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Note de Synthèse Policy - Oriented

Art et Culture :
Le développement et la fidélisation des publics empêchés en
France

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Art et Culture : Le développement et la fidélisation des publics
empêchés en France.
Note de synthèse “policy-oriented”

Executive Summary
A travers cette note de synthèse, nous interrogerons une problématique qui
est née d’un long travail d’engagement ces trois dernières années : Quel est le
rôle des politiques publiques face à la stigmatisation des publics empêchés ?
Quelles sont les initiatives et les actions à entreprendre afin de développer et de
fidéliser le grand public dans l’objectif de proposer un accès à l’art et à la
culture pour tous ?

Nous montrerons tout d’abord le rôle primordial du capital artistique et culturel


dans la réussite scolaire des enfants permettant par la suite leur mobilité et
ascension sociale. Nous soulignerons dans un premier temps la primordialité de
la réussite scolaire dans la mobilité sociale des individus souvent condamnés au
déterminisme de la reproduction sociale. Nous interrogerons par la suite
l’importance de l’amour de l’art pour la réussite éducative de l’enfant dans le
système scolaire français, en mettant l’accent sur la stigmatisation des publics ne
possédant pas ce capital, soulignant le plafond de verre empêchant la mobilité
sociale de ces publics dit “empêchés” et en soulignant la stratification culturelle
qui existe en France. Enfin nous tenterons d’en déterminer ses origines à travers
la construction de l’habitus de l’enfant durant son éducation et à travers les
milieux de sa primo-socialisation.

Dans un second temps, nous tenterons de proposer une série d’analyses et de


propositions de politiques publiques en directions des institutions publiques et
privées afin de construire grâce à la médiation culturelle une certaine équité chez
les enfants durant leur parcours scolaire dans le seul but de corriger la trajectoire
sociales des individus sortant d’un hypocrite système scolaire “méritocratique”.
Pour cela, nous proposons de montrer le rôle primordial de l’éducation nationale
dans la construction du capital culturel des enfants en intime collaboration avec
l’environnement familial et le besoin essentiel d’une prise en compte des
disparités de capitaux. Nous démontrerons par la suite l’importance d’une
accélération de la construction et du renforcement des politiques de
développement, de médiations et de fidélisations des publics empêchés de la part
du ministère de la culture comme enjeux nationale et des institutions privées
comme responsabilité citoyenne et morale. Et enfin nous proposerons de
concentrer les efforts de médiations autours de l’identification comme élément
fondamental au succès de ses politiques publiques.

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Table des matières :
INTRODUCTION …………….…………………….. p. 4

I – Culture et mobilité sociale en France..……….……p. 6

a) Réussite scolaire et mobilité sociale……………….... p. 6


b) Stigmatisation et échec scolaire………...…………… p. 7
c) Habitus, primo-socialisation et capital culturel……... p. 8

II – Redéfinir l’égalité par la médiation : le défi d’une


France méritocratique……………..……….…….…… p. 11

a) Le rôle de l’éducation nationale………………...…… p. 11


b) De la maison aux lieux de culture : le rôle du ministère de
la culture et la responsabilité civile des instituts privés.… p. 13
c) Identification et fidélisation des publics………...…….. p.15

CONCLUSION ………….……………………………. p. 16
BIBLIOGRAPHIE ……………………….………..……..p. 17
ANNEXES……………………………………………….P. 19

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INTRODUCTION :
Le 24 juillet 1959 lors de la création du ministère des Affaires culturelles, par André
Malraux nous pouvions lire dans le journal officiel le décret fondateur du ministère affirmant
je cite :

« Art. 1er. — Le ministère chargé des affaires culturelles a pour mission de rendre
accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand
nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et
de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent. »1

L’idéal de la démocratisation culturelle comme vecteur d’émancipation des citoyens est donc
un des piliers fondamentaux du ministère de la Culture et ce depuis la Révolution française.
Firmin Gémier se situe aux prémices de la volonté d’une politique publique de
démocratisation de l’art puisqu’il est le fondateur du premier « Théâtre national populaire »
en 1920, et tente au sortir de la Seconde Guerre mondiale de proposer les premiers outils afin
de construire et de développer ce que l’on définit plus tard par le « Grand Public » ou la «
Culture de masse ».

Cent ans plus tard, le combat pour la démocratisation culturelle n’est pas achevé. Bien au
contraire, il pâtit, s’enlise et malgré les efforts constants de tous les acteurs afin de dynamiser
les actions pour l’accès partout et pour tous au monde de l’art. Les lacunes en éducation
artistique et culturelle de certaines franges de la population sont affligeantes. Moins de 20%
des ouvriers se rendent au moins une fois par an au musée. Si en 1973 la fréquentation des
institutions culturelles était deux fois plus importante chez les cadres supérieurs que chez les
classes populaires, elle est aujourd’hui à plus de 3,4 fois supérieures ayant pour conséquence
une exaltation et un accroissement des inégalités entre milieux sociaux. Le constat est clair, si
en 2018 seulement 9% des non-diplômés fréquentent au moins une fois les musées contre
52% des diplômés de l’enseignement supérieur, c’est que les musées français demeurent
définitivement des institutions ultra élitistes.

J’ai pour ma part fait ce constat à la fin de mon année de terminale. Étant moi-même un très
grand amateur d’art en tous genres, plastiques, cinéma, opéra etc, je fus pris d’une grande
surprise alors que j’admirais le même tableau de Monet pour la énième fois, en réalisation ma
solitude et la singularité de ma situation dans ce somptueux musée d’Orsay. En effet, le
nombre d’adolescents mineurs, non accompagnés de leurs parents, racisé.e.s ou au style
vestimentaire qui caractérise le milieu social dont je viens se comptait sur les doigts de la
main. Nous pourrions nous contenter de dire que la situation est “triste” pour cette partie de la
population qui n’aura malheureusement pas la chance d’apprécier les délices d’être envoûtée
par un opéra de Berlioz. Cependant, le problème est bien plus profond, et les enjeux sociaux,
économiques et politiques bien plus complexes. En vérité, cette simple constatation d’un
étudiant de terminale illustre le tragique tableau d’une France hypocrite très loin de la
méritocratie, de la mobilité sociale ascendante et d’une égalité des chances.

1 Décret n° 59-889 du 24 juillet 1959 portant organisation du ministère chargé des affaires culturelles.

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C’est grâce à Sciences Po Paris et à l’enseignement reçu durant mes deux premières années
d’études que j’ai pu clarifier et mettre des mots sur les idées confuses que j’avais concernant
cette situation. L’introduction à la sociologie, l’économie et la sciences politiques m’ont
beaucoup apporté en termes de compréhension sociale de notre environnement mais m’ont
aussi léguée une méthode scientifique et une approche académique à la compréhension de
problématiques sociales que je considérais auparavant comme des situations d’immoralité où
une certaine éthique subjective n’était selon moi, pas respectée.

C’est grâce à ce mal-être social que je ressentais, à mes deux expériences de terrain et à la
richesse intellectuelle que Sciences Po m’a apportée que j’ai pu commencer à me questionner
et à construire un raisonnement autour de l’impact de ce manque de fréquentation des
institutions culturelles de la part de certaines catégories sociales. Cette note de synthèse est
l’aboutissement d’un long travail non seulement académique mais aussi humain, de terrain, et
la conclusion d’une réflexion personnelle que je ne parvenais pas à résoudre.

Cependant, avant de nous concentrer sur cette réflexion, il y a certains termes, idées et
théories que nous devons définir au préalable afin de permettre une compréhension claire de
nos arguments. Tout d’abord, le concept de Public empêché se définit comme l’ensemble des
groupes d’individus qui se trouvent en situation de vulnérabilité économique, sociale,
géographique ou culturelle, et qui font face à des obstacles qui entravent leur participation à la
vie artistique ou leur accès aux institutions culturelles. Il peut s'agir de personnes en situation
de précarité économique, de personnes en situation de handicap, de populations marginalisées
sur le plan social ou géographique, ou encore de groupes ethniques ou culturels discriminés.
La mobilité sociale quant à elle désigne le mouvement des individus ou des groupes
d’individus d'une position sociale à une autre au sein d'une structure sociale donnée. Elle peut
être ascendante lorsque l'individu ou le groupe accède à une position sociale supérieure, ou
descendante. La mobilité sociale peut être mesurée et analysée en termes de mobilité
intergénérationnelle, qui examine les changements de statut social entre les générations
successives, ou en termes de mobilité intragénérationnelle, qui se concentre sur les
changements de position sociale au cours de la vie d'un individu. "La mobilité sociale est un
indicateur clé de la structure sociale d'une société. Elle révèle si les opportunités sont ouvertes
et équitables, ou si les barrières et les inégalités persistent. En étudiant la mobilité sociale,
nous pouvons mieux comprendre les forces qui façonnent les chances de réussite et de
progression pour différents individus et groupes." (Robert K. Merton ; 1949). Ensuite nous
définirons la stigmatisation comme “un processus social par lequel certains individus ou
groupes sont marqués, rejetés ou dévalorisés en raison de caractéristiques perçues comme
déviantes, indésirables ou socialement inacceptables. Cela crée des barrières et des préjugés
qui limitent les opportunités et la pleine participation à la société.” (Erving Goffman ; 1963).
Finalement, nous définirons les politiques publiques comme étant « les interventions d’une
autorité investie de puissance publique et de légitimité gouvernementale sur un domaine
spécifique de la société ou du territoire » (M. Grawitz, J. Leca, J.C. Thoenig ; 1985). Celles-ci
sont les actions spécifiques et officielles menées par un gouvernement, une autorité étatique
légitime, afin de résoudre un problème de société.

Il n’est pas tout à fait intuitif que l’accès à la culture n’est pas seulement une question de
plaisir et de loisir, mais que l’opportunité de pénétrer dans le monde artistique dès sa primo-
socialisation guidera et déterminera fortement la mobilité sociale de l’individu. C’est pour
cette raison, que cette note de synthèse à pour volonté de clarifier les liens intimes entre
capitaux sociaux et mobilité sociale.

En ce sens, ma note de synthèse s’articulera autour de la problématique suivante :

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Quel est le rôle des politiques publiques face à la stigmatisation des publics empêchés ?
Quelles sont les initiatives et les actions à entreprendre afin de développer et de fidéliser les
publics empêchés dans l’objectif de proposer un accès à l’art et à la culture pour tous ?

Pour répondre à cela, nous observerons dans un premier temps la primordialité du capital
culturel des individus dans la détermination de leur mobilité sociale, puis dans un second
temps nous tenterons de définir un ensemble de comportements, de politiques publiques et de
pratique afin de proposer une certaine équité et de lutter contre le déterminisme social afin de
promouvoir plus d’égalité en France.

I. Culture et mobilité sociale en France


« Ce n'est pas la conscience des hommes qui déterminent leur existence, c'est au
contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. » écrivait Karl Marx. Si la
méritocratie est profondément juste d’un point de vue de la morale, il n’en est pas moins que
ce concept dont se sont emparé Boudon, Duncan puis la droite de l’échiquier politique
français n’est que chimère. La méritocratie est en effet le parfait système de justice sociale
mais c’est sans compter les inégalités sociales et territoriales qui touchent chaque individu
depuis leur naissance. Sans égalité le concept de méritocratie est fondamentalement
irrationnel. Dans cette partie nous tenterons de définir les dynamiques et systèmes sociaux
mis en lumière par la sociologie moderne afin de comprendre quelle est la nécessit é de
renforcer les politiques publiques et l’engagement des institutions culturelles dans le
processus de médiation, développement et fidélisation des publics empêchés.

a) Réussite scolaire et mobilité sociale.

Le système éducatif délivre aux élèves un enseignement non seulement au sens


scolaire mais aussi des normes sociales plus largement. Les normes sociales transmises à
l’école sont les normes dominantes dans notre société. Plus l’élève parvient à intérioriser par
l’apprentissage ces normes sociales, plus il trouvera sa place dans la conformité sociale.

Le rôle de l’éducation publique et de la réussite scolaire est donc au cœur des questions de
mobilité sociale. Pour plus de clarté et parce que nous souhaitons seulement traiter de
parcours individuel nous ne comprendrons la mobilité sociale seulement comme «
intragénérationnelle » c’est-à-dire celle d’un seul individu et non pas « intergénérationnelle »
qui étudie celle d’un individu ou d’un groupe par rapport aux générations précédentes.
(Daniel Bertaux ,1985).

La corrélation positive qui existe entre parcours scolaire de l’enfant et mobilité sociale et
économique de l’adulte n’est plus à prouver. En effet, l’économiste James J. Heckman dans
son étude longitudinale The Rate of Return to the HighScope Perry Preschool Program”
mettait en lumière l’amélioration signification de la réussite scolaire d’enfants ayant
bénéficiés du programme préscolaire HighScope Perry ainsi qu’une réduction sans équivoque
de leur taux de criminalité et d’une augmentation de leurs revenus à l’âge adulte le tout grâce
à une analyse économétrique et statistique très précise (James J. Heckman, 2010). Cette étude,
venait soutenir des travaux d’ores et déjà reconnu dans le monde des sciences sociales comme
celle de Davis Card The Causal Effect of Education on Earnings qui examinait et concluait

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d’une corrélation positive et significative entre niveau d’éducation et revenus à l’âge adulte en
utilisant aussi des données longitudinales issus d’une multitude de pays (David Card, 1999).

Un exemple significatif du rôle de la réussite scolaire peut être décrit par le merveilleux
travail de Bleemer et Mehta en 2022 qui ont analysé la corrélation entre la moyenne
académique des étudiants en classe d’introduction à l’économie de UCSC et leur salaire 5 ans
après leur graduation Figure 1. Annexes. Les conclusions sont claires et très significatives, un
étudiant ayant obtenu une note de 4/4 gagne 60 milles dollars de plus 5 ans après sa
graduation qu’un étudiant ayant obtenu une note de 2/4 dans cette matière.

Le niveau d’étude qui est fortement corrélé au statut social et au salaire des individus une fois
à l’âge adulte est une conséquence du parcours et de la réussite scolaire durant l’enseignement
primaire et secondaire. En d’autres mots, l’éducation et le parcours scolaire conditionnent
voire déterminent depuis le plus jeune âge la mobilité sociale et économique des individus car
échouer à l’école implique une grande difficulté à s’intégrer socialement, à adopter les codes
des classes hautes et de subir une discrimination à l’emploi dû aux niveaux d’études.

b) Stigmatisation et origines de l’échec scolaire

L’école est une institution majeure en France, riche d’une vaste sociologie de
l’éducation. Comme nous le notions précédemment, la France met en avant un idéal
républicain en la matière. Puisque l’institution scolaire déborde largement l’enjeux de la
transmission des savoirs, celle-ci est au cœur de projets permanents de politique publique de
la part de l’Etat. L’école républicaine née sous Jules Ferry s’est construite sur de grands
principes qui continuent d’exister : l’égalité des chances et de manière sous-jacente le mérite
qui devrait être la seule cause de réussite toute autre discrimination devant être combattue .
Cependant comme le démontre la sociologie depuis plus d’une cinquantaine d'années, c’est
que ce noble principe d’égalité des chances et de méritocratie reste à bonne distance de la
réalité. Comme le montre différents rapports comme le programme PISA ou bien les
synthèses de l’observatoire des inégalités le niveau des élèves de compréhension de l’écrit est
fortement corrélé à leur milieu social. Année après année, la France figure parmi les pays où
l'écart entre les élèves très favorisés et très défavorisés est le plus grand.

Lorsque l’on s’interroge sur les fondements des inégalités scolaires, cela revient à interroger
l’influence du milieu social d'origine des élèves sur leurs performances scolaires,
performances qui sont donc indexées sur leurs origines sociales. Depuis les années 60, de
nombreux auteurs ont témoigné de cette corrélation statistique forte entre réussite scolaire et
origine sociale et le constat ne change jamais. L’école reste globalement discriminante malgré
les discours méritocratiques.

Ce sont les ouvrages Les Héritiers et Le sens commun de Pierre Bourdieu et Jean Claude
Passeron publiés respectivement en 1964 et 70 qui ont véritablement mis en lumière à quel
point les savoirs certifiés par l’école n’étaient pas indépendants de la hiérarchie sociale .
L’école légitime implicitement un type de culture possédé par certains élèves largement
inconscients de leur privilège. Il s’agit du produit de la transmission aux enfants d’un capital
culturel par la famille. Et au-delà du capital culturel c’est tout l’habitus qui est transmis et
dont certains comportements se voit favorisé par le système éducatif. En effet, l’école valorise
un habitus, mais uniquement de certaines classes, la fraction cultivée des classes moyennes et
classes dominantes. Le privilège culturel de ces étudiants face à l’école se traduit alors par

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une proximité entre la culture qu’ils ont acquise, au sein de leur milieu social et familial, et la
culture de l’école. Cette dernière valorisant les mêmes œuvres que la culture savante et
légitime intériorisée par leur environnement bourgeois.
En vérité, ce que nous cherchons à souligner, c’est que les qualités que récompensent l’école,
sont des qualités qui ne sont pas strictement scolaires mais plutôt sociales (extra-scolaires),
qui relèvent donc du capital de l’élève. En d’autres mots, les écoliers possédant déjà le bon
habitus possèdent une avance considérable sur leurs camarades. La socialisation de la famille
est complémentaire de la socialisation scolaire pour la classe dominante et opposée pour la
classe dominée. Qui plus est, l’école creuse ces inégalités au long du parcours scolaires des
enfants, en considérant ce qui est scolaire, elle déconsidère son propre rôle, et valorisent ceux
qui ont le plus de détachement vis-à-vis de l’école et fait preuve de sévérité vis-à-vis de ceux
qui dépendent de l’école pour réussir ou qui justement ne possède pas culture légitime faute à
une grande stratification culturelle.

Afin d’éclairer notre point, nous pouvons affirmer que plus les élèves se détachent de
l’enseignement reçu en classe, afin d’y apporter des connaissances extra-scolaires, œuvres
d’art, culture historique et littéraire, plus ils font preuve d’assurance sociales et sont donc
valorisés par l’écoles. Le système d’enseignement produit une forme de violence symbolique
chez les classes populaires à cause de la mystification de cette culture légitime tant valorisée,
ce qui les conduit à un échec scolaire certain et à rejeter cette culture dominante en s’y auto-
censurant l’accès puisqu’elle est synonyme pour eux de violence (symbolique).

Ces mécanismes sociaux ont deux grandes conséquences, tout d’abord, de dévaluer les
habitus des groupes populaires, négativement marqués à l’école et qui conduisent les élèves à
une auto-censure. Les enfants intériorisent qu’ils n’ont pas leur place à l’école ce qui conduit
à leur échec. D’autre part, le système scolaire stimule et favorise les groupes dominants et
privilégiés. Une nouvelle fois Bourdieu en fait l’étude dans son article sur les catégories de
l’entendement professorales qui illustrent ces inégalités très marquées dans la notation des
copies d’élèves de prépa en fonction du degré d’intégration d’éléments extra-scolaire à leur
copie. C’est aussi l’analyse économétrique que nous avons pu faire ces dernières années et qui
tend à montrer qu’il ne s’agit pas d’un problème de rendement de l’éducation mais plutôt
d’accès/d’exclusion à l’éducation et à la culture

Nous parvenons donc à un constat critique, ce ne sont pas les élèves qui ne sont pas fait pour
l’école mais plutôt l’école qui n’est pas faite pour l’école ou du moins ce que l’on voudrait
qu’elle soit. Le système scolaire tel qu’il fonctionne fait reconnaître aux classes populaires la
culture des classes dominantes et implique la dévaluation des savoirs populaires par la
hiérarchisation des savoirs et des cultures. En outre même si les enseignants travaillent et
évoluent au sujet de l’évaluation positive, il n’en reste pas moins que la fameuse “constante
macabre d’Antibi “ existe vraiment et que le corps enseignant aura encore tendance de nos
jours à limiter les voies d'orientation d’excellence pour les jeunes de milieu défavorisés,
consciemment ou inconsciemment :
C'est pourquoi il est si fondamental que des écoles comme Sciences Po Paris et d’autres
proposent des parcours et outils facilitateurs à ces jeunes issus de milieux défavorisés.

On en tire donc la conclusion que l’accès à l’art, aux musées, à la culture musicale ou
littéraire, est primordial pour la réussite scolaire des élèves et que les publics dits empêchés
sont donc ceux qui par excellence échoueront durant leur parcours scolaire.

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c) L’habitus culturel ou amour de l’art :

D’un autre côté, il était impensable d’aborder la question de l’habitus culturel plus
familièrement appelé amour de l’art sans citer une nouvelles fois les travaux de celui qui a
bouleversé la sociologie moderne. La théorie du public est fortement influencée par les
travaux de Pierre Bourdieu car la théorie du public n’est en vérité avant qu’une théorie du
champ social. Comme l’écrit Jean Pierre Esquenazi « quelque soit l’objet dont il y a public,
les réactions de ce dernier sont d’abord explicables par l’état du champ social : l'écart entre
classes dominantes et classes dominées constitue la principale raison des attitudes des publics
» (Jean-Pierre Esquenazi, 2009). Cela est vrai non seulement pour la réaction du public mais
c’est tout aussi vrai pour la relation du public avec l’objet. Dans L’amour de l’art et Un art
moyen, bien que les concepts de champs et d’habitus n’est pas encore été défini clairement par
Bourdieu, celui-ci construit l’armature de sa théorie avec le postulat que les pratiques
culturelles d’une classe sociale ou d’un individu dépendent du degré de légitimité de la
pratique dans le champ de la légitimité et d’autre part, de la situation du groupe ou de
l’individu dans la hiérarchie sociale. L’amour de l’art est donc structuré par les habitus
profondément intériorisés des êtres sociaux. Le conditionnement et la prime-socialisation
spécifiquement reçus par une classe déterminent son goût pour la culture et sa représentation
de l’art. Comme le montre Bourdieu dans La Distinction les employés et classes supérieurs
possèdent non seulement l’habitus culturel et un savoir artistique qui leur permet de se rendre
à intervalle régulier dans les lieux de culture, mais ils tentent en plus de cela de se distinguer
par des pratiques culturelles inaccessibles aux couches inférieures : le langage de l’art étant
une des voix royales pour cela.

Afin d’éclairer notre propos, tenterons d’enrichir cette affirmation théorique avec des valeurs
quantitatives significatives de l’inégale consommation culturelle et artistique entre classes.
D’après le constat établi par Pierre Bourdieu et Alain Darbel, le taux de fréquentation des
musées est fortement positivement corrélé au statut social. En effet, en analysant les
différentes catégories sociales et professionnelles, leur enquête établit la conclusion suivante :
la probabilité qu’un ouvrier visite un musée est quarante fois inférieure à la probabilité qu’un
cadre supérieur visite le même musée. Une des principales objections que le lecteur pourrait
émettre concernerait le critère du revenu. Il est tout à fait justifié de penser dans un premier
temps que le revenu constituerait un critère décisif puisque qu’il existe une doxa populaire
impliquant que la consommation de l’art serait coûteuse. Néanmoins, d’un point de vue
quantitatif le prix des places ne semble pas un obstacle suffisant à expliquer la faible
fréquentation des institutions culturelles par les classes populaires. D’ailleurs et comme le
soulignaient les différents responsables de médiation culturelle durant mes deux stages,
depuis plusieurs années est née une politique de gratuité pour les chercheurs d’emploi, les
jeunes adultes et autres publics empêchés ce qui n’a pas suffi à inverser la tendance de la
fréquentation par origine sociale ce qui implique donc que la consommation de culture est
donc profondément liée à notre prime-socialisation. Pour reprendre les mots de Jean-Pierre
Esquenazi, « l'explication se trouve plutôt dans la familiarité à l'art dont bénéficient les classes
cultivées ; celles-ci vont au musée et s'y conduisent de façon naturelle parce que cela fait
partie de leur mode de vie, parce que cette « nature » appartient à leur habitus. Cependant, les
classes populaires soit évitent le musée, soit sont conduites à singer des attitudes et des
appréciations dont elles connaissent peut-être les apparences mais ignorent la signification. »
(Jean-Pierre Esquenazi, 2009), observation paradoxale quand on sait qu’il n’en a pas été
toujours ainsi, puisque le théâtre notamment y compris en France fut avant tout un art
populaire, un art du peuple où les pièces aujourd’hui très élitiste n’étaient que des odes au
divertissement des plus pauvres (Molière, Cervantes.).

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La stigmatisation des publics empêchés constitue un enjeu majeur dans l'accès à l'art et à la
culture. Elle engendre des défis importants pour ces populations et nécessite une
compréhension approfondie des mécanismes de stigmatisation ainsi que de leurs
conséquences. En examinant la stratification de la culture et le rejet de la culture dominante, il
devient possible de mieux saisir les problématiques auxquelles sont confrontés les publics
empêchés. La culture est hiérarchisée et des normes sociales sont établies, élevant certaines
formes d'expression artistique et culturelle au-dessus d'autres. Cette hiérarchie culturelle crée
des barrières pour les publics empêchés, qui se retrouvent marginalisés et exclus des pratiques
culturelles considérées comme prestigieuses ou légitimes.

Le rejet de la culture dominante est un mécanisme lié à la stratification culturelle. Les publics
empêchés, en raison de leur appartenance à des groupes socialement défavorisés, peuvent se
sentir exclus ou même méprisés par la culture dominante. Cette culture dominante, souvent
associée à des élites sociales, peut être perçue comme étrangère, inaccessible ou peu
représentative de leur propre réalité. Par conséquent, les publics empêchés peuvent
développer une aversion pour cette culture dominante, renforçant ainsi leur stigmatisation et
leur exclusion.

Les conséquences de la stigmatisation des publics empêchés en matière d'accès à l'art et à la


culture sont multiples. Tout d'abord, cette stigmatisation peut engendrer une auto-exclusion,
où les individus se persuadent qu'ils ne sont pas dignes ou capables de participer aux activités
culturelles. Cela crée un cercle vicieux où les publics empêchés se privent volontairement
d'opportunités culturelles qui pourraient enrichir leur vie. De plus, la stigmatisation peut
entraîner une invisibilisation de ces publics dans la sphère culturelle. Les représentations
médiatiques et les politiques culturelles peuvent ne pas tenir compte de leurs besoins, de leurs
intérêts et de leurs perspectives, renforçant ainsi leur marginalisation. Les publics empêchés
sont ainsi privés de leur droit à participer pleinement à la vie culturelle de la société.

Pour contrer la stigmatisation des publics empêchés, il est essentiel de mettre en place des
politiques publiques inclusives et de développer des initiatives visant à favoriser leur accès à
l'art et à la culture. Il est nécessaire de reconnaître et de valoriser la diversité des pratiques
culturelles, en promouvant une pluralité de formes artistiques et en encourageant la
participation active de ces publics dans la création et la diffusion culturelles.

De même, il est primordial de développer des actions de sensibilisation et d'éducation


culturelle qui permettent de déconstruire les préjugés et de lutter contre les stéréotypes. En
donnant aux publics empêchés les moyens de s'approprier la culture et de se sentir légitimes
dans leur participation, on favorise leur émancipation et leur intégration sociale.

En somme, comme nous l’avons montré dans cette première partie, la prime-socialisation reçu
par toute individu qui composent la société détermine la richesse de son capital culturel et la
nature de ses habitus. Cependant, l’école favorisant un certain comportement social
correspondant à celui des classes dominantes, exclues les masses. Les élèves populaires ne
parvenant pas à se mettre à distance du système d’enseignement pour apprendre des choses ou
pour obtenir de bonne note échouent ce qui créer un plafond de verre immense au-dessus
d’eux. Condamné au déterminisme de la reproduction sociale, les publics empêchés voit tout
espoir de mobilité sociale annihiler sans qu’on ait un jour véritablement tenté de leur
transmettre l’amour de l’art. Les publics empêchés, rejettent non seulement cette culture
dominante qui leur semble si lointaine et qui les stigmatise tout en s’autocensurant l’accès à

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ses institutions. Dans cette deuxième partie, nous allons nous interroger sur les politiques
publiques et les comportements à adopter afin de combattre cette problématique qui mène à
une grande fracture sociale.

II. Redéfinir l’égalité par la médiation : le défi d’une


France méritocratique :

Mon projet de parcours civique, s’est véritablement articulé autour de la recherche de projet et
l’action concrète de médiation. Si je ne comprenais pas vraiment ce besoin que j’avais d’aidé
autrui au début de mon parcours civique, j’ai rapidement su après ma première expérience de
terrain que c’était une volonté profonde de partager ma passion pour l’art mais aussi d’une
profonde éthique humaine et morale. Je conçois désormais mon action durant ces trois ans de
parcours civique comme une recherche constante de projet de rencontre avec le public, de
connections et de transmission. C’est en sens que dans cette seconde partie, nous nous
intéresserons à qui sont les acteurs potentiel du changement, quelles sont leur rôle et que
peuvent-ils faire afin d’accroître l’intégration sociale des publics empêchés, de garantir une
certaine méritocratie et de transmettre le goût à l’art.

a) De l’école à la maison : le rôle de l’éducation national

Dans la continuité de son ouvrage Les héritiers Bourdieu écrit en 1966 l’article La
transmission de l’héritage culturel. Il y souligne l’importance de rationaliser l’école et de
corriger les mécanismes de favorisation des étudiants des classes hautes. C’est aussi ce que
nous défendons corps et âme dans le secteur du développement des publics et de l’action
sociale. La réussite scolaire est le facteur par excellence de la mobilité sociale mais
malheureusement l’origine sociale et le capital culturel des familles pèsent un poids très lourd
sur cette réussite comme nous le montrions précédemment. Il y a donc une véritable nécessité
de réformer l’école par des politiques publiques éducatives et volontaristes.

Si l’on souhaite offrir une école méritocratique où chaque individu est en mesure de choisir
son métier, son niveau d’étude grâce à sa réussite scolaire, il faut déconstruire le système
éducatif et le favoritisme de la culture extra-scolaire des élèves des classes supérieures créant
ce déterminisme social. Par la déconstruction de cette discrimination sociale, on permet de
rééquilibrer les systèmes de notations, de remettre les élèves sur un pied d’égalité et donc
d’empêcher une certaine violence symbolique qui pourrait conduire à l’(auto-)censure de la
part des élèves eux-mêmes. On augmente ainsi non seulement le niveau d’obtention du bac en
se focalisant sur des bases d’enseignements enseigner à l’école ce qui permet aux publics de
ne pas abandonner l’école et d’atteindre le supérieur mais aussi de facilité leurs apprentissages
des codes sociaux afin de favoriser leur mobilité sociale.

L’école française a besoin d’une prise de conscience et a besoin de former ses professeurs afin
de remplir sa fonction essentielle : la formation. L’école ne peut et ne doit plus se comporter
plus comme une institution de conservation sociale, de sélection et d’assignation en
déterminant le destin social des individus. L’école doit être réformé afin d’apprendre à traiter

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en inégaux les inégaux et à ne plus considérer comme des conséquences de qualités
intellectuelles (individuelles), le succès des élèves issues de milieux privi légiés et les échecs
des autres.

Il faut que le système éducatif français, repense le système de notation en sensibilisant ses
professeurs qui ne sont souvent inconscient de la discrimination dont ils font preuve et en
incorporant comme le reconnaît déjà l’OCDE2, même s’il continue à en taire le nom, la force
du concept de capital culturel. De la même manière que le classement PISA incorpore des
indices de statut économique, social et culturel intégrant les propositions du sociologue Paul
Lazarsfeld. En ce sens, l’école française devrait tout autant prendre en compte le niveau
d’étude des parents, leur position socioprofessionnelle, l’accès à l’art, internet et le nombre de
livres présents au domicile afin de cerner les conditions de vie des étudiants et d’accompagner
de la meilleur des manières les élèves dès leur plus jeunes âges (maternelle et école primaire)
car il convient de rappeler que l’amour de l’art tout comme l’amour de l’école naît durant
notre primo-socialisation. Et d’ailleurs, bien que la rationalisation de l’école et l’abolition du
système élitiste récompensant des qualités sociales et pas des qualités scolaires est
nécessaires, l’autre politique publique à mettre en œuvre et la transmission d’un
comportement chez les enfants par l’école si la famille n’a pas la capacité de le faire par faute
de moyen, si la situation géographique et territoriale les en empêchent ou si le capital
culturelle des parents n’est pas suffisant. Comme nous pouvons l’observer dans la note
d’analyse sur la géographie de l’ascension sociale de France stratégie en partenariat avec
l’Insee (annexe 3), les chances d’ascension sociale des individus d’origine populaire varient
considérablement en augmentant presque d’un facteur double selon leur situation
géographique et leur département d’étude. Malgré la massification de l’enseignement
supérieur, il existe des trous noirs de la promotion sociale et ces régions sont spécifiquement
celles ou l’offre artistique et culturelle et la plus riche. On retrouve notamment l’Ariège ou le
Poitou-Charentes avec seulement 25% de mobilité sociale, où l’offre culturelle s’apparente à
un désert en comparaison à l’île de France où se trouve la majorité de l’offre culturelle
française où le taux de mobilité sociale et de plus de 45%.

Pour lutter contre cela, il faut que l’éducation nationale intègre tous les territoires à ce combat
pour la culture avec la création d’une classe de culture générale dès la moyenne et grande
section en multipliant les subventions pour accompagnés les scolaires dans les lieux de
culture. L’âge est très important puisqu’il s’agit de classes où toutes les populations et
groupes sociaux fréquentent le même environnement et possède le même tronc commun (à
marquer la différence avec le lycée où l’école n’est plus obligatoire et où il y existe de
nombreuses voies : générale, pro, technologique…). C’est aussi l’âge de l’apprentissage des
comportements sociaux. La transmission de l’amour de l’art ne peut se faire que si l’on
éduque tous les enfants et surtout ceux dans le besoin durant leur primo-socialisation.
L’éducation nationale doit être en mesure de garantir un capital humain afin d’offrir à chacun

2 2
« Long-standing research finds that the most reliable predictor of a child's future success at school – and, in
many cases, of access to well-paid and high-status occupations – is his or her family. Children from low-income
and low-educated families usually face many barriers to learning. Less household wealth often translates into
fewer educational resources, such as books, games and interactive learning materials in the home. From the
beginning, parents of higher socio-economic status are more likely to provide their children with the financial
support and home resources for individual learning. As they are likely to have higher levels of education, they
are also more likely to provide a more stimulating home environment to promote cognitive development. These
parents may be more at ease teaching their child the specific behaviours and cultural references that are the
most valued at school. Advantaged parents may also provide greater psychological support for their child in
environments that encourage the development of the skills necessary for success at school » (OCDE, 2019, p.
50).

12
de ses étudiant la possibilité d'orienter lui-même sa vie personnelle et sa trajectoire
professionnelle.

De nombreux établissements travaillent déjà sur cette transmission et sur cet apprentissage,
les établissements d’Avignon notamment font un magnifique travail de médiation et de
développement des publics avec le festival In et Off en accueillant chaque année et
gratuitement des artistes dans les écoles, en logeant les compagnies dans les internats des
lycées et en proposant des journées de rencontre entre artistes et élèves afin de leur offrir une
proximité et une intimité tel que la base de transmission pour le goût l’art ne peut qu’être très
féconde.

b) De la maison aux lieux de culture : le rôle du ministère de la culture et de la


responsabilité civil des instituts privés

S’il est vrai que l’éducation nationale joue un rôle important dans cette problématique
sociale, les centres et institutions culturelles l’ont tout aussi. Le rôle d’un musée comme
l’écrivait Jean Cocteau n’est pas seulement de conserver l’histoire mais aussi de la
transmettre, de la partager et de permettre à tous d’en goûter les plaisirs. Il y a en France un
besoin vital d’attribuer plus de financement public au service de médiation culturelle, de
développement des publics et de fidélisation. Les musées, théâtre, opéras et cinéma doivent
rediriger leur politique vers une action d’apprentissage en travaillant intimement avec l’école.
En accueillant les élèves dès la maternelle afin de construire cet habitus primordial à la
réussite scolaire et à l’intégration sociale.

Face à l’échec de la démocratisation culturelle, il faut combattre l’exclusion du « non-public »


pour reprendre l’expression de Villeurbanne. La politique de démocratisation culturelle doit
passer (non seulement) par l’action des maisons de quartiers qui connaissent le public dans
lesquels les jeunes se sentent à l’aise, compris et en sécurité en proposant des sorties
artistiques aux jeunes. Mais aussi par le déplacement des acteurs de la culture dans les
environnements où la culture légitime est absente.

On peut fonder l’action culturelle sur la confrontation vivante avec les œuvres, sans qu’il y ait
besoin de médiation mais tout autant fonder l’action culturelle sur la confrontation entre les
médiateurs et les publics empêchés sans qu’il y ait d'œuvres. Ce qui compte c’est de donner le
goût, de soulever un intérêt chez l’individu, d’attiser sa curiosité afin qu’il émette le souhait
de (re)venir dans un lieu d’art.

Les institutions culturelles doivent aussi permettre aux individus ne possédant pas un capital
culturel considéré comme légitime de sortir de l’auto-censure et de leur insécurité en
désacralisation la « culture bourgeoise ». En s’engageant dans la préservation de tout type
d’art, le Hip Hop, le graff et ce, pas seulement quand ces segments artistiques s’adaptent aux
codes des musées ou de l’art blanc. Certains artistes ou auteurs comme Kader Attou ou
Angelin Preljocaj, luttent déjà contre ce phénomène et pour un accès à la culture pour tous.
Des mouvements artistiques sont même le fruit du mariage entre un art dit populaire et un
autre dit plus inaccessible comme le mélange très fréquent entre le Hip hop et la danse
contemporaine où le graff est l’art moderne. C’est justement par le biais de ces genres
artistiques qu’il faut introduire le monde de l’art aux publics empêchés afin de construire un
intérêt fécond à l’art et de commencer à donner les codes et les clefs de compréhension de
l’Art légitime aux populations défavorisées. Il faut aussi intégrer les créations qui émanent de

13
leur milieu comme de l’art à part entière même si elles ne correspondent pas à ce que nous
avons l’habitude de voir dans un lieu classique en proposant des expositions exclusivement
consacrées à l’art marginal et déviant en abolissant pour un temps les codes de la culture afin
de créer pour ces publics empêchés des lieux accueillants et attirant. C’est aussi cela
l’innovation, amener la population à la culture mais aussi intégrer les nouvelles formes de
cultures qui peuvent émerger. Comme l’écrivait Jean-Louis Fabiani, « la validité
sociologique de cette proposition est universelle ; il n’y a pas de public universel dont on
pourrait saisir les activations empiriques. Le croire conduit inévitablement à l’essentialisation
du public en tant qu’il exprime une entité sociale ». C’est donc en distinguant en intégrant tout
les publics et leurs caractéristiques que l’on crée véritablement un mouvement d’action
sociale mature.

Le film Divertimento biographie à peine romancée de la Cheffe d’orchestre Zahia Ziouani est
le reflet de ce besoin d’acceptation de tous les publics dans les institutions culturelles. Dans ce
film, deux sœurs originaires de Seine Saint Denis et issues de l’immigration algérienne
passionnées par la musique classique grâce à l’héritage paternel sont confrontées au rejet
constant des adultes et des jeunes issus de milieux sociaux très différents du leur. Ce film est
le récit d’une lutte pour la passion, un chemin semé d'embûches où l'accès à la culture et à
l’art est tout sauf démocratique et bienveillant. Cette biographie est pourtant le reflet de la
réalité, d’une discrimination sociale et ethnique, une véritable muraille contre laquelle Zahia a
dû se battre toute sa vie. Malgré tout, elle continue encore à défendre l’art qui la tant rejeté, ce
monde qui l’a tant discriminé en enseignant la musique classique et l’opéra à des jeunes de
Seine Saint Denis afin de leur transmettre sa passion, son plaisir et de leur permettre, peut-être
de se libérer de ce déterminisme.

En outre, la France est une des trois nations européennes avec l’Angleterre et l’Allemagne
allouant le budget le plus important à son ministère de la culture avec 11 milliards d’euros de
financement par an. Néanmoins, la part du budget spécifique à la médiation culturelle restait
infime jusqu'à ces dernières années. Le ministère doit réorganiser son budget en priorisant la
subvention d’actions innovantes ciblant spécifiquement des publics écartés de l’offre
culturelle. Les mesures tarifaires en tant que politiques publiques visant à attirer tous les
publics dans les établissements culturels ne sont pas suffisantes, comme nous le développions
précédemment ce sont avant tout des politiques d’apprentissage et de transmission de l’amour
de l’art qui doivent être entreprises conjointement avec les politiques de gratuité, car les
institutions auront beau être gratuite, sans éducation culturelle, le public n’y mettra pas les
pieds.

Depuis le quinquennat de François Hollande, l’amplification de la politique d’éducation


artistique et culturelle semble devenir une réalité concrète. L’éveil et l’éducation artistique
comme nous pouvons le lire dans Projet de loi de finances 2023 du Ministère de la Culture
sont “au cœur des priorités de l’ensemble des structures subventionnées par le ministère de la
Culture”. Il existe désormais une délégation générale à la transmission, aux territoires et à la
démocratie culturelle et cet axe a bénéficié d’un doublement de ses crédits sur le précédent
quinquennat sous le premier quinquennat Macron. Pour reprendre les chiffres du ministère de
la culture, désormais 75% des élèves font désormais l’expérience d’au moins un projet
culturel dans leur année scolaire, soit 9,3 millions d’enfants et adolescents. Plus de 3 écoles
sur 4 et 9 collèges sur 10 ont un partenariat avec une structure culturelle.

Malgré tous les efforts sont à poursuivre, et doivent s'inscrire dans de véritables projets de
territoires, pour tous les enfants et les jeunes dès la naissance, en lien étroit avec les
collectivités locales et les acteurs sociaux sur le long terme. En effet, des projets ponctuels de

14
quelques heures dans un musée ne sont d’aucune utilité et nous avons souvent observé de la
part à la fois des médiateurs culturels et des publics un fort désintérêt pour ce genre de projet.

c) L’identification comme élément clef de la fidélisation du public

Durant mes expériences de stages et d’engagement sur le terrain j’ai souvent fait face à
des situations qui peuvent faire perdre l’espoir. Tout d’abord malgré notre grande volonté
d’établir des projets de médiations, il arrive régulièrement que les projets n’aboutissent
pas ou que nous ne parvenions pas à fidéliser les publics.

Lorsque nous parlons de fidélisation des publics, nous parlons de cette capacité à
transmettre le goût des institutions culturelles aux publics empêchés. En d’autres mots,
nous essayons de construire, déconstruire et reconstruire l’habitus des individus que nous
accueillons.

Lors de la réalisation des projets, nous faisons face à beaucoup d’obstacles. Tout d’abord,
il faut parvenir à faire venir les individus sur le site ou réussir à amener le site à eux. Cela
peut passer par une visite de l’institution ou au contraire par une intervention et une
présentation de notre institution dans leur environnement de vie. Cette première étape est
déjà compliquée puisque nous rappelons que ces individus n’ont pas l’habitude de réaliser
la démarche seuls de visiter une institution ou même d’assister à une conférence, un atelier
bien que l’opportunité se présente au pied de chez eux. Non pas parce qu’ils rejettent les
institutions ou par manque d’intellectualité, mais par lacune d’apprentissage et par
manque d’intérêt.

Le projet de médiation doit donc avant toute chose être attirant, stimulant. A la première
lecture du titre de l’atelier, à la première image, à la première note de notre vidéo de
présentation de l’événement de médiation nous nous devons de stimuler une curiosité, un
appétit chez l’individu. Il faut en d’autres mots que l’individu puisse s’identifier à ce que
nous proposons.

Si pour certains groupes sociaux partageant le goût pour la culture dominante, aller à un
concert de rap est une perte de temps et un manque d’intellectualité et vont même à
décrire la pratique comme stupide, c’est parce qu’ils n’ont pas le goût du rap, qu’ils n’ont
pas grandis dans cette culture et qu’ils ne parviennent pas à s’identifier au lointaines
images qu’ils ont du rap. C’est la parfaite réciproque des publics empêchés, pour qui la
culture dominante et le conformisme sont en parfait opposition avec leur habitus et qui ne
trouve que très peu d’intérêt dans la visite d’un musée.

Comme je le disais auparavant, l’identification est donc primordiale dans la prise de


contact avec les individus mais elle l’est tout autant dans la réalisation des ateliers et dans
la fidélisation du public. Si nous souhaitons que les individus prennent du plaisir,
s'épanouissent dans un environnement qu’ils ne connaissent pas, qu’ils en tombent sous le
charme et qu’ils prennent l’habitude d’y revenir de leur plein gré sans notre stimulation,
alors il nous fait trouver comment y parvenir.

Il est donc de notre devoir de définir et d’exploiter ces moyens d’identification. Une fois
l’identification des publics empêchés faites, chose aisément réalisable grâce au travail de
Pierre Bourdieu mais plus globalement de toute la sociologie des publics qui a émergé en

15
France avec Gabriel Tarde et Gustave Le Bon en passant par les Cultural Studies
d’Hoggart et Passeron. (Annexe 6). Notre devoir en tant que médiateur c’est de
comprendre comment lier leur expérience, ce qui stimule aux plus profond d’eux-mêmes
les individus et notre institution.

Afin d’illustrer notre propos, nous aborderons le cas d’un atelier animé par le service
développement des publics aux archives nationales de France. L’atelier de médiation se
construisait autour de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen dont l’ouvrage
original se situe aux Archives Nationales. Durant une semaine, des comédiens du théâtre
Gérard Phillipe de Saint-Denis sont intervenus auprès d’un public très divers,
essentiellement issus de quartiers HLM de Saint-Denis, Pierrefitte et Evry… en étroite
collaboration avec l’équipe des Archives afin de proposer un travail sur cette DDHC.

La direction que notre équipe avait choisi de prendre, était celle de l’identification, se
posant la question suivante : Comment créer un atelier qui permettrait d’introduire et
d’expliquer la DDHC aux individus que nous accueillons en puisant dans leur expérience
tout en leur transmettant l’envie de revenir aux Archives grâce à la création de souvenir.
Pour y parvenir, nous avons donc créé un atelier de découverte et d’improvisation
théâtrale. Cet atelier tentait de plonger dans l’expérience personnelle de tous les
participants par l’improvisation en leur faisant jouer des moments de leur vie où les
articles de la DDHC auraient ou n’auraient pas été respectés. Tout cela, se déroulant en
plein milieu du site des archives, ce qui a permis aux participants de découvrir de
nombreux textes d’époques comme le document original de la DDHC.

Par ce biais, les participants ont pu faire un lien entre leur expérience personnelle, pour
beaucoup la souffrance de discrimination dû à leur race, genre, origines sociales, et la
DDHC qui pour eux n’était qu’un vieux bout de papier. Ils ont pris conscience de
l’importance de préserver l’histoire mais aussi l’importance d’un document comme celui -
ci pour leurs droits. Les participants ont même appris par cœur des articles de la DDHC à
force de les jouer et ont pu peu à peu les comprendre. La création de souvenir crée une
attache entre eux et le site ou l’institution culturelle qui les accueille ce qui favorise leur
visite régulière à posteriori.

De la même manière durant mon stage au musée Sainte-Croix de Poitiers, le long et


ambitieux projet que j’ai créé pour la division médiation culturel se construisait sur cette
idée d’identification. Le travail autour des artistes féministes engagé des Guérilla Girls
avec des femmes de tout âge avait vraiment pour objectif de trouver un moyen
d’introduction au monde de l’art et à la culture des femmes aux expériences si riches mais
si c’est difficile. L’expression du corps, l’empathie qui devait se construire entre elles et la
volonté de faire du musée est lieu sure et de production artistiques pour elles permettait
aux participantes de se sentir confortable et d’éprouver du plaisir dans le fait de (re)venir
au musée.

Conclusion :
La démocratisation culturelle est un vecteur d’émancipation des citoyens, il est donc du
devoir de l’Etat, des acteurs privé et publics, des acteurs sociaux et d' institutions
16
culturelle de permettre, comme le souhaitait André Malraux d’offrir à toutes les classes
sociales, et spécialement à celles qui font face à des barrières culturelles, sociales et
économiques, l’accès à l’offre culturelle française et de leur enseigner l’amour de la
culture perçue comme légitime par notre société : beaux-arts, opéra, sculpture théâtre etc
mais pas uniquement.

En effet, nous avons montré au long de cette policy note que l’amour de l’art légitime ne
relève pas seulement des goûts et des plaisirs individuels et que l’importance de posséder
cette aptitude à apprécier la culture dominante pour son intégration sociale et son
ascension sociale soulève de nombreuses questions d’ordre moral et politique.

Dans un premier temps, nous avons tenté, grâce à la revue de la littérature sociologique et
économique qui a entrepris depuis 60 ans l’analyse des mobilités sociales et grâce à mon
expérience personnelle, de mettre en lumière la causalité entre réussite scolaire et mobilité
sociale.

Nous en avons conclu que l’absence de transmission d’un certain habitus consistant en
l’amour de l’art et la fréquentation des lieux de cultures, ainsi que les codes pour
comprendre, de l’enfant pendant sa primo-socialisation dans l’environnement familiale ou
à l’école et les lacunes en capital culturel des individus les condamnés à échouer dans le
système scolaire français. En effet, dans un second temps nous avons montré de quelle
manière l’école en France favorise les enfants provenant de milieux favorisés avec un
important capital culturel en abandonnant les plus défavorisés en considérant leur lacune
en termes de patrimoine culturel légitime comme un manque d’intérêt et de curiosité
intellectuelle. Lacune qui, n’est, comme nous l’avons souligné dans un troisième temps,
que la terrible conséquence de la double exclusion des institutions et de l’individu lui -
même des lieux de cultures et de la transmission sociale condamnant les individus à un
isolement social et à un mobilité ascendante inaccessible.

Puis dans une seconde partie, nous avons tenté de souligner le rôle primordial de l’Etat
français et des politiques publiques inclusives et réfléchies concernant l’accès à la culture
et la notion de culture légitime. Nous avons insisté sur la nécessité de déconstruire le
mythe de la culture légitime en prônant l’inclusivité artistique et l'exigence de rassembler
les enfants habitant en France autour d’un même bagage culturel et artistique afin de
réduire les inégalités scolaires, de renforcer la cohésion sociale et l’intégration de touste
dans l’optique de proposer une liberté de mobilité sociale des individus. Néanmoins, nous
avons aussi mis en évidence le rôle des institutions culturelles, des acteurs sociaux et des
acteurs privés du monde de l’art d’entreprendre un travail de médiation, de développement
des publics en emmenant l’art au public plutôt que de tenter de faire venir ces publics
empêchés dans des institutions dans lesquels ils s’autocensurent l’accès. Enfin, nous avons
souhaité apporter une proposition personnelle concernant les méthodes de médiation en
prônant l’identification, l’empathie et l'introjection entre l’œuvre artistique ou historique
et les individus afin de favoriser le développement et la fidélisation de tous les publics
dans les institutions culturelles françaises.

BIBLIOGRAPHIE :
• Bourdieu, Pierre. 1984. La Distinction : Critique Sociale du Jugement. Paris: Les
Éditions de Minuit.

17
• Bourdieu, Pierre et Darbel, Alain. 1969. L'Amour de l'art. Les musées d'art européens
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• Burgelin, Olivier. 1966. "Pierre Bourdieu. Un art moyen, Essai sur les usages sociaux
de la photographie." In Communications, 7: Radio-télévision : réflexions et
recherches, 165-168.

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Labor Economics 3, 1801-1863.

• Code de l'éducation. Replier Partie législative (Articles L111-1 à L977-2). Replier


Première partie : Dispositions générales et communes (Articles L111-1 à L257-1).
Replier Livre Ier : Principes généraux de l'éducation (Articles L111-1 à L167-1).
Replier Titre Ier : Le droit à l'éducation (Articles L111-1 à L114-1). Chapitre Ier :
Dispositions générales. (Articles L111-1 à L111-6).

• Dewey, John. 1927. Le Public et ses problèmes. Traduit de l'américain par Jacques
Zask. Paris: Gallimard, 2010.

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Sociologie des publics, 45-64. Paris: Armand Colin.

• Esquenazi, Jean-Pierre. 2003. Sociologie des publics. Paris: Éditions La Découverte.

• Fabiani, Jean-Louis. 2004. "Publics constatés, publics inventés, publics déniés. Les
sciences sociales et la démocratisation de la culture." In Enseigner la musique, 6/7, 65-
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Program." Journal of Public Economics 94, no. 1-2: 114-128.

• Journal officiel de la République française. Lois et décrets (version papier numérisée)


n° 0171 du 26/07/1959 - Texte en accès protégé.

• Laplace, Maryline et Salmet, Ariane. 2018. "Comment le ministère de la Culture fait -il
de la médiation culturelle?" In Observatoire des politiques culturelles | «
L'Observatoire » 2018/1 N° 51, 16-18.

• Lombard, Alain. 2020. "Chapitre VI. Faciliter l'accès de tous à l'art et à la culture." In
Le ministère de la Culture, 105-120. Paris: Éditions Odile Jacob.

• Pedler, Emma. 2003. Entendre l'opéra. Une sociologie du théâtre lyrique. Paris:
Éditions L'Harmattan.

18
Annexes :

Annexe 1. The Effect of the UCSC Economics GPA Threshold on Annual Wages
Note: Each circle represents the mean 2017-2018 wages (y axis) among 2008-2012 UCSC
students who earned a given EGP A in Economics 1 and 2 (x axis). The size of each circle
corresponds to the proportion of students who earned that EGP A. 2017-2018 wages are the
mean EDD-covered California wages in those years, omitting zeroes. Wages are CPI-adjusted
to 2018 and winsorized at 2% above and below. EGP As below 1.8 are omitted, leaving 2,446
students with observed wages. Fit lines and beta estimate (at the 2.8 GPA threshold) from
linear regression discontinuity specification and instrumental variable specification (with
majoring in economics as the endogenous variable); standard errors (clustered by EGP A) in
parentheses. Sources: The UC-CHP Student Database and the CA Employment Development
Department - Source: Bleemer and Metha AEJ: Applied 2021

19
Annexe. 2 : Analyse économétrique du taux de diplômé du supérieur et de mobilité
ascendante parmi les enfants de classes populaires, par département de naissance. Source
Insee.

Annexe. 3 : Répartition en diagramme des financements du secteur de l’Art par le ministère


de la culture.

20
Annexe. 4/5 : Respectivement visite des musées par catégorie sociale et d’âge. Source :
Centre d’observation de la société.

Annexe 6 :
L’espace social selon
Pierre Bourdieu

21
Annexe 7. Taux de mobilité
ascendante en fonction du
taux de diplômé du
supérieur par Région.
Source : Insee.

22

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