Vous êtes sur la page 1sur 11

De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale : 7

La notion de « représentation » en psychologie sociale


et environnementale1
Sandrine Depeau

RÉSO - UNIVERSITÉ RENNES II


ESO - UMR 6590 CNRS

L
INTRODUCTION l’urbanisme et répondant aux questions des rapports
individus-environnement, physique et social. Seront
a notion de représentation constitue sans donc exposées les notions de représentation sociale et
doute une des notions les plus polysémiques de cognition spatiale élargie à celle de cognition envi-
en Sciences Humaines et sociales et donc ronnementale qui permet de dépasser les dimensions
une des plus polémiques. Mais elle est surtout une des uniquement individuelles. L’exposé de ces notions sup-
plus riche, complexe et donc souvent risquée à exposer pose alors l’introduction d’approches privilégiant à
de manière générale dans un seul article. Il n’y a qu’à chaque fois une des dimensions du système individu-
recenser le nombre de volumineux ouvrages sous le environnement.
titre des représentations, qu’elles soient sociales, cogni- La notion de représentation sociale sera rapportée
tives ou encore spatiales. à partir d’une approche éclairant prioritairement le
En psychologie, l’intérêt épistémologique pour les monde social, où le rapport à l’environnement peut être
représentations, volontairement privée de tout qualifi- entendu principalement à partir de l’espace social.
catif ici, apparaît face aux limites explicatives des Ensuite, la notion de cognition spatiale sera abordée à
recherches uniquement axées sur les comportements. partir d’approches principalement axées sur le monde
Néanmoins, selon les champs où elle est étudiée, on individuel. L’environnement est ici l’espace physique et
peut compter de nombreuses acceptions: représenta- d’action. Enfin, la notion de cognition environnementale
tions cognitives, collectives, sociales, spatiales. Cha- que l’on pourrait situer entre ces deux premières, sup-
cune renvoie à des courants théoriques différents, à l’é- pose des approches réunissant monde social et monde
tude de processus psychologiques spécifiques et donc individuel.
à des paradigmes méthodologiques distincts. Sans Originellement, la notion de représentation trouve
entrer dans le détail de ces systèmes, cet article se ses sources à la fois dans la transdisciplinarité (notam-
situe modestement dans l’exposé synthétique des ment les travaux de Durkheim, 1898; Halbwachs,
acceptions les plus pertinentes quant aux questionne- 1925, etc.) et dans la recherche de dépassement du
ments souvent posés par la psychologie environne- réductionnisme de l’activité mentale provoquée par les
mentale. premières recherches behavioristes. Elles n’impli-
Cet exposé sera donc aussi l’occasion de manipuler quaient au départ que la recherche des facteurs (sti-
la notion de représentation avec prudence en confron- mulus) déterminant des comportements sans compré-
tant des systèmes théoriques différents et qui ne ren- hension de l’activité mentale des individus. Activité, qui
voient pas au même niveau de questions. Ce qui ne comme nous le verrons, joue un rôle fondamental dans
signifie pas que la notion de représentation ne s’intègre les conduites sociales et comportements individuels.
pas dans un système à plusieurs dimensions. Où les La première notion engageant les travaux behavio-
dimensions individuelles tout comme les dimensions ristes (donnant naissance au courant néo-behavioriste)
sociales peuvent être étudiées aussi bien conjointe- dans la compréhension de l’activité mentale et la
ment que séparément, tout dépend le type de question- recherche de facteurs intermédiaires entre le stimulus
nement que nous posons. et le comportement est l’attitude. Comprise comme une
Cette présentation sera construite sur la base de prédisposition à l’action, cette notion a donné lieu aux
deux acceptions phares en Psychologie environnemen- premières constructions d’outils d’évaluation (échelles
tale, pour l’une issue des théories de la psychologie
sociale et pour l’autre issue en partie de la psychologie
1- Texte issu d’un séminaire organisé le 13 mars 2006 à
cognitive et d’autres disciplines comme la géographie, Rennes par l’UMR ESO sur « la notion de représentation »

E
N° 25, décembre 2006 E S O
O
8 De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale
La notion de « représentation » en psychologie sociale

d’attitudes permettant de prédire des niveaux de com- concentrer l’ensemble des aspects et des processus en
portements). C’est par ailleurs une notion à partir de jeu. Les représentations sociales s’apparentent donc à
laquelle vont se développer de nombreux travaux sur des formes de théories « naïves » socialement cons-
les représentations sociales. Notamment en ce qui truites et partagées en vue de reconstruire, simplifier ou
concerne les travaux sur la structure de la pensée expliquer une réalité et se l’approprier (Jodelet, 1995),
sociale, comme nous le montrerons au cours de notre ou encore de rationaliser des pratiques. Pour Jodelet
développement. En outre, le développement des (1989) « il s’agit d’une forme de connaissance sociale-
sciences cognitives à partir des années soixante-dix, et ment élaborée et partagée, ayant une visée pratique et
surtout quatre-vingt, va permettre de donner une cer- concourant à la construction d’une réalité commune à
taine importance aux représentations (entendu dans un ensemble social ». (pp. 36-37). Pour résumer, nous
toutes les acceptions) et notamment aux traitements de pourrions dire alors que les représentations sociales
l’information qui permettent de parler de reconstruction sont des grilles de lecture de la réalité socialement
de la réalité. Cependant, parce que très influencée par construites. Par conséquent, elles supposent:
le développement de l’intelligence artificielle, certains • la présence de groupes différents qui élaborent
psychologues sociaux jugent ces théories cognitivistes cette grille à leur manière en fonction de leurs intérêts et
trop réductionnistes, au point de ne concevoir celles-ci positions dans un groupe donné.
que comme des théories du cerveau. C’est le cas de • l’organisation d’opinions socialement construites
Beauvois (1997) qui considère le cognitivisme comme relativement à un objet qui résulte d’un ensemble de
« un paradigme asocial » faisant peu cas de l’influence communications sociales qui permettent de maîtriser
des rapports sociaux. Cette critique nous permet d’in- l’environnement et de se l’approprier en fonction d’élé-
troduire la représentation sociale dans son champ théo- ments symboliques propres à son ou ses groupes d’ap-
rique le plus fécond, à savoir la cognition sociale ou l’é- partenance.
tude, entre autres, des processus de construction et • la « production originale, un remodelage complet de
communication de la pensée sociale. la réalité, une réorganisation de type cognitif ou les
connotations idéologiques personnelles (attitudes, opi-
1. LA NOTION DE REPRÉSENTATION SOCIALE nions) et collectives (valeurs, normes) prennent une
place essentielle aussi bien dans le produit que dans les
En Psychologie sociale, les développements théo- mécanismes même de sa constitution » (Abric, p. 67- 68,
riques et méthodologiques sur la représentation partent 1987).
des travaux de Moscovici (1961; 1976) sur l’image de la On l’aura remarqué, les représentations constituent
psychanalyse. C’est en effet à partir de cette étude que le point central des rapports entre groupes sociaux. L’é-
Moscovici énonce les processus en jeu non seulement tude des représentations sociales s’attache donc plus à
dans la formation (objectivation et ancrage) de représen- comprendre ce qui distingue ces groupes que ce qui les
tation mais aussi dans son fonctionnement et ses condi- réunit sans pour autant laisser de côté ce qui fait
tions de production. consensus au sein d’un groupe. Comme le remarquent
Pour définir les représentations sociales, de nomb- Rouquette et Rateau (1998), c’est sur cet aspect de dif-
reux auteurs-clé pourraient être cités comme Jodelet, férenciation des groupes sociaux que nous pouvons dis-
Abric, Rouquette, Doise, Flament, etc. Restons-en, tinguer alors les représentations collectives des repré-
pour commencer à son fondateur, en citant Moscovici. sentations sociales. Une représentation collective est
Il définit la notion de représentation sociale comme commune à tout le genre humain tandis que la repré-
« des ensembles dynamiques, des théories ou de sentation sociale est commune à un groupe social.
sciences collectives destinées à l’interprétation et au La plupart du temps, la représentation est donc com-
façonnement du réel. Elles déterminent des champs de prise et travaillée sur la base de comparaisons (objet de
communications possibles, des valeurs, des idées pré- représentation, groupes sociaux, contextes…). Flament
sentes dans les visions partagées par les groupes et et Rouquette (2003) précisent d’ailleurs la nécessité des
règlent par la suite des conduites désirables ou comparaisons dans le cadre de recherches sur le terrain.
admises ». (1976, p. 48) Cette définition permet de « Seule en effet cette comparaison est à même de mettre

Travaux et documents
De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale 9
La notion de « représentation » en psychologie sociale

en évidence les spécificités sociales relatives, soit qu’il sociale. Question qui est loin de paraître mineure. Ainsi
s’agisse d’une même population prise à deux moments Flament et Rouquette (2003) posent les pré-requis de
de son évolution, soit qu’il s’agisse de deux populations l’existence d’une représentation sociale en rappelant
distinctes considérées à un même moment » (Flament & que son « lien avec la société est fondamental ».
Rouquette, 2003, p. 13). C’est le cas par exemple dans Le premier principe consiste en « la saillance socio-
l’étude de Moscovici sur la Psychanalyse, où l’auteur dis- cognitive » de l’objet de représentation. Ainsi, l’objet de
tingue des groupes aux idéologies différentes (les com- représentation doit s’apparenter à un concept, être suf-
munistes versus les catholiques). Idéologies qui ne sont fisamment abstrait et générique. Rapportons, pour
donc pas sans influences sur la représentation de la psy- mieux comprendre, les exemples caricaturaux mais
chanalyse et les conduites qu’elles engendrent: les com- explicites des auteurs (p. 32) « Il n’y a pas représenta-
munistes concevant la psychanalyse comme un outil tion sociale du dentifrice mais une représentation de
d’impérialisme tandis que les catholiques l’interprètent l’hygiène, pas de représentation sociale de la licence
comme une justification de la débauche. mais une représentation sociale des études supé-
Un autre exemple connu porte sur la représentation rieures », etc. L’objet de la représentation sociale doit
de la chasse et l’influence de nouvelles pratiques de alors concerner la classe d’objets et non un objet parti-
chasse sur cette représentation (Guimelli, 1989). La pré- culier de cette classe. Ce principe n’est pas toujours évi-
sence de groupes idéologiques différenciés (non-chas- dent à observer dès lors qu’on s’intéresse à un pro-
seurs et écologistes versus chasseurs) face à la question blème spécifique semblant concentrer à lui seul un
des pratiques de chasse reste un éclairage intéressant. ensemble de spécificités et d’enjeux sociaux.
La comparaison est pertinente pour comprendre les Cette saillance socio-cognitive renvoie aussi à
transformations de la représentation de la chasse. Elle l’aspect social de l’objet et à sa circulation dans les
l’est notamment pour décrire une ressemblance de communications inter-personnelles et inter-groupes et à
schèmes (le schème écologique) entre des groupes dits son exposition médiatique qui implique alors des prises
opposés, simplement par l’activation rendue possible par de positions et l’installation de polémiques. Lesquelles
des pratiques nouvelles de chasse provoquées par l’ir- amènent logiquement au second principe qui concerne
ruption du virus de la myxomatose. Autrement dit « l’in- l’élaboration des pratiques.
tensification de pratiques nouvelles est venue activer des Pour assurer l’existence d’une représentation
schèmes écologiques dormants () les schèmes relatifs sociale, doit se développer un certain nombre de « pra-
aux techniques de chasse et les schèmes écologiques tiques communes » que Flament et Rouquette (2003)
fusionner en un seul, celui de la gestion du territoire de définissent à partir de quatre orientations. Les pratiques
chasse » (Guimelli, 1989, p. 136). peuvent s’apparenter à:
Reconnaître comme objet d’étude une représenta- - des « passages à l’acte » comme simple exposi-
tion sociale signifie donc de comprendre comment les tion à un événement ou encore comme simple utilisa-
sujets et groupes sociaux se positionnent dans le milieu tion;
et le contexte social, comment les informations extraites - des « pratiques récurrentes » supposant un niveau
des expériences subjectives des individus dépendent de d’expérience par rapport à l’objet en question, ce qui
leur système idéologique, en résumé de leur position implique alors un niveau de connaissances par rapport
sociale et de leur appartenance culturelle. La représen- à l’objet et une durée de vécu;
tation sociale permet alors de comprendre des pratiques - « des façons de faire » en lien avec des positions
et leurs enjeux sociaux. sociales et des rapports entre les groupes impliqués;
- des stratégies ou « calculs » qui supposent de
1-1. La question de l’objet de représentation comprendre les buts et intentions des individus par rap-
sociale port à la mise en place de ces pratiques.
L’étude des représentations sociales suppose un Pour savoir si un objet peut être socialement valide
regard ternaire impliquant la trilogie Ego/Alter/objet. en tant qu’objet de représentation, il doit donc être
Dans ce cadre, la question la plus souvent posée source de divergences et de questionnements quant à
consiste à savoir si tel objet est objet de représentation l’idée du groupe social; l’identité du groupe dépend en

E
N° 25, décembre 2006 E S O
O
10 De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale
La notion de « représentation » en psychologie sociale

effet de l’objet de représentation sociale (Moliner, giques en amont. Dans ce cas, imaginons que l’on com-
2001). Il peut aussi donner naissance à un nouveau pare la représentation sociale de l’éducation dans des
groupe social selon les implications qu’il suppose. Il est groupes localisés dans différents pays de l’Europe. Il
donc source de cohésion sociale et en même temps est fort à parier que la représentation sociale variera
possède de forts enjeux identitaires. selon que l’idéologie est plutôt à tendance individualiste
ou à tendance plus sociale. Ensuite, cette représenta-
1-2. La place des représentations sociales dans la tion de l’éducation orientera toute une série d’attitudes
pensée sociale différentes à l’égard du rôle de l’école, du rôle de la
Pour mieux comprendre les fonctions de la repré- famille, du rôle de la société. De là, si nous prenons les
sentation sociale et son inscription dans la pensée attitudes à l’égard de l’école, on pourra sans doute
sociale, il semble intéressant et nécessaire pour clarifier constater que les opinions à l’égard de l’autorité des
le concept de rappeler à partir des réflexions de Rou- enseignants, ou encore les opinions concernant l’intérêt
quette (1998; 2003) l’articulation de la représentation des sanctions physiques (être pour ou contre la fessée
sociale avec les autres instances fondamentales de la par exemple), l’opinion au sujet du renforcement des
pensée sociale. Ce qui permettra par ailleurs de clarifier structures d’accueil en collectivité divergeront selon les
ces autres concepts. cultures et idéologies politiques et sans doute reli-
Les représentations sociales s’inscrivent donc dans gieuses. Nous pourrions aussi prendre pour exemple, la
la pensée sociale structurée en différents niveaux d’in- représentation de la ville sous différents modèles d’ur-
tégration allant du stade le plus sociétal (idéologie) au banisme du passé (modèles utopistes) fortement
stade le plus individuel (pratiques): niveau 1: Idéologie; influencés par les idéologies socialistes (Fourrier,
niveau 2: Représentation sociale; niveau 3: Attitudes, il Godin, etc.) et décliner ce modèle hiérarchique en fonc-
s’agit d’une prise de position sur un ensemble théma- tion des mesures et choix pris dans différents domaines
tique. L’attitude correspond à la partie la plus primitive de la vie publique, qu’il s’agisse du travail des enfants,
des représentations; niveau 4: Opinions (il s’agit d’un des mesures de sécurité et d’hygiène…
point de vue porté sur une partie d’un ensemble théma- Quels que soient les exemples cités, ce qu’il est
tique à un moment donné); niveau 5: Pratiques et important de comprendre c’est qu’un changement d’o-
comportements. pinions (qui constitue le niveau le plus variable du sys-
Cette organisation de la pensée sociale permet de tème) ne modifie pas forcément les attitudes qui lui sont
comprendre à la fois les sources d’influence de la repré- afférentes et par conséquent ont peu de raisons de
sentation sociale et comment elles peuvent évoluer et modifier une représentation sociale. En résumé, ces dif-
se transformer dans des contextes de changements de férents niveaux possèdent des degrés de résistance
comportements et de pratiques. En admettant les rela- aux changements fort différents, le niveau idéologique
tions entre pratiques et représentations sociales, cette étant le plus robuste et le plus constant, au point que
structuration permet de comprendre à la fois la variabi- comme le soulignent Flament et Rouquette (2003)
lité des niveaux et les conditions requises pour qu’une « seuls les historiens, sans doute, peuvent en déceler
représentation sociale soit affectée par des transforma- les inflexions et les éventuelles mutations () Il n’est pas
tions de pratiques. Ainsi, Rouquette précise que les opi- question de voir (et sans doute encore moins de provo-
nions sont très contingentes du contexte spatial et tem- quer) un changement d’idéologie en l’espace de
porel de l’individu. Les opinions changent beaucoup. quelques mois ou quelques années. Il faut pour le
(Ce qui justifie sans doute les nombreux sondages d’o- moins des générations, et un long travail de modifica-
pinions en politique! sondages qui ne présagent en tion de l’environnement, des rapports sociaux et pra-
rien, bien au contraire, le résultat des élections). Quant tiques de toute nature » (Flament et Rouquette, 2003,
aux attitudes, elles conservent une certaine stabilité p. 18).
permettant d’assurer un socle aux représentations On comprend d’emblée que la transformation pro-
sociales. Prenons, un exemple pour être plus clair. On fonde de représentation sociale fait partie d’un pro-
peut s’intéresser à la représentation sociale de l’éduca- cessus long. Néanmoins, comme le souligne Guimelli
tion. Cette dernière va dépendre des systèmes idéolo- (1989) en travaillant sur l’effet de pratiques nouvelles de

Travaux et documents
De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale 11
La notion de « représentation » en psychologie sociale

chasse sur la représentation de la chasse et de la garantie de cette stabilité n’est assurée que parce qu’il
nature, certaines situations le plus souvent acciden- existe le système des éléments périphériques qui sont
telles ou menaçantes pour la survie de l’homme ou une sorte de protection du noyau central. Les éléments
d’une espèce (comme la prolifération de la myxoma- périphériques constituent la part la plus variable de la
tose dans le cadre de la recherche sur la chasse) peu- représentation, la plus contingente parce que plus
vent provoquer des changements drastiques de com- proche de la réalité extérieure et plus soumise aux
portements et de pratiques, comme la question de la situations (Abric, 1994). C’est « la face la plus visible ()
gestion du territoire qui devient un thème central dans celle qui est accessible par l’observation et l’entretien »
la représentation de la chasse et de la nature par les (Moliner, 2001, p. 29). Les éléments périphériques sont
chasseurs. plus proches de l’expérience des individus et de leur
Si la représentation se transforme difficilement, cela réalité quotidienne. C’est donc à ce niveau structural de
ne signifie pas en revanche qu’elle ne varie pas et ne la représentation que l’on peut observer une forte varia-
subit aucune modification. C’est bien ce que permet de bilité des éléments de la représentation d’un groupe. Ils
comprendre l’approche structurale des représentations auraient la fonction d’aider à l’adaptation dans le cas de
sociales. changements de comportements. Pour résumer donc:
• Le noyau central (NC): C’est le système structu-
1-3. La structure des représentations sociales rant. Il est lié aux normes, aux valeurs, aux attentes, à
Dans le cadre des recherches sur la représentation l’implication personnelle, aux finalités fonctionnelles
sociale, l’approche structurale est une approche très d’une pratique, à la mémoire, à l’histoire collective. Il
courante qui consiste à décrire et comprendre l’organi- favorise le consensus, l’homogénéité culturelle et
sation des éléments contenus dans la représentation. psychologique d’un groupe. Il a aussi une utilité pra-
Cette approche s’avère très utile dès lors que l’on s’in- tique et une dimension prescriptive. Il est en lien avec
téresse à l’évolution des représentations et que l’on l’affectivité, l’idéologie, les stéréotypes et croyances du
cherche à comprendre par exemple la résistance de groupe.
certaines pratiques aux changements. Dès lors aussi • Le système périphérique (SP) : il est constitué
que l’on cherche à repérer quels sont les éléments qui d’une diversité d’éléments et est très flexible. Les élé-
contribuent à l’interprétation de l’environnement, à la ments sont contingents de la vie quotidienne des indi-
cohésion d’un groupe et à son identité. vidus, de leur vécu…Ces éléments sont donc sans
Pouvoir affirmer à la fois la forte inertie de la repré- cesse soumis à une réinterprétation, à des filtrages
sentation et en même temps sa flexibilité, n’est possible afin de garantir une adaptation de la représentation
qu’en repérant deux zones fondamentales de sa struc- face à l’évolution du contexte sans la faire changer.
ture qui sont le noyau central et les éléments périphé- Ce système périphérique permet donc l’adaptation
riques. C’est Abric qui propose l’hypothèse de noyau à la réalité concrète, la diversification du contenu de la
central (1976, 1989) et l’idée d’une organisation ou représentation sociale et la protection du noyau cen-
plutôt d’une hiérarchisation des éléments. tral.
Le système central est associé à la part la plus
ancienne, la plus ancrée et « apparaît liée aux condi- Sans développer davantage le rôle fonctionnel et
tions historiques, sociologiques et idéologiques. Direc- organisationnel de ces deux niveaux de la structure
tement associé aux valeurs et aux normes () » (Rou- d’une représentation, tant les travaux sont importants
quette et Rateau, 1998, p. 35). On touche là au rapport dans ce domaine, arrêtons-nous simplement sur un
de l’objet de représentation avec tout le système socio- point méthodologique d’élucidation de la structure des
culturel sur lequel il repose. Il est composé des élé- représentations sociales.
ments fondamentaux comme les valeurs et croyances La détermination de ces éléments peut se faire de
autour desquelles le groupe trouve son identité, l’entre- différentes manières, la plus courante étant la tech-
tient et la rend pérenne. C’est pourquoi, il constitue le nique associative à partir du mot inducteur reprenant
niveau le plus stable de la structure de la représentation l’objet de représentation (pour la représentation de la
face aux changements de la société. Néanmoins, la santé par exemple, on pose la question suivante en

E
N° 25, décembre 2006 E S O
O
12 De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale
La notion de « représentation » en psychologie sociale

limitant à 6-7 évocations « si je vous dis Santé, quels 2. LES REPRÉSENTATIONS COGNITIVES DE
sont les mots, situations qui vous viennent d’emblée à L’ESPACE
l’esprit ? »). À partir du corpus de mots et/ou des situa-
tions recueillies auprès de groupes de sujets, on peut Rapportée à un objet spatial, la représentation est le
appliquer la méthode des distributions rangs/fré- plus souvent étudiée en psychologie, et qui plus est en
quences initiée par Vergès (1992/1994). Cette tech- psychologie environnementale, sous sa dimension
nique permet de dégager une structure de représenta- cognitive à partir de techniques de production spatiale.
tion et en particulier d’observer les éléments du noyau Cela suppose donc qu’on cherche à comprendre com-
central, c’est-à-dire « les éléments qui ont à la fois une ment sont interprétées les informations spatiales et
fréquence élevée et un rang faible » (Flament & Rou- comment elles sont organisées en mémoire pour être
quette, 2003). Mais aussi, il est possible d’en déduire réutilisées pour l’action. Pour commencer, rappelons la
les éléments périphériques, à savoir alors les mots diversité terminologique des représentations cognitives.
souvent ou peu souvent cités mais à rang faible. En « Carte mentale », « carte cognitive », « image men-
d’autres termes, cette technique d’analyse suppose de tale » sont les différents termes que l’on peut trouver
manipuler « deux dimensions ontologiquement diffé- dans la littérature. Ils peuvent être utilisés avec confu-
rentes. D’une part on met en évidence une dimension sion autant comme concept théorique autant que
collective – le nombre de fois où un mot a été énoncé comme concept méthodologique uniquement. Ce qui
– qui a pour référence l’ensemble de la population (le pose parfois des difficultés de compréhension quant
nombre total de sujets est alors la référence 100 %). aux modèles et approches théoriques qui les suppor-
D’autre part, on calcule un rang moyen, c’est-à-dire le tent. Difficultés de discernement auxquelles peuvent
résumé d’une distribution statistique correspondant à s’ajouter celles concernant la confusion entre produit et
une opération individuelle : le sujet a établi un ordre processus que certains auteurs ont résolu en les distin-
entre les mots qu’il a énoncés. On voit alors qu’au cri- guant dans leur terminologie.
tère d’importance (la fréquence) on ajoute un critère Bien que l’accent soit prioritairement mis sur des
individuel de signification (certains sont plus en rap- processus cognitifs, cela ne signifie pas que la dimen-
port que d’autres avec le thème de la représentation sion sociale des espaces soit reléguée en arrière-plan
sociale) ». (Vergès, 1992/1994, p 236). Cette tech- des questionnements et analyses, ni qu’il soit impos-
nique d’élucidation de la structure des représentations sible de travailler sur la comparaison de groupes
sociales est aujourd’hui complétée par de nombreuses sociaux. Bien au contraire. Encore une fois, tout dépend
autres qu’Abric détaille d’ailleurs assez précisément des objectifs et questions que nous posons. Néan-
dans un ouvrage récent (Abric, 2003). moins, l’intérêt porté aux représentations cognitives des
espaces oriente bon nombre de recherches vers le
L’exposé des méthodes permettrait de détailler champ de la cognition spatiale mais aussi environne-
encore plus précisément le fonctionnement socio- mentale. Cette dernière approche permet d’ailleurs d’a-
cognitif des représentations sociales mais là n’est pas border les représentations de manière plus holistique
notre objectif. Concluons alors sur l’intérêt d’étudier les en entendant l’espace non plus seulement comme
représentations sociales dans le champ de la source de stimulations, la démarche serait donc bien
recherche en environnement et sur les questions trop déterministe, mais comme source d’informations
d’espaces. L’étude des représentations sociales générant variété de significations pour les individus. La
permet de comprendre la différenciation sociale des représentation cognitive est alors constituée d’informa-
conduites et comportements et le rôle des communi- tions spatiales et d’informations propres aux caractéris-
cations sociales. Elle contribue par ailleurs à mieux tiques individuelles et aussi sociales. Sont en jeu les
appréhender les processus de productions identi- processus de perception, de cognition et de croyances
taires, la résistance aux changements ainsi que la vul- rattachées au milieu. On voit ici une distinction intéres-
nérabilité des conduites et comportements dans des sante et nécessaire à faire d’emblée entre perception et
contextes de changements ou de rupture. représentation, ces termes ayant été longtemps
confondus. La perception renvoie à une réalité présente

Travaux et documents
De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale 13
La notion de « représentation » en psychologie sociale

dans l’action tandis que la représentation renvoie à une quant à lui est caractérisé par une structure schéma-
réalité absente et reconstruite à partir des caractéris- tique qui aiderait à sélectionner les informations envi-
tiques à la fois individuelles, sociales et du milieu. Tou- ronnementales et à les appréhender dans le but de se
tefois, il n’y a pas de perception sans représentation, repérer et de se localiser. Ce modèle fait intervenir la
c’est d’ailleurs ce que montrent les travaux de Denis mémoire sémantique et s’appuie sur l’expérience lan-
(1989) à travers les fonctions de l’image mentale chez gagière et symbolique. Ce sont donc les significations
des sujets aveugles. La représentation cognitive sert qui sont importantes.
dans ce cas de guide pour l’action. Ces deux modèles ne s’opposent pas forcément, ils
peuvent se compléter. En effet, certains voient une
2. 1. Les modèles majeurs de traitement des infor- chronologie des deux modèles avec un codage de l’in-
mations spatiales ou environnementales formation sous forme propositionnelle puis une utilisa-
L’ensemble des recherches centrées sur les repré- tion de la carte sous forme analogique (Evans, 1980;
sentations cognitives de l’espace peut être résumé à Gärling & al., 1984). Elle dépend du processus de trai-
partir des modèles théoriques fondamentaux et de leurs tement de l’information et notamment du type d’infor-
objectifs, ces derniers pouvant parfois être très appli- mations à traiter puis à mémoriser. Or, l’environnement
qués. D’une part, on repère les travaux où la représen- est un système complexe et dynamique. Ainsi, certains
tation cognitive de l’espace, à savoir la carte mentale auteurs pensent que le traitement de l’information spa-
est entendue comme une représentation analogique. Il tiale se fait sur la base de « clusters » ou de catégories
y aurait une correspondance fonctionnelle avec la carte d’informations mémorisées ensemble sur la base de
géographique (Downs & Stea, 1973) et une certaine significations construites par l’individu et qui leur sont
isomorphie entre les informations de la carte mentale et propres. Ces significations peuvent être d’ordre fonc-
celles d’une carte graphique. C’est plutôt ici le courant tionnelles, culturelles, sociales… Chaque ensemble
de la cognition spatiale. D’autres recherches, en organisé d’informations ou clusters peut constituer ce
revanche considèrent représentation comme produit de que Lynch (1960) appelle un « quartier ».
processus cognitifs. Les informations spatiales ne sont
ni d’ordre euclidien ni d’ordre topologique. Elles sont 2. 2. Contenu et structures de la représentation
issues de catégorisation des éléments d’ordre séman- cognitive de l’espace comme patrons d’analyse
tique et basé sur le jugement ou la perception de simila- Au-delà des modèles de traitement des informations
rités des caractéristiques physiques du milieu. Il y a une sous-jacents, deux types d’informations sont intéres-
diversité des sources d’informations pour la catégorisa- sants à observer et à utiliser: le contenu de la représen-
tion: les informations peuvent être d’ordre social, esthé- tation ou/et sa structure. Deux aspects qui, tout en étant
tique, historique, fonctionnelles, etc. C’est le courant de développés au niveau théorique, peuvent servir de base
la cognition environnementale. Pour certains auteurs méthodologique dans l’étude et l’analyse de la repré-
comme Jodelet (1982), la représentation d’un espace sentation cognitive recueillie à partir des techniques
renvoie aussi à un espace socialement signifiant. Son classiques de reproduction ou reconstruction spatiale en
acception renverrait donc à une notion de « cognition de deux dimensions (dessin à main levée, jeu de recons-
lieu » (place cognition) définie par Cohen (1985). truction spatiale, techniques pictographiques, etc.).
Si l’on s’attache aux processus, il est nécessaire de Reprenons alors brièvement des exemples de
les rappeler en confrontant différents modèles. contenu et de structure extraits de la littérature et cou-
• Un premier modèle, le modèle analogique (repré- ramment utilisés dans les analyses.
sentation imagée) considère la représentation de l’envi-
ronnement comme isomorphe et basée sur la structure a- Le contenu des représentations cognitives de
topographique de l’information. Il y aurait une cor- l’espace
respondance entre les « construits » et l’objet extrait de Les informations structurant la représentation cogni-
l’environnement. Ce premier système serait basé sur tive d’un espace sont riches, variées et souvent très
l’expérience perceptive de l’individu. complexes à élucider. Tout dépend aussi le type
• Le modèle propositionnel (représentation verbale) d’espace que nous étudions et son niveau d’échelle. En

E
N° 25, décembre 2006 E S O
O
14 De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale
La notion de « représentation » en psychologie sociale

ce qui concerne l’espace à l’échelle d’une ville, la typo- Cette typologie d’éléments qui peut être com-
logie issue des travaux précurseurs de Lynch (1960) plétée ou remaniée pour les besoins de l’étude n’est
reste une base intéressante (parfois remaniée par le utilisable que si les informations recueillies à partir de
chercheur) pour catégoriser les éléments d’un espace la production spatiale ont été complétées par un
urbain. À partir d’études portant sur l’image de trois entretien permettant alors de mieux discerner le statut
villes américaines, Lynch propose de distinguer: et la fonction pour l’individu de ces différents élé-
1- Les voies: ce sont des espaces à parcourir ments.
comme les routes, les lignes de transport en commun. D’autres catégories comme celles de Gärling &
Ce sont les éléments les plus structurants pour l’auteur col. (1984) peuvent être utilisées dès lors qu’on s’in-
puisqu’ils servent à traiter les relations spatiales entre téresse, en plus des éléments, aux relations spatiales
les éléments. entre ceux-ci. Ces auteurs distinguent alors :
2- Les limites: ce sont des éléments d’organisation • Les lieux (places) : ce sont les unités de base
importants qui vont permettre de séparer des zones. comme les bâtiments, les rues ou partie de rue, les
Elles peuvent être vues comme des frontières et sont carrefours, etc. Les informations constituant le lieu
souvent perçues comme des barrières difficiles à fran- sont souvent le nom, les caractéristiques physiques,
chir comme une voie rapide, un cours d’eau, etc. Ce la fonction, l’échelle spatiale. Mais on peut aussi y
sont tous les éléments qui créent des ruptures de che- ajouter des attributs davantage psychologiques
minement ou de visibilité. comme leur caractère attractif, leur valence positive,
3- Les quartiers: ce sont des fragments de la ville leur configuration qui contribue à leur esthétique, leur
plus ou moins vastes à l’intérieur desquels l’observateur sécurité, etc. Les différentes qualités des lieux per-
ou l’usager a le sentiment de pénétrer. Ils sont recon- mettent de comprendre comment les cartes mentales
naissables par leur forte identité. Ils sont donc orga- sont utilisées mais aussi stockées.
nisés à partir de symbolique forte basée soit sur une • Les relations spatiales entre les lieux : ce sont
dimension sociale, affective ou fonctionnelle. La ville est d’autres classes d’unités basées sur des paires de
souvent structurée en quartiers. Ils doivent former des lieux. Trois types de relations sont donc distingués.
unités thématiques, c’est-à-dire avoir une homogénéité Les relations d’inclusion quand l’échelle de chaque
de caractéristiques physiques, des fonctions, ou de lieu est différente (par exemple, la boutique d’un
population; bâtiment, la mairie d’un arrondissement). Les rela-
4- Les nœuds: ce sont des points stratégiques de la tions métriques qui sont basées sur la distance et la
ville où l’observateur perçoit un ensemble de fonctions direction. Les relations de proximité par rapport à un
ou de caractéristiques physiques propres (un square autre point de référence. Le point de référence sert
fermé, le bar du coin…). Ils peuvent de ce fait résumer à localiser le reste des éléments (par exemple, le
un quartier ou en constituer le symbole. Ce sont des kiosque à journaux à proximité de la station de
points de jonction ou d’intersection où l’individu, durant métro).
son cheminement, va devoir faire des choix. Lynch sug- • Les projets de déplacement : ils relient les infor-
gère de les rendre inoubliables, bien délimités et de mations intériorisées du lieu et le comportement. Ils
s’assurer de ne pas les confondre. constituent un ensemble d’instructions de déplace-
5- Les points de repères : ils représentent des ments et d’orientation (destinations entre autres).
références ponctuelles observables le plus souvent
de l’extérieur et définissables simplement. Vus sous Ces deux types de typologie s’appliquent prioritai-
des angles et des distances variées, ils sont recon- rement à des espaces travaillés à grande échelle et
naissables et servent de référence pour se repérer (le de nature urbaine. Pour autant, cela ne signifie pas
clocher d’une église, une enseigne lumineuse…). Ils que l’étude des représentations d’autres types
vont donc symboliser la direction à suivre (tours iso- d’espaces de nature plus rurale ou de plus petite
lées, dômes…). Le point de repère sert davantage échelle ne puissent avoir lieu. Les typologies auront
quand l’espace ou l’itinéraire est en phase de familia- simplement à être remaniées et standardisées pour
rité. les besoins de l’étude.

Travaux et documents
De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale 15
La notion de « représentation » en psychologie sociale

b- La structure des représentations cognitives de Enfin, l’étude des représentations cognitives de


l’espace l’espace peut aussi porter sur l’ensemble des distor-
En plus des éléments constitutifs de la représenta- sions spatiales produites dans l’élaboration de la repré-
tion cognitive de l’espace, on peut étudier la structure sentation. Parce que les représentations ne sont pas de
de cette représentation. L’évolution de la structure de la pures retranscriptions du réel, ce sont les approxima-
représentation d’un espace peut être utilisée comme tions, confusions, déformations qui vont nourrir l’ana-
indicateur de familiarité cognitive et permet de com- lyse et permettre de révéler des rapports particuliers à
parer la représentation cognitive d’un même espace l’espace ainsi que dans certains cas les problèmes
chez des groupes de sujets ayant des niveaux d’expé- d’accessibilité environnementale. Ces distorsions peu-
rience et de pratiques spatiales différents (Depeau, vent provenir de différents facteurs. De facteurs spa-
2003; Depeau & Ramadier, 2005). Néanmoins, si l’on tiaux quand la lisibilité d’un espace est faible, des carac-
s’intéresse à la structure de la représentation cognitive téristiques des personnes interrogées, qui induisent
d’une espace, le parti pris pour entreprendre l’analyse alors d’autres facteurs liés aux rapports à l’environne-
n’est pas simple, car les modèles s’opposent. Un pre- ment comme les compétences de mobilité, le niveau de
mier ensemble d’études inspiré des travaux précur- familiarité, la fréquence de pratiques, etc.
seurs de Piaget (1948) sur le développement de la
pensée spatiale chez l’enfant postule qu’au départ la CONCLUSION
construction de la représentation spatiale serait basée
sur un ensemble de points qui seraient organisés Comme on pourra le constater la représentation est
ensuite entre eux sur la base de lignes (chemins) pour une notion riche d’informations que l’on peut étudier
finir sur une structuration plus spatiale et coordonnée sous différentes dimensions individuelles, sociales et
(Siegel & White, 1975; Gärling & col., 1981). À l’inverse, spatiales, ces trois dimensions pouvant aussi être obs-
d’autres postulent que les représentations prendraient ervées conjointement. C’est le cas dans l’étude des
au départ appui sur un ensemble de cheminements représentations spatiales faisant référence aux
(autrement appelé « route map » par Shemyakin, 1962) modèles de la cognition environnementale. Façonnées
pour s’organiser ensuite autour de points de repère par les pratiques et comportements des individus, elles
constituant une carte très spatialisée (« survey map », peuvent aussi être de bons facteurs explicatifs des rap-
Shemyakin, 1962). Plus récemment, d’autres types de ports des individus à l’environnement physique et
structuration, repérés à partir de l’analyse conjointe des social. Elles peuvent dans ce cas non seulement per-
représentations et comportements spatiaux permettent mettre de comprendre les pratiques à un niveau indivi-
de mieux comprendre les différentes centralités duel (mobilité, fréquentation, stratégies résidentielles,
urbaines (Ramadier, 2002). Les études sur la structure choix d’habitats), mais aussi rendre compte des enjeux
de la représentation spatiale ont aussi permis de mon- spatiaux entre groupes sociaux (questions de conflits
trer toute l’importance des pratiques dans la construc- d’usages, de ségrégation, etc.) ou encore permettre de
tion de la représentation spatiale. Notamment, que l’on comprendre les questions d’accessibilité de l’espace,
pouvait retrouver les mêmes stades de structuration de lisibilité sociale et spatiale, de gestion des territoires
spatiale chez un sujet adulte au cours des premières par les individus.
expériences d’un environnement et un enfant en cours
d’apprentissage d’un espace. En d’autres termes on Si le recueil des représentations reste assez varié et
trouverait donc des similitudes entre l’ontogenèse et parfois très sophistiqué (comme c’est le cas dans cer-
l’apprentissage ou les premières expériences d’un envi- taines formes d’études en psychologie sociale), les
ronnement. méthodes de recueil et d’analyse doivent rester connec-
L’intérêt de l’analyse de la structure est qu’elle reste tées aux questions fondamentales communes à l’en-
indépendante de toute réalité géographique et permet semble du domaine des représentations. À savoir dans
de mieux comprendre des comportements qui génèrent quel but étudions-nous les représentations? Dans un
toute forme de familiarité (sociale, affective, cognitive, but descriptif? Dans un but explicatif? À quoi nous réfé-
spatiale). rons-nous quand nous parlons de représentation? Au

E
N° 25, décembre 2006 E S O
O
16 De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale
La notion de « représentation » en psychologie sociale

produit de la représentation? Ou bien au processus de RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES


représentation? Questions fondamentales qui orientent
les démarches méthodologiques à adopter, des plus • ABRIC, J.-C. (1976). Jeux, conflits et représentations
qualitatives (quand la représentation est entendue sociales. Thèse de Doctorat, Université de Provence.
comme une façon de voir le monde) aux plus expéri- • ABRIC, J.-C. (1987). Coopération, compétition et repré-
mentales (quand il s’agit de comprendre les méca- sentations sociales. Cousset, Delval.
nismes cognitifs sous-jacents). • ABRIC, J.-C. (1994). Pratiques sociales et représenta-
tions. Paris: PUF.
Pour conclure, on peut affirmer que la notion de • ABRIC, J.-C. (1994). L’organisation interne des représen-
représentation est une notion purement transdiscipli- tations sociales: système central et système périphé-
naire. Elle permet en effet d’articuler différentes disci- rique. In Ch. Guimelli (Ed.) Structures et transformations
plines, différents champs dans une même discipline, dif- des représentations sociales. (pp. 73-84). Lausanne:
férentes dimensions dans un même processus, Delachaux & Niestlé.
différents niveaux lecture dans un même phénomène. • ABRIC, J.-C. (2003). La recherche du noyau central et la
Bref, c’est une notion « catalytique », féconde en avan- zone muette des représentations sociales. In J.-C. Abric
cements théoriques et méthodologiques mais qui (Ed.) Méthodes d’étude des représentations sociales, (pp.
demeure encore paradoxalement mystérieuse. Les 59-80). Ramonville Saint Agne: Editions Eres.
recherches dans ce domaine n’en sont donc pas termi- • COHEN, R. (1985) - What so special about spatial cogni-
nées! tion. In R. Cohen (Ed.) The development of spatial cogni-
tion, Hillsdale, N.J.: Erlbaum Lawerence, pp. 1-12.
• DENIS, M. (1989) - Image et Cognition, Paris, PUF, coll.
Psychologie Aujourd’hui.
• DEPEAU, S. (2003). L’enfant en ville: autonomie de dépla-
cement et accessibilité environnementale. Thèse de doc-
torat (CNRS Programme Pir-Ville). Université Paris V. 422
p + annexes.
• DEPEAU, S., RAMADIER, T. (2005). Les Trajets Domicile-
Ecole en Milieux Urbains: Quelles conditions pour l’auto-
nomie de l’enfant de 10-12 ans? Psychologie et Société,
8, 81-112.
• DOWNS, R. M. & STEA, D. (1973). Image and environ-
ment: Cognitive mapping and spatial behaviour. Chicago:
Aldine.
• DURKHEIM, E. (1898). « Représentations individuelles et
représentations collectives » texte édité en 1967 dans
Sociologie et philosophie. Paris: PUF.
• EVANS, G.W. (1980) - Environment and cognition,
Psychological Bulletin, 88 (2), 259-287.
• FLAMENT, C. & ROUQUETTE, M.L. (2003). Anatomie des
idées ordinaires. Comment étudier les représentations
sociales. Paris: Armand Colin.
• GÄRLING, T. , BÖÖK, A., LINDBERG, E., NILSSON, T. (1981) -
Memory for the spatial layout of the everyday physical
environment: factors affectinf rate of acquisition, Journal
of Environmental Psychology, 1, 263-277.
GÄRLING, T. , BÖÖK, A., LINDBERG, E. (1984). Cognitive
mapping of large-scale environments, Environment &

Travaux et documents
De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale 17
La notion de « représentation » en psychologie sociale

Behavior, 16, 1, 3-34.


• GUIMELLI, C. (1989). Pratiques nouvelles et transforma-
tion sans rupture d’une représentation sociale: la repré-
sentation de la chasse et de la nature, In J.L. BEAUVOIS,
R.V. JOULE & J.M. MONTEIL, Perspectives cognitives et
conduites sociales – 2, (pp. 117-138). Cousset, Delval.
• HALBWACHS, M. (1925). Les cadres sociaux de la
mémoire. Paris: Félix Alcan.
• JODELET, D. (1982) - Les représentations socio-spatiales
de la ville. In P.H. Derycke (Ed.), Conceptions de l’espace,
Paris: Université de Paris X, 145-177.
• JODELET, D. (1989). Les représentations sociales. Paris:
PUF.
• JODELET, D. (1995). Représentation sociale: phéno-
mènes, concept et théorie. In S. Moscovici (Ed.) Psycho-
logie sociale (pp. 357-378). Paris: PUF.
• LEYENS, J.P. & BEAUVOIS, J.L. (1997). L’Ere de la cogni-
tion. Grenoble: PUG.
• LYNCH, K. (1960). Les images de la ville. Paris: Dunod,
1995. (Edition française)
• MOLINER, P. (2001). La dynamique des représentations
sociales. Grenoble: Presses Universitaires de Grenoble.
• MOSCOVICI, S. (1961; 1976). La psychanalyse, son
image, son public. Paris: PUF (2e édition en 1976).
• PIAGET, J. & INHELDER, B.& SZEMINSKA, A. (1948). La
représentation de l’espace chez l’enfant. Paris, PUF.
• RAMADIER, T. (2002). Centralité et banlieue depuis le
quartier Duberger. In A. Fortin, C. Després & G. Vachon
(Eds.). La banlieue revisitée (pp. 213-232). Québec: Nota
Bene.
• ROUQUETTE, M.L. & RATEAU, P. (1998). Introduction à l’é-
tude des représentations sociales. Grenoble: Presses
Universitaires de Grenoble.
• SHEMYAKIN, F. N. (1962) - General problems of orientation
in space and space representations. In B. G. ANANYEV
(Ed.), Psychological science in the USSR, Arlington, Va:
US Office of Technical Reports.
• SIEGEL, A. W. & WHITE, S. H. (1975) - The development
of spatial representations of large-scale environments. In
H. W. REESE (Ed.), Advances in child developement and
behavior (vol. 10), New York: Academic Press.
• VERGÈS (1992/1994). Approche du noyau central: pro-
priétés quantitatives et structurales. In Ch. GUIMELLI (Ed.)
Structures et transformations des représentations
sociales (pp. 233-253), Paris: Delachaux et Niestlé.

E
N° 25, décembre 2006 E S O
O

Vous aimerez peut-être aussi