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« ENTRE NÉGOCIATIONS ET EXPÉRIMENTATIONS:

LES MUSÉES D’ETHNOGRAPHIE ET LA DÉCOLONISATION »


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Entretien avec Yann Laville et Grégoire Mayor (MEN) ainsi que Boris Wastiau (MEG)
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Fiche de lecture

Entretien réalisé le 7 juin 2018 au MEG.

https://www.researchgate.net/publication/
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%27ethnographie_et_la_decolonisation_Un_entretien_in_Tsantsa_242019_pp_67-77

L’idée d’un musée d’ethnographie dit « décolonial »

Contexte de remise en question des ME. Adoption d’une posture « décolonial ». Dans
quelles mesures les ME abordent cet idéal en pratique ?

Durant les années 1990, il a beaucoup été question de musées dits « post-coloniaux ».
Qu’en est-il des musées dits « décoloniaux » ?

Pour BW il s’agit plutôt de parler de musées « décolonisés » :


- Institution qui se préoccupe de l’héritage colonial de ses pratiques, de ses
concepts.
- Institution qui se préoccupe des « rapports de force hérités et des non-publics qui
voient en lui la perpétuation du colonialisme ».

Pour GM il s’agit aussi :


- D’interroger ses collections, leur provenance, les logiques de prédation qui leurs
sont rattachées.
- Se pencher sur les question d’inégalités, interroger les phénomènes sociaux
contemporains pour proposer une réflexion sur le passé à partir du présent et
comprendre où se situe le colonialisme aujourd’hui.

Différence entre la « postcolonie » et la « décolonie ».

Pour YL le problème du post-colonialisme est qu’il s’enferme dans une réflexion autour du
passé en faisant émerger une sorte de dette et de culpabilité. Avec l’idée d’un musée
« décolonial », avec ce terme, il ne s’agit pas de résoudre les problèmes de l’époque
coloniale mais il s’agit plutôt de se pencher sur le présent en interrogeant la manière dont
certaines de ces problématiques perdurent encore aujourd’hui.

Comment les musées dépassent-ils cette autocritique autour de l’histoire de leurs


collections et comment mettent-ils en œuvre une politique culturelle davantage
plurivocale?
GM : Il y a une vraie volonté de travailler sur des thématiques anthropologiques du présent.
Produire des expositions sur des phénomènes sociaux et anthropologiques contemporains.
Cette réflexion peut notamment se faire avec des acteurs issus de groupes concernés par les
collections.

YL : dans l’ensemble, beaucoup de ME sont encore dans une posture « post-coloniale » qui a
tendance à s’adresser aux spécialistes des musées mais qui n’intéressent pas tant les publics
et encore moins ceux directement touchés par l’héritage colonial.

De quelle façon le MEG et le MEN communiquent-ils sur les liens de leur institution avec le
passé colonial?

BW : l’accrochage de la collection permanente du MEG porte sur la provenance des


collections et l’origine de l’institution (voir intro de l’expo permanente). BW voit le ME
comme une institution qui doit s’ancrer dans le présent et se tourner vers l’avenir. Tout cela
se fait en posant des réflexions, en opérant un décentrement, en adoptant des regards
nouveaux et non européocentrés pour penser l’avenir (exactement le cas pour l’expo
temporaire actuelle).

Ambivalences et paradoxes du contexte suisse

Le discours décolonial au sein du contexte muséal suisse diffère-t-il de ceux tenus en


France, en Belgique, en Angleterre ou en Allemagne ?

Pour BW, en Suisse, au sein du domaine muséal ou même de la culture en général, il y a une
forme d’amnésie concernant le passé colonial. En Suisse, le public ignore les liens que le pays
a pu avoir depuis le 16ème siècle avec les différents projets coloniaux. Cet engagement a pris
différentes formes (académiques, économiques, culturelles etc.). Des villes comme Genève,
Bâle ou encore Fribourg ont produit des cohortes de missionnaires qui ont servi dans de n
nombreuses colonies.

Contrairement à la plupart des pays d’Europe, la spécificité de la Suisse réside dans le fait
que même si elle a participé aux entreprises de plusieurs empires coloniaux, il n’y avait pas
de colonialisme d’État.

Actuellement les rapports de force ont lieu entre États ex-coloniaux et États ex-colonisés.
Mais il ne faut pas croire que l’expérience suisse n’est pas une expérience coloniale. C’en est
une mais d’une forme différente.

Pour YL, contrairement à ce qui se fait actuellement dans la plupart des pays ex-
colonisateurs où de grandes déclarations ont lieu (cf Macron sur la restitution) et où des
programmes de mémoire collective sont mis en place, en Suisse ces sujets sont abordés
depuis les années 1960 dans les musées car ils ne sont pas sous contrôle étatique. Il n’y a pas
les mêmes contraintes.
BW explique qu’il n’y a aucune forme de culpabilité dans sa démarche. Il n’y a pas de
culpabilité au MEG. Il souligne également qu’en Suisse la liberté d’expression est
particulièrement importante. En France et dans d’autre pays européens, les institutions sont
très puissantes et ne permettent pas d’écarts. En Suisse, l’autonomie accordée par les
institutions permet une liberté d’expression encadrée de manière simple. Il faut alors
s’engager à être scientifiquement précis, à respecter un certain nombre de normes. Il y a une
liberté de ton et une autonomie qui permet d’aborder les questions en lien avec la
colonisation de manière plus sensible.

Expositions et processus relationnels créatifs

Un des aspects fondamental de la décolonisation est d’opérer un décentrement du champ


des savoirs, afin de produire de nouvelles épistémologies, ou des « épistémologies du Sud
» (Santos 2014). Dans le contexte muséal, ce décentrement concerne tant les
représentations visuelles que le langage qui l’accompagne. De quelle façon s’incarne-t-il au
sein du MEG et du MEN?

BW voit les projets d’expositions comme des projets d’expérience d’eux (personnel du
musée) dans le monde en tant qu’anthropologues. L’anthropologie implique une forme de
décentrement qui permet de se confronter à des traditions et à des systèmes de pensée
complétement différents. Il faut envisager le processus de création d’exposition comme un
processus relationnel très créatif, pas seulement intellectuel, mais qui est également
émotionnel et sensible. Concernant la décolonisation du musée, il s’agit par exemple de
partager davantage le commissariat pour développer une réflexion commune, globale et
décentralisée. Pour cela il faut aussi développer un réseau de personnes avec qui collaborer
et réfléchir de manière plus large afin d’être pertinent à une échelle plus large, plus globale.

Pour YL il faut aller plus loin que simplement partager le commissariat. Il faut réinterroger les
pratiques de conservation et d’exposition.

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