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Chercheur au quotidien
Sébastien Balibar
La Course ou la ville
Ève Charrin
ISBN : 978-2-37021-018-0
www.seuil.com
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Copyright
La société illisible
Déchißrer la France
Le roman et l’enquête
Un site internet
Résister et refonder
UNE SOCIÉTÉ
À LA RECHERCHE
D’ELLE- MÊME
Le projet Raconter la vie, dont cet essai expose les ambitions et
les moyens, veut contribuer à sortir le pays de l’état inquiétant dans
lequel il se trouve. Chacun sent bien que des déchirements décisifs,
peut-être irréversibles, sont en train de se produire dans les
profondeurs de la société. Et chacun peut en même temps constater
qu’une lente dérive démocratique commence à faire sentir ses
effets – la marge inédite de progression du Front national en étant
une des expressions les plus perceptibles. De multiples facteurs,
d’ordre économique notamment, peuvent expliquer le
désenchantement et la peur de l’avenir qui taraudent les esprits.
Mais l’un d’entre euX joue un rôle probablement majeur : le pays ne
se sent pas écouté.
Une impression d’abandon exaspère et déprime aujourd’hui de
nombreuX Français. Ils se trouvent oubliés, incompris. Ils se sentent
exclus du monde légal, celui des gouvernants, des institutions et des
médias. De fortes prises de parole, coups de gueule ou coups de
cœur, surgissent certes parfois dans l’épreuve d’une fermeture
d’entreprise, dans la résistance à des projets bouleversant un
territoire, ou encore dans des manifestations visant à obtenir la
reconnaissance de droits. Des faits divers laissent aussi parfois
apparaître des misères cachées et des détresses insoupçonnées. Des
morceauX de vie font alors brutalement surface et s’imposent dans le
débat public. L’écho qu’ils rencontrent peut faire illusion et laisser
croire à une attention plus générale à la société. Mais cela ne
représente qu’un nombre limité de situations. Et n’implique souvent
que ceuX qui savent s’organiser, parce qu’ils sont les héritiers d’une
tradition revendicative ou parce qu’ils ont un accès facile auX
médias. Seule apparaît donc la partie émergée d’un immense iceberg
qui reste invisible sous les flots et ne se laisse deviner que sous les
espèces d’une protestation diffuse ou d’une désillusion amère, dont
les sondages ou les bulletins de vote traduisent périodiquement
l’ampleur.
La société illisible
On ne doit donc pas se tromper de diagnostic. La distance entre
le monde politique et la société n’est pas seulement le produit d’une
coupable indifférence ou l’effet d’un règne de la langue de bois. Elle
procède aussi d’une société contemporaine devenue plus opaque,
moins lisible, qui a vu s’élargir la coupure originelle entre le
principe politique et le principe sociologique de la démocratie. Ce
qu’on appelle la « crise de la représentation » est en effet
simultanément une crise de compréhension de cette société : celle-ci
est devenue illisible, introuvable à ses propres yeuX, comme à ceuX
de l’observateur.
Cette difficulté à lire la société plonge ses racines dans
l’individualisme constitutif de la modernité. Au début du XIXe siècle,
il était ainsi fréquent de parler de « société en poussière ». Après
l’effondrement de l’ancien monde des corps et des corporations sous
les coups de boutoir de 1789, dominait en effet le sentiment d’une
perte générale de repères. Mais le développement du capitalisme, en
créant une société de classes, avait paradoXalement redonné une
évidente lisibilité au monde social – Marx disait qu’une fabrique
textile produit à la fois du coton et des prolétaires. Par un effet de
balancier, ce sont les mutations contemporaines du capitalisme qui
ont bouleversé le précédent monde formé de blocs stables et
compacts, de classes bien délimitées. D’où le retour à une
indétermination originelle qui engendre simultanément une
pressante attente de déchiffrement et d’expression de soi.
Le capitalisme, tel qu’il s’est recomposé à partir des années 1980,
produit en effet du social sur un mode inédit. Il se distingue du
précédent capitalisme d’organisation d’une double façon. En termes
de rapport au marché et de rôle des actionnaires, avec évidence.
Mais aussi dans son mode de mobilisation de la force de travail. La
gestion de l’ouvrier-masse de l’ère fordiste a cédé la place à une
valorisation des capacités individuelles de création, et les qualités
d’attention personnelle, d’engagement et de réactivité sont devenues
des facteurs essentiels d’efficacité. Le travail s’est de la sorte
davantage singularisé.
DeuX autres raisons majeures expliquent cette mutation. La
nature même de la production a d’abord changé. Les nouveauX biens
de l’information et de la communication sont plus directement
constitués par de la connaissance, et les objets techniques euX-
mêmes incorporent essentiellement du savoir scientifique.
L’innovation est donc devenue le principal facteur de production. Le
développement d’une économie de services donne en second lieu
une importance centrale à la qualité de la relation avec le
consommateur, car cette qualité est constitutive de ce service. Là
aussi, on peut donc parler d’un processus de singularisation du
travail. C’est évident lorsqu’on pense à des activités de soins, de
conseil, d’enseignement, ou à l’artisanat spécialisé (comme la
cuisine). C’est également le cas des métiers de livraison ou de
réparation à domicile. La notion de qualité est donc devenue
centrale. Elle correspond à la diversification potentiellement infinie
des différentes façons d’accomplir ces tâches et à la différenciation
croissante des produits qui l’accompagne, marquant la rupture avec
la précédente économie de la quantité. D’où encore le fait que les
variations des conditions d’« employabilité » (mot nouveau s’il en
est !) produisent d’importants effets de distinction ou de
segmentation dans le monde du travail.
Les lieuX de travail euX-mêmes ont aussi changé. Globalement, la
production est beaucoup plus éparpillée, tandis que la place
croissante de la distribution (la mise à disposition des produits)
engendre, elle aussi, dissémination et mutation de la force de
travail. Avec la grande distribution, les caissières et les travailleurs
en entrepôt se sont multipliés alors que l’emploi industriel
diminuait. Les usines géantes ont par ailleurs quasiment disparu. On
ne compte aujourd’hui en France que trois établissements employant
plus de diX mille personnes, alors qu’il y en avait des dizaines dans
les années 1960. Et lorsqu’il existe encore de grandes concentrations
de travailleurs, c’est dorénavant dans les entrepôts logistiques qu’on
peut les observer.
Autre manifestation encore de cette évolution, les inégalités ont
changé de nature. S’il existe encore plus que jamais des inégalités
entre catégories sociales (entre les riches et les pauvres, entre les
cadres et les ouvriers, etc.), ces inégalités se sont elles aussi
individualisées. Cela en change la perception. Les inégalités
résultent dorénavant autant de situations (individuelles par nature)
qui se diversifient, que de conditions (sociales, elles) qui se
reproduisent. Les économistes parlent d’inégalités intracatégorielles
pour caractériser ces nouvelles inégalités. Elles sont parfois les plus
durement ressenties, car elles font ressortir des variables de
trajectoires personnelles susceptibles d’être considérées comme
marquées par l’échec ou l’incapacité. Elles n’ont pas le caractère
objectif, et donc psychologiquement rassurant, des inégalités
traditionnelles de condition. Si elles peuvent être attribuées à la
malchance ou à l’injustice, elles n’en sont pas moins associées dans
les têtes à un nouveau rapport auX idées de mérite et de
responsabilité. Dans un monde qui valorise la singularité, ces idées
sont en effet mécaniquement réhabilitées. La responsabilité devient
indissociablement une contrainte qui pèse sur les individus
(l’injonction à être efficace, à s’engager) et une valeur positive dans
une société qui se réindividualise. Se sont simultanément
développées des discriminations résultant des différences de
traitement des personnes en fonction de leur sexe, de leur origine,
de leur religion ou d’autres caractéristiques. Elles aussi invitent à
porter un regard neuf sur les nouvelles modalités de l’inégalité et à
lire autrement la société.
En termes plus générauX, la période contemporaine marque
l’entrée dans un nouvel âge de l’individualisme : l’individualisme de
singularité. S’ouvre avec lui une nouvelle étape de l’émancipation
humaine, une étape caractérisée par le désir d’accéder à une
existence pleinement personnelle. Son avènement a été lié à la
complexification et à l’hétérogénéisation du monde social, auX
mutations du capitalisme donc également. Mais, plus profondément
encore, il tient au fait que les individus sont dorénavant autant
déterminés par leur histoire personnelle que par leur condition
sociale. Ce sont la confrontation avec les événements, les épreuves
subies ou les opportunités rencontrées qui façonnent aujourd’hui les
existences, marquent des points d’arrêt, condamnent à des
régressions ou entraînent des améliorations de position. DeuX
personnes issues d’un même milieu ou ayant eu la même formation
auront ainsi des parcours qui pourront fortement diverger selon
qu’elles aient ou non fait l’expérience de situations de chômage ou
d’un divorce. Les travauX des psychologues ont d’ailleurs mis
l’accent sur le fait que les individus n’étaient dorénavant pas tant
sensibles à ce qu’ils possédaient à un moment donné qu’à ce qu’ils
craignaient de perdre ou à ce qu’ils espéraient gagner. C’est de façon
dynamique qu’ils considèrent de plus en plus leur existence.
L’individu-histoire, nécessairement singulier, s’est superposé à
l’individu-condition, davantage identifié de façon stable à un groupe,
lui-même constitué autour d’une caractéristique centrale.
Cet individualisme de singularité induit aussi de nouvelles
attentes démocratiques. Dans la démocratie comme régime politique
lié au principe d’universalité d’origine, le suffrage pour tous
signifiait que chacun détenait une portion de souveraineté égale à
celle des autres. Être égal voulait dire être semblable auX autres.
Dans la démocratie comme forme sociale de l’individualisme de
singularité s’ajoute l’aspiration à être important au X yeuX d’autrui, à
être unique. Est ainsi implicitement formulé un droit égal pour
chacun à voir ses idées et ses jugements pris en compte, reconnus
comme ayant une valeur. Plus largement, c’est l’ensemble des
attentes et des frustrations sociales qui se trouvent de la sorte
remodelées et redéfinies.
L’invisibilité renvoie donc à deuX phénomènes dont les effets se
superposent sans se confondre : l’oubli, la relégation, la négligence,
d’une part, et l’illisibilité d’autre part. L’objectif de Raconter la vie
est lui aussi double. Il est de faire sortir de l’ombre des existences et
des lieuX. Mais il est aussi de contribuer à la formation de nouvelles
catégories pour appréhender la société d’aujourd’hui et en
comprendre plus efficacement les ressorts et les problèmes. Il a dans
ce cadre une triple dimension : politique, sociale et morale.
Une ambition démocratique
Face à la mal-représentation par les partis, qui conduit à
idéologiser et à caricaturer la réalité, il faut construire une
représentation-narration pour que l’idéal démocratique reprenne vie
et forme. Le temps est venu de proposer une forme d’ensemble à
toutes les attentes de reconnaissance qui se manifestent, pour les
constituer en un mouvement explicite, leur donner un sens positif et
une cohérence. Cette forme aura une dimension authentiquement
démocratique parce qu’elle tissera, à partir de multiples récits de vie
et prises de parole, les fils d’un monde commun. Forme
démocratique encore, parce que la connaissance qu’elle produira
aura en elle-même une vertu émancipatrice, en permettant auX
individus de se réapproprier leur existence et de se situer dans le
monde. Cette connaissance les aidera à sortir du désenchantement
dans lequel ils sont enfermés.
Donner la parole, rendre visible, c’est en effet aider des individus
à se mobiliser, à résister à l’ordre existant et à mieuX conduire leur
existence. C’est aussi leur permettre de rassembler leur vie dans un
récit qui fait sens, de s’insérer dans une histoire collective. L’histoire
du monde ouvrier a montré que c’était essentiel. On ne devient
acteur de sa propre vie que si l’on cesse de subir passivement les
choses, d’être ballotté par les flots de l’existence immédiate, que si
l’on sort de son isolement. On ne peut se projeter dans l’avenir que
si l’on a les moyens de resituer son expérience dans une vision plus
large et plus longue de l’émancipation humaine. Sortir de l’ombre et
de l’anonymat, c’est assurément pouvoir inscrire sa vie dans des
éléments de récit collectif ; affirmer sa singularité et en même temps
se découvrir participant d’une communauté d’expérience ; lier son
« je » à un « nous » ; retrouver en même temps dignité et capacité
d’action.
Ceci est vital dans la période de mutation rapide du capitalisme
que nous connaissons. Cette mutation a en effet provoqué une
coupure entre deuX univers sociauX. D’un côté, l’ancien monde
ouvrier, celui de l’automobile, de la sidérurgie, de la construction
navale, des industries mécaniques et chimiques. Héritier d’une
longue histoire de luttes, il s’est constitué dans les « forteresses
ouvrières » du capitalisme industriel et reste encore assez fortement
syndicalisé. Depuis près de trente ans, il mène la bataille pour tenter
de sauvegarder ses emplois et maintenir les bénéfices d’une
condition salariale chèrement acquise. De l’autre côté, l’univers des
entrepôts logistiques, des sociétés de service, des chauffeurs-livreurs,
des dépanneurs… La nouvelle classe ouvrière qui le compose s’est
développée durant les années de crise. Elle résulte d’un vaste
mouvement contemporain de reprolétarisation. Elle est familière des
salaires voisins du SMIC, dispersée, sauf quelques rares exceptions,
dans une multitude de petites et moyennes entreprises, pas ou peu
syndicalisée. Les ouvriers de l’industrie traditionnelle ne sont donc
plus majoritaires aujourd’hui. CeuX que l’INSEE recense désormais
sous cette rubrique sont pour l’essentiel les bataillons de
conducteurs, livreurs, manutentionnaires, magasiniers, préparateurs
de commande, ou réparateurs à domicile. Et ce qui subsiste du
travail à la chaîne dans sa forme la plus dure ne se trouve plus dans
l’automobile, où la production est largement automatisée, mais dans
l’agro-alimentaire (voir le travail dans les abattoirs par exemple).
C’est là que bat aujourd’hui le cœur inexploré du travail invisible.
En dessiner et en détailler les traits, c’est sortir ceuX qui le
composent du repli sur euX-mêmes et mettre un terme à leur
sentiment d’abandon. C’est leur offrir un miroir pour qu’ils ne soient
plus condamnés à subir les choses ; pour qu’ils se constituent en
acteurs de leur propre vie ; pour qu’ils puissent à leur tour se
projeter dans une vérité collective.
Au-delà de cette figure centrale, bien d’autres professions
inaperçues, situations de vie ou de travail, ne font l’objet d’aucune
attention. Songeons seulement au vaste univers souterrain constitué
par les employés de ménage de toute nature, et plus largement à
tous ceuX qui œuvrent dans l’ombre ou en dehors des horaires
ordinaires de travail pour que la vie économique et sociale
fonctionne. De même, bien des facettes de la vie personnelle et
sociale ne sont pas racontées et ne sont pas intégrées dans la sphère
des préoccupations communes. Si les problèmes de sécurité ou ceuX
du transport retiennent par exemple l’attention politique, bien
d’autres difficultés constituantes du quotidien restent dissimulées
dans les replis des vies individuelles, secondarisées. Considérons, à
titre d’illustration, la difficulté de divorcer, avec l’obligation
conséquente de continuer à cohabiter, que rencontrent certaines
personnes pour des raisons matérielles, ou bien encore celle que
peut rencontrer un jeune pour quitter son milieu familial. Ces types
de situation sont légion. Mais elles ne sont jamais constituées en
véritables questions sociales. Les raconter, c’est commencer à le faire
et contribuer à la formation d’une communauté de citoyens comme
communauté de préoccupation mutuelle.
L’HISTOIRE D’UNE
PRÉOCCUPATION
Une représentation généralisée
Comment représenter adéquatement la société, en dessiner les
traits et en exprimer fidèlement les attentes ? Cette question s’est
confondue avec l’histoire même de la démocratie. Donner
consistance à la démocratie, c’est en effet donner une voiX et un
visage – des voiX et des visages, devrait-on plutôt dire – au peuple
souverain. Cette ambition s’est liée dès l’origine à des entreprises de
connaissance et de déchiffrement distinctes des mécanismes de la
représentation électorale. Être représenté, ce n’est en effet pas
seulement voter et élire un « représentant », c’est voir ses intérêts et
ses problèmes publiquement pris en compte, ses réalités vécues
exposées. Raconter la vie fait sur ce point écho à une longue
tradition.
Au XIXe siècle, bien avant d’avoir obtenu le droit de suffrage, le
monde ouvrier s’était ainsi doté de journauX – en France L’Artisan,
L’Écho de la fabrique, La Ruche populaire – pour faire connaître les
réalités du travail. La réalisation de toute une série d’enquêtes sur la
condition ouvrière avait alors constitué une sorte d’alternative à une
absence de représentation politique institutionnelle. Après 1840, au
moment où avait échoué la grande mobilisation pour obtenir la
réforme électorale, ces initiatives s’étaient d’ailleurs multipliées.
« Les ouvriers, disaient par exemple les rédacteurs de L’Atelier, n’ont
pu jusqu’à présent se faire entendre que parce qu’ils ont accepté les
intermédiaires que le hasard ou les spéculations politiques leur
faisaient rencontrer sur leur route. Dorénavant, ils parleront d’euX-
mêmes : ce sera moins bien dit, mais ce sera vrai, et on devra croire
des ouvriers parlant au nom de tous les ouvriers. »
Alors que les ouvriers étaient éloignés des urnes, se
développaient des initiatives qui visaient à leur donner la parole
sous d’autres formes, compensant un déficit politique premier. La
chanson, la poésie et la littérature d’origine populaire ont ainsi joué
un rôle considérable sous la monarchie de Juillet, avant la conquête
du suffrage universel. C’est donc bien dans la perspective élargie
d’une économie générale de la représentation qu’il faut appréhender
les choses : la représentation est aussi compréhension et expression
de soi.
On a peine à imaginer aujourd’hui l’immense audience des
poètes ouvriers de l’époque. Le cordonnier Lapointe, le serrurier
Gilland, le maçon Poncy, le tisserand Magu et quelques dizaines
d’autres ont écrit des chansons et des poèmes fredonnés et lus avec
enthousiasme auX quatre coins du pays. Ces « voiX d’en bas »,
comme on disait alors, ont eu pour commune obsession de donner la
parole à tous les prolétaires obscurs que la société traitait
politiquement en mineurs et socialement en parias. « Faire parler les
muets », tel était l’objectif qu’ils ont obstinément poursuivi. À
rebours de la vision romantique habituelle de l’artiste comme génie
incompris et séparé des hommes, vivant sur un mode héroïque les
contradictions du monde moderne, ces poètes n’ont pas eu d’autre
prétention que d’être les porte-parole de la masse anonyme et de
faire connaître les réalités de l’atelier ou de la rue.
Des poètes ? Pas seulement. En publiant un premier recueil de
leurs textes, le saint-simonien Olinde Rodrigues parlait d’euX comme
les « vrais élus des classes ouvrières ». Ils étaient en effet à la fois la
voiX des sans-voiX, les porte-parole des obscurs, mais aussi ceuX qui
rendaient lisible et compréhensible une réalité opaque. Ils
remplissaient ainsi une double fonction d’expression et
d’élucidation. Une vibrante préface à un recueil de l’imprimeur sur
tissus Théodore Lebreton l’avait souligné en des termes tout à fait
typiques de la mystique sociale alors en vogue : « Il appartient au
poète prolétaire de manifester, y lisait-on. C’est à lui à porter la
lumière au fond de ces limbes obscurs où se cachent si souvent
encore des vertus radieuses. Lui seul, qui a senti comme eu X, pourra
se faire le digne interprète de ses frères, interprète de leurs intérêts
trahis, de leurs besoins oubliés et, plus encore, de leurs sentiments
méconnus. » Le poète était bien dans ce cas un député. Mais un
député d’un genre nouveau, totalement immergé dans l’univers de
ses mandants, vivant leur vie, partageant leurs difficultés, dans une
négation radicale de l’esprit de notabilité. En lui se superposaient
exactement les notions de représentation et d’expression. Un appel
publié en 1841 par L’Atelier l’exprimait parfaitement : « Ouvriers !
Nous ne vous appelons pas autour de nous, parce que nous ne
sommes ni une personne ni un parti : nous sommes la foule ; soyez
la foule comme nous. » La représentation était là pure incarnation.
Le poète était un homme-foule, il était la simple métaphore du
nombre. Il pouvait s’appeler « million », comme le suggérait alors de
façon saisissante le Polonais Adam Mickiewicz.
Cette dimension représentative de la poésie ouvrière de l’époque,
nul ne l’a mieuX exprimée qu’Eugène Sue, l’auteur des Mystères de
Paris. « À défaut de représentation politique, ces ouvriers ont créé
une sorte de représentation poétique », avait-il résumé. La
représentation poétique comme béquille d’une représentation
politique défaillante : tout était dit dans cette extraordinaire formule
inscrivant la représentation dans une entreprise multiforme
d’expression de soi et de connaissance sociale, qui ne pouvait se
laisser enfermer dans les bornes étroites du processus électoral.
Déchiffrer la France
Au-delà de l’œuvre des poètes ouvriers, c’est à travers la
littérature et l’essai qu’a souvent été entreprise au XIXe siècle la tâche
de rendre lisible la société issue de la Révolution, qui avait perdu les
points de repère donnés par son ancienne organisation en ordres et
en corporations. C’est ce qui a expliqué la véritable fièvre
d’autoanalyse qui a saisi la France dans les premières décennies du
e
XIX siècle. On a ainsi vu émerger une foule de livres, de brochures et
de feuilletons proposant de décrypter la nouvelle société de
l’époque. Tout cela allait beaucoup plus loin que le simple souci du
pittoresque ou de la satire de mœurs qui avaient fait auparavant le
succès du Tableau de Paris de Louis Sébastien Mercier. Il s’agissait
en effet d’entreprises au caractère ouvertement sociologique.
Dans cette masse de publications soucieuses de déchiffrer la
France, l’une d’entre elles retient tout particulièrement l’attention :
la série Les Français peints par eux-mêmes, publiée à partir de 1839,
constituée de quatre cents petites brochures illustrées consacrées
chacune à un « type social ». Des écrivains de renom ont apporté
leur plume à l’entreprise, lancée par un éditeur, Léon Curmer. C’est
Balzac qui a inauguré la série avec le portrait de l’épicier. Mais il a
aussi saisi la figure du rentier, comme celle de « la femme de
province » ou encore celle de « la femme comme il faut ». D’autres
noms de la littérature de l’époque – Louise Colet, Alphonse Karr,
Charles Nodier – ont été mobilisées. Les plus grands dessinateurs de
l’époque, de Daumier à Henry Monnier, ou de Gavarni à Traviès, ont
illustré ces brochures. La société française a été explorée par euX en
tous sens, dans ses mœurs politiques, culturelles ou sociales, comme
dans ses activités économiques. Si les petits métiers traditionnels de
la rue et de l’atelier ont bien été croqués, le nouvel univers
capitaliste a aussi soigneusement été pris en compte : l’enfant de
fabrique, le canut, les ouvriers du fer et le spéculateur ont ainsi
composé une saisissante galerie de l’économie moderne. Les marges
du social ont également été étudiées. Moreau-Christophe, un des
grands pionniers des enquêtes sociales, a par exemple donné une
extraordinaire série de portraits de pauvres et de détenus.
Contrebandiers, forçats, mendiants, prostituées ont ainsi vu leur
condition auscultée. Les styles de vie et les modes ont été examinés
au scalpel, fournissant l’occasion de séduisants portraits de « la
grande dame de 1830 », du « viveur », du comédien de boulevard,
du touriste, de l’étudiant en droit ou du directeur de théâtre. Ce
qu’on appelait à l’époque « la province » n’a pas non plus été oublié.
Près du tiers des brochures lui a été consacré.
« Toutes les classes de la société ont été explorées, a écrit
l’éditeur en conclusion de la série, les salons les plus élégants, les
bouges les plus honteuX, les plus nobles sentiments de la nationalité,
les plus sales instincts du vice, les plus touchantes émotions du
cœur, les plus affreuX débordements de la débauche, tout a été
sondé avec la patience et la résignation de l’opérateur, qui conduit
d’une main sûre le scalpel à travers les tissus gangrenés de la plaie
qui va être dénudée, mais que toute la science du praticien ne
guérira pas. Ouvrez donc ce livre, la société y est reflétée tout
entière. Chaque classe de la société a trouvé son peintre. »
L’engouement pour les statistiques qui a simultanément marqué
la période a participé d’un même désir du pays de mieuX se
connaître et d’exposer à la face des pouvoirs les réalités vécues. Les
journauX de la période ont d’ailleurs constaté qu’ils augmentaient
leurs ventes lorsqu’ils publiaient des données économiques, sociales
ou démographiques sur l’état du pays ou de la société. « La
statistique, disait-on alors, est comme un des organes essentiels du
gouvernement représentatif. Sous toutes les variétés que comporte
ce régime, il est fondamental que les gouvernés interviennent dans
la gestion de leurs intérêts, qu’ils aient le droit de scruter leurs
affaires. […] On peut dire qu’à plus d’un égard la sincérité du
régime représentatif peut se mesurer au soin dont la statistique est
1
l’objet et à l’abondance des documents qu’elle produit . » Le succès
public rencontré par les grandes enquêtes sociales de la période –
celles de Buret, Villermé, Parent-Duchâtelet – s’explique pour la
même raison. C’est à ce même esprit de curiosité, à cette même soif
de décryptage que fait écho, à un siècle et demi de distance, le
projet Raconter la vie.
Le roman et l’enquête
Le roman a aussi joué un rôle essentiel dans cette entreprise de
représentation. Dans son avant-propos à la Comédie humaine, Balzac
se présente comme un nouveau Buffon, désireuX de décrire toutes
les « espèces sociales ». Hugo, lui aussi, a explicitement voulu faire
le roman de la société. S’il entendait tenir les deuX bouts de la
chaîne de l’individuel ou du collectif, notant que « l’homme est une
profondeur encore plus grande que le peuple », il a d’abord voulu
sortir l’homme d’en bas de l’ombre dans laquelle il était confiné,
donner forme à cette « chose sans nom » que constituait la misère.
Cela a été le programme indissociablement politique et littéraire des
Misérables. « L’Observateur social, a-t-il noté dans l’ouvrage, doit
entrer dans les ombres. Elles font partie de son laboratoire. » Les
mots « ombre », « nuit », « souterrain », « gouffre », « invisible »
sont de fait omniprésents dans l’œuvre. Hugo parle ainsi de Jean
Valjean
comme celui qui « ressemblait auX êtres de nuit tâtonnant dans
l’invisible ou souterrainement perdus dans les veines de l’ombre ».
Son but était d’exposer ces êtres en pleine lumière, de rendre
familières au lecteur ces existences négligées et enfouies dans les
profondeurs du social. Pour cela, le romancier ne s’était pas
contenté de faire appel à la puissance de son imagination, il s’était
aussi nourri d’innombrables lectures, il avait dévoré les enquêtes
sociales de l’époque afin de représenter cet homme d’en bas. Un
contemporain pouvait ainsi dire que les romans avaient pour finalité
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de devenir les « mémoires de tous ».
En Grande-Bretagne, Dickens, Thackeray ou Trollope se sont
donné comme même objectif de faire prendre conscience à leurs
concitoyens de la vérité des mœurs de l’époque, des maladies
sociales qui l’affectaient et de rendre leur dignité auX exclus. Une
nouvelle forme de journalisme a simultanément fait son apparition
dans le pays, autour de l’œuvre pionnière de Henry Mayhew qui a
chroniqué dans les années 1840 et 1850 la vie des anonymes en
collectant directement leurs témoignages. Il a décrit son travail
comme une tentative « de recueillir l’histoire des gens sur leurs
propres lèvres, et de décrire leur travail, leurs gains, leurs
espérances et leurs souffrances dans leur propre langage ». Au
tournant du siècle, en 1904, Charles Booth a publié les quatre
volumes de Vie et travail du peuple de Londres, qui ont marqué une
date en faisant pénétrer le lecteur dans le quotidien populaire. Avec
Dans la dèche à Paris et à Londres (1933), George Orwell a poursuivi
cette tradition en faisant le portrait des « hommes au rabais » dans
les deuX capitales.
Plus tard, auX États-Unis, Upton Sinclair ou John Steinbeck se
sont fiXé un objectif identique, certains de leurs ouvrages jouant un
rôle social ou politique majeur. Que l’on songe à La Jungle (1906) du
premier, saisissante dénonciation du sort fait auX ouvriers des
abattoirs de Chicago au début du XXe siècle, ou auX Raisins de la
colère (1939) du second, au sortir de la Grande Dépression. Outre-
Atlantique, il faut aussi mentionner l’œuvre singulière et
monumentale de Studs Terkel. Homme de radio, il a interrogé des
centaines d’anonymes, dont les récits ont été publiés dans des
ouvrages découpant de grands thèmes (le travail, les relations
interraciales, les souvenirs de la Grande Dépression, etc.) qui ont
marqué l’édition et enthousiasmé le public. Ces « histoires orales »
ont été consacrées par un priX Pulitzer, ce qui permit à l’auteur de
dire avec humour qu’il était devenu célèbre « pour avoir célébré
ceuX que l’on ne célèbre pas ».
La sociologie s’est parallèlement construite dans ce pays pour
rendre lisible une société en pleine ébullition et en démonter les
ressorts. Elle a été d’autant plus solidement greffée sur des enquêtes
de terrain qu’elle traitait d’une société en changement rapide. C’est
de cette façon qu’il faut resituer le caractère pionnier de « l’École de
Chicago », née au tournant du XXe siècle du souci de saisir une
métropole qui avait vu sa taille décupler en une décennie au
tournant du siècle, notamment sous l’effet d’un affluX exceptionnel
d’immigrants, de Polonais venus d’Europe autant que de Noirs ayant
quitté le Sud. Cette sociologie était avant tout soucieuse de produire
de minutieuses monographies dont Robert Park et Everett Hughes
ont fourni les premiers modèles. Tournant le dos auX grandes
théories sociales qui avaient alors le vent en poupe en Europe, leur
travail avait une dimension essentiellement ethnographique. Des
figures comme celles du « hobo », du paysan polonais immigré ou
du jeune délinquant, ont fait l’objet d’ouvrages devenus des
classiques, tandis qu’une attention particulière était portée auX
relations interraciales, auX formes de déviances, et à tout ce qui
minait silencieusement la qualité de la vie sociale. Ces livres avaient
pour caractéristiques d’être attentifs au grain de la vie et de
proposer une compréhension sensible de leurs objets, fondés qu’ils
étaient sur une longue immersion de leurs auteurs sur le terrain. Fait
significatif, le père fondateur de cette école, Park, n’était devenu
universitaire que sur le tard. Son travail novateur de sociologue
s’était situé à ses yeuX dans la continuité de sa profession première
de journaliste d’investigation, qu’il avait exercée à Minneapolis,
Détroit, puis New York. Le refus des stricts cloisonnements
académiques contribua puissamment à l’originalité de tous ces
travauX. La même attitude a guidé le lancement d’autres projets
novateurs dans l’Amérique des années 1930.
Un site internet
C’est cependant au site internet raconterlavie.fr que cet essai, Le
Parlement des invisibles, doit au premier chef son titre. Ce site aura
une double fonction. Il élargira le contenu ou la réception des livres
en les adossant à des ensembles documentaires incluant aussi de
l’image et du son, et proposera un espace de discussion sur les
ouvrages. Surtout, le site offrira un espace d’édition virtuelle dans
lequel tous les récits de vie pourront être accueillis, faire l’objet de
rapprochements et dessiner un espace social d’un type inédit.
En proposant à tous ceuX qui le souhaitent, et on sait qu’ils sont
nombreuX, de publier en ligne leur récit de vie 1, il aura une fonction
démocratique. En offrant d’abord un espace de représentation, c’est-
à-dire de présentation de soi à autrui, il fera sortir des vies de
l’anonymat, de l’oubli ou de l’indifférence. Il les établira dans un
rapport d’égalité avec les autres. Il leur donnera aussi une dignité en
les faisant connaître et reconnaître. Fonction démocratique encore,
parce qu’il contribuera à arrêter l’effritement du commun qui
s’enracine aujourd’hui dans l’ignorance croissante de la vie réelle.
Le site aura aussi une dimension communautaire. Il sera en effet
directement producteur de lien social, autant par la dynamique
d’intercompréhension et de curiosité pour autrui qui le sous-tendra
que par les échanges et les formes d’entraide qu’il favorisera.
raconterlavie.fr aura de la sorte une double dimension de lieu et de
lien. Il permettra de développer les virtualités démocratiques
d’internet et de faire reculer ses usages étroits et déconstructeurs. Il
portera sa pierre au développement des réseauX sociauX d’essence
citoyenne.
Résister et refonder
Par le livre et par le site internet, de nouvelles formes de
représentation directe de la société émergeront pour restaurer une
vie démocratique capable de résister auX évolutions inquiétantes qui
se dessinent aujourd’hui. Raconter la vie contribuera à faire reculer
les idéologies de l’identité et du repli sur soi qui fondent la montée
en puissance des populismes et du racisme, qui pourrissent la
politique en hypostasiant la figure abstraite d’un peuple un et
homogène. À rebours d’une telle vision négative du lien social qui
n’opère que par soustractions et rejets, ce projet fournira en effet les
éléments d’une reconstruction positive d’un monde commun,
reconnu dans sa diversité et dans sa réalité. En substituant à
l’affrontement des slogans une attention auX réalités, il aidera le
pays à sortir des peurs et des fantasmes qui le minent. Il participera
ainsi à la refondation d’une démocratie aujourd’hui dangereusement
fragilisée.
1. Qui prendra la forme d’un petit livre numérique téléchargeable gratuitement.
Références des ouvrages cités
Agee James et Evans Walker, Let Us Now Praise Famous Men, Boston,
Houghton Mifflin, 1960 [1941] ; trad. fr. : Louons maintenant les
grands hommes. Alabama : trois familles de métayers en 1936,
Paris, Plon, 1972 (rééd. 1993).
Aubenas Florence, Le Quai de Ouistreham, Paris, Éditions de
l’Olivier, 2010 et « Points », 2011.
Baldwin, James, Nobody Knows My Name : More Notes of a Native
Son, New York, Dial Press, 1961 ; trad. fr. : Personne ne sait mon
nom, Paris, Gallimard, 1963.
Beaud Stéphane, ConfavreuX Joseph, Lindgaard Jade (dir.), La
France invisible, Paris, La Découverte, 2006.
Boo Katherine, Behind the Beautiful Forevers : Life, Death and Hope in
a Muslim Slum, Londres, Portobello Books Ltd, 2012 ; trad. fr. :
Annawadi : vie, mort et espoir dans un bidonville de Mumbai, Paris,
Buchet-Chastel, 2013.
Booth Charles, Life and Labour of the People, vol. I (1889) et Life
and Labour of the People, vol. II (1891) [Vie et Travail du Peuple
de Londres].
Bourdieu Pierre (dir.), La Misère du monde, Paris, Seuil, 1993 et
« Points », 2007.
Certeau Michel de (dir.), L’Invention du quotidien, 2 vol., Paris,
Gallimard, 1980.
Deb Siddhartha, The Beautiful and the Damned, Life in the New India,
Londres, Faber & Faber, 2011.
Ellison, Ralph, Invisible Man, Londres, Vintage, 1995 [1952] ; trad.
fr. : Homme invisible, pour qui chantes-tu ?, Paris, Grasset, 1984.
« The Novel as a Function of American Democracy », (Le Roman
comme fonction de la démocratie américaine), in The Collected
Essays of Ralph Ellison, New York, Modern Library, 1995.
Foucault, Michel, « La Vie des hommes infâmes », in Dits et Écrits,
vol. III, Paris, Gallimard, 1994.
Herculine Barbin dite Alexina B., Paris, Gallimard, 1978.
Le Cercle amoureux d’Henry Legrand, Paris, Gallimard, 1979.
Hélias Pierre Jakez, Le Cheval d’orgueil, Paris, Plon, 1975 (rééd.
Pocket, 1999).
Michon Pierre, Vies minuscules, Paris, Gallimard, 1984.
Mistry Rohinton, A Fine Balance, Londres, Faber & Faber, 2006 ;
trad. fr. : L’Équilibre du monde, Paris, Albin Michel, 1998.
Orwell George, Down and Out in Paris and London, Londres, Victor
Gollancz Ltd, 1933 ; trad. fr. : Dans la dèche à Paris et à Londres,
Paris, 10/18, 2003.
Roy Arundhati, The God of Small Things, IndiaInk, India, 1997 ;
trad. fr. : Le Dieu des petits riens, Paris, Folio, 2000.
Sinclair Upton, The Jungle, New York, Doubleday, Jabber &
Company, 1906 ; trad. fr. : La Jungle, Montpellier, Mémoires du
livre, 2003.
Steinbeck John, The Grapes of Wrath, New York, Vinking Press,
1939 ; trad. fr. : Les Raisins de la colère, Paris, Gallimard, 1947.
These Are Our Lives [Nos vies telles qu’elles sont], Federal
Writers’Project, Chapel Hill, The University of North Carolina
Press, 1939.
D’autres références sur
l’histoire d’une
préoccupation