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Aujourd’hui, à l’ère des médias tant de masse qu’informatisés (web, médias
sociaux), les débats politiques s’inscrivent dans un espace public nettement plus
composite et fragmenté : dans celui-ci, la communication politique tient lieu
d’instance d’intermédiation. En cela, le rôle majeur que jouent tant l’opinion
publique que les journalistes dans la reconfiguration de cet espace public a déjà
été mis en lumière (Wolton, 1989 ; Champagne, 1990), notamment à travers une
opinion publique sondagière (Blondiaux, 1998).
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d’esprit », son « intransigeance sur les questions de principe », sa
« prestance », sa « locution », sa « gestuelle », ses « choix esthétiques », etc. Les
journalistes français ont forgé le concept d’effet « Rocard » par exemple
pour symboliser le « parler vrai » ! La télévision a sa rhétorique différente de
celle ordinaire : les partis politiques doivent par conséquent former leurs
débatteurs à la gestion de leur image, de la façon de prendre la parole à la télé,
de s’asseoir, de gesticuler et même l’intonation. Car, faut-il le rappeler, l’instant
télé est très court, mais il peut être un ascenseur ou un fossoyeur politique. Bien
des destins politiques ont pris leur essor à partir d’une prestation télévisuelle et
d’autres ont décliné et se sont assombris depuis un très mauvais passage à la
télévision.
La présence et les prestations d’un homme comme Birima dans Jakaarlo posent
des problèmes aux téléspectateurs. Car en plus de revendiquer son appartenance
au camp du pouvoir, ses analyses sont d’une superficialité et incompatibles avec
une quelconque éthique communicationnelle. Rudoyer ses invités par des
invectives ou des injures n’a aucun intérêt pour la démocratie, ça ne rapporte
aucune plus-value au débat sur les questions politiques ou économiques. On ne
doit jamais oublier que quelle que soit l’émission, la télévision a un service
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Emission Jakarlo20 janvier 2023 https://www.youtube.com/watch
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public à remplir et pour y arriver, elle doit prendre le pluralisme comme un
dogme démocratique. S’asseoir à la place d’un chroniqueur et abattre le travail
d’un militant politique, ce n’est pas seulement acceptable, c’est aussi une
injustice démocratique
L’attachement des citoyens aux émissions politiques montrent qu’ils ont besoin
d’être éclairés ou du moins d’affermir leurs perceptions et conceptions en
fonction de la lecture qu’en font les autres, notamment les hommes politiques
eux-mêmes. A part le sport et les séries télévisées, il est difficile de trouver au
Sénégal des émissions qui ont plus d’audimat que celles politiques. Sous ce
rapport, les prestations des débatteurs semblent être une demande sociale. Il faut
donc savoir satisfaire cette demande sociale en déroulant sa propre stratégie
d’enrégimentement des consciences. S’il est toujours bon d’avoir un discours
cohérent et construit sur du factuel, mais il est tout aussi utile d’avoir une
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maîtrise de ce factuel, précisément dans la façon de le présenter aux citoyens.
« La communication d'aujourd'hui sort des tripes, pas des neurones ». Ces
propos de Jacques Séguéla montrent à quel point tout exercice de
communication engage l’homme politique dans la totalité de son être. Les
énergies intellectuelles ne sont pas les seules à mobiliser et à investir dans ce
type de communication, il faut bien plus. La communication mobilise beaucoup
d’énergie mentales et physiques interviennent dans la communication. Les
protagonistes des débats télévisions sont dans une situation très délicate : il
s’adresse à deux interlocuteurs par le même message mais avec des effets
escomptés très différents. Quand on parle à la télé, le public est une cible, mais
les moyens de l’atteindre ne sont pas forcément les mêmes qui permettent de
compromettre ou de convaincre ses interlocuteurs autour de la table. Entre le
public, les co-débatteurs et le journaliste, se nouent des relations
communicationnelles différentes.
En plus de tels aléas, il faut compter avec le niveau des différents protagonistes
ou parties prenantes dans un débat. Le communicateur est très souvent dans la
même situation que le professeur d’université : le déroulement de son cours
dépend du niveau des étudiants et des préjugés qu’il a sur son public. Beaucoup
de professeurs d’université sont sous-évalués voire complètement dévalués par
les étudiants parce qu’ils ne réussissent pas à imprimer à leurs cours le
déroulement qui colle avec leur propre personnalité. C’est exactement la même
chose dans les débats télévisés : un bon débatteur peut être dopé par le bon
niveau de ses interlocuteurs. Même s’il est moins nanti (intellectuellement
parlant) une bonne dose d’habileté peut lui permettre d’exploiter les
informations ou arguments avancés par les uns et les autres pour construire un
argumentaire acceptable. Il est des débatteurs qui savent rebondir sur ce qui se
dit durant le débat télévisé : même s’ils sont venus avec de très pauvres
informations, ils réussissent à se bonifier au cours des débats.
Mais tout cela ne serait pas possible si Amadou Ba n’était pas nanti de qualités
intellectuelles et morales très appréciées même parmi ses adversaires politiques.
A cela s’ajoute la chance qu’il a d’avoir fait des études dans un univers socio-
culturel autre que le Sénégal. Ce qui lui a certainement permis de se confronter
à des nouvelles réalités sociologiques qui lui permettent de voir le monde au-
delà des œillères de sa culture.
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Pour les analyser de façon holistique, il faut apprendre à porter sa vue au loin,
comme dirait Rousseau. « Quand on veut étudier les hommes, il faut regarder
près de soi ; mais pour étudier l'homme, il faut apprendre à porter sa vue au
loin : il faut d'abord observer les différences, pour découvrir les propriétés ».
Tant qu’on est replié sur soi, tant que notre regard est autocentré, on ne voit que
les différences, mais derrière ces différences il y a toujours des choses
universelles. C’est en cela qu’un intellectuel n’est jamais confiné dans son
espace culturel, social ou politique, il se définit par la transcendance des cadres
socioculturels parce qu’il a un regard qui porte sur l’universel. Les problèmes
politiques et économiques du Sénégal ne peuvent pas être analysés et compris en
dehors de la structure du monde qui les crée et les façonne. La gêne que les co-
débatteurs de Balla Moussa Fofana éprouvent provient de ce qu’il les éclabousse
par l’ancrage de ses positions à l’aune du contexte international.
Amadou Ba dit Babo Aba est une autre icône de la nouvelle génération redoutée
par la vieille classe politique, mais également par les jeunes qui n’ont pas su
faire de leur cursus politique un garant de leur engagement politique. Sa prise de
la parole, notamment ses débats sont rares, mais il reste un excellent débatteur.
Ce docteur en science de gestion est très posé dans ses prises de parole. Il est
conceptuel et sa perspicacité dans l’argumentation révèle la force de son
caractère. Son expertise dans la finance, le domaine du droit fiscal et de la
taxation lui donne une longueur d’avance sur ses adversaires en ce qui concerne
la lecture de la structure économique et financière de notre pays.
En politique comme en sport de combat, chaque acteur a son point fort, sa prise
favorite, sa technique matrice. Les principaux responsables de son parti, le
Pastef, étant nantis des mêmes compétences en matière de fiscalité, ça lui donne
un patrimoine de données qu’il exploite avec une remarquable
aisance. L’économie, la finance et la politique sont des vases communicants : la
politique devrait en principe réguler l’économie, mais nous avons tous que
l’économie détermine largement les questions politiques surtout dans ce monde
libéralisé. La force de l’homme politique avisé est de comprendre que ce sont
des questions intimement liées avec des portes d’entrée multiples. La statistique,
la fiscalité, la monnaie, la politique sociale, etc. sont des clefs pour ouvrir ces
portes, des fils d’Ariane pour se mouvoir avec aisance dans le labyrinthe de la
politique. Amadou Ba dit Babo Aba tient donc son fil d’Ariane et reste
imperturbable dans ses prises de position quelle que soit la gravité ou la
solennité de la question politique et économique. Mais Amadou Ba dit Babo
Aba ce n’est pas seulement la pertinence dans l’exposé des arguments, ses
différentes sorties montrent qu’il est également un redoutable polémiste.
Certains communicants sont, en effet, très convaincants lorsqu’ils
sont interviewés par un journalistes (le dialogue étant ici la forme de la
communication) mais ils sont vite dépassés lorsqu’il s’agit d’un débat avec
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plusieurs pôles libres et de niveau différents. Lui il a le bonheur de pouvoir de
pouvoir évoluer dans la sphère de la polémique, tout en gardant sa pertinence
dans l’analyse et l’explication pédagogique des questions de finance, de
politique ou économiques.
Concrètement cela suggère que même les télévisions et radios réputées hostiles à
la ligne du Pastef doivent être fréquentées par les cadres, car ce qui se fait à son
insu se fait généralement contre soi. La culture du civisme, du patriotisme ne
peut plus se faire uniquement à l’école, la télévision et le lieu le mieux indiqué
pour atteindre l’éducation citoyenne à laquelle on aspire. Celui qui veut arracher
la culture politique et la démocratie des mains étroites et ostracisant des
oligarchies doit faire de ces rituels démocratiques son principal levier. La
participation des citoyens aux affaires politiques s’esquisse par et dans ces
débats. Les débatteurs doivent être surmotivés surtout parce qu’ils ont entre
leurs épaules une partie importante de l’éducation des militants. La plupart du
temps, on ne s’en rend pas toujours compte, les militants font de ces joutes, des
écoles pour affiner leurs arguments et relayer en même temps la VOIX du parti.
Les communicants ont l’habitude, pour briefer, les candidats à ces débats, de
rappeler que les défis ne sont pas les mêmes selon qu’on est nouveau venu ou
habitué. Le premier doit prouver sa solidité, c’est-à-dire sa capacité à
s’approprier les questions (à ne pas les subir), à dominer la scène au lieu de se
laisser hypnotiser par elle et, surtout, à être précis quand là où on se sent fort et
plus ou moins généralisant là où on est moins fourni. Le second quant à lui doit
relever l’épreuve de la notoriété : il y en a qui ont perdu tout leur patrimoine
politique à la suite d’une prestation médiocre ou controversée dans un débat. Le
plus difficile en sport, comme en politique, donc en communication aussi, ce
n’est pas de monter, mais plutôt de se maintenir le plus longtemps possible. Aux
sportifs, on prescrit une hygiène de vie, aux politiciens, on devrait prescrire une
hygiène politique pour ne pas sombrer dans les délices du succès, sommes toute,
relatif et très précaire. Car il en est ainsi de tout pouvoir sur les hommes ;
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pouvoir politique comme pouvoir persuasif par le biais de la communication :
tout pouvoir est par essence instable. Un débatteur avisé d’un parti d’opposition
comme le Pastef doit comprendre que la télévision, même celle réputée « amie »
est là pour analyser les débatteurs et les offrir à la consommation du public. La
télévision se nourrit d’audimat, elle n’a pas d’alliés politique, du moins ce ne
serait que circonstanciel.
Les hommes politiques ont d’ailleurs beaucoup à apprendre sur les autres débats
organisés dans ces télévisions. De préférence ceux où on parle de littérature,
d’esthétique et de questions techniques. Dans les débats esthétiques, car jamais
dans ce type de débat on ne voit des invités verser dans la passion malgré le
caractère contradictoire des points de vue et des choix esthétiques très divers. Il
faut tout simplement murir ses arguments et savoir les tester dans l’altérité, car il
n’y a pas d’arguments humains qu’on ne puisse contester ou relativiser.
L’essentiel, c’est de faire bonne figure, de montrer sa bonne foi et de laisser une
impression positive auprès du public. Car il ne faut pas l’oublier, que la défiance
et la méfiance que les citoyens (militants, sympathisants en particulier) ont
l’égard de la télévision s’explique par l’exigence de transparence qu’ils
attendent de sa part. Or cette transparence qui est le poumon de la respiration
démocratique doit être entretenue aussi bien par le pouvoir que par l’opposition.
Cette dernière a l’obligation d’imposer certains thèmes, d’orienter le débat sur
les questions qui suscitent des controverses ou des suspicions. Le Pastef qui
revendique légitimement d’être l’opposition la plus représentative a donc du
pain sur la planche au regard de la tournure que prennent certains débats
télévisés.
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S’il vrai que les peuples font souvent confiance à des hommes ; c’est-à-dire à
des individus et non à des groupes, cette confiance s’affermit et s’élargit s’ils
perçoivent qu’autour de cet homme qui cristallise espoir et confiance, il y
d’autres hommes. Et plus leur crédibilité est évidente, davantage celle du leader
s’accroit : il y a un effet miroir entre leader politique charismatique et cadres de
parti. Autant l’aura d’Ousmane Sonko peut aider à asseoir une épistémè et à
infléchir une partie de l’opinion, autant les prestations de qualité des porteurs de
la voix et de l’image du parti déteignent sur sa popularité. Son envergure, sa
personnalité, son éthique et sa carrure d’homme politique sont largement
tributaires de la qualité du personnel politique que l’on voit défendre ses idées,
critiquer celles de ses adversaires et prêcher dans la voie de l’idéologie du parti.
La force de Barack Obama dépassait largement le parti démocrate, il a su faire
porter sa voix par des jeunes et des professionnels recrutés pour rendre sa vision
accessible au grand public. Nous ne sommes certes pas dans le même modèle
démocratique, mais on est en droit d’attendre des cadres du Pastef qu’ils
relèvent d’avantage qu’ils le font, le défi de transformer leur conviction
politique en culture populaire.
Être vu comme…, être compris comme..., être jugé comme… Exister est une
propriété commune aux vivants et aux choses inanimées, mais seul l’homme est
capable de revendiquer un être, de s’identifier à un être, de se fixer lui-même un
être. Les meilleurs Sénégalais ne font certainement pas de la politique et
n’apparaissent à la télévision que très rarement. Mais les hommes politiques,
quel que soit leur statut, occupent l’espace public et particulièrement celui
audiovisuel. Ceux qui sont pressentis pour diriger la cité n’en ont pas forcément
la meilleure solution, mais ils se sont imposés aux esprits. Les recettes qu’ils
proposent, les idées qu’ils développent, les discours qu’ils tiennent ne sont pas
forcément ce qu’il y a de plus vrai, de plus beau et de plus convaincant, mais ils
occupent la place. L’habitude devient nature d’où la synonymie entre naturel et
normal. A force d’être vue, pratiquée ou dite, une chose devient naturelle et
donc normale ; de même à force d’être écouté, entendu, vu à la télévision un
homme politique acquiert une notoriété et fait désormais partie du paysage
intellectuel et moral de ses concitoyens. Pour les meilleurs les choses sont
tellement évidentes que la communication est parfois négligée ; pour l’homme
politique, la communication est le meilleur habit de l’être.
La question n’est pas de savoir si la vérité n’existe pas en politique, ce serait une
absurdité et même un contresens. Il s’agit plutôt de mettre en exergue les failles
naturelles qui accompagnent tout discours : c’est d’ailleurs ce qu’utilisent les
protagonistes pour tenter de discréditer ou de couler au pilori leur adversaire. La
nouveauté du visage est donc un atout même si c’est la nouveauté du discours
qui sera déterminant pour la suite. Par-delà leur formation académique les
débatteurs du Pastef ont un préjugé favorable sur ces deux points : ils sont
jeunes (inconnus du landerneau politique) mais ils ont également eu l’heur de
proposer un type de discours fondamentalement nouveau. L’aisance dans la
communication est en plus un signe extérieur de rigueur et de maitrise des sujets
abordés. Or sur ce point, les prestations des cadres chargés de porter la parole du
Pastef dans les différents plateaux de radio et télé impressionnent leurs vis-à-vis
par l’assurance qu’ils dégagent dans la défense de leur projet et dans la critique
de l’action du gouvernement.
Communiquer sans filtre et, s’il le faut, sans retenue n’est pas permis à tous, or
en suivant les débatteurs du Pastef comme Bassirou Diomaye Faye, El Malick
Ndiaye, Balla Moussa Fofana, Amadou Ba, Moustapha Sarré, Aldiouma Sow,
Sadikh Top, Amadou Ba dit Babo Aba, etc. sont naturels dans leurs différentes
prestations. Les mots qu’on exprime bien, avec aisance et conviction, traduisent
des pensées probablement vraies et comme les pensées elles-mêmes sont des
images de la réalité, l’opinion en déduit que la maîtrise de la communication est
naturellement la preuve d’une maîtrise de la réalité. Celui qui parle en
balbutiant, en baragouinant, renvoie l’image d’un homme qui, soit ne maitrise
pas son sujet, soit ne croit pas à ce qu’il dit. Il n’y a jamais de plus aisé dans la
communication que pour celui qui parle avec passion de ce qu’il considère
comme vérité ou comme vertueux. A l’inverse, le mensonge mobilise toujours
plus d’énergie et de savoir-faire factice, d’où la difficulté qu’éprouvent les
chargés de communication recrutés uniquement à titre de professionnels à
décliner la quintessence de la politique ou de la vision de leur patron.
Quand on entend un membre du Pastef parler, on sent qu’il croit à son message
avec la même ferveur qu’un croyant croit aux dogmes et rites de sa religion. La
force argumentative qu’il mobilise ne peut être comprise si on ne prend pas en
compte cette dimension militante du verbe des pastéfiens. Ecouter un prêtre ou
un imam parler de sa religion est toujours un délice, car il n’en parle pas
seulement, il la vit. C’est tout son être qui est ainsi mobilisé pour exprimer des
convictions, des certitudes qui se font d’ailleurs voir, non seulement dans le
discours, mais dans leur attitude physique. Les pastéfiens ont cette chance de
faire Un avec les idées qu’ils défendent et ce, indépendamment de la valeur
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épistémique ou morale de celle-ci. Ils vivent leurs idées et aspirent à donner
l’opportunité à leurs concitoyens de vivre la même chose : c’est là tout le secret
de la hargne qu’ils mettent dans leur discours. Les hommes sont avant tout homo
locutus, sans la capacité à communiquer et à échanger (l’échange étant lui-même
une forme de communication), ils ne pourraient jamais édifier tant de
civilisations, de progrès à la fois scientifiques et technologiques. Tous les acquis
passent par le langage et se perpétuent par lui. Le silence peut être politique,
mais par stratégie, jamais par nature. De même la politique du silence ne peut
être opératoire que de façon conjoncturelle, d’où la stratégie d’occupation de
l’espace médiatique par les pastéfiens est purement stratégique.
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