Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
ESPACE POLÉMIQUE
ARNAUD MERCIER
Résumé en français
que sont l’agressivité, la véhémence, les insultes, etc. Cela va de pair avec une attaque vers la
personne plutôt qu’à l’encontre des arguments. Le discours polémique attaque une cible,
souvent personnalisée au travers d’une personne ou d’un groupe. En cela, la polémique définit
un camp adverse. Elle est alors considérée comme dialogique ». Et pour Ruth Amossy
(Amossy & Burger, 2011, 7) pareille joute verbale est assimilable à « un cas limite
de communication conflictuelle en ce que domine un désaccord fondamental, radical, et qui
semble durable ». Par conséquent, tous les coups sont permis, la mauvaise foi le
dispute à l’invective. Tout est bon pour disqualifier la parole de l’adversaire,
quitte à falsifier ses propos, à détourner des images, à surinterpréter des faits…
Nous montrons ici comment Twitter, en tant que technologie de
l’affirmation de soi et de mobilisation sociale est approprié comme moyen
d’attaquer personnellement des adversaires politiques, ou de crier ses
indignations ou encore de dénoncer de supposés complots.
1. Qu’il nous soit permis de ne pas donner une publicité excessive à ces propos, en n’en
citant aucun.
Twitter, espace politique, espace polémique 151
3.2. Indignations
etc.). Un certain nombre de citoyens agissent sur le réseau social comme des
redresseurs de tort, incarnant une figure du fact checking dont ils ne souhaitent
pas laisser aux journalistes le monopole. Messages qui peuvent amener en
retour des messages de soutien aux mis en cause par leur entourage et des
militants ou sympathisants.
3.3. Complots
Une autre polémique, fin février surgit lors d’une opération « bourrage de
tweets ». Utilisant l’application Tweetvote, les deux adversaires de droite se sont
livrés à une piteuse guerre des boutons… numérique. Recourant à des
subterfuges aussi grossiers que vains, ils ont créé des faux comptes Twitter qui
furent programmés pour retweeter automatiquement les messages reçus
comportant leur nom de candidat. Comment reconnaître cette petite tweet-
manipulation ?
D’abord à l’émergence de comptes sans autre activité réelle qu’un
matraquage systématique, et ici, sur une seule journée ! Ces comptes n’ont pas
de profils, pas de photos, suivent peu de gens et sont peu ou pas du tout suivis.
Les internautes les appellent des « œufs », à cause de l’image neutre qui s’affiche
par défaut pour le profil : une forme d’œuf sur fond monochrome.
Fun92300 a été un de ces faux comptes. Le 27 février il a posté 123 tweets
avec le nom de Patrick Balkany, dans des messages plus ou moins similaires.
d’attaques vient d’un article du Nouvel Observateur qui en propose des morceaux
choisis : « L’immigration ? "Un cancer", écrit-il. "L’africanisation de Laval est en marche"
et, à l’entendre, la culture des immigrés consiste à "balancer tout par la fenêtre, y compris les
excréments". De plus "l’argent envoyé en Afrique n’est que trop souvent gagné qu’avec la
braguette du père de famille" », article qui a aussi fait le buzz sur Facebook, puisque
plus de 4 300 personnes le recommandèrent dans la semaine de sa publication.
Le candidat a du coup eu les « honneurs » du Petit journal de Canal+, 6 minutes
de démontage en règle de ses propos, avec interview du candidat, qui reste
spontané et dit ce qu’il pense sans trop de circonlocutions. La polémique
redoubla. Des centaines de tweets mirent en circulation l’extrait vidéo de ses
déclarations marquées au sceau du racisme ordinaire et béat. La plupart
s’indignent, mais d’autres tentent de le défendre.
des citoyens ont apporté leur soutien à l’homme de théâtre, pendant que
d’autres, pourtant hostiles au FN, ont dénoncé ce qui s’apparente à un
chantage, craignant même ouvertement que cette position ne produise l’effet
inverse de celui souhaité, en renforçant dans leur choix, certains électeurs tentés
par le FN. Avec une telle configuration d’opinions, tout était réuni pour que la
polémique enfle sur les réseaux.
@jeanduma1 J’avoue que l’arrêt du Festival d’Avignon serait la meilleure raison de votre
FN là-bas. #SousCulture Pour le reste…
@andrebercoff #avignon2014 : si les habitants ne votent pas bien, pas droit, pas dans
la ligne juste, ces salauds seront privés de Festival. De mal en Py.
Évoquons pour terminer, ce qui s’est passé à Metz autour des 18-20 février.
Nora Aline Herbet, colistière de l’UMP Marie-Jo Zimmermann à Metz, a posté
un message sur son compte Twitter en réponse à des joutes verbales qu’elle
conduisait sur ce réseau avec ses adversaires, dont un devenu depuis adjoint au
maire. Elle a souhaité défendre publiquement l’ex-humoriste Dieudonné et son
mentor intellectuel, l’idéologue Alain Soral, en réponse à des arguments hostiles
164 Les cahiers du numérique – n° 4/2015
émis. Elle écrivit : « Soral n’est pas facho, Dieudonné non plus, ce sont des adeptes de la
polémique. Les médias ne font que manipuler. Honteux ! ». Évidemment ses adversaires
se sont engouffrés dans la brèche, profitant de cette faute morale et politique
pour crier à la tentation Front national (très implanté en Moselle) de la liste
UMP Centriste.
La tête de liste s’est empressée de réagir pour essayer de couper court à la
polémique. Dans un communiqué, elle annonça que sa jeune colistière « a eu un
avertissement. Elle a enlevé son tweet parce que je l’ai exigé ». Reconnaissant le
« dérapage » elle prit même la décision de « suspendre » quelques jours sa
campagne sur les réseaux sociaux, le temps de recadrer tout le monde sur le
bon usage électoral de Twitter et Facebook (« je suspends jusqu’à nouvel ordre mon
compte Twitter mais en plus j’ai demandé formellement à chacun de mes colistiers d’agir de
même et de cesser tout commentaire sur Facebook »). La mesure spectaculaire ne fit que
donner une visibilité nationale à l’affaire locale, et elle décida finalement
d’écarter la candidate de sa liste.
Le cas est intéressant à deux titres. Il manifeste le défaut de maîtrise dont
font encore preuve de nombreux candidats de ce nouvel outil intégré à leur
répertoire d’action électoral depuis pas assez longtemps pour avoir acquis tous
les « bons réflexes » d’usage. La spontanéité et la facilité de publication
conduisent certains twittos à diffuser trop vite, de façon irréfléchie, des propos
qu’ils auraient sans doute formulés autrement, avec plus de recul. On se
souvient que Valérie Trierweiler apprit à ses dépens qu’un simple tweet (certes
vengeur) possédait une capacité de déflagration mal évaluée. Elle l’a reconnu
d’ailleurs, affirmant avec autodérision que « la prochaine fois je tournerai sept fois mon
pouce avant de twitter ».
Le cas est intéressant aussi, par l’analyse qu’en fit la tête de liste UMP dans
son communiqué : « Twitter, halte aux dérives ». La députée de Moselle écrivit :
« Depuis de nombreuses semaines, nos adversaires politiques se livrent à une campagne de
dénigrement et de harcèlement sur internet. Des caricatures littéralement ordurières ont même
été diffusées à mon encontre. En janvier dernier, des propos désobligeants tenus sur Twitter
par un élu municipal socialiste nous ont également amenés à quitter la séance du conseil
municipal. Au lieu d’utiliser les tweets et les réseaux sociaux pour des propositions
constructives et une campagne positive, certaines listes passent leur temps à faire de la
provocation ». Elle identifie alors le piège que représente ce moyen de
communication personnel et spontané, accessible depuis un simple
smartphone, très adapté à une stratégie de déstabilisation, par harcèlement de
candidats, et favorisant une volonté épidermique de réagir, de répondre du tac
au tac, alimentant donc une polémique. « Cette stratégie peut conduire mes colistiers à
réagir de manière excessive. Je tiens donc à ce que qu’il soit bien clair que ne suis pas engagée
par tel ou tel propos qui serait tenu par l’un ou par l’autre ». La tête de liste est amenée
Twitter, espace politique, espace polémique 165
4.3. Complot
On dénonce également, ce qui est une rhétorique très classique dans cette
sphère politique, le deux poids, deux mesures des médias et des hommes
politiques, singulièrement de gauche :
@FrkGuiot: Tiens @le_Parisien ne publie pas l’identité des #Antifa "cagoulés et
armés de barres de fer" arrêtés à #Rennes ? http://www.leparisien.fr/politique/rennes-une-
manifestation-antifasciste-degenere-en-marge-d-un-meeting-du-fn-08-02-2014-3572777.php
@PaulAlexandre_M: 4 interpellés hier vs. 262 il y a 2 semaines et des milliers l’an
passé. Comparez : http://www.rennestv.fr/catalogue/web-tv/antifasciste-rennes-meeting-
front-national-affrontements-fevrier-2014-municipales.html #AmisDuPouvoir Poke
@manuelvalls
168 Les cahiers du numérique – n° 4/2015
5. Conclusion
Bibliographie
Allard L., Vandenberghe F. (2003). Express Yourself ! Les pages perso entre
légitimation techno-politique de l’individualisme expressif et authenticité
réflexive peer-to-peer. Réseaux, 117, p. 191-219.
Amossy R., Burger M. (2011). Introduction : la polémique médiatisée. Semen, 31,
p. 724.
Auger N., Fracchiolla B., Moïse C., Schultz-Romain C. (2008). De la violence verbale,
pour une sociolinguistique des discours et des interactions. In Durand J. Habert B.,
Laks B. (dir.) Congrès Mondial de Linguistique Française, Publié en ligne le 9 juillet 2008,
p. 631-643.
Benkler Y. (2006). The Wealth of Networks: How Social Production Transforms Markets and
Freedom. Yale University Press, New Haven.
Bennett W. L., Segerberg A. (2012). The Logic of Connective Action. Information,
Communication & Society, vol. 15, n° 5, p. 739-768.
Twitter, espace politique, espace polémique 169