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Gradhiva

Revue d'anthropologie et d'histoire des arts


34 | 2022
Tous les musées du monde

Utopies, continuités et discontinuités muséales à


l’ère des décolonisations
Julien Bondaz et Sarah Frioux-Salgas

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/gradhiva/6304
DOI : 10.4000/gradhiva.6304
ISSN : 1760-849X

Éditeur
Musée du quai Branly Jacques Chirac

Édition imprimée
Date de publication : 21 septembre 2022
Pagination : 12-39
ISBN : 978-2-35744-135-4
ISSN : 0764-8928

Ce document vous est offert par INIST - Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Référence électronique
Julien Bondaz et Sarah Frioux-Salgas, « Utopies, continuités et discontinuités muséales à l’ère des
décolonisations », Gradhiva [En ligne], 34 | 2022, mis en ligne le 21 septembre 2022, consulté le 16
août 2023. URL : http://journals.openedition.org/gradhiva/6304 ; DOI : https://doi.org/10.4000/
gradhiva.6304

Tous droits réservés


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Introduction

Utopies, continuités
et discontinuités
muséales à l’ère
des décolonisations

Julien Bondaz
et Sarah Frioux-Salgas
13
Introduction

1. Caillois, reprochant à Claude Le 5 septembre 1971, dans la salle de la maison une sorte de grand partage entre sociétés avec et sans
Lévi-Strauss de remettre
en question cette supériorité,
de la culture de Grenoble, les participants à la neuvième musées, ou de répéter les critiques énoncées à l’époque
écrivait : « L’Occident n’a pas Conférence générale du Conseil international en opposant une muséologie occidentale sclérosée
seulement unifié l’histoire et
la planète ; il n’a pas seulement
des musées (Icom), arrivés la veille au soir de Paris, et des formes vivantes de transmission culturelle extra-
rendu toutes les civilisations semblent à moitié endormis (Lacroix 1971 : 34). occidentales, souvent présentées comme précoloniales
solidaires par le progrès de ses
techniques, par son commerce,
Soudain, aux premiers mots du conférencier qui et susceptibles de régénérer, de déplacer ou de décentrer
ses conquêtes et ses guerres. se présente devant eux, c’est l’agitation : « Scandalisé, le concept de musée. Il s’agit d’abord de comprendre
Il a inventé l’archéologie,
l’ethnographie et les musées. »
choqué, étonné, intéressé, enthousiasmé, le partici- les stratégies d’appropriation de techniques de conser-
(Caillois 1955 : 69-70) Sur pant ne reste pas indifférent », note un observateur vation, de principes d’exposition, de concepts et d’affects
l’affrontement entre Caillois
et Lévi-Strauss, voir : Wendling
(ibid.). Le philosophe béninois Stanislas Adotevi, muséaux ; et ce faisant, de décrire les généalogies
2010. en appelant à la disparition des musées, en dénonçant complexes des musées hérités de la période coloniale
2. La phrase de Césaire suivait
le colonialisme culturel et l’impuissance des experts, ou créés au sortir des indépendances et d’inviter à
une longue tirade contre les qui défendraient la « suprématie culturelle des sociétés s’interroger sur les continuités, les ruptures, les rares
musées d’ethnographie : « Pas
une minute, il ne vient à l’esprit
industrialisées », soulevait de manière provocatrice utopies muséales qui ont marqué l’histoire de la mise
de M. Caillois que les musées le problème de l’inadéquation du musée, hérité en musée du monde. Un tel chantier est immense et
dont il fait vanité, il eût mieux
valu, à tout prendre, n’avoir
du colonialisme, à la vie des populations autrefois ce numéro ne vise qu’à suivre des pistes, à en suggérer
pas eu besoin de les ouvrir ; colonisées (Adotevi 1992 [1971]). Cette conférence, d’autres, pour participer à la production d’une histoire
que l’Europe eût mieux fait de
tolérer à côté d’elle, bien vivantes,
publiée dans les Actes de la neuvième conférence décloisonnée des décolonisations muséales.
dynamiques et prospères, générale de l’Icom et largement reprise depuis, est
entières et non mutilées,
les civilisations extra-
devenue une référence incontournable. « Un musée
européennes ; qu’il eût mieux en soi n’est rien. En soi, le musée ne veut rien dire », DÉCLOISONNER L’HISTOIRE
valu les laisser se développer
et s’accomplir que de nous
martelait le conférencier à destination du parterre DES DÉCOLONISATIONS MUSÉALES
en donner à admirer, dûment de muséologues et de conservateurs.
étiquetés, les membres épars,
les membres morts ; qu’au
La formule n’est pas sans rappeler celle d’Aimé Cette ambition oblige à remettre en question
demeurant, le musée par Césaire, selon qui « le musée par lui-même n’est rien » les perspectives historiographiques qui ont longtemps
lui-même n’est rien, qu’il ne
veut rien dire, qu’il ne peut rien
(Césaire 1955 : 52). Dans son Discours sur le colonia- prévalu dans les études consacrées à l’appropriation
dire, là où la béate satisfaction lisme, l’écrivain martiniquais adressait de vives des formes muséales dans le contexte des décolonisa-
de soi-même pourrit les yeux,
là où le secret mépris des autres
critiques à Roger Caillois et, entre autres, à son idée tions. De très nombreuses publications ont certes été
dessèche les cœurs, là où, avoué selon laquelle les musées seraient l’une des marques dédiées à l’histoire des musées extra-occidentaux,
ou non, le racisme tarit la
sympathie [...].» Caillois retournait
de la supériorité des sociétés occidentales 1. Cette mais elles ont majoritairement choisi des approches
les musées d’ethnographie hiérarchie, dont les musées seraient l’une des preuves, monographiques ou par aires géographiques.
contre Lévi-Strauss, Césaire
les retourne à son tour contre
se retrouvait inversée : « Non, jamais dans la balance L’analyse des décolonisations muséales doit désormais
Caillois, déplaçant la question de la connaissance, tous les musées du monde s’inscrire dans le cadre d’une histoire transnationale,
muséale vers la critique
du colonialisme.
ne vaudront une étincelle de sympathie humaine 2 » connectée ou croisée, sinon globale, des musées.
(ibid. : 52). Le titre de ce dossier de Gradhiva trouve Celle-ci reste en grande partie à écrire, malgré quelques
3. Gabriel Glissant, l’acteur
qui déclame le texte de Césaire
son origine dans cette phrase de Césaire. Citation travaux précieux, qui vont du livre pionnier de la
avec Sarah Maldoror, joue tronquée, en suspension, il fonctionne comme géographe Anne Gaugue, référence incontournable
le rôle d’un conservateur ou
d’un assistant de conservation
un leurre : l’horizon utopique d’une internationale sur les musées africains (Gaugue 1997), jusqu’à la vaste
en blouse blanche, faisant des musées (« tous les musées du monde… ») ne peut histoire mondiale des musées récemment entreprise
visiter les réserves du musée
de l’Homme. Le film Et les chiens
se dégager qu’une fois dépassé le colonialisme. par Krzystof Pomian (2020 et 2021). Ce dernier
se taisaient (1978) a été financé Des années plus tard, en 1978, la révolte de Césaire les envisage comme « des institutions emblématiques
par le CNRS et sa réalisation
rendue possible grâce à Michel
trouve sa pleine expression au musée de l’Homme : de ce que l’on peut appeler la modernisation du monde
Leiris. Il est visible ici : https:// des extraits de sa pièce Et les chiens se taisaient, qui en était, partiellement, une occidentalisation, et
images.cnrs.fr/video/420.
quasi contemporaine de son Discours sur le colonia- des résistances qu’elle rencontre 4 » (Pomian 2020 : 19).
4. Pomian constate d’ailleurs lisme, sont déclamés parmi les collections africaines Plusieurs raisons peuvent expliquer le déficit
qu’« une histoire mondiale
des musées n’a encore jamais
du musée (la parole sortant, littéralement, de sa d’une histoire des décolonisations muséales attentive
été écrite » (ibid.). Au moment réserve), dans un film de Sarah Maldoror, Vincent aux connexions et aux circulations des formes muséales,
d’écrire ces lignes, le troisième
et dernier volume de son
Blanchet et Bernard Favre 3. Une histoire révoltée ainsi qu’à la dimension transnationale des « cultures
entreprise n’est pas encore des musées pourrait s’écrire. de la décolonisation » (Craggs et Wintle 2016).
paru. Sous-titré « À la conquête
du monde : 1850-2020 », il doit
À l’heure où, aujourd’hui, se multiplient les La première est à rechercher dans une approche souvent
justement aborder la période débats et les analyses au sujet de l’appropriation des compartimentée des musées. Elle relève d’un biais
qui nous intéresse ici.
biens culturels africains par les sociétés occidentales plus largement observé dans l’historiographie des
(et leur possible restitution), d’une part, et des enjeux décolonisations, qui a longtemps favorisé la production
postcoloniaux dans les musées européens, d’autre part, d’« un ensemble d’histoires introspectives d’États-
deux phénomènes en partie liés, ce numéro propose nations séparés » (Hopkins 2008 : 214). Cette approche
d’ouvrir un troisième champ de réflexion concernant a produit, en son temps, des travaux riches, qui sont
l’appropriation, le détournement ou le rejet des formes autant de sources potentielles pour les recherches
muséales occidentales par les sociétés anciennement actuelles. Il importe cependant de dépasser cette
colonisées. Le texte de Césaire et la conférence perspective, qui a trop souvent conduit à reproduire
d’Adotevi témoignent d’une tentative plus large, implicitement un grand partage entre les musées
historiquement située, de « décolonisation muséale », occidentaux et les autres. C’est donc d’abord à un double
inscrite dans une volonté de « décolonisation culturelle » rééquilibrage que ce numéro invite. D’une part,
(Diop 1973). Il ne s’agit évidemment pas de reproduire il vise à interroger les périphéries longtemps négligées

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Utopies, continuités et discontinuités muséales à l’ère des décolonisations
Par Julien Bondaz et Sarah Frioux-Salgas

Photogrammes issus de Et les chiens se taisaient de Sarah Maldoror © CNRS – Films de l’homme – 1978 /
Avec l’aimable autorisation d’Annouchka de Andrade et Henda Ducados.

15
Introduction

5. Mettre l’accent sur les de l’histoire des musées et de la muséologie (Brulon Au-delà d’une histoire institutionnelle, ce numéro
diverses appropriations des
pratiques muséales plutôt que
Soares et Leshchenko 2018) 5. D’autre part, il propose invite donc à prendre en considération les réseaux,
sur leur diffusion doit également de déplacer la question de la décolonisation des les acteurs (experts, architectes, conservateurs,
favoriser le décentrement des
analyses.
musées : l’extraire de son actualité polémique pour stagiaires, etc.), leurs biographies, leurs carrières et
la resituer à l’époque historique où elle surgit, celle leurs circulations, autrement dit les connexions entre
6. Pour une synthèse lexicale
sur le sujet, voir Andersen et al.
des décolonisations. musées, en cherchant à présenter, plutôt qu’un pano-
2018. De ce point de vue, distinguer les processus rama figé de quelques cas de décolonisation muséale,
7. Cette approche de
de décolonisation et de décolonialisation nous semble une constellation dynamique d’expériences muséolo-
l’histoire des musées centrée utile, moins pour armer une critique (par ailleurs giques 7. Insister sur les réseaux et les acteurs de la
sur les acteurs plutôt que
sur les institutions n’a guère
salutaire) que pour lever une ambiguïté susceptible décolonisation des musées – ou, sous un autre angle,
été développée jusqu’ici d’entretenir une dissymétrie dans l’historiographie de l’histoire muséale des décolonisations – laisse
(Bergeron et al. 2020). Elle
a principalement concerné
des musées. À l’heure où le terme de « décolonisation » entrevoir à la fois des géopolitiques muséales et
les musées occidentaux. et celui, neuf, de « décolonialisation » sont souvent des sociabilités (parfois des amitiés) professionnelles
8. Cette perspective
utilisés comme de quasi-synonymes, il importe transnationales, autrement dit l’émergence d’une muséo-
développementiste est de faire la part entre ce qui s’est joué dans les musées logie cosmopolite traversée par des intérêts plus ou
clairement présentée dans
l’introduction du numéro
mis en place dans les territoires sous domination moins convergents.
de 1963 de la revue Museum coloniale, à l’époque de leur décolonisation (le terme Une seconde raison à la fragmentation des
International, consacré aux
musées africains (16 [3] : 19).
s’entendant ici dans un sens politique et historique), approches historiques concernant les musées postco-
et les enjeux critiques liés à l’explicitation et la loniaux est à rechercher dans la visée souvent dévelop-
9. De manière révélatrice, l’année
même de l’indépendance
déconstruction des schèmes muséaux et des théories pementiste des réflexions muséologiques. Longtemps
du Ghana en 1957, un Museum muséologiques hérités du colonialisme – ce que considérés comme « sous-développés » ou « en voie
of Science et Technology était
créé à l’angle du National
plusieurs auteurs ont proposé de nommer la « colonia- de développement », nombre de pays anciennement
Museum, également fondé lité muséale 6 » (Wang 2021). Distinguer les processus colonisés ont inscrit leurs politiques muséales
pour l’occasion.
historiques et politiques de décolonisation et ceux, dans des perspectives plus larges de développement
10. On retrouve, dans ces trois épistémologiques et généalogiques, de décolonialisa- culturel et touristique. Une telle approche, évidemment
articulations entre muséologie
et développementisme,
tion, pourrait permettre de clarifier les choses. C’est compréhensible dans un contexte postindépendance 8,
la définition méthodologique en tout cas en ce sens que nous entendons les déco- a notamment produit deux biais, l’un évolutionniste
du développement proposée
par Jean-Pierre Olivier
lonisations muséales, dans une perspective historique, et l’autre culturaliste. Dans le premier cas, le musée
de Sardan (1995 : 7). L’étude tout l’enjeu étant précisément de comprendre pour- a pu apparaître comme un outil au service du déve-
des actions de développement
à destination des musées
quoi « la décolonisation a été essentiellement un loppement économique et culturel des nations, mais
permettrait de pointer les enjeux changement politique et ne s’est pas traduite par aussi comme une étape ou un stade de ce développe-
économiques et l’origine
des financements des projets
un changement épistémologique et idéologique, tant ment. Dans une telle optique, les musées visent tout
de création ou de rénovation du point de vue du contenu des collections que pour à la fois à exposer les résultats de projets de dévelop-
des musées dans les pays
anciennement colonisés,
ce qui est de leurs modes de présentation et de classi- pement (la création de musées scientifiques et tech-
également susceptibles fication » (Dias 2000 : 27). C’est bien dans les écarts niques était encouragée 9), à en lancer eux-mêmes
d’interroger les limites des
décolonisations muséales.
entre ces changements que la question postcoloniale (leurs politiques éducatives comme les formes
se retrouve posée, ici, à propos des musées. collaboratives de muséologie étant définies en termes
11. Statuts de l’Icom, amendés
par la 11e Assemblée générale,
Une telle perspective postcoloniale (et les débats de développement) ou à faire l’objet d’actions de déve-
Copenhague (Danemark), terminologiques auxquels elle oblige) ne doit cepen- loppement entreprises de l’extérieur 10. La centralité
14 juin 1974.
dant pas occulter d’autres enjeux historiographiques du schème développementiste dans la définition
tout aussi importants à nos yeux. La vision fragmentée des musées a d’ailleurs été entérinée par l’Icom,
des décolonisations muséales, occultant les connexions qui les a placés « au service de la société et de son
transimpériales et transnationales, a en effet été développement 11 ». Le second biais, culturaliste, qu’il
accentuée par la prégnance d’une histoire institution- importe d’éviter, est étroitement lié à cette optique
nelle écrite par les acteurs des musées, conservateurs, développementiste : on le devine dans l’interprétation
responsables, professionnels du patrimoine ou de la fréquente des changements et des échecs muséaux
culture. Or l’histoire des musées n’est pas réductible d’un point de vue culturel, nombre d’experts pointant,
à une telle approche qui compile les études consacrées parfois avec condescendance, l’absence de culture
à telle ou telle institution en particulier. Elle se caracté- muséale des populations concernées pour expliquer
rise au contraire par une grande « “impureté” métho- la désaffection des musées. Une telle explication
dologique » qui oblige à dépasser le cadre institutionnel en termes d’incompatibilité culturelle contribue
(Poulot 2021 : 296), mais aussi à rompre avec la linéarité à perpétuer le différentialisme colonial, que Césaire
d’une chronologie des reconfigurations organisation- dénonçait dans la position universaliste défendue
nelles et muséographiques, rythmée par les acquisitions par Caillois.
et les expositions jugées marquantes. Ces éléments,
nécessaires, ne sont pas toujours suffisants, notamment
lorsqu’il s’agit de rester fidèle aux espoirs d’interna- L’HÉGÉMONIE DE L’ICOM
tionalisme ou de tricontinentalisme (pour reprendre
les termes des débats de la fin des années 1960 et La période des décolonisations qui s’ouvre au
des années 1970) ayant marqué les musées qui nous lendemain de la Seconde Guerre mondiale a produit
intéressent ici. des questionnements inédits sur les musées. Concernant
les sociétés d’Amérique latine et centrale, leur décoloni-
sation plus ancienne explique que le rôle joué par les

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Utopies, continuités et discontinuités muséales à l’ère des décolonisations
Par Julien Bondaz et Sarah Frioux-Salgas

musées dans la construction des identités nationales et la Guinée se dotent d’un comité. En 1960, l’ethno- 12. Cette antériorité des
décolonisations latino-
y ait été en grande partie similaire à ce qui se jouait logue Robert Gessain, secrétaire général du Comité américaines explique que
à la même époque, au cours du XIXe siècle, dans de l’Icom pour les musées d’ethnographie et de les musées américains n’aient
pas été intégrés à ce numéro.
les sociétés européennes 12. Cette fabrique muséale folklore, rappelait que, « pour qu’un pays forme un Leur histoire n’en est pas moins
des nations européennes et américaines, matricielle, Comité national de l’Icom, il faut deux conditions : éclairante. La table ronde
organisée par l’Icom
est précisément celle qui se retrouve mise en question une condition technique : il doit posséder un musée ; (à la demande de l’Unesco)
dans le contexte qui nous intéresse, celui de la deuxième une condition politique : il doit être indépendant 16 ». à Santiago du Chili en 1972,
à laquelle n’ont participé
vague des décolonisations, au cours de la seconde Entre autres exemples, le Niger et le Nigeria se dotent que des pays latino-américains,
moitié du XXe siècle. Pour autant, on ne peut considérer d’un comité dès leur indépendance acquise, en 1960, a eu une importance bien
au-delà de cette aire régionale.
comme homogène une période qui s’étend des indépen- tandis que le Sénégal tarde quelques années. L’Algérie Dans une déclaration considérée
dances de l’Inde et du Pakistan à celle des colonies entame les démarches au sortir de la guerre d’indé- comme l’une des origines
de la nouvelle muséologie,
portugaises ou aux luttes pour la souveraineté culturelle, pendance. Cependant, si l’Icom accueille en son sein les participants imaginaient
par exemple, sans parler du monde postsoviétique, les pays nouvellement indépendants et s’interroge un nouveau musée, intégral,
au service des communautés.
dans lequel les nouvelles nations nées de l’éclatement sur les musées et la question raciale dans son bulletin
de l’URSS se retrouvent elles-mêmes en situation d’octobre 1951 17, les situations coloniales ou la ségré- 13. Il existe dans nombre
d’anciennes républiques
postcoloniale (Chari et Verdery 2009) 13. La décoloni- gation raciale (en Afrique du Sud et aux États-Unis soviétiques des musées
sation des musées ne s’est évidemment pas déroulée notamment) ont longtemps constitué des angles morts consacrées à l’occupation de
l’URSS, voir par exemple ceux
selon les mêmes modalités en fonction des zones de l’institution. des pays Baltes (Bayou 2005,
d’influence et des périodes, et les rapports entre Les actions de l’Icom à destination des pays Norris 2020 et Kharkhun 2021).
musées et souveraineté culturelle ou la multiplication indépendants ou sur le point d’accéder à l’indépendance 14. Icom News. Bulletin
des centres culturels en Océanie en constituent s’orientent dans trois directions principales. Il s’agit d’information du Conseil
international des musées 4,
une illustration saisissante (Bono et Leclerc-Caffarel, d’abord de créer des réseaux d’experts susceptibles 1960.
dans ce numéro). Au-delà de la multiplicité des d’intervenir sur place pour dresser un état des lieux
15. Sur ce sujet, voir Cobley
contextes, une communauté de réflexions et d’expé- des musées hérités du colonialisme et énoncer et McCarthy 2009.
riences marque cependant la diversité des appropria- des préconisations. Paradoxalement, ce sont donc
16. Icom News. Nouvelles
tions dont les musées font l’objet dans « les pays très souvent des professionnels de musées occidentaux de l’Icom 13 (4-5), 1960 : 3.
qui naissent à l’indépendance », pour reprendre qui conseillent les nouvelles nations en matière de
17. Icom News. Nouvelles
une expression utilisée par l’Icom en 1960 14. politique muséale, dans une forme de « paternalisme de l’Icom 4 ( 5 ), 1951. C’est aussi
La création de l’Icom, que Germain Bazin présen- muséologique » (Savoy 2022 : 10). Jean Gabus, en 1951 que l’Unesco publie
une série d’articles ensuite
tait comme l’ONU de la muséologie (Bazin 1967 : 279), le directeur du musée d’Ethnographie de Neuchâtel, réunis sous le titre « La question
puis son expansion sont contemporaines des décolo- est l’un de ces experts particulièrement sollicités (Knodel raciale devant la science
moderne ». L’année suivante,
nisations. L’Icom se fixait comme mission de « faire et Reubi, dans ce numéro). Le rôle des architectes plusieurs textes consacrés au
entendre le langage universel des choses » et s’opposait ne doit pas être négligé, comme le montrent bien racisme paraissent également,
dont Race et histoire de Claude
aux « particularismes », qu’il s’agissait de « vaincre les cas de Michel Écochard (Ayoub, dans ce numéro) Lévi-Strauss, attaqué par
en diffusant les nouvelles méthodes muséographiques ou de Pedro Ramírez Vásquez, à qui l’on doit le musée Caillois et défendu par Césaire.
Sur l’histoire de ces publications,
et en développant les contacts entre musées » (Icom national d’Anthropologie de Mexico et qui travaille, voir : Maurel 2007.
1948 : 31). Il peut être envisagé comme l’un des réseaux à partir de 1973, sur le projet de musée des Civilisations
18. Une grande partie
qui, mis en place pendant la période coloniale et noires de Dakar, lancé par Léopold Sédar Senghor. des archives de ce projet est
renforcé par l’internationalisation des critiques dans Quelques années après le 1er Festival des arts nègres conservée dans le fonds Jean
Gabus du musée d’Ethnographie
les années postindépendances, a survécu à la chute de Dakar en 1966, à l’occasion duquel le président de Neuchâtel. Après avoir
des empires coloniaux et constitué l’une des « forces sénégalais avait déjà fait construire le Musée dynamique élaboré pour l’État sénégalais
le Musée dynamique, Jean
globalisantes » structurant le monde de la seconde pour accueillir des expositions temporaires, celui-ci Gabus fut de nouveau sollicité
moitié du XXe siècle (Thomas et Thompson 2014). décide de se lancer dans un nouveau projet muséal par Léopold Sédar Senghor
pour la définition du projet
Sa création, en 1947, favorise un véritable maillage plus totalisant, avec encore une fois le soutien de muséographique du grand
muséologique de la planète, les États étant invités l’Unesco, qui propose le nom de Vásquez. L’histoire musée que ce dernier avait
envisagé à partir de 1973.
à créer autant de comités nationaux de l’Icom (Poulot de ce premier projet du musée des Civilisations L’historien Mamadou Diouf
2001 : 156-157). Dans ce contexte, des associations noires, qui n’a jamais vu le jour, est encore à écrire 18. et Bernard Knodel,
responsable de ce fonds,
muséales préexistantes redéfinissent leur périmètre L’Unesco met par ailleurs en place, en coopération travaillent actuellement sur
d’action. L’année même de la création de l’Icom, avec l’Icom, des formations destinées à professionna- l’histoire de ce projet avorté,
qui n’a rien à voir avec le musée
les professionnels de musée néo-zélandais, impliqués liser les gestionnaires de musée. Dans les années 1960, des Civilisations noires,
depuis dix ans aux côtés de leurs collègues australiens des séminaires régionaux sont organisés dans plusieurs inauguré en décembre 2018
(l’idée de musée de plein air
au sein de l’Art Galleries and Museums Association pays en voie de développement, à Mexico en 1962, ou le projet de constitution
of Australia and New Zealand (Agma), décident Jos (Nigeria) en 1964 et New Delhi en 1966. Des de réserves d’objets n’ont,
par exemple, pas été repris).
de réorganiser leurs activités sur une base nationale, centres régionaux de formation en muséologie sont
en fondant sur le même modèle l’Art Gallery and créés dans ces villes. Le séminaire de Jos, organisé 19. Étaient représentés les pays
suivants : Algérie, Congo-
Museum Association of New Zealand (Agmanz) 15. Les du 24 août au 18 septembre 1964, a marqué une étape Brazzaville, Dahomey (Bénin
États nouvellement indépendants créent importante dans la formation de professionnels actuel), Ghana, Liberia, Malawi,
Mali, Niger, Nigeria, Ouganda,
leurs propres comités nationaux en ordre dispersé. de musée africains 19. Il se déroule dans le premier Rhodésie (Zimbabwe actuel),
Cinquante-trois nations participent à la première centre régional de formation en muséologie, inauguré Sénégal, Sierra-Leone, Tanzanie,
Tchad, Tunisie et Zambie.
Conférence générale de l’Icom, organisée à Paris le 20 novembre 1963 (Muller 1965). Une unité mobile
en 1948, parmi lesquelles l’Inde et le Pakistan, scindés de formation est par ailleurs déployée par l’Icom
et indépendants depuis 1947. Dès leur indépendance, à destination du continent africain. Parallèlement
respectivement en 1956 et 1957, le Soudan à la mise en place de ces programmes, de nombreux

17
Introduction

20. Sur la genèse des liens stagiaires sont accueillis dans des musées occidentaux, des experts, des expositions et des objets est présentée
entre l’Unesco et l’Icom,
voir Museum 32 ( 3 ), 1980.
notamment pour se familiariser avec les techniques comme la meilleure des solutions : « Pour assurer
de conservation. Circulant en sens inverse des experts la diffusion des réalisations muséologiques à travers
21. Unesco, Rapport final
du colloque international
mandatés par l’Unesco ou par l’Icom, ces profession- le monde, il faudrait intensifier les échanges de person-
sur les musées dans le monde nels de musée contribuaient eux aussi au transfert nel, d’expositions itinérantes et d’objets originaux 22. »
d’aujourd’hui (Maison
de l’Unesco, Paris, 24-28
des techniques et des savoirs muséaux, en s’appropriant Depuis 1949, les « expositions itinérantes de l’Unesco »
novembre 1969), Paris, les technologies intellectuelles des professionnels visaient en effet à faire circuler des collections
Unesco, 1970 : 32.
occidentaux. Cette double circulation d’acteurs thématiques de reproductions d’œuvres d’art à travers
22. Ibid. : 30. a ainsi contribué à diffuser des normes muséales nées les continents (œuvres de Léonard de Vinci, peinture
23. Ces expositions sont
de l’histoire occidentale (européenne) des musées chinoise ou encore miniatures persanes dans les années
d’ailleurs dotées d’une portée et à produire une « muséologie normative » (Brulon 1950) 23, mais les musées eux-mêmes n’organisaient
presque utopique : « Les
grandes œuvres d’art, c’est
Soares 2021). Mais elle a également favorisé la mise quasiment aucune exposition itinérante à destination
notoire, sont de mauvaises en débat de ces normes et la critique de musées ou des pays en voie de développement.
voyageuses. Il n’en est pas de
même de leurs reproductions,
d’expositions en Europe ou aux États-Unis, désormais L’Unesco s’investit également dans la lutte contre
qui se déplacent facilement, visités par des professionnels de musée originaires le pillage et le trafic des biens culturels, qui concerne
groupées dans les expositions
itinérantes de l’Unesco. Ces
de sociétés anciennement colonisées. Ces débats ont prioritairement les pays nouvellement indépendants :
intrépides voyageuses passent aussi pu avoir lieu au sein de l’Icom, en particulier
joyeusement d’un continent
à l’autre, des climats chauds
lors des colloques et des congrès que l’institution On ne saurait nier que plusieurs États
aux climats froids, des vastes a organisés. En 1969, deux ans avant la conférence voient disparaître de leur territoire,
pâturages aux régions
désertiques, donnant aux
d’Adotevi, le directeur de l’Icom lui-même, Hugues contre leur gré, des biens culturels d’in-
œuvres d’art une mobilité et de Varine, considérait que « le musée doit être décolo- térêt historique, artistique, archéologique,
une universalité indéniables. »
(Read 1958 : 26)
nisé culturellement » (1992 [1969] : 58). L’Icom a en ethnographique, sans pouvoir revendi-
outre produit une importante documentation sur les quer ces biens dans le pays où ils sont
24. Unesco, Mesures à prendre
pour interdire et empêcher
réflexions muséologiques dans les pays nouvellement passés clandestinement. Plus particuliè-
l’importation, l’exportation indépendants, notamment à travers la revue Museum rement des États en voie d’évolution ra-
et le transfert de propriété
illicites des biens culturels,
International, publiée par l’Unesco depuis 1948 et pide, notamment en Afrique noire, se
Paris, Unesco, 1969 : 3. « qui se faisait alors la championne de l’internationa- préoccupent de protéger leurs objets
lisme » (Mairesse 2000 : 42). d’intérêt ethnographique dont l’exode est
Le troisième volet de la politique de l’Icom dû à des missions archéologiques ou eth-
à destination des nouvelles nations indépendantes nographiques ou est imputable à des
s’est traduit par le choix de thématiques intéressant achats effectués par des antiquaires se-
au premier chef les professionnels concernés. condés par un vaste réseau de rabatteurs
En octobre 1956, par exemple, une première réunion locaux 24.
est organisée à Damas, consacrée aux problèmes
des musées du Proche-Orient. Mais c’est dans le cadre La Convention de l’Unesco de 1970, sur « les
élargi du colloque de Neuchâtel, du 17 au 25 juin mesures à prendre pour interdire et empêcher l’impor-
1962, que sont abordés de manière transversale tation, l’exportation et le transfert de propriété illicites
« les problèmes des musées dans les pays en voie des biens culturels », doit beaucoup à l’activisme
de développement rapide ». Ce colloque, étape des représentants des États issus des décolonisations.
importante dans l’orientation développementiste Les anciennes puissances coloniales mettront parfois
des réflexions muséologiques, a marqué l’ouverture des décennies à la ratifier.
de l’Icom à des problématiques liées à la situation Les projets lancés par l’Unesco et l’Icom restent,
postcoloniale. Ce n’est sans doute pas seulement grâce pour diverses raisons, en grande partie inaboutis.
à l’influence de Jean Gabus que ce colloque s’est tenu Dans les années 1970, le second traverse une crise
en Suisse, mais aussi parce que ce pays n’avait pas qui se traduit par l’absence de plus en plus grande des
directement participé à la colonisation. pays africains et arabes, jusqu’à l’adoption du programme
L’Unesco, dont l’Icom est resté indépendant, du Conseil international des musées africains (Africom)
comporte elle-même un département « Musées » et et à la reconnaissance de l’organisation régionale des
continue de jouer un rôle central dans l’internationa- musées arabes lors de la conférence générale de l’Icom
lisation des réflexions muséologiques 20. Du 24 au 28 mai en Norvège, en juillet 1995 (Poulot 2001 : 169-170).
1969, un colloque organisé à la maison de l’Unesco
à Paris est dédié aux « musées dans le monde d’au-
jourd’hui ». À cette occasion, le rôle des musées DES MUSÉOLOGIES NON ALIGNÉES ?
dans la construction des nouvelles nations est mis
en avant : ils sont considérés comme des outils permet- La période des décolonisations et le contexte de
tant de dégager la « personnalité nationale » des jeunes la guerre froide ont favorisé les tentatives d’alliances
États issus des décolonisations. Dans les conclusions transnationales entre les États nouvellement indépen-
du colloque, ce rôle est ainsi résumé : « En présentant dants. Dès avril 1955, lors de la conférence de Bandung,
les aspects les plus variés du patrimoine culturel le choix de la neutralité et les appels à la décolonisation
d’une communauté, le musée constitue l’un des moyens sont accompagnés d’une invitation à la coopération
les plus efficaces de dégager sa personnalité historique, culturelle entre les pays non alignés. Mais c’est lors
de définir sa vocation nationale et d’établir son identité de la première conférence de solidarité des peuples
culturelle 21. » Une fois de plus, la circulation afro-asiatiques, organisée au Caire du 26 décembre
18
Utopies, continuités et discontinuités muséales à l’ère des décolonisations
Par Julien Bondaz et Sarah Frioux-Salgas

Beth Gibson (à droite), conservatrice en chef au National Museum of Natural History’s Anthropology Conservation Lab, explique au stagiaire Tjako Singleton Mpulubusi,
originaire de Gaborone, Botswana, comment conserver un bol peint, octobre 1976.
Smithsonian Institution Archives Record Unit 371 Box 2 Folder October 1976 ;
Smithsonian Institution Archives. Image #76-14304-22.

19
Introduction

20
Henri Cartier-Bresson,
Indonésie, 1949
© Fondation Henri
Cartier-Bresson/
Magnum Photos.

21
Introduction

Centre de formation bilingue pour les techniciens de musées, fondé par l’Unesco. Jos, Nigéria, 1964.
Archives du premier festival culturel panafricain d’Alger (21 juillet-1 août 1969), musée du quai Branly-Jacques Chirac, 3AAI/75. Photo Alberto Ricci.

1957 au 1er janvier 1958, que des recommandations et artistes du monde entier, n’aborde qu’à la marge
détaillées sont adoptées à ce sujet. La conférence la question des musées.
« insiste vivement auprès des nations d’Afrique et Contemporains de ces évènements, les premiers
d’Asie pour qu’elles conservent leur double héritage grands festivals internationaux d’art africain rythment
national et populaire » (Recommandation 4) et préconise la décennie 1960. Le Festival of African and Neo-African
de créer des musées et des bibliothèques, de favoriser Arts and Music inaugure la série en août 1962, dans
la circulation des artistes et des expositions, ou encore le contexte particulier de la Rhodésie du Sud (Zimbabwe
d’organiser des festivals culturels internationaux. actuel), dont l’indépendance est obtenue trois ans
Les autres conférences de solidarité des peuples afro- plus tard par les dirigeants blancs, qui mettent
asiatiques, notamment celles de Conakry (Guinée) en place un régime ségrégationniste 25. Le Festival
en 1961 et de Moshi (Tanzanie) deux ans plus tard, mondial des arts nègres, qui s’est tenu à Dakar
continuent de défendre la coopération culturelle, en 1966, s’inscrit dans de tout autres circonstances.
sans pour autant acter de projets concrets. L’extension Il est marqué par un élan panafricaniste et une valorisa-
tricontinentale, déjà débattue lors de ces deux tion de la « négritude ». Une importante exposition
conférences, prend forme en 1966, avec l’organisation d’art africain est proposée, dont « le principal mérite »,
de la « première conférence de solidarité des peuples selon Léopold Sédar Senghor, fut « d’être l’œuvre
d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine » à La Havane, du dialogue engagé entre trois continents » (Collectif
qui pose là encore comme principe la solidarité dans 1966 : XIII). Dans une autre perspective encore,
le domaine culturel, sans plus de précisions. Le congrès le Festival panafricain d’Alger, organisé sous l’égide
culturel de La Havane, deux ans plus tard, auquel de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1969,
Césaire participe aux côtés de quatre cents écrivains est l’occasion d’une opposition explicite au « néocolo-

22
Utopies, continuités et discontinuités muséales à l’ère des décolonisations
Par Julien Bondaz et Sarah Frioux-Salgas

nialisme ». Le « Manifeste culturel panafricain », adopté du tricontinentalisme culturel, les musées apparais- 25. En Rhodésie du Sud,
les musées mettaient en scène
à cette occasion, affirme que, « pour les pays africains sant alors comme des zones d’influence ou des outils la domination blanche et l’accès
qui se sont libérés ou pour ceux qui sont en conflit de soft power. Succédant à l’Imperial Institute, était autorisé un seul jour
par semaine aux visiteurs noirs.
armé avec les puissances coloniales, la culture a été le Commonwealth Institute, ouvert à Londres en 1962, Après l’indépendance du pays,
et demeure une arme de combat » et encourage a exercé une influence importante sur les politiques les musées adoptèrent une
position militariste en soutien
la création de musées, afin d’« enrichir intellectuelle- muséales et culturelles des anciennes colonies britan- au gouvernement blanc. En 1977,
ment les populations des zones les moins dévelop- niques (Wintle 2013). De son côté, l’URSS invite dans l’exposition « Rhodésiens
en guerre » au Mutare Museum,
pées 26 ». Cependant, les projets concrets de solidarité de nombreux intellectuels africains, par le biais le mouvement de libération
culturelle résultent davantage de réseaux informels de l’Association soviétique d’amitié avec les peuples était d’ailleurs présenté comme
« terroriste » (Munjeri 1991).
ou de voyages personnels que de grands projets d’Afrique (Sadsna), créée en 1959. Celle-ci ne manquait
tricontinentaux ou panafricains (Lewis et Stolte 2019). pas d’organiser pour eux la visite du musée Pouchkine 26. Les festivals de Dakar et
d’Alger s’inscrivent également
Dans la décennie qui suit, des artistes se mobilisent (Katsakioris 2006 : 25). Le Comité soviétique de dans un contexte où sont
pour la Palestine (Exposition internationale pour solidarité avec les pays d’Afrique et d’Asie (SKSSAA) exprimées des demandes de
restitution des biens culturels
la Palestine au Liban en 1978) ou le Chili (Museo a permis à de nombreux intellectuels asiatiques de (Savoy 2022 : 4-10). L’article de
de la Solidaridad en 1971, puis Museo Internacional peser sur les orientations de l’Unesco (Jansen 2019). Paulin Joachim, publié en 1965
dans la revue Bingo, inquiète
de la Resistencia Salvador Allende en 1975), par L’URSS, en participant plus largement aux programmes certains prêteurs de l’exposition
exemple. Ils inventent alors des formes transnationales de protection du patrimoine portés par l’organisation dakaroise, tel Pierre Guerre,
qui écrit à Pierre Meauzé,
de mobilisations artistiques et des musées en exil (Geering 2020), visait à renforcer ses relations diploma- le 31 mai 1965 : « Je suis assez
(Khouri et Salti 2019). tiques avec les pays anciennement colonisés, et donc préoccupé de cette exposition
du Festival de Dakar, Ratton
Les tentatives de fédérer les professionnels son influence. Des experts de RDA sont envoyés m’a fait lire l’article de Bingo
de musée ou d’organiser la coopération entre musées en Afrique pour concevoir ou réorienter des projets qui est vraiment inquiétant,
et même menaçant. Je crois
à l’échelle de continents ou d’aires régionales marqués de musée (Tchibozo, dans ce numéro). Parallèlement, qu’il ne veut plus rien envoyer
par la colonisation sont finalement rarement décon- la RFA développe le même type de coopération. à Dakar. Il faut en tout cas envoyer
le moins possible et le moins
nectées de l’Icom. La Museums Association of Middle À l’automne 1966, la Fondation allemande pour les pays précieux. » (Archives des
Africa (Mama), créée en 1959, basée à Kampala en voie de développement (DES) organise, à Berlin- musées nationaux, service
des expositions de la RMN,
et présidée par l’archéologue britannique Merrick Tegel, un séminaire sur « Les problèmes de la politique sous-série 4CC, 20150160/68)
Posnansky, alors conservateur de l’Uganda Museum, culturelle en Afrique » largement centré sur la question
27. Sur l’histoire de cette
œuvre à la professionnalisation des agents de musée muséale, invitant à multiplier la création de musées, association, voir notamment :
de l’Afrique de l’Est (le Congo belge et le Ghana sont le financement de bourses de stage, la circulation des Nunoo 1972.
également représentés). L’association cependant experts et les coopérations bilatérales. De nombreux 28. Dans El Moudjahid,
s’élargit avec la fondation, lors d’une assemblée générale représentants africains, dont le Ghanéen Richard 1er août 1969.
à Lagos en mars 1959, de l’Association des musées Nunoo et le Nigérian Ekpo Eyo, participent à la réflexion. 29. Le parcours de cette
d’Afrique tropicale (Amat/Mata), présidée par un autre Plus que les appels au tricontinentalisme culturel experte est là encore tout à fait
intéressant. Après avoir fondé
archéologue britannique, Bernard Fagg (Posnansky ou à la décolonisation muséale, plus que l’influence et dirigé le San Francisco
en est le vice-président) 27. Elle se fixe notamment des États-Unis et de l’URSS, certains musées ont Museum of Modern Art,
elle devient directrice
pour mission de « développer la coopération entre contribué, par leur réputation, à un décentrement du département Musées
les musées et les membres de la profession muséale de la muséologie. Deux d’entre eux sont proposés de l’Unesco à la fin des années
1940 avant de partir en Inde
d’Afrique tropicale ». Le profil de ses premiers membres à l’époque comme des modèles alternatifs pour le « tiers- en 1960, où elle crée puis dirige
(conservateurs occidentaux déjà en poste dans des monde » : le musée national du Niger et le musée le musée national de New Delhi
(Phillips 2017).
musées africains avant les indépendances) comme d’Anthropologie de Mexico. Hugues de Varine, quand
son financement (l’Unesco devait cesser de financer il dirigeait l’Icom, en vantait les mérites, notamment 30. Sur l’histoire de ce musée,
voir : Bondaz 2013 et 2014
ses activités en 1970 mais décide de prolonger son en matière de « participation de la communauté » et Garba et Gilvin 2021.
aide) montrent bien la difficile autonomisation et de « solidarité humaine » (1975 : 77 et 78). Le premier,
du monde des musées en Afrique. Le 30 juillet 1969, créé à la veille de l’indépendance du Niger, remporte
à l’occasion du Festival panafricain d’Alger, « les direc- un vif succès aussi bien auprès de la population locale
teurs et conservateurs des musées africains […] que des muséologues du monde entier 30. Regroupant
ont émis le vœu de créer une association des musées des pavillons d’exposition, un centre artisanal,
africains qui engloberait les musées des pays membres des reconstitutions d’habitats traditionnels et un parc
de l’OUA. Le but de cette association est de contribuer zoologique, il contribue à la diffusion du modèle
au développement du rôle de la construction d’une du musée de plein air, préfigurant les écomusées chers
Afrique unie et de consolider les liens entre les membres à Georges-Henri Rivière et à de Varine. Il inspire de
de la profession muséale de notre continent 28 ». nombreux concepteurs de musées en Afrique, parmi
Un tel souhait, qui s’inscrit pleinement dans une pers- lesquels Simha Arom – un musicien israélien envoyé
pective panafricaine, ne se réalisera finalement que comme expert auprès du gouvernement centrafricain
longtemps plus tard, dans le cadre de l’Icom. L’Africom, pour mettre en place un orchestre national –,
qui vise à représenter l’ensemble du continent africain, qui constitue des archives sonores avant de créer,
est créé en 1999. L’Alliance régionale de l’Icom pour à Bangui, un musée national dont la muséographie
les pays d’Asie-Pacifique avait été mise en place bien s’inspire de celui du Niger (Ceriana Mayneri 2022).
plus rapidement, dès 1967. C’est cependant une Présenté comme une solution d’avenir pour les pays
muséologue états-unienne, Grace McCann Morley, en voie de développement, le musée de Niamey est
qui la dirige pendant plus de dix ans 29. ainsi érigé en modèle jusque dans les années 1980.
Le contexte de la guerre froide explique en partie Lors d’une visite en février 1976, Amadou-Mahtar
les limites de l’internationalisme muséal et l’échec M’Bow, le directeur général de l’Unesco, félicitait les

23
Introduction

31. L’arrivée de M’Bow à la tête autorités nigériennes et les agents du musée pour son et Elgenius 2014 ; Passini et Rabault-Feuerhahn 2015).
de l’Unesco, en 1974, avait
d’ailleurs provoqué des réactions
caractère exceptionnel 31. Huit ans plus tard, Cheikh Dans les pays anciennement colonisés, la part conflic-
racistes de la part de plusieurs Anta Diop notait dans son Livre d’or : « Je vous exprime tuelle de ces processus se révèle centrale, quand
fonctionnaires de l’organisation,
surnommée par eux par
toute mon admiration pour votre belle réalisation les frontières territoriales sont le résultat arbitraire
le Negresco (David-Ismayil que l’on pourrait appeler, à juste titre, le musée des de la colonisation, que l’indépendance a été acquise
2019 : 199-203). M’Bow, qui
dirige l’Unesco jusqu’en 1987,
Merveilles du passé africain 32. » par la lutte armée ou que d’autres guerres ont marqué
est notamment connu pour avoir Fondé en 1964, le Museo Nacional de Antropología l’histoire de la jeune nation, comme c’est respective-
lancé, en 1978, un appel à la
restitution des biens culturels
de Mexico développe un réseau de musées régionaux ment le cas, entre autres exemples, du musée de la
à leurs pays d’origine. et locaux, avant d’installer, en 1973, une antenne Révolution au Mozambique, inauguré le 25 juin 1978,
32. Livre d’or du musée national
expérimentale dans un bidonville de la capitale, trois ans après l’indépendance du pays (Costa 1989),
Boubou-Hama du Niger, la Casa del Museo. Le projet, conçu par le muséographe et du musée des Vestiges de la guerre à Ho Chi Minh-
consulté en mars 2007.
mexicain Mario Vázquez Rubalcava et animé par une Ville, où la présentation des États-Unis comme ennemi
33. « Éditorial », Icom News. équipe majoritairement féminine (Castellanos 2020), se révèle finalement ambivalente (Gillen 2014). La
Nouvelles de l’Icom 14 (3), 1961: 1-2.
a été présenté comme un modèle de nouvelle muséo- violence du colonialisme et des guerres d’indépendance
34. On doit à Dominique logie susceptible d’inspirer d’autres expériences se retrouve exposée en tant qu’élément constitutif
Poulot d’avoir depuis longtemps
interrogé l’histoire des musées
dans les pays dits « sous-développés » (Mairesse 2000). de l’identité nationale, contribuant parfois à militariser
sous l’angle des légitimations Ainsi, en 1975, deux ans après le lancement du projet la culture. Nationalisés, les musées des nouvelles nations
culturelles (Poulot 1993 : 1656).
senghorien du musée des Civilisations noires à Dakar, indépendantes peuvent également être utilisés comme
35. Pour un classique sur le jeune Sénégalais Ery Camara (22 ans) part au Mexique des vitrines pour le développement touristique.
ce sujet, voir : Simpson 1996.
Pour une approche plus
étudier la muséologie et le patrimoine culturel. Exposer la nation n’est cependant pas sans
globale, voir : Karp et al. 2006. Le musée dakarois ne voit pas le jour et Camara reste difficultés s’agissant des communautés et des groupes
travailler au Mexique où il a occupé le poste de directeur locaux, invisibilisés ou présentés comme autant
adjoint dans trois importants musées de l’État de Mexico : de composants de l’unité nationale, selon des schèmes
le Museo Nacional del Virreinato, le Museo Nacional et des rapports de force souvent calqués sur ceux
de Culturas Populares et le Museo Nacional de de la muséographie coloniale. Les musées sont alors
Antropología. Là encore, les trajectoires personnelles le lieu d’une continuité problématique avec l’ethnicisa-
se révèlent plus précieuses que les appels à la solidarité tion savante des muséologues coloniaux, d’inspiration
et à la coopération culturelle pour analyser les ethnographique, que ce soit en Afrique subsaharienne
connexions transnationales entre acteurs des décolo- (Ravenhill 1996), en Océanie (Bertin 2020) ou en
nisations muséales. Indonésie (Guerreiro 2007), par exemple. Dans le cas
indonésien, l’appropriation des sultanats de l’archipel
par l’État puis la transformation des palais de certains
VITRINES NATIONALES d’entre eux en musées explique que des demandes
ET DIPLOMATIES MUSÉALES de restitution soient aujourd’hui formulées à l’État
indonésien par les descendants des sultans (Sellato
Dans le contexte des décolonisations, le rôle 2015). Dans les pays nouvellement indépendants,
politique des musées est mis en avant aussi bien par les musées régionaux ou communautaires apparaissent
l’Unesco et l’Icom que par les professionnels de musée souvent plus tardivement, notamment dans les
ou les intellectuels des pays nouvellement indépen- anciennes colonies francophones (l’administration
dants. Leurs missions ne cessent d’être répétées : coloniale britannique ayant davantage favorisé l’expres-
sion des identités locales). Deux mouvements distincts
En répandant selon leurs moyens propres peuvent s’observer : soit la décentralisation muséale
la connaissance des techniques modernes, est planifiée par l’État et orchestrée depuis le centre,
les musées favorisent la participation comme c’est le cas au Pakistan (Levesque, dans ce
des travailleurs à l’effort de modernisa- numéro), soit des projets muséographiques (ne prenant
tion du pays. En présentant les richesses d’ailleurs pas nécessairement le nom de musées) sont
de l’héritage culturel, ils renforcent la lancés localement, par des individus ou des collectivi-
conscience nationale. En révélant l’art tés, sous statut privé ou associatif. L’émergence de
et l’histoire des autres peuples, ils mettent cette muséologie dite « communautaire » ou « partici-
en lumière l’interdépendance des cultures, pative » est étroitement liée aux décolonisations qui
ils servent la paix 33. nous intéressent, mais elle a d’abord (à partir de la
fin des années 1960) concerné l’Amérique du Nord 35.
Les appropriations ou les reconfigurations En même temps qu’ils participent à la construction
des musées dans les pays nouvellement indépendants d’identités collectives (avec toutes les problématiques
ont en effet d’abord reposé sur une volonté de mise et les rapports de pouvoir qu’une telle idée implique),
en scène de la nation. De ce point de vue, l’histoire les musées sont envisagés comme des marqueurs de
des décolonisations muséales est aussi celle des légitima- modernité. La valorisation des institutions muséales
tions culturelles et politiques de ces nouveaux États 34. en tant que symboles de modernisation des nouveaux
Le phénomène est parfaitement connu, même si l’articu- États prend divers aspects. Le premier, déjà évoqué,
lation entre processus de construction des identités est celui du prisme développementiste, alors dominant.
nationales et mobilisation de valeurs ou de réseaux Dans cette optique, les musées comptent au nombre
transnationaux a rarement été mise en évidence, des infrastructures supposément nécessaires pour
y compris pour les musées occidentaux (Aronsson atteindre le stade des pays dits « développés ». Leur

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Utopies, continuités et discontinuités muséales à l’ère des décolonisations
Par Julien Bondaz et Sarah Frioux-Salgas

Frédéric Bouly Bouabré


Amadou-Mahtar M’Bow: la nuit étoilée ou l’intelligence africaine, 1988.
Musée du quai Branly-Jacques Chirac
73.1998.27.76

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Introduction

Kendell Geers
Title Withheld (Vitrine), 1993. Situation/Performance. Vitrine, brique. Dimensions variables.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Carpenters Workshop Gallery, Paris.

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Utopies, continuités et discontinuités muséales à l’ère des décolonisations
Par Julien Bondaz et Sarah Frioux-Salgas

appropriation locale serait en outre liée à un change- muséaux au cours de la seconde moitié du XXe siècle 36. Cette enquête, succincte
et maladroite, a été menée par
ment des mentalités : selon Louis-Vincent Thomas rendrait à coup sûr compte des asymétries et des les départements de sociologie
et Pierre Fougeyrollas, auteurs de la première enquête relations privilégiées entre les pays anciennement et de psychologie sociale
de l’université de Dakar pour
sur la réception de l’art africain en Afrique (au Sénégal colonisateurs et colonisés. Ainsi l’histoire des musées le Festival mondial des arts
en l’occurrence), « la modernisation des mentalités doit-elle se lire aussi comme celle des rapports de nègres. Elle s’est déroulée
au début de l’année 1966 et a
entraîne une assez fréquente approbation de l’institu- force postcoloniaux. La « balance de la connaissance » concerné trois cent quatre-
tion du musée » (Thomas et Fougeyrollas 1967 : 96 36). évoquée par Césaire invitait à relativiser le poids vingt-huit personnes. Selon
leurs auteurs, la «modernisation»
L’architecture des musées créés par les États nouvel- de « tous les musées du monde ». Elle oblige désormais se traduit plus largement par
lement indépendants répond également à une stratégie à l’écriture d’une histoire en contrepoids, attentive la constitution du « sentiment
du beau [...] en une sphère
visuelle de modernisation urbaine. aussi bien aux tares de l’historiographie des musées spirituelle autonome », « comme
Une autre logique à l’œuvre concerne davantage qu’au souvenir des espoirs et des échecs des décolo- en Occident et sous l’influence
de l’Occident » (Thomas
l’épistémologie de la muséologie, et plus largement nisations muséales. et Fougeyrollas 1967 : 108).
des sciences et des métiers du patrimoine : la valeur
des collections est redéfinie à l’aune de l’universalité
et non plus recherchée prioritairement dans leur Université Lumière Lyon 2, LADEC, centre Alexandre Koyré
connexion avec la localité ou l’autochtonie. On assiste j.bondaz@univ-lyon2.fr
ainsi à une « substitution de l’universel au local, dans
laquelle la pratique patrimoniale occidentale est vue musée du quai Branly-Jacques
comme un symbole de modernité » (Sully 2007 : 36). Sarah.FRIOUX-SALGAS@quaibranly.fr
Cette ambivalence axiologique s’observe particulière-
ment dans le traitement réservé aux collections
archéologiques. Leur utilisation vise à produire des
ancêtres autochtones et à légitimer la construction
d’une identité nationale, celle-ci pouvant être fondée
sur une religion, comme en Inde (Etter 2020), ou sur
la légitimation d’une intégrité territoriale, comme en
Syrie (Ayoub, dans ce numéro). Mais dans le même
temps, la valeur universelle des collections se retrouve
hypostasiée, mobilisée à des fins de visibilité sur la
scène internationale. La même logique s’observe dans
l’importance accordée aux musées d’art moderne,
par exemple en Algérie (Goudal, dans ce numéro),
qui traduit la rhétorique moderniste des États nouvelle-
ment indépendants tout en occultant les questionne-
ments que pourrait soulever le transfert d’une périodi-
sation de l’histoire de l’art produite en Europe, pour
l’art européen (Harney et Phillips 2018).
Cette articulation entre les valeurs nationales
et universelles des musées explique la place considé-
rable qu’ils ont souvent trouvée, dès la période
des décolonisations, dans la diplomatie culturelle
des nouveaux États. Inscrits au programme des visites
officielles, fournisseurs d’objets pour de grandes
expositions, sollicités pour des cadeaux diplomatiques,
les musées sont les instruments de relations relevant
là encore davantage de l’entretien des liens avec les
anciennes puissances coloniales que de « géopolitiques
subalternes » (Sharp 2011). Cela ne signifie pas pour
autant que les rapports coloniaux seraient inévitable-
ment reconduits : les usages diplomatiques des musées
sont évidemment tactiques et susceptibles de servir
aussi bien les intérêts de leur direction que ceux
des chefs d’États ou des nouvelles nations, comme
l’illustrent le « parcours diplomatique » organisé par
les autorités cambodgiennes à l’occasion du onzième
anniversaire de l’indépendance du pays (Falser 2016 : Document ci-après
142), ou les relations diplomatiques tissées autour
Bingo, le mensuel du monde
du musée national de Côte d’Ivoire (Bondaz et Tagro, noir, numéro 180, janvier 1968.
dans ce numéro). Avant de concerner les appropriations Médiathèque du musée du
quai Branly-Jacques Chirac.
communautaires des musées, des « muséologies Photo Alberto Ricci.
tactiques » (Buntix et Karp 2006) étaient déjà imaginées
à des fins de diplomatie culturelle entre États. Une
cartographie des circulations d’expositions et d’objets

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Ci-contre et ouverture

Centre de formation bilingue pour


les techniciens de musées, fondé
par l’Unesco. Jos, Nigéria, 1964.
Archives du premier festival
culturel panafricain d’Alger
(21 juillet-1 août 1969), musée du
quai Branly-Jacques Chirac,
3AAI/75. Photo Alberto Ricci
(détail).

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