il
note le soir ce qu’il a entendu le jour même dans les réunions littéraires
qu’il fréquente. Mais la comparaison s’arrête là, car, pour le reste, tout
oppose les deux hommes. Autant le premier, parfaitement inséré dans le
tissu des sociabilités parisiennes, circule à l’aise dans tous les milieux,
s’autorisant des jugements tranchés sur tel ou tel de ses contemporains ;
autant le second, ignorant des codes, ouvre de grands yeux étonnés sur ce
qu’il voit et entend. Cette candeur fait paradoxalement le prix de son
témoignage. À la différence de Delécluze qui pense son temps en même
temps qu’il le consigne, Olivier enregistre à l’aveugle les choses vues et
entendues. C’est du reste pour cela qu’on l’a envoyé dans la capitale. À
vingt-deux ans, couronné dans les concours académiques pour ses Poèmes
Suisses, le jeune Vaudois a pour mission de parfaire ses connaissances en
fréquentant les milieux littéraires et universitaires de Paris. Discipliné,
Juste Olivier se rend au cours de Villemain, aux prédications de Buchez, au
Collège de France pour entendre Andrieux, s’efforce « d’attraper quelques
conversations avec les hommes distingués dans les lettres206 ». À force
d’obstination, le jeune homme vainc sa timidité et parvient, muni de lettres
de recommandation, à pénétrer dans le sanctuaire de la rue Miromesnil.
Autorisé par le maître des lieux à y revenir, Olivier fait cinq visites durant
son séjour à Paris (4 mois), dont il rapporte cinq procès-verbaux. Le
troisième – celui que nous avons retenu pour la qualité de sa
sténographie207 – rapporte les propos tenus le mercredi 23 juin dans le
salon de Vigny durant trois heures. Il trouve sur place deux personnes, l’une
qui se tait et un jeune homme qu’il croit d’abord être Ballanche, mais qui
est en réalité Gustave Planche, jeune homme sûr de lui qui tient à lui seul le
dé de la causerie, et qui choque, par ses propos très crus, le très pudibond
Olivier. D’autres invités arrivent ensuite, plus discrets.
extrait n° 3
Le « parloir de Magny210 » (lundi 22 juin 1863211)
Une trentaine d’années plus tard – le samedi 22 novembre 1862 – a lieu
l’inauguration du premier dîner de quinzaine chez Magny, qui ne réunit
alors que cinq convives : Sainte-Beuve, Gavarni, Veyne et les frères
Goncourt, avant de s’élargir à plus d’une dizaine. Ce jour-là, le critique du
Constitutionnel est en veine de conversation : il raconte des anecdotes sur
Planche (encore lui !), parle du meilleur gouvernement possible pour l’Art,
évoque les femmes de lettres de l’Ancien Régime, puis lâche ces mots
découragés : « C’est terrible, toutes ces choses qui se perdent d’un temps,
les mots, les conversations ! Ah oui ! que de choses perdues212 ! » Le soir
même, les Goncourt notent dans leur Journal : « Il pensait sans doute à ce
qu’il sauverait, lui, de son temps, de l’accent fugitif et instantané des
hommes et des choses, du bruit, de la causerie, des indiscrétions, des
anecdotes, des mœurs, des vices, des caractères. Sans doute, il caressait de
la pensée ses causeries d’outre-tombe, ses critiques posthumes, ses
mémoires qu’il doit laisser et qu’il laissera, m’a-t-on dit. Et moi, je pensais
que j’allais écrire pour l’avenir, aussi, ce qu’il me disait là et ce qu’il
croyait tomber dans le vide, dans le néant, dans l’oubli, dans une oreille et
non dans un livre213. » Ce que Sainte-Beuve – cet arroseur arrosé –
ignorait, c’est que les frères Goncourt prenaient régulièrement note des
propos tenus par leurs confrères et amis, et que, fait aggravant, ces notes
seraient publiées du vivant de ces derniers ! De 1862 à 1869, les Goncourt
vont rapporter les conversations du dîner Magny, offrant ainsi à leurs
contemporains et à la postérité un témoignage unique sur l’un des plus
grands rendez-vous intellectuels du xixe siècle. Si Magny n’est pas à
proprement parler un cénacle, ce dîner rassemble des hommes que lie entre
eux une passion extrême pour les arts, les idées et les lettres, en dehors de
tout cadre officiel (académie) et de toute considération utilitaire
(association). On est donc fondé à s’arrêter sur ce cas, ne serait-ce que
pour avoir une idée de la manière dont cause l’homme de lettres au mitan
du siècle, dans cet intervalle problématique qui va du romantisme au
symbolisme. Après les logomachies de la rue Chabanais et les rosseries de
la rue Miromesnil, voici donc un extrait des causeries « d’un des derniers
cénacles de la vraie liberté de penser et de parler214 ». Nous sommes le
22 juin 1863, et le groupe tourne à plein régime. Dix convives, et non des
moindres, sont assis à la table du cabinet particulier du restaurant de la rue
Contrescarpe. Manquent seuls à l’appel ce jour-là Flaubert et Tourgueniev.
extrait n° 4
extrait n° 5
Sans doute pour les raisons qu’on a soulignées auparavant (le charme de
la parole du maître des lieux), c’est le cénacle de Mallarmé qui a bénéficié
de la meilleure couverture sténographique, puisque pas moins de quatre
disciples se sont improvisés secrétaires de sa parole : Régnier, qui couvre
une décennie entière (1887-1897), Fontainas quatre ans (1894-1897),
Bonniot douze mois (1893) et Jean de Tinan… un jour de l’année 1894.
C’est ce dernier, malgré la maigreur de son rapport (une page), que nous
avons retenu. Aussi riches soient les procès-verbaux des trois premiers
mallarmistes, ils présentent l’inconvénient d’isoler des pans de discours
sans jamais proposer une séquence suivie, sans jamais surtout donner la
parole aux « auditeurs ». Tinan, dont c’est la première visite rue de Rome,
est le seul des preneurs de notes à embrasser une soirée entière et, partant,
à restituer – fait sans précédent – les interventions des invités, y compris
celles des invités les plus discrets, brisant du même coup l’idée, admise
peut-être un peu vite, selon laquelle Mallarmé parlait seul en face d’un
parterre silencieux. Rien de tel, on va le voir, dans l’extrait qui suit, quand
bien même Mallarmé domine de sa présence magnétique et de son verbe
magique la petite assemblée qui s’est groupée autour de lui. Comme la
plupart des jeunes symbolistes de l’époque (Gide, Valéry, Louÿs), Tinan
tient un journal intime, hélas vite abandonné… Sa position est un peu
comparable à celle de Juste Olivier en 1830. Elle est celle d’un jeune
romancier plein d’espoir : son premier livre (Un document sur
l’impuissance d’aimer) allait être publié à la fin du mois à la librairie de
L’Art indépendant. En 1894, Tinan est à la recherche d’une voie et d’une
voix – celle d’un maître qui l’oriente. À moins de vingt ans, le futur auteur
de Penses-tu réussir ? a conscience du privilège qui est le sien de rencontrer
un monstre sacré de la littérature, porté aux nues depuis dix ans par tous
les poètes de la capitale ; la fraîcheur de son regard et la qualité de son
enregistrement rendent son témoignage d’autant plus saisissant qu’il se
trouve complété – heureux hasard – par celui de Régnier219, présent le
même jour. Pour présenter ce morceau de conversation, laissons la parole à
Tinan lui-même : « Mallarmé ouvre, […] nous sommes introduits dans une
petite salle à manger plus que simple – avec une table, tabac, cendriers,
verres de punch, quelques chaises – un fort mauvais canapé, où je
m’assois. »
Parler
Médier
Médire
Rire
Le cénacle est aussi potinier et malveillant qu’il peut être gai et sémillant.
L’atmosphère de légèreté dans laquelle sont enveloppées la plupart des
causeries recensées ébranle le mythe d’une conversation prise dans les
glaces de la gravité. S’il est vrai que la secte des Méditateurs n’est pas
festive (les soirées se passent à lire l’Apocalypse assis en rond ou à écouter
pieusement Maurice Quaï, dit « Christ », prêcher) ; que les Samedis de
Leconte de Lisle n’ont pas laissé le souvenir d’un entrain débordant
(l’homme au terrible monocle fait régner une espèce de terreur sur ses
disciples qui vont chez lui, rappelons-nous, « comme les croyants vont à la
Mecque240 »), peu de cénacles sont restés impassibles. Sans parler du Petit
Cénacle, du groupe du Doyenné et, plus tard, du Cercle zutique, formations
qui prirent leur distance vis-à-vis du modèle écrasant du cénacle militant,
on constate que nombre d’entre eux se sont abandonnés à la plaisanterie, à
la facétie, voire à la bouffonnerie. Quoique le maître des lieux ne les
apprécie guère241, le Grenier de Delécluze sourit d’aise aux paradoxes
hénaurmes de Stendhal. Les boutades de Beyle sur le romantisme, dites
« avec un air grave à travers lequel perçait son instinct de bouffonnerie »,
emportent l’adhésion. Delécluze se souvient encore, quarante ans après, des
fous rires auxquels prenaient part Mérimée, Rémusat, Cavé, Dittmer et
Vitet242.
Contrairement à une idée reçue, le Cénacle de Hugo n’est pas le dernier à
se dérider. Les témoins présents à ces soirées nous apprennent qu’elles
n’avaient rien d’une grand-messe solennelle. Pendant le dîner, la séparation
n’était pas nette entre les affaires littéraires et culinaires : « J’ai vu ce matin
Victor Hugo à son turbulent déjeuner de famille. À travers des
glapissements perpétuels de femme et d’enfants sur les sept tons de la
gamme, j’ai cru distinguer ces mots : Hernani sera joué dans trois mois,
échappé à grande lutte de toutes les mutilations littéraires, plumé
politiquement seulement243. » Dans la Chambre au Lys d’or, le Cénacle
retrouve son sérieux, mais le chef du Romantisme n’a rien du prophète Quaï
ou du professeur Leconte de Lisle. D’après Marie Nodier, « Hugo préférait
de beaucoup le tabarinisme le plus pernicieux à la plus éloquente des
tirades, et [il] était homme à le travailler, à le roder, à l’aggraver, et à en rire
jusqu’à extinction244 ».
Côté plaisanterie, l’Arsenal n’est pas en reste. Le salon de Charles Nodier
est même connu pour sa gaieté primesautière. Des expressions populaires,
habilement détournées de leur fonction, suscitent l’hilarité générale. Aussi
puériles puissent-elles paraître, ces pratiques langagières témoignent d’une
réelle complicité : être du cénacle, c’est pouvoir rire de ce qui s’y dit. À
travers ces jeux de mots, les amis de Nodier inventent une forme inédite
d’humour fondée sur la dérision. Le rire de l’Arsenal, plus largement le rire
des romantiques en cénacle, a sa particularité. Il s’agit, estime Mme Ancelot,
d’un rire outré :
C’était un ton continuel de plaisanterie très excentrique. […] Jamais
aucune parole sérieuse, jamais rien de profond, de sensé ou de simple ;
tout était destiné à faire rire, à faire de l’effet. Plus les choses étaient
inattendues, c’est-à-dire moins elles étaient naturelles, plus le succès en
devenait prodigieux. Je me trouvais là comme une étrangère. […] On
s’y moque de tout245.
L’actualité donne lieu à des plaisanteries qui trahissent un penchant
certain pour l’humour noir. Pendant l’épidémie de choléra qui
frappe les Parisiens en 1832 (et certains proches des invités de
l’Arsenal, – Nodier perd par exemple son portier), les rires se
déchaînent : samedi 28 avril, « nous avons ri prodigieusement
d’anecdotes cholériques. – Les fossoyeurs sautant et dansant sur les
corps pour les tasser, dans les enterrements d’hospices, pendant la
nuit246 ». La mondaine Mme Ancelot ne voit dans ces « actions
bizarres, ces choses insensées, ces sottises éclatantes247 » qu’un
moyen de choquer le bourgeois, d’épater le Tout-Paris. Rien n’est
moins sûr. Cette conduite excentrique doit plutôt être interprétée
comme le désir, propre à une collectivité, de rompre en visière avec
un habitus mondain qui ne correspond plus aux nouvelles
aspirations.
Il y a d’un cénacle à l’autre des différences, mais il semble bien que,
durant ces années où l’on s’ennuie ferme dans les salons, où les cafés n’ont
pas encore atteint leur plein essor, un certain rire, fondé sur l’usage déréglé
du langage et accordé aux expérimentations poétiques du moment, naît dans
l’enceinte du cénacle. Lorsqu’on se plonge dans les journaux intimes de
l’époque, on découvre également un rire caustique, tourné contre les
membres mêmes de la confrérie. Le clan romantique a des « rires
inextinguibles » à la seule évocation de Mme Waldor dansant la valse. En
1832, rue Jean Goujon, Hugo, Deschamps et Marie Nodier passent la fin de
la soirée à lire « en [se] tordant des marines de Rose Ravel [sic]248 ». Le
plaisir, un rien pervers, consiste à se retrouver autour d’un rejet commun
pour une certaine littérature, soit en sabotant la lecture, soit, plus
radicalement, en faisant des pastiches : « Nous causons des poètes à
procédé. Saint-Félix, Musset. […] Vers types : Le citoyen finit où le soldat
commence. Nous en faisons une trentaine249. » On a vu que, chez Vigny,
l’ironie contre les confrères était féroce. Sans doute le fut-elle plus encore,
la bienveillance en moins, chez Leconte de Lisle et dans le Grenier des
Goncourt. Juste Olivier, qui fait ses premiers pas dans le cénacle, ne
comprend pas l’ironie bien rodée de ses membres : « Vous croyez qu’ils
vous disent quelque chose sérieusement et la suite vous fait voir que ce
n’était qu’une vaine et creuse parole250. »
Le rire du cénacle, très différent de celui des brasseries, des cercles, ou
des cabarets, fonctionne comme signe de reconnaissance, tantôt sous la
forme du « rire d’accueil » qui facilite l’intégration des nouvelles têtes,
tantôt inversement sous la forme du « rire d’exclusion251 » qui renforce les
liens de la communauté au détriment des sujets raillés. On a souvent
présenté le cénacle de Mallarmé comme un temple où officiait un Prêtre
intimidant dont la parole sidérante plongeait le groupe dans le mutisme. Or,
Mallarmé le premier déplorait le climat hiératique qui s’était installé, depuis
1890, à ses Mardis252. À la dévotion des disciples, le maître des lieux
préfère l’agitation de Whistler, qui n’hésite pas à laisser éclater sa bonne
humeur. Quand il est présent, note Régnier, « plus de sourdine et de ces
sentences obscures que l’on psalmodie à mi-voix. On va jusqu’à rire253 ».
Villiers et Verlaine sont appréciés également pour l’animation qu’ils mettent
dans le cercle. En l’absence de ces trois figures plus extraverties que les
autres, Mallarmé supplée à l’absence de rire en revêtant lui-même le
costume de l’humoriste : « En un incessant va-et-vient entre le sublime et le
familier, la plaisanterie naissait à tous les recoins de la causerie, si élevée
fût-elle254. » Régnier, grand observateur, fut sensible comme Dujardin à la
vis comica de son idole : « L’esquisse merveilleuse [de sa causerie]
s’éparpillait en croquis légers, la haute théorie s’enguirlandait d’anecdotes
charmantes qui, exquises dans leur grâce ou plaisantes en leur malice,
valaient un rire juste et sobre255. » Qu’est-ce au juste que ce rire ? Un rire
intérieur qui ne peut se communiquer qu’à ceux qui ont l’habitude d’une
longue fréquentation de Mallarmé. On lui demande un soir de rappeler sa
réponse fameuse à Daudet s’étonnant de son obscurité : « Écrire n’est-ce
pas mettre du noir sur du blanc ? » et le maître, souriant, d’enchaîner sur un
souvenir d’un collégien noir qu’il adorait envoyer au tableau écrire à la
craie, pour se donner la volupté inouïe de voir « un noir s’exprimer en
blanc256 ». Ou encore – et c’est cette fois Pierre Louÿs qui rapporte ce fait
dans une lettre : « Toute cette chambrée était ennoblie par la présence de
Mallarmé qui, la cigarette aux doigts, discourait didactiquement sur les
amours des éléphants. Ils se cachent pour aimer, dit-il, mais les singes
devinent leurs intentions et les poursuivent en grimaçant et leur jetant des
cailloux257. » C’est cela le rire Mallarmé, compréhensible des seuls initiés,
et prononçable uniquement dans l’espace hyper-codifié de son salon. De ce
point de vue, on peut parler, dans le cas des Mardis, mais peut-être aussi de
tous les cénacles du xixe siècle, d’une « esthétique du rire258 » exactement
ajustée au public d’élite qui le constitue.
Le parler vrai
La lecture
En 1882, après une lecture en « petit comité » des Rois en exil, suivie
d’une discussion où chacun apporte sa « note personnelle », Julia Daudet
inscrit dans son journal : « On devrait toujours dans un tout petit cercle
lettré, faire connaître d’avance l’œuvre en préparation, roman ou drame, et
l’essayer sur un groupe sympathique et pourtant disparate269. » L’épouse
d’Alphonse Daudet exprime là un vœu partagé par nombre d’hommes de
lettres du xixe siècle : renouer avec la grande tradition romantique des
lectures en cercle restreint avant publication. Ces lectures correspondent à
une phase d’élaboration du livre, oubliée ou méconnue de l’historiographie.
Entre la conception solitaire (sur manuscrit) et la lecture individuelle (sur
ouvrage) s’intercale en effet une étape intermédiaire faisant intervenir
l’aréopage de lettrés sympathiques du cénacle. Cette manifestation
collective est différente de la « lecture de salon », divertissement mondain
le plus souvent dépourvu d’enjeux littéraires, ou de la « lecture priée »,
moins mondaine mais plus professionnelle, qui mobilise un cercle élargi
d’acteurs du livre (éditeurs, directeurs de théâtre, critiques de revue,
académiciens) : la lecture cénaculaire correspond à une phase expérimentale
au cours de laquelle un petit parterre d’écrivains et d’artistes, soudés par des
relations amicales et par la participation à un même mouvement littéraire,
se donne pour charge de critiquer l’œuvre en cours, de signaler ses points
forts, de remédier à ses faiblesses. Certaines de ces lectures « test » ont
laissé des traces dans le souvenir de ceux qui y assistèrent. Musset les
évoque dans ses stances à Charles Nodier : « Quelqu’un récitait quelque
chose/Vers ou prose270 » ; Dumas les ressuscite dans ses Mémoires : « On
ne manquait jamais à une convocation faite par notre cher Nodier. […]
Notre cercle ordinaire de l’Arsenal [était] exact au rendez-vous271. »
Appréciées rue de Sully, ces récitations le sont tout autant ailleurs, rue
Notre-Dame-des-Champs, rue Miromesnil ou rue Chabanais : on dit chaque
semaine des vers chez Hugo, Devéria et Deschamps ; on en lit aux
Mercredis de Vigny, aux Dimanches de Delécluze et dans les soirées du
Petit Cénacle.
Contrairement aux groupes d’avant-garde du xxe siècle qui pratiquent
l’écriture collective, les cénacles littéraires du xixe siècle concentrent, on l’a
vu, essentiellement leur activité sur la « causerie ». Mais comme le montre
cet extrait d’une lettre de Sainte-Beuve à Lamartine, la médiation littéraire
y est bien présente via les lectures à haute voix des œuvres issues du cercle :
Nous nous voyons assez souvent, aussi souvent qu’on le peut dans ce
grand vilain Paris, où l’on est si loin l’un de l’autre. C’est au reste le
seul moyen de se rendre la vie de Paris tolérable que de se voir, de
converser, de se lire entre soi ce qu’on fait, de s’échauffer
mutuellement, les plus faibles aux rayons des forts272.
Cette lecture « entre soi » n’est pas une nouveauté, elle a même
accompagné tous les groupes littéraires restreints depuis la Pléiade.
Les salons français du xviiie s’offraient comme des chambres
d’essai pour l’élite littéraire et philosophique. Les d’Alembert, les
Diderot devaient soutenir leurs réflexions devant les grands salons
parisiens pour obtenir leur assentiment. Les philosophes et les
hommes de lettres cédaient ainsi aux salons le monopole de la
première publication273. À en croire cependant Antoine Lilti, la
lecture en société aurait moins servi à valider des œuvres qu’à
promouvoir socialement leurs auteurs, grâce notamment à
l’intercession de la maîtresse de maison274. Les performances en
public appelaient plutôt les manifestations de soutien que les
conseils et les réserves…
Quoi qu’il en soit, au xixe siècle, la lecture en cercle, parce
qu’étroitement associée à la mondanité, traîne derrière elle une réputation
douteuse aux yeux de l’élite littéraire et artistique. Activité fort appréciée de
la haute société, elle fait invariablement partie du programme des festivités
des salons, qui en maintiennent la tradition jusqu’en 1914 : pas de soirée
réussie sans la récitation de quelque poème par un auteur à la mode. Les
satires de cette pratique salonarde sont fréquentes. Celle de Balzac275 est
connue. On connaît moins celle d’Henri de Latouche publiée dans le Figaro
du 22 décembre 1831. Parodiant une invitation, le publiciste y ironise sur
l’engouement factice des salonnières pour la lecture :
Vous êtes prié d’assister au petit comité d’artistes que Mme ***
présidera le …. courant. Une jeune personne doit lire des vers dictés
aux pieds d’un saule. On entendra une Ode aux Djinns, d’un monsieur
qui désire garder l’incognito. Mme *** daignera communiquer à
l’assemblée un fragment de son roman de passion. Enfin, cette soirée
brillante sera terminée par une dissertation de M. Raoul-Rochette sur le
caractère de physionomie du bœuf Apis. L’aimable académicien a
promis d’être fidèle au rendez-vous.
Sainte-Beuve, dans l’article qu’il consacre l’année suivante aux
« soirées littéraires », n’est pas moins ironique que son confrère :
Dans les salons, au milieu d’une assemblée non officiellement
poétique, si deux ou trois poètes se rencontrent par hasard, oh ! la bonne
fortune ! vite un échantillon de ces fameuses soirées ! le proverbe ne
viendra que plus tard, la contredanse est suspendue, c’est la maîtresse
de maison qui vous prie, et déjà tout un cercle de femmes élégantes
vous écoute276.
Si nos deux critiques sont aussi sévères pour les lectures mondaines, c’est
qu’ils estiment qu’elles instrumentalisent la littérature à des fins qui lui sont
étrangères, et transforment les poètes en bouffon. Le compte rendu que fait
Étienne-Jean Delécluze d’une soirée de lecture à laquelle il a assisté à
l’Abbaye-aux-Bois le 25 juin 1825 chez Mme Récamier semble aller dans ce
sens : ce soir-là, Delphine Gay est l’invitée d’honneur :
[La maîtresse de maison] demande à la muse comment elle désire se
placer. Mlle Delphine a pris une chaise, s’est tournée du côté du tableau
de Corinne et a dit : Je suis bien. Chacun s’est assis ou placé le long des
murs, portant un œil curieux sur celle qui allait parler et attendant avec
le plus grand silence. La muse a commencé. Elle nous a récité une pièce
de cent vers environ sur le sacre du Roi Charles X277.
Commentaire du diariste : « Je suis en général peu curieux de
toutes les singeries qui se font dans le monde, mais celle-là mérite
d’être vue. »
Le jugement de Delécluze sur les lectures mondaines nous intéresse
d’autant plus qu’au même moment celui-ci en organise dans son propre
Grenier… Il n’est pas le seul. Les lectures sont courantes, parfois
quotidiennes, dans les cénacles romantiques de la Restauration. Victor
Pavie, habitué du cercle de la rue Notre-Dame-des-Champs, nous livre un
témoignage à chaud :
La soirée de cette mémorable journée se passait chez Victor Hugo où
j’étais invité à dîner avec Boulanger, M. Foucher le père, et le père
d’Aluzon… Sainte-Beuve, De Musset et Paul [Foucher] sont venus
après. On s’est assis, et Paul nous a donné lecture d’un étincelant drame
en trois actes intitulé la Goule […]. Ensuite Victor Hugo nous a lu des
Orientales inouïes et doublement inouïes. Il en fait à mesure, il ne peut
s’en décancher. […] Ensuite on a lu des vers de Lamartine adressés à
Hugo en réponse aux siens. Grand Dieu ! que c’était beau ! […] Sainte-
Beuve a terminé par des vers à Lamartine. Il est bon de te dire que
Sainte-Beuve se place immédiatement après les trois colosses278.
Pourquoi la lecture, condamnée en vertu de ses résonances
mondaines, est-elle pratiquée par les cénacles ? Comment
comprendre qu’un Nodier puisse d’une main fustiger le « poète à la
mode, débitant, le sourcil élevé en signe d’inspiration, des vers
flasques et froids que l’inspiration a trahis, […] fier de les entendre
résonner sous les voûtes du palais, à la faveur d’un écho qu’ils ne
trouveront ni dans le public ni dans la postérité279 » et de l’autre
encourager d’une tape sur l’épaule le poète débutant qui vient
réciter ses dernières productions sous les ors de l’Arsenal280 ?
La réponse à cette question se trouve peut-être dans la préface du Racine
et Shakespeare n° II (1825). Stendhal y raconte une séance de lecture qui a
– ou aurait – précédé la publication de son opuscule : « À peine ma
brochure terminée, je l’ai lue, ou plutôt j’ai tenté de la lire à quelques bons
amis brûlant de me siffler281. » Ces bons amis ne sont autres que les hôtes
du Grenier de Delécluze, lesquels ont effectivement assisté à la lecture du
pamphlet par son auteur en 1825. Rapidement, narre Stendhal, la séance
tourne au fiasco : « Un froid mortel se répand dans [le] petit salon. » Cette
froideur subite vient de ce que Beyle a eu l’idée de faire précéder sa
réponse aux attaques d’Auger par la lecture in extenso du Manifeste de ce
dernier. Excédé, l’un des auditeurs interrompt notre lecteur et le sermonne
en ces termes :
Les phrases élégantes que vous nous débitez, sont bonnes à être
récitées dans une assemblée solennelle ; mais comment ne savez-vous
pas qu’en petit comité il faut au moins une apparence de raison et de
bonne foi ? Tant que l’on n’est que sept à huit, tout n’est pas excusé par
la nécessité de faire de l’effet ; chacun voit trop clairement que
personne n’est trompé. Dans une assemblée nombreuse on pense
toujours à Paris que l’autre côté de la salle est pris pour dupe et admire.
Une séance de l’Académie est une cérémonie. […] À peine rassemblé,
le public s’occupe des femmes élégantes qui arrivent et se placent avec
fracas ; plus tard, il s’amuse à reconnaître les ministres présents et
passés qui ont daigné se faire de l’Académie ; il considère les cordons
et les plaques. Enfin ce qui sauve les discours à l’Institut, c’est qu’il y a
spectacle. Mais vous, mon cher, si vous ne trouvez pas d’autre manière
de commencer votre pamphlet que de citer M. Auger, vous êtes un
homme perdu282.
Ce que montre ici Stendhal, c’est que la lecture spectacle n’a pas sa
place au cénacle, lieu où prévalent d’autres codes que ceux de la
civilité. Singerie littéraire jadis, la lecture devient, en régime
cénaculaire, une affaire sérieuse283. Sérieuse, mais pas ennuyeuse.
Il est rare en effet que la lecture en cénacle, réservée le plus
souvent à la poésie, inflige à ses auditeurs des milliers de vers284.
Au contraire, chacun se prête à l’exercice à tour de rôle et chaque
lecture entraîne, non des applaudissements frénétiques, mais des
commentaires, des conseils, des réserves. L’épreuve de la récitation
permet de discuter les thèmes, les procédés poétiques, de
convaincre l’auteur de bifurquer ou de poursuivre. Ce moment
confère à l’œuvre et à son auteur une première reconnaissance,
prélude rituel à un succès encore virtuel grâce aux bons soins de la
communauté285.
Car c’est bien d’un rite qu’il s’agit, rite de passage ou, mieux, « rite
d’institution286 » dans un cénacle qui est le premier consommateur de ses
propres productions. Ici, les œuvres en chantier sont à l’honneur en sorte
que le cénacle, comme l’écrit Alain Viala, n’œuvre pas comme lieu de
gestion mais comme lieu de pratique : « La littérature est là au point exact
de jonction entre création et réception287. » Chaque camarade participe à la
création, et c’est la lecture privée qui lui confère ce rôle de premier plan :
tour à tour auditeur, destinataire, commentateur, il se révèle en définitive
co-créateur de l’œuvre, partie prenante d’un processus créatif qui l’engage.
Le cénacle remplit alors pleinement sa fonction de médiation littéraire.
Aussi convaincu soit-il de son génie, Hugo comprend tout l’intérêt de ces
coups de sonde : en 1827, il teste sa préface de Cromwell chez Nodier avant
d’y mettre le point final288 ; en 1829, dans la chambre au Lys d’or, il écoute
les « vives objections289 » que lui font ses amis après une lecture des
Orientales. Nerval, dans une lettre à Sainte-Beuve, se félicite d’avoir au
sein du Petit Cénacle « un public de choix où l’on puisse essayer ses
ouvrages d’avance290 ». Tel est en effet l’apport essentiel de la lecture :
permettre à un écrivain d’éprouver l’œuvre auprès d’un auditoire d’experts,
le cas échéant, de la corriger, avant de la livrer au public.
Encore n’est-elle une « épreuve » que pour les débutants, qui ont tout à
perdre ou à gagner face à ce jury aussi sympathique qu’exigeant. Le
sauvage Aloysius Bertrand, de passage à l’Arsenal en 1828, est de ceux-là :
« Il nous récita, raconte Sainte-Beuve, sans trop se faire prier, et d’une voix
sautillante, quelques-unes de ses petites ballades en prose […] entre autres,
la petite drôlerie [du Maçon], laquelle se grava à l’instant dans nos
mémoires291. » Si l’auteur du Gaspard de la Nuit passe avec brio le test de
la récitation, d’autres s’en sortent moins bien, tel Charles Didier, dont la
performance laisse l’auditoire perplexe – excepté le très spirituel Émile
Deschamps, qui, in extremis, sauve l’apprenti poète du naufrage :
Il venait de lire […] un sonnet : sur quoi silence profond ; rien à
louer, rien à citer. Chacun baissait la tête, attendant de là-haut quelque
intervention salutaire, quand des rangs de l’assemblée partit ce mot de
délivrance : « Comme c’est Genevois292 ».
Même des poètes plus aguerris comme Sainte-Beuve hésitent à lire
leur production devant leurs camarades, craignant, à raison, la
comparaison avec les maîtres. « Et vous », lui demande [Hugo] qui
avait l’habitude de dire à ses visiteurs les vers qu’il avait faits dans
la journée, « dites-nous donc quelque chose, c’est à votre tour de
parler293. » Adèle Hugo soutient que Sainte-Beuve ne se pliait
qu’« embarrassé » à l’exercice, « recommandant aux enfants de
faire du bruit pendant qu’il parlait294 ». Musset, à l’inverse, vient
sans complexe « chercher l’avis » de ses confrères pour ses Contes
d’Espagne et d’Italie. « Il leur disait la Ballade à la lune, la
Camargo, et d’autres poésies295. » Désireux d’asseoir sa position de
leader, Hugo s’empresse de relever les « erreurs » du jeune homme.
À l’occasion de ces récitations poétiques, des discussions
techniques s’engagent sur la rime, les uns – tel Deschamps –
plaidant la cause des rimes riches, les autres (Hugo) défendant un
« système » plus souple. Bref, tout le monde, même Planche,
« pla[ce] son mot dans le concile des Lettres296 ».
Les documents sur les lectures cénaculaires sont hélas très rares. Le seul
rapport un peu circonstancié – mais qu’il faut prendre avec précaution car il
est fort probable que son auteur n’ait pas assisté à la scène – nous vient
d’Émile Souvestre. Ce jeune journaliste raconte une soirée au cours de
laquelle son compatriote, Edouard Turquety297, lut quelques-unes de ses
Esquisses poétiques dans le cercle de l’Arsenal, réuni au grand complet ce
soir-là298. La lecture n’est pas programmée mais improvisée : « Ils eurent
une courte conversation. Nodier semblait presser le jeune homme qui se
défendait mollement ; enfin, il me parut qu’il l’avait fait consentir à l’objet
de sa demande ». En un instant se forme un groupe autour d’eux. Victor
Hugo se place près du jeune poète et lui fait un signe d’encouragement. La
récitation du premier poème est accueillie par un « murmure flatteur mêlé
de quelques battements de mains ». Nodier désigne alors au jeune poète les
deux pièces qu’il doit lire, reçues après lecture par des « exclamations vives
et ininterrompues » et par « un serrement de main de Victor Hugo ». Tous
les cénacliers « l’entourent » et le félicitent. Édouard Turquety est adoubé.
Gouverné par des motivations chauvinistes (il s’agit pour Souvestre de
montrer à ses compatriotes que la Bretagne a aussi son poète), le récit
« légèrement orné299 » du journaliste n’en comporte pas moins des
informations intéressantes sur le déroulement des lectures en milieu
cénaculaire. On note d’abord une quasi disparition du protocole régissant
les lectures « solennelles », académiques ou mondaines : l’Arsenal rompt
avec l’orchestration traditionnelle telle qu’elle se donne carrière par
exemple à l’Abbaye-aux-Bois, où la maîtresse de maison « faisait former
avec des sièges cinq ou six cercles assez distants l’un de l’autre300 ». La
lecture en cénacle obéit moins aux codes externes de la civilité qu’elle ne
répond à une nécessité interne de la part de ses membres. Elle s’inscrit dans
un processus long et complexe de patronage, dont elle n’est qu’une
séquence.
Voici, en résumé, l’histoire de ce patronage : le jeune poète est en relation
épistolaire avec Charles Nodier depuis 1827. Sur les suggestions de celui-
ci, le poète apprenti retravaille pendant deux ans les vers de son manuscrit.
Sollicité à son tour, Hugo propose de l’aider « dans le choix et dans
l’arrangement des morceaux301 ». Nodier va plus loin : après avoir revu,
relu et corrigé le cahier de vers de Turquety, il use de tout son crédit auprès
de Delangle pour le faire éditer. Avec succès. L’étape suivante est la
présentation au cénacle. Turquety fait la connaissance de Deschamps sur le
balcon de l’Arsenal : « Je lui dis de mes vers, il me récita les siens et, en me
quittant, il me demanda mon adresse pour m’emmener faire une lecture
chez le comte de Vigny302. » Aux Mercredis, le jeune poète fraternise avec
le poète d’Éloa et fait son entrée dans le club très fermé des conviés aux
lectures des drames romantiques de Hugo et Vigny (Marion Delorme, Le
More de Venise). La lecture chez Nodier constitue donc un point d’orgue
dans l’intégration du néophyte, mais cet événement n’est pas le point final
du processus. « Puissant auxiliaire à la grande cause303 », le recueil de
Turquety est l’objet de toutes les attentions de la part du groupe. Nodier
suggère un autre titre qu’Élégie (le volume s’intitulera finalement Esquisses
poétiques) ; et alors que ses poésies sont sous presse, le cénacle maintient
son emprise en exhortant la nouvelle recrue à placer une préface pro-
romantique en tête de l’ouvrage :
Tous m’engagent à faire une préface ; et voilà ce qui me tourmente.
Je crains de me faire des ennemis, que je parle ou que je ne parle pas.
J’ai d’un côté les romantiques à ménager, d’abord parce que je les
admire, ensuite parce qu’ils m’ont comblé de politesses, et de l’autre,
j’ai Delangle qui prétend que les romantiques veulent m’accaparer et
qu’il ne faut pas entrer dans leur coterie304.
Temps fort dans la promotion d’une œuvre et de son auteur, la
lecture n’est donc pas une fin en soi : elle a sa place marquée dans
un scénario plus vaste de création collective qui va de la conception
du volume à sa publication.
Après la période faste du romantisme, la pratique des lectures tend à
s’essouffler. Les Parnassiens, vers 1865, en sont encore friands, tel Leconte
de Lisle, qui tient à ce que la poésie soit examinée avant d’être imprimée : à
en croire le témoignage de Louis-Xavier de Ricard, chaque disciple
soumettait « en tremblant305 » son dernier poème au maître et aux
camarades. La lecture, se souvient Régnier, y garde un caractère solennel,
en accord avec la haute idée que se fait le Maître du métier poétique :
Août : J’ai entendu Leconte de Lisle lire Si l’aurore. C’était chez lui,
dans le salon, il était adossé à la cheminée. Il tenait à la main le volume
qu’il approchait de lui pour y voir le commencement de chaque strophe,
qu’il disait ensuite par cœur. Il lisait bien, de sa voix tendre, avec le
petit roulis des « r » et des inflexions molles306.
La lecture est moins, comme chez les romantiques, une fête qu’une
enquête : « On étudiait, au microscope, les moindres facettes d’une
locution ou d’un mot ; on pesait chaque adjectif ; on faisait luire un
vers comme une dague307. » Lire en cénacle parnassien, c’est moins
partager la poésie qu’enseigner l’art poétique. Les novices, tel
Sully Prudhomme, écoutent avidement les récitations, espérant
trouver dans la « diction grave et lente308 » du maître une réponse
aux problèmes métriques ou prosodiques que pose la poésie
parnassienne. Julia Daudet se rappelle le soin tout particulier que
les Parnassiens mettaient à dire leurs vers dans le salon de la
marquise de Ricard, s’efforçant chacun « d’ajouter l’originalité de
la diction personnelle à celle de leur propre talent309 ». Si la femme
de Daudet garde un souvenir ébloui de Léon Dierx déclamant Les
Filaos, de François Coppée lisant Le Reliquaire, de Sully
Prudhomme récitant des fragments de ses Stances et Poèmes, de
José-Maria de Heredia martelant les vers de ses Trophées, ou
encore de Villiers de L’Isle-Adam disant Le Corbeau, Mallarmé,
refroidi peut-être par l’affaire du Parnasse contemporain, se
montre plus circonspect. Au sortir d’une lecture de Kahn chez
Leconte de Lisle, il confie à Régnier : « Voyez-vous, tout cela c’est
bien, mais, depuis la grande déviation homérique, il n’y a que moi
qui ai su ce que c’était que la Poésie310. »
Comme Mallarmé, Baudelaire ne partage déjà plus l’enthousiasme de son
cadet pour cette pratique. En 1865, le poète des Fleurs du mal décline
l’invitation de Catulle Mendès à participer à des « lectures poétiques » en
cercle élargi :
J’avais eu autrefois une idée analogue à la vôtre, c’était une série de
récitations (entrecoupées d’observations critiques) [mais] le grand
danger de votre entreprise, c’est de devenir une foire, une exhibition
d’impuissances et de vanités, et de médiocrités. Cinq ou six poètes par
soirées ! Grand dieu ! Dans les siècles féconds, il y en a dix, peut-
être311.
Baudelaire n’ignorait pas, pour en avoir fait l’expérience, l’énorme
profit qu’un poète débutant peut tirer des lectures en petit cercle.
Louis Ulbach raconte une lecture que donna le (futur) poète des
Fleurs du mal chez Banville devant un lectorat d’avant-garde,
« sorte de cénacle, en souvenir de 1830 » (la scène se déroule vers
1842) : « Il commença d’une voix grave, au timbre légèrement
vibrant, avec un air ascétique, et il nous récita le poème de Manon
la Pierreuse. » Face à ce poème « superbe d’allure » mais
incompatible avec les « principes littéraires » du cénacle encore
empreint de romantisme hugolien, le petit comité sent le sol
poétique se dérober sous ses pieds : « Les mots les plus crus,
merveilleusement enchâssés, les descriptions les plus hardies se
succédaient, et nous écoutions, pleins de stupeur, rougissant,
repliant nos poèmes séraphiques, et sentant battre sur nos fronts les
ailes effarées de nos anges gardiens, effarouchés du scandale312. »
En 1868, préfaçant Les Fleurs du mal, Gautier confirme que
Baudelaire ne cessait de tester ses poèmes en petit comité pour en
vérifier l’effet ou en repérer les défauts : « Dans le cénacle
mystérieux où s’ébauchent les réputations de l’avenir, il passait
pour le plus fort313. » Jusqu’en 1860, il est encore envisageable
pour un poète de se tailler une réputation en lisant des fragments à
des confrères, après cette date, il semble que la lecture ait perdu
beaucoup de sa force de rayonnement.
Dans les cénacles réalistes et naturalistes, la lecture est assez peu goûtée.
Alexis rapporte que, chez Zola, on ne « fai[sai]t jamais de lectures314 »,
marquant ainsi nettement la frontière entre le cénacle des romanciers, « où
l’on dit ce qui vous passe par la tête315 », et le cénacle ultra codifié des
poètes, où l’on est tenu de se plier au rite de la lecture. Les Goncourt et les
Daudet ne la pratiquent de leur côté qu’à titre exceptionnel, et uniquement
pour les drames316. À leurs yeux, la lecture est avant tout l’affaire des
poètes, autrement dit une compétence superflue qui n’intéresse pas le
romancier. Mais s’y livrerait-on qu’il y aurait encore à prendre en
considération le risque du vol. La lecture, ce don gratuit fait à la
communauté littéraire, est-elle encore possible en régime concurrentiel ? La
réponse de Goncourt, victime – du moins en est-il persuadé – de plagiat, est
sans appel : « Vraiment, il ne faut pas lire ce qu’on fait à ses amis littéraires.
J’ai lu à Zola la promenade de ma fille Élisa battant le quart, et je la
retrouve, cette promenade, je ne dirai pas tout à fait plagiée, mais bien
certainement inspirée par ma lecture317. »
Parfois, chez certains poètes, la lecture provoque un véritable rejet. On en
veut pour preuve la fameuse algarade de Rimbaud318 à la soirée des Vilains-
Bonshommes du 2 mars 1872, laquelle pourrait bien avoir valeur de
symptôme si l’on se souvient que le point de départ de cette affaire est le
sabotage d’une lecture : « Au dessert on récitait des vers. Jean Aicard, de sa
voix chaude, vibrante, en déclamait depuis assez longtemps déjà, de ses
vers au lyrisme facile qu’il excelle à dire. Arthur Rimbaud, en un coin, les
scandait d’un mot sans cesse répété : M[erde] ! M[erde] ! M[erde]319 ! » La
lecture serait-elle redevenue une singerie ? Une chose est sûre, Mallarmé,
en 1885, la bannit de son salon de la rue de Rome. « On était ici entre
poètes d’excellente compagnie, se souvient Laurent Tailhade, on ne disait
point de vers, comme si, dans la serre chaude où fleurissaient les paroles du
Maître, il eût été grossier de montrer n’importe quelles autres fleurs320. »
Orgueil du poète comprenant déjà la poésie autrement ? ou malaise d’un
homme devant l’exercice obligé – un rien obscène – de la lecture ? Le
« Sphinx des Batignolles » en tout cas se défie de la déclamation collective.
Il peut arriver que Mallarmé, pour colorer une idée, se mette à dire des vers,
comme ce jour où il déclame La Sensitive de Shelley, ou bien qu’il « donne
la primeur d’un sonnet et d’un fragment d’article321 », mais jamais il ne dit
ses propres vers. Pour entendre le poème, il faut que certaines conditions
soient réunies. La lecture, au sens où Mallarmé l’entend, est une opération
bien trop grave pour être improvisée, précipitée, noyée dans le flux de la
causerie : elle suppose un engagement de tout l’être et un dispositif inouï,
qui en réduit considérablement les possibilités d’apparition322. Doit-on en
conclure que la lecture, en tant que pratique de partage, disparaît des
sociabilités littéraires de la fin de siècle ? Il s’en faut de beaucoup. En
réalité, la lecture-récitation, entre 1870 et 1910, connaît un succès inouï
dans le monde littéraire, à ceci près qu’elle a lieu ailleurs, dans des cadres
spectaculaires plus conformes à son caractère performatif (« Cercles »
zutique ou hydropathe, cabarets bohèmes, cafés-concerts, salles de
brasserie, conférences publiques, salons mondains). Après avoir joui d’une
grande faveur dans les cénacles romantiques, et en particulier à l’Arsenal, la
lecture en cercle restreint disparaît des cénacles fin de siècle qui lui
préfèrent, avec Mallarmé, la causerie en forme de divagations.
*
Le cénacle en mouvement
« L’union fait la force1. » (Baudelaire)
L’arrêt sur image que nous avons opéré sur le cénacle ne doit pas faire
oublier sa dimension dynamique. La représentation qu’en donne Balzac
dans Illusions perdues est à cet égard trompeuse : à le lire, le cénacle
naîtrait de manière spontanée, vivrait d’une vie égale et mourrait sans
laisser de trace. La réalité est tout autre : loin de « durer sans choc ni
mécomptes pendant vingt années2 », il évolue sans cesse, traversant des
phases d’incubation, de cohésion, de fusion, de dépression, de fission, de
dissolution. En clair, il a sa propre temporalité.
À la différence d’autres sociabilités centrées sur le divertissement, il n’est
pas réductible à un intervalle agréable entre deux périodes d’activité
créatrice : il s’agit avant tout d’un lieu de fécondation et de transmission
artistique. Constat qui amène à se poser l’épineuse question du rapport entre
l’existence d’un groupe et le mouvement (romantisme, naturalisme,
symbolisme) qui lui correspond : quels leviers mettent le cénacle en
mouvement ? À cette question, l’étude des mécanismes de constitution et de
transformation des groupes permettent d’apporter quelques éléments de
réponse. Modéliser le cénacle sous cet aspect n’est cependant pas tâche
facile, car si l’objet se laisse correctement appréhender, on vient de le voir,
dans sa dimension synchronique (un lieu, un groupe, des activités), il n’en
va pas de même au plan diachronique. La correspondance et les journaux
intimes, qui en narrent la vie au jour le jour, donnent certes des repères
temporels, mais pas en nombre suffisant pour retracer ses étapes
marquantes. On peut encore moins compter sur les mémoires et les
souvenirs qui présentent les cénacles « en bloc et d’une seule pièce3 »,
comme s’ils n’avaient pas d’histoire. Aussi est-on fondé, pour pallier cette
difficulté, à se tourner vers des travaux de sociologie ou de philosophie
sociale réalisés sur des objets analogues.
Pour comprendre l’économie interne des petits groupes, plusieurs
modélisations ont en effet été tentées. Dans la Critique de la raison
dialectique, Jean-Paul Sartre a théorisé le devenir des groupes, depuis la
« série » (rassemblement sans unité organique) jusqu’à l’« institution »
(considérée comme une totalité figée), en passant par le « groupe en
fusion » qui fait coïncider l’action commune, l’action individuelle et
l’organisation4. Sartre met en tension deux notions essentielles pour
appréhender l’objet cénacle : celle de groupe et celle d’institution. La
première a retenu l’attention des psychosociologues, qui se sont interrogés
sur l’adoption de codes de conduite au sein du collectif, sur la nécessité
d’une ou de plusieurs finalités ou d’intérêts communs aux membres du
groupe et sur la concordance entre ceux-ci et les finalités avec lesquelles les
individus entrent dans le groupe. Kurt Lewin, fondateur de la dynamique
des groupes, l’appréhende ainsi comme un système de forces en tension,
dont les deux principales sont les « forces de progression », qui tirent le
groupe vers les buts qu’il s’est assignés, et les « forces de cohésion » qui
soutiennent la conservation du groupe comme réalité physique et comme
image idéale5. La seconde a intéressé Jacques Chevallier qui, contre la
tendance sartrienne à la considérer comme une totalité inerte, a décrit
l’institution comme un « processus évolutif6 ». Son analyse met en exergue
le double sens du mot : chose instituée – et donc figée – d’une part,
processus d’auto-création continue d’autre part visant à la perpétuation.
Grâce à cette nouvelle définition d’une institution non statique, il devient
concevable qu’un cénacle, parti du stade fusionnel, évolue vers un stade
institutionnel, sans que ce stade ultime apparaisse comme un point final.
Le caractère dynamique des groupes a été fortement mis en avant par
Michael P. Farrell7, qui décompose le processus de développement en six
phases : formation (mise en relation des membres) ; rébellion (révolte
contre l’autorité qui permet la cohésion) ; négociation (élaboration d’une
vision commune) ; création (mise au net collective de la vision) ; action
(gestion planifiée d’un projet) ; séparation (exacerbation des conflits).
Farrell propose en outre une typologie originale des « rôles », qui éclaire la
fonction spécifique que chacun des membres occupe dans les différentes
phases du processus : on y trouve la figure du leader charismatique qui fait
office de prophète et de guide, mais aussi celles, plus inattendues, du
« gardien » (gatekeeper) qui oriente la vision commune, du « marieur »
(matchmaker) qui met en relation les membres, du pacificateur
(peacemaker) qui module la négativité, résout les conflits, enfin celle du
« marqueur de frontières » (Boundary marker) qui pousse les autres
membres dans leurs retranchements par sa conduite excessive. Bien que
cette distribution des rôles constitue, au même titre que la subdivision en six
phases, un cadre trop rigide pour penser la dynamique cénaculaire, elle a le
mérite de souligner la complexité de la transformation morphologique et de
pointer l’importance qu’y jouent les acteurs.
Les analyses de Rémy Ponton et Joseph Jurt, respectivement sur le
Parnasse et le symbolisme, utilisent conjointement des outils conceptuels
empruntés à Max Weber et à Pierre Bourdieu8. Une première phase, dite
« prophétique », antérieure à la constitution proprement dite du groupe, est
celle où le futur leader, encore solitaire, marque sa différence par rapport à
l’esthétique dominante, créant ainsi un appel d’air du côté de ceux qui
aspirent secrètement à la rénovation. Suit la « phase d’accumulation du
capital symbolique » où se construit autour du prophète, une « communauté
émotionnelle », c’est-à-dire un groupement d’admirateurs entièrement
dévoués à la cause du maître, qui va renforcer son pouvoir charismatique.
Le groupe s’efforce ensuite de se doter d’une identité collective, soit
négativement en s’opposant à ses adversaires, soit positivement en
formalisant son esthétique. Après quoi il entre dans une période de
« routinisation », enclenchée par le fait qu’il cherche non plus à accumuler
du capital symbolique mais à le monnayer auprès des institutions
dominantes. Une ultime étape, facultative celle-là, fait entrer le groupe, déjà
disloqué, dans l’ère de la « mondanisation » avec l’ouverture du cercle à
une population mixte et exogène9.
De ces tentatives de modélisation, on retiendra ceci : que le groupe
artistique passe au minimum par trois phases : une phase fusionnelle
(cohésion), une phase rationnelle (cimentation) et une phase fissionnelle
(séparation). Ce groupe est tout au long de son histoire travaillé par des
forces visant soit à sa conservation soit à sa progression, c’est-à-dire qu’il
peut à tout moment se rétracter ou se dilater. Le leader y joue un rôle capital
dans l’orientation : resserrement vers le centre (le foyer cénaculaire) ou
expansion vers la périphérie (le champ littéraire et le champ artistique dans
leur ensemble). L’institutionnalisation – ou « tendance à se muer en corps
légitime » – constitue l’élément moteur du groupe littéraire. On retiendra
enfin qu’il n’existe pas de frontières « naturelles » fixant à date certaine le
commencement ou la fin d’un groupe, et qu’il revient par conséquent au
sociologue et à l’historien de fixer ces frontières en assumant la part
d’arbitraire inhérente à ce choix : le groupe démarre-t-il avec la prophétie,
avec la mise en relation des membres du noyau, ou avec l’amorce d’une
sociabilité régulière ? Le groupe finit-il quand les réunions cessent, quand
ses membres ont atteint la consécration, ou quand s’amorce la phase
régressive de mondanisation ?
En dépit des avancées considérables qu’elles proposent (la
reconnaissance du rôle du leader, la répartition en phases, l’étude des
dispositions sociales des membres, les phénomènes d’institutionnalisation
et de mondanisation), ces études, du fait qu’elles ne prennent pas vraiment
en compte la double nature concrète (le cénacle comme groupe humain et
forme de sociabilité) et immatérielle (le cénacle comme habitacle d’un
mouvement) de l’objet, laissent nombre d’aspects de son fonctionnement
dans l’ombre. Ainsi ne sait-on pas grand-chose de ce qui maintient ou
détruit la cohésion du groupe : repose-t-elle sur les origines socio-
culturelles des membres ? Vient-elle de l’amitié, de l’intérêt, de la solidarité
ou du charisme du leader ? Plusieurs zones d’ombre subsistent également
autour de cette période-clé au cours de laquelle le groupe fixe (et non fige)
sa doctrine et se lance collectivement à la conquête du pouvoir symbolique :
par quels moments ou « épreuves » le cénacle doit-il passer pour opérer
cette mutation institutionnelle ? Qu’en est-il enfin de la phase terminale du
cénacle ? Sa dissolution est-elle corrélée à la dispersion du mouvement ? Y
a-t-il plusieurs scénarios de fin ?
Phase de formation
La « loi » de l’homogénéité
Ce n’est pas le partage des haines qui fait qu’on se lie, c’est la
compatibilité des tempéraments, la sympathie des caractères, l’emboîtement
des sensibilités. Si la haine partagée est un coagulant fugace, la « fédération
des sentiments57 » est un liant vivace. Le cénacle repose presque toujours
sur un noyau amical qui, se ramifiant, finit par former un réseau. Cette
chaîne d’amitiés – le terme recouvre ici une gamme de sentiments58 qu’il
serait vain de chercher à hiérarchiser positivement – met quelquefois
plusieurs mois, voire plusieurs années à se former, mais pour peu qu’elle
soit constituée à la base de deux ou trois maillons solides, elle résiste à
toutes les forces adverses. L’étude de la temporalité interne d’un cénacle
oblige en effet à se souvenir qu’il n’accouche pas en un jour d’un groupe de
dix individus liés d’une amitié éternelle. La croissance exponentielle du
réseau, observable dans plusieurs cénacles (Hugo, Leconte, Goncourt,
Mallarmé), est précédée d’une phase de rapprochement assez lente, reliant
de proche en proche des individus jusqu’alors séparés, associant des micro-
réseaux déjà constitués. Ainsi du groupe de La Muse française. Ainsi aussi
des signataires des Soirées de Médan : Paul Alexis, déjà lié à Hennique par
la revue de La République des lettres, connaissait Zola depuis 1869 ; sept
ans plus tard, Henry Céard se présente de lui-même chez Zola avant que
celui-ci ne se rende chez Flaubert pour lui signifier son admiration ; au bout
de quelques semaines, Céard revient, mais cette fois accompagné de son
ami Huysmans ; Alexis ramène Hennique, et Maupassant, habitué des
Dimanches de Flaubert, se joint à eux. « Dès lors, nous fûmes cinq, écrira
Alexis. Notre petit groupe se trouva constitué59. » C’est un noyau de quatre
amis60 qui est à l’origine du Groupe des Batignolles : Monet, Renoir, Sisley
et Bazille, qui s’étaient liés à l’atelier de Gleyre, entrent en relation avec la
clique de Cézanne (Guillaumin et Zola) et le clan Manet (Morisot, Degas,
Bracquemond, Guillaumin, Guillemet). La cellule-souche, en quelques
mois, devient cénacle. Le groupe de Carnetin se construit également par
l’interconnexion de plusieurs cercles d’amis : un premier autour de René
Ghil, un second autour de la NRF. On se présente les uns aux autres et
bientôt, autour d’une figure de « gardien » (Gatekeeper), Charles-Louis
Philippe, se crée un « groupe essentiel61 » auquel vont s’agréger des
« occasionnels ».
L’amitié est le principal ressort de cohésion de l’Arsenal : Nodier s’est
toujours accroché à l’idée qu’il mettait en relation non pas des confrères,
mais des amis, non pas des hommes liés par des intérêts professionnels,
mais des individus faits pour s’aimer. À l’époque des Méditateurs, le jeune
homme entendait déjà jouer le rôle d’intercesseur entre le clan amical
bisontin (les Philadelphes) et le groupe d’amis qu’il venait d’intégrer à
Paris : « [Je v]ous parlerai beaucoup de mes nouveaux amis qui sont aussi
les vôtres62 », écrit-il à Charles Weiss ; le nouvel adhérent rêve d’une
jonction entre les deux réseaux. Trente ans plus tard, Nodier s’évertue à
transformer son Arsenal en « terrain neutre » pour réaliser l’utopie d’une
communauté amicale, mélangeant les anciens avec les jeunes, les Parisiens
avec les provinciaux, les hommes avec les femmes, les poètes avec les
artistes. Son cénacle est en cela comparable à celui de Mallarmé, qui
protestera sans cesse de la nature amicale des rapports qui l’unissent aux
« amis du Mardi63 ». Construit sur la base d’amitiés éprouvées, le cénacle
de Mallarmé le reste jusqu’au bout en dépit des frictions et des ruptures.
Ghil rue-t-il dans les brancards, on le raccroche64 une fois sa colère apaisée.
Stuart Merrill veut-il faire sécession, on le prie gentiment de revenir rue de
Rome. « Soyons quelques bons amis, pas même tout à fait d’accord65 »,
martèle-t-il en privé pour ramener l’ordre amical dans son cénacle. Dans ses
interventions publiques, le chef dément les bruits qui courent à son propos,
réduisant son rôle à celui de simple go-between : « On a cru à quelque
influence tentée par moi, là où il n’y a eu que des rencontres66. » La leçon
est bien apprise par les disciples, qui la répètent à l’envi, histoire de tordre
le cou à l’idée reçue d’assujettissement à une « école » : « Supporterons-
nous l’endoctrinement et le groupement autre qu’en sympathie ? La sujétion
de l’amitié est une liberté supérieure, la joie d’un don de soi ; toute autre
sujétion est basse67 », décrète Mauclair en 1892. Goncourt est moins enclin
que Mallarmé à ne « s’aliéner personne68 » au nom de la sacro-sainte
amitié, mais tout incisif qu’il soit avec ses camarades, il n’en reconnaît pas
moins la force indestructible du lien qui l’attache à Daudet. Cette amitié,
aux ramifications multiples, est le pilier sur lequel repose le Grenier : rien,
pas même les jalousies littéraires ou les dissonances de carrière, ne peut le
renverser.
Si l’amitié est le cœur inoxydable du cénacle, elle n’explique pas à elle
seule sa cristallisation. Entre 1846 et 1854, Flaubert, Bouilhet, Du Camp et
Louise Colet forment un quarteron uni par des liens d’amitié solides. La
poésie fournit l’aliment principal de leurs échanges alors très intenses : on
se lit des vers, on se les corrige même. Pourtant le groupe avorte. Les liens
affectifs69 se révèlent impuissants à transcender les divergences de vues et
les tactiques de carrière. Les chemins divergent à partir de 1854, pour ne
plus jamais se croiser, chacun filant dans sa direction, qui vers le roman, qui
vers le drame, qui vers la photographie70. De l’amitié littéraire qui soudait
Jules Laforgue et Gustave Kahn aurait pu naître aussi un cénacle, voire un
mouvement, mais la clique reste clique. Tout avait pourtant bien
commencé : un pacte d’amitié, d’une intensité rare, s’était noué entre les
deux débutants. En 1880, les deux poètes sont à « armes égales », disposant
chacun d’un petit réseau d’amis. Au coup de foudre du départ succède une
rivalité sourde, masquée par des protestations amicales dans la
correspondance. Le timide Laforgue, sur lequel Kahn pensait avoir le
dessus, se révèle plus fort que prévu. On s’épaule, mais on s’observe : Kahn
se dépense sans compter pour devenir un chef d’école, tandis que Laforgue
se consacre à l’écriture : trois revues pour le premier, trois recueils pour le
second. La mort brutale du poète des Complaintes dénoue accidentellement
une amitié déjà minée par les ambitions de l’auteur des Palais nomades. Le
couple Laforgue-Kahn, embryon cénaculaire, très soudé à l’origine par
l’échange intensif de confidences et le partage d’expériences émotionnelles,
ne donne pas naissance, comme ce fut le cas avec les duos Hugo-Sainte-
Beuve, Gautier-Nerval, ou encore Goncourt-Daudet, à un groupe
solidaire71. Pourquoi ? Parce que les cénacles, même s’ils se nourrissent de
cette illusion, ne parviennent jamais comme le jardin d’Épicure à vivre
d’une vie cachée, à préserver leur pureté en s’excluant de la cité. Loin de
former une communauté cénobitique, les amitiés romantiques regroupées en
cénacles se trouvent toujours davantage au centre de la « Cité des
intellectuels72 ». Comment en effet continuer à jouer le jeu de l’amitié
désintéressée quand les intérêts vitaux viennent se mêler de la partie ?
L’Éthique à Nicomaque d’Aristote faisait déjà grand cas de cette
problématique : pas d’amitié sans communauté d’intérêt, pas de
contradiction en principe entre le couple d’amis et le groupe d’amis.
L’amitié, chez les Grecs, « se tisse à l’articulation du privé, du propre, du
différent et du public, du commun, du même73 ». Il s’agit alors de poser le
problème de l’amitié utile, que la philosophie grecque admettait dans sa
conception large de la philia74, en regard du principe de l’économie des
biens symboliques régissant le champ littéraire. Qu’en est-il de la
communauté d’intérêt dans un univers qui pousse au désintéressement ou,
du moins, à l’apparence de désintéressement, mais qui se fonde sur un
principe de concurrence généralisée ? Le militantisme littéraire détruit-il le
principe cohésif d’amitié comme le cercle des conjurés anéantit l’amitié qui
unissait Alamada et Hypérion dans le roman de Hölderlin ?
Chef de chœur
Tenues dans un lieu isolé et fermé, connues des seuls initiés, les réunions
du cénacle – avant que leur existence ne filtre dans la presse et le public –
interdisent de facto la pénétration de corps étrangers, qui pourraient en
déranger l’ordonnance, en troubler la pureté. C’est là un point commun
avec la société secrète étudiée par Simmel : le secret, face aux éléments
extérieurs, agit comme liant primordial entre les membres du groupe parce
que le secret de l’existence même du groupe doit être protégé et que ce
secret suppose autant la confiance entre les membres que la défiance envers
les non-membres. Le mystère contribue à élever une muraille vers
l’extérieur94. La faible porosité sociale du groupe est ici redoublée par une
non-porosité spatiale, qui raffermit la conscience identitaire. Si la fermeture
des issues assure au groupe une certaine tranquillité et, partant, une certaine
homogénéité, elle ne lui apporte pas pour autant la garantie de réaliser la
fusion de ses parties (individus ou micro-réseaux déjà constitués). Les
qualités intrinsèques de l’espace cénaculaire remplissent néanmoins cet
office. L’exiguïté concourt à l’osmose affective en forçant les individus à un
rapprochement physique inhabituel, quoique contrôlé, à la différence du
café, espace ouvert à tous, propice à la collision et à la querelle95. S’il est
d’usage de se tenir à une certaine distance dans le salon, il en va tout
autrement en cénacle, où, par la force des choses, on est côte à côte avec
son camarade. La promiscuité brise la glace et réchauffe les cœurs. « Tout le
monde se sent, coude à coude, avec des sympathiques – et l’on mange
mieux entre talents qui s’estiment96 », note Goncourt après un dîner du
groupe des Cinq.
Sainte-Beuve s’est attaché, dans un article fondamental97, à décrypter la
signification de la claustration cénaculaire. Son analyse, pénétrante,
débouche sur un constat sans appel. L’inclination qu’ont les cénacles
adolescents à se refermer sur eux-mêmes trouve son explication dans
l’angoisse « du face à face avec la foule ». Sainte-Beuve, pour sa
démonstration, s’appuie sur un cénacle qu’il n’a pas fréquenté – La Muse
française – tout en s’inspirant, sans le dire, de son expérience personnelle
du Cénacle. À ce titre, il admet (sans doute pour l’avoir vécu dans sa chair)
que la claustration n’est pas totalement négative : « Les vrais poètes, écrit-
il, gagnent aux réunions intimes dont ils [sont] l’âme, d’avoir dès lors un
public, faux public il est vrai, provisoire du moins, artificiel et par trop
complaisant, mais délicat, sensible aux beautés, et frémissant aux moindres
touches. » Cette illusion flatteuse présente l’avantage de consolider la foi et
de donner l’énergie de poursuivre. Elle peut même, comme ce fut le cas en
1828 lorsque s’est reconstitué un groupe d’un « très petit nombre de
poètes » autour de Hugo, se révéler féconde : « Il y avait un sculpteur, un
peintre parmi ces poètes, et Hugo qui, de ciselure et de couleur, rivalisait
avec tous les deux. Les soirées de cette belle saison des Orientales se
passaient innocemment à […] se lire les vers qu’on avait composés. » Mais,
insiste Sainte-Beuve, cette innocence n’a qu’un temps. La « chartreuse » où
les poètes médiocres évoluent à l’aise, devient vite un « étouffant huis
clos » pour les poètes plus doués. Le cadre étroit qui avait servi la cohésion
du groupe doit être dépassé et brisé pour ne pas devenir un carcan de soie,
une prison dorée.
Mais nous n’en sommes pas là. Avant que ne surviennent les premières
fêlures, le cénacle parle d’une seule voix et passe des soirées enivrantes
semblables à celle d’une « vraie fête de famille ». La réitération des
contacts et la promiscuité des corps – ce que Mallarmé appelle
« l’affectueux encombrement98 » de la pièce de réception – engendrent des
attitudes complices. Dégagés des contraintes protocolaires, les cénacliers se
montrent tels qu’en eux-mêmes. Régnier, qui évoluait dans plusieurs
mondes à la fois, est frappé de la simplicité qui règne aux soirées de
Mallarmé. Rue de Rome, nul snobisme, nul dandysme, nul nombrilisme,
nul maniérisme, nul parisianisme. On est prié de laisser son auréole au
vestiaire, de décrocher ses décorations, de se dépouiller de tous ses attributs
sociaux. La familiarité qui domine dans les cénacles de 1830 a étonné aussi
plus d’un provincial, qui s’attendait à plus d’affectation de la part des
romantiques : « C’est une chose singulière, note Turquety qui vient d’être
introduit rue Notre-Dame-des-Champs, que la manière dont on fraternise
ensemble dans cette école romantique : au bout de quelques minutes, je
causais avec Vigny comme si je l’avais connu depuis longtemps99. » Pavie
montre le même étonnement quand il se retrouve, dès le premier jour, à la
table familiale des Hugo100. La rapidité du procès de familiarisation est une
caractéristique forte du cénacle. Le jeune Nodier est, lui aussi, adopté sur-
le-champ par le clan des Méditateurs101.
Proust nous a appris combien est semé d’embûches le chemin qui mène
au Monde. Celui qui conduit au cénacle n’est pas aussi tortueux : nul besoin
de serments solennels ou de cérémonies compliquées pour admettre un
nouveau membre – la récitation d’un poème par l’impétrant y supplée.
L’Arsenal a forgé sa réputation sur la bonhomie de Nodier. L’accueil
chaleureux qu’il réserve aux nouveaux entrants est légendaire. Le sans-
façon du maître de maison rejaillit sur les Dimanches, gais et décontractés :
après quelques soirées, le novice ne s’étonne même plus de voir Madame
Nodier traverser le salon avec une bassine d’eau chaude, signe que son mari
va gagner son lit. Flaubert surprend lui aussi par sa bonhomie. Aucune
esbroufe de la part de cet homme pourtant considéré par ses amis comme un
dieu vivant : « Avec quel bon sourire et quelle touchante simplicité le
colosse en robe de chambre vous attirait sur son cœur ! Il y avait de l’aïeul
en lui, du grand-père heureux d’avoir autour de lui des moutards102 »,
raconte Paul Alexis. Deux ou trois cénacles seulement conservent des us
mondains : chez Émile Deschamps, en 1822, on est un peu collet monté ;
chez Vigny, on connaît, à défaut de les respecter vraiment, les bonnes
manières ; Leconte de Lisle ne se départit jamais d’une certaine raideur
dans ses échanges avec les invités. Mais, où que l’on soit, on est à mille
lieues de l’atmosphère empesée qui domine dans la plupart des salons du
e
xix siècle
103 où la maîtresse de maison fait régner la terreur sur
Le sociolecte cénaculaire
L’épreuve de la dénomination
Trouver un nom d’école
L’épreuve de la médiatisation
Cette question de la dénomination induit directement celle du lancement
sur la place publique de textes ou d’entreprises « collectives » censés
révéler aux pairs et au public la naissance d’un mouvement littéraire.
Plusieurs options se présentent aux leaders et à leurs acolytes. La première
consiste à publier un manifeste ou, plus exactement – parce que le manifeste
au sens strict n’intervient comme arme médiatique revendiquée qu’à la
toute fin du siècle –, des textes à valeur manifestaire. La deuxième cherche
une voie d’affirmation à travers la création d’un organe périodique (revue,
journal) présentant les idées et diffusant les œuvres du groupe. La troisième
s’oriente vers l’élaboration d’un recueil collectif portant la marque du
cénacle, ou du nom qu’il s’est choisi.
Les cénacles ne se sont pas fait connaître via le manifeste à l’instar des
groupes d’avant-garde du début du xxe siècle (futuristes, dadaïstes,
surréalistes). Ni les romantiques, ni les Parnassiens, ni les réalistes, ni les
naturalistes, ni les symbolistes de l’école mallarméenne n’en ont produit.
Ce qui ne signifie pas qu’ils aient ignoré l’impact médiatique des textes
résumant leur pensée en vue de la rendre accessible aux confrères (cénacles
concurrents, écoles d’art, académies), aux journalistes (presse satirique,
petits et grands journaux), aux réseaux mondains (qui font circuler
l’information dans le Tout-Paris) et, bien sûr, au grand public. Les supports
de ces textes manifestaires sont variés : article critique, compte rendu,
préface, « avant-dire », art poétique, lettre publique, appel, pensées, libelle
ou plaquette. La plupart des cénacles ont cherché à formaliser leurs idées et
à les rendre publiques sous cette forme spectaculaire. Ces textes ne portent
pas la signature du collectif cénaculaire, mais ils ont pour la plupart été lus
et approuvés par ses membres. Les préfaces ont particulièrement la faveur
des cénacles : on les trouve à l’époque romantique (préface du Cromwell de
Hugo en 1827, préface des Études françaises et étrangères de Deschamps
en 1828, préfaces de Vigny), parnassienne (préface des Poèmes antiques de
Leconte de Lisle en 1852), naturaliste (préface de la 2e édition de Thérèse
Raquin de Zola en 1868) et symboliste (« Avant-Dire » du Traité du Verbe
de René Ghil par Mallarmé en 1886). Les articles publiés en revue sont un
mode d’intervention courant, car commode. Guiraud publie « Nos
doctrines » dans La Muse française, dont il est le collaborateur. Les
symbolistes feront de même dans les petites revues qui leur appartiennent et
où ils ont tout loisir d’exprimer leur pensée. Le choix de la forme « essai »
(même si ce terme est anachronique) est moins fréquent. Stendhal est l’un
des rares, à l’époque romantique, avec son Racine et Shakespeare, à se
lancer dans un exposé systématique de l’esthétique nouvelle. Dans la
seconde moitié du siècle, cette forme remporte plus de succès : Zola diffuse
sa doctrine grâce à son Roman expérimental (1880) ; Mallarmé laisse la
sienne se répandre par la plume de trois disciples : Morice, Gide et
Mauclair156. Les cénacliers optant pour la forme « manifeste » (au sens
strict) sont, en définitive, très rares (Courbet et Maurice Denis157). En
somme, le cénacle use, pour répandre ses idées, d’une multiplicité de
canaux et de supports, sans exclusive, recourant même, dans certains cas, à
des formes de l’âge classique (Lettre à lord *** de Vigny, Pensées de
Joseph Delorme de Sainte-Beuve). Notons enfin qu’un bon nombre de
cénacles n’ont pas daigné prendre la plume pour promouvoir leur évangile,
tels le Doyenné, les Buveurs d’eau, le groupe de Flaubert, le Cercle zutique,
le cénacle de Heredia et le groupe de l’Abbaye. Les raisons de ce silence
sont diverses : certains cénacles ont restreint leur discours à une éthique de
la solidarité sans s’avancer sur le contenu esthétique, laissant chacun
œuvrer librement (c’est le cas des Buveurs d’eau et du groupe de l’Abbaye,
qui se sont contentés d’être une association utile). D’autres n’ont pas su ou
voulu concentrer et formaliser leur pensée, faute de discipline interne : ainsi
du Doyenné et du Cercle zutique qui ont campé sur des positions
défensives, oppositionnelles. D’autres enfin, nourris de convictions
esthétiques solides, ont mis un point d’honneur à ne pas fixer leurs idées, à
ne les communiquer qu’aux intimes et aux amis, excluant toute diffusion à
grande échelle de leur « doctrine » : c’est le cas de Flaubert et, dans une
moindre mesure, de Heredia.
Les textes manifestaires n’engageant, au fond, que leur auteur, on peut se
demander comment les cénacles s’y sont pris pour s’affirmer
collectivement. La voie la plus régulièrement suivie au xixe siècle a consisté
en la fondation d’un journal ou d’une revue. À l’instar de Léon Giraud et
Michel Chrestien d’Illusions perdues, la plupart des cénacliers ont eu l’idée
de doter leur cénacle d’un organe périodique. Les tentatives de ce genre ne
manquent pas, bien qu’elles aient souvent tourné court : à l’époque
romantique, la Tribune littéraire, autour de laquelle Nodier, Hugo, Soumet,
Guiraud, Deschamps, Saint-Valry et Vigny se réunissent à quelques reprises
en 1823, reste à l’état de projet ; de même la Réforme littéraire et des arts
que Vigny et Émile Deschamps proposent à Hugo de co-diriger en 1828158.
La Comédie humaine, hebdomadaire que Céard et Huysmans rêvent de
fonder en 1880 dans la foulée de la publication des Soirées de Médan, est
victime d’un « décès intra-utérin », selon Céard159. Le projet de revue lancé
par Daudet en février 1891 (La Revue de Champrosay) ne verra pas non
plus le jour. Les « revues de combat160 » qui parviennent à sortir des limbes
s’avèrent quant à elles on ne peut plus précaires : Le Conservateur littéraire
ne quitte le giron de la famille Hugo pour devenir l’organe du cénacle des
Deschamps que dans le dernier volume, soit entre la 21e et la 30e livraison ;
La Muse française, rédigée, comme l’écrit Hugo, « par l’élite de la jeune
littérature161 » entre juillet 1823 et juillet 1824 s’éteint au bout de douze
numéros sans véritablement parvenir à se positionner sur le terrain
littéraire ; La Tribune romantique, émanation directe du second rang du
cénacle de la rue Notre-Dame-des-Champs (Cordellier-Delanoue, Victor
Pavie, Paul Foucher), ne connaît que trois numéros en 1830 ; La Liberté,
journal des arts, issue des rangs jeunes-France cède après dix-neuf
numéros ; Le Réalisme, revue fondée par Duranty, Assézat et Thulié, ne fait
paraître que six numéros entre décembre 1856 et avril-mai 1857 ; plus loin
dans le siècle, Le Symboliste, hebdomadaire animé par Kahn, Moréas et
Paul Adam, ne dépasse pas les quatre numéros162. Pourquoi si peu de
revues labellisées parviennent-elles à s’imposer à une époque où de
nouveaux journaux littéraires apparaissent – et disparaissent – chaque
semaine et où la grande majorité des écrivains a l’expérience du
journalisme ? Les difficultés financières des publications périodiques
masquent, la plupart du temps, les vraies raisons : à partir du moment où la
revue devient une arme de guerre puissante et un moyen efficace de se faire
connaître, elle entraîne de lourdes et dangereuses transformations
morphologiques. Publier périodiquement au nom de tous implique de
dénicher des souscripteurs, de gérer des comptes, d’attribuer à chacun des
fonctions précises, de faire entrer à l’occasion de nouveaux rédacteurs dans
l’équipe. Comme l’a montré l’expérience du Globe dont le comité de
rédaction phagocyte le Grenier de Delécluze, fonder une revue revient à
sacrifier la spécificité institutionnelle du cénacle, à le faire passer, en
quelque sorte, de l’ordre du prophétique à l’ordre du clérical163.
C’est pour cette raison que les cénacles préfèrent passer par des
périodiques « pluralistes » offrant une tribune large et flexible, tel le
Mercure de France au dix-neuvième siècle pour le romantisme, L’Artiste
pour les fantaisistes, L’Art pour le Parnasse, La Plume, La Revue blanche,
L’Ermitage et La Revue indépendante pour le symbolisme à partir de 1886.
Les revues de combat, à la différence justement de ces périodiques
censément neutres, reposent sur des prises de position communes, voire sur
une sorte de communisme intellectuel, comme il a pu s’en observer chez les
« symphilosophes » allemands de l’Athenaeum. Or, les romantiques
français n’ont jamais, au sein de leurs communautés cénaculaires, envisagé
d’authentique collectivisation de la critique et de la création littéraire. À
Juste Olivier qui lui demande pourquoi les romantiques n’ont pas de journal
qui représente la nouvelle école, Sainte-Beuve fait une réponse qui
confirme l’attachement des cénacliers, tout solidaires soient-ils par ailleurs,
à leur indépendance : « Non. Et c’est tant mieux. Si nous avions un journal,
ou bien il faudrait que les plus capables y travaillassent, et ils pourraient
faire mieux, ou bien [il faudrait] le laisser aux hommes d’un talent inférieur,
et cela ne vaudrait rien pour la cause. L’essentiel est de faire des œuvres, de
bons ouvrages164. » Telle est en effet la limite du cénacle : les ressources
s’y échangent mais ne sont jamais mutualisées ; la gloire de l’un est censée
retomber sur l’autre mais la légitimité n’est pas partagée sur un mode
symbiotique ; la « course à la gloire165 » se fait en commun mais elle n’en
demeure pas moins une course dans laquelle chacun défend ses chances…
Écrire ensemble ou publier dans un organe « homogène » est ressenti
comme un frein. En somme, aucun cénacle ne s’est réellement appuyé sur
un projet de revue, encore moins n’a voulu se confondre avec elle. Aucune
revue n’indique dans son titre qu’elle est le produit d’un groupe désigné (à
l’exception de la Revue de Champrosay). Si revue il y a, elle vise surtout à
créer un effet de groupe. Le fait que la plupart des cénacles se soient passés
de cet outil ne signifie pas pour autant qu’ils n’aient pas été séduits, à un
moment ou à un autre, par l’idée d’avoir un journal qui défende leurs
convictions. Tentatives avortées, projets abandonnés, interruptions
intempestives au bout de quelques numéros, autant d’échecs qui reflètent au
fond la difficulté qu’a toujours rencontrée le cénacle à se doter d’un organe
promouvant les idées débattues en privé.
Les recueils collectifs, ce troisième vecteur de médiation, ne portent pas
non plus la marque claire du collectif humain dont ils émanent ; s’y
discerne en revanche, plus que dans tout autre support, le caractère de
faisceau, l’impression de tir groupé. C’est très net dans le cas du Parnasse
auquel tous les commentateurs ont associé une ligue d’hommes. Mais, là
encore, combien de projets avortés ! Les Contes sous la tente, que projettent
d’écrire ensemble les frères Hugo et leurs amis au sortir d’un banquet
littéraire en 1818, n’ont jamais vu le jour. L’histoire se répète en 1832
quand le Petit Cénacle décide de jeter Les Contes du Bouzingo, par une
Camaraderie à la face des philistins. N’en sortiront que les contributions de
Nerval (La Main de gloire, histoire macaronique) et de Gautier (Onuphrius
Wphly). Une fois de plus, le contraste est frappant avec la masse de recueils
généralistes auxquels les écrivains collaborent (des Annales romantiques au
Keepsake français et à la littérature panoramique des Français peints par
eux-mêmes). Répondre à l’appel d’un éditeur est une chose, se lancer dans
une expérience collective aux conséquences institutionnelles imprévisibles,
en est une autre. L’Album des quatre voyageurs qui associe Lamartine,
Hugo, Nodier et Taylor ne prête pas à conséquence, non plus que l’Histoire
du roi de Bohême, qui mêle Nodier et Johannot. Un recueil comme le
Tombeau de Théophile Gautier (1873), proposé par Glatigny et dont
Mendès a assuré l’intendance166, brille par son éclectisme : les Français
Hugo, Jules Janin et Mallarmé y côtoient l’Anglais Swinburne, l’Allemand
Glaser et l’Italien Luigi Gualdo. Il s’agit bien, comme l’écrit Pascal
Durand, de la « figuration en modèle réduit d’un espace poétique dans
lequel s’apaisent, comme il convient au bord d’une tombe, conflits de
personnes et divergences esthétiques167 ».
Deux exceptions confirment la règle. Le Parnasse contemporain, qui a
donné son nom au mouvement réuni dans l’entresol de la librairie Lemerre,
connaît dix-huit livraisons hebdomadaires entre le 3 mars et le 30 juin 1866,
puis paraît en volume à la fin de l’année. Il est relancé pour douze livraisons
du 20 octobre 1869 au début du mois de juillet 1871, puis, sur décision d’un
jury secret (Banville, Coppée, Anatole France), pour un nouveau volume en
1876. L’ouverture est de mise, et ce jusque dans le titre qui vise à réunir les
nouvelles forces poétiques dans leur ensemble. Dans le premier volume, des
noms alors inconnus couvrent la seconde moitié de la table des matières
(Lefébure, Lepelletier, Coran, Luzarche). Toutes les forces vives du cénacle
de Leconte de Lisle y figurent toutefois (Heredia, Coppée, Dierx, Sully
Prudhomme, Valade) avec quelques grands aînés (Gautier, Baudelaire,
Banville). L’autre contre-exemple a marqué durablement les esprits en
raison de son retentissement considérable dans la grande presse : il s’agit de
la publication des Soirées de Médan (1880) où figurent des nouvelles de
Zola, Alexis, Céard, Hennique, Huysmans et Maupassant. Les Soirées de
Médan sont typiquement ce que l’on appelle aujourd’hui un « coup
médiatique », coup d’autant plus fort que sa parution coïncide avec celle du
Roman expérimental. La genèse du recueil – on le sait désormais – ne
correspond en rien à la légende propagée intentionnellement par
Maupassant pour faire la publicité de l’ouvrage168 : loin d’avoir écrit
ensemble leurs récits à Médan, entre deux parties de pêche, les
collaborateurs étaient réunis chez Maupassant rue Clauzel, où ils se sont lu
chacun leur nouvelle sur le thème convenu. A suivi un tirage au sort pour la
place des nouvelles dans le volume, celle de Zola restant la première, et le
tout fut envoyé à l’éditeur169. En dépit de la mystification, ou plutôt grâce à
elle, l’effet de reconnaissance du groupe fut immédiat170. Il rompt avec
toutes les pratiques usuelles au xixe siècle : exploitation sans complexe des
possibilités éditoriales et promotionnelles, affirmation du collectif restreint
et mise en exergue de son chef. Le naturalisme renouvelle en profondeur les
modes d’institutionnalisation du mouvement littéraire. Beaucoup sauront
s’en souvenir au siècle suivant.
L’épreuve de la mobilisation
L’épreuve de la hiérarchisation
L’ordonnateur de cénacle
Le cumulateur de prestige
Ces différents cas de figure montrent qu’il n’est pas suffisant, pour
devenir un leader, de disposer des moyens matériels pour recevoir ses
confrères. Il faut encore pouvoir exercer sur ces derniers une autorité. Les
qualités requises pour s’élever au rang de chef sont d’abord le prestige. Si
les cénacliers s’illusionnent sur leur force – ils se rêvent en égaux de leurs
supérieurs –, ils savent pertinemment que ceux-ci ont une longueur
d’avance sur eux. L’âge établit une première différence, non que
l’ancienneté soit une garantie de puissance, mais celle-ci force le respect et
impose une certaine déférence. Nodier, Leconte de Lisle, Flaubert,
Mallarmé, Heredia, Daudet, ont vingt ans de plus que leurs hôtes. Ces
années pèsent d’un grand poids, car elles recèlent tout un passé d’œuvres
célébrées, de rencontres prestigieuses, de titres glorieux, d’engagements
téméraires. Avant qu’il ne prenne – ou plutôt qu’on ne lui cède – le
gouvernail du romantisme, le jeune Hugo (22 ans) s’incline devant celui –
Nodier (40 ans) – qu’il considère, en 1824, comme son maître naturel.
Mallarmé et Leconte de Lisle ne sont pas, tant s’en faut, des auteurs
reconnus comme Nodier, Flaubert, ou Goncourt lorsqu’ils fondent leur
cénacle, mais ils ont derrière eux un passé qui en impose aux jeunes.
Mais l’âge peut aussi bien jouer en défaveur de l’intéressé si celui-ci s’est
engagé trop avant dans la course aux honneurs ou s’il est trop impliqué dans
les institutions, tel Leconte de Lisle après 1870 ou Nodier après 1830.
Inversement, il peut arriver qu’un « jeune », ayant des dispositions
particulières, subjugue ses confrères. Tel est le cas de Hugo, Vigny et Zola
qui, quoique jeunes, font preuve d’une maturité exceptionnelle. Hugo bat le
record de précocité. À vingt-deux ans, cette véritable bête à concours a
obtenu toutes les marques de consécration institutionnelles accessibles à son
âge : mentions aux concours de poésie de l’Académie française, nommé
maître ès jeux de l’Académie des Jeux floraux et membre correspondant de
l’Académie de Besançon en 1827, chevalier de la Légion d’honneur en
1825. Son cénacle se tient – tout un symbole – dans la « chambre au lys
d’or » en référence à la récompense gagnée aux Jeux-Floraux en 1819.
Hugo ne se laisse pas pour autant piéger par son capital institutionnel,
comme en témoigne son refus réitéré, en 1829 puis en 1832, de continuer à
percevoir la pension royale qu’il recevait depuis 1823. Officiellement
reconnu par ses pairs et soutenu dans un premier temps par la Société royale
des bonnes-lettres, Hugo gère habilement ce capital afin de continuer à
apparaître comme le symbole d’une génération écrasée par le poids de la
structure sociale et par les immobilismes littéraires. L’auteur des Odes et
Ballades comprend très vite que si l’accumulation des honneurs peut
accroître son prestige, leur refus peut aussi bien les décupler. Le discrédit
croissant des officines littéraires traditionnelles (les académies et les prix
qu’elles remettent187) ouvre en effet la voie, timidement frayée par les
romantiques, à un autre moyen d’accumuler du prestige : la rébellion contre
l’ordre établi. Leconte de Lisle, Courbet, Manet, Mallarmé, Zola, les uns
après les autres, à l’instar de Beethoven refusant de s’incliner devant les
puissants, vont « de l’avant, le chapeau vissé sur la tête, les mains derrière
le dos188 ». Si Leconte de Lisle exerce en 1862 un tel attrait sur la jeunesse
poétique, c’est qu’il a osé s’attaquer à l’école du Bon Sens, au lyrisme
romantique et au néo-romantisme des héritiers du mouvement de 1830. En
1852, sa préface coup de poing le rejette hors des circuits déjà frayés de la
consécration189. Mais, dix ans plus tard, cette ruade devient sa meilleure
arme et en fait le maître naturel des jeunes poètes. De la même manière, le
prestige de Mallarmé lui vient de ce qu’il a pris le contre-pied du Parnasse.
Chez les peintres, Maurice Quaï, Paul Sérusier, Gustave Courbet et Édouard
Manet sortent chacun auréolés de leur acte de sédition contre les écoles
de peinture officielle. Leur attentat à l’ordre dominant est récompensé par
une défection d’une partie des élèves qui les rejoignent pour poursuivre
l’aventure avec eux. Il revient à Émile Zola de pousser d’un cran
supplémentaire la logique paradoxale du prestige par insubordination en
créant volontairement le scandale dans un genre où on ne l’attend pas : le
roman. Sa préface de la deuxième édition de Thérèse Raquin renforce
l’image de lutteur héroïque et de pourfendeur du faux qu’il s’était forgée
comme critique d’art. Zola, apôtre du naturalisme, recueille, dix ans après,
les fruits de son audace en captant la jeunesse.
Le leader charismatique
Le condensateur de vérités
Le charisme exerce un attrait puissant, mais peut-il à lui seul capter
durablement l’attention des auditeurs ? La domination charismatique ne
s’effrite-t-elle pas si elle n’est pas relayée par un discours « nourrissant » ?
Un Mendès ou un Flaubert ne semblent pas avoir réussi à retenir leurs
admirateurs, faute de leur avoir tenu un discours prescriptif ou de leur avoir
indiqué des orientations. Mallarmé, Hugo ou Leconte de Lisle ont vu au
contraire leur autorité se renforcer par l’étalage de la puissance de leur
pensée. Ce n’est pas tout que d’éblouir par des titres de gloire ou de séduire
par des charmes innés, encore faut-il tenir en haleine son auditoire en lui
servant, chaque semaine, un aliment consistant dont il fera bonne chère
spirituelle. Si une partie de l’autorité est acquise, l’autre partie, la plus
importante, est à conquérir à chaque rencontre ; et cette conquête passe par
une prise de parole où s’exercent magistralement les capacités du leader à
détruire les idées reçues, repenser les catégories du réel, élaborer une vision
originale, inventer des outils d’expression, proposer un système de valeurs
cohérent, bref, inaugurer une nouvelle approche du monde et de l’art. Les
grands leaders cénaculaires sont tous des intellectuels visionnaires, des
« condensateurs de vérités futures201 », des hommes qui ne pensent pas
comme tout le monde et qui, pour cette raison même, ont une influence
énorme sur leurs amis, réduits à l’état de disciples soumis ou d’élèves
disciplinés.
L’impact du rayonnement de la pensée du leader en société n’est pas aisé
à mesurer, mais il est signalé par maints témoignages de la part de ceux qui
l’ont subi. Le jeune Nodier affirme qu’il a succombé à l’autorité de Maurice
Quaï parce que celui-ci était porteur d’une vision révolutionnaire de l’art et
du monde. Le groupuscule des Méditateurs écoute les « sermons inspirés »
de son gourou, comme s’il s’agissait d’un prophète. Illusion de jeunesse ?
Trente ans après, Nodier soutient, contre Delécluze, que « Maurice Quay
[sic] était placé trop haut pour s’accommoder aux pensées et à la marche du
vulgaire », et que pour comprendre la puissance de sa pensée il fallait être
là, l’entendre « parler poésie, philosophie, et cette science toute nouvelle
alors sur laquelle se fondait dans son espérance la régénération de
l’humanité202 ». La méditation intellectuelle est le cœur de l’activité des
Nabis. Sous l’impulsion de son mentor, Maurice Denis, le groupe fait table
rase des principes anciens, créant le concept de la « surface plane
recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées203 ». Courbet, ce
« grand discuteur », et Manet, ce grand parleur, n’enseignent pas leurs
théories nouvelles à l’aide du pinceau, mais à l’aide de la parole, lors de
conférences ouvertes données, pour le premier, tous les jeudis midi et, pour
le second, tous les jours dans la salle capitulaire du Guerbois. Ce qui est
vérifié pour les artistes l’est à plus forte raison pour les écrivains, ces
manipulateurs de mots et d’idées. Au grand jeu du magistère intellectuel,
les chefs romantiques se livrent, de cénacle en cénacle, et quelquefois
même à l’intérieur d’un même cénacle, à une concurrence acharnée.
Stendhal refait le monde littéraire tous les dimanches dans le Grenier de
Delécluze, sous l’œil agacé du maître de maison. Son influence est aussi
grande sur les romantiques libéraux que celle de Hugo sur ses camarades
ultras. Pavie, qui a fréquenté assidûment le Cénacle, évoque dans la
chambre au lys d’or, « une conversation générale soumise […] à l’ascendant
irrésistible de Hugo, à sa doctrine lumineuse, énoncée avec un organe
enchanteur204 ». Le poète en impose aussi à Weiss, qui l’a entendu plusieurs
fois chez Nodier : « Victor nous a fait une admirable distinction de Racine
dans son siècle où il s’est fait une langue à part de son siècle, […] une
langue à lui205. » Guttinguer, qui a reconstitué un échange entre plusieurs
cénacliers à l’Arsenal, nous peint un Hugo juvénile, sûr de sa force,
combatif, volontiers péremptoire : « [André Chénier] est allé trop loin ; son
vers, à force de coupures et d’enjambements, n’est plus musical, et la poésie
est un chant avant tout206. » En 1824, le chef « perce » déjà sous le disciple.
Mallarmé se montre moins péremptoire mais tout aussi persuasif. Le
poète des Divagations a tenu sous le joug de sa conversation dix années
durant des brassées de « disciples » qui ont salué, dans une parfaite
unanimité, son « enseignement ». Comme l’écrit Mauclair, se remémorant
les causeries de poésie et de philosophie mêlées de son maître, « il n’y a de
vraie influence que dans la diffusion lente et sûre d’idées originales207 ».
Même si ce mot d’enseignement fut rejeté par certains disciples, il s’agit
bien, dans le cas de Mallarmé, d’un phénomène de cet ordre : on vient rue
de Rome pour « s’enrichir de hautes pensées208 ». Ces leçons n’étaient ni
des conférences doctrinales, ni des exposés théoriques, ni des formules
dogmatiques, mais des notations intuitives appuyées sur des anecdotes ou
sur des faits en apparence insignifiants. Grâce à lui, les Mardistes
« découvrent entre les choses de secrètes analogies, des portes de
communication, des contours cachés209. » Révélation capitale qui ouvre des
horizons immenses à la création. Mallarmé n’est pas perçu stricto sensu
comme un maître de poésie, mais comme un maître à penser. Une dédicace
de Dujardin adressée à l’hôte de la rue de Rome résume la domination
douce que Mallarmé exerce sur ses fidèles : « À Stéphane Mallarmé, La
suprême intelligence avec la suprême bonté, […] vous avez été, certes, le
maître de nos esprits, mais vous avez été le maître de nos âmes210. » À sa
mort, tous les disciples, sans exception, reconnaissent une dette immense
envers lui ; dette intellectuelle qui, le point mérite d’être souligné, porte
autant, sinon plus, sur la forme orale courante de son œuvre que sur sa
forme écrite et définitive.
Le chef de file
La pyramide des emplois
Sanctuarisation
Routinisation
Il n’est pas certain que l’on puisse produire la même analyse à propos des
cénacles qui ont décroché à un moment de leur parcours. Le cas des
Mercredis, dans leur tentative désespérée de retour à une pureté initiale,
reste en définitive plutôt exceptionnel. À la différence de ce qui se produit
chez Vigny, on observe dans de nombreux cénacles (l’Arsenal, le Grenier
de Delécluze, les Samedis de Heredia voire les dernières années des
Mardis) une inclination à figer la formule novatrice à un temps T, jugé
suffisant, de son développement, et à y convertir des débutants que l’avant-
garde effraie (un Hugo les terrorise, un Zola les tétanise). De ces primo-
accédants intimidés sont Turquety, Boulay-Paty, Fontaney que le bon
Nodier, tête de pont du romantisme en 1820, prend sous son aile et exhorte
à exploiter une veine modérée du courant nouveau. Un mouvement
similaire s’observe dans le salon de Leconte de Lisle qui, après avoir tenu
des discours incendiaires sur la poésie, prône le respect strict des codes
qu’il a fixés, fustigeant les innovations des dissidents (Verlaine et
Mallarmé). Dans ses dernières années, le rénovateur se contente de
perpétuer, en l’exploitant et en la transmettant, l’orthodoxie établie. Ce
phénomène de « routinisation », analysé par Ponton, affecte la plupart des
cénacles qui ont désactivé leur fonction révolutionnaire pour adopter une
position modérée. Chez Leconte de Lisle, devenu conseiller poétique après
avoir été prophète de la nouveauté, l’ordre des mots importe plus que les
mots d’ordre. Heredia l’imite en proposant des consultations de poésie qui
font la part belle à la technique poétique et la part presque nulle à la
réflexion sur les missions de la poésie. Goncourt se montre très soucieux,
lui aussi, de conserver et transmettre son héritage symbolique (sa maison
collectionne à la fois les œuvres d’arts et les écrivains d’arts, attachés à son
tableau de chasse, à la manière des livres sous les présentoirs). Le
naturalisme, à ses yeux, a trouvé sa formule définitive dans l’œuvre
exigeante qu’il a réalisée avec son frère. Il ne s’agit plus que de veiller à ce
que le patrimoine ne soit pas dilapidé en contrôlant les productions des
Greniéristes (qui ne doivent pas s’écarter de la norme) et en dénonçant avec
force les « plagiaires » (Zola).
Mais la fixation de la doctrine a des effets pervers. D’un côté elle rassure
et encourage des écrivains timorés, de l’autre elle décourage et détourne les
écrivains doués, frondeurs, à la recherche de frissons nouveaux. Toutes
proportions gardées, La Perce-Neige, recueil de poésie « moderne » publié
par Marie Nodier en 1836 est au salon de l’Arsenal ce que le troisième
Parnasse contemporain (1876), recueil de « vers nouveaux » sélectionnés
par un comité composé de Coppée, Banville et France, est au salon de
Leconte de Lisle : un collectif d’arrière-garde où se joue ultimement (et
pathétiquement) la comédie de l’avant-garde. Le sommaire de ces deux
recueils parle de soi-même : s’y côtoient les vieilles gloires du mouvement
avec les mobilisés de la dernière heure. Dans La Perce-Neige, le groupe de
1820, complètement intégré aux institutions officielles en 1836
(Deschamps, Guttinguer, Soumet), rencontre de nouveaux venus dans le
champ littéraire comme Paul de Julvécourt et Alcide de Beauchesne. Dans
le troisième Parnasse, le groupe d’origine (Silvestre, Dierx, Heredia,
Coppée) voisine avec des figures promises à un avenir poétique plus
qu’incertain : Amédée Pigeon, Charles Grandmougin, Armand d’Artois,
Raoul Gineste. Significativement, ne figurent ni dans l’un ni dans l’autre de
ces volumes pléthoriques les représentants de la poésie de demain : Hugo,
Nerval, Gautier, dans le premier ; Mallarmé, Verlaine, Rimbaud, dans le
second. Tel est le destin, un peu morose, des cénacles qui se coupent, après
avoir accompli leur révolution, des mouvements de rénovation : pour
survivre, c’est-à-dire soutenir leur niveau de fréquentation, ils doivent faire
des concessions : arrêter une vision de la littérature, ni trop rétrograde ni
trop moderne, et tolérer la présence de personnalités falotes dans le cercle.
Mondanisation
Perpétuation
Le cénacle en représentation
« L’art moderne, en ce temps-là, n’était pas encore devenu le
patrimoine des foules bourgeoises, et il avait encore le charme
envoûtant d’une secte, ce charme si aisément compréhensible pour
un enfant qui est encore à l’âge où l’on rêve du romantisme des
clans et des confréries1. » (Kundera)
En se reprochant après coup d’avoir « trop poussé à l’idée du Cénacle en
le célébrant2 », Sainte-Beuve introduit une distinction capitale entre deux
ordres de réalité trop souvent confondus dans l’historiographie : la réalité
matérielle du cénacle et sa représentation textuelle (ou iconique). Une chose
est de faire vivre un cénacle en y participant, une autre de le faire connaître
en le représentant. Or, si la seconde se déploie sur le terrain de l’imaginaire,
elle ne pèse pas d’un poids moins lourd que la première. Un an après la
fermeture des soirées rue Notre-Dame-des-Champs, Sainte-Beuve prend
conscience qu’il a œuvré à la construction non pas d’un, mais de deux
cénacles : le premier bien réel qui aura duré à peine trois ans, le second
« fictif », immortel parce que déjà entré dans la légende.
L’histoire des cénacles réels est indissociable de celle des cénacles
imaginaires dont elle forme l’indispensable contrepoint. Cette histoire est
alimentée en premier lieu par les représentations romanesques, nombreuses
au xixe siècle. Le « Cénacle de Daniel d’Arthez », passé à la postérité, n’est
que le premier d’une longue série de cénacles de papier. Après lui, on
trouve le « Clan de Rodolphe » imaginé par Murger, « l’Association de
Lazare » (Murger encore), la « Société du Moulin rouge » (Goncourt), les
« Amis de la Nature » (Champfleury), la « Bande de Rolla » (Zola), le
« Groupe de Fombreuse » (Rosny), « l’Élite de Calixte Armel3 »
(Mauclair). Les cénacles de fiction ne sont toutefois que la face émergée de
l’iceberg ; l’imaginaire cénaculaire émane aussi des souvenirs littéraires,
qui rallument des foyers éteints depuis des lustres ; des satires ou pamphlets
qui le caricaturent dans la presse ; des poèmes cénaculaires qui l’idéalisent
en vers ; des articles et compte rendus qui en esquissent les contours. Tous
ces textes, issus aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur du cercle,
génèrent des images mentales, des lieux communs, des topiques narratives
dont on s’efforcera ici de dégager les caractéristiques majeures.
L’analyse des représentations du cénacle au xixe siècle invite à élargir
encore ce corpus en y incluant des textes qui, sans représenter leur objet de
manière figurative, en proposent une représentation en creux. Les travaux
de Louis Marin sur les pouvoirs de l’image4 ont en effet montré que la
représentation est un phénomène complexe, qui recouvre deux réalités
distinctes : une première définition – conventionnelle – invite à voir dans la
représentation l’acte de donner à contempler, par l’image ou par le texte, un
objet absent : à cette forme de représentation se rattachent les romans à clés,
les satires, les mémoires, qui figurent le cénacle en lui substituant une
image linguistique ou visuelle susceptible de le représenter adéquatement.
Une seconde, inaperçue jusqu’alors, consiste à faire de la représentation la
monstration d’une présence. Comme l’explique Roger Chartier, c’est « la
chose ou la personne elle-même qui, dans la modalité particulière, codifiée,
de son exhibition, constitue sa propre représentation. Le référent et son
image font corps, ne sont qu’une seule et même chose5. » La représentation
moderne revêt donc une double dimension : une dimension « transitive »
dans laquelle l’énoncé, transparent, représente quelque chose d’absent ; une
dimension « réflexive6 », dans laquelle la chose est rendue présente, non
pas dans l’énoncé (d’ailleurs presque toujours dépourvu de lien direct avec
l’objet de la représentation), mais dans l’énonciation. En clair, on trouve
d’un côté des représentations qui peignent le cénacle avec toutes ses
composantes pittoresques (personnages, décor, dialogues), de l’autre des
représentations qui désignent le cénacle, sans intention de le peindre.
Ce second ordre de représentation implique qu’on se penche sur tous les
discours qui en manifestent la présence énonciative. Ces discours du
cénacle – et non sur le cénacle – concernent tous les textes qui en émanent
sans volonté de le « représenter » : correspondances, poèmes de
circonstances, préfaces, manifestes, comptes rendus – toutes productions
investies en surface d’une fonction explicite (informer, expliquer, défendre,
argumenter) quoique porteuses, implicitement, d’une certaine idée du
cénacle7. Si celui-ci génère des représentations lorsqu’il se regarde agir, il
en génère aussi à son insu lorsqu’il agit à l’aveugle : chaque fois qu’ils
écrivent une lettre, griffonnent un sonnet dans un album, rédigent un article
pour un confrère, publient une préface, répondent à une interview, les
cénacliers, en même temps qu’ils actionnent la machine cénaculaire, la
représentent. Prenons l’exemple de la correspondance : les lettres que
s’échangent les membres du cénacle, au-delà de leur fonction utilitaire
première (inviter, renseigner, remercier), envoient des messages qui
participent à la construction de l’image que les émetteurs et les destinataires
se font de leur groupe.
Pour dégager l’univers de représentation que cet éventail composite de
discours recèle, il convient d’adopter une lecture qui ne privilégie pas
l’énoncé aux dépens de l’énonciation, mais les prenne chacun également en
compte8. Cette règle, valable pour les discours « littéraires » – roman,
poésie, drame –, l’est a fortiori pour les discours « péri-littéraires » qui
forment l’autre partie de notre corpus cénaculaire – préfaces,
correspondance, articles –, discours à finalité moins esthétique que
relationnelle, fonctionnelle et institutionnelle, dont l’axe d’intelligibilité
passe en priorité par l’énonciation du fait qu’ils sont étroitement liés au
dispositif de communication qui les gouverne et les structure à la fois. Ce
dispositif, suivant les cas, varie du tout au tout : la lettre écrite par le
cénaclier dans le feu de l’action n’a rien de commun, au point de vue de
l’énonciation, avec la page de souvenir que ce même cénaclier écrira vingt
ans plus tard. Or, si l’énoncé cénaculaire, inséré dans un dispositif simplifié
(auteur/lecteur), est relativement explicite dans les discours codifiés tels que
le roman, le souvenir ou la satire, il l’est beaucoup moins dans les discours
du cénacle, dont l’énoncé, intriqué dans un système de communication
complexe, dissimule plus qu’il ne véhicule une représentation du cénacle.
Ces discours, quoique muets en apparence sur la question qui nous
intéresse, sont éloquents en ce sens qu’ils sont traversés par une pensée du
cénacle et que s’y énonce, à travers l’usage de marques spécifiques de
discours, une conception originale du collectif cénaculaire.
Quels scénarios imaginaires, quelles figurations de groupe, quelles idées
du cénacle émergent de ces représentations ? Dans quelle mesure les
cénacles fictifs sont-ils redevables des cénacles réels ? Quelle part,
inversement, la morphologie et le devenir institutionnel des seconds
doivent-ils à la configuration imaginaire des premiers ? Pour le savoir, nous
analyserons l’éventail complet des discours porteurs de représentations
cénaculaires, en nous attachant prioritairement à leurs propriétés
figuratives.
La correspondance
La correspondance ne délivre d’informations sur le déroulement de la
réunion en cénacle qu’à titre exceptionnel : en particulier lorsque le
destinataire est un homme étranger au cercle, ou lorsque l’émetteur – un
cénaclier – se trouve, pour une raison ou pour une autre, éloigné
durablement de la capitale. Pour le reste, la correspondance est muette, ou
du moins sibylline, sur les activités cénaculaires. Ce mutisme ne l’empêche
pas de jouer un rôle essentiel. Même si les échanges épistolaires
multipolaires (c’est-à-dire adressés par un groupe ou un individu à un
groupe) sont rares, la correspondance véhicule, conforte, prolonge,
accompagne le collectif en actes. D’abord et avant tout, la lettre sert à
prolonger ou parfois à remplacer la causerie cénaculaire. Une lettre tient
lieu d’accusé de réception et de remerciement pour l’envoi d’un livre,
quand elle n’annonce pas le compte rendu qui en sera fait pour un journal
ou une revue. Tantôt elle introduit des nuances ou s’ouvre à des critiques,
tantôt elle est placée, surtout à l’époque romantique, sous le signe du
militantisme littéraire. Elle développe alors toutes les possibilités
rhétoriques de l’exaltation réciproque9. Ainsi, lors de la parution du Joseph
Delorme, qui vaut à son auteur de multiples aveux d’admiration. Sainte-
Beuve lui-même s’en était remis à Victor Hugo en lui envoyant son
manuscrit : « Lisez, mon cher ami, ces quelques misérables pages. Tâchez
de vous mettre à la place de celui qui les écrit pour les comprendre et les
excuser. Si vous croyez franchement qu’il n’y ait pas scrupule et honte à
dévoiler ainsi des nudités d’âme, dites-le-moi et je les livrerai au public, ne
serait-ce que pour me donner le plaisir d’une sensation nouvelle. Si vous y
voyez inconvenance et ridicule, dites-le-moi aussi franchement, et
j’enfouirai vite sous clef toutes ces confidences perdues entre vous et
moi10. » La réponse ne s’était pas fait attendre : « J’ai trouvé en rentrant, lui
écrit Hugo quelques jours plus tard, votre précieux cahier. […] je vous écris
ceci, non pas pour vous dire ce que cette lecture m’a fait éprouver, les
paroles y suffiront à peine, mais pour jeter un peu sur le papier l’émotion
dont vous m’avez pénétré avec vos vers graves et beaux, votre mâle, simple
et mélancolique prose, et votre Joseph Delorme qui est vous. […] De quel
beau livre vous allez doter l’art11 ! » À la publication du recueil, les lettres
se mettent à affluer. Vigny12, Ulric Guttinguer, qui vient de perdre sa
femme13, Émile Deschamps14 et Amable Tastu15 s’abstiennent de toute
critique de la versification, des thèmes ou de l’ordonnancement du recueil
pour laisser la place à l’aveu, truffé de points d’exclamation, de tournures
hyperboliques et de formules définitives, d’une admiration sans tache16. Le
commerce intime est bien le domaine du dithyrambe sous la forme de la
confession de l’émotion ressentie et de l’admiration.
L’enthousiasme romantique n’aura guère d’équivalent plus tard dans le
siècle. Le soupçon de camaraderie est passé par là. Les cénacliers se font
plus avares d’exclamations et prodiguent davantage de conseils. Ils ne
mâchent pas pour autant leurs louanges. Edmond de Goncourt écrit ainsi à
Alphonse Daudet : « Je vous fais tous mes compliments. Votre Fromont
jeune est pour moi une sorte de poème réaliste, d’où se lèvent dans un
milieu de vérité de charmante convention, des figures, des tableaux, qui ont
le privilège de faire rêvasser pendant de longues heures la pensée de vos
lecteurs17. » Mallarmé sait aussi manier le compliment, sans jamais se
départir d’une bienveillante distance critique à l’égard de ses cadets :
« C’est un bijou (et je ne parle pas du goût extérieur et de ce que vous y
avez fait de joli avec rien) que votre Pœuf, écrit-il à Hennique : tout ce que
ce livre contient de virtuosité, mais dans le beau sens du mot ! est
extraordinaire18. »
Les commentaires parvenus par lettre ne sont pas, tant s’en faut, un
espace réservé à la louange. Si elle est adressée à un tiers, ils se font
souvent plus acerbes. Flaubert est mesuré à propos de Daudet dans une
lettre à Tourgueniev : « Je viens de lire Le Nabab. C’est émouvant et
distingué, mais il y a par-ci, par-là, des choses que je n’aime pas. En
somme, c’est un joli livre19. » Leconte de Lisle s’autorise quant à lui des
commentaires peu amènes dans sa correspondance avec Heredia à l’égard
des fidèles de son cénacle : « Dierx nous a lu samedi “Les Sensations d’un
mort” qui ne sont pas des plus claires. C’est un esprit qui ne manque, certes,
ni de force ni de profondeur, mais il est un peu lent et obscur. Je crois qu’il
mettra quelque temps à se dégager20 », ou à propos de Sully Prudhomme :
« je le crois, définitivement, beaucoup trop sûr de lui, malgré ses airs
extatiques et souffreteux. Il est de ceux qui érigent volontiers en théorie les
défaillances de leur talent, et le sien n’est pas de force hérakléenne21. »
Petites hypocrisies qui s’expliquent aisément, malgré la communauté
cénaculaire, dans un espace aussi concurrentiel que le champ littéraire.
Envoyée directement à l’auteur, la lettre peut servir d’espace de conseils
pour une prochaine œuvre. C’est au chef charismatique que cette tâche est
généralement dévolue. Victor Hugo s’interdisait toute remise en question
qui pût freiner l’élan poétique de son disciple. Il n’en a pas été de même de
Mallarmé jugeant les Légendes de rêve et de sang de René Ghil (1887)
« œuvre de transition22 », ou de Zola dans une lettre envoyée à Hennique à
propos de La Dévouée (1878) : de paragraphe en paragraphe, le chef de file
ordonne strictement ses commentaires. Il commence par des critiques à
propos du sujet des « invraisemblances », poursuit par des éloges pour un
début « très remarquable », des « descriptions superbes, très vivantes », des
scènes « tout à fait fortes et originales ». Et de se montrer « très satisfait,
très satisfait » de son disciple. Ensuite viennent les conseils : se garder des
« sujets exceptionnels », garder son talent pour « bonne besogne d’analyse,
sur le monde que vous coudoyez tous les jours ». Le propos se termine par
une invitation à poursuivre l’échange – la formation ? – à domicile23.
L’ordonnancement des critiques, éloges, conseils, invitation illustre
parfaitement la manière dont Zola tente de tenir ses troupes, de les ramener
dans le droit chemin naturaliste qu’au même moment il s’occupe à tracer.
Lorsqu’elle porte sur l’œuvre en chantier, la lettre atteint pleinement sa
fonction médiatrice. Elle participe alors du processus de création, lui donne
« une vie, une présence, un virtuel avènement24 ». Le cénaclier, via un
support écrit et privé qui permet de moins s’autocensurer que dans une
discussion face à face et en public, tâche ainsi de se faire l’interface entre le
public supposé et l’ami écrivain. Mais surtout la médiation cénaculaire
acquiert par le biais de la lettre une fonction « trans-formante25 », elle agit
directement sur l’œuvre, en infléchit le cours, en conditionne la création.
L’écriture pour le théâtre se prête bien à ce type d’échanges parce que le
cénaclier, premier auditeur et spectateur privilégié, peut accomplir plus
librement qu’ailleurs, en anticipant les réactions du public, sa fonction
médiatrice. Pour ne prendre qu’un exemple célèbre, le texte d’Hernani a
constamment évolué entre la fin de la période d’écriture en septembre 1829
et les éditions de la pièce chez Mame, puis chez Barba au printemps 1830.
L’auteur, ses amis, les acteurs, les critiques et même le copiste et le
souffleur – sans compter les censeurs – ont participé à ce véritable travail
d’équipe dont a résulté la pièce jouée puis publiée26. Si Hugo a
certainement bénéficié des conseils de ses cénacliers suite à la lecture de la
pièce en cénacle le 30 septembre 1829, c’est par lettre qu’Émile Deschamps
choisit d’exprimer ses recommandations à son « cher vainqueur » le 2 mars
1830. Après s’être dit enthousiasmé « de votre succès d’hier, et surtout, de
votre génie », Deschamps prend le texte à bras le corps. « Maintenant,
parlons affaires », tranche-t-il. « J’ai bien étudié le public, tout en lui disant
mille injures, hier ; il faut encore lui céder quelques vers, quelques mots
même des beaux », conseille-t-il avant de passer en revue les passages qui
avaient le plus produit de scandale (« de ta suite, j’en suis », la scène des
portraits, « vieillard stupide », etc.). « Il s’agit, plaide-t-il, de sauver de
mauvais lazzis qui détruisent, dans le parterre, l’émotion de toute la
salle27 ». Peine perdue : Hugo, décidé à en découdre, retouchera à peine sa
pièce.
Entre leader charismatique et cénacliers la situation s’inverse cinquante
ans plus tard quand Zola dispose les éléments d’une œuvre collective mais
où son nom prédomine. Plusieurs de ses disciples, reprenant la main aux
professionnels de l’adaptation, veulent adapter à la scène l’un des romans
du maître (L’Abbé Faujas). Zola les encourage, les rencontre plusieurs fois
pour en parler puis leur transmet ses critiques par écrit : « J’ai reçu et lu le
deuxième acte. Il ne me plaît pas beaucoup, je vous le confesse. C’est ça et
ce n’est pas ça. Il faudrait justement que certaines scènes répondissent aux
objections que Céard me fait dans sa dernière lettre. Mais tout cela est
réparable. Il ne faut décidément prendre le premier jet que comme une mise
en place, et travailler ensuite là-dessus. Continuez donc avec courage ; nous
tenons la pièce, ce n’est plus qu’une affaire de réalisation, et à nous trois en
viendrons bien à bout. Je veux un chef-d’œuvre, et nous l’aurons28. » Cette
fois encore Zola agit ouvertement en stratège, dirigeant ses troupes comme
un chef d’orchestre.
La poésie mobilise des relectures attentives et méthodiques. Leconte de
Lisle, s’abstenant d’asperger son disciple Heredia « de l’eau bénite du
Parnasse29 », s’autorise une dissection vers à vers du sonnet « Blason
céleste » et fait part à son disciple du « résultat de l’examen » : « Dans le
1er vers, Parfois, le soir, sont surabondants puisque vous parlez
immédiatement du couchant. Ensuite, on peut croire que c’est le soir qui a
le ciel pour émail, tandis que ce sont les nuages qui – ayant – timbrent. […]
1er tercet très bien, à l’exception de Byzance d’enger ou de Sainte Solyme,
ce qui est obscur, vague et d’une langue gênée30. » Et ainsi sur plusieurs
pages. Le message sera reçu. Heredia s’exécutera, tout comme, bien des
années plus tard, Pierre Louÿs lorsque, à son tour, il recevra les conseils de
son maître Heredia : « Vous verrez que j’ai tenu compte de tous vos
excellents conseils en changeant les titres des chapitres, en supprimant les
épigraphes, et en écrivant une préface justificative31 ». L’œuvre littéraire,
décidément, évolue et se transforme au gré des réunions cénaculaires et des
échanges épistolaires.
D’un point de vue pratique, la lettre permet donc d’enclencher, de
prolonger, de compléter la communication cénaculaire – voire de
l’interrompre, dans le cas, rare, de l’éviction d’un membre indésirable.
Concrètement, on recourt à elle pour formuler, confirmer ou infirmer une
invitation ; pour satisfaire une demande faite en cénacle (sollicitation
d’articles, de conseils, d’appui) ; pour formaliser des projets esquissés dans
le courant de la conversation ; pour rassurer le néophyte sur l’effet de sa
première prestation ; pour dissiper un malentendu ; pour régler un conflit
latent ; pour organiser une riposte lorsqu’un danger guette ; pour battre le
rappel à l’occasion d’une première ; pour prodiguer des conseils tactiques.
C’est dire – et la liste est loin d’être exhaustive – si ses usages sont
multiples. À ce premier niveau, ses fonctions consistent donc globalement,
pour nous servir du jargon moderne de l’entreprise, à assurer la
maintenance du cénacle et à accroître son rendement ; mais aussi à pallier
les insuffisances de son système de communication, le cas échéant, à en
corriger les dysfonctionnements.
La correspondance joue un rôle tout aussi dynamique à un autre niveau,
symbolique celui-là. Au-delà de sa fonction utilitaire, la lettre est en effet
travaillée par des enjeux qui touchent le cœur même du cénacle, son
architecture secrète. Ces enjeux sont de trois ordres : le premier est relatif à
l’autorité du leader, le deuxième à la légitimité des membres (a fortiori des
postulants), le troisième à l’aptitude du groupe à se penser comme force
collective. D’abord, sous leurs apparences anodines (remerciement,
invitation, formalités diverses), les lettres écrites par le chef de cénacle
visent en priorité à asseoir sa suprématie. Celles qu’adresse le cénaclier de
base au chef de file (ou à son bras droit), usant de l’alibi de l’envoi d’un
livre ou d’une prise de nouvelle, sont portées par des intentions sous-
jacentes : le désir, pour l’aspirant, d’être reconnu (cette reconnaissance
équivalant pour lui à un passeport), celui, pour l’adhérent, d’avoir sa place
marquée, ou confirmée, au sein du groupe. La plupart des lettres des
cénacliers travaillent enfin au renfort de « l’idée du Cénacle » par le
recensement litanique de ses membres et la célébration surjouée de leurs
talents mutuels. Dans l’immense corpus de la correspondance cénaculaire, il
n’y a qu’à prendre au hasard pour trouver illustration de ces trois fonctions.
Les lettres des postulants offrent un contraste saisissant avec celles des
leaders. Autant les premières déploient un luxe d’arguments et usent d’une
rhétorique sophistiquée, autant les secondes s’avèrent ordinaires, voire
médiocres. Prenons l’exemple de Hugo : (à Pavie, prétendant) « Vous êtes,
je le sens monsieur, du nombre de ces amis que mes pauvres livres me font
de par le monde32 » ; (à Sainte-Beuve, autre prétendant en 1827) « Venez
vite, monsieur, que je vous remercie des beaux vers dont vous me faites le
confident33 » ; (à Émile Deschamps, membre admis) « Le pas que vous
faites faire à l’art est bien plus grand que le mien34. » N’ayant rien à
prouver (ses œuvres parlent pour lui), le chef se paye le luxe d’être plat,
n’hésitant pas même à se rabaisser. Cette posture d’humilité, qui va
jusqu’au déni d’autorité35, est courante en régime cénaculaire. Pour asseoir
son règne, le maître doit entretenir l’illusion qu’il n’est pas supérieur mais
égal à ses confrères. C’est à effaroucher le moins possible ses pairs que
s’emploie aussi Mallarmé dans sa correspondance en gommant sa
supériorité écrasante avec un tact inouï. À Paul Valéry, qui sollicite des
encouragements pour ses premiers essais, le poète d’Hérodiade écrit
sobrement : « Mon cher poète, / Le don de subtile analogie, avec la musique
adéquate, vous possédez cela, certainement, qui est tout. […] Quant à des
conseils, seule en donne la solitude et je vous l’envie36 […] ».
Au débutant – qui ne peut se permettre d’être banal – il échoit de faire
bonne impression auprès de son maître en quelques mots choisis, afin de le
convaincre de sa qualité. Au même titre que les vers envoyés ou le compte
rendu qui lui a servi de prétexte, la lettre, excédant sa fonction ordinaire,
prend la forme d’un acte de candidature déguisé. Conscient de l’énormité
de l’enjeu, Valéry écrit au maître de la rue de Rome une lettre dont la
sophistication toute mallarméenne dissimule mal le dessein sous-jacent
(travesti sous la demande innocente d’un poème) : la quête de
reconnaissance.
Cher maître,
Les noms prestigieux des poëmes par vous enfantés sont venus au
fond de ma province exciter en moi un désir de terres vierges à
fouler.
Quelques bribes de Votre Œuvre par hasard découverte en des
recueils m’ont assoiffé irrémédiablement.
Je compare avec amour ces prodigieux vers à d’inestimables
liqueurs qui, tombant perle à perle sur une langue experte, éveillent
d’infinies jouissances…
Mais cet or liquide et parfumé ne se trouve pas chez le vendeur
vulgaire car de prix, il n’en a point.
Et je dois donc vous la demander à vous-même, cher maître, cette
Hérodiade qui invinciblement m’attire et que Vanier n’annonce pas
sur ses listes.
Je suis hardi de vous importuner ainsi – mais Votre Âme me fascine
comme ce miroir :
Je m’apparus en moi comme une ombre lointaine.
Cellulairement
Bande noire
Invisibilité médiatique ?
La médiatisation restreinte
Charles Demailly est une pièce nouvelle à verser au dossier de cette vaste
méditation romanesque, lancée par Sainte-Beuve et Balzac, sur les vertus et
les vices du cénacle. Les Goncourt, à leur tour, en font l’apologie tout en
soulignant les failles. Florissante au début, la société du Moulin rouge
décline peu à peu, pour s’effondrer à la fin. Ce naufrage semble signifier
que, dorénavant, aucune confraternité littéraire et artistique, aussi intègre
soit-elle, ne pourra échapper à la corruption morale. Ces martyrs de l’Art,
auxquels les Goncourt rendent hommage, sont représentés par un groupe
d’écrivains, de peintres et d’intellectuels, dont le lecteur partage les
vicissitudes du chapitre XXVI au chapitre XXXIII du roman. En butte à la
vindicte de ses anciens camarades de la rédaction du Scandale (un petit
journal dont il a claqué la porte pour se consacrer exclusivement à son
œuvre), Charles Demailly est accueilli à bras ouverts dans le cercle du
Moulin rouge, « société d’intelligences320 » composée d’une dizaine
d’individus (Boisroger, Lamperière, Franchemont, Laligant, Grancey,
Rémonville, Bressoré, Giroust, Farjasse, un « romancier »), dont les
préoccupations rejoignent en plein celles de l’auteur décrié de La
Bourgeoisie. Les premiers chapitres nous montrent l’homme de lettres dans
ce qu’il a de plus noble : à l’exemple du poète Boisroger321 ciselant son
œuvre contre le cours du siècle, ce « petit monde des lettres » poursuit la
chimère de l’Idéal, ignorant les chemins de la facilité, méprisant les
prostitutions d’esprits, résistant autant que faire se peut aux tentations du
journalisme. Il s’en faut pourtant de beaucoup que cette évocation idyllique
n’infléchisse la tonalité pessimiste du roman. L’épisode du Moulin rouge
est une parenthèse ; une parenthèse heureuse, mais vite refermée. De son
passage dans le cercle, vécu comme un rêve éveillé et raconté avec emphase
à Chavannes, son correspondant, Charles Demailly ne garde aucune trace,
après qu’il a « lâché322 » le groupe pour convoler avec Marthe. L’influence
bienfaisante de ses amis est de courte durée. Dès lors que le coin de la
Femme se trouve enfoncé dans sa volonté, l’aura du Moulin pâlit et le clan
du Scandale reprend le dessus.
Impuissants à sauver leur nouvelle recrue, les dîneurs du Jeudi semblent
tout aussi impuissants à se sauver eux-mêmes. Chassés une première fois de
leur havre de paix par le clan Couturat, qui couvre de chansons à boire les
discussions sublimes de Rémonville323, ils sont contraints une seconde fois,
du fait de l’intrusion d’éléments exogènes324, de quitter leur quartier
général, le restaurant du Moulin rouge, pour se replier sur l’espace
domestique. Ce n’est pourtant pas du dehors mais du dedans que vient la
menace la plus sérieuse en la personne de Farjasse, « l’homme de Bourse »,
qui, « abus[ant] de son rôle d’amphitryon », accapare les dîneurs dans son
chalet, transformant leurs « dîners du jeudi » en une vulgaire orgie.
Significativement, les femmes, jusqu’alors non admises, font leur entrée en
force dans le cercle, rompant sa belle ordonnance, créant toutes sortes de
troubles.
Farjasse était épanoui ; Boisroger cherchait une ode antique dans les
yeux de la Crécy ; Rémonville regardait La Ninette comme il eût
regardé un portrait de Lawrence ; Franchemont, penché sur elle, l’aidait
à retrouver le nom de ses amants ; Bressoré buvait ; Laligant racontait
librement une aventure d’amour dans une île déserte ; Grancey avait les
deux coudes sur la table ; Lamperière passait le dessert et des
madrigaux à la Crécy, qui refusait tout325.
Le charme de La Crécy opère si bien qu’il entraîne le renoncement
progressif à l’austérité des anciens Jeudis (les agapes ont lieu
désormais dans le salon luxueux de l’hôtel de la demi-mondaine) et
la remise en question – plus fondamentale – du nécessaire célibat
de l’homme de lettres. Dès lors, la brèche est ouverte. Rompant le
serment de se tenir à distance des femmes pour se consacrer
pleinement à la littérature, Charles Demailly cède à son tour aux
sirènes de l’amour326.
Chute prévisible, car, morphologiquement, la société du Moulin rouge –
à la différence du Cénacle dont le seul maillon faible était Lucien –
présente d’inquiétantes faiblesses. Ses membres, pour commencer,
manquent d’énergie et de volonté individuelles : à l’image de leur parrain,
Boisroger, malade et presque agonisant, les convives des Jeudis sont tous
« vieux avant l’âge327 ». Leur « estime mutuelle », leur solidarité à toute
épreuve et leur similitude d’humeurs, garantes de l’unité communautaire,
sont progressivement mises à mal. Le groupe révèle ses failles dans
l’épisode du cabaret du bord de Seine : « Les esprits étaient à l’humeur, la
parole était pointue. Chacun se boudait et boudait les autres. Tous,
d’ailleurs, avaient un fond de noir et d’irritation. […] Les phrases tombaient
une à une. On ne causait point ; on mangeait soucieux328. » Entre le lâchage
de Charles Demailly, les persécutions venues de l’extérieur, les séductions
mondaines issues de l’intérieur et les défaillances structurelles de ses
membres, le cercle du Moulin semble promis à la dissolution.
En fait, il manque à ce groupe un principe unificateur. La société du
Moulin rouge repose uniquement sur l’idée qu’elle appartient à une élite,
qu’elle fait partie d’une communauté de « génies329 ». Or, cette base est
d’autant plus fragile que, par ailleurs, la communauté se définit moins par
ses adhésions que par ses refus. Comme s’il se savait vaincu d’avance, le
groupe est constamment sur la défensive. Les pressions externes,
redoutables en 1820 – Médias, Monde, Marché – se sont encore renforcées
avec le temps, contraignant l’homme de lettres à battre en retraite et à se
réfugier dans un asile, à l’instar des animaux de la Bible avant la
catastrophe : « Arrive le déluge, un naufrage de l’humanité, et que l’arche
de Noé veuille bien de nous, nous avons de quoi, avec notre table, refaire,
sur le mont Ararat, toute la devanture de Michel Lévy, l’étalage de
Beugniet et l’affiche de l’Opéra330 ». Demailly et ses amis ont beau se
rassurer en s’imaginant qu’ils sauveraient à eux seuls l’espèce littéraire, ils
n’en ont pas moins la conscience aiguë du danger fatal qui les guette :
cernés de toutes parts, les cénacliers se révèlent impuissants à lutter contre
l’aliénation de leurs forces, dont la maladie mentale de Charles Demailly
est la métaphore.
À l’image du discours de Rémonville pollué par une chanson à boire, le
cénacle est empoisonné par l’ironie, ce nouveau « mal du siècle ». Pour
satisfaire aux besoins d’une liberté totale de l’expression, d’un goût
immodéré de la franchise et d’une exigence absolue de vérité – supposés
salubres parce qu’elles rompent avec la pose romantique et l’affectation
mondaine –, les poètes n’ont de cesse de se déchirer et de se dévorer entre
eux. Certes, derrière cette férocité de façade (qui va parfois jusqu’à la
calomnie), il y a une générosité, une bonté, voire une charité. Il n’empêche.
C’est par cette ironie que Charles Demailly perdra ses amis, et qu’il se
perdra lui-même. Ici encore, si l’on compare l’esprit qui préside à ce
cénacle avec celui des cénacles antérieurs, plusieurs différences
apparaissent : les Goncourt rompent à la fois avec la gravité romantique,
l’angélisme du Cénacle balzacien et la bouffonnerie de la bande à Murger.
Frappé du syndrome de la « haine de soi », le cénacle de Charles Demailly
porte le gène de sa propre destruction. Tous ceux qui suivront seront,
comme ce dernier, affectés d’une « tare » qui les mènera, graduellement, à
la dégénérescence.
Zola, ou la débandade
Les cénacles étant rarement envisagés du point de vue de leur échec – et
presque toujours de leur réussite –, on ne s’étonnera pas, en première
analyse, que leur image soit sensiblement différente de celle qui émane des
textes médiatiques ou des romans cénaculaires. Autant le pessimisme (ou la
malveillance) hante ces derniers, autant un optimisme triomphant, empreint
de nostalgie, domine la littérature de souvenirs. À cet égard, on ne saurait
insister assez sur l’importance du premier ouvrage du genre, qui donne le
ton pour tous ceux à venir : les Mémoires de Dumas fournissent un modèle
qui n’a rien à voir avec la « secte » des pamphlets ou la « chartreuse » des
romans : loin de toute idée de confinement, le cénacle accommodé à la
manière de Dumas – notons qu’il ne prononce pas le mot, préférant celui de
« pléiade365 » plus heureusement connoté – est montré dans une posture
conquérante. Les « disciples saints » de Sainte-Beuve ont laissé place à
« une bruyante troupe de jeunesse, de vie, d’action », tous « grands
volontaires » « lancés sur la voie des victoires366 ». Cette vitalité du cénacle
trouve une illustration emblématique dans l’épisode (sans doute inventé) de
la réécriture de Christine :
Hugo et Vigny prirent le manuscrit, m’invitèrent à ne m’inquiéter de
rien, s’enfermèrent dans un cabinet, et, tandis que nous autres, nous
mangions, buvions, chantions, ils travaillèrent… Ils travaillèrent quatre
heures de suite avec la même conscience qu’ils eussent mis à travailler
pour eux, et, quand ils sortirent au jour, nous trouvant tous couchés et
endormis, ils laissèrent le manuscrit, prêt à la représentation, sur la
cheminée, et, sans réveiller personne, ils s’en allèrent, ces deux rivaux,
bras dessus, bras dessous, comme deux frères367 !
« À travers une nuit de vingt-deux ans », Dumas ne se remémore
du cénacle que ses deux « points lumineux368 » : sa « bataille » et
sa « victoire ». Les récits de la prise de la bastille du Théâtre-
Français occupent tout l’espace du souvenir. Pas un mot sur les
réunions de la rue Notre-Dame-des-Champs et de la rue
Miromesnil. La sociabilité romantique se polarise sur les soirées de
Nodier, pleines d’entrain, où l’on se grise de conversations, de
vers, de jeu et de danse. Parce qu’elle précède, dans le scénario
idéal de la conquête, le moment de la victoire, la scène de la lecture
a les faveurs de Dumas, qui lui réserve plusieurs pages : lecture de
Marion Delorme, de Christine, des Poésies de Musset369. Avec les
Mémoires de Dumas, le romantisme trouve sa légende dorée. Cette
légende aura des répercussions immenses sur les jeunes
générations, installant chez eux l’idée selon laquelle toute bataille
littéraire, pour être gagnée, doit être livrée en rangs serrés370.
Deux autres livres, eux aussi très largement diffusés, vont compléter cette
légende, en précisant le rôle du cénacle : le Victor Hugo raconté par un
témoin de sa vie en 1863 et l’Histoire du romantisme de Théophile Gautier
en 1872371. Les souvenirs que rédige Adèle Hugo, sous la dictée de son
mari, accordent une place dérisoire aux activités du cénacle, alors qu’elle se
répand à longueur de pages sur la première d’Hernani. À titre de
comparaison, dans son article de 1831 de La Revue des deux Mondes,
Sainte-Beuve y dédiait une page entière sur les douze qu’il consacrait au
récit de la vie de Hugo depuis son enfance. Le mot « cénacle » n’apparaît
même pas sous la plume d’Adèle. En fait, le témoin suit la voie tracée par
Dumas : elle se focalise sur les événements qui marquent le triomphe de la
« nouvelle école », estompant ce qui a trait à son incubation collective. Le
chapitre qui évoque les soirées dans le salon de la rue Notre-Dame-des-
Champs ne met pas l’accent sur la dynamique groupale, mais plutôt sur les
liens d’amitié de Hugo avec quelques personnalités choisies (il est intitulé
« Amis ») : Sainte-Beuve et Boulanger arrivent en tête (les intimes), suivis
de Musset, Mérimée, Planche. À « l’idée du Cénacle », que Sainte-Beuve se
reprochait lui-même « d’avoir trop poussé[e] », se substitue l’idée du
« bataillon », du collectif en « lutte » (terme récurrent dans le Victor Hugo
raconté). L’image du cénacle introverti laisse donc place au cénacle
extraverti, combatif, portant fièrement les couleurs de la nouvelle école. Le
chapitre intitulé « Lecture », qui raconte la récitation de Marion Delorme,
symbolise cette idée d’ouverture à la foule : Hugo, raconte Adèle, est
exhorté à « élargir encore un peu plus son cercle d’auditeurs372 » ; le
Cénacle, à cette date, a donc déjà un pied dans l’espace public, il y mettra le
second avec la première d’Hernani, point d’orgue de son action.
Vigny n’a pas écrit de mémoires, mais il a laissé dans son Journal des
réflexions rétrospectives qui y ressemblent. En 1833, réagissant à un article
de Sainte-Beuve sur sa personne, il note : « Trop préoccupé du Cénacle
qu’il avait chanté autrefois, il lui a donné dans ma vie littéraire plus
d’importance qu’il n’en eut, dans le temps de ces réunions rares et
légères373. » Cette phrase met en lumière le conflit de mémoire dont le
Cénacle est l’objet après sa disparition effective. Ce qui déplaît à Vigny,
aussi bien qu’à Hugo et Dumas, les trois « généraux » du romantisme (le
mot est de Dumas), c’est l’idée que le Cénacle, avec ses sous-lieutenants
d’élite (Deschamps, Pavie, etc.) ait pu jouer un rôle artistique dans leur
ascension. L’enjeu est de taille : il s’agit de montrer aux yeux de la postérité
et au regard de l’Histoire, que le mérite de la victoire revient aux seuls
leaders, et que le Cénacle – cette cohorte aveugle – n’a apporté qu’un
soutien matériel en se mobilisant physiquement, le moment venu, pour la
Cause.
Gautier, bien qu’il ne soit pas un chef romantique, renforce ce préjugé au
lieu de le contrecarrer. L’homme, il est vrai, n’a pas ou peu participé aux
réunions du Cénacle ; il fait justement partie de cette troupe de supporters
exaltés qui a rallié la cause hugolienne en février 1830. Le cénacle est, pour
lui, synonyme d’escadron. Raison pour laquelle, dans son Histoire du
romantisme, il ressert au public la messe d’Hernani, enrichie d’anecdotes
inédites. Tout en corroborant la légende, Gautier parvient cependant à faire
bouger les lignes de l’imago cénaculaire. L’élément nouveau, c’est l’accent
mis sur la fraternité des arts : les peintres, du grand comme du « petit »
Cénacle, sont remis à l’honneur, Gautier insistant avec force sur leur
contribution à l’avènement des idées nouvelles.
En ce temps-là, les peintres et les poètes se fréquentaient beaucoup,
échangeant de mutuelles admirations. Quoique le précepte Ut pictura
poesis fût classique, il avait cours dans la nouvelle école, et certes le
talent de tous gagna à cette familiarité des deux arts. Comme Louis
Boulanger, Eugène Devéria était un lettré, il faisait de jolis vers, et avait
tout ce qu’il fallait pour comprendre la grande révolution littéraire dont
le poète des Odes et Ballades était le promoteur. Il se distingua par sa
pétulante chaleur d’applaudissements aux tumultueuses représentations
d’Hernani, où il menait une bande d’artistes et de rapins ; tant que la
lutte dura, il fut de toutes les batailles de la nouvelle école374.
Réduits chez Hugo au rôle de simples porte-drapeaux en 1863 (les
fameuses « tribus » d’Hernani), les peintres, gratifiés du titre de
« lettrés », se voient deux ans plus tard (la notice sur Eugène
Devéria date de 1865) élevés au grade de membres à part entière.
Mieux, Gautier déplace le centre de gravité des réunions du
domicile des écrivains vers celui des peintres : « La maison des
Devéria était […] un des foyers du romantisme ; on y voyait
Sainte-Beuve, Alfred de Musset, Fontaney, David (d’Angers),
Planche, Louis Boulanger, Abel Hugo, Paul Foucher, Petrus Borel,
Pacini, Plantade et bien d’autres. Le grand maître y venait lui-
même souvent375. »
Gautier ne se contente pas de broder sur la légende du Cénacle, il en crée
une nouvelle avec le groupuscule dont il fut l’un des héros. La réminiscence
du Petit Cénacle fournit au mémorialiste l’occasion de rappeler, derechef,
que « l’immixtion de l’art dans la poésie376 » est consubstantielle à l’idée de
cénacle. Après avoir énuméré les noms de ceux qui composaient la bande,
Gautier poursuit : « Ces jeunes gens, unis par la plus tendre amitié, étaient
les uns peintres, les autres statuaires, celui-ci graveur, celui-là architecte ou
du moins élève en architecture. Quant à nous, comme nous l’avons dit,
placé à l’Y du carrefour, nous hésitions entre les deux routes, c’est-à-dire
entre la poésie et la peinture377 […]. » La fraternité des arts, martèle
Gautier, « demeure un des signes caractéristiques de la nouvelle École, et
fait comprendre pourquoi ses premiers adeptes se recrutèrent plutôt parmi
les artistes que parmi les gens de lettres. Une foule d’objets, d’images, de
comparaisons, qu’on croyait irréductibles au verbe, sont entrés dans le
langage et y sont restés. La sphère de la littérature s’est élargie et renferme
maintenant la sphère de l’art dans son orbe immense378. » Gautier brise
ainsi un préjugé ayant cours depuis des décennies, selon lequel les peintres
seraient à la remorque des écrivains : un mouvement peut fort bien se créer
– en témoignent le Guerbois de Manet et les Nabis – autour d’un groupe de
peintres et entraîner dans son sillage des hommes de lettres.
Les souvenirs de Gautier sur le Petit Cénacle corrigent enfin l’image par
trop bourgeoise du Cénacle, calquée sur les soirées de Hugo et les
Dimanches de Nodier, si bien réglés. La fantaisie, le désordre, l’excès font
leur entrée dans l’imagerie cénaculaire. De la déformation du nom au
dérangement du mobilier, de la bizarrerie de l’accoutrement (pour Jehan du
Seigneur, « au lieu de gilet, un pourpoint de velours noir taillé en pointe
emboîtant exactement la poitrine et se laçant par derrière379 ») au chaos des
paroles échangées, le cénacle à la manière de Gautier inaugure une nouvelle
manière d’être dans le champ. En rapprochant le cénacle de la « bohème
galante », Gautier accole au Petit Cénacle la vision enchantée du cénacle du
Doyenné, baignée d’insouciance, dépeinte par Nerval en 1852 dans
L’Artiste. « Nous étions jeunes, toujours gais, quelquefois riches380… »,
clamait alors l’auteur des Chimères. Le Petit Cénacle n’est pas riche, mais il
a la jeunesse, la gaieté et l’amour de l’art. Et ce viatique lui suffit : « Être
jeune, intelligent, s’aimer, comprendre, et communier sous les espèces de
l’art, on ne pouvait concevoir une plus belle manière de vivre, et tous ceux
qui l’ont pratiquée en ont gardé un éblouissement qui ne se dissipe pas381. »
Entre le Petit Cénacle et le Doyenné, le militantisme romantique s’est
perdu, mais la chaleur fraternelle s’est maintenue.
Même si leur impact reste difficile à mesurer, les pages ardentes de
Gautier ont sans aucun doute marqué en profondeur les générations
poétiques et artistiques de 1870 et de 1880, fournissant à ces dernières un
modèle qu’il ne tenait qu’à elles de suivre pour réussir à leur tour. Cette
jeunesse piaffant d’impatience était d’autant plus fondée à suivre l’exemple
des aînés que la légende dorée du cénacle s’était augmentée, depuis Dumas,
d’autres success stories proposant un scénario similaire. Après Nerval et
son cénacle du Doyenné, Delécluze ressuscitait un groupe méconnu, la
secte des Méditateurs, qui, pour n’avoir pas donné toute sa mesure, n’en
confirmait pas moins que, pour percer et faire école (le primitivisme eut une
influence non négligeable au début du siècle), il fallait s’unir et « marcher
courageusement tête levée382 ». Le même Delécluze renforce, sept ans plus
tard, la réputation du cénacle comme foyer d’avant-garde en révélant au
grand public l’existence d’une véritable pépinière de « novateurs383 » dont
certains sont devenus fameux : Stendhal et Mérimée entre autres. Le lecteur
– Sainte-Beuve compris384 – découvrait dans les Souvenirs de soixante
années qu’un autre cénacle, à côté des groupes romantiques bien connus de
Nodier et Hugo, avait joué un rôle majeur dans l’élaboration de la doctrine
romantique ; que la révolution dans l’art dramatique385, avant d’éclater sous
les feux de la rampe du Théâtre-Français, avait été théorisée dans l’ombre,
et même appliquée sous forme de lectures privées dans le « grenier » de
l’auteur. La même année (1862), dans un ouvrage plus confidentiel que
celui de Delécluze, une nouvelle secte – les Buveurs d’eau – refaisait
surface par le truchement de trois de ses membres386. Contrairement à ce
qu’avait prétendu Murger, Nadar, Lelioux et Noël y soutenaient que
l’expérience cénaculaire n’avait pas été sans fruit : l’association, certes,
n’avait pas brillé par son succès (pas d’école, pas d’œuvres), mais elle
n’avait pas cédé aux sirènes du mercantilisme et avait tenu le cap de l’Art.
Vingt ans plus tard, les ex-Buveurs d’eau, forts de cette épreuve dont ils
étaient sortis la tête haute, pouvaient s’enorgueillir à leur tour d’être un
exemple pour les jeunes générations : « je tiens à dire […] affirmait l’un
d’entre eux, que de toute cette petite pléiade, née de la famine, du froid et
du vagabondage, réunie par le hasard des rencontres les plus hétéroclites, il
n’en est pas un – pas un – qui ait failli devant les mauvaises
conseillères387. » Leur témoignage, loin de conclure à l’échec de la formule,
soulignait donc au contraire les vertus du cénacle, en dépit du dénouement
peu glorieux du groupe.
L’année même où Gautier, rongé par la maladie, rédige son Histoire du
romantisme, Champfleury publie à l’attention des nouvelles générations un
témoignage sur son expérience. L’auteur de Mademoiselle Mariette
prolonge dans Souvenirs et portraits de jeunesse la tapisserie commencée
par les aînés en y ajoutant deux nouveaux épisodes. Qu’il s’agisse du
cénacle de Murger, dit de « la barrière d’Enfer » (1839), qui rassemble les
futurs Buveurs d’eau, ou du groupe de la rue Hautefeuille organisé autour
de Courbet, le canevas est calqué sur le patron romantique : une pléiade de
jeunes « réformateurs », sûrs de leur génie, préparent la révolution
esthétique de demain. Chez Murger, dans l’appartement de la rue de la
Tour-d’Auvergne, on pourrait se croire revenu à l’époque où Hugo lisait
Marion Delorme à ses camarades :
Cet appartement était une mansarde ; mais là se lisaient de
magnifiques drames en vers qui donnaient du relief aux murailles. J’eus
l’honneur, pour mes débuts, d’être admis à une de ces lectures qui,
toutefois, m’enthousiasma faiblement malgré les chauds admirateurs
dont j’étais entouré. Mürger ouvrait ses salons à un frère en poésie et en
faisait les honneurs avec une grâce parfaite. Les applaudissements
remplaçaient les rafraîchissements ; mais la foi était vive parmi les
auditeurs qui, tous, se croyaient appelés à jouer le rôle de Victor Hugo,
de Musset, d’Alfred de Vigny388.
Champfleury prend plus au sérieux le mouvement qui naît dans la
brasserie Andler. Et pour cause, à la différence des camarades de
Murger, Courbet et ses amis sont parvenus à imposer leur loi. Si la
distance ironique reste perceptible, le mémorialiste n’en tient pas
moins à marquer le parallèle entre l’aventure réaliste et l’épopée
romantique : même ferveur intellectuelle, même fermentation
créatrice, même culte du chef, même volonté surtout d’en découdre
avec les tenants de l’ordre ancien, tout cela dans une atmosphère
festive et enthousiaste qui, dit Champfleury, rappelle les « réunions
du romantisme389 ». Entre le Cénacle de la rue Notre-Dame-des-
Champs et la Thébaïde de la rue Hautefeuille, seul diffère le radical
du mot bannière : Romantisme là, Réalisme ici.
Les poèmes cénaculaires rétrospectifs occupent, plus discrètement, une
même fonction de remémoration. L’époque romantique en a vu paraître
beaucoup. Dès 1835, Antoni Deschamps s’adresse aux poètes qui se
retrouvaient chez son père, « Soumet, Alfred, Victor, Parseval, vous enfin /
Qui dans ces jours heureux vous teniez par la main390 ». Le ton est
nettement à la nostalgie du bonheur perdu. Sainte-Beuve, par exemple, dans
un poème adressé à Amable Tastu, regrette que les chaudes soirées
romantiques soient déjà, en 1835, si tristement enterrées :
De la légende à l’histoire
Télescopage de mémoire
L’histoire des groupes littéraires fin de siècle tend à montrer que la parole
des mémorialistes a porté : la floraison de cénacles, à laquelle on assiste
durant cette période, est comptable de l’image favorable que véhicule la
littérature de souvenirs depuis trente ans. Désormais, la jeunesse, forte de
deux exemples fameux, l’épopée romantique et la légende parnassienne,
peut se lancer sans crainte dans l’aventure. Elle le peut d’autant mieux que
de 1880 à 1900 sont sortis chaque année de nouveaux livres de souvenirs
renforçant l’aura du cénacle : l’Arsenal est canonisé sous la plume
d’Amaury-Duval, Victor Pavie et Édouard Grenier417 ; le Doyenné est
sanctuarisé sous celle d’Arsène Houssaye418 ; Coppée, Sully Prudhomme,
Louis-Xavier de Ricard, Verlaine complètent la fresque de Mendès419,
tandis que trois nouveaux cénacles font leur entrée dans l’histoire
cénaculaire : Jules Troubat420 révèle les dîners Magny en 1879 – mis à nu
dix ans plus tard dans les Mémoires de Goncourt421 ; Armand Silvestre422
fait émerger le café Guerbois de l’oubli ; Du Camp, Maupassant et
Alexis423 élèvent les Dimanches de Flaubert au rang de mythe dès le début
des années 1880. Les poèmes cénaculaires participent du phénomène de
remémoration : Mendès en place un en tête de son recueil, Les Braises du
cendrier424, tandis que Verlaine salue la « stricte observance » des poètes
maintenant vieillis dans sa « Ballade en vue d’honorer les Parnassiens425 ».
C’est dire que, durant ces années, les cénacles prospèrent autant dans le réel
qu’ils essaiment dans l’imaginaire.
Il s’en faut de beaucoup cependant que ceux des décennies 1880-1900 se
soient conformés au modèle militant exalté tour à tour par Dumas, Gautier
et Mendès. Étrangement, dans ces années, le cénacle monacal fait son
retour en force avec les Mardis de la rue de Rome et les Dimanches de la
rue d’Auteuil. Cette rétraction, qui contrevient à ce que préconisait Mendès
avec l’exemple du Parnasse, n’a que l’apparence du paradoxe. Gustave
Kahn, dans un ouvrage situé à mi-chemin du discours mémorialiste et du
discours historique, l’explique par une réaction contre ce qu’est devenu le
Parnasse après 1880, à savoir, une machine à succès, un mouvement
conservateur, ennemi de la nouveauté : « Il faut le dire, et très haut, une des
vertus du symbolisme naissant fut de ne pas se courber devant la puissance
littéraire, devant les titres, les journaux ouverts, les amitiés de bonne
marque, et de redresser les torts de la précédente génération426. » En 1902,
le cénacle dont l’auteur des Palais Nomades rapporte le souvenir ému
tranche avec celui dont Mendès vantait l’audace et l’énergie dans sa
Légende :
Mallarmé montait les premiers degrés de la gloire, ses mardis soirs
étaient suivis avec tant de recueillement qu’on eût dit vraiment, dans le
bon sens du mot, une chapelle à son quatrième de la rue de Rome. Il y
avait un peu, dans l’empressement joyeux qu’on mettait à le visiter, en
même temps que de la très bien intentionnée curiosité, un peu de la joie
qu’on éprouve à aller voir un prestidigitateur très supérieur, ou un
prédicateur célèbre. Oui, on eût cru, à certains soirs, être dans une de
ces églises au cinquième, ou au fond d’une cour, où la manne d’une
religion nouvelle est communiquée à des adeptes qui doivent, pour
entrer, montrer patte blanche ; la patte blanche là c’était un poème ou la
présentation par un accueilli déjà depuis quelque temps427.
En même temps que Kahn fonde une légende – celle du cénacle
symboliste –, il en détruit une autre – celle du cénacle parnassien –
présentée à tort par Mendès comme un modèle indépassable. En
1900, le recul historique est désormais suffisant pour faire le tri
entre les vertus et les vices du cénacle. C’est à ce tri que s’emploie
justement Régnier dans un recueil de souvenirs qui fait se croiser la
légende héroïque du Cénacle hugolien et celle, tout aussi
envahissante mais plus récente, du cénacle mallarméen. De cette
confrontation, le premier, jusqu’ici intouchable, sort affaibli, alors
que le second est porté au pinacle. N’a-t-on pas idéalisé à l’excès,
se demande Régnier, un cénacle qui a abouti à ruiner les liens
d’amitié entre ses membres, au lieu que celui de Mallarmé a
conservé les siens intactes, sans renier son idéal d’art. Le regard
déjà historien que porte Régnier sur les années cénaculaires du
romantisme brise un mythe, et, partant, infléchit le modèle du
cénacle fraternel et militant qui dominait jusqu’alors :
Le Cénacle qui, pendant dix ans à peu près, de 1825 à 1835 [sic],
groupa les disciples d’une même foi, se composa, comme il arrive
toujours en pareil cas, des personnalités les plus disparates. […] Certes,
il existait entre eux un goût simultané pour la poésie et un même sens
fondamental de ses nécessités actuelles. […] mais, malgré l’unanimité
du but, le poète d’Éloa devait se sentir déjà isolé parmi les nouveaux
prétendants. Il y avait en Hugo un désir de suprématie qui augmenta à
mesure qu’il le satisfaisait. Ses visées de chef d’école durent mal
s’accommoder d’un rival gênant. Si Hernani fut plus tard la journée
décisive du romantisme, la représentation du More de Venise reste un
bon combat d’avant-garde, et l’honneur lui revient d’avoir précisé le
conflit. Sainte-Beuve n’aimait pas les poètes. Poète manqué, il ne garda
de la lyre que les cordes pour les faire servir de fouet à ses rancunes,
dont la principale et la plus cuisante était sans doute contre lui-
même428.
Soixante-dix ans après son triomphe, Régnier ne retient du Cénacle
que les haines féroces que se vouaient le « dandy Musset »,
« l’exubérant Dumas », le « rancunier Hugo », le « hautain Vigny »
et « l’aigre Sainte-Beuve429 ». Le faisceau d’amitiés de la rue
Notre-Dame-des-Champs, sublimé par tous les mémorialistes,
n’aura été qu’un feu de paille, à le comparer à celui que noua
chaque mardi l’hôte de la rue de Rome :
Pendant vingt ans, Stéphane Mallarmé fut fidèlement exact au
rendez-vous donné une fois pour toutes par une invitation verbale ou
par un de ces billets comme il savait en écrire, coquets, délicieux et
sommaires, et qui portaient sur l’enveloppe votre adresse dans un
quatrain. C’est entre ces humbles murs, à certains soirs de fête
spirituelle, que furent dites les choses les plus fines et les plus fortes sur
la vie, l’art, et la poésie qui est leur rencontre réciproque. On était là
peu ou beaucoup, souvent tout ce que la petite salle pouvait contenir
entre les murs […]. Instants, hélas ! sans retour, que n’oublieront pas
ceux qui ont assisté à ce mémorable spectacle nocturne430.
Après Régnier, très nombreux431 seront ceux qui, à son instar,
s’essayeront à immortaliser par les mots ce « mémorable
spectacle ». En pure perte cependant car, à cette date, le cénacle
n’intéresse plus que les historiens432, tandis que les derniers
témoins d’une époque disparue continuent inlassablement de
dévider le fil du souvenir.
Une image brouillée
Contrairement à ce que pourraient laisser croire ces pages qui recensent
les différentes scénographies du cénacle, l’histoire des représentations
cénaculaires se présente sous l’aspect général d’une résistance à la
représentation. Comparé à d’autres phénomènes de la vie sociale, le cénacle
est en effet peu visible. Absent des physiologies, absent des chroniques, le
cénacle brille également par son absence sur les scènes de théâtre433. Les
peintres et les lithographes ne lui réservent pas un sort meilleur. À
l’exception de la fameuse eau-forte de Tony Johannot représentant
l’Arsenal à l’époque où il était déjà gagné par la mondanité (1831) et de la
gravure de Courbet, très floue, représentant la Brasserie Andler (voir cahier
d’illustrations), il n’existe guère d’image, picturale ou photographique,
fixant au moment des faits le cénacle dans ses activités favorites (causerie,
lecture, sortie) ; lacune d’autant plus remarquable que les portraits d’artistes
et d’écrivains, individuels ou collectifs, sont innombrables au xixe siècle ;
qu’on songe seulement aux médaillons de David d’Angers, aux clichés de
Nadar, aux fresques de Roubaud et Grandville ou aux toiles de Fantin-
Latour et Chabas434. Le cénacle passe donc aussi bien à travers la littérature
panoramique qu’à travers la représentation théâtrale et l’image
reproductible (lithographie, gravure, photographie).
Mais peut-on résister à un siècle qui, succédant à un autre qui avait eu la
passion des idées, s’abandonne sans frein à celle des images – image
entendue ici au sens large435 – comme en témoignent la fréquentation
massive des salons de peinture, la lecture compulsive de la petite presse
illustrée et des recueils de caricatures, la consommation immodérée du
théâtre ? Le goût du secret cultivé par le cénacle se heurte à une société
fureteuse – « siècle vaurien » dira Baudelaire – encouragée dans son vice
par tous les supports médiatiques et tous les outils de reproduction
modernes. Envisagée sous cet angle, la résistance que le cénacle oppose à la
curiosité de l’époque apparaît presque héroïque. La discrétion absolue dont
font preuve les chefs de file sur leurs activités, de Hugo à Mallarmé en
passant par Vigny, Nodier, Leconte de Lisle, Zola, Goncourt ou Heredia,
semble exprimer une volonté : celle de ne plier ni à la dictature des images
ni au despotisme de la représentation. « Y penser toujours, en parler
jamais », telle semble avoir été la devise du cénacle, respectée à la lettre par
les Maîtres, observée diversement par leurs visiteurs.
Or cette clause de discrétion a, pour la question qui nous occupe, des
conséquences inattendues. Empêchés de parler ouvertement de leur groupe
de prédilection, quoique désireux de faire connaître le mouvement littéraire
qui le sous-tend, les rares cénacliers n’ayant pu résister à l’envie de « parler
du grand miracle » (Sainte-Beuve) ont produit, sous la contrainte, un
discours codé, allusif et métaphorique, qui eut pour principal effet, en raison
même de ses lacunes, d’alimenter le fantasme. S’engouffrant dans l’espace
laissé vacant par les usagers du cénacle, un contre-discours s’est développé
parallèlement sous la plume de ceux qui en ignoraient les intérieurs
mystérieux, générant un imaginaire dévalorisant du cénacle aussi éloigné de
la réalité que celui, évasif et hyperbolique, de leurs adversaires. Ainsi
s’explique, par la rareté du discours officiel émis et contrôlé par ses acteurs
mêmes, la coprésence d’images contradictoires autour du cénacle. De ce
maelstrom de représentations incontrôlées émergent dans le premier tiers du
siècle deux notions phare, « cénacle » et « camaraderie », notions
caricaturales résumant à elles seules le regard manichéen, tout blanc ou tout
noir, porté sur cet objet aussi complexe qu’insaisissable.
Cependant, à mesure que les cénacles se succèdent, l’histoire des
imaginaires du cénacle se complique, déployant des scénarios inédits qui le
dépouillent peu à peu de ses oripeaux grotesques pour en restituer
l’authentique matérialité. Le discours romanesque, en particulier, introduit
une complexité que les autres types d’énonciation ne rendaient pas. Avec
Illusions perdues, le cénacle sort des approximations romantiques pour se
confronter au réel : opposé au dévorant système du journalisme, il fait
figure de refuge tout en montrant ses faiblesses. Suivant l’exemple de son
aîné, quoique sur le mode bouffon, Murger, dans Les Buveurs d’eau, place
le cénacle en face de ses contradictions. Tout en conservant une certaine
tendresse pour lui, les Goncourt portent à leur tour un coup sévère au cliché
romantique en peignant dans Charles Demailly un cénacle rongé de
l’intérieur par les maux du siècle. Avec les naturalistes, le cénacle s’enlise
un peu plus dans le réel : Zola dévoile ses coulisses dans L’Œuvre, Rosny
décrit ses arrière-cours dans Le Termite. À la différence du préfacier qui
défend et du pamphlétaire qui pourfend, à la différence du poète qui
enjolive ou du publiciste qui enlaidit, le romancier, de quelque bord qu’il
soit, partisan, opposant ou simple observateur, offre une vision contrastée
du cénacle, ne cachant rien de ses tares, ne dissimulant rien non plus de ses
vertus, ménageant à travers une dialectique subtile et toujours orientée le
pour et le contre de la chose. Camille Mauclair illustre exemplairement le
traitement particulier que fait subir le roman au cénacle. Dans Le Soleil des
morts, comme dans les romans cénaculaires antérieurs, le cénacle est
montré sous tous les angles, avec ses grandeurs et ses petitesses, avec son
côté sublime et son côté dérisoire. D’une manière générale, on le dépeint
comme une magnifique utopie ne résistant pas à l’épreuve du réel.
Le roman opère un autre tournant majeur : avec lui, l’histoire des
représentations cénaculaires tend à se détacher du référent pour
s’autonomiser, ouvrant du même coup sur un système d’échanges
intertextuels. Après Illusions perdues, il s’agira moins pour le romancier de
copier un cénacle réel que de se démarquer littérairement d’un modèle qui
prend racine dans l’imaginaire collectif. Bien qu’inspirées de faits vécus,
les Scènes de la vie de bohème et Les Buveurs d’eau portent l’empreinte du
Grand homme de province. Réagissant à leur tour au roman de Murger, les
Goncourt renouent dialectiquement avec la tradition balzacienne en
déclinant le paradigme du cénacle des grands esprits. Zola déplace la
thématique sur le terrain de l’art, se donnant ainsi les moyens de prolonger
une veine qui menaçait de se tarir. Mauclair et Rosny y reviennent à
nouveaux frais en introduisant deux problématiques spécifiquement fin de
siècle, la science et l’anarchisme. Le roman ne fait donc pas qu’entretenir la
légende du cénacle : il en crée une nouvelle, différente, dont les pouvoirs
sur l’imaginaire ne sont pas moins forts que la première. Il suffit, pour s’en
convaincre, d’observer le comportement mimétique des groupes d’avant-
garde après 1830. Sitôt qu’ils sont aux commandes, les jeunes gens du Petit
Cénacle s’empressent de décalquer le Grand Cénacle. Dix ans plus tard, les
Buveurs d’eau, qui n’ont pas pu fréquenter le Cénacle hugolien mais qui ont
lu avec passion Illusions perdues, optent pour le modèle de Daniel
d’Arthez. Il y a une dimension satirique évidente dans le portrait de ces
nouveaux Don Quichotte littéraires appliquant scolairement la recette du
Cénacle de la rue des Quatre-Vents, mais cela n’empêche pas Murger de
pointer en 1850 – observation relayée et approfondie plus tard par Flaubert
dans L’Éducation sentimentale – la part grandissante de la fiction, chez les
jeunes artistes en particulier, dans la construction de soi. Cette part, si l’on
en croit Vallès, n’a pas diminué en 1878 : l’adhésion aveugle de son héros,
Jacques Vingtras, au modèle cénaculaire repose exclusivement sur la lecture
des romans de Murger. Si le jeune homme suit Matoussaint, le chef du clan,
« comme un séide », c’est parce qu’il a lu qu’il fallait s’entendre, être un
cénacle. « Je l’ai lu dans Mürger », dit-il436.
Cette conviction qu’il faut en passer par le cénacle pour arriver à
quelque chose est considérablement renforcée à partir de 1860 par une
avalanche de souvenirs littéraires gratifiant le cénacle de toutes les vertus.
Un nouveau scénario voit le jour, très puissant, qui déplace son centre de
gravité de l’intérieur vers l’extérieur, l’orientant vers la conquête. Ni
complot pour s’aduler, ni chartreuse pour méditer, il se présente alors sous
les couleurs d’un cartel organisé pour gagner, qui n’hésite pas à investir les
lieux stratégiques du champ littéraire (revue, presse quotidienne, théâtre,
librairie) pour faire valoir ses vues et conquérir le public. Envisagé depuis
ses fins qui ont vu le triomphe des valeurs qu’il portait secrètement en son
sein, le cénacle est perçu désormais comme le plus sûr moyen de parvenir à
la consécration littéraire. S’ensuit une transformation de son image qui
évacue les doutes au profit des certitudes. Le Cénacle de Hugo est le
premier à profiter de cette métamorphose instruite par le regard
téléologique de ses thuriféraires – les autres suivront le même chemin. Les
silencieuses catacombes où psalmodiaient les apôtres du romantisme
deviennent, sous la plume euphorique des mémorialistes, une caserne de
soldats turbulents, où l’on ne rêve que luttes et batailles, où l’on effraie les
classiques, édicte des manifestes retentissants, décide de plans de
campagne, fomente des coups d’État. Le puritanisme monacal a laissé place
au volontarisme militaire437.
Est-ce à dire que le cénacle trouve dans ces pages rédigées par les héros
survivants du romantisme, du réalisme et du Parnasse, l’explosante-fixe que
conservera de lui la postérité, celle d’une armée fraternelle pénétrée de sa
vocation et sûre de son triomphe ? Des cénacles de Hugo, Courbet et
Leconte de Lisle, peut-être ; du cénacle en soi, cela est moins sûr, car
l’histoire des représentations n’a pas de fin, sauf celle que lui assigne la
disparition de ses principaux témoins et acteurs, laquelle n’interviendra que
dans la première moitié du xxe siècle. En attendant, les discours sur le
cénacle continuent de proliférer et de s’enchevêtrer. Au moment où se
cristallise la fabuleuse histoire du cénacle romantique (vers 1880), deux
autres légendes s’apprêtent à éclore autour du foyer de Mallarmé et du
Grenier de Goncourt, diamétralement opposées à la première. Des poncifs,
qu’on croyait disparus depuis longtemps, font leur retour ; quelques esprits
chagrins reparlent de « sectes », de « camaraderie », de « chapelle »,
accusant le cénacle de tous les maux dont la littérature est, selon eux,
malade : maniérisme, hermétisme, morbidité. Leur répond une nouvelle
génération d’artistes convertis fanatiquement au cénacle, qui, retrouvant les
accents mystiques du Sainte-Beuve de 1829, le présente comme l’alpha et
l’oméga de l’Art. Au total, ressort de ce déluge d’images et de discours une
représentation passablement brouillée, que les historiens du xxe siècle,
oscillant entre l’idée que le cénacle fut le meilleur ferment de la littérature
ou au contraire son pire poison, auront bien du mal à débrouiller.
Conclusion
« Je crois qu’il n’y a pas à espérer de faire adorer l’art en place
publique1. » (Sainte-Beuve)
« Des artistes en plus, de nos jours, on en a mis partout par
précaution tellement qu’on s’ennuie2. » (L.-F. Céline)
Cénacles et barricades
La Bella scuola
36. Notons déjà qu’il s’agit là de représentations de l’art et de la littérature traversant le discours
social à cette époque, non d’un ensemble idéologique auquel aurait adhéré cette élite.
37. Paul Bénichou, Le Sacre de l’écrivain 1750-1830. Essai sur l’avènement d’un pouvoir
spirituel laïque dans la France moderne, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Idées », 1996
(1973).
38. On peut avec Diaz (L’Écrivain imaginaire, op. cit.) approfondir ce questionnement sur
l’imaginaire de l’écrivain romantique et montrer qu’au scénario prophétique en répondent
plusieurs autres : un romantisme mélancolique (élégiaque à la Lamartine), ironique (dandy ou
excentrique sur le modèle de Musset), énergique (cherchant à briser les frontières comme les
Jeunes-France) et désenchanté (privilégiant une approche ludique mais sans joie du rapport de la
littérature au monde).
39. Dominique Maingueneau, Contre Saint Proust ou la fin de la Littérature, Paris, Belin, 2006.
40. Nathalie Heinich, L’Élite artiste, op. cit.
41. Gisèle Sapiro, La responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale en France (xixe-
e
xxi siècle), Paris, Seuil, 2011.
176. Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, Paris, Garnier Flammarion, 1987, t. II,
p. 303-304.
177. Stendhal, Lettres de Paris par le petit-fils de Grimm, éd. José-Luis Diaz et Henri
Martineau, Paris, Le Sycomore, 1983, p. 59.
178. Alfred de Vigny, Journal d’un poète, recueilli et publié par Louis Ratisbonne, Éditions
d’Aujourd’hui, coll. « Les introuvables », 1981 (1885), p. 42.
179. Sainte-Beuve, « [compte rendu] Souvenirs de soixante années », Le Constitutionnel,
18 août 1862, repris dans Stendhal, Paris, Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, coll.
« Mémoire de la critique », 1996, p. 388.
180. Juste Olivier, Paris en 1830, op. cit., p. 93 (mercredi 9 juin 1830).
181. Henri de Régnier, Les Cahiers inédits, op. cit., p. 389-390 (mai 1894). Voici la suite de la
citation : « Pour que la causerie soit utile, il faudrait qu’elle s’abstienne de l’anecdote, qu’elle reste
une sorte d’arabesque verbale autour de l’idée plutôt que du fait […]. Le défaut de la causerie
mondaine, c’est qu’on ne juge pas les hommes et les faits, on les énumère, on les commente
superficiellement. C’est ce que le décalquage serait au dessin. Il y aurait de la beauté, pourtant, à
des esquisses parlées, à des caricatures vivantes et nettes, à des déductions ingénieuses. Ce serait
de la grande causerie, préparation sur une toile imaginaire du tableau possible, linéament de la
future ressemblance. »
182. Germaine de Staël, De l’Allemagne, éd. Simone Balayé, Paris, Garnier Flammarion, 1991
(1800), p. 102.
183. Ibid., p. 59.
184. On lira avec profit l’importante théorie d’ensemble développée par Alain Vaillant à ce sujet
qui fait du xixe siècle le lieu d’un changement de paradigme organisationnel et formel qui aurait
produit une complète redéfinition de la ratique littéraire : la « littérature-discours » aurait été le
modèle rhétorique dominant tout au long de l’Ancien Régime, et se serait fondée sur la maîtrise de
la parole. La « culture mondaine de l’interlocution » se jouait principalement dans la sphère d’une
parole privée. Avec la formation d’un espace public et parallèlement avec l’émergence d’un
système de production et de circulation de l’imprimé, un nouveau modèle l’aurait progressivement
emporté, nommé « littérature-texte », dans lequel le discours littéraire, de médiation, est devenu un
objet médiatisé. La période romantique serait un moment d’anomie entre ces modèles (Alain
Vaillant, « Pour une histoire de la communication littéraire », Revue d’Histoire littéraire de la
France, 2003-3, p. 549-562).
185. Emmanuel Godo, Une Histoire de la conversation, op. cit., p. 213.
186. Étienne-Jean Delécluze, Journal 1824-1828, éd. Robert Baschet, Paris, Grasset, 1948,
p. 307-308 (le 6 février 1826).
187. Virginie Ancelot, Un salon de Paris, de 1824 à 1864, Paris, Dentu, 1866, p. 95.
188. Sophie Gay, « Nécrologie. La conversation », Musée des familles, n° 1, 1834, p. 333.
189. Paul Stapfer, Victor Hugo à Guernesey. Souvenirs personnels, Paris, Société Française
d’Imprimerie et de Librairie, 1905 (rééd. dans Victor Hugo, Œuvres complètes, op. cit., t. XIII,
p. 1131).
190. « Nos promenades, se souvient Paul Chenay, étaient une source toujours nouvelle de
conversations ou plutôt de conférences. […] Les sujets les plus simples, les incidents les plus
fortuits lui étaient prétextes à de savantes explications. » (Paul Chenay, Victor Hugo à Guernesey.
Souvenirs inédits de son beau-frère Paul Chenay, Paris, Félix Juven, 1902, p. 57) ; « J’ai entendu
bien des causeurs, témoigne encore Jules Claretie, délicieux et troublants comme Renan, attirants
comme Sainte-Beuve, ou spirituels et originaux, d’une finesse qui allait jusqu’à la puissance,
comme Gavarni : je n’en ai pas entendu de plus extraordinaire que Victor Hugo » (Jules Claretie,
Victor Hugo. Souvenirs intimes, Paris, Librairie Molière, 1902, p. 117).
191. Théodore de Banville, Petites études. Mes Souvenirs, Victor Hugo, Henri Heine, Théophile
Gautier, Honoré de Balzac…, Paris, Charpentier, 1882, p. 452. Même témoignage, dix ans plus tôt,
chez Balzac : « Victor Hugo est un homme excessivement spirituel ; il a autant d’esprit que de
poésie. Il a la plus ravissante conversation, un peu à la Humboldt, mais supérieure et admettant un
peu plus le dialogue. » (Lettre d’Honoré de Balzac à Mme Hanska du 3 juillet 1840, dans Lettres à
Mme Hanska, éd. Roger Pierrot, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1990, t. II, p. 212.)
192. Sainte-Beuve, Mes Poisons. Cahiers intimes inédits, éd. Victor Giraud, Paris, Plon, 1926,
p. 44.
193. Jules Claretie, Victor Hugo. Souvenirs intimes, op. cit., p. 117.
194. Peut-être le Causerie et causeurs (Talk and Talkers) de Robert-Louis Stevenson (1882) est-
il ce qui se rapproche le plus d’un traité de causerie en cénacle ?
195. Honoré de Balzac, Illusions perdues, dans La Comédie humaine, éd. Pierre-Georges
Castex, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1977 (1839), p. 320.
196. Dujardin est sans illusion sur la valeur des propos enregistrés de mémoire, tout du moins,
en ce qui concerne Mallarmé : « le sténographe invisible, ou mieux le microphone enregistreur
soigneusement dissimulé qui eût été nécessaire aurait inévitablement réduit à l’état de cendres
cette vie vivante. » (Édouard Dujardin, Mallarmé par un des siens, Paris, Messein, 1936, p. 6.)
197. Lorsqu’on met en vis-à-vis les conversations réelles qui se sont tenues en cénacle et les
conversations cénaculaires telles que nous les ont rapportées les mémorialistes ou réinventées les
romanciers, on ne peut qu’être frappé du contraste. Ici, des échanges littéraires d’une densité
exceptionnelle, réunissant, dans une fervente émulation, les acteurs de premier plan de l’histoire
intellectuelle. Là, des discussions décousues, brassant des sujets très divers, tour à tour frivoles et
sérieuses, rassemblant deux ou trois écrivains connus, et une poignée de personnalités secondaires.
Disons-le franchement, les prélèvements opérés sur les journaux intimes, eu égard aux attentes
supposées, sont plutôt décevants. Faut-il les compléter, pour accroître notre connaissance de la
parole cénaculaire, par les témoignages rétrospectifs sur lesquels se sont appuyés, en priorité,
nombre d’historiens de la littérature ? Certains exemples, comme les Mémoires inédits de
Guttinguer publiés par Léon Séché et les Souvenirs publiés tardivement par Delécluze sur son
Grenier, donnent à lire et à voir, de manière exemplaire, la conversation de cénacle telle qu’on la
rêve ou l’imagine : présence de la quasi-totalité des figures majeures du moment, centrage de la
discussion sur les enjeux esthétiques fondamentaux de l’heure, formules mémorables, etc. Or, ces
pièces sont un trompe-l’œil. Il s’agit, dans chaque cas, d’une reconstitution tardive mais habile,
d’un savant montage réalisé après-coup et, dans le cas de Delécluze, à partir d’extraits de textes
publiés : les mémorialistes s’en sont servis pour donner l’illusion d’une sténographie sur le vif.
198. Les plus sensibles sont indiquées en note. Pour effectuer l’harmonisation, nous avons
adopté les conventions suivantes, utilisées par les auteurs eux-mêmes : liste des personnages
présents par ordre de prise de parole, répétition systématique de l’interlocuteur, insertion de
didascalies en italiques ; à quoi nous avons ajouté : l’introduction du signe […] quand on passe
d’un temps de conversation à un autre (ce temps est indiqué par un blanc, ou par un trait dans le
manuscrit, ou par un retour à la ligne, dans les textes originaux), et nous avons restitué les noms
avec leur orthographe non simplifiée (ex : « dodé » redevient Daudet).
199. Étienne-Jean Delécluze, Journal, op. cit., p. 417-421.
200. Étienne-Jean Delécluze, Souvenirs de soixante années, Paris, Michel Lévy Frères, 1862,
p. 543.
201. Les cénacles romantiques n’ont guère bénéficié, à l’exception de ce cénacle, de ce type de
retranscriptions. Le Journal d’Antoine Fontaney ne débute qu’en août 1831 et ne concerne qu’un
Arsenal largement mondanisé ; le Cahier vert de Sainte-Beuve ne se met à recenser des
conversations qu’ultérieurement et les Carnets de voyage de Charles Weiss ne proposent que de
rares et laconiques « minutes » sur les années 1827 à 1829. La seule exception est due à Étienne-
Jean Delécluze. Le critique du Journal des débats s’est attelé dès 1824 à la transcription de tout ce
qu’il entendait à ses Dimanches.
202. Delécluze ne semble pas avoir réalisé, dans le moment où il y assistait, l’intérêt de ce qui –
littérairement et intellectuellement – se jouait chez lui. Ce n’est que beaucoup plus tard, lorsque
les jeux furent joués, autrement dit, quand le romantisme l’eut emporté et que la figure de Stendhal
fut montée au zénith, que l’hôte de la rue Chabanais se rendit compte du moment historique dont il
avait été le « témoin ». On en veut pour preuve les extraits de conversation de ses Dimanches que
l’on peut lire dans ses Souvenirs (1862), extraits ajoutés quarante ans après les faits, qui sont en
fait le résultat d’un montage élaboré à partir d’extraits du Racine et Shakespeare, coupés, recousus,
puis scénographiés sous forme de dialogue de manière à apparaître aux yeux du lecteur comme des
échanges saisis dans le feu de l’action (voir Vincent Laisney, « Les conversations de Stendhal avec
Delécluze », dans L’Art de la parole vive. Paroles chantées et paroles dites à l’époque moderne,
études réunies par Stéphane Hirschi, Élisabeth Pillet, Alain Vaillant, Presses Universitaires de
Valenciennes, 2006, p. 87-96.).
203. Joseph de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg, ou Entretiens sur le gouvernement
temporel de la Providence, suivis d’un Traité sur les sacrifices, Paris, Rusand, 1822. Il y a, en ce
mois de février 1827, une actualité maistrienne du fait de la publication récente (adaptation
française) de l’ouvrage de Hermann Joseph Schmitt (Rédemption du genre humain, annoncée par
les traditions et les croyances religieuses, figurée par les sacrifices de tous les peuples, ouvrage
qui sert d’appendice aux « Soirées de Saint-Pétersbourg », Paris, J.-J. Blaise, 1827), qui reprend et
développe les idées de Joseph de Maistre.
204. Rappelons que la première électrolyse par courant continu date de 1800.
205. Juste Olivier, Paris en 1830, op. cit., p. 133-142 (et passim).
206. Ibid., p. 67 (mercredi 2 juin 1830).
207. À noter que des bribes de conversation lui reviennent souvent le lendemain et le
surlendemain. Nous avons pris la liberté de les réintégrer dans la conversation à l’endroit où elles
auraient dû prendre place.
208. L.-M. Fontan, auteur dramatique, avait été écroué à Sainte-Pélagie le 15 avril 1830 pour
avoir écrit un article contre le roi (« Le Mouton enragé »).
209. Belshazzar’s Feast, œuvre de John Martin, exposée en 1821.
210. L’expression nous vient des Goncourt (Journal, éd. Robert Ricatte, op. cit., t. I, p. 997
[17 août 1863]).
211. Ibid., p. 974-977.
212. Ibid., p. 887 (22 novembre 1862).
213. Ibid.
214. Ibid., t. II, p. 107 (4 septembre 1867). En 1872, dans une interview à L’Écho de Paris,
Edmond de Goncourt affirme que les « conversations données par [lui] […] sont pour ainsi dire
des sténographies, reproduisant non seulement les idées des causeurs, mais le plus souvent leurs
expressions », qu’il n’a prêté aucune parole aux convives qu’ils n’auraient pas dites et que, de ce
point de vue, ces morceaux sont des « documents pour l’histoire intellectuelle du siècle ». En
vérité, rares sont les procès-verbaux où les Goncourt n’ajoutent pas leur grain de sel.
215. Rappelons que le Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie était sorti le 18 juin, ce qui
explique que les hommes du Magny en parlent avec autant d’excitation.
216. J.-H. Rosny, Journal. Cahiers 1880-1897, éd. Jean-Michel Pottier, Tusson (Charente), Du
Lérot, coll. « D’après nature », 2008, p. 75-79.
217. Il faut supposer qu’entre-temps Daudet a quitté le Grenier ; ce qui est vraisemblable, étant
donné son état de santé calamiteux à ce moment-là.
218. Jean-Paul Goujon, « Inédit : Jean de Tinan, Chez Mallarmé », Littératures, Toulouse, n° 20,
printemps 1989, p. 189-196.
219. Nous avons pris la liberté d’agglomérer son rapport à celui de Tinan (Henri de Régnier, Les
Cahiers inédits, op. cit., p. 373) pour donner un aperçu plus large de la causerie de cette soirée. Les
morceaux de Régnier sont placés entre crochets.
220. Camille Mauclair, Eleusis. Causeries sur la cité intérieure, Paris, Perrin et Cie, 1894 (livre
inspiré des causeries de Mallarmé).
221. Allusion à un projet de publier un nouveau Parnasse contemporain.
222. Concours littéraire mensuel lancé en 1892 et doté d’un prix de poésie.
223. Il s’agit du fils de Villiers de L’Isle-Adam.
224. Mallarmé est en effet né au 12, rue passage Laferrière, mais Hugo a été pris en flagrant
délit d’adultère non pas dans ce passage mais dans le Passage Saint-Roch le 3 juillet 1845.
225. Sainte-Beuve, « Madame de Sévigné », dans Critiques et portraits littéraires, Paris,
Renduel, 1832, vol. 1, p. 27. « Nous avons peine, en 1829, avec nos habitudes d’occupations
positives, à nous représenter fidèlement cette vie de loisir et de causerie. […] Les journées pour
nous se passent en études, les soirées en discussions sérieuses ; de conversations à l’amiable, de
causerie, peu ou point. »
226. Lettre d’Antoine Fontaney à Alfred de Vigny du 20 février 1831, Correspondance d’Alfred
de Vigny, éd. Madeleine Ambrière, Paris, P.U.F., 1989, t. II, p. 46.
227. Sainte-Beuve, « Madame Récamier », Le Constitutionnel, 26 novembre 1849, repris dans
Causeries du Lundi, Paris, Garnier, [s.d.], t. I, p. 121.
228. Ibid., p. 63, note 23.
229. Henri de Régnier, Cahiers inédits, op. cit., p. 373 (février 1894).
230. Étienne-Jean Delécluze, Journal, op. cit., p. 104 (mardi 12 janvier 1824).
231. Celui-ci constate le mardi 2 janvier 1827 : « Ce petit club est assez agréable et c’est une
distraction à laquelle je tiens beaucoup. Mais les conversations ont peu d’intérêt et fournissent peu
matière à réflexion. Le résultat de leur entretien est à peu près nul. Nous sommes ordinairement
une douzaine, c’est trop. La conversation est toujours flottante et indécise. Les bonnes causeries se
font à trois ou quatre tout au plus, parce qu’on varie moins de sujets, et elles deviennent
excellentes ou, au moins, profitables, quand on a un sujet déterminé que l’on traite à fond. » (Ibid.,
p. 359.)
232. C’est si vrai que, après avoir nourri toutes ses conversations, c’est l’actualité qui est le
prétexte des poèmes critiques des Divagations publiés en 1897.
233. Edmond et Jules de Goncourt, Journal, éd. Robert Ricatte, op. cit., t. I, p. 975 (22 juin
1863). Il s’agit des Mémoires de Jean Paille, restées à l’état d’ébauche.
234. Henri de Régnier, Les Cahiers inédits, op. cit., p. 113 (mercredi 11 janvier 1888).
235. Ibid., p. 198.
236. Juste Olivier, Paris en 1830, op. cit., p. 162 (30 juin 1830).
237. 5 décembre 1824 : « Ma petite société, qui était si agréable il y a deux ans, est détruite.
Tant que l’amitié a été la base de ces réunions, tout ce qui se disait de spirituel me faisait un vrai
plaisir. […] Aujourd’hui mon cabinet est devenu un théâtre, et les Trissotins romantiques s’y sont
traités selon leur mérite. » (Étienne-Jean Delécluze, Journal, op. cit., p. 31)
238. Ibid., p. 165 (23 mars 1825).
239. Ibid.
240. François Coppée, Mon Franc parler, Paris, Lemerre, 1895, vol. III, p. 63.
241. 13 mars 1825 : « Beyle, par son babil et ses paradoxes, étourdit et ennuie tous mes jeunes
gens » (Étienne-Jean Delécluze, Journal, op. cit., p. 151).
242. Étienne-Jean Delécluze, Souvenirs de soixante années, op. cit., p. 233.
243. Lettre de Victor Pavie à son père du 14 novembre 1829, citée dans André Pavie,
Médaillons romantiques, Paris, Émile-Paul, 1909, p. 52.
244. Marie Nodier, Souvenirs inédits, Archives Bied, f. 49, citée dans Vincent Laisney,
L’Arsenal romantique, op. cit., p. 85.
245. Mme Ancelot, « Le Salon de Charles Nodier à l’Arsenal », dans Les Salons de Paris. Foyers
éteints, Paris, Jules Tardieu, 1858, p. 137.
246. Antoine Fontaney, Journal intime, op. cit., p. 137 (28 avril 1832).
247. Mme Ancelot, « Le Salon de Charles Nodier à l’Arsenal », dans Les Salons de Paris. Foyers
éteints, op. cit., p. 137.
248. Antoine Fontaney, Journal intime, op. cit., p. 143 (26 mai 1832). Rose Rovel, jeune
poétesse débutante venait de publier des Poèmes, Marines et Voyages (Levavasseur, 1832).
249. Ibid., p. 44 (jeudi 22 septembre 1831). La scène a lieu chez Mme Dorval.
250. Ibid., p. 159 (30 juin 1832).
251. Eugène Dupréel, « Le Problème sociologique du rire », dans Essais pluralistes, Paris,
P.U.F., 1949, p. 41.
252. « Tous ces jeunes gens étaient pris d’une sorte de mutisme religieux. Cela désolait père qui
s’ingéniait à les faire parler […] », cité par Henri Mondor, Vie de Mallarmé, Paris, Gallimard,
1941, p. 425.
253. Henri de Régnier, cité ibid., p. 425.
254. Édouard Dujardin, Mallarmé par un des siens, op. cit., p. 78.
255. Henri de Régnier, Figures et caractères, Paris, Mercure de France, 1901, p. 120. On est
loin du « rire sonore » de Heredia qui, selon Arthur Symons, détonnait dans le salon de
Mallarmé… (Camille Mauclair, Servitude et grandeur littéraires, Paris, Ollendorff, 1922, p. 89-
90).
256. Cité par Henri Mondor, Vie de Mallarmé, op. cit., p. 655.
257. Lettre (inédite) de Henri de Régnier à Pierre Louÿs du 31 janvier 1895 (copie aimablement
transmise par Jean-Paul Goujon).
258. Voir Alain Vaillant (dir.), L’esthétique du rire, Presses universitaires de Paris Ouest, 2013.
259. L’expression est employée par les Goncourt à propos de Sainte-Beuve (Journal, éd. Robert
Ricatte, op. cit., t. I, p. 985) : « Il attrape, il saisit, il avale à la hâte, happe au vol vos idées, vos
mots, votre science, sans rien savoir ni rien digérer. […] Un suceur de conversations. » (6 juillet
1863.)
260. Alphonse Daudet, « Un Livre » [compte rendu du tome II du Journal des Goncourt], Le
Figaro, 21 octobre 1887.
261. Ibid.
262. Edmond et Jules de Goncourt, Journal, éd. Robert Ricatte, op. cit., t. III, p. 179 (jeudi
22 novembre 1888).
263. Vincent Laisney, « “Le plus grand critique moderne et de tous les temps”. Goethe, maître
de Sainte-Beuve », dans Jean-Pierre Bertrand et Anthony Glinoer (dir.), Sainte-Beuve. Le sens du
moderne, Toronto, Centre d’études du xixe siècle Joseph Sablé, 2008, p. 37-51.
264. Ce n’est pas un hasard si Alphonse Daudet intitule son compte rendu sur le Journal des
Goncourt « Un Livre » ; il marque ainsi le fait que, désormais, la parole sténographiée a valeur
livresque.
265. Pour ne s’être pas surveillés, Taine, Renan et bien d’autres s’en mordirent les doigts. Lettre
de Taine à Goncourt de 1887 : « Quand je causais avec vous et devant vous, c’était sub rosa,
comme disait notre pauvre Sainte-Beuve. […] Je ne veux être responsable que de ce que j’ai écrit,
avec réflexion, en vue de publier. » (citée par André Billy, Vie des Frères Goncourt, Paris,
Flammarion, 1956, t. III, p. 82.)
266. Edmond et Jules de Goncourt, Journal, éd. Robert Ricatte, op. cit., t. II, p. 1204
(12 décembre 1885).
267. Les Amours du chevalier de Faublas (1787-1790) est un roman libertin écrit par Jean-
Baptiste Louvet de Couvray.
268. Alphonse Daudet, « Un Livre », art. cit.
269. Julia Daudet, Souvenirs autour d’un groupe littéraire, op. cit., p. 109 (noté le 18 avril
1882). Les Rois en exil, adapté du roman éponyme (1879) est une comédie en 5 actes, arrangée par
Paul Delair et C. Coquelin, et jouée pour la première fois au Théâtre du Vaudeville le 1er décembre
1883, soit un an et demi après sa lecture en petit comité devant Gambetta, Henry Céard, le Docteur
Charcot, Théodore de Banville, Philippe Burty, Edmond de Goncourt, Édouard Drumont et
Georges Charpentier.
270. Alfred de Musset, « Réponse à M. Charles Nodier », dans Poésies nouvelles, éd. Patrick
Berthier, Paris, Gallimard, coll. « Poésies », 1976 (1843), p. 406.
271. Alexandre Dumas, Mes Mémoires, éd. Pierre Josserand, Paris, Robert Laffont, coll.
« Bouquins », 1989 (1852-1854), t. II, p. 521. Ce « cercle ordinaire » est composé, selon Dumas,
de Lamartine, Hugo, Vigny, Jules de Rességuier, Sainte-Beuve, Jules Lefebvre, le baron Taylor,
Alfred et Tony Johannot, Louis Boulanger, Auguste Jal, Désiré Laverdant, Alexandre Bixio,
Amaury Duval, Francis Wey, etc. (Pour une autre description, voir t. I, p. 961.)
272. Lettre de Sainte-Beuve à Lamartine du 5 janvier 1829, dans Sainte-Beuve, Correspondance
générale, op. cit., t. I, p. 122. Nous soulignons.
273. Jürgen Habermas, L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension
constitutive de la société bourgeoise, trad. M. B. de Launay, Paris, Payot, 1992 (1962), p. 44.
274. Antoine Lilti, Le Monde des salons, op. cit.
275. Honoré de Balzac, « Des salons littéraires et des mots élogieux », La Mode, 20 novembre
1830, repris dans Œuvres diverses, op. cit., t. II, p. 1543-1547.
276. Sainte-Beuve, « Des soirées littéraires ou Les Poètes entre eux », dans Paris ou Le Livre
des Cent-et-un, Ladvocat, t. II, 1832, repris dans Portraits littéraires, éd. Gérald Antoine, Paris,
Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1993, p. 298.
277. Étienne-Jean Delécluze, Journal, op. cit., p. 247.
278. Lettre de Victor Pavie à son frère du 6 décembre 1828, dans André Pavie, Médaillons
romantiques, op. cit., p. 49-51. Dans ses souvenirs, Victor Pavie parle de « ces lectures si
fréquentes du poète aux habitués de son foyer. » (Œuvres choisies, t. II : Souvenirs de jeunesse et
revenants, poésies, Paris, Perrin, 1887, p. 194.)
279. Charles Nodier, Histoire du Roi de Bohême et de ses sept châteaux, Paris, Delangle frères,
1830 (rééd. fac. sim., Paris, Plasma, 1979, p. 501).
280. Voir infra, l’accueil réservé aux jeunes poètes par le maître de l’Arsenal.
281. Stendhal, Racine et Shakespeare, éd. Roger Fayolle, Paris, Garnier Flammarion, 1970,
p. 88.
282. Ibid., p. 89.
283. Ce qui ne veut pas dire que les cénacliers n’y aient pas cédé quelquefois. Encore peu sûrs
de leur valeur, on a ainsi vu les jeunes romantiques royalistes de 1820 parader à la Société des
Bonnes-Lettres et dans les salons du faubourg Saint-Germain. Alfred de Vigny, par exemple, fait
des lectures poétiques dans le salon de la comtesse de Baraguey d’Hilliers pour assurer la
promotion d’Éloa (voir Sophie Marchal, « Les salons et le clientélisme littéraire : le cas Vigny »,
art. cit.).
284. La lecture par Musset de ses Contes d’Espagne et d’Italie, à l’Arsenal, constitue une
exception, puisque Musset, se souvient Dumas, « au lieu de lire quelques pièces, lut tout le
volume » (Alexandre Dumas, Mes mémoires, op. cit., t. II, p. 521).
285. « Les poètes se réunissent pour se lire leurs vers et se faire part mutuellement de leurs plus
fraîches prémices », écrit Sainte-Beuve dans son grand article sur les « Soirées littéraires », art. cit.
286. Pierre Bourdieu, « Les rites d’institution », dans Langage et pouvoir symbolique, Paris,
Seuil, coll. « Points », 2001, p. 175-186.
287. Alain Viala, « Préface » de Pierre Rajotte (dir.), Lieux et réseaux de sociabilité littéraire au
Québec, Québec, Nota Bene, 2001, p. 9.
288. « J’entends encore, comme si j’y étais, Victor Hugo émettre sur son art les théories dont je
retrouvai plus tard le développement dans la préface de Cromwell », se souvient Amaury-Duval
(Souvenirs, Plon, 1885, p. 17). La scène se passe chez Nodier. Autre souvenir, celui de Sainte-
Beuve : la lecture, cette fois, se déroule au foyer de l’auteur : « Chez Victor Hugo, un soir que
celui-ci nous lisait la Préface de Cromwell, Chênedollé avait écouté en silence avec une admiration
qui m’avait paru un peu étonnée. » (Chateaubriand et son groupe littéraire sous l’Empire : cours
professé à Liége en 1848-1849, Paris, Garnier frères, 1861, p. 251).
289. Ferdinand-Jean Denis, Journal (1829-1848), éd. Pierre Moreau, Fribourg, Hess / Paris,
Plon, 1932, p. 40.
290. Lettre de Gérard de Nerval à Sainte-Beuve de 1832, dans Œuvres complètes, éd. Claude
Pichois, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, t. I, p. 1285.
291. Sainte-Beuve, « Aloïsius Bertrand », La Revue des deux Mondes, 24 juillet 1842, repris
dans Portraits littéraires, éd. Gérald Antoine, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1993,
p. 590.
292. Victor Pavie, Œuvres choisies, op. cit., p. 147.
293. Adèle Hugo, Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, Paris, Plon, coll. « Les Mémorables »,
1985 (1863), p. 430. On y apprend au passage que les poésies de Joseph Delorme ont été lues dans
le salon de Victor Hugo.
294. Ibid.
295. Ibid.
296. Ibid.
297. Édouard Turquety est né à Rennes le 21 mai 1807 et mort à Paris en 1867. Dans la lignée
de Lamartine, il passe du romantisme lyrique, dans ses Esquisses poétiques de 1829, à la poésie
religieuse, mais de manière plus fervente et complète que chez l’auteur des Harmonies, et que
Laprade après lui.
298. Émile Souvestre, « Souvenir. Un nouveau poète », Le Lycée armoricain, 1829, vol. 14,
p. 315-321.
299. Frédéric Saulnier, La vie d’un poète. Édouard Turquety (1807-1867), Paris, J. Gervais ;
Nantes, E. Grimaud, 1885, p. 91.
300. Anne Martin-Fugier, La Vie élégante, op. cit., p. 169.
301. Lettre de Hugo de juin 1829, citée par Frédéric Saulnier, La vie d’un poète, op. cit., p. 67.
302. Lettre d’Édouard Turquety à sa mère du mercredi 1er juillet 1829 (ibid., p. 71).
303. Lettre d’Émile Deschamps de juillet 1829 (ibid., p. 72).
304. Lettre de Turquety à sa mère du 19 juillet 1829 (ibid., p. 82). Après moult tergiversations,
Turquety publiera finalement son recueil, contre l’avis de ses amis, sans préface.
305. Louis-Xavier de Ricard, Petits mémoires d’un Parnassien, éd. Michael Pakenham, Paris,
Lettres modernes, coll. « Avant-siècle », 1967, p. 90.
306. Henri de Régnier, Cahiers inédits, op. cit., p. 400 (août 1894).
307. Fidus [Robert de La Sizeranne], « Silhouettes contemporaines : M. Louis Bertrand », Revue
des deux Mondes, 15 juin 1921, p. 801.
308. Sully Prudhomme, Testament poétique, Paris, Lemerre, 1901, p. 22.
309. Julia Daudet, Souvenirs autour d’un groupe littéraire, op. cit., p. 37.
310. Henri de Régnier, Les Cahiers inédits, op. cit., p. 155.
311. Lettre de Charles Baudelaire à Catulle Mendès du 3 septembre 1865 (Correspondance, éd.
Claude Pichois, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1973, t. II, p. 526). Ces
lectures, organisées par Mendès (fondateur de La Revue fantaisiste) étaient chapeautées par
Leconte de Lisle.
312. Louis Ulbach [article nécrologique], Paris-Magazine, 8 septembre 1867 (cité par Graham
Robb, La poésie de Baudelaire et la poésie française 1838-1852, Paris, Aubier, 1993, p. 91).
313. Théophile Gautier, « Charles Baudelaire » (Notice précédant Les Fleurs du mal, Paris,
Michel Lévy Frères, 1868, p. 1-2).
314. Paul Alexis et Émile Zola, Émile Zola. Notes d’un ami. Avec des vers inédits d’Émile Zola,
préface de René-Pierre Colin, Paris, Maisonneuve & Larose, 2001 (1882), p. 184.
315. Ibid.
316. Edmond de Goncourt y sacrifie parfois, comme le 6 avril 1881, lorsqu’il choisit le
logement de son ami De Nittis pour lire La Faustin en présence des couples Zola, Daudet,
Charpentier et Heredia.
317. Edmond et Jules de Goncourt, Journal, éd. Robert Ricatte, op. cit., t. II, p. 720
(17 décembre 1876).
318. « Rimbaud, qui n’avait presque pas été au théâtre, ni reçu aucun enseignement de la
diction, lisait ses vers sans emphase et sans éclats de voix, avec quelque chose de convulsif, ainsi
qu’un enfant qui raconte un gros chagrin, dans une sorte de hâte », témoigne Ernest Delahaye
(« Étude sur Arthur Rimbaud », Le Sagittaire, août 1900).
319. Épisode narré par Rodolphe Darzens dans la préface du Reliquaire (1891). Jean-Jacques
Lefrère, dans sa biographie d’Arthur Rimbaud (Fayard, 2001, p. 397) en propose une version
remaniée que nous citons.
320. Laurent Tailhade, Quelques fantômes de jadis, Paris, L’Édition française illustrée, 1920,
p. 145.
321. Edmond Bonniot, « Les Mardis de Mallarmé », Les Marges, 10 janvier 1936, p. 113.
322. Si l’on se réfère aux notes du Livre, la lecture aurait dû assembler un petit nombre
d’assistants et, parmi eux, le Lecteur, ou opérateur de la cérémonie, c’est-à-dire Mallarmé lui-
même ; celui-ci aurait tiré d’un ensemble de vingt volumes des textes qu’il aurait lus et commentés
au cours de la soirée, distribuée en deux parties d’une heure environ, séparées par un entracte.
Ainsi Mallarmé concevait-il ses « Séances d’interprétation du Livre », plus rêvées, on l’aura
compris, que réalisables. (Voir Jacques Scherer, Le « Livre » de Mallarmé, Paris, Gallimard, 1978,
et Patrick Besnier, Mallarmé, le théâtre de la rue de Rome, Paris, Éditions du Limon, 1998, p. 74.)
323. Certains cénacles moins structurés que les autres s’en rapprochent davantage – on songe au
Cercle zutique – qui ne parviennent pas à s’imposer dans le champ en raison de leur inorganisation
interne : la cohésion, exclusivement négative, les fait tenir quelques mois, mais guère au-delà.
troisième partie Le cénacle en mouvement
1. Charles Baudelaire, « Conseils aux jeunes littérateurs », L’Esprit public, 15 avril 1846, repris
dans Écrits sur la Littérature, éd. Jean-Luc Steinmetz, Paris, Le livre de poche, coll.
« Classiques », 2005, p. 79.
2. Honoré de Balzac, Illusions perdues, dans La Comédie humaine, éd. Pierre-Georges Castex,
Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1977 (1839), t. V, p. 320.
3. Edmond et Jules de Goncourt, « Préface » dans Journal. Mémoires de la vie littéraire, éd.
Robert Ricatte, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1989, t. I, p. XLII.
4. Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique. Tome I : Théorie des ensembles pratiques,
Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1960.
5. On se réfère ici au compte rendu qu’en donnent Didier Anzieu et Jacques-Yves Martin dans
La Dynamique des groupes restreints, Paris, P.U.F., coll. « Le psychologue », 1979, p. 24.
6. Jacques Chevallier, « L’analyse institutionnelle », dans L’Institution, Paris, P.U.F., 1981,
p. 60.
7. Michael P. Farrell, Collaborative Circles. Friendship Dynamics and Creative Work, Chicago,
Chicago University Press, 2001. Par collaborative circle, il faut entendre un groupe primaire
(primary group) de pairs qui partagent des préoccupations similaires et qui, au cours de périodes
longues de dialogue et de collaboration, négocient une vision commune qui guide leur travail.
8. Rémy Ponton, « Programme esthétique et accumulation de capital symbolique. L’exemple du
Parnasse », Revue française de sociologie, t. 14, n° 3, 1973, p. 202-220 ; Joseph Jurt, « Les
mécanismes de constitution de groupes littéraires : l’exemple du symbolisme », Neophilologus,
n° 70, 1986, p. 20-33.
9. Maria Rogers recourt à des subdivisions plus conventionnelles dans son étude de cas sur le
groupe des Batignolles : « nucléaire », « maturation », « dissension », « désintégration » (Maria
Rogers, « The Batignolles Group : Creators of Impressionism », dans Milton C. Albrecht, James H.
Barnett et Mason Griff (dir.), The Sociology of Art and Literature, New York, Praeger Publishers,
1970, p. 194-220). Ce sont ces subdivisions, conjuguées aux propositions de Ponton, qui ont
vraisemblablement inspiré Bourdieu pour la rédaction de son chapitre consacré à la « formation et
dissolution des groupes » dans Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris,
Seuil, coll. « Points Essais », 1998 (1992), p. 439-440.
10. Sainte-Beuve, « Chateaubriand jugé par un ami intime en 1803 », Le Constitutionnel, 21 et
22 juillet 1862, repris dans Pour la critique, éd. Annie Prassoloff et José-Luis Diaz, Paris,
Gallimard, coll. « Folio Essais », 1992, p. 152.
11. Théophile Dondey, Lettre inédite de Philothée O’Neddy sur le groupe littéraire romantique
dit des Bousingos, Bassac, Plein Chant, 1993 (1862), p. 14.
12. Christophe Charle, « Champ littéraire et champ du pouvoir, les écrivains et l’affaire
Dreyfus », Annales (ESC), n° 2, mars-avril 1977, p. 240-264.
13. Sainte-Beuve, « À Madame Tastu », dans Poésies complètes (Pensées d’août), Paris,
Charpentier, 1890 (1837), p. 328.
14. Pierre Nora, « La génération », dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris,
Gallimard, coll. « Quarto », 1997, t. II, p. 2981.
15. Sainte-Beuve, « Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme. Deuxième édition », Le Globe,
4 novembre 1830, cité dans Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme, éd. Jean-Pierre Bertrand et
Anthony Glinoer, Paris, Bartillat, 2004, p. 266.
16. Sainte-Beuve, « Théodore Jouffroy » dans Portraits littéraires, repris dans Œuvres, éd.
M. Leroy, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1949, t. I, p. 915.
17. Théodore Jouffroy, « Comment les dogmes finissent », dans Mélanges philosophiques,
Paris, Paulin, 1833, p. 20.
18. Victor Hugo, « Préface » d’Hernani (1830), éd. Jacques Seebacher (dir.), Paris, Robert
Laffont, coll. « Bouquins », 1995, p. 541.
19. Pierre Barbéris, Le Monde de Balzac, Paris, Arthaud, 1973, p. 485.
20. L’âge biologique n’est pas tout dans cette jeunesse-là, et ce serait plutôt d’âge artistique qu’il
faudrait parler à la manière de Pierre Bourdieu qui voyait justement les agents et les institutions « à
la fois contemporains et temporellement discordants » (Pierre Bourdieu, Les règles de l’art, op.
cit., p. 263) dans le champ de luttes où ils sont engagés. Quoiqu’en synchronie, écrivains,
mouvements et institutions appartiennent à des temps différents, l’ancienneté ne se calculant plus
par la génération mais par le mode de production artistique et par le degré de consécration, celui-ci
déterminant tendanciellement celui-là. L’âge artistique d’un auteur, mais aussi d’une œuvre, se
mesure en définitive à la position que le champ littéraire leur assigne dans son espace-temps
particulier.
21. Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, éd. Daniel Grojnowski, Vanves, Thot, 1982,
p. 76.
22. Restent ceux, parmi les adeptes de la notion de génération, qui en font après Mannheim un
usage moins mécanique et ne l’identifient pas nécessairement à une cohorte, mais plutôt à ce que
celui-ci appelle une « location sociale » (Karl Mannheim, Le Problème des générations, trad.
Gérard Mauger et Nia Perivaropoulou, Paris, Nathan, 1990 [1928]). C’est le parti choisi par James
S. Allen dans un article au titre évocateur, « Y a-t-il eu une “génération romantique de 1830” ? »,
Romantisme, n°s 28-29, 1980, p. 103-118.
23. Rémy Ponton, Le Champ littéraire en France, de 1865 à 1905 (recrutement des écrivains,
structure des carrières et production des œuvres), thèse présentée à l’École des Hautes Études en
Sciences sociales, 1977.
24. Joseph Jurt, « Les mécanismes de constitution de groupes littéraires : l’exemple du
symbolisme », art. cit. ; Rémy Ponton, Le Champ littéraire en France, de 1865 à 1905, op. cit. ;
Christophe Charle, La Crise littéraire à l’époque du naturalisme. Roman, théâtre et politique.
Essai d’histoire sociale des groupes et des genres littéraires, Paris, Presses de l’École Normale
Supérieure, 1979 ; Norbert Bandier, Sociologie du surréalisme, Paris, La Dispute, 1999.
25. Voir pour l’analyse détaillée : Björn-Olav Dozo et Anthony Glinoer, « Groupe, cénacle,
mouvance : essai de sociologie quantitative des Jeunes-France », Les Cahiers du xixe siècle, n° 3-4,
2008-2009, p. 37-60.
26. La population a été divisée selon un classement décennal « aveugle » en « classes d’âge »
afin de neutraliser et d’objectiver sans l’abandonner l’opérateur générationnel.
27. Edmond et Jules de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire, éd. Robert Ricatte,
Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1989, t. II, p. 1198 (15 novembre 1885).
28. Henri de Régnier, Les Cahiers inédits. 1887-1936, éd. David J. Niederauer et François
Broche, Paris, Pygmalion/Gérard Watelet, 2002, p. 107 (décembre 1887).
29. « C’est une femme très aimable, très instruite, dit Sainte-Beuve à propos de l’épouse de
Lamartine, mais une femme du monde » (dans Juste Olivier, Paris en 1830. Journal, éd. André
Delattre et Marc Denkinger, Paris, Mercure de France, 1941, p. 211 [22 juillet 1830]).
30. « Quelquefois faisait une rapide entrée, ganté de lilas cuir, le comte Robert de Montesquiou-
Fezensac, dont Heredia, je ne sais pourquoi, n’avait pas horreur. […] Avec une arrogance
singulièrement déplaisante, cambré dans l’élancement un tant soit peu mièvre, de sa taille fine, au
beau milieu du salon, il élevait d’un ton sec et saccadé des propos arrogants qui se voulaient
dédaigneux, coupant le cours des conversations simples, ou subtiles, qui faisaient autour de
Heredia, l’atmosphère si bienfaisante, si agréable ; puis, après s’être efforcé à des paradoxes plus
ou moins bien travaillés, il se retirait avec autant d’apparat qu’on l’avait vu entrer. » (André
Fontainas, « Physionomie des samedis de José-Maria de Heredia », Le Figaro, 1er mars 1930, p. 5).
31. Edmond et Jules de Goncourt, Journal, op. cit., t. III, p. 263 (28 avril 1889).
32. Et poursuit : « Nous sommes un certain nombre qui aimons une chose honnie [la poésie] : il
est bon qu’on se compte, voilà tout, et qu’on se connaisse, que les associés se lisent et que les
voyageurs se voient. » (Lettre de Stéphane Mallarmé à Frédéric Mistral du 1er novembre 1873,
dans Correspondance, éd. Henri Mondor et Lloyd James Austin, Paris, Gallimard, 1970, t. II,
p. 40-41.)
33. Le cas de l’éditeur littéraire est particulier : c’est chez Tardieu qu’a lieu le sabordage de La
Muse française dont il était l’éditeur ; l’éditeur du Globe et de l’Histoire de la peinture en Italie de
Stendhal, Philibert Auguste Sautelet, est un invité constant du Grenier d’Étienne Delécluze ;
Eugène Renduel a sans doute été le plus introduit des éditeurs romantiques : il est de la « Fête des
Truands » que Dumas organise, il fréquente Nerval et dîne chez Hugo. Plus tard, la relation sera
plus organique encore entre Lemerre et les Parnassiens puis entre Vanier et les symbolistes
(Anthony Glinoer, « L’auteur chez l’éditeur, et vice versa : la naissance d’espaces conjoints à
l’époque romantique », dans Marie-Pier Luneau et Josée Vincent (dir.), La Fabrication de l’auteur,
Sainte-Foy, Nota Bene, 2010, p. 109-121).
34. Sainte-Beuve, « Le Cénacle », dans Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme, op. cit.,
p. 105.
35. Théophile Gautier, Histoire du Romantisme suivi de Quarante portraits romantiques, éd.
Adrien Goetz, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Classique », 2011, p. 413.
36. L’Hommage à Delacroix (1865) est un bon exemple de cette confraternité des arts. Cette
toile regroupe, Delacroix excepté, dix personnages : sept artistes (Fantin, Whistler, Legros, Manet,
Balleroy, Bracquemond, Cordier) et trois écrivains (Champfleury, Duranty et Baudelaire).
37. Voir José-Luis Diaz, « L’artiste romantique en perspective », Romantisme, n° 54, 1986, p. 5-
23.
38. Nathalie Heinich, L’Élite artiste, op. cit., p. 124.
39. C’est ce que l’on peut observer par exemple dans le salon de Mme Sabatier, cercle de peintres
que rallient peu à peu des écrivains aux attitudes et propos d’une liberté toujours plus grande.
40. Sur cette « toile-manifeste » et la « fraternité artistique » dont elle est le signe, voir
Christophe Leribault (dir.), Fantin-Latour, Manet, Baudelaire. L’Hommage à Delacroix, Paris,
Musée du Louvre & Le Passage Paris-New-York Editions, 2011.
41. Francis Jourdain, Sans remords ni rancune. Souvenirs épars d’un vieil homme, Paris, Corrêa,
1953, p. 167-168.
42. Nathalie Heinich, L’Élite artiste, op. cit. (Partie II : « Comment être plusieurs quand on est
singuliers », p. 131-197).
43. Francesco Alberoni, Genesis. Mouvements et Institutions, trad. Raymonde Coudert, Paris,
Ramsay, 1992, p. 53.
44. Lettre d’Émile Zola à Jean-Baptistin Baille de juillet 1860, dans Correspondance, éd.
Colette Becker et Clive Thomson, Montréal, Presses de l’Université de Montréal / Paris, C.N.R.S.,
1978, t. I, p. 207. Au même moment (1859), Fantin-Latour fonde avec Whistler et Legros la
Société des Trois, association amicale très comparable, tant du point de vue des moyens (entraide
et solidarité) que des fins (refus de l’académisme, quête de pureté), à celle de Zola et Cézanne
(voir Marie-Pierre Salé, « Fantin, Legros, Whistler : la Société des Trois », dans Fantin-Latour, op.
cit., p. 13-28).
45. Jacques Dubois, L’Institution de la littérature. Introduction à une sociologie, Bruxelles,
Labor/Nathan, coll. « Dossiers Média », 1986 (1978), p. 90.
46. Ce rêve phalanstérien s’exprime de manière très évidente dans l’Appel du groupe de
l’Abbaye : « Fonder hors la ville notre abbaye ; un refuge de l’Art, de la Pensée, loin de
l’utilitarisme, des appétits des luttes économiques, tout comme l’abbaye du Moyen-Âge fut un
refuge, loin des guerres féodales […]. En somme, réaliser à quelques-uns une libre Villa Médicis,
dont les hôtes, sans le joug d’une erreur officielle, travailleraient en toute paix, communiant dans
leurs enthousiasmes, unissant leurs besoins, associant leurs ressources. » (René Arcos, Georges
Duhamel, Albert Gleizes et Charles Messager [dit Vildrac], Prospectus de l’« Appel de 1906 »,
repris dans Christian Sénéchal, L’Abbaye de Créteil, Paris, Librairie André Delpeuch, 1930,
p. 141.)
47. Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art, op. cit., p. 440.
48. Michael P. Farrell, Collaborative Circles, op. cit.
49. Albert Mockel et Francis Vielé-Griffin, Correspondance 1890-1937, éd. Victor Martin-
Schmets, Bruxelles, Académie royale de Langue et de Littérature françaises, coll. « Histoire
littéraire », 2002, p. 351.
50. Plusieurs blagues à son propos ont été rapportées par Guttinguer dans ses Mémoires inédits
(voir Léon Séché, Le cénacle de la Muse française, Paris, Mercure de France, 1908, p. 241 et
p. 246). L’intéressé avait visiblement conscience d’être le bouc-émissaire du groupe, à lire ces
deux vers de son pamphlet Encore un mot. Satire crue : « Mais Hugo, furieux, m’accuse d’ineptie /
Nodier va, contre moi, fulminer l’interdit. » (Paris, Pélicier, 1826, p. 24).
51. Lettre de Sainte-Beuve à Victor Hugo du 25 octobre 1829, dans Victor Hugo et Sainte-
Beuve, Correspondance, éd. Anthony Glinoer, Paris, Champion, coll. « Bibliothèque des
correspondances, mémoires et journaux », 2004, p. 63.
52. Lettre de Stéphane Mallarmé à Émile Verhaeren du 23 février 1897, dans Correspondance,
éd. Henri Mondor et Lloyd James Austin, Paris, Gallimard, 1981, t. IX, p. 82.
53. Voir Denis Saint-Amand, « François Coppée ou les inimitiés électives », COnTEXTES,
26 mai 2009, http://contextes.revues.org/index4328.html.
54. Philothée O’Neddy, « Pandæmonium », dans Feu et flamme, éd. Marcel Hervier, Paris, Les
Presses Françaises, coll. « Bibliothèque romantique », 1926, p. 8.
55. Arsène Houssaye, Les Confessions : souvenirs d’un demi-siècle. 1830-1880, Paris, Dentu,
1885, t. I, p. 304.
56. [Paul Bonnetain, J.-H. Rosny, Lucien Descaves, Paul Margueritte et Gustave Guiches],
Manifeste des Cinq, Le Figaro, 18 août 1887.
57. Honoré Balzac, Illusions perdues, dans La Comédie humaine, op. cit., t. V, p. 320.
58. Norbert Élias parle de « valences affectives » dans Qu’est-ce que la sociologie ?, trad.
Yasmin Hoffmann, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 1991 (1970), p. 167.
59. Paul Alexis et Émile Zola, Émile Zola. Notes d’un ami. Avec des vers inédits d’Émile Zola,
préface de René-Pierre Colin, Paris, Maisonneuve & Larose, 2001 (1882), p. 183.
60. Maria Rogers, « The Batignolles Group : Creators of Impressionism », art. cit.
61. David Roe, « Charles-Louis Philippe et le groupe de Carnetin », Bulletin des amis de
Jacques Rivière et d’Alain Fournier, n° 117, Viroflay, AJRAF, 2007, p. 85.
62. Lettre de Charles Nodier à Charles Weiss du 12 mars 1802 (Correspondance de jeunesse, éd.
Jacques-Remi Dahan, Genève, Droz, 1995, t. I, p. 178).
63. Lettre de Stéphane Mallarmé à Émile Verhaeren du 20 janvier 1888, dans Correspondance,
op. cit., t. III, p. 165).
64. Lettre de Stéphane Mallarmé à René Ghil d’avril 1894 : « Nous différions, en causant,
parfois, du détail ; mais l’effet d’ensemble ne vaut-il pas tout ? » (ibid., t. VI, p. 251.)
65. Lettre de Stéphane Mallarmé à Henri de Régnier du 29 juillet 1891 (ibid., t. IV, p. 315).
66. Lettre de Stéphane Mallarmé à Paul Verlaine du 16 novembre 1885 (ibid., t. II, p. 303 ;
notice biographique fournie par Mallarmé à la demande de Verlaine pour ses Poètes maudits).
67. Camille Mauclair, Eleusis. Causeries sur la cité intérieure, Paris, Perrin, 1894, p. 188-189.
68. La formule est de Mallarmé, qui craint de ne pas avoir assez d’exemplaires de Pages pour
ses amis (Lettre de Stéphane Mallarmé à Edmond Deman du 8 avril 1891, dans Correspondance,
op. cit., t. IV, p. 237).
69. Depuis l’avènement du romantisme, l’amour est vécu essentiellement sur le mode exclusif et
fusionnel. Il en va de même pour l’amitié. L’amitié, en régime romantique, change de nature :
assise jusqu’alors sur les bases d’une sympathie ou d’une affection réciproques (les « affinités »),
la voici qui, sous l’influence du sentiment qui se répand sur toute l’Europe à la fin du xviiie siècle,
déborde ce cadre et devient larmoyante, passionnée, jalouse. Entre écrivains, les termes utilisés
pour exprimer l’amitié tombe immanquablement dans le registre théologico-amoureux. Elle relève,
dans sa pratique comme dans son discours (quand bien même il y aurait parfois surinvestissement
fantasmatique), de la « pensée magique ». Dans les correspondances entre les écrivains
romantiques, les « je vous aime » sont monnaie courante. Lorsque Sainte-Beuve écrit à Hugo le
21 août 1833 que son amitié avec lui fut « idéale, religieuse, désintéressée, indépendante du temps
et de l’espace, de la vue et de la parole », on comprend que l’amitié est désormais totalement
investie par l’amour (Victor Hugo et Sainte-Beuve, Correspondance, op. cit., p. 177).
70. « De la conceptualisation poétique à la vie littéraire : l’histoire d’un cénacle avorté. Exemple
du groupe Bouilhet, Colet, Du Camp et Flaubert. (1846-1854) », communication de Thierry Poyet
au colloque La poésie du milieu du xixe siècle : une poésie entre deux générations ?, Université de
Clermont-Ferrand, 12-14 novembre 2008.
71. Jean-Pierre Bertrand, « De l’amitié littéraire : Laforgue et Kahn, ou la naissance d’une
clique », dans Sophie Basch (dir.), Gustave Kahn (1859-1936), Paris, Garnier, 2009, p. 343-372.
72. C’est le titre d’un ouvrage de Firmin Maillard paru en 1905.
73. Jean-Pierre Vernant, Entre mythe et politique, Paris, Seuil, 1996, p. 17.
74. Par rapport à cette conception large de l’amitié en communauté, les hiérarchies qu’établit un
Francesco Alberoni (L’Amitié, Paris, Pocket, 1995) entre solidarité collective, relations
professionnelles et sympathie amicale constituent plutôt une régression conceptuelle : lorsqu’il
soutient que « ce n’est pas un groupe d’amis qui fonde un mouvement », que c’est au contraire
« dans le mouvement qu’ensuite se constituent les amis » (Francesco Alberoni, Genesis,
Mouvements et Institutions, op. cit., p. 157), Alberoni oublie qu’un mouvement peut se constituer
par capillarité au départ de relations binaires existantes et que des amitiés peuvent lui survivre,
comme celle de Gautier et Nerval après le Petit Cénacle et le Doyenné. Un cénacle ne se tisse pas
simplement sur une communauté d’idéologie : pour exister et persister comme communauté
humaine, sans cesser d’être un groupe de pression, le cénacle ne peut se contenter de relations de
surface ; à la confraternité doit s’ajouter la fraternité. Établir une solution de continuité entre une
amitié absolue et une fraternité restreinte revient soit à pérorer sur des questions terminologiques,
soit à refuser ce qui fait pourtant une spécificité de l’expérience collective en formation.
75. Voir la démonstration de Balzac dans Illusions perdues (1839), reprise par Goncourt dans
Charles Demailly (1860).
76. Henry Murger, Les Buveurs d’eau, Paris, Michel Lévy, 1855, p. 79 (rééd. Genève, Slatkine,
1971).
77. Maria Rogers, « The Batignolles Group : Creators of Impressionism », art. cit., p. 201.
78. Verlaine n’a pas été le seul bénéficiaire de la générosité des Mardistes : Villiers de L’Isle-
Adam et Gauguin en ont aussi profité.
79. Vincent Laisney, L’Arsenal romantique. Le salon de Charles Nodier (1824-1834), Paris,
Champion, coll. « Romantisme et modernités », 2002, p. 400.
80. Alain Caillé, « Don et association », Revue du MAUSS, n° 11, 1998, p. 75.
81. « La prestation totale n’emporte pas seulement l’obligation de rendre les cadeaux reçus ;
mais elle en suppose deux autres aussi importantes : obligation d’en faire, d’une part, obligation
d’en recevoir, de l’autre » (Marcel Mauss, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les
sociétés archaïques », repris dans Sociologie et Anthropologie, Paris, P.U.F., coll. « Quadrige »,
2001 [1923-1924], p. 161).
82. Sur les rapports entre don et littérature, voir le dossier dirigé dans la revue en ligne
COnTEXTES par Björn-Olav Dozo et Anthony Glinoer (n° 5, mai 2009).
83. Pierre Bourdieu, « Un acte désintéressé est-il possible ? », dans Raisons pratiques, Paris,
Seuil, 1994, p. 164. Sur l’illusio (ou « croyance ») comme incorporation préréflexive par tout
agent social des « normes » implicites, des régularités et des lois constitutives de l’univers social
dans lequel il est inscrit autant que celui-ci est inscrit en lui sous la forme d’un habitus particulier,
voir aussi Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, coll. « Liber », 1997, p. 122-
123.
84. Pierre Bourdieu, Esquisse pour une auto-analyse, Paris, Raisons d’agir Éditions, coll.
« Cours et Travaux », 2004, p. 19.
85. Sainte-Beuve, « Chateaubriand jugé par un ami intime en 1803 », Le Constitutionnel,
21 juillet et 22 juillet 1862 (repris dans Sainte-Beuve, Pour la critique, op. cit., p. 154).
86. Victor-M. Hugo, « Sur Georges Gordon. Lord Byron », La Muse française, 12e livraison,
juin 1824, éd. Jules Marsan, Paris, Cornély, 1909, t. II, p. 298-299.
87. Lettre de Charles Nodier à Charles Weiss du 8 avril 1802, dans Charles Nodier,
Correspondance de jeunesse, op. cit., t. I, p. 190.
88. Henry Murger, Les Buveurs d’eau, op. cit., p. 49.
89. Lettre d’Émile Deschamps à Antoine de Latour du 21 juin 1867, dans Émile Deschamps,
Œuvres complètes, Paris, Lemerre, 1872, t. I, p. 303.
90. Lettre d’Alfred de Vigny à Victor Hugo du 4 août 1826, dans Alfred de Vigny,
Correspondance, éd. Madeleine Ambrière, Paris, P.U.F., 1989, t. I, p. 236.
91. Lettre de Sainte-Beuve à Victor Hugo du 21 août 1833, dans Victor Hugo et Sainte-Beuve,
Correspondance, op. cit., p. 177.
92. Edmond Géraud, Journal (25 juin 1824), cité dans Alfred de Vigny, Correspondance, op.
cit., t. I, p. 159, note 1.
93. De ce point de vue, la fortune du cénacle a sans doute quelque chose à voir avec la
fascination persistante des écrivains du xixe siècle (de Nodier à Judith Gautier en passant par
Ballanche, Eliphas Lévi, le Sâr Péladan, Stanislas de Guaita, Edouard Schuré et Hugo) pour les
doctrines ésotériques, occultistes, magiques, illuministes et spirites. Les sociétés secrètes, ayant
perdu leur acuité politique après la Révolution, tendent à verser dans les spéculations vagues de la
palingénésie ou de la poésie. Le mythe du cénacle rejoint ainsi celui de la chambre, du lieu clos et
sacré où se confondent le tombeau de Christian Rosenkreutz, l’habitat du Golem et la camera
obscura des mystiques.
94. Georg Simmel, Secret et sociétés secrètes, trad. Sibylle Muller, Strasbourg, Circé, 1991.
95. Sur cette notion, voir le dossier de la revue COnTEXTES, « Querelles d’écrivains (xixe-
e
xxi siècles) : de la dispute à la polémique. Médias, discours et enjeux », en particulier l’article de
José-Luis Diaz, « Le champ littéraire comme champ de bataille (1820-1850) », COnTEXTES,
n° 10, avril 2012, http://contextes.revues.org/index4903.html.
96. Edmond et Jules de Goncourt, Journal, op. cit., t. II, p. 678 (7 janvier 1876).
97. Sainte-Beuve, « Poètes modernes : Victor Hugo », Revue des deux Mondes, 1er août 1831,
repris dans Victor Hugo, Œuvres complètes, éd. Jean Massin, Paris, Le Club Français du Livre,
1967, t. II, p. 1067-1068. Les citations qui suivent y renvoient.
98. Lettre de Stéphane Mallarmé à Paul Valéry du 29 mars 1897, dans Correspondance, op. cit.,
t. IX, p. 119.
99. Lettre à sa mère du 9 juillet 1829, citée par Frédéric Saulnier, La vie d’un poète. Édouard
Turquety (1807-1867), Paris/Nantes, Jules Gervais/Émile Grimaud, 1885, p. 72.
100. Lettre de Victor Pavie à son père du 11 juillet 1827, dans André Pavie, Médaillons
romantiques, Paris, Émile-Paul, 1909, p. 47.
101. « Il y a deux mois que je passe mes journées au milieu [d’eux], que je vis avec eux, que je
mange leur lait et leur miel ; que je m’assieds sur leurs nattes » (Lettre de Charles Nodier à Charles
Weiss de fin mars 1802, dans Correspondance de jeunesse, op. cit., p. 185).
102. Paul Alexis, « Souvenirs sur Flaubert », Le Voltaire, 14 mai 1880.
103. Il n’y a jamais de totale solution de continuité entre salon et cénacle, comme le montrent
les cas hybrides des salons de Nina de Villard, de Rachilde et de Mme Sabatier.
104. Jules Troubat, « Le dîner Sainte-Beuve », Le Figaro, 26 avril 1879.
105. Paul Alexis et Émile Zola, Émile Zola. Notes d’un ami, op. cit., p. 184.
106. Camille Mauclair, Le Soleil des morts, repris par Guy Ducrey (dir.), dans Romans fin-de-
siècle, 1890-1900, éd. Guy Ducrey, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999, p. 877.
107. Note de Sainte-Beuve pour la réédition du portrait de Victor Hugo du 1er août 1831, reprise
dans Portraits contemporains, Paris, Calmann-Lévy, 1889, t. I, p. 410.
108. D’autres exemples en font foi : les invités des Mardis sont appelés les Mardistes, le
Maurice Quaï des Méditateurs est surnommé Agamemnon et Nodier Nodo Hierro par Victor
Hugo ; les Buveurs d’eau rebaptisent leur leader Christ, à l’Abbaye on parle des Thélémites. Les
membres du plus cénaculaire des groupes d’avant-garde, les Simplistes (futurs membres du Grand
Jeu), se débarrasseront aussi de leur nom de baptême, ces « pelures arbitraires ». Chacun des
« phrères » se choisit un nom en accord avec sa nature essentielle. Daumal se fait appeler Phils (ou
Nathaniel), Lecomte Coco de Childe (ou Rog Jarl), Vailland Dada, Meyrat la Stryge, Minet
Phrère Fluet (Michel Random, Le Grand Jeu. Les Enfants de Rimbaud le Voyant, Paris, Le Grand
Souffle, 2003, p. 35-36).
109. Sainte-Beuve, « Chronique littéraire », 1er mars 1833, repris dans Premiers lundis, Paris,
Michel Lévy frères, 1874, t. II, p. 181.
110. Cité par Vincent Laisney, L’Arsenal romantique, op. cit., p. 86-87. On trouvera d’autres
remarques similaires dans la précieuse étude de Georges Matoré, Le Vocabulaire et la société sous
Louis-Philippe, Genève, Slatkine, 1967, p. 64-77 et 113-120.
111. Sainte-Beuve, Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme, op. cit., p. 103.
112. Virginie Ancelot, « Le Salon de Charles Nodier à l’Arsenal », dans Les Salons de Paris.
Foyers éteints, Paris, Jules Tardieu, 1858, p. 137.
113. Henry Murger, Les Buveurs d’eau, op. cit., p. 48.
114. Sainte-Beuve, « Poètes modernes : Victor Hugo », Revue des deux Mondes, 1er août 1831,
repris dans Victor Hugo, Œuvres complètes, op. cit., t. II, p. 1067.
115. Émile Zola, « Les Poètes contemporains », paru en février 1878 dans Le Messager de
l’Europe, réédité dans Documents littéraires en 1881 et repris dans Le Parnasse, éd. Yann
Mortelette, Paris, Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, coll. « Mémoire de la critique », 2006,
p. 150.
116. Henry Murger, Les Buveurs d’eau, op. cit., p. 47.
117. Abel Pelletier, « La littérature de cénacle », La Revue indépendante, août 1891, p. 152.
118. « [Les admirateurs] parlent des Mardis avec enthousiasme. À les lire, on se figurerait qu’il
se pratiquait dans le salon de Mallarmé un culte tellement sublime que les profanes auraient été
réduits en poussière s’ils s’y fussent introduits. » (Adolphe Retté, Le Symbolisme. Anecdotes et
souvenirs, Paris, Messein, 1903, p. 20.)
119. Les candidatures volontaires ont peu de chance d’aboutir sans l’entremise d’un pair ou le
secours d’une œuvre.
120. Henry Murger, Scènes de la vie de bohème, éd. Sandrine Berthelot, Paris, GF Flammarion,
2012 (Chap. XII : « Une réception dans la bohème », p. 199-218).
121. « Il y avait, pour l’admission, ni cérémonie bizarre, ni engagements terribles, ni parade
d’emblèmes ridicules, comme on l’a dit alors et comme on l’a imprimé depuis pour trouver
matière à raillerie ; la mise en scène était au contraire fort simple, – simple à ce point que je m’en
étonne aujourd’hui en songeant à l’âge que nous avions alors » (Histoire de Mürger pour servir à
l’histoire de la vraie Bohème par trois Buveurs d’eau, éd. Jean-Didier Wagneur et Françoise
Cestor dans Les Bohèmes 1840-1870, Seyssel, Champ Vallon, 2012 [1862], p. 355).
122. Émile Souvestre, « Souvenir. – Un nouveau poète », Le Lycée armoricain, 1829, t. 14,
p. 317.
123. Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, op. cit., p. 208.
124. « La réception de Francis s’accomplit sans aucune des formalités ridicules dont il avait
entendu parler. On ne lui demanda aucun serment. » (Henry Murger, Les Buveurs d’eau, op. cit.,
p. 88.)
125. C’est Hugo, encore une fois déclinant l’invitation de Victor Pavie à clarifier sa pensée en
1827, refusant pour le moment de « poser les bases immuables du romantisme » (Lettre de Victor
Pavie à Victor Hugo du 18 décembre 1826, dans Victor Hugo, Œuvres complètes, op. cit., t. II,
p. 1520).
126. Sainte-Beuve, « Poètes modernes : Victor Hugo », art. cit., p. 1067.
127. Histoire de Mürger, op. cit., p. 354.
128. Lettre de Joseph Bouchardy à Théophile Gautier de 1857, publiée dans le chapitre « Le
Carton vert » de l’Histoire du romantisme, Le Bien Public, 1er mai 1872.
129. Whistler rejette Legros de la Société des Trois à cause de son impureté (il est grisé par son
succès londonien). « Dans le grand “Derby” de l’art », écrit-il à Fantin-Latour dans une lettre de
1865, « seuls en effet les “purs sangs” gagnent. » (Cité par Christophe Leribault [dir.], Fantin-
Latour, Manet, Baudelaire. L’Hommage à Delacroix, op. cit., p. 25.)
130. À noter que cette volonté de rester pur vire dans certains cas à l’austérité. Ainsi les Buveurs
d’eau, imitateurs du Cénacle de Balzac, poussent l’idéal de pureté jusqu’à consommer une boisson
qui symbolise cette transparence morale et esthétique : l’eau.
131. Celui-ci aura plus tard son cénacle : ce sera la société de la Butte, réunie vers 1887 dans
l’atelier de Jean Noro. Avec Clovis Hugues, Alfred Vallette, Édouard Dubus et d’autres, on y
récitait des vers, on y lisait des articles, on y discutait politique et littérature.
132. Sainte-Beuve, « Poètes modernes : Victor Hugo », art. cit., p. 1068.
133. Sainte-Beuve, « M. Étienne-Jean Delécluze », repris dans Nouveaux Lundis, Paris,
Calmann-Lévy, 1884, t. IV, p. 114.
134. Jacques Chevallier, « L’analyse institutionnelle », op. cit., p. 6.
135. Marc Fumaroli, Trois Institutions littéraires, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Histoire »,
1994.
136. Chez les Hébreux, le « nabi » est un prophète biblique, un homme inspiré par Yahvé.
137. Bernard Degout, Le Sablier retourné. Victor Hugo (1816-1824) et le débat sur le
« Romantisme », Paris, Champion, coll. « Romantisme et modernités », 1998.
138. Jules Marsan, La Bataille romantique, Paris, Hachette, 1912, 2 vol. ; René Bray,
Chronologie du romantisme (1804-1830), Paris, Boivin et cie, 1932.
139. « Préface » d’Hernani (9 mars 1830).
140. « Prospectus », La Tribune romantique, continuation de la Psyché, 1830, t. I, p. 7.
141. Victor Hugo, Actes et Paroles II, éd. Josette Archer, Paris, Robert Laffont, coll.
« Bouquins », 1985, p. 684.
142. « Ce fut dans cette période que furent inventées toutes les épithètes qui servirent si
commodément contre le Parnasse. Déjà impassibles, nous devînmes pires : nous fûmes des
fantaisistes, des formistes, des stylistes, que sais-je ? et, enfin, pour réunir toutes ces injures en une
seule, des parnassiens. » (Louis-Xavier de Ricard, « Le Parnasse et la critique contemporaine »,
dans Petits mémoires d’un Parnassien (1898-1901), éd. M. Pakenham, Paris, Lettres modernes,
coll. « Avant-siècle », 1967, p. 78).
143. Lettre de Paul Verlaine à Catulle Mendès du 31 août 1865, dans Correspondance générale,
éd. Michael Pakenham, Paris, Fayard, 2005, t. I, p. 90.
144. Champfleury, « Du réalisme. Lettre à Madame Sand », L’Artiste, septembre 1855, repris
dans Le réalisme, Paris, Michel Lévy Frères, 1857, p. 281.
145. Guy de Maupassant, « Souvenirs d’un an. Un après-midi chez Gustave Flaubert », Le
Gaulois, 23 août 1880, repris dans Chroniques. Anthologie, éd. Henri Mitterand, Paris, Le livre de
poche, coll. « La Pochothèque », 2008, p. 1197.
146. Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, op. cit., p. 113-114, 80, 131 et 158.
147. « Préface » de la deuxième édition de Thérèse Raquin (1868), dans Œuvres complètes, éd.
Colette Becker et Jean-Louis Cabanès, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2003, t. III, p. 31.
148. Émile Zola, « Causerie du Dimanche », Le Corsaire, décembre 1872, cité par Yves
Chevrel, Le Naturalisme. Étude d’un mouvement littéraire international, Paris, P.U.F., coll.
« Littératures modernes », 1982, p. 22.
149. Émile Zola, Le Roman expérimental, repris dans Œuvres complètes, éd. Henri Mitterand,
Paris, Cercle du livre précieux, 1969 (1880), t. X.
150. Reste une troisième logique, tout à fait marginale, qui consiste à adopter une dénomination
parodique (zutisme, je-m’en-foutisme) ou imperméable à toute doctrine et tournée vers la posture
collective (Hydropathes, Hirsutes, Buveurs d’eau) ; cette dernière logique coïncide mal avec la
pratique des cénacles, qui se prennent généralement au sérieux.
151. Antoine Fontaney, Journal intime, éd. René Jasinski, Paris, Les Presses Françaises, coll.
« Bibliothèque romantique », 1925, p. 138 (28 avril 1832).
152. Edmond et Jules de Goncourt, Journal, op. cit., t. II, p. 729 (19 février 1877).
153. Charles Baudelaire, « Puisque Réalisme il y a », repris dans Œuvres complètes, éd. Claude
Pichois, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1976, t. II, p. 57.
154. Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art, op. cit., p. 262.
155. Mallarmé poursuit : « deviner peu à peu ; le suggérer, voila le rêve » (Jules Huret, Enquête
sur l’évolution littéraire, op. cit., p. 77).
156. Respectivement : La Littérature de tout à l’heure (1889), le Traité du Narcisse (1891) et
Eleusis (1894).
157. À noter que le mot « manifeste » n’est à aucun moment employé par Moréas. « Un
manifeste littéraire » est un titre « rubrique » attribué par la rédaction du Figaro à un texte qu’elle
présente comme une commande à l’auteur : « [Moréas] a formulé, sur notre demande, pour les
lecteurs du Supplément, les principes fondamentaux de la nouvelle manifestation d’art. » (Le
Figaro. Supplément littéraire, 18 septembre 1886.)
158. Cette revue, écrit significativement Émile Deschamps à Hugo, n’aurait pour rédacteurs que
des romantiques « homogènes » tels Sainte-Beuve et Léon de Wailly, lettre d’avril 1828, citée par
Henri Girard, Un bourgeois dilettante à l’époque romantique. Émile Deschamps (1791-1871),
Paris, Champion, 1921, p. 136.
159. Céard avait sollicité la « littéraire amitié de votre collaboration » de Goncourt (lettre du
début octobre 1880, dans Edmond de Goncourt et Henry Céard, Correspondance inédite, éd. Colin
Burns, Paris, Nizet, 1965, p. 68).
160. L’expression est de Luc Badesco, dans La Génération poétique de 1860. La jeunesse des
deux rives, Paris, Nizet, 1971, 2 vol.
161. Lettre de Victor Hugo à Adolphe Trébuchet du 22 août 1823, dans Victor Hugo,
Correspondance familiale et écrits intimes, éd. Jean et Sheila Gaudon, Paris, Robert Laffont, coll.
« Bouquins », 1991, t. I, p. 544.
162. Il faut tenir compte ici de deux demi-exceptions : Documents sur le naturisme (1895-1897)
et La Revue naturiste (1897-1901) de Saint-Georges de Bouhélier et Maurice Le Blond.
163. Jean-Marie Domenach, « Entre le prophétique et le clérical », La Revue des revues, n° 1,
1986, p. 21-30.
164. Juste Olivier, Paris en 1830. Journal, op. cit., p. 207 (22 juillet 1830).
165. L’expression est de Sainte-Beuve dans un poème des Pensées d’août intitulé « À Madame
Tastu » et repris dans Poésies complètes, op. cit., p. 328-330.
166. Voir l’édition dirigée par François Brunet, Paris, Champion, 2001.
167. Pascal Durand, « La mort en partage ou L’autonomie fantasmée du champ poétique à la fin
du xixe siècle (à propos du Tombeau de Théophile Gautier, 1873) », Bon-à-tirer, n° 68,
septembre 2007, http://www.bon-a-tirer.com/volume68/pd.html.
168. « Nous n’avons pas la prétention d’être une école, écrit Maupassant. Nous sommes
simplement quelques amis qu’une admiration commune a fait se rencontrer chez Zola, et
qu’ensuite une affinité de tempéraments, des sentiments très semblables sur toutes choses, une
même tendance philosophique, ont liés de plus en plus. » Il raconte ensuite que « nous nous
trouvions réunis, l’été, chez Zola, dans sa propriété de Médan ». Ils y auraient passé de longues
journées ensemble, parlant, pêchant. La discussion venant sur les contes, Zola aurait proposé de se
« dire des histoires », ce que chacun aurait fait à son tour le soir. « Zola trouva ces récits curieux, et
nous proposa d’en faire un livre. Il va paraître. » (Guy de Maupassant, « Comment ce livre a été
fait », Le Gaulois, 17 avril 1880.)
169. Léon Deffoux et Émile Zavie, Le Groupe de Médan, Paris, Payot, 1920, p. 65.
170. À tel point que Maupassant, peu conséquent, écrit à Flaubert qu’il espère que son prochain
volume de vers « coupera court, en ce qui me concerne, à ces bêtises d’École Naturaliste qu’on
répète dans les journaux. Cela c’est la faute du titre Les Soirées de Médan – que j’ai toujours
trouvé mauvais et dangereux ». (Lettre écrite vers le 23 avril 1880, dans Correspondance de
Gustave Flaubert et de Guy de Maupassant, éd. Yvan Leclerc, Paris, Flammarion, 1993, p. 241.)
171. Fragment daté du 15 floréal an VIII/5 mai 1800, du journal tenu à Paris par Aglaé
Angliviel de la Beaumelle.
172. Lettre d’Édouard Turquety à sa mère du 15 juillet 1829, dans Frédéric Saulnier, La Vie d’un
poète. Édouard Turquety (1807-1867), op. cit., p. 73.
173. Cité ibid., p. 74-75.
174. Louis-Xavier de Ricard, Petits mémoires d’un Parnassien, op. cit., p. 91.
175. Sainte-Beuve, « Poètes modernes : Victor Hugo », art. cit., p. 1067.
176. Lettre d’Auguste Brizeux à Alfred de Vigny du 11 octobre 1829, dans Alfred de Vigny,
Correspondance, op. cit., t. I, p. 365.
177. Lettre d’Alfred de Vigny à Victor Hugo du 27 octobre 1829, ibid., p. 375.
178. Cité par Yann Mortelette, Histoire du Parnasse, Paris, Fayard, 2005, p. 228.
179. « La soirée du Vingt Juin fera époque dans notre existence », y écrit-il (cité ibid., p. 227).
180. « Tout le monde était égal dans le Temple, depuis le bachelier qui vient de terminer sa
rhétorique, jusqu’au penseur qui a exploré tous les systèmes philosophiques » (Champfleury,
Souvenirs et portraits de jeunesse, Paris, Dentu, 1872, p. 188).
181. José-Luis Diaz, « Quand le maître devient chef d’école… », Romantisme, n° 122, 2003,
p. 7-17.
182. Théophile Gautier, Histoire du Romantisme, op. cit., p. 73.
183. Émile Deschamps, « Une soirée en 1775 », repris dans Œuvres complètes, op. cit., t. III,
p. 21.
184. Écoutons Lamartine à son propos : « Écrivain exquis, improvisateur léger, quand il était
debout, poète pathétique, quand il s’asseyait, véritable pendant en homme de Mme de Girardin en
femme, seul capable de donner la réplique aux femmes de cour, aux femmes d’esprit, comme aux
hommes de génie » (Alphonse de Lamartine, Souvenirs et portraits, cité par Henry Girard, Un
bourgeois dilettante à l’époque romantique, op. cit., p. 106).
185. Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, Paris, Plon, coll. « Les Mémorables », 1985 (1863),
p. 643.
186. Lettre de Charles Nodier à Victor Hugo du 20 ou 25 septembre 1825, dans Correspondance
croisée de Victor Hugo et de Charles Nodier, éd. Jacques-Remi Dahan, Bassac, Plein chant, coll.
« L’atelier furtif », 1987, p. 54.
187. Voir Maupassant s’amusant de ce que l’on pourrait écrire un livre sur « L’Académie
française ou Le jeu de la mort et des quarante vieillards » ou encore mésestimant la Société des
gens de lettres réduite à « une association de gens qui écrivent bien ou mal, souvent mal et
quelquefois bien, et qui se sont associés pour tirer tout le profit possible de leurs œuvres et
empêcher le pillage littéraire, si facile et si constant. C’est donc uniquement une réunion d’intérêts
pécuniaires, une réunion de marchands de prose ou de vers, une réunion de commerçants qui
mettent en commun, pour l’exploiter, un fonds ayant une valeur mercantile. » (Guy de
Maupassant, « Les académies », Gil Blas, 23 décembre 1884, repris dans Chroniques. Anthologie,
op. cit., p. 246-247.)
188. Milan Kundera, L’Immortalité, trad. Eva Bloch, Paris, Gallimard, coll. « Folio »,
1993, p. 100.
189. Rémy Ponton, « Programme esthétique et accumulation du capital symbolique. L’exemple
du Parnasse », art. cit., p. 208.
190. Max Weber, « La domination charismatique », dans Économie et société, Paris, Pocket,
coll. « Agora », 1995, t. I, p. 320-325. Voir aussi Pierre Bourdieu, « Une interprétation de la théorie
de la religion selon Max Weber », Archives européennes de sociologie, vol. I, 1971, p. 3-21.
191. Il est possible cependant de sociologiser la légitimité charismatique en faisant du discours
et de la personne prophétique non plus les produits d’un acte de reconnaissance mais un emblème
capable d’agir comme une force mobilisatrice (Pierre Bourdieu, « Une interprétation de la théorie
de la religion selon Max Weber », art. cit.).
192. Théophile Gautier, Histoire du Romantisme, op. cit., p. 67.
193. Paul Bourget, « Parnassiana », Le Parlement, 26 février 1880, repris dans Le Parnasse, op.
cit., p. 159.
194. Camille Mauclair, Mallarmé chez lui, Paris, Grasset, 1935, p. 15.
195. André Fontainas, Mes Souvenirs du symbolisme, Paris, Éditions de la Nouvelle Revue
critique, 1928, p. 213 (rééd. Bruxelles, Labor, 2000, p. 188).
196. Henri de Régnier, Les Cahiers inédits, op. cit., p. 269 (octobre 1891).
197. Fernand Gregh, L’Âge d’or, souvenirs d’enfance et de jeunesse, Paris, Grasset, 1947,
p. 237.
198. « On ne pouvait pas dire qu’il fût antipathique, et cependant on n’était pas attiré vers lui. »
(Antoine Albalat, Souvenirs de la vie littéraire, Paris, Armand Colin, coll. « L’Ancien et le
Nouveau », 1993 [1920], p. 40.)
199. « Il était aussi un peu bègue, mais savait tirer parti de ce défaut pour scander
admirablement ses vers et en détacher les mots essentiels avec une tonitruante majesté. » (Camille
Mauclair, Servitude et grandeur littéraires, Paris, Ollendorff, 1922, p. 89.)
200. Cité par André Pavie, Médaillons romantiques, op. cit., p. 39.
201. Camille Mauclair, Le Soleil des morts, op. cit., p. 876.
202. Charles Nodier, « Les Barbus », Le Temps, 5 octobre 1832, repris dans Étienne-Jean
Delécluze, Louis David, son école et son temps. Souvenirs, Paris, Didier, 1855, p. 445. Il s’agit de
la palingénésie.
203. Maurice Denis, Du symbolisme au classicisme. Théories, Paris, Hermann, coll. « Miroirs
de l’art », 1964, p. 33.
204. Lettre de Victor Pavie du 11 juillet 1827, citée par André Pavie, Médaillons romantiques,
op. cit., p. 47.
205. Journal [inédit] d’Antoine Fontaney (année 1832), BNF, Nouvelles Acquisitions
Françaises, Ms. 17345.
206. Mémoires inédits d’Ulric Guttinguer, cités par Léon Séché, Le Cénacle de la Muse
française, op. cit., p. 245.
207. Camille Mauclair, « Les salons littéraires à Paris », La Revue des revues, 1er janvier 1899,
p. 83.
208. Henri Mondor, Vie de Mallarmé, Paris, Gallimard, 1941, p. 466.
209. Georges Rodenbach, L’Élite : écrivains, orateurs sacrés, peintres, sculpteurs, Paris,
Fasquelle, 1899, p. 52.
210. Édouard Dujardin, Mallarmé par un des siens, Paris, Messein, 1936, p. 11.
211. Lettre de Victor Pavie à Victor Hugo du 18 décembre 1826, dans Victor Hugo, Œuvres
complètes, op. cit., t. II, p. 1520.
212. Lettre de Victor Hugo à Alfred de Vigny du 22 avril 1828, dans ibid., t. III, p. 1228.
213. Adèle Hugo, Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie (chapitre « Lecture »), dans
ibid., t. III, p. 1321.
214. Lettre de Victor Hugo à Alfred de Vigny du 22 avril 1828, dans ibid., t. III, 1228.
215. Lettre de Jules de Rességuier à Alexandre Guiraud du 23 septembre 1828, dans ibid., t. III,
p. 1235.
216. Lettre de Victor Hugo à Alphonse de Lamartine du 27 février 1829, dans ibid., t. III, 1246.
217. Lettre de Charles Nodier à Alphonse de Lamartine du 11 janvier 1830, dans ibid., t. III,
1273.
218. Camille Mauclair, Le Soleil des morts, op. cit., p. 876.
219. Jean-Louis Cabanès, « Les “Préfaces et manifestes littéraires” d’Edmond et Jules de
Goncourt : réflexivité et distinction », Revue des sciences humaines, n° 295, juillet-septembre
2009, p. 135-148.
220. Edmond et Jules de Goncourt, Journal, op. cit., t. III, p. 562 (16 mars 1891).
221. José-Luis Diaz, « Quand le maître devient chef d’école… », art. cit.
222. Lettre d’Émile Deschamps à Édouard Turquety du 15 septembre 1829, dans Frédéric
Saulnier, La vie d’un poète, op. cit., p. 87.
223. José-Luis Diaz, « Quand le maître devient chef d’école… », art. cit.
224. Victor Pavie, Œuvres choisies, Paris, Perrin, 1887, t. II, p. 195.
225. Celui-ci n’hésite pas à déplorer « les vieilles et nobles amitiés qui s’en vont, les sots et les
fous qui les remplacent » (lettre à Victor Hugo de février ou mars 1830, dans Victor Hugo et
Sainte-Beuve, Correspondance, op. cit., p. 71).
226. Max Weber, Économie et société, op. cit., t. II, p. 204. Rémy Ponton a été le premier à
importer cette notion dans les études littéraires. Il trouvait là le principe explicatif de l’histoire du
cénacle de Leconte de Lisle (Rémy Ponton, « Programme esthétique et accumulation du capital
symbolique. L’exemple du Parnasse », art. cit.). Le sens que Weber et Ponton accordent à cette
notion n’est pas tout à fait identique : pour Weber, la communauté émotionnelle représente l’une
des étapes cruciales de l’institutionnalisation d’une religion naissante ; cette forme particulière de
communauté se forme lorsque le prophète, devant le succès de sa prophétie, voit se joindre à lui –
outre les premiers disciples que Weber nomme « auxiliaires permanents » – ce second cercle
d’adeptes. Dans certains cas, la communauté émotionnelle ne se réunira qu’occasionnellement,
dans d’autres, elle formera une structure permanente, sans jamais se confondre toutefois avec
l’organisation ecclésiastique. Les mérites de l’analogie avec la secte religieuse sont nombreux :
elle rend à merveille le caractère charismatique, magique, de la domination du chef de file ; elle
opère un utile distinguo avec l’institution de l’Église (séculière ou régulière) et ainsi souligne
l’absence de code, de charte organisant la sociabilité tout en lui restituant son caractère
nécessairement temporaire ; enfin elle établit une distinction, sinon une hiérarchie,
malheureusement non retenue par Ponton, entre disciples (premier cercle) et adeptes (second
cercle), jetant de cette manière les bases d’une typologie des rôles repérable au sein de
l’organisation complexe et labile du cénacle. Cependant l’analogie pèche sur deux aspects : quant
à la question de la « prophétie », d’abord, le schéma de Weber implique que la communauté
émotionnelle prenne corps grâce au succès de la doctrine hérétique, alors que le texte prophétique,
ici manifestaire, est souvent une « apophétie », soit l’aboutissement d’un processus engagé au sein
du cénacle, qu’il vient cristalliser et attribuer à un seul écrivain. Quant à la question du prophète,
ensuite : contrairement aux apparences, rares ont été les cénacles à être menés d’emblée par un
prophète unique et incontesté. L’histoire sociale des mouvements littéraires a plutôt été traversée à
toutes ses étapes par des conflits de leadership, par une succession de combats des chefs que ne
rend pas la vision hégémonique proposée par Ponton.
227. Sainte-Beuve, « Poètes modernes : Victor Hugo », art. cit., p. 1067.
228. Lettre de Sainte-Beuve à Saint-Valry du 8 mars 1830, dans Victor Hugo, Œuvres
complètes, op. cit., t. III, p. 1282.
229. Adèle Hugo, « Intérieurs contemporains. Charles Nodier », L’Événement, 9 janvier 1849.
230. Il faudrait signaler à ce propos que la responsabilité de ce « désastre » est très largement
partagée, le petit cercle poussant, dans les premiers temps, le leader à sortir de son retranchement,
pour le lui reprocher ensuite quand la gloire retombe sur lui seul. C’est le cas de l’équivoque
Sainte-Beuve qui ouvre et referme alternativement la valve du cénacle, alléguant tantôt les
bienfaits de l’arène, tantôt les nécessités de l’amitié restreinte. Mauclair se montrera tout aussi
ambigu dans son rapport à Mallarmé, soucieux à la fois de le garder pour lui, et de l’utiliser
comme rampe de lancement.
231. Gustave Planche, « Les amitiés littéraires », Revue des deux Mondes, 1er septembre 1836,
p. 635-636.
232. Après le duel entre Vielé-Griffin et Mendès et après la fondation de l’école romane de
Moréas, Mallarmé refuse plus que jamais toute étiquette d’école : « Soyons quelques bons amis,
pas même tout-à-fait d’accord » (lettre de Stéphane Mallarmé à Henri de Régnier du 29 juillet
1891, dans Correspondance, op. cit., t. IV, p. 315).
233. « Gustave Kahn, furieux d’avoir été écarté par les organisateurs, réclame l’arbitrage du
Maître, au nom de sa vieille et immortelle amitié. » (Henri Mondor, Vie de Mallarmé, op. cit.,
p. 753.)
234. Lettre de Paul Valéry à Stéphane Mallarmé du 2 février 1897, dans Correspondance, op.
cit., t. IX, p. 59.
235. Lettre de Stéphane Mallarmé à James McNeill Whistler du 3 novembre 1891, dans ibid.,
t. IV, p. 324. Par exemple, entre les amis « vagues » et les amis « fidèles », comme il l’explique à
Émile Verhaeren dans une lettre du 23 février 1897, dans ibid., t. IX, p. 82.
236. Maurice Barrès, Séance de l’Académie française du 18 février 1909. Réponse de
M. Maurice Barrès, directeur de l’Académie, au discours de réception de M. Jean Richepin, Paris,
Félix Juven, 1909, p. 18.
237. Pierre Bourdieu, « Le capital social. Notes », Actes de la recherche en sciences sociales,
n° 31, 1980, p. 2-3. Pour une critique de cette conception et des développements théoriques de la
notion de capital social, voir Nan Lin, « Les ressources sociales : une théorie du capital social »,
Revue française de sociologie, vol. 4, n° 36, 1995, p. 687 et Sophie Ponthieux, Le capital social,
Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2006.
238. Voir Alain Degenne et Michel Forsé, Les Réseaux sociaux. Une approche structurale en
sociologie, Paris, Armand Colin, coll. « U », 1994. Voir aussi Michel Lacroix, « Littérature,
analyse des réseaux et centralité : esquisse d’une théorisation du lien social concret en littérature »,
Recherches sociographiques, vol. 44, n° 3, 2003, p. 475-497. À cet égard, on considérera comme
une avancée importante la notion de « capital relationnel », définie par Björn-Olav Dozo comme
« le capital que l’agent doit à sa position relative dans la structure de son réseau de relations
sociales, mesurée grâce aux outils de l’analyse structurale des réseaux sociaux (en particulier, dans
les calculs qui suivent, les notions de centralité, mais sans exclusive pour d’autres recherches) »
(Björn-Olav Dozo, Mesures de l’écrivain. Profil socio-littéraire et capital relationnel dans l’entre-
deux-guerres en Belgique francophone, Liège, Presses Universitaires de Liège, coll. « Situations »,
2011, p. 217).
239. Adolphe Retté, Le Symbolisme, op. cit., p. 88.
240. « Le repérage des débuts, écrit Michel Pierssens, a déjà donné lieu à bien des travaux. Il
resterait en revanche à préciser ce qu’il en est bien plus mystérieusement de cet autre passage
liminaire que constitue la fin d’un groupe […] » (« Le temps des groupes », Revue d’Histoire
littéraire de la France, n° 5, 2002, p. 789-797).
241. Rémy Ponton, « Programme esthétique et accumulation de capital symbolique. L’exemple
du Parnasse », art. cit. ; Christophe Charle, La Crise littéraire à l’époque du naturalisme, op. cit. ;
Jacques Dubois, « Émergence et position du groupe naturaliste dans l’institution littéraire », dans
Pierre Cogny (dir.), Le Naturalisme. Colloque de Cerisy, Paris, Union Générale d’Éditions, 1978,
p. 75-91 ; Joseph Jurt, « Les mécanismes de constitution de groupes littéraires : l’exemple du
symbolisme », art. cit.
242. Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art, op. cit., p. 440.
243. Sainte-Beuve, « Des soirées littéraires ou Les poètes entre eux », Le Livre des Cent-et-un,
1832, t. II, repris dans Anthony Glinoer, La querelle de la camaraderie littéraire. Les romantiques
face à leurs contemporains, Genève, Droz, 2008, p. 144.
244. Lettre de Stéphane Mallarmé à Edmond Denan du 29 mars 1891, dans Correspondance,
op. cit., t. IV, p. 213.
245. C’est ce que la sociologie des institutions a nommé « l’effet Mühlmann » grâce auquel on
peut mieux comprendre la stabilité de certaines formes de sociabilité ou la mutabilité d’autres
(Jacques Chevallier, « L’analyse institutionnelle », dans L’Institution, op. cit., p. 57).
246. Enfin s’était résolu, croyait-on, le conflit qui opposait depuis des décennies les deux partis,
celui de la tradition et celui de la jeunesse. La réalité est bien entendu moins univoque : il n’est pas
plus défendable que la poésie « classique », pour autant que celle-ci puisse être appréhendée
comme une entité, disparaisse après 1830, qu’il n’est imaginable que le mauvais accueil réservé en
1843 aux Burgraves de Hugo ait coïncidé avec une chute subite du romantisme.
247. Sur cette notion, voir Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art, op. cit. ; Isabelle Tournier,
« Événement historique, événement littéraire. Qu’est-ce qui fait date en littérature ? », Revue
d’Histoire littéraire de la France, n° 5, 2002, p. 747-758.
248. Lettre de Paul Alexis à Émile Zola du 30 décembre 1881, dans Henri Mitterand, Zola.
L’homme de Germinal (1871-1893), Paris, Fayard, 2001, p. 622.
249. Honoré de Balzac, « Préface » d’Un grand homme de province à Paris, dans La Comédie
humaine, op. cit., t. V, p. 113.
250. C’était l’avis de Murger : « Dans ces sortes d’associations qui ont pour règle de s’aider les
uns les autres, quand l’un commence à s’élever au-dessus du niveau commun, ceux qui se trouvent
au-dessous de lui ne peuvent s’empêcher de se demander pourquoi ils ne sont pas montés en même
temps. Dans les échelles de la camaraderie, celui qui a le plus de talent, c’est celui qui monte le
premier, et il arrive au moment où les échelons trouvent leur rôle ridicule. Il faudrait arriver tous
en même temps, mais c’est un miracle » (Henry Murger, Les Buveurs d’eau, op. cit., p. 38).
251. Pour une analyse de ce double processus, voir Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art, op. cit.,
ainsi que René Lourau, Autodissolution des avant-gardes, Paris, Galilée, 1980.
252. Cité par Joseph Jurt, « Les mécanismes de constitution de groupes littéraires : l’exemple du
symbolisme », art. cit., p. 24. Nous soulignons.
253. Sainte-Beuve, Journal intime, collection Spoelberch de Lovenjoul, D. 171, fol. 8-9 (cité par
Léon Séché, Alfred de Vigny, Paris, Mercure de France, coll. « Études d’Histoire romantique »,
1913, t. II, p. 244).
254. Marie Nodier, Charles Nodier. Épisodes et souvenirs de sa vie, Paris, Didier, 1867, p. 306
et 338.
255. Fernand Calmettes, Un demi-siècle littéraire. Leconte de Lisle et ses amis, Paris, Librairies-
imprimeries réunies, 1902, p. 59.
256. Rémy Ponton, « Programme esthétique et accumulation de capital symbolique. L’exemple
du Parnasse », art. cit., p. 215.
257. Antoine Albalat, « Les “Samedis” de José-Maria de Heredia », La Revue Hebdomadaire,
4 octobre 1919, repris dans Souvenirs de la vie littéraire, op. cit., p. 37.
258. « Un prolongement, une survivance » des Samedis de Leconte de Lisle, estime Miodrag
Ibrovac (José Maria de Heredia. Sa vie, son œuvre, Paris, Les Presses Françaises, 1923, p. 175).
259. Voir, à ce propos, les réponses affligeantes qu’il fait à Jules Huret (Enquête sur l’évolution
littéraire, op. cit., p. 255-262). Avec une mauvaise foi évidente (jalousie envers Mallarmé ?),
Heredia reproche aux « symbolistes une absence totale de fraternité entre eux », au nom de la
légendaire unité parnassienne (ibid., p. 261).
260. Henri de Régnier, « Notes sur J.-M. Heredia en partie inédites », éd. Yann Mortelette, dans
Pierre-Jean Dufief (dir.), Les Journaux de la vie littéraire, Rennes, Presses Universitaires de
Rennes, 2009, p. 78.
261. André Fontainas, « Physionomie des Samedis de José-Maria de Heredia », Le Figaro,
er
1 mars 1906.
262. André Fontainas, De Stéphane Mallarmé à Paul Valéry. Notes d’un témoin 1894-1922,
Paris, Edmond Bernard/Éditions du Trèfle, 1928, non paginé (22 décembre 1897).
263. Ibid.
264. Henri de Régnier, Les Cahiers inédits, op. cit., p. 443.
265. Gustave Kahn, « Stéphane Mallarmé (avant la gloire) », Le Figaro. Supplément littéraire,
8 septembre 1923, repris dans Silhouettes littéraires, Paris, Montaigne, 1925, p. 18. Le mot
« coter » est souligné par l’auteur.
266. Entre eux, pour rire, note Henri Mondor, les assidus, quand ils se rencontraient ailleurs,
s’interrogeaient : « Tu es en deuxième ou en troisième année, rue de Rome ? » (Vie de Mallarmé,
op. cit., p. 678).
267. « Discours de M. Vielé-Griffin », dans Albert Mockel et Francis Vielé-Griffin,
Correspondance 1890-1937, op. cit., p. 353.
268. Lettre de Stéphane Mallarmé à Edmond Denan du 29 mars 1891, dans Correspondance,
op. cit., t. IV, p. 213.
269. Fernand Divoire, Introduction à l’étude de la stratégie littéraire, éd. Francesco Viriat,
Paris, Mille et une Nuits, 2005 (1912), p. 39-43.
270. Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, op. cit., p. 166.
quatrième partie Le cénacle en représentation
1. Milan Kundera, La Vie est ailleurs, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2006 (1985), p. 76-77.
2. Sainte-Beuve, « Poètes modernes : Victor Hugo », Revue des deux Mondes, 1er août 1831,
repris dans Victor Hugo, Œuvres complètes, éd. Jean Massin, Paris, Le Club Français du Livre,
1967, t. II, p. 1069.
3. Ces groupes renvoient respectivement aux Scènes de la vie de bohème, aux Buveurs d’eau de
Murger, aux Hommes de lettres (Charles Demailly) des Goncourt, aux Amis de la Nature de
Champfleury, à L’Œuvre de Zola, au Termite de Rosny et au Soleil des morts de Mauclair.
4. Louis Marin, Des pouvoirs de l’image : gloses, Paris, Seuil, 1993.
5. Roger Chartier, « Pouvoirs et limites de la représentation. Sur l’œuvre de Louis Marin »,
Annales HSS, mars-avril 1994, n° 2, p. 409.
6. Louis Marin, Opacité de la peinture : essais sur la représentation au Quattrocento, Paris,
Éditions de l’École des Hautes Études en sciences sociales, 2006 (1989).
7. Osons, pour nous faire comprendre, ce parallèle : une équipe de football construit son image,
hors du terrain, en usant des ressorts ordinaires de la représentation médiatique (photographies,
interviews, emblèmes, mascottes, etc.) mais aussi bien cette même équipe accomplit, en jouant,
mille gestes sans rapport avec la pratique footballistique (encouragements entre équipiers, postures
triomphales, injonctions du capitaine, regards suppliants vers le ciel, etc.) qui sont autant de signes
révélateurs de l’image que cette équipe a d’elle-même (sens du collectif, exaltation de la force,
respect de la hiérarchie, accomplissement d’un destin qui les dépasse, etc.).
8. « Placer l’énonciation au centre, rappelle Dominique Maingueneau, c’est placer au centre une
activité. » Tout discours, poursuit-il, s’inscrit dans « un dispositif de parole où les conditions du
dire traversent le dit et où le dit renvoie à ses propres conditions d’énonciation (le statut de
l’écrivain associé à son mode de positionnement dans le champ littéraire, les rôles attachés aux
genres, la relation au destinataire construite à travers l’œuvre, les supports matériels et les modes
de circulation des énoncés). » (« Linguistique et littérature : le tournant discursif », dans Gabriella
Fabbricino (dir.), Prospettive della francesistica nel nuovo assetto della didattica universitaria,
Pozzuoli, Società Universitaria per gli Studi di Lingua et Letteratura Francese, Atti del Convegno
Internazionale di Napoli-Pozzuoli, 2000, p. 25-38.) Nous soulignons.
9. Sophie Marchal, « Vigny et la camaraderie critique », dans Pierre-Jean Dufief (dir.), Lettre et
critique. Actes du colloque de Brest, Brest, Publications du Centre d’étude des correspondances et
journaux intimes des xixe et xxe siècles, 2003, p. 11-41.
10. Lettre de Sainte-Beuve à Victor Hugo de septembre 1828, dans Victor Hugo et Sainte-
Beuve, Correspondance, éd. Anthony Glinoer, Paris, Champion, coll. « Bibliothèque des
correspondances, mémoires et journaux », 2004, p. 54-55.
11. Lettre de Victor Hugo à Sainte-Beuve du 28 septembre 1828, ibid., p. 55.
12. « Il m’empêche d’écrire, il m’empêche de sortir et de penser à autre chose qu’à ses vers ; il
faut bien que je vous parle de lui. Que d’impressions douloureuses, sombres et tendres ! quel
plaisir et quel chagrin que de le lire. […] J’en aime tout et il ne tiendra pas à moi que tous ne
l’aiment. » (Lettre d’Alfred de Vigny à C.-A. Sainte-Beuve du 3 avril 1829, dans Alfred de Vigny,
Correspondance, éd. Madeleine Ambrière (dir.), Paris, Presses Universitaires de France, 1989, t. I,
p. 332.)
13. « Votre livre est le seul que je puisse lire en ce moment ; il achève de me faire mourir, il me
consolerait si je pouvais l’être. Mon ami, mon ami, voilà le cœur de poète que j’attendais ! »
(Lettre d’Ulric Guttinguer à C.-A. Sainte-Beuve du 9 avril 1829, citée par Henri Bremond, Le
Roman et l’histoire d’une conversion. Ulric Guttinguer et Sainte-Beuve, Paris, Plon, 1925, p. 61.)
14. « Mon Dieu ! que votre pièce de l’Isle St-Louis est belle et naïve et poétique ! […] et celle à
Ulrich – et toutes enfin !… surtout à Mme Hugo ! » Et le surlendemain : « Alfred et moi, nous
sommes fous de la prose et des vers de ce mort Delorme immortel, fous et ravis, c’est tout ce que
je puis vous dire. » (Cité par Henri Girard, Un bourgeois dilettante à l’époque romantique. Émile
Deschamps (1791-1871), Paris, Champion, 1921, p. 274.)
15. « Je dois au livre de ce pauvre défunt de m’être raccommodée avec les vers que grâce aux
miens j’avais pris dans un dégoût complet. » (Lettre d’Amable Tastu à C.-A. Sainte-Beuve, dans
Sainte-Beuve, Correspondance générale, éd. Jean Bonnerot, Paris, Stock, 1935, t. I, p. 127.)
16. Toujours sur le même ton, la lettre permet aussi de se confier à l’issue d’une soirée plus
mondaine que les autres : « Il m’a été impossible, mon cher monsieur Hugo, de vous exprimer ce
matin, devant tout le monde, les sentiments que m’a inspirés la lecture de Marion Delorme. Je ne
le pourrai guère davantage ce soir, et cependant je ne veux ni ne puis me coucher sans vous dire
quelques mots de la reconnaissance que j’éprouve d’avoir été investi d’un si beau privilège. »
(Lettre de Charles de Montalembert à Victor Hugo du 2 mai 1831, dans Victor Hugo, Œuvres
complètes, op. cit., t. III, p. 1033.)
17. Lettre d’Edmond de Goncourt à Alphonse Daudet du 15 novembre 1874, dans Edmond de
Goncourt et Alphonse Daudet, Correspondance, éd. Pierre et Anne-Simone Dufief, Genève, Droz,
1996, p. 21.
18. Lettre de Stéphane Mallarmé à Léon Hennique du 2 février 1887, dans Correspondance, éd.
Henri Mondor et Lloyd James Austin, Paris, Gallimard, 1971, t. III, p. 87.
19. Lettre de Gustave Flaubert à Ivan Tourgueniev du 21 novembre 1877, dans Gustave Flaubert
et Ivan Tourgueniev, Correspondance, éd. A. Zviguilsky, Paris, Flammarion, 1989, p. 222.
20. Lettre de Charles Leconte de Lisle à José-Maria de Heredia du 25 août 1865, dans Charles
Leconte de Lisle, Lettres à José-Maria de Heredia, éd. Claude Desprats, Paris, Champion, 2004,
p. 28-29.
21. Lettre de Charles Leconte de Lisle à José-Maria de Heredia du 6 septembre 1866, ibid.,
p. 34-35.
22. Lettre de Stéphane Mallarmé à René Ghil du 13 mars 1887, dans Correspondance, op. cit.,
t. III, p. 95.
23. Lettre d’Émile Zola à Léon Hennique du 20 août 1878, dans Émile Zola, Correspondance,
éd. Bard H. Bakker (dir.), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1982, t. III, p. 210-212.
24. Alain Viala, « Préface » dans Pierre Rajotte (dir.), Lieux et réseaux de sociabilité littéraire
au Québec, Québec, Nota Bene, 2001, p. 12.
25. Emmanuel Souchier, « Formes et pouvoirs de l’énonciation éditoriale », Communications &
langages, n° 154, décembre 2007, p. 23-38.
26. Evelyn Blewer, La Campagne d’Hernani, édition du manuscrit du souffleur, Saint-Pierre-du-
Mont, Eurédit, 2002.
27. Lettre d’Émile Deschamps à Victor Hugo du 2 mars 1830, dans Victor Hugo, Œuvres
complètes, op. cit., t. III, p. 1280-1281.
28. Lettre d’Émile Zola à Léon Hennique du 17 septembre 1879, dans Émile Zola,
Correspondance, op. cit., t. III, p. 376.
29. Lettre de Charles Leconte de Lisle à José-Maria de Heredia du 15 octobre 1871, dans
Charles Leconte de Lisle, Lettres à José-Maria de Heredia, op. cit., p. 82-83.
30. Lettre de Charles Leconte de Lisle à José-Maria de Heredia du 30 janvier 1872, ibid., p. 89.
31. Lettre de Pierre Louÿs à José-Maria de Heredia du 12 janvier 1896, dans José-Maria de
Heredia et Pierre Louÿs, Correspondance inédite (1890-1905), éd. Jean-Paul Goujon, Paris,
Champion, 2006, p. 61.
32. Lettre de Victor Hugo à Victor Pavie du 13 décembre 1826, dans Victor Hugo, Œuvres
complètes, op. cit., t. II, p. 1520.
33. Lettre de Victor Hugo à Sainte-Beuve de janvier 1827, ibid., t. II, p. 1527.
34. Lettre de Victor Hugo à Émile Deschamps du 17 avril 1828, ibid., t. III, p. 1227.
35. En septembre 1825, Nodier élève Victor Hugo au rang de « gérant universel et majordome
des romantiques » (lettre de Charles Nodier à Victor Hugo du 20 ou 25 septembre 1825, dans
Correspondance croisée de Victor Hugo et de Charles Nodier, éd. Jacques-Remi Dahan, Bassac,
Plein chant, coll. « L’atelier furtif », 1987, p. 54).
36. Lettre de Stéphane Mallarmé à Paul Valéry du 25 octobre 1890, dans Stéphane Mallarmé,
Correspondance, op. cit., t. IV, p. 152-154.
37. Lettre de Paul Valéry à Stéphane Mallarmé [s. d., avant 1890, non postée], dans Stéphane
Mallarmé, Correspondance, op. cit., t. IV, p. 153. Tétanisé par l’enjeu, l’auteur renonça à
l’envoyer.
38. On lira en particulier sa longue lettre de mars 1827 où il fait la critique de Cromwell (Victor
Hugo et Sainte-Beuve, Correspondance, op. cit., p. 40-44).
39. Lettre de Victor Pavie à Victor Hugo du 18 décembre 1826, dans Victor Hugo, Œuvres
complètes, op. cit., t. II, p. 1520.
40. Lettre de Victor Hugo à Victor Pavie du 3 janvier 1827, ibid., t. II, p. 1523.
41. Ibid., t. II, p. 1523-1524.
42. Lettre d’Émile Deschamps à Victor Hugo du 17 avril 1828, ibid., t. III, p. 1227.
43. Lettre de Victor Hugo à Alfred de Vigny du 22 avril 1828, ibid., t. III, p. 1228.
44. Pour ménager la susceptibilité de ses amis, Hugo jure, dans cette même lettre, qu’il eût adoré
« être membre de ce consulat de gloire et d’amitié dont à coup sûr [il] ne serai[t] pas le
Bonaparte » (ibid.).
45. Lettre d’Émile Deschamps à Édouard Turquety du 15 septembre 1829, citée par Frédéric
Saulnier, La vie d’un poète. Édouard Turquety (1807-1867), Paris/Nantes, Jules Gervais/Émile
Grimaud, 1885, p. 87. Nous soulignons.
46. Lettre de Victor Hugo à Victor Pavie du 5 janvier 1828, dans Victor Hugo, Œuvres
complètes, op. cit., t. III, p. 1220.
47. Lettre de Sainte-Beuve à Victor Hugo du 11 octobre 1829, dans Victor Hugo et Sainte-
Beuve, Correspondance, op. cit., p. 59.
48. Lettre d’Alfred de Musset à Sainte-Beuve du 7 septembre 1829, dans Alfred de Musset,
Correspondance, éd. Loïc Chotard, Marie Cordroc’h et Roger Pierrot, Paris, Presses Universitaires
de France, 1985, t. I, p. 30.
49. Lettre de Paul Verlaine à Charles Leconte de Lisle du 17 ou 22 août 1867, dans Paul
Verlaine, Correspondance générale, éd. Michael Pakenham, Paris, Fayard, 2005, t. I, p. 116.
50. Lettre d’Émile Zola à Léon Hennique du 29 juin 1877, dans Émile Zola, Correspondance,
op. cit., t. III, p. 73.
51. Cité dans Histoire de Mürger pour servir à l’histoire de la vraie Bohème par trois Buveurs
d’eau, éd. Jean-Didier Wagneur et Françoise Cestor dans Les Bohèmes 1840-1870, Seyssel,
Champ Vallon, 2012 (1862), p. 365-366.
52. Archives Bied (coll. privée). Pour une description exhaustive de cet album, voir la thèse de
Vincent Laisney, L’Arsenal romantique : le salon de Charles Nodier (1824-1834), thèse présentée
à l’Université Paris III-Sorbonne-Nouvelle, t. III. Il existe un second album de Marie Nodier
(1829-1851) et un album de sa mère (1823-1832).
53. « Album amicorum d’Émile Deschamps. Album de 58 pages contenant 43 poésies
autographes (de Victor Hugo, Alfred de Vigny, Alexandre Dumas, Sainte-Beuve, Lamartine, etc.)
toutes inscrites probablement durant l’année 1827. » (Librairie Henner [Alain Sinibaldi],
Catalogue 18, « Beaux livres anciens et modernes… », Paris, [s.d.] [juin 1893]).
54. Album Amicorum de Mme José-Maria de Heredia, ms BNF, Arsenal, Ms. 14363.
55. « Les grands artistes de l’époque l’avaient illustré de dessins, y avaient mis de la prose, des
vers, ou simplement leur signature ; parmi les noms fameux, il s’en trouvait aussi beaucoup
d’inconnus, et les pensées curieuses n’apparaissaient que sous un débordement de sottises. »
(Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale. Histoire d’un jeune homme, éd. Peter Michael
Wetherill, Paris, Garnier, 1984, p. 47). Sur cette question, voir Philippe Hamon, « Un album »,
dans Vincent Laisney (dir.), Le Miroir et le chemin. L’univers romanesque de Pierre-Louis Rey,
Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2006, p. 149-161.
56. L’exemplaire fut acheté par le vicomte de Lovenjoul. A. Chesnier du Chesne en donne une
description détaillée dans une plaquette (Le Ronsard de Victor Hugo, Paris, Crès, coll. « Variétés
littéraires », 1929).
57. Sainte-Beuve a raconté, dans une édition ultérieure du Tableau historique et critique de la
poésie française et du théâtre français au xvie siècle (1843) comment s’était effectué le
glissement : « 1828, mon choix de Ronsard terminé, j’avais dit adieu au vieux poète, et le bel
exemplaire in-folio sur lequel avaient été pris les extraits était resté déposé aux mains de Victor
Hugo […] Or, cet exemplaire à grandes marges était bientôt devenu une sorte d’album où chaque
poète de 1828 et des années qui suivirent laissait en passant quelque marque de souvenir. » (cité
ibid., p. 27).
58. Il s’agit de Hugo, Guttinguer, Fouinet, Alexandre Dumas (deux contributions), Lamartine,
Vigny, Fontaney, Amable Tastu et Sainte-Beuve (trois contributions). Plusieurs de ces pièces ont
été republiées dans des recueils individuels.
59. Expression empruntée à la préface de Cromwell pour définir le drame.
60. Pour le détail, voir A. Chesnier du Chesne, Le Ronsard de Victor Hugo, op. cit.
61. Ibid., p. 35. Nous soulignons.
62. Ibid., p. 36.
63. Denis Saint-Amand, « À l’Hôtel des Étrangers, repaire d’une bohème zutique », dans Pascal
Brissette et Anthony Glinoer (dir.), Bohème sans frontière, Rennes, Presses Universitaires de
Rennes, 2010, p. 196.
64. « (Ane Cros.) Si ! Si ! Mérat, veuillez m’en croire, / Zutisme est le vrai nom du cercle ! »
(Cité ibid., p. 192.)
65. Elles sont dues à Claudel, Delaroche, É. Dujardin, Fontainas, Stefan George, Gide, Herold,
Kahn, Van Lerberghe, Maeterlinck, Mauclair, P. Margueritte, V. Margueritte, Stuart Merrill,
Mockel, Morice, Régnier, Rodenbach, Saint-Paul, R. de Souza, Valéry, Verhaeren et Vielé-Griffin
(Henri Mondor, Vie de Mallarmé, Paris, Gallimard, 1941, p. 762).
66. « Aujourd’hui sera offerte à M. Stéphane Mallarmé la très jolie “guirlande” de poèmes que
vingt et un [vingt-trois] poètes, ses amis et ses élèves, ont composé pour lui faire hommage. » (cité
dans Stéphane Mallarmé, Correspondance, op. cit., t. IX, p. 110)
67. L’expression est de Mallarmé à propos du Soleil des morts (Lettre à Camille Mauclair de
juin 1898, dans Camille Mauclair, Mallarmé chez lui, Paris, Grasset, 1935, p. 122).
68. Voir Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, 1987.
69. Henri de Latouche, « Sur un petit volume, sans nom d’auteur [Amour. – À Elle, Gaspard de
Pons] », Le Mercure du xixe siècle, février 1824.
70. « Une chose qu’il faut soigner, ce sont les épigraphes » sera d’ailleurs l’un des doctes
conseils prodigués à un Daniel Jovard nouvellement converti dans Les Jeunes-France (Théophile
Gautier, « Daniel Jovard ou la conversion d’un classique », dans Les Jeunes-France, romans
goguenards, éd. Michel Crouzet, Paris, Séguier, 1995 [1833], p. 97).
71. C’est le cas, notamment, dans les Confidences de Jules Lefèvre, qui justifie l’emploi très
généreux qu’il fait des épigraphes par ces mots : « Je ne pense pas qu’on m’accuse d’avoir abusé
des épigraphes. Cela se pourrait pourtant, car on les a déjà blâmées sur parole. La seule excuse que
je puisse alléguer, c’est que le soin de les choisir est le seul plaisir qui l’eût dédommagé de l’ennui
de les imprimer. C’est à la tête de chaque pièce, une sorte de préface anthologique qui vaut mieux
que ce qu’elle annonce. […]. » (Jules Lefèvre, Confidences, poésies, Paris, Dupuy et Tenré, 1833,
p. X.)
72. Voici deux exemples : la troisième édition des Poésies d’Amable Tastu (1827) met en
épigraphe, outre huit anonymes, la Bible, Chateaubriand, Chénier, Byron, des classiques (Tacite et
Virgile, Marot et La Fontaine), de grands inspirateurs étrangers (Ossian, Schiller, Moore,
Pétrarque) et des contemporains comme les poétesses Dufrénoy, Desbordes-Valmore et
d’Hautpoul, ainsi que Latouche, Hugo, Delavigne, Vigny, Béranger, etc. Les Rhapsodies de Pétrus
Borel (1831) font précéder chaque pièce d’une ou deux épigraphes également réparties entre des
classiques (Régnier, Malherbe, Verville, Ronsard, Pétrarque), des auteurs du xviiie siècle (Schiller,
Mercier, Buffon, Gilbert, Condorcet) accompagnés de quelques références plus scandaleuses pour
le lecteur de la monarchie de Juillet (Le Père Duchesne, Saint-Just), des aînés (Béranger, Hugo,
Janin), et enfin les compagnons du Petit Cénacle (Gautier, Dondey, Brot, Nerval et Maquet).
73. Henri de Latouche, « Sur un petit volume, sans nom d’auteur [Amour. – À Elle, Gaspard de
Pons] », art. cit.
74. Ibid.
75. José-Luis Diaz analyse ainsi cette stratégie : « C’est la loi pour toute école littéraire
survenante, pour se pourvoir d’une image repérable, de se recentrer autour de quelques bannières,
elle doit faire le ménage dans le Panthéon existant, s’empresser de ranger autrement l’armoire aux
idoles » (L’Écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris,
Champion, coll. « Romantisme et modernités », 2007, p. 418).
76. L’expression est de Pascal Durand dans « Pour une lecture institutionnelle du “Manifeste du
surréalisme” », Mélusine, n° 8, 1986, p. 177-195.
77. Roger Chartier, « Patronage et dédicace », dans Culture écrite et société. L’ordre des livres
(xive-xviiie siècle), Paris, Albin Michel, 1998, p. 83.
78. Joseph Delorme étant l’auteur fictif du recueil, Sainte-Beuve s’autorise, en sus, trois
dédicaces adressées à lui-même !
79. Pétrus Borel, « Préface » des Rhapsodies, Genève, Slatkine Reprints, 1967 (1831), p. 11.
80. Ibid., p. 10.
81. Albert Glatigny, Les Flèches d’or, Paris, Frédéric Henry, 1864, p. X-XI.
82. Voir les dédicaces de celui-ci à son « critique » (Sainte-Beuve), à son « peintre » (Louis
Boulanger) et à son « statuaire » (David d’Angers) dans Les Feuilles d’automne.
83. Cet usage est courant chez les romantiques (« À mon ami S.-B. » dans Les Feuilles
d’automne). Une fois le cénacle dissous, les auteurs, dans les éditions ultérieures, lèvent souvent
l’ambiguïté.
84. Voir Alain Vaillant, « Avant-propos » du dossier « La Littérature fin de siècle au crible de la
presse quotidienne », Romantisme, n° 121, 2003, p. 3-8.
85. Voir Marie-Françoise Melmoux-Montaubin, L’Écrivain-journaliste au xixe siècle : un mutant
des lettres, Saint-Étienne, Éditions des Cahiers intempestifs, coll. « Lieux littéraires », 2003 ;
Patrick Berthier, La Presse littéraire et dramatique au début de la monarchie de Juillet (1830-
1836), Lille, Éditions universitaires du Septentrion, 1997, 4 vol. ; Marie-Ève Thérenty, Mosaïques.
Être écrivain entre presse et roman (1829-1836), Paris, Champion, coll. « Romantisme et
modernités », 2003 ; voir aussi Anthony Glinoer, La Querelle de la camaraderie littéraire. Les
romantiques face à leurs contemporains, Genève, Droz, coll. « Histoire des idées et critique
littéraire », 2008 ; et Jean Marie Goulemot et Daniel Oster, Gens de lettres, écrivains et bohèmes,
Paris, Minerve, 1992.
86. Cité par Henri Mitterand, Zola. L’homme de Germinal (1871-1893), Paris, Fayard, 2001,
t. II, p. 529.
87. Henri de Latouche, « De la camaraderie littéraire », repris dans Anthony Glinoer, La
Querelle de la camaraderie littéraire, op. cit., p. 61.
88. Victor Hugo, « Études françaises et étrangères, par Émile Deschamps », dans L’Album,
20 décembre 1828, repris dans Victor Hugo, Œuvres complètes, op. cit., t. III, p. 1079-1081.
89. Victor Hugo, « Exposition de tableaux au profit des Grecs. La Nouvelle école de peinture »
[mai 1826, article non publié], repris ibid., t. II, p. 983-986.
90. Cité par Job-Lazare, Albert Glatigny, Paris, Bécus, 1906, p. 166-167.
91. Cité par Paul Adam, Symbolistes et décadents, éd. Michael Pakenham, Exeter, University of
Exeter, 1989, p. XIII.
92. Lettre de Victor Hugo à Charles Nodier du 2 novembre 1829, dans Correspondance croisée
de Victor Hugo et Charles Nodier, op. cit., p. 98.
93. Edmond et Jules de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire, éd. Robert Ricatte,
Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1989, t. III, p. 562 (16 mars 1891).
94. « Il était utile, sans doute, au sortir du siècle de la fausse philosophie, de traiter
rigoureusement des livres et des hommes qui nous ont fait tant de mal, de réduire à leur juste
valeur tant de réputations usurpées, de faire descendre de leur piédestal tant d’idoles qui reçurent
notre encens en attendant nos pleurs. Mais ne serait-il pas à craindre que cette sévérité continuelle
de nos jugements ne nous fît contracter une habitude d’humeur dont il deviendrait malaisé de nous
dépouiller ensuite ? Le seul moyen d’empêcher que cette humeur prenne sur nous trop d’empire,
serait peut-être d’abandonner la petite et facile critique des défauts, pour la grande et difficile
critique des beautés. » (François-René de Chateaubriand, « Sur les Annales littéraires, ou De la
littérature avant et après la Restauration ; ouvrage de M. Dussault », Le Conservateur,
19e livraison, t. II, 1819, p. 247-248.)
95. Sur l’influence dans ce domaine de la symphilosophie des romantiques allemands, voir
Walter Benjamin, Le Concept de critique esthétique dans le romantisme allemand, Paris,
Flammarion, coll. « Champs », 1986 (1920).
96. Victor Hugo, William Shakespeare, repris dans Œuvres complètes : critique, éd. Jean-Pierre
Reynaud, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2002 (1864), p. 381.
97. Victor Hugo, « Préface » de Cromwell (1827), repris ibid., p. 37.
98. Sainte-Beuve, Les Cahiers, Paris, Lemerre, 1876, p. 40-41.
99. Déjà au temps de La Muse française, Émile Deschamps fait amende honorable devant ceux
qui accusent les romantiques « de nous aimer entre nous et d’en faire confidence à tout le monde
[…] ; je passe condamnation. Je ne puis cacher que nous nous aimons, et que nous aimons la
poésie comme si nous n’avions pas fait un vers de notre vie. Ce n’est pas la moins bizarre de nos
innovations littéraires. » (Émile Deschamps, « La guerre en temps de paix », La Muse française,
11e livraison, mai 1824, repris dans La Muse française, éd. Jules Marsan, Paris, Cornély, 1909,
t. II, p. 274.) Six ans plus tard, on peut lire dans La Tribune romantique : « “Les écrivains de
l’école nouvelle s’admirent et se flattent mutuellement les uns les autres, parce qu’ils s’aiment.” –
Voilà un grand mal en effet ; mais ne serait-ce pas plutôt le contraire, et ne se sont-ils pas aimés,
parce qu’ils s’admiraient ? N’est-ce pas le rapport de leurs talents qui a entraîné la sympathie de
leurs affections ? » (« “Les Consolations” (Poésies) », La Tribune romantique, t. III, mai 1830,
p. 205.)
100. Catulle Mendès, « La Poésie », L’Artiste, 1er janvier 1868, cité par Yann Mortelette, Le
Parnasse, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, coll. « Mémoire de la critique », 2006, p. 99-
100.
101. Juste Olivier, Paris en 1830. Journal, éd. André Delattre et Marc Denkinger, Paris,
Mercure de France, 1941, p. 207.
102. Lettre d’Ephraïm Mikhaël à Rodolphe Darzens du 30 janvier 1886, dans Jean-Jacques
Lefrère, « Lettres inédites d’Ephraïm Mikhaël », Histoires littéraires, n° 15, juillet-septembre
2003, p. 125.
103. Lettre d’Ephraïm Mikhaël à Rodolphe Darzens du 5 février 1886, ibid., p. 127.
104. Qu’on pense aux défections successives de Nodier, Planche, Sainte-Beuve, Pavie et de tous
ceux qui avaient œuvré, entre 1827 et 1830, pour la cause romantique par la critique.
105. Sainte-Beuve, « Poètes modernes : Victor Hugo », Revue des deux Mondes, 1er août 1831,
repris dans Victor Hugo, Œuvres complètes, op. cit., t. III, p. 1067.
106. Joris-Karl Huysmans, « Romanciers contemporains. M. Émile Zola », Revue bleue, n° 10,
10 mars 1883, p. 293.
107. Ibid.
108. Francis Vielé-Griffin, « Stéphane Mallarmé », Écrits pour l’art, 7 mars 1887, repris dans
Stéphane Mallarmé, éd. Bertrand Marchal, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, coll.
« Mémoire de la Critique », 1998, p. 133.
109. Sur les raisons pour lesquelles ces deux ensembles discursifs peuvent être traités dans la
même section, voir les études de Marc Angenot (La parole pamphlétaire. Typologie des discours
modernes, Paris, Payot, 1982) et Marcel Burger (Les Manifestes : paroles de combat. De Marx à
Breton, Paris, Delachaux et Niestlé, 2002) ainsi que le numéro de la Revue des sciences humaines
dirigé par José-Luis Diaz, « Préfaces et manifestes du xixe siècle », n° 205, 2009.
110. Jean Moréas, « Le Symbolisme », Le Figaro. Supplément littéraire, 18 septembre 1886.
111. Jean-Marie Gleize, « Manifestes-Préfaces : sur quelques aspects du prescriptif »,
Littérature, n° 39, 1980, p. 14.
112. « Les œuvres d’André Chénier, de ce poète immense, […] eussent été publiées à la fin du
siècle dernier […], nul doute que l’âme des hommes supérieurs ne se fût prise alors à cette poésie
virile et naturelle, et la réconciliation qui s’accomplit lentement eut été avancée de trente ans »
(Émile Deschamps, « Préface » des Études françaises et étrangères, éd. Henri Girard, Paris, La
Force française, 1923, p. 22-23).
113. Émile Zola, « Lettre à la jeunesse », repris dans Œuvres complètes, éd. Henri Mitterand
(dir.), Paris, Cercle du livre précieux, 1969 (1880), t. X, p. 1222.
114. Le Figaro, 18 septembre 1886.
115. « […] un homme d’esprit, auquel l’auteur de ce livre doit un remerciement personnel, nous
permet de lui emprunter […] », lit-on dans la préface de Cromwell en forme d’hommage à Sainte-
Beuve (Victor Hugo, « Préface » de Cromwell, repris dans Œuvres complètes : critique, op. cit.,
p. 29).
116. Émile Deschamps salue ainsi tantôt Hugo (« comme le dit M. Victor Hugo dans son
admirable préface de Cromwell »), tantôt Sainte-Beuve (« ces questions et beaucoup d’autres aussi
importantes sont traitées de main de maître par M. Sainte-Beuve dans son Tableau de la poésie
française au seizième siècle ») (Émile Deschamps, « Préface » des Études françaises et étrangères,
op. cit., p. 54 et p. 12).
117. Ibid.
118. Ibid., p. 15.
119. Marc Angenot, La parole pamphlétaire, op. cit., p. 61.
120. Voir Nathalie Heinich, « Les manifestes et l’avant-garde artistique. Comment être plusieurs
quand on est singulier », dans J.-O. Majastre (dir.), Le texte, l’œuvre, l’émotion, Paris, La lettre
volée, 1994, p. 49-64.
121. Alexandre Guiraud, « Nos doctrines », La Muse française, op. cit., t. II, p. 5-32.
122. René Ghil, « Notre école », La Décadence, n° 1, 1er octobre 1886.
123. Les Soirées de Médan, Paris, Grasset, coll. « Les cahiers rouges », 1991 (1880), p. 19.
124. Pascal Durand, « Pour une lecture institutionnelle du “Manifeste du surréalisme” », art.
cit., p. 177.
125. Émile Zola, « Préface » de la deuxième édition de Thérèse Raquin, reprise dans Œuvres
complètes, éd. Colette Becker et Jean-Louis Cabanès, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2003
(1868), t. III, p. 31.
126. Maxime Du Camp, « Préface » des Chants modernes, Paris, Michel Lévy Frères, 1855,
p. 35.
127. Émile Deschamps, « Préface » des Études françaises et étrangères, op. cit., p. 6.
128. Champfleury, Le réalisme, Genève, Slatkine reprints, 1967 (1857), p. 2.
129. Ibid., p. 3.
130. Edmond de Goncourt, Les Frères Zemganno, Paris, Charpentier, 1879, p. VIII et p. XI.
131. Cité par Edmond et Jules de Goncourt, Journal, éd. Robert Ricatte, op. cit., t. II, p. 729
(19 février 1877).
132. Sainte-Beuve, Poésies complètes, Paris, Charpentier, 1890, p. 193. Cette note apparaît dès
la réédition de 1830.
133. Champfleury, Le Réalisme, op. cit., p. 3.
134. Émile Zola, « Lettre à la jeunesse », art. cit., p. 1223.
135. Émile Zola, Le roman expérimental, éd. François-Marie Mourad, Paris, Garnier
Flammarion, 2006 (1880), p. 81.
136. Réponse de Stéphane Mallarmé dans l’Enquête sur l’évolution littéraire de Jules Huret, éd.
Daniel Grojnowski, Vanves, Thot, 1982 (1891), p. 77.
e
137. Voir à ce sujet Nicole Masson, La Poésie fugitive au xviii siècle, Paris, Champion, coll.
« Les Dix-huitième siècles », 2002.
138. Gabriel Marc, « L’entresol du Parnasse. Triolets », Sonnets parisiens. Caprices et
fantaisies, Paris, Lemerre, 1875, p. 97-101.
139. Antoine Fontaney, « À Madame N*** » (1830), cité dans René Jasinski, Une Amitié
amoureuse. Marie Nodier et Fontaney, Paris, Émile-Paul, 1925, p. 8.
140. Philothée O’Neddy, Feu et flamme, éd. Marcel Hervier, Paris, Les Presses Françaises, coll.
« Bibliothèque romantique », 1926 (1833), p. 12.
141. Sainte-Beuve, « Le Cénacle », dans Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme, éd. Jean-
Pierre Bertrand et Anthony Glinoer, Paris, Bartillat, 2004 (1829), p. 106.
142. Émile Deschamps, « À la mémoire de Joseph Delorme », Annales romantiques, 1830,
p. 222.
143. Rappelons qu’il s’agit de la capitale des Enfers, célébrée en son temps par Milton. On reste
donc dans la métaphore religieuse.
144. La première partie abonde d’ailleurs en références démoniaques (« coupes de l’enfer »,
« prismatiques flammes », « lac sulfureux », « jaunâtres squelettes », etc.), tandis que le décor
spatial et sonore décrit est celui de l’orgie.
145. Philothée O’Neddy, « Pandæmonium », dans Feu et flamme, op. cit., p. 6 et p. 10.
146. Les techniques du poème cénaculaire sont parfois reprises à des fins non militantes, légères
et parodiques : la « Revue romantique » de Musset, écrite en 1833 ou 1834, fait rimer les noms de
Gozlan et de Roqueplan ; le « Bal littéraire », écrit par Roger de Beauvoir à l’occasion du bal de la
Revue des deux Mondes, use de la nomination métonymique (le personnage pour l’auteur) et de
procédés satiriques pour railler gentiment les petites coquetteries et les grandes rivalités par
lesquelles s’entretiennent les légendes des auteurs à la mode : « Indiana survient, et le trouve
loustic, / Elle fume à son nez quarante-deux cigares » (Roger de Beauvoir, « Le bal littéraire chez
M. Buloz » [1836], cité par Marie-Louise Pailleron, La Revue des deux Mondes et la Comédie
française, Paris, Firmin-Didot, 1930, p. 63). Dans l’album très potache de Nina de Villard on
trouve un texte d’Emmanuel des Essarts intitulé « Les Jardins des Racines Parisiennes renouvelées
de Port Royal (sans A) » où les noms des présents (hommes et femmes) sont affublés d’une
référence compréhensible des seuls initiés : « Ninette, mon démon gardien », « Mallarmé, sans
armature », « Méry, fait des vers sans rature », etc. (cité dans Catulle Mendès, La Maison de la
vieille. Roman contemporain, éd. Jean-Jacques Lefrère, Michael Pakenham et Jean-Didier
Wagneur, Seyssel, Champ Vallon, 2000, p. 563.)
147. Pascal Durand, Mallarmé. Du sens des formes au sens des formalités, Paris, Seuil, coll.
« Liber », 2008, p. 209.
148. Lettre de Stendhal à Sainte-Beuve du 26 mars 1830, dans Stendhal, Correspondance, éd.
Henri Martineau et Victor Del Litto, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1967,
t. II, p. 180.
149. Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, coll. « Points », 1970 (1957), p. 201.
150. Pascal Durand, Mallarmé, op. cit., p. 210.
151. Les citations qui précèdent sont tirées des poèmes déjà cités de Sainte-Beuve, Fontaney,
O’Neddy, Deschamps et des Essarts.
152. Le cas de Murger est particulier dans la mesure où il glisse ses remarques assassines sur les
Buveurs d’eau d’abord dans un feuilleton puis dans la préface des Scènes de la vie de bohème.
153. Jules Vallès, « Mœurs et portraits littéraires. Les Francs-parleurs », Le Courrier français,
19 août 1866, repris dans Œuvres, éd. Roger Bellet, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », t. I, 1975, p. 898-906.
154. Émile Zola, « Les Poètes contemporains », paru en avril 1879 dans Le Voltaire, réédité
dans Documents littéraires en 1881 et repris dans Le Parnasse, op. cit., p. 150.
155. Abel Pelletier, « La littérature de cénacle », La Revue indépendante, août 1891, p. 148. La
référence au poème « Les Rayons jaunes » de Sainte-Beuve est ici presque explicite.
156. « Combien, au sortir des catacombes […] je rentre avec joie dans la vie. La campagne qui
me fut douce, au mois de soleil, dort frileuse sous la neige. » (Adolphe Retté, « Chronique des
livres. M. Stéphane Mallarmé, La Musique et les Lettres », La Plume, janvier 1895, repris dans
Stéphane Mallarmé, op. cit., p. 324.)
157. Adolphe Retté, « Un Amateur », La Plume, septembre 1896 (ibid., p. 390).
158. Adolphe Retté, « Chronique des livres… », art. cit. La métaphore est largement
développée, jusque dans le titre même, dans le roman de Camille Mauclair, le « Soleil des morts »,
qui symbolise à la fois la lumière de la lampe et la gloire posthume, en opposition au vrai et bon
soleil des vivants.
159. [Anonyme], Chronique scandaleuse de l’an 1800, Paris, [s.n.], an IX-1801, p. 92-93 (cité
dans Georges Levitine, The Dawn of bohemianism. The “Barbu” Rebellion and Primitivism in
Neoclassical France, University Park, The Pennsylvania State University Press, 1978, p. 66).
160. Sainte-Beuve, « Poètes modernes : Victor Hugo », art. cit., p. 1067.
161. Alceste [Émile Zola], « Mes jours de pluie. Nos poètes », L’Événement, 20 avril 1868,
repris dans Le Parnasse, op. cit., p. 102.
162. Henry Murger, Scènes de la vie de bohème, éd. Sandrine Berthelot, Paris, GF Flammarion,
2012, p. 62 (« Préface » datée de 1850).
163. Alceste [Émile Zola], « Mes jours de pluie. Nos poètes », art. cit., p. 102.
164. Abel Pelletier, « La littérature de cénacle », art. cit., p. 161.
165. Jules Vallès, « Les Cénacles », La France, 2 et 9 mars 1883, repris dans Œuvres, op. cit.,
t. II, p. 868.
166. Émile Zola, « Les Poètes contemporains », art. cit., p. 150.
167. Les isotopies de la puérilité et de la folie étaient déjà mises à profit par Baour-Lormian
raillant après mille autres la tendance au frénétique : « toutes ces horreurs, ces hideuses peintures /
Que, sous le cauchemar dont il est oppressé, / Un malade entrevoit d’épouvante glacé » (Pierre
Baour-Lormain, Le Classique et le romantique, dialogue, Paris, Urbain Canel, 1825, p. 28), ou
dans le Constitutionnel à la même époque : « Le romantisme n’est point un ridicule : c’est une
maladie, comme le somnambulisme ou l’épilepsie. Un romantique est un homme dont l’esprit
commence à s’aliéner : il faut le plaindre, lui parler raison, le ramener peu à peu ; mais on ne peut
pas en faire le sujet d’une comédie, c’est tout au plus celui d’une thèse de médecine. » (Le
Constitutionnel, 1er novembre 1824, cité par Charles Des Granges, La Presse littéraire sous la
Restauration 1815-1830, Paris, Mercure de France, 1907, p. 190.)
168. Sainte-Beuve, « Poètes modernes : Victor Hugo », art. cit., p. 1067. Jugeant avec sévérité
les œuvres de jeunesse de Hugo, l’ex-poète se contente de remarquer que « [s]es premières
ballades se ressentent un peu de l’atmosphère où elles naquirent ».
169. Henri de Latouche, « De la Camaraderie littéraire », art. cit., p. 55.
170. Jules Vallès, « Les Cénacles », art. cit., p. 867.
171. Adolphe Retté, « Chronique des livres. M. Stéphane Mallarmé, La Musique et les Lettres »,
La Plume, janvier 1895, repris dans Stéphane Mallarmé, éd. Bertrand Marchal, Paris, Presses
Universitaires de Paris-Sorbonne, coll. « Mémoire de la critique », 1998, p. 321-324.
172. Jules Case, « Littérateur » [compte rendu du Termite], Le Figaro, 2 mars 1890.Il a en tête le
Grenier de Goncourt.
173. Antoine Jay, La Conversion d’un romantique, op. cit., p. 57.
174. Ibid., p. 53.
175. Cité par Albert Thibaudet, La poésie de Stéphane Mallarmé, étude littéraire, Paris,
Gallimard, 1926, p. 655.
176. Henri de Latouche, « De la Camaraderie littéraire », art. cit., p. 57.
177. Adolphe Retté, « Le Décadent », La Plume, 1er mai 1896 (repris dans Mallarmé, op. cit.,
p. 380).
178. Jules Case, « Littérateur », art. cit.
179. Jules Vallès, « Les Cénacles », art. cit., p. 868.
180. Camille Mauclair, Le Soleil des morts, repris par Guy Ducrey (dir.), Romans, fin-de-siècle,
1890-1900, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999 (1898), p. 938.
181. Sainte-Beuve, « Des soirées littéraires ou Les poètes entre eux », dans Le Livre des Cent-et-
un, repris dans Anthony Glinoer, La Querelle de la camaraderie littéraire, op. cit., p. 144.
182. H. de Latouche, « De la camaraderie littéraire », repris ibid., p. 59. Pour une analyse plus
poussée de cet article et des déclinaisons du thème de la camaraderie à l’époque romantique, voir
ibid. et Vincent Laisney, L’Arsenal romantique : le salon de Charles Nodier, 1824-1834, Paris,
Champion, coll. « Romantisme et modernités », 2002.
183. H. de Latouche, « De la camaraderie littéraire », art. cit., p. 60.
184. Ibid., p. 55.
185. Jules Vallès, « Les Cénacles », art. cit., p. 864.
186. Émile Zola, « Les Poètes contemporains », art. cit., p. 150.
187. Abel Pelletier, « La littérature de cénacle », art. cit., p. 149.
188. Ibid., p. 151.
189. Henri de Latouche, « De la camaraderie littéraire », art. cit., p. 54.
190. Gustave Planche, « Les amitiés littéraires », Revue des deux Mondes, 1er septembre 1836,
repris dans Anthony Glinoer, La Querelle de la camaraderie littéraire, op. cit., p. 167.
191. Ibid., p. 170-171.
192. Henri de Latouche, « De la camaraderie littéraire », art. cit., p. 55.
193. Alphonse Karr, « La comédie de Madame de Girardin », Les Guêpes, décembre 1839,
repris chez Michel Lévy Frères, 1859, t. I, p. 63.
194. Honoré de Balzac, « Des salons littéraires et des mots élogieux », La Mode, 20 novembre
1830, repris dans Œuvres diverses, éd. Roland Chollet et René Guise, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », 1996, t. II, p. 1546. Les souvenirs de certains participants
reviennent sur ces pratiques élogieuses, ainsi de Virginie Ancelot se remémorant les lectures à
l’Arsenal : « Un seul mot se laissait entendre [après la lecture], à la grande surprise de ceux qui
n’étaient pas initiés : – Cathédrale ! Un autre se levait et s’écriait : – Ogive ! Un troisième, après
avoir regardé autour de lui, hasardait : Pyramide ! Alors l’assemblée applaudissait et se tenait
ensuite dans un profond recueillement ; mais il ne faisait que précéder une explosion de voix qui
toutes répétaient en chœur les mots sacramentels qui venaient d’être prononcés chacun
séparément. » (Virginie Ancelot, Les Salons de Paris. Foyers éteints, Paris, Jules Tardieu, 1858,
p. 125-126.)
195. Henri de Latouche, « Sur un petit volume sans nom d’auteur », Mercure du xixe siècle,
février 1824, repris dans Anthony Glinoer, La Querelle de la camaraderie littéraire, op. cit., p. 26.
196. Henri de Latouche, « De la camaraderie littéraire », art. cit., p. 57.
197. Dans sa préface des Études françaises et étrangères, Émile Deschamps s’en défendait
déjà : « il n’est pas question de vouloir détrôner nos grands poètes au profit d’un usurpateur,
comme quelques gens de lettres feignent de le craindre. Dans l’empire des arts, il y a un trône pour
chaque génie. » (Émile Deschamps, « Préface » des Études françaises et étrangères, op. cit.,
p. 46.)
198. Parisis [Joseph Gayda], « Le grenier de Goncourt » dans la rubrique « La Vie parisienne »,
Le Figaro, 2 février 1885.
199. Edmond et Jules de Goncourt, Journal, éd. Robert Ricatte, op. cit., t. II, p. 1129 (2 février
1885).
200. « Eh ! que deviendrai-je, écrit déjà Baour-Lormian, si j’ose parler de l’usurpation des
journaux, de ces fabrications d’articles où les auteurs se canonisent eux-mêmes, de ces apologies
qu’ils rédigent de leur propre main, et qu’ils envoient de Paris à leurs correspondants pour figurer
dans les gazettes de l’Angleterre et des Pays-Bas ; si je parle de leur adhésion aux partis politiques
pour y recruter des enthousiastes ; si j’ouvre à mes lecteurs ces bureaux d’esprit, ces hôtels de
Rambouillet où les ravissements et les pâmoisons des dames sensibles accueillent les lectures de
messieurs tels ou tels ; si je dévoile les mystères profonds de ces maçonneries soi-disant poétiques,
où l’on se lie par des serments de fraternité et de conspiration contre la langue et le bon sens… »
(Pierre Baour-Lormian, Le Classique et le romantique, dialogue, op. cit., p. 43-45.)
201. Juste Olivier, Paris en 1830, op. cit., p. 207 (22 juillet 1830).
202. Victor Hugo, « “Éloa, ou la sœur des anges, mystère”, par le comte Alfred de Vigny », La
Muse française, 11e livraison, mai 1824, repris dans La Muse française, op. cit., t. II, p. 257-258.
Cet article a été repris dans le chapitre « Idées au hasard » de Littérature et philosophie mêlées
après que Hugo eut soigneusement gommé toute référence au poème de Vigny. La rupture entre les
deux hommes était déjà consommée en 1834.
203. « “Les Consolations” (Poésies) », art. cit., p. 245.
204. Sainte-Beuve « Des soirées littéraires ou Les poètes entre eux », art. cit.
205. Sainte-Beuve, « Poètes modernes : Victor Hugo », art. cit.
206. On tient une preuve de l’importance que les Magnistes accordaient à la confidentialité de
leurs échanges dans une note du Journal rédigée à la date du 20 juin 1864, tandis que le groupe est
en pleine expansion : « Il paraît, écrivent les Goncourt, que l’autre jour, L’Indépendance Belge a
parlé de ce dîner comme des soupers de d’Holbach. Du reste, le mystère est encore si bien gardé,
qu’elle y a mis About. » (Edmond et Jules de Goncourt, Journal, éd. Robert Ricatte, op. cit., t. I,
p. 1082.)
207. Une chose est certaine, la médiatisation du cénacle est un problème qui interfère
étroitement avec sa localisation : à partir du moment où les groupes se montrent à découvert, au
restaurant, dans les cafés, les brasseries et les cabarets, au lieu de se réunir à domicile, ils
deviennent la proie des chroniqueurs et, corollairement, perdent le contrôle de leur
« communication ».
208. Victor Fournel, « Poésie », Annuaire contemporain. Revue de l’année, repris dans Le
Parnasse, op. cit., p. 73.
209. Adolphe Racot, « Un éditeur de poètes en 1867 », Le Chasseur bibliographe, 1er mars
1867, repris ibid., p. 82.
210. Louis-Xavier de Ricard, « Les critiques du Parnasse contemporain », Les Coulisses
parisiennes, 15 mars 1867, repris ibid., p. 87.
211. Catulle Mendès, « La Poésie », L’Artiste, 1er janvier 1868, repris ibid., p. 99.
212. Guy de Maupassant, « Les Soirées de Médan. Comment ce livre a été fait », Le Gaulois,
17 avril 1880, repris dans Chroniques. Anthologie, éd. Henri Mitterand, Paris, Le livre de poche,
coll. « La Pochothèque », 2008, p. 1296.
213. Ibid., p. 1295.
214. Paul Alexis et Émile Zola, Émile Zola. Notes d’un ami. Avec des vers inédits d’Émile Zola,
préface de René-Pierre Colin, Paris, Maisonneuve & Larose, 2001 (1882), p. 184.
215. [Puech], « Nos Auteurs. Edmond de Goncourt chez lui. », L’Éclair, Journal de Paris,
politique quotidien, absolument indépendant, 11 juillet 1890.
216. Raitif de la Bretonne, rubrique « Pall-Mall Semaine » [vie mondaine], L’Écho de Paris,
19 novembre 1894.
217. Frantz Jourdain, À la côte, Paris, Librairie Moderne, 1889, p. 265-266.
218. Francis Vielé-Griffin, « Stéphane Mallarmé », art. cit., p. 131.
219. L’Amitié de Stéphane Mallarmé et de Georges Rodenbach : lettres et textes inédits 1887-
1898, éd. F. Ruchon, Genève, P. Cailler, coll. « Beaux textes, textes rares, textes inédits », 1949,
p. 126.
220. Voir sa réaction découragée à l’article « inepte » de Maurice de Fleury dans Le Figaro de
février 1891 (« M. Stéphane Mallarmé »), qu’il a accueilli, par faiblesse, chez lui (lettre de
Stéphane Mallarmé à Edmond Denan du 14 février 1891, dans Correspondance, op. cit., t. IV*,
p. 195).
221. Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, op. cit., p. 25.
222. Vittorio Pica, « Les Modernes Byzantins », La Revue indépendante, février-mars 1891,
repris dans Stéphane Mallarmé, op. cit., p. 185.
223. Pierre Quillard, « Stéphane Mallarmé. À propos de Pages », Le Mercure de France,
juillet 1891, repris ibid., p. 243.
224. Bernard Lazare, « Stéphane Mallarmé », Le Journal, 24 décembre 1892, repris ibid.,
p. 251.
225. Pierre Macherey, À quoi pense la littérature ?, Paris, Presses Universitaires de France,
1990.
226. Alphonse de Lamartine, « Lettre à M. Sainte-Beuve », Cours familier de littérature,
entretien CI, 1864, p. 326.
227. Pierre Barbéris proposera même de faire entrer Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme
dans l’histoire romanesque du xixe siècle (Pierre Barbéris, « Signification de Joseph Delorme en
1830 », dans Lectures du réel, Paris, Éditions sociales, coll. « Problèmes », 1973, p. 135).
228. Sainte-Beuve, Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme, op. cit., p. 50.
229. Ibid., p. 50-51.
230. Ainsi par exemple dans La Revue de Paris, scènes épisodiques, mêlées de couplets par
MM. Émile, de Courcy et Dupeuty, Paris, Barba, 1830, et dans la pièce de Dumersan et Brazier,
Les Brioches à la mode, ou le Pâtissier anglais, camaraderie en deux tableaux, mêlée de couplets,
ornée d’une ballade, précédée d’une dédicace à Maître André, et d’une préface, suivie d’une
postface, et accompagnée de notes explicatives, Paris, Quoy, 1830.
231. Honoré de Balzac, Illusions perdues, dans La Comédie humaine, éd. Pierre-Georges Castex
(dir.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1977 (1839), t. V, p. 315.
232. Osamu Nishio, La Signification du Cénacle dans La Comédie humaine de Balzac, Tokyo,
Éditions France Tosho ; Paris, Nizet, 1980.
233. Henry Murger, Scènes de la vie de bohème, op. cit., p. 301.
234. Henry Murger, Les Buveurs d’eau, Paris, Michel Lévy Frères, 1855, p. VI.
235. Jules Vallès, Le Bachelier, repris dans Œuvres, op. cit., t. II, p. 476.
236. Voir Anthony Glinoer, « Les gantés et les calleux », Cahiers Jules et Edmond de Goncourt,
n° 14, 2007, p. 93-101.
237. Celui-ci y dresse un portrait ironique de la secte réaliste : « Comment se produisit cette
religion ? Qui en fut l’inventeur ? Rien n’est plus difficile à constater. Ce fut une mode inventée
par un homme qui trouva quelques imitateurs, heureux de se raccrocher à une doctrine qui parut
nouvelle sur le moment. Il est certain que les Amis de la Nature se réunissaient en une sorte de
club dans une brasserie » (Champfleury, Les Amis de la Nature, Paris, Poulet-Malassis, 1859,
p. 16).
238. Edmond et Jules de Goncourt, Manette Salomon, Paris, Lacroix et Verboeckhoven, 1867.
239. Émile Zola, L’Œuvre, éd. Henri Mitterand, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Classique »,
1983 (1886), p. 105.
240. Ibid., p. 108.
241. On trouve aussi des cas de confrontation, dans un même lieu de sociabilité, entre une
coterie plus artistico-littéraire et une autre plus politique : ainsi dans Toute une jeunesse de
François Coppée où les Chevelures, poètes, s’opposent aux Barbes, anarchistes virulents (Paris,
Lemerre, 1890).
242. Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, op. cit., p. 91 (Chap. V).
243. Jules Vallès, Le Bachelier, op. cit., p. 481.
244. Victor Hugo, Les Misérables, éd. Guy Rosa et Annette Rosa, Paris, Robert Laffont, coll.
« Bouquins », 1985, p. 520.
245. Ibid., p. 872.
246. Jules Vallès, Le Bachelier, op. cit., p. 483.
247. « Une séance littéraire à l’Hôtel du Dragon bleu », dans [Paul Arène, Alfred Delvau, Jean
Du Boys, Alphonse Daudet et Bernard], Le Parnassiculet contemporain, recueil de vers nouveaux,
précédé de l’Hôtel du Dragon bleu, Paris, J. Lemer, 1867, p. 9-20.
248. Paul Arène, Jean-des-Figues, Paris, Lemerre, 1884 (1868), p. 95-99.
249. Alphonse Daudet, Le Petit Chose, Paris, Fasquelle, coll. « Le livre de poche », 1969
(1868), p. 210.
250. Ainsi encore dans Toute une jeunesse de François Coppée : « chaque poète se levait sans se
faire prier, posait sa chaise devant lui, et s’appuyant d’une main sur le dossier, déclamait son
sonnet ou son élégie. Assurément, plusieurs de ces bardes manquaient de génie. Quelques-uns
même étaient un peu grotesques. » (op. cit., p. 157)
251. Inspirée du Parnassiculet, cette satire de Gabriel Vicaire et Henri Beauclair tourne en
dérision la poésie « décadente » des années 1880. Les dix-huit poèmes parodiés sont précédés,
dans la deuxième édition, d’une Vie d’Adoré Floupette par Marius Tapora (pharmacien), qui
raconte l’introduction du néophyte dans le « cénacle » du Panier fleuri (vraisemblablement le
François Ier). On y reconnaît, sous des pseudonymes de haute couleur : Maurice Barrès, Stanislas
Guaita, Laurent Tailhade, et bien sûr le maître Verlaine, alias Bleucoton. La poésie, placée à
l’enseigne nouvelle du « Symbole », est l’objet d’une vénération ostentatoire, que dissimulent mal
les jalousies entre poètes (Les Déliquescences, poèmes décadents d’Adoré Floupette, avec sa vie
par Marius Tapora, Byzance, chez Lion Vanné [Paris : L. Vanier], 1885).
252. Pour n’en citer que quelques-uns : Dinah Samuel de Félicien Champsaur (1882),
Boul’Mich de Joseph Caraguel (1884), Le Désespéré de Léon Bloy (1887), La Maison de la vieille
de Catulle Mendès (1894), Paludes d’André Gide (1895), Le Salon de Madame Truphot de
Fernand Kolney (1904), Le Tréteau de Jean Lorrain (1906), etc.
253. À noter que l’un et l’autre proposeront sous la forme de souvenirs une reconstitution
historique.
254. Remarquons au passage qu’aucun titre ne fait apparaître le motif « groupal » : les deux
premiers pointent le projecteur vers le héros : Un Grand homme de province, Charles Demailly ;
les deux suivants, Le Termite et Le Soleil des morts, métaphoriques, suggèrent le thème du travail
(dévorant) et de la gloire (vaine).
255. Illusions perdues fait exception : des noms de personnes réelles (d’Arlincourt, Hugo,
Béranger) y côtoient ceux de personnages fictifs (Dauriat, Canalis, Nathan), mais jamais, même
sous forme pseudonymique, les personnages réels n’interviennent dans la diégèse. Les tentatives
pour retrouver dans les membres du Cénacle de d’Arthez les portraits d’hommes que Balzac aurait
fréquentés se sont d’ailleurs soldées par des échecs.
256. Les Goncourt ont livré une grande partie des clés des Hommes de lettres dans leur Journal
à la date du 31 mars 1861 (op. cit., t. I, p. 679-680) : « Mollandeux : Monselet ; Nachette : Scholl ;
Couturat : Nadar ; Montbaillard : Villemessant ; Florissac : A. Gaiffe ; Pommageot :
Champfleury ; Bressoré : A. Royer ; Soupardin : Duranty ; Laligant : C. Guys ; […] Masson :
Gautier ; Boisroger : Banville […] Rémonville : P. de Saint-Victor ; Grancey : mélange de
Penguilly et de C. Nanteuil. » Dans la liste, trois noms sont rayés, ceux de Lamperière,
Franchemont et Charvin. Ricatte a identifié les deux premiers, il s’agit de Charles-Edmond et
Barbey d’Aurevilly, bien que les Goncourt n’aient fait la connaissance réelle de ce dernier qu’en
1866… À ces noms, il faut ajouter ceux de Charles Demailly : les Goncourt eux-mêmes, « Un
romancier » : Flaubert.
257. Les clés sont confirmées dans les souvenirs des trois Buveurs d’eau : Antoine serait bien
une représentation de Joseph Desbrosses, Lazare celle du peintre Karol tandis qu’Olivier,
personnage d’une importance négligeable dans le roman, celle de Murger. Voir Histoire de Mürger,
op. cit., chapitre 15 de la première partie.
258. Sean Latham, The Art of Scandal. Modernism, Libel Law, and the Roman à Clef, Oxford,
Oxford University Press, 2009.
259. Honoré de Balzac, Illusions perdues, op. cit., p. 315.
260. Notons que, dans les premières versions du texte, le Cénacle ne comptait que cinq
membres : d’Arthez, Bianchon, Meyraux, Lambert et Chrestien. Ridal, Giraud, puis Bridau, ont été
ajoutés par la suite.
261. Émile Zola, L’Œuvre, op. cit., p. 104.
262. Edmond et Jules de Goncourt, Charles Demailly, Paris, Christian Bourgois, coll. « 10/18 »,
1990 (1860), p. 170.
263. Honoré de Balzac, op. cit., p. 315.
264. Ibid., p. 319.
265. Edmond et Jules de Goncourt, Charles Demailly, op. cit., p. 208.
266. Camille Mauclair, Le Soleil des morts, op. cit., p. 879.
267. Ibid., p. 892.
268. Voir le « cahier de conversations » de la deuxième partie.
269. Balzac lui-même n’en fait qu’une mention rapide en signalant que Lucien « y lut des
sonnets qui furent admirés » (Illusions perdues, op. cit., p. 320).
270. Comme l’a bien vu Elisheva Rosen, une distinction s’opère entre le banquet antique, le
symposion, au cours duquel des convives se réunissent en vue d’un échange philosophique, et le
deipnon qui est son travestissement satirique. Dans le deipnon, le repas devient le principal centre
d’intérêt ; on y mange et on y boit trop, ce qui permet d’enregistrer la dégradation progressive des
apparences sociales à travers celle des apparences physiques. On s’y empiffre, s’y enivre et ensuite
on y parle, bruyamment et chaotiquement. (Elisheva Rosen, « Le festin de Taillefer ou les
“Saturnales” de la monarchie de Juillet », dans Claude Duchet (dir.), Balzac et La Peau de chagrin,
Paris, Sedes, 1979, p. 115-126.)
271. Gautier (Théophile), « Le Bol de punch », dans Romans, contes et nouvelles, éd. Pierre
Laubriet (dir.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2002, t. I, p. 157.
272. Ibid., p. 172.
273. Bakhtine définit le chronotope comme un « lieu d’intersection des séries spatiales et
temporelles du roman » (Mikhail Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, coll.
« Tel », 1987 [1978 pour la traduction française], p. 387).
274. Honoré de Balzac, Illusions perdues, op. cit., p. 408.
275. Émile Zola, L’Œuvre, op. cit., p. 138.
276. Honoré de Balzac, Illusions perdues, op. cit., p. 314.
277. Ibid., p. 309.
278. La paronymie de leur nom (Arthez/Armel) nous y invite.
279. Camille Mauclair, Le Soleil des morts, op. cit., p. 879.
280. Honoré de Balzac, Illusions perdues, op. cit., p. 314.
281. Ibid., p. 315.
282. Ibid., p. 325
283. Henry Murger, Les Buveurs d’eau, op. cit., p. 80.
284. Edmond et Jules de Goncourt, Charles Demailly, op. cit., p. 177.
285. Ibid., p. 172.
286. Camille Mauclair, Le Soleil des morts, op. cit., p. 877.
287. Honoré de Balzac, Illusions perdues, op. cit., p. 319.
288. Edmond et Jules de Goncourt, Charles Demailly, op. cit., p. 207.
289. Camille Mauclair, Le Soleil des morts, op. cit., p. 907.
290. J. H. Rosny, Le Termite : roman de mœurs littéraires, Paris, Albert Savine, 1890, p. 85.
291. Honoré de Balzac, Illusions perdues, op. cit., p. 315.
292. Edmond et Jules de Goncourt, Charles Demailly, op. cit., p. 80.
293. Camille Mauclair, Le Soleil des morts, op. cit., p. 876.
294. Edmond et Jules de Goncourt, Charles Demailly, op. cit., p. 199.
295. Henry Murger, Les Buveurs d’eau, op. cit., p. 88.
296. Honoré de Balzac, Illusions perdues, op. cit., p. 365.
297. « Ce que nous allons chercher : c’est une toison d’or qui a un nom bien ridicule ; c’est tout
bêtement l’Idéal » (Edmond et Jules de Goncourt, Charles Demailly, op. cit., p. 199).
298. Camille Mauclair, Le Soleil des morts, op. cit., p. 876.
299. Edmond et Jules de Goncourt, Charles Demailly, op. cit., p. 208.
300. Ibid., p. 198.
301. Ibid., p. 192.
302. Honoré de Balzac, Illusions perdues, op. cit., p. 371.
303. Camille Mauclair, Le Soleil des morts, op. cit., p. 957.
304. Ibid., p. 983.
305. Honoré de Balzac, Illusions perdues, op. cit., p. 478.
306. Henry Murger, Scènes de la vie de bohème, op. cit., p. 63.
307. Voir Jerrold Seigel, Paris bohème (1830-1930), trad. Odette Guitard, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèques des Histoires », 1991 (1986).
308. Henry Murger, Scènes de la vie de bohème, op. cit., p. 104.
309. Ibid., p. 69.
310. Murger insiste beaucoup sur l’effet pétrifiant du cénacle (ibid., p. 62 et p. 302), opposé aux
vertus vivifiantes de la bohème.
311. Ibid., p. 301-303.
312. Ibid., p. 397.
313. Honoré de Balzac, Illusions perdues, op. cit., p. 349.
314. Henry Murger, Scènes de la vie de bohème, op. cit., p. 62.
315. Henry Murger, Les Buveurs d’eau, op. cit., p. VI.
316. Ibid., p. 102.
317. Ibid., p. 107.
318. Ibid., p. 292.
319. Ibid., p. VIII (Introduction).
320. Edmond et Jules de Goncourt, Charles Demailly, op. cit., p. 189.
321. Voir son portrait aux chap. XXVI-XXVII (ibid., p. 159-169).
322. « Tu nous a lâchés », lui reproche Bressoré lors de sa dernière virée à la campagne avec le
groupe (ibid., p. 360).
323. « Sauvons-nous », s’écrie Rémonville en entendant la « Chanson des petits agneaux »
déclamée par toute la bande du Scandale dans le cabinet à côté (ibid., p. 202).
324. « Au bout de quelques-uns de ces dîners, il arriva, comme il arrive toujours, des intrus qui
poussèrent la porte, et qui, une fois assis, dérangèrent la nappe, la causerie et les idées. Les
fondateurs se résolurent alors à quitter le Moulin rouge, et l’on se mit à dîner à tour de rôle, les uns
chez les autres. » (Ibid., p. 208.)
325. Ibid., p. 211.
326. « Le mariage nous est défendu […] Le célibat est nécessaire à la pensée », font dire les
Goncourt à Charles Demailly (ibid., p. 229-230).
327. Ibid., p. 199.
328. Ibid., p. 359.
329. Les Goncourt parlent d’une « communion de […] pensée avec de grands génies » (ibid.,
p. 173). Cette idée d’une communion spontanée entre les grands esprits poétiques nous rapproche
de la conception romantique, hugolienne en particulier, de l’amitié cénaculaire, conçue comme une
« communication électrique » des âmes.
330. Ibid., p. 192.
331. Émile Zola, L’Œuvre, op. cit., p. 109. Nous soulignons.
332. Ibid., p. 225.
333. Ibid., p. 231.
334. Ibid., p. 377.
335. On y retrouve les topoi du roman d’initiation à la vie littéraire avec ses épreuves habituelles
(rêve de gloire, quête de reconnaissance, jalousie des condisciples, éreintage de la critique, échec
public). Les « scènes de groupe » y occupent, comme dans les récits de Balzac, Murger, Goncourt
et Zola une place de choix : Noël Servaise dans le cercle de Fombreuse rejoue la scène de Lucien
de Rumbempré dans le Cénacle de Daniel d’Arthez.
336. Milan Kundera, L’Art du roman, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1986, p. 50. Et citation
suivante. C’est Kundera qui souligne.
337. J.-H. Rosny Aîné, Journal. Cahiers 1880-1897, éd. Jean-Michel Pottier, Tusson, Du Lérot,
coll. « D’après nature », 2008.
338. Cette fracture entre l’écrivain moderne et ses semblables est pointée par Jules Case dans
son compte rendu du Termite : depuis Charles Demailly, écrit-il, « l’homme de lettres est détaché
de sa souche originelle, ne participant plus à la vie ambiante, ayant localisé son ambition dans le
domaine purement littéraire. Tout lui devient étranger en dehors de sa copie. » Avec Le Termite, le
mal s’aggrave encore : l’homme de lettres devient littéralement un fou et un malade, « abreuvé
d’encre » (« Littérateur », Le Figaro, 2 mars 1890).
339. Edmond et Jules de Goncourt, Journal, éd. Robert Ricatte, op. cit., t. III, p. 335 (17 octobre
1889).
340. J. H. Rosny, Le Termite, op. cit., p. 86.
341. Jules Lemaître. « Le Termite », dans Les Contemporains. Études et portraits littéraires
(cinquième série), Paris, Ancienne Librairie Furne, Boivin et Cie, 1892, p. 148.
342. J. H. Rosny, Le Termite, op. cit., p. 90.
343. Ibid., p. 105.
344. Ibid., p. 137.
345. Camille Mauclair, Le Soleil des morts, op. cit., p. 881.
346. Ibid., p. 910.
347. Ibid., p. 939
348. Ibid., p. 938.
349. Voir Le Snobisme et les lettres françaises, de Paul Bourget à Marcel Proust, 1884-1914,
Paris, Armand Colin, 1966.
350. Camille Mauclair, Le Soleil des morts, op. cit., p. 907.
351. Ibid., p. 908.
352. Ibid., p. 953.
353. Ibid., p. 944.
354. Ibidem.
355. Ibid., p. 950.
356. Ibid., p. 1007.
357. Balzac l’emploie dans La Recherche de l’absolu (La Comédie humaine, op. cit., t. X,
p. 755).
358. L’expression est récurrente dans le roman de Mauclair (Le Soleil des morts, op. cit., p. 876,
910, etc.).
359. Edmond et Jules de Goncourt, Journal des Goncourt, éd. Jean-Louis Cabanès, Paris,
Champion, coll. « Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux », 2005, t. I, p. 711
(Préface à l’édition de 1887).
360. Ibidem.
361. Du titre d’un recueil de poèmes de Mendès, qui revient sur l’épopée du Parnasse.
362. « Les Parnassiens. Comment se forme une école », Le Gaulois, 23 janvier 1876.
363. Le Gaulois, 23 août 1880.
364. Voir Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation,
Paris, Armand Colin, 2004. Sur le genre des mémoires au xixe siècle, on peut lire de Damien
Zanone, Écrire son temps. Les Mémoires en France de 1815 à 1848, Lyon, Presses Universitaires
de Lyon, 2007.
365. Alexandre Dumas, Mes Mémoires, éd. Pierre Josserand, Paris, Robert Laffont, coll.
« Bouquins », 1989 (1852-1854), t. I, p. 1051.
366. Ibid., t. I, p. 1105.
367. Ibid., t. I, p. 1106.
368. Ibid., t. I, p. 1076.
369. « On ne manquait jamais à une convocation faite par notre cher Nodier et notre belle
Marie. Tout le monde fut donc au rendez-vous. Par tout le monde, j’entends notre cercle ordinaire
de l’Arsenal : Lamartine, Hugo, de Vigny, Jules de Rességuier, Sainte-Beuve, Lefebvre, Taylor, les
deux Johannot, Louis Boulanger, Jal, Laverdant, Bixio, Amaury Duval, Francis Wey, etc. » (Ibid.,
t. II, p. 521.)
370. La préface des Chants modernes de Maxime Du Camp est pénétrée de cette doxa : « J’ai
rêvé l’union des gens de lettres ; j’ai rêvé qu’oubliant les vieilles dissidences, de sots malentendus,
et de puériles dissensions, ils s’assembleraient un jour sous le même drapeau [et seraient prêts à]
mourir pour lui. » (Maxime Du Camp, « Préface » des Chants modernes, Paris, Michel Lévy
Frères, 1855, p. 34.)
371. Une première édition paraît aux Bureaux de l’administration du Bien public en 1872 ; une
deuxième édition, suivie de Notices romantiques et d’une Étude sur la poésie française, 1830-
1868, voit le jour chez Charpentier en 1874.
372. Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, Paris, Plon, coll. « Les Mémorables », 1985 (1863),
p. 450.
373. Journal d’un poète, recueilli et publié sur des notes intimes d’Alfred de Vigny par Louis
Ratisbonne, Paris, Michel Lévy Frères, 1867, p. 78.
374. « Eugène Devéria » [notice nécrologique], Le Moniteur, 6 juillet 1866, repris dans
Théophile Gautier, Histoire du Romantisme suivi de Quarante portraits romantiques, éd. Adrien
Goetz, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Classique », p. 424. Refrain identique dans la notice de Louis
Boulanger : « À cette époque, les peintres et les poètes vivaient familièrement ensemble, et
c’étaient d’un art à l’autre d’incessants et profitables échanges. Le poète prenait quelquefois le
crayon et le peintre la plume. » (Ibid., p. 226.)
375. Ibid., p. 221.
376. Ibid., p. 18.
377. Ibid., p. 17.
378. Ibid., p. 18.
379. Ibid., p. 32.
380. Gérard de Nerval, La Bohême galante, éd. Philippe Destruel, Tusson, Du Lérot, 2007, p. 4.
381. Théophile Gautier, Histoire du Romantisme, op. cit., p. 125.
382. Étienne-Jean Delécluze, Louis David, son école et son temps. Souvenirs, Paris, Didier,
1855, p. 89 (rééd. Jean-Pierre Mouilleseaux, Paris, Macula, coll. « Vivants Piliers », 1997). Tout en
qualifiant d’extravagantes les doctrines de Maurice Quaï, Delécluze admet que le jeune chef eut
une influence sur ses camarades et, partant, sur l’art de l’époque.
383. Étienne Delécluze, Souvenirs de soixante années, Paris, Michel Lévy Frères, 1862, p. 263.
384. Rappelons que Sainte-Beuve consacre un grand article dans la presse au livre de Delécluze
en s’arrêtant longuement sur son cénacle : « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean
Delécluze », Le Constitutionnel, 18 août 1862 (repris dans Nouveaux Lundis, Paris, Calmann-
Lévy, 1885, t. IV, p. 107).
385. Étienne Delécluze, Souvenirs de soixante années, op. cit., p. 346.
386. Histoire de Mürger pour servir à l’histoire de la vraie Bohème par trois Buveurs d’eau, op.
cit.
387. Ibid., p. 204.
388. Champfleury, Souvenirs et portraits de jeunesse, Paris, Dentu, 1872, p. 94.
389. Ibid., p. 188.
390. Antoni Deschamps, « Élégie XIX », dans Poésies, Genève, Slatkine reprints, 1973 (1835),
p. 108.
391. Sainte-Beuve, « À Madame Tastu », dans Pensées d’août (1837), repris dans Poésies
complètes, Paris, Charpentier, 1890, p. 328. Ces vers datent de 1835 : Sainte-Beuve les inséra dans
son article sur Tastu qui parut dans la Revue des deux Mondes du 15 février 1835.
392. Alfred de Musset, « Réponse à Charles Nodier », dans Poésies nouvelles, éd. Patrick
Berthier, Paris, Gallimard, coll. « Poésies », 1976 (1843), p. 407.
393. Arsène Houssaye, « Vingt ans », dans Les Confessions : souvenirs d’un demi-siècle. 1830-
1880, Paris, Dentu, 1885, t. I, p. 315-316.
394. Théophile Gautier, « Le Château du souvenir », dans Émaux et Camées, Œuvres poétiques
complètes, éd. Michel Brix, Paris, Bartillat, 2004, p. 542-550.
395. On peut y ajouter la résurgence de deux nouveaux cénacles : celui de la Muse française
évoqué par Charles Brifaut dans ses Récits d’un vieux parrain à son jeune filleul (Paris, Diard,
1858, t. I) et celui des dîners Magny dans les Souvenirs et indiscrétions de Sainte-Beuve, publiés
par son secrétaire Jules Troubat (Paris, Michel Lévy Frères, 1872).
396. Introduction à l’étude de la stratégie littéraire, Paris, É. Sansot & Cie, 1912, p. 49.
397. Rapport sur le progrès des lettres, par MM. Sylvestre de Sacy, Paul Féval, Théophile
Gautier et Éd. Thierry, Paris, Imprimerie Impériale, 1868.
398. Théophile Gautier, « Avertissement » de l’Histoire du romantisme suivie de Notices
romantiques et d’une étude sur la poésie française, Paris, Charpentier, 1874, p. V.
399. Ibid., p. 336.
400. Gustave Kahn, Symbolistes et décadents, Paris, Vanier, 1902.
401. Paul Valéry, Discours de réception à l’Académie française (16 [sic pour 23] juin 1927),
Paris, Éditions de la Nouvelle Revue française, 1927.
402. Théophile Gautier, Histoire du Romantisme romantique, op. cit., p. 73.
403. Ibidem.
404. Catulle Mendès, La Légende du Parnasse contemporain, Bruxelles, A. Brancart, 1884.
405. Ibid., p. 16.
406. Ibid., p. 17.
407. « En attendant, il est temps de dire comment et par quelles aventures s’est formé ce
cénacle, si longtemps bafoué. » (Ibid., p. 28.)
408. Ibid., p. 9.
409. Ibid., p. 222.
410. Ibid., p. 227.
411. Ibid., p. 225.
412. Ibid., p. 40.
413. Ibid., p. 211. La même idée se retrouve chez Du Camp : « Le grand homme du Cénacle,
celui à qui l’on prédisait toute gloire à venir […], c’était Pétrus Borel. On disait sans rire : “Le père
Hugo n’a qu’à bien se tenir, il sera réduit en poudre dès que Pétrus débutera !” Pétrus a débuté, et
sauf ses amis, personne ne s’en est aperçu. » (Maxime Du Camp, Théophile Gautier, Paris,
Hachette, 1907 [1890], p. 39)
414. Rappelons que la Légende regroupe quatre « conférences » (ou « causeries »), dites en
public et publiées en extrait dans la Revue littéraire de novembre 1884, avant d’être rassemblées
en volume.
415. Catulle Mendès, La Légende du Parnasse contemporain, op. cit., p. 225-230.
416. Ibid., p. 139.
417. Amaury-Duval, Souvenirs (1829-1830), Paris, Plon, Nourrit, 1885 ; Victor Pavie, Œuvres
choisies, Paris, Perrin, 1887, t. II : Souvenirs de jeunesse et revenants, poésies ; Édouard Grenier,
Souvenirs littéraires, Paris, Lemerre, 1894.
418. Arsène Houssaye, Les Confessions, op. cit., (chap. « La Bohème romantique »).
419. Paul Verlaine, Les Mémoires d’un veuf, Paris, Vanier, 1886 ; François Coppée, l’homme, la
vie et l’œuvre : 1842-1889, par M. de Lescure, avec des fragments de mémoires par François
Coppée, Paris, Lemerre, 1889 ; Louis-Xavier de Ricard, articles sur le groupe des Parnassiens
publiés de 1891 à 1893 dans la presse, recueillis dans Petits mémoires d’un Parnassien, éd.
Michael Pakenham, Paris, Lettres modernes, 1967 ; Sully Prudhomme, Testament poétique, Paris,
Lemerre, 1901.
420. Jules Troubat, « Le dîner Sainte-Beuve », Le Figaro, 26 avril 1879.
421. Les volumes 2 et 3 (portant sur les années 1862-1865 et 1866-1870) sont publiés en 1888
chez Charpentier.
422. Armand Silvestre, Au pays des souvenirs. Mes maîtres et mes maîtresses, Paris, Librairie
illustrée, 1892.
423. Maxime Du Camp, Souvenirs littéraires, Paris, Hachette, 1882-1883, 2 vol. ; Guy de
Maupassant, articles sur Flaubert publiés dans Le Gaulois, et dans l’Écho de Paris de 1880 à
1890 ; Paul Alexis, Émile Zola. Notes d’un ami. Avec des vers inédits, Paris, Charpentier, 1882.
424. Catulle Mendès, « À Léon Dierx », dans Les Braises du cendrier, Paris, Fasquelle, 1899,
p. 3-10.
425. Paul Verlaine, Dédicaces, Paris, Vanier, 1901, p. 5-6. Le poème apparaît d’abord dans une
lettre à Cazals de 1889.
426. Gustave Kahn, Symbolistes et décadents, op. cit., p. 22.
427. Ibid., p. 31.
428. Henri de Régnier, Figures et caractères, Paris, Mercure de France, 1901, p. 62-63.
429. Ibidem.
430. Ibid., p. 118-120.
431. Mockel (1899), Retté (1903), Tailhade (1920), Ghil (1923), Kahn (1925), Fontainas (1928),
Gide (1928), Mauclair (1935), Dujardin (1936), Bonniot (1936), Ajalbert (1938), Valéry (Écrits
divers sur Stéphane Mallarmé, 1950). Aussi nombreux sont les visiteurs qui se remémorent le
Grenier de Goncourt : Julia Daudet (1910), Raffaëlli (1913), Léon Daudet (1920), Rosny (1921),
Jourdain (1922), Lecomte (1934), Hermant (1935), Descaves (1946).
432. Dominique Caillé, Un Romantique de la première heure. Evariste Boulay-Paty. Son journal
intime et sa correspondance. 1829-1831, 1906 ; Léon Séché, Le Cénacle de la Muse française,
1908 ; André Pavie, Médaillons romantiques, 1909 ; Paul Lafond, L’Aube romantique. Jules de
Rességuier et ses amis, 1910 ; Léon Séché, Le Cénacle de Joseph Delorme, 1911 ; Henri Girard,
Le centenaire du Premier cénacle romantique, 1926, etc.
433. Scribe est l’un des rares, dans La Camaraderie (1837), à le porter sur les planches. Encore
la pièce bifurque-t-elle très vite vers une intrigue politico-amoureuse.
434. Étrangement, les représentations picturales collant le mieux à l’image qu’on se fait du
cénacle sont deux tableaux, le premier d’Auguste Renoir (L’Atelier de la rue Saint-Georges, 1876)
montrant des artistes en pleine discussion, le second de Theodore Van Rysselberghe (La Lecture,
1903) montrant une lecture faite chez Verhaeren, tableaux intéressants au point de vue de leur
scénographie (ils échappent à la caricature [Panthéon] ou à la pose [Fantin-Latour]), bien qu’ils
prennent respectivement pour sujet un cénacle subalterne et un cénacle imaginaire. Comme l’écrit
Alain Bonnet, en dépit de la fortune considérable que connaît au xixe siècle la représentation
picturale, les communautés d’avant-garde ont peu recouru au portrait de groupe (Alain Bonnet,
Artistes en groupe. La Représentation de la communauté des artistes dans la peinture du
e
xix siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Art & Société », 2007).
435. Philippe Hamon, Imageries. Littérature et images au xixe siècle, Paris, José Corti, 2001.
436. Jules Vallès, Le Bachelier, dans Œuvres, op. cit., p. 476.
437. Ainsi sous la plume enthousiaste de Victor Pavie : « Ici, l’on respirait comme une odeur de
poudre, au sein de cette frémissante jeunesse, amie, ennemie d’un seul bloc, et du même pas,
s’élançant à la commune conquête. L’on eût dit un conseil de guerre où les plans se discutaient, où
se répartissaient les rôles, où les rumeurs du dehors, assidûment recueillies, fomentaient les
indignations et exaltaient les espérances. Il n’y avait pour trêve à ces démonstrations belliqueuses
que les épisodes tirés des intimités du ménage, – soit le cri d’un nouveau-né suspendu à sa mère, et
réveillé en sursaut par la violence des explosions, soit l’effarement des aînés courant, à l’heure du
coucher qui sonne, s’assurer d’un refuge entre les genoux paternels. » (Victor Pavie, Œuvres
choisies, op. cit., t. II, p. 106.)
Conclusion
1. Lettre de Sainte-Beuve à Victor Hugo, [février-mars 1830] dans Victor Hugo et Sainte-Beuve,
Correspondance, éd. Anthony Glinoer, Paris, Champion, coll. « Bibliothèque des correspondances,
mémoires et journaux », 2004, p. 70.
2. Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Gallimard, 1972 (1932), p. 354.
3. Sur cette nécessité familiale du regroupement entre pairs, les témoignages abondent jusqu’à la
fin du siècle : « Jamais époque, se souvient Gustave Guiches, ne fut moins individualiste que le
temps présent. Le trait le plus distinctif de nos actuelles mœurs littéraires est le besoin de se
grouper » (Gustave Guiches, Au banquet de la vie, Paris, Spes, 1925, p. 199. Nous soulignons.).
Judith Gautier, de manière moins ingénue, décrète, après Sainte-Beuve et tant d’autres, que ces
regroupements « familiaux » entre écrivains et artistes sont un des principes les mieux vérifiés et
les moins discutables, du système littéraire : « Il est bien évident que toujours, en même temps
qu’un homme de génie, il naît un petit groupe d’élus, appelés à le comprendre, à former autour de
lui ce bataillon dévoué qui doit le défendre, le consoler de la haine universelle et le soutenir, dans
sa montée au Golgotha, en lui affirmant sa divinité » (Judith Gautier, Le Collier des jours : le
second rang du collier, souvenirs littéraires, Paris, F. Juven, [1905], p. 178.)
4. Jules Renard, Journal 1887-1910, éd. Henry Bouillier, Paris, Robert Laffont, coll.
« Bouquins », 1990, p. 9 (31 octobre 1887).
5. Henry Murger, Les Buveurs d’eau, Paris, Michel Lévy Frères, 1855, p. 74.
6. Nous parlons ici du Salon de peinture et sculpture, qui exposait chaque année les œuvres
agréées au Louvre.
7. Sainte-Beuve, « Des soirées littéraires ou Les Poètes entre eux », dans Paris ou Le Livre des
Cent-et-un, Paris, Ladvocat, t. II, 1832, repris dans Anthony Glinoer, La Querelle de la
camaraderie littéraire. Les romantiques face à leurs contemporains, Genève, Droz, 2008, p. 144-
145.
8. Sainte-Beuve, « Poètes modernes : Victor Hugo », Revue des deux Mondes, 1er août 1831,
repris dans Victor Hugo, Œuvres complètes, éd. Jean Massin, Paris, Le Club Français du Livre,
1967, t. II, p. 1069.
e
9. Cité par William Marx, L’Adieu à la littérature : histoire d’une dévalorisation, xviii -
e
xx siècle, Paris, Minuit, coll. « Paradoxe », 2005, p. 73.
10. C’est Mallarmé qui le dit dans sa réponse à l’Enquête sur l’évolution littéraire de Jules
Huret, éd. Daniel Grojnowski, Vanves, Thot, 1982, p. 80.
11. Maxime Du Camp, Souvenirs littéraires, Paris, Hachette, 1882, t. II, p. 332.
12. Charles Récolin, L’Anarchie littéraire, Paris, Perrin, 1898, p. 178.
13. Voir, sur les secondes, Éric Hazan, L’Invention de Paris : il n’y a pas de pas perdus, Paris,
Seuil, 2004 et Mark Traugott, The Insurgent Barricade, Berkeley, University of California Press,
2010.
14. « Les royalistes romantiques demandent la liberté littéraire et la révocation des lois qui
donnent des formes convenues à notre littérature ; tandis que les Libéraux veulent maintenir les
unités, l’allure de l’alexandrin et le thème classique. » (Balzac, Illusions perdues, dans La Comédie
humaine, éd. Pierre-Georges Castex [dir.], Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
1977 [1839], t. V, p. 337.)
15. Voir Dolf Oehler, Le Spleen contre l’oubli. Juin 1848. Baudelaire, Flaubert, Heine, Herzen,
trad. Guy Petitdemange, Paris, Payot, coll. « Critique de la politique », 1996 (1988).
16. Voir Neil McWilliam, Rêves de bonheur. L’art social et la gauche française (1830-1850),
trad. Françoise Jaouën, Paris, Les Presses du Réel, 2007.
17. Antoine Compagnon, Les Antimodernes : de Joseph de Maistre à Roland Barthes, Paris,
Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 2005.
18. Combien en effet de diatribes anti-ouvrières pour un petit poème en prose de Baudelaire ou
une page des Divagations de Mallarmé où l’ouvrier prend la parole ?
19. Théophile Gautier, « Préface » d’Albertus, dans Œuvres poétiques complètes, éd. Michel
Brix, Paris, Bartillat, 2004, p. 809.
20. « Quelle pitié, écrit Vallès, de voir tourner dans ces cercles étroits des intelligences qui
étaient fières et qui finissent, à ce jeu de cirque, par jouer le rôle du cheval blanc fouetté par
M. Loyal, se contentant de tourner sur la piste avec des grelots et des pompons, au lieu de
descendre dans l’arène et de faire la révolte des gladiateurs ! Le cénacle, tel qu’il s’est montré
jusqu’ici, s’est isolé dans son orgueil, a tracé un rond avec la badine de la fantaisie, comme
Popilius avec son bâton, et a déclaré qu’il s’enfermait là-dedans, et qu’il n’y laissait pas entrer les
profanes. Ces profanes-là sont des millions. » (Jules Vallès, « Les Cénacles », art. cit., p. 868)
21. Éric Hazan, L’Invention de Paris, op. cit., p. 423.
22. Comme le dit Sartre, lucide : « il était trop tôt, aucun lien réel ne les attachait au
prolétariat. » (Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1993 [1948],
p. 150.)
23. Sainte-Beuve, « Des soirées littéraires ou Les Poètes entre eux », art. cit., p. 148.
Bibliographie sélective
Œuvres
REVUE LITTÉRAIRE3
Ou bien encore :
…Vainqueur
Des Rackçhaças immondes,
Hari, dieu des trois mondes,
Confonds les attentats
Des noirs Bhûtas !
RIMES TOTALES