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Ouverture catalogue FémininMasculin

Exposition réalisée au Centre Pompidou en 1996.

Cette manifestation ne s'intitule pas « Masculin-Féminin, le sexe dans l'art », mais bien «
Fémininmasculin, le sexe de l'art ». En filigrane de ces glissements de mots se lit un double enjeu :
celui de réhabiliter le terme dévalué d'une opposition qui s'inscrit dans la tradition des couples
hiérarchisés de la pensée occidentale (forme/matière, vérité/mensonge, être/apparaître,
profondeur/surface, etc.) ; celui de montrer qu'au-delà du simple sujet (motif) artistique le sexe est
partie prenante des processus de l'art lui-même L'ambition de l'exposition est de montrer, en dehors
de toute approche chronologique, comment de nom; breuses œuvres d'art du XX° siècle sont venues
déstabiliser les fatalités biologiques, anatomiques et culturelles traditionnellement liées au sexe. «
Les deux sexes, remarque Thomas Laqueur, ne sont pas une conséquence naturelle et nécessaire de
la différence corporelle. [...] Au fond, la substance du discours de la différence sexuelle ignore
l'entrave des faits et demeure aussi libre qu'un jeu de l'esprit. »

Aborder l'art dans la perspective de la différence sexuelle, ce n'est pas opposer mécaniquement un art
« mas-
culin » à un art « féminin ». mais tenter de donner à voir comment les œuvres se trouvent traversées
par cette question, au-delà du sexe - du genre - des artistes qui les produisent. C'est aborder l'art en
terme d'intensités plutôt qu'en terme d'identités, en terme de devenir plutôt qu'en terme d'état… «
Fémininmasculin » montre la coexistence en ce siècle de deux généalogies artistiques concernant le
sexe.

L'une, représentée par Picasso, inscrite dans la tradition classique (et hégélienne) de la différence des
sexes, conçoit l'œuvre comme une opposition dialectique et organique du masculin et du féminin
(polarités, anta-gonismes, complémentarités...). L'autre, représentée par Duchamp, inaugure une
logique asymétrique, faisant circuler les intensités masculines et féminines sur un mode proliférant
qui opère une déterritorialisa-tion des entités anatomiques, identificatoires et formelles. Cette double
articulation se trouve elle-même subvertie par des démarches comme celles de Claude Cahun, Eva
Hesse, Annette Messager ou Louise Bourgeois, qui, à partir de leurs perspectives singulières,
conçoivent « une politique féminine molé. culaire, qui glisse dans les affrontements molaires et passe
en dessous, ou à travers » ( Deleuze & Guattari)*** Les artistes de la jeune génération (tant américaine
qu'européenne) nous semblent très sensibles à cette manière de déstabiliser les polarités
traditionnelles du masculin et du féminin, mettant en œuvre de nouvelles configurations éthiques et
formelles qui se situent au-delà de la différence sexuelle, et qui, en cela, se distinguent radicalement
des positions identitaires des années soixante-dix. C'est ce point de vue contemporain qui nous
autorise à lire l'histoire de l'art de ce siècle, au travers de cinq sections/sexions qui mettent en
perspective l'ensemble de ces relations, leurs transgressions, voire leurs tentatives d'évacuation.

Premier chapitre du cycle « Passage du Siècle », cette exposition ne pouvait qu'impliquer des artistes
d'aujourd'hui dans un dispositif vivant qui renouerait, mutatis mutandis, avec des expériences aussi
décisives que l'exposition « ÉROS » de 1959 ou, encore, celles de Niki de Saint-Phalle et Tinguely (Hon,
1966). Avec la complicité de Fabrice Hybert, Françoise Quardon et Claire Roudenko-Bertin, nous avons
imaginé la possibilité que soit créée sur le Forum du Centre une œuvre collective originale : qui joue
comme emblème de cette manifestation. Cette œuvre est en quelque sorte un précipité de
l'exposition (on y retrouve tous les seg ments qui la constituent), un réseau de matières, de formes,
d'odeurs et d'histoires faisant circuler les énergies et les potentialités de chacun, sans pour autant
annuler leurs contributions spécifiques.
Nous espérons y retrouver l'esprit qui a présidé à l'élaboration même de l'ensemble de cette
manifestation.
Notre aventure s'est quotidiennement nourrie des batailles, des malentendus, des escarmouches, des
cra-quenards, mais aussi bien des plaisirs, des émotions, des rires et des complicités amoureuses****
La gravité mêlée de désinvolture, caractéristique de notre contemporaine situation, ne nous a pas
arrêtés. A la complaisance mélancolique qui fait aujourd'hui office de morale et d'esthétique, nous
avons toujours pré féré, par inclination autant que par engagement délibéré, les quelques signes de
gai savoir érotique qui trans-paraissent, ici et là, dans les « hoquétements » de notre époque.

Marie-Laure

* Parce qu'il faut bien. parfois, renverser la vapeur.


** Parce que si l'art est un jeu. jouer c'est aussi jouir.
*** Parce que “les masques n'écoutent pas assez les fées” (Alberola)...
**** Parce que les choix des expositions collectives et thématiques se font par affinités électives et
sélectives. Mais ces expositions sont aussi traités de tous ceux qui n y sont pas et auraient dû en être
de tous ceux qui vou laient y être et n'y sont pas, de tous ceux qui ne voulaient pas en être.

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