Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Pr ESOH ELAME
4
sociaux qu’en se combinant sous l’action des forces sui generis que développe l’association ; par suite de ces
combinaisons et des altérations mutuelles qui en résultent, ils deviennent autre chose […] (ibid p. 35-36).
Durkheim dans son ouvrage « les formes élémentaires de la vie religieuse », souligne bien que les catégories
sont des représentations essentiellement collectives, elles traduisent avant tout des états de la collectivité :
elles dépendent de la manière dont celle-ci est constituée et organisée, de sa morphologie, de ses
institutions religieuses, morales, économiques, etc. Il faut pour cela retenir que :
La société est une réalité sui generis ; elle a ses caractères propres qu’on ne retrouve pas, ou qu’on ne retrouve pas
sous la même forme, dans le reste de l’univers. Les représentations qui l’expriment ont donc un tout autre contenu
que les représentations purement individuelles et l’on peut être assuré par avance que les premières ajoutent quelque
chose aux secondes (1912, p 25).
Les travaux de Durkheim constituent une base de réflexion qui ont permis d’arriver en toute logique
à prendre en compte aussi bien les représentations individuelles que collectives mais en plaçant ainsi les
faits sociaux au-dessus des faits individuels. Durkheim accorde une préférence aux représentations
collectives par rapport aux représentations individuelles aussi parce que la durée de vie de ces dernières
est limitée dans la mesure où elles disparaissent en même temps que leurs concepteurs. En effet, pour
l’auteur, la conscience collective constitue la base de la communauté. Mieux encore, le groupe social
incarne la société et est régi par un système constitué d’une conscience collective ou l’âme collective qui
comporterait des croyances (attitudes mentales et sociales, comme la simple opinion « croire que » ou ayant
une connotation religieuse « croire en », proche du mot foi), des sentiments, des souvenirs, des idéaux et
aussi des représentations partagées par tous les membres d’une société. En clair, la conscience collective
impose à l’individu des façons de penser et d’agir. Cela se concrétise au niveau des institutions
socioculturelles par la mise en place des règles sociales, morales, juridiques ou politiques, la codification
de la vie religieuse à travers des croyances, rituels collectifs, etc. La représentation ainsi présentée par
Durkheim peut alors s’assimiler dans une analyse critique à une forme d’évolution de la pensée à travers
des interactions instaurées donnant lieu à une représentation coopérative et négociée des règles. Elle peut
porter sur différents objets à savoir la religion, les faits sociétaux, la politique, les questions techniques, la
morale, etc et être sur le plan matériel, à l’origine des pratiques et des comportements individuels ou
collectifs. Nous retrouvons aussi dans les travaux de Durkheim sur les représentations collectives, leur
dimension transgénérationnelles, c’est-à-dire qu’elles sont durables au-delà même des générations. Ce
caractère durable des représentations est un point fondamental dans l’intérêt accordé aux représentations
collectives aux dépens des représentations individuelles.
Émile Durkheim donne l’impulsion théorique et épistémologique, à l’étude sur les représentations.
D’autres chercheurs sensiblement de la même époque telsLévy-Bruhl et Marcel Mauss s’intéressent aussi
des perceptions à travers l’étude des mythes, des mentalités dites archaïques, les représentations
religieuses et magiques des sociétés traditionnelles sans écriture.
Depuis les années soixante, le concept de représentation connaît un regain d’intérêts en sciences
sociales et humaines notamment en anthropologie, histoire, linguistique, psychologie sociale,
psychanalyse, sociologie, géographie, sciences de l’éducation, économie, etc. C’est leFrançais Moscovici
qui développa de manière incisive le concept de représentation sociale pour l’affermir en théorie dès
1961.Dans son ouvrage La psychanalyse, son image et son public, il s’attache à montrer « comment une nouvelle
théorie scientifique ou politique est diffusée dans une culture donnée, comment elle est transformée au
cours de ce processus et comment elle change à son tour la vision que les gens ont d’eux-mêmes et du
monde dans lequel ils vivent » (Moscovici., 1961).
5
C’est Moscovici dans ses travaux qui nous propose de transformer les représentations collectives en
représentations sociales. L’adjectif « social » associé à la représentation a toute son importance : il vient
qualifier la représentation en ce qu’elle est essentiellement collective, c’est-à-dire partagée par un grand
nombre d’individus. Moscovici (1976) définit les représentations sociales comme :
des ensembles dynamiques, des théories ou des sciences collectives destinées à l’interprétation et au façonnement du réel.
Elles renvoient à un corpus de thèmes, de principes, ayant une unité et s’appliquant à des zones d’existence et d’activité
particulières […]. Elles déterminent le champ des communications possibles, des valeurs ou des idées présentes dans
les visions partagées par les groupes, et règlent par la suite, les conduites désirables ou admises (p 48).
On ne peut pas se passer de prendre en considération cette autre définition des représentations
sociales proposée par Moscovici (1984). Une représentation sociale est :
une manière d’interpréter le monde et de penser notre réalité quotidienne, une forme de connaissance sociale que la
personne se construit plus ou moins consciemment à partir de ce qu’elle est, de ce qu’elle a été et de ce qu’elle projette
et qui guide son comportement. Et corrélativement (la RS est) l’activité mentale déployée par les individus et les
groupes pour fixer leurs positions par rapport à des situations, événements, objets et communications qui les concernent
(p. 132).
Moscovici nous parle ici de la manière d’interpréter le monde et de penser la réalité quotidienne. Cela
nous invite à reconnaître les représentations sociales comme des déterminants de notre existence, qui
nous servent pour construire nos savoirs, nos connaissances, nos jugements, etc. Ainsi sur le principe,
les représentations sociales constituent un patrimoine inattaquable, que tout sujet vivant en société a
l’obligation de disposer. Elles se constituent comme un savoir que chacun des membres de la
communauté partage. Elles sont par leur nature et leur utilité irrenonçables, car elles nous servent de
guide, de repères mais aussi pour accéder à des formes de savoir collectif reconnaissables comme
consensuelles et familières aux membres d’une communauté bien donnée. Moscovici nous propose une
autre définition qui cette fois, associe la représentation sociale aux systèmes de valeurs.
[la représentation sociale] est un système de valeurs, de notions et de pratiques relatives à des objets, des aspects ou
des dimensions du milieu social, qui permet non seulement la stabilisation du cadre de vie des individus et des groupes,
mais qui constitue également un instrument d’orientation de la perception des situations et de l’élaboration des réponses
(Moscovici 1987, p.125).
Les systèmes de valeur dont parle Moscovici nous pouvons les considérer comme un ensemble
dynamique et interactif de croyances acceptées, partagées dans une communauté, débouchant en de
normes, de références pouvant influencer l’attitude, la conscience, les comportements des individus. Elles
servent de référence dans les jugements, la conduite à tenir. Elles peuvent être classées de la plus haute à
la plus faible.
6
(1982), Jodelet (1984, 1989,1999), Bonardi et Roussiau (1999, 2001), Abric (1994), Seca (2001), Moliner,
Rateau, Cohen-Scali (2002) pour ne citer que ceux-là.
Aujourd’hui, de nombreux travaux1 s’inspirent et s’inscrivent dans le prolongement de ceux de
Moscovici surtout dans le domaine du social, de l’économique, de l’éducation, de la santé, de la
psychologie, et de plus en plus de l’environnement.Sur le plan de la production scientifique, il existe de
nos jours, un corpus très riche de définitions et d’analyse sur les représentations sociales et de
nombreuses recherches menées sur cette théorie qui commencent à aller au-delà des sciences sociales.
La flexibilité sémantique autour de ce thème tient au fait qu’il s’agit avant tout d’un paradigme, c’est-à-
dire d’un courant de pensée et d’un espace de structuration des savoirs en sciences sociales. Sa position
mixte au carrefour d'une série de concepts sociologiques et de concepts psychologiques (Moscovici, 1976, p. 39) en fait
un concept dynamique qui alimente nos réflexions. Il produit un changement socioculturel, qui mène à
des interrogations fondamentales sur le fonctionnement de la société moderne, le rôle des groupes, des
individus, et des idées.
En dehors des définitions proposées par Moscovici, l’une des définitions les plus citées pour définir
les représentations sociales est celle de Jodelet selon qui une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée
ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social (Jodelet, 1989, p.
36). En effet, en considérant la représentation sociale comme une forme de connaissance socialement
élaborée, renvoie à dire qu’elles sont une forme de connaissance construite en commun, par relais social.
Ce qui lui donne une dimension collective permettant ainsi aux individus de se transmettre les
connaissances. Le concept de représentation sociale en tant que forme de connaissance, socialement
élaborée et partagée, permet de mieux comprendre les individus et les groupes en analysant la façon dont
ils se représentent eux-mêmes, les autres et le monde. Les connaissances générées par les représentations
sociales permettent aux individus dans leur vie sociale, de gérer la réalité quel que soit sa complexité, de
savoir comment ils vont se comporter vis-à-vis d’une situation précise. Jodelet signale également que la
représentation sociale peut être désignée comme :
savoir de sens commun ou encore savoir naïf, naturel, cette forme de connaissance est distinguée, entre autres, de la
connaissance scientifique. Mais elle est tenue pour un objet d'étude aussi légitime que cette dernière en raison de son
importance dans la vie sociale, de l'éclairage qu'elle apporte sur les processus cognitifs et les interactions sociales (ibid).
La définition de la représentation sociale proposée par Jodelet, met en évidence la notion de Savoir de
sens commun, par opposition aux savoirs scientifiques. Le sens commun définit la réalité pour l’ensemble
social qui l’a élaborée dans une visée d’action et de communication. Elle constitue une forme particulière
de connaissance. La représentation sociale en se présentant comme un ensemble de connaissances,
croyances, schèmes d’appréhension et d’action à propos d’un objet socialement important, mobilise un
ensemble de préacquis du groupe. Elle concourt à la construction d'une réalité commune où les individus
du groupe auront la même image de l’objet, facilitant ainsi la communication, la catégorisation.
Jodelet pense aussi que la représentation sociale est capitale en raison de son importance dans la vie
sociale, de l'éclairage qu'elle apporte sur les processus cognitifs et les interactions sociales. L’analyse de
1 Quelques exemples de travaux sur les représentations sociales: le fou et la folie (Da Rosa, 1987), la folie (Jodelet, 1989b), le
sida (Morin et Vergès, 1992), l’argent (Vergès, 1992), l’entreprise (Moliner, 1993b, 1996), la fonction d’infirmière (Guimelli,
1994), les droits de l’homme (Doise, Clémence et Lorenzi-Cioldi, 1994 et Devos, Clémence et Doise, 2000), le groupe idéal
(Rateau, 1995), la banque (Vergès, 2001), l’environnement (Marquis, 2001), la violence (Abric, 2003), l’Europe (Baugnet et
Fouquet, 2005), le vin (Lo Monaco, 2008), la santé (Apostolidis et Dany, 2012), le marketing (Piermattéo, Lo Monaco, Guimelli
et Brel, 2012), l’alcool chez les jeunes (Dany et Lo Monaco, 2013), etc
7
Jodelet sur la représentation sociale est riche en enseignements et nous invite à reconnaitre les
représentations sociales :
en tant que systèmes d'interprétation régissant notre relation au monde et aux autres, orientent et organisent les
conduites et les communications sociales. De même interviennent-elles dans des processus aussi variés que la diffusion
et l'assimilation des connaissances, le développement individuel et collectif, la définition des identités personnelles et
sociales, l'expression des groupes, et les transformations sociales (ibid, p. 37).
Les représentations sociales en tant que phénomènes cognitifs, font intervenir un ensemble des
processus mentaux qui se rapportent à la fonction de construction des connaissances telles la mémoire,
le langage, le raisonnement, l’apprentissage, la résolution de problèmes, la prise de décision, la perception,
etc. Elles engagent l'appartenance sociale et culturelle des individus avec les implications affectives et
normatives, avec les intériorisations d'expériences, de pratiques, de modèles de conduites et de pensée,
socialement et culturellement inculqués ou transmis par la communication sociale, qui y sont liées. Tout
compte fait, une « représentation sociale est donc toujours représentation de quelque chose (l’objet) et de quelqu’un (le
sujet) » (Jodelet, 1989, p. 59). Il n’y a pas de représentations sociales sans le sujet. C’est justement la relation
entre le sujet et l’objet qui détermine la représentation sociale. Cette relation sujet-objet constitue à cet
effet, le principe de base autour duquel la représentation sociale s’organise et prend véritablement corps.
Pour Abric (1987) : « On appelle représentation le produit et le processus d'une activité mentale par laquelle un
individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique » (64). Cette
définition de la notion de la représentation sociale met en exergue l’activité mentale qui sous-tend la mise
en place d’une représentation sociale. Elle met les facteurs cognitifs et symboliques au centre de l’axe de
construction d’une représentation sociale. Elle montre aussi que la reconstruction du réel par un individu
ou un groupe débouche à la production des représentations sociales. Il est à cet égard significatif de savoir
analyser et mieux prendre en considération les opinions, attitudes, croyances et informations qui se
réfèrent à un objet ou une situation. Abric va plus loin en faisant le lien entre les représentations sociales
et l’idéologie. Il considère alors les représentations sociales comme : … les pratiques que les sujets acceptent de
réaliser dans leur existence quotidienne qui modèlent, déterminent, leur système de représentation ou leur idéologie (Abric,
1989, p 208).
De plus, Abric pense aussi que la représentation sociale est vraisemblablement :
un ensemble organisé d’opinions, d’attitudes, de croyances et d’informations se référant à un objet ou une situation.
Elle détermine à la fois le sujet lui-même (son histoire, son vécu) par le système social et idéologique dans lequel il est
inséré, et par la nature des liens que le sujet entretient avec ce sujet social (1989, p 205).
La définition de Abric nous amène à mettre en évidence le fait qu’il n’ait pas indiqué de sous-estimer
ou minimiser une représentation sociale. Quelle que soit sa nature, son degré de pertinence, elle reste une
représentation sociale, une information qualitative nous permettant de mieux interpréter une réalité bien
précise. Elle peut signifier des mauvaises attitudes, qui parfois ne sont en fait que bien souvent
d’innocentes appréciations. Elles nous fournissent les informations dont nous avons besoin pour
comprendre l’objet d’analyse et construire une représentation plus pertinente. Il est important de savoir
découvrir les raisons sous-jacentes d’une attitude, opinion, information. Ceci est d’autant plus important
quand on sait que :
Les représentations fonctionnent comme un système d’interprétation de la réalité qui régit les relations des individus
à leur environnement physique et social, elle va déterminer leurs comportements ou leurs pratiques. La représentation
est un guide pour l’action, elle oriente les actions et les relations sociales. Elle est un système de pré-décodage de la
réalité car elle détermine un ensemble d’anticipations et d’attentes (Abric., 1997).
8
Par ailleurs, Abric considère que :
la représentation n’est donc pas un simple reflet de la réalité, elle est une organisation signifiante. Et cette signification
dépend à la fois de facteurs contraignants –nature et contraintes de la situation, contexte immédiat, finalité de la
situation – et de facteurs plus généreux qui dépassent la situation elle-même : contexte sociale et idéologique, place de
l’individu dans l’organisation sociale, histoire de l’individu et du groupe, enjeux sociaux (1994, p 13)
Tout compte fait, en tant que processus cognitif, la représentation sociale suscite un grand intérêt
parce qu’elle permet de comprendre comment se construisent les perceptions dans la vie quotidienne,
mais aussi de les confronter. L’intérêt des représentations sociales est qu’elle permet de structurer ou
alors mettre en évidence l’existence d’une vision commune, largement partagéeet significative au sein des
groupes d’individus, mais également de perceptions contrastées entre les groupes, selon leurs pratiques,
leur système de pensée, leurs idéologies et leur positionnement identitaire.Ainsi, les représentations
sociales peuvent aussi être considérées comme des systèmes d’action socialement structurés et institués en relation
avec des rôles (Abric., 1994, p 217). Leur structuration en découle de nos comportements et nos pratiques
sociales. Dans de domaines bien précis, les représentations sociales sont issues d’un savoir partagé
déterminé par des facteurs personnels, sociaux, culturels, économiques, environnementaux, idéologiques,
relationnels, abstraits, et partant du vécu quotidien. Abric nous propose une autre définition qui enrichie
le corpus d’analyse des représentations sociales à savoir :
Toute représentation est donc une forme de vision globale et unitaire d’un objet, mais aussi d’un sujet. Cette
représentation restructure la réalité pour permettre une intégration à la fois des caractéristiques objectives de l’objet,
des expériences antérieures du sujet, et de son système d’attitudes et de normes. Cela permet de définir la représentation
comme une vision fonctionnelle du monde qui permet à l’individu ou au groupe de donner un sens à ses conduites, et
de comprendre la réalité, à travers son propre système de références, donc de s’y adapter de s’y définir une place. (…)
(2003, p.13).
Par ailleurs, les travaux de Abric analysant la représentation sociale comme une vision fonctionnelle
du monde, la considère aussi comme « un système d’interprétation de la réalité qui régit les relations des individus à
leur environnement physique et social, elle va déterminer leurs comportements ou leurs pratiques » (ibid). Les processus
cognitifs qui sont au cœur des transformations du monde social, à partir des propriétés structurales de la
représentation sociale assurent le passage vers différents systèmes symboliques. Sur le plan pratique, on
peut donc dire que « la représentation est un guide pour l’action, elle oriente les actions et les relations sociales. Elle est
un système de pré-décodage de la réalité car elle détermine un ensemble d’anticipations et d’attentes » (ibid). Ces différentes
approches de lecture de la représentation sociale d’après Jean Claude Abric contribuent à une meilleure
compréhension et analyse de ce concept.
Pour Claude Flament, « une représentation sociale est un ensemble organisé de cognitions relatives à un objet, partagées
par les membres d’une population homogène par rapport à cet objet » (1994 :37). La représentation sociale est donc
avant tout un ensemble organisé d’opinions, d’informations, de valeurs, de croyances, d’idéologies, etc.
elle fait appel à des cognitions ou éléments et elles sont liées à des conditions de production bien précises.
Pour Guimelli, les représentations sociales constituent une modalité de la connaissance dite de “ sens commun ” dont
la spécificité réside dans le caractère social des processus qui la produisent (1994, introduction, p. 12). Molinier (2001)
pense que : les représentations sociales ne sont pas fondées sur les choses et les situations dont elles parlent mais sur les
communications à propos de ces choses et de ces situations (p.126).
9
3. Processus d’élaboration des représentations sociales
De manière générale, une représentation sociale en tant qu’une forme de connaissance courante dite
de sens commun, s’élabore de plusieurs manières. D. Jodelet (1991, p. 69) relève six différentes approches
d’élaboration des représentations sociales que nousprésentons ici :
La première approche valorise particulièrement l’activité cognitive du sujet dans l’activité
représentative. Le sujet est un sujet social, porteur « des idées, valeurs et modèles qu’il tient de son groupe
d’appartenance ou des idéologies véhiculées dans la société ». La représentation sociale se construit lorsque le sujet
est en « situation d’interaction sociale ou face àun stimulus social ».
La deuxième approche concerne les aspects signifiants de l’activité représentative. Le sujet est
« producteur de sens ». À travers sa représentation s’exprime « le sens qu’il donne à son expérience dans le monde
social ». La représentation est sociale, car élaborée à partir des codes sociaux et des valeurs reconnues par
la société. Elle est donc le reflet de cette société.
La troisième approche envisage les représentations sous l’angle du discours. Ses propriétés sociales
dérivent de la situation de communication, de l’appartenance sociale des sujets parlants, de la finalité de leurs discours ».
La quatrième approche valorise la pratique sociale de la personne. Le sujet est un acteur social, la
représentation qu’il produit « reflète les normes institutionnelles découlant de sa position ou les idéologies liées à la place
qu’il occupe ».
La cinquième approche met en avant l’aspect dynamique des représentations sociales : ce sont les
interactions entre les membres d’un groupe ou entre groupes qui contribuent à la construction des
représentations sociales.
La sixième approche analyse la manifestation des représentations en postulant l’idée d’une
reproduction des schémas de pensée socialement établis. L’individu est déterminé par les idéologies dominantes
de la société dans laquelle il évolue.
Les six approches ainsi mises en évidence pour comprendre comment se construisent les
représentations sociales, trouvent très bien leur application dans la pensée négro-africaine. Mais il faut
souligner que contrairement à la civilisation occidentale où l’individu est moins rattaché à un groupe
ethnique qui se distingue par des traits culturels et des pratiques comportementales bien spécifiques, dans
les sociétés négro-africaines, la question des représentations sociales est plus prégnante, car l’individu est
très fortement lié à son ethnie d’appartenance. L’ethnicité est une source importante de production et de
reproduction des représentations auprès des individus. D’ailleurs l’ethnicité se nourrit, se renouvelle et
résiste à l’assimilation grâce aux représentations sociales qu’elle produit. En outre, la riche diversité
ethnique de certains pays africains nous renvoie au fait de devoir comprendre comment les différents
acteurs d’un même pays parviennent-ils à édifier une identité nationale, quand on sait qu’au départ chacun
d’entre eux est fortement imprégné de représentations sociales de sa communauté ethnique. Les
particularités des cultures africaines notamment en ce qui concerne la place de l’individu dans la société,
l’importance de la dimension magico-religieuse ou encore du lien entre le monde visible et invisible sont
autant d’éléments qui participent activement à l’élaboration des représentations sociales. Ils enrichissent
et rendent complexe l’univers des phénomènes représentatifs dans la civilisation nègre.
L'on ne saurait objectivement réfléchir sur l’élaboration des représentations sociales dans la civilisation
nègre à partir du système de pensée qui la caractérise sans faire allusion à l'ethnicisme et ses conséquences
dans la construction des représentations sociales. Les langages et discours des communautés ethniques
participent activement dans la construction des représentations sociales en contexte négro-africain. Les
dynamiques ethniques interviennent dans la construction des représentations sociales des individus et
10
permettent de remonter aux constructions internes des sociétés en présence, d’interroger les
représentations que celles-ci produisent. S'agissant des sociétés noires africaines, la production des
représentations sociales n’est pas à dissocier ou à considérer à travers une rupture avec l'ordre ancien.
L’ancestralité intervient considérablement dans la construction des représentations sociales. Elle
conditionne énormément les représentations sociales.
Il est aussi important de souligner que dans le contexte négro-africain, la mise en place des
représentations sociales s’opère aussi avec le legs colonial. Ainsi, un retour sur le regard colonial et ses
récurrences dans les temps actuels est important. On a beau aujourd'hui parler de l'indépendance des
pays africains, il ne faut pas sous-estimer le poids de l’héritage colonial, en matière de production des
représentations sociales. La mission civilisatrice a marqué une étape décisive dans la destinée des Nations
africaines et continue énormément d’influencer la production des représentations sociales dans les pays
de l’Afrique subsaharienne.
Le regard que l'ordre ancestral a sur la vie sociale et culturelle dans les sociétés négro-africaines ne
peut donc pas être sous-estimé dans la production des représentations sociales en Afrique noire. Il
continue de déterminer largement, dans un sens comme dans un autre, les images et opinions que les
populations se font sur une question bien précise. C’est le cas dans la santé. La perception de la maladie,
de la guérison, de la relation malade/famille, médecin/patient. C’est le cas du mariage, de la mort, etc.
Le vieil émerveillement colonial aussi continue d’influencer les perceptions. L'émerveillement colonial,
a produit des représentations dans plusieurs domaines qui s'exprime par la déstructuration des sociétés à
travers l’emprunt de représentations qui ne sont pas en phase avec la pensée qui inspire la civilisation
nègre. Pris dans un regard, il est à constater que l’Afrique subsaharienne reste enfermée dans une histoire
lourde de domination qui se traduit aussi par des représentations imposées, subies, au point de rythmer
désormais leurs choix symboliques et leurs assises idéologiques.
14
La fonction identitaire de ces forêts est claire. Elles jouent un rôle culturel important, elles sont des
marqueurs culturels du territoire. Les hommes du territoire quel que soit leur instruction, leur fonction
sociale, respectent les représentations sociales que le peuple Banjo s’est fait de ces forêts et notamment
ses fonctions identitaires. Ainsi, dans la ville de Banjo un, ces forêts sont classées, protégées à cause de
leur fonction identitaire. Elles ne sont pas à la merci des activités humaines, mieux d’une exploitation
anarchique, non contrôlée par l’Homme. Quiconque s’engage à porter atteinte à ces forêts est sévèrement
puni et condamné pour avoir porté atteinte à leur fonction identitaire, patrimoniale. Mieux, les
ressortissants de Bandons savent qu’ils ne doivent pas s’aventurer dans cette forêt, car s’en suivront les
sanctions suivantes : le paiement des amendes pour les fautes légères, la mort par le totem pour les fautes
graves, la paralysie, la folie, la malédiction sur ta descendance, l’extradition du village par le chef. Le
paiement des amendes s’effectue lorsqu’un autochtone non seulement pénètre dans cette forêt, mais de
plus s’il glisse et tombe. Alors, il doit payer des amendes pour que les notables le lavent pour le soigner à
travers des rituels bien précis contre la malédiction. Pour ce qui est de la mort, elle survient lorsqu’un
autochtone aguerri s’en va dans la forêt sacrée couper le baobab. Toutefois, une personne ignorante qui
s’engage à aller se promener dans une forêt sacrée ne sera sanctionnée que par des blâmes et
avertissements. La fonction identitaire de la forêt à Banjoun permet de conserver les forêts pour les rites
culturels, identitaires, participant de la même manière à la protection de l’environnement.
- Des fonctions de justification des pratiques :
Les représentations sociales font partie de notre vie socio-affective. Elles sont utilisées pour justifier
des pratiques, y compris pour s’identifier par rapport à quelqu’un, à quelque chose ou à un groupe. La
justification des pratiques des représentations sociales concerne particulièrement les relations entre
groupes et les représentations que chaque groupe a de l’autre groupe. Elles servent aussi pour justifier le
vécu, gérer son capital en fonction de comment on veut se projeter dans la société. Elles servent pour
justifier également des prises de position et des comportements. Elles justifient des pratiques permettant
de se sentir accueilli et compris, d’être accepté et de maintenir une relation d’acceptation avec autrui. Les
représentations sociales jouent alors un nouveau rôle des représentations : celui du maintien ou du renforcement de la
position sociale du groupe concerné (Abric, op.cit., p. 18). La fonction de justification des pratiques des
représentations sociales est utile pour comprendre le discours identitaire qui le sous-tend. Elle permet
aussi de mieux saisir le sentiment d’appartenance symbolique ou réelle des individus concernés à un
groupe en légitimant ses actes et prises de position. Elle renforce ainsi son affiliation socioculturelleau
groupe. D’une certaine manière, la représentation faite de l'autre sert à justifier l'action qu'on entreprend à son égard
(W. Doise, 1996, p. 24). Cette action est liée à de nombreux facteurs qui entrent en jeu y compris les
pratiques identitaires, langagières, etc. À cela, il faut rajouter le contexte qui entoure la production de
l’action. À titre d’exemple, la représentation peut être la justification d'un comportement stigmatisant, qui
incarne la recherche de la marginalisation sociale, pour justifier un profond malaise, face à un autre
groupe, notamment, pour se donner bonne conscience. Ainsi, dans la situation de rapports compétitifs vont être
progressivement élaborées des représentations du groupe adverse, visant à lui attribuer des caractéristiques justifiant un
comportement hostile à son égard (Abric, 1994, p. 18).
5.1. L’objectivation
Pour Moscovici (1961), parler de représentation sociale signifie aussi s’interroger sur le processus
d’objectivation. Moscovici cité par Jodelet (1991) souligne que Objectiver, c'est résorber un excès de significations
en les matérialisant (p 371). L’objectivation est le processus à travers lequel on rend concret ce qui est
abstrait. Le processus d’objectivation permet à un groupe social de rendre utilisable un objet nouveau, c'est-à-dire de
résorber un excès de significations en les matérialisant (1976). C’est en d’autres termes un processus de
concrétisation de concepts, en donnant un contenu tangible à ce qui n'était initialement qu'une idée
abstraite.C’est alors le processus de transformation d’un concept en une image, mieux en un noyau
figuratif. Jodelet (1984) dira à cet effet que C’est l’objectivation qui, par une mise en images des notions abstraites,
donne une texture matérielle aux idées, fait correspondre des choses aux mots, donne corps à des schémas conceptuels. Le
processus d'objectivation permet aux individus de s'approprier et d'intégrer des phénomènes ou des
savoirs complexes à leurs propres conduites, pratiques, attitudes. Pour le rendre plus abouti,
compréhensible et intelligible, l’objectivation se traduit également en un travail de simplification par le
langage, permettant de concrétiser des notions collectives abstraites, en faisant correspondre des choses
aux mots. Seca (2002) fait bien de souligner que l’objectivation permet, à un ensemble social d’édifier un savoir
commun minimal sur la base duquel des échanges entre ses membres et des avis peuvent être émis (p. 62). Ces échanges,
suivant le contexte, les situations, peuvent jouer un rôle essentiel dans la construction et reconstruction
des représentations sociales tout comme dans l’ensemble du processus de leur appropriation par les
membres du groupe.
Le processus d’objectivation qui permet de s’approprier et d’intégrer des phénomènes ou des savoirs
complexes, comporte trois phases principales qui sont : la sélection et décontextualisation des éléments
de la théorie, la formation d’un « noyau figuratif » et la naturalisation.
Phase 1 : la sélection et décontextualisation des éléments de la théorie.
Cette première phase consiste en un filtrage des informations concernant l’objet de la représentation.
La sélection (ou la construction sélective) … permet à la personne de sélectionner certains éléments et caractéristiques de
l’objet de la représentation, ce qui implique des suppressions et des modifications de l’objet (Seca, 2001, p.63). Les critères
culturels ou normatifs, et les systèmes de valeurs du groupe social jouent ici le rôle de filtre. Une fois
filtrées selon ces critères, les informations vont alors être extraites du champ contextuel auxquels elles se
rattachaient initialement, pour pouvoir être réintégrées et réappropriées par l’individu indépendamment
de ce contexte d’origine.
Phase 2 : la formation d’un « noyau figuratif ».
Une structure imageante va reproduire de manière visible une structure conceptuelle. Les informations
ainsi sélectionnées et décontextualisées vont alors pouvoir être réorganisées et matérialisées sous la forme
d’un « schéma imagé » ou « noyau figuratif » qui fait sens pour l’individu, et qui devient donc facilement
16
mobilisable. Ce noyau figuratif donne la signification centrale de la représentation sociale. Les
informations retenues s’organisent en un noyau « simple, concret, imagé et cohérent avec la culture et les normes
sociales ambiantes » (Rouquette &Rateau, op.cit., p. 32). Par la suite, c'est autour de ce noyau figuratif que se
construira l'ensemble de la représentation sociale. Il permettra ainsi l’interprétation des nouveaux
éléments de l’environnement en offrant un cadre de référence à partir duquel l’individu agira et
communiquera.
Phase 3 : la naturalisation.
C’est la dernière étape de l’objectivation. Elle permet de rendre naturelles les représentations sociales
en vulgarisant des données scientifiques, théoriques. Elle permet de concrétiser chaque élément du
schéma figuratif. En d’autres termes : La naturalisation des notions leur donne des valeurs de réalités concrètes
directement lisibles et utilisables dans l’action sur le monde et les autres (Jodelet, 1997, p.73). Elle permet au noyau
figuratif ne plus être seulement une réalité abstraite élaborée par un groupe social, mais qu’il puisse
prendre une valeur de réalité concrète. Selon Abric, une fois élaborée, cette « structure imageante » va servir
aux individus de grille de lecture dans leurs interactions quotidiennes. Le noyau figuratif prend alors pour le
sujet un statut d’évidence, il est pour lui la réalité même, il constitue le fondement stable autour duquel va se construire
l’ensemble de la représentation » (Abric, 1994, p. 21). Ainsi, comme le fait bien remarquer Seca (op.cit) « Le
concept ou la théorie scientifique, après avoir été transformés en images et en éléments faisant sens dans l’esprit du sujet,
perdent leur caractère de reconstruction et deviennent la réalité sur laquelle et à partir de quoi on agit et communique (p.63).
5.2. L’ancrage
Le processus d’ancrage répond au besoin de rendre familier ce qui est nouveau, de rendre rassurant
ce qui fait peur, de rendre compréhensible ce qui, a priori, ne l’est pas. C’est mettre un objet nouveau dans un
cadre de références bien connu pour pouvoir l’interpréter (Doise, Palmonari., 1986). L’ancrage d’après Jodelet
(1984), c'est l'enracinement social de la représentation et de son objet (p 375). Signalons qu’il comporte deux aspects
principaux à savoir le sens et l’utilité. À propos de ces deux aspects, Jodelet(1984) souligne :
- Le sens : l'objet représenté est investi d'une signification par le groupe concerné par la représentation. À travers le
sens, c'est son identité sociale et culturelle qui s'exprime.
- L'utilité : " les éléments de la représentation ne font pas qu'exprimer des rapports sociaux mais contribuent à les
constituer … Le système d'interprétation des éléments de la représentation a une fonction de médiation entre l'individu
et son milieu et entre les membres d'un même (376, 377).
Avec l’ancrage, nous avons affaire à une sorte d’intégration cognitive de l’objet représenté dans le
système de pensée préexistant. Jodelet (1997) explique à cet effet que l’ancrage se déroule :
[…] en amont et aval de la formation des représentations, en assurant leur incorporation dans le social. En amont,
l’ancrage enracine la représentation et son objet dans un réseau de significations qui permet de les situer en regard des
valeurs sociales et de leur donner cohérence. (…) En aval de la formation représentative, l’ancrage sert à une
instrumentalisation du savoir en lui conférant une valeur fonctionnelle pour l’interprétation et la gestion de
l’environnement. Il se situe en continuité avec l’objectivation (p. 73)
En outre, elle met en œuvre des mécanismes généraux comme le classement, la catégorisation,
l’étiquetage, la dénomination, etc. L’ancrage permet l’insertion de la connaissance dans un ensemble de
connaissances familières. Sur le plan pratique, le système de représentation fournit les cadres, les repères
par lesquels l’ancrage va classer dans le familier et expliquer d’une façon familière. D’une manière
générale, le processus d'ancrage, situé dans une relation dialectique avec l'objectivation, articule les trois fonctions de base
17
de la représentation : fonction cognitive d'intégration de la nouveauté, fonction d'interprétation de la réalité, fonction
d'orientation des conduites et des rapports sociaux (Jodelet., 1984, p. 376). Il permet donc de rattacher cet objet
aux autres représentations. Deschamps & Molinier (2012) montrent qu’il existe trois types d’ancrages :
• L’ancrage psychologique « correspond à l’imbrication des représentations dans des croyances d’ordre générales
auxquelles les individus adhèrent plus ou moins.
• L’ancrage sociologique « correspond à l’insertion des représentations dans les groupes sociaux. »
• L’ancrage psychosociologique « concerne l’imbrication des représentations dans les dynamiques sociales (p.147-148)
21
Utiliser les représentations sociales pour comprendre la civilisation nègre et son système de pensée est
une nécessité. Il n’est pas possible de s’approprier des connaissances sur la civilisation négro-africaine
sans comprendre comment les représentations sociales constituées d’éléments informatifs, idéologiques
ou normatifs, de croyances, d’attitudes, de valeurs, d’opinions et d’images s’y construisent. Pour
s’approprier de la civilisation négro-africaine, il faut surtout comprendre son système de pensée. Sa
compréhension passe par une mise en correspondance avec les composantes de la civilisation nègre. Ce
premier niveau d’imbrication définit le cadre de référence commune, nécessaire pour une bonne
connaissance de la civilisation nègre à partir de son propre système de pensée et non pas à travers les
représentations sociales construites à partir de la rationalité occidentale. En effet, toute connaissance de
la civilisation nègre qui s’opère sans une appropriation de son système de pensée, produit des
représentations sociales non pertinentes. Elles constituent une lecture stéréotypée, avec une imagerie
mentale, un point de vue, une conception de la civilisation nègre qui n’est pas conforme à la réalité négro-
africaine.
Les catégories mentales à propos de la civilisation nègre d’un point de vue théorique ne peuvent que
mieux s’expliquer et bien être comprises en s’appuyant sur la conception, sur les composantes de la
civilisation nègre. En d’autres termes, il faut prendre en compte le fait que lorsqu’un individu souhaite
parler de la civilisation nègre, le considérer comme un objet social, il ne peut que le faire à travers une
lecture raisonnée, un regard spécifique qui se fait à partir de la pensée négro-africaine. Il faut pour cela
dépasser la dichotomie pensée occidentale/civilisation de l’universel. La pertinence du discours sur les
représentations sociales exige que pour parler de l’Afrique subsaharienne et des afro-descendants, la
priorité soit donnée à la pensée de référence qui est ici la pensée négro-africaine, très rarement objet
d’intérêt dans les études scientifiques. L’étude des représentations sociales nous permet d’apprendre à
interroger la pensée négro-africaine pour mieux connaitre l’Afrique subsaharienne et les afro-
descendants.
Ne perdons pas de vue que l’application de la théorie des représentations sociales en contexte négro-
africainnous amène d’avoir accès à une forme de savoir permettant aux individus d’acquérir des
connaissances sur la civilisation négro-africaine, de les intégrer dans un cadre classificatoire, et par là, de
comprendre et d’interpréter la réalité du monde négro-africain, jusqu’ici convenablement bien étudié à
partir des repères qui lui sont propres. Nous devons sortir d’une analyse et production des connaissances
sur l’Afrique noire et les afro-descendants qui sont investis d’une signification qui s’est construite dans la
pensée occidentale et qui expriment parfois le legs de la mission civilisatrice qu’a été le colonialisme.
Se trouve ici traduite l’idée que plusieurs connaissances actuellement disponibles sur l’Afrique
subsaharienne, et ses transformations sont le produit de représentations partagées, mais qui ne se sont
pas construites à partir de la pensée nègre. Pour notre part, il est impossible de comprendre en profondeur
l’Afrique noire si l’on ne met pas en évidence les processus de fonctionnement profondément déterminés
par les représentations construites à partir de son propre système de pensée. Sans une profonde et bonne
connaissance et diffusion scientifique de la civilisation nègre et de son système de pensée, il n’est pas
possible de connaitre l’Afrique noire dans sa profondeur. Il ne suffit non plus de se construire des
représentations sociales sur l’Afrique noire à partir de l’expérience quotidienne de contact avec ce
continent et éventuellement des communications conversationnelles, médiatiques sur l’Afrique.
Le point de départ de toute construction non stéréotypant des représentations sociales sur l’Afrique
part de sa reconnaissance comme une civilisation au même titre que la civilisation occidentale, de
reconnaitre qu’elle est porteuse d’une pensée, d’étudier cette pensée et enfin de savoir interroger le monde
subsaharien à partir de cette pensée. On ne peut étudier un objet en utilisant une pensée qui n’a aucun
lien avec l’objet d’étude. Il s’agit dans ce cas une étude caricaturale qui ne peut que produire une
22
représentation sociale non pertinente, inconsistante, et biaisée qui détermine à son tour des conduites,
comportements et orientations stéréotypées. À partir du moment où les pratiques et les représentations
s’influencent réciproquement, nous devons veiller à ce que le système de leur collecte ne souffre d’aucun
biais en particulier le biais civilisationnel. Ainsi il n’est pas recommandé d’analyser avec autant de
certitudes sans aucune réserve, un objet de la vie quotidienne ancré dans un contexte civilisationnel précis
en utilisant une rationalité et système de pensée qui n’est pas le sien.
Les représentations sociales se construisent à travers les échanges suscités par les objets de la vie
quotidienne dans leur système de pensée respectif. Nous devons sortir de la logique consistant à croire
qu’il existe à transformer la pensée occidentale en pensée universelle à travers laquelle nous nous
appuyons pour interroger d’autres contextes, construire et reconstruire des représentations sociales. Les
représentations sociales offrent une grille de lecture des objets de la vie quotidienne à propos desquels
elles ont été elles-mêmes élaborées. Toutefois, cela ne peut se faire qu’en tenant compte des systèmes de
pensée respectifs où se trouvent les différents objets de lecture.Les sources d’informations à partir
desquelles se construisent les représentations sociales sont certes hétéroclites : expériences, savoirs
scientifiques et naïfs, croyances populaires et religieuses, connaissances, contexte idéologique, etc, mais
elles devraient aussi prendre en compte de manière prioritaire, le système de pensée de référence dans
lequel se fait l’analyse. La dimension ou mieux la nature sociocognitive des représentations sociales exige
qu’elles soient produites en respectant les systèmes de pensée de départ des objets d’analyse. Cet aspect
devrait d’ailleurs encourager des études comparatives entre différents systèmes de pensée sur le regard
qu’ils ont d’un même objet.
23
Le deuxième niveau demande à ne pas se laisser enfermer dans le faux dilemme de l’objectivité des
représentations spatiales. Elles ne sont ni vraies ni fausses (au sens positiviste) ; elles sont plus ou moins
pertinentes et se transforment en pratiques, en actes, ou non.
Le troisième degré porte sur la diffusion des représentations spatiales dans la société et les
dimensions implicites, naturelles, des discours qui les véhiculent. Beaucoup ne sont jamais rendues
publiques sous la forme d’un discours formalisé. Ces constructions mentales ne se donnent pas.Il faut
aller les chercher dans les productions, les documents, les discours (spontanés ou provoqués,
questionnaires, interviews) des acteurs.On ne saisit qu’une partie, fatalement réduite, de leur complexité,
de leurs contradictions.
Le chercheur, l’expert, opère par conséquent un double travail :il collecte des données, puis les
interprète pour les énoncer comme des représentations. Les représentations sociales sont produites par
ceux qui tentent d’analyser les logiques des individus, et qui engagent une part irréductible d’eux-mêmes
dans la formulation des problématiques et des questions initiales, puis dans la demande de discours ou
dans le choix des textes. C’est le chercheur, l’expert qui fait naître et qui énonce le produit que devient la
représentation.
Pour conclure
Toute représentation apparaît donc comme un objet d’étude légitime, compte tenu de son impact sur
la connaissance scientifique en raison de son importance dans la vie sociale, des conséquences qui peuvent
en découler et de la connaissance qu’elle révèle sur le fonctionnement de la société. Bien qu’apparaissant
comme un objet flou, déroutant, aux contours fluctuants, la représentation sociale est cependant un outil
puissant, une réelle heuristique pour comprendre les logiques sociales. Elles sont utiles pour comprendre
la civilisation nègre et pour mieux diffuser sa pensée. Les représentations sociales ont alors leur place
dans la civilisation négro-africaine et en particulier dans la pensée qui la sous-tend.
De ces dispositifs, il est possible de conclure que le niveau d’utilisation des représentations sociales
dans les études sur l’Afrique noire reste très faible et quand elles sont faites, c’est parfois de manière
caricaturale dans la mesure où les analyses ne sont pas faites à partir des fondements de la pensée négro-
africaine. Il faut pour cela des dispositifs et des effets de consigne pour encourager une meilleure
connaissance de l’Afrique noire à partir des études sur les objets de vie quotidienne en s’appuyant sur la
pensée négro-africaine. Il faut que les représentations sociales mobilisées dans les études sur l’Afrique
noire, puissent épouser le contexte d’étude parce qu’elles ont été élaborées en s’inspirant de la pensée
nègre. Dès lors, se pose la question de repenser l’étude des représentations sociales dans le contexte
civilisationnel de l’Afrique noire.
En outre, l’effet conjoint que les études sur les représentations sociales en Afrique noire puissent aussi
mobiliser la pensée occidentale pour des études comparatives est à encourager tout comme la possibilité
d’intégrer les résultats de telles études dans une théorie explicative globale. Il n’est non plus exclu que
l’utilisation de la pensée nègre dans les études sur les représentations sociales en contexte civilisation
négro-africaine et dans les études comparatives avec le système de pensée occidental, puisse générer des
représentations partagées. Dans tous les cas, il est nécessaire aujourd’hui, dans les études sur les
représentations sociales en contexte subsaharien, de prendre en considération la pensée nègre comme
pensée de référence, pour distinguer leur mode de construction, le produit de cette construction, le
processus d'actualisation, et les paramètres situationnels qui l’affectent.
24
À partir de cette réflexion théorique, il est possible d’orienter les recherches. Tout d’abord, le cadre
général de compréhension des recherches sur les représentations sociales est à repenser dans une
perspective postcoloniale. L’identification des représentations sociales ne peut plus se faire en s’appuyant
sur le seul système de pensée occidentale. Continuer à le faire dans des contextes d’étude où l’objet
d’analyse mobilise d’autres savoirs obéit à la logique du discours colonial. Il faut se démarquer du legs
colonial dans les études sur les représentations sociales. Pour cela, l’analyse de différents paramètres est
à encourager afin de disposer des connaissancessur les autres civilisations qui permettent au chercheur
de s'adapter à la situation. Ceciamène le chercheur à avoir un certain rapport particulier à l’objet dans une
approche interculturelle, et à analyser la représentation à partir de certains éléments et dimensionsplus
que d’autres, permettant de mieux mettre en exergue les particularités qui en découlent de la pensée nègre.
Bibliographie
Abric, J.C. (1976). Jeux, Conflits et Représentations Sociales. Aix en Provence. Thèse de Doctorat d'État
de l'Université de Provence.
Abric, J.C. (1987). Coopération, Compétition et Représentations Sociales. Cousset : DelVal.
Abric, J.-C. & Guimelli, C. (1998). Représentations sociales et effets de contexte. Connexions, Logiques
sociales de la connaissance, 72-1998/2, pp. 23-37
Abric, J.C. (Ed.) (1994). Pratiques sociales et Représentations sociales. Paris : P.U.F, 251p.
Abric, Jean-Claude. (1994b). « Les représentations sociales : aspects théoriques », dans Jean-Claude Abric
(sous la direction de), Pratique sociales et représentations, Paris, Presses universitaires de France : 11-35.
Abric, Jean-Claude. (2003). « La recherche du noyau central et de la zone muette des représentations sociales »,
dans Jean-Claude Abric (sous la direction de), Méthodes d’étude des représentations sociales, Érès,
Ramonville Saint-Agne : 59-80.
Bataille, M. (2002). Un noyau peut-il ne pas être central ? In C. Garnier et W. Doise (Eds.) Les
représentations sociales : balisage d'un domaine d'études. Montréal : Éditions Nouvelles, 25-34.
Bataille, M., Mias C. (2001). La représentation du “groupe idéal” dans un groupe “réel” de formation,
Communication au Congrès AFIRSE Théorisation des pratiques, Tours.
Deschamps J.-C. et Molinier P. (2012) - « l’identité en psychologie sociale ; des processus identitaires aux
représentations sociales », Paris, Editions Armand Collin, 2ème édition.
Bonardi, C. & Larrue, J. (1993). L'attribution par rapport à soi et par rapport à autrui : Étude d'un biais
d'attribution dans une situation intergroupes. In J.-L. Beauvois, R.-V. Joule et J.M. Monteil (Eds.), Perspectives
cognitives et conduites sociales, 4. Cousset (Fribourg) : DelVal.
Bonardi C. et Roussiau N. (1999) - « Les représentations sociales », Paris, Ed. Dunod.
Bonardi, C. & Roussiau, N. (2000). Engagement et transformation des représentations sociales : les apports du
modèle bi-dimensionnel. In J.-L. Beauvois, R.-V. Joule et J.-M. Monteil (Eds.), Perspectives cognitives et
conduites sociales, 7, pp. 125-159. Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
Doise, W, Palmonari, A. (1986). Caractéristiques des représentations sociales. In W. Doise, A.Palmonari
(éd.). L'étude des représentations sociales. Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, pp 12-33
Doise, W. (1986). Les représentations sociales : définition d'un concept. In W. Doise, A. Palmonari (Eds.).
L'étude des représentations sociales. Neuchätel : Delachaux et Niestlé.
25
Doise, W. (1990). Les représentations sociales. In R. Ghiglione, C. Bonnet, J.F. Richard (Eds). Traité de
psychologie cognitive, T. 3. Paris : Dunod, 111-174.
Flament, Claude. (2001). «Pratiques sociales et dynamique des représentations », dans Pascal Moliner (sous
la direction de). La dynamique des représentations sociales. Pourquoi et comment les représentations se
transforment-elles ? Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble : 43-58.
Flament C (2011). « structures, dynamiques et changement des représentations sociale », p.47 à 72, in ABRIC J.-
C., « Pratiques sociales et représentations », Paris, Ed. PUF, 5ème édition ,2011.
Flament, C. (1981). L'analyse de similitude : une technique pour les recherches sur les représentations
sociales. Cahiers de Psychologie Cognitive, 1, 375-385.
Flament, C. (1987). Pratiques et représentations sociales. In J.-L. Beauvois, R.-V. Joule et J.-M. Monteil
(Eds.), Perspectives cognitives et conduites sociales, 1. Cousset : Delval.
Flament, C. (1989). Structure et dynamique des représentations sociales. In D. Jodelet (Ed.). Les
représentations Sociales. Paris : Presses Universitaires de France, 204-219.
Flament, C. (1996). Les valeurs du travail, la psychologie des représentations sociales comme observatoire d'un
changement historique. In Abric, J.C. (Ed.). Exclusion sociale, insertion et prévention. pp. 133-124. Saint-
Agne : Erès.
Guimelli, C. (1988). Agression idéologique, pratiques nouvelles et transformation progressive d'une représentation
sociale. Thèse de doctorat de l'Université d'Aix-en-Provence.
Guimelli, C. (1989). Pratiques nouvelles et transformation sans rupture d'une représentation sociale : la
représentation de la chasse et de la nature. In J.-L. Beauvois, R.-V. Joule et J.-M. Monteil (Eds.), Perspectives
cognitives et conduites sociales, 2. Cousset : Delval.
Guimelli, C. (Ed.), (1994). Structures et transformations des représentations sociales. Neuchâtel : Delachaux
et Niestlé.
Guimelli, Christian. (1994). « La fonction d’infirmière. Pratiques et représentations sociales », dans Jean-
Claude, Abric, (sous la direction de). Pratiques sociales et représentations, Paris : Presses universitaires
de France : 83-108.
Guimelli, Christian, Reynier, Jérôme. (1999). « Structuration progressive d’une représentation sociale : la
représentation de l’infirmière », dans Michel-Louis, Rouquette, Catherine, Garnier (sous la direction de). La
genèse des représentations sociales, Montréal, Nouvelles AMS : 171-181.
Guimelli, C. (2002). Etude expérimentale du rôle de l’implication de soi dans les modalités de raisonnement
intervenant dans le cadre des représentations sociales. Revue Internationale de Psychologie sociale, 15,1, 129-161
Jodelet, Denise. (1983). « Les représentations du corps, ses enjeux privés et sociaux », dans J. Hainars, et R.
Kaehr, (sous la direction de). Le corps en jeu, Neuchâtel, Musée d’ethnographie.
Jodelet, Denise. (1984 a). « Réflexion sur le traitement de la notion de représentation sociales en psychologie
sociale », Revue Communication Information, Les représentations, Vol. 6, No 2-3 : 15-41.
Jodelet, D. (1984).Représentation Sociale : phénomènes, concept et théorie, In S. Moscovici (ed.), Psychologie
Sociale, PUF, Paris, 357-378.
Jodelet, Denise. (1997).Les représentations sociales, 5eme Edition, Paris, Presses universitaires de France.
26
Jodelet, Denise. (1994). « Représentations sociales, pratiques, société et individu sous l’enquête des représentations
sociales », dans Denise Jodelet (sous la direction de). Les représentations sociales, Paris, Presses
universitaires de France : 36-57.
Mannoni, Pierre. (1998). Les représentations sociales, Paris, Presses universitaires de France.
Moliner, Pascal. (2001a). « Introduction », dans Pascal Moliner (sous la direction de). La dynamique
des représentations sociales. Pourquoi et comment les représentations se transforment-elles ? Grenoble,
Presses Universitaires de Grenoble : 7-14.
Moliner, Pascal. (2001b). « Formation et stabilisation des représentations sociales », dans Pascal Moliner
(sous la direction de). La dynamique des représentations sociales. Pourquoi et comment les
représentations se transforment-elles ? Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble : 15-41.
Moliner, P. (1988). La représentation sociale comme grille de lecture. Thèse de Doctorat en Psychologie.
Université de Provence. Moliner, P. (1995). A two dimensional model of social Representations.
European Journal of Social Psychology, 1, 27-40.
Moliner, P. (1996). Images et représentations sociales. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble.
Moliner, P. (Ed.), (2001a). La dynamique des représentations sociales. Grenoble : Presses Universitaires
de Grenoble.
Moliner, P. (2001). Une approche chronologique des représentations sociales. In P. Moliner (Ed.). La
dynamique des représentations sociales. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble, pp. 245-268.
Moscovici, Serge. (1961). La psychanalyse, son image et son public. Études des représentations sociales de la
psychanalyse, Paris, Presses universitaires de France.
Moscovici, S. (1963).Attitudes and opinions. Annual Review of Psychology, 14, 231-260.).
Moscovici, Serge. (1984). « The phemomenon of social representation », dans Robert M. Farr, Serge
Moscovici (sous la direction de). Social Representations, Cambridge, Cambridge University Press : 3-69.
Moscovici, S. (1986). L'ère des représentations sociales. In W. Doise & A. Palmonari (Eds.), L'étude des
Représentations Sociales, (pp. 3480), Neuchâtel-Paris : Delachaux & Niestlé.
Moscovici, S. (1989). Des représentations collectives aux représentations sociales : éléments pour une histoire. In
D. Jodelet (Ed.). Les représentations sociales ; Paris : Presses Universitaires de France, 62-86.
Moscovici, Serge. (1993). « Introductory Address », Papers on Social Representations, Vol. 2, No 3 :
160-170.
Mugny, G., Moliner, P. & Flament, C. (1997). De la pertinence des processus d’influence sociale dans la
dynamique des représentations sociales. Revue Internationale de Psychologie Sociale, 1, 31
Seca J. M., 2001« Les représentations sociales », Paris, Ed. Armand Colin
27