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Julie Bawin
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2018
Cela fait plus de trois décennies que les musées d’ethnographie sont entrés dans un
processus de redéfinition de leurs missions et de leurs collections. Cette réinvention leur
demande de développer de nouvelles stratégie d’exposition afin de répondre aux théories
post-coloniales. Ce mouvement a forcé ces institutions à mener une entreprise de
décryptage de leurs collections, les forçant ainsi à réinterpréter leurs systèmes taxinomique
et muséographiques et à faire face à leur histoire controversée par l’intermédiaire
d’expositions témoignant d’une attitude autocritique jugée nécessaire.
C’est en 1983 que l’artiste Eduardo Paolozzi, grande figure du surréalisme et du Pop Art
britannique, est invité par l’anthropologue Malcolm McLeod à créer une installation à partir
des collections ethnographiques du British Museum. Il s’agit là de la première invitation faite
à un artiste de la part d’un musée ethnographique. L’exposition « Lost Magic Kingdoms and
Six Paper Moons from Naguatl (montrée entre 1985 et 1987 au Museum of Mankind de
Londre). L’artiste a sélectionné près de 200 objets ethnographiques qu’il a associé à des
photographies, des archives, ses propres sculptures ou encore des objets de consommation
occidentaux produits en série. En créant une équivalence entre des objets issus de culture
différentes, Paolozzi a en quelque sort aboli la hiérarchisation muséale habituelle. Cette
accumulation et association libre d’objets incluait donc une remise en cause des systèmes
classificatoires et encyclopédies chers aux musées d’ethnographie de l’époque. Cette
exposition a fait l’objet d’une réception critique mitigée. Certain anthropologues et
conservateurs ont notamment souligné que cette exposition faisait perdurer l’approche
primitiviste en jouant de manière trop appuyée sur l’aspect énigmatique, envoutant et
esthétisant des objets sélectionnés, sans que ceux-ci aient été soumis à un quelconque effort
de contextualisation.
L’exposition connu un immense succès et fut considérée comme l’incarnation d’une nouvelle
forme de commissariat visant à invitant des artistes politiquement engagés et militants.
Suite à cette expositions, beaucoup d’institutions se sont décidé à rompre avec le modèle
hégémonique occidental afin d’aller vers une plus grande diversification des regards
apportés sur leurs collections. C’est ainsi que de nombreuses collaborations avec des acteurs
culturels issus de territoires anciennement colonisés se sont succédées.
A partir de la fin des années 1990 les ME ont progressivement aspiré à devenir des « zones
de contact » (voir JamesClifford,«Museums as Contact Zones», dans Routes: Trav- el and
Translation in the Late Twentieth Century, Cambridge, Harvard Univer- sity Press, 1997, p.
188–219) : des espaces ouverts à des collaborations avec des acteurs culturels issus de
nations postcoloniales. L’idée est alors de donner la parole à des individus directement
concernés par une forme d’héritage coloniale afin qu’ils puissent réinvestir leur patrimoine.
Un des exemples les plus parlant de cette démarche est l’exposition « ExitCongo-Museum »
organisée au Musée de Tervuren en 2000. Cette exposition organisée par Boris Wastiau était
destinée à dénoncer la menace de « l’esthétisme élitiste » qui planait encore trop sur les
musées ethnographiques. C’est ainsi que Toma Muteba, artiste belge d’origine congolaise,
fut invité afin de participer au commissariat de l’exposition. En se voyant attribuer carte
blanche, il décide d’organiser une exposition parallèle à celle voulue par Boris Wastiau.
Contrairement à ce qu’avait envisagé Wastiau, Tome Muteba décide d’inviter 7 artistes aux
origines géographiques diverses, censés représenter la scène artistique internationale et non
pas uniquement congolaise. Cette démarche a ainsi été initiée par l’artiste car celui-ci
considérait que la conception du musée comme une « zone de contact » était surtout
destinée à donner bonne conscience aux anciens musées coloniaux. Pour Toma Muteba, le
fait d’inviter des artistes congolais dans un musée sur la seule base de leur origine
géographique et communautaire ne faisait en réalité que reproduire une forme
d’enfermement identitaire.
Ce projet a eu de grande répercussions car dès son ouverture elle a donné lieu à un vaste
débat politique aboutissant à la rénovation de l’exposition permanente du musée, jugée
comme étant encore trop fortement marquée par une idéologie coloniale.
Un autre exemple d’initiative visant à donner carte blanche à des artistes contemporains est
l’exposition « Congo Far West, Arts, sciences et collections » présentée en 2011 au Musée
Tervuren. Confiée au photographe Sammy Baloji et à l’écrivain Patrick Mudekereza, cette
exposition eut pour ambition de donner carte blanche totale aux deux personnalités afin de
faire du musée un point de rencontre entre le point de vue occidental (en l’occurrence les
chercheurs du musée et de l’université de Gand) et les « Autres », incarnés par les artistes.
Ici l’idée est moins de déconstruire les éventuelles logiques coloniales perdurant encore au
Musée de Tervuren que de témoigner du rôle de l’artiste comme médiateur et producteur
de connaissance sur le passé et le présent. Comme ce sera le cas pour ses successeurs,
Sammy Baloji se voit investi d’un rôle spécifique : celui de permettre aux institutions
muséales de produire un savoir réflexif sur leur histoire, sur leurs missions et leur rôle dans
les sociétés contemporaines.
Durant les cinq années de son mandat au Weltkulturen Museum, Clémentine Deliss a
contribué à faire de son institution, un véritable « musée post-ethnographique ». Pour elle,
la mission principale d’un ME ne consiste pas à retourner sans cesse la situation
postcoloniale. Il s’agit plutôt d’interpréter les artefacts au regard de la situation
contemporaine en les soumettant à de nouveaux cadres d’interprétations par l’intermédiaire
d’ « entre-pologistes » (cf Clémentine Deliss,« Foreign Exchange », dans Foreign Ex-change
(or the stories you woudn’t tell a stranger), catalogue d’exposition, Francfort, Weltkulturen
Museum, 2014, p. 13.). Ce concept inventé par Clémentine Deliss désigne les différents
intervenants qu’il est possible de mobiliser à cette fin, à savoir des chercheurs, des
conservateurs, des artistes, des écrivains ou encore des archivistes. L’idée derrière cette
démarche et d’instaurer une plus grande polyphonie, de multiplier les points de vue et de
partager l’autorité entre différents acteurs, faisant ainsi du musée un lieu de collaborations,
de connexions et d’expériences au service d’une réflexion sur la société. Proche du concept
de musée comme zone de contact, cette initiative s’inscrit cependant davantage dans une
muséologie de rupture telle que formulée par Jacques Hainard. Les objets sont au service
d’un propos théorique et d’un discours et non l’inverse.
L’exposition « Object Atlas. Filedwork in the Museum » présentée en 2012 rend bien compte
de la conception de Clémentine Deliss puisqu’elle consista en une confrontation entre objets
ethnographiques et œuvres contemporaines produites dans le cadre de résidences
d’artistes. En ouvrant ainsi le Weltkulturen Museum à la création contemporaine, l’idée
n’était pas tant de produire une critique institutionnelle sur la question coloniale ou sur le
caractère controversé de certains objets conservés au musée mais plutôt d’offrir à ce dernier
la possibilité d’une exploration plus artistique qu’anthropologique. Bien que cette démarche
ait permis de faire émerger de nouvelles pratiques curatoriales, elle fut critiquée et accusée
de primitivisme du fait d’une confrontation entre œuvres contemporaines et objets
ethnographiques jugée comme étant trop fondée sur des affinités de fonction, de sujet ou
de forme.
Conclusion :