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L’imaginaire social: itinéraire

sémantique, formes, actualité

Adama Samaké et Bidy Cyprien


Bodo

Connaissances & Savoirs

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L’imaginaire social: itinéraire
sémantique, formes, actualité

Introduction Adama Samaké et Bidy Cyprien Bodo


L’imaginaire social est un concept forgé, fondamentalement, par
Cornelius Castoriadis 1 pour désigner l’ensemble des représentations propres
à un groupe social. Partant du constat qu’une société est un ensemble de
significations sociales imaginaires incarnées par des institutions qui
l’animent, il affirme que l’imaginaire social est une création continue et
indefinite de représentations du monde et de modes de vie. L’imaginaire
social se situe alors au point de rencontre entre les théories de l’histoire et de
la société et les théories du langage et des représentations. Aussi, fait-il l’objet
d’une littérature abondante qui lui confère un vaste champ sémantique et
impose de nombreuses interrogations : D’où part-il ? Quels sont ses
fondements épistémologiques ? Quelles sont ses frontières définitoires ?
Comment l’appréhender dans une œuvre littéraire ?

Le présent ouvrage, fruit de la journée d’études internationale du 18 Juillet


2018 à l’université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan (Côte d’Ivoire),
confirme la transdisciplinarité de l’imaginaire social et soutient que sa
quintessence réside dans les évolutions culturelles et historiques, parce que,
jouant le rôle de régulateur de la vie collective, il se détermine comme le
système centralisateur de la vie sociale. Lieu de germination des mémoires et
espoirs collectifs, l’imaginaire social se présente, en effet, comme le noyau
structurateur de l’élaboration de l’Histoire entendue au sens hégéliano-
marxiste comme une évolution progressive des institutions socio-économico-
politiques. René Barbier affirme à juste titre que « L’idéologie est la part
rationalisée et rationalisable de l’imaginaire social » 2 .

Par conséquent, l’œuvre littéraire est un champ privilégié de sa formation


et de son expression, parce que l’imagination littéraire est réappropriation de

3
l’histoire. Aussi, Régine Robin affirme – t - elle que :

Le texte produit un sens nouveau, transforme le sens qu’il croit simplement inscrire, déplace le
régime de sens, produit du nouveau à l’insu même de son auteur ; tout le non-dit, l’impensé,
l’informulé, le refoulé entrainent des dérapages, des ratés, des disjonctions, des contradictions, des
blancs à partir desquels un sens nouveau émerge.3

En somme, l’art, la littérature en particulier, est une forme clé de la


construction ou du déploiement de l’imaginaire social, car il est un espace
spécifique d’inscription du social 4 .

Discours inaugural

L’imaginaire social : spécificité et détours d’un


attracteur de la trans-individualité Louis Obou
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Introduction
« Penser, c’est très joli, a dit Pablo Picasso, encore faut-il réfléchir ».
Réfléchir, c’est chercher la signification toujours neuve et jamais épuisée
d’une chose, mais menacée d’être coupée en herbe par de simples approches
de rhabillage. C’est une invitation à entrer dans les gloses sur un sujet, un
objet ou un événement en vue de l’interpréter ou d’en faire la critique. La
critique explique et éclaire une série de choix, de refus et d’audaces. Je vous
invite à parcourir cette élucubration sur : L’imaginaire social » : spécificité et
détours d’un attracteur de la trans-individualité.
La littérature est une pratique sociale et le monde social constitue un de ses
principaux référents, un des réservoirs où elle puise bon nombre de ses sujets.
En d’autres mots : la littérature parle socialement de la société. L’expression
d’une communauté d’esprits n’existe que parce qu’elle a une signification et il
n’y a de signification que liée à un temps et à une société. L’époque actuelle
est marquée par un éclectisme et un exotisme tant formels que thématiques.
L’uchronie du concept « imaginaire social » est loin d’être une balançoire,
devant la désarticulation du corps social.
Certains concepts se laissent définir aisément et d’autres ont des
définitions mouvantes du fait des diversités géoculturelle et conceptuelle. Il
en est ainsi des concepts « imagination » et « imaginaire », « imaginaire
social » qui, doctement parlant, continuent de tournevirer des penseurs depuis
Platon, Descartes, Freud, Lacan, Sartre, Gilbert Durand etc. (Aron et al, 2002,
pp. 369-371), certains d’entre eux n’ont pas hésité à alimenter un véritable
procès de l’imagination ou de l’« imaginaire » - source d’erreurs, domaine des
faux-semblants, une sorte d’abstraction flottante, au statut indéterminé, une
simple hydrologie de la conscience pour les uns, auxiliaire de la connaissance,
source de création ou de créativité pour les autres - entretenant ainsi une
psychose de « sinistrose » qui peut conduire à de carrefours d’interprétation
ou de tendance théoriciste dans leur rapport fécondant avec le social.
La spécificité de l’imaginaire social est qu’il ne se bâtit pas sur des
isolements, mais sur un ensemble de tissages sociaux. Ainsi, est spécifique,
dans l’imaginaire social, ce qui appartient en propre à l’ensemble des
individus interféconds par rapport à la totalité des autres espèces, sans que
cette interfécondité soit absolue. L’institution imaginaire de la société (1975),
magnum opus de Cornelius Castoriadis, est devenue un corpus de référence
indispensable pour tous ceux qui s’efforcent - chacun avec ses connaissances,
sa formation, son tempérament propre, chacun tirant à soi toute la couverture

5
- de mieux comprendre la nature de l’imaginaire. C’est le retour de
l’imaginaire, le réel étant toujours analogon d’un ailleurs. Notre époque est
celle de la (de) privatisation des individus pour paraphraser autrement
Castoriadis (2011, p.118). Il n’est plus question du repli sur l’existence
individuelle, sans souci de la société dans laquelle l’on est immergé.
Du coup, le lecteur est désormais au carreau face à un attracteur lexical.
Comment les imaginaires sociaux permettent-ils de comprendre la question de
la visibilité sociale, son « unissonance »5 dans le mouvement fluctuant des
sociétés ? Comment certaines traditions d’écriture ont tenté de construire un
imaginaire groupal des « communautés imaginées » ? La réponse à ces
questions fera l’objet de notre contribution à la réflexion sur l’imaginaire
social.
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1. L’imaginaire et l’hybridation
interspécifique
Le balancement entre « imagination » et « imaginaire » tient en partie aux
subtilités de fonctionnement des communautés linguistiques dans le monde
académique. L’imaginaire est abordé dans une perspective théorique, tantôt
dans une posture épistémique. Constantin Von Barloewen citant Julia
Kristeva fait remarquer qu’« une contestation radicale, c’est une réévaluation
qui connaît ses sources, et si on ne fait pas ça, on ne fait rien » (2007, p.222).
Pour les anglophones Charles Taylor (2004), Michael Warner (2005) et
Manfred Steger (2008), le concept d’imagination (imaginaire) montre une
certaine propension à vouloir reconnaître une part d’autonomie de l’individu
dans l’activité imageante. Elle se présente alors comme un vecteur par lequel
un individu rapporte ses expériences directes à des choses très diverses. Ainsi,
l’imagination de chacun s’ajoute à un imaginaire social. Et c’est par « la force
de l’imagination » qu’une communauté est en mesure de se métamorphoser.
En tant que type social ou type sociétal, l’espèce sociale (dans le sens de
Durkhiem) englobe d’autres espèces d’institution déterminées ou mal
déterminées : types de familles et types de valeurs (économique ou morale).
L’espèce sociétale ne cesse d’échanger, de se mêler, de se combiner, en créant
dans sa sphère de nouvelles espèces imaginaires. Encore faut-il qu’il y ait un
principe d’unification qui ne peut être qu’un projet commun. Ainsi, les
actions provenant de lieux divers et situés en des moments divers peuvent se
coordonner en s’orientant vers une fin collective dans laquelle pourront
s’exprimer les exigences de la réciprocité.
Pour certains théoriciens, l’imaginaire social initie de nouveaux signes
d’identité, et des sites innovants de collaborations et de contestation dans
l’acte même de définir l’idée de société (Bahbba, 2007 :30). Ils se font l’écho
des aspirations individualistes à recomposer le social.
Pour Warner, par exemple, l’imaginaire social contribue à des publics
divers qui produisent leur propre localité sur un mode choisi. Il parle de deux
types de public dans l’imaginaire social : le public-audience dans une enceinte
aménagée (une conférence, un spectacle, un événement sportif…) et le public
de la sphère publique (2005). Par exemple, la « sphère publique » est « un
espace commun à travers une gamme de medias : interaction en vis-à-vis,
mais aussi sous forme d’imprimés et communications électroniques, à l’aide

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desquels ils (les individus) discutent des sujets d’intérêts communs et qui leur
permettent de se constituer une opinion commune à leur sujet » (Taylor,
2002 :12). La conséquence que nous tirons est que dans l’imaginaire social,
l’action du type public accédant à un sens, à une donation de sens de sa
spécificité, positionne le fonctionnement plénier de son imaginaire. Cet
imaginaire en lui (le type de public) fonctionne exactement comme un
habitus. Les types de public sur le même espace développent ce que le
biologiste nomme l’hybridation interspécifique.
Arjun Appadurai pense à un réseau de liens entre valeur, signification et
pratique grâce auxquels (à ces types de médiations), les individus arrivent à se
positionner dans un ensemble de paysage (culturelle, médiatique,
économique, etc.) en fonction duquel des collectifs se réinventent (2001,
p.140). L’imaginaire social n’est pas ce qui permet de s’imaginer un collectif
dont on n’aurait jamais l’expérience directe dans sa totalité.
Toutefois l’imaginaire n’est pas une ritologie, mais une « création
incessante et essentiellement indéterminée (social-historique et psychique) de
figures/formes à partir desquelles seulement il peut être question de quelque
chose » (Castoriadis, 1975 : 8). C’est un ensemble de choses maintenues par
l’esprit dans leur vérité et dans leur solidité native. Tout se passe comme s’il y
avait un accord originel entre le monde et l’homme. Cela permet à chacun
dans un groupe social de s’identifier, de savoir qui il est.
L’imaginaire social est ce qui « cadre l’articulation des expériences
individuelles et d’interaction, de leurs significations et des valeurs
correspondantes, y compris quand prévalent les pratiques d’interaction
directe » (Debarbieux, p. 25). Qu’en est-il alors de la construction de la réalité
sociale ? C’est ce glissement trans-individuel dans l’imaginaire social que
nous aimerions élucider.
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2. La dynamique des imaginaires
dans la construction de réalité
sociale
L’effort théorique de l’imaginaire prend en compte la spatialité. Les
formes de spatialité des imaginaires font vivre l’opposition/implication de la
différence et de l’altérité. L’on peut y découvrir des construits pratico-
heuristiques qui se lient, qui font sens et génèrent de l’altérité vis-à-vis de
l’extérieur.
Ainsi, pour construire une réalité sociale dans un tel espace, les individus
sont emmenés à se référer à « un arrière-plan » ou background (Taylor), ce
qui conduit à l’adoption de pratiques communes. En effet, c’est l’existence de
l’altérité, de la qualité d’être autre qui constitue la chance de survie et la
richesse de l’humanité (Sizoo, 2009, p. 162).
L’enjeu vital pour nos sociétés est de les transformer en des sociétés
portées par une culture de la relation tout en étant conscient que l’imaginaire
est intracyclique. Elle inclut la trace des dieux, la trace des héros et la trace
des hommes, et celles-ci sont saisies différemment. Cependant, elles servent
une intention sociale de diffusion de traits spécifiques, ciments vitaux d’un
imaginaire.
Voyons l’exemple d’un imaginaire communautaire dans Saison d’anomie
(1973) de Wole Soyinka. Dans cette œuvre, les Aiyero désignent un collectif
d’individus auxquels on reconnaît un ensemble de caractères objectivables
communs : la propriété privée y est bannie, une communauté auto-instituée,
un maître du grain - un fondateur guidé par le seul souci du bien commun que
les Aiyero ont fait sien.
La communauté Aiyero nous fait penser à une sorte de microclimat, une
serre dans laquelle peuvent pousser ou poussent certaines plantes qui
n’auraient aucune chance ailleurs. Ces plantes, ce sont les fils et les filles
d’Aiyero et la philosophie du grain. Ils ne se considèrent pas comme des
individus isolés, mais comme des membres d’un groupe, d’une communauté.
Grâce à une conscience trans-individuelle, même dans leur dispersion, les
jeunes de la communauté manifestent toujours la volonté de retrouver cette
terre ancestrale à laquelle ils sont liés comme par un cordon ombilical (p.3).
Leur attachement à la religion agraire, « la religion du grain » (p.10) n’est

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autre chose que la domestication de la nature et l’optimisation de la gestion
des ressources par l’observation constante des rituels de la régénération. Cette
harmonie se trouve également dans la prise de décision. Tous ont droit à la
parole. Chacun est écouté. Les décisions sont prises avec l’accord de tous. Le
chef spirituel Pa Ahimé joue le rôle de modérateur.
Aiyero est une désignation correspondant à une réalité sociale, construite
par des sentiments d’appartenance, de lueur des choses éclipsées, d’échec ou
de refus définis de manière contextuelle et relationnelle, par des unités de sens
liées à des expériences et à des positions matérielles dans cette société locale.
Nous notons dans le caractère événementiel de Saison d’Anomie que les
« principes de socialité » à Aiyero ne sont pas définis par la langue, ni par la
coutume, mais par les désirs et par l’amplitude de la volonté des membres de
ladite communauté. L’imaginaire communautaire s’exprime dans
l’intersubjectivité, dans des expériences qui relèvent de la croyance et de
l’affect. Les rassemblements autour du « maître de grain » marquent, sur un
mode expressif, un attachement collectif. Son imaginaire est une combinaison
de pratiques effectives de ses habitants, de significations que ces derniers leur
attachent et de la réflexivité à laquelle ils procèdent à partir de la
connaissance ordinaire de ce qui unit les unes et les autres. (p.51)
Dans cette société, Aiyero est vu comme un espace instituant parce qu’il
constitue une composante fondamentale de l’univers symbolique des Aiyero.
En effet, l’univers institutionnel désigne l’ensemble des institutions dont se
dote ce collectif, pour organiser et réguler les pratiques d’interaction entre ses
membres. Ces derniers partagent un ensemble de croyances qui constitue
l’intentionnalité collective des Aiyero.
Ici, l’imaginaire est associé à leur identité, il participe à leur
autocompréhension. À Aiyero, la philosophie du maître de grain (une sorte de
demopédie) est un môle qui, de façon métaphorique et autoréférentielle,
préserve Aiyero contre l’aliénation, la dispersion des membres de la
communauté. C’est un facteur de stabilisation politique et social.
Dans cette communauté, les images de soi et les auto-identités se
constituent dans le domaine des styles culturels, des idéaux esthétiques de la
communauté. Chacun y éprouve un sentiment d’appartenance. Ce lieu
instituant « (il) permet à cette communauté d’être ce qu’elle s’attache à être »
(Castoriadis, p.244). Il s’agit d’un cadre général en fonction duquel ses
membres se mettent à penser, non seulement les relations entre Aiyero et son
environnement, mais Aiyero lui-même sur la base de ses relations avec la
communauté mère Ayierotomo et avec le monde extérieur (Shage).

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La communauté Aiyero est marquée par des distinctions du matériel et du
spirituel, de l’extérieur et de l’intérieur. Il s’agit d’un imaginaire social
différentialiste. L’« imaginaire différentialiste » est perçu par Zaki Laïdi
comme ce qui « inclut toutes les représentations qui, au nom de la tradition et
par opposition à la mondialisation, insistent sur la préservation ou la
refondation des différences au nom de la race, de la religion ou de la nation »
(Laïdi, 1998). L’imaginaire social différentialiste est intégrateur de valeur.
En effet, dans cette société, l’imaginaire social différentialiste intègre des
aspirations individualistes à recomposer le social : Ofeyi, Demakin et les
agents cartel, du fait de leur appétence de nouveauté. Ces derniers imaginent
de rebattre les cartes de ce collectif social et des agencements de son espace,
vis-à-vis desquels ils se repositionnent. Ainsi, les idéologies du « moi »
trouvent un point d’ancrage social dans la constitution des communautés dont
l’existence est conditionnée par l’intérêt immédiat qu’on en tire.
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Conclusion
Cette réflexion a montré que l’imaginaire scelle l’existence d’une société
et la façon commune de penser son monde et de penser en son sein. La
communauté Aiyero est un cas placé sous le signe de l’évidence.
Le sujet est immense et il n’est pas possible ici d’en étudier les multiples
dimensions. Il faudrait envisager une fonction classificatoire de l’imaginaire
qui émerge dans des conditions historiques précises. L’imaginaire relie les
conditions naturelles avec la construction de formes sociales nouvelles.
Comprendre la nature de l’« imaginaire social », C’est sourcer la
compréhension du monde qu’un individu acquiert sous l’effet de forces
sociales qui lui sont extérieures. Car l’imaginaire social est à la fois un mode
de signification et une forme.
L’on entend dire, le plus souvent, que « ce qui, trop s’étend, se perd de vue
et ne produit pas son effet ». À vous, honorables professeurs, confrères dans
la recherche, à vous maintenant la critique et l’invention.
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Bibliographie
Appadurai, Arjun, Modernity at Large. University of Minnesota
Press, 1996.
Barloeven von Constantin, Le livre des savoirs. Conversations avec
les grands esprits de notre temps, Grasset, 2007.
Castoriadis, Cornelius, - The Imaginary Institution of Society. MIT
University Press, 1987.
- « Les significations imaginaires », in Une société à la dérive, Entretiens
et débats, Seuil, Paris, 2011, p.118.
Debarbieux, Bernard, L’espace de l’imaginaire. Essais et détours,
Paris, CNRS, 2015.
Laïdi, Zaki, « Les imaginations de la mondialisation », Esprit, N°246,
1998, pp. 85-99.
Ricoeur, Paul, Lectures on Ideology and Utopia, G. Taylor (ed.),
Chicago University Press,Chicago, IL, 1986.
Ricoeur, Paul, « Imagination in Discourse and Action », in G
Robinson & J Rundell, (eds.),Rethinking imagination : Culture and
Creativity, Routledge, London, pp. 118-135.
Sizoo, Edith, Par-delà le féminisme, Paris, Éditions Charles Léopold
Mayer, 2009.
Taylor, Charles, Modern Social Imaginaries , Duke University Press,
2004.
Tucker, Robert C., The Marx-Engels Reader, Norton, 1972.
Warner, Michael, Publics and Counterpublics, Zone Books, 2003.

Premier axe Sémantique des images et du mot

Chapitre 1. De l’imaginaire aux imaginaires René


Gnaléga
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Résumé :
L’Imaginaire n’est pas un thème périphérique dans la création artistique et
littéraire. Il requiert une attention particulière dans la saisie des œuvres de
l’esprit. Notre projet, ici, est de tenter de saisir ou de capter ses différentes
flexions. Du point de vue étymologique, l’imaginaire est le monde créé,
imaginé. C’est en cela qu’il est en relation synonymique avec le fictif. Et cette
aptitude à faire surgir un autre univers sur les débris du monde sensible a pour
nom imagination. Fruit de l’imagination, l’imaginaire présente différentes
ramifications parce qu’il fait l’objet de diverses saisies par les critiques. On
notera que si Gaston Bachelard en est le premier vrai architecte de
l’imaginaire, Jean Paul Sartre, Gilbert Durant et Jean Burgos développent des
variantes dans son utilisation. Par conséquent, il demeure un concept fécond.

Mots-clés : Imaginaire – Imagination – Fiction – Images - Poétique


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Introduction
L’Imaginaire n’est pas un thème périphérique dans la création artistique et
littéraire. Il requiert par conséquent une attention particulière dans la saisie
des œuvres de l’esprit. Notre relation au monde qui nous entoure fait vriller
notre imagination qui a pour substrat les images. Celles-ci peuplent notre
vécu quotidien au point de nous donner le tournis. Notre projet est ici
ambitieux en ce que nous tenterons de saisir ou de capter les différentes
flexions au cœur de ce qu’on appelle l’imaginaire. Dans une démarche qui se
voudra synoptique, nous partirons du singulier au pluriel pour décrypter
l’imaginaire.
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I - L’imaginaire
En partant de l’étymologie, l’imaginaire est ce qui n’a de réalité que dans
l’imagination. Dans le champ du monde sensible, l’imaginaire n’est pas de
l’ordre du tangible ou du palpable. Autrement dit, l’imaginaire est le monde
créé, imaginé. Pour bien comprendre ce qu’est l’imaginaire, on dira que c’est
un réel suspendu, plus exactement un réel spirituel. En effet, même si les
êtres, les phénomènes et les choses sont pris en compte, il faut savoir que
ceux-ci accèdent à un autre niveau, dans un saut qui les prive de toute
concrétude. C’est en cela que l’imaginaire au sens étymologique est en
relation synonymique avec le fictif. On établira ici un lien incoercible entre
l’imaginaire et toutes les formes de création. En tout état de cause,
l’imaginaire met en mouvement notre esprit dans sa capacité à « fabriquer »
un monde autre, même s’il prend racine sur le réel sensible. Et cette aptitude à
faire surgir un autre univers sur les débris du monde sensible a pour nom
imagination. Octave Mannoni6, parlant de l’imaginaire, le désigne par
l’expression “l’autre scène”. Cette faculté que possède l’esprit à créer ou à
représenter le monde par les images est extraordinaire. Car il faut convenir
que tous les objets que nous voyons et qui ont été fabriqués par le génie
humain ont d’abord été le fruit de l’imagination créatrice. L’esprit a une
plasticité ou une élasticité qui forme, déforme, transforme le réel sensible. On
comprend dès lors Charles Baudelaire qui considère à juste raison que
l’imagination est la reine des facultés. N’est-ce pas l’imagination qui nous fait
voyager sans nous rendre dans des pays inconnus ? Et ces images projetées
par notre esprit n’ont pas souvent de lien avec le réel perçu. N’est-ce pas
l’imagination qui précède la création humaine en lien avec notre génie ?

Aussi, faut-il mieux explorer et exploiter les multiples facettes de notre


imagination pour en dévoiler les merveilles dans cette épiphanie qui a pour
nom le miracle des yeux. Cet imaginaire ainsi défini est donc le monde créé
par notre esprit ; monde irréel, fictif fruit de notre imagination riche et
vagabonde. Nous dirons même qu’une personne dépourvue d’imagination est
une personne morte dans son inaptitude à faire travailler son esprit.

Mais nous avons parlé dans notre intitulé des imaginaires. Car si
l’étymologie nous permet de mieux cerner le mot en son essence, il faut en
dégager les différentes ramifications par les diverses saisies et les utilisations
de quelques critiques.

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II - L’imaginaire en tant que
facette plurivoque des images
L’imaginaire se perçoit dans les images de rhétorique. Et nous savons à
présent que le siège de l’imaginaire est l’image logée dans notre esprit et qui
se concrétise par des multiples aspects. En gélifiant les images dans une
immobilité marmoréenne, la rhétorique nous permet de les identifier. La
comparaison est une figure centrale dans l’univers des images. Elle fait
apparaître un lien entre un comparé et un comparant par le biais d’un outil
comparatif. L’élision de cet outil nous fait entrer dans les différentes formes
de la métaphore que sont la métaphore “in praesentia”, la métaphore “in
absentia”, la métaphore filée et la catachrèse. Tous les réseaux des
correspondances tant verticales qu’horizontales qui ont pour nom synesthésies
participent des multiples déploiements de la comparaison.

Mais les images sont aussi visibles dans les symboles et les mythes. On
dira par exemple que les symboles sont des images qui mettent au jour la
complétude d’une réalité séparée. Senghor7 dit que le symbole était un signe
de reconnaissance, l’expression d’une idée quand on avait rassemblé des deux
parties de l’objet en question. Dans le prolongement du symbole, le mythe,
au-delà de toutes les définitions sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici, est
l’expression d’une conscience collective autour d’un récit qui est en fait une
image permanente des individus et de la société. Les images se déploient sous
diverses formes à travers les paysages intérieurs, les images statiques, les
images dynamiques ou tangentielles, les idéogrammes et autres
calligrammes ; ce que nous observons dans la poésie iconique et plus
exactement dans les vers rhopaliques. Les images que nous venons d’évoquer
à grands pas sont surtout littéraires. Mais nous savons aussi que même si les
images du monde sensible peuvent avoir peu ou prou des liens avec la
littérature, elles existent par elles-mêmes dans le cinéma, la peinture et les
différents arts. Il faut, par conséquent, noter une forte électricité ou une
extrême fécondité des images de notre environnement. En d’autres termes, il
y a des imaginaires liés aux différentes formes des images. Aussi, n’est-il pas
étonnant que les critiques aient porté un certain regard sur les images sous le
prisme de l’imaginaire.
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III - L’imaginaire vu par des
critiques
Sans être exhaustif tant il est vrai que le champ de l’imaginaire est vaste,
nous mettrons en lumière ce que devient l’imaginaire chez quelques critiques.
La pensée de Gaston Bachelard que nous considérons comme le premier vrai
architecte de l’imaginaire est subtile. De ce que Bachelard nomme
« phénoménologie de l’imaginaire » en tant qu’ontologie, nous notons que
l’imagination créatrice n’a aucune limite. L’image n’a pas de passé mais un
avenir. Elle n’est ni une figure de rhétorique, ni un détail du texte mais un
thème de totalité faisant converger des impressions venant de différents sens.
Nous avons d’un côté l’« animus » qui fait apparaître les projets et les soucis,
deux manières de ne pas être présents à soi-même. De l’autre, l’« anima » qui
fait vriller le présent des heureuses images. Les quatre éléments de la matière
sont incontournables dans l’imagination. L’eau et la terre sont des principes
féminins alors que l’air et le feu sont des éléments mâles. Dans tous les cas, la
rêverie est fondamentale ici dans sa capacité à laisser des traces dans le texte
via les images qui ne sont pas des reproductions serviles du réel sensible.

Jean-Paul Sartre de son côté dans L’Imaginaire8, tente de préciser les


caractéristiques structurales de l’image. Et celle-ci demeure en définitive le
substitut d’une perception irréalisable. Au fond, pour Sartre, l’imaginaire n’a
pas d’existence propre et représente un moyen spécifiquement humain
d’évoquer ou de modifier par notre projet notre rapport au monde de la
perception et de l’action. L’image neutralise en quelque sorte ce que nous
percevons. Ce qu’il appelle la néantisation du perçu.

Gilbert Durand9, surtout dans Les Structures anthropologiques de


l’Imaginaire, dresse quant à lui un répertoire des grandes constellations
imaginaires qui doit s’appliquer à toutes les sciences humaines. On opposera
ici le régime nocturne au régime diurne autour de trois gestes, de trois
dominantes. Le premier, « la dominante posturale », exige les matières
lumineuses, visuelles et les techniques de séparation, de purifications dont les
armes, les flèches, les glaives sont les symboles. L’autre geste est lié à la
descente digestive, appelle les matières de la profondeur. Le dernier geste est
rythmique et correspond à la sexualité, aux saisons, aux astres, aux cycles.

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Ces gestes, par l’intermédiaire des schèmes, canevas de l’imagination,
déterminent des images originelles existant dans l’inconscient ou des
archétypes qui évoluent comme des symboles changeants.

Enfin, Jean Burgos10, dans son ouvrage emblématique : Pour une Poétique
de l’Imaginaire, nous dévoile l’écriture de l’imaginaire comme le carrefour
d’échanges de deux mondes que sont les pulsions du moi profond et les
pressions du milieu matériel, de l’environnement culturel et social.

La spécificité du texte poétique met en lumière la dynamique de


l’imaginaire en ce qu’il priorise l’espace du texte où se crée et se joue la
réalité poétique. C’est la prise en compte de cet espace plénier qui va se
trouver au centre d’une poétique de l’imaginaire. Et ce sont les schèmes
moteurs en acte dans l’écriture qui entraînent chez le lecteur certains
comportements déterminés par les forces vives du texte. C’est en fonction du
temps que les schèmes vont opérer leurs modes de structuration dans le texte
comme des réponses aux questions de l’homme devant le temps. Sans entrer
dans les détails, nous aurons trois grandes catégories fondamentales qui
manifestent trois sortes de comportement devant le temps chronologique et
donc trois types de solutions possibles devant l’angoisse liée à la mort.

La première est de révolte devant le temps. La réponse à l’angoisse se


manifeste par le remplissement de l’espace. Les schèmes d’extension,
d’expansion, d’ascension, d’agrandissement, d’accroissement vont cristalliser
toute une thématique d’opposition et de confrontation.
La seconde grande modalité de structuration dynamique est du repli. La
réponse à l’angoisse se caractérise par la constitution et l’aménagement de
refuges, la quête de lieux clos, la délimitation progressive d’espaces dans
l’espace. D’où les schèmes de fuite, d’intériorisation, de descente,
d’enfoncement, d’effacement et de fusion. Les images feront apparaître
l’invention d’autres espaces pour un temps autre.

La troisième modalité est de progrès. Elle s’insère, quant à elle, dans le


sens de la chronologie par l’acceptation du déroulement inéluctable du temps.
Elle feint de se réconcilier avec le temps lui-même. Elle utilise la répétition
cyclique du temps et sa linéarité. Ainsi s’expliquent l’organisation et

20
l’habitation d’un espace imaginaire double de l’espace profane et inséparable
du déroulement temporel. Vont se rencontrer, tous les schèmes de parcours,
de retour, de progrès, de relation, de recension, de germination, de
fructification, d’affrontement et de dépassement ; d’où une thématique et
progressiste qui ne sépare point, dans ses visées optimistes, les cheminements
dans l’espace et les jalonnements du temps. De Bachelard à Burgos en passant
par Sartre et Durand, nous avons des variantes dans l’utilisation de
l’imaginaire qui est en définitive un concept fécond.
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21
Conclusion
Pour conclure, nous dirons que si le sens étymologique de l’imaginaire
nous renvoie à un monde fictif et à l’aptitude de l’homme à imaginer pour
créer des œuvres de différentes natures, il faut convenir que nous constatons
diverses facettes de l’imaginaire. Des images de rhétorique qui mettent au
jour les images de flexions diverses aux perceptions différentes de
l’imaginaire par la critique, nous assistons bien à des imaginaires féconds,
plurivoques, et riches. L’homme imagine, crée et fait surgir un monde aux
dimensions multiples tel le créateur lui-même. Que ce soit dans les galops de
l’écriture, les bigarrures d’un graphisme fascinant ou la magie des
représentations diaprées et pittoresques, les imaginaires sont finalement
inhérentes à notre humanité vouée aux mille chatoiements d’un monde en
constante métamorphose.
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22
Références bibliographiques
Bachelard Gaston, La poétique de la rêverie, Paris, PUF, 4e édition,
1968.
Burgos Jean, Pour une poétique de l’Imaginaire, Paris, Seuil, 1982.
Durand Gilbert, Les structures anthropologiques de l’Imaginaire,
Paris, Dunod, 1984.
Mannoni Octave, Clefs pour l’imaginaire ou l’autre scène, Paris,
Seuil, 1969.
Sartre Jean-Paul, L’Imaginaire, Paris, Gallimard, 1986.
Senghor Léopold Sédar, Poèmes, Seuil, 1964.

Chapitre 2. L’imaginaire social, sémantique et


lieu d’expression : la sociocritique Yao Khan Fulgence
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23
Résumé :
Quelles sont les frontières définitoires de l’imaginaire social ? La présente
réflexion trouve son essence dans cette problématique. Elle se veut une
relecture de l’itinéraire sémantique de ce concept. Elle constate que
l’imaginaire est le socle de l’imaginaire social et que ces deux notions font
l’objet d’une littérature abondante qui les rend sémantiquement surchargés.
On retiendra toutefois que si l’imaginaire permet au créateur de sortir de la
société pour s’isoler et recentrer le monde, cette entreprise cathartique
favorise l’émergence de l’imaginaire social qui, pour la sociocritique,
constitue le social inscrit dans le texte de fiction ; c’est-à-dire la société
textuelle nommée également socialité ou sociotexte.

Mots-clés : L’imaginaire- L’imaginaire social – Socialité – Sociotexte –


Société textuelle.
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24
Introduction
L’imaginaire social est une notion omniprésente dans la phraséologie
universitaire contemporaine. Mais son essence conceptuelle reste difficile à
cerner. En effet, il demeure ambigu, à la limite indéfinissable. Une vaste
problématique est donc inhérente à son usage : D’où part-il ? Quel lien a-t-il
avec l’imaginaire ? Quel est son contenu sémantique ? Quels sont les auteurs
majeurs qui se sont investis dans ce concept et que peut-on retenir d’eux ? En
somme, quelles sont ses frontières définitoires ?
Nous tenterons de trouver une réponse à ces préoccupations en
entreprenant un balisage théorique de l’imaginaire qui est le socle à partir
duquel se fonde l’imaginaire social, ensuite nous ferons une lecture
diachronique pour cerner l’émergence du concept d’imaginaire social et ses
différentes acceptions possibles, puis nous nous focaliserons sur les lectures
de Claude Duchet et Régine Robin qui sont des phases culminantes de sa
conceptualisation.
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25
I – De l’imaginaire…
La notion de l’imaginaire a fait l’objet de nombreuses études qui lui ont
donné un caractère polysémique. Les différentes acceptions sont parfois
contradictoires. Certains penseurs ont une approche négative de l’imaginaire.
C’est le cas de Blaise Pascal. Ce dernier estime en effet que l’imaginaire est
« maîtresse d’erreur, de fausseté » 11 . Cette lecture est la résultante d’une
simple logique. Pour Pascal, l’imagination et la raison sont opposées.
L’imagination est trompeuse, elle est créatrice d’illusion, de chimère. Elle
développe un regard parfois erroné des choses qui impacte, par moment, sur
le jugement. Ainsi, les images créées ou reçues détournent la raison de la
vérité. La terminologie psychanalyste abonde dans le même sens. Elle définit
l’imaginaire comme « le registre des images, de la projection, des
identifications et, en quelque sorte, de l’illusion » 12 . Autrement dit,
l’imaginaire est un creuset d’images qui diffusent des pensées qui relèvent de
l’illusion.

Gilles Quinsat est de ceux qui trouvent une certaine qualité à l’imaginaire
qu’il définit comme un « mot d’usage et de définition : placé à mi-chemin du
concept et de la sensation, il désigne moins une fonction de l’esprit qu’un
espace d’échange et virtualité » 13 . En d’autres termes, l’imaginaire se
présente comme un chantier virtuel que l’on ne peut manipuler à sa guise. Il
est alors composé d’images éparpillées qu’un écrivain pourrait organiser pour
inscription dans une œuvre. Charles Baudelaire va plus loin en faisant l’éloge
de cette notion. Pour lui, l’imaginaire est la « reine des facultés ». Il est un
levain à l’imagination qui donne libre cours à l’intuition du créateur de
s’exprimer à travers son œuvre.

Par ailleurs, l’anthropologie structuraliste l’aborde par l’entremise de


Gilbert Durand. Disciple de Bachelard, Durand étudie la notion de
l’imaginaire en s’appuyant sur la pensée de son maître. Il l’appréhende
comme un « dynamism organisateur (qui) est facteur d’homogénéité dans
la représentation » 14 . Au demeurant, Durand met un accent particulier sur le
processus mouvementé qui caractérise le travail de l’imagination ;
imagination que réhabilite Gaston Bachelard en mettant en exergue son aspect
créateur. Le philosophe français estime que l’imagination est la faculté qui
permet à un individu de produire des images à condition que celles-ci ne

26
soient pas entremêlées avec les souvenirs. En outre, si la mémoire nous
ramène au présent, l’image, quant à elle, oriente vers l’avenir. Bachelard, à
travers ses travaux, démontre que le psychisme a deux fonctions : celles du
réel et de l’irréel. La fonction du réel met en évidence les événements passés
qui ont marqué une société ou un individu. Quant à la fonction de l’irréel, elle
s’intéresse au futur qui, ici, est assimilable à une page blanche. Elle donne la
possibilité au créateur de réaliser ses rêves, d’inventer, d’imaginer. Aussi,
l’imaginaire est-il, par excellence, l’espace de la libre création, de
l’anticonformisme. Il offre les clés de la liberté au créateur ; si bien qu’il a la
latitude de briser les chaînes du réel et de ses contraintes. Considéré comme
un rêve, l’imaginaire est le lieu de confrontation des désirs conflictuels, des
images etc.
Il en résulte que l’imaginaire s’attelle à mettre au grand jour les images
qui relèvent de l’inconscient. Comparé à un rêve, il a la capacité de construire
un monde. Ce monde construit par l’imaginaire est capable d’agir sur le
public. En effet, les images que produit l’imaginaire de l’artiste peuvent
changer la perception du monde du public ou du lecteur. David Fontaine
constate la profondeur de cette créativité de l’imaginaire chez Bachelard : « A
l’imagination reproductrice qui ne voit du monde que des formes statiques et
sans épaisseur, Bachelard oppose l’imaginaire créateur qui recueille les
matières individuées délivrées dans les formes d’objet, pour les pétrir et les
travailler, comme l’artisan ou l’alchimiste » 15 .

À travers cette affirmation, l’on est en mesure de percevoir l’imaginaire


comme la recherche continuelle de nouvelles images. Ce que confirme le sens
étymologique. En effet, “imaginaire” vient du latin ‘‘ imaginarius ’’ qui fait
allusion à l’imagination. Il dérive, au demeurant, de ‘‘ imago’’ qui signifie
représentation, imitation, copie, portrait mais également fantôme, songe etc.
L’imaginaire englobe alors l’ensemble des images produites par la
conscience. L’image étant de nature hallucinante, mythique, fantastique ou le
résultat d’une activité qui est sans réalité, l’imaginaire relève alors de tout ce
qui est fictif, chimérique, irréel voire utopique. En d’autres mots, l’imaginaire
est ce qui est en rapport avec la fiction ; c’est-à-dire « œuvre, genre littéraire
dans lesquels l’imagination a une place prépondérante » 16 .
L’œuvre littéraire dégage un univers imaginaire. Or, la psychanalyse
considère l’œuvre littéraire comme un rêve ; c’est-à-dire, le lieu privilégié de
la manifestation des désirs et obsessions du créateur. Ainsi, Freud présente
l’œuvre littéraire comme la réalisation d’un inconscient. Dans son

27
Introduction à la psychanalyse 17 , il fait remarquer qu’elle permet à son
créateur de contourner les contraintes du réel. Prise comme un rêve, elle se
doit donc d’être interprétée. Cette interprétation se fera à partir des images
qu’elle projette ; car pour Max Mitner : « L’œuvre d’art est pour une part
résultante d’un ensemble d’incitations et de résistance qui sont totalement
insaisissables mais dont nous pouvons suivre le travail par une démarche
interprétative » 18 . Ainsi, l’on pourrait affirmer que l’œuvre est le canal par
lequel le créateur peut sans faux-fuyant aborder des sujets que la société n’ose
évoquer. Autrement dit, elle s’appuie sur le réel vécu par la société. C’est
pourquoi, Durand met en évidence, dans ses travaux, le mélange du réel et de
l’imaginaire. L’imaginaire fait partie de toute société, de la plus archaïque à la
plus civilisée. Bernard Maguier affirme à juste titre que « L’imaginaire ne
peut être que la réalité vue au microscope de la sensibilité » 19 . Il est en
étroite relation avec la société, parce qu’il n’y a pas d’imagination ex nihilo.
Adama Samaké souligne, à cet effet, que : « L’imagination littéraire est la
réappropriation de l’histoire. (…) La littérature sert à juger la société qui à
son tour sert à l’expliquer » 20 .
C’est le lieu de rappeler que la construction d’une fiction se fait à partir
des référents d’une société. L’imaginaire de cette société s’appuie sur des
expériences, des souvenirs, des histoires, des légendes de cette société. Sa
représentation est perceptible à travers la multitude d’images dont use le
créateur. Ces images sont chargées de significations et de sensations. En
somme, l’imaginaire permet au créateur de sortir de la société pour s’isoler un
temps soit peu. Hors de la société, le créateur a le loisir de faire découvrir ses
talents d’artiste et surtout de porter un regard critique sur la société. C’est
dans ce sens que Pierre Jourde mentionne que : « L’ailleurs est l’espace ou le
sujet recentre le monde » 21 . Ainsi, naît l’imaginaire social.
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28
II - … à l’imaginaire social
La notion de l’imaginaire social est un concept « flou » qui est né des
travaux de Cornélius Castoriadis (1975) et de Bronislaw Baczko (1984).
Cornelius Castoriadis (11 mars 1922 - 26 décembre 1997) est un intellectual
français d’origine grecque, fondateur avec Claude Lefort du groupe
‘‘Socialisme ou barbarie’’. Brillant et polyvalent, il s’intéressa à plusieurs
champs disciplinaires : l’ épistémologie , l’ anthropologie , la politique,
l’économie, l’histoire, ou encore la « théorie de l’âme » voire la psychanalyse
avec pour projet essentiel l’idée d’une autonomie individuelle et collective ;
c’est-à-dire « la démocratie ‘‘radicale’’ opposée à l’hétéronomie. Le
dictionnaire Wikipédia précise le sens de cette autonomie en ces termes :

Cornélius Castoriadis définit ainsi l’autonomie sur le plan subjectif, non


pas comme la « victoire de la ‘‘raison’’ sur les ‘‘ instincts’’ », mais comme
d’une part l’établissement d’un ‘‘autre rapport entre le Je conscient et
l’inconscient’’, d’autre part comme la capacité de se demander à voix haute :
‘‘cette loi est-elle juste ?’’. De ce fait, en tant que renvoyant à un nouveau
type de rapport entre les instances psychiques, et donc à un ‘‘processus’’,
‘‘une situation active’’, plutôt qu’à un état figé, il apparaît clairement que
l’autonomie du sujet individuel, de la même manière que pour la société, ne
saurait s’acquérir une fois pour toutes » 22 .

Selon sa logique, « une société ne saurait s’auto-instituer de manière


réflexive et collective si les individus qui la composent ne sont pas eux-
mêmes entrés dans une dynamique réflexive, non seulement vis-à-vis des
institutions sociales qu’ils ont à questionner et à transformer, mais aussi vis-à-
vis d’eux-mêmes. En ce sens, une démocratie ne doit pas simplement établir
une liberté effective des citoyens (égalité politique et économique), mais aussi
travailler à ce que tous deviennent capables d’interroger à la fois les
significations imaginaires sociales, et à la fois leurs propres inconscients et
désirs » 23 .

Il en résulte que l’« institution imaginaire de la société » favorise une


meilleure compréhension du dynamisme d’élaboration des interrogations par
les communautés sur leurs identités, leurs discours et institutions. En d’autres

29
termes, Castoriadis fait de la réflexion soutenue sur « les significations
imaginaires sociétales », une condition majeure de l’appréhension profonde
du dynamisme de l’histoire de toute société qui ne saurait se limiter à des
liens de causalité entre les événements ; la société étant construite sur
l’articulation du symbolique, de l’économie, du politique et du culturel.
Aussi, pour Castoriadis, le synonyme de l’imaginaire social est-il la société
instituante. Baczko est en phase avec Castoriadis sur cette approche de la
société instituante.
Bronisław Baczko ( 13 juin 1924 - 29 août 2016 ) est historien des
idées et des imaginaires sociaux de l’époque des Lumières et de la Révolution
française. Polonais, il est d ans les années 1960, avec Leszek Kołakowski ,
l’un des principaux représentants de l’école de Varsovie d’histoire des idées.
Pour lui, les imaginaires sociaux sont une entité essentielle de la vie
communautaire. Ils se déterminent comme le système centralisateur de la vie
sociale, parce qu’ils jouent le rôle de régulateur de la vie collective. En effet,
selon Bronislaw Baczko, les imaginaires sociaux sont les lieux de germination
des mémoires et des espoirs collectifs. Aussi, les définit-il, dans son célèbre
ouvrage Les imaginaires sociaux. Mémoires et espoirs collectifs comme « des
idées-images au travers desquelles (les sociétés) se donnent une identité,
perçoivent leur division, légitiment leur pouvoir, élaborent des modèles
formateurs pour leurs membres » 24 .
À la suite de Castoriadis et Baczko, deux groupes d’historiens vont porter
leur intérêt à cette notion. Le premier groupe dirigé par Georg Duby (en
1978) et Barrière (en 1995) assimile l’imaginaire social à des termes tels que
représentation, mentalité, croyances ou mythes. Le second groupe, composé
de Corbin (en 1982) et Lyon-Caen (en 2007) a montré que l’imaginaire social
renferme en lui plusieurs vertus. Il permet de mettre en évidence les
comportements des individus ; mais aussi grâce à cette notion, l’on peut
découvrir le regard que les individus ont du monde ; assertion que confirment
les récents travaux de Pierre Popovic qui soutient dans La mélancolie des
Misérables . Essai de sociocritique que : « L’imaginaire social est ce rêve
éveillé que les membres d’une société font, à partir de ce qu’ils voient, lisent,
entendent, et qui leur sert de matériau et d’horizon de référence pour tenter
d’appréhender, d’évaluer et de comprendre ce qu’ils vivent ; autrement dit : il
est ce que ses membres appellent la réalité » 25 . Il en déduit que l’imaginaire
social est le lieu d’une littérarité générale, définie comme le produit de cinq
modes majeurs de sémiotisation : la narrativité, la poéticité, la théâtralité, la
cognitivité et l’iconicité. L’imaginaire social est, par conséquent, un motif
essentiel d’élaboration du discours social. Ainsi, s’explique son importance

30
cardinale pour l’école de Montréal de sociocritique (dont Marc Angenot est le
Maître à penser et Pierre Popovic un membre très actif) qui se fonde sur
l’analyse du discours social.

Mais il faut dire toutefois que la question de l’imaginaire social porte sur
les problèmes de société. Ainsi, l’on pourrait dire qu’elle s’inscrit dans le
domaine des sciences humaines et sociales. L’étude efficiente de cette notion
passe alors nécessairement par une connaissance des théories sociologiques.
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31
III – La sociocritique : théorie de
l’imaginaire social
Les théories sociohistoriques, la sociocritique en particulier se sont
toujours intéressées à la notion de l’imaginaire social. Récemment, certains
chercheurs comme David Boucheren en 2014 et Prévost en 2015 ont
démontré que les représentations littéraires et culturelles avaient une certaine
influence sur le monde social.

Toutefois, le célèbre article de Régine Robin : Pour une socio-poétique de


l’imaginaire social est un moment crucial de rationalisation du concept de
l’imaginaire social. Dans les premières lignes de sa réflexion, la théoricienne
fait la genèse de la sociocritique. Elle évoque les circonstances de la naissance
jusqu’à Claude Duchet, celui qui a forgé l’expression sociocritique. Robin
rappelle que Claude Duchet a forgé l’expression pour « désigner un ensemble
de problèmes, une place à occuper, à désigner, à nommer : la socialité du
texte, en particulier du texte romanesque » 26 . Ainsi, le roman (genre
littéraire sur lequel se fonde sa réflexion) apparaît pour elle comme un objet
social. En d’autres termes, il est un creuset d’idées, de discours, de
stéréotypes, de formes…
En outre, Robin souligne que la lecture d’œuvre romanesque peut mettre
en branle l’imaginaire du lecteur dans la mesure oùle roman est « une sorte de
réservoir d’images, de phrases, de situations, de modèles narratifs, un foyer
culturel très puissant » 27 . Pris comme un produit social, le texte romanesque
est le canal par lequel le romancier évoque les faits de société. Le roman est
alors un lieu d’inscription du social. Il devient une sorte de miroir pour la
société, car il reflète les réalités vécues dans nos sociétés. Robin mentionne
également que la création romanesque laisse parfois transparaître l’impensé,
l’informulé, le non-dit de l’auteur. Aussi, affirme-t-elle que : « le texte produit
un sens nouveau, transforme le sens qu’il croit simplement inscrire, déplace
le régime de sens, produit du nouveau à l’insu de son auteur » 28 .

Au regard de ce qui précède, l’on peut retenir avec Robin que le roman est
le lieu de formation de l’imaginaire social. Cette posture se veut une
confirmation des idées du concepteur de la sociocritique : Claude Duchet. En

32
effet, la notion de l’imaginaire social chez Claude Duchet se construit à partir
de sa conception de la sociocritique. Il faut rappeler que la sociocritique
duchetienne s’appuie sur l’aspect social du texte dans la mesure où pour lui,
l’objectif de la sociocritique n’est pas d’inventer le texte. Aussi, Duchet
souligne-t-il que la sociocritique n’a nul autre but que la recherche de la
socialité du texte. Il présente celle-ci sous différents aspects. Il explique que
la socialité se manifeste par une forte présence de la société de référence et
d’une pratique sociale dans le texte. À travers la socialité, l’on découvre
l’attachement de l’œuvre romanesque à une réalité socio-historique. Aussi, la
socialité présente-t-elle l’œuvre romanesque comme une société. Dans cette
société du roman, on peut appréhender différentes réalités sociales. Ainsi, la
lecture d’une œuvre romanesque permet de découvrir, selon Duchet les
« modes et rapports de production, différenciation et relations
sociohiérarchiques entre les personnages, institutions et structures du
pouvoir, êtres, position et rapports de classes, normes de conduites, valeurs
explicites et implicites, idéologies, cohésion des groupes sociaux, intégration
des individus, phénomènes de déviance ou d’anomie, mobilité sociale, niveau
de vie, conditions d’habitat, moyens de diffusion, opinion publique, modes,
rituels et coutumes et bien sûr manière de table » 29 . Cette pensée de Duchet
résume la société du roman dans toutes ses composantes. L’œuvre
romanesque présente comment est organisée et structurée la vie sociale. Elle
s’ouvre au lecteur en lui donnant toutes les informations sur cette société
fictive. Ainsi, le lecteur détenant les clés de cette société a alors la possibilité
d’entrer dans son intimité. En effet, le lecteur prend contact avec la société du
roman en découvrant l’atmosphère qui y règne. Ensuite, il se familiarise aux
personnages si bien qu’il finit par s’intéresser à leur statut social ; à savoir
leur classe sociale, leur niveau vie, la nature de leur relation. Le texte
romanesque touche ainsi du doigt les phénomènes sociaux qui agitent la
société du roman. En somme, pour Claude Duchet, l’imaginaire social n’est
rien d’autre que le social inscrit dans l’œuvre, la société du roman appelée
encore sociotexte, socialité ou société textuelle.
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33
Conclusion
L’imaginaire social est une composante importante de la vie sociale, bien
qu’il soit difficile de l’étudier en raison de son caractère polysémique. Une
lecture diachronique de son contenu sémantique permet de savoir qu’il a été
forgé par Cornélius Castoriadis et de retenir qu’au regard de la littérature
abondante dont il est l’objet, il demeure « flou » et n’admet pas une définition
figée. Il plonge ses racines dans les théories sociologiques développées par les
philosophes matérialistes comme Karl Marx et Emile Durkheim. Il a été par la
suite adopté par Claude Duchet, créateur de la sociocritique qui le conçoit
comme le social inscrit dans le texte de fiction appelé socialité, société du
roman, société textuelle, sociotexte. L’imaginaire social se dévoile ainsi
comme le lieu d’élaboration d’un combat d’idéologies, et donc de réalisation
de l’histoire entendue au sens hégeliano-marxiste comme une évolution
progressive des institutions socio-économico-politiques. On comprend dès
lors pourquoi Réné Barbier affirme que « L’idéologie n’est que la part
rationalisée et rationalisable de l’imaginaire social » 30 .
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34
Références bibliographiques
Baczko, Bronislaw, Les imaginaires sociaux. Mémoires et espoirs
collectifs , Paris, Payot, 1984
Castoriadis, Cornélius, L’institution de l’imaginaire de la société ,
Paris, Seuil, 1975.
Duchet, Claude, - « Une écriture de la socialité » in Poétique , N°16,
Paris, Seuil, 1973.
Sociocritique , Paris, Fernand Nathan,1979.
Durkheim, Emile, Les règles de la méthode sociologique , Paris,
PUF, 1895.
Freud, Sigmund, Initiation à la psychanalyse , Paris, Payot, 2013.
Durant, Gilbert, Les structures anthropologiques de l’imaginaire ,
Paris, Dunod, 1993.
Jourde, Pierre, Géographie imaginaires de quelques inventeurs de
mondes au XXème , Paris, Gracq. Borges Tolkien, 1991.
Marx, Karl, Le XVIII Brumaire de Louis Bonaparte , Paris,
L’Harmattan, 1991.
Mitner, Max, Freud et l’interprétation de la littérature , Paris,
Sedes, 1997.
Pascal, Blaise, Pensées , Paris, Bordas, 1991.
Pison, Guillaume, « imaginaire social », in Anthony Glinoer et Denis
Saint Armand (dir), Le lexique socius , URL:// Ressources-
socius.infos/index.Php/lexique/156 imaginaire social, consulté le 11-10-
2017.
Popovic, Pierre, - La mélancolie des Misérables. Essai de
sociocritique , Montréal, Le Quartanier, « Erres Essais », 2013.
- Imaginaire social et folie littéraire : second empire de Paulin Gagne ,
Montréal,Presses de l’université de Montréal, Collection « socius », 2008.
Quinsat, Gilles, « La création littéraire. L’imaginaire et l’écriture »
in EncyclopédieUniversalis Symposium , Les enjeux, 1990, p. 401.

35
Robin, Régine, « Pour une sociopoétique de l’imaginaire social » in
Neefs Jacques et RoparsMarie-Claire (Dir.), La politique du texte. Enjeux
sociocritiques , Lille, Presses universitaires de Lille, 1992, pp.96-121.
Scitivaux (De) Frédérique, Lexique de psychanalyse , Paris, Seuil,
Coll. Memo, 1999.

Chapitre 3. La célébration des mythes érotiques


dans la publicité : pour une sémiosis sociale des
imaginaires discursifs Dorgelès Houessou et Samuel
Kouakou
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36
Résumé :
L’imaginaire social est-il un implicite discursif capable de persuasion ?
Cette communication, à l’articulation de la stylistique figurale et de la
linguistique de l’énonciation, voudrait pour répondre à cette problématique
ontologique, interroger l’encodage allusif et métaphorique des mythes
érotiques dans le langage publicitaire étant entendu que celui-ci constitue
l’une des formes discursives de l’imaginaire social. On sait depuis
Charaudeau que les « imaginaires sociodiscursifs » se construisent « dans des
espaces d’échanges dont les frontières sont des lieux d’exclusion/inclusion du
fait d’un rapport dialectique entre pratiques et représentations »31. De cette
dialectique découlera la fonction sociale de la réversibilité mythique. Car le
mythe préexiste aux comportements sociaux en tant que représentations
certes, mais lesdits comportements sociaux peuvent à leur tour constituer des
pratiques qui créent des mythes modernes dont le mythe moderne de la
publicité elle-même32.

Mots-clés : Mythe, figure de rhétorique, implicite, érotisme, discours


publicitaire.
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37
Introduction
On entendra le concept d’imaginaire selon la formule de Patrick
Charaudeau : « L’imaginaire n’est pas, comme le laisse entendre son emploi
courant et le dictionnaire dans sa première acception, ce qui s’oppose à la
réalité, ce qui est inventé de toutes pièces […]. L’imaginaire est effectivement
une image de la réalité, mais en tant que cette image interprète la réalité, la
fait entrer dans un univers de significations »33. Or il n’est point de
« significations » sans langage. L’imaginaire social est donc discursivement
motivé sous forme de « fictions linguistiques » qui, selon Karine Berthelot-
Guiet, structurent les énoncés publicitaires au point d’en faire plus des
« hypertrophies des imaginaires linguistiques traditionnels que des
constructions originales »34. Cette communication se propose donc de relire
quelques affiches publicitaires ci-dessous annexées. Il s’agira d’y retrouver
d’une part la mise en œuvre du discours érotique comme discours social et
d’autre part, l’implicite formel de l’imaginaire mythique en rapport avec
l’encodage figural et pragmatique de l’expression linguistique et iconique
mobilisée pour susciter l’adhésion du lecteur-spectateur.
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38
I - Postulats théoriques
1- Le discours publicitaire
Selon Berthelot-Guiet, le discours publicitaire est un « discours
ouvertement conçu pour promouvoir la vente et la consommation de diverses
marchandises »35. De ce fait, il s’inscrit dans la double logique de
l’argumentation (visée de conviction à partir de considérations rationnelles et
objectives) et de la persuasion (appel aux affects et aux motivations
subjectives) en mobilisant un double système sémiologique associant
l’iconique au verbal36. La cohabitation de ces modalités énonciatives s’appuie
sur une mise en scène rhétorique des figures du discours. Leur usage iconique
adopte la même logique que leur manifestation verbale, d’où la formule de
Victoroff selon laquelle « l’image utilise des signes qui correspondraient, » au
niveau verbal, à de grandes unités du discours »37.
On reconnaît au discours publicitaire avec Sacriste38 une typologie
quinaire qui permet de distinguer : I) la publicité informative, II) la publicité
mécaniste, III) la publicité suggestive, IV) la publicité intégrative ou
projective, et enfin V) la publicité relationniste. Si la première considère « le
consommateur comme un homo economicus, rationnel, qui agit avec raison et
calcule pour satisfaire au mieux ses besoins »39, la seconde relevant de la
théorie de Pavlov sur les réflexes conditionnés et des thèses behavioristes,
vise par la répétition excessive du message à manipuler le consommateur pour
transformer en inclinations ses habitudes d’achat. La publicité suggestive
convoque la psychologie motivationniste en « appréhendant le consommateur
comme un être de désirs »40 et en appelle à ses pulsions basiques
(conservation et reroduction). La publicité intégrative relève de la
psychosociologie et considère l’interaction entre l’identité collective et
l’identité individuelle comme point de départ de l’argumentation
commerciale. La publicité relationniste considère, pour sa part, le
consommateur comme un partenaire et un complice de la marque et se donne
pour objectif de « transformer le rapport marchand en conversation »41.

Ces différents types de publicité ne sont pas exclusifs et peuvent, dans la


plupart des cas, se combiner dans la perspective d’une efficacité perlocutoire
plus grande. Dans ce cas de figure, le mythe érotique comme ancrage de
l’énonciation publicitaire participe en premier de la publicité suggestive. La
publicité intégrative ou projective y contribue aussi fortement en raison de la

39
construction d’un épidictique de puissance masculine. Car l’érotisation de la
publicité, comme la pornographie, est un discours à destination du genre
masculin qui construit à la fois les codes sociaux du pouvoir politique et la
détermination dudit pouvoir comme objet masculin de désirabilité chez les
femmes et la beauté des femmes comme objet de désirabilité du masculin.42
2- L’imaginaire social
Selon Charaudeau la prolifération des termes désignant le champ
sémantique de l’impensé collectif : « clichés », « poncifs », « lieux
communs », « idées reçues », « préjugés », « stéréotypes » etc. rend difficile
l’appréhension de ce concept dans la mesure où ces mots sont en général
interchangeables et recouvrent les mêmes finalités fonctionnelles et
signifiantes :
Ces termes ont un certain nombre de traits sémantiques en commun, car ce qu’ils recouvrent
réfère à ce qui est dit de façon répétitive et qui, de ce fait, finit par se figer (récurrence et fixité), et
décrit une caractérisation jugée simplificatrice et généralisante (simplification). D’autre part, ces
termes circulent dans les groupes sociaux, et ce qu’ils désignent est donné en partage à leurs
membres jouant ainsi un rôle de lien social (fonction identitaire)43.

Ajouté à cela, la caractérisation du discours qui en procède est péjorative,


car on tient pour fausse vérité celle attachée aux « idées reçues », pour non
objective l’information liée aux préjugés » et comme frappé de banalité ce
que désigne le « lieu commun ». Cet état de fait rend inopérante la notion de
stéréotype comme concept recevable en analyse du discours. Charaudeau lui
préfère donc celui d’imaginaire voire de « représentation sociale » initié en
sciences sociales par Moscovoci et dont Jodelet dans l’ouvrage de référence
qui lui est consacré donne la définition suivante :

Les représentations sociales sont des phénomènes complexes toujours activés et agissant dans la
vie sociale. Dans leur richesse phénoménale on repère des éléments divers dont certains sont
parfois étudiés de manière isolée : éléments informatifs, cognitifs, idéologiques, normatifs,
croyances, valeurs, attitudes, opinions, images, etc. Mais ces éléments sont toujours organisés
sous l’espèce d’un savoir disant quelque chose sur l’état de la réalité44.

Charaudeau introduit cette donne en analyse du discours qu’il définit


« non pas comme un concept, mais comme un mécanisme de construction du
sens qui façonne, formate la réalité en réel signifiant, engendrant des formes
de connaissance de la « réalité sociale ».45 En choisissant d’illustrer son
propos à partir d’un exemple portant sur le débat social autour du clonage

40
thérapeutique et reproductif, Charaudeau relève la référence mythique comme
constitutive des déterminations sémantiques dont la succession conduit à
épuiser le décodage des faits discursifs en faits signifiants :

On peut trouver un point commun autour d’un imaginaire de « la mort, et de sa conjuration » :


(…) on peut opérer un rapprochement avec le mythe de Prométhée qui fut condamné par Zeus à
avoir le foie rongé par un oiseau – foie qui se reconstituait sans cesse – pour avoir transmis le feu
à l’humanité. Le clonage reproductif serait ce défi lancé à Dieu, aux dieux ou au Destin
d’appropriation du pouvoir de se perpétuer. Nous voilà en plein imaginaire « prométhéen »,
imaginaire qui n’est pas loin non plus de l’imaginaire de la « désobéissance », désobéissance de
Satan, ange déchu, désobéissance d’Adam et Éve, chassés du Paradis. (…) Voilà où peut nous
mener l’analyse discursive des imaginaires. En tout cas, bien plus loin que celle des
stéréotypes46.

Le recours au mythe constitue donc l’étape ultime de l’interprétation des


représentations sociales. Or, à en croire Lévi-Strauss, la mythologie procède
de deux modalités. L’une explicite et intégralement constituée de récits et
l’autre construisant les représentations mythiques par esquisses et jets
fragmentaires relevant tantôt de signes, d’actes rituels ou de symboles47. Cette
dernière modalité de la mythologie correspond le plus aux actions de
communication publicitaire, d’où l’encodage allusif et métaphorique
consubstantiel au discours publicitaire.
3- Discours publicitaire et imaginaire social
En tant que jeu discursif portant sur les motivations sémantiques à visée
perlocutoire, le discours publicitaire mobilise les représentations sociales. Il
en est même un canal d’expression privilégié au point où l’efficacité de la
publicité, en tant que source de succès économique considérable pour les
marques, relève d’une croyance profondément ancrée dans les mœurs. Certes,
pour Kende cette mythologisation de la publicité est surfaite48 mais les
raisons en sont que :

Le discours publicitaire se définit par ce processus de bricolage et de recyclage interdiscursif, de


défigement ou de réactivation des stéréotypes, susceptible de prendre en compte les effets de
rémanence mais aussi les glissements dans les imaginaires sociaux. L’analyse de discours permet
alors d’établir un pont entre la configuration des discours et la structuration des imaginaires.49

Les imaginaires ne sont en effet pas donnés dans l’évidence lexicale ni


figurale, mais résultent parfois, en tant qu’ensemble de données

41
inconscientes, d’un calcul interprétatif au bout duquel se trouve conforté le
plaisir textuel et iconique du lecteur-spectateur. D’ailleurs, le principe de
plaisir visant à encoder l’énoncé publicitaire de sorte que son décodage soit
ludique, participe de son attractivité et de son érection en phénomène textuel.
De là, l’idée que le discours publicitaire ne se contente pas d’être un simple
continuum de représentations collectives, de symboles, « de valeurs, de
croyances sédimentés dans des configurations iconiques »50, mais qu’il
contribue à chaque occurrence à en déterminer un sens nouveau, une
réécriture modulée par l’interdiscursivité qui, selon le mot de Soulages,
constitue « une encyclopédie spéculaire »51. Parce qu’il produit un discours
doublement déterminé en sa formulation sémiologique, l’image et le verbal
collaboreront pour assurer au discours publicitaire sa réussite perlocutoire.
Cependant, l’image plus que le texte y cristallisera l’imaginaire social, le
socius organisant la mythologie personnelle de l’individu considéré comme
unité d’une société. Or l’image est un signe dont on sait qu’il est triplement
motivé car « le signe, avec sa double face signifiant/signifié, se caractérise par
une triple dimension : référentielle (il renvoie à quelque chose du monde),
symbolique (il construit du sens à partir de ce monde), contextuelle (il prend
sens dans une large combinatoire textuelle) »52. L’image publicitaire sera ici
iconique et rhétorique et au-delà de sa fonction signifiante manifestera un rôle
documentaire « en proposant à travers une orientation discursive donnée le
reflet figé à un moment t d’univers de références, de compétences ou
d’attitudes »53. D’où l’importance d’études portant sur ce type de discours
pour découvrir certes les mœurs consommatoires d’une société donnée mais
aussi les mythologies discursives qui y dominent. La référence mythologique
et érotique s’y déploie selon deux modalités que sont l’implicite et l’explicite.
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42
II- Le mythe érotique comme
implicite discursif
L’implicite peut être involontairement encodé ou non. Pour Maingueneau,
« on peut tirer d’un énoncé des contenus qui ne constituent pas en principe
l’objet véritable de l’énonciation mais qui apparaissent à travers les contenus
explicites. C’est le domaine de l’implicite »54 involontairement encodé.
Oswald Ducrot justifie la thèse de l’implicite volontaire en disant qu’« il ne
s’agit pas seulement de faire croire, il s’agit de dire, sans avoir dit »55.
1- L’encodage par implicite involontaire de l’érotisme

Ces deux premières affiches relèvent d’un encodage implicite de


l’imaginaire mythique et érotique. Celle de droite avec le slogan « Notre
bouteille porte un kilt, nous plus besoin », présente un homme dans le rôle du
barman avec pour seul vêtement un cache-sexe en forme de bouclier. Il en
découle une représentation populaire du phallus métaphorique d’une arme56.
La proéminence de la barbe de ce personnage en accroît le caractère de
virilité. Cet impensé se combine avec le stéréotype de la liqueur comme
aphrodisiaque pour construire un implicite discursif érotique impliquant, par

43
exemple, que la consommation de ce spiritueux induit le dénudement, s’ensuit
l’érotisation de la nudité ainsi accomplie. Mais cet implicite détonne quant à
l’encodage prévu par la marque qui est en faveur d’une boisson traditionnelle
(bouteille vêtue d’un kilt) et réalisée à cœur, d’où le sens du dénudement de
l’homme comme métaphore de l’effort ultime, jusqu’au don de son être, pour
réaliser cette boisson.

La seconde affiche pour sa part présente un couple. L’homme allongé sur


un divan, la tête posée sur les jambes de sa partenaire ; elle assise et tête en
avant au dessus de l’homme, le dévisage avec un léger sourire. L’homme tient
des deux mains un verre de scotch dont la bouteille est posée à même le sol
près du canapé. Sur le fond du mur, il est vidéoprojeté l’image de l’étiquette
de la marque. Le but ici est d’associer la marque de scotch à un spectacle
cinématographique. Le slogan en dessous de l’affiche « Prélude en scotch
majeur par William Lawson’s » confirme cette scénographie. Mais l’implicite
métaphorique de la liqueur comme aphrodisiaque transparaît en filigrane dans
le positionnement phallique du verre de scotch tenu par le personnage
masculin. Le glissement entre prélude et préliminaire se justifie par
l’homéoarchton ou similarité phonique initiale en [prel]. La version espagnole
de cette affiche57 est plus explicite à cet effet avec le slogan : « William
Lawson’s, el preludio de tu noche » qui pourrait se traduire par « William
Lawson’s, le prélude de ta nuit ».

Dans les deux cas de figure précités, le sème érotique n’est pas
explicitement encodé. Il relève d’un calcul du lecteur qui peut être réalisé sans
difficulté mais il en ressort surtout que la marque construit une image de la
liqueur aux antipodes de ses implications d’enivrement rapide. Comme le dit
Barthes :

L’ivresse est conséquence, jamais finalité ; la boisson est sentie comme l’étalement d’un plaisir,
non comme la cause nécessaire d’un effet recherché : le vin n’est pas seulement philtre, il est
aussi acte durable de boire : le geste a ici une valeur décorative, et le pouvoir du vin n’est jamais
séparé de ses modes d’existence (contrairement au whisky, par exemple, bu pour son ivresse « la
plus agréable, aux suites les moins pénibles », qui s’avale, se répète, et dont le boire se réduit à un
acte-cause).58

La ligne argumentative de la marque à travers cette campagne est donc


d’associer la liqueur à la lenteur du plaisir comme le vin y est déjà associé de

44
manière doxique par le mythe de Bacchus, dieu romain correspondant à
Dionysos dans la mythologie grecque, dieu de l’ivresse, des débordements et
de la nature. Ainsi, s’il ressort de la première affiche un ethos de marque de
force sauvage, la seconde en donne un ethos de force tranquille et de maîtrise
devant le plaisir projeté.
2- L’encodage par implicite volontaire de l’érotisme
Les deux affiches suivantes présentent un encodage implicite volontaire de
l’érotisme. La première est celle de la marque Nina Ricci qui promeut le
parfum au nom évocateur de « La tentation ». L’affiche met en scène un
personnage féminin censé métaphoriquement incarner le produit conditionné
dans une bouteille imitant la forme d’une pomme croquée.

Une mise en abyme est ici réalisée car le personnage féminin est vêtu
d’une tunique à capuche de couleur rose et tient entre les mains une pomme
croquée qui n’est rien moins que le produit présenté. Le lecteur décodera sans
grand mal le premier niveau d’interprétation mythologique. Blanche neige,
personnage du célèbre conte éponyme des Frères Grimm, est ici mise en
parallèle avec le personnage du petit chaperon rouge et le mythe biblique du
fruit défendu. On sait depuis Bettelheim que la pomme empoisonnée croquée
par Blanche neige symbolise le moment où l’adolescent accepte d’entrer dans
une sexualité adulte. Le coma qui s’ensuit symbolize, pour sa part, la période
de latence censée la mener à la sécurité de la maturité psychique qui, jointe à
la maturité physique précédemment acquise, lui donnent enfin accès à une
sexualité adulte59. L’auteur évoque aussi le symbole érotique du désir du loup
de dévorer la fille dans le conte du petit chaperon rouge. L’argument érotique
repose donc ici sur un calcul interprétatif rendu possible par une triple

45
référence au récit biblique de la chute et à deux contes populaires en vue de
mettre en avant le pouvoir de séduction de toute femme qui se ferait aider du
produit ; c’est-à-dire le parfum justement nommé « la tentation ».

La seconde affiche met en scène une jeune femme étendue sur un lit
portant un uniforme de pilote (chemise et casquette) sur une lingerie légère,
une tasse à la main gauche et une cuillère portée à la bouche de la main
gauche. Un homme en arrière-plan, une serviette à la taille et une autre autour
du cou, semble s’affairer dans la salle d’eau. Il semble s’agir, à première vue,
d’une scène post-copulatoire comme l’indiquent la position suggestive de la
jeune femme et les vêtements de pilote qui ne sont pas les siens mais plutôt
ceux de son partenaire. Le slogan « First class espresso experience » en plus
de désigner le produit (café) confirme le stéréotype de la représentation
sexuelle par une ascension céleste qu’on peut retrouver dans des expressions
comme « monter/envoyer au septième ciel » et qui est ici représenté par le
personnage du pilote comme partenaire. On sait que dans la mythologie
romaine, Fascinus est l’incarnation du pénis divin, entité sacrée de la fertilité
représenté par un phallus ailé que les vestales, prêtresses de la déesse du foyer
Vesta, considéraient comme une amulette. C’est donc sans doute en partant de
là et par glissement que l’expression « petit oiseau »60 désigne le pénis dans
l’imaginaire collectif et que l’acte sexuel est métaphoriquement associé à
l’envol comme l’exploite cette publicité. Mais l’imaginaire social associe
aussi le pouvoir excitant du café à une performance sexuelle aussi bien
masculine que féminine61. Le mythe du philtre d’amour entre Tristan et Iseult
qui contraint les amants à se désirer confirme cette hypothèse. L’expression
« philtre d’amour » est même attestée comme synonyme d’aphrodisiaque62
car elle serait un euphémisme pour une substance aphrodisiaque destinée à
susciter le plaisir et le désir sexuel. La marque joue donc ainsi sur ce double
encodage.

46
Ces deux affiches présentent aussi un encodage implicite volontaire de
l’érotisme. Toutes deux figurent un frein à main levée. Le parallèle phallique
ainsi établi est perceptible dans le nom du frenulum63 ou frein à pénis qui est
un élément anatomique de l’organe génital masculin. Mais il y transparaît
surtout, de façon plus évidente, la métaphore du levier de vitesse comme
représentation phallique d’autant plus que les slogans l’explicitent. Le
premier slogan « We’re just as excited as you » que l’on peut traduire par
« Nous en sommes autant excités que vous » est le fait de la marque Volvo.
Le second « Les prix baissent, le désir monte » est tout autant explicitement
réalisé par la marque Opel. Les lexèmes « excités » et « désir » cristallisent
l’encodage érotique que l’imaginaire social a entériné depuis fort longtemps
quant au symbolisme phallique du frein à main ou du levier de vitesse comme
représentation de la puissance et du pouvoir masculin64.
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47
III- L’explicitation argumentative
du mythe érotique
1- L’explicitation argumentative d’un érotisme modéré
L’un des symboles clés de l’érotisme est le nu féminin. Les deux affiches
ci-dessous exploitent ce code argumentatif avec une plus ou moins grande
réussite perlocutoire.

L’affiche de campagne des fromages Sainte Maure de Touraine présente


une femme nue aux jambes repliées et assise sur ses talons. Sa coiffure est
constituée de deux cônes imitant des cornes. Il en résulte une première
métaphore iconique associant ce personnage à la chèvre représentant par
métalepse rétrospective le fromage proposé. Dans un second temps, la corne
étant dans l’imaginaire collectif synonyme de phallus65, la métaphore érotique
se construit sur l’imaginaire du dieu grec Pan. Ce dieu représenté sous les
traits d’un homme avec des cornes et des pattes de bouc arborant une
chevelure inculte et une barbe broussailleuse, est célèbre pour son appétit
sexuel bestial et insatiable d’où lui vient d’être adoré pour la fertilité66. Mais
l’agence « Les Z »67, à l’origine de cette affiche, met en avant la référence
aux mythes et contes autour du Sainte Maure de Touraine et affirme que ce
personnage féminin représente la déesse Amalthée. Cette déesse est dans la
mythologie grecque la nourrice de Zeus représentée soit en chèvre, soit en
« femme ». Toujours selon l’agence, le mythe dit qu’elle nourrissait Zeus au
lait de chèvre, jusqu’au jour où celui-ci, dans un élan de colère, cassa l’une de
ses cornes. En guise de dédommagement à sa nourrice, Zeus transforma la
corne cassée en corne d’abondance pour que celle-ci devienne une source
inépuisable de nourriture et de bienfaits. Même si l’agence se défend ainsi des

48
connotations sexuelles évidentes ici encodées, l’imaginaire du fromage
aphrodisiaque68 pèse encore sur cette légende quand on sait quel appétit
sexuel anima Zeus.

La seconde image présente un personnage féminin nu et dans une posture


sensuelle. Cette affiche de la marque Guerlain pour le parfum Shalimar est
extraite d’un film de cinq minutes que la marque a réalisé autour d’une
histoire qu’elle a intitulé La légende de Shalimar. On retrouve ce titre sur
l’affiche où il tient lieu de slogan. L’encodage érotique déjà présent à l’image
est beaucoup plus évident dans le film dont l’iconique apparaît alors comme
une illustration. La légende construite par les publicistes raconte une histoire
étrangement similaire à celle de la princesse indienne Mumtaz Mahal, morte
après avoir donné naissance à son quatorzième enfant, et pour qui son mari, le
Shah Jahan, fit ériger le mausolée du Taj Mahal, symbole de l’amour
romantique. Dans le film, la princesse « prend des bains dans un maillot une
pièce en métal ou une fontaine de bijou métallique (…). C’est froid, c’est
beau, la princesse se caresse beaucoup et l’empereur est élégant sur son
cheval blanc »69. Elle semble même mimer un orgasme et joue tant de
sensualité que le spectateur averti associe inéluctablement les scènes torrides
du film et l’affiche.

On retrouve aussi une argumentation publicitaire explicitement élaborée


dans les campagnes suivantes :

49
L’affiche de la marque Nina Ricci pour le parfum L’air du temps est
construite sur un procédé rhétorique de symbolisation et un procédé
narratologique de mise en abyme visuelle. La tentative de symbolisation ici
consiste, à partir d’un jeu de mots dans le slogan « l’Amour est dans l’air du
temps », à procéder au détournement par calambour70 de l’expression « être
dans l’air » où le lexème « air » est remplacé par le nom du produit présenté
« L’air du temps ». À l’en croire, l’amour serait donc dans le parfum nommé
« L’air du temps » qui, s’il embaume l’air, répand la sensualité et le désir

50
autour de celle qui s’en est apprêtée. Ainsi, cette symbolisation de l’amour et
de l’érotisme subséquent par le parfum présenté se confirme par la mise en
abyme qui se révèle dans le baiser du couple encadré par le motif d’un oiseau.
On peut deviner qu’il s’agit d’une colombe71 car on sait que cet oiseau, très
proche d’Aphrodite, déesse de l’Amour, fait partie des « animaux de nature
ardente ou prolifique »72 qui étaient consacrés à la déesse. Carl Jung et
Gilbert Durand soulignent aussi que l’oiseau était, chez les Anciens73, le
symbole phallique de la fertilité. De nombreuses références mythologiques le
montrent sous le jour de la métaphore sexuelle. Ainsi, Zeus s’est
métamorphosé en cygne pour approcher Léda qu’il convoitait, en coucou pour
courtiser Héra (Pau. II, 17,4) et en aigle pour enlever Egine et Thaleia. C’est
aussi métamorphosé en aigle que le dieu le plus puissant de l’Olympe
pourchassa Astérie, une des filles du Titan Coéos. Cette dernière dut, à son
tour, se transformer en caille pour lui échapper. L’emploi argumentatif de
l’oiseau érotique ici est donc en rapport avec la séduction féminine.

L’affiche de Lolita Lempicka présente un parfum pour homme dont


l’illustration figure deux partenaires debout, nus et enlacés desquels émane un
halo lumineux sur fond sombre. Un voile fin de couleur mauve comme le
flacon du parfum leur recouvre le bas du dos pour l’homme et la poitrine pour
la femme. Des feuilles semblent voltiger tout autour des deux personnages. La
scène est d’un érotisme évident mais le décor feuillu construit l’imaginaire du
jardin d’Eden où les premiers êtres mythiques se sont couverts de feuilles
lorsque leurs yeux s’ouvrirent au désir.

L’affiche de l’eau de toilette XS pour homme présente le flacon du produit


en feu. Un homme assis et visible à travers les jambes écartées d’une femme
en sous-vêtement a le regard fixé sur le lecteur-spectateur. Le slogan « Stop
thinking » qui peut se traduire par « Arrête de penser » est une invitation à la
satisfaction de la pulsion érotique. L’imaginaire du feu comme symbolique de
la passion érotique transparaît aussi bien dans la représentation du parfum en
feu que dans le luisant des jambes nues du partenaire féminin. Ainsi, la
lexicalisation de cette métaphore induite linguistiquement que l’on puisse
« brûler de désir » ou « être consumé par le feu du désir ». Pour de nombreux
auteurs comme Bachelard74 et Lieberherr « La signification sexuelle du feu
est universellement liée à la technique de l’obtention du feu par frottement en
va-et-vient, image de l’acte sexuel. Le symbolisme érotique est donné par
toutes les images et métaphores qui font coïncider feu et acte sexuel, passion

51
amoureuse ou simplement amour et affectivité »75. On retrouve ainsi dans la
tradition gréco-latine cette symbolique avec le mythe de Eros-Cupidon, dieu
de l’Amour, représenté très souvent portant une torche et un arc.

Ces trois campagnes d’eau de parfum exploitent l’érotisme comme


argument évident dans la mesure où toutes les trois évoquent l’imaginaire du
parfum de l’amour ou de l’odeur à vocation érotique. Il s’y dessine en
filigrane les vertus magiques ou ensorcelantes des effluves à travers
notamment le mythe de Leucothoé la femme-encens et le mythe d’Adonis, le
dieu-parfum, symbole de beauté parfaite et de désirabilité. Selon Ovide76,
Leucothoé est la fille d’Orchamos (un roi Achéménide, septième descendant
de la lignée de Bélos) et d’Eurynomé. Hélios, le dieu grec du Soleil tombe
amoureux d’elle et pour la séduire, il prend les traits de sa mère, Eurynomé.
Clytie, une autre amante du dieu, dénonce par jalousie cette union à son père
Orchamos, qui fait enterrer sa fille vivante. Incapable d’empêcher le
châtiment, Hélios change néanmoins Leucothoé en tige d’encens (objet
symbolique du désir du feu sexuel). Quant au mythe d’Adonis, Panyassis
d’Halicarnasse nous en fournit cette synthèse :

Théias, roi d’Assyrie, avait une fille nommée Smyrna (ou Myrrha). Aphrodite la prit en haine, car
Smyrna négligeait de lui rendre hommage. Elle inspira à la jeune fille un amour passionné pour
son père. Avec l’aide de sa nourrice, Smyrna réussit, en trompant son père, à coucher avec lui,
douze nuits de suite. Quand Théias comprit ce qu’il avait fait, dégainant son poignard, il se lança
à la poursuite de Smyrna. Théias allait l’atteindre quand elle supplia les dieux de la rendre
invisible. Ils en eurent pitié et la métamorphosèrent en un arbre appelé smurna (ou murrha),
l’arbre à myrrhe. Neuf mois plus tard, l’écorce de l’arbre se brisa et il en sortit l’enfant qu’on
appelle Adonis. Il était si beau, alors qu’il était tout jeune, qu’Aphrodite le cacha dans un coffre
pour le dérober aux regards des dieux et le confia à Perséphone. À peine celle-ci eut-elle aperçu
Adonis qu’elle refusa de le restituer à Aphrodite. Zeus fut chargé d’arbitrer le conflit ; il divisa
l’année en trois parts : Adonis en passerait seul un tiers ; Perséphone en recevrait un autre ; le
dernier serait pour Aphrodite. Mais Adonis accorda en plus à cette déesse sa part propre. Plus
tard, au cours d’une chasse, Adonis périt sous les coups d’un sanglier.77

L’histoire d’Adonis, l’amant-parfum, issu de relations sexuelles


incestueuses entre un père trompé et une fille envoûtée, et disputé dès le
berceau par deux déesses faisant elles-mêmes office de mères adoptives et
dont il sera trop tôt l’amant, rappelle le danger de la séduction par le parfum.
Détienne ne manque d’ailleurs pas de rappeler que son sang se répandit sur de
l’anémone et que c’est là, selon les Anciens, la raison pour laquelle c’est la
seule fleur sans parfum.

52
2- L’explicitation argumentative d’un érotisme osé
Plus qu’explicites, certaines affiches frôlent les limites du discursivement
correct et décent. Ainsi les affiches ci-dessous des marques de constructeurs
automobiles BMW et Alfa Roméo sont-elles presque pornographiques.

La première présente une scène érotique. L’homme au-dessus de sa


partenaire dévisage amoureusement celle-ci mais un magazine ouvert sur une
image de berline est posé sur le visage de cette dernière. Si l’on considère le
motif d’une personnalisation de la voiture, le personnage masculin apparaît
alors comme un mécanophile. La métaphore féminine de la voiture
impliquant de lui attribuer les sèmes de/beauté/et de/désirabilité/semble alors
pertinente. Le procédé est le même sur la seconde image. La calandre de la
marque surmontée du logo est métaphoriquement associée au pubis féminin.
Or celui-ci est par ricochet, métonymique de l’appareil génital comme
symbole achevé de la désirabilité féminine. Le mythe de la voiture comme
conductrice de boulimie alimentaire était déjà revisité par Barthes quand il
affirma : « Jusqu’à présent, la voiture superlative tenait plutôt du bestiaire de
la puissance ; elle devient ici à la fois plus spirituelle et plus objective (…) On
passe visiblement d’une alchimie de la vitesse à une gourmandise de la
conduite »78. Le glissement du plaisir gustatif au plaisir érotique devient alors
plus évident. Ainsi que le note Soulages : « Les relations hommes/voitures
s’affichent rituellement comme celles de la maîtrise et de la possession quand
elles ne sont pas explicitement sentimentales voire libidinales (exaltant le

53
désir, le plaisir, l’instinct, etc.) en jouant épisodiquement sur une collusion
des sèmes/voiture/et/femme/ »79.

Avec cette affiche suivante de Gucci, la marque adopte une posture


érotiquement provocatrice. Un personnage féminin étendu les jambes nues et
écartées regarde langoureusement l’objectif tout en se mordillant les doigts
tandis qu’un personnage debout vêtu d’un pantalon et d’une paire de soulier
(stéréotypes masculins) pose son pied dans son entrejambe.

L’érotisation dans cette image exploite le code de la bouche ouverte


comme signe de plaisir, la posture des jambes écartées et le détournement du
pied comme représentation phallique. Ce dernier argument est attesté dans la
langue française par l’expression « prendre son pied » qui signifie selon le
CNRTL « Éprouver une jouissance sexuelle, avoir un orgasme ».80 Un mythe
populaire associe d’ailleurs la taille des pieds des hommes aux dimensions de
leurs phallus.81 De même de nombreux herméneutes voient dans le passé
luxurieux de Marie Madeleine, une tentative de séduction lors de la scène de
lavage des pieds du Christ.82 Le symbolisme du pied comme substitut
phallique est aussi développé par Freud pour qui « la vénération fétichiste du
pied et de la chaussure de la femme semble ne considérer ce pied que comme
symbole substitutif du membre féminin jadis vénéré, dorénavant regretté ».83
La thèse du fétichisme semble être corroborée sur cette affiche où la posture
du personnage féminin relève de la domination sadomasochiste. La marque
associe ainsi le pouvoir de séduction qu’offrent ses produits à celui du
dominateur sur ses esclaves sexuels.
Les images suivantes sont le fait de la campagne célébrant le dix-huitième
anniversaire du Guide de resto Voir.84 La marque utilise crument la
métaphore sexuelle à travers des aliments présentés sous les traits de
l’anatomie sexuelle. Ainsi des morceaux de viande et une tige d’asperge sont
présentés comme un phallus, une huître, une truffe et un avocat figurent à leur
tour l’appareil génital externe de la femme. L’orientation osée et provocatrice

54
de cette pratique dénommée pornfood est assumée par la marque jusqu’à
l’indicateur de lecture avertissant du contenu pornographique d’un support
(18+). Si ce contenu évoque ceux interdits aux moins de dix-huit ans, la
marque joue sur la polysémie de l’âge célébré qui est aussi de dix-huit ans en
représentant le signe diacritique de l’âge de la majorité par un couteau vertical
et une fourchette horizontale.

Le slogan « On est heureux de vous mettre l’eau à la bouche depuis 18


ans » joue aussi sur la polysémie de l’expression mettre l’eau à la bouche qui
désigne le plaisir gustatif autant que n’importe quelle situation capable de

55
produire de l’excitation, dont l’érotisme. L’imaginaire de la représentation du
plaisir érotique par celui de la manducation transparaît dans de nombreuses
cultures. L’expression française « dévorer du regard » employé pour indiquer
la convoitise traduit cette interpénétration. Mais le parallèle voulu par la
marque va plus loin car chaque mets représenté incarne dans l’imaginaire
collectif un aliment aux vertus aphrodisiaques.
En premier la viande composée sous forme phallique relève d’un
imaginaire linguistiquement justifié par la synonymie argotique entre pénis et
saucisse.85 Dans un ouvrage intitulé La Politique sexuelle de la viande86,
Adams s’intéresse à l’association historiquement établie entre la
consommation de viande et la virilité masculine. Elle s’inspire aussi du
concept de « carnophallogocentrisme » élaboré par Jacques Derrida en 1989,
selon lequel un imaginaire social catégorique fait de la formation du sujet
occidental, l’émanation d’une forme de virilité carnivore permettant à la fois
l’assimilation et la maîtrise du monde, du langage, des animaux, des femmes,
etc. De même, alors que Barthes évoquait le potentiel libidinal du vin, celui-ci
rend compte de l’association toxique entre viande et vin en ces termes :

Le bifteck participe à la même mythologie sanguine que le vin. C’est le coeur de la viande, c’est
la viande à l’état pur, et quiconque en prend, s’assimile la force taurine. De toute évidence, le
prestige du bifteck tient à sa quasi-crudité : le sang y est visible, naturel, dense, compact et
sécable à la fois ; on imagine bien l’ambroisie antique sous cette espèce de matière lourde qui
diminue sous la dent de façon à bien faire sentir dans le même temps sa force d’origine et sa
plasticité à s’épancher dans le sang même de l’homme87.

En second lieu, l’huître, ici composée sous les traits d’une vulve, est
souvent associée aux repas des fêtes de fin d’année. Plusieurs sites spécialisés
en conseils conjugaux estiment que sa richesse en zinc, « un oligo-élément
qui aide à la production de sperme et qui accroît la libido »88 en fait un
puissant aphrodisiaque.
L’asperge phallique renvoie pour sa part aux mêmes connotations
sociales aphrodisiaques sous le prétexte de ses composés nutritionnels comme
les vitamines K et B9 que le site Top Santé associe à une grande performance
sexuelle.89 Mais d’un point de vue mythologique, elle renvoie à la férule de
Bacchus au sujet de laquelle M. Lenormant affirme dans le Dictionnaire des
Antiquités grecques et latines, de Daremberg et Saglio :

Plus ancienne et plus constante est l’attribution à Dionysos de la férule, entre les plantes des

56
champs non ligneuses, au port d’herbes et de roseaux. C’est un attribut qui remonte à l’origine du
culte du dieu. Il semble qu’il faille le rapporter aux primitives époques aryennes et aux liens qui
rattachaient alors le dieu Soma aux rites du sacrifice, car c’est aussi dans une férule que
Prométhée dérobe au ciel le feu, et dans ce dernier mythe la férule représente le morceau de bois
dont le frottement sert au pontife arya à obtenir la flamme. (…) et on y voit un symbole d’ivresse
divine et d’inspiration.

De nombreux dictionnaires, dont le CNRTL90, attestent d’ailleurs de ce


que la langue usuelle argotique voire familière tient pour synonymes les
lexèmes « pénis » et « asperge » en raison de tels imaginaires discursifs.
Quatrièmement, la truffe, nom vernaculaire donné à la fructification
comestible d’un champignon qui se présente sous une forme plus ou moins
globuleuse, partage l’imaginaire phallique résultant de l’isomorphisme du
champignon avec le phallus. Elle figure ici cependant une vulve exsudant un
fluide connotant l’excitation. Comme la plupart des mets raffinés et hors de
prix, on lui attribue, sans doute par glissement de la puissance économique à
la puissance sexuelle, un rôle aphrodisiaque de premier plan depuis l’antiquité
gréco-latine vu que les Anciens lui prêtaient aussi bien des vertus
thérapeutiques qu’aphrodisiaques91.
Cinquièmement, la farine pétrie sous un jour fessier évoque, par le
truchement allusif de la métalepse, le blé qui en est à l’origine. Dans
l’antiquité en effet, le blé était associé à la sexualité. De là sans doute les
traditions qui en ont découlé. Ainsi la paille a une connotation nuptiale en
Italie où offrir un fétu de paille à une jeune fille équivalait à une demande en
mariage92. De même une vieille tradition parisienne consistait à faire un
anneau nuptial d’un « fétu de paille pour les jeunes gens qui avaient péché
ensemble avant d’accomplir la cérémonie religieuse du mariage »93. On
retrouve la même symbolique dans l’imaginaire germanique car « en
Allemagne on répand de la paille hachée sur le chemin que doit parcourir la
jeune fille qui n’est plus vierge lorsqu’elle se rend à la cérémonie du
mariage »94. Mais si « la signification symbolique de la paille et de la verge
est la même »95, c’est grâce à la mythologie grecque que l’on pourra mieux
comprendre cette conception :

Il est certain que, pour les Grecs, le mythe de Perséphone ravie à sa mère [Déméter, la « mère des
blés »] par Hadès et finalement passant une saison sur terre [6 mois] et une saison dessous [6
mois], symbolisait le grain, la semence du blé et son sort durant l’hiver, temps où le grain est
enfoui dans la terre, et la déesse, qui figurait la terre même, reprenait sa gaieté au printemps à
partir du moment où le grain commence à poindre à la surface du sol96.

57
À l’origine donc du blé, une sombre histoire de libido qui aura poussé
Hadès dieu des enfers, animé d’une convoitise passionnelle obsédante, à
kidnapper Perséphone fille de la déesse Déméter qui apprit l’agriculture à
l’humanité. L’arbitrage de Zeus ayant autorisé la captive à regagner le monde
des vivants pour une durée de six mois chaque année, auprès de sa mère,
celle-ci a soumis le cycle du blé aux allées et venues de sa fille entre les
enfers et la terre.

Enfin l’avocat qui est représenté sous des traits vulvaires initie un
paradoxe générique qui pourrait constituer un clin d’œil aux minorités
sexuelles car il s’agit d’un symbole masculin utilisé pour désigner la féminité.
En effet, les Aztèques appelaient l’avocatier, “l’arbre à testicules” en raison
de la ressemblance formelle entre le fruit désigné et l’organe cité et également
en raison de la croyance au fort pouvoir fertilisant de l’avocat. Mais on
retrouve aussi un imaginaire du fruit aphrodisiaque largement répandu comme
en témoigne l’article de Sophie Bernard intitulé « Les 10 aphrodisiaques
naturels et puissants pour raviver la flamme » où elle estime notamment que :
« les prêtes catholiques espagnols ont même interdit un temps la vente de ce
produit qu’ils jugeaient obscène. C’est dire si ce fruit est connoté
sexuellement. Mais au-delà de sa forme évocatrice, sa forte teneur en
vitamine B5, aide le corps humain à maximiser les bienfaits nutritifs des
aliments que nous consommons ».97
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Conclusion
L’imaginaire social est une catégorie opératoire dans l’analyse du
discours. Sans sa capacité à prendre en compte l’ensemble des faits discursifs
circulant dans la société qui voit son énonciation, le discours serait frappé de
non-sens. Bakhtine pense ainsi que seul l’Adam mythique, parlant le langage
des hommes pour la toute première fois, pouvait proférer un discours hors de
toute interférence dialogique, c’est-à-dire dénué de l’influence de l’imaginaire
social. C’est dire l’impact de ce « réservoir de contenus sémantiques stockés
dans l’imaginaire social »98 sur la communication en général et les discours
de persuasion comme c’est le cas du discours publicitaire en particulier où
l’implicite involontaire ou non le dispute à l’explicite le plus élémentaire.
La communication médiatique comme discours verbal et visuel est au
cœur des théories portant sur la signification. Si la langue, à travers la
convocation de mots ou d’expressions particulières aux origines parfois floues
peut élucider un discours, l’impensé mythologique encore plus, participe de
cette tentative de signification du monde où la psychanalyse nous a fait
entrevoir la pulsion libidinale comme fondamentalement signifiante. Ainsi, en
appeler à cette pulsion pour déclencher un acte d’achat chez le lecteur
spectateur relèverait même de la manipulation, au sens de tentative
d’influence non avouée. On se demandera donc à raison si, dans le discours
publicitaire et son imaginaire propre, l’imaginaire érotique n’est pas en
définitive la finalité discursive dernière plutôt qu’un moyen ou une modalité
de dire et de convaincre le lecteur-spectateur.
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

59
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63
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Image 2 :
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voir aussi
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Image 3 :
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ninaricci.jpg
voir aussi
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Image 4 :
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Image 5 :
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Image 6 :
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Image 7 :
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Image 8 :
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voir aussi le film sur :

64
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Image 10 :
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Image 11 :
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Image 12 :
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Image 17 :
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pd.s3.amazonaws.com/styles/aotw_detail_ir/s3/veggies.jpg?
itok=2b3pXXiK
Images 18 et 19 :
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Image 20 :
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Chapitre 4. Les (en) jeux énonciatifs de « ON »


dans la présentification de l’imaginaire social
Lihouet Manou Serges Mermoz
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65
Résumé :
Dans L’ombre d’Imana : voyage jusqu’au bout du Rwanda, la situation de
communication dans laquelle sont présents les interlocuteurs laisse entrevoir
des unités linguistiques dynamiques. Ce faisant, elles acquièrent des tâches
bien définies eu égard à la visée argumentative qui leur est assignée par un
individu ou par une société donnée. Dans la plupart des cas, ces unités
réfèrent à une réalité logée dans l’extralinguistique ou même dans une
mémoire discursive commune par l’entremise du pronom indéfini « on ».
Dans L’ombre d’Imana, plusieurs morceaux hypotypotiques sont conduits par
ce pronom. Cet item apparaît comme le canal par lequel l’auteur véhicule les
idéologies, les appréhensions et les stéréotypes qui consacrent l’imaginaire
social rwandais d’avant et pendant le génocide. En fait, l’auteur use de ce
pronom pour mettre à nu ce que, dans cette société, les yeux ont vu, les
oreilles ont entendu afin d’éradiquer le mal ou encore d’« exorciser le
Rwanda » des démons de la guerre.

Mots-clés : Hypotypose – Iconicité – Cognitivité – Énoncé – Stéréotypes


– Imaginaire – Présentification.
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

66
Introduction
L’item « on » est du nombre des pronoms dont il est difficile de cerner la
référence à l’image de tout, nul, aucun et bien d’autres. C’est d’ailleurs à juste
titre qu’on leur attribue l’appellation de pronoms indéfinis. Selon Jean Dubois
et Guy Jouannon, les pronoms indéfinis « indiquent une personne, une chose
ou une idée, de manière vague et indéterminée »100. À la lecture de cette
définition, on comprend que les pronoms indéfinis créent un trou noir dans la
sémanticité de l’énoncé qui les reçoit. « De manière vague et indéterminée »,
ils ne possèdent pas suffisamment de sens pouvant permettre une bonne
compréhension du discours. « On » objet de notre étude s’insère aisément
dans le discursif pour référer seulement aux humains, et dont la récupérabilité
référentielle se voit être une gageure. Ce faisant, « on » dans ce trouble
sémantique peut se présenter sous plusieurs aspects. L’un de ces aspects est
de représenter une seule personne d’où « on » sous sa forme singulière et
l’autre, sous sa forme plurielle, est de référer à deux, à un groupe ou même à
une société de personnes sans en altérer le moins du monde sa forme lexicale.
Ainsi, le pronom « on » ne subit aucune variation syntaxique, qu’il soit du
singulier ou du pluriel. De ce fait, la distinction, entre ses deux, réside dans
leur rôle sémantique. Dans l’un comme dans l’autre de ces aspects, « on » a la
possibilité de ramener uniquement au locuteur ou à l’interlocuteur, de les
associer ou encore d’exclure totalement le locuteur du champ référentiel qui
s’ouvre aux diverses interprétations aussi multiples que « vagues ». On
s’intéressera seulement aux référents « je » et « nous » qui incluent le
locuteur. Cela se perçoit clairement chez Véronique Tadjo dans son œuvre
L’ombre d’Imana : voyage jusqu’au bout du Rwanda. Dans ce roman de style
journalistique, l’auteure fait amplement usage de cette unité linguistique avec
une manipulation fascinante de ce caractère pluridimensionnel du pronom qui
n’est sans portée idéologique. Entre jeu et enjeu, l’objectif de l’auteur semble
être tout trouvé. D’où la nécessité de porter la réflexion sur « Les (en) jeux
énonciatifs de “ON” dans la présentification de l’imaginaire sociale ». Dès
lors, la problématique qui se présente à nous est la suivante : comment ce
(dé)construit l’item « on » ? Ou encore, comment (re)présenter cette société
en dégénérescence à travers l’usage de ce pronom ? Pourquoi ce camouflage
sémantique dans une œuvre qui se veut restitutrice des réalités accablantes du
génocide ? Quelle est donc la sémantique recherchée à travers son usage ? Il
sera question pour nous de montrer, dans ce corpus, comment l’item « on »
s’approprie le rôle syntaxico-sémantique des embrayeurs « je » et « nous »
pour refléter la société rwandaise. Cette manipulation de la subjectivité

67
langagière viserait-elle à montrer le lien intrinsèque que le locuteur entretient
avec ses semblables en proie au génocide ?
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

68
I - Précisions notionnelles
À l’entame de cet article, il semble convenable de placer les balises de
notre étude. Mais avant, soulignons que d’une création à une catégorie,
l’imaginaire social doit être vu comme un ensemble d’idée qui fédère une
pensée commune, une visée et même une doxa qu’il convient de comprendre
autour de nos deux termes majeurs à savoir le pronom « on » et la
présentification. Ainsi, dans ce premier point, il va s’agir, pour nous,
d’appréhender, pas de manière exhaustive, mais succinctement, l’item « on »
et le procédé discursif de présentification. Cela passe par leurs approches
définitionnelles.
1. Le pronom « on »
Le pronom « on » possède une origine latine « homo » qui signifie
« homme » et « est régulièrement de la troisième personne du masculin
singulier et ne s’emploie que comme sujet »101. À en croire les dires de
Grevisse, « on » pourrait s’arroger, dans la classe des pronoms, deux statuts
opposés l’un à l’autre. Ainsi, « on » peut servir « à désigner, d’une manière
générale, une ou plusieurs personnes »102; ce qui dénote parfaitement son
caractère indéfini. À l’opposé, « on » a la capacité de référer à une personne
bien précise et dérober ainsi « par syllepse de la personne, la valeur d’un des
pronoms personnels je, tu, nous, vous, il(s), elle(s) »103. On pourrait, dans ces
conditions, parler de « on » pronom personnel. Il est donc question d’un
pronom certes, mais d’un pronom, à plusieurs visages, qui intéressent le
chercheur dans sa quête de la présentification du phénomène de l’imaginaire
social.
2. La présentification
La présentification est un procédé discursif qui intègre le champ
énonciatif. Seulement à la base, il est question d’une notion qui tire ses
racines dans la discipline philosophique. Déjà à l’observation, on peut
comprendre qu’il se compose de la racine « présent- » suivie du suffixe « -
ification », ce qui signifie l’action de faire quelque chose. On se référera au
présent de l’indicatif pour bien cerner la racine susnommée puisque c’est de
cette notion qu’il s’agit. Parlant du présent, Martin Riegel dit que cette
« forme grammaticale entretient apparemment une relation privilégiée avec
l’époque présente, actuelle, qui est contemporaine de l’acte
d’énonciation »104. C’est donc dire que le procès indiqué par le présent se
mêle au moment, temps, de l’exécution de l’action. Cela est soutenu par Jean

69
Dubois et Guy Jouannon qui affirme que « le présent exprime une action qui
se produit ou un état qui existe au moment où l’on parle »105. De cette
définition du présent, on est à même de mieux saisir la notion de
présentification selon la conception qu’en fait Dominique Legallois. Pour ce
linguiste, on a affaire à « un effet construit, non pas par le transport de
l’énonciateur dans l’événement (…) ; mais par les artifices textuels de
l’enargeia [mettre sous les yeux] qui motive chez le narrateur un sentiment
accru d’être en présence des faits »106. En clair, la présentification est un
procédé organisé par des unités linguistiques qui permet de ramener à l’esprit
les actions ou les choses inscrites dans le passé. Au nombre de ses unités,
nous nous intéresserons, dans le cadre de cette étude, plus au pronom « on »
et au demeurant à quelques unités d’appui en vue d’apporter plus de teneur à
la présence de la figure de présentification. L’insertion de ce procédé discursif
dans le champ narratif consacre deux types de présentification ; à savoir la
présentification hallucinatoire et celle dite mimétique.
2-1- la présentification hallucinatoire
Ce type de présentification est présent dans le récit ou le discursif à travers
la prise en charge de l’énoncé par des figures de style, ou plus précisément
par des tropes. Ceux-ci transcendent la diégèse et suscitent, dans l’esprit du
lecteur, des images qui se démarquent de ce qu’il a pour habitude de voir pour
ne pas dire une représentation fictionnelle de l’objet ou de la scène que le
narrateur tente de mettre sous ses yeux. On peut s’en rendre compte à
l’observation de ce fragment textuel :
1. (1)Je n’ai vu que ses yeux. Ils étaient recouverts d’un voile
opaque. On ne pouvait rien lire d’identifiable dans son regard.
C’était énorme, une noyade. Il semblait incapable de capter la vie
avec ces pupilles-là, de reconnaître le soleil, le ciel, la lune.
(p. 15)
Dans ce passage, le narrateur, qui dit « je », convoque l’attention du
lecteur/auditeur sur l’image qui le captive fortement et dont il semble être
totalement ébloui. Sa reprise lexicale, si l’on s’en tient à la sémanticité du
fragment, se voit être assurée par le pronom « on » (un développement y sera
consacré dans les pages qui suivront). Dès lors, le lecteur, qui lui aussi dira
« je », se voit être assimilé au jeu énonciatif comme s’il s’arrogeait la
paternité du discours. Aussi la résurgence du passé composé, un temps
normalement inscrit dans un procès accompli, ici se trouve dans une posture
déictique à valeur indirecte, car ramenant le temps de l’énonciation à celui de
l’énoncé ou du lecteur. C’est comme si le narrateur partageait ce qu’il a vu

70
avec son interlocuteur/lecteur ; ce qui renforce la mise sous les yeux de ce
dernier. En plus, cet effet de présentification plonge le lecteur dans un
imaginaire assuré par la métaphore inabsentia, à plusieurs niveaux « d’un
voile opaque », « lire », « une noyade » et « capter ». Comme on peut le voir,
le régime indirect « d’un voile opaque », le groupe nominal « une noyade »
auxquels s’ajoutent les verbes à l’infinitif « lire et capter » sont autant
d’indices qui semblent être des choix délibérés, effectués sur l’axe
paradigmatique et dont leur insertion sur l’axe syntagmatique n’actualise pas
leur sens de base. Dans ces conditions, ce champ lexical, étranger à la scène,
mais annoncé plus haut dans une didascalie introductive « Un parking sur le
bord de la plage », partage l’esprit du lecteur entre un ailleurs, sur l’océan ou
la mer, contenu dans un ici, l’œil. Cet illogisme décrit nous montre aisément
le caractère hallucinatoire présentifié par le narrateur. À côté de cela, on
pourrait encore citer l’hyperbole avec l’exagération contenue dans l’usage de
l’adjectif qualificatif « énorme » et l’ellipse grammaticale, matérialisée par la
suppression d’un ou de plusieurs mots dans la phrase « c’était énorme, une
noyade. » On peut observer sa transformation phrastique pour s’en
convaincre : « c’était énorme, c’était une noyade. » Ces procédés, qui
favorisent le transfert des sèmes de la mer à ceux de l’œil, traduisent toutes
les idées et les imaginations possibles qu’une tierce personne peut se faire de
la douleur et de la souffrance que l’on rencontrerait dans le regard des
populations victimes du génocide. La souffrance de la population se trouve
être à son summum et l’impasse dans lequel elle se trouve ne saurait être
décrite par des mots.

On se rend bien compte, à l’observation de ce tissu textuel, que le but


assigné ici à la présentification n’est pas celui de représenter la scène comme
vécu par l’auteur. Il, l’auteur, cherche plutôt à amener le lecteur à transcender
ce qu’il a pour habitude de voir afin de se réaliser un monde imaginaire dans
lequel le règne du mal était inébranlable. Cela est rendu possible par les
tropes et la syntaxe subjective du pronom « on » , sans quoi on parlerait de
présentification mimétique.
2-2- la présentification mimétique
C’est le type de présentification qui se dépouille et se distancie de l’usage
des tropes responsables de la pensée imaginaire chez le lecteur. L’auteur
expose les faits sans aucune manipulation. Il les met « sous les yeux » du
lecteur avec pour seul but de représenter le réel que celui-ci peut rencontrer
dans son quotidien.

71
1. (2)Quand on arrivait dans un secteur, on se mettait ensemble
pour les encercler comme à la chasse, on criait et tapait sur les
fenêtres, les portes, on lançait des pierres sur les toits et on les
attrapait facilement et puis ils y avaient ceux qui voulaient se
cacher, mais on connaissait toutes les petites cachettes, partout on
savait ou les dénicher, ou les attraper. On ne les blessait pas
seulement, on devait les tuer pour de bon. Nous étions en train de
réaliser un programme. (p.123)
Ce passage est bien différent de ce que nous venons de voir à travers la
présentification hallucinatoire. Le lecteur/interlocuteur ne fournit aucun effort
pour rassembler les faits décrits par le narrateur/locuteur. Ici le témoignage
est rendu par Froduard, un jeune paysan hutu devenu meurtrier lors du
massacre génocidaire. La clausule des pronoms « on » dans cet énoncé
assurée par le pronom « nous », montre que le sujet énonciateur intègre le
pronom « on » qui mêle aussi le lecteur par un flou sémantique. De même
avec le semi-auxiliaire « étions en train de » qui conclut ce discours, on est
plongé certes dans un passé propre au système temporel de la narration
« arrivait », « mettait », « criait », « lançait » et bien d’autres qui assurent le
passé, mais plus précisément un passé assez proche du temps de
l’énonciation. Cela donc active le caractère déictique indirect de l’imparfait.
La présentification mimétique donc se voit être le transport du réel vécu, et
rapporté par le locuteur, sans détour ou jeu d’image, au lecteur. Les Hutus
envoûtés par la propagande « un programme » s’adonnaient à une chasse à
l’homme dont le but recherché était l’épuration pure et simple du peuple tutsi
qu’ils accusaient à tort ou à raison d’être des étrangers envahisseurs selon des
stéréotypes instaurés magistralement par les colons belges et français.
3. De l’imaginaire à l’imaginaire social
De sa réflexion sur la logique ensidique qui tentait d’expliquer les activités
humaines, Castoriadis mettra un point d’honneur sur le concept de
l’imagination pour déceler les limites de la première un peu trop dépassée par
l’évolution et rendu inefficace à comprendre les préoccupations
contemporaines. Il définit la notion d’imagination comme une « origine
continuée, fondement toujours actuel, composante centrale où s’engendrent et
ce qui tient toute société ensemble et ce qui produit le changement
historique »107. L’imagination se voit être une notion aussi vaste qu’indicible,
car elle ne peut être appréhendée de manière efficiente, concrète. Elle plonge
dans un ici et ailleurs en perpétuel dynamisme et évolution. C’est donc à juste
titre que Patrice Leblanc dira que « l’imaginaire social n’existe jamais à l’état
pur ou, peut-être plus justement, à l’état libre dans une société : en effet, ce

72
n’est pas une réalité matérielle, mais une réalité idéelle. [Il se construit par]
des objets [ou des personnes] qui en quelque sorte vont donner vie, vont
donner forme à l’imaginaire social. »108Ainsi, il, parlant de l’imaginaire
social, polarise une dualité de l’ordre de l’abstrait lorsqu’on se donne de le
cerner en pleine évolution, et de l’ordre du concret lorsqu’il s’inscrit dans
l’historicité de la société concernée pour subir un avatar et se présenter
comme une doxa ou « une mémoire collective »109. Ce double aspect de
l’imaginaire social rwandais prend ses racines dans leurs pratiques
socioculturelle et religieuse ; c’est-à-dire plus précisément dans leur croyance
indéfectible en leurs divinités. Ce n’est donc pas sans intérêt que pour mieux
percevoir le mal qui sommeille en ce peuple, Véronique Tadjo s’est abritée
sous l’ombre du dieu Imana. C’est cette fusion qu’elle semble représenter par
l’item linguistique « on » qui lui confère son omniprésence spatio-temporelle.
Dans la mémoire collective de ce peuple, cette divinité incarne et est surtout
le réceptacle, à elle toute seule, de l’imaginaire des imaginaires sociaux. Ainsi
donc, comment Véronique Tadjo dé-construit- elle le lexème « on », dans son
jeu illusionnant, pour nous présentifier l’imaginaire rwandais ?
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

73
II - Construction du lexème
« on »
« On », cet item composé de deux lettres est un pronom clitique qui
n’observe aucune variation possible. En cela son appréhension et son
interprétation se présentent souvent plus hermétiques que trompeuses. Il y a
donc lieu de s’intéresser à sa construction autant dans sa forme que dans sa
sémantique en vue de mieux le cerner.
1. Construction morphosyntaxique du lexème « on »
La complexité de cet item grammatical réside en ce sens qu’il ne subit
aucune modification possible autant au niveau du nombre que du genre.
Dubois dira que : « on ne comporte pas de marques de genre et de nombre ; il
peut en effet se substituer à il ou ils ou elle ; on se réfère donc à un syntagme
masculin ou féminin, singulier ou pluriel. »110On peut observer ces extraits
pour s’en convaincre :
1. (3)Je n’ai vu que ses yeux. Ils étaient recouverts d’un voile
opaque.
2. (4)Et puis, un jour, les accusations avaient commencé. Son
nom était revenu à travers les témoignages. On l’accusait d’avoir
participé avec un groupe de militaire au meurtre de toute une
famille. (p. 69)
3. (5)Rassemblez-vous dans les églises et les lieux publics, on
va vous protéger. (p. 24)
En (3) la référence anaphorique de « ils » est « ses yeux ». Ils peuvent
commuter sans que la relation lexicale entretenue avec le verbe soit atteinte
par une certaine modification. Cependant, ce comportement observable en (3)
n’est pas rendu possible en (4) et en (5). Bien qu’ayant des référents pluriels
dans les deux cas « les témoignages » et « les militaires », « on » ne subit
aucun changement et le verbe conjugué demeure toujours au singulier. Cela
dénote du caractère invariable de ce pronom clitique. Seulement la distinction
intervient au niveau des adjectifs et des participes passés qui imposent le
genre et le nombre de leur référent de base.
1. (6)Cela nous rend service et on n’est pas toujours obligées de
demander aux autres. (Jean Luc LAGARCE, Juste la fin du
monde, Besançon, Éditions Les Solitaires intempestifs, 2000, p.

74
24)
Sans l’ombre d’un doute, on peut avouer que le thème titre de cet énoncé
est un groupe de femme. Il est vrai que cette règle n’est pas toujours respectée
auquel cas, elle participerait efficacement à établir ou à aider dans la
distinction référentielle de « on ».
2. Le pronom « on » : une unité déictique de la première personne
Avec Flottum et coll…, on peut affirmer sans ambages que les référents de
« on » peuvent être aussi multiples que variés. Il peut s’agir d’un « auteur,
auteur avec lecteur, auteur avec communauté limitée, auteur avec
communauté étendue, lecteur… »111À ce propos, Blanche Benveniste dira que
« le pronom “on”, comme beaucoup d’autres, est malléable selon l’axe de
plus ou moins grande généricité. Ce qui fait son originalité, en revanche,
c’est qu’il semble être le seul à pouvoir manifester cette dualité
d’interprétation entre un ensemble de personnes dont je fais partir et un
ensemble de personne dont je suis exclu… »112.

Dans cette partie, la généricité de « on » en sera épargnée aussi on fera


l’économie des mots des référents délocutés qui ne pointe pas le locuteur. En
cela, seul fera objet de considération les « on » incluant un « je » à référence
déictique.
2-1- « on » comme énallage du déictique de la première personne « je »
Dans le processus discursif, le locuteur marque sa présence à partir du
pronom « je » et ses variantes. De ce fait, les marquent de sa présence tendent
à référer à des réalités extralinguistiques qui impriment leur valeur déictique.
Comme susdit, « on » dans sa « malléabilité » ou encore dans sa « dualité »
peut bien prendre la place de ce pronom personnel déictique. On peut le voir
pour s’en convaincre :
1. (7)Pas d’habits de rechange. On verra sur place. (p. 17)
2. (8)Celui-là, je n’en veux pas. Il est né de la guerre. Que
voulez-vous qu’on en fasse ? (p. 48)
En (7) et (8), on remarque bien la présence du pronom « on » avec aucune
référence claire. Observons à nouveau les mêmes extraits avec une restitution
transformationnelle :
(7a) Pas d’habits de rechange. Je verrai sur place. (p. 17)
(8a) Celui-là, je n’en veux pas. Il est né de la guerre. Que voulez-vous que

75
j’en fasse ? (p. 48)
Par cette transformation, nous arrivons à expliciter l’adéquation
sémantique entre (7) et (7a), (8) et (8a). Ainsi, le pronom « je » qui prend la
place de « on » en (7a) réfère à la narratrice qui se présente dans cette
énonciation comme un monologue. En (8a) par la coréférentialité d’avec la
marque du locuteur qui dit « je » dans le premier segment « celui-là, je n’en
veux pas.), le pronom « on » là encore permet au locuteur de s’indexer soit
même, rôle que remplit pleinement le pronom « je ». En somme, les
occurrences du locuteur sont bien présentes dans ces fragments seulement
elles ne ramènent à aucune entité fixe telle que le rôle d’embrayeur que joue
la première personne dans bien de cas. Notons que (8) le métaphorisé dont on
fait référence dans l’expression « Il est né de la guerre. Que voulez-vous que
j’en fasse ? » dénote, il est vrai le sème de l’enfant ; cependant,
l’interrogation qui s’ensuit et qui traduirait une certaine inhumanité du
locuteur ne doit pas être entendue de la sorte. L’enfant est le fruit d’une
relation entre deux personnes de sexe opposé. De même la guerre est le fruit
d’une relation entre deux entités d’idéologie opposée. Disons que dans
l’imaginaire social de ce peuple, tout ce qui est né de la guerre (la
ségrégation, les suspicions, la haine, la xénophobie, etc.) est autant de tares
qui ne doivent pas trouver leur place dans la société rwandaise d’après-guerre.
Ainsi, Hutus et Tutsis peuvent se représenter un idéal englobant.
2-2- « on » comme énallage du déictique de la première personne
« nous »
Dans la situation d’énonciation où le pronom « on » revêt les habits du
pronom déictique de la première personne du pluriel « nous », sa conception
sémantique se modèle comme ayant en son sein le locuteur qui dit « je »
auquel s’adjoint intrinsèquement l’interlocuteur matérialisé par un « tu » ou
un « vous ». En ce point, il y a lieu de souligner que « on » sous cette posture
usurpe le caractère déictique de ce pronom en renvoyant à des entités
extralinguistiques qui prennent en charge le discursif comme dans ces
citations :
1. (9)Thérèse nous montre l’album de photos qu’elle a
constitué. On voit ses deux fils aînés et son mari. (p. 35)
2. (10)Nelly nous montre son petit jardin potager dans la cour :
« Regardez-moi ça, ce n’est pas grand-chose. Mais il faut quand
même essayer. Il y a des serpents là-dedans. Ça ne fait rien, parce
que moi, Nelly, je n’ai pas peur des serpents. Je les attrape d’une
main et je les tiens comme ça pour les étrangler ! » On a

76
l’impression que le serpent se tortille sous nos yeux. (p. 49)
Dans ces énoncés, les pronoms « on » et « nous » sont coréférentiels dans
l’un comme dans l’autre de ces exemples ; seulement que dans le second,
« nous » est représenté par sa variante, pronom possessif « nos ». « On »
fédère des instances de la communication telles que les interlocuteurs
intralinguistiques et par-delà, l’extralinguistique, le lecteur. Ceux-ci
s’inscrivent dans une dynamique communicative hallucinante qui trouve son
enrichissement par l’apport du pronom « on ». Soulignons que dans
l’imaginaire social rwandais, les stéréotypes religieux consacrent une place de
choix aux divinités à l’instar du dieu Imana. Alors sous « L’ombre d’Imana »,
la narratrice se trouve plonger dans un imaginaire social dans lequel tous ses
faits et gestes sont orientés par le divin qui semble traduire l’indicible « on a
l’impression ». Là où le visible rencontre des limites, l’invisible pourrait être
d’un apport indéniable dans la quête de l’exorcisme : « ce n’est pas grand-
chose. Mais il faut quand même essayer ». Aussi la scénographie de ce
discursif qui semble être anodin n’en est pas un. Si donc « le potager » est la
métaphore du Rwanda et que « les serpents », dont le venin et la dangerosité,
constituent une menace pour ce lieu et ses habitants, l’on est amené à
comprendre que l’imaginaire véhiculé pour le retour de la paix doit être
marqué par une véritable union (Nelly) en vue de bouter hors du Rwanda les
serpents à l’origine du massacre génocidaire.

Il est vrai que nous venons d’épingler le statut déictique de « on » qui s’est
fait non sans une véritable analyse énonciative. Alors, on comprend sans
autres approches de la malléabilité de ce pronom qu’il n’est pas toujours
indéfini encore moins un véritable déictique dont l’usage dénote d’un effet
stylistique capable d’assembler ce qui était épars pour en faire un. « On » est
donc commutable au pronom « je » et « nous » et son usage vise une certaine
dissimulation de l’identité de l’auteur « dans la masse anonyme de ses
semblables »113.
3. Construction elliptique du lexème « on » ou « on » inabsentia
Dans ce point, il s’agira pour nous de montrer une autre facette du pronom
« on » ; vu les points communs qu’il entretient avec d’autres unités
linguistiques, plus particulièrement, on observera le cas de l’infinitif.

Parler d’une construction elliptique du lexème « on » revient à présenter


un « on » in absentia. Disons que l’ellipse provient du mot latin « ellipsis » ou

77
encore du mot grec « elleipsis » qui signifie un « manque », le fait de
« négliger » quelque chose ou quelqu’un ; et dans le contexte littéraire, un
mot ou une expression. C’est un procédé de construction phrastique qui
suscite plus de dynamisme dans le discours. On compte, à ce sujet, deux
catégories d’ellipse selon Louis GUILBERT : « l’ellipse grammaticale et
l’ellipse narrative »114. Dans notre cas, seule sera considérée l’ellipse
grammaticale. Soulignons que ce type d’ellipse se réalise au sein de la phrase.
Le Grand Dictionnaire de la Langue Française définit la phrase comme un
« ensemble de mots groupés selon les règles de la syntaxe et exprimant une
pensée complète en une seule ou en plusieurs propositions, la phrase est
séparée des autres phrases par certains signes de ponctuation
déterminés. »115 De cette définition, on retient que la phrase obéit à une
structure donnée, qui se présente comme suit :
- sujet + verbe
- sujet + verbe + attribut
- sujet + verbe + complément

Cependant, dans notre corpus, cette règle syntaxique se voit être souvent
violée. Le modèle linéaire de la phrase que l’on peut résumer au thème suivi
du rhème, par ellipse donc du thème, se voit être réduit au volet rhématique.
Cela s’explique par le fait que l’énoncé soit pris en charge seulement par le
verbe. Comme on peut le voir :
1. (11)Marcher nonchalamment dans les rues et regarder la vie
passer. Acheter les bananes à un étalage, rire avec des gamins,
parler à quelqu’un dans la rue, attendre à un feu rouge que le
petit bonhomme vert se montre, acheter le journal, boire un coca-
cola dans un kiosque, vivre dans Kigali comme si le passé n’avait
été qu’un mauvais souvenir. [L’ombre d’Imana, p. 19]
Cette rhématisation de l’énoncé dans ce fragment textuel est assurée par
des verbes à l’infinitif en occurrences « marcher », « regarder », « acheter »,
« rire », « parler », « attendre » et « boire ». Rappelons que l’infinitif est un
mot qui « exprime purement et simplement l’idée de l’action sans indication
de personne ni de nombre. »116 Si donc on s’adonne à la restitution
syntaxique selon les règles de la syntaxe, on se doit par obligation sémantique
d’utiliser un sujet qui semble n’avoir aucune « indication [précise] de
personne ni de nombre ». Alors par la méthode de transformation, on aura :

78
1. (12)On marche nonchalamment dans les rues et onregarde
la vie passer. On achète les bananes à un étalage, onrit avec des
gamins, onparle à quelqu’un dans la rue, onattend à un feu rouge
que le petit bonhomme vert se montre, onachète le journal, onboit
un coca-cola dans un kiosque, onvit dans Kigali comme si le passé
n’avait été qu’un mauvais souvenir. [L’ombre d’Imana, p. 19]
On comprend mieux qu’à travers cette réappropriation par ce thème titre
« on », « le brouillage de frontières dans le système des personnes qu’[il]
introduit permet d’échapper à cette alternative extérieure/intérieure : “on”
réfère en effet à la fois à l’énonciateur, au lecteur, à tout le monde, sans
qu’aucun de ces pôles ne soit séparable des autres. »117 Ainsi, les actions
convoquées, par les verbes à l’infinitif, sont conduites par une entité voilée ;
cela cadre bien avec le pronom « on » dans sa plasticité sémantique telle que
décrite par Dominique Maingueneau. En cela, nous sommes à même de parler
de pronom « on » in absentia dans cette posture sémantique.

Dans l’une comme dans l’autre de ces constructions, ce jeu discursif que
consacre le pronom « on » active le type iconique118 du locuteur dans lequel
l’angle d’expressivité in praesentia de ce pronom à valeur déictique atomise le
procédé de la présentification en révélant les différents rapports entretenus
avec le lecteur/locuteur de l’énoncé. À côté de cela, au sujet de l’usage in
absentia ou encore de la construction elliptique du pronom « on » assuré par
la rhématisation de type infinitif, la représentation en trouve pour son compte
par la dynamique dont le but est d’assoir un effet perlocutoire. Ainsi de « on »
in preasentia à « on » in absentia, l’on est passé d’un lot de stéréotypes fondés
par des Hutus Power sur un imaginaire social révolutionnaire et meurtrier à
une épuration pure et simple du clan Tutsi. La narratrice, par ce procédé,
prend le contre-pied des choses pour décrire un retour à la quiétude qui
semble ne porter aucun visage et dont le concours de tous saurait mieux
assurer sa stabilité.
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

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III - Le pronom « on », une
présentification de l’imaginaire
social
Le jeu entretenu à travers l’usage du pronom « on » est d’une richesse
stylistique indéniable. Ce faisant, saisir et actualiser le concept d’imaginaire
social qui s’y loge nécessite que nous considérions la perspective ou encore
appelée focalisation narrative qui traduit « la marque implicative du sujet
parlant dans la trame de son discours »119.
1- La focalisation narrative à travers le flou sémantique du pronom
« on »
Dans son récit journalistique, Véronique Tadjo s’adosse sur le pronom
« on », une unité linguistique qui permet qu’elle « s’avoue explicitement ou se
pose implicitement comme la source évaluative [ou affective] de
l’assertion »120. Le faisant, il convient pour nous de justifier le jeu qui se
trame autour de cet item qui permet d’aboutir à la présentification de
l’imaginaire social rwandais en proie au génocide. Cela passera bien sûr par la
perspective narrative en cours dans le discursif. Comme le dirait Gérard
Genette, il s’agit d’« une restriction de champ, c’est-à-dire en fait une
sélection de l’information narrative par rapport à ce que l’on nommerait
l’omniscience… »121. En d’autres termes, il est question du foyer
d’observation de l’auteur qui peut être inclus, exclu ou partout comme un
Dieu : le dieu Imana.
2- Le pronom « on » : une présentification en focalisation interne
À partir de ce point de vue, la narration est conduite par un auteur
réellement impliqué dans les sentiments, les pensées des personnages. Il mène
le narratif comme s’il siégeait dans le psychique du personnage responsable
des paroles et des actions. L’ombre d’Imana : Voyage jusqu’au bout du
Rwanda, une œuvre autobiographique, n’est pas exempte de cette structure
narrative qui s’asseoit sur le pronom « je ». Et comme on s’est appliqué à le
montrer plus haut, le pronom « on », dans sa plasticité sémantique, se
présenterait des fois comme un « je » déguisé, comme en témoigne cet
extrait :
1. (13)Sur son visage, on remarque de larges plaques comme

80
une maladie de la peau, elle l’a enduit d’une crème blanchâtre qui
lui donne un teint blafard. Elle sait qu’on ne voit que ça. Elle le lit
dans nos yeux. (p. 47)
La perspective narrative qui se meut dans cet énoncé peut être révélée à
travers plusieurs items, dont « on ». Dans cet énoncé, l’instance narrative est
prise en charge par le personnage/narrateur qui distribue la parole et décrit les
sentiments sans distinctions quelconques. La narratrice est ici désignée par
« on » qui lui donne de s’assimiler à une masse anonyme. Elle tente, autant
que faire se peut, de brandir à regret les séquelles macabres du génocide, une
marque indélébile qui a terni à jamais la vie de multiples familles à l’instar de
Nelly. Nelly a été une victime de ce qu’on pourrait qualifier « d’esclave-
sexe », lors du massacre ; et à la suite elle s’en est tirée avec le virus du
SIDA. À vue d’œil les signes qu’elle présente sont le prototype d’une
sidéenne à un stade très avancé de la maladie. Et c’est ce que décrit le
narrateur dans son for intérieur en informant de manière minutieuse le lecteur
au-devant de qui elle expose les faits comme si ce dernier pouvait prendre
part à la diégèse. La narratrice pleinement engagée dans la situation
d’énonciation avec son lecteur impose à celui-ci de l’empathie pour cette
victime du génocide. Sa prise de position traduit l’affection que les uns et les
autres doivent apporter aux rescapés en vue d’éponger un tant soit peu leur
souffrance. Ce regard de la narratrice se trouve être bien des fois dépourvu de
lyrisme.
3- Le pronom « on » : une présentification en focalisation externe
À l’opposé de la première focalisation, celle-ci se présente comme une
restriction du narrateur qui se distancie clairement du psychique des
personnages. Il est donc étranger à l’histoire qu’il raconte et ne peut pas
intégrer les sentiments et les pensées des personnages à l’instar de celle
susdite. Lorsque l’énoncé est conduit par le pronom « on », son imbrication
dans la présentification de l’imaginaire social est évocatrice en ce sens qu’elle
ramène les actions au lecteur avec un stratagème très avancé. On pourra s’en
convaincre à l’analyse de cet extrait :
1. (14)On lui a proposé d’être guide parce qu’il parle le français
et qu’il n’était pas loin lors du massacre. (p. 26)
Ici il est clairement question d’un récit narré dans lequel le pronom « on »
ne désigne aucunement le locuteur. Le personnage narrateur raconte les
circonstances qui ont prévalu et qui ont favorisé le rôle du Petit vieux comme
on appelait le guide dans l’histoire. Il s’agit d’une focalisation externe en ce
sens qu’ils rendent compte d’une narration dans laquelle la narratrice ne

81
partage que les informations qu’elle a à porter de vue tout en émettant un
jugement sans violer la pensée du personnage. Dire que la narratrice est un
témoin est une gageure. Dans la trame de l’histoire, on comprend qu’elle ne
fait que retranscrire les informations qui lui sont parvenues sur l’identité du
Petit vieux. Cependant le comportement sémantique de « on » délocuté ne
semble pas restituer ce fait. On ne sait s’il convient de le dire dans une sorte
d’omniprésence de la narratrice qui refuse de prendre des distances même
dans une énonciation à laquelle elle n’a pas pris part.

L’usage du pronom « on » dans un énoncé tend à disloquer les sillons de la


perspective narrative au détriment d’un seul poste d’observation. Dans ces
conditions l’effet stylistique tant recherché par ces auteurs à l’image de
Véronique Tadjo consacre une focalisation hybride qui permet de partager les
émotions, les sentiments et les différents points de vue du locuteur, d’une
tierce avec une masse anonyme.
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Conclusion
À la clausule de cette étude, on notera qu’il s’est agi de comprendre
l’usage du pronom « on » dans ces différentes manipulations sémantiques et
stylistiques qui fédèrent un imaginaire social hallucinant. Dans bien de
fragments textuels, « on » a su s’arroger une identité de pronom personnel
« je » et dans d’autres, une identité de pronom personnel « nous » en référant
à des entités précises. Quand on lui reconnaît une manifestation in praesentia,
raison n’est point de lui dénier sa construction dite in absentia qui recrée un
imaginaire social nouveau dans notre corpus.Tout cela permet de comprendre
le jeu sémantique dont fait preuve Véronique Tadjo à travers l’usage de ce
pronom. Si donc dans une guerre où les responsabilités des atrocités
s’imbriquent les unes dans les autres ; l’œil, les oreilles et la bouche du peuple
se trouvent être les seuls témoins sans indexation qui retracent et balaient les
stéréotypes de part et d’autre pour assoir un imaginaire social de la
réconciliation.
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83
Bibliographie
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Voyage jusqu’au bout du Rwanda, Abidjan, EDILIS, 2006.

84
Chapitre 5. L’imaginaire social bourgeois et la
dimension kitsch chez Marcel Proust Eba Axel
Richard
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Résumé
L’article se donne la charge d’étudier les œuvres que sont Du côté de chez
Swann et À l’ombre des jeunes filles en fleurs de Marcel Proust dans l’optique
de faire ressortir une dimension imaginaire de la société bourgeoise française.
Cette dernière véhiculera des images, voire des modes de pensée que nous
symboliserons dans le nominatif du « kitsch ». Ainsi, une complémentation
fructueuse va s’établir entre ces œuvres pour mettre en évidence ce
qu’Hermann Broch a appelé les « attitudes-kitsch » dans ce groupe social. Il
s’agira de parler des rapports sociaux que les personnages bourgeois
entretiennent avec l’altérité et les objets. La représentation, dans les romans,
de cette classe à la genèse de l’époque moderne va se faire à travers des
procédés descriptifs. Ils vont permettre une immersion dans le monde
hautement connoté de l’idéalisation du réel et de l’attachement aux objets.
Ces paradigmes seront matérialisés dans le socle romanesque avec l’idée de
desceller des formes de vie et de perception, qui s’imposent comme des
normes interpersonnelles dont les valeurs sont des stéréotypes de la « culture
officielle ».
Mots-clés : Imaginaire social, Bourgeois, Kitsch, Objets, Crise, Culture
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86
Introduction
« Le roman français, depuis ses origines jusqu’à nos jours, est traversé par
un mouvement ininterrompu de crise : crise de la forme, crise de la totalité,
crise de la généricité, etc., traduisant non seulement la volonté de contester le
modèle du roman traditionnel, canonique et mimétique du XIXe siècle mais
surtout celle d’innover l’écriture du genre » (Mindié, 2013 : 127) par
l’interruption du mouvement continue de la linéarité fictionnelle. Marcel
Proust, lui, au centre de la création romanesque du XXe siècle, propose une
interrogation de l’écriture mimétique et une écriture de l’interrogation sur les
mimesis psychologiques de la classe sociale à laquelle il semble appartenir.
Participant à la Belle Epoque (1900-1913) française, il apparaît naturel à cet
auteur de centraliser sa fiction romanesque sur une corrélation de crise de la
pensée et de crise esthétique dans le prisme de la bourgeoisie française. Écrire
sur la bourgeoisie implique, effectivement, une approche d’immersion pour y
voir les subtilités de fonctionnement et d’organisation. En tant qu’objet de
fiction, ce groupe social va faire étalage d’une vision culturelle conservatrice
en adoption collective.
Du coté de chez Swann à l’ombre des jeunes filles en fleurs, il sera
constaté une interaction entre les paradigmes de la perception et de l’objet-
perçu pris dans un sens « non fonctionnel » comme celui qu’étudie Jean
Baudrillard dans le Système des objets. Il s’interroge : « peut-on classer
l’immense végétation des objets comme une flore ou une faune, avec ses
espèces tropicales, glaciaires, ses mutations brusques, ses espèces en voie de
disparition ? » (Baudrillard, 1968 : 7). Les objets sont, en quelque sorte,
polymorphiques. Ils donnent naissance à des envies de possession,
d’accumulation, d’ostentation, etc. Egalement, la question de l’attachement
aux choses matérielles a constamment été présente à l’esprit de Jean
Baudrillard qui a publié dans la continuité de ses recherches La société de
consommation. De ces deux ouvrages, une alliance des mots-clés que sont
« objets » et « consommation » donnera la tonalité de la consommation des
objets qui sera mise en rapport étroit avec l’imaginaire bourgeois.
Fondement de la recherche, cette perspective donnera les moyens
théoriques et techniques d’appréhender la nature des bourgeois qui s’attachent
aux choses décoratives, musicales et artistiques en leur donnant une portée
affective au-delà du simple naturel. L’écriture proustienne qui manifeste une
excentricité intéressante est « […] comme le témoignage d’une traversée de
l’existence et des passions […] de l’être [bourgeois d’une époque

87
particulière] » (Erman, 2015 : 13). Les romans de Marcel Proust présentent à
ce propos et de manière inhérente un feedback sur les XVIIIe et XIXe siècles
comme chronotope complexe de création. Sa pensée créatrice ne sera pas
directement accessible vu qu’elle est mise en crise par la critique de son
époque. En fait, le non-alignement de ses compositions par l’écriture et par la
société qu’il met en scène a fait de ses œuvres des modèles de subversion en
développant un code scriptural dérangeant. Comme le titre de son œuvre
l’indique, À la recherche du temps perdu, c’est peut-être une perte de temps
de parler de la bourgeoisie ; mais ce ne serait pas une perte de temps, ici, de
parler de l’esthétique proustienne.
L’écriture de Marcel Proust semble intéressée par une forme distinctive.
Elle manifeste une dépossession du savoir qui s’invente dans les
introspections sur les êtres et les choses. Le monopole de Proust dans ce
cheminement intellectuel impose de le lire avec une acuité visuelle et
herméneutique pour éveiller d’autres formes de perception littéraire en
rapport avec les imaginaires du pouvoir social, politique, artistique et
littéraire. Ce dernier est celui qui régule tous les autres en fiction romanesque
à travers le rythme de l’éloquence bourgeoise et de la cadence de l’esthète.
Marcel Proust propose de réfléchir sur les guides factices d’appartenance à la
société bourgeoise à partir d’une « lecture objectivante » (Vincent Jouve) qui
se veut dans la subjectivité complétive des informations intertextuelles. Nous
allons pouvoir donner sens à ce qui est latent en fonction d’une critique
ouverte à la culture sociale. Comprendre la portée de l’imaginaire social de
ces œuvres implique de faire appel à ce que Mikhaïl Bakhtine nomme le
Dialogisme. Cette théorie « […] s’intéresse aux éléments socio-historiques
des textes. [Elle] est également essentielle à quiconque conçoit le roman sous
l’angle d’une interaction, voire la matérialisation d’un faisceau de relations,
de rencontres diverses, propices à toute une somme d’interconnexions »
(Mindié, 2014 : 45).
Il faut comprendre qu’une œuvre romanesque porte en elle les marques
inhérentes de la société qui la vît naître. De la sorte, le roman est une somme
de rencontres. La pluralité des rendez-vous au cœur de ce dialogue textuel fait
intervenir la notion d’ambivalence. « Le terme d’ ‘‘ambivalence’’ [en
question] implique l’insertion de l’histoire (de la société) dans le texte, et du
texte dans l’histoire ; pour l’écrivain ils sont une seule et même chose »
(Kristeva, 1969 : 88). Les termes d’échange sont ainsi donnés par Julia
Kristeva en explicitation de la pensée bakhtinienne. Il n’y a pas une
distanciation drastique entre le texte de roman et le contexte social
d’existence. Au contraire, le roman vient réécrire le social pour le rendre

88
intergénérationnel. D’une manière sensible, cela attise curiosité et passion
intellectuelle. Le besoin d’inclusion du tout (le social) dans l’un (le roman)
crée une « écriture à la fois comme subjectivité et comme communicativité »
(Kristeva, 1969 : 88).
L’équation posée permet d’étudier certaines variables comme l’ornement
social qui se surajoute aux caprices esthétiques du texte pour le décloisonner
de son aspect purement fictionnel. Les mots transmettent, ainsi, des valeurs
fondées sur les signes et les symboles linguistiques qui enrichissent l’énoncé
romanesque. Par variables, il faut comprendre synthétiquement la réalité
ternaire : « rêves de loisirs […] », « […] sentiment individuel » et « […] style
kitsch » (Elias, 2014 : 286-287) qui caractérisent la société bourgeoise. La
méditation sur ce que ces réalités impliquent amène à réfléchir directement et
indirectement sur certaines questions d’intérêt structurel. Il sera d’un bon
usage d’étudier ces questions : Quel pourrait être le déterminisme sémantique
de l’imaginaire social bourgeois ? Quelles sont les attitudes qui favorisent une
lecture édifiante de l’écriture de Marcel Proust ? Et, quels sont les matériaux
de construction de la dimension kitsch dans l’esthétique proustienne ?
Prospectant ce questionnement, nous proposons de montrer que Marcel
Proust marque son originalité en engageant sa vision sur une société qui paraît
désuète à l’époque postmoderne. Sans inventer de nouvelles structures
narratives, il a le mérite d’avoir fait changer la perspective critique liée aux
modèles esthétiques du début du XXe siècle. Il vivifie par conséquent de
nouveaux socles de littérarité du texte romanesque à partir du champ culturel
à connotation bourgeoise.
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I- Mélanges : L’imaginaire social
bourgeois et le Kitsch
Sans remonter aux sources de l’histoire, la période de 1800 à 1830 a vu la
consolidation du pouvoir de la bourgeoisie en France vu que « de 1789 à
1799, la période révolutionnaire a opéré un bouleversement politique et social
radical, qui constitue la véritable charnière entre le XVIIIe et le XIXe siècles :
la féodalité est abolie, l’aristocratie d’Ancien Régime détruite dans son
pouvoir et ses privilèges » (Nony et André, 1987 : 228). L’ascendance sociale
progressive de la bourgeoisie française suscite une prise de parole dans les
débats politiques, culturels et autres : « le kitsch est une catégorie culturelle »
(Baudrillard, 1970 : 166) de cette catégorie sociale. Les propos qui suivront
seront impliqués dans la présentation de la lexie « kitsch ». Mais avant, il
s’agira de construire l’imaginaire social bourgeois.
1- Imaginaire social bourgeois
Selon Patrice Leblanc, « l’imaginaire est une composante importante des
sociétés » (Leblanc, 1994 : 415). C’est dire que chaque société a en partage
certaines valeurs qui deviennent communes avec la force du temps. C’est
pourquoi l’imaginaire, dans son unicité sémantique, véhicule une question
sociale intrigante et captivante. Pris dans une acception globalisante, un
imaginaire collectif est essentiellement le fait de penser de la même manière,
adopter les mêmes attitudes, aimer les mêmes choses dans la mesure du
possible. Ici, cet imaginaire permet d’évoquer « […] les […] moments de la
spontanéité bourgeoise » (Baudrillard, 1970 : 178).
Leblanc a fait l’effort intellectuel de défricher le champ de l’imaginaire
social qui est à la base un concept flou. En effet, « l’imaginaire social, […],
[est] un ensemble de significations sociales qui structure une société ainsi que
son rapport au monde […] » (Leblanc, 1994 : 425). Dans la continuité, il
préfère plus parler de la « dimension imaginaire des sociétés » (Leblanc,
1994 : 416) pour dépasser le simple cadre des significations. Appréhender
cela dans le microcosme d’une œuvre romanesque reste tout à fait possible.
Pour cause, le texte s’ouvre à toutes accentuations sociohistorique et
polyhistorique (Hermann Broch). De cet usage formel de l’imaginaire social,
« l’imaginaire social bourgeois » serait donc toutes les croyances que partage
la classe bourgeoise sur l’art, la peinture, la musique, la politique et la
littérature.

90
Dans le prisme des romans, on assiste particulièrement à des croyances
stéréotypées qui privilégient le conventionnalisme d’une part ; la sensibilité et
les plaisirs face à l’objet déterminé esthétique d’autre part. À propos, « objet
et perception esthétiques forment une totalité spacieuse où l’objet n’est tel que
vis-à-vis d’une perception qui lui fait droit et l’accueille, mais où la
perception crée les conditions de possibilité de l’objet. » (Saison, 1975 : 26).
Vers cette forme d’esthétique, l’objet gouverne la pensée et les pensées. Le
sensible domine l’état rationnel de l’être. Quand les formes ornementales des
styles baroque, rococo et gothique sont perçues avec plaisirs, les notes
musicales sont entendues avec beauté. De l’amour du style naît la finalité du
beau qui se trouve dans tout ce qui est agréable à regarder, à écouter et à
commenter.
Vivre dans la même catégorie sociale impose relativement le partage
collectif des mêmes réalités objectives et subjectives. « […] Chaque société
définit et élabore [en effet] une image du monde naturel, de l’univers où elle
vit, en essayant chaque fois d’en faire un ensemble signifiant, dans lequel
doivent trouver leur place certainement les objets et êtres naturels qui
importent à la vie elle-même, et finalement un certain « ordre du monde »
(Castoriadis cité par Leblanc, 1994 : 426). Appartenir donc à un groupe, c’est
partager les valeurs et les habitudes de ce groupe. Et, chaque mode
d’existence passe par la reconnaissance de soi en certaines réalités
quotidiennes autres : « les bourgeoisies se retrouvent […] dans un genre de
vie aux traits communs (loisirs, habitat, domesticité…), ne serait-ce que par
mimétisme » (Chevallier et Bourel, 2010 : 378).
Marcel Proust parle, lui, d’une « belle bourgeoisie » (Proust A, 1988 : 67)
qui adore les cafés, les diners sur invitation dominicale. Les visites de
courtoisie, par exemple, sont des moments de découverte. L’invité découvre,
à travers causerie, la personnalité répulsive ou attractive de ses pairs. Les
hôtes feront l’effort de charmer leur invité par ce qu’il voit, par ce qu’il
entend ou par ce qu’il touche. On comprendra que les apparats décoratifs de
la maison définissent relativement l’homme et les hommes se définissent
relativement à travers ce qu’ils possèdent. Il faut alors renchérir de manière
compulsive la collection d’objets qui transmettent implicitement une image de
soi. Cette politique d’acquisition fait comprendre que « l’imaginaire social
[bourgeois] est toujours médiatisé par des objets – compris ici dans un sens
très large -, objets qui en quelque sorte vont donner vie, vont donner forme à
l’imaginaire social [dans le kitsch] » (Leblanc, 1994 : 416).
2- Signifiance du kitsch

91
« Le terme de kitsch est mal connu en français […]. Le concept est
pourtant universel, familier, important, il correspond à une fonction sociale, à
une époque de la genèse esthétique, enfin à un style de l’art, de l’outil, ou de
l’objet. Le kitsch est une dimension de l’objet aux fonctionnalités
traditionnelles » (Wahl et Moles, 1969 : 105). Cet objet attire le regard
complaisant et il réjouit les yeux. Quand l’objet-possédé donne prestige,
l’objet-contemplé, lui, donne satisfaction. Comme le fait savoir Baudrillard,
« […] c’est avec la bourgeoisie ascendante de la Renaissance et du
XVIIe siècle qu’émerge la préciosité et le Baroque, qui, sans être les ancêtres
directs du kitsch, témoignent déjà de l’éclatement et de l’excroissance du
matériel distinctif dans une conjoncture de pression sociale et de mixité
relative des classes supérieures » (Baudrillard, 1970 : 166).
La bourgeoisie va partager l’imaginaire de collectionner les objets. Ils sont
plaisants et émotionnellement marqués. Lesquels seront utilisés pour décorer
les salons, les maisons, les appartements, etc. Souvent décontextualisés, ils
deviennent des objets artistiques par la force des choses et par la force de la
description esthétique qui est faite dans le procès narratif. Les œuvres de
Marcel Proust, en fait, mettent en scène l’époque avancée de la pleine
existence bourgeoise. De la sorte, la recherche s’oriente sur ce groupe social
qui se passionne pour l’objet décoratif, voire l’art décoratif qui donne ferment
à l’usage hétéroclite de ces objets kitsch, c’est-à-dire démodés. Ils sont légion
dans le cadre spatial de cette période. Le bourgeois fait de son espace un
hyperespace kitsch. C’est le cas par exemple de chaque « appartement […]
meublé selon le goût bourgeois de l’époque : meubles massifs Second Empire
en acajou, tapis profond, lourdes tentures » (Erman, 2015 : 21-22). Le
matériau dans lequel les objets sont fabriqués impose une dextérité de
construction des formes pour l’artisan. Les contours des meubles décoratifs
sont des reflets artistiques. Vivre dans ce modèle d’appartement avec ce genre
d’objet « […] est un signe d’appartenance à la nouvelle classe de bourgeoisie
aisée » (Erman, 2015 : 22).
Le kitsch se définit également à travers des symboles remarquables
d’ordres divers selon Abraham Moles. Il les a catégorisés. Pour lui, le kitsch
se définit par l’appropriation de l’objet (l’usage), par le fétichisme de l’objet
(le collectionneur), par l’insertion de l’objet (le décorateur), par l’esthétisme
de l’objet (l’amateur d’art), par l’accélération consommatrice (la fabrique et la
consommation de l’objet), l’aliénation possessive (la coquille d’objet
personnel) et par l’attitude kitsch comme caractéristique de la civilisation
bourgeoise (Moles, 1971 : 78-79). C’est dire en extension qu’une grande part
du contenu sémantique de ce concept est en rapport avec la bourgeoisie

92
triomphante. Présenté comme un être à part, le bourgeois se crée un mode
d’existence qui relève d’un imaginaire collectif et personnel en adoptant des
valeurs subjectives contiguës à la totalité sociale et des schémas de perception
idéalisante de l’objet.
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II- Interaction : l’imaginaire du
Kitsch et la crise esthétique
La mise en chaîne de cette interaction portant sur la considération
esthétique est en rapport avec les différentes modalités de représentation de la
« Modernité esthétique » de Michel Théron (micheltheron.over-blog.fr). Cette
partie se propose d’étudier la nature du texte littéraire dans différentes
interactions sur des interférences sociohistoriques et esthétiques.
1- Esthétiques mondaines et modernes
Les romans de Marcel Proust sont des carnets de la société bourgeoise. Il
est le sociolecte qui construit un monde référentiel à ce qui prévalait au
XVIIIe et XIXe siècle français. Cet auteur s’est appuyé sur cette société pour
transmettre ses idées concernant l’esthétique romanesque. C’est pourquoi,
« aujourd’hui on conçoit que l’univers qui s’anime dans l’œuvre de Proust
(« le monde ») ne fut qu’une matière, le support et la toile de fond d’une
élaboration à la fois littéraire, esthétique et morale, très au-delà de son
gisement premier et de tous ses décors » (Coelho, 1993 : 9). Proust présente
une société qui fait étalage de ses subtilités excentriques ressenties dans les
codes de vie.
La « culture officielle » bourgeoise ou aristocrate est ciblée. Elle permet de
percevoir les attitudes qui relèvent d’une forme de déguisement dans les actes
et dans les discours. Naturellement, les vraies natures sont voilées au profit de
l’ostentatoire qui donne naissance au kitsch. « Le kitsch se révèle
[effectivement] avec force au cours de la promotion de la civilisation
bourgeoise, au moment où elle adopte le caractère d’affluence, c’est-à-dire
d’excès de moyens sur les besoins, donc de gratuité (limitée), et dans un
certain moment de celle-ci où cette bourgeoisie impose ses normes à une
production artistique » (Moles, 1977 : 6). En partant, cette société imposerait
des images-modèles dans des domaines comme celui de l’art ; mais non
seulement, dans la musique, dans la politique, etc. La subjectivité collective
domine l’objectivité individuelle sur des questions qui paraissent d’intérêt
commun.
Le conventionnalisme est le ferment du kitsch. Ce terme suggère qu’il y a
une dimension de l’analyse qui peut mettre en évidence la société bourgeoise
symbolisée, ici, par certains personnages clés. À travers lesquels, des modes
de pensée seront détectés. La question de l’imaginaire social est effective

94
quand on voit l’ordre de supériorité d’« […] une certaine aristocratie, élevée
dès l’enfance à considérer son nom comme un avantage intérieur que rien ne
peut lui enlever (et dont ses pairs, ou ceux qui sont de naissance plus haute
encore, connaissent assez exactement la valeur), sait qu’elle peut s’éviter, car
ils ne lui ajouteraient rien, les efforts que sans résultat ultérieur appréciable,
font tant de bourgeois, pour ne professer que des opinions bien portées et ne
fréquenter que des gens bien-pensants » (Proust B, 1987 : 89-90). Ces deux
mondes (Aristocratie – Bourgeoisie) jouent un rôle important dans la
compréhension des œuvres proustiennes.
Le personnage-écrivain parvient à faire la description des mondes qui
fascinent ses attentions. L’intention indirecte qu’on peut lui prêter est d’avoir
exposé une société en disparité, vieille dans ses habitudes. Ce narrateur
Marcel manifeste le besoin de montrer que les hommes et les femmes
appartenant à cette réalité de salon, de cours, d’opéra, etc. vivent sous des
conventions inutiles et ridicules. Par leurs attitudes, certains personnages à
venir tombent dans le déguisement de la pensée, et des comportements à
l’image de la bourgeoisie qui prévalait à la fin du XVIIIe et XIXe siècle en
France. Or, cette culture de la « Belle époque » est à présent un peu kitsch,
dépassée qu’il faut retravaillée pour y percevoir de nouveaux paradigmes de
recherche. À propos, « aujourd’hui on conçoit [effectivement] que l’univers
[mondain] qui s’anime dans l’œuvre de Proust […] ne fut qu’une matière, le
support et la toile de fond d’une élaboration à la fois littéraire, esthétique et
morale, très au-delà de son gisement premier et de tous ses décors » (Coelho,
1993 : 9).
La bourgeoisie est un prétexte à l’écriture et à la critique du mythe
d’appartenance catégorique à un ordre social qui fait figure d’autorité.
L’éducation mondaine, au centre de toute cette problématique, exacerbe des
visions et des convictions sur les domaines de la peinture, de la littérature ou
de la musique classique. Les figures du discours prédéterminent les
pensées en revisitant d’une manière autre le système de mécénat lors des
salons. « Le développement des salons constitue un phénomène de société qui
s’organise autour de la femme. C’est elle qui règne sur ces cercles, c’est
autour d’elle que s’élabore un véritable cérémonial fait de raffinement et
subtilité » (Horville, 1988 : 75). Tout se fait autour de la figure d’autorité,
voire la « Patronne » (Proust B, 1987 : 87) qui réunit la crème pour discuter
de tout et de rien. Et là, les pensées se versent dans le suivisme comme
« Mme Verdurin qui ne pouvait supporter la pensée qu’une fidèle allait rester
là au lieu de la suivre » (Proust, 1987 : 283) dans tous ses déplacements et
prises de position en tant que patronne de salon mondain.

95
Dans les rencontres mondaines, il y a une profusion ironique « [d]es plus
intelligents » pour « parler de Nietzsche, Wagner [ou de musique] » (Proust,
1987 : 88). Ils se relaient pour discuter et assurer la connexion du club des
bourgeois à la chose littéraire, politique ou artistique. Il s’agit de société
encodée comme celle de Madame Verdurin :

Pour faire partie du « petit noyau », du « petit groupe », du « petit clan » des Verdurin, une
condition était suffisante mais elle était nécessaire : il fallait adhérer tacitement à un Credo dont
un des articles était que le jeune pianiste, protégé par Mme Verdurin cette année-là et dont elle
disait : « Ça ne devrait pas être permis de savoir jouer Wagner comme ça ! », « enfonçait » à la
fois Planté et Rubinstein et que le docteur Cottard avait plus de diagnostic que Potain. (Proust A,
1988 : 227).

En fait, le salon de Mme Verdurin est un « petit noyau » qui rassemble des
membres d’une petite bourgeoisie. Ils s’y rassemblent pour écouter la
musique classique : une musique de chambre monothématique exécutée sur
piano. Cet instrument donne une seule voix musicale sur la même tonalité
appréciée dans la ritualité du quotidien. Il s’agit de : « la ritualité du mode de
vie, […] ; à travers l’imitation des rituels aristocratiques, par exemple le thé
de l’après – midi transposé dans des salons de thé très branchés, on peut bien
reconnaître l’origine bourgeoise du kitsch » (Tajani, 2012 : 7). L’imaginaire
du kitsch prend forme dans la mesure où pour être considéré comme un
membre du groupe des Verdurin, il faut apprécier un même musicien au
préalable. Ce qui revient à dire qu’il faut être sensible au même doigté
musical en qui chacun identifierait son goût classique.
Les éléments de la culture transparaissent dans la texture de la narration en
faisant savoir que la sociologie bourgeoise se manifeste dans l’excès du
raffinement et du « goût » qu’il soit bon au mauvais. Restrictivement, un
personnage ne peut être discourtois de faire savoir avec véhémence qu’il
s’éloigne de ce système conventionnel. Paraître vaut mieux qu’être car il faut
sembler être investi de même sensibilité que les autres. Si, en général, chaque
homme se distingue foncièrement dans sa nature par des goûts personnels et
distinctifs. Les bourgeois, eux, veulent à la limite uniformiser les pensées
selon le principe de l’appartenance commune au même groupe social.
La lecture de l’indice suivant : « Ah ! non non, pas ma sonate ! cria Mme
Verdurin, je n’ai pas envie à force de pleurer de me ficher un rhume de
cerveau avec névralgies faciales, comme la dernière fois […] » (Proust A,
1988 : 248) permet de saisir le phénomène intrinsèque portant sur l’attitude
implicite liée à l’exposition de ce qu’on ressent quand on écoute notre
musique préférée. Dans le cas de Mme Verdurin, elle adopte un rituel

96
réitératif lorsqu’elle entend la musique de son pianiste de cœur ; le narrateur
en parle :

Cette petite scène qui se renouvelait chaque fois que le pianiste allait jouer enchantait les amis
aussi bien que si elle avait été nouvelle, comme une preuve de la séduisante originalité de la
« patronne » et de sa sensibilité musicale. Ceux qui étaient près d’elle faisaient signe à ceux qui
plus loin fumaient ou jouaient aux cartes, de se rapprocher, qu’il se passait quelque chose, leur
disant comme on fait au Reichstag dans les moments : « Écoutez, écoutez. » (Proust A, 1988 :
258).

Le narrateur fait l’exposé synoptique de ce qui rentre dans le cadre d’une


attitude-kitsch. Dans la société bourgeoise, le kitsch se manifeste dans
l’émotion forcée. Il fait tomber dans l’expressivité artificielle de ce qui relève
de la sensibilité esthétique. C’est ce qui se passe avec l’appréciation de la
sonate par Mme Verdurin. Tenancière d’un salon bourgeois, elle fait étalage
de sa « sensibilité musicale », enjolivée par la larme de tendresse. C’est de
cette « deuxième larme » dont parle Milan Kundera. Il s’agit effectivement de
celle qui s’émeut d’être émue par le fait de s’émouvoir devant ce jeu de piano.
Action factice, cela est symptomatique d’un caractère élitiste de fausse nature
qui recherche le regard et l’approbation de l’autre.
Le kitsch apparaît comme une réaction mondaine tournée vers la
simulation des symboles de la connaissance. L’appréciation du système
phonétique des phrases chantées en est une exemplification :

[…] Mme des Laumes put-elle secouer la tête, en pleine connaissance de cause, avec une
appréciation juste de la façon dont le pianiste jouait ce prélude qu’elle savait par cœur. La fin de
la phrase commencée chanta d’elle-même sur ses lèvres. Et elle murmura « c’est charmant », avec
un double ch au commencement du mot qui était une marque de délicatesse et dont elle sentait
ses lèvres si romanesquement froissées comme une belle fleur, qu’elle harmonisa instinctivement
son regard avec elles en lui donnant à ce moment-là une sorte de sentimentalité et de vague
(Proust B, 1987 : 457).

Le procédé de simulation entraîne un « art de vivre » avec des


« exagérations » (Proust B, 1987 : 455). La musique classique est subtile avec
des codes de perception délicats à connaître. Il faut être donc au parfum de la
connaissance théorique pour être sentimentalement éprise par la douce
sonorité des phrases musicales. Seuls les initiés perçoivent ce jeu de sonorité.
La musique semblerait créer des liens entre « elles » (Proust B, 1987 : 457).
Le principe est le même, la musique classique en tant qu’objet de perception

97
auditive crée le lien entre les membres d’un même salon. C’est avec
délicatesse qu’il faut faire savoir sa sensibilité aux autres afin de confirmer le
partage qui se fait en écoutant les mêmes sonorités, dans un contexte privé, un
lieu de conversation ou de conversion selon les circonstances. L’exagération
dans le raffinement donne terreau fertile au kitsch. Cependant, la polysémie
du concept fait intervenir la notion d’« objet ». Le kitsch tire sa source de la
perception et de la possession de l’objet estimé esthétique.
2- Esthétique de l’objet kitsch
Selon Jean Baudrillard, « le kitsch revalorise évidemment l’objet rare,
précieux, unique […] » (Baudrillard, 1970 : 166). Les objets sont précieux par
nature ou par conviction. Ce qui revient à dire que la préciosité d’un objet est
relative selon les contextes et les personnes. L’objet présumé précieux par
soi-même peut être considéré rarissime, même si cet objet qu’on possède est
une copie. L’objet reproduit attire le regard et attise les passions. Il éveille
l’émotion qui nourrit le kitsch.
La sentimentalité du kitsch révèle une tendance à être séduit à la vue ou au
toucher des choses avec un fantasme prononcé pour le modelage de la forme.
Particulièrement, la forme fait rêver. La bourgeoisie, en effet, s’est distinguée
par la place qu’elle a donnée aux objets d’époque collectionnés ; soit des
objets manufacturés en doublure d’objet artistique, soit des objets d’art qui
éveillent un savoir-faire artistique reconnu : « - Ah ! je suis contente que vous
appréciiez mon canapé, répondit Mme Verdurin. Et je vous préviens que si
vous voulez en voir d’aussi beau, vous pouvez y renoncer tout de suite.
Jamais ils n’ont rien fait de pareil. Les petites chaises aussi sont des
merveilles. Tout à l’heure vous regarderez cela. Chaque bronze correspond
comme attribut au petit siège ; vous savez, vous avez de quoi vous amuser si
vous voulez regarder cela, je vous promets un bon moment » (Proust A,
1988 : 303).
Quand un objet est tout fait à la main, son prestige, voire son « aura »,
semble plus grande et son influence plus importante. Il y a ce respect naturel
qu’on accorde au travail de l’artiste. Cependant, « Il [le kitsch] se définira de
préférence comme pseudo-objet, c’est-à-dire comme simulation, copie, objet
factice, stéréotype, comme pauvreté de signification réelle et surabondance de
signes, de références allégoriques, de connotations disparates, comme
exaltation du détail et saturation par les détails » (Baudrillard, 1970 : 165-
166). En fait, un objet peut faire parler le kitsch à un niveau binaire : par la
forme de cet objet et par l’idée qu’il transmet. En clair, il y a une forme de
représentation et d’expression de soi dans les formes des choses que l’on

98
possède. Alors, la question de la relation de l’homme à l’objet peut naître
puisque cet objet à la pleine possibilité de véhiculer une image
personnalisante. L’objet est dynamique dans sa fonctionnalité. Pour
information, « [le] kitsch et [l’]objet « authentique » organisent […] à eux
deux le monde de la consommation, selon la logique d’un matériel distinctif
[…] toujours mouvant et en expansion » (Baudrillard, 1970 : 167). Dans le
cadre du monde officiel, les objets peuvent être décoratifs avec une idée
d’autodétermination. Par le fait de vouloir se démarquer d’une certaine classe-
autre, on se rend compte d’un imaginaire social distinctif.
L’un des effets les plus déterminants de l’objet-kitsch est de pouvoir
révéler la personnalité de celui qui le possède comme présagé dans le
paragraphe précédant. Une passion au-delà de la mesure normative s’exprime
en l’homme. Par la contemplation, le narrateur Marcel est subjugué par la
prise de conscience de la personnalité de ses hôtes à travers la disposition des
objets de leur appartement :

Toutes les idées que je m’étais faites des heures, différentes de celles qui existent pour les autres
hommes, que passaient les Swann dans cet appartement qui était pour le temps quotidien de leur
vie ce que le corps est pour l’âme, et qui en devait exprimer la singularité, toutes ces idées étaient
reparties, amalgamées – partout troublantes et indéfinissables – dans la place des meubles, dans
l’épaisseur des tapis, dans l’orientation des fenêtres, dans le service des domestiques (Proust B,
1987 : 211).

Les objets lui sont présentifiés dans une expression métaphorique. Cela
laisse entrevoir l’idée qu’un appartement semble pouvoir parler de son
propriétaire à la seule lecture des dispositions des meubles, voire de son
aménagement général. Un ordre de disposition donne un ordre de présentation
de soi. Le respect strict et ordonnancé d’un emplacement subjectif d’objet
permet d’exprimer la singularité de l’être possesseur. Donc l’objet ou les
objets-possédés parlent dès le premier regard de prospection. De l’espace
rangé à l’espace dérangé, de l’objet disposé à l’objet en « Vic à vrac », une
personnalité peut se lire à travers la manière dont on dispose ses objets et
aménage son espace afin de matérialiser un imaginaire personnel dans une
pratique collective. C’est pourquoi l’appartement de Swann est resté
facilement en mémoire à cause de la cartographie réflexe des objets meubles
qui ornent l’espace-décoré.
La décoration intérieure entend transmettre une image au prisme des
objets. Les images, souvent, se veulent plus réelles que le réel de l’être lui-
même. Pris simplement, « l’image [est] donc une construction mentale [qui]

99
port[e] la marque de [la] subjectivité et [qui] s’oppos[e] à un réel objectif »
(Dufourcq, 2011 : 23). L’image qu’on a de l’autre ne relève pas forcément du
réel, mais elle vient compléter la curiosité naturelle à percevoir les mystères
de la nature de l’altérité. Le manque d’information potentielle peut se combler
dans l’analyse des objets ; lesquels parlent au singulier comme au pluriel. À
travers eux, toute une individualité peut être comprise ; toute une société peut
être également saisie. Les objets sont en quelque sorte les miroirs des
personnalités individuelles et collectives de l’imaginaire social bourgeois.
Les objets prennent en finalité une nature existentielle plutôt que
fonctionnelle. Par conséquent, « […] un fauteuil délicieux, hostile et
scandalisé […] » (Proust B, 1987 : 210) va mieux témoigner de ce que son
utilisateur est au quotidien sur le plan physique et psychologique en sachant
s’il est méthodique ou désordonné. Marcel dans sa narration montre que cela
est possible en fonction d’une perspicacité visuelle et spatiale. Pour y arriver,
il utilise son regard pour percevoir l’au-delà des choses, dit-il : « j’imprimais
avec mon regard - […] - [une idée] sur le tapis, sur les bergères, sur les
consoles, sur les paravents, sur les tableaux […] » (Proust B, 1987 : 210). Ce
regard inquisiteur décèle l’histoire, la vie quotidienne des maîtres possesseurs
bourgeois. Intrigué par ce phénomène, il s’interroge sur le fait de savoir
comment ces objets, dans les moindres détails, lui restent en mémoire et lui
reviennent comme souvenir pour restituer des informations : « est-ce parce
que ces choses ont vécu dans ma mémoire à côté des Swann et ont fini par
prendre quelque chose d’eux ? » (Proust B, 1987 : 210) s’interroge-t-il.
En complément de réponse, on pourrait faire comprendre que le regard
sensible et fort prononcé sur les détails permet de donner utilité médiumnique
aux objets de la maison ; même si ces objets peuvent paraître purement
affectifs, comme ceux d’Odette : « […] des objets chinois […] « toc », bien
« à côté », [et] une foule de petits meubles tendus de vieilles soies Louis XVI
(sans compter les chefs-d’œuvre apportés par Swann de l’hôtel du quai
d’Orléans) » (Proust B, 1987 : 210-211). Ces chefs-d’œuvre mentionnés ont
une coloration de copie, or « à la plus parfaite reproduction il manquera
toujours une chose : le hic et nunc de l’œuvre d’art – l’unicité de son
existence au lieu où elle se trouve » (W. Benjamin cité par Boissière, 2003 :
10). L’objet dans sa posture reproductive peut avoir la forme de l’authentique,
mais ne peut égaler la faveur de son contenu prestigieux.
L’objet personnel fétichisé au-delà de son étant « […] s’impose à la
conscience avec une infinie densité » (Dufourcq, 2012 : 158). Le narrateur
s’en rend compte lorsqu’il reçoit en héritage des objets ayant appartenu à sa
tante : « ma tante Léonie m’avait fait hériter en même temps que de beaucoup

100
d’objets et de meubles fort embarrassants, de presque toute sa fortune liquide
– révélant ainsi après sa mort une affection pour moi que je n’avais guère
soupçonnée pendant sa vie » (Proust B, 1987 : 111-112). La nécessité de ces
objets ne se trouve plus dans le simple fait décoratif, mais ils occupent en plus
de l’espace physique, un espace affectif car ils éveillent le souvenir de l’être-
possesseur qui y a imprimé une part de son existence. Ils deviennent des
objets de mémoire qui repoussent l’oublie.
L’homme social du kitsch ou de l’homme bourgeois pour la circonstance,
s’attache relativement aux choses en en faisant une continuité de lui-même de
manière consciente ou inconsciente. En effet, à l’ombre de la pensée
rationnelle, Marcel pense que « […] nous seuls pouvons, par la croyance
qu’elles ont une existence à elles, donner à certaines choses que nous voyons
une âme qu’elles gardent ensuite et qu’elles développent en nous » (Proust B,
1987 : 211). Il est aisé, par la force de la sensibilité, de conférer aux objets
une « âme » matérialisée dans une pensée subjective. Dans ce sens,
l’exagération du collectionneur fait de l’objet un être vivant à la limite qui
parlera de lui malgré le trépas. Les objets sont donc « vénérés », humanisés et
personnifiés. Ils planent entre signes et symboles. Signes de création d’une
identité personnelle et symboles d’une attitude collective idéalisée par toute
une classe sociale. Dans cette dynamique, le kitsch perd un peu de son
efficience vu que l’objet se densifie et acquiert de la profondeur ; il
s’émancipe de la simple futilité pour recevoir l’énergie de son possesseur.
L’influence change alors de polarité en donnant la pleine possibilité au sujet
d’influencer l’objet à travers la construction d’un imaginaire idéologique
personnel ou collectif.
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

101
Conclusion
Marcel Proust est un fleuron de la littérature française du XXe siècle. Son
écriture romanesque traverse le temps en conservant une forte différence dans
la qualité esthétique et l’ensemble thématique. La mise en abîme de
l’« imaginaire » est une de ses grandes qualités d’écrivain. La transposition du
monde bourgeois dans des excentricités individuelles et collectives confère à
sa fiction une identité marquée par le réalisme. Pour cause, le monde qu’il
présente fait de la distinction sociale une finalité sans fin ; c’est une quête
dynamique qui s’effectue dans les contacts interpersonnels où le statut social
passe par des contingences d’appartenance et d’adhésion. La philosophie du
groupe institutionnalise un « imaginaire social » qui peut être diversement
interprété. Le conventionnalisme se charge de formalité polymorphe, qui se
partage dans les attitudes, les goûts musicaux, artistiques, littéraires, etc.
L’uniformisation des pensées est symptomatique de la tentative d’uniformiser
chaque réalité fragmentaire en un régime composé. L’être bourgeois se crée
des hobbys où la mise en valeur de l’apparence est programmée. L’un d’entre
eux est le fait de se passionner et de collectionner des objets de diverses
natures. C’est une tendance en vogue à la belle époque bourgeoise. Et cela
s’appréhende dans la lecture des œuvres proustiennes. Elles présentent
différentes figures de représentation de l’imaginaire social bourgeois à partir
d’une orientation qui n’a pas encore fini de livrer ses secrets, car semble-t-il,
« Proust insiste et généralise : le monde d’autrui nous reste absolument
hermétique » (Dufourcq, 2012 : 266).
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

102
Bibliographie
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Flammarion, (Première partie), [1919], 1987.
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BAUDRILLARD Jean, La société de consommation, Paris, Denoël,
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MINDIÉ Manhan Pascal, « L’esthétique du kitsch dans le roman
français : débridement de la langue et dévergondage textuel dans L’Inceste
de Christine Angot e t L’événement d’Annie Ernaux », Synergies

103
Royaume-Uni et Irland e n°6-2013, pp. 127-140.
MINDIÉ Manhan Pascal, « La trace du dialogisme dans le roman
Malrucien et Célinien : déconstruction du genre et partage d’espaces
littéraires », Revue Ivoirienne des Lettres,Arts et Sciences Humaines - N°
23 décembre 2014, pp. 43-58.
MOLES Abraham A., « Qu’est-ce que le kitsch ? » In
Communication et langages , n°9, pp.74-87.
MOLES Abraham , Psychologie du kitsch ou « L’art du bonheur »,
Denoël-Gonthier, 1977.
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10/18, 1975.
TAJANI Ornella, « L’utopie kitsch », in Revue d’études françaises
(RIEF ), N°2, 2012, pp.2-10.
WAHL Eberhard et MOLES Abraham A., « Kitsch et objet », in
Communications N°13 : Les objets , 1969,pp. 105-129.

Chapitre 6. La symbolique transculturelle du


corps chez Ken Bugul Affoua Mia Élise Adjoumani
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104
Résumé :
La réflexion menée dans cet article, portant sur deux textes de Ken Bugul,
démontre que si le corps de la femme africaine apparaît dans l’imaginaire
social comme un « objet » au service d’impératifs culturels ou comme la
projection de certains préjugés culturels, il est, en réalité, pour la femme, un
moyen d’affirmer son individualité souveraine. Que ce soit, en effet, dans un
contexte culturel africain ou occidental, derrière ce corps aux apparences
réifiées ou délurées, il y a la femme-sujet qui, à travers son rapport à son
propre corps, adopte une démarche iconoclaste visant à saper le déterminisme
culturel, à vivre une prise de pouvoir symbolique et à exprimer sa liberté.
Mots-clés : Corps – Culture – Transculturel- Africain- Occidental –
Individu – Communauté- Imaginaire social
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

105
Introduction
Parmi les multiples approches scientifiques possibles du corps, celle
qu’inspire la question de l’imaginaire social en référence à l’œuvre de Ken
Bugul relève des représentations qui en sont faites dans des cultures
différentes. Si ces représentations peuvent apparaître comme le lieu de
cristallisation de l’imaginaire d’une société122, une réponse de l’individu à cet
imaginaire lui est en l’occurrence aussi sous-jacente. Le but de cette réflexion
est ainsi de mettre à nu le développement d’un imaginaire social qui, loin de
recouvrir la totalité des « significations de l’homme en société », suscite
plutôt l’émergence d’autres valeurs humaines. Il est donc ici question non
seulement du regard porté sur le corps de la femme en référence au milieu
culturel où elle évolue, mais aussi de l’auto-appréciation de celle-ci, forme de
réaction à cette vision qui définit d’emblée son être au monde. Cette réflexion
souligne plus précisément la manière dont la femme chez Ken Bugul123
affirme son moi, en contrepoint du système de domination qui a priori la
prive de la possibilité de disposer de son corps – et par ricochet de sa vie –
comme elle le souhaiterait. L’hypothèse qu’elle développe s’énonce comme
suit : le corps de la femme figuré dans l’imaginaire social en tant qu’objet
acquiert la dimension de sujet dans son auto-perception, et cela au-delà des
particularités culturelles. Partant de la théorie de Pierre Bourdieu sur la
violence symbolique dont une des manifestations est la domination
masculine124, cette analyse porte sur les mécanismes de la domination qui
déterminent le statut et la perception du corps de la femme ainsi que les
stratégies par lesquels cette domination est d’une certaine façon renversée.
Elle est une étude des « représentations sociales »125, traduisant les schèmes
de perception du corps féminin en contexte culturel ainsi que celle de la mise
en avant du corps de l’individu féminin, par-delà cette hétéronomie.
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106
I - Schèmes de perception 1 2 6 du
corps féminin dans différents
contextes culturels
La perception du corps de la femme africaine dans Riwan ou le chemin de
sable et Le Baobab fou transcende les particularités culturelles. Que ce soit
dans le contexte africain ou occidental, ce corps féminin, à travers les
manifestations de l’imaginaire de ces sociétés dans le corpus, apparaît comme
« objet ». Il est, en l’occurrence l’objet d’une violence symbolique, violence,
selon Bourdieu, douce, insensible, invisible pour ses victimes mêmes, qui
s’exerce pour l’essentiel par les voies purement symboliques de la
communication et de la connaissance ou, plus précisément, de la
méconnaissance, de la reconnaissance ou, à la limite, du sentiment127.
1 - Dans le contexte africain
Cette violence s’exerce sur le corps-objet de la femme et prend dans ce
contexte, la forme d’une domination masculine institutionnalisée par le
système matrimonial. Ici, comme l’écrit Bourdieu, l’ordre social fonctionne
comme une immense machine symbolique tendant à ratifier la domination
masculine sur laquelle il est fondé128. Au sein de la tradition matrimoniale
très codifiée, le corps de la femme est comme une monnaie d’échange qui
participe de l’économie des biens symboliques129. De ce fait, une certaine
image réifiée de ce corps émane du langage qui le nomme, qui signe son
existence, et de la description de sa position dans la relation hiérarchisée
homme-femme.
D’un point de vue strictement physique, les corps des femmes dans Riwan
ou le chemin de sable ne présentent aucune singularité. Ils évoluent comme
une foule anonyme et apparaissent interchangeables, dépourvus d’identités
personnelles. La perception standardisée de ces corps féminins les réduit à
n’être que « des faces, des visages »130 uniformisés, « des mains tendues »,
« des regards chargés » (p27) avec qui la narratrice qui leur rend visite
« n’échange aucun mot, aucune parole »131. Ce sont ainsi des corps effacés,
murés dans le silence, sortes d’objets animés au service de la vie et du bien-
être de l’autorité masculine. Le voile dont ce corps doit être recouvert dans la
sphère publique est non seulement l’allégorie de la barrière protectrice qui
préserve cette possession masculine de la vulgarisation, mais il préserve

107
également l’homme de l’objet de tentation que représente ce corps féminin.
C’est pourquoi note la narratrice, « aucune personne de sexe féminin, qu’elle
fût vieille ou jeune, ou même une petite fille ne pouvait se présenter devant le
Sérigne [cette autorité religieuse, moral] la tête découverte »132 et « la mariée
qui rejoignait le domicile conjugal était recouverte d’un pagne »133.
Ces corps de femmes sont, en outre, infériorisés : la narratrice s’approche
du Sérigne « en rampant »134. Leur posture horizontale quand ces dernières se
présentent devant le Sérigne contraste avec la position verticale, de
supériorité, de ce dernier. C’est un corps qui ploie sous le poids de la
soumission à l’autorité masculine et qui occupe donc dans la relation
hiérarchisée, la position inférieure. Dans le schéma des oppositions mythico-
rituelles135, la femme incarne ainsi le pôle bas tandis que la figure masculine
occupe le pôle haut.
Le système matrimonial africain décrit dans Riwan ou le chemin de sable
dénie, par ailleurs, au corps féminin, sa dimension humaine immatérielle. Le
physique réifié est ainsi traité comme étant dépourvu d’une conscience, d’une
volonté et de sentiments humains. L’être féminin qui forme avec ce corps une
unité vivante est dépossédé de sa capacité décisionnelle, n’a plus d’emprise
sur son destin, sur sa vie. Le système matrimonial au cœur duquel trône la
figure paternelle se substitue à cette dimension humaine. Dès lors, la femme,
son corps, est un objet qui permet d’entretenir le lien social essentiel à la
pérennisation et au bon fonctionnement de ce système. Cette approche évoque
celle qui, selon Simone de Beauvoir, a cours dans le clan primitif et qui n’a
pas été profondément modifiée quand le mariage a revêtu au cours de son
évolution une forme contractuelle : elle fait de la femme, écrit Beauvoir, une
partie des prestations que deux groupes se consentent mutuellement136. Dans
Riwan ou le chemin de sable, ce système d’échange dont la femme constitue
la monnaie, s’effectue sous différentes formes dont chacune souligne la
valeur, la qualité plus ou moins grande conférée à la femme et son corps.
Celui-ci est comme l’objet d’un marchandage inavoué qui a cours dans le
microcosme social avec le consentement tacite de la plupart de ses membres,
à l’exception de la femme concernée. Ainsi, la femme peut être « remise » à
un homme. En l’occurrence, le personnage de Rama apprend que son « père
l’a remise au Sérigne, [haute figure religieuse honorée par tous]. Ce n’était
pas un don, ce n’était pas un vrai mariage non plus »137. Cette « remise »,
perçue comme peu valorisante par la société et par la femme elle-même,
semble avoir une valeur religieuse, sacrificielle ; elle vise à attirer sur le
donateur l’onction des prières du Sérigne, « le Grand Sérigne, celui par qui on

108
pouvait accéder au Paradis »138. Lorsque la femme est l’objet d’un « don »,
considéré comme valorisant, elle peut servir à exprimer un lien affectif et
révérencieux entre amis : « [Un Sérigne] avait décidé un jour de donner une
de ses épouses et les enfants à un cousin qu’il considérait comme un de ses
meilleurs amis, sinon, le meilleur »139. Quand la femme est donnée en
mariage, honorée par ce fait, elle est destinée à sceller l’union entre familles
et à rehausser l’image de la sienne quand elle arrive au mariage en étant
encore en possession de sa virginité.
Le corps de la femme, présenté comme l’otage de la tradition
matrimoniale et de ses dépositaires, n’a par conséquent, une pleine valeur que
s’il ne porte pas de stigmate, précisément le stigmate de la perte de l’hymen
avant le mariage. Le profit symbolique140 que peut procurer ce corps, dépend,
écrit Bourdieu, pour une part de la valeur symbolique des femmes disponibles
pour l’échange, c’est-à-dire de leur réputation et notamment de leur chasteté
– constituée en mesure fétichisée de la réputation141. Autour du corps de la
femme à marier, ou récemment mariée, va se développer tout un cérémonial,
une sorte de rituel qui tend à conférer une dimension socio-religieuse, sacrée,
au corps de la femme vierge et qui dévoile la signification conférée à ce
corps, devenu moyen de cohésion sociale. Ce rituel est décrit comme suit par
la narratrice :

Il s’agissait avant tout de vérifier la virginité de la jeune épouse.[…] Cette vérification était
redoutée par toute la famille qui donnait une de ses jeunes filles en mariage. […] La sœur du père,
la Badiène […] désignée pour jouer ce rôle, […], dès le moment où la date était fixée en secret,
vivait dans l’angoisse. […] elle consultait devins, amies et alliées pour protéger la vierge des
mauvais esprits […] La Badiène attachait, accrochait nœuds blancs, nœuds rouges […] Elle devait
préparer la jeune épouse.[…] Une pièce dans la maison familiale devait servir au rituel. »142

Dans cette civilisation patriarcale [qui voue] la femme à la chasteté [et


qui] reconnaît plus ou moins ouvertement le droit du mâle à assouvir ses
désirs sexuels143, la finalité de ce rituel est la violence réelle et/ou symbolique
que subit le corps de la femme lors de la nuit de noce au sujet de laquelle la
narratrice s’exclame, comme par empathie : « La nuit de noce ! Ce ne fut pas
Venise en gondole ! »144. Loin donc de toute rêverie romantique, la nuit de
noces est le moment d’une sexualité bien souvent subie par le corps de la
femme145.
2 - Dans le contexte occidental

109
Si dans le contexte africain, la violence symbolique à laquelle est soumis
le corps de la femme met principalement en cause, par ses manifestations, une
certaine tradition patriarcale, dans le contexte occidental, elle est liée à un
certain imaginaire occidental portant sur la femme noire, imaginaire dont les
principaux porte-flambeaux sont également des figures masculines. Ici, le
corps de la femme noire apparaît, à travers le regard de la gent masculine
principalement, comme un corps-objet exotique. Cette perception dénote un
imaginaire culturel occidental – ou ses séquelles – nourrit aux deux
conceptions de l’exotisme exposées par Victor Ségalen : celle dont le
contenu mésusé et rance146 a pour « oripeaux : le palmier et le chameau ;
casque de colonial ; peaux noires et soleil jaune147, illustrée par certains
auteurs de la littérature coloniale ; l’autre, qui n’est autre que la notion du
différent ; la perception du Divers ; la connaissance que quelque chose n’est
pas soi-même148, conception prônée par Segalen lui-même. Cette approche
exotique du corps de la femme noire n’a pas de fondement institutionnel
contrairement à la perception du corps dans le contexte africain. Cependant
comme dans celui-ci, elle s’effectue plus ou moins consciemment et a le
même effet pernicieux : la réification de la femme noire et de son corps.
Dans ce contexte occidental, le principal facteur qui détermine le regard
porté sur le corps de femme est cette enveloppe corporelle noire constituant
en quelque sorte le voile qui masque la réalité de l’être qui la porte. Au sujet
de la femme noire dans Le baobab fou, la gent masculine ne s’attache
d’emblée – et définitivement dans la plupart des cas – qu’à une couleur de
peau. Dans le discours qui porte sur le corps de la femme dans ce texte, on
note ainsi la récurrence du terme « noire » dont la mise en italique dans
certains passages, met en relief cette caractéristique dans les propos de
personnages masculins : « Ah ! Vous les Noires, vous êtes divines » (Le
baobab, p. 87) ; « Tu es une Noire et tu es belle » (Le baobab, p. 120) ; « Tu
plais aux hommes. Ken, tu es une Noire, tu peux faire fortune » (Le baobab,
p. 123) ; dans ceux de la narratrice rendant quelquefois compte de la vision
masculine de son corps : « J’étais une Noire, provocante… » (Le baobab, p.
74) ; « Le gérant… n’arrêtait pas de me complimenter sur ma peau, sa beauté
et sa couleur » (Le baobab, p. 83).
Au-delà des apparences élogieuses, valorisantes de ce discours sur le corps
de la femme noire, un discours sexualisant s’écrit en filigrane. Celui-ci
dépeint une femme noire dont le corps est l’objet des désirs et fantasmes
masculins. Il dévoile une perception réifiante du corps de la femme noire,
perception qui n’a certes pas d’effets pervers et contraignants comme dans le
contexte africain, mais qui réduit finalement le corps de la femme à un objet

110
sexuel. Par ce fait, ce corps se trouve dans une situation « d’insécurité
corporelle ou, mieux, de dépendance symbolique [il existe] d’abord par et
pour le regard des autres, c’est-à-dire en tant qu’objets accueillants,
attrayant, disponibles149. Même si son intégrité est préservée, à l’inverse de
celui du corps féminin lors de la nuit de noces en contexte africain, ce corps
est l’objet de sollicitations et de désirs de possession vécus comme offensifs
par la femme, convoitises qui ne se réalisent heureusement pas sans le
consentement de cette dernière.
Perçu par la gent masculine comme un objet susceptible de se soumettre à
son désir, le corps de la femme noire entre dans le schéma de la relation
hiérarchisée par le pôle bas tandis que ces hommes qui projettent l’empire de
leurs fantasmes sur elle se positionnent au pôle supérieur.
La vision masculine du corps de la femme noire qui semble faire
consensus dans cette société occidentale crée, en fin de compte, un mythe de
la femme noire voluptueuse, tentatrice diffusé et exploité par les médias et
l’industrie pornographique. Cette mythisation150 du corps noir n’est pas sans
conséquence sur la vie de la femme : sa valeur intrinsèque est reléguée au
second plan tandis que son apparence physique, mise en avant, conditionne
ses relations sociales fondées sur la sympathie ou sur l’antipathie : si le
personnage de la Suissesse choisit de côtoyer la narratrice Ken du fait de la
grande valeur marchande de son corps, celui d’Hélène, une des amis de Ken,
s’éloigne de celle-ci du fait de sa présence considérée comme une menace
pour son couple :

Le mythe de la femme noire et de l’homme blanc et le fantasme inassouvi qui hantait ce dernier
régnaient très fort. Hélène voyait en moi une femme, dont les canons de beauté étaient à l’affiche
de la mode. La femme noire couvrait les pages des magazines de mode et de pornographie. La
jalousie l’emporta chez elle. Quel gâchis ! »151.

Dans cette peinture de l’imaginaire social où le corps de la femme


africaine – en contexte africain comme en contexte occidental – apparaît
comme un objet, l’auteur instille les indices d’une image de la femme qui se
met en avant en tant que sujet et qui remet en question sa subordination à la
figure masculine. La femme se fait alors actrice dans le jeu social et tend à se
positionner en dépit de l’apparente chape sociale.
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111
II- Par-delà l’hétéronomie 1 5 2 , un
corps à soi et pour soi
1 - Jeux souverains de scénarisation du corps
Le corps présenté dans l’imaginaire social comme « un sous-système dans
le système symbolique d’une culture » est en réalité, sous ces dehors
chosifiés, un corps que la femme « agit » dans le sens d’une auto-
détermination, aussi bien dans le contexte africain qu’occidental. Si cette
dernière paraît impuissante dans la sphère collective, elle démontre dans la
sphère privée, personnelle une certaine souveraineté dans le sens qu’elle
confère à son corps. À la représentation sociale qui fait de celui-ci un objet au
service du système matrimonial et de fantasmes masculins répond une sorte
d’auto-représentation qui traduit sa volonté de puissance. On assiste à une
affirmation du pouvoir de la femme, pouvoir au sens de Michel Foucault, qui
est une situation stratégique complexe dans une société donnée153 où
règne une multiplicité [de] rapports de force154.
Cette stratégie dans les romans de Ken Bugul prend la forme de jeux
souverains de scénarisation du corps auxquels s’adonne la femme. Celle-ci
choisit ainsi de faire de son corps l’instrument d’une sexualité qui lui confère
une place importante dans l’équilibre des rapports matrimoniaux ou tout
simplement dans les relations homme-femme. Dans ce corpus où le lien au
corps et à la sexualité évoque l’hypothèse répressive155 qu’élabore Foucault
au sujet de la perception de la sexualité dans les sociétés bourgeoises du
XVIIe siècle, il n’y a pas une mise en discours156 par la femme de son corps
et de sa sexualité. La femme ne parle pas de son corps, ne le décrit pas, mais
le met en scène laissant ainsi métaphoriquement s’en exhaler un langage qui
contrevient à celui de la société sur son corps et sur elle-même.
Du fait de cette « hypothèse répressive », le maître-mot de cette
scénarisation du corps est la suggestivité d’une pratique qui se réalise aussi,
bien souvent, dans le secret des cercles féminins. Cette mise en scène du
corps donnée à lire dans Riwan ou le chemin de sable dévoile un culte de
l’érotisme, un art de l’érotisme dans lequel la sensualité du corps féminin est
décrite par insinuations. Le corps érotisé est subtilement théâtralisé, dans le
sens où sa mise en œuvre est pensée soit pour produire un effet sur la gent
masculine soit pour traduire la libération de la femme, son épanouissement
sexuel. Il est en permanence paré et exposé, comme le montrent les nombreux

112
portraits de femmes qui dans le cadre conjugal, s’avèrent les maîtresses dans
le domaine de la sexualité où leur pouvoir est même à mesure de supplanter
celui d’une autorité morale et religieuse telle que le Sérigne.157 Ces corps
soignés à l’excès, sans relâche, exhibés, sont donnés à voir par l’abondante
description158 que leur consacre l’auteur et dont on a un aperçu à travers la
peinture du personnage de Xudia : « La belle et puissante Xudia […]
Toujours élégamment habillée, toujours parfumée, et le bruissement de ses
rangées de perles au rein… Personne ne lui faisait jamais de remarques, mais
personne ne pouvait ignorer la charge de sensualité qu’elle transportait »159.
Le corps féminin est ainsi revêtu d’atours à valeur suggestive et au pouvoir
séducteur, envoûtant, destinés à venir à bout de nombreux moteurs de
résistance de leurs cibles masculines. Ces artifices visent, en effet, à l’éveil de
tous les sens du « spectateur » du jeu érotique.
L’érotisation du corps féminin peut aussi s’effectuer à travers le spectacle
peu subtil de danses érotiques dont le public cible n’est pas nommé, mais dont
l’indéniable effet concrétise les potentialités de séduction de la femme et son
pouvoir de déstabiliser l’ordre social, de chambouler les convenances sociales
en matière de sexualité. Le personnage de Bousso Niang est le symbole du
pouvoir de la femme capable de s’affirmer dans le système matrimonial par la
mise en scène érotique de son corps : « Femme libre, elle exécutait des danses
érotiques qui arrachaient des exclamations faussement indignées […] Elle
finissait sa danse par une secousse qui imitait l’acte sexuel »160. Ce pouvoir a
un effet de contagion sur les femmes du harem du Sérigne, qu’une éducation
traditionnelle à la pudeur avait préparé à vivre une sexualité subie dans le
cadre d’un foyer polygamique. Aussi, plutôt que d’attendre de l’homme
polygame l’assouvissement de leur désir sexuel, ces dernières se livrent à la
pratique de l’onanisme161 déniant ainsi à l’homme son rôle de pourvoyeur
exclusif du plaisir dans le couple.
Il faut noter que cette prise de pouvoir symbolique par la femme n’est pas
toujours admise par la société traditionnelle. Le décès du Sérigne qui se laisse
mourir suite à l’acte adultérin d’une de ses multiples femmes qui déserte le
domicile conjugal suite à son forfait, signe le refus de ce pouvoir féminin
perçu comme castrateur par la figure masculine.
Si dans le contexte africain de Riwan, l’affirmation du pouvoir de la
femme transite par la scénarisation érotique de son corps, dans le contexte
occidental, elle se réalise par la mise en avant de la volonté de la femme
noire, par sa prise de décision vis-à-vis de son corps objet de convoitises
masculines. En effet, le personnage de Ken fait, d’une part, le choix souverain

113
de se conformer aux attendus de l’imaginaire culturel occidental, par l’option
d’une scénarisation du corps, qui s’exerce quelque peu différemment de celui
des femmes dans Riwan. Ici, le corps féminin est certes orné et exhibé, mais
ses ornements et son exhibition n’ont pas pour unique but d’ébranler les
ressorts intimes des désirs sexuels de l’homme occidental. Par une sorte de
déguisement, le personnage de Ken tente de se conformer à l’image de la
femme noire dans cet imaginaire occidental : « J’essayais de scandaliser la
société, dans des robes transparentes aux couleurs vexantes, le crâne rasé,
des chapeaux immenses, cherchant à afficher le surréalisme à l’envers […],
le jeu de la couleur noire : être une femme qui plaise à l’homme blanc »162.
Par ce choix, elle affiche sa vision, sa lecture de l’image exotique qui est
projetée à son sujet dans la société occidentale : celle d’une femme
extravagante, qui détonne et qui dégage une impression provocante
susceptible d’attiser les désirs masculins.
D’autre part, Ken choisit d’exprimer sa liberté de disposer de son corps à
sa guise, en l’offrant pour l’assouvissement des fantasmes de l’homme
occidental, alors même que cet acte marchand ne lui est pas indispensable du
point de vue financier163.
2 - Du corps objet au corps sujet
Au regard du développement de cette stratégie d’auto-détermination de la
femme en contexte africain et occidental, l’usage, la mise en scène souveraine
par la femme de son corps, remet en question le principe de la dissymétrie
fondamentale, celle du sujet et de l’objet, de l’agent et de l’instrument, qui
s’instaure, selon Bourdieu, entre l’homme et la femme sur le terrain des
échanges symboliques164. La femme qui était objet, se pose désormais en
sujet dans un jeu dont elle définit les règles. Dans celui-ci, par contrecoup,
l’homme devient « l’instrument » qui permet à cette femme de réaliser sa
volonté de pouvoir et de s’affirmer, en tant que sujet, individu.
Dans Riwan ou le chemin de sable, il est question de l’affirmation de
l’identité individuelle d’un sujet souverain face à la société qui l’assujettit à
ses lois matrimoniales. Dans Le baobab fou, le personnage de Ken se fait
sujet dans le monde occidental car elle espère gagner le pouvoir de sortir de
son mal-être, de combler un manque affectif. Elle aspire à l’édification de son
identité personnelle, en acceptant l’affection inauthentique que les hommes
occidentaux portent à son corps de Noire. Son personnage évoque quelque
peu celui de Mayotte Capétia dans Peau noire Masque blanc dans le sens où,
à travers le regard de l’homme blanc, elle tente de reconstruire son identité
personnelle instable. Sa démarche, contrairement à celle de Mayotte ne vise

114
pas à contrebalancer un complexe d’infériorité165, mais elle a pour objectif de
remédier à une faiblesse individuelle, existentielle causée par le lancinant
problème de l’absence de la mère qui la rend poreuse aux vicissitudes de son
environnement.
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115
Conclusion
À travers ces développements sur les représentations sociales du corps
féminin, se dégage l’image d’une femme qui, même si elle ne peut ébranler
fondamentalement les assises culturelles de la société où elle évolue, ne
renonce pas pour autant à son statut de sujet qui loin de se victimiser œuvre
dans le sens d’apporter les réponses adéquates à sa situation. Des deux
romans de Ken Bugul, caractérisés par des toiles de fond culturels différents,
émerge ainsi une figure du féminin dont les significations ne sont guère
déterminées par le contexte culturel. La symbolique du corps de la femme qui
transcende les spécificités culturelles est au final celle d’un sujet social qui,
comme chaque membre de l’espèce humaine, se posant comme individu, lutte
contre toutes les discriminations afin que chacun voie sa valeur reconnue au-
delà de sa définition sociale (sexe, couleur de la peau, orientation sexuelle,
etc.)166. Cette affirmation de soi trouve son prolongement dans les idées
féministes que l’auteur instille dans ses récits. Même si ses personnages
féminins ne se revendiquent pas ouvertement féministes ou ignorent même ce
concept et ses implications, leurs attitudes semblent données par l’auteur
comme autant d’illustrations de ce mode de pensée.
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116
Bibliographie
BEAUVOIR, Simone (de), Le deuxième sexe, II. L’expérience vécue,
Paris, Gallimard, 1959, 1976.
BOURDIEU Pierre, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998.
BRÖHM Jean-Marie, Corps et politique, Paris, Jean-Pierre Delarge,
éditions universitaires, 1975.
FANON Frantz, Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, 1952.
FRANCO Bernard, La littérature comparée. Histoire, domaine,
méthodes, Paris, Armand Colin, 2016.
FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité 1. La volonté de savoir,
Paris, Éditions Gallimard, 1976.
HERZLICH Claudine, « La représentation sociale », in Serge
Moscovici (dir.), Introduction à la psychologie sociale, 1er vol. Larousse
université, 1972.
LE COADIC Ronan, « L’autonomie, illusion ou projet de société ? »,
in Cahiers internationaux de sociologie, 2006/2 (N°121) pp 317-340.
MEAD Margaret, L’un et l’autre sexe, Paris, Denoël/Gonthier, 1966.
ORTIZ Fernando, Controverse cubaine entre le tabac et le sucre.
Leurs contrastes agraires, économiques, historiques et sociaux, leur
ethnographie et leur transculturation, traduit de l’espagnol par Jacques-
François Bonaldi, Montréal, Éditions Mémoire d’encrier, 2011.
PAGEAUX Daniel-Henri, Itinéraires comparatistes. Tome II.
Parcours. Compléments bibliographiques, Paris, Librairie d’Amérique et
d’Orient, 2014.
SEGALEN Victor, Essai sur l’exotisme, Paris, Librairie Générale
française, 1986.

Deuxieme axe Crise de la pensée

Chapitre 7. Vers quel type anthropologique

117
africain ? Etude sociopoétique de quelques
romanciers africains de la crise du sens. Bidy Cyprien
Bodo
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118
Résumé :
En tant que « compréhension de soi », manière de se lire, de se
représenter, de s’imaginer, puis « répertoire des pratiques », l’imaginaire
social, tel qu’abordé dans cet article, aide à cerner, à penser l’identité
culturelle et politique. Formalisé, médiatisé en l’occurrence par le corpus
romanesque africain étudié, l’imaginaire (apparenté à la mentalité ou aux
formes collectives de la pensée) s’est révélé être un imaginaire textuel africain
structuré par la « maraboutcratie » et l’intellectualisme de récupération. Il en
découle des types anthropologiques en/de crise que cette étude met en
exergue.
Mots-clés : Sociopoétique – Imaginaire social – Épistocratie –
« Maraboutcratie » – Intellectualisme de récupération
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119
Introduction
Dans son texte, L’imaginaire médiéval , Jacques Le Goff (1986)
appréhende l’imaginaire social comme un substitut de la notion de mentalité
dans le sens de formes collectives de la pensée, de croyances et de sentiments.
Charles Taylor (2004, p. 23, 25) adopte cette approche mais la dépasse en la
renforçant au regard de sa double lecture. En effet, l’imaginaire social, dans
l’analyse qu’il en fait, est d’abord « compréhension de soi » (« self-
understanding ») d’une société, c’est-à-dire la façon dont les gens imaginent
leur existence sociale. Il est aussi le « répertoire des pratiques » (« repertory
of practices ») que les membres de cette société adoptent ou peuvent adopter.
Avec Taylor, l’imaginaire social quitte le champ de la théorie, de l’idée pour
elle-même pour le champ de l’imagination ressentie, vécue, appliquée ou
applicable. On est dans l’incarnation, la manifestation de l’idée dans le
sensible, les pratiques. C’est dire que les pratiques peuvent avoir pour
condition de possibilité la compréhension d’une société. L’imaginaire social
aide ainsi à comprendre, à penser l’identité politique et culturelle d’une
société. Il est en ce sens l’équivalent de l’« arrière-plan » défini par Florence
Hulak (2010, p. 395) comme « l’ensemble des significations implicites sur
lesquelles reposent nos expressions conscientes. » Il acquiert une dimension
gnoséologique.
Sur cette base théorique, en étudiant les pratiques sociales, notamment
textuelles dans le cas d’espèce, il est envisageable de dégager l’imaginaire, les
significations implicites qui les rendent possible, qui leur donnent sens.

On pourra, par conséquent, voir comment les individus imaginent leur


société, la donnent à voir. Il s’agit donc de la lecture de l’imaginaire social
comme philosophie sociale, comme objet central d’une bonne explication
d’une construction ou déconstruction sociale, comme fondement d’un
changement mélioratif ou non qui fonde cette analyse. Partant, l’intitulé à
valeur interrogative « vers quel type anthropologique » entend dégager, à
partir de pratiques sociétales textuelles perçues comme activités
d’explicitations de l’imaginaire social, la face de l’être au monde africain qui
émerge, se crée. L’étude vise de ce fait le genre de l’être homme africain, les
possibilités que dévoilent les imaginaires sociaux. D’où la problématique
suivante : Qu’est-ce qui est donné à voir ou projeté comme type moyen et
habituel de l’homme et de la société africains à travers des romanciers de la
crise du sens ? Plus explicitement, quelle identité politique, sociale et

120
intellectuelle émerge du fruit de l’imagination des auteurs comme Fatou
Fanny-Cissé, Boubacar Boris Diop, Alain Mabanckou, Maurice Bandama,
dont les textes sont structurés par la crise des valeurs, l’insignifiance ?

Nous tenterons de répondre à ces préoccupations à travers l’analyse


sociopoétique167 de la figure politique « maraboutcratique » et
l’intellectualisme de récupération.
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121
1. Le type anthropologique
politique postcolonial : une
figure de la « maraboutcratie » ?
Le type anthropologique est une création propre à un régime social et
culturel donné. Il s’agit du personnage ou du type de personnage que génère
ou qui génère un environnement social donné. Le type anthropologique est
donc à la fois l’imaginaire et la manifestation de cet imaginaire dans le vécu.
Par exemple, le type anthropologique qu’est le juge est le fruit de l’imaginaire
social de liberté, d’équité, de justice, etc. Dans cette optique, l’imaginaire
social occidental contemporain est nourri par l’« épistocratie ». Jessy Giroux
(2013, p. 303) en donne les traits lorsqu’il écrit :

S’il existe effectivement des vérités politiques, il semble naturel de croire que celles-ci constituent
un des objectifs principaux, sinon l’objectif principal des systèmes politiques. C’est presque une
vérité de La Palice qu’on attend d’un gouvernement qu’il prenne de bonnes décisions c’est-à-dire,
pour reprendre notre terminologie, les décisions conformes aux vérités politiques. […] Or, si
l’atteinte des vérités politiques constitue réellement l’objectif central de tout système politique, ne
devrait-on pas préférer un système épistocratique, c’est-à-dire un système qui restreint le pouvoir
populaire dans le but de favoriser l’atteinte de vérités politiques ? [..] Un système épistocratique
peut prendre différentes formes, mais se présente généralement comme une « gouvernance des
sages », ce qui peut consister en une restriction du droit de vote aux seuls citoyens suffisamment
éduqués ou à toute autre procédure garantissant que seule l’élite intellectuelle ait un pouvoir
décisionnel en la matière.

Il en ressort que l’imaginaire épistocratique entend confier le pouvoir


politique aux experts, aux savants, capables de guider la société vers des
vérités politiques porteuses de bonnes décisions. Poussant loin l’idée
platonicienne d’un gouvernement de la cité par des rois-philosophes,
l’épistocratie est une approche technicienne ou technocratique de la gestion
du pouvoir politique. Il est né de la culture ou de l’imaginaire épistocratique
un type anthropologique particulier : l’épistocrate ou selon Alexander Viala
(2017) « l’épiministre » ou « l’épisteministre » qui relève davantage de
l’expertise, de la rationalisation de la pratique politique. Cela laisse envisager
un personnel politique compétent, alliant facultés et capacités requises.
La lecture de Madame la Présidente de Fatou Fanny-Cissé (2015) révèle,
dans l’espace africain, un personnel et un imaginaire politique d’une autre

122
nature. On y lit en effet que pour accéder et gérer un pouvoir politique, il faut
« consulter un sachant » (p. 26). Ferait-on ici allusion aux épistocrates ? La
scène suivante, qui se rapporte à une candidate aux élections présidentielles,
lève toute équivocité :
La candidate Fitina recherchait quelqu’un de puissant, pas un charlatan
mais quelqu’un qui s’y connaissait vraiment bien pour prendre son destin en
main sur le plan mystique. [..] Une nuit, elle [prit] une destination
mystérieuse. […] Djamori s’assit en tailleur sur une peau de vache face à ses
visiteurs et leur demanda le but de leur visite. Sans détour, Fitina avoua tout
de go :
- Je veux devenir présidente de la République de Louma. […] Je suis prête à tout pour cela.
- Je suis Djomori, le puissant, l’incommensurable Djomori. Avec moi, tout est possible. Chez
moi, ce qui n’est pas écrit dans le destin se réalise envers et contre tout. Car je ne crois pas en
votre Dieu. J’obéis à une autre entité. Dans votre cas, quand on veut atteindre le sommet, il faut
être disposé à en payer le prix.
- Je suis prête à payer le prix qu’il faut, réaffirma Fitina.
- Alors, pour accomplir ce vœu, j’ai trois exigences : premièrement, vous me ferez don de votre
fertilité. Deuxièmement, vous me ferez vœu de célibat ici et maintenant. Troisièmement, vous
me ferez don de la vie d’un albinos. En outre, ce sacrifice humain doit être périodiquement
renouvelé. Êtes-vous d’accord avec ces conditions ? […] Fitina lui répondit :
- Moi, Je veux le pouvoir et la puissance jusqu’à ma mort. Solennellement devant toi et devant
l’entité, j’accepte tes conditions sans conditions » (Fatou Cissé, 2015, p. 39, 52-55, 57,58).

A contrario de l’épistocratie, le sachant ici est le marabout, le féticheur et


non l’homme politique. Il en émerge un imaginaire social alimenté par ce que
nous appelons la « maraboutcratie », c’est-à-dire une gouvernance par et pour
le marabout. Comme le montre l’extrait, c’est le marabout qui pose les
conditions et réclame obéissance, soumission. La vérité politique est la vérité
du marabout. La décision politique est la décision du marabout. L’autorité
politique devient l’autorité du marabout. Les valeurs politiques sont les
valeurs du marabout qui d’ailleurs se réclame non de Dieu mais, énonce-t-il,
« d’une autre entité ». Cette entité autre est à l’opposé des valeurs positives
que sont l’amour, le caractère sacré de la vie. Elle est structurée par les
valeurs négatives au regard du sacrifice humain qu’elle exige. Ceci induit un
type anthropologique politique particulier : « le maraboutcrate » à
comprendre par l’expert, le spécialiste, en marabout pour accéder au pouvoir
et le gérer. Son programme politique ne se résume qu’à avoir le meilleur
marabout.On parlera donc, à son sujet, à l’exemple de « l’épisteministre », du
« maraboutoprésident », du « maraboutoministre ». Quel est son mode
opératoire ? Ces quelques extraits de romans africains sont fort éloquents.

123
On lit sous la plume de Boubacar Boris Diop (2009, p. 69, 74), dans
Kaveena, cet acte du politicien Castaneda :

L’Avenir est le premier journal à avoir rapporté l’histoire de cette fillette de six ans, violée puis
sauvagement assassinée. […] Dans la forêt de Gindal, le corps de la victime [était] découpé et
reparti en sept petits tas de viande sur une vielle natte. Il s’était agi de toute évidence d’un crime
rituel. [Dans la vidéo] Castaneda était montré sous tous les angles, la bouche couverte de sang et
lâchant d’infâmes grossièretés. Je me suis contenté de l’appeler le commanditaire.

Comme pour signifier sa banalité, sa fréquence, la même scène (le crime


rituel) se retrouve dans L’État z’héros ou la guerre des Gaous de Maurice
Bandama (2016, p. 78, 79) :

Pour être au maximum de ses forces mystiques et atteindre le stade de l’invulnérabilité, le


Président devait consommer sept cent soixante-dix-sept vierges en trois ans. Heureusement,
comme le lui avaient recommandé ses féticheurs, le Président avait consommé sa sept cent
soixante-dix-septième vierge, une jeune albinos de 13 ans. […] D’autres sacrifices avaient été
faits, des enfants enterrés vivants, des femmes enceintes enlevées, assassinées, leurs bébés extraits
de leurs ventres, égorgés, séchés, rendus en cendres, pour préparer des décoctions qui rendraient
le Président invulnérable. Kanégnon est né pour être Président, le demeurer, et mourir Président.

Par ailleurs, en cas de défaite dans la bataille politique, Fatou Fanny-Cissé


informe que le « maraboutcrate » ne se caractérise que par sa volonté de
détruire l’autre. Elle fait dire au narrateur :

Nous avions un ami commun qui s’appelait Romaric. Un jour, il nous a appris qu’il voulait
briguer un poste de député dans sa région. Il a demandé à Jacques de venir l’aider à battre
campagne. […] Romaric et Jacques ont remporté les élections législatives. Ils ont détrôné le vieux
député sortant, en place depuis plus d’une décennie. Lorsque l’Assemblée nationale a donné la
date à laquelle les députés allaient prendre fonction, Romaric s’est mis à avoir d’atroces maux de
tête puis du sang a commencé à couler de ses oreilles et de ses narines. Il s’est également mis à
faire ses besoins sur lui avant d’être complètement paralysé et de ne plus pouvoir parler. On a
essayé de le soigner avec la médecine des Blancs de même qu’avec celle de Loumais mais rien
n’y fit. Romaric est décédé. […] Dès qu’il a atterri en Allemagne, Jacques a commencé à
développer les mêmes symptômes que Romaric. […] Comme le temps pressait, ses parents se
sont dit que la seule chose à faire était de venir demander pardon au vieux député qui, sans
l’ombre d’un doute, était à la base de cette imprévisible maladie. Malheureusement, Jacques est
lui aussi décédé dans l’avion qui le transportait vers Louma » (Fatou Cissé, 2015, p. p. 27-30).

Il découle de ce qui précède que « le maraboutcrate » en politique dans


l’univers africain est le technicien des crimes rituels et politiques pour accéder

124
et conserver le pouvoir. Avec lui, la seule vérité procédurale qui vaille est
celle du marabout. Elle consiste pour l’essentiel : au crime voire sacrifice
rituel, à l’anthropophagisme, à l’ensorcellement dans le sens de maléficier
l’adversaire politique.
Dans son texte Les sources du moi. La formation de l’identité moderne,
Charles Taylor (1998, p. 263) défend l’idée que comprendre l’identité
moderne, c’est repérer « ce qu’on pourrait appeler les idées-forces qu’elle
contient. » Partant, quelles idées-forces l’imaginaire « maraboutcratique »
véhicule-t-il ? Il informe de l’incapacité, de la décadence du personnel
politique. Il est le reflet de la décomposition des mécanismes de sélection, de
recrutement et de direction. Cet imaginaire postule la désintégration des
dispositifs de contrôle et de correction du pouvoir. Le système politique
« maraboutcratique » est en réalité révélateur d’un imaginaire qui dissocie la
possibilité de promotion et la capacité de travailler efficacement. Ainsi, le
type anthropologique politique, tel que mis en scène, se caractérise non par
une culture politique pointue, un projet politique et social viable mais par la
force des pouvoirs occultes.
Sur ces entrefaites, la « maraboutcratie » génère chez le personnel
politique un imaginaire de la déresponsabilisation. Ce dernier ne se sent en
effet ni responsable, ni redevable au peuple mais seulement au marabout d’où
cette curieuse façon de répondre aux souffrances et aux contestations de la
population :

J’aurais [la Présidente Fitina] recours aux services de Djomori, notre puissant devin. Une solution
occulte peut s’avérer très efficace dans ce genre de situations. Il faut confier tout aux puissances
occultes. […] Dans les jours qui suivirent, on vit des bulldozers effectuer des travaux sur tous les
campus. De grandes statues blanches vinrent orner les différents points des campus qui
ressemblaient à des carrefours. […] Fitina avait elle-même enterré nuitamment les fétiches de
Djomori. […] Pour enfouir profondément les fétiches, [Fitina] avait dû s’attraper le nez avec des
pinces à linge tant l’odeur était insoutenable » (Fatou Cissé, 2015, p. 140, 143,144).

On est dans la configuration discursive de la politique du néant et le néant


politique. La conclusion est que l’imaginaire politique « maraboutcratique »
fonde ou explique la faiblesse ou la crise de la pensée politique. Cela aboutit,
selon la terminologie de Maurice Bandama (2016), à « l’État z’héros » ou en
faillite parce que dirigé par un type anthropologique politique qu’il nomme
« Gaou », c’est-à-dire incompétent.
Il n’empêche, le corpus met en évidence la puissance d’attraction des
schèmes de l’imaginaire « maraboucratique ». En effet, cet esprit

125
problématique se retrouve de façon notable chez le personnage du peuple. Il
se perçoit comme une forme « d’habitus », dans la perspective de Pierre
Bourdieu (1970, p. 153), en ce sens qu’il y a chez la population africaine mise
en récit une acceptation, voire une assimilation inconsciente/consciente des
règles de la culture maraboutique. C’est pourquoi, sous la plume de Fatou
Cissé (2015, p. 35), on lit :

La magie noire intervenait dans beaucoup de domaines du quotidien. Les gens en utilisaient au
travail pour qu’untel soit promu. Des travailleurs découvraient parfois avec stupeur dans leurs
fauteuils des coquilles d’escargots attachés avec des fils multicolores à des colis bizarres. Il fallait
inspecter chaque recoin de son bureau avant de s’y installer pour travailler. On empêchait d’autres
d’achever la construction de leur maison en y déféquant, signe de malédiction. […] Les gens
utilisaient également la magie noire dans leurs foyers, soit pour se faire aimer, soit pour passer le
conjoint ou la conjointe de vie à trépas afin d’hériter.

Il se donne ainsi à voir que la négativité, le nihilisme, le


déconstructivisme, sont au cœur de l’imaginaire « maraboutcratique ». Il est
fondé sur un rapport altéritaire confligène. Il est en définitive aux antipodes
du vivre ensemble. En conséquence, dès lors qu’il structure l’éthopée de l’être
africain mis en texte, il se lit comme « la causalité diachronique » (Charles
Taylor, 1998, p. 263) d’un espace littéraire et référentiel africain en
déliquescence. Qu’est-ce qui pourrait expliquer la prolifération de cet
imaginaire ? Serait-ce lié à la situation/posture de l’intellectuel ?
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2. Le type anthropologique
intellectuel : une figure de la
réduplication ?
Cornelius Castoriadis (1996, p. 135) voit dans l’imaginaire social une
capacité ou un outil de création. Aussi, parle-t-il d’un

imaginaire social qui crée le langage, qui crée les institutions, qui crée la forme même de
l’institution ; nous ne pouvons le penser, poursuit-il, que comme capacité créatrice du collectif
anonyme qui se réalise chaque fois que des humains sont assemblés, et se donne chaque fois une
figure singulière, instituée, pour exister […] C’est ce qui nous permet de nous créer un monde.

La fonction créatrice de l’imaginaire social fait qu’il le lie à la figure de


l’intellectuel. En effet, que signifie pour lui créer ? C’est, écrit-il, la « capacité
de faire émerger ce qui n’est pas donné, ni dérivable, combinatoirement ou
autrement, à partir du donné. C’est cette capacité qui correspond au sens
profond des termes imagination et imaginaire » (Cornelius Castoriadis, 1996,
p. 132). Et cette capacité définit l’intellectuel :

La pertinence politique de la philosophie est que la critique et l’élucidation philosophiques


permettent de détruire précisément les faux présupposés philosophiques. […] Le travail de
l’intellectuel devrait être un travail critique. Il en a toujours été ainsi dans l’histoire. Les
philosophes mettent en question les représentations collectives établies, les idées sur le monde, les
dieux, le bon ordre de la cité. » (Cornelius Castoriadis, 1996, p. 99)

L’idée majeure est celle de la figure de l’intellectuel qui façonne


l’imaginaire social, qui l’alimente, l’outille, le problématise. Ainsi, en tant
que théoricien, critique, analyste, concepteur voire créateur de mode de
pensée et de représentations, il contribue à la fabrique des valeurs, des
identités. Il aide la société à laquelle il appartient dans la compréhension de
soi et le rapport à l’autre. Ses idées sont de ce fait dotées d’une véritable force
de transformation des imaginaires sociaux car la compréhension rend une
pratique possible. C’est ce que souligne Florence Hulak (2010, p. 393)
lorsqu’elle écrit qu’« il y a une relation d’influence réciproque entre les
théories, qui sont des interprétations explicites, et les imaginaires sociaux, qui
sont des interprétations implicites ».

127
Au regard de ce constat, que dire de la nature des théories qui nourrissent
l’imaginaire social, qui donnent sens à l’univers africain dit postcolonial ?
Comment l’intellectuel est-il mis en scène ?
Dans les années dix-neuf cent soixante-dix, l’intellectuel africain Papa
Guèye Ndiaye (1974, p. 243) soulignait un problème fondamental qui se
posait au chercheur africain. Dans un article intitulé « Thomas Melone et
L’Aventure ambiguë ou les excentricités d’une critique », il s’inquiétait de ce
qu’il appelle une « néocolonisation de l’esprit critique ». À sa suite, dans les
années dix-neuf cent quatre-vingt-dix, André Patient Bokiba (1998, p. 99)
relevait, pour sa part, la dynamique « littératures d’Afrique et critiques
d’Occident. » Dans les années deux mille, Patrice Nganang (2009, p. 13)
parle « d’intelligence africaine sous-tutelle ». Quelle problématique du
chercheur, de l’intellectuel africain, ces critiques posent-ils avec une certaine
constance ? La scène suivante d’African psychocontient des éléments de
réponse :

L’invité du jour, était un professeur de criminologie à la Haute Université de notre pays. […]
« Messieurs, disait-il, je vais vous dire clairement qu’en tant qu’héritier convaincu de l’école
italienne de criminologie, j’ai été fasciné par un livre que je conseille à tout le monde :
L’homme criminel, de Cesare Lombroso, et sa magnifique théorie du criminel-né.
Angoualima a sa place dans les pages de ce livre mythique, un des livres fondateurs de notre
manière d’appréhender l’être criminel. Les agissements d’Angoualima me font penser à beaucoup
de cas européens que j’ai découverts sur les bancs de la faculté de droit de Poitiers. Je pense
notamment au jeune criminel nommé Baptiste Laborie, qui apporta un jour la tête de sa sœur à
l’hôpital […], à Sadilleck avec son couteau de boucher […], à Henri Lestevens, le tueur de
femmes… Je vais, hic et nunc, esquiver une analyse minutieuse. (Alain Mabanckou, 2003, p.
82, 83)

Avec quels outils, dans cet extrait, le personnage de l’intellectuel africain


donne-t-il sens à un phénomène (criminalité) qui se passe dans un contexte
textuel africain ? On note que les codes qui servent à appréhender la crise de
la société africaine du texte, les outils théoriques de perception de soi, de
saisie de soi, de représentation de soi et de son milieu sont exogènes,
importés. Ainsi, cette problématique africaine est perçue sous le prisme du
mode de pensée occidentale. D’où le questionnement d’André Patient Bokiba
(1998, p. 100) : « Pouvons-nous légitimement, dans la lecture et
l’interprétation de nos lettres, appliquer inconsidérément les grilles de lectures
préconçues, adopter les canons, les catégories esthétiques de la critique
occidentale ? »

128
Il se pose un problème fondamental sur la nature de l’imaginaire de
l’intellectuel africain, lequel alimente l’imaginaire social africain. Il apparaît
en effet, à l’analyse de l’extrait, une figure de l’intellectuel africain structurée
par un imaginaire de récupération, d’emprunt, de réduplication, à tout le
moins de recyclage, et non de création. Il y a comme si cet intellectuel se
montrait incapable de créer des outils théoriques, des codes propres,
endogènes, originaux pour nourrir l’imaginaire social africain, pour donner
sens à son environnement socio-culturel. Il se contente de recourir
abondamment aux outils conceptuels occidentaux, expression de l’imaginaire
social occidental, pour analyser la société africaine. Cela crée, bien des fois,
l’inadéquation entre le dire et la réalité, l’usage de mots qui produisent
l’insignifiance. Le lecteur comprend dès lors les sentiments du narrateur
d’African psycho à l’écoute du discours du professeur de criminologie :
« Furieux, dit-il, je sortis. Je constate qu’il y a des crétins qui ne savent pas de
quoi ils parlent. C’est un crime monsieur le lauréat de mon cul ! » (Alain
Mabanckou, 2003, p.84, 85).
« Crétins, lauréat de mon cul ! », des désignateurs scatologiques qui
expriment un profond rejet. Le désamour est fort grand. On peut y lire une
déconsidération de l’intellectuel. Comme inconvénient, il apparaît, à l’étude
du texte de Mabanckou, un appauvrissement de l’imaginaire social africain. Il
est alimenté par le désir de viol, de vol, de l’alcool, par la paresse
imaginative, créative. Il pourrait en ressortir que l’imaginaire
« maraboutcratique » ci-dessus analysé est le fruit de la faillite de
l’intellectuel africain dont l’imaginaire est extraverti. Dans le vide conceptuel
et sémantique qui en découle, dans l’inadéquation et l’inefficacité des outils
importés, en l’absence ou en regard de la faiblesse des outils critiques
endogènes, adéquats, émerge et se consolide un imaginaire
« maraboutcratique » et un type de société qu’il induit.
Par ailleurs, en considérant l’acte critique (la fonction de l’intellectuel)
comme itinéraire que l’on propose au lecteur, à la population, l’imaginaire
sous-tutelle de l’intellectuel, révélateur implicite d’une sous-estimation d’un
soi africain, semble féconder une société également structurée par un
imaginaire de « la nostalgie de l’occupation » (Bertrand Méheust, 2012). Il est
manifeste dans ce discours politique et ses résultats dans African psycho :

Le ruisseau coupe la ville en deux et notre maire, pour gagner haut les mains les élections l’avait
baptisé avec tambours et maracas la « Seine ». Il nous avait fait comprendre que c’était plus qu’un
honneur de nous identifier à cette ville de rêve, de sorte que nous nous sentirions comme à Paris,
et ce n’était pas donné à n’importe quel pays du tiers-monde. […] Et il avait été élu dès le premier

129
tour, nous faisant la promesse, jamais tenue à ce jour, de la visite du maire de Paris, son ami
personnel, nous jurait-il, avec qui il discutait chaque semaine au téléphone. (Alain Mabanckou,
2003, p. 110-111)

Le désir irrépressible de faire comme l’ex-colonisateur, de s’identifier à


lui, l’obsession de l’autre, la nostalgie de l’ex-dominateur, est la manifestation
d’une société qui n’arrive pas à se représenter, à se penser comme étant
quelque chose pour elle-même et en elle-même. En l’absence d’outils propres
de construction de soi proposés par l’intellectuel, la société africaine, telle que
mise en scène, a du mal à se poser comme ayant un soi singulier d’où
l’absence, dans cet extrait, de significations imaginaires sociales propres et le
recours au paradigme parisien. À l’image de l’intellectuel, la société africaine
à l’œuvre dans le texte de Mabanckou ne peut ni forger, ni maintenir une
représentation d’elle-même qu’elle puisse affirmer et valoriser.
Dans cette optique, les textes étudiés peuvent être lus comme un appel à
l’autocritique, à la critique de la critique, à l’imagination et dans une certaine
mesure à la « désobéissance épistémique » (Walter Mignolo, 2015) afin de
mettre à la disposition de l’imaginaire social africain des grilles de lecture
efficaces, des théories politiques et sociales de construction voire de
reconstruction de soi car, écrit Patrice Nganang (2009, p.12), « si notre
continent a été autant dévalué, c’est d’abord parce que nous, Africains, avons
cessé de rêver. »
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130
Conclusion
L’explicitation de l’imaginaire social dans le corpus africain étudié a
permis de faire apparaître une identité politique et intellectuelle
problématique : « la maraboutcratie » et l’intellectualisme de réduplication.
La première consiste en la substitution des valeurs politiques structurées par
le bien-être social par celles du marabout fondées sur le principe de la
toxicité. Le « maraboutcrate », le type anthropologique politique qui en est
l’illustration s’est défini par l’irresponsabilité, l’incompétence, l’absence de
vision politique. Il n’est qu’une marionnette du marabout, « la
maraboutcratie » étant présentée comme la gouvernance par et pour le
marabout.
La diffusion et surtout l’acceptation de la culture « maraboutcratique » par
le personnage du peuple, au regard de son mode de pensée et d’être mis en
exergue, la pose comme un puissant projet commun dans l’imaginaire social
africain du corpus. La culture « maraboutcratique » s’est ainsi donnée à voir
comme ce qui fait exister l’agent collectif des textes analysés et a été lue
comme l’expression d’une société en déliquescence, la manifestation de
l’empoussièrement des espoirs. L’essai de Tiburce Koffi (2011), Le mal-être
spirituel des Noirs, porte cette approche.
L’analyse n’a pas manqué, toutes proportions gardées, de lier l’émergence
de l’imaginaire « maraboutcratique » à l’absence, du moins la faiblesse,
l’inadéquation des théories explicatives ou plutôt des imaginations socio-
politiques mises en circulation par l’intellectuel africain. Cette réflexion
apparaît en fin de compte comme une invite, dans la perspective de Patrice
Nganang (2009, p. 14,15, 17,18), à la fabrique de « la république de
l’imagination » dont il donne le mode opératoire :
Que notre continent abdique ainsi volontairement de ses potentialités, et se
cramponne de sa propre décision dans la position de sous-quartier est accepté
par nos porte-plume alors qu’en secouant un peu nos muscles et nos
méninges, nous sortirons du labyrinthe de notre damnation. […] Il faut penser
l’Afrique autrement, il faut inventer, il faut découvrir, […] fabriquer un
présent. Je parle de notre devoir à imaginer un futur beaucoup plus ample si
nous voulons échapper à notre dévaluation. C’est ce que j’appellerai
l’extension du champ des possibles.
La finalité est la construction d’un imaginaire porté par des lendemains qui
chantent avec en filigrane la maîtrise de la politique de l’éducation.
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Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

132
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URL :http://sociopoétique.univbpclermont.fr/ mythes-contes-et
sociopoetique/sociopoeti-ques/sociopoetique, consulté le 18/09/2017
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specte-de-l-epistocratie_5202341_3232.html (consulté le 19/05/2018).

Chapitre 8. L’imaginaire migrant et sa


décolonisation dans quelques romans d’Afrique
noire francophone Anoh Brou Didier
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134
Résumé :
La littérature africaine contemporaine, face aux dures réalités que vivent
les immigrés dans leur espace d’accueil, tente de décoloniser l’imaginaire
migrant. La stratégie consiste à proposer des textes narratifs qui font un
sombre tableau de l’émigration. Cette contribution analyse justement trois
romans, qui par diverses stratégies, décolonisent l’imaginaire migrant africain
en montrantune image réaliste de l’émigration dont le point focal est la
désillusion. À travers l’écriture, on perçoit la condition du romancier qui se
cache derrière l’histoire du migrant pour témoigner d’une société en crise.
Mots-clés : Imaginaire, émigration, migrants, décolonisation de
l’imaginaire migrant, désillusion.
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135
Introduction
Plusieurs décennies après les indépendances, l’imaginaire de l’Africain
semble se cristalliser autour d’illusions aléatoires. Enfermé dans le rêve et les
illusions d’un ailleurs paradisiaque opposé à un ici infernal (le virtuel et
l’actuel), cet imaginaire est comme toujours colonisé par une perception figée
et faussée de l’autre-monde (l’Occident ou l’Europe en général), qu’entretient
une naïve illusion du moi.

Transcrire le réalisme tragique que vivent bon nombre de sujets migrants,


ces « conditions concentrationnaires » dont parle Papa Samba Diop, revient,
pour le roman africain francophone, à décoloniser l’imaginaire migrant, à
renouveler la pensée migratoire. La démarche consiste à investir l’univers de
la migration et à faire une scénographie du sombre tableau qu’offre l’ailleurs
désiré pour y extraire les pires formes de la désillusion, du désenchantement
et d’un imaginaire trahi.

La présente réflexion qui s’appuie sur la critique sociologique et l’analyse


du discoursse proposed’analyser le discours littéraire qui tente, par diverses
stratégies, de décoloniser l’imaginaire migrant sur certaines réalités liées à la
migration. Elle montre, plus concrètement, comment, par l’écriture, certains
auteurs africains migrants donnent une image réaliste de la migration,
décolonisant ainsi un imaginaire migrant formaté par une vision déformée de
l’ailleurs perçu comme le point focal du bonheur et de la prospérité.

Notre hypothèse est que Black bazar d’Alain Mabanckou, Le ventre de


l’atlantique de FatouDiome et Le paradis français de Maurice Bandaman,
outre la mise en scène du parcours migratoire de certains sujets migrants,
construisent une écriture tournée vers le renouvellement de l’imaginaire
migrant (africain) marqué par le rêve et l’illusion du réel. Le résultat est que,
face à la désillusion observée dans l’aventure migratoire, la littérature
africaine francophone s’efforce de réévaluer certains paradigmes liés à la
migration du Sud vers le nord, lequel processus débouche sur une tension du
récit et un conflit déictique entre l’ici et l’ailleurs.
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136
1- L’imaginaire migrant ou
l’illusion de l’ailleurs
L’imaginaire est un processus de perception, d’illusion et de rêve qui
anime le sujet dans sa représentation d’un réel fictif. Cette notion implique
une façon de voir, de sentir et de ressentir un monde quelconque frappé par
une illusion du réel. Difficile à cerner parce que « reine des facultés » (selon
Baudelaire), « maîtresse d’erreur et de fausseté »168 (pour Pascal), la notion
d’imaginaire continue de s’inviter dans les réflexions heuristiques les plus
contradictoires.

Son champ de compétences traverse les formes les plus simples de la


vision humaine et les perceptions les plus inimaginables de la réalité. Si son
approche plurielle semble gêner sa définition, celle que propose Gilles
Quinsat résume son mode opératoire : « L’imaginaire est un mot d’usage et de
destination incertains : placé à mi-chemin du concept et de la sensation, il
désigne moins une fonction de l’esprit qu’un espace d’échange et de
virtualité »169.
Dans le domaine littéraire, l’imaginaire est un lieu de tension entre le réel
pragmatique et le réel virtuel, entre la sensation de réalité et l’illusion de
vérité qui brouillent le bon jugement. C’est le lieu de l’illusion, de la chimère,
des visions fictives qui créent un état de dépendance de la mémoire à une
réalité incertaine, suspendue. C’est également le lieu de la construction et de
la déconstruction, du vraisemblable et de l’invraisemblable, du réel non
achevé qui épouse les prismes d’un chantier à mettre en valeur.

Le sujet migrant africain, cette autre figure de la littérature post-coloniale


que certains écrivains des indépendances ont inscrite dans leur espace
d’écriture, cadre bien avec cette définition de l’imaginaire au sens pascalien.
Son parcours est marqué par l’illusion d’un ailleurs paradisiaque, d’un lieu
idéal qui façonne son esprit, et qu’il s’efforce de percevoir comme un réel
concret.

Sur la base de l’imaginaire psychanalytique qui englobe « le registre des


images, de la projection, des identifications et, en quelque sorte, de

137
l’illusion », l’imaginaire migrant se construit autour des fantasmes et des
rêves, des visions et des projections, des envies et des désirs ; ce que Pierre
Ouellet appelle l’« esprit migrateur »170 forgé par une mémoire individuelle
dont le point de départ est la quête d’un univers différent, particulier.

La figure du sujet migrant africain rappelle Senghor, l’un des tout premiers
émigrés africains dont l’illusion du monde occidental (Paris notamment) s’est
heurtée à la réalité déçue de la migration qu’il traduit amèrement en ces
termes : « C’est sous la pluie froide et le ciel d’octobre que j’ai débarqué, un
matin, à Paris, et tout était gris, jusqu’aux monuments fameux. Quelle
déception ! »171. En tant que « dynamisme organisateur [qui] est facteur
d’homogénéité dans la représentation »172 selon Gilbert Durand, cet
imaginaire a dû façonner et organiser la représentation de Paris par Senghor
avant que ses illusions ne soient déçues.

Dans cette perspective, l’imaginaire fonctionne comme une illusion


accomplie, un réel achevé, un ensemble homogène qui se forme dans l’esprit
et la pensée de son auteur, et qui conditionne ses actions. En fait, Durand crée
une passerelle entre le réel et l’imaginaire, entre ce qui est et ce qui relève du
virtuel, de la vision ; toutes choses qui enveloppent l’esprit du sujet migrant et
étouffent sa vision et la réalité de la migration.

« L’Europe ou la mort », est, à titre d’exemple, le slogan auquel sont


assujettis les sujets migrants dans leur farouche désir d’émigrer en Europe. En
posant ce slogan comme postulat de l’émigration, Maurice Bandaman, dans
Le paradis…, dévoile l’imaginaire migrant dans sa perception la plus
extrême, dans son approche fataliste. Le pays rêvé est la métaphore du
paradis, de l’eldorado à conquérir coûte que coûte, tout comme chez certains
personnages de Fatou Diome, l’Europe est le lieu idéal pour obtenir la
richesse que ne peut offrir le pays d’origine.

Les personnages centraux de Diome (Salie), Bandaman (Mira) et de


Mabanckou (Fessologue) sont, en effet, des figures à part. Leur perception de
l’ailleurs est construite autour d’un rêve à réaliser sans retenue : celui de
posséder l’Occident avec sa « Sécurité sociale » (Black…, p. 9), ses
« comptes bancaires » et ses « plans de carrières » pour tout type d’individus

138
(Leventre…, p. 165), etc. L’Europe, en général, et la France, en particulier,
déclenchent dans l’imaginaire de leurs personnages, un monde de bonheur,
conséquence d’une rêverie à partir de laquelle ils se construisent un monde
concret.

En construisant un monde à part sous le prisme du rêve, de la déformation,


de la chimère, les sujets migrants créent leur univers à eux, s’invitent dans un
monde virtuel qui fonctionne comme un réel malléable dans leur imaginaire.
Un monde à partir duquel ils tentent de s’imposer des illusions dont la
réalisation passe par la ‘‘possession’’ du pays d’accueil et ses richesses.

Déformée, l’imagination du migrant, pour citer Huygue, « s’empare


du réel, mais comme d’une matière première et pour lui donner un visage
chargé de sens »173. Elle devient le centre de la déconstruction de la pensée,
des fantasmes divers, des rêves les plus fous, de l’imagerie créatrice. Elle est
une façon de réinventer le monde extérieur que l’on charge de sens et de
sensations, en se convainquant de son existence et de sa réalité.

Dans le cadre d’un imaginaire migrant, une telle démarche crée une
intimité entre le sujet et son monde rêvé sans lequel la vie n’a pas de sens, dès
lors que « l’ailleurs est l’espace où le sujet recentre le monde [rêvé] »174 qui
devient, dans bien des cas, un sujet de plainte.
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139
2- Quand l’écriture décolonise
l’imaginaire migrant
La littérature africaine contemporaine a résolument tourné le dos à cette
vision appréciative du monde occidental qui a bercé les écrits de certains
auteurs comme Bernard Dadié, Aké Loba. Nous sommes loin des écrits qui
tendaient à présenter l’Europe sous ses beaux jours, cette Europe qui
autrefois, était perçue par beaucoup comme la terre de la liberté, de la justice,
du bien-être social et économique, du bonheur, etc.

Nous sommes loin, en effet, de l’époque où la littérature africaine mettait


sur la scène du roman, des personnages nègres comme Tanhoé chez Bernard
Dadié175, émerveillé pour avoir reçu d’un ami Blanc un billet pour Paris :
« J’ai un billet pour Paris, oui Paris ! Paris dont nous avons toujours tant
parlé, tant rêvé ! ». Ferdinand Oyono176 a même parlé de « Chemin
d’Europe » dont la simple pensée esquisse dans l’imaginaire du sujet migrant,
des fantasmes et des illusions les plus inimaginables.

Aujourd’hui, l’écriture tend à exorciser les défauts de l’Occident vu


comme un problème pour les migrants, et non la solution qu’ils recherchent
en quittant leur terre natale. Quand ils abordent les sujets sur l’émigration, la
plupart des romanciers africains francophones soumettent l’Europe à un
inventaire très critique rendu par un discours de la désolation, de la peur, de la
déception, de la douleur. L’Europe ne se lit plus sous l’angle de la fascination
et du bonheur, mais sur celui de la mésaventure et de la galère.

Au centre de cette désillusion, on retrouve les sujets migrants dont le


parcours est raconté au moyen d’une écriture qui touche le fond de la réalité
migratoire. Celle-ci tourne autour des déboires, des méchancetés, des
injustices auxquels doit faire face le migrant dans sa recherche du bonheur
hors de sa terre natale, légitimant une écriture de la topique migrante et des
possibles narratifs.

La décolonisation de l’imaginaire migrant est rendue par des descriptions

140
dans lesquelles les romanciers dévoilent la face cachée de l’Europe des
faibles, des démunis, des laissés pour compte. Leur parcours est parsemé de
situations malencontreuses qui révèlent une société occidentale qui n’offre
plus de sécurité sociale et économique, qui n’est plus porteuse d’espoir pour
les migrants économiques à l’affût du moindre espoir de survie. Véronique
Tadjo souligne la justesse de la démarche consistant à réévaluer l’imaginaire
sous l’angle d’une réécriture de l’histoire de l’Afrique, dans cette confession
qui trouve son sens dans la recherche de solutions concrètes pour le
continent : « Notre rôle en tant qu’écrivain, c’est de poser des questions, de
sortir les gens de leurs idées préconçues pour les amener sur des chemins non
explorés, remettre en question ce que l’on prend pour acquis »177.

Dans Le paradis…, si le récit se centralise sur la désillusion de Mira,


personnage central du roman qui doit faire face à son rêve brisé d’épouser
l’homme de ses rêves, d’autres personnages féminins portent le poids de la
misère de l’émigration en tant que sujet collectif, d’intérêt commun. L’une
des victimes de la prostitution organisée dans le pays d’accueil offre le
témoignage suivant, preuve d’un imaginaire migrant que l’écriture tente de
décoloniser :

Il se passe que je suis une chienne […] une vraie chienne ! Hier ce ne sont pas avec des hommes
que j’ai fait l’amour, mais avec des bergers allemands. Quand après les avoir libérés, je leur ai fait
remarquer que leurs chiens m’avaient mordue, ils m’ont simplement dit que ces bêtes étaient
vaccinées et en meilleure santé que moi (Le paradis…, p. 38-39).

En présentant ce fait lié aux réalités de l’émigration, la littérature africaine


touche du doigt certains maux auxquels sont confrontés ceux qui s’obstinent à
émigrer en Europe. L’intention implicite réside dans le désir de décoloniser
leur imaginaire faussement englué dans des rêves qui tournent la plupart du
temps au cauchemar, comme quand Salie, pour échapper au poids des réalités
sociales du Sénégal (son pays d’origine), se rend en France où son existence
n’est pas plus reluisante que sa vie passée dans la cellule familiale. Son
parcours, à l’instar du personnage central de Mabanckou, « ce congolais
lâchement installé en Europe » (Black…, p.39), est ponctué par l’indifférence,
le rejet, le racisme, le mépris racial.

La postulation victimaire à laquelle est associé le parcours des sujets

141
migrants n’est en réalité que la formulation de la réalité migratoire que
certains tendent à couvrir par le jeu du bourreau et de la victime. La
décolonisation de l’imaginaire migrant est le lieu où le romancier suggère un
univers dans lequel se côtoient le réel et l’imaginaire. Porté par une écriture
de la vérité, du réel migrant, le processus de décolonisation de l’imaginaire
migrant invite à une autre perception de l’émigration n’est plus celle de
l’illusion et du magma d’images préconçues.

La décolonisation de l’imaginaire migrant évoque la métaphore de la


courge qui sert d’illustration à Tierno dans L’aventure ambiguë pour évoquer
la nature complexe de la plante ; allusion faite à Samba Diallo qui s’apprête à
vivre l’expérience de l’émigration avec son lot d’incertitudes et de
déceptions :

La courge est une nature drôle, dit enfin le maître. Jeune, elle n’a de vocation que celle de faire du
poids, de désir que celui de se coller amoureusement à la terre. Elle trouve sa parfaite réalisation
dans le poids. Puis, un jour, tout change. La courge veut s’envoler. Elle se résorbe et s’évide tant
qu’elle peut. Son bonheur est en fonction de sa vacuité. De la sonorité de sa réponse lorsqu’un
souffle l’émeut. La courge a raison dans les deux cas178.

Ces images fortes utilisées par Kane pour exprimer la face cachée de
l’émigration traduisent tous les possibles de la réalité migratoire. Celle-ci est,
le plus souvent, loin de l’imagination et du rêve qui obstruent la vision de
ceux qui sont saisis par l’aventure migratoire comme d’un passage obligé,
jusqu’à ce qu’« un jour, tout change ». Face à un environnement hostile à leur
épanouissement, les sujets migrants sont confrontés à la marginalisation, au
désespoir qui précède quelquefois des situations tragiques.

Alors qu’au départ de l’Afrique, les rêves les plus fous caressent leurs
visages, le séjour des sujets migrants tournent très vite au cauchemar, avec
comme point focal de leur mésaventure, la difficile condition des immigrés
africains en France pourtant magnifiée et mystifiée. Il n’est plus question pour
l’écriture de célébrer naïvement la beauté de l’Occident, le sensationnel de
Paris (ville des lumières), mais de passer de la fascination au désespoir d’une
vie qui se conjugue dans la douleur, la désillusion.

Black bazar raconte la vie quotidienne d’un Congolais à Paris, dans une

142
tonalité comique et grotesque où le Fessologue (c’est ainsi qu’est désigné le
narrateur qui a vocation à s’intéresser à la “face B” des femmes) fraîchement
largué par sa copine surnommée “Couleur d’origine”, s’interroge sur la
condition des immigrés qui vivent « comme des rats, mais pas de la même
famille » (p. 88). Le paradis français décrit un réseau de prostitution
transfrontalière dont les principales victimes sont de jeunes Africaines qui
rêvent d’une vie meilleure en Europe, ignorant naïvement les conséquences
d’un désir matérialiste flatteur. Le ventre de l’Atlantique dévoile la face
cachée de l’immigration, avec la France que certains (notamment Madické,
frère cadet de Salie) voient, à tort, « comme une terre promise où réussissent
les footballeurs sénégalais, où vont se réfugier ceux qui […] fuient un destin
tragique » (quatrième de couverture du roman).

Le point commun entre ces trois romans, c’est la désillusion face à un


monde qui offre autre chose que ce à quoi rêvent les sujets migrants. La
marche « le long des tunnels de la performance qui conduit à des objectifs
bien définis », comme l’espérait la narratrice de Diome en arrivant en France
(Leventre…, p. 14), débouche malheureusement sur des « incivilités » selon
Mabanckou. En lieu et place d’une vie de rêve façonnée par l’illusion de
l’ailleurs et de la découverte, c’est plutôt la rencontre avec des topos de la
migration que sont le racisme, la solitude, la désillusion, l’inquiétude
permanente.

La représentation du parcours des migrants en Europe dévoile un tournant


que prend la littérature africaine postcoloniale qui tente deporter les
tribulations de l’Afrique migrante et exilée. Selon Papa Samba Diop,
« écriture de l’écart, celle des migrants traduit une vie double, conjointement
emplie du souvenir du pays réel et des réalités nouvelles du lieu
d’accueil »179.
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

143
3- Décolonisation de l’imaginaire
migrant et écriture de soi
En posant le rêve et l’illusion comme postulat de l’imaginaire migrant,
l’écriture migrante africaine dévoile une écriture de soi dans laquelle une
entité individuelle raconte sa propre histoire et celle d’un groupe cosmopolite.
Pour ainsi dire, l’imaginaire migrant se construit autour de l’individu qui
raconte son propre parcours au milieu d’une entité communautaire. C’est le
lieu de la narration de ses propres rêves, de ses propres échecs, et où se
découvre une tension entre deux positions psychiques : attester d’une identité
(voilà qui je suis), témoigner d’une altération (voilà qui je suis empêché
d’être).

Il s’agit d’expériences traumatisantes racontées à partir d’un espace


psychique qui dévoile les limites du rêve migrant. Selon Foucault, « l’écriture
de soi-même apparaît ici clairement dans sa relation de complémentarité avec
l’anachorèse : elle pallie les dangers de la solitude ; elle donne ce qu’on a fait
ou pensé à un regard possible ; le fait de s’obliger à écrire joue le rôle d’un
compagnon »180. L’écriture, dans le rôle d’un compagnon, assume cette
terminologie Foucaultienne, dès l’instant où elle libère la parole du migrant,
console ce dernier face à son triste sort qu’il exprime publiquement comme
pour se décharger d’une situation étouffante.

Si on s’en tient à l’approche définitionnelle de Serges Doubrovsky,


l’écriture de soi dans la posture migrante consiste à confier « le langage d’une
aventure à l’aventure du langage »181, processus qui conduit à ce qu’il appelle
‘‘une fiction de la vie vécue’’. La posture autofictionnelle que prend le
migrant tourne autour du vécu qu’il associe à l’imaginaire, de la mise en récit
de faits strictement réels qu’il partage aux autres pour rechercher leur
solidarité et leur compassion..

À l’exception de Le paradis… de Maurice Bandaman qui pénètre l’univers


impitoyable de la prostitution et du proxénétisme de luxe des immigrés à
Rome et à Paris (dans sa posture d’un écrivain du local, l’auteur a écrit à
partir de la Côte d’Ivoire), Black… et Le ventre… s’appuient sur des faits

144
vécus et vus par Mabanckou et Diome dans l’enfer de la vie parisienne. Leur
écriture déconstruit l’imaginaire migrant à partir d’expériences personnelles
dans lesquelles se lit l’amertume de la migration. Malgré les slogans sur
l’identité nationale et sur l’intégration, les migrants sont toujours dans la peau
d’étrangers déçus par les échecs de l’intégration que Mabanckou et Diome
(écrivains migrants) vivent de l’intérieur comme une trahison de la devise
Liberté, Égalité, Fraternité sur laquelle repose pourtant l’âme de la France.
Le texte narratif pénètre l’univers d’« une galerie d’immigrés »182 dans
lesquels on retrouve des prostituées, des balayeurs de rue (Black…, p. 84,
102), de « bons sauvages venus se civiliser » (Le ventre…, p. 177). L’écriture
devient un moyen de crier sa colère, d’exprimer son moi par le port de la
charge des autres, qui n’est en réalité que la propre charge du romancier. La
mésaventure des migrants est, dans bien des cas, celle de l’écrivain qui
exprime par l’écriture, des situations vécues ou vues, dans un univers où
l’immigré n’a presque aucun ancrage identitaire. Sa vie ballote au rythme des
caprices d’une société d’accueil porteuse d’un espoir déçu, d’un imaginaire de
la contorsion.

Denis Diouf parle d’« identité fuyante » qui s’apparente à une perte de soi
rendue par un verbiage de la révolte et des interrogations permanentes, sans
réponses, comme celles de Salie : « Chez moi ? Chez l’Autre ? Être hybride,
l’Afrique et l’Europe se demandent, perplexes, quel bout de moi leur
appartient. Je suis l’enfant présenté au sabre de Salomon pour le juste partage.
Exilée en permanence, je passe mes nuits à souder les rails de mon identité. »
(Le ventre…, p. 254). Quand Mabanckou parle de ses « compatriotes »
auxquels il associe « un franco-ivoirien » (p. 23), un « Camerounais qui fume
les cigares les plus longs de France » (p. 67), « un Centrafricain aux yeux
rouges » (p. 91) ou encore « Paul du grand Congo » (p. 103), c’est également
au moyen d’une écriture à forte dose identitaire qui visualise l’immigré dans
sa posture de faible.

Cette écriture de soi, de la révolte et du souvenir porte la marque d’une


« espèce d’entre-deux »183 identitaire au centre de laquelle on retrouve
l’écrivain qui cherche sa route dans l’univers parisien où la vie de paria et
d’exclu (du migrant) se conjugue avec la sienne. Dans Formes et
Significations, Jean Rousset184 est parvenu à la conclusion selon laquelle l’on
écrit toujours au fond « pour se dire », sous le prétexte de la fiction et de
l’écriture de soi. En portant la parole des personnages du récit qui sont ses

145
doubles imaginaires, l’écrivain porte sa propre parole, exprime sa propre
expérience, ses craintes et ses doutes dans le jeu du « dire » et du « comment
se dire ».

En livrant des récits de « vie », qui sont comparables à des « formes


biographoïdes les plus variées »185(selon Alexandre Gefen), l’écriture devient
porteuse d’un message dans lequel le vécu de l’immigré dévoile l’expérience
de l’écrivain. Maurice Bandaman a certes écrit de l’extérieur, mais son roman
n’a pas moins de saveur autofictionnelle que ceux de Mabanckou et de
Diome, où ces auteurs livrent le secret de l’aventure migrante, au prisme
d’une écriture qui met en mots le « moi » du sujet-racontant, derrière lequel se
cache le sujet-écrivant.

Dans la perspective de Foucault, écrire pour soi est une askêsis186 qu’il
faut comprendre comme un entraînement de soi par soi, un autoportrait à
partir duquel celui qui parle de lui-même s’entraîne en quelque sorte à se
dévoiler et à dévoiler les autres, à mettre au jour leur vie et leur quotidien
racontés sous l’angle du discours testamentaire. Cette expérience d’écriture
que Bandaman, Diome et Mabanckou ont intégrée dans leurs textes peut être
considérée comme un souci de soi pendant qu’ils s’efforcent d’exprimer (de
deux façons) celui des autres : leurs doubles fictionnels.

D’abord, le système énonciatif place le je au centre de l’histoire racontée.


Les trois personnages centraux des romans racontent eux-mêmes le récit de la
migration en partant du principe qu’on exprime mieux un éthos que par soi-
même. Par le truchement de narrateurs essentiellement homodiégétiques,
Bandaman (avec Mira), Diome (avec Salie) et Mabanckou (avec Fessologue)
s’adressent à un lectorat sans doute référentiel, sous l’angle d’un message à
lui porter, en rapport avec les réalités de l’émigration.

La narration, de temps en temps, nourrie par des artifices usuels de la


langue locale, est la preuve que les narrateurs désirent parler à un auditoire
bien ciblé, pour le décoloniser d’un imaginaire migrant loin de la réalité,
même si pour Mohammed Belmaïzi, parlant du roman de Diome, « par divers
artifices, invisibles à première vue, [le sérère] vient souvent […] perturber la
cohésion de la langue française. Ce qui fait que le lecteur francophone, s’il ne

146
possède pas une connaissance des deux langues, des deux cultures, ne peut
appréhender du texte qu’un infime éclairage »187.

Ensuite, l’environnement lexical est truffé de mots très expressifs d’un


sentiment de dégoût et de révolte face à l’incapacité du migrant à réaliser son
imaginaire et à affirmer son identité sociale. À l’instar du roman
postmoderne, l’écriture de soi, dans le contexte de la décolonisation de
l’imaginaire migrant, est un « discours de la place publique »188 qui relève de
la trivialittérature. L’irruption de mots-canons, de mots chargés d’une forte
dose de violence verbale, est l’expression de l’amère expérience de l’aventure
migrante qui impose un discours licencieux, traduction parfaite du simulacre
des sociétés modernes.

L’hostilité de la terre d’accueil est rendue par certains paramètres du récit


dont les inflexions diégétiques sont bien frappantes. À partir des tourments et
des rejets de la terre d’accueil, l’écriture envisage ce que Simon Harel appelle
« une autre forme de témoignage, puisque le sujet migrant est le porteur de
l’envers de la mémoire officielle que [l’écrivain] dénonce par son
écriture »189.

Les scènes de bagarre entre des prostituées nigérianes qui n’acceptaient


pas qu’on leur ait « piqué » leurs hommes qui « payaient bien » (Black…, p.
85) ou encore l’humiliante « baise » avec des chiens que subissent des filles
noires, en contrepartie de moyens financiers (Le paradis…, p. 39), légitiment
un discours qui restitue l’indécence et la vulgarité du texte.
En fait, le texte devient le lieu de dévoilement de l’identité des Africains,
de leur nature intrinsèque qui résiste à l’univers européen, comme pour
marquer d’une pierre blanche ce qui caractérise l’environnement nègre dans
les pays d’accueil. La démarche consiste à user d’un lexique ‘‘insalubre’’ qui
traduit le choix délibéré de soumettre la société d’accueil à un inventaire
critique, et d’esquisser les turpitudes des migrants eux-mêmes, que
Mabanckou décrit, pour la plupart, comme des fabricants de « faux billets »,
au sein du « marché de château-rouge, le quartier général de la pègre
africaine » (Black…, p. 35).

En déconstruisant l’imaginaire migrant sous l’angle d’une écriture de soi,

147
les trois auteurs inscrivent leurs textes dans la convocation de l’image de soi,
entendue sous l’angle de la représentation d’un vécu qui imprime des
possibles narratifs. Cette posture autofictionnelle ne souffre d’aucune lisibilité
dans la mesure où la frontière entre les auteurs et les migrants est presque
inexistante.
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148
Conclusion
Cette étude a montré que la littérature africaine francophone s’intéresse de
plus en plus aux sujets qui touchent certains Africains en situation d’exil,
notamment la question de leur intégration dans la société d’accueil. Partie
d’une approche théorique et définitionnelle de l’imaginaire migrant, la
contribution a montré que beaucoup d’écrivains africains tentent de
décoloniser l’imaginaire migrant, face aux dures réalités auxquelles sont
confrontés ceux qui espèrent une vie meilleure hors de leur terre d’accueil.
Elle a également établi un lien entre l’imaginaire migrant et l’écriture de soi
qui est le trait d’union entre l’auteur et le sujet migrant, montrant ainsi le
rapport étroit entre les réalités sociales et leurs transcriptions intertextuelles.

La décolonisation de l’imaginaire migrant que proposent Mabanckou,


Diome et Monenembo dans leurs textes narratifs, est la preuve que les
migrants ignorent, la plupart du temps, les réalités du pays d’accueil, que
l’écriture tente de réparer grâce à un discours de vérité. Simon Harel parle
d’une « résistance réelle [de] certaines écritures d’auteurs à l’égard d’[une]
normalisation de l’identité collective »190. On assiste alors à une tension entre
le texte et le lecteur, entre un imaginaire migrant et « des imaginaires à la
dérive »191 rendus par une écriture qui est l’expression parfaite d’un drame
que vivent les immigrés, lequel dévoile la crise des sociétés modernes.
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149
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SCITIVAUX Frédéric (de), Lexique de psychanalyse, Paris, Seuil,
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SENGHOR Léopold Sedar, Liberté 1, Paris, Seuil, 1984.

Chapitre 9. Un je (u) de parcours… imaginaires :


Figurations mythiques psychiques et imaginaire
social dans Mes hommes à moi de Ken Bugul Damo Jr.
Vianney Koffi
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151
Résumé :
D’obédience psychanalytique, la présente réflexion aborde la relecture
psychique d’éléments mythologiques dans la textualité romanesque comme
uncas exemplaire de l’imaginaire social que Simon Harel résumait en « sa
capacité à fabuler, à (se) raconter des histoires192 » et qui engage/identifie
unilatéralement les individus d’une collectivité. En interrogeant
spécifiquement les figurations mythologiques psychiques (inconscientes) de
la romancière sous le couvert de la narratrice (Dior), l’on établit l’imaginaire
social dans une perspective lacanienne en tant que parole « vide », celle du
leurre au sein de laquelle les complexités des questions de l’identification et
d’une hypothétique construction narcissique de l’individu se tissent, en effet.
Dans ce sens, l’analyse postule que la représentation psycho-autofictionnelle
de la romancière, justement d’un point de vue de l’inconscient, s’élabore sur
une sorte d’identification projective à des figures mythiques. Ce faisant, se
trouve réactualisée chez le sujet africain féminin, la problématique de
l’identité prise dans ses acceptions personnelles et culturelles.
Mots-clés : Imaginaire social, figurations mythiques psychiques, identité,
écriture de soi, sujet féminin postcolonial.
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152
Introduction
Une incursion dans le champ narratif de Mes hommes à moi193 de Ken
Bugul et le lecteur est déjà en perspective de lecture de ces formes
autofictionnelles postulées par Vincent Colonna dans Autofiction et autres
mythomanies littéraires194. Particulièrement, il apparaît que l’écriture
complexe de soi installe dans ce récit introspectif les marques d’une
dynamisation d’un type d’écriture de soi que Vincent Colonna énonçait sous
les termes de postures prototypiques de la fictionnalisation de soi telles que
l’autofiction spéculaire, biographique mais fantastique notamment.
Si les deux premières postures apparaissent clairement, conférant au
récit une inclinaison psycho-autofictionnelle, elles induisent par ailleurs une
mise en jeu d’une « Autre Scène », essentiellement psychique, Inconsciente,
qui trahit une écriture fantastique en accord avec la conception de
l’autofiction fantastique ou affabulation de soi, à savoir : une autofiction dans
laquelle « l’écrivain est au centre du texte comme dans une autobiographie
(c’est le héros), mais il transfigure son existence et son identité, dans une
histoire irréelle, indifférente à la vraisemblance. […] À la différence de la
posture biographique, celle-ci ne se limite pas à accommoder l’existence, elle
l’invente ; l’écart entre la vie et l’écrit est irréductible, la confusion
impossible, la fiction totale195 ». L’une des marques de cette posture
fantastique serait la présence significative d’éléments archaïques
mythologiques196 facilitant la mise en fiction, d’une image fabulée. Cette
définition instruit de façon pertinente, l’angle d’analyse de la notion de
l’imaginaire social dans cette réflexion qui se veut une « analecture197 », une
écoute psychanalytique de Mes hommes à moi. En effet, l’imaginaire social y
est perçu, dansla perspective de Simon Harel, comme la « capacité à fabuler,
à (se) raconter des histoires198 » et qui engage/identifie unilatéralement les
individus d’une collectivité. Autrement dit, l’analecture dont il est question
ici, tente de mettre au jour les mécanismes de lectures d’un imaginaire social
dans la psycho-autofiction de Ken Bugul et les spécificités qu’ils impriment à
la représentation de l’identité du Sujet autofictif d’un point de vue privilégié
de la Scène fantastique intrapsychique du récit. L’analyse part du postulat
selon lequel, l’imaginaire social dans le récit de Ken Bugul passe à travers
une Autre Scène, celle d’un inconscient qui s’élabore sur une sorte
d’identification projective199 (Autre Scène) à des figures mythiques, donc
imaginaires telles qu’Hermaphrodite et Méduse. Deux grandes articulations
structurent le travail. D’une part, il s’agira de décrypter des coïncidences entre

153
la Scène psychique et les (con)figurations mythiques de soi, de la narratrice
dans la textualité romanesque. D’autre part la réflexion s’attachera à lire les
enjeux de ces (con)figurations psychiques mythiques de la narratrice dans la
spécificité de l’imaginaire social élaboré de façon inconsciente par cette
dernière sous la juridiction de la transversalité de sa représentation de soi.
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

154
I- Scène psychique et figurations
mythiquesde soi
Dans son article « La romancière fictive et la quête du récit200 », Adama
Coulibaly montre l’écriture subjective chez certaines romancières africaines
dans les limbes du discours mythologiques. Si cette analyse a le mérite de
décliner une spécificité de la mythologisation métafictive du point de vue
exclusif des romancières, l’on estime, en outre, que cette systématisation
textuelle des figures mythiques transiterait par le travail Inconscient du texte
en lui-même selon Jean Noel-Bellemin201.
À l’examen, sous l’angle psychanalytique, le récit expose un personnage
féminin embué, emmuré dans une valse anamnèsique d’événements
interrelationnels où elle se retrouve, pour l’essentiel, en confrontation avec le
masculin. Dans la plupart des occurrences, les jeux de réminiscence semblent
recréer l’ambiance et le décor d’une séance d’analyse psychanalytique. Ainsi
le dispositif scénique de la réminiscence de l’histoire des deux
« énergumènes d’intellectuels (p.16) », alors qu’elle est assise sur le canapé
en cuir de son salon (à l’incipit du récit), rappelle bien celui de la séance
psychanalytique et du travail d’auto-analyse du patient :

Et sur ce canapé, tout d’un coup, j’avais senti, en moi, gronder une révolte que je refoulais. Je
réalisais que la plupart du temps, je jouais à celle que je n’étais pas, […] Le matin, j’étais devant
un miroir qui me renvoyait que ma propre image. […] En ce matin, mes pensées, que je ne
contrôlais pas, allaient d’un point à un autre et revenaient d’elles-mêmes sur une histoire qui
m’avait marquée depuis que je l’avais sue. (p. 9-12)

Pour rappel, cette histoire met en scène la tentative de sublimation de Dior


de camper le rôle d’une femme-évoluée en la présence de ses compagnons
masculins. Le jeu de sublimation de la narratrice tient ici au fait qu’en dépit
des attitudes réductrices et minimalistes de ces hommes à l’endroit des
femmes, celle-ci y voyait, sur le coup, une affirmation inavouée de la
spécificité de sa personnalité féminine au-delà du rapport sexuel,
contrairement aux autres « femmes-sexuel » qui étaient l’objet de leurs
discours (p.14). Aussi, la convocation, plus loin, des jeux d’attouchement
érotique jusqu’à la jouissance qu’elle mène avec certains de ses partenaires
(sans pénétration), sa frigidité avec les hommes ou ses pratiques
homosexuelles jouissives, amplifie-t-elle l’idée d’une intériorisation

155
psychique paradoxale d’un double sexe, du mythe de la bisexualité selon celui
que livrent certains aspects du mythe d’Hermaphrodite.
En effet, s’institue un espace de représentation intrapsychique sous le
couvert d’un langage fort encodé renvoyant au mythe d’Hermaphrodite. Elle
semble se prolonger de manière inconsciente dans l’image d’Hermaphrodite
qui réunit à la fois les deux sexes sans pour autant appartenir exclusivement à
l’un ou l’autre. Toutefois ici, c’est Dior qui possède les corps de ceux qui
s’aventurent dans « ses eaux » et en modifient les caractéristiques sexuelles.
L’écho de l’inconscient de cet épisode se lirait dans la possibilité d’une
présence d’un troisième sexe chez la narratrice qui garantirait sa spécificité
générique/sexuelle dans un contexte d’échanges fantasmatiques avec ces
hommes qu’elle possède non seulement avec force mais aussi avec la force de
ses charmes et qu’elle dénature au final.
Cet entre-deux de quasi-fusion des sexes s’expliquerait par une mauvaise
résolution du complexe d’Œdipe chez la narratrice. La figure d’Œdipe semble
spécifier l’image de Dior dans ce récit. En effet, la théorie du complexe
d’Œdipe éclaire les possibilités interprétatives de la situation de l’état
psychique complexe de la narratrice. En effet, le complexe d’Œdipe révèle
l’un des fondements de la structuration du Sujet et de ses orientations
sexuelles. Spécifiée sous deux formes (l’une positive et l’autre négative), « la
légende (ou complexe) d’Œdipe est issue d’une matière de rêves archaïques
(uralt) et a pour contenu la perturbation pénible des relations avec les parents,
perturbation due aux premières impulsions sexuelles202 » affirme Sigmund
Freud. Sous sa forme positive, le complexe d’Œdipe rend compte du conflit
entre le désir et l’interdit chez le garçon dès l’enfance à travers l’élan sexuel
porté vers sa mère et la « haine » éprouvée pour le père. Toutefois, sous une
forme inversée, son exacerbation provoque chez l’enfant (garçon) une attitude
féminine (amoureuse) envers le père et le rend jaloux de sa mère.
Le constat est qu’il y a chez Dior une structuration œdipienne assez
complexe. Si d’entrée, l’attachement de la narratrice à son père et au frère (les
hommes à elle), indique une forme positive de l’Œdipe, l’on est dérouté par
les effets implicites d’une telle situation à la lumière du processus de
castration symbolique qui s’y joue. Les figures parentales masculines
semblent se vider de leur virilité dans une logique de renversement,
d’inversion des positions. Le titre Mes hommes à moi du récit, en effet,
pourrait bien s’entendre comme une possession de nature exclusive et
sexuelle dont dispose Dior dans un fantasme de virilité masculine
polygamique. En plus, l’effet de cette castration est lisible avec la perte de la
vue dont est l’objet le père, le quasi-effacement du frère aîné dans la

156
dynamique narrative (mort symbolique) et le rapport problématique à la
maternité chez Dior. Ainsi, en même temps que la narratrice affiche une
relation oedipéenne positive avec ses parents masculins, elle s’entend
fanstasmatiquement comme Le mâle disposant d’une sorte de sérail conjugal
dans lequel père, frère aîné et à l’extrême la mère seraient les constituants.
Forme positive et négative à la fois du complexe d’Œdipe, paradoxe ou
insaisissable entre-deux, caractéristiques d’une forme inconsciente de
bisexualité.
Par ailleurs, l’emploi du cadrage psychique, dans ses démembrements
iconographiques à travers l’image de la première de couverture du texte
relance des effets de scénarisation inconsciente, de l’identification projective
de la narratrice dans une figuration mythique. À partir d’une double
dynamique de représentation du sujet et de son l’histoire, l’immédiateté de
l’objet médiatique donné à voir d’entrée de jeu indique à l’œil qu’une
représentation ou accommodation fictionnelle mythificatrice se met en place
dans le récit. À l’examen, l’image ou ce tableau artistique en dessous d’un
titre extrêmement évocateur : « Mes hommes à moi », présente une tête de
femme avec de longues tresses de cheveux insidieusement entrelacés, noués
suivant des sillons ou des formes serpentées. Le rapprochement à la figure
mythique de Méduse pourrait de la sorte créer la relance d’un discours de
l’inconscient chez le lecteur devenu contemplateur artistique, pris dans ce jeu
de perception, de représentation d’un imaginaire mythique, celui du texte.
Cette stratégie de fabulation de l’inconscient du lecteur-critique et du texte
- est d’autant plus prégnante dans la construction d’une représentation
collective de soi dans la mesure où elle annonce de façon proleptique le
contenu du Signifiant, de celle qui dit et dicte le « Je/Jeu ». Dans Mes hommes
à moi, en effet, la narratrice donne l’impression de suivre les traces
étymologiques de l’appellation « Méduse » à savoir celle qui est destinée à
« régler, protéger, régner sur ». À sa manière, elle revêt des attributs de
séductrice, charmeuse et finalement de dévoreuse d’hommes [(l’avortement
p.201, la folie et la mort d’Al et de Bocar, (p.181), le destin tragique de
l’homme que sa famille voulait qu’elle épouse (p. 194), l’annonce de la mort
d’un homme qu’elle a voulu séduire à la fin du récit)], pour la protection de
son univers, son monde à elle.
Le rapport problématique de la narratrice dans le contexte social africain
au mariage, à la maternité, le contre-discours de la phallocratie, la Castration
que subissent les hommes qui gravitent autour d’elle, le pouvoir de son regard
corporel, « sa perversion sexuelle », etc. intègrent bien l’essence du mythe de
Méduse qui rappelle entre autres, la puissance féminine, le protectionnisme

157
ou l’archétype de la femme fatale. À coup sûr, Dior apparaît comme une
femme fatale dont les attributs corporels, intellectuels et moraux ne manquent
d’affecter/infecter son entourage.
À l’avenant, l’écriture de soi s’inscrit donc psychiquement dans les limbes
de l’histoire des personnages mythiques. S’expose, de fait, une
renarrativisation hypersubjective d’un imaginaire mythique collectif. La
représentation fictionnelle de Dior, suivant ces traits mythiques mis en scène
par les différents dispositifs psychiques dans le récit confirme bien les
maniérismes de l’autofiction fantastique. En effet, cette posture fantastique
qui élit le transformisme (dans le sens théâtral du terme), l’image fabulée et
démultipliée de soi… au rang de modus operandi distinctif de l’autofiction,
relance bien l’idée de mise en parcours du « Je » dans ce récit qui évoluerait
selon différentes états ou étapes mythiques propres aux situations psychiques
du Je. Aussi, de telles configurations psychiques du « Je » problématise les
possibilités d’une individual (lisa)tion du discours dans une fiction de soi
intrinsèquement collectivisée ou socialisante.
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

158
II- Imaginaire social ou
transversalité d’une
représentation de soi
De lamise en résonance de l’inconscient du texte de Ken Bugul à partir de
l’événement de la lecture, il apparaît que l’écriture de soi ou la subjectivité
qui traverse la représentation fictionnelle de la narratrice se consolide dans les
moules d’un réseau de (con)figurations mythiques psychiques transversales.
Ces figurations mythiques inconscientes du Je narratif propulsent le récit dans
les arcades d’une scénarisation dépersonnalisée, éclatée et proprement
disparates des facettes de l’identité personnelle ou culturelle. Ainsi, les
accointances entre le personnage fictif et les traits des héros de la mythologie
grecque aux postures doubles et paradoxales participent à l’avènement d’un
nouveau Sujet féminin. Ce nouveau Sujet féminin semble avoir repris en main
l’initiative de son destin en s’appuyant sur une historicité mythique collective
de sorte à faciliter une « prototypification » de la personnalité féminine
contre-phallocratique dans la force symbolique des mythes d’hermaphrodite,
de Méduse.
De telle manière, le transformisme mythique de Dior fait d’elle une
formulation psychique de la Femme dans toute sa plénitude « féministe »
dans le contexte social africain patriarcal. L’intrication des champs
individuels, culturels africains et de celui des métarécits (dans le sens de
Lyotard) mythologiques au sein de l’écriture autofictionnelle révèle bien les
fortes pesanteurs du « Je (u) » d’un inconscient collectif, ce point d’ancrage
de l’imaginaire social sur une écriture qui tente aux forceps d’affirmer son
individualité.
À l’évidence, le sujet tendrait à chaque tentative à collectiviser sa
subjectivité. Elle joue à substituer son Moi, si ce n’est qu’à le référentialiser à
celui des figures mythiques qui sommeillent au plus profond d’elle. L’écriture
de Soi sert donc de prétexte à l’auteure pour décliner une identité qu’elle sait
trans-individuelle, hybride et qui dépassent sa seule réalité subjective pour se
loger dans la sphère du discours social. Une telle esthétisation du récit
autofictionnel rend compte de la dynamique des genres que Josias Semujanga
décryptait dans le roman africain contemporain de sorte à plaider pour une
approche transculturelle du texte romanesque par la mise en relation et en
lecture des œuvres nationales dans le cadre de la macro-sémiotique

159
internationale.
Finalement, la réécriture psychanalytique du “Jeˮ postule un être féminin à
l’identité liquéfiée, fragile, multiple et décomposée. Cette nouvelle
configuration de l’identité installerait une sorte de Macro-identité constituée
de plusieurs Micro-identités qui toutes, permettent paradoxalement de
déconstruire et de reconstruire le Vrai-self auctorial. En supprimer une ou
deux fausserait donc une représentation plus ou moins fiable du Sujet féminin
individuel par essence, social.
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160
Conclusion
En définitive, on retiendra à la suite de Paul Ricœur203, que l’identité ne
pourrait se saisir en marge de l’ipséité. Le Je étant avant tout un Autre, une
représentation collective d’une individualité qui tenterait de maintenir une
absente présence, c’est-à-dire un passé, un souvenir sur soi qui ne pourra
jamais ressembler à sa formulation première. Amplifiée sous le regard de
l’analyse psychanalytique, la réécriture du Je autofictionnel grâce à
l’événement de la lecture, qu’elle soit spéculaire, biographique ou fantastique,
martèle la complexité ou les apories d’une mise en scène littéraire proprement
autonome du Je. Les figurations mythiques psychiques de Dior dans le récit
de Ken Bugul, en plus de convoquer un inconscient spécifique à l’univers de
la narratrice, réactualise fort diffusément un inconscient collectif. De fait, il
advient que la prégnance du discours social, de la parole collective semble
déterminer, à l’excès, le discours de la narratrice, quoiqu’il affiche sa
spécificité individuelle, personnelle. Au demeurant, Je ne serait que tout
simplement qu’un rapiéçage de subjectivités issu de l’Autre, de sa
Bibliothèque, d’un imaginaire social… de plus en plus globalisé et
universalisé.
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

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Bibliographie
Œuvre étudiée
Ken Bugul, Mes hommes à moi, Paris, Présence africaine, 2008
Ouvrages et articles cités
BELLEMIN-NOËL Jean, Psychanalyse et littérature , Paris, PUF, 2002
COULIBALY Adama, - « La romancière fictive et la quête du récit :
l’exemple de La mémoire amputée de Werewere Liking et Si Dieu me
demande, dites-lui que je dors de Sandrine Bessora », Je (ux) narratif(s)
dans le roman africain , TRO DEHO (Roger) et alii (dir.), Paris,
L’Harmattan, 2013, pp. 15-42.
- « Formes autofictionnelles ou “écritures du silence” chez les romancières
de l’Afrique francophone noire » Historiographie du féminin : Formes
représentations, Afrique et diaspora, Revue Baobab, juillet 2008, pp. 33-
48.
FREUD Sigmund , L’interprétation des rêves , Paris, PUF, 1971
(nouvelle édition révisée).
HAREL Simon, Le voleur de parcours. Identité et cosmopolitisme
dans la littérature québécoise contemporaine, Montréal, XYZ éditeur,
1999.
KLEIN Mélanie, « Notes on some Schizoïd mechanisms »,
Developments in psychoanalysis, London, 1946.
Le Dictionnaire des mythes littéraires , Paris, Éditions Rocher, 1988.
RICŒUR Paul, Soi-même comme un autre , Paris, Seuil, 1990.

Chapitre 10. Imaginaire et monogamie héroïque :


vers une société contemporaine des héros–
canailles Boadi Ano Désiré
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

162
Résumé :
La présente contribution explique les déviationnismes et les excèsattachés
à l’exploitation de l’imaginaire social dans les sociétés contemporaines,
particulièrement celui référant à la figure du héros. Fondée sur la mobilité
historique et lavitalité de l’imaginaire social, l’étude évalue son activité
performative à cette époque contemporaine et procède à une expertise de la
marge d’asservissement des consciences individuelles et collectives. Elle
montre comment le riche magma des images et des représentations, des
clichés et des symboles, des allégories et des allusions, des idées et des
convictions, des pensées et des certitudes, des croyances et des mentalités, qui
sont l’émanation de l’imaginaire social, concourent à l’auto-projection du
sujet social dans un modèle héroïque extrême. L’identification à un graal
héroïque virtuel pivote en une auto-déréalisation spectatorielle,
démonstrative, expansive, narcissique, aberrante et dangereuse que l’éthique
morale est impuissante à absoudre. Au total, la société en déclin est absorbée
par nombre de franchises idéologiques, identitaires, mystiques et démentielles
qui ouvrent la voie royale à l’inflation des héros-canailles.
Mots-clés : Imaginaire social, héros, asservissement, images,
représentations, héros-canailles
Introduction
Les défis, les échecs et les plus grandes folies de l’humanité en termes de
réalisations, de productions, de consommations ou d’idéologies prospèrent
depuis de longs siècles, gouvernés par une logique d’inventivité constante et
d’efforts ardus. Au principe de cette inclination développementaliste et
anthropogène, se situe la fertilité de l’imaginaire social. Si la pensée précède
l’action, la matière, la technologie et la science, il est une évidence que
l’imaginaire social porte la pensée, l’anime, la nourrit, lui donne forme, force
et impulsion.
L’approche fondatrice de Cornélius Castoriadis204 assimile l’imaginaire
social à un réservoir de perceptions propres à un groupe social, à un magma
de significations sociales que l’on allie à la capacité d’imagination d’une
communauté, d’un sujet social à une époque bien précise. Elle réfère à la
faculté de reproduire des images205, d’édifier des représentations provenant
illico des sens, du fonds mémoriel et culturel de l’homme, ou encore, elle
renvoie à l’aptitude à combiner des images virtuelles ayant rapport à un
référencement culturel ou spirituel, à un symbole idéologique ou cognitif, à

163
une vertu morale ou religieuse, à une figure sociale, épique, historique ou
politique.
Le mode opératoire s’assigne la représentation-substitution d’une matière,
un objet ou une figure, par un autre objet ou figure qui rend systématiquement
plus observable, plus lisible et plus accessible l’objet ou la figure soumise à
l’imagination, à l’esprit. Appliqué au groupe social, l’imaginaire informe une
vision commune des choses qui gouverne les pensées et imprègne la vie
psychique, inférant une façon d’analyser, une manière de comprendre et
d’interpréter l’existence, la réalité, voire les modèles, les valeurs, tel le héros
ou l’héroïsme, etc. Sur cette question particulière de l’héroïté, il est acquis
que l’héroïsmes’affilie à la praxisdonts’accommode l’imaginaire social dans
son fonctionnement psychique, embrassant manifestement les prérequis
identitaires et les motifs doxiques de l’odyssée glorieuse. Or, au fil des
siècles, et selon les sociétés - les sociétés actuelles de consommations - dont
les valeurs sont relativement variables les unes des autres, l’on observe que la
morale s’essouffle à bloquer les excès et les traumatismes que des sujets
sociaux inventent et alimentent à partir de la matière brute et de fantasmes
qu’ils épuisent sans limite du fait de l’allocentrisme de l’imaginaire.
L’imaginaire social épouse, dans un tel contexte de renversement des
normes et des mœurs, la perspective que développe Paul Ricœur206, appuyant
les réserves formulées par Cornélius Castoriadis. Cet angle de vue induit,
selon Ricœur, une dialectique de l’innovation, fondée sur le principe
d’adaptation au milieu, à l’époque. Castoriadis soulignait déjà que
l’imaginaire social s’inscrivait dans une logique de création incessante,
indéterminée, dynamique, évolutive ; rien n’est figé, ni définitif. Cette
modularité et cette mobilité aliéneraient toutefois la portée et la puissance
créatrice de l’imaginaire social dont la plus-value serait à cette époque
actuelle moins prégnante au regard des corruptions et des compromissions
liées à une instrumentalisation soupçonneuse. Pour exemple, l’imaginaire
social du héros semble poser problème. L’idée de héros à cette époque
contemporaine, selon l’orientation permissive et pernicieuse qu’elle dicterait
aux consciences individuelles et collectives, s’affecterait en effet d’une
sémantique et des images hallucinantes dont la présente contribution interroge
l’intelligence, les malices, les vices et les préjudices. Elle montrera, sous une
lecture sociocritique, comment l’imaginaire du héros met à nu les
déviationnismes et les utopies que cautionne à notre époque l’imaginaire
social dans son déploiement factuel.
I – Le héros ou l’imaginaire doxique de la pureté et d l’absolu

164
Si l’on part de l’hypothèse que l’imaginaire social est assidu à sa filiation
aristotélicienne qui le pose comme espace imaginaire se situant au-delà des
sphères de la réalité objective, il tient sa substance définitionnelle et cognitive
en sa faculté de représenter, d’inventer ou de créer des objets par la pensée.
Du latin “imaginatio”, il renvoie en effet à l’imagination reproductive ou à
l’imagination créatrice. Cette imagination active se déploie à partir de son
aptitude à construire des données formées par l’esprit. En d’autres termes,
l’imaginaire social est le fruit de l’imagination d’un individu, d’un groupe,
d’une société. La raison humaine incline, du reste, l’imaginaire social à un
retranchement, une assimilation, une dissociation et à une reconstruction des
images que lui concède le réel. Le verdict de Gilbert Durand est instructif. Il
conforte l’angle de vue de cette approche. Durand lie l’imaginaire social à
« l’ensemble des images qui constituent (…) la pensée humaine »207.
L’Encyclopaedia Universalis208 est plus concise et affecte à ce fond
magmatique des composantes organiques, tels les mythes, les croyances
cosmiques, les pratiques religieuses, les mentalités, les utopies qui génèrent
des significations et animent la vie publique. Ce qui explique la forte
implication des historiens du culturel, des sociologues et anthropologues de
l’imaginaire sur cette question spécifique et, principalement, le
positionnement de l’imaginaire social au cœur des théories de l’histoire et des
sociétés et aussi des systèmes du langage et des représentations.
À l’évaluation des clichés, des verdicts, des tableaux, des portraits, des
mythes, des croyances, des mœurs, des allégories et des symboles que la
raison emboîte dans les mémoires sous forme d’imaginaire, le héros
s’approprie une figure lumineuse, une image rayonnante, une aura sublime.
Saisi sous cette perspective radieuse que l’on fonde sur un idéalisme sans
limite, l’imaginaire social du héros est sans surprise. L’imaginaire est dit, par
conséquent, conventionnel, inné, infus, spontané. L’idée voire l’image est
donnée a priori, la représentation est prédéfinie, la figure est fixée solidement
dans l’arrière-fond de l’esprit. Plus précisément, le héros est assimilé à un
grand homme doté de qualités d’expériences, d’endurance et de fermeté. Ses
actions supérieures, hors de l’ordre commun, sont évaluées pour leur grandeur
propre et leur résonance transhistorique. Le héros soumet le destin, domine
les contingences, combat les pires déterminismes, anéantit les conjonctures et
les fatalismes les plus sévères. Le héros s’assigne en définitive un imaginaire
social soyeux, élogieux, édifiant et enchanteur.
L’imaginaire social du héros, pris sous cette acception, conforte la position
de Karl Marx.Marx fait remarquer, en particulier dans ses travaux sur la vie
politique de son époque, “le poids très lourd” que sont les traditions et mœurs

165
anciennes pendant les révolutions populaires. Il souligne précisément dans Le
18 Brumaire de Louis Bonaparte209 (1852) que les combattants jacobins
s’assimilaient aux héros preux de la Rome Antique. Ils copiaient leur style et
calquaient leur modèle. Dans L’éthique protestante et l’esprit du
capitalisme210 (1904-1905), Max Weber force le trait. Il pose le principe que
la croyance calviniste en la fatalité ou en la prédestination a fondé une
philosophie novatrice de la morale sociale, de la production et des relations
humaines par la culture d’une mystique de l’effort et de la sublimation. Ce qui
procède notoirement de l’imaginaire social de l’héroïsme, vu comme
symbolique de la pureté et de l’absolu. Dans Les forces élémentaires de la vie
religieuse (1912), Emile Durkheim211 montre en outre combien l’intelligence
et la foi prennent leurs racines dans les structures sociales et contribuent à
l’accomplissement de l’homme, à son adhésion aux symboles et aux meilleurs
repères. L’imaginaire social du héros traverse donc toutes les sociétés et
toutes les époques au point de s’offrir aujourd’hui une jouvence retentissante
et problématique.
II – De l’embompoint des super-héros romanesques, médiatiques et
filmiques
Le héros bénéficie d’une solide assise dans l’imaginaire populaire et
s’affecte une présence quasi obsédante dans les psychés. L’essence que
l’imaginaire populaire assigne de facto à la figure héroïque inspire aux
romanciers, artistes et scénaristes un choix programmatique dont le principe
est d’attribuer à un acteur privilégié des performances et des actions héroïques
incroyables. Une submersion de marques élogieuses informe une entité
homérique dont on attend qu’il capte les regards, captive l’attention,
cristallise les rêves et les leurres.
La représentation du héros est, dans ce cas de figure, exquise, soutenue et
expansive. La charge, l’acuité et la somptuosité des traits valorisants lui
confèrent une perfection sublime, c’est-à-dire, une cohérence aboutie. Cette
harmonie parfaite émancipe peu ou prou le sujet lambda de toutes les laideurs,
échecs ou torpeurs, du moins en apparence, le temps d’une lecture, d’une télé-
réalité, d’une projection filmique… Aussi, les sujets sociaux ressentent moins
cette espèce de nausée, de déception ou de fatalité du déclin qui entache les
sociétés actuelles. Le héros comble virtuellement la soif d’idéal, la passion de
souveraineté de l’homme. Il lui offre en théorie le bonheur d’un paradis
terrestre possible, concevable. Le plaisir est vif et la délectation est
thérapeutique. Le héros sublime fonctionne comme un nirvana magique, un
élixir redoutable, créant du coup les conditions d’une échappée hors des

166
sphères de la médiocrité, des affres et des déboires. Au bout du compte, les
excès et la démiurgie du créateur génèrent une espèce de scénarisation de la
transcendance, une sorte de théâtralisation d’un modèle social, d’une
référence morale. Au regard de ces apparats d’escorte chevillés à leurs pics,
les super-héros de romans, de téléfilms ou de cinéma constituent par ce seul
fait un point de rencontre torride, attractif et fertile entre « l’imaginaire et la
réalité »212.
Conçus dans le prolongement et la tradition des héros célèbres ou
mythiques, tels Homère, Hippocrate, Léonidas, Sophocle et Démocrite, « Les
super-héros contemporains ont, selon Geneviève Djénati, quelque chose de -
plus : un super pouvoir »213 à l’appui duquel « Ils ont conquis l’imaginaire
des hommes »214. Cette situation explique aujourd’hui la prise en otage des
structures mentales par l’héroïque, d’où la monomanie. Aurélien Fouillet,
dans une brillante étude sur la question, rappelle à toutes les souvenances
« Dédale et Batman »215. Les super-héros abondent. L’on peut citer pêle-mêle
des icônes comme Django, Zorro, Ali Baba, Tintin, Candy, Terminator,
Superman, Spiderman, etc. Ils tiennent l’échafaud des braves et une essence
infaillible. Le roman africain peut se vanter de promouvoir des héros de cette
loge et de cette rage. Pour exemple, à titre non exhaustif, des héros comme
Abena, Jo-le-Jongleur, respectivement dans Perpétue et l’habitude du
malheur et Remember Ruben de Mongo Béti, rejoignent le personnage de
Martial dont la vampirisation épique et la cruauté vengeresse dans La vie et
demie rappellent la puissance vendettale d’un Rambo déchaîné et intraitable.
Au vu de cette invasion fictionnelle par la chose héroïque, les plus jeunes
sont les plus vulnérables, car moins outillés pour filtrer les excès, dompter les
mensonges, absoudre les aberrations, amoindrir les apparences et les vices du
virtuel. Les sports collectifs, un des piliers de la société actuelle de
consommation, par exemple, exploitent outrageusement ces images de
gagneurs voraces et forts qui incitent à l’identification aux super-héros. Les
publicistes leur emboîtent le pas et affectent à leurs produits le parfum du
spectaculaire, du fanatisme et des mirages. Tout ce dispositif favorise un fort
capital d’assimilation, d’identification à un modèle héroïque extrême, source
de toutes les déviances et de toutes les folies.
III. Héroïsme virtuel, héroïsme extrême et stabilisation des crapules
En plus d’être au cœur d’un système de consommation, de loisirs et de
compétitions, le monde contemporain porte les motifs d’une société du regard
et du paraître. Tout semble porté sur le regardé, le valorisé, l’attrayant, le
captivant. Ce qui explique que l’imaginaire social du héros soit toujours aussi

167
actif et vivace. L’on comprend davantage l’attirance naturelle et l’adhésion
spontanée à l’inflation des super-héros. L’héroïsme est, d’instinct,
omniprésent dans les structures mentales puisqu’il colle parfaitement, du
moins dans le principe, aux contraintes officieuses de cette époque où les
apparences et le virtuel sont dominants et surdimensionnés.

Il est toutefois important de souligner que la société actuelle est


terriblement exigeante, jugeant, évaluant, sanctionnant et condamnant sans
état d’âme les sujets sociaux au prorata de leurs performances dans une arène
cruelle et difficile. L’homme est face à lui-même dans une espèce de solitude
tourmentée dont la seule véritable échappatoire est de résoudre hardiment les
problèmes au quotidien. Aussi, les imaginaires de l’héroïté bouillonnent et
matraquent les structures mentales.

Dans un tel contexte, les lignes bougent forcément. Pour Pierre Ansart, «
Les sociétés contemporaines ne cessent donc de reproduire aujourd’hui des
formes diverses d’imaginaire social (…) dans les domaines de la
consommation et des loisirs » 216 . Freud a initié, dès 1920, une théorie de
l’inconscient qui ajoute aux travaux sur la sociologie des imaginaires sociaux.
Son étude interroge les racines inconscientes et les conflits psychiques « qui
sont à l’origine, par exemple, des identifications à un chef politique » 217 .

Sur cet aspect précis de l’imaginaire, Paul Ricœur 218 développe le concept
de dialectique de l’innovation, Guillaume Pinson 219 évoque une mise en récit
référé à un stade précis de l’histoire et Cornélius Castoriadis 220 parle de
création incessante ou indéterminée. Ils se rejoignent quant à la capacité de
l’imaginaire à être mis en contexte, à être ajusté selon les époques, les
sociétés et les crises. L’imaginaire social conforte donc sa flexibilité
contingente, « sa factualité historique » 221 , sa forme évolutive 222 voire
modulable, son élasticité, sa mobilité accidentogène, « son déplacement » 223 ,
son ajustement potentiel que l’on réduit à un mécanisme de
construction/déconstruction. Pierre Popovic précise en outre que «
L’imaginaire social est composé d’ensembles interactifs de représentations
corrélées, organisées en fictions latentes, sans cesse recomposées par des
propos, des textes, des chromos et des images, des discours ou des œuvres
d’art » 224 .

168
Pour Philippe Corcuff, « Ce déplacement historique apparaît en
connivence avec la marchandisation et la spectacularisation de nos sociétés
néo-capitalistes » 225 , rejoignant par conséquent Victor Hugo dans une
fameuse invitation à l’innovation, au dépassement, à la rupture avec les
conservatismes. Selon Hugo, en effet, « Il faut modifier les mœurs » 226 ,
donc revisiter les imaginaires. Aussi, de l’avis de Philippe Corcuff, « Le mot
héros est mis à toutes les sauces et est omniprésent dans la vie actuelle » 227 ,
une existence arrimée autant « à la logique de la spectacularisation
marchande » 228 , qu’à « l’idéalisation narcissique » 229 . L’imaginaire social
devient « (…) ce rêve éveillé que les membres d’une société se font à partir de
ce qu’ils voient, lisent, entendent, et qui leur sert, selon Popovic, de matériau
et d’horizon de référence pour tenter d’appréhender, d’évaluer et de
comprendre ce qu’ils vivent (…) » 230 .

Du coup, l’identification à une figure héroïque est plus accentuée. Du statut


de modèle ou de référence, les hommes tirent toutefois de l’imaginaire du
héros, spécialement ce qui attire, simplement ce qui est regardé, ce qui leur
permet de briller, d’être au sommet, même indépendamment de la morale.
L’idée de héros, en effet, n’est plus soumise obligatoirement,
systématiquement à l’arbitrage de la vertu. Dans l’esprit, le héros reste
notamment le point de mire, prioritairement celui que tous contemplent ou
convoitent, même si la morale est dorénavant très peu austère. Christophe
Lasch soulignait, dans son ouvrage intitulé La culture du narcissisme, « un
déplacement du culte du héros vers la fascination narcissique pour la
célébrité » 231 . André Malraux parle de « schèmes de vie célèbres qui
dirigent les hommes (…) et les dominent » 232 , tant le mot héros est
aujourd’hui usé jusqu’à la corde et en même temps confronté à sa face
obscure. L’héroïsme est adoubé par des individus qui n’ont de commun que le
fait exclusif de se retrouver vaille que vaille en haut de listes des célébrités, à
la une des médias. Malraux y voit une sorte de « (…) démence qui se
contemple » 233 . Corcuff explique que « Notre situation historique introduit
la possibilité d’une autre figure, où l’héroïsme serait traversé par des
fragilités ». 234

La permissivité participe notamment des largesses de l’imaginaire du héros


et engendre toutefois des héros imposteurs, des faux-héros accrochés au

169
privilège du succès, au folklore du glorieux, aux passe-droits du paraître et à
cette forme de dérogation spéciale qui crée les conditions d’une célébration
publique démonstrative fondée sur un auditorium à très fort suffrage.
L’imaginaire de l’héroïque s’aliène de ce fait dans le prisme de son économie
piégeuse et licencieuse. La société du spectacle et du paraître privilégie les
apparences à la réalité de l’être et tend toujours vers une spectacularisation
des actes sociaux et des relations humaines. La mise en spectacle est fondée
sur ce que Michel Maffesoli nomme, dans L’Instinct éternel , « les
mythologèmes des héros » 235 .

L’imaginaire populaire du héros prospère de ce fait, selon Max Weber, «


(…) dans un polythéisme des valeurs se combattant mutuellement sans
réconciliation possible » 236 . La figure du héros dont les hommes
s’approprient à cette époquela critériologie généreuse semble s’en
accommoder. Pour adhérer en effet à la farce des héros qui s’autoproclament,
des sujets sociaux sacrifient au mal, au vice. Les crapules, les crétins ou les
canailles sont célébrésau final, et prospèrent en s’offrant, sur la base du faux,
les meilleures parts du “rêve éveillé“dans cette société de la survie
quotidienne, du challenge, de la parodisation de la gloire et de la starisation
des médiocres.

Des individus infâmes dont la morale est lugubre sont applaudis, plébiscités
et protégés. Ils ne sont pas un exemple, mais l’éclat et la pyrotechnie 237 du
faux les élèvent comme l’ exemple. Les valeurs morales ayant été inversées,
le laid devient le beau, le mal passe pour le bien. Le nul est considéré comme
un héros, et l’intelligent, le sage n’émeuvent personne. Le positif est rangé
dans l’ordre de l’ordinaire, le négatif devient l’extraordinaire, à savoir, ce qui
fait l’objet de la captation collective. Ce qui est normal est moche, laid, mais
l’anormal plaît, déchaîne les passions, devient le modèle, le parangon, le
Beau.

Ces figures déjantées que la société héroïse à tort, mais à grands renforts,
s’auto-déréalisent et s’auto-projettent dans des modèles héroïques extrêmes,
des clichés désinvoltes, des préjugés ahurissants et des stéréotypes sublimés
qu’ils puisent dans leur imaginaire, leur environnement et leurs manques. La
société leur aménage des pics spectatoriels, des tribunes d’exhibition de leurs
excès et de leurs aberrations. Ils assouvissent, dans un contexte de jactance

170
poltronne et factice, des passions pernicieuses et rien n’exclut que cette folie
prenne ses racines dans la soif d’être Autre, différent, célèbre… En Côte
d’Ivoire, par exemple, ces espèces de héros-canailles pourraient être, soit ces
jeunes gens débiles et tueurs qu’on appelle microbes, soit ces jeunes de la
nouvelle génération, snobs, bouffonesques, caricaturaux et peu studieux
affidés aux nuits chaudes, au sexe bon marché, ces nombreux jeunes gens
éduqués par les médias et la rue, qui laissent poindre avec délectation leurs
caleçons souvent crasseux en public, soit encore, ceux que l’on nomme
Brouteurs … La liste est longue et il n’y a rien qui soit en vérité héroïque ou
valorisant chez eux. Ces figures odieuses constituent toutefois, une vitrine
étonnante ; ils sont les nouveaux héros, les stars des temps nouveaux dont les
affects guerriers et charnels sont maîtres dans un univers impitoyable où la
morale est en dormition, mais dont la survie interpelle l’intelligence humaine.
IV – La criminalisation de l’imaginaire social du héros
Guillaume Pinson soutient que « L’imaginaire social permet de penser la
dimension performative des représentations et les effets que les imaginaires
peuvent avoir sur les pratiques, les comportements, les manières de
s’approprier le monde et les sensibilités collectives » 238 . S’agissant en
particulier des répercussions de l’imaginaire social du héros sur les structures
mentales et la société prise sous une perspective globale, Corcuff pousse son
désarroi à un niveau extrême. « Y a-t-il encore une place pour des héros en
ce début de 21 ème siècle, où tout se dissout inéluctablement dans un magma
informe, où aucune valeur ne pourrait surnager ? » 239 , s’interroge-t-il.

La diabolie 240 , au sens où l’entend Paulin Koléa Zigui, règne en maître et


la morale n’illumine plus La trajectoire du héros. La société s’accommode en
définitive, selon Philippe Corcuff, à « (…) un héroïsme qui flirte avec la
figure de l’anti-héros, apparaît moins divin, plus laïcisé, plus humain, plus
ordinaire, davantage à notre portée d’être contradictoire, voire ambigus. Un
héroïsme qui garde ses repères éthiques (…), mais qui n’obéit plus à des
commandements moraux intangibles, (…) un héroïsme de la fragilité pourvu
de transcendances relatives (dangereuses même), à distance de l’héroïsme de
l’absolu et de la pureté » 241 . Cette pratique de l’héroïté accroît les déviances
morales auxquelles on donne des couleurs joyeuses, radieuses ; les fanatismes
enflent le déséquilibre mental, la déréalisation du quotidien tragique et la
corruption de l’intelligence donnent vie au déchaînement des passions les plus
hardies, à l’irréligion, à l’individualisation des mœurs, au quiétisme 242 , à la
flamme sans discernement pour tout ce qui brille, à l’émergence d’une sorte

171
de virilisme guerrier dépassé, vieux jeu. La fracture psychique, psychologique
et sociale est si prononcée que les fondamentalismes identitaires sont aigus
voire obscurs, des spiritualités ténébreuses le disputent à l’inflation des
paradis virtuels où trônent des gourous héroïsés, des déments idolâtrés, des
crapules vénérés.

Le monde actuel est ainsi inscrit dans une marche à l’envers, à rebrousse-
poil. Le mal, le licencieux et l’inconcevable se musclent, s’offrent la force et
la tutelle d’un hégémonisme castrateur. Les médiocrités vampirisent les
énergies et les ardeurs. Les convictions positives sont dissoutes. Le “socios”,
au total, se décompose et s’écroule sous le poids de la délégitimation de la
symbolique héroïque.
Conclusion
Porté par sa mobilité, sa vitalité et sa fécondité, l’imaginaire social endosse
une activité performative importante au vu de son impact sur les sociétés et
les êtres humains dans leur évolution. Appliqué à la notion de héros dont il
avalise les prérequis doxiques et les réquisits traditionnels, le concept
d’imaginaire social appelle à cette époque actuelle des soupçons légitimes. Le
fond magmatique constitué d’images, de représentations, de clichés, de récits,
de mythes, de croyances, d’allégories et de souvenirs qui réfèrent à l’héroïque
dévoile la perfidie et la corruption attachées à son économie. S’appropriant la
nature transcendante innée de l’héroïté et son positionnement dans les cimes,
des sujets sociaux s’échinent à assujettir, à asservir l’imaginaire héroïque à
une fin d’élévation narcissique et de starisation spectatorielle. Ils allient
identification démonstrative, auto-déréalisation magique, héroïsation extrême
et succès virtuel, participant ainsi à la tragédie d’une société dont la morale a
rendu le tablier. Cette société décadente est en définitive prise en otage par le
surgissement de héros-canailles en extase qui se délectent avec gourmandise
de cette sorte de resémantisation de l’héroïque, de renversement des valeurs et
de perdition collective. Pour Odile Faliu et Marc Tourret, le besoin est grand
de « (…) de dissocier le concept de héros de ses incarnations actuelles » 243
et, essentiellement, de restituer à son image la force ou l’illumination de l’
ethos épique dont l’autorité redonnera vie à la vie.
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Troisième axe Crise de l’institution

Chapitre 11. L’imaginaire social dans les


créations théâtrales de quelques auteurs
africains : représentation d’un monde de cruauté
Armand Boli Lobli
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

174
Résumé
Bernard Binlin Dadié, Alexandre Kum’a N’dumbe III, Sony Labou Tansi,
Yacine Kateb, Koffi Kwahulé et Kossi Efoui, accordent à l’imaginaire social
une représentation négative. Ils se servent de procédés théâtraux et non
théâtraux montrant les « représentations du monde » comme des images, des
actions, des événements symboliques oumythiquesqui concourent à la
présentification d’un univers de cruauté. Ils y parviennent à travers diverses
modalités d’écriture dont les plus manifestes sont : la technique de théâtre
dans le théâtre, l’écriture de synthèse, la mécanisation des actes et des paroles
des personnages, le recours à des styles journalistiques et policiers mêlés à un
montage de monologues, l’amplification de l’interview combinée au
reportage journalistique. Par ces diverses modalités d’écriture, ils représentent
comment s’instituent et évoluent les rapports des personnages aux autres,
ainsi qu’à leur univers. Les auteurs dramatiques dévoilent des mécanismes
historiques, mais aussi non historiques, débouchant sur la
construction/déconstruction de mythes erronés, l’illusion/dénégation d’une
réalité cannibale. En dernier ressort, ils théâtralisent l’imaginaire social, de
telle manière qu’ils révèlent la fracture et le rejet d’un monde sous l’emprise
du mal.
Mots-clés : Imaginaire social – Écriture théâtrale- Monde de cruauté –
Esthétique de synthèse – Technique journalistique
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

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Introduction
Des écrivains dramatiques africains244 accordent une place de choix à
l’imaginaire social pour montrer comment la société semble être. Ils
suggèrent à leurs publics des réponses aux questions qu’ils se posent souvent,
en vue de comprendre leurs rapports au présent, à l’histoire, au devenir d’une
société. Ils font du théâtre un moyen par lequel les lecteurs-spectateurs
(re)découvrent les significations de phénomènes intelligibles ou sensibles,
puis accèdent à une nouvelle compréhension du monde. Ils les invitent, en
fait, à une (re)lecture des événements sociaux par la mise en scène de
l’imaginaire social.
Pour certains critiques, ce groupe de mots réfère à une somme d’images
aussi contradictoires que changeantes, positives et/ou négatives, inscrites dans
le psychisme d’une collectivité. Pour Pierre Maranda, par exemple :
« L’imaginaire est le lieu de la vie régressée et anticipée. On y voit des
expériences mal digérées. On y expérimente des possibilités nouvelles. Le
cauchemar et le rêve s’y ébattent. On y frémit dans l’horreur ou s’y vautre
d’aise. La peur et l’extase en sont les pôles »245. Selon d’autres critiques,
l’imaginaire social acquiert un sens beaucoup plus détaillé et précis. Aussi,
pour éviter la confusion, quant à son approche sémantique, Jean-Dominique
Robert entend-il : « mettre en lumière quelques faits saillants et certaines
« thèses » […] relatifs à ce qui est, intrinsèquement, fruit de l’imaginaire, à
savoir : le symbolique et le mythique, dans ce qu’ils ont de spécifique et
d’irréductible à tout autre moyen de saisie du « réel », tels : la simple
perception, […] le concept, le signe, l’archétype »246. En vue de soutenir ses
arguments, il explique que le symbolique et le mythique relèvent « de modes
de « connaissances indirectes », quand l’archétype, le signe, l’emblème, etc.
appartiennent aux « modes de connaissances directes ».247 Pour sa part,
Gagnon Alex définit l’imaginaire social comme un processus dynamique
relatif à l’ensemble des « représentations du monde », mettant notamment en
lien les individus avec l’espace social et l’univers métaphysique par rapport
auquel ils se situent ici et maintenant :

Les représentations du monde relèvent, écrit-il, en tant que telles, de ce que j’appelle (…)
l’imaginaire social, qui constitue pour sa part l’ensemble plus ou moins stable et durable,
continuellement soumis aux transformations historiques, de ces représentations sociales à partir
desquelles les individus qui composent une société se représentent ce qu’ils sont et ce que sont et
devraient être les autres qui les entourent, les institutions qui les gouvernent, la société dans
laquelle ils vivent, le passé qui les précède, l’avenir qui n’existe pas encore et, enfin, l’univers

176
global et naturel dans lequel ils s’inscrivent248.

Gagnon Alex élargit ainsi le champ de la définition de l’imaginaire social


en l’assimilant à des « représentations du monde », peu importe qu’elles
expriment indirectement, voire directement l’espace intérieur d’individus qui
se projettent dans l’avenir, revivent le passé, ou qu’elles rendent compte de
mécanismes de changement, de production historico-économique et
institutionnel. Dans les textes examinés, l’imaginaire social apparaît comme
la reproduction d’un monde où les pratiques et les comportements des
catégories sociales respirent la cruauté. Celle-ci procède d’actions directes ou
indirectes d’un individu ou d’un groupe individus qui fait souffrir l’autre.
C’est pourquoi, Frédéric Côté-Boudreau la conçoit ainsi :

On pense qu’agir avec cruauté, c’est agir avec l’intention de faire du mal. La cruauté serait
synonyme de sadisme : il faut vouloir torturer, tuer, déposséder ou humilier. Voire y prendre
plaisir… On peut être cruel lorsque, en toute connaissance de cause, on laisse faire du mal-être
fait à quelqu’un et qu’on décide de ne pas intervenir ou qu’on fait du mal à quelqu’un alors qu’on
pourrait l’éviter249.

Cette approche de la notion de cruauté nous aide à préciser que


l’imaginaire social est un ensemble de représentations sociales et collectives
dominées par le mal250. L’on se demande toutefois si les modalités d’écriture
donnant forme et sens à cet ensemble de représentations, permettent de
confirmer une telle approche. Notre réponse montrera que l’imaginaire social
structuré par la cruauté, fait l’objet d’une théâtralisation mettant en évidence
des pratiques malsaines. Elle se propose de l’explorer comme l’expression de
la fracture d’un monde cruel rejeté.
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177
I - L’imaginaire social, un
ensemble de représentations
structurées par la cruauté
Des écrivains dramatiques africains composent, décomposent des fables,
quand ils ne recomposent pas des figures symboliques ou mythiques. Ils les
inscrivent dans des cadres spatio-temporels où des gestes, des actions, à
l’instar des événements, restent autant de signes qui inspirent des univers
intrapsychiques et extra-textuels, des pratiques socio-discursives et
historiques structurées aussi bien par la violence que par des actes
transgressifs.
Les seuils de certaines pièces annoncent déjà, soit par des intitulés
métaphoriques, soit par des titres thématiques, les faits de cruauté que la
fiction théâtrale dépeint. Par exemple, Cannibalisme d’Alexandre Kum’a
N’dumbe III interpelle le lecteur-spectateur sur le sens tragique de son texte
en faisant allusion à l’objet de la fable dont le sème renvoie à l’action de
‘‘manger la chair humaine’’.La parenthèse de sang de Sony Labou Tansi et
Iles de tempête de Bernard Dadié, quant à eux, dissimulent partiellement ou
totalement le contenu de l’imaginaire social théâtralisé. Avec La parenthèse
de sang, la pratique titulaire auctoriale suggère une idée de cruauté organisant
l’espace dramatique et les relations entre les personnages, comme peut
l’insinuer le lexème ‘‘sang’’. Elle donne naissance à la syntaxe composée Iles
de tempête en référence àdes mouvements violents, peut-être à une instabilité
sociohistorique et politique à travers la métaphore de la’’tempête’’, laquelle
souffle sur des ‘‘Iles’’.
L’appréciation de chacune des fables confirme ces présuppositions. Bintou
en est un exemple. Son procès se déroule suivant des actes de cruauté et de
transgression de droit collectif, posés par une adolescente, cheffe des
‘‘Lycaons’’, un gang formé de garçons de son âge en conflit avec les
‘‘pitbulls’’, une autre bande de petits délinquants. Cette adolescente ne
respecte ni l’autorité du père, ni celle de la mère, de sa tante et de son oncle
qu’elle élimine symboliquement. Elle bafoue toutes les normes
sociopolitiques. Mais son oncle, dans l’intention de la resocialiser, la fait
soumettre à une cruelle pratique rituelle : l’excision.
À travers son personnage, Koffi Kwahulé revisite des mythes d’enfants
rebelles tels que ceux d’Antigone et d’Oreste. Dans la Grèce antique,

178
Antigone, fille d’Œdipe, alors roi de Thèbes, mena un combat contre son
oncle Créon pour avoir refusé qu’elle inhumât son frère Polynice au nom de
la raison d’État. Créon l’a fait tuer, parce qu’elle a enfreint l’ordre public.
Agamemnon, père d’Oreste fut assassiné par Egisthe, l’amant de sa mère
Clytemnestre. Pour venger son père, le fils tua sa propre mère. Le parricide
d’Antigone et le matricide d’Oreste ont valeur d’exemples pour la société
grecque, dès lors qu’ils visent à préserver la vision collective d’une cité
homogène unie autour de principes axiologiques sacrés251. En revanche,
Koffi Kwahulé produit une version renouvelée de ces mythes en cristallisant
dans la seule attitude de Bintou, les tensions entre l’adolescente et les figures
de l’autorité que sont, tout à la fois, la mère, le père, la société. Il crée le
symbole d’une somme de révoltes menées par un personnage mineur contre
l’institution familiale, culturelle et étatique.
Les garçons du gang les ‘‘Lycaons’’, des archétypes du mal, portent des
noms révélateurs des fonctions qu’ils remplissent dans la fable : Blackout,
Terminator, Assassino, Kelkhal. Terminator, on s’en souvient, est une
réminiscence de l’appellation d’un Robotà visage humain campé, dans les
années 1980, par Arnold Schwarzenegger. Ce célèbre acteur américain perçu
dans le rôle de Terminator I et II, etc., à travers une série de films réalisés par
James Cameron, a eu pour mission de mettre un terme à l’existence de Sarah
Connor, la future mère d’un enfant pressenti comme le symbole de la
résistance des hommes au règne des machines. Pour sa part, Kelkhal est un
nom obtenu par modification de Kelkal, l’appellation d’un terroriste islamiste
d’origine algérienne (Khaled Kelkal à l’état civil), tué par balles en 1995, à la
suite d’attentats commis en France. Comme le personnage portant ce nom,
Assassino (Assassin), Blackout (terme anglais, composé de ‘‘black’’ (noir) et
‘‘out’’ (dehors, hors-la-loi)) et Terminator violent des filles, assassinent
d’autres protagonistes à coups de couteaux et de ‘‘flingue’’. Les noms des
groupes respectifs auxquels ils s’identifient, sont d’ailleurs suggestifs du
caractère instinctif de leurs pratiques criminelles. Les lycaons désignent, en
effet, des carnivores sauvages, tandis que les pitbulls ramènent à une espèce
de chiens féroces nés de divers croisements. Ces appellations éveillent ainsi le
sentiment que les personnages évoluent dans le drame comme des bêtes
carnassières. L’attirance de ces dernières pour le sang des victimes reste aussi
forte que leur propension à déstabiliser l’ordre institutionnel.
La problématique des écritures théâtrales de Bernard Dadié et de Sony
Labou Tansi, prend toute son importance au regard de cette subversion de
l’ordre institutionnel, accentuée par l’inclination des personnages au mal. Iles
de tempête en plante le décor dans une diégèse reproduisant un événement

179
historique extrêmement éprouvant pour le monde noir. Il s’agit de l’esclavage
ayant profondément marqué la conscience universelle, particulièrement la
mémoire collective haïtienne et africaine. Des protagonistes blancs,
notamment Laflamme et Durrocher porteurs, eux aussi, d’appellations
évocatrices de la bestialité des actes qu’ils posent, transforment les
personnages noirs en esclaves. Sur la scène d’un spectacle relativement
homogène, la pièce les présente comme des êtres insensibles, programmés
pour assassiner les colonisés ou pour les déposséder de leurs biens en
éprouvant du plaisir à les voir souffrir et mourir. Dès la scène 3 du premier
tableau, ils reçoivent, dans ce sens, des consignes suffisamment précises,
avant qu’ils partent pour Saint-Domingue :

L’agent recruteur (parlant aux engagés) : votre acte est un acte patriotique qui porte en lui-
même sa récompense, mais sa Majesté fera plus. Vous aurez la possibilité de faire rapidement
fortune.
Les engagés (les yeux brillants) : fortune !
L’agent recruteur : D’acquérir des terres…
Les engagés : Des terres ! Des terres à nous !
L’agent recruteur : Des terres à vous !
Les engagés : vive la colonie !
L’agent recruteur : Et pour les travailler, des terres à vous !
Les engagés : vive les colonies !

La mise en œuvre et la réussite de la mission des engagés, strictement


encadrées par une idéologie coloniale répressive, sont accompagnées de
discours qui dévoilent tour à tour des mythes comme ceux destinés à chosifier
les esclaves et à faire l’apologie de la supériorité du Blanc : « On est des
maîtres et non des esclaves », dit Mme Durrocher qui jubile à l’idée qu’elle
fait partie de la race la plus élevée de l’humanité : « Fraternité ! Je ne me vois
pas la sœur d’un nègre. Je me sentirais mal dans cette peau… Ô Dieu, merci
de m’avoir donné la couleur que j’ai, la situation que j’ai, d’avoir mis entre
moi et les autres la distance raisonnable »252.
L’imaginaire social théâtralisé par Sony Labou Tansi est arrimé à une
autre forme de mythe déshumanisant. Il se révèle au rythme de la cruauté
d’un pouvoir militaire qui commandite l’assassinat de Libertashio et de tous
les membres de sa famille. Les soldats de la capitale, personnage allégorique
de La parenthèse de sang, font des victimes en s’adossant à un prétexte
absurde, puisque la raison, la durée indéterminée de la recherche de

180
Libertashio, de même que les actes des militaires enmission commandée, sont
empreints d’irrationalité et d’incertitude. Dans une atmosphère surréaliste, les
soldats ayant reçu l’interdiction formelle d’abandonner leur investigation,
fouillent les maisons de fond en comble, fouinent dans les parties intimes des
victimes, ouvrent des tombes. Par ailleurs, ils exécutent sommairement tout
personnage, y compris leurs propres collègues, opposé à l’ordre de la
hiérarchie. Selon Marc, un des soldats de la capitale, l’ordre devant être
exécuté de manière mécanique, sans interruption, ni réflexion, il faut
impérativement éliminer tout obstacle à la quête de l’objet de désir de la
capitale : « Nous ne cherchons pas pour trouver : nous cherchons pour
chercher. (Un temps.) Si tu dis que Libertashio est mort, c’est toi qu’on tue.
Je n’ai pas envie de mourir, moi. Nous cherchons un Libertashio. Il nous en
faut un. Provisoire ou définitif, ça n’a plus d’importance. Nous finirons par
en trouver un provisoirement définitif »253. Aussi, la succession des prologues
et des soirs de La parenthèse de sang offre-t-elle une vision apocalyptique de
la vie au cours de laquelle, réprimés par un pouvoir cruel, des personnages
condamnés à mourir, entretiennent des rapports incohérents.
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II - La théâtralisation de
l’imaginaire social comme une
mise en évidence de la cruauté
L’imaginaire social est donc représenté de telle façon qu’il connote des
traumatismes collectifs. Sa mise en spectacle, résultat de techniques d’écriture
théâtrale diversifiées, renvoie la même image au lecteur-spectateur. Elle met
en évidence la représentation de douloureuses expériences sociopolitiques
exposées sous le mode ludique de la répétition mécanique des mêmes actes,
paroles et réflexions. La répétition mécanique engendre un effet comique qui
provoque sans doute le rire au sujet des pratiques robotisées, ainsi que l’être
déshumanisé des militaires en régime de violence dictatoriale. Dans une
analyse intitulée La parenthèse de sang : jeu et enjeu, Blédé Logbo explique
la mécanisation du discours, ainsi que des actes des soldats, tout en précisant
le sens comme l’identité des victimes de la répétition des gestes des
lieutenants de la capitale :

Ils (les soldats) répètent des gestes inutiles qui n’ont de sens que par la peur qu’ils infligent à
veuve Libertashio, à Martial, le neveu de Libertashio, au curé, au couple Portès, aux enfants
Libertashio et même au fou, fonctionnant comme une doublure de Libertashio, chargé de veiller
sur un des principes chers au défunt : la propreté. Cette logique automatisante fait que la répétition
du geste s’accompagne presque toujours de celle du discours254.

Dans Cannibalisme d’Alexandre Kum’a N’dumbe III, la théâtralisation de


l’imaginaire social devient le point focal du spectacle théâtral. Le lecteur-
spectateur, au lieu d’avoir affaire à un drame au sens où ce sont les actions,
les affrontements physiques qui font progresser ou stagner la fable, se
retrouve en face d’un enchaînement de scènes mettant l’accent sur la
performance des acteurs, comme les désigne expressément le scripteur. Ces
acteurs reproduisent l’histoire du colonialisme par le détour de la technique de
théâtre dans le théâtre. À la troisième séquence de la pièce, ils énoncent
explicitement eux-mêmes qu’ils font du théâtre en présence d’un public :

3e acteur : Monsieur, vous êtes sur une scène de théâtre et devant vous, un public honorable
etc.

182
1e acteur : Oh ! Merci ! Vraiment, j’allais oublier. Allons, mesdames, mesdemoiselles,
messieurs ! J’ai l’honneur de vous raconter une petite histoire. Et comme nous vivons dans une
société où les droits de chacun sont respectés, je vous demande humblement de respecter mon
droit de vous énerver.

2e acteur : Non ! Non ! Et non ! Les spectateurs ont payé leur entrée.

1e acteur : Ces gens, ils se sont dit : nous allons au théâtre aujourd’hui. Nous allons voir
comment des acteurs vont soulever de grands problèmes d’actualité. Et cela, sur une scène de
théâtre !255

Les deux séquences précédentes introduisent déjà le lecteur-spectateur sur


la scène du théâtre enchâssé en laissant les didascalies introductives signaler
que le spectacle commence par une « grande soirée dansante » et que « les
acteurs - noirs et blancs – montent sur la scène où se trouvaient déjà des
musiciens. Les acteurs dansent sur l’improvisation de l’orchestre. À tour de
rôle, ils s’avancent vers le public en dansant pour dire une phrase, un mot ou
tout simplement pour s’exprimer par un geste »256. Toutes les autres
séquences répètent des propos ponctués de gestes, de mouvements
improvisés, lesquels montrent l’évolution et la transformation des idées que
les acteurs noirs et les acteurs blancs se font les uns des autres. Mais elles
insistent particulièrement sur la dynamique du paradigme illusion/dénégation,
suivant laquelle Cannibalisme représente l’imaginaire social comme un fait
historique à la fois réel et fictionnel. C’est pour cette raison que, lorsqu’un des
acteurs noirs rompt le contrat de fiction dramatique pour s’attaquer à la réalité
de la cruauté de l’impérialisme avec des injures, le juge blanc attire très vite
son attention sur la convention théâtrale à respecter :

Le juge blanc : Pourquoi m’insultes-tu ? N’oublie quand même pas que nous jouons sur
scène. Moi, personnellement, je n’ai jamais été chez vous. Je n’ai jamais mis le pied dans votre
brousse. Je joue le rôle de colon. Rôle que vous m’avez imposé. J’avais d’ailleurs refusé. Vous
m’avez obligé. Il faut que les spectateurs le sachent. Vous voyez ? C’est vous qui m’avez imposé
un rôle. C’est vous les impérialistes257.

Avant, et même après l’appel du juge blanc au respect des principes du


théâtre imposant aux acteurs de rester essentiellement des imitateurs de la vie,
plusieurs autres appels de ce type sont entendus tout le long de la
représentation. Contrairement à Cannibalisme, L’homme aux sandales de
caoutchouc montre, par le biais d’une esthétique théâtrale de synthèse, un
imaginaire social sédimenté par les atrocités des guerres de libération, les
souffrances, les déchirements et les espoirs collectifs des peuples en lutte pour

183
leur survie. Kateb Yacine y fusionne les souvenirs de la guerre du Vietnam,
des luttes raciales d’Amérique du Sud, d’Amérique du Nord, l’holocauste
d’Hiroshima. Il focalise l’intérêt du lecteur-spectateur sur les stratégies de
combat mises en place par des troupes vietnamiennes, françaises, américaines
pour gagner la guerre. Voici, par exemple, comment le personnage Mao
expose son art militaire sous la forme d’un poème, au début de la pièce :

Mao : Quand l’ennemi avance en force,


Je bats en retraite.
Quand il s’arrête et campe,
Je le harcèle.
Quand il s’esquive, je l’attaque.
Quand il se retire,

Je le poursuis, et je le détruis258.

Les noms de révolutionnaires comme Ho Chi-Minh, Staline, Engels,


Marx, Lénine, Mao traversent L’homme aux sandales de caoutchouc pour
trahir l’intention de Kateb Yacine d’insister sur la confrontation de différentes
idéologies autour de la volonté impérialiste des États-Unis et autres grandes
puissances du monde. L’écrivain dramatique manie la satire certes contre la
guerre, mais bien plus contre ses causes politico-économiques assorties de
justifications idéologiques grâce auxquelles elle prospère. Il s’attaque, pour
être précis, à l’envahissement du monde par des personnages voulant
remplacer le communisme par le capitalisme, le nationalisme par
l’internationalisme, le bouddhisme par le christianisme, une supposée
pauvreté par une prétendue richesse, au mépris des pratiques politiques, des
croyances religieuses inséparables des modes de vie des peuples envahis.
Bintou et Récupérations éloignent le lecteur-spectateur de ces combats
idéologiques, moteurs des crises et catastrophes sociopolitiques en cours chez
Bernard Dadié, Sony Labou Tansi et Kateb Yacine. Les deux pièces
l’introduisent plutôt dans l’anecdote des relations humaines interpersonnelles
parsemées de cruauté. Koffi Kwahulé utilise des procédés dont la séquence de
son texte nommée ‘‘Jazz’’ concentre l’essentiel. Selon les indications
scéniques de ladite séquence, l’œuvre est, en effet, faite de techniques aussi
bien journalistiques que policières, mêlées à un montage de monologues :

Un terrain vague. Cette scène ressemble à une interview journalistique et à un interrogatoire

184
policier. La lumière n’éclaire que le visage de celui qui parle. Les personnages semblent répondre
à une personne dont la présence et la voix ont été coupées au montage. Il s’agit de trois
monologues prononcés à des moments différents259.

La technique journalistique constitue l’unique procédé de théâtralisation


de l’imaginaire social d’un monde cruel chez Kossi Efoui qui l’amplifie. Dans
la pièce théâtrale, pendant deux ‘‘journées’’, une journaliste épaulée par un
cameraman organise des interviews combinées à des reportages dans le cadre
d’une émission audiovisuelle connue sous l’étiquette de Récupérations.
D’après la journaliste, l’émission a pour objectif de faire entendre :

‘‘La voix’’ [des] enfants de la mort en direct, du Vietnam aux bidonvilles de Manille en passant
par l’Éthiopie et le Soudan, c’est entre nous. Nous avons été les premiers à pondre un dossier
tonitruant sur les favellas. Et nous avons rendu célèbre un poème encore inédit d’Agostino Neto
(……) Eh ! bien ça, c’est ‘‘La Voix’’. Pour toutes les urgences – tremblement de terre, éruption
volcanique, catastrophe nucléaire, marée noire - une seule adresse : ‘‘La Voix’’260.

La journaliste, en dressant le tableau des informations qu’elle diffuse


quotidiennement, indique, du même coup, les sujets sur lesquels elle travaille
avec ses invités issus de différentes couches d’une société malade de toutes
les catastrophes naturelles, sociales, politiques, humanitaires… Elle
commente, analyse et montre des événements tragiques, des faits divers
choquants, perçus selon le tempo choisi par elle et le cameraman. En
complicité avec ce dernier, elle provoque des interruptions du moteur de la
caméra, puis celles des paroles des intervenants ; elle autorise des digressions,
des adresses au public, laissant libre champ à un personnage de raconter une
histoire, à la télévision de passer brusquement une bande sans lien direct avec
le discours des personnages assis sur le plateau ; elle fait entendre enfin des
voix off pendant le spectacle. La scène de théâtre devient alors un lieu de
croisement de la fiction et de la réalité en jouant sur l’alternance de
l’information directement livrée ou volontairement différée. Elle cherche à
réaliser un fort impact sur la mémoire collective du public impliqué, de
manière brutale, dans un jeu théâtral composé de courtes séquences, ou rejeté
hors de ce jeu sans ménagement. L’on en déduit que les regardants sont
intégrés à un spectacle qui fait de la variation des points de vue sur chaque
aspect de l’imaginaire social retransmis, la règle principale de son
fonctionnement.
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III - L’imaginaire social,
expression de la fracture et du
rejet d’un monde de cruauté
Il résulte des points précédents que l’imaginaire social dans les textes
dramatiques de notre corpus, se fonde sur la diversité des techniques de
représentation théâtrale. Par le biais de ces techniques, Bernard Dadié, Sony
Labou Tansi, Kateb Yacine, Koffi Kwahulé et Kossi Efoui dévoilent des
personnages complètement pris au piège d’une forme de machinerie
spécialisée dans le broyage des êtres vivants, de telle sorte que des situations
de dérision, voire de réification de catégories sociales irriguent toutes les
scènes. Ils représentent un imaginaire social brisé, du fait qu’il reste éprouvé
par les guerres, la dictature, l’esclavage, le néocolonialisme et l’impérialisme.
Sony Labou Tansi théâtralise un monde métamorphosé avec la présence de
personnages sans volonté, ni identité, forcés à ne pas raisonner. Si les soldats,
comme l’indique le nom qu’ils portent, sont à la solde de la hiérarchie
militaire dont ils ne peuvent qu’exécuter les ordres, ils sont néanmoins dotés
d’une conscience leur permettant de comprendre les événements et de
préserver la vie humaine dans certaines circonstances. Dans La parenthèse de
sang, ils créent instinctivement le désordre, déstabilisent les civils en adoptant
des comportements de psychopathes qui provoquent la peur, l’angoisse et la
mort. Les victimes de leurs actes, Liberstashio, Yavilla, le couple Portès,
Martial, Ramana et Aleyo vivent, par conséquent, dans une situation de
déséquilibre psychologique, traduite par la difficulté qu’elles ont àfaire la
différence entre la vie et la mort. Après avoir entendu les soldats tirer des
coups de fusils, elles décrivent confusément ce qu’elles ressentent :

Yavilla : On est mort. On a été mal tué. Nous sommes dans la mort des…261
Docteur Portès : Bon ! C’est probable : ils ont dû tirer. Ils ont tiré.

Mais, je suis vivant. Ou je suis bien mort la vie ouverte262.

La peur, l’angoisse et la mort deviennent donc les conséquences de la


cruauté des lieutenants de la capitale. Martial est conscient qu’elles ont leurs
racines dans la nature de la vie, elle-même constituée de germes destructeurs
de l’humanité ; les soldats n’en demeurent que les instruments. Selon lui, en

186
effet, la destruction de la société par les sbires de la capitale révèle la logique
d’une existence dévoreuse de ses éléments constitutifs. Pour cette raison, il
affirme : « La création, toute la création est carnassière »263.
La mise en place des fondements d’une telle création débouche sur
l’avènement d’un univers plein ‘‘d’incertitude’’, ‘‘d’équivoque’’,
‘‘d’ambiguïté’’, ‘‘d’inachevé’’, comme l’estime Moussoba, un des
personnages de Koffi Kwahulé. Elle s’enracine dans une imagerie collective
qui brouille l’identité des protagonistes et les relations interpersonnelles dans
un paysage surplombé par l’anomie : la délinquance juvénile hors norme, le
meurtre gratuit, la déstabilisation des nations au nom d’ambitions
personnelles, l’asservissement des peuples par méchanceté ou volonté
d’exhiber sa supériorité, vol, viol… Moussoba conçoit, par exemple, la
France, espace dramatique de Bintou, comme un monde en implosion sous les
effets de toutes sortes d’actes hérétiques possibles. L’excision du personnage
éponyme est, pour ce personnage, un acte symbolique par lequel elle compte
mettre un terme à la confusion des identités :

Vous savez que nous allons faire est sacrilège pour ce pays ? Ce pays qui voue un culte à l’hérésie
nous traite, nous les guérisseuses d’âme, comme de vulgaires assassins… Même ivre, l’œuf ne se
met pas à danser sur du gravier. J’exige donc la discrétion la plus totale. Si Bintou refuse le
voyage en Afrique, moi, Moussoba, la reine des ‘‘potières’’, je la ferai voyager jusqu’au pays
ancestral sur la lame de mon couteau. Il faut de la clarté. Bintou traverse actuellement l’empire de
l’incertitude, de l’équivoque et de l’ambiguïté ; ce monde de l’Inachevé où une femme est aussi
un homme et un homme une femme. Est-ce un hasard si, pourtant si jeune, Bintou tient tête à des
hommes, à commencer par son propre père ? Bintou ignore l’autorité masculine… Il faut de la
clarté264.

L’obligation de clarté justifie, par ailleurs, que les acteurs noirs


d’Alexandre Kum’a N’dumbe III fassent le choix collectif d’inverser les
rapports de force par la destruction méthodique des préjugés négatifs à partir
desquels l’imaginaire collectif des acteurs blancs s’est fortifié.Traités de
cannibales, les acteurs noirs deviennent les nouveaux juges de l’histoire, les
nouveaux maîtres du monde, en lieu et place de leurs accusateurs, pour
démasquer le mensonge, les mythes négateurs de l’impérialisme. C’est la
situation que signale le 2e acteur blanc, lorsqu’il s’écrie : « Et voilà la veste
retournée. Nous les convoquons ici pour leur faire un procès. Et tout d’un
coup, les voilà juges, nous voilà sur le banc des accusés »265. Cannibalisme
montre, en fait, l’inversion des rapports de force suivant une technique
d’écriture qui installe le théâtre dans un processus dialectique dévoilant le

187
mode de résolution des contradictions entre les acteurs noirs et les acteurs
blancs. Ces derniers se relaient sur le banc des accusés pour représenter la
confrontation de sociolectes mettant en évidence des oppositions
paradigmatiques telles que sauvagerie du noir/civilisation du blanc, noir
esclave/blanc maître, cannibalisme du noir/cannibalisme du blanc, justice du
noir/justice du blanc. Ils vident leurs contradictions, jusqu’à ce qu’ils
atteignent un stade de rejet définitif de l’imaginaire social des protagonistes
blancs, façonné pour ne se nourrir que de faux mythes relatifs aux
personnages noirs. En ce sens, le choix de la France, comme espace
dramatique fait aussi par Alexandre Kum’a N’dumbe III, est un symbole fort
de la destruction du discours dominant des acteurs blancs et de sa substitution
par l’idée d’une justice et d’une liberté aussi intemporelles que non sélectives.
La fable d’Îles de tempêtes de Bernard Binlin Dadié située dans une
colonie désignée Saint-Domingue, loin des terres françaises, vise à détruire
aussi, et à faire disparaître à l’épreuve du temps, l’effet nocif du discours des
blancs sur les noirs. C’est pourquoi elle fait voir des catégories de
personnages séparées par des intérêts de toute nature, se livrant des duels
épiques au cours, au bout desquels des figures légendaires apparaissent du
côté des esclaves pour déconstruire les mythes fondateurs de la servitude. La
déconstruction des mythes se réalisent par l’action révolutionnaire d’un
Toussaint Louverture, par exemple, engagé à mettre fin à toute sorte
d’imposture coloniale, en vue de la réhabilitation de ses pairs sur le plan
politique, économique, culturel : « Ma préoccupation majeure (dit Toussaint
Louverture), est de tout remettre sur pied, tout rebâtir (Un homme vient
glisser des papiers dans le dossier Moyse). Pour réussir tous mes projets de
remise en valeur de ce pays dévasté par les luttes et les incendies, il me faut
beaucoup de bras, aussi ai-je l’intention de faire des hommes d’Afrique »266.
La vision de Toussaint Louverture traduit bien l’aspiration de l’ensemble
du peuple de Saint-Domingue, quand bien même l’administration de la
métropole française réussit à créer des brèches dans sa réalisation effective.
Combattu par les esclavagistes avec Laflamme et Durrocher à leur tête, il
arrive à germer dans la conscience collective des insulaires divisés, mais
désormais accrochés à l’espoir d’une transformation de la situation historique
à l’avantage de la communauté des personnages noir embastillés.
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Conclusion
Dans un dossier intitulé : Historique des représentations du crime et de la
cruauté, Gwenaël Morin, Éric Massé et d’autres auteurs expliquent que, de
tout temps, la cruauté a constitué un enjeu principal pour les dramaturges :

Étant donné que le théâtre, écrivent-ils, a toujours traité de thèmes sociaux, il a dénoncé les
problèmes, les ruptures, les incompréhensions d’un peuple replacé dans son monde, on est devant
l’obligation de concéder que la violence, la cruauté a toujours été un thème latent, une question
majeure. On observe aisément que les dramaturges du XXe siècle et de ce début XXIe siècle se
sont rencontrés au carrefour de préoccupations similaires, indépendamment de leur jugement
esthétique267.

N’ont-ils pas raison ? La cruauté, structurant l’imaginaire collectif des


personnages, imprègne, on le constate, l’ensemble des pièces des écrivains
africains qui s’appuient sur des techniques d’écriture variées pour représenter
l’univers des personnages comme un monde de répression, de peur,
d’humiliation, de mort. À l’intérieur du monde ainsi représenté, se déploient
des figures symboliques, mythiques ou archétypales du mal confrontées à des
résistances. Si Iles de tempêtes de Bernard Binlin Dadié, Cannibalisme
d’Alexandre Kum’a N’dumbe III, La parenthèse de sang de Sony Labou
Tansi et L’homme aux sandales de caoutchouc de Kateb Yacine représentent
différemment des processus de ce type, Bintou de Koffi Kwahulé et
Récupérations de Kossi Efoui se déroulent loin des problématiques des
contradictions historico-économiques. Les deux pièces de théâtre exposent
plutôt des faits divers. En d’autres mots, les procédés employés par les
auteurs de ces deux pièces théâtrales ne s’intéressent pas à la reproduction
d’affrontements historiques et idéologiques consacrés à l’éveil de la curiosité
et d’une attitude critique chez le public. Donnant à regarder le déroulement de
l’imaginaire social toujours redynamisé par des crimes, des délits, elles
focalisent des scènes qui privilégient l’actualité, l’anecdotique et l’émotion.
Les nombreuses coupures du moteur de la caméra découpant à plusieurs
reprises les reportages, de même que les interviews de la journaliste en
séquences alternées dans Récupérations, sont voulues par Kossi Efoui, lequel
cherche ainsi à rendre plus choquants les paroles, les images et les
événements de son texte de théâtre. Dans la fable de l’auteur, la
représentation de l’imaginaire social fait apparaître le mal dans son actualité
émouvante, à travers la destruction de biens mobiliers et immobiliers des

189
personnages jetés à la rue sans aucune forme de reconnaissance de leur droit à
la propriété, ni à l’existence. Dans cette perspective, le discours du
personnage Séfa informe certes le lecteur-spectateur de la démolition de
baraques par des bulldozers, mais il veut témoigner notamment de la fonction
émotive du récit des faits :

Séfa (entrant avec un vélo cabossé) : Je l’avais dit. Je l’avais bien dit (…) Nous sommes tous
dehors. Je l’avais prédit. J’avais raison. J’ai raison ! Les bulldozers démolissent nos baraques.
(Cassant tout avec sa bicyclette) : Les bulldozers démolissent nos baraques. Tout part en fumée…
Et il n’y a pas de feu. C’est lourd, c’est mou, c’est gras. Et ça écrase ! J’ai vu… J’ai tout vu… Ils
ont tout rasé. Personne ne me croit ? Tes fleurs, Kéli… ton chien, mama Keta. On ne verra plus
jamais de fleurs ni de chiens. Même l’herbe qui était là avant nous : rasée ! Dieu ne reconnaîtra
pas les siens. C’est plat, c’est fin. Rasé !… Je l’avais prédit !268

Bintou a la même ambition. C’est pourquoi, son intérêt ne réside pas


seulement dans la mise en évidence d’oppositions de catégories sociales mais
aussi et surtout dans l’exposé des événements de l’actualité. Le lecteur-
spectateur perçoit ledit intérêt dans les moyens technique sà l’aide desquels
l’auteur dramatique grossit, au final, les traits et les actes de ses personnages.
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Bibliographie
I - corpus
DADIE, Bernard, Iles de tempêtes, Paris, Éditions Présence Africaine,
1973.
EFOUI, Kossi, Récupérations, Paris, Éditions Lansman, 1992.
KOFFI, Kwahulé, Bintou, Paris, Éditions Lansman, 2003.
KUM’A, N’dumbe III Alexandre, Cannibalisme, Paris, Éditions
Pierre Jean Oswald, 1973.
LABOU, Sony Tansi, La parenthèse de Sang, Paris, Éditions Hatier,
1981.
YACINE, Kateb, L’homme aux sandales de caoutchouc , Paris,
Éditions du Seuil, 1970.
II - Des textes sur l’imaginaire, la cruauté et le théâtre
BLEDE, Logbo, « La parenthèse de sang : jeu et enjeu » in La pièce
de théâtre, une littérature pour les arts du spectacle , Abidjan, EDUCI,
2016.
BONARDI, Christine et ROUSSIAU, Nicolas, Les représentations
sociales , Paris, Dunod, 1996.
BORIE, Monique, Théâtre et mythe aujourd’hui : une quête
impossible ?, Paris, Nizet, 1981.
CÔTE-BOUDREAU, Frédéric, « Précis de cruauté »
id.erudit.org/iderudit/73438ac .
GAGNON, Alex, La communauté du dehors. Imaginaire social et
représentations du crime au Québec (XIXe-XXe siècle). Thèse présentée
en vue de l’obtention du grade de Docteur (Ph D) en littérature de langue
française (sous la direction de Martine-Emmanuelle Lapointe), Université
de Montréal, 2015 .
LAVERDURE, Bertrand, « La nécessaire cruauté de l’histoire
littéraire » id.erudit.org/iderudit/14783ac.
MARANDA, Pierre, « L’imaginaire québécois » in
id.erudit.org/iderudit/55420ac .

191
ROBERT, Jean-Dominique, « L’« Imaginaire », sa nature, ses
structures, ses fonctions et les implications de sa renaissance actuelle,
d’après Gilbert Durand » id.erudit.org/iderudit/1020530ar .
MORIN, Gwenaël, MASSE, Éric et les autres, « Historique des
représentations du crime et de la cruauté » in www. Les-
subs.com.0405_dossier_pe… eetcruaute.pdf

Chapitre 12. L’univers de l’apartheid dans Les


enfants de Mandela de Jérôme Carlos Zigoli Antonin
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Résumé :
Le recueil de nouvelles de Jérôme Carlos aborde la question de l’apartheid
en Afrique du Sud en ne s’intéressant qu’aux exactions de cette politique de
ségrégation raciale telle que vécue par les Noirs. Journaliste-écrivain, il scrute
les maladresses de cette politique, étale ses contradictions internes, dénonce
d’autres formes de ségrégation au sein même des communautés noires tout en
proposant un idéal de société sud-africaine libérée des idéologies
séparationistes. Cet article se propose de montrer que l’écrivain a su faire la
jonction entre la fiction et la réalité, le journalisme et la littérature, l’histoire
et les faits divers pour réaliser une œuvre dont l’imaginaire social repose sur
des événements à la fois fictionnels et réels, satiriques et constructifs d’un
univers idéal en devenir.

Mots-clés : Apartheid, Afrique du Sud, Ségrégation raciale, Imaginaire


social, Univers idéal en devenir.
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Introduction
La décennie 1980-1990 a été décisive pour l’Afrique du Sud dont le nom
se confondait, à cette époque, à l’apartheid, ce système politique de
ségrégation raciale mis en place par le Parti National269 en 1948 et qui durera
jusqu’en 1991. En effet, ces dix dernières années de l’apartheid ont vu une
succession rapide des événements historiques. D’une part, à partir de 1982,
alors que des associations des Noirs sud-africains se regroupent pour mettre
fin, par tous les moyens (violents ou non-violents), à l’apartheid, le
gouvernement de Pretoria décrète l’État d’urgence en juillet 1985 et intensifie
la répression. D’autre part, en août 1989, Frédérick de Klerk, l’un des
membres éclairés du Parti National devient premier ministre de Peter Botta et
entame une série de réformes : plusieurs mesures de décrispation, de
rapprochement et de dialogue sont prises pour affaiblir la politique
ségrégationniste qui ternissait, gravement, l’image de l’Afrique du Sud.
Dans ce contexte politico-social délétère, Jérôme Carlos publie, en 1988,
c’est-à-dire trois (03) années avant la fin de l’apartheid, un recueil de
nouvelles en ne s’intéressant qu’aux exactions de la politique de ségrégation
raciale telle que vécue par les Noirs sud-africains. Il scrute les maladresses de
cette politique, étale ses contradictions internes, dénonce d’autres formes de
ségrégation au sein même des communautés noires tout en proposant un idéal
de société sud-africaine libérée des idéologies séparationistes.
En somme, le recueil repose sur l’histoire de l’apartheid manifeste dans
ses moindres convulsions. À ce propos, Diégou Bailly, préfacier du recueil,
note, sans détours, que Jérôme Carlos « découpe l’apartheid en petits
morceaux »270. Historien de formation universitaire et journaliste de
profession, Jérôme Carlos a l’avantage de proposer des textes réalistes, même
si la nouvelle occupe une place privilégiée auprès des genres dits de la prose
fictionnelle.
À travers ce recueil tonitruant par son contenu, Jérôme Carlos a bien voulu
se joindre aux voix271 qui ont décrié l’apartheid, afin de réclamer justice et
égalité au sein des communautés blanche et noire en Afrique du Sud. Et, à ce
niveau, il semble avoir exploré bien de zones névralgiques de ce système
politique. Il nous revient, à ce stade de la réflexion, de poser la question de
savoir comment le journaliste-écrivain procède-t-il pour créer ce monde
fictionnel dominé par l’apartheid ? Ou alors comment l’imaginaire social de
son recueil dévoile-t-il la réalité des événements tels qu’ils se sont déroulés à

194
Johannesburg, à Soweto ou dans les townships ? Enfin, en quoi cette
fictionnalisation est-elle si proche de la réalité sud-africaine ?
Cette problématique autorise à convoquer deux conceptions plus ou moins
contrastées de l’imaginaire social selon les redéfinitions que lui donnent Paul
Ricœur et Castoriadis. Pour Ricœur, en effet, l’imaginaire social est favorable
à un imaginaire dont les composantes sont beaucoup plus révélatrices des
réalités socioculturelles d’un peuple donné, c’est-à-dire « la dialectique de
l’innovation et de la sédimentation ».272 Cependant, Castoriadis considère
l’imaginaire social comme « moteur des transformations historiques et
culturelles, « une création incessante et essentielle indéterminée » de
représentations du monde et des formes de vie, « l’indétermination »
renvoyant à la possibilité, à la capacité humaine de toujours faire advenir et
de « faire des êtres des formes autres ».273 En termes plus clairs, Castoriadis
redéfinit l’imaginaire social comme une création de formes nouvelles par le
truchement du discours littéraire et des œuvres artistiques.
Au regard donc de ces deux théories sur la question de l’imaginaire social,
cette réflexion se fondera sur trois niveaux d’analyse. Au premier niveau, il
est question de montrer que malgré la forme violente du système officiel de
l’apartheid, le plus connu et le plus dénoncé, les rapports entre les
communautés noires sud-africaines sont fondés sur des stéréotypes
ségrégationnistes, avant d’examiner au deuxième niveau les convulsions du
racisme mis en place par les Blancs. Le troisième niveau de l’analyse se
consacre au projet de société idéale, multiraciale et démocratique en Afrique
du Sud proposé par l’écrivain.
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I/Les rapports entre communautés
noires sud-africaines fondés sur
des stéréotypes ségrégationnistes
Les récits de Jérôme Carlos exploitent à fond le sujet de l’apartheid et ses
ramifications dont le vaste champ lexical inclut les thèmes comme la
ségrégation, le racisme, la séparation, l’exclusion, la désunion, l’indifférence,
la haine, le mépris, le reniement, l’intolérance etc. Ce choix thématique laisse
nettement apparaitre l’imaginaire d’une société fissurée par de vives tensions
et par conséquent justifie bien ici la thèse de Ricœur : construire l’imaginaire
social autour de la réalité des phénomènes sociaux dont il est le sédiment.
Dans son recueil, Jérôme Carlos consacre la deuxième nouvelle « Les amours
de Moloïse » aux communautés noires sud-africaines quelquefois victimes de
leurs propres traditions nourries de stéréotypes aux senteurs ségrégationnistes.
Pour mieux cerner les contours de l’analyse, il est nécessaire de définir la
ségrégation pour l’examiner par la suite au contexte négro-sud-africain.
La ségrégation, c’est le processus par lequel s’établit entre les membres
d’une même société une distance sociale due à la race, au sexe, à la position
sociale, à la religion, etc. et qui a pour conséquence la privation totale ou
partielle des droits politiques pour une partie de la population274 (…).
Au regard de cette définition, il se dégage deux aspects de la ségrégation
dans « Les amours de Moloïse » : la ségrégation raciale (tumultueuse ou
violente) et celle qui se limite aux simples préjugés ethniques entre les
communautés de même race (la « soft » ségrégation, moins violente ou
apparemment non violente).
La ségrégation raciale constitue le fond principal du recueil. Elle est la
mieux connue par l’opinion internationale et oppose deux races (Blancs et
Noirs) en présence en Afrique du Sud. Elle entretient toutes sortes de
violence, de barbarie et de haine entre ces dernières. Le récit s’ouvre sur l’une
des tragédies de ce type de ségrégation : l’assassinat de Moloïse, jeune
militant noir et poète, par le pouvoir blanc. La gravité et le sérieux de
l’événement douloureux autour duquel une grande veillée est organisée sont
mis en relief par le narrateur :

Il ne se passe plus de semaine où la cité noire d’Alexandra n’enterre un de ses fils. Les obsèques

196
se terminant généralement par des gigantesques meetings où le discours incendiaire des leaders
politiques succède aux slogans militants de jeunes gens et de jeunes filles résolus à jeter bas,
comme le proclament leurs tracts, « la citadelle du racism. (p. 25)

La ségrégation raciale (nous l’analyserons profondément dans la deuxième


partie du travail), première cause de la division et de l’instabilité de l’Afrique
du Sud est convoquée en début du récit pour établir un parallélisme avec une
autre forme de ségrégation dont souffre la communauté noire : des préjugés
fondés sur des traditions séculaires, socle de l’imaginaire social de la plupart
des Africains. En effet, c’est au cours de la veillée de Moloïse, poète et
chantre de l’amour que Love médite sa relation amoureuse avec Edward : elle
avait fait la connaissance de ce jeune, de deux ans son aîné, l’année d’avant, à
l’occasion d’une grève des cours à l’université noire d’Alexandra275. Les
deux amoureux se revoient à l’occasion de la veillée du poète assassiné. Une
rencontre certainement inattendue, mais dont les conséquences déterminent la
suite de l’histoire. La narration explicite l’avantage de la rencontre de Love et
d’Edward : « ils ne s’étaient pas revus depuis. Voilà que Moloïse les réunit.
Un signe. Ils se rapprochent l’un de l’autre, échangent un sourire complice et
se tiennent presque instinctivement par la main. » (p. 26)
La veillée funèbre se transforme, pour les deux amis, en une véritable
randonnée amoureuse, pleine d’espoirs et de rêve, rythmée par d’incessantes
balades à travers la cité noire d’Alexandra. Love et Edward, indique le
narrateur, indifférents à tout, communient dans la complicité d’un silence qui
sait dire l’indicible et confondre les élans de deux cœurs, comme les eaux de
plusieurs affluents à l’embouchure276. Leur amour semble défier les amours
les plus follement exprimés de l’histoire des hommes, en l’occurrence, celui
de Roméo et Juliette comme le justifie bien cet extrait : « Ils sont prêts à
chanter le plus bel hymne à l’amour, prêts à dresser le plus beau monument à
tous les Roméo et Juliette de la terre, prêts à conjuguer le verbe aimer à tous
les temps, jusqu’à la fin des temps. » (p. 27)
Cependant, malgré « la fougue d’une jeunesse qui garde encore intactes
toutes les illusions »277, la séparation va avoir raison de l’union entre Love et
Edward. Lauréat du grand concours qu’organise, chaque année, la Fondation
Oppenheimer, Edward ira se perfectionner dans une grande université
américaine, tandis que Love s’inscrira en deuxième année de médecine à
l’université noire d’Alexandra. La séparation revêt ici deux caractères
puisqu’il intègre les champs lexico-sémantiques de la ségrégation, principale
épine dorsale du recueil. Le premier, se limite à la séparation physique, c’est-
à-dire que Love et Edward ne se verront plus pour un long moment. Le

197
second est beaucoup plus dramatique pour Love, car il s’abreuve de préjugés
ségrégationnistes entretenus entre Zulu et Xhosa, deux communautés noires
sud-africaines. En effet, avant son départ pour les États-Unis d’Amérique,
Edward laisse un pli fermé à Love avec la stricte recommandation qu’elle ne
devra en prendre connaissance qu’après que son avion aura décollé
d’Alexandra. La recommandation laisse la jeune fille perplexe et elle finit par
estimer que son ami y a certainement écrit une chanson d’amour liée à son
départ douloureux. Mais pour Edward, cette recommandation cache sa
lâcheté, sa trahison, son hypocrisie dans une relation qu’il n’a pas su définir
ou baliser dès le départ avec Love. C’est donc avec peine et désolation qu’il
se fait lire par sa fiancée :

Quand tu liras cette lettre, je serai déjà loin d’Alexandra. J’emporte avec moi ton image d’une
femme que je voudrais aimer de toutes mes forces, toute ma vie (…). Je t’ai aimée Love. Aussi
passionnément qu’il est permis d’aimer un être cher. (…) Dieu, que l’amour est fragile. Jamais, je
n’aurais le courage de te regarder en face. Lâche : je le suis. (p. 30)

Au fur et à mesure qu’elle poursuit la lecture, Love se rend compte


qu’Edward conjugue leur amour au passé à travers une poétisation de ses
pensées qui prennent la tournure d’un vibrant hommage à lui rendre. Le style
d’Edward est d’autant plus poétique qu’il semble s’opposer à sa propre
décision, condamner ses propos : « Lâche : je le suis. Du moins, je sais que
c’est ainsi que tu me jugeras. Puisque je n’ai pas eu le courage de te le dire
de vive voix, je trouve un peu de force pour l’écrire : mes parents, mis au
courant de nos relations m’ont expressément invité à y renoncer. Je suis Zulu
et tu es Xhosa. » (p.30)
Le motif de la rupture s’exprime, clairement, ici en termes de rivalité entre
Zulu et Xhosa, deux communautés rivales depuis toujours. En effet, du point
de vue numérique, Zulu et Xhosa sont les deux principaux groupes ethniques
de l’Afrique du sud et sur le plan politique, ils sont opposés : Nelson
Mandela, charismatique prisonnier de l’ANC278 étant Xhosa et son rival
d’alors Buthelezi, Zulu, ces deux peuples se reconnaissent en chacun comme
son leader politique. C’est ce qui explique que, pendant son long combat
contre l’apartheid, Mandela a été contrarié par son frère Buthelezi, manipulé
par le pouvoir blanc. Cet aspect est bien évoqué dans la lettre d’Edward à
Love : « Je suis Zulu et tu es Xhosa. Dans les mouvements politiques qui
agitent notre pays, nos deux familles se sont toujours situées dans des camps
opposés. » (p. 30)
Sur le plan de la tradition, Zulu et Xhosa rivalisent, également, parce qu’à
ce niveau-ci, chacun se réclame dépositaire légendaire des us et coutumes du

198
peuple noir sud-africain ; le Zulu se référant, principalement, à la figure
mythique de Chaka, puissant guerrier, héros anti-impérialiste que l’Afrique
australe ait connu. En sus de cette donne, le Zulu se dit fier de constater que
des symboles culturels de l’Afrique du sud incarnent sa tradition : architecture
locale, couture, esthétique corporelle, cuisine, musique etc. Les Xhosas
n’acceptent pas cette légère suprématie zulu. Ils se sentent immergés dans un
macrocosme socioculturel dominé par leurs rivaux. Le narrateur révèle, avec
ironie, le sérieux de cette rivalité : « Ici la haine est un patrimoine. Elle se
transmet comme un héritage, de père en fils et de génération en génération.
Elle a ses prêtres et ses gardiens qui veillent sur le legs, instruisent la
mémoire collective du groupe, dictent des comportements et des attitudes qui
s’assument comme un devoir sacré. » (p. 32)
La ségrégation endogène à la race noire fait ainsi des victimes en Afrique
du Sud (dans la politique comme dans le mariage et dans divers domaines).
Edward et Love s’aiment pourtant d’un amour réel, mais ne peuvent prospérer
longtemps dans leur projet de mariage. Le poids des préjugés ou stéréotypes
ségrégationnistes est pesant dans le subconscient d’Edward à telle enseigne
qu’il se laisse écraser par l’injonction de ses parents à mettre fin à l’idylle. Ses
propres interrogations dans la lettre et les propos qui en découlent traduisent
bien son malaise :

Qu’avons-nous à voir dans les querelles futiles des adultes ? Pourquoi devons-nous payer les
funestes conséquences des luttes politiciennes et tribales auxquelles nous ne comprenons rien ? Je
n’ai guère été convaincu par les injonctions de mes parents. Mais je leur ai néanmoins obéi. Je
n’ai pas l’âme d’un révolté. (…) j’ai obéi. C’est le prix qu’il m’a fallu payer pour mériter leur
bénédiction avant mon départ pour les États-Unis. (p.31)

La formule finale de sa lettre « Adieu » précise que la rupture est effective


et déjà consommée. Elle marque l’irréversibilité de la décision prise par
Edward.
Jérôme Carlos s’évertue de la sorte à mettre en relief les aspects nocifs de
certains préjugés à caractère ségrégationniste qui entravent l’épanouissement
des Noirs et qui ne sont pas loin de traduire la profondeur de la tragédie qu’est
l’apartheid et dont sont tous victimes Zulu et Xhosa. Il s’insurge contre cette
division inutile et insensée qui ne fait que prospérer la grande et dure
ségrégation raciale. Lisons ce passage assez significatif :

Et dire que ce peuple ainsi matraqué, humilié, déshumanisé, se délecte encore à s’entre-déchirer,

199
offrir au monde le triste spectacle de ses querelles et de ses divisions. Pendant combien de temps
encore Xhosa et Zulu se regarderont-ils en chiens de faïence, alors que le pouvoir blanc les
confond tous dans une même abomination ? » (p.40)

Comme l’on peut bien le percevoir alors, la représentation d’un


phénomène social dans le récit littéraire donne la possibilité à l’écrivain de se
projeter dans un imaginaire affectif, guidé par sa vision et ses rêves. Jérôme
Carlos a bien voulu livrer le discours de la paix et de la réconciliation à
travers « Les Amours de Moloïse ». Il veut faire briser les barrières ethniques
et les préjugés pour rapprocher tous les Noirs sud-africains en les exhortant à
ne pas se tromper de combat, car la vraie cible, semble-t-il dire, est bel et bien
le pouvoir blanc et ses sbires. Voilà pourquoi sa construction imaginaire
d’une Afrique du Sud de l’apartheid est révélatrice d’un espoir, d’un
lendemain meilleur. Ainsi, l’espoir renaît vers la fin de la nouvelle. Le père
d’Edward revient à de meilleurs sentiments et au cours d’un meeting
politique, il exprime publiquement son regret d’avoir empêché son fils de se
marier à une Xhosa. Lisons un extrait de son discours :

Répondant comme à une sorte de réflexe atavique qui voudrait que Zulu et Xhosa s’entre-
déchirent, se querellent et se vouent une inimitié héréditaire, moi qui vous parle, j’ai découragé
les relations que mon fils Edward entretenait avec Love, ici présente. Dans chacuns de nos foyers,
dans chacune de nos familles, que de cas similaires ! Quel Gâchis ! (p.45)

Quant à Edward, il a toujours exprimé sa disponibilité à se plier aux


décisions de ses parents. Et à ce titre, il a été à nouveau convaincu par son
père de ce qu’il a compris l’inutilité des préjugés entre Zulu et Xhosa. Par
conséquent, il pourra désormais renouer avec Love, sa bien- aimée : « Papa
consent à nous voir poursuivre nos relations. Il regrette son intervention
malheureuse dans l’évolution de celles-ci. Il mesure le mal qu’il a pu nous
faire, à nous deux. Il comprend la vanité des querelles entre nos deux
familles, entre nos deux communautés ethniques. (p.47)
Au terme de cette analyse, il faut retenir que la ségrégation non violente,
c’est-à-dire le mur de discorde entre les communautés noires est une réalité
dramatique et bien des fois tragiques. Dans l’imaginaire social des Zulu et des
Xhosa, la rivalité est une évidence et chacun assume les conséquences qui en
découlent. Leur rapport conflictuel est permanent. Toute situation ou
événement social est une occasion toute trouvée pour traduire ce grand
malaise. Pierre Popovic, dans cette perception de l’imaginaire social, affirme
qu’il « est composé d’ensembles interactifs de représentations corrélées,

200
organisées en fictions latentes, sans cesse recomposées par des propos, des
textes, des chromos et des images, des discours ou des œuvres d’art. »279
Or, la rivalité zulu/xhosa entretient des mythes et des croyances qui
abreuvent toute la littérature et bien d’autres domaines de l’art en Afrique du
Sud. Elle a beaucoup affaibli la lutte contre l’apartheid et a été même à la
base de sa longévité. Loin de l’Afrique du Sud, tout observateur ignore cette
forme interne et douce de l’« apartheid » entre les Noirs. Jérôme Carlos la
problématise dans son recueil et montre qu’elle est le premier facteur du
balisement du Nègre dans ce pays et qu’il faut y trouver une solution pour que
l’apartheid, la ségrégation raciale la plus violente, soit combattu par tous les
Noirs sud-africains qui doivent s’unir autour d’une seule idéologie, une seule
vision politique et un seul objectif : la liberté. Car le système mis en place est
un « goulag » pour eux. Le chapitre suivant, analyse les manifestations de ce
phénomène politique inique.
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

201
II/Blancs et Noirs en Afrique du
Sud : de l’impossible
rapprochement au durcissement
de l’apartheid
Avant d’aborder ce chapitre, il est nécessaire de définir l’apartheid et de
comprendre son fonctionnement. L’apartheid est composé de l’expression
d’origine française « à part », auquel on a ajouté le suffixe « heid » qui
signifie « le fait de ». Il renvoie donc à l’idée de « séparation » en afrikaans,
la langue des descendants des colons néerlandais. En un mot, l’apartheid
signifie la séparation. C’est une politique de ségrégation raciale mise en place
pour brider ou restreindre la liberté des Noirs sud-africains. Elle vise à séparer
physiquement des personnes de couleurs différentes dans les activités qu’elles
exercent couramment. Elle permet aux Blancs très minoritaires de dominer le
pays280. Une telle politique esclavagiste et impérialiste est mise en évidence
par quelques récits de Jérôme Carlos dont le premier du recueil intitulé « Le
difficile dialogue » présente l’impossible rapprochement entre Blancs et
Noirs.
Dans ce récit, en effet, deux personnages de couleurs opposées, Miss Jane
Smith (race blanche) et Thomas Sanguli, son Nègre à tout faire (selon
l’expression du narrateur) sont les principaux antagonistes de l’histoire qui
révèle le difficile dialogue entre Blancs et Noirs. Tout se déroule à
Johannesburg, au domicile de Miss Smith. Thomas Sanguli ou Tom mène
« une vie de chien dans la luxueuse demeure de Miss Jane Smith. Sans trêve
ni repos dominical contre un salaire de famine. »281 Cette dernière est un
farouche partisan de l’apartheid dans toute sa rigueur et s’oppose, activement,
à la lutte des Nègres visant à accéder un jour au pouvoir d’État. Pour elle, « si
rien n’était fait pour endiguer les flots montants de l’anarchie ; si la
civilisation blanche ne se mobilisait pas pour faire barrage et pour mater la
révolte des Noirs ; si certains Blancs, traîtres à leur race, n’étaient pas isolés
et mis hors d’état de nuire, le pays pourrait alors se transformer en un
immense coupe-gorge, un véritable capharnaüm livré à l’appétit glouton et
obscène de sicaires aux mains gantées de sang »282.
De plus en plus hystérique, en proie à une névrose persistante, Miss Jane

202
Smith obtient, dans cet état, un certificat de port d’arme et s’achète un
« flingue »283. Bien évidemment, son Nègre à tout faire ne peut que prendre
ses distances, car troublé, désorienté face à l’attitude peu rassurante de sa
patronne. Dans ce pays, effectivement, selon les propos du narrateur, la
« gâchite » est devenue une curieuse maladie qui fait de terribles ravages dans
les milieux blancs. Il donne, dans cet extrait, plus de précision sur le
phénomène : « La « gâchite » ? (…) ce sont les Blancs qui la contractent,
mais ce sont surtout les Noirs qui en meurent. La « gâchite » assassine,
extermine et zigouille sans compter. » (p.17)
Tom envisage alors un départ volontaire, mais de la manière la plus sage et
insoupçonnée. Il renonce, en fin de compte, après maintes réflexions, à cette
décision et se résout à continuer de travailler chez Miss Jane Smith pour
découvrir ses véritables intentions en s’achetant une arme à feu. Dans
l’ambiance morose infestée de peur, de soupçons et de méfiance, un déclic
semblable à un revirement de situation s’opère dans l’esprit de la patronne de
Tom : « Mais, soudain, le doute s’insinue dans l’esprit de Miss Smith. Un
craquement qui dérange, tout d’un coup, la rectitude satisfaite de ses
convictions jusque-là établies. Toute une architecture de vérités premières,
d’idées reçues et de dogmes échafaudés au long des années, tangue et
chancelle sur ses bases. » (p.21)
Miss Jane Smith médite la condition des Noirs et se rend à l’évidence
qu’ils sont victimes de l’injustice et de l’égoïsme des Blancs. Pourquoi
chaque tête crépue doit être d’abord vue comme le diable en puissance ? Se
demande-t-elle. En réalité, dans l’imaginaire populaire des Européens de
l’Afrique du Sud et des Blancs en général, le Nègre est sauvage, bon à être
apprivoisé, un arriéré sans aucun repère socioculturel, isolé dans l’immensité
des forêts tropicales d’Afrique. Son inhumanité le rapproche, inévitablement,
du diable avec toutes les images construites à cet effet pour le maintenir dans
la négation de l’existence humaine. Ainsi, le changement brusque de la
patronne de Tom est tel que le narrateur ne peut s’empêcher de le relever en
ces termes : « ce qui vient de se passer dans la tête et dans l’esprit de Miss
Jane Smith a la force d’un séisme dévastateur, la puissance d’un cyclone
infernal qui balaie tout sur son passage. Elle en tremble de tout son être,
secouée de spasmes irrépressibles. » (p.21)
Pour elle, les premiers actes de sa transformation idéologique par rapport à
l’apartheid doivent être palpables dans ses relations avec Thomas Sanguli.
C’est à ce niveau que l’impossible rapprochement devient une évidence entre
Blancs et Noirs en Afrique du Sud. Malgré ses bonnes intentions à l’endroit
de Tom, malgré ses nouvelles dispositions à son égard qui semblent traduire

203
le regret et le rachat, Tom reste ferme sur ses gardes. Il est fort surpris et
frappé de stupeur par l’étonnante familiarité que sa patronne affiche, de plus
en plus, dans leurs rapports quotidiens. L’intransigeance de Sanguli à ne pas
céder à cette étrange familiarité suscite chez la blanche un profond sentiment
de vaine tentative de rapprochement. Incomprise par son boy qui pense
qu’elle est atteinte de folie, Miss Jane Smith se montre menaçante et
délirante : « Miss Jane Smith dépitée par l’attitude inexpliquée de son
serviteur s’énerve, indiquant d’une voix ferme et autoritaire que la comédie a
assez duré. - Thomas, je ne suis ni malade, ni folle. Si tu dois continuer à me
fuir comme une pestiférée, je t’abats comme un chien. » (p.23)
La menace fait, évidemment, disparaître Tom de la luxueuse résidence de
Miss Jane Smith qui, ne l’ayant pas aperçu, se tire une balle. Le récit finit par
la mort inattendue de cette dernière. La tragédie illustre l’impossible
réconciliation entre Blancs et Noirs, tous victimes de l’apartheid. Jérôme
Carlos traduit bien là les aberrations de ce système inique. « Zoulouwe »284,
une autre nouvelle, raconte l’apartheid dans une perspective beaucoup plus
âpre. En effet, dans les mines d’or de Downhill se trouvent des ouvriers noirs
surexploités et sous-payés par le patronat blanc. Organisés au sein d’un
syndicat (l’ANC285, « Action-Négociation-Combat »), les ouvriers paralysent
le périmètre minier de Downhill pour réclamer l’amélioration de leurs
conditions de vie. Le patronat s’y oppose sans autre forme de procès. La lutte
devient alors plus déterminante pour les ouvriers.
À la suite d’un mot d’ordre de grève générale et illimitée lancé par l’ANC,
le pouvoir blanc décide de durcir le ton. Par des communiqués dont le
contenu oppose la force, les Noirs sont sommés de reprendre le travail, car
selon Goldwald-Noury, général de division, le seul langage qu’ils
comprennent, c’est celui de la force286. La grève se transforme, très
rapidement, en une lutte armée contre le pouvoir blanc, l’ANC étant la
cheville ouvrière de cette lutte : « ce qui se passe alors en Zoulouwe dépasse
tout entendement. Son Altesse Sérénissime, le général Goldwald-Noury, son
QG, et sa cellule de crise n’y voient que feu » (p.77). La résistance des Noirs
crée la panique dans le camp du pouvoir blanc qui dissout la cellule de crise
du bouillant ministre, et ses éminents experts sont priés d’aller relire les
classiques de la politique, ou l’Évangile selon Saint Machiavel287.
L’apartheid est ainsi manifeste sous sa forme la plus répressive, inique et
meurtrière. Tout le pays est à feu et à sang. Voyons, dans cet extrait, comment
le narrateur raconte cet épisode : « Les premiers coups de feu éclatent à
Bloomfontain, à Alexandra et à Kempton Park. Mais déjà, c’est tout le pays
qui est debout à l’appel de la liberté. On se bat dans le Natal comme dans

204
l’Orange. Mais on se bat surtout à Downhill, à l’intérieur du périmètre
aurifère, transformé en camp retranché par les combattants de la liberté. »
(p.80)
Le récit chute par la victoire des Noirs qui proclament la liberté du
Zoulouwe, la libération de l’Afrique du Sud. Cette incursion de l’écrivain
dans le rêve, l’utopie ou dans le monde idéal est, bien évidemment,
l’expression de sa vision sur l’avenir de ce peuple multiracial sud-africain.
C’est une esquisse de l’image d’un pays réconcilié où les populations
dominent désormais leur différence, en vue de reconstruire une Nation
longtemps déchirée par un système politique raciste et féodal. Jérôme Carlos
laisse exprimer, ici, son génie créateur doublé de la capacité à prophétiser sur
l’Afrique du Sud d’alors où l’apartheid battait son plein. L’imaginaire social
prend tout son sens à ce niveau, si l’on s’en tient au point de vue de
Castoriadis : « création incessante et essentiellement indéterminée de
représentations du monde et de formes de vie »288. Par la création ou la re-
création de son univers sur un support littéraire, l’écrivain arrive ainsi à
transformer le réel en le sublimant. Le génie qu’il a de transcender le présent
pour annoncer l’avenir est une réalité assez tangible quand on lit ce passage et
qu’on l’examine aujourd’hui à l’actualité sud-africaine : « Les drapeaux qui
flottent sur les édifices publics et qui célèbrent cette Epiphanie des races,
dans ce pays qui fut le plus raciste au monde, sont frappés de l’emblème
d’une grue géante, tous les bras déployés. Oui, rien ne sera plus comme avant
en terre libre du Zoulouwe. » (p. 81)
Cependant, l’apartheid demeure le principal motif de l’œuvre de Jérôme
Carlos. « Au jour le jour… » est le titre général de micro-récits, de
témoignages, d’avis de recherche et d’extraits ou de coupures de presse qui
évoquent le racisme viscéral que vivent les Noirs au quotidien. Le premier
texte est un témoignage extrait d’un article de journal dont le titre est assez
évocateur : « La police arrête une domestique sans « pass ». Courrier de
lecteurs, « The Star » du 3 septembre 1977 ». Il est rendu par Mme T.
Garaway résidant à Pretoria. Elle est de race blanche et partisane de l’anti-
apartheid. Son témoignage s’adresse aux Noirs sud-africains : « Je porte à la
connaissance de vos lecteurs une malheureuse expérience que je viens de
vivre avec la police. » (p.143)
Dans son témoignage, en effet, il s’agit de sa domestique qu’elle avait
envoyé chez le pharmacien à 300 m environ de la maison. La police blanche
l’arrête parce qu’elle n’a pas sur elle son pass289. Après avoir été l’objet de
plusieurs sévices corporels (battue à sang), elle a été traînée devant un

205
tribunal puis jugée. Et pourtant, sa patronne témoigne que la police est en
violation de la loi en vigueur réglementant cette situation : « si un Noir n’a
pas son pass-book sur lui, des mesures doivent être prises pour l’emmener
sur le lieu de son emploi afin de prouver qu’il est autorisé à circuler dans la
zone » (p.143)
Toute indignée, Mme T. Garaway est sommée de payez 100 rands
d’amende. Elle refuse d’exécuter cette décision et termine son témoignage par
une protestation : « je porte tous ces faits à la connaissance de vos lecteurs,
en protestant contre cette violation flagrante de la loi dans notre pays.
(Mme T. Garaway-Pretoria) » (p.143)
Le texte qui suit « Justice de mon pays » est nettement identique au
témoignage de Garaway. Il évoque la même réalité à laquelle sont confrontées
les servantes noires qui travaillent dans les quartiers des Blancs : violation
d’espace réservé à la race blanche, non-autorisation de circuler dans les
quartiers résidentiels sans pass-book etc. Betty Mogothy, jeune servante chez
Mme Medway, est conduite au tribunal parce qu’elle n’avait pas le droit de se
trouver sur Auckland Avenue, aux environs de cinq heures de l’après-midi, le
20 août 1977. Voici ce qu’on lui reproche :

Betty Mogothy, par votre faute, vous avez troublé le repos de Mme Medway, clouée au lit,
comme vous le savez, par une grippe. Betty Mogothy, par votre négligence, vous avez interdit à
M. Medway, un repos bien mérité, après une journée de dur labeur. (…) Betty Mogothy, par votre
ignorance des lois de ce pays, un bébé de deux ans et demi a dû être tiré de son sommeil…
(p.146)

On le voit bien ici, Jérôme Carlos pénètre au cœur de l’apartheid pour


montrer son caractère liberticide et humiliant. Et les ordonnances y référentes
sont toutes contraignantes et exécutoires : « Nous subordonnons la circulation
de tout Noir, dans un quartier blanc, au port obligatoire de pass-book. Nous
voulons être une société propre et nos forces de l’ordre ont reçu mandat
d’assainir, de décaper, de décrasser, de décrotter, pour tout dire de blanchir,
en maintenant toujours blanc ce qui doit l’être et le rester. » (p.146)
La lutte anti-apartheid a, par ailleurs, révélé en Afrique du Sud des héros,
symboles du combat des Noirs qui, au prix de leur vie, se sont farouchement
opposés au pouvoir blanc de Pretoria. Le « devoir d’examen » de Patrick
Chikwane s’insurge contre la traîtrise du chef Buthelezi qui prône la non-
violence dans la quête de la liberté des Africains. Ce dernier, en fait, est
favorable à une coopération avec le pouvoir blanc, en vue de trouver une

206
solution à l’apartheid. Ainsi, il déclare : « nous devons explorer toutes les
voies pacifiques par un dialogue constructif avec les Blancs290. » En réponse
à ce point de vue proposé à l’étudiant Patrick Chikwane comme sujet de
dissertation à son examen de sortie de l’École Nationale des Sciences
Politiques pour des Gens de Couleurs (ENSPGC), il rappelle la légitimité de
leur combat et rend hommage à Hector Peterson, Steve Biko, Moloïse, Nelson
Mandela… Ces héros, morts ou vivants qui, selon le narrateur, entretiennent
la flamme de l’espoir. À un moment donné de l’application des lois de la
ségrégation raciale, le combat des Africains est tel que les Blancs se sentent
dans l’insécurité généralisée sur tout le territoire sud-africain.
L’« Avis de recherche » qui précède le dernier texte du recueil et daté du
15 juin 1977 se présente comme une preuve du durcissement de la
ségrégation raciale. Il émane du ministère de la justice, signé par le ministre
de la justice Jimmy Kruger, lui-même. Lisons un extrait pertinent de cet avis
de recherche :

La République est en danger. Nos libertés sont menacées. (…) le commando terroriste se compose
d’une dizaine de bandits. Tous des Noirs. Ils portent, selon des témoignages concordants, une
barbe fournie à la Che Guevara et arborent une étoile rouge à la boutonnière. (…) Leur cri de
ralliement est « Amandla ! », c’est-à-dire « Pouvoir » une prime de 1.000.000 rands
récompensera celui ou celle qui fournira la meilleure piste à la police. (p.162)

On retient, au terme de ce chapitre, que l’apartheid est caractérisé par un


isolement physique du Blanc et du Noir. Le dernier étant régi par des lois
martiales, condamné à circuler sur un espace bien déterminé. Myriam
Houssay-Holzschuch souligne que l’apartheid se différenciera de la
ségrégation classique par son aspect systématique et brutal : (…) L’idéologie
afrikaaner va s’exprimer en un impressionnant corpus de lois291. Cette
idéologie ancrée dans la conscience collective des Sud-Africains européens a
développé en leur sein, un individualisme radical ayant pour conséquence
injustice et barbarie. Dès lors, le rapprochement entre les deux races opposées
est utopique et impensable. Jérôme Carlos le rend tellement si bien qu’on
découvre, dans son recueil, la face hideuse et tragique d’une politique
ségrégationniste spécifique à l’Afrique du Sud. Cependant, il part de cette
radicalisation de l’apartheid pour se projeter dans un futur plein d’espoir et
d’espérance, ce qui lui permet d’envisager une Afrique du Sud victorieuse de
son mal devenu culturel.
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207
III/L’apartheid vaincu ou
l’imaginaire d’une société idéale,
multiraciale et démocratique
Au-delà de la souffrance qu’endurent les Noirs au nom de l’apartheid, Les
enfants de Mandela propose un idéal de société sud-africaine libérée des
chaines de la haine et du mépris ; une société où toutes les barrières ethniques
et raciales s’effondrent grâce à la volonté des deux races opposées de se
rapprocher pour faire perpétuer une paix véritable. L’on est ici à quelques
années de la fin officielle de l’apartheid et, à ce titre, le projet de Jérôme
Carlos semble attirer l’attention de ses lecteurs par sa pertinence et sa
probable recevabilité. Les récits s’y afférant sont d’une extraordinaire force
prophétique. « Enfants de tous pays » présente une Afrique du Sud réconciliée
avec elle-même. À l’occasion de l’Assemblée Mondiale des enfants, Blancs et
Noirs, unis autour de la République libre de Chaka-Wawa, écoute Michael
Mandela, petit fils de Nelson Mandela, prononcer un discours à l’attention des
enfants du monde entier : « Enfants d’ici et d’ailleurs, enfants de tous pays,
enfants du monde entier, unissons-nous ! Mon pays, libéré depuis peu des
griffes de l’apartheid, est fier de vous accueillir. Je vous souhaite la
bienvenue la plus cordiale en République libre du Chaka-Wawa. » (p.26)
La déclaration officielle de la fin de l’apartheid par le petit-fils de Nelson
Mandela, icône de la lutte anti-apartheid, est d’une importance capitale, car
elle présage la victoire des luttes contre les inégalités sociales et anti-raciales
à travers le monde : les enfants de Soweto à jamais marqués au fer rouge de
l’apartheid, les enfants des favelas de Rio (Brésil), de Buenos-Aires
(Argentine) ou des quartiers populaires de Calcutta (Inde)292. L’imaginaire
créateur de l’écrivain à partir du matériau déjà existant qu’est le phénomène
de l’apartheid, lui donne cette possibilité de rêver d’une Afrique du Sud sans
violence, opposée aux idéologies racistes et unie autour d’un idéal de vie
communautaire multiraciale. « L’enfant du pardon » et « un homme de cœur »
illustrent bien l’analyse. En effet, le premier récit évoqué se focalise sur la
naissance d’un bébé de couleur blanche dans un couple sud-africain noir. Dix
ans après leur union, Joseph et Hanna attendent un enfant dont la naissance
est longtemps souhaitée. Une surprise désagréable les confond, cependant, à
la maternité. Le bébé est, totalement, de race blanche. Sa mère s’y attendait le
plus, car « pendant que la sage-femme s’affaire à mettre la derrière main à la

208
toilette de Gbidji-Gbidji293 le cœur de Hanna bat la chamade. Son bébé n’est
pas le fils de Joseph. Trop blanc, avec des yeux bleus. » (p.94)
Hanna est désemparée par cet événement insolite et assez humiliant dans
une atmosphère empestée de l’apartheid. Frappées d’étonnement et de
déception, les deux familles du couple animées de grande colère découvrent
l’enfant dans son lit de maternité. Un air dramatique et lourd est perceptible
dans la salle comme il est rapporté dans cet extrait :

La famille fait cercle autour de Hanna et son bébé. La surprise et l’étonnement d’abord, la colère
ensuite rivent les regards sur ce petit être blanc. Dans le silence de ce face à face dramatique, le
défi blanc, quotidiennement vécu et subi, prend soudain la forme d’une suprême humiliation qui
trouble la vue et fait défiler dans les têtes des images assassines. (p.94)

L’imaginaire d’un monde multiracial, tolérant et ouvert à toute opinion


traduit l’attitude assez surprenante de Joseph, père légitime du bébé blanc. À
la vue de son enfant trop attendu, il accepte non seulement ce qui lui arrive,
mais se projette dans un avenir meilleur que les vicissitudes de l’apartheid.
Pour lui, ce bébé est le pont de ce monde idéal dont rêve tout citoyen sud-
africain. Son commentaire ou son avis transcende toutes les barrières raciales
pour exprimer sa vision, profondément, humaniste de la situation qu’il vit :
« Cet enfant que nous avons longtemps attendu sera aussi l’enfant de l’espoir,
l’enfant de la réconciliation et du pardon. (…) Je veux cet enfant comme un
pont entre le présent et l’avenir. Que Gbidji-Gbidji, (…) préfigure la liberté
que notre peuple attend. » (p.95)
Quant au second récit « Un homme de cœur », il confond beaucoup plus
les extrémistes de l’apartheid. Il s’agit, en fait, de John Richmond, « Le
miraculé du Cap », un Blanc qui vit grâce à l’implantation du cœur d’une
Négresse : « dans la poitrine de ce Blanc de cinquante-deux ans bat le cœur
d’une jeune femme noire de trente ans. Au pays de l’apartheid, un Blanc,
avec le cœur d’un Noir, c’est déjà plus curieux. John Richmond vit avec le
cœur d’une Négresse. Étrange ! » (p.111)
En fait, au moment où John Richmond a besoin d’un cœur pour vivre, il en
reçoit un à la suite d’un accident de circulation d’Aretha Machiwawa dont le
cas est désespéré. Rendu célèbre par cette étrange transplantation, John
Richmond se rend à l’évidence de « la bêtise humaine », symbole du racisme
outrancier, une empreinte identitaire de son pays. Ce dernier devient,
systématiquement, un activiste militant de l’anti-apartheid294 et parcourt tout
le pays dans l’optique d’organiser des meetings de sensibilisation dans le sens

209
d’un rapprochement de raison entre les deux races. Comme le fait souligner le
narrateur, John Richmond veut être tout simplement « l’exemple vivant et la
réalité tangible de la possible coexistence pacifique entre deux races qui
n’ont appris qu’à s’ignorer et à se mépriser.295 Malheureusement, au cours
d’un meeting, dans la salle du cinéma « Lux » au Cap, John Richmond est
assassiné par un groupe de jeunes blancs, opposés à la nouvelle vision du
« Miraculé du Cap ». Il est atteint d’une balle au cœur. Mais malgré cette
brusque disparition, le récit chute par une note d’espoir que John Richmond
s’efforce d’écrire avant de s’écrouler : « l’apartheid n’a honte que de sa
propre honte. Vivant, j’étais la honte vivante de l’apartheid. Ce système
odieux disparaîtra pour que Blancs et Noirs de ce pays vivent un jour comme
des frères. » (p.113)
Cette note d’espoir symbolise, en effet, la défaite certaine de l’apartheid en
Afrique du Sud, car de la mort de John-Richmond naîtra, progressivement,
une conscience collective qui condamnera ce système politique. Ainsi, les
Blancs seront les plus nombreux à se remettre en cause comme d’ailleurs
quelques-uns le font déjà dans « On a tiré sur le président », récit semblable à
celui de John Richmond. En fait, « On a tiré sur le président » met en scène
l’assassinat du président Kip Hatob au cours d’un discours électoral. Luttant
contre la mort au CHU de Grotte-Choux, la communauté blanche est au
désarroi. Le professeur Christ Barnich et son équipe en charge des soins
intensifs du président annoncent qu’il lui faut du sang de groupe O négatif
pour survivre. Toutes les chaines de télévisions et de radios du pays ouvrent
chacune un standard pour enregistrer d’éventuels donneurs de sang. Quelques
heures après, aucune réaction n’est enregistrée. Ce passage est édifiant :
« L’enjeu est d’importance. Chaque minute, chaque heure qui passe fait
monter la tension des uns, la nervosité des autres. Le standard n°3 du centre
hospitalier universitaire de Grotte-choux reste toujours muet et personne ne
s’annonce au guichet spécial n°245, à l’entrée de l’hôpital. » (p.138)
Après des heures d’attente désespérées, l’ancien boy-cuisinier du Président
Kip Hatob, un certain Jeremiah Matwana, un Noir de surcroît, se porte
volontaire pour sauver le président dont la femme accepte la proposition du
Nègre. Mais le professeur Christ Barnich est hésitant parce qu’il est contre la
proposition. À ce niveau-ci, le point de vue de Madame la Présidente est
surprenant : « Noir ou Blanc, cela importe peu. Je vous en prie, sauvez mon
mari. Dites-moi, Professeur, vous n’allez pas le laisser mourir ? C’est un
crime. Professeur, faites quelque chose. Sauvez mon mari. » (p.138)
Au bout de quelques heures d’intervention chirurgicale, le président Kip
Hatob est sauvé grâce au sang d’un nègre-sauvage à la grande stupéfaction

210
doublée de satisfaction de la communauté blanche. L’histoire se termine par
une image choquante et forte : « … En Afrique du Sud, la télévision montre le
président Kip Hatob souriant, sur son lit d’hôpital, serrant très fort contre lui
Jeremiah Matwana. » (p.138)
Cette image laisse présager, en effet, l’espoir de retrouver Blancs et Noirs
ensemble, se tenant main dans la main, se souriant pour sceller une paix
définitive en Afrique du Sud. Et cette initiative doit venir du haut sommet de
l’État, semble dire l’écrivain à travers Kip Hatob qui donne le signal fort d’un
possible rapprochement. En somme, Les enfants de Mandela n’est pas que
dénonciateur de l’apartheid. Il est aussi un projet de société assez humaniste
où vaincu, ce racisme à visage inhumain cède à un univers pacifié et
multiracial, à un imaginaire agréable et moins utopique.
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211
Conclusion :
Le recueil de nouvelles de Jérôme Carlos part d’une réalité historique et
sociale qui, au moment où il l’écrit, est d’actualité en Afrique australe. La
situation est telle que toute conscience éprise de justice et de paix peut se faire
entendre par tous les moyens pour dénoncer l’apartheid. La particularité du
recueil est attirante. Il s’inspire certes du réel, mais l’univers imaginaire qu’il
renferme ne s’éloigne guère de cette réalité. Il en est tellement si proche
qu’on a l’impression de lire un documentaire, un témoignage ou même un
reportage, oubliant parfois que l’œuvre littéraire est par définition l’émanation
de la capacité créatrice et imaginatrice de l’écrivain. Cela pourrait
s’expliquer, de prime abord, par le style journalistique de Jérôme Carlos, lui-
même journaliste de profession.
Le véritable motif de son style assez réaliste se justifie, sans aucun doute,
par l’objectif de choquer pour sensibiliser. C’est pourquoi, l’imaginaire social
tel qu’il se présente dans Les enfants de Mandela apparaît plus ou moins
biaisé, dépourvu de sa valeur sémantique parce que loin de conduire au cœur
de l’imagination au sens que lui donnent les thèses de la littérature pure
fiction. Chose tout à fait normale, a priori, car il n’y a pas d’imagination sans
fait réel, toute imagination étant la (re)présentation, c’est-à-dire la
présentation autrement du réel.
Jérôme Carlos présente autrement l’apartheid tout en lui conservant son
caractère raciste et sanguinaire dans un macrocosme spatial qui n’a pas assez
varié : l’Afrique du Sud, le Cap, Johannesburg, Soweto, etc. Cependant,
certains acteurs de ce système politique (Blancs/Noirs) se montrent, à un
moment donné de leur incompréhension, touchés par la divine providence à
travers des actes fort surprenants allant dans le sens du rapprochement et de
l’apaisement.
Le recueil de Jérôme Carlos, au-delà du réalisme auquel on pourrait alors
l’identifier, réserve une place prépondérante à la création ou à la production,
pour laisser libre cours à l’écrivain de (re)constituer, (re)produire ou
(re)présenter, selon son idéologie, un monde soumis à sa vision. C’est
pourquoi, des espaces comme Makondong, Downhill, Alexandra,
Bloomfontaine, CHU de Grotte-choux, etc., des personnages dont Thomas
Sanguli, Miss Jane Smith, le président Kip Hatob, John Richmond, Miss
Crown, Betty Mogothy, Aretha Machiwawa et bien d’autres, des associations
syndicales et politiques, notamment l’École Nationale des Sciences Politiques
pour des Gens de Couleurs (ENSPGC), l’Action-Négociation-Combat (ANC),

212
le Groupe De Choc, Tombeau de l’Homme Blanc (GDCTHB), etc. sont tous
caractéristiques du produit de l’imagination de Jérôme Carlos.
Néanmoins, telle que l’œuvre exploite l’apartheid à la fois comme
sédiment social existant et source d’inspiration aboutissant à la production
d’un nouvel univers, idéal et onirique, l’on a l’intime sentiment que l’écrivain
traduit son optimisme dans le combat politique que mène l’ANC pour
décapiter l’apartheid, aux fins de susciter un Etat indépendant et démocratique
en Afrique de sud. Cet optimisme révèle, pour ce faire, la dimension
prophétique de l’œuvre, car l’Afrique du sud, ou « la patrie utopique »296 est
aujourd’hui transformée en une nation unie dont le rêve de voir la ségrégation
raciale éradiquée est devenu une réalité tangible que l’histoire de l’humanité
retient désormais sous la bannière de « Nation arc-en-ciel », notion très chère
à Desmond Tutu qui rêvait d’une société sud-africaine post-raciale.
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213
Références bibliographiques :
I/Œuvre étudiée
Carlos, Jérôme, Les enfants de Mandela (hommage aux combattants
de la liberté), Abidjan, CEDA, 1988.
II/Œuvres critiques et articles consultés
Bailly, Diégou Jérôme, « Préface » in Jérôme Carlos, Les enfants de
Mandela, Abidjan, CEDA, 1988.
Castoriadis, Cornélius, L’institution imaginaire de la société, Paris,
Seuil, 1975.
Falardeau, Jean-Charles, Imaginaire social et littérature, Montréal,
Hurtubise, 1975.
Houssay-Holzschuch, Myriam, « L’Afrique du sud, ou la patrie
utopique », article présentélors du colloque sur « Le territoire, lien ou
frontière ? » à Paris du 2 au 4 octobre 1995, horizon.documentation.ird-
doc/pleins textes/doc 34-08/010017036.
Pinson, Guillaume, « Le concept d’imaginaire social. Nouvelles
avenues et nouveaux défis », Montréal, les 14, 15 et 16 septembre 2017.
Popovic, Pierre, Imaginaire social et folie littéraire. Le second
Empire de Paulin Gagne, Montréal, Presses de l’Université de Montréal,
« socius », 2008.
Sindaco, Sarah, « Compte rendu de Popovic (Pierre), Imaginaire
social et folie littéraire. Le second Empire de Paulin Gagne ». Montréal,
les Presses de l’Université de Montréal, coll. « socius », 2008.
III/Ouvrages généraux
Beaudet, Pierre, Les grandes mutations de l’apartheid, L’Harmattan,
Paris, 1999.
Braeckman, Collette, La dernière guerre de l’apartheid, Bruxelles,
GRIP, 1986.
Guitard, Collette, L’apartheid, « Que sais-je ? » Paris, PUF, 1983.
Kasrils, Ronnie, L’impossible espionne (au service de la lutte anti-
apartheid), traduit de l’anglais (sud-africain) par Yves Kengen, Ed.
MARDAGA-GRIP, Bruxelles, 2016.

214
Lafargue, François, Géopolitique de l’Afrique du sud, Bruxelles,
Complexe, 2005.
Morfaux, Louis-Marie, Vocabulaire de la philosophie et des sciences
humaines , Paris, Armand Colin, 2001.

Chapitre 13. Crise institutionnelle et imaginaire


social dans L’État Z’Héros ou La guerre des Gaous de
Maurice Bandaman Adama Samaké
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215
Résumé :
L’identité politique est un motif incontournable dans la construction de
l’imaginaire social contemporain. Elle incite à une relecture de la ‘‘pensée
d’État’’. Car l’État est la forme achevée du pouvoir politique. La littérature
est un moyen efficace de ce processus, parce qu’elle se présente comme un
« jeu de projection pour une nécessité de construction ».Elle est donc une
véritable catharsis des consciences individuelles et collectives. Dans L’État
Z’Héros ou la guerre des Gaous, Maurice Bandaman présente la crise des
institutions étatiques comme source d’affaiblissement du capital humain et de
décomposition du « socius » africain, ivoirien en particulier. Si le projet
d’écriture réside dans la critique des démocraties émergentes africaines et la
dénonciation des dictatures politiques, Maurice Bandaman insiste toutefois,
sur la restauration de l’autorité de l’État par la voie démocratique et la bonne
gouvernance en vue de l’établissement d’un imaginaire social apaisé.

Mots-clés : Crise institutionnelle - Imaginaire social – État - Nation -


Libertés politiques – Déconstruction sociale.
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216
Introduction
La société africaine contemporaine moderne est dominée par la
propagation des conflits : printemps arabes, terrorisme, guerre civile,
rébellion etc. La construction des identités politiques est au centre de ces
dysfonctionnements sociaux, parce que ceux-ci réactualisent les
problématiques liées au vivre ensemble, à la vie communautaire. Or selon
Sery Bailly, « L’État est considéré comme la forme la plus achevée du
pouvoir politique. C’est un système d’organisation politique qui peut prendre
la forme d’un gouvernement plus ou moins centralisé qui exerce son autorité
(administrative, économique, militaire etc.) sur un territoire donné. Il est la
source des droits et devoirs des personnes et des institutions » (Bailly, 2009 :
71) Aussi, Jean-François Bayart constate – t – il La Criminalisation de l’État
en Afrique (1997).

Ce contexte de déconstruction et d’affaiblissement des institutions


sociopolitiques est consubstantiel à la crise de ‘‘la pensée d’État’’ qui est
vouée à entretenir la croyance en un principe de gouvernement orienté vers le
bien commun. Autrement dit, la gestion des institutions étatiques est un débat
omniprésent dans l’imaginaire social en général, africain en particulier.
Guillaume Pinson ne disait-il pas : « L’imaginaire social est une forme de
mise en récit particulièrement significative, activée collectivement par une
société à un moment de son histoire » 297 ? Mieux Pierre Popovic soutenait :
« L’imaginaire social est ce rêve éveillé que les membres d’une société font, à
partir de ce qu’ils voient, lisent, entendent, et qui leur sert de matériau et
d’horizon de référence pour tenter d’appréhender, d’évaluer et de
comprendre ce qu’ils vivent. Autrement dit, il est ce que ses membres
appellent la réalité ». (Popovic, 2013 : 29)

La littérature, « jeu de projection pour une nécessité de construction » 298 ,


est par conséquent constamment sollicitée dans l’élaboration de cette
réflexion. Maurice Bandaman, Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1993,
en fait la quintessence de son œuvre romanesque L’État Z’Héros ou La
guerre des Gaous (2016) . Sachant avec Régine Robin que trois éléments ont
été à la base du questionnement sociocritique : « le roman comme forme clé
de la constitution de l’imaginaire social, comme lieu spécifique d’inscription
du social et comme production d’un sens nouveau » (Robin, 1992 : 96), nous

217
tenterons, par l’entremise d’une lecture sociocritique relevant de l’École de
Vincennes de Claude Duchet, de comprendre comment le traitement de
l’imaginaire social dévoile la question de l’affaiblissement du capital humain
et la décomposition du Socius en rapport avec la crise des institutions
étatiques.
Notre étude sera articulée sur trois axes : nous analyserons la crise de
l’État dans cette œuvre , nous verrons ensuite comment elle favorise la
décomposition de la Nation, puis nous tenterons de saisir les enjeux
idéologiques de cette esthétique.
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218
I – La crise de l’État
Dans son article célèbre intitulé « Idéologie et appareils idéologiques
d’État : Notes pour une recherche 299 », Louis Althusser affirme que :

Pour faire progresser la théorie de l’État, il est indispensable de tenir compte, non seulement de la
distinction entre pouvoir d’État et Appareil d’État, mais aussi d’une autre réalité qui est
manifestement du côté de l’appareil (répressif) d’État, mais ne se confond pas avec lui. Nous
appellerons cette réalité par son concept : les Appareils Idéologiques d’État.

Ainsi, pour mieux aborder la question de l’État, « Il faut distinguer le


pouvoir d’État (et sa détention par …) d’une part, et l’Appareil d’État d’autre
part (…). Nous ajouterons que l’Appareil d’État comprend deux corps : le
corps des institutions qui représentent l’Appareil répressif d’une part, et le
corps des institutions qui représentent le corps des Appareils Idéologiques
d’État d’autre part » 300 . En clair, pour mieux lire le fonctionnement d’un
État, il faut cerner la représentation du pouvoir (précisément les institutions)
et ses détenteurs, le mode d’accession au pouvoir, sa gestion et son influence
sur ses ramifications sociologiques que sont la famille, l’école, l’église, les
médias, les syndicats, les partis politiques etc.

La société textuelle de L’État Z’Héros ou La guerre des Gaous est


structurée autour de trois pouvoirs d’État : les pouvoirs d’Akèdèwa, Nanan
Zeu et Kanégnon. Elle s’ouvre sur celui d’Akèdèwa qui constitue un seul
chapitre nommé Chant d’ouverture. Ce chant se présente ainsi comme un
prologue-résumé de la trame événementielle de l’œuvre qui porte
essentiellement sur la gestion du pouvoir dans l’État de Boubounie dont
Nanan Zeu et Kanégnon sont les détenteurs respectifs. Si l’autorité
d’Akèdèwa se fonde sur un rêve qui se réalise ensuite par un don de Dieu
(Nanan Gnamien Kpli) dans un État anonyme, celles de Nanan Zeu et
Kanégnon sont le fruit d’une lutte politique. Celui-là est le père de
l’indépendance de la République de Boubounie et celui-ci, ex-leader de
l’opposition, est un putschiste. Ces trois autorités ont en commun la
confiscation du pouvoir. L’écriture de Maurice Bandaman s’évertue à décrire
le fonctionnement de l’instrumentalisation et de la personnalisation des
Appareils d’État (A.E). Le narrateur homo-auto diégétique justifie la
corruption et la xénophobie de son administration en ces termes : « Mais user

219
de tant de pouvoir, de tant de richesses sans un seul instant en abuser relève
du miracle. Le propre du pouvoir, de la richesse, quand ils sont immenses,
n’est-il pas de conduire à des abus ? » (p. 13) Il procède également à une
description fonctionnelle de Nanan Zeu et Kanégnon : « Nanan Zeu, le
président de la République, notre dieu sur Terre, au pouvoir depuis sept-cent-
soixante-dix ans… » (p. 36), « Kanégnon est né pour être Président, le
demeurer, et mourir Président ». (p. 79) Il en résulte que l’architecture
organisationnelle de l’État est nulle. Elle est fondée sur le diktat de l’exécutif.
Les pouvoirs judiciaires et législatifs sont inexistants. Boubounie se présente
comme un État hypercentralisé doté d’un présidentialisme déséquilibré. Les
chefs d’État sont décrits comme des surhommes : Nanan Zeu est « dieu sur
Terre » et Kanégnon est doté d’un pouvoir mystique incommensurable :
« mystérieuse naissance » (p. 23), initiation aux secrets du mysticisme
(chapitre 2). C’est le lieu de dire que les noms de ces trois chefs caractérisent
les types de pouvoirs qu’ils dirigent. Si Akèdèwa se singularise par sa
roublardise qui installe un État très corrompu, Nanan est un terme Baoulé 301
qui fait allusion au chef, particulièrement au roi. Car dans la tradition Baoulé,
le pouvoir est matrilinéaire et héréditaire. En d’autres mots, Nanan Zeu est
l’incarnation d’une monarchie. Kanégnon est également un terme Bété 302 qui
signifie « le justicier, le guerrier ». Né pour être Président comme mentionné
ci-dessus, Kanégnon est le symbole d’un État princier, autoritaire.

Ce qui précède autorise à dire qu’il se joue un drame politique dans la


société textuelle : celui de la perte de l’identité républicaine. Dans son essai
Du Contrat social ou Principes du droit politique, précisément dans le Livre I
chapitre VI qui a pour titre « Du pacte social », Jean Jacques Rousseau définit
la République comme : « Cette personne politique qui se forme ainsi par
l’union de toutes les autres, prenant autrefois le nom de cité, et prend
maintenant celui de République ou de corps politique, lequel est appelé par
ses membres État quand il est passif, souverain quand il est actif, puissance
en le comparant à ses semblables. » (Rousseau, 1973 : 74) Par conséquent,
Boubounie n’est pas une République au sens de ‘‘res publica’’, chose
publique. Car les institutions ne sont pas l’émanation du peuple. Le théâtre
politique est rythmé d’élections désastreuses et de coups d’État : « Après sept
tentatives infructueuses dont quatre coups d’État avortés et trois élections
désastreuses et calamiteuses, Kanégnon parvint au pouvoir. » (p. 53) Il se
caractérise également par le refus de l’alternance. Or « l’alternance est un
attribut de la souveraineté du peuple. » (Koulibaly, 2004 : 33) Le peuple n’est

220
donc pas souverain. L’État n’est pas un ouvrier du peuple, parce que son
pouvoir oppose la contrainte à la liberté : « Kanégnon (…) avait pris le
pouvoir dans la violence et le sang et juré de le garder pendant des siècles et
des siècles, de génération en génération, de maris à femmes, de frères à
cousins, et de mère à enfants ». (p. 219)
Boubounie ne peut être considéré comme une démocratie, parce que
l’animation des institutions est fondée sur le totalitarisme. L’administration de
l’État est détournée de sa vocation initiale : le bien-être collectif. Elle ne
favorise pas l’émergence d’une société ayant pour valeurs la liberté, l’égalité,
la séparation des pouvoirs, le pluralisme et l’indépendance de la justice. Elle
montre que la répression passe avant le débat idéologique. Les opposants, à
l’image de Kanégnon, sont en effet martyrisés : « La marche vers le pouvoir
(de Kanégnon et son épouse) a été longue, tortueuse. Embûches et crevasses
furent les moindres des difficultés qu’ils vécurent ; humiliations,
emprisonnements et tentatives d’assassinat, leur lot quotidien » (p. 55). Mais
une fois au pouvoir, il devient un dictateur sanguinaire. Le jeu politique se
révèle ainsi comme un lieu de cirque où prédomine le spectre de la mort 303 :
« Le sang arrose le pouvoir de Kanégnon comme la rosée les herbes le matin.
Des coups de fusils, de mitraillettes et de kalachnikovs crépitent, tôt, chaque
aube ou en pleine nuit, là-bas, au bout de la ville, dans un quartier lointain »
(p. 59). Akèdèwa n’est pas en reste : « Je vis mes opposants s’agiter, appeler
à des manifestations, dénoncer mon régime qu’ils trouvaient tyrannique,
dictatorial. Je n’ai pas hésité à les réprimer. Quand je voulais être gentil, je
les jetais en prison, sinon, je les faisais assassiner, ou dévorer par des lions
dans des fosses, tout simplement » (p. 14). Ces deux précédents indices
textuels impliquent que les Appareils Répressifs d’État (A.R.E) sont en alerte
maximale. L’État n’assurant pas son rôle de reproduction des rapports
sociaux, il est assujetti à un petit groupe qui pérennise sa criminalisation et sa
destruction. À la suite de Karl Marx, on dira que « Le pouvoir politique, au
sens propre, est le pouvoir organisé d’une classe pour l’oppression d’une
autre ». (Marx, 1962 : 7-8) À Boubounie, la scène politique se détermine au
demeurant pas son ethnicisation : « Les militants du parti de Kanégnon (sont)
majoritairement composés des gens de son ethnie ». (p. 36) En d’autres
termes le discours politique est identitaire.

À l’instar des partis politiques, les Appareils Idéologiques d’État que sont
l’école et les syndicats confortent la défaillance de l’État. Louis Althusser,
dans la même réflexion mentionnée plus haut, affirme que « l’appareil le plus

221
puissant dans la société moderne pour la reproduction de l’idéologie de la
bourgeoisie (au sens de ceux qui détiennent le capital) n’est pas la religion
mais l’école » . L’école à Boubounie n’offre aucun avenir à la jeunesse. Elle
est plutôt à la solde des gouvernants qui l’instrumentalisent pour se maintenir
au pouvoir. Kanégnon ne le cache pas face au viol de la fille de son conseiller
spécial Akèdèwa : « Mais, tu sais que je peux rien leur faire, à ces étudiants.
Sans eux, on ne serait plus au pouvoir » (p. 108). Le campus universitaire
n’est plus le temple du savoir. Il devient le lieu de toutes les dérives. Le
sociotexte se focalise sur les scènes de viol : « Les quatre étudiants tirèrent
Mamie de la douche, la projetèrent sur le lit, la battirent puis, la violèrent, à
tour de rôle. Ni ses cris ni ses appels à la pitié ne les attendrirent » (p. 107).
Aussi, n’est-il (le campus) pas fréquenté par les enfants des gouvernants.
Kanégnon le dit vertement à Akèdèwa dans cette séquence :

Le soir, j’eus la possibilité de raconter le calvaire de ma fille au Président. Il me regarda


longuement, et me demanda :
— Ah bon, tu as une fille sur le campus ?
— Oui, monsieur le Président.
— Toi aussi ! Tout le monde envoie ses enfants en France, au Canada, aux États-Unis avec des
bourses présidentielles et toi, tu laisses ta fille ici, sur ce campus pourri pour la laisser violer par
des voyous ! (p. 108)

Les forces scolaires, le syndicat des étudiants est une véritable milice plus
puissante que le pouvoir étatique. Akèdèwa explique comment et pourquoi il
en est ainsi :

Ces jeunes étaient nos alliés les plus intrépides. Ils constituaient la légion des jeunes terriens
qui soutenaient notre pouvoir, le défendaient contre l’opposition, les rebelles, le Burkina Faso, le
Gabon et la France. Nous leur devons notre confort, nos richesses. Plus puissants que des
ministres et des généraux, ils faisaient tout à leur guise, instauraient un État dans un État,
prélevaient taxes et impôts, enlevaient, tabassaient et tuaient leurs opposants en toute impunité,
volaient et violaient allègrement. (pp. 121 – 122)

Cette réalité nauséabonde est noyée dans des discours démagogiques


saluant le patriotisme du syndicat estudiantin. L’imaginaire social de l’œuvre
de Maurice Bandaman est donc dominé par une posture de perversion de la
dialectique et de la rhétorique : le faux, la fraude, le mensonge sont exigés en
règles de gestion et les orateurs ne cherchent pas à convaincre par la force des

222
arguments. En somme, la société textuelle de L’État Z’Héros ou la guerre des
Gaous est centrée sur une dialectique négative : celle de la crise de l’État que
résume Kanégnon en ces mots : « Nous sommes des héros, des héros dans un
État zéro, sans opposition, sans contestation, un État en guerre, mais un État
tranquille ». (p. 270) Cette défaillance de l’État entraîne une vision étriquée
de l’Appareil d’État (A.E). Les institutions, l’Administration sont prises en
otage. La raison d’État prime sur tout. Cette crise institutionnelle a pour
conséquence la concentration du pouvoir, le monopole politique et la
décomposition du ‘‘socius’’.
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223
II – La crise de la Nation
La société textuelle de L’État Z’Héros ou la guerre de Gaous est marquée
par la désintégration des normes sociales qui entraîne un affaiblissement du
capital humain tel que défini par Francis Fukuyama :

Le capital humain peut se définir simplement comme un ensemble de valeurs informelles ou de


normes partagées par les membres d’un groupe et qui leur permet de coopérer les uns avec les
autres. Si les membres du groupe s’attendent à ce que les autres se comportent de manière à
inspirer la confiance de façon honnête, alors ils se feront confiance mutuellement. La confiance
agit comme un lubrifiant qui fait que tout groupe ou toute organisation fonctionne avec plus
d’efficacité.304 (Fukuyama : 2000 : 98)

L’imaginaire social est donc le lieu d’une « dynamique immobile » : le


dépérissement de l’esprit communautaire qui se manifeste par l’effritement de
la cohésion sociale. Le narrateur Akèdèwa le souligne en ces termes :

Chacun, dans ce pays cherche son intérêt, sa pitance, personne ne veut se battre pour une cause
juste, générale, collective. À quoi bon ? Je ne vais quand même pas tout seul faire la révolution
pour un peuple qui n’en veut pas, qui accepte de ployer sous le poids de la misère, des déchets
toxiques, des ordures et des nuées de mouches ! (p. 173)

La concorde intérieure est inexistante. Or, Julien Freund constate que


« Les pays qui n’arrivent pas à trouver la concorde intérieure sont sans cesse
le théâtre de coups d’État, de ‘‘révolutions’’ et de putschs ». (Freund : 1965 :
51) Cela se traduit dans la socialité du roman par des manifestations
phénoménologiques de la lutte des contraires : agressions, banditisme, vol,
viol, affrontement armé. Il en résulte que le sociotexte est soutenu par un
espace crisogène que Diandué Bi Kacou Parfait définit comme suit : «
Espace crisogène : espace portant consubstantiellement la crise. Espace
comportant dans ses strates profondes les germes d’une crise. Espace
générateur de crises ». (Diandué, 2006 : 133) L’écriture est entièrement
vouée à la description de la fracture sociale et du « mécanisme d’écrasement
de l’homme ». L’itinéraire du narrateur homo auto diégétique est un prétexte
qui dévoile l’embrigadement des libertés fondamentales et des droits
élémentaires dans les espaces de guerre : l’espace occupé par les forces
loyalistes au Sud de Boubounie, celui des forces terribles (la rébellion) au
Nord, puis l’Ouest où sévissent les mercenaires et les milices. C’est le lieu de
dire que l’affrontement armé a pour pôle principal le Mouvement pour la Paix

224
et la Justice en Boubounie (MPJB) de Kabakourou opposé aux forces
loyalistes de Kanégnon.

Au Sud, Kanégnon se livre à des crimes rituels pour fortifier et pérenniser


son pouvoir. Cette pratique rituelle se fait à trois niveaux. Le premier niveau
concerne les jeunes filles vierges : « (…) les corps brûlants des jeunes
vierges mineures de douze ans que le Président, les ministres et les chefs de
guerre dépucellent ». (p. 170) Le second niveau porte sur les albinos : le
chapitre 10 est entièrement consacré au sacrifice d’une albinos de 13 ans. Le
troisième sacrifice rituel est celui des femmes enceintes : « Certes, d’autres
sacrifices avaient été faits, des enfants enterrés vivants, des femmes enceintes
enlevées, assassinées, leurs bébés extraits de leurs ventres, égorgés, séchés,
rendus en cendres, pour préparer des décoctions qui rendraient le Président
invulnérable face aux mauvais sorts, aux fétiches et grigris des opposants. »
(pp. 78 – 79) Cette logique d’extermination et d’obnubilation pour le sang est
corroborée par les escadrons de la mort qui se chargent de l’élimination de
personnalités issues du même groupe ethnique que le chef de la rébellion. Tel
est le motif de l’assassinat du comédien Bèrèbè :

Ce fut ainsi que le lendemain, au petit matin, le corps de Bèrèbè fut découvert, sous le pont B, à
l’entrée de la ville. De nombreux autres corps d’individus supposés proches de la rébellion
joncheront les trottoirs de nos rues, de nos plages, et les hommes du Président, conduits par Cafri,
ceinture noire, septième dan de sept arts martiaux, traqueront jusqu’à leur domicile tous ces
rebelles et assaillants tapis dans la capitale, pour les enlever, tard dans la nuit, les conduire loin de
la ville, les abattre et exposer leurs corps pour que tout le monde les voie. (p. 76)

La milice estudiantine n’est pas en reste. Elle se chargeait de l’élimination


physique des étudiants soupçonnés d’être des sympathisants des rebelles :
« Je tenais un bidon d’essence en main, j’aspergeai l’étudiant étendu dans les
herbes, nous nous plaçâmes à quelques mètres pour ne pas nous faire avaler
par les flammes, puis j’expédiai une allumette allumée et poum ! le corps de
l’étudiant, du camarade, du rebelle s’embrasa. » (pp. 111 – 112)

Les zones sous contrôle rebelles présentent la même atmosphère


luciférienne : vol, viol, extorsions de fond… : « Les paysans se plaignaient
des exactions commises par nos éléments qui les rackettaient, volaient leurs
cabris et leurs poulets, menaçaient de représailles les jeunes filles qui

225
refusaient leurs avances ». (p. 140)Wèwèklo, ville située au centre du pays,
où les forces terribles avaient installé leur quartier général est une jungle où
les armes circulent à profusion : « Un chef rebelle pris de jalousie tira un
coup de feu dans une boîte de nuit et tua le disc-jockey ». (p. 138)
L’exacerbation de la violence physique rime avec le triomphe de la déraison
guerrière : « Les rebelles avaient commencé à égorger, à manger les intestins
et à boire le sang des militaires loyalistes qu’ils attaquaient et tuaient comme
des poulets à la fête de Pâques ou du Nouvel An. » (p. 221)

L’Ouest est une zone de désolation ambiante du fait des mercenaires et


milices qui s’adonnent à l’enrôlement des enfants soldats. C’est le cas
d’Arthur Nimbo, fils de la juge qui l’a perdu de vue dans une bousculade.
Ces espaces de guerres ont en commun le désordre, le chaos, la cruauté :
« Le pays est peuplé de cadavres, les ruisseaux crachent le trop-plein de sang
et les charognards dansent : leur pitance est assurée pour de longues, très
longues années. » (p. 171) La guerre se décline allègrement comme une
compromission entre les différents pôles antagoniques. Kanégnon affirme en
effet : « Il (le chef de la rébellion) est mon allié dans le plaisir de la guerre.
Comme il sera mon allié dans l’amertume de la paix ou dans la délivrance de
la mort. » (p. 270) Le narrateur va plus loin par l’entremise de cet indice
textuel :
Moi, Akèdèwa, je confesse que je n’ai jamais vu au monde de guerre aussi juteuse, surtout pour
les protagonistes. Séparées par une ligne infranchissable contrôlée par des Blancs, les Forces
impartiales et l’ONU, chacune des forces belligérantes peut se prélasser dans une zone,
peinarde, racketter et piller, voler et violer, dans une entière et paradisiaque impunité, sous le
regard heureux et complice de l’ONU et de la France, qui, pour se donner bonne conscience, de
temps à autre, agitent quelques résolutions, déclarations ou menaces qui ne peuvent même pas
leur faire bouger les cils d’un enfant. (p. 169)

La formulation du cotexte, précisément du titre participe de cette


évocation. L’État Z’Héros ou la guerre de Gaous est construit sur un double
discours : champ privilégié de l’ironie. Or, Vincent Jouve soutient que : « Ce
qu’il faut (…) retenir du discours ironique, ce n’est ni l’opinion qu’il rejette,
ni celle qu’il exalte, mais la tension qu’il instaure et qui n’est pas destinée à
être dépassée ». (Jouve : 2007 :125) Ici, le discours rejette l’idée de justiciers
des chefs de guerre (Kanégnon, Kabakourou…) pour mettre à nu celle de la
naïveté et de la déconstruction sociale. En effet, si le premier niveau est la
dislocation de l’Appareil d’État comme mentionné plus haut, le second niveau

226
de lecture évoque l’idée de faux héros qui abusent de la naïveté du peuple.
D’où la conjonction de coordination ‘‘ou’’ qui introduit ici le rapport entre les
prétendus « héros » et les « gaous » ; gaous signifiant naïfs. L’État Z’Héros
ou la guerre des Gaous est par conséquent un titre subjectal, pour suivre Léo
H. Hoek 305 , qui désigne le sujet du texte : l’effritement du corps social.

L’espace romanesque donne ainsi l’image d’une société balafrée, meurtrie


par la dislocation des familles, le chômage, la pauvreté : « Dans la zone
gouvernementale comme dans la zone rebelle, la même misère, le même
peuple qui croupit sous le poids de la maladie, de la faim, de la pauvreté. »
(p. 268) Chaque pôle de l’antagonisme est rattaché à une ethnie : « Chaque
ethnie s’est rangée dans un camp : le camp du pouvoir légal et le camp de la
rébellion et chacun attend la victoire finale pour régler ses derniers
comptes ». (p. 178) Boubounie se présente ainsi comme une poudrière
identitaire, un espace tragique et dysphorique à souhait ; tragique entendu
selon l’acception de Sidibé Valy : « une situation où l’homme prend
douloureusement conscience d’un destin où ‘‘fatalité qui pèse sur sa vie, sa
nature ou sa condition’’ et à laquelle il ne peut échapper, parce que l’unique
issue est soit la mort biologique soit la mort morale ou l’humiliation »
(Sidibé, 1999 : 1). La stratégie narrative consiste ici à inscrire les agents
sociaux dans des réseaux spatiaux conflictuels pour amplifier l’idée de
recomposition des structures sociales sur la base de l’ethnicité qui a pour
conséquence l’embrasement du corps social. Ainsi s’explique l’usage constant
d’intertextes historiques : personnages référentiels, toponymie et
anthroponymie réalistes en rapport avec la déraison guerrière : Kossovo,
Afghanistan, Irak, Bosnie, Soundjata Kéïta, Chaka, Samory Touré. Aussi,
l’écriture de la violence est-elle soutenue par la violence de l’écriture qui
s’exprime à travers le mélange des genres (conte, poésie, chant), des niveaux
de langue (médian, familier, argotique), l’excès (l’épopée d’Akèdèwa,
exubérance lexicale), un sociolecte de la décrépitude sociale : sang, mort,
conflit, cadavre, arme, assassinat, viol, crime, guerre, etc.
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227
III – Des institutions
démocratiques, préalables à la
paix sociale
La socialité de L’État Z’Héros ou la guerre des Gaous est ‘‘le réceptacle
d’une rupture déchirante’’ ; c’est-à-dire une fracture sociale résultante d’une
crise institutionnelle profonde. Elle montre que l’instrumentalisation et la
dislocation des Appareils d’État par le pouvoir politique entraînent la
délégitimation du peuple. L’imaginaire social est ainsi entièrement voué au
dévoilement de cette gestion dictatoriale. Ceci explique l’usage d’un extrait
de l’ouvrage de Napoléon Hill Réfléchissez et devenez riche comme
épigraphe : « À maintes reprises, l’histoire a prouvé que la dictature est
éphémère. La chute et la disparition des dictateurs et des rois signifient que le
peuple n’accepte pas indéfiniment un pouvoir pris par la force. Napoléon,
Mussolini, Hitler en sont des exemples. Le seul pouvoir qui peut durer est
celui auquel le peuple a pleinement consenti. »
Il résulte de ce qui précède que l’écriture de Maurice Bandaman se veut
une interrogation insistante sur les fondements de l’aliénation politique, en
particulier celle de l’Afrique postindépendance marquée par des révolutions
de palais. En effet, la société de référence convoquée est la Côte d’Ivoire. La
trame événementielle de l’œuvre a pour toile de fond la rébellion ivoirienne.
Plusieurs indices textuels le confirment : le leader de la rébellion Kaba kourou
fut « le disciple et le fils spirituel » (p. 219) du président Kanégnon, comme
Soro Guillaume pour Gbagbo Laurent. Dans la société textuelle, le chef
rebelle « était un jeune homme de trois fois sept ans, un étudiant qui n’avait
même pas encore fini de valider ses unités de valeur en philosophie et en
sociologie ». (p. 219) Soro Guillaume avait à peine trente ans et une licence
d’anglais au début de la rébellion ivoirienne. Le nom attribué aux militaires
rebelles : les forces terribles rappellent les forces nouvelles du Mouvement
Patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) ; structure qui s’apparente au
Mouvement pour la ¨Paix et la Justice en Boubounie (MPJP). Le puissant
syndicat estudiantin nommé Forces scolaires dans le sociotexte fait
évidemment allusion à la FESCI (Fédération Scolaire de Côte d’Ivoire). Le
pseudonyme du Secrétaire Général de ce syndicat est Général comme dans la
fiction. Par ailleurs, la rébellion ivoirienne a connu l’intervention des forces
impartiales : ONU et France (Licorne). Elle avait pour quartier général

228
Bouaké, une ville du centre de la Côte d’Ivoire. Tous ces indices sont énoncés
dans le sociotexte. Mais si les forces impartiales sont clairement citées, la
ville de Bouaké est Wèwèklo dans la fiction. Celle-ci demeure le quartier
général de la rébellion. L’épisode du bombardement du cantonnement
français dans cette ville du centre et de la destruction au sol des aéronefs
ivoiriens par l’armée française est également repris par l’écrivain. Etc.

L’esthétique de Maurice Bandaman se fonde par conséquent sur le


témoignage. Elle entreprend de saisir notre présent et d’en dessiner les voies
émancipatrices. Elle se veut donc un moyen d’exorcisation du monstre de la
guerre, une véritable catharsis des consciences individuelles et collectives afin
de favoriser une société paisible. Autrement dit, elle est quête d’« une
nouvelle humanité plus juste, plus libre, plus joyeuse », plus paisible. (p. 274)
L’agent social Akèdèwa confirme cette idée lorsqu’il dit : « J’en étais arrivé
à réaliser que nous avions atteint les sommets de l’horreur, que nous avions
fait notre plein de cruauté et de cynisme, qu’il nous fallait redevenir humain,
réapprendre à aimer, à partager, à pardonner. » (p. 101) Alors l’écrivain fait
de son œuvre « une méthodologie de l’action historique ; c’est-à-dire à la fois
l’art et la science d’analyser les contradictions majeures d’une époque et
d’une société, et à partir de cette prise de conscience de découvrir le projet
capable de les surmonter ». (Garaudy, 1985 : 250)

Cette démarche est en phase avec l’opération « Écrire par devoir de


mémoire » parrainée par le Festival de Lille Fest’Africa et La Fondation de
France. Elle fut suscitée par l’organisateur du festival : Nocky Djedanoum
pour écrire sur le génocide rwandais et en permettre une meilleure
compréhension. La préoccupation de Djedaoum étant de témoigner et de
réfléchir « sur les conditions de re-socialisation et de nouvelle
humanisation » (Diandue : op.cit : 132), afin que les générations futures
n’oublient pas, et s’en servent pour anticiper d’éventuels conflits, plusieurs
écrivains furent mobilisés en 1998 pour un voyage au Rwanda : Boubacar
Boris Diop, Véronique Tadjo, Tierno Monenembo, Abdourahman Waberi,
Koulsy Lambo, Monique Iboudo … . Cette opération a donné naissance à
plusieurs œuvres romanesques : Murambi, le livre des ossements de Boubacar
Boris Diop, Moisson de crânes d’Abdourahman Waberi, Murekatete de
Monique Iboudo etc. En d’autres termes, en matière de témoignage par
l’entremise de la fiction, Maurice Bandaman n’innove pas. Il corrobore la
pensée d’Antoine Maillet qui disait : « Je crois que le roman très souvent

229
rend plus fidèlement une réalité d’un siècle, d’une époque ou d’un lieu que la
simple transcription de l’histoire ». (Entretien avec Lise Gauvin : op.cit : 107)

Maurice Bandaman s’inscrit en effet dans la dynamique esthétique de


Diégou Bailly dans La traversée du guerrier (2004) et Venance Konan dans
Le Rebelle et le Camarade président (2013) Toutefois, son originalité réside
dans sa capacité à proposer, à partir d’un vieux thème, des problématiques
nouvelles, « à formaliser sa pensée à partir de présupposés esthétiques
nouveaux ». (Kouamé : 2001 :169) A la différence de Venance Konan et
Diègou Bailly qui mettent l’accent respectivement sur l’occupation des
espaces et l’animation des relations interpersonnelles par un discours
politique identitaire, Bandaman se focalise sur le fonctionnement des
institutions étatiques, pose la question de l’État en Afrique. En réinterrogeant
la gestion des Appareils d’État précisément, il constate que la paix sociale a
pour préalable l’élaboration d’institutions démocratiques. Assertion que
confirme Marie Solange N’dri Kouamé en mots : « L’État moderne, qui
trouve sa formulation décisive dans la philosophie de Rousseau et son
principe de légitimité dans la démocratie, a pour finalité, à l’origine, la
sécurité des personnes et des biens ou, autrement dit, la paix sociale »
(Kouamé, 2003 : 160). Il en découle qu’en Afrique, il urge d’inventer les
modalités démocratiques de gestion des Appareils d’État. En se proposant de
critiquer les démocraties émergentes des pays africains, Maurice Bandaman
entend participer à la réhabilitation de la démocratie qui travaille
nécessairement au renforcement de la nation306. Car elle établit l’unité
politique dans la convergence des divergences individuelles et dans la
conciliation harmonieuse des antagonismes. Aussi, ne saurait - elle rimer avec
le discours politique identitaire qui suppose l’exclusion et la discrimination.
L’un des principes fondamentaux de l’État de droit réside dans l’expression
de la souveraineté du peuple. La souveraineté est intégration, et non
assimilation et alignement. Aussi, pour espérer voir « l’aube du jour du
bonheur universel », selon les termes de Maximilien de Robespierre énonçant
« les principes de la moralité politique » en Février 1794, les gouvernants
africains doivent – ils s’évertuaient à prendre conscience de leur aliénation
politique, à gouverner avec le peuple et pour le peuple.
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230
Conclusion
L’imaginaire social de L’État Z’Héros ou la guerre des Gaous se dévoile
comme une vaste enquête anthropologique pour appréhender l’essence des
révolutions de palais et de la dislocation des liens sociaux. La crise
institutionnelle en estle système centralisateur. Roman de témoignage,
l’œuvre entend concourir à une meilleure compréhension de la crise politique
ivoirienne. L’écriture présente l’instrumentalisation du pouvoir et des
Appareils d’État comme source de marginalisation et de conflits. Le projet
d’écriture réside dans la critique des démocraties émergentes africaines et la
dénonciation des dictatures politiques. Maurice Bandaman milite en faveur de
la restauration de l’autorité de l’État par la voie démocratique et la bonne
gouvernance. La légitimité démocratique doit être la mesure d’évaluation du
pouvoir d’État. La conception ethniciste du jeu politique est un frein à la
régularité, à la transparence dans la gestion des affaires, et au respect des
procédures, des citoyens et de l’État de droit. Bandaman Maurice affirme, à
juste titre, dans son essai Côte d’Ivoire : chronique d’une guerre annoncée
(2004) : « Tout appel à un peuple qui n’exalte pas le goût de l’effort, du
sacrifice, du désintéressement, du travail pour son pays, mais s’appuie sur la
primauté d’un groupe sur un autre conduit toujours et partout à l’éclatement
de la nation ».
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231
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Comité de redaction et de lecture


Adama SAMAKE
Bidy Cyprien BODO

233
Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

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1988, p.572.

17 - Sigmund FREUD, Introduction à la Psychanalyse , Paris, Payot, 2013.

18 - Max MITNER, Freud et l’interprétation de la littérature , Paris, Sedes, 1997, p. 49.

19 - Bernard MAGUIER, « Entretien avec SonyLabou TANSI », in Notre Librairie , n 79, Avril-
Juillet, 1985, p.7.

20 - Adama SAMAKE, La sociocritique : enjeux théorique et idéologique , Paris, Publibook, 2013,


p.11.

21 - Pierre JOURDE, Géographies imaginaires de quelques inventeurs de mondes au XXe siècle

235
.Paris, Gracq, Borges, Tolkien, 1991, p. 322.

22 - https://fr.wikipedia.org/wiki/Cornelius_Castoriadis#La_d% C3%A9
mocratie_selon_Castoriadis Consulté le 04/09/2018.

23 - Idem
24 - Bronisław Baczko, Les imaginaires sociaux. Mémoires et espoirs collectifs, Paris, Payot, 1984, p.
8.

25 - Popovic, Pierre, La mélancolie des Misérables. Essai de sociocritique , Montréal, Le


Quartanier, 2013.

26 - Régime Robin, « Pour une socio-poétique de l’imaginaire social », op.cit ., p. 96.


27 - Régime Robin, « Pour une socio-poétique de l’imaginaire social », op.cit ., p. 96.
28 - Idem ., p. 97.
29 - Claude DUCHET, « Une écriture de la socialité », Op.cit ., p. 446.
30 - René Barbier, « L’idéologie n’est que la part rationalisée et rationalisable de l’imaginaire social »
in L’imaginaire social http://www.barbier-rd.nom.fr/Imaginairesocial.htm Consulté le 04/09/2018.

31 - Patrick Charaudeau, Le Discours d’information médiatique, la construction du


miroir social, Paris, Nathan, 1997, p. 14.
32 - Cf Pierre Kende, « À propos du mythe publicitaire », Revue française de sociologie,
1969, 10-3. pp. 312-317, En ligne : http://www.persee.fr/doc/
rfsoc_0035-2969_1969_num_10_3_1544, consulté le 12-12-2017.

33 - Patrick Charaudeau, Le Discours politique. Les masques du pouvoir, Paris, Vuibert,


2015, p. 158.
34 - Karine Berthelot-Guiet, Paroles de pub. La vie triviale de la publicité, Paris,
Éditions Non standard, coll. sic Recherches en sciences de l’information et de la communication, 2013,
p. 47.

35- Karine Berthelot-Guiet, Analyser les discours publicitaires, Paris, Armand Colin, 2015,
p. 10.
36 - Cf Jean-Michel Adam, Marc Bonhomme, L´Argumentation publicitaire : Rhétorique
de l´éloge et de la Persuasion, Paris : Armand Colin, 2011, p. 55.
37 - Cité par Chebat Jean-Charles, Gautier Bernard, « La rhétorique au service de la publicité », In :
Communication et langages , n°38, 2e trimestre 1978. pp. 103-116, doi : 10.3406/colan.1978.1208, En
ligne, consulté le 15-10-2015, URL : http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1978_num _
38_1_1208
38- Valérie Sacriste, « Communication publicitaire et consommation d’objet dans la société moderne »,
Cahiers internationaux de sociologie 2002/1 (n° 112), p. 123-150, DOI

236
10.3917/cis.112.0123, pp. 132-133.
39 - Idem., p. 132.
40 - Valérie Sacriste, « Communication publicitaire et consommation d’objet dans la société moderne »,
Cahiers internationaux de sociologie 2002/1 (n° 112), p. 123-150, DOI
10.3917/cis.112.0123, pp. 132-133.
41 - Idem, p. 133.
42 - Cf Bourdieu Pierre, « La Domination masculine », In : Actes de la recherche en sciences
sociales. Vol. 84, septembre 1990, Masculin/féminin-2. pp. 2-31, p. 25.
43 - Patrick Charaudeau, « Les stéréotypes, c’est bien. Les imaginaires, c’est mieux », Boyer H. (dir.),
Stéréotypage, stéréotypes : fonctionnements ordinaires et mises en scène,
http://www.patrick-
L’Harmattan, 2007, En ligne, consulté le 11-07- 2018, URL :
charaudeau.com/Les-stereotypes-c-est-bien-Les,98.html.
44 - Denise Jodelet, « Représentations sociales : un domaine en expansion », Denise Jodelet (Dir.), Les
Représentations sociales, Paris, Presses universitaires de France, 5e édition 1997 [1989], p.47-
78, pp. 52-53.

45 - Patrick Charaudeau, « Les stéréotypes, c’est bien. Les imaginaires, c’est mieux », Op. Cit.
46 - Patrick Charaudeau, « Les stéréotypes, c’est bien. Les imaginaires, c’est mieux », Op. Cit.
47 - Voir Claude Lévi-Strauss, L’Homme nu, Paris, Plon, 1971, p. 598.
48 - Pierre Kende, « À propos du mythe publicitaire », op. cit.
49 - Jean-Claude Soulages, « Les scènes du discours : genre, discours, imaginaires, Jean-Claude
L’analyse de discours : sa place dans les sciences du
Soulages » (dir.) (2015),
langage et de la communication. Hommage à Patrick Charaudeau, Rennes,
Presses universitaires de Rennes, Coll. « Rivages linguistiques », p. 105-114, version disponible en
ligne, https://tigubarcelos.files.wordpress.com/2012/05/jcs-
hommage.pdf, p. 7.
50 - Jean-Claude Soulages, « Les scènes du discours », Op. Cit., p. 2
51 - Idem.
52 - Patrick Charaudeau, « Les stéréotypes, c’est bien. Les imaginaires, c’est mieux », op. cit.
53 - Jean-Claude Soulages, « Les imaginaires du discours », op., cit., p. 3
54 - Maingueneau, Dominique, Les Termes clés de l’analyse du discours, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « mémo : Lettres », 1996, p. 47.

55 - Ducrot, Oswald, Dire et ne pas dire : principes de sémantique linguistique,


Paris, Hermann, coll. « Savoir », 1972, p. 15.
56 - En témoignent les objets, tous associés au pénis et à la sexualité masculine de J.P. Regis, « Tom,
Dick ‘N’Arry : les profondeurs du lexique » dans Stratégies de la métaphore, Pierre Gault
(dir.), Presses universitaires François-Rabelais, 1985, p. 85-102. Voir aussi les dictionnaires érotiques
Dictionnaire érotique, Payot, [1978] 2006, et
dont les plus en vue sont celui de Pierre Guiraud,
celui d’Agnès Pierron, Dictionnaire des mots du sexe, Paris, Pocket, 2012. On retrouve aussi

237
l’investissement militaire de la sexualité sur des sites dédiés dont Doctissimo,
http://forum.doctissimo.fr/doctissimo/desir-plaisir/synonyme-designer-
penis-sujet_190642_1.htm.
57 - https://cloud10.todocoleccion.online/coleccionismo-carteles-
Cf.,
pequenos/tc/2018/03/07/20/114388019.jpg
58 - Roland Barthes, Mythologies, Paris, Éditions du Seuil, 1957, p. 70.

59 - Dans Psychanalyse des contes de fées , éditions Hachette littérature, 1998, p. 297.

60- Cf http://dictionnaire.sensagent.leparisien.fr/petit%20oiseau /fr-fr/


61 - Le site du respectable magazine santé du Figaro titre par exemple « Le café est-il l’ami de
l’érection », Par damien Mascret Publié le 22/05/2015, En ligne :
http://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/05/22/23758-cafe-est-il-lami-
lerection. On retrouve aussi les articles « Sexualité féminine : le café, boisson de l’amour ! » de
Kamir B. Publié jeudi 26 janvier 2017 sur http://www.algerielle.com/sante/sante-de-
la-femme/1704-sexualite-feminine-le-cafe-boisson-de-l-amour.html et
« Quand le café augmente la libido » publié le jeudi 19 janvier 2006 sur le site de radio canada
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/291986/cafe-libido-femelle
62 - Voir notamment http://www.cnrtl.fr/synonymie/philtre,
https://www.nice-people.be/blog/chroniques/philtre-amour-cocktail-
aphrodisiaque-et-conseils-feng-shui/,
https://www.femina.fr/article/philtres-d-amour-5-boissons-
aphrodisiaques, http://www.aphrodisiaque-guide.com/philtre-amour-aphrodisiaque-
guatemalteque.

63 -https://sante-medecine.journaldesfemmes.fr/faq/17869-frenulum-
definition
64 - Voir la synonymie « levier de vitesse = phallus » de Bernard Mirande, Dictionnaire
Symbolique et Psychologique, Les Éditions du Grand Rêve, 2010, p. 221. Il existe même une
housse pour levier de vitesse de forme phallique, une compensation psychologique du pénis féminin
perdu selon Freud dans un contexte automobile fortement masculinisé. Cf
https://www.amazon.fr/HOUSSE-PENIS-LEVIER-DE-
VITESSE/dp/B00VM65DOO.
65 - Voir aussi « corne = phallus » de Bernard Mirande, Dictionnaire Symbolique et
Psychologique, Les Éditions du Grand Rêve, 2010, p. 221.
66 - Cf http://dagr.univ-tlse2.fr/consulter/2264/PAN/texte

67 - https://www.jdp-pub.org/avis/sainte-maure-de-touraine-aop-
affichage/
68 - Voir par exemple les articles « Les mangeurs de fromage auraient davantage d’appétit sexuel ! »,

238
https://docteurbonnebouffe.com/sexe-fromage-augmentation-libido/,
« Le fromage, nouvel aphrodisiaque ? »

http://madame.lefigaro.fr/bien-etre/le-fromage-nouvel-aphrodisiaque-
140415-96083 et « Le fromage aphrodisiaque, vraiment ? »
http://www.lalibre.be/lifestyle/love-sex/le-fromage-aphrodisiaque-
vraiment-552f911135704bb01bc8db44.
69 - Cf. le compte rendu en ligne https://www.telerama.fr/medias/on-a-essaye-de-
comprendre-ce-que-pouvait-bien-raconter-la-pub-
shalimar,102882.php, voir aussi http://unoeilsurlapub.com/la-legende-de-
shalimar-un-mythe-indien-occidentalise/
70 - Le calembour est un jeu de mot qui repose sur l’équivoque que provoque l’emploi de mots à double
sens.
71 - « Il convient de mentionner, parmi les sanctuaires de Sicile, celui d’Aphrodite Erycinè sur l’Éryx,
célèbre par ses trésors, ses courtisanes, et ses colombes, qu’on supposait prendre part à un voyage
annuel de la déesse. À l’époque de son départ, quand elle était censée se retirer en Libye, ses oiseaux
devenaient invisibles ; neuf jours après, une colombe qui surgissait de la mer revenait au temple, bientôt
suivie des blanches messagères, annonciatrices du retour divin » M. Lenormant, Dictionnaire des
Antiquités grecques et latines, de Daremberg et Saglio, Paris Hachette, 1877, En ligne, URL :
http://dagr.univ-tlse2.fr/consulter/529/BACCHUS/texte
72 - La nature ardente dont il est ici question est sexuelle et la liste des dits animaux compte « le bélier
par exemple et le bouc, le lapin et le lièvre, la colombe et le passereau. » Ibid.

73 - Cf Carl Gustav Jung, métamorphoses et symboles de la libido, Montaigne, 1932, p. 26 ; Gilbert


Durand, les structures anthropologiques de l’imaginaire, Bordas, 1973, p 74.

74 - « En dehors de la psychiatrie, la psychanalyse classique a étudié longuement les rêves du feu. Ils
sont parmi les plus clairs, les plus nets, ceux dont l’interprétation sexuelle est la plus sûre. »

Gaston Bachelard (1934), La Psychanalyse du feu , Paris, Éditions Gallimard, 1992, 192 pp.
Collection : Folio/Essais. Première édition : 1949, Gallimard, p. 37.

75 - Renaud Lieberherr, Le feu domestiqué : Usages et pratiques dans l’architecture mondiale , Publié
par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), Paris, 2006, p.
28.

76 - Ovide, Métamorphoses [détail des éditions] [lire en ligne [archive]], IV, 196-255.

77 - Panyassis d’Halicarnasse (5e siècle av. J.C.), cité par Marcel Détienne,
Les jardins
d’Adonis. La mythologie des parfums et des aromates en Grèce, Suivi d’une
interprétation de Jean-Pierre Vernant et d’une lecture de Claude Lévi-Strauss, Nouvelle édition,
augmentée d’un après-propos de l’auteur, Paris, Gallimard, 2007, p. 151.

78 - Roland Barthes, Mythologies, Paris, Éditions du Seuil, 1957, p. 142


79 - Jean-Claude Soulages, « Le genre en publicité, ou le culte des apparences », MEI « Médiation et
information », Nº 20, 2004, p. 56.

239
80 - http://www.cnrtl.fr/definition/pied

https://www.cosmopolitan.fr/,la-fin-du-mythe-des-hommes-aux-
81 - Cf
grands-pieds,1900778.asp.
82 - Cf Marguerite Geoffroy & Alain Montandon (eds), Marie-Madeleine : figure mythique
dans la littérature et les arts, Presses universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 1999.
83 - Cf Freud, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, nouv. trad., coll.
« Connaissance de l’inconscient », Gallimard, 1987, pp. 111-2.

84 - http://journalmetro.com/opinions/bouffe-et-compagnie/405429/
une-campagne-osee-pour-les-18-ans-du-guide-restos-voir/.
85 - Cf http://dictionnaire.sensagent.leparisien.fr/petit%20oiseau /fr-fr/
La politique sexuelle de la viande : une théorie
86 - Adams, Carol J. (2016),
féministe critique végétarienne, traduit de l’anglais (États-Unis) par Danielle Petitclerc,
Lausanne, Éditions L’Âge d’Homme.

87 - Roland Barthes, Mythologies, Op. Cit., pp. 72-73.


88 - Cf le site Top Santé https://www.topsante.com/couple-et-sexualite/sexualite/desir-plaisir/sexe-les-
meilleurs-aliments-aphrodisiaques-11976 ou encore https://www.gentside.com/sexe/aphrodisiaque-les-
10-aphrodisiaques-naturels-et-puissants-pour-raviver-la-flamme_art49437.html
89 - « Au-delà de son apparence un brin phallique, l’asperge a des vertus nutritives qui nourriront
parfaitement vos ambitions sexuelles. Riche en vitamine K, l’asperge facilite la coagulation sanguine et
donc son apport vers les organes qui en font la demande. Ainsi, les parties génitales comme le pénis ou
le vagin voient leur afflux sanguin augmenté. La vitamine B9 également très présente favorise la
production d’histamines qui provoquent notamment le relâchement de l’utérus (…) au moment de
l’orgasme ». https://www.topsante.com/couple-et-
Cf
sexualite/sexualite/desir-plaisir/sexe-les-meilleurs-aliments-
aphrodisiaques-11976.
90 - Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales, Cf
http://www.cnrtl.fr/definition/asperge et
http://dictionnaire.sensagent.leparisien.fr/petit%20oiseau/fr-fr/
91 - Cf voir notamment l’article « Un peu d’histoire de la truffe – est-elle thérapeutique ou
https://dordognegourmande.wordpress.com/recettes/un-
aphrodisiaque ?? »
peu-dhistoire-de-la-truffe-est-elle-therapeutique-ou-aphrodisiaque/ ou
encore le site http://gourmetpedia.org/produits/articles/truffe-
aphrodisiaque/
92 - Cf Angelo de Gubernatis, Mythologie des Plantes ou Les légendes du règne
végétal, Tome I, Arbre d’Or, Genève, 2004, p. 86.
93 - Idem.
94 - Cf. Kuhn und Schwarz, Norddeutsche Sagen, cite par Angelo de Gubernatis, Mythologie des

240
Plantes, Tome I, op. cit., p. 86.
95 - Idem., p. 84.

96 - M. Baudry cité par Angelo de Gubernatis, Mythologie des Plantes ou Les légendes du règne
végétal , Tome II, Arbre d’Or, Genève, 2004, p.158-159

97 - https://www.gentside.com/sexe/aphrodisiaque-les-10-
Cf
aphrodisiaques-naturels-et-puissants-pour-raviver-la-
flamme_art49437.html
98 - Jean-Claude Soulages, Les imaginaires du discours ; genre, discours, imaginaires, Op. Cit., p. 3.
99 - Dernière révision de la sitographie des images établie le 26/09/2018

100 - DUBOIS Jean et JOUANNON Guy , Grammaire et exercices de français , Paris, Librairie
Larousse, 1956, p. 126.

101 Maurice GREVISSE, Précis de Grammaire Française, Paris, Éditions Duculot, 1990, p.
131.
102 Idem, p. 131.

103Maurice GREVISSE, Le bon usage, Paris, Éditions Duculot, 1980, p. 644.


104 - Martin RIEGEL et al., Grammaire méthodique du français, 5e tirage, Paris, PUF, 2014, p.529
105 - Jean DUBOIS et Guy JOUANNON , Grammaire et exercices de français , Paris, Librairie
Larousse, 1956, p192.
106- Dominique LEGALLOIS, « Présentification, hypotypose et linguistique du témoignage dans
Misérable Miracle d’Henri Michaux », Article, CRISCO, Université de Caen. Source :
http://www.crisco.unicaen.fr/IMG/pdf/_D-Legallois. Pdf, p.5.
107- Cornelius CASTORIADIS, L’imaginaire comme tel, Paris, Hermann Editeurs, 2007, p.
145.

L’imaginaire social. Note sur une notion flou, source :


108- Patrice LEBLANC,
Cahier Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SERIE, Vol 97, LE COURS DES
AGES (juillet-décembre 1994), p.415.
109- Patrice LEBLANC, L’imaginaire social. Note sur une notion floue, p.420. :
« L’imaginaire social considéré comme une mémoire collective ressemble assez […] à l’utopie. En
effet, la mémoire collective, tout comme l’utopie, est composée de représentations collectives. Celles-ci
bien entendu ne sont plus tellement faites d’espoirs et de rêves collectifs mais plus justement de
souvenirs que partagent une communauté ».
110- Jean DUBOIS, Grammaire structurale du Français, nom et pronom, paris, Librairie Larousse,
1965, p. 112.
111 - Kjersti FLOTTUM et alii., ON. Pronom à facette. Bruxelles, de Boeck, 2007.
112 - Claire Blanche BENVENISTE, Le double jeu du pronom ON. In : Hadermann, P., Van Slijkcke
La syntaxe raisonnée. Mélanges de linguistique générale et
A. &Berré M. (éds).
français offerts à Annie Boone à l’occasion de son 60 è anniversaire. Bruxelles,

241
De Boeck-Duculot, 2003, pp. 45-56.

113- Martin RIEGEL et alii., Grammaire méthodique du français, 5e tirage, Paris, PUF,
1994, p. 197.
114- Louis GUILBERT et alii, Grand Dictionnaire des Lettres, Paris, Larousse, tome 2,
1986, p. 1534.

115- Jean GIRODET,


Grand Dictionnaire de la langue française, Paris, Bordas,
1976, en 3 volumes, p. 2378.
116 - Riegel (Martin) et alii, Grammaire méthodique du français, Paris, Quadrige/P.U.F,
2004, p. 333.

117 - Dominique MAINGUENEAU, Linguistique pour le texte littéraire, 4e édition, Paris,


Nathan, collection Université, 2003, p. 19.
118 - Charles MORRIS, Signs, Language and Behavor. New York (E.U.A). Prentice-Hall, 1946,
p.191.“ An iconic sign […] is any sign which is similar in some respects to what it denotes.” (L’icôneest
un signe qui ressemble à son objet.)

119 - Magloire KOUASSI, Cours de linguistique du français. De la syntaxe à la


sémantique, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 73
120 - Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, L’Enonciation. De la subjectivité dans le
langage, Paris, Armand Colin, 2002, p. 80.
121 - Gérard GENETTE, Nouveau Discours du récit, Paris, Seuil, 1983, p. 49.

122 - Ce point de vue évoque ce qu’écrit Bourdieu, au sujet de la question du corps dont la perception
est conditionnée par des schèmes incarnant la structure sociale qui leur est sous-jacente, Pierre
Bourdieu, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998, p91.
123 -Le corpus est limité à deux romans de Ken Bugul : Riwan ou le chemin de sable, Paris,
Présence Africaine, 1999 et Le baobab fou, Abidjan, Dakar, Lomé, Les Nouvelles Éditions
Africaines du Sénégal, 1983.
124 - Bourdieu écrit : « J’ai aussi toujours vu dans la domination masculine, et la manière dont elle est
imposée et subie, l’exemple par excellence de cette soumission paradoxale, effet de ce que j’appelle la
violence symbolique, violence douce, insensible, invisible pour ses victimes mêmes, qui s’exerce pour
l’essentiel par les voies purement symboliques de la communication et de la connaissance ou, plus
précisément, de la méconnaissance, de la reconnaissance ou, à la limite, du sentiment. », Pierre
Bourdieu, op. cit., p11.
125 -L’expression « représentation sociale » est empruntée au domaine de la psychosociologie. Elle
« désigne une forme de pensée sociale ». Claudine Herzlich, au sujet de l’image littéraire (qui évoque
dans le présent contexte l’idée de perception du corps), définit la représentation sociale comme suit :
« En tant que modalité de connaissance, la représentation sociale implique d’abord une activité de
reproduction des propriétés d’un objet, s’effectuant à un niveau concret, fréquemment métaphorique et
organisée autour d’une signification centrale ». (Claudine Herzlich, « La représentation sociale », in
Serge Moscovici (dir), Introduction à la psychologie sociale, 1er vol., Paris, Larousse
Université, 1972, p 307-308). Il faut noter que, contrairement à l’idée de « remodelage » de l’objet que
soutient ensuite Claudine Herzlich, les représentations sociales du corps de la femme paraissent, en

242
l’occurrence, fidèles aux schèmes sociaux.
126 - « La structure sociale est présente au cœur de l’interaction, sous la forme des schèmes de
perception et d’appréciation inscrits dans le corps des agents en interaction. Ces Schèmes dans lesquels
un groupe dépose ses structures fondamentales (comme grand/petit, fort/faible, etc.) s’interposent dès
l’origine entre tout agent et son corps parce que les réactions ou les représentations que son corps
suscite chez les autres et sa propre perception de ces réactions sont elles-mêmes construites par ces
schèmes », Pierre Bourdieu, op. cit., p91.
127 -Pierre Bourdieu, op. cit., p12.
128 - Idem, op. cit., p22.
129 - Pierre Bourdieu, op. cit., p. 65.
130 -Riwan ou le chemin de sable, Op. Cit., p. 26.
131 -Idem, p. 27.

132- Riwan ou le chemin de sable, Op. Cit., p. 60.


133-Idem.
134 -Ibidem, p. 24.

135 -Pierre Bourdieu, Op. Cit., p 33.


136- Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, II, Paris, Gallimard, 1949, 1976, p221.
137- Riwan, Op. Cit, p. 42.
138- Idem, p. 78.
139- Ibidem, p. 35.

140 -Pierre Bourdieu, Op. Cit., p. 69.


141 -Idem.
142 -Riwan, pp. 46-47.
143 -Simone de Beauvoir, Op. Cit., p. 149.
144 -Riwan, p. 46.
145 -Au sujet de la nuit de noce du personnage de Rama qui est comme un objet à la merci du Sérigne :
« Elle n’avait jamais été tournée et retournée de cette façon » (Riwan, p78) ; ce que les filles de son âge
disaient de la nuit de noces : « -Il paraît que la nuit de noces on sent quelque chose de chaud et de fort
vous pénétrer et cela fait très mal » (Riwan, p79).
146 -Victor Segalen, Essai sur l’exotisme, Paris, Librairie Générale Française, 1986, p. 41.
147 - Idem.
148 - Victor Segalen, Essai sur l’exotisme, Paris, Librairie Générale Française, 1986, p. 41.
149 -Pierre Bourdieu, Op. Cit., p. 94.
150 - Au sens où c’est l’imaginaire masculin qui donne naissance et entretien cette image de la femme
qui est propagée dans la société.
151 -Le baobab fou, p. 104.

243
152 - Selon le dictionnaire électronique http://www.cnrtl.fr, l’hétéronomie est le « Fait d’être
influencé par des facteurs extérieurs, d’être soumis à des lois ou des règles dépendant d’une entité
extérieure ». « Selon Kant, […] Tout choix qui serait soumis à un élément ‘‘extérieur’’ tel que l’attrait,
l’intérêt, la contrainte, le devoir, la loi, la nécessité, etc., relèverait […] de l’hétéronomie. [Il oppose ce
concept à celui d’autonomie qui] est le choix qui ne repose que sur la volonté propre de l’homme,
établissant une ‘‘législation universelle’’ », Ronan Le Coadic, « L’autonomie, illusion ou projet de
société ? », in Cahiers internationaux de sociologie, 2006/2 (n° 121), pp 317-340, sur le site
https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-de-sociologie-
2006-2-page-317.htm, consulté le 15 octobre 2018.
153 -Michel Foucault, Histoire de la sexualité. 1- La volonté de savoir, Paris, Éditions Gallimard, 1976,
p123.
154 - Idem, p. 121.

155 -Michel Foucault, Op. Cit., p. 18. Foucault décrit cette hypothèse à travers ce passage :
« XVIIe siècle : ce serait le début d’un âge de répression, propre aux sociétés qu’on appelle
bourgeoises, et dont nous ne serions peut-être pas encore tout à fait affranchis. Nommer le sexe serait,
de ce moment, devenu plus difficile et plus coûteux. Comme si pour le maîtriser dans le réel, il avait
fallu d’abord le réduire au niveau du langage, contrôler sa libre circulation dans le discours, le chasser
des choses dites et éteindre les mots qui le rendent trop sensiblement présent ». C’est ainsi une
hypothèse qui veut que la sexualité soit du domaine du secret, une chose dont on ne peut parler
publiquement encore moins une pratique pour laquelle on ne peut afficher un intérêt.
156 -Idem, p19.
157 - « La petite fille ou la femme s’autosuggérait d’abord le désir et le provoquait quand elle le voulait
et c’était une des forces essentielles de la séduction amoureuse et personne, même le sérigne n’y
résistait », Riwan, p.141.
158 - « Djagua Sylla ! Le teint si lumineux qu’il donnait envie de la toucher […] On découvrait au
milieu de ses tresses des amulettes… si bien agencées qu’on se demandait si elles étaient des amulettes
normales ou des suggestions ensorcellantes… elle allongeait ses grandes jambes devant elle, les
croisant, les décroisant par moment, pour laisser voir une peau encore plus lumineuse… que recouvrait
à peine un petit pagne fatal dont les deux pans ne pouvaient se toucher » (Riwan, p.132)
159 -Riwan, p. 107.
160 -Idem, p. 89.
161 - Ibid, pp. 88-89.
162 -Le baobab fou, p. 98.
163 -Le baobab fou, pp. 126-127.
164 -Pierre Bourdieu, Op. Cit., p.66.
165 - « C’est parce que la négresse se sent inférieure qu’elle aspire à se faire admettre dans le monde
blanc », écrit Fanon, Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, 1952, p. 48.
166 -Danilo Martucceli, François de Singly, Les sociologies de l’individu, Paris, Armand
Colin, 2010, p. 17.
167- Rappelons que la sociopoétique est, selon Alain Montandon, le « champ d’analyse qui, nourri
d’une culture des représentations sociales comme avant-texte, permet de saisir combien celui-ci
participe de la création littéraire et d’une poétique » (« Sociopoétique », in Sociopoétique [en

244
ligne], Mythes, contes et sociopoétique, mis en ligne le 13/10/2016, URL :
http://sociopoétique.univ-bpclermont.fr/mythes-contes-et-
sociopoetique/sociopoetiques/sociopoetique, consulté le 18/09/2017). Il en découle
qu’à la différence de la sociocritique, la sociopoétique s’intéresse moins au reflet qu’à la prise en
compte des représentations sociales comme éléments dynamiques de la création littéraire. En somme, la
sociopoétique est la création à partir des représentations sociales et non simple reflet.
168- Blaise Pascal, Pensées, Paris, Bordas, 1991, pp. 173-174.

169- Gilles Quinsat, « La création littéraire. L’imaginaire et l’écriture », in Encyclopaedia


Universalis, Symposium, Les enjeux, 1990, p. 401.
170- Fréderic de Scitivaux, Lexique de psychanalyse, Paris, Seuil, coll. Memo, 1997, p. 43.
171- Léopold Sedar Senghor, Liberté 1, Paris, Seuil, 1984, p. 312

172- Gilbert Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod,


1992, p. 26

173- René Huygue, Sens et destin de l’art. De l’art gothique au XXe° siècle, Paris,
Flammarion, 1985, p. 200.

174- Pierre Jourde, Géographies


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XXe° siècle. Gracq, Borges, Michaux, Tolkien, Paris, José Corti, 1991, p. 322.
175- Bernard Dadié, Un nègre à Paris, Paris, Présence africaine, 1996.
176- Ferdinand Oyono, Chemin d’Europe, Paris, 10-18/UGE, 1973.
177- Daouda Kanaté, « Rendre hommage à la vie », Entretien avec Véronique Tadjo, Nouvelles
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178- HamidouK Cheikh, L’Aventure ambiguë, Paris, U.G.E., 10/18, 1961, p. 43.
179- « Le pays d’origine comme espace de création littéraire », Notre Librairie, n° 155-156,
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182- Denis Assane Diouf, « Fatou Diome : l’autre visualisation de l’émigré et l’exception dans la mise
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186- Michel Foucault, « L’écriture de soi », Corps écrit, no 5 : L’Autoportrait, février 1983, pp. 3-
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Le postmodernisme littéraire et sa pratique chez les


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189 - Simon Harel, Les passages obligés de l’écriture migrante, Montréal, Editeur XYZ,
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191 - AdamaCoulibaly, « Littérature migrante subsaharienne : l’ethnoscopie littéraire comme


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Le voleur de parcours. Identité et cosmopolitisme dans la
192- Simon Harel,
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193- Ken Bugul, Mes hommes à moi, Paris, Présence africaine, 2008.
194- Vincent Colonna, Autofiction et autres mythomanies littéraires, Auch, Tristam,
2004.

195- Vincent Colonna, Op. Cit., p. 75.


196- Idem. p. 81.
197- Fait de lire en remontant par la lecture aux instances qui ont fait pression sur l’agencement des
mots, des phrases, des figures et des motifs inscrits dans le récit. Bellemin, Vers l’inconscient du
texte, p. 10.
Le voleur de parcours. Identité et cosmopolitisme dans la
198- Simon Harel,
littérature québécoise contemporaine, Montréal, XYZ éditeur, 1999, p. 32.
199- Le terme d’« identification projective » apparaît avec Mélanie Klein notamment dans ses articles
« Notes sur quelques mécanismes schizoïdes » (1946) et « Au sujet de l’identification » sous les traits
d’un mécanisme psychique décrit comme un fantasme inconscient prototype de la relation objectale
agressive (la relation empathique à l’objet). Pour elle, l’identification projective rend compte d’un
processus à la fois pathologique, normal et essentiel précoce dans le processus de la symbolisation et de
mise en place de la communication chez l’individu durant cette période d’incapacité à distinguer le
fantasme de la réalité.

La mémoire
200- Adama Coulibaly, « La romancière fictive et la quête du récit : l’exemple de
amputée de Werewere Liking et Si Dieu me demande, dites-lui que je dors de Sandrine
Bessora », Je (ux) narratif(s) dans le roman africain, TRO DEHO (Roger) et alii (dir.),
Paris, L’Harmattan, 2013, pp. 15-42.
201- Le travail inconscient du texte renvoie « au travail qui s’est effectué pour arriver au texte que je lis,
à celui qui s’effectue en moi durant que je lis et à celui qui s’effectuera lorsqu’un sujet, dont j’ignore
tout, lira ce que j’en ai écrit ». Ici, « c’est le critique qui est sur le divan et le texte qui est sur le

246
fauteuil ; certes l’écriture a mobilisé l’inconscient de l’auteur, mais le texte a échappé une fois pour
toutes à cet inconscient-là au moment où, étant mis en lecture c’est-à-dire en réécriture, il s’est pour
ainsi dire acquis un inconscient à lui », Jean Noël-Bellemin, Psychanalyse et littérature, Paris,
PUF, 2002, pp. 212-218.

202 Sigmund Freud, L’interprétation des rêves, Paris, PUF, 1971 (nouvelle édition révisée), p.
231.
203 Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.
204 - Cornélius Castoriadis, L’Imaginaire social ou la création d’un monde commun
de significations, https://labyrinthes.wordpress.com/2013/02/14/25-
in
castoriadis-limaginaire-social-ou-la-creation-dun-monde-commun-de-
significations/ consulté le 15 juillet 2018.
205 - « Dansle domaine du langage et de la littérature, on parle d’images pout
tout assemblage de mots qui suscite de représentations qui peuvent aller au-
delà de la vie sensible à la vue intelligible », Joëlle Gardes Tamine, Marie-Claude Hubert,
Dictionnaire de critique littéraire, Paris, Armand Colin, 2011, p. 100.
206 - Paul Ricœur, Cornélius Castoriadis, Dialogue sur l’histoire et l’imaginaire social,
Paris, Éditions de l’École des hautes études en Sciences Sociales, 2016, p. 23.
207 - Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod,
1993. Cité par Guillaume Pinson, « Imaginaire social », in Le lexique socius, URL ://ressources-
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Ansart, « imaginaire social », Encyclopaedia Universalis, in www.youscribe.
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212-Lamy Anne, Les super-héros, entre imaginaire et réalité, Entretien avec
Geneviève Djénati, psychologue clinicienne et psychothérapeute. Propos
recueillis par Anne Lamy. Illustration de Nils. In www.notrefamille.com,
consulté le 25 mai 2018.
213-Idem

247
214-Ibidem.

215-Aurélien Fouillet, “Etude sur un imaginaire contemporain : les super-héros”, in Les Sociétés,
n° 106, 2009, p. 30.
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222-Le sociologue Max Weber soutient que les imaginaires sociaux sont historiques, donc évolutifs, et
produisent des institutions qui s’analysent en fonction du contexte de l’époque. Cité par Pierre Ansart,
Encyclopaedia Universalis, in
www.youscribe.com/Bookreader/index/2266803/, consulté le 22 mai 2018.
-PierrePopovic, Imaginaire social et folie littéraire. Le second Empire de Paulin Gagne , Montréal,
Presses de l’Université de Montréal, « Socius », 2008, p. 24.

224- PierrePopovic, Op. Cit, p. 24.


»,
225-Philippe Corcuff, « De Zidane au sous-commandant Marcos : un héroïsme de la fragilité
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226-Victor Hugo, Les Misérables, Paris, L’école des loisirs, 1996, p.12.
»,
227-Philippe Corcuff, « De Zidane au sous-commandant Marcos : un héroïsme de la fragilité
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248
mai 2018.
228-Idem.
229-Ibidem.

230-Pierre Popovic, La mélancolie des misérables. Essai de sociocritique, Montréal,


Le Quartanier, 2013, p. 29.
231- Christophe Lasch, La culture du narcissisme, Paris, Climat, 2000, cité par Philippe
»,
Corcuff, « De Zidane au sous-commandant Marcos : un héroïsme de la fragilité
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mai 2018.
232-André Malraux, La Tentation de l’Occident, Paris, Bernard Grasset, 1926, p.71.
233-André Malraux, op.cit, p.71.

»,
234-Philippe Corcuff, « De Zidane au sous-commandant Marcos : un héroïsme de la fragilité
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mai 2018.
235-Michel Maffesoli, L’instinct éternel, Paris, Dunod, 2003, p.37.
236-Max Weber, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1904-
1905), cité par Pierre Ansart, Encyclopaedia Universalis, in
www.youscribe.com/
Bookreader/index/2266803/, consulté le 22 mai 2018.
237- À entendre la ruse, la malice.

238-Guillaume Pinson, « Imaginaire social », in Le lexique socius, URL ://ressources-


socius.info/index php/lexique/21-lexique/156-imaginaire, Arthur Glinner et Denis Saint-Armand (Dir.)
consulté le 25 mai 2018.

»,
239-Philippe Corcuff, « De Zidane au sous-commandant Marcos : un héroïsme de la fragilité
www.bellaciao.org.fr/ article.php3 ? id_article 31175, consulté le 24
mai 2018
240- Pour Paulin Koléa Zigui, « La diabolie est un mécanisme qui corrompt l’être au profit du
Les contes à rire dela France médiévale, le renard et le conte
paraître », in
d’Afrique de l’ouest : Etude de morphologie et de physiologie
comparées.Types, structures, idéologies. Thèse de Doctorat d’État, Joël H. Grisward,
1995, p. 9.

»,
241-Philippe Corcuff, « De Zidane au sous-commandant Marcos : un héroïsme de la fragilité
www.bellaciao.org.fr/ article.php3 ? id_article 31175, consulté le 24
mai 2018
242-Cf. Bossuet, Par quiétisme, il faut entendre une contemplation vile, stupide. LireQuiétisme,

249
querelle de Bossuet et de Fénelon, Paris, H. Delesques, 1894.
243-Odile Faliu et Marc Tourret, Les héros de demain, in
www.classes.bnf/heros/arret/06/htlm, consulté le 25 mai 2018.
244- Ce sont : Bernard Binlin Dadié, Alexandre Kum’a N’dumbe III, Sony Labou Tansi, Yacine Kateb,
Koffi Kwahulé et Kossi Efoui.

245 - Pierre Maranda, « L’imaginaire québécois » id.erudit.org/iderudit/55420ac.

L’Imaginaire, sa nature, ses structures, ses fonctions


246- Jean-Dominique Robert, «
et les implications de sa renaissance actuelle, d’après Gilbert Durand »
id.erudit.org/iderudit/1020530ar.
247- L’on pourrait lire l’étude complète de Jean-Dominique Robert pour plus de détails.
Imaginaire social et représentations du
248- Gagnon Alex, La communauté du dehors.
crime au Québec (XIXe-XXe siècle). Thèse présentée en vue de l’obtention du
grade de Docteur (Ph D) en littérature de langue française (sous la direction de
Martine-Emmanuelle Lapointe), Université de Montréal, 2015, p.77.

249- Frédéric Côté-Boudreau, « Précis de cruauté » id.erudit.org/iderudit/73438ac.


250- Christine Bonardi et Nicolas Roussiau font bien la différence entre les représentations sociales
(titre de leur œuvre éditée par Dunod, à Paris, en 1996), et les représentations collectives : « À l’inverse
des représentations collectives, constitutives de groupes sociaux larges, [précisent-ils à la page 11], les
représentations sociales sont à l’œuvre dans un milieu dans un milieu plus restreint, petites structures ou
classes sociales par exemple ».

251- Nous reprenons ainsi la thèse de Monique Borie estimant, dans Mythe et théâtre
aujourd’hui : une quête impossible ? (Paris, Nizet, 1981, p.7) que les anciens mythes ont
valeur d’exemplarité.
252- Bernard Dadié, Iles de tempête, Paris, Éditions Présence Africaine, 1973, p. 48.
253 - Sony LabouTansi, La parenthèse de sang, Éditions Hatier, 1981, p. 21.
254- Blédé Logbo, « La parenthèse de sang : jeu et enjeu » in La pièce de théâtre, une
littérature pour les arts du spectacle, Abidjan, EDUCI, 2016, pp. 102-103.
255- Alexandre Kum’a Ndumbe, Cannibalisme, Éditions Pierre Jean Oswald, 1973, p. 16.

256- Idem., p. 8.

257- Alexandre Kum’a Ndumbe, Cannibalisme, Op. Cit., p. 49.


258-Yacine Kateb, L’homme aux sandales de caoutchouc, Paris, Éditions du Seuil, 1970, p.
43.

259- Koffi Kwahulé, Bintou, Paris, Éditions Lansman, 2003, p. 14.

260- Kossi Efoui, Récupérations, Paris, Éditions Lansman, 1992, pp. 6-7.

261 Sony LabouTansi, La parenthèse de sang, Op.Cit., p. 58.


262 Ibid, p. 61.

250
263 Sony LabouTansi, La parenthèse de sang, Op.Cit., p. 41.
264- Koffi Kwahulé, Bintou, Op.Cit., pp. 33-34.

265- Alexandre Kum’a N’dumbe III, Cannibalisme, Op.Cit., p. 2O.

266- Alexandre Kum’a N’dumbe III, Cannibalisme, Idem, p. 69.


267- Gwenaël Morin, Eric Massé et les autres, « historique des représentations du crime et de la
cruauté » www.les-subs.com.0405_dossier_pe…eetcruaute.pdf

268-Kossi Efoui, Récupérations, Op.Cit., p. 41.


269- Parti politique fondé en 1944 et qui regroupe les Afrikaners. En 1948, c’est ce parti qui mettra en
place le système législatif de l’apartheid.

270- Diégou Bailly « Préface », in Les enfants de Mandela, Jérôme Carlos, p. 6.


271- Alpha Blondy, Ismaël Isaac, Myriam Makeba, Lucky Dube, Johnny Clegg, Sam Fan Thomas et
bien d’autres ont dénoncé l’apartheid dans leurs textes musicaux.

272- Paul Ricœur cité par Guillaume Pinson dans l’argumentaire sur « Le concept
« d’imaginaire social ». Nouvelles avenues et nouveaux défis », colloque organisé à
Montréal, les 14,15 et 16 septembre 2017.
273- Castoriadis cité par Guillaume Pinson, idem.

274- Louise-Marie Morfaux, Vocabulaire de la philosophie et des sciences


humaines, Paris, Armand Colin, 2001, p. 326.
275- Jérôme Carlos, Les Enfants de Mandela, Abidjan, CEDA, 1988, p.26.
276- Idem, p. 27.
277 - Ibidem, p. 27.
278- L’ANC « African National Congress », parti politique créé en 1912 pour défendre les intérêts de la
majorité noire contre la minorité blanche. Nelson Mandela, figure emblématique de ce mouvement
politique, y adhère en 1944. Il se lance avec quelques camarades dans la lutte armée en 1961. Il est
arrêté par la police en 1962 et condamné en 1964 à la réclusion à vie. Cet « ANC » est donc différent de
l’ANC (Action-Négociation-Combat), pure création de l’écrivain pour rimer, certainement, avec le
mouvement politique.
Compte rendu de Popovic (Pierre),
279- Pierre Popovic cité par Sarah Sindaco, «
Imaginaire social et folie littéraire. Le second Empire de Paulin Gagne »,
Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, coll. » socius », 2008, p. 24.
280- Ces manifestations sont, entre autres, l’interdiction des mariages entre personnes de races
différentes ; la liberté d’établissement et de circulation est réservée aux Blancs d’abord ; les Noirs sont
obligés d’habiter des villes à part (Townships) qu’ils ne peuvent quitter que munis d’une autorisation ;
le droit de se syndiquer n’est donné qu’aux Blancs ; les établissements publics, et bien sûr les écoles,
sont aussi réservés à l’un ou l’autre groupe ; toute la vie publique est organisée pour éviter les échanges,
des Bantoustans sont créés par le gouvernement sud-africain blanc qui sont des régions ou États
indépendants pour les Noirs (Homelands).
281- Jérôme Carlos, Les enfants de Mandela, op.cit, p. 11.
282- Idem, p. 13.

251
283- Le mot est du narrateur, p. 13.
284- Selon le narrateur, ce nom a une histoire. La plupart des Blancs ne peuvent l’entendre sans sortir
leur revolver. C’est un cri de ralliement, (p.70)
285- Cela fait penser à l’ANC (Africain National Congress), parti politique sud-africain dirigé par les
Noirs.

286-Jérôme Carlos, Les enfants de Mandela, op.cit, p.75 : Dans le récit, six communiqués font
état de lois martiales contre les Noirs. Les trois premières sont plus oppressives et scélérates :
Communiqué n°1 : L’État d’urgence est décrété sur toute l’étendue du territoire national. De ce
fait, la police et l’armée sont dotées de pouvoirs discrétionnaires leur permettant de mener à bien la
mission de salut que le pays leur a confiée. Communiqué n°2 : sont instituées, sur toute
l’étendue du territoire national, des cours martiales. Elles sont chargées d’apprécier et de juger tout
manquement à la loi. Leurs décisions sont sans appel et immédiatement exécutoires. Communiqué
n°3 : sont créés, sur toute l’étendue du territoire national, des pelotons d’exécutions chargés de traduire
en actes les sentences des cours martiales.
287- Jérôme Carlos, Les enfants de Mandela, op.cit, p.79.
288- Castoriadis cité par Guillaume Pinson.
289- Un pass est une sorte de passeport intérieur pour tous les Noirs de plus de seize ans. Il sert,
également, de carte d’identité (qui porte la photographie du titulaire et indique sa race, son sexe, son
matricule, son adresse, son âge, sa situation matrimoniale, etc.) et est collé à l’intérieur d’un livret
appelé livret de référence ou laissez-passer sur lequel sont, également, portés le groupe ethnique ou la
tribu du titulaire, le nom et l’adresse de son employeur, ainsi que la durée de son emploi.

290 - Jérôme Carlos, Les enfants de Mandela, Op.cit, p. 155.


291 - Myriam Houssay-Holzschuch, « L’Afrique du sud, ou la patrie utopique », article
proposé lors du colloque sur « Le territoire, lien et frontière ? », Paris, 2-4 octobre 1995, p. 13.

292- Jérôme Carlos, Les enfants de Mandela, op.cit, p. 86.


293- Le nom du bébé signifie celui qu’on a trop attendu.
294- Le narrateur appelle les meetings de John Richmond « Meeting du cœur », car c’est par et avec le
cœur que l’apartheid devra être vaincu dans son pays.
295- Jérôme Carlos, Les enfants de Mandela, Op.Cit, p.113.
296 Titre d’un article de Myriam Houssay-Holzschuch, doctorante en géographie, Université de Paris
IV-Sorbonne. L’article a été proposé lors d’un colloque sur « Le territoire, lien ou frontière ? » tenu à
Paris les 2,3et 4 octobre 1995.
297 - Guillaume Pinson, « L’imaginaire social » in Socius ; ressources sur le littéraire et
le social (en ligne) http//www. Ressources-socius.info/index.php/lexique/21-lexique/156-
imaginairesocial Consulté le 12 Novembre 2016.
298 - Les termes sont de Diandué Bi Kacou Parfait
299 - Louis Althusser, « Idéologie et appareils idéologiques d’État : Notes pour une recherche » (un
document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au CEGEP
de Chicoutimi) in http//ww w.7.enslyon.fr/amrieu/IMG/pdf/althusserConsulté le
09/02/2013.

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300 - Idem.
301 - Le terme Baoulé fait allusion non seulement à un peuple installé majoritairement au Centre de la
Côte d’Ivoire, mais également à sa langue. Les Baoulés sont une composante importante d’un clan :
Akan composé des Abourés, Agni, Akyé, N’zima…
302 - Les Bétés constituent un peuple qu’on retrouve au Centre ouest de la Côte d’Ivoire. La langue
qu’ils pratiquent est le Bété.
303 - L’expression est de Bédé Damien dans « La paix armée ou la malédiction de l’Afrique dans la
fiction littéraire », Paix, Violence et Démocratie en Afrique (Actes du colloque d’Abidjan
9 au 11 Janvier 2002), Paris, L’Harmattan, p. 24.

304 - Traduit de l’anglais par le professeur Séry Bailly dans Écrits pour la démocratie, Abidjan,
CERAP, 2009 p.160. La définition de Fukuyama est tirée de son article : « Social Capital » in
L.E.Lawrence et S.P.Huntington, Culture Matters, Basic Books, 2000 p. 98.

305 - Leo Hoek « distingue (…) entre deux sortes de titres : le ‘‘titre subjectal’’, qui désigne le sujet
du texte, exemple Amour de ma vie , et ‘‘le titre objectal’’, qui désigne le texte en tant qu’objet, c’est-à-
dire en tant qu’appartenant à une classe donnée de récits, exemples Aventures de…, Révélations sur…,
Histoire de… , etc. » (Mitterrand, 1979 : 91)

306 - L’expression est de Séry Bailly


Tirage n° 664346 <4980784@664346.com>

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