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La Sociocritique

La sociocritique, propose une lecture socio-historique du texte. Elle s’est peu à peu
constituée au cours des années pré- et post- 68 pour tenter de construire «une poétique
de la socialité, inséparable d’une lecture de l’idéologique dans sa spécificité textuelle ».
Claude Duchet, « Introduction : socio-criticism », Sub-Stance, n° 15, Madison, 1976, p. 4.
De quelle sociocritique s’agit-il, exactement ?
Répondre à cette question est à la fois difficile et relativement aisé. Difficile, puisque, dans
les trois dernières décennies du XXe siècle, certains confondent la sociocritique et la
sociologie de la littérature ou la sociologie littéraire, et que, à cause des multiples
définitions universitaires de la notion, la sociocritique reste ambiguë.
Mais la réponse est aisée si l’on s’en tient aux principes de ce courant tels qu’ils ont été
retenus par certains spécialistes du champ littéraire :
"La “sociocritique ”, mot créé par Claude Duchet en 1971, poursuit l’ancienne
quête d’une théorie des médiations du social. Loin des théories du “reflet”, elle
se caractérise par une tension féconde, mais problématique. [...] Travaillant
sur les textes dans leurs déterminations sociales et historiques, elle ne veut ni
subsumer l’esthétique et la littérarité sous des fonctions sociales positives, ni
fétichiser le littéraire comme étant d’une essence à part. En maintenant la
tension ou la problématique de l’esthétique et du social, elle se démarque à la
fois des approches purement formelles (ou herméneutiques,
déconstructionnistes, etc.) du texte littéraire et des approches purement
contextuelles, institutionnelles, déterministes."
Régine Robin et Marc Angenot, « La sociologie de la littérature », Histoire des
poétiques, sous la direction de Jean Bessière, Eva Kushner, Roland Mortier,
Jean Weisgerber, PUF, 1997, p. 408.
 
L’un des principaux moteurs de la sociocritique est celui du rapport au
monde. Mettre l’accent sur la « socialité du texte », c’est pour C. Duchet
rechercher le dialogue aussi bien avec les sociologues de la littérature
(surtout les goldmanniens) qu’avec les structuralistes ou les formalistes,
mais sans jamais quitter les positions de la littérature. Il s’agit de concilier
les deux perspectives ou plutôt de les réunir, de penser ensemble le social
et le littéraire, socialité et littérarité.
L’historique
Née dans les années soixante du croisement de la psychanalyse et du
matérialisme dialectique, la sociocritique s’est donné pour objectif un
renouvellement de l’approche sociologique de la littérature qui intègre les
avancées du structuralisme, de la sémiologie et de la linguistique.
A partir des années 80, la sociocritique va donc chercher à définir le lieu
spécifique du littéraire à travers trois nouveaux outils conceptuels dont elle
usera désormais : le sociotexte, le co-texte, le sociogramme. En effet, les
notions venues du structuralisme offrent un modèle trop contraignant qui ne
permet pas de rendre compte de toutes les potentialités de l’œuvre. Il faut
dissiper les ombres du structuralisme et diriger la réflexion vers une saisie plus
dynamique du processus socio-esthétique. Duchet en arrive ainsi à proposer le
concept de « sociotexte » (sans trait d’union), pour remplacer celui de texte,
quitte à mettre « texte » entre guillemets quand il s’agit de la théorie du texte,
élaborée en dehors de la sociocritique ; à forger le concept du « co-texte »
(avec trait d’union), parallèlement au « contexte », décidément trop ambigu ; à
inventer enfin le « sociogramme ».
La sociocritique a pour objet d’étude une lecture immanente du texte et la
restitution de sa teneur sociale : interroger la « socialité » de l’œuvre dans sa
textualité. Cette introduction à la sociocritique peut se synthétiser par ces réflexions
empruntées à C.Duchet : « effectuer une lecture sociocritique revient en quelque
sorte, à ouvrir l’œuvre du dedans, à reconnaître ou à produire un espace conflictuel
où le projet créateur se heurte à des résistances, à l’épaisseur d’un déjà là, aux
codes et modes socio-culturels, aux exigences de la demande sociale, aux dispositifs
de institutionnels. »
Dedans de l’œuvre et dedans du langage : la sociocritique interroge l’implicite, les
présupposés, le non-dit ou l’impensé, les silences et formule l’hypothèse de
l’inconscient social du texte, à introduire dans une problématique de l’imaginaire.
Antérieurement, Pierre Machery précisait que deux questions étaient à poser à
l’œuvre : celle de ces structures et à partir d’elle de son « inscription dans l’histoire
idéologique ».
La relation du texte littéraire à l’Histoire et à l’idéologie : depuis l’analyse
déterminante de Machery, des travaux critiques ont formulé les points forts de ses
propositions.
Du référent au textuel : texte, Histoire, idéologie

La difficulté de fonder une théorie de la littérature vient de la difficulté de


cerner avec précision le champ même de cette théorie -la littérature- car
cette notion se transforme et se modifie dans le temps et selon les pratiques
sociales.
Aussi, une sociologie de la littérature doit-elle se constituer en fonction d’un
domaine de connaissance incontournable –l’Histoire- et d’un concept
désignant le rapport des hommes à leur réel, la représentation qu’ils donnent
d’eux-mêmes et de ce qui les constitue en tant qu’individus et groupes
sociaux –l’idéologie-
Comme l’écrit Gluksmann : « on ne saurait définir une littérarité, ni une
essence de la littérature extérieure à une aux processus historiques donnés ».
Pierre Machery soulignait que le rapport de la littérature à l’histoire n’est pas
plaqué : « cette histoire n’est pas par rapport à l’œuvre dans une simple
situation d’extériorité :elle est présente en elle, dans la mesure où l’œuvre,
pour apparaître, avait besoin de cette histoire, qui est son seul principe de
réalité, ce à quoi elle doit avoir recours pour y trouver ses moyens
d’expressions ».
« À tous les truquages, à tous les aveuglements, quelque chose subsiste : le
texte, les textes, toujours à relire. Il y’a là une immense mémoire où s’est
déposée écrite, la pratique des hommes, leurs réactions au réel, qu’ils
n’avaient pas choisi, dans lequel et par lequel, contre lequel ils essayent de
vivre. Mais il y’a là aussi, outre le stock sans lequel on ne fait rien, une
immense résistance, un immense chantier pour notre désir de lire, pour notre
aptitude à lire, et surtout à relire.»(P.Barbéris).
Texte littéraire et Histoire
Quels rapports entretiennent Histoire et littérature ?
Qu’est-ce qui fait que les choses ont un sens et que l’Histoire peut-être un
élément de lecture des choses ?
Une première réponse peut être donnée succinctement : « dans toute situation
historique, il existe de l’historique non encore dominé, qui est justement l’objet,
la matière de la littérature. »
« lorsque l’Histoire erre ou ment, lorsqu’elle nous donne une image inadéquate
ou truquée de L’HISTOIRE, c’est, ce peut être l’histoire qui bouche le trou, qui
nous remet en communication avec l’HISTOIRE et par là même, prépare ou
justifie, un jour, une nouvelle Histoire, plus exacte, mais qui devra sa naissance
à l’émergence d’autres visions du monde, d’autres idéologies, d’autres forces
imposant leur interprétation du réel. »
Qu’est-ce que cette « histoire » en caractère typographique ?

• HISTOIRE : histoire-processus, réalité historique, « ce qui se passe dans les


sociétés et qui existe indépendamment de l’idée qu’on en a ».
• Histoire : l’histoire des historiens, «le genre historique, le discours qui prend
pour sujet l’HISTOIRE « toujours tributaire de l’idéologie, donc des intérêts
sous-jacents à la vie culturelle et sociale. »
• histoire : l’histoire-récit. Ce que raconte le texte littéraire.
• L’exemple donné par Pierre Barbéris est celui de La chartreuse de Parme de
Stendhal.
HISTOIRE : la conquête de l’Italie par Napoléon. Que Stendhal ait écrit ou non
son roman, Napoléon est entré à Milan au mois de mai 1796.
Histoire : celle que nous raconte Stendhal ; entre les deux, l’Histoire : par
exemple, Histoire du consulat et de l’Empire de A. Thiers. Une représentation
spécifique et finalisée de l’HISTOIRE.
Quel est l’intérêt de cette mise en scène ?
Celui de la clarification : cela permet de souligner que la dimension historique
de l’histoire-récit n’est pas la même que celle de l’Histoire de l’historien. Cette
dernière ne reproduit pas la réalité telle quelle.
Dans Le Prince et Le Marchand, Barbéris insiste longuement sur la distinction
entre écriture littéraire et écriture historique dans leur relation à l’HISTOIRE. Sa
thèse est que souvent l’image adéquate de l’HISTOIRE n’est pas fournie par
l’Histoire mais par l’histoire. « À certains moments, dans certaines conditions,
parce qu’il est beaucoup moins compromis idéologiquement que le texte
historique, parce qu’il est un moyen de transgression de l’idéologie dominante,
c’est lui qui donne une image plus adéquate de la réalité ; c’est lui qui
« travaille » mieux la réalité et la donne à connaître. »
Ecriture littéraire Ecriture historique
-Expression sans perspective de responsabilité. (p88) - Fonction pédagogique et civique elle propose
-Une morale du fantasme, d’une autoconstruction ou reconstruction, une morale, une règle. (p88-89)
comme on peut, douloureusement bricolée, individuelle même si elle a un - Une morale méthodologique. (p.90)
sens collectif, non(…) une « instruction » donnée par un écrivain supposé - Marche à la constitution d’un ordre, marche à
au-dessus des contingences. la finalité. (p9)
-Marche à l’effraction, à la transgression, à la libération (…) marche à la - L’Histoire écrit un déjà existé. (p.93)
causalité. (p91)
-Le littéraire écrit un nouvel existant. (p.93)
Le texte littéraire ne cherche pas à finaliser l’histoire : il fait émerger du réel
un monde transformé par l’élaboration artistique. Cette définition du
littéraire rejoint les préoccupations d’Umberto Eco qui écrit dans l’œuvre
ouverte : « l’art a pour fonction non de connaître le monde, mais de
produire des compléments du monde : il crée des formes autonomes
s’ajoutant à celles qui existent, et possédant une vie, des lois, qui lui sont
propres. »
Le littéraire saisit l’historique textuellement dans le texte. L’historique, le
social sont passés de la chose au signe ; on étudie alors la manière dont
« L’HISTOIRE », à une époque donnée de production, travaille dans le texte
et s’y travaille. »(p.75)
P.Barbéris propose alors quatre thèses :
1- Ne pas confondre document et monument
(Distinction empruntée à M.Foucault)
« Il n’y a pas de documents littéraires, il n’y a que des monuments, il n’y a que
des élaborations, il n’y a que des constructions, lesquelles renvoient toutes à
une interprétation du réel. Plus le texte est monument, plus, à sa manière, il est
document ».
L’HISTOIRE est dans le texte par le changement
Elle est particulièrement perceptible à des époques de bouleversements, de
changements brusques, si elles ont pour conséquence de « nouveaux blocages,
de nouvelles aliénations ».
3- L’HISTOIRE – impasse
On ne trouve pas L’HISTOIRE telle quelle dans le texte : elle s’y manifeste par
des questions (et non par des réponses). Dans Sur Racine, Barbéris écrivait
déjà : « Ecrire, c’est ébranler de sens du monde, y déposer une interrogation
indirecte ».
4- Mettre L’HISTOIRE dans le texte.
« En vertu de la lecture qu’on en fait ». Ce « décodage du monument »
demande des connaissances historiques. Les signes du roman restent aveugles
sans ces connaissances. Si l’on rejette le référentiel, beaucoup de relations
échappent.
Texte littéraire et idéologie

« L’idéologie conçue comme l’ensemble des idées spontanées ou élaborées


en systèmes, qui expriment qui expriment les rapports des hommes entre
eux et avec leur milieu(…) L’idéologie est donc soumise à l’histoire qui se fait
et elle intervient, au travers de multiples médiations, tout au long du
processus d’élaboration de la connaissance historique de la quête des
documents à la rédaction du texte. »
L’œuvre s’enracine dans un moment historique donné et elle est structurée
par les représentations caractéristiques d’une époque.
Historique et idéologique sont confondus dans le texte par leur lien étroit
avec leur base de référence ; l’indice de réel qui les constitue. Etudier les
rapports de l’idéologique dans le texte et/ou de l’historique, c’est apprécier
comment joue et se meut dans la combinaison complexe qu’est une œuvre
littéraire la part du référent sur l’axe fondamental du symbole.

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