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L’EDUCATION POPULAIRE, ENJEU DE SOCIÉTÉ ?

UNE
CONTRIBUTION D’ANDRÉ JOURDES

André Jourdes est un militant de longue date de la Ligue de l’enseignement. Il a


notamment été secrétaire général de la Fédération des Oeuvres Laïques du Lot et
Garonne de 1976 à 1992, membre du Conseil d’administration national de la Ligue
de l’enseignement à partir de 1990, membre de son bureau de 1997 à 2011. Il
est depuis cette date vice-président d’honneur de la Ligue. Il a en particulier été le
rapporteur de deux questions de congrès. Il a présenté au congrès de Nancy en
1998 un rapport intitulé: « Pourquoi et comment militer avec la Ligue ? » et au
congrès de Lyon en 2004 un rapport intitulé « Agir et décider en citoyen d’Europe ».
Il nous propose aujourd’hui une contribution étoffée à la question de congrès sur
l’Education populaire à partir d’une de ses interventions à l’IUFM d’Aquitaine.

L’Education populaire, enjeu de société ?


Du rêve ambitieux d’une République à naître à la nécessité de faire société pour
une issue démocratique à la crise inédite de notre temps

Résumé: Questionner l’éducation populaire, c’est découvrir des idées fondatrices


fortes, des formes diverses d’engagement de citoyens volontaires à différents
temps de notre histoire, des pratiques originales qui anticipent, accompagnent,
mettent en œuvre des politiques publiques ou parfois s’y opposent.

Le temps des idées fondatrices :

Le rêve des lumières :


Diffuser les connaissances (l’Encyclopédie).
L’ambition de Condorcet: L’instruction publique premier devoir d’une République.

Le temps des militants:

Avec l’irruption du suffrage universel , c’est la mobilisation pour l’ Ecole laïque,


initiative condamnée par l’Eglise, puis c’est la création d’un courant catholique
concurrent ;
Dans l’industrialisation et la montée de la question sociale, c’est l’apparition d’un
courant éducatif ouvrier autour des bourses du travail et des syndicats, un autre
inspiré par le catholicisme social.
Sous le front populaire, ce sont les initiatives pour l’accès au loisir, et rendre la
culture populaire dans la dynamique de nouvelles politiques ; puis un mouvement
issu de la Résistance inspire à la Libération une politique publique d’éducation
populaire et une floraison de grandes associations.

Le temps des animateurs et de leur professionnalisation :

Dans la période de modernisation de la France, entre « civilisation des loisirs » et


professionnalisation de la vie sociale (formation permanente, culture), ce sont de
nouvelles initiatives, l’émergence de l’animation socio culturelle dans les ruptures de
1968, le débat sur les politiques publiques d’éducation permanente, de
développement culturel et la professionnalisation de l’animation socio culturelle
des années 70.

Le temps de la vie associative composante de l’économie sociale dans la


décentralisation :

Avec la décentralisation, le nouveau rôle de l’Etat, c’est une place à trouver pour les
associations dans les politiques contractuelles : d’aménagement du temps de
l’enfant, du temps libre, de la culture, dans la lutte contre l’exclusion, de la politique
de la ville et dans celle des collectivités territoriales…

Le temps du point aveugle de l’éducation populaire :

Apogée de la société de consommation, alors que la citoyenneté est interrogée par


les bouleversements de notre monde et la montée des exclusions : libéralisation et
mondialisation économique, mutations technologiques , révolution numérique, laïcité
et vivre ensemble dans une société plurielle et inégale , construction européenne et
enjeu de l’économie de la connaissance, accélération des échanges transnationaux,
menaces sur le climat et l’environnement…

Le temps des difficultés :

A l’heure de la généralisation des rapports marchands, de la redéfinition de la


légitimité des financements publics et de leur diminution , c’est l’ originalité de
l’intervention volontaire de citoyens associés entre marché et commande publique
qui est niée , c’est leur contribution originale aux politiques publiques notamment
éducatives qui est mise en cause.

Le temps de l’impérieuse nécessité de faire société pour construire une issue


démocratique à une crise inédite :

l’indispensable éducation populaire Cette crise où les institutions sont contestées


et les individus fragilisés par la perte de repères, pose à nouveaux frais la question
du rôle de l’éducation populaire pour faire société autour de principes qui fondent
notre « vivre ensemble ».

Faire société appelle à renouveler les pratiques démocratiques, rebâtir l’action


publique, développer une volonté de reconnaissance de chacun, repenser les
solidarités dans une société d’individus ; à cette fin refonder l’école de tous et mieux
organiser la formation tout au long de la vie ; mettre la laïcité à l’épreuve de
l’interculturel ; relever les défis de la société numérique, de la transition vers un
développement durable, de la démocratie participative, de la réappropriation d’une
réelle citoyenneté afin de peser sur les indispensables régulations politiques et
financières dépassant le cadre national pour un avenir démocratique, solidaire et
pacifique …
Education populaire, Enjeu de société ?
Merci tout d’abord de m’avoir invité à ce séminaire de l’IUFM d’Aquitaine, au
moment où l’importance de l’Ecole Publique vient d’être récemment réaffirmée
refermant une période particulièrement noire .pour aborder avec vous le thème :
Education populaire, enjeu de société.

J’ai la faiblesse de penser que ce détour, cette interrogation vient à son heure :
Parce que se rouvre le chantier d’une réelle formation des enseignants pour une
nouvelle génération (près de 50% des enseignants prendront leur retraite dans les
10 ans à venir),parce que nous vivons dans un monde marchand qui a tendance à
ne reconnaître toute structure, fut elle éducative ou associative, qu’aux seules
prestations de service fournies.

Quand le présent s’obscurcit, quand le futur est incertain, la perte de mémoire par
les associations, la méconnaissance par les citoyens et les pouvoirs publics de ce
qui a fondé et fonde leur action volontaire sont dramatiques non seulement à l’égard
des enjeux de société auxquels elles ont voulu répondre et mais surtout à l’égard de
ceux que nous devons affronter.

A ce plaisir se mêle une part d’appréhension car traiter de l’Education populaire


c’est traiter d’un objet dont le concept est ambigu, de pratiques diverses dans
différents domaines de la vie sociale, autour de l’école ou dans la cité ; c’est
interroger un mot à connotation passéiste pour certains mais qui réapparaît au cœur
de récents travaux de recherche et fait l’objet d’un regain d’intérêt. La Ligue de
l’enseignement en a fait le thème de sa prochaine « question de congrès » Un fil
rouge, une constante s’y révèlent : Elle s’est illustrée comme un courant d’idée qui
milite pour l’accès du plus grand nombre aux savoirs et à la culture afin que chacun
puisse être acteur de sa vie, épanouir ses possibilités, exercer ses responsabilités et
sa pleine citoyenneté. Elle repose sur une démarche volontaire, une participation à la
vie associative permettant d’acquérir ou de développer les capacités à vivre en
société : écouter, prendre la parole, s’exprimer en public argumenter et débattre,
s’organiser et entreprendre avec les autres. L’éducation populaire c’est aussi un
agrément que peuvent obtenir des associations, et c’est aussi … des lignes de crédit

J’ai choisi de vous inviter à un survol très schématique au fil du temps : du rêve
ambitieux pour une République à naître, à la nécessité de faire société aujourd’hui
pour construire une issue démocratique aux crises actuelles. J’ai conscience des
risques de simplifications de cette approche et peut être des difficultés à s’y repérer
pour les non familiers du sujet, espérons que nous pourrons les dépasser. Le mot
éducation populaire apparaît et prend toute sa dimension à la Libération, mais ce
mouvement s’est manifesté au cœur du xix ème siècle et ses fondements
historiques en tant que mouvement d’idées remontent aux Lumières et à la
Révolution

Le temps des fondements

Les Encyclopédistes veulent rendre les Lumières accessibles à tous Diderot et


d’Alembert avec la publication de l’Encyclopédie disent vouloir « Rassembler les
connaissances éparses à la surface de la terre, en exposer le système général aux
hommes avec qui nous vivons, et les transmettre aux hommes qui viendront après
nous afin que le travail des siècles passés n’ait pas été inutile pour les siècles qui
viendront et que nos descendants devenant plus instruits, deviennent en même
temps plus vertueux et plus heureux et que nous ne mourions pas sans avoir bien
mérité du genre humain » Si ce travail a une forte influence sur les élites de
l’époque, le peuple illettré n’y a pas accès.

Condorcet
Condorcet conçoit un idéal éducatif : l’instruction publique doit être le premier
devoir d’une société républicaine
Dans le rapport qu’il présente le 21 avril 1792 à l’assemblée nationale il déclare «
Puisque l’instruction libère les hommes de l’ignorance, elle doit être aussi universelle,
égale et complète que possible. Universelle pour les enfants, égale pour les femmes
et les hommes, les pauvres et les riches, permanente pour les adultes : telle doit être
l’éducation qu’une Nation libre proposera pour former des citoyens libres, égaux et
fraternels…. …Il s’agit de préparer des hommes qui connaîtront leurs droits et qui
n’obéiront qu’à leur raison seule, pour éviter que le genre humain reste partagé
entre deux classes : celle des hommes qui raisonnent, celle des hommes qui
croient. Celle des maîtres et celle des esclaves ».

Ce rapport ne sera pas adopté à cause de la déclaration de guerre à l’Autriche qui


est décidée ce même jour. Il faudra attendre, pour voir se concrétiser un début de
généralisation de l’ instruction de base (pas forcément publique) la loi Guizot de
1833, qui imposera aux communes de plus de 500 habitants d’entretenir une école et
aux départements de se doter une école normale d’instituteurs

Le temps des militants

Ce sont l’Ecole et la laïcité qui vont être au cœur de l’affrontement politique


lors de la proclamation de la République et du suffrage universel (masculin)
Le 24 février 1848 le suffrage universel est proclamé. Jean Macé déclare « Je
n’oublierai jamais l’impression étrange, mélange de joie folle et de terreur secrète
que me fit cette apparition subite du suffrage universel » …il aurait fallu 30 années
d’instruction obligatoire pour préparer cela (C’est-à-dire faire face à l’augmentation
du nombre de votants qui passera en effet de 246 000 à 9 millions)
Jean Macé
La conséquence du premier vote : le retour à l’Empire, l’incitera à lancer un appel
pour la création d’une Ligue de l’enseignement pour développer l’instruction publique
Il invite à lutter contre l’ignorance par des cercles locaux avec leurs bibliothèques,
leurs conférences, leurs cours d’adultes. Il s’agit d’actions des plus modestes mais
animées par une très grande ambition : « il s’agit de s’associer dans un but
essentiellement politique, ne s’occuper ni de politique, ni de religion, ne s’occuper
que de l’éducation au suffrage universel, non pour faire des élections, mais des
électeurs non pour faire des candidats mais des citoyens »

Cette initiative se heurtera à l’opposition des conservateurs et à une condamnation


forte de l’Eglise catholique. Puis celle-ci créera ensuite l’association catholique de la
Jeunesse française (ACJF) pour garder l’éducation sous l’influence de la morale
chrétienne et disputer le patronage de la jeunesse de France aux républicains Les
protestants développeront l’école du dimanche. Les pétitions nationales que lancera
la Ligue pour une école laïque gratuite et obligatoire mobiliseront les élus locaux et
départementaux favorisant le vote des lois scolaires à l’arrivée des républicains au
pouvoir Ainsi se réalisera le premier palier de l’instruction publique, engagement
qu’avait pris Jules Ferry en 1870 en se référant à Condorcet

C’est la lutte du mouvement ouvrier pour sortir de la misère et transformer ses


conditions de vie, dans l’essor de l’industrialisation et la montée de la question
sociale : Depuis la loi Le Chapelier interdisant toute coalition, les syndicats étaient
interdits.

Des associations philanthropiques constituent les premières associations de secours


mutuels qui deviendront les mutuelles pour faire face aux accidents ou aux malheurs
de la vie ; la lutte pour l’amélioration des conditions de travail et de vie amènera
après de longues années de revendications la reconnaissance des syndicats. Les
coopératives seront une tentative d’alternative aux rudes conditions du prolétariat. Au
cœur de la Révolution de 1830, l’association polytechnique s’était créée pour
développer l’éducation des ouvriers. Mais ce sont les bourses du travail qui seront
le lieu essentiel où les ouvriers se forment et s’émancipent aussi par l’action
syndicale. Un syndicalisme révolutionnaire appelle à un projet de transformation
sociale plus radical, interrogeant le bien fondé de l’école de la bourgeoisie pour la
promotion de la classe ouvrière : «ne devrait-on pas élever les enfants dans les
valeurs propres à la classe ouvrière ?». Par ailleurs autour du journal le Sillon se
créera un mouvement d’éducation populaire se réclamant du catholicisme social

Sur fond d’antisémitisme passionnel, l’affaire Dreyfus verra l’affrontement virulent de


deux « France » autour de principes moraux et philosophiques fondamentaux
inconciliables. Elle interpelle l’idée de justice et révèle la faible diffusion de l’exigence
des droits de l’homme (ce qui amènera à la création de la Ligue des droits de
l’homme ) et la fragilité de la pénétration des valeurs de la République dans la
population adulte. Des universitaires se mettent au service du monde ouvrier pour
combler ce fossé: ce sera pendant quelques années le temps des Universités
Populaires qui s’essouffleront face à des préoccupations divergentes.

L’essentiel est bien en effet le changement des représentations et l’évolution des


mentalités. A l’inauguration du monument en hommage à A. Fallières en 1937, le
député de Lot et Garonne rappelle ces temps : « La masse du peuple, tour à tour
indifférente ou agitée par des espérances grandioses était ignorante des éléments
mêmes de sa condition et ne percevait les limites ni de ses droits ni de ses devoirs.
Le passé survivait à l’abrogation des lois dont avaient vécu les siècles écoulés. Les
religions ne s’étaient pas encore dégagées des fantômes politiques qui mêlés à leur
vie, s’en étaient servi ou les avaient servies, et les hommes mélangeant
inconsciemment les valeurs éternelles et les forces de domination qui en
paraissaient inséparables, les dressaient contre la République »

La Ligue met dorénavant l’accent sur l’éducation républicaine en dehors de l’Ecole.


Les Semaines Sociales de France feront connaître la pensée sociale chrétienne.

Des années durant, des centaines de conférenciers de la Ligue parcourent tous les
soirs le pays pour populariser l’idée qu’une république peut être fondée en raison
par des citoyens égaux en droit sans avoir besoin de recourir à une transcendance
pour son organisation Cette action favorisera l’adoption de deux lois fondamentales
celle de 1901 sur le droit d’association, celle de 1905 séparation des Eglises et de
l’Etat. Par ces interventions et des actions quotidiennes les campagnes seront
gagnées à la République

Durant la guerre de 14-18 s’instaure l’union sacrée contre l’ennemi extérieur, mais à
la fin de la guerre les affrontements des deux France reprennent. Le militantisme
enseignant succède à celui de notables éclairés. L’Ecole par les activités péri et post
scolaires devient le centre de la vie éducative sociale et culturelle de communes ou
de quartiers : Les amicales laïques ouvertes aux milieux populaires, réunissent
enseignants parents et amis de l’Ecole pour la soutenir, la défendre et compléter son
action par des activités éducatives ,culturelles, et sociales pour l’accueil de tous les
enfants. et des cours d’adultes La Ligue devenue confédération générale des
œuvres laïques d’éducation et de solidarité sociale anime au travers de ses
fédérations départementales des réseaux d’activités spécialisées UFOCEL cinéma
éducateur laïque, UFOLEA activités d’éducation artistiques UFOLEP (éducation
physique et sport) UFOVAL (colonies et œuvres de vacances).L’UFCV fédère les
œuvres de vacances proches de l’Eglise catholique. Parallèlement pour répondre
aux besoins matériels et moraux des 300 000 orphelins de guerre fréquentant l’Ecole
publique des militants créent une grande œuvre de solidarité les Pupilles de
l’Enseignement public.

L’Eglise catholique organise l’ACJF par milieu de vie : jeunesse agricole catholique
jeunesse étudiante chrétienne, jeunesse ouvrière catholique dont l’action formera
les cadres du courant du catholicisme social.
Du traumatisme de la grande guerre naîtront de nouvelles initiatives, les
mouvements d’éducation nouvelle. Devant les haines nationalistes manifestées lors
du premier conflit mondial et ses drames humains, des éducateurs ont ressenti
l’importance de l’école pour l’éducation à la paix : Il s’agit d’affirmer les droits des
enfants à l’existence en tant que personne, de créer les conditions de leur libération
et de leur autonomie « Comment pouvons nous accomplir ce miracle de préparer
des enfants à être de libres citoyens, en leur apprenant 20 ans durant à n’être que
des sujets soumis à une autorité extérieure ? »

Parce que chacun est éducable, ces mouvements veulent privilégier la découverte,
l’expérimentation, les démarches favorisant l’autonomie, la pratique individuelle de
l’activité, le travail manuel comme instrument de développement de l’intelligence «
comprendre c’est se sentir capable de faire », l’organisation coopérative de la vie
scolaire. C’est la naissance de l’Ecole moderne Freinet, la création du GFEN, de
l’Office central de la coopération à l’école et aussi des Equipes Sociales.

Sous le Front Populaire, c’est avec l’importance donnée à l’éducation, la


reconnaissance par les pouvoirs publics des initiatives pour « aller vers la vie
» par le temps des loisirs et pour rendre la culture populaire

Jean Zay
Avec Jean Zay (1) le ministère de l’instruction publique s’élargit à l’éducation
nationale et aux Beaux Arts (création du Palais de la découverte, du Musée des arts
et des traditions populaires). L’obligation scolaire sera prolongée jusqu’à 14 ans,
l’éducation physique entre dans les horaires, création de l’USEP commission
sportive scolaire de l’UFOLEP. Avec les congés payés Léo Lagrange sous secrétaire
d’Etat encourage le développement des loisirs sportifs touristiques culturels, il invite
à la popularisation du cinéma, de la lecture, du théâtre.
Alors que dans des pays voisins s’organise l’embrigadement de la jeunesse, il
affirme « Aux jeunes, il ne faut pas tracer un seul chemin, mais ouvrir toutes les
routes » C’est le temps des auberges de jeunesse, clubs de loisirs, des colonies, des
vacances pour tous, la création des CEMEA centres d’entrainement aux méthodes
d’éducation active et de la confédération « Jeunesse au plein air »

C’est dans la Résistance l’enjeu de la préparation aux responsabilités et à la


vie politique démocratique que les politiques publiques encourageront à la
Libération. Le régime de Vichy voudra mettre l’Ecole au service de la révolution
nationale du Maréchal, dissoudra des mouvements démocratiques et organisera
chantiers et maisons des jeunes pour embrigader la jeunesse. Mais la Résistance
qui permet à des français de différentes catégories sociales, à ceux qui croyaient au
ciel et à ceux qui n’y croyaient pas, de se reconnaître et de se rencontrer dans la
lutte commune contre le nazisme et la collaboration va générer le contre poison. Des
jeunes recrutés dans ces structures ou participant aux stages en zone libre vont
militer pour que s’organise une éducation populaire visant l’éducation politique des
jeunes adultes autour des valeurs démocratiques.

Le Conseil National de la Résistance proclame une nouvelle ambition éducative: «


Promouvoir la possibilité effective pour tous les enfants de bénéficier de l’instruction
et d’accéder à la culture la plus développée quelle que soit la situation de fortune de
leurs parents et faire que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles
a tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi
promue une élite constamment renouvelée par les apports populaires. »

A la Libération, l’appel à une « réconciliation française » mettant fin à la «guerre


scolaire » autour de l’idée novatrice d’un service national d’éducation sur la base des
valeurs de la laïcité susceptible d’accueillir l’assentiment de la nation tout entière,
n’aura pas de suite. Dans les années suivantes les revendications de financement
des écoles privées reprendront et ce sera trop souvent un village deux écoles. Les
associations péri et postscolaires, avec l’appui d’enseignants mis à disposition
impulsent les initiatives de l’école publique : voyages éducatifs, classes de neige, de
mer, classes vertes, éducation physique et sportive (USEP), activités artistiques .

Le recrutement des Ecoles Normales grâce aux bourses et l’engagement décennal


et l’appui aux Ipes , vont favoriser une dynamique de démocratisation et de
promotion sociale des enfants des catégories populaires. Des enseignants ayant
participé aux mouvements d’éducation nouvelle transforment la pédagogie des
clases de perfectionnement et de l’enseignement spécialisé. Grâce à des stages
spécifiques, inclus dans le cursus de formation des maîtres, les enseignants
participent à l’encadrement des colos qui deviennent des centres de vacances
éducatives avec l’apport des CEMEA, des centres aérés, qui deviennent des
centres de loisirs éducatifs sous l’impulsion des FRANCAS Beaucoup d’instituteurs
et nombre de professeurs ayant aussi suivi des stages d’éducation populaire dans
leur dernière année d’Ecole Normale deviennent les animateurs culturels bénévoles
d’une France rurale où la télévision n’a pas fait irruption : bibliobus itinérant, chorales
, groupes de théâtre et de folklore, ciné clubs,(on en comptera jusqu’à 10 000),
veillées lectures ou culturelles ;
Dans les villes , dans les communes, c’est le temps de l’éducation populaire: Du
pluralisme des forces progressistes du Front Populaire et de la Résistance naîtront
Foyers ruraux , Clubs Léo Lagrange, Culture et liberté, Peuple et Culture qui se
propose de rendre « la culture au peuple et le peuple à la culture » en qualifiant les
interventions par l’apport des sciences sociales. Les Maisons des Jeunes et de la
Culture deviennent l’institution emblématique de cette période avec la participation
des jeunes au conseil de maison et une cogestion assurée par des administrateurs
bénévoles et des représentants de droit de la municipalité ,associant par ailleurs
d’autres groupements associatifs.

Les militants du catholicisme social s’investissent plus fortement à l’UFCV (vacances


et loisirs des enfants), dans le mouvement familial récemment reconnu : associations
familiales, gestion d’œuvres sanitaires et sociales et de maisons familiales de
vacances.

A côté des choix politiques forts: législation sociale, organisation des services
publics, construction de la sécurité sociale, l’éducation populaire en mobilisant 1/7
d’une classe d’âge contribuera dans les communes à changer la vie . L’ambition
politique sera revue à la baisse, c’est une politique de la jeunesse et des sports qui
sera organisée ; mais grâce à des créateurs conseillers d’éducation populaire, au
financement de la formation de cadres les réseaux nouvellement créés se
développeront fortement dans tout le pays.

Avec les Foyers Ruraux, les MJC ,les Centres Sociaux c’est le passage de la
simple association volontaire aux premières « institutions d’éducation populaire »
L’éducation ouvrière se consacre à la formation des militants syndicalistes , elle se
prolongera dans le mouvement familial ou le mouvement de consommateurs. Les
comités d’entreprise récemment créés jouent aussi un rôle de médiateurs culturels
pour l’accès au Théâtre National Populaire, ou au Festival d’Avignon.

La Ligue de l’Enseignement se réorganisera par milieu d’intervention (rural urbain,


jeunesse) pour dépasser la juxtaposition de fédérations d’activités spécialisées qui
la constituent depuis 1925 , pour être présente sur tous les territoires. La
coordination de l’action des comités d’entreprises, des structures spécifiques des
syndicats, des associations gestionnaires de centres de vacances va faire émerger
un tourisme social associatif dont les équipements prendront place dans les
aménagements du littoral ou le développement du milieu rural. Des politiques
publiques d’équipements , l’action volontariste de la Jeunesse et des Sports, des
CAF ou des MSA pour l’accès aux vacances contribueront à ce que la civilisation
des loisirs ne soit plus un luxe pour privilégiés .

Le temps des politiques publiques de la culture , de la formation permanente


et de la professionnalisation du secteur social.

Le ministère de la culture créé par André Malraux, veut favoriser la découverte des
œuvres capitales de l’humanité par le développement des institutions culturelles.
Cette action se développe sans liaison avec l’éducation artistique relevant de
l’Education Nationale ; les pratiques amateurs restant du domaine de la Jeunesse
et des Sports signeront une séparation préjudiciable entre culture et éducation
populaire.
Le ministère des affaires sociales contribuera à la naissance et à la multiplication
des travailleurs sociaux, accompagnera la création de centres sociaux et de foyers
de jeunes travailleurs, le secteur médicosocial connaîtra une forte croissance alors
que le ministère de la justice développera la prévention spécialisée

La France se modernise :le nombre d’ingénieurs passe de 24 000 à 51000, une forte
demande de cadres intermédiaires se manifeste ce qui motivera la prolongation de la
scolarité, la création du collège unique qui achoppera sur la définition d’un socle de
compétences techniques et professionnelles, cette formation restant une voie à part.
Cette modernisation révèle aussi « les problèmes de désadaptation que pose au
travailleur et au citoyen modernes la civilisation nouvelle dans la quelle nous venons
d’entrer brutalement » Il y a nécessité d’éducation permanente.

Après les lois sur la promotion sociale qui introduisent le congé d’éducation ouvrière
et le congé cadre jeunesse , en 1971, l’éducation permanente devient une obligation
nationale « qui veut favoriser la promotion sociale par l’accès aux divers niveaux de
la culture, de qualification professionnelle et la contribution au développement
culturel économique et social » Le projet est ambitieux mais en pratique c’est surtout
une formation professionnelle continue permettant l’adaptation des travailleurs aux
changements des techniques et des conditions de travail qui sera mise en œuvre.
Au début des années 80 les politiques s’élargiront à l’insertion des jeunes et la
formation des chômeurs. Les fédérations d’éducation populaire y trouveront un
nouveau domaine d’intervention. La Ligue créera plus tard l’INFREP .

Les temps de l’innovation …, des animateurs et de leur professionnalisation

Les associations d’éducation populaire ont accueilli l’irruption de la génération du


baby boom lui permettant au travers des MJC, Club de Jeunes, foyers socio
éducatifs, cercles laïques d’étudiants de trouver la reconnaissance, l’expérience de
l’autonomie et de la liberté et un aussi un espace de prise de responsabilité,
d’engagement collectif. L’auto gestion fait partie des rêves, de l’utopie de Mai 68. De
nouveaux responsables associatifs souhaitent dépasser leur rôle d’organisateurs
d’activités éducatives dans leur association pour une mise en mouvement de la
société par une démarche d’animation socio culturelle définie comme « le processus
par lequel en présence d’un animateur (et non sous l’autorité d’un maître ) un
groupe d’individus , réuni par des proximités, le plus souvent d’habitat ou d’intérêt, se
transforme en une communauté de personnes et de citoyens qui prennent
conscience de leurs intérêts et de leurs besoins communs et assument
collectivement la responsabilité de les satisfaire en respectant le droit de chacun et
en évaluant régulièrement leur action »

Ce sera le temps des expériences de démocratie participative portées par de


nouveaux acteurs (GAM, ADELS) et de la démarche d’étude du milieu préalable à
l’animation d’un territoire, à l’action sur le cadre de vie. La Ligue lancera la
campagne « vivre en ville », autant de préfigurations de démarches de
développement local et de développement social des quartiers qui seront ensuite
impulsées par les pouvoirs publics qui auront du mal à associer les citoyens.

1968 verra la remise en question de la société patriarcale, l’aspiration à la liberté et à


la reconnaissance des différences au travers de nouveaux mouvements sociaux
(féminisme, écologie, régionalisme) Le Planning Familial fait son apparition dans les
associations d’éducation populaire signant la transformation de la condition
féminine 1968 a vu aussi la libéralisation de la parole dans les médias, mais la
reprise en main s’accompagne d’une mise sous tutelle des journaux télévisés
supervisés directement par le ministère de l’information. Plusieurs journalistes furent
licenciés et créèrent une coopérative de production Scopcolor qui éditera chaque
mois un magazine filmé d’information sur l’actualité « Certifié Exact ».Les grandes
fédérations d’éducation populaire les diffuseront dans la France entière

Une grande aspiration se manifeste pour un changement politique de société Les


responsables d’associations de jeunesse et d’éducation populaire, dont beaucoup
s’étaient retrouvés dans la lutte pour la paix en Algérie, décident de coordonner leur
action dans la diversité de leurs engagements et de leurs domaines d’activité en
créant le Comité National de la Jeunesse et de l’Education Populaire (CNAJEP)
pour proposer de nouvelles politiques publiques.

Les avancées les plus importantes seront les dispositions du Vème Plan qui sera
doté d’un programme de construction d’équipements socioculturels qui verra leur
multiplication sur tout le territoire et la création d’un fonds interministériel FONJEP
pour financer des postes d’animateurs permanents et leur formation.

Cette orientation et ces évolutions verront aussi des conflits éclater entre les
pouvoirs publics et les grandes fédérations d’éducation populaire. Si ceux-ci
apprécient l’action sociale et éducative que les fédérations mènent auprès de la
jeunesse, ils goûtent moins la part d’agitation , de remise en question ou de «
subversion » que porte cette conception de l’animation socio culturelle. Les
communes posent quant à elles la question de la place de l’animateur dans la cité et
du contrôle de l’action de ces nouveaux professionnels, de cet « impossible métier »
L’emploi quasi exclusif de ces animateurs permanents par les fédérations
d’éducation populaire sera interrogé. Il en ira de même pour leur formation où
interviendront de plus en plus les centres publics de formation d’animateurs des
CREPS, et les IUT carrières sociales

Le rêve de la mise en mouvement de la société par l’animation socioculturelle se


recentrera progressivement sur l’animation socio-éducative dans les établissements
socioculturels autour d’animateurs professionnels.

Lors de son centenaire (1966) la Ligue de l’Enseignement complète son nom et


devient Ligue de l’Enseignement et de l’éducation permanente « pour gagner dans la
deuxième moitié du XXème siècle la bataille de l’Education permanente » Elle
propose une politique d’éducation permanente pour tous à gestion tripartite
coordonnant éducation scolaire, la formation continue, et l’animation socioculturelle
pilotée par un grand ministère de l’éducation ,de la formation ,de la Jeunesse et des
Sports et de la culture

Un service public unifié laïque d’éducation nationale en constituerait le socle, le


collège y jouant le centre d’éducation permanente de zone Une politique d’animation
socio culturelle laïque locale serait élaborée au sein d’un conseil local de
développement social et culturel consultatif avec toutes les parties prenantes, le
programme d’intérêt général devant être arrêté par les élus communaux et mis en
œuvre par contractualisation avec les associations laïques d’éducation populaire

Le temps de la décentralisation, du rôle croissant des collectivités


territoriales, des politiques contractuelles sectorielles Les associations doivent
trouver place par leur professionnalisation. 1981 Changement politique : Il est
intéressant de noter qu’un grand nombre d’élus municipaux de 1977 sont des «
produits » de l’éducation populaire, qu’ un tiers des membres du nouveau parlement
y ont participé et que plus de 50% d’entre eux ont découvert l’engagement par la
participation à l’encadrement des colonies de vacances ! L’éducation populaire a
contribué à la formation de cadres .

Les propositions globalisantes de la Ligue, pas plus que celles du CNAJEP.ne sont
retenues. Les secteurs de l’éducation, de l’animation socioculturelle, de l’action
culturelle, de la formation permanente, de l’action sociale évoluent séparément.
L’école dans les quartiers prioritaires, la réussite au collège sont au cœur des
nouvelles politiques. Après les manifestations de l’enseignement privé à Versailles
ni l’opinion ni le pouvoir politique n’entérinent l’organisation du service public unifié
laïque d’éducation

Les associations sont reconnues comme interlocuteurs dans le cadre de la CPCA,


l’économie sociale est dotée d’un interlocuteur ministériel. C’est l’explosion
associative, sur les territoires des myriades d’associations invitent à mieux vivre, à
partager le plaisir du sport, de la culture, à organiser les solidarités, à participer à la
vie locale mais celles qui veulent participer à l’action publique devront s’inscrire dans
des politiques de plus en plus sectorisées et professionnalisées La décentralisation
donne aux collectivités locales de nouvelles compétences. A la contractualisation
Etat/ Associations de la période précédente, succède la contractualisation Etat
/collectivité locales dans différents champs ministériels où les associations peinent à
trouver place Une politique d’aménagement du temps de l’enfant qui évoluera vers
les projets éducatif locaux, les Contrats éducatifs locaux, les contrats jeunesse

Une politique culturelle d’envergure est développée (équipements, programmes)


un plan pour les arts et la culture à l’Ecole est mis en œuvre. Une politique
d’insertion sociale et professionnelle autour des missions locales La Loi contre les
exclusions suite à la campagne « Alerte » des associations de solidarité et des
associations caritatives. Certaines se réclameront aussi de l’éducation populaire :
Secours catholique, Secours populaire. ATD Quart monde, les Réseaux réciproques
d’échanges de savoirs mettent en évidence que tout être humain même en situation
défavorisée à quelque chose à apporter aux autres.

Une politique de la ville : Accompagnement à la scolarité, action vers la jeunesse


surtout centrée sur la prévention, la lutte contre la délinquance et les addictions,
l’apprentissage de la civilité, bref une jeunesse à « intégrer ». Les associations de
jeunesse qui initiaient des démarches d’émancipation et d’engagement sont invitées
à concentrer leurs actions pour remédier aux difficultés de groupes cibles.

Les lois de décentralisation transforment l’organisation territoriale et génèrent le


recrutement de nouveaux professionnels par les collectivités. Pour être interlocuteurs
ou participer aux politiques publiques les associations doivent faire la preuve au-
delà de leur représentativité et de leur expertise, de leurs compétences d’intervention
et de gestion donc renforcer leur professionnalisation d’entreprises d’économie
sociale au détriment de leur rôle de créateur de lien social ,d’écoute, d’éveilleur, de
facilitateurs d’initiatives ou de mise en mouvement de citoyens

Le discours sur la vie associative succède à celui sur l’animation socio


culturelle qui avait remplacé celui sur l’éducation populaire devenu un point
aveugle des politiques publiques, alors que les mutations d’un monde ouvert
et les risques d’une société duale nécessitent de donner envie de comprendre
et de s’engager pour affronter un « autre monde ».

Devant les transformations brutales de notre société, la Ligue de l’enseignement


décide comme aux « temps des cercles » de sa création, de relancer un travail de
fond pour mettre les idées en mouvement afin de faire face au nouveau contexte,
impliquant son réseau à travers des campagnes et des programmes d’actions. Les
années 80 sont en effet, celles des mutations technologiques, du triomphe du
libéralisme économique, des dérèglementations qui bouleversent l’emploi et la vie
sociale avec comme conséquence « l’insécurité sociale » et les « précarisations ».
Rien n’apparaît plus important que de travailler à réveiller la citoyenneté pour
permettre au citoyen de comprendre ces évolutions pour y faire face.

Réveiller la citoyenneté Devant le retard qu’a pris la réflexion sur les évolutions de
la société la Ligue invite à créer des “ Cercles Condorcet ”, des clubs de citoyens,
des universités d’éducation permanente, qui dans un souci de dialogue et
d’ouverture, favoriseront réflexions et débats pour comprendre ces évolutions, et
inviteront à peser sur l’avenir en train de se faire. C’est aussi le temps des cafés
philos, cafés citoyens, des groupes de réflexion militante, des universités populaires

Avec la Ligue des droits de l’homme et neuf autres associations est créé Civisme et
Démocratie, pour revitaliser le civisme et dynamiser la démocratie (campagnes pour
l’inscription sur les listes électorales, soutien des journées mémorielles, centre de
ressources pédagogiques). Ce sera aussi l’appui à la Nouvelle Encyclopédie.
Permettre aux « jeunesses » de prendre leur place sera l’’objectif des Juniors
associations, de l’AFEV, d’ANIMAFAC, de l’ANACEJ, des Petits Débrouillards, la
Ligue avec « les jeunes aquitains s’engagent » autant de portes ouvertes à une
nouvelle génération pour sa préparation à la citoyenneté démocratique.

Décrypter les mutations de la « société de la communication» : libéralisation des


médias, irruption des nouvelles technologies, révolution du numérique. 25 années
durant une Université de la Communication a invité à comprendre, maîtriser
l’usage, avoir une approche critique de ces nouveaux moyens de
communication. Des groupes et des collectifs d’une nouvelle génération
investissent l’internet, se mobilisent pour défendre cet espace de liberté
d’expression. Relever le défi des transformations provoquées par la société
numérique et maîtriser ses usages doit devenir un chantier central de l’école et de
l’éducation populaire. Des universitaires et des ONG militent à l’UNESCO pour des
Ressources Educatives libres

Affirmer l’actualité de la laïcité Après l’impasse du projet d’instauration d’un


service public unifié laïque de l’éducation nationale, la laïcité avait été qualifiée de
liberticide ou de ringarde. La Ligue ouvre le débat avec les représentants des
différents courants philosophiques, culturels et religieux, pour en interroger l’actualité
en tant que « valeur de société de l’an 2000» Cette réflexion nourrira, lors du
centenaire de la loi 1905, un important travail d’animation et d’édition, la création du
site sans équivalent « www.laicite-laligue.org». Avec les CEMEA, les Francas, elle en
dédiera un autre aux éducateurs et aux élus www.laicite-educateurs.org. Elle
rédigera une contribution « la laïcité pour faire société »

Faire du vivre ensemble la question centrale d’une société plus diverse Les
migrations de la fin des trente glorieuses, ont modifié notre pays qui a eu du mal à
se reconnaître société multiculturelle. Le message de la Marche pour l’Egalité et
contre le racisme des jeunes issus de la diversité française des quartiers urbains
réclamant leur pleine reconnaissance et une place à part entière aura du mal a être
entendu , alors qu’il attire l’attention sur les promesses non tenues de la République.
Dans ces évolutions de la société l’Islam devenait la deuxième religion de France.
Une commission pluraliste avec des membres d’horizons spirituels ou religieux
différents engage un travail sans amalgame et sans concession sur « Islam et
laïcité » Colloques, rencontres, contributions se succèdent pour approfondir les
conditions de compatibilité de la pratique de l’islam et des lois de la République

Les idées extrémistes se manifestent fortement. Les semaines d’éducation contre le


racisme sont organisées pour faire reculer les préjugés et les attitudes xénophobes
et rappeler que la laïcité doit inspirer la démarche et les valeurs d’un vivre
ensemble qui refuse les discriminations, reconnaît les diversités, garantit les droits
de tous Une opération « Jouons la carte de la fraternité » est proposée chaque
année aux établissements scolaires contre les représentations d’ « eux et nous »

Remobiliser pour la justice sociale et la solidarité pour redresser l’espoir face à


l’augmentation du chômage et des exclusions: De nouveaux chantiers se
développent : Accompagnement scolaire, lutte contre l’illettrisme, insertion sociale et
professionnelle, accessibilité aux sports, aux vacances. Forum de la citoyenneté .
Festival de Fameck, Edition “ Aux sources de la culture française ”

Remettre l’Ecole au cœur d’un projet de société. La loi de 1989 avait affirmé que
« le droit à l’éducation doit être garanti à chacun afin de lui permettre de développer
sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer
dans la vie professionnelle, d’exercer sa citoyenneté » Ces ambitions resteront très
mal connues et la loi partiellement appliquée.

Après les mobilisations de 1994 contre la tentative de modification de la loi Falloux


au profit de l’enseignement privé, la Ligue avec le colloque « Le système éducatif
demain : défi et enjeu du service public » rouvre le débat sur l’Ecole.

Si la massification scolaire a été assurée, la démocratisation elle reste à l’ordre du


jour Alors que le développement des connaissances connaît un accroissement
prodigieux et que progresse l’exigence de qualification 150 000 jeunes sortent sans
diplôme ou qualification chaque année du système scolaire, l’orientation se
traduisant trop souvent par un tri sélectif aggravant les inégalités. Une réflexion
décentralisée sur le thème « l’Ecole que nous voulons » aboutira aux propositions «
Refonder l’Ecole de tous pour qu’elle tienne les promesses de la République ».
Un « Salon National de l’Education » négocié avec le ministère prendra place au
Parc des Expositions de Paris. Les «Rencontres de l’Education de Rennes» en
collaboration avec les Villes Educatrices mènent un travail approfondi sur
l’Education à l’épreuve des territoires dans la décentralisation, réunissant acteurs de
l’Education nationale ,élus et professionnels éducatifs des collectivités territoriales et
des associations . « Mutations territoriales en éducation: de la forme scolaire à la
forme éducative » en constitueront les actes.

Ces initiatives permettront d’enrichir l’appel de BOBIGNY « Un grand projet


national pour l’enfance et la Jeunesse » signé par 80 collectivités territoriales, 14
syndicats et 50 fédérations.

Le développement de l’Ecole et la naissance de l’éducation populaire se sont faits


dans un contexte de rareté des moyens d’accès aux connaissances (essentiellement
écrites). Comment peuvent-elles resituer leur action dans un contexte de profusion
de diffusion d’informations et d’accélération prodigieuse de productions de
connaissances et dans les mutations engendrées par la progression du numérique ?

S’approprier la construction européenne… La méfiance et le rejet ont progressé


à l’égard d’un projet construit pendant 40 ans dans le “ secret diplomatique ”
essentiellement autour de l’organisation d’un marché unique. Devant l’introduction de
la citoyenneté européenne dans le Traité de Maastricht, devant le fait que la
transcription des directives de l’Union occupait 60% du travail des parlements
nationaux et qu’une Convention était créée pour proposer un nouveau Traité
constitutionnel , La Ligue ouvre la réflexion sur le thème « Agir et décider en citoyens
d’Europe ? ». Il s’agit de définir comment les citoyens volontaires peuvent jouer un
rôle utile dans l’appropriation de cette construction et peser sur les décisions en
train de se prendre à la fois en tant que citoyen/électeur qu’au travers de
l’implication dans des réseaux associatifs européens : « Fédération européenne de
l’éducation et de la culture », SOLIDAR réseau de 30 ONG des pays européens
(pour que chacun vive en dignité et que progresse la justice sociale) création du «
Forum civique Européen » mettant au cœur du débat : Participation de la société
civile à l’orientation d’une Europe sociale et démocratique, place des services
publics et apport original de l’économie sociale, statut de l’association européenne.

Dans un monde où les secteurs agricoles et industriels ont devenus fortement


minoritaires et où les services représentent 75% du PIB, à Lisbonne en 2000 l’Union
européenne s’est fixée comme objectif de « devenir l’Economie de la connaissance
la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici 2010, capable d’une
croissance économique durable, accompagnée d’une amélioration quantitative de
l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».Pour atteindre ces objectifs l’Union
arrête un programme Education ,Formation tout au long de la vie » La Ligue prend
l’initiative de la création de EUCIS LLL plateforme des associations impliquées dans
l’Education Formation tout au long de la vie pour participer à la réflexion et aux
contributions sur ce chantier.

…et rechercher une meilleure implication dans la solidarité internationale

Avec la multiplication des échanges internationaux, l’intervention dans la coopération


et la solidarité internationale se pose sous un nouveau jour : Une campagne pas
d’Education pas d’avenir invite à soutenir les initiatives de coopération pour la
scolarisation, Solidarité laïque coordonne les associations complémentaires, assure
leur représentation dans la plateforme européenne « Concord » et leur implication
dans la campagne lancée à Jomtien par la déclaration mondiale de l’éducation pour
tous. Les « Objectifs du Millénaire » de l’ONU fixent à 2015 la date où devra être
généralisée l’éducation de base à tous les garçons et les filles de la planète,
comme devra être réduite de moitié la population vivant sous le seuil de pauvreté.

La Ligue internationale de l’Enseignement réorganise son fonctionnement.


L’omnipotence de l’OMC comme seul lieu de régulation de la libéralisation des
échanges internationaux donne naissance à l’alter mondialisme et à de nouveaux
réseaux. ATTAC se crée et se déclare mouvement d’éducation populaire

Penser la transition vers un développement durable.

Engagée après la conférence de Rio, l’éducation à l’environnement et au


développement durable veut éviter de réduire les enjeux « écologiques » à la seule
protection de l’environnement La labellisation CED «citoyenneté environnement
développement » que la Ligue a créée veut rendre visible cet engagement. Il s’agit
aujourd’hui de travailler à une autre forme de développement ne faisant pas
l’impasse sur le questionnement des formes de développement économique et de la
transformation des conditions sociales inacceptables CCFD Terre Solidaire propose
un pacte pour la planète

Pendant plus de dix ans ces chantiers ont mobilisé la Ligue pour contribuer à
redonner sens et corps à une éducation populaire de notre temps. Si son objectif
final est de faire vivre la citoyenneté et parier sur la souveraineté populaire, il s’agit
d’abord de donner confiance à chacun pour qu’il puisse trouver une place, épanouir
ses possibilités et puisse participer à la vie sociale. Cette éducation populaire est
une démarche solidaire avec les milieux populaires, pour qu’ils prennent confiance
dans leurs capacités et leur propre pouvoir d’agir pour prendre place et participer à
la vie de la société, leur permettant d’être reconnus dans leur vie singulière, leurs
cultures et leurs droits

Une éducation populaire, qui sur tous les territoires crée des possibilités
d’épanouissement (culture, sport loisirs, vacances), suscite, la curiosité, l’ouverture
culturelle, l’esprit critique, l’engagement, la mise en mouvement des idées autour
d’une démarche « connaître, comprendre, débattre, juger, agir, entreprendre », en
interrogeant les inégalités et les conditions d’un développement soutenable.

Une éducation populaire qui au-delà du questionnement du langage techno


spécialisé et des méthodes du new management qui se donnent comme seuls
pertinents aujourd’hui, interroge aussi la contribution des élites dont le rôle
irremplaçable n’est pas de décider en notre nom, du fait de leur savoirs , de leurs
compétences ou de leurs mandats , mais de contribuer à éclairer les enjeux pour
une citoyenneté exigeante par laquelle tous les citoyens dans leur diversité sont
appelés à travailler au bien commun et au vivre ensemble, le suffrage universel et la
souveraineté populaire prenant alors tout leur sens.
C’est ainsi que la Ligue a tenté de sortir l’éducation populaire de son point aveugle
Un appel d’offre à réflexion publique sur ce thème lancé par le Ministère de la
Jeunesse et des sports n’aboutira pas à une nouvelle politique.

Le temps des difficultés :

L’intervention de réseaux d’éducation populaire est banalisée et fragilisée


L’originalité des associations complémentaires de l’Ecole est mise en
question Les activités tertiaires explosent alors que baisse l’agriculture, et que
diminue le secteur industriel. Le marché des services s’étend au champ des
vacances, du sport, des loisirs, de la formation permanente et même du secteur
social ou de l’accompagnement scolaire orientant ses propositions en direction des
populations solvables. La cohésion sociale est fragilisée par l’affaiblissement des
réponses qu’apportaient les pouvoirs publics ou les associations conventionnées qui
en rendaient possible l’accès aux populations modestes ou en difficultés en
favorisant la mixité sociale

La crise aggravant les situations sociales, limitant les moyens des politiques
publiques ou des choix politiques contraires vont créer une situation difficile pour les
associations Les crédits ministériels baissent, certains vont voir des coupes très
fortes, le FASILD (fonds d’aide pour la solidarité et la lutte contre les discriminations)
va être réorganisé au profit de plusieurs agences mettant à mal les nombreuses
actions de solidarité coordonnées dans les quartiers.

La transposition de la directive sur la libéralisation des services remet en cause


l’originalité même des associations, leur utilité sociale et civique et leur apport
singulier et irremplaçable à la co-construction de réponses d’intérêt général. Les
interventions associatives ne sont plus analysées comme des activités co organisées
par des adhérents associés mais comme des « prestations de service » comme
celles de tout acteur économique relevant dorénavant du marché concurrentiel, leur
statut à but non lucratif n’autorisant aucun traitement particulier Les directives sur
les aides de l’Etat transforment aussi radicalement les financements publics limitant
ou supprimant la possibilité de subventionner, d’encourager ou de soutenir les
initiatives des citoyens associés.

Ces financements se limiteront de plus en plus à deux formes très codifiées: un


marché public de prestations où à une délégation de service d’intérêt général
attribuée par appel d’offre attribué au mieux disant. Les associations sont amenées
à être essentiellement prestataires ou opérateurs mandatés des pouvoirs publics dès
qu’elles veulent dépasser la satisfaction des besoins de leurs seuls adhérents. Aux
assises de la CPCA le gouvernement proposera un espace de contractualisation par
convention pluri annuelle d’objectifs permettant de reconnaître d’une manière
encore trop limitée la capacité d’initiative associative

L’originalité des fédérations d’associations complémentaires de l’Ecole est aussi


mise en question : les années 80 avaient clarifié le statut des enseignants mis à
disposition et la manière dont ils rendaient compte de leur activité.

Au début du dernier quinquennat alors que l’Ecole est victime de diminutions


brutales d’effectifs, que la formation des enseignants désorganisée, le ministère a
brutalement décidé de supprimer les postes d’enseignants mis à disposition des
œuvres complémentaires de l’Ecole. Une intense mobilisation soutenue par les
syndicats enseignants, les élus nationaux et locaux a abouti à sauvegarder une
participation financière presque équivalente par une convention pluri annuelle
d’objectifs finançant les programmes d’actions menées mais ne garantissant aucune
charge de personnel. Cette convention est limitée à trois ans et peut subir en cours
d’année un gel budgétaire de 25%. C’est la fonction essentielle pour accompagner et
rendre pérennes les initiatives locales qui se trouvent mise en cause.

Il est nécessaire de sortir du temps du marché roi et de l’Etat autoritaire. Une


nouvelle orientation politique doit permettre non seulement d’assurer la durabilité
d’un héritage, mais de faire reconnaître l’originalité de l’intervention associative en
France et au niveau européen ainsi que sa contribution au travers de réseaux
fédérés à l’action publique pour la démocratie, le développement et la solidarité et
dans notre pays à l’évolution l’Education par les mouvements éducatifs regroupés au
sein du CAPE (Comité des Associations Partenaires de l’Ecole).Une nouvelle forme
de «volontariat d’animation» doit être définie pour sécuriser l’engagement des
jeunes dans l’encadrement des centres de vacances d’enfants et d’adolescents . La
nouvelle phase de Réforme de l’Etat et de la Décentralisation doit mettre en son
cœur la possibilité d’une réelle implication des citoyens dans cette évolution

Reconnaître une place originale à la vie associative est une condition


nécessaire mais insuffisante pour une participation active des citoyens :
l’impérieuse nécessité de faire société pour une issue démocratique à une
crise inédite, rend indispensable la refondation d’une éducation populaire de
notre temps.

Dans notre société les valeurs collectives sont affaiblies, les institutions fragilisées et
contestées, les injustices sont criantes et chaque individu revendique une place
croissante et singulière; plus autonomes, les individus sont aussi plus fragilisés,
sommés d’être toujours plus responsables, plus performants ils se retrouvent
souvent isolés et impuissants, à la merci des mages ou « coaches » de toute nature.

Notre société a du mal à dépasser la méfiance à l’égard de la diversité de ses


composantes, à faire reculer les préjugés et à éviter l’instrumentalisation de la
question identitaire ou le recours aux incantations nationalistes. Un profond
sentiment d’exclusion a gagné celles et ceux qui souffrent de ne pas être reconnus.
Les jeunes des milieux populaires, où qu’ils habitent, en payent le prix fort.

Dans une société où pendant 30 ans le désir de la consommation ou la difficulté à y


accéder a constitué l’essentiel du lien social, il faut réapprendre à « Faire société »
par un examen critique, une réaffirmation ou une invention par les citoyens des
principes qui doivent fonder notre « vivre ensemble ». Faire société, vivre les uns
avec les autres suppose de refuser un pessimisme trop répandu et la méfiance qui
se généralise pour redonner à chacun confiance en lui-même, confiance en l’autre
et confiance en la capacité démocratique d’agir pour organiser notre destin
commun. Renouveler les pratiques démocratiques, rebâtir l’action publique,
développer une volonté de reconnaissance de chacun, repenser les solidarités dans
une société d’individus, refonder l’Ecole de tous et une autre formation tout au long
de la vie en sont les lignes de force.
Est-il utile de détailler les transformations sans précédent et d’une rapidité inédite
que connaît notre monde : Les scientifiques attirent notre attention l’aggravation des
risques climatiques, et sur l’exploitation accélérée des ressources non renouvelables,
alors que s’accentue la spéculation sur les matières premières, l’alimentation et les
terres cultivables. Un rapport de la Banque Mondiale de l’an 2000 précise que «
20% de la population mondiale contrôle 80 % de l’économie mondiale, en 10 ans les
revenus de ce groupe ont doublé jusqu’à être 37 fois supérieurs à ceux des 20 %
situés au bas de l’échelle». Le profond sentiment d’humiliation ressenti par des
peuples entiers constitue le terreau essentiel des révoltes D’importants conflits
régionaux naissent ou persistent. Les fondamentalistes religieux font de nouveaux
adeptes. Les replis, les identités closes servent de refuge à l’instabilité et les peurs
nourrissent les nationalismes et la xénophobie

Est-il nécessaire de rappeler les dégâts de l’extension planétaire du capitalisme


financier qui étend son emprise à la quasi-totalité des services et des biens
communs. Le corps humain et le vivant en général sont en passe d’être soumis à la
loi du marché. La crise financière et ses conséquences économiques profondes
soulignent l’irrationalité et la nocivité de notre système Elle révèle l’urgence de
régulations rigoureuses et d’autres modèles de développement.

Pourtant la mondialisation a d’autres dimensions : L’information circule mieux et plus


vite, la conscience des interdépendances planétaires grandit, le réveil des peuples
en quête de dignité et de démocratie se manifeste; la capacité d’expression et
d’action des sociétés civiles augmente, des régulations internationales s’esquissent :

A la suite de la crise et de la constitution du G20 les agences de l’ONU et les ONG


travaillent à la création d’un office de la protection sociale inter institutions pour
soutenir l’introduction de cette protection dans les pays de l’hémisphère sud. Au-delà
d’un droit fondamental, pilier de l’agenda pour un travail décent, il s’agit d’une
nécessité pour un développement durable. Les études de l’OIT montrent que cette
protection sociale peut être financée même dans les pays à faible revenu : « Le
monde ne manque pas de ressources nécessaires pour éradiquer la pauvreté, il lui
manque les bonnes priorités »

Le Conseil de l’Europe invite à élargir le dialogue interreligieux en dialogue


interculturel par un partenariat dynamique entre représentants des institutions
publiques, des communautés religieuses, des groupements de convictions non
religieuses autour des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de la
reconnaissance de l’égale dignité humaine. Premier pas d’une laïcité exigence
partagée pour le XXI ème siècle ?

La CES (confédération européenne des syndicats) vient de publier un pacte social


pour l’Europe. La FSI (fédération internationale des syndicats) lance une campagne
« pour un travail décent pour une vie décente » Des lanceurs d’alertes en appellent
à «la démocratie maintenant», à une régulation de la finance mondiale « Tax Justice
Network » « Transparency international » « Regular global finance NOW ». «
Finance Watch » « Occupy Wall Street »

Mais si la planète est une, comment rendre visible aux hommes et aux femmes de
notre terre patrie, au-delà des différenciations en nations, langues, cultures et
religions, leur commune appartenance à l’humanité ? Leur définitive
interdépendance dans une communauté mondiale de destin ?

Au Forum de DAVOS les « maîtres du monde » ou « l’Empire » représentant les


Etats dominants et les 43 000 multinationales pesant 1/3 du PIB mondial et 2/3 du
commerce international débattent de notre avenir. 137 de ces dernières détiennent
40% de la valeur de l’ensemble, l’en cours des actifs des 20 plus grands
gestionnaires des fonds de pension s’élève à 40 000 milliards d’euros 50% du PIB
mondial. Ils affirment que la croissance et l’amélioration des conditions de vie ne
dépend que de l’augmentation de la production et de la libéralisation de ce
commerce mondial uniquement régies par les règlements de l’OMC Au Forum
social de PORTO ALLEGRE refusant cet ordre néo libéral, les participants en
appellent à une autre mondialisation ne faisant pas l’impasse sur la multitude des
peuples souffrant de la faim, de ceux qui sont menacés par les changements
climatiques, des populations des bidonvilles urbains dont certains deviendront des
bombes sanitaires par manque de traitement de l’eau et des déchets. Ils en appellent
à une autre mondialisation autour de la garantie d’accès à l’alimentation, à l’eau, aux
soins de santé, par la généralisation des conventions de base du bureau
international du travail et de la protection sociale pour tous, un travail décent pour
une vie décente et parce que l’homme ne vit pas que de pain, l’accès à l’éducation et
à la culture.

Devant cette fracture du monde comment ne pas souligner les enjeux du Sommet
RIO +20 où les réseaux mondiaux d’ONG et les plates formes associatives
nationales se mobilisent pour la transition vers un changement de civilisation
rendant compatible développement économique, organisation des solidarités,
gestion raisonnable des ressources et protection de l’environnement, se conjuguant
avec une gouvernance collective et responsable de la planète, d’indispensables
régulations politiques visant à redonner à la finance le rôle de moyen et non de fin
Comment enfin relever le défi culturel de la définition d’autres indicateurs que celui
de la seule mesure de la croissance du PIB, en particulier ceux du développement
humain, des empreintes écologiques , ceux enfin d’une autre mesure de la richesse
pour une politique de civilisation dont Gandhi dans sa sagesse posait les limites
infranchissables «La terre a assez de ressources pour répondre aux besoins de tous
ceux qui la peuplent mais ne peut supporter l’avidité de tous »

A la fin de ce survol, une question reste toujours essentielle: « Où va le monde et


que peuvent les hommes ? Autrement dit, comment faire pour que hommes et
femmes qui sont le produit de l’histoire et selon le cas les bénéficiaires ou les
victimes puissent individuellement et collectivement faire l’histoire et leur devenir
commun ?»(2).

Comment peuvent-ils avoir les capacités et les moyens d’être acteurs de leur vie,
d’agir et de décider et participer en citoyens à l’heure du désenchantement
démocratique et de la montée des populismes , dans un monde où la Nation et le
Peuple ont perdu une grande partie de leur force fédératrice et mobilisatrice pour le
progrès commun et sont maintenant enrôlés pour la fermeture aux autres ? Plus que
jamais l’enjeu est la démocratie, le pari l’éducation populaire. Un pari qui ne se limite
pas à notre pays, partout dans le monde, sous des appellations différentes, il motive
des engagements dont les acteurs doivent pouvoir se reconnaître autrement que
dans la nébuleuse de l’éducation non formelle des textes internationaux.

C’est l’œuvre de militants, de citoyens engagés, d’élus, de responsables


associatifs, ,d’animateurs, de syndicalistes, d’acteurs de l’économie sociale, la part
d’initiative personnelle de professionnels de l’enseignement, de la formation, de la
culture, de l’ information, de travailleurs sociaux, de créateurs, de chercheurs Plus
que jamais l’enjeu est la démocratie pour un avenir solidaire et pacifique, le pari
l’éducation populaire L’impératif citoyen de ce nouveau siècle est d’aider à mieux
faire comprendre les affaires mondiales. La complexité n’est pas trop grande pour
être ramenée à la simplicité : il s’agit d’un principe de démocratie et de
responsabilité.

L’Occident n’est plus au centre d’un monde en métamorphose. Dans ce contexte, la


construction d’une Europe démocratique et sociale conjuguant émulation,
coopération et solidarité n’est plus seulement le moyen pour garantir la paix sur son
sol, mais dans un monde d’Etats continents où les pays européens ne regrouperont
que 5 % de la population mondiale à l’horizon 2050 l’Europe n’est-elle pas la voie
d’une recherche d’une co souveraineté à inventer pour être toujours présents à la
table des décideurs du monde avec un modèle social original, actualisé et durable ?

Dans ce monde en métamorphose s’il s’agit de faire société pour mieux vivre
aujourd’hui, il est indispensable de réintroduire le long terme en politique pour
l’avenir même de l’humanité.

Le citoyen doit se libérer du consommateur et ne peut plus se réduire à l’électeur


national. L’orientation de notre société ne peut être laissée au seules pressions des
« lobbies d’intérêts privés », des experts auto proclamés dont les agences de
notation ou ne reposer que sur les contributions non débattues des « réservoirs
d’idées » (think tank). La mise en mouvement, l’association de citoyens volontaires
conscients de leurs devoirs envers l’humanité est indispensable pour débattre, peser
et agir aux différents niveaux politiques de notre monde en vue du bien commun. (2)

En 1999, le Programme des Nations Unies pour le Développement affirmait déjà :


«La participation accrue des populations n’est pas une vague idéologie fondée sur
les bonnes intentions d’une poignée d’utopistes, c’est devenu un impératif, une
condition de survie. » soulignant ainsi l’importance de la mobilisation de la société
civile et des corps intermédiaires qui l’animent pour la transformation de la société.

Certains trouveront démesuré le rapport entre l’importance des questions à résoudre


et la capacité d’action de l’éducation populaire. Nous avons essayé de montrer tout
au long de ce survol qu’en permettant à chacun de prendre place, de connaître, de
comprendre, de s’engager, d’agir, d’entreprendre, elle crée les conditions d’une
émancipation intellectuelle et sociale et une capacité d’expression et de
responsabilité citoyenne. Sa force d’intervention n’est que celle de milliers de fourmis
de la culture, mais nous avons la faiblesse de penser que leur persévérance et leur
ténacité par la mobilisation sur l’essentiel des temps de cerveaux disponibles et par
l’action au quotidien ont un effet essentiel sur les représentations et l’évolution des
mentalités, sur la construction du vivre ensemble et des solidarités
Mais notre lucidité ne doit pas éviter de redoutables interrogations :

Comment l’utopie de l’Encyclopédie peut-elle s’envisager et prendre forme


aujourd’hui à l’ère de Google et de Wikipedia ?

Condorcet entrevoyait un avenir radieux « Nos espérances sur les destinées futures
de l’espèce humaine peuvent se réduire à trois questions : la destruction de
l’inégalité entre les nations, le progrès de l’égalité dans un même peuple et le
perfectionnement réel et continu de l’homme » Il pariait pour cela sur la « formation
d’hommes qui n’obéiront qu’à leur raison seule »,garantie en soi du bien public, car
pour des encyclopédistes « Nos descendants devenant plus instruits, deviendront
en même temps plus vertueux ! »

Comment, cette raison a-t-elle pu être aujourd’hui enrôlée au service de l’aliénation


de l’homme/consommateur par le neuro marketing , ou par le « trading à haute
fréquence» pour l’avidité sans bornes des dominants ? Comment a-t-elle pu se
compromettre dans les conflits d’intérêts des lieux publics d’expertise ?

Jean Macé avait diagnostiqué que l’indifférence, tout autant que l’ignorance,
devaient être mises au premier rang de nos malheurs, rappelant que « quand on
est en République, il n’est pas permis de ne s’occuper que de soi… La République
n’est pas un mol oreiller sur lequel on puisse dormir » A son dernier congrès il
précisait le devoir que les citoyens ont les uns envers les autres : « N’y a-t-il pas
enfin l’enseignement pratique de la grande, de la suprême école de la vie qui peut
se distribuer à tous les âges et qu’on se doit entre citoyens rendus solidaires par la
communauté de souveraineté ? »

Comment notre société d’individus peut-elle être sensible à un pareil devoir ?

Le programme du Conseil National de la Résistance voulait « Promouvoir la


possibilité effective pour tous les enfants de bénéficier de l’instruction et d’accéder à
la culture la plus développée quelle que soit la situation de fortune de leurs parents
et faire que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles a tous ceux
qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite
constamment renouvelée par les apports populaires. » Comment notre société
d’héritiers et de l’entre soi peut-elle réussir l’instruction de tous et s’ouvrir à un
pluralisme et un renouvellement des décideurs ?

Jean Rostand lors du centenaire de la Ligue proclamait son optimisme: « Je crois


que l’idée démocratique triomphera sans réserves. Il me paraît impossible que
l’instinct de justice ne fasse aboutir ses protestations et que l’avantage du plus grand
nombre n’en vienne à prévaloir sur l’intérêt de quelques uns ». Comment dans la
sinistrose du temps présent pouvons nous retrouver son enthousiasme ?

Armatya Sen rappelle à ces porteurs d’une vision exigeante de la citoyenneté, les
pré requis indispensables : une approche par les capacités qui vise le
développement des « capabilités » de tous les hommes et toutes les femmes, c’est-
à-dire à la fois de leurs capacités mais aussi des moyens et des ressources qui leur
permettent d’avoir une réelle liberté de choix de leur parcours de vie …
La possibilité d’une autonomie économique est la condition de base pour être
réellement acteur de sa vie, première étape de l’accession à la citoyenneté
Refusant fatalité et résignation devant l’impérieuse nécessité de sortir la crise de ce
monde sans souveraineté, confiants dans les ressources et les capacités de notre
pays et de ses citoyens ,voulons nous collectivement et démocratiquement décider
de ce que nous voulons faire de ce que l’histoire a fait de nous et qui ressemble à un
avenir pour cette génération et les suivantes ?

Ariane Mnouchkine dans son spectacle « l’Eveil », dont le titre est en soi tout un
programme, nous rappelle que l’histoire n’existe pas en dehors de nous : « Nos
vies se situent à chaque instant à une période historique : soit on décide dès
l’enfance (…) de participer à l’histoire, soit on décide que l’histoire se fait sans nous,
on met la tête dans un trou noir et on ne bouge pas …On peut être une fourmi sans
histoire, on peut être une fourmi historique. » Si c’était cela l’indispensable utopie de
l’éducation populaire ? et si c’était cette utopie qu’il nous appartient de faire vivre ?

Deux conseils de lecture:

Rencontre des Hommes Ce roman autobiographique, dont nous souhaitons la


réédition, a été écrit par Benigno Caceres. Cet autodidacte, d’abord compagnon
charpentier muni du seul certificat d’études , fut un des membres fondateurs de
Peuple et culture »La pluie survient et s’installe sur le chantier, l’apprenti
charpentier doit interrompre son travail, ne pouvant rentrer à la maison pour ne pas
consommer d’électricité dans la journée, il erre dans la ville … « C’est la
bibliothèque municipale. J’ai entendu dire que l’on peut y entrer gratuitement. Mais
comment faut-il faire ? …Bah ! Je verrai bien. Je me dirige vers l’immeuble. J’ouvre
une grande porte et me trouve dans une large salle que j’ose à peine regarder. Un
employé, me voyant embarrassé, m’explique qu’il faut remplir une fiche d’entrée.
J’inscris sur un bulletin vert mon nom, mon adresse, ma profession. Après quoi,
essayant de faire le moins de bruit possible avec mes gros souliers, je me dirige vers
le fond de la salle où des gens cherchent dans un grand fichier le titre du livre désiré.
Je suis intimidé. Je n’ose pas manipuler tous ces cartons avec mes grosses mains
gonflées d’engelures. Je comprends bien qu’il y a un classement par noms d’auteurs
allant de A à Z, mais lequel prendre, lequel choisir ?…Il y en a trop. Je cherche un
moment, puis, pour ne pas rester trop longtemps devant ce grand casier, je me
décide à inscrire sur le carton un titre qui me plaît. Je n’ai plus le porte-plume de
l’employé. Embarrassé, je sors de ma poche de côté mon crayon rouge de
charpentier et de l’écriture la plus fine possible, je m’applique à transcrire les
références. Je dois ensuite traverser la salle pour me faire donner le livre. J’ai
l’impression que tout le monde me regarde comme l’homme des cavernes, sans
doute à cause de mon pantalon large de velours tout rapiécé et de ma gaucherie.
J’ai honte, je sens mon ignorance : je suis révolté. J’ai envie de leur crier que nous
ne venons pas lire souvent, mais que sans nous les salles n’existeraient pas. Pour
être un homme, il faut avoir, sans doute, la culture qu’ils ont, mais il faut aussi
posséder un métier et je ne les ai jamais vus venir au chantier, prendre la pelle et le
marteau. Je voudrais les voir. Je regarde dans la salle tous ces visages. Il y a surtout
des jeunes filles et des jeunes gens de mon âge. Tous les jours, ils peuvent venir
s’instruire. Moi pas. Il me faut gagner ma vie. La famille la gagne pour eux. Je les
hais presque. Il n’y a pas d’ouvriers dans la salle. Ils sont à la tâche de tous les jours.
Ce milieu n’est pas pour nous. Rien ne nous y est préparé. J’ai le sentiment d’être
l’étranger. Ma gêne devient plus grande, mes yeux deviennent humides. Je ne dis
rien. Je m’assieds dans un coin : je lis le Tartuffe de Molière. » Ce texte a été retenu
pour que l’éducation populaire n’oublie pas les destinataires des « emplois d’avenir
».
Le Peuple existe-t-il ? (3) Dans notre vocabulaire politique le mot « peuple »
occupe une place singulière. Parfois nous le délaissons , parfois le mot s’impose.
Réactivé par les débats sur l’évolution de l’Europe , il est surtout évoqué depuis
que , dans le monde arabe et musulman ,des régimes autoritaires et corrompus ont
vu se dresser contre eux des mouvements populaires, des peuples. Mais qu’est-ce
qu’un peuple ? Constitue-t-il l’ensemble du corps social , ou seulement une partie,
faite des « humbles » susceptibles de s’affronter aux « gros » , aux élites ? Ni la
foule , ni la masse, le peuple est une totalité relativement indéterminée, faiblement
organisée. Cet être collectif fondateur de l’imaginaire de la citoyenneté, peut être
mobilisé par un leader charismatique. La notion le tire plus du côté de la gauche,
mais la droite s’y réfère . Ce mot s’impose là où la démocratie est affaiblie ,
inopérante ou inexistante, bien plus que là où elle connaît une réelle vitalité. C’est
pourquoi le retour du mot peuple doit être interrogé.

André Jourdes

(1) Pour Jean Zay, la République repose avant tout sur le civisme et l’intelligence des
citoyens, c’est-à-dire sur leur éducation intellectuelle et morale. […] Contre la
conservation sociale mais aussi contre les utopies révolutionnaires, la politique est
ce mouvement par lequel l’humanité s’approfondit et devient en quelque sorte plus
digne d’elle-même. » (Antoine Prost).

(2) »Education populaire et puissance d’agir » Christian Maurel Editions


L’Harmattan.

(3) « Le peuple existe-t-il ? » Actes des « Entretiens d’Auxerre » organisés par le


Cercle Condorcet Editions des Sciences Humaines

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