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'Ð'i íer'

Le crépuscale du sociøl
Quartier libre
Collecdon dirigée par Pierre Delrocl< Didier Vrancþen
Il ny a pas de liberté pour l'þorant
Condorcet

Une quête de sens dans un projet démocratique,


une collection qui donne la parole aux intellectuels,
citoyens responsables, engagés dans, I'action
. ou dans la réflexion.
Pour mieux comprendre le monde et en percevoir clairement
les enjeux, en préferant I'information à la rumeur, Le crépascule du sociøl
la tolé¡ance à I'inca¡tation, la sérénité à la fureur.
Un espace de liberté, or). I'expression du savoir ne se refuse
ni I'humour, ni I'impertinence.

Visitez not¡e site: http ://www.labor.be

Illustrarion de couverrure : @ Esteban Murillo, Le Jeune mendiønt, 1645,


Musée du Louvre
Imprimé sur offset remake (papier recyclé)

@ 2002, É,dicions Labo¡


29 quai du Commerce
B - 1000 Bruxelles
E-mail : labo¡@labo¡.be Collection Quartier Libre
ÍSBN: 2-8040-1677.3
J120021258t5t
Éorloxs rABoR
Introd,uction
Assurément, évoquer le thème du social est un exercice qui
ne s'effectue guère sans charrier son lot d'images et de représen-
tations négatives. Le social est synonyme de mauvaise gestion,
de déficit, de déséquilibre dans une société fortement indivi-
dualiste consacrant la culture de la réussite. Le social procéderait
de l'élan de générosité, du geste gratuit à l'égard des ratés du sys-
tème Ià où I'essentiel des eflbrts se porte sur une bonne gestion
menée par des individus responsables et compétents. Le social
s'opérerait à perte. Pour certains, il serait condamné à se
confondre avec du chariry business, quand les images de dons en
réponse eux catastrophes sont de plus en plus médiatisées. Et
pourtant, le socia-l est là aussi pour traiter de ces catastrophes
ordinaires. II est Ie fruit d'un travail demandant des efforts consi-
dérables aux travailleurs sociaux pour gérer ces situations au quo-
tidien. Tâches généreuses mais a priori vaines, quand Ia réalité
économique semble sonner le glas d'un modèle fragilisé et criti-
qué de toutes parts. Depuis la crise des années 70 et les analyses
menées.sur le déclin de l'État social, nolrs assisterions à un long
chant du cygne du social, tandis que la pauvreté a refait surface
en nos contrées, tandis que de nouvelles formes de souffrance
touchent les couples, les familles, frappent les personnes dans ce
qu'elles ont de plus intérieur, voire de plus intime.
Pour rendre compte de cette évolution, une image s'impose
alors souvent : celle de la crise. Crise économique mais aussi crise
de sens. La crise est un terme commode pour qualifier de fortes
tensions inhérentes à un changement perçu de manière Passe-
gère. Mais son invocation permet de dire et de révéler quelque
chose sur la profonde nature des événements ou du système incri-
minés. En I'occurrence, la crise du sociaì signifierait le déclin
d'un ensemble de pratiques, de droits et de protections arrivés à
leur apogée.
Tout en réexaminant les lignes de force de cette analyse, I'ob-
jectif du présent ouvrage sera de tenter d'échafauder progressi-
vement une version differente. Epousant, dans un premier
temps, cette idée de crise, puis celle de ses tentatives actuelles de
rtier Libre

réponses autour de I'activation des politiques sociales, nous ver-


rons que le social n est pas entré subitement en c¡ise avec la Le social, une idée
,
remise en question de la société sala¡iale. Au contraire, le social
est un processus foncièrement inachevé. Et ce seul constat nous
aulourd hut en crlse f tf

invite à en parcourir les failles, les brèches et les critiques qui lui
furent sans cesse adressées. Lenjeu d'une telle relecture est pré-
Il est devenu quasi impossible d'évoquer le social sans lui
accoler automatiquemenr le terme de crise. La crise définit le
cisément de rompre evec ces corollaires que sont les images du
social. Le social, ce serait la crise. Et pourtant, le social est evenr
déclin, de la chute et de la récession inéluctables. Postuler I'in-
tout une idée loin d'être neuve, qui a fait son chemin et a déjà
achèvement du social, c'est en rappeler la nature ( processuelle Þ
une bien longue histoire. Mais c'esr aussi une idée d'avenir. Et
et relationnelle. Le social est Ie fruit de rapports et de relations
sans cesse fluctuants entre ecteurs sociatx. C'est un projet ouvert
il est essentiel, quand de vieilles images de pauvreté et d'indi-
gence semblent accomplir un retour - alors qu'on les croyait à
qui a encore de I'avenir devant lui. Dans cette optique, I'image
jamais enfouies da¡s les oubliettes de I'histoire - de bien se
du crépuscule ne renvoie pas nécessairejment à I'idée d'un terme
rendre compte que le social n'est pas un problème périphérique.
ou d'une limite. Elle nous invite plutôt, dans une lumière incer-
taine, à rechercher les üaces d'une histoire dont l'écriture ne s'est
Il est au cæur de nos sociétés, les fait vivre et battre tant qu'il
porte un projet de solidariré à l'horizon duquel se profile une
pas interrompue, malgré les difficultés et les embûches.
représentation de ce lien social qui crée et forme société.
Ce livre doit beaucoup aux rema-rques et aux discussions avec
quelques compagnons de recherche que je souhaite associer à cette
réflexion: Jean De Munck, Jean-Louis Genard, Olgierd Kury L'inuention du social
Claude Macquet, Matthieu de Nanteuil, Christophe Bartholomé, Ainsi que I'a bien montré Donzelot dans un ouvrage au titre
Didier Delgoffe, Jean-Yves Donna¡ Martin Moucheron, Jean-Luc évocateuS le XIX' siècle fut celui de < I'inuention du socialrl.
Vrancken. Qu ils en soient sincèrement remerciés. Social émergeant pour répondre au dysfonctionnemenrs de la
société industrielle et pour organiser les conditions d'une solida-
rité que ni l'É,tat .l"rtiq,t. ni le marché ne semblaienr en mesure
d'assurer seuls. LÉ,tat social, comme forme publique organisée,
est bien le résultat d'+n compromis préferé à I'affrontement direct
du capital et du travail sur fond de u question sociale >, synonyme
à l'époque de n question ouvrière u. Celle-ci avait dors pour mani-
festations des fléaux tels que la malnutrition, une faible espérance
de vie, l'insalubrité des logements, les maladies (liées aux épidé-
mies, au travail, aux conditions sociales), les accidents du travail2
dont les signes les plus fréquents étaient les fractures, les plaies
par arrachement, les mutilations des extrémités, la mort par broie-
menÉ. Autant de traces dont rendent encore compte nombre
d'études historiques, épidémiologiques et médicales qui allaient
alors se développer avec I'extension des statistiques sociales.
Cette souffrance ouvrière était event tout une souffrance
physique. Elle se lisait et se traduisait sur les corps, s'étendait
artrer Libre

sur I'ensemble de la personne comme le signe d'un destin per-


autour du conflit organisé et encadré par les grandes srructures,
pétuellement frappé d'infamie. Cette condition ouvrière âppa-
parties prenenres du compromis social.
raissait à l'époque d'autant plus avilissante qu'elle tranchait Si l'État social plonge ses racines dans les rourmenrs d'un
nettement avec l'idéal démocratique dont les sociétés occiden- XIX' siècle écartelé enrre un ordre juridico-politique fondé sur
tales s'étaient peu à peu dotées, souhaitant tourner le dos à Ia la reconnaissance des droirs des citoyens er un sysrème écono-
tradition et aux sujétions de I'Ancien Régime. En ce sens, le mique cha¡riant son lot de misères, il n'en demeure pas moins
social (l'assurance pour les travailleurs et l'assistance pour les que la structuration du modèle doit être située au cours des
réputés incapables de travailler) apparaissait bien comme un€ années soixante, période qui en verra l'apogée. Ainsi le modèle
invention, une réponse à ce hiatus au cceur de la définition de ne prit-il véritablement son essor qu'avec I'adhésion massive des
l'É,tat moderne. Car il s'agissait alors de proposer un modèle classes moyennes au projet de solidarité porté per l'É,tat sociai.
capable de se substituer à la violence sourde qui planait sur Projet trouvant du coup ses dimensions à I'ensemble d'une
la société en proie à de fortes disparités sociales et à la lutte société et non plus à celle des plus démunis ou des plus vulné-
des classes. rables. Par le truchement d'une technique, celle du calcul assu-
Mais le social ne fut pas seulement un moyen de résoludon ranciel, ce projet d'une solidarité unissant tous les membres du
de la n quesdon ouvrière r, il permit plus largement de n rendre corps social prendra peu à peu forme. La gestion des risques
la société gouvernable > et de fournir à I'action de l'État un cri- sociaux communément partagés par tous (la maladie, la vieillesse,
tère compatible avec sa définition démocratique égaJitaire. Dès le chômage, la mort) s'opèrera par une couverture socide obli-
lors l'É,tat social allait-il, au cours du )O(' siècle, dessiner les gatoire donnant corps à I'idée même de société. Êû. .ouu.tt
contours d'un espace de négociation entre des acteurs devenant, contre les risques sera désormais synonyme de sécurité d'exis-
pour la cause, < partenaires , sociaux, politiques, économiques et tence €t de protection sociale. La société assurancielle rePosera
professionnels. Cet espace était destiné à répartir plus justement ainsi sur un principe de socia-lisation de Ia responsabilité par
la richesse produite et à lutter contre les inégalités sociales. Grâce Ie passage de la notion de faute à celle de risque socialement
à une forrnule, celle de la négociation, un véritable modèle du partagé.
compromis social fut mis sur pied, puisant sa force dans la u vie Mais, assez paradoxalement, n le , social ne Peut se réduire à
sociale effective , de la société. Nous reviendrons plus loin sur cene édification de l'État social. Sa naissance est bien antérieure
ltimportance de ces derniers termes, ietenons que Par u vie sociale à l'invention de l'État social que I'on peut considérer comme la
effective ), on entendait cette coexistence de groupes aux inté- première grande forme organisée à I'échelle des nations. Ainsi
rêts contradictoires, cl'acteurs collectiß ayent à faire face aux aléas que I'a clairement montré Castel4, le social est héritier de toute
de l'existence, partageant les mêmes conditions sociales. Ces par- une tradition de l'assistance mise de longue date en place sur une
tenaires se sont progressivement réunis en structures (les n forces base largement territoriale pour faire face à I'indigence et ce, bien
vives >, dirait-on aujourd'hui !) requérant de leurs membres une evant le XVI' siècle. Notons cependant que dès la fin du
affiliation sociale tout en leur proposant ainsi une intégration XVII' siècle va s'opérer un véritable tournant : l'attention des
conflictuelle à la société. Car ce qui unifiait les uns était aussi ce politiques assistancielles va cesser de se poser prioritairement sur
qui
- les distinguait des autres. ces populations périphériques et inquiétantes que sont les vage-
À tr"u.r, s" form.ri. politique de gouvernabilité, I'État social bonds, les mendiants, les indigents' On prendra désormais
offrait dès lors une scène de représentation de la division sociale conscience d'une n vulnérabilité de masse )) concernant non plus
constitutive de la société. Et cette division trouvait à s'exprimer les éléments les plus marginaux du corps social mais bien l'en-
rtier Libre

Le mot n pilien provient de la traduction du rcrme zuilforgé


semble potentiel de la population. Progressivement, la condition
par les néerlandais pour caractériser leur système politique5. La
salariale se verra prioritairement visée. Si la question du vaga-
o pilarisation u (uerzuilinþ est une variante du modèle néocor-

poratiste de l'État social-démocrate européen, variante partagée


avec d'autres É,tats tels que les Pays-Bas (entre 1918 et 1967),
I'Autriche (de 1945 à 1966) et la Suisse. En théorie, ce modèle
se distingue par une très fo¡te segmentation verticele de ses com-
posentes autour de differentes communautés religieuses, idéolo-
giques, Iinguistiques ou ethniques. II présente une cohésion
que le social n'est Pas une question d'exotisme, évoquant ces
interne au sein de chaque communeuté ou n monde r. Ces dif-
images de vagabond, si bien chantées par Brassens. Il est, au
ferents mondes se côtoient peu. Leurs relations sont conflic-
contraire, eu cæut de la constitution même de nos sociétés
tuelles tandis que leurs élites négocient continuellement dans Ie
modernes.
cadre d'une n démocratie consociative ,6 davantage caractérisée '

par I'art du compromis que par les décisions majoritaires et uni-


latérales.
En Belgique, le modèle ne s'est toutefois pas diffusé avec la
même force de pénétration de part et d'autre de la frontière lin-
guistiqueT. Seul le monde chrétien flamand aurait incarné un
pilier complet tent, en \Øallonie, le monde chrétien y paraissait
plus faible et le monde socialiste n y disposait pas (ou plus !)
d'éléments tels que organisations d'agriculteurs, organes de
pr€sse, associations sportives, moLlvements de jeunesse suffisam-
verticaux regroupant partis politiques, syndicats, mutuelles,
ment structurés. Cette situation plonge ses racines dans I'histoire
sociétés coopératives, réseaux d'enseignement, organisations
du mouvement ouvrier. Alors que le pilier chrétien a tradition-
d'éducation permanente, de santé, de loisirs, de presse, etc' au
nellement défendu les principes de libené. et de subsidiarité, le
sein de grandes familles au départ idéologiques (chrétienne,
monde socialiste a tendanciellement privilégié une organisation
socialiste et libérale). cette organisation de la société civile en
de la vie sociale reposant plus largement sur I'intervention
piliers eut pour fonction de faciliter un double mouvement:
publiques. Ainsi, en'W'allonie, si le rayonnement électoral du PS
iogique ascendante de représentation des citoyens auprès de
ist de loin supérieur à celui du PSC, il faut constater que le poids
l'Ét"i .t logique descendante de services et d'allocations de res-
du monde chrétien dans le secreur associatif est de loin supérieur
sources aux citoyens, membres du pilier. Ainsi de grandes orga-
au poids électoral concret du PSCe !
nisations sociales telles que les syndicats, les mutualités ont-elles
vu ceux du Patronat et des organisa-
L.""-.n de cette construction de l'É,tat social autour de véri-
tables piliers illustre c sique capital-travail,
tio puissantes organisations médicales
est venu se surimposç llature idéologique,
en ité) pour négocier au sein des dif-
entre monde chrétien oublier cet autre cli-
ferents organes publics en charge des cinq secreurs traditionnels
vage que représente, pour la Belgique, le contentieux commu-
de la Sécurité sociale (assurance maladie-invalidité, emploi et
neuteire encore loin d'être réglé !'
chômage, pensions, allocations familiales, vacances annuelles)'
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Quartier Libre

C'est cette vision d'un système intégré qu a incarné Ie modèle La solidarité abstraite et formelle engendrée par Ie dévelop-
à la belge, avec ses piliers, ses conflits structurants et encadrés. pem€nt de l'État social aurait à son tour contribué à la dislo-
Ainsi que Ie montre De Munckl0, ce modèle incarnerait la vision cation du tissu social, générant de I'individualisme. Comme
fonctionna-liste de la société belge intégrée autour de ces véri- l'écrivait Marcel Gauchet, illustrant I'idée à merveille : u S'il y
tables sous-systèmes que sont les piliers, au sommet desquels se a la Sécurité sociale, je n ai pas besoin de mon voisin de palier
trouveraient des valeurs englobantes telles que le christianisme, pour m aider. L'Etat-providence est un puissant producteur
le socialisme, le libéralisme. Il s'agit là de la vision aboutie d'un d'individualisme. i, I3
édifice solidement ancré qui serait entré en crise au détour des Avec la crise des années 70 s'amorcera un profond mouve-
années 70. Vision parachevée d'un modèle à laquelle on n'a de ment dé réflexion sur I'État social, ses limites mais aussi ses fon-
cesse de recourir, comme pour mieux merquer l'ampleur d'un dements. Le regard porté se fera critique, mettant en exergue
effondrement inéluctable. . . combien I'édification d'un compromis socia-l eut un prix à payer:
celui d'un dessaisissement du devenir même des individus au
La crise profit de l'É,tat. Pour le citoyen, il s'agissait désormais de quitter
Ce modèle, saisi ici à grands traits, allait subir la crise de plein la sphère de la revendication permanente et d'accepter d'entrer
fouet. Le diagnostic est maintenant bien établi et est largement dans une logique du compromis contre la promesse d'un par-
connu. La crise des années 70 produisit ses effets aux niveaux tage des fruits du progrès social. Du coup, les individus aPPa-
budgétaire et fiscal, confrontant l'État social à une augmentation raissaient en attente de l'État, assujettis et passiß face à un
inexorable- des dépenses sociales dues à la récession économique. appareil aux ramifications de plus en plus larges. Dans une telle
Ainsi que I'a montré Rosanvallonll, cette crise a été synonyme optique, le diagnostic de crise parvenait à peine à'masquer que
de remise en cause du Pacte social d'après-guerre - ou compro- derrière Ia réalité des chiffres se profilait une autte lecture de la
mis keynésien. La spirale inflationniste qu elle suscita remit en crise, celle de la solidarité et du lien social. Paradoxalement, des
question les donnes fondamentales de l'équation keynésienne qui réussites et des performances objectives de l'État social face à la
voulaient que I'effìcacité économique soit garante du progrès pauvreté économique, allaient découler de nouvelles formes de
social ; la croissance économique apparaissant en quelque sorte reconfiguration de I'individu et de l'état de la société.
comme le moteur du progrès social et de l'égalité des chances. Retenons toutefois que ce diagnostic plonge ses racines dans
C'est donc fortement fragilisé, avec des modes de gestion du toutç une tradition critique à l'égard du projet porté par l'État
social en crise eux aussi, que I'État social a été confronté à Ia social. Ainsi, à peine né, l'État social allait-il devenir la cible de
n nouvelle question sociale u des années 9012,'celle de I'échec des critiques acerbes. On se souviendra des critiques réformistes fran-
droits sociaux à répondre aux problèmes liés à l'exclusion et en çaises s'exprimant au travers d'un foisonnement
de clubs (club
particulier à la crise du lien social. Tout en cherchant à repenser Jean Moulin, club Citoyens soixante,'etc.) qui, dès Ia fin des
les fondements de l'É,tat social pour, en quelque sorte, en relé- années 50, se donnèrent pour mission de repenser les conditions
gitimer I'existence, Rosanvallon a mis en exergue la désagréga- modernes de la citoyenneté en dénonçant le mode de gestion
tion des formes de solidarité, l'État devenant une veste machine technocratique de la société. Héritier de la pensée de Tocque-
à indemniset tentant de compenser n passivement o l'exclusion ville, ce mouvement s'inscrivit dans la lignée de la critique libé-
massive du marché de I'emploi de pans entiers de la population. rale à I'encontre d'un régime démocratique Perçu comme soutce
'
Avec la crise, nous avons assisté à l'épuisement de tout un modèle d'apathie civique et de société bloqué/4. Quelques années plus
assuranciel, conçu de manière abstraite et distante du citoyen. tard, les u événements de Mai ) Porteront' un mouvement de

I2 t3
Quartier Libre

conrestarion à l'égard de la société de consommation.


Ici, Mai 6g pour-compre de la société postindustrielle que rien ne reliait
fait figure de date emblémarique. Laliénation des individus,
ra vraimenr. Les exclus allaient être approchés à travers leur n non-
perte de dignité-et rlr y¿.u authentique causés par I'essoi
bu¡eaucraties d'État furent les cibles
des position ,. Leur seule ca¡acréristique commune est d'être désaÊ
irivilégiées i. .. -o,ru.- filiés, lâchés par le t¡ain du progrès er les resrructurations
ment. celui-ci refusait de troquer le'dévelolpemenr des
personnel entreprises.
conrre une sécurité er un confort qudifiés de déresponr"bilir"rr,r.
À la Raison triomphante, l. mouu.-.nt g"u.hirte opposa la Mais I'exclusion n épuise pas la question sociale. Les deux
figure du résisranr, de l'écorché de l'histoire, de ces victimes termes ne doivent d'ailleurs pas être confondus, ce qui revien-
d.u drait à assimiler la question sociale à un problème pérìphérique,
progrès que I'on sortait des cachots'et des ma-rges
de ra société
ou encore des hôpitaux, des écoles, des usines et de toutes celui d'individus out et malchanceux, nouveaux indigents des
ces
temps modernes. Au conrraire, la thématique de l'exclusion doit
institurions à encadrement disciplinaire et professionnel cont¡ai-
gnanr. Mais cette résistance était perçue dans sa diffraction. être examinée à la lueur de l'ensemble d'une dynamique de
Elle société sur laquelle elle nous éclaire inévitablement. La fragilisa-
semblait présente parrour sans routefois affìrmer une
réelle capa-
cité à s'organiser ni à dessiner les contours d'acteurs coileciifs tion généralisée des populations à laquelle nous avons assisté au
précis. comme Ie rappelle Donzerot, ra figure du fou cours de ces dernières années s'explique en emonr par la dégra-
servit bien dation de la condition sa-lariale dans son ensemble. À I'instabi-
d'étalon-or de Ia révolte conrre le langage de l'action sociare
de lité du travail se sonr conjugués les effets de I'isolement social,
fÉrat. Langage formel et homogénéiån"t res conditions de vie.
de I'appauvrissemenr des supports relationnels pour dessiner une
A travers ce nouveau souffle critique, le mode de gouvernement
de l'É,tat social zone de vulnérabilité croissante de populations qui ne parragenr
se voyait ainsi conìesté de manière radicale.
pas à proprement parler un même état d'exclusion. Ces popula-
tions vivent davantage des ruptures de trajectoire alliant fragilité
L'exclusion: une o roorrll, question
relatipnnelle et instabilité professionnelle conduisant inexorable-
sociale > ?
ment à Ia désaffìliationl5. En ce sens, avant de pouvoir parler
c'est cerre critique que prolongea Rosa¡vailon mais dans un
d'exclusion, il faut porrer le regard en amonr et comprendre
conrexre de société rour aurre : non plus celui de la société
de qu'un vaste phénomène de u déstabilisation des stables o esr à
consommarion des années 60 mais celui de la crise économique
I'origine de ce problème qu'il faut davantage saisir en ranr que
et de I'inéluctabilité des chiffres. À suivre |auteu¡ il s'agissait
de véritable processus de u déliaison o socia-le.
favoriser une société civile n plus épaisse >, composée de-groupes
On peut légitimemenr s'interroger sur le vif intérêt marqué
de voisinage, de réseaux d'entraide, de structures autonomes
de par les politiques, les chercheurs, les inrervenanrs de terrain
prise en charge des besoins collectifs pour revitaliser les süuc-
envers cette thématique de l'exclusion et se demander si la figure
tures inrermédiaires ent¡e I'individu et r'État. Mais à cerre
pre- de I'exclu, voire celle du nouveau pauvre ne contribue pas à nous
mière crise s'est surajoutée une n nouvelle question sociale,
qui inscrire un peu plus dans ce nouvel âge humanitaire que I'on
ne s'est plus formulée, cette fois, autour de l,intégration ã.
ne cesse de nous annoncer. En effet, insaisissable, irreprésen-
la classe ouvrière. LJn nouveau concepr indifféreicié, cerui
table, I'exclu n'est autrement perçu que comme une victime sans
d'n exclusion o, a, dès la
fin des années 80, connu un succès crois_
phrases pour exprimer une souffrance brute, d'autant plus
sanr, pour relier des situations très disparares que vivaient
insupportable. La victime attend la compassion, la convergence
nombre de jeunes, de chômeurs, de toxicomenes, de femmes
des cæurs et interdit toute polémique, toure adversité politique.
seules, de sans-abri, de nouvear.rx pauvres et de tous ces
laissés- EIle est une des figures idéales pour renrer de refaire commu-
14 t<
artier Libre

nauté là oìr précisément le lien social semble faire défaut. Ainsi de pauvreté. Si I'on s'intéresse plus particulièrement à la situa-
que l'énonce Rancière, u I'exclusion n'est que I'autre nom du tion de la Belgique, force est d'observer qu'en cette matière, le
consensus uI6. phénomène d'exclusion apparaît plus largement contenu en
C'est à ce phénomène de n victimisation )) que nous avons regard d'autres pays tels que la France ou Ie Royaume-Unil7.
assisté en Belgique, auprès d'une autre population et à partir Alors que dans ces deux pays, la présence de structures intermé-
d'autres événements, ceux liés au dossier Dutroux. Avec cet éclai- diaires - les syndicats en particulier - est faible, que les ques-
rege, on peut mieux comprendre cette volonté des victimes et de tions urbaines se sont posées avec beaucoup d'acuité dans les
leurs familles de se voir reconnaître un stetut de victirnes, vic- banlieues confrontées aux problèmes de petite délinquance et de
times cherchent evant tout à faire retour à cette humanité per- révolte, des pays tels que ceux du Benelux, I'Allemagne ou les
due, niée par la violence sexuelle ou la maltraitance. La question pays scandinaves se distinguent Par une Pauvreté moins pré-
de la reconnaissance de la victime est bien de l'ordre de la bles- gnante. Dans ces derniers pays, Ia protection sociale semble jouer
sure, de Ia violence ou de I'outrage subis. un rôle prépondérant. Les partenaires sociaux, les instances poli-
La figure de la victime apparaît Ià où la société s'orienre vers tiques, Ét"tt et régions interviennent largement dans la régula-
une réparation généralisée assise non plus sur la reconnaissance tion socioéconomique. La pauvreté y est identifiée moins autour
des droits sociarx mais sur la radicalisation des droits civils. Si d'une question nationale - comme en France - qu'autour d'es-
I'on ne peut plus attendre grand-chose de la société en tant que paces territoriaux, d'îlots de pauvreté ou de zones fortement
pauvre ou en tant qu'ouvrier licencié, c'est en tent que victime désindustrialisées, sous-équipées, à fortes concentrations de
que I'on tentera d'obtenir réparation. Ce faisant, la < victimisa- populations immigrées et désæuvrées'
tion > contribue à un écart considérable avec le modèle de l'État Comparativement, la pauvreté en Belgique paraît donc conte-
social tant elle s'appuie sur une logique d'imputation de la faute nue. Le Portrait social de la Walloniels pointait un taux de pau-
et non de socialisation des risques partagés. Cette tendance à la vreté de 4,8o/o en 1995. Revu en 1999 avec des données plus
revendication civile s'observe davantage aux États-Unis où les récentesle, ce taux s'était relativement stabilisé à5,Io/o- Ces résul-
catégories juridiques semblent de plus en plus fréquemment tats a priori encouregeants sont fortement tributaires des per-
mobilisées pour régler de nouvelles formes de conflictualités formances du système de protection socia-le sans lequel Ia situa-
sociales. Dans ce contexte, Ia voie de I'extension des droits civils tion auteurs du dernier
semble privilégiée par rapport à la réaffirmation du principe de rapp est instable, large-
solidarité. Si cette forme de citoyenneté ancrée sur la confiance men iale Par le nord du
commune dans la loi civile semble plus appropriée à Ia tradition pays. Une régionalisation du régime de protecdon sociale signi-
libérale nord-américaine, n oublions pas qu'elle demeure atti- herait à terme un doublement de Ia pauvreté en'W'allonie' Ce
rante pour les pays européens où se sont faites entendre de nou- taux de 5,1%o demeure inferieur à ceux de l'ensemble des pays
velles revendications émanant de la société civile, sans que celles- développés20. Mais ces données doivent inciter à la plus grande

ci ne parviennent à renouveler les formes légitimes de la pr,rd.tt.. dans la mesure oir Eurostat2l se montre bien plus
participation citoyenne organisée. l.r.r"r,.é quant aux performances de la Belgique. Cette stabilité
de Ia pauvreté ne doit cependant Pas masquer quelques ten-
dances. Les groupes à risques n ont nullement disparu, leur situa-
La situation en Beþiqae
La n nouvelle question sociale n est complexe et ne peut se
tion se serair même singulièrement dégradée entre les derx études
réduire à la seule question de l'exclusion et des nouvelles formes wallonnes de 1995 et 1999. Tout d'abord, on peut retenir que

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artier Libre

la situation des jeunes ménages s'est détériorée. Cette situation II semble bien qu un consensus soit apparu pour sauver vaille
est très sensible au sein des familles monoparentales. Les jeunes que vaille ce modèle - que nous qualifierons plus loin de cor-
de moins de 25 ens sont particulièrement touchés par le chô- poratiste - issu du Pacte de 1944. Afin de faire face aux diffi-
mage. Il faut toutefois signaler que si Ie poids des jeunes au sein cultés budgétaires et inflationnistes, les organisations sociales ont
du chômage s'est réduit, cette baisse ne signifie nullement une accepté de freiner leurs revendications contre'le maintien de la
amélioration de la situation des jeunes tant les entreprises mani- négociation entre l'État et ses différents pertenaires. Comme Ie
festent des exigences à I'embauche toujours plus fortes en pense De Munck23, cette solution, qui eut Pour prix le renfor-
matières de diplômes et de qualifications professionnelles22. Par cement de l'intervention étatique, a fourni des résultats remar-
ailleurs, la situation des détenteurs d'un diplôme de I'enseigne- quables, réussissant à enrayer la dette publique et à gérer un
chômage massif. Elle a en outre permis à tout l'édifice issu du
ment primaire a également empiré, leur taux de pauvreté aug-
compromis social de subsister. Mais la grande question que l'on
mentant de 3o/o en 3 ans. Un problème structurel important
est en droit de se poser est celle de I'avenir : n'assistons-nous Pas
semble donc se maintenir auprès des personnes sous-scolarisées.
à l'épuisement d'un modèle ? LÉ,tat social est-il encore bien armé
Enfin, les chômeurs, les invalides et handicapés ainsi que les pen-
pour faire face aux nouveeux défis du développement socioéco-
sionnés se verraient également davantage fragilisés.
nomique: mondialisation croissante du marché du travail,
Si la Belgique semble, à première vue, moins ébranlée par
u flexibilisation , des marchés et des institutions en réponse à la
les secousses et les grands débats idéologiques portant sur la
tertiarisation de l'économie et au développement des nouvelles
u nouvelle question sociale u, il n'en demeure pas moins que
technologies ? En d'autres termes, si l'É,tat social a pu résister à
cette dernière a fortement contribué à un imaginaire du retour
une première crise liée à Ia récession économique, est-il toujours
de formes de pauvreté qui, à leur tour, ont concouru au for- armé pour juguler les effets d'une crise due à un phénomène
metage des politiques publiques, Ies influençant durablement.
d'ouverture généralisée des marchés et à une quête de flexibilité
Par ailleurs, la crise s'y est traduite depuis plusieurs années par de la part des entreprises et des institutions ? Un nouveeu
une forte remise en question du modèle des piliers. En effet, en .on..pi semble émergèr progressivement, celui d'É,tat social actif,
Belgique, la crise de l'État social a pour corollaire une remise traduisant la volonté des pouvoirs publics d'n activeo la société
en question des piliers tant l'appareil étatique se trouve en posi- dans son ensemble afin de répondre aux nouveaux impératifs de
tion de subordination par rapport à la société civile organisée développement (intégration par le maintien d'une main-d'æuvre
autour de ses différents socles. Le rôle de la société civile, en flexible mais précarisée) tout en permettant au modèle de départ
matière de production de savoirs et de politiques publiques de subsister. C'est ce concePt que nous allons examiner pour éva-
(notamment en matières d'enseignement) d'emploi, de santé, de luer non seulement I'impact d'une crise sur la société mais sur-
pensions, de culture, etc.), y a été si prégnant que Ia crise doit tout l'éventail des réponses offertes.
s'y analyser autour du concept de n dépilarisation r. Concept
dont les dimensions les plus connues sont la montée de I'indi-
vidudisme, le développement du u zapping > institutionnel (ex. :
avoir un enfant dans I'enseignement libre, être membre du syn-
dicat socialiste et être affilié à une mutualité libérale), la ten-
dance au clientélisme, la montée du profeisionnalisme et la
chute des grandes idéologies fondatrices au profit de logiques
de services.

t8 19
L'Etãt social actif
à la rescousse
Lidentification d'une u nouvelle question sociale ' a offert
l'occasion d'une redéfinition des politiques publiques' Celle-ci
s'est accomplie autour du passage de dépenses largement Perçues
comme passives (les' indemnisations) vers des dépenses dites
( actives n, misant davantage sur I'insertion, la responsabilisation,
I'implication de I'ayant droit au sein de la société. Loctroi de
droits sociaux s'esr vu progressivemenr Iié au respect de devoirs,
de conditions préalables (suivre une formation, acceptet un
emploi) ou aux contreparties telles que I'obligation pour le béné-
ficiaire de travailler, de prester des services d'udlité publique ou
de s'n engager > au sein de la collectivité. Se substituant Progres-
siue-eni à-la question des inégalités er occupant le devant de la
scène, la notion d'exclusion a eu Pour effet la remise en ques-
tion des mécanismes purement indemnisateurs et ( assistancia-
Iistes, de l'État social classique. Par la généralisation progressive
d'un principe de u conditionnalité r, I'ayant droit doit désormais
certaines conditions pour être aidé ou assisté' Lidée pré-
"...pi.,
ual"nt à cette évolution est la mise en exergue de I'autonomie de
tout un chacun contre les dépendances que génèrênt des
dépenses passives. Le principe sous-jacent à cette évolution est
qjil ,.r"it plus valorisanr pour un individu de recevoir des res-
d'un projet que de recevoir des
sources orientées vers la réussite
allocations visant à compenser une maladie, un handicap ou un
échec. Précisons tourefois que ce principe de conditionnalité n
est

pas neuf. On en trouvait de nombreuses formes d'expression


ã"r, l. régime précédent. Ce à quoi on assiste actuellement serait
précisément une rendance à Ia généralisation de I'application et
ãr., ,..o.r., à ce principe. Actuellement> un débat dans lequel
nous ne Pourrons entrer ici départage partisans d'une allocation
universeúe inconditionnelle et partisans du maintien d'un prin-
cipe de conditionnalité de la Sécurité socia-le'
Les modalités de I'intervention publique ont sensiblement
évolué, elles visent aujourd'hui prioritairement les victimes des

2I
risque répond à une longue évolution historique qui a vr une
pertes d'emploi massives. Ainsi I'activation des dépenses sociales
déconnexion partielle de Ia sécurité et de la propriété. Ainsi, pour
a-t-elle surtout concerné Ia réintégration d'un maximum de tra-
répondre aux inquiétudes des populations, chaque époque a tou-
vailleurs dans le circuit de l'emploi afin de maintenir un taLrx
jours dû réfléchir aux moyens de. se doter des ressources histori-
d'activité apte à garentir l'avenir de la protection sociale. En effet,
quement et socialement disponibles pour les sécuriser. On peut
indemniser la sortie du marché du travail revenait à augmenter
not., qrr'"'lr.c la montée d'une vulnérabilité de masse, le
les prélèvements sur le travail et, Per conséquence, à en réduire
XVII' siècle a identifié ce risque que faisait peser le dénuement
inévitablement Ie volume. Toutefois, si elle Permet de mettre en
le plus total sur la propriété, celui-ci Pouvant être à I'origine de
exergue l'ampleur du problème, la question de l'emploi ne fait
véritables explosions de violence. Le risque était alors conçu
pas figure d'unique terrain d'expression de ces politiques d'acti-
comme un risque contre le dròit de propriété, droit dont on
vation. Ces dernières se sont également exprimées dans d'autres
trouva une justification philosophique dans les travaux de John
secteurs tels que les politiques de la ville (surtout en France),
Locke. Avec le recul, le droit inaliénable à la propriété peut donc
I'aide sociale, le champ du n sociopénal ,.
être interpréré comme une réponse à I'insécurité que faisaient
À suivre Rosanvallon, qui préconise une activation des poli-
planer les plus démunis sur la société.
-
tiques en guise de réponse à Ia u nouvelle question sociale u, il ne
La grande trouvaille du XIX' siècle résidera dans le décou-
s'agit pas là d'une ruPture radicale de modèle mais d'un u enri- au profit d'un nou-
i, plage progressif entre sécurité et propriété
chissement o du droit social sur la voie de l'insertion et de la
il veau couplage entre sécurité et travail. Ainsi, à la sécurité pour
reformulation des formes de solidarité. Nous allons toutefois
la propriété s'adjoindra un second principe de sécurité par le tra-
voir, au cours de ce chapitre, que le concePt est loin d'être exempt
u"il. L".,rèrr.ment de l'État social ne signifiera pas I'abolition pure
d'ambiguité. Au prix d'un sauvetage de modèle, on assiste plu-
et simple de cette vieille opposition entre ProPriétaires et non-
tôt à la production de nombreux effets pervers : maintien de la propriétaires. LÉ,tat social viendre, au contraire, se situer dans le
précarité, production de formes de contrôle, entretien de I'insé-
proiorrg.rn.nt de tr'É,tat libéral en jr'xtaposant à la propriété
curité dans les quartiers, individualisation croissanre du traite-
individuelle un autre rype de propriété : la propriété sociale'
menr des problèmes sociaux, brouillage des frontières enrre assu-
celle-ci sera conçue comme propriété de transfert assurent une
rance et assistance figurent parmi ceux-là.
sécurité d'exisrence reposanr sur le droit social. Tout en Safan-
tissant le maintien då l" p.opriété privée, l'État deviendra
Ie
Les ercements du risque en regard des risques sociaux
,gerant d'une sécurité pour tous
La question de l'épuisement du modèle assuranciel est indis- identifiés et reconnus par la société.
sociable de celle de la gestion des risques tanr cette notion de Or I'exclusion nous apprend aujourd'hui, plus que jamais'
risques a longtemps fait figure de catégorie unificatrice. La clef que le risque de déclassement et de désaffìliation n'est pas
équi-
de voûte du système assuranciel, rappelons-le, reposait sur la åbl...r.ni réparti sur tous. Du coup, les modes mêmes de cal-
croyance en une répartition équitable et largement aléatoire des . cul de ce risque prévalant à I'indemnisation sont remis
en ques-
risques sur I'ensemble de Ia population. Risques objectivés, liés tion. Non p"t q". la notion de risque soit inappropriée' loin de
à la maladie, au handicap, à l'âge. Risques calculables pour Per- , h. M"i, .lË lh"rrgé de nature. Sans que I'on puisse parler de
meftre une indemnisation sans invoquer quelque responsabilité " voit
disparitions des risques collectiß, I'effectivité du concept se
ou quelque culpabilité que ce soit car celles-ci étaient réputées '
r"jporté. à l'indiviãu ou à des segments précis de la population'
communément partagées du fait même du risque que représen- un-individu en mouvemenr consrant, de plus en plus diffìcile à
tait Ia vie dans une société industrielle. cetre construction du
23
saisir en tanr que membre d'une catégorie objective plus vaste à fessionnelle qui, dans le cadre de l'État socia-l et des formes pro-
laquelle il appartiendrait. Lidée de trajectoires (conjugale, fami- tectionnelles, parvenait à dire et à fixer le u vrai n. Aujourdiui,
liale, professionnelle, institutionnelle, formations,...) ou de par- l sa définition tend à s'élaborer sur un mode négocié, procédural
cours semble s'imposer pour rendre compre de la diversité et de ., alors qu'elle revêtait une forme plus substantielle (pouipermetrre
la complexité des situarions vécues. : le calcul) dans le cadre du modèle de l'État social. À titre d'illus-
Tiaditionnellement, le risque liait I'individu à I'espace. La r tration, on voit ainsi, dans le secteu¡ de I'aide à la jeunessez4,
propriété ou la communeuté de sort servaient d'étalons auxquels . combien la notion d'enfance en danger a évolué. Le décret d,aide
le ramener afin de l'évaluer et d'envisager une réparation du pré- à la jeunesse du 4 mars 1991 laisse une place considérable aux
judice. Aujourd'hui, le risque se délocalise, nous renvoyant à conseillers de I'aide pour percevoir et estimer la u dangerosité >
I'idée que la menace esr perrour. De nouvelles sources d'insécu- des situations qu'ils rencontrent. Le conseiller se trouve souvent
rité apparaissent autour des maladies sexuellement transmissibles, en situation de co-construcrion de la situation avec le jeune et
de la maltraitance, des abus sexuels, de la délinquance urbaine, la famille. La recherche d'une solution découle alors souvent de
de I'ouverture des frontières, de l'alimentation, des nuisances , ce travail de définition préalable et s'opère
sur un mode essen-
sonores, de la pollution, des effets de l'urbanisation et de I'in- tiellement procédural.
dustrialisation sur I'environnemenr, des tentatives de pénétration Tändis que I'impératif de prorection commune semble céder
de la sphère privée sous de multiples formes. Ces nouvelles le pas à la spécificité des situations, on peut postuler que I'on
sources d'insécurité fragilisent I'individu er ce, d'aurant lors- is'oriente vers ce mouvemenr de < victimisarion ) déjà évoqué. La
qu'elles I'affectent dans sa capacité de mouvement et de mobi- ìvictime devient cette figure mobilisée pour merrre en scène la
lité. Lindividu vulnérable semble davantage rivé à un seul espace, Êfiance, le ma], le danger dont on est affublé. En ef[èt, une
incapable de se mouvoir tandis que les entreprises et, plus
¡quête négociée de définition du risque présuppose la consrruc-
largement, les conditions modernes de vie en société incitent ion d'un consensus sur la situation posant problème, exercice
au déplacement, voire à I'entretien de I'implication et de la cours duquel une construction de récit sera activée, mettant
participation. scène les difficultés appelant des significarions communément
Les ressorts de I'insécuriré onr profondément évolué. Ils ren- La victime apparaît alors comme figure capable de cris-
verraient a priori plus à l'État classique libéral qu'à l'État social le sens commun car elle est avant tout une forme moraJe,
tant ils mobilisent les catégories du droit subjeÒtif des personnes à baliser les conduites aurour de ce qui est u bien o, de ce
pour obtenir des réparations plus individuelles, plus privées. Le est u mal ,' pour la personne ou pour la collectivité. Mais la
rapport des individus à l'État se défierait désormais des formes ime appelle aussi une réparation conduisant à un surinves-
de lien et de solidarité qu'offrait l'É,tat socid. Il semble bien que au sein de la sphère du droit.
la notion même de risque soit de plus en plus diffìcilement
approchable en rermes de fondement substantiel, de stabilité. Au
' Limportance aujourd'hui prise par certe sphère s'explique,
ment en matière de conflits de travail, par l'affaiblissemenr
contraire, elle est largement dépendante des conjonctures et fait autres formes de régulation sociale. Pour Jean-Louis Genard,
l'objet d'enjeux, de négociations enrre diffërents acreurs tels que surcharge du droit est liée à un affaiblissemenr des capaci-
les professionnels des assurances, les partenaires privés, les par- régulatrices de l'État25, l'institution juridique devenant une
tenaires publics ou encore la justice. Son approche actuelle ren- voie normale o de recours pour,tour qui se sent lésé. Cette infla-
voie plus à une approche pragmatique liée atx situations des recours aux insrances juridiques exprime bien un défi-
concrètes. Le risque peine à se prêter au jeu d'une expertise pro- de régulation des pouvoirs publics er ce, en particulier en

24 25
artier Libre

matière de médiation entre cetx-ci et les citoyens. Les luttes Les effets des nombreuses ( affaires o (corruption au sein du
sociales traditionnelles perdent progressivement du terrain au bureau des drogues de la gendarmerie, Cellules communistes
profit de nouvelles formes de conflictualité en en appelant à Ia combattantes, tueurs du Brabant, drame du Heysel) se sont
justice comme instance de régulation. La tentation d'y redéfinir conjugués à la montée de I'extrême droite et à quelques émeutes
la justice socia-le est forte, d'aucuns n hésitant pas à désormais (commune de Forest) pour encourager un diagnostic général de
parler de n pénalisation u de la société. On voit donc combien crise de confiance des citoyens à l'égard de leur propre système
l'État social tend également à se définir à travers cet appel à la judiciaire. Les autorités engageront un train de réformes succes-
justice et, plus précisément' eutour des politiques de sécurité, sives dans deux directions : amélioration du système répressif et
autre grand volet des politiques d'activation à côté des mesures sécurisation des territoires. Avant d'aboutir à une vaste réforme
d'insertion par I'emploi. des polices, la politique des années 90 se redéploiera autour d'irne
redynamisation de la fonction policière et du contrôle de la petite
Un glissement sécuritaire délinquance considérée comrne le principal facteur de risque
En Belgique, les politiques sdciales se sont traditionnellement dans les quartiers. Afin de précisément répondre à ces problèmes
déployées dans trois grandes directions. La première est celle des de sécurité sur des territoires bien définis, Ies contrats de sécu-
protections sociales et de la solidarité construites dans le cadre rité seront instaurés en 1992 dans le cadre d'un programme de
des droits sociatx attenants à l'É,tat social. La seconde est celle pacification sociale. Comportant detx volets, un social et un
de I'aide sociale orientée vers les plus démunis. À Ia diffërence policiea ils tenteront d'associer étroitement sécurité et préven-
des couvertures sociales universalistes, I'aide est particulariste. tion dans les quartiers en renforçant les liens entre populations
Nous n'établirons cependant pas ici de distinction entre aide et forces de l'ordre. Tout en tentant d'éradiquer vols èt agres-
sociale générale et aide sociale spécialisée. Enfin, la troisième sions, ces politiques tâcheront de faire de la sécurité le ressort de
direction relève de la sphère de la justice et s'est notemment déùe- nouvelles formes de solidarité dans les quartiers les plus défavo-
loppée eutour des politiques de protection de la jeunesse et de risés. Mais cette solidarité ne sera plus du tout envisagée comme
défense sociale. Certains ont pensé que la remise en question processus positif d'émancipation de la-société, elle offrira un
potentielle du modèle de l'É,tat social s'est précisément eccom- autre visage, celui de l'entretien et du partage de la Peur contre
pagnée d'une tentative de contraction de la première direction, une menace potentielle et sournoise que viendront rappeler à
celle de l'État social et des droits sociaux. Contraction opérée au I'envi les mesures de sécurité.
profit de mesures valorisant les politiques d'insertion d'une part, C'est sur cette toile de fond que se sont surajoutés les événe-
et les politiques de sécurité d'autre part' Ce sont ces dernières et nfents liés à I'o affaire Dutroux o ainsi que les grandes mobilisa-
plus précisément le glissement vets ces dernières que nous allons tions qui s'ensuivirent. De ces dernières, on retiendra notemment
à présent examiner en précisant que ce mouvement s'est opéré que c'est bien vers la justice que se tournent prioritairement les
de la seconde moitié des années B0 à la fin de la décennie 90. nouvelles plaintes sociales, la justice devenant Ie réceptacle où
Comment expliquer cette tendance au recours aux politiques pourrait s'exprimer et être entendue une parole nç trouvant plus
de sécurité ? En fait, les préoccupations suscitées par les pro- d'écho ailleurs. Si les justiciables réclament de plus en plus jus-
blèmes de précarité et de désaffiliation sociales auxquels on n'a tice par rapport aux souffrances qu etx-mêmes ou leurs proches
cessé d'accorder un intérêt croissant ont été compensées par üne iont subies, c'est avant tout sur la scène pénale et médiatique
attention toute particulière pour le sécuritaire. En Belgique, dès qu ils cherchent à exprimer leurs ettentes. On observe donc
la fin des années 80, Ie terrain était particulièrement propice26. jourd'hui une véritable tendance à la pénalisation des démo-

26 )7
craties occidentales. Ce mouvement ne signifie toutefois Pes une
général. Laide contrainte trouve à se développer ici à partir de

i,for-., de partenariat entte secteurs privé, public et associatif en


augmentation des poursuites judiciaires mais plutôt un durcis-
sement des peines et un allongement des incarcérations dans les vue d'organiser des trevaux d'intérêt général, définis dans le cadre
cas lourds, comme c'est Ie cas actuellement en France.
d'une imposition négociée ayec les intéressés. IJimpression glo-
bale qui mouvement est celle d'un véritable glis-
se dégage de ce
Saisi d'une demande pénale, l'État tend à y répondre d'une
!sement sécuritaire attestant une volonté de relégitimation de la
manière territoriale, en ciblant des zones particulières. A cette
logique spatiale s'adjoint une seconde en train de se mettre peft de l'État. Ainsi que le proposent Cartuyvels, Mary et Rea
eu terme d'une vaste analyse des réponses sécuritaires actuelle-
progressivement en place, celle du temps. Ainsi, pour tenter d'en-
ment déployées en Belgique30, cette avancée sécuritaire Peut être
diguer le phénomène d'inflation des demandes et éviter un clas-
sement de celles-ci, les parquets sont-ils de plus en plus tentés interprétée comme une tentative de réponse à I'affaiblissement
de l'État. Elle signifierait avant tout une quête de consensus de
par une justice en temPs rée127, comme si l'urgence sociale deve-
la part d'un É,tat soucieux de recréer de Ia cohésion sociale. D'où
nait une tempora-lité ordinaire de Ia justice pour traduire les fau-
teurs de troubles en un temPs record devant les tribunaux. l'âttention de plus en plus marquée envers Ia petite délinquance
D'aucuns verraient dans ce tournent une réponse à la crise ou la délinquence urbaine (violences, délinquance juvénile,
drogues,...) alors que, paradoxalement, nos sociétés sont globa-
que traverse l'État social. À suivre Mongin28, on pourrait voir
lement plus sûres que celles du passé. Se mettrait dès lors en
á"rr, ..,,. lente métamorphose de l'État social, un passage d'une
place tout un discours sur les risques, risques incalculables et
société organisée eurollr d'un principe de solidarité à une société
ninassurables u, visant à rassurer tout en suscitant la peur. Ce dis-
articulée eutour de la sécurité, des risques (et non u du n risque)
i cours cible essentiellement des populations dites n à risques > :
et de la précaution. Tout cela se traduisant par d'incessants appels
à la responsabilité pour répondre aux défaillances de la solidariré
jeunes, délinquants, toxicomanes, étrangers. À t.t-., les dispo-

collective. Fondamentalement, cette tendance à Ia pénalisation sitiß publics destinés à lutter contre l'insécurité contribuent lar-
gement à a-limenter le sentiment d'insécurité alors qu au départ,
de la société exprimerait notre incapacité à penser les rapports
ils visent à pacifier I'espace urbain en rendant invisibles les formes
politiques âutrement que comme des rapports privés, de per-
de délinquance urbaine.
sonne à personne, en dehors de toute possibilité d'intégration
Mais cette activation ne s'opère Pas sens générer de la stig-
normarive et conflictuelle. cette pénalisation irait de pair avec
metisation : celle des délinquants, bien sûr, mais aussi, comme
la modernisadon er I'affaiblissemenr des formes de sociabilité de
nous I'avons vu, celle des victimes. Car cette politique est aussi
proximité2e. Sans aller cependant jusqu à conclure au remplace- '
une polirique-spectacle. Elle vise I'opinion publique, s'appuie sur
ment de l'É,tat social par l'État pénal et carcéral, on retiendra
des images, mobilise tout un imaginaire et crée de Ia dramatur-
néanmoins qu'au retrait de l'État social a correspondu' au cours
gie. À travers l'appel au pénal et au sécuritaire, c'est avant tout
des années 90, un renforcement du champ de la justice pénale'
un appel à la Loi et à sa fonction symbolique réparatrice qui s'eÊ
Tout en s'ancrant sur Ie territoire et en prônant I'urgence, Ies'
fectue. Les différentes mobilisations blanches illustrent parfaite-
politiques sécuritaires ont ainsi contribué à la confusion entre
ment ce contexte de moralisation de l'action dans lequel nous
aide såci"le er acrion sécuritaire tanr, sur le rerrain, les multiples
baignons aujourd'hui3r. I-lautre, cet autrui anonyme' devient éga-
initiatives sociales, policières, culturelles, d'aide et de protection
lement une menace potentielle pour I'individu. C'est de ce sen-
de la jeunesse connaissent une tendance à I'entrecroisement'
timent diffus de danger ou de menace qu il est question avec le
Ainsi les presrarions éducatives se sonr-elles progressivement
concept d'n individualisme négatif ,, que Karpik32 reprend à Cas-
développées, imposant aux délinquants des travaux d'intérêt
29
28
tel pour le diftrencier de I'individualisme conquérant et entre- fragilisation de I'emploi salarié à durée indéterminée. Ces poli-
preneurial des années 80. Il s'agirait dorénavant d'un individua- tiques de seuvetege ont répondu au souci de cibler plus précisé-
lisme subi, désorienté, pessimiste, méfiant et replié sur lui-même. ment les laissés-pour-compte que la n nouvelle question sociale,
Au moment orì Iès grandes institutions normetives (famille, avait permis d'identifier autour de la montée massive du chô-
école, entreprise, politique) se font de plus en plus discrètes, cet mage. Il s'agissait là ,d'un double impératif : garantir les trans-
individu menacé paraît travaillé par un profond n imaginaire de ferts sociaux pour seuver'la protection sociale et rassurer des
la catastrophe r33, exprimant un souci d'identification à autrui populations largement fragilisées par la montée des insécurités
de manière plus affective, eh raPPott evec le corps et Ia recon- existentielles.
naissance de sa souffrance. Latteste aujourd'hui le regain de thé- On peut aujourd'hui affìrmer que, paradoxalement, cette
matiques telles que I'abus sexuel, Ia maltraitance, Ia pédophilie, volonté de soutenir contre vents et marées I'emploi par un
le harcèlement. Dans un contexte de montée en puissance de la accroissement des formules subventionnées a très largement
figure individualisée de la victime, qui, mieux que le droit pénal, contribué à cibler les plus faibles et à les fragiliser. Le dévelop-
peut répondre aux attentes et apparaître comme cette technique pement d'emplois précaires36 a conduit au renforcement d'une
capable de publiciser les délits privés et d'incarner par là la morale i véritable zone du sous-emploi sur un marché que I'on sait depuis
publique ? Cette pénalisation du social et ce glissement sécuri- ; longtemps dualisé37, partagé entre, d'un côté, des emplois stables
taire effectués par les pouvoirs publics expriment bien une des et fortement rémunérés et, de l'autre côté, des emplois précaires.
facettes de cet É,tat social actif en train de se mettre en place à Cible prioritaire de ces politiques, les jeunes ont été particuliè-
trevers une gestion Proactive des risques (gérer le risque en géné- rement visés par ces mesures. Ainsi que nous l'avons montré par
rant le risque). Cette gestion est opérée sur des territoires bien une étude consacrée aux politiques d'apprentissage industriel en
précis à l'aìde d'.,.te multitude d'actions destinées à n agiter u34 \Øallonie38, à travers la mise en place d'un dispositif de recours
Ie terrain. Tout semble donc s'être déroulé comme si, à I'insécu- systématique à la dérogation, le patrorlat parvient à procéder à
rité existentielle consécutive à la crise de l'É,tat socia-|, on avait un véritable tri parmi les jeunes à l'entrée de I'apprentissage. Ce
tenté de répondre Par un renforcement des dispositifs pénau et mode de régulation lui permet de sélectionner des jeunes peu
policiers où le social finirait Per se fondre jusqu à en perdre son (voire pas) désaffiliés socialement, plus âgés et plus qualifiés que
identité originelle. le public ciblé par les textes légaux. En clair, Ies plus qualifiés
'profitent en premier lieu des dispositiß offerts. Il serait certes
tentant d'incriminer la responsabilité de I'acteur patronal, mais
Cap sur l'insertion Pa'r I'ernPloi
ce dernier n'est pas Ie seul facteur explicatif de cette précarité
On peut estimer que les politiques sécuritaires et les mesures
entretenue. Partie prenante du compromis social constitutif de
publiques visant à contrer I'exclusion sont, dens les faits, très sou-
l'État social, Ie patronat n a guère intérêt à miser sur une préca-
vent associées. Ainsi, pour répondre à la fragilisation des popu-
risation généralisée de la main-d'æuvre ni sur une diminution
lations, est-ce souvent au nom de la lutte contre I'exclusion au
des cotisations sociales. Ce constat etteste un phénomène plus
sein des quartiers que sont menées les politiques sécuritaires et
large et plus politique: celui de l'existence d'un consensus tacite
vice versa35. Au niveau de I'emploi, on Peut retenir que la remise
entre acteurs privés et puissance publique en vue de diminuer le
en question de Ia société salariale s'est progressivement traduite
chômage et de maintenir un modèle de régulation en l'état, mais
par la recherche de formes dites n arypiques o de l'emploi:
contrats à durée déterminée, intérims, emplois précaires, temPs ; au prix d"une précarisation des acteurs les plus fragiles. La dua-
partiels, emplois aidés sont autant d'expressions de ces formes de lisation apparaissant en quelque sorte comme le prix à payer pour

30 31
artr-er Ll-þÏe

une acrivarion des politiques publiques visant à sauver I'emploi insertionnel parapublic qui s'est rapidement transformé en une
et la Sécurité sociale ! zone de sous-emploi durable pour les exclus de I'emploi salarié.
Nous n'assistons Pas à une dérégulation Pure et simple des En France, Ies analyses portant sur le RMIar ont révélé combien
politiques publiques d'emploi fale à la crise mais plutôt à 'une celui-ci s'est avéré inapproprié pour résoudre Ie problème du chô-
irr,.rpirreråtion croissante de l'État et du marché du travail. À mage massif. Maintenant les exclus dans Ie sous-emploi, il est
,r"u.r, I'activation des politiques publiques, on découvre com- rapidement apparu plus comme un état Permanent que comme
bien les politiques de l'emploi seraient de plus en plus détour- une étape vers la réinsertion. En Belgique, I'octroi d'une aide
nées de lèur mission d'insertion d'otigine au profit du
maintien peut être conditionné à la volonté préalable d'une insertion
d'une flexibilité de la main-d'æuvre. La flexibilisation des condi- socio-professionnelle. Ainsi le minimex peut-il être octroyé à
tions d'intégration professionnelle répondrait à la nécessité des condition que le bénéficiaire soit disposé à travailler ou soit médi-
entreprises ã. ,'"d"pt.r à des flux économiques en variation calement reconnu inapte à travailler. Pour les moins de 25 ans;
constente. Ia loi prévoit que Ie non-resped des clauses du contrat peut
cette activation à I'emploi a donc contribué à générer plu- conduire à une suspension temporaire de I'aide sociale'
sieurs effets Pervers aujourd'hui bien connus' Relevons-en Tout en proposant un éventail de dispositiß d'insertion, les
deux39. Premièrement' on observe que la zone des formes
d'em- différentes mesures misent sur une responsabilisation accrue des
plois arypiques et du sous-emploi ne cesse de s'étendre au
détri- citoyens. Ces nouveaux dispositifs offerts ont pour noms :
n est nullement contrars de citoyenneté dans les régies de quartier, parcours dlin-
-.", a;.-ilois stablesao. Cerres, cette flexibilité sertion, conrrars d'intégration individualisés des jeunes mini-
synonyme de précarisation pour tous les salariés' elle entraîne
úi.., jt.r, une généralisarion du processus de dualisation du mar- mexés, articles 60 et 61 des CPAS, stages de formation, mesures

ché á., travail et un renforcement des inégalités sociales parmi d'activation de l'allocation de chômage et du minimex,"' Tout
les salariés. Cette dualisation figurant ce que nous Yenons
de qua- comme en matière de sécurité, on assiste à une territorialisation
des réponses d'insertion dans la mesure où l'on sait que les formes
Iifier de < prix à Payer > pour diminuer Ie chômage et procéder
au sauvete;e de fÉtat social. Deuxièmement, Ie développement de précarité frappent davantage des personnes non mobiles, rivées
(
au même espace et souvent reléguées dans de véritables nasses ))
dr'r. .on..p-t d'u État social actif n est également
synonyme de
repérage ã. pop.rl"tions spécifiques qui feront l'objet
d'un de pauvreté. Des modalités d'intervention de proximité se déve-

.iÈhgJ pry.horo.iologique. Dans ce cadre, on comprend mieux Iopþ.ttt au niveau local, elles mettent en présence des acteurs
.o*È'i.r les jeunes apparaissent au cæur de la définition des nou- : páiltiqu., locaux, des institutions er des professionnels de pre-
j mièreligne (CPAS, régies de querrier, missions locales, Agences
veaux dispoti,ift p"Ëii.s. Les jeunes sens emploi et plus
large-
jeunes locales pour I'emploi, zones d'initiative privilégiée/quartie¡s d'ini-
ment les l..rn., Jélittqu".t,t' les jeunes toxicomanes' les
immigrés deviennenr,-parmi d'autres, les catégories èibles
des tiative,ìgen.., d. développement local, services locaux d'aide et
nouve"lles politiques. À tr"u.rr le large éventail des réponses d,informãtion pour I'emploi) ainsi que les usagers eux-mêmes.
Au niveau d.e Ia Région wallonne, le débat porte actuellement sur
publiques belges à l'encontre des formes de précarité'
nous
les politiques de la création des maisons pour I'emploi et des cités des métiers.
retrouvons à nouveau cette idée selon laquelle
lutte contre I'exclusion sociale et de lutte contre l'insécurité se En individualisant ., ..r .o.r,."ctualisant les réponses (l'usa-
ger doit offrir une contrePartie à I'aide octroyée, par exemple
:
voient de plus en plus directement associées'
Cette bataille pãur I'insertion menée dans la plupart des
pays I"ir. .tn travail ou une prestation d'intérêt général, suivre une

européens e eu Pour effet la mise sur pied de tout un secteur formation ou une thérapie, prouv€r sa volonté de réinsertion Pro-

32 33
de I'État à réguler les effets de la crise au niveau local. La réponse
fessionnelle, etc.), Ies nouveaux dispositiß romPent ainsi avec
la
publique face aux effets de la globalisation et de la mondialisa-
Iogique indemnisatrice de l'État social classique. Ce faisant, ils
tion de l'économie semble bien se diriger vers une approche ter-
.o]n,.ib,r..r, à brouiller les pistes entre Ie premier volet des poli-
ritorialisée des problèmes. Désarmée par cette nouvelle donne
tiques sociales (l'octroi de droits sociaux universalistes) et le
internationale, I'action publique tente de retrouver une légitimité
,.åorrd, celui d'une aide sociale particulariste. En effet, Ies diffe-
par un surinvestissement des espaces de proximité, alors que les
rentes politiques d'insertion tendent de plus en plus à s'élaborer
enjeux économiques s'étendent de plus en plus.
à I'inteìsection d. .., detx volets. Ainsi un nombre croissant
de
Cette évolution notoire n'est pas indépendante des modes de
chômeurs relevanr du champ de Ia sécurité sociale sont-ils pro-
transformation du capitalisme. Ainsi la remise en question du
gressivement passés vers celui de I'aide sociale gérée notamment
compromis social peut-elle s'inierpréter à la lueur des évolutions
p"r l.t CPAS. Par ailleurs, nombre de minimexés se sont vu pro-
à l'emploi temporaire (anicle 60 survenues dans la sphère de la production. Les industries lourdes,
þor., j,rrq,r'en 2000 des mises faisant appel à une main-d'Guvre abondante et généralement Peu
bZ) d. ..,ro,ru.. leurs droits aux allocations de chômage' Ce
"n" I'in- qualifiée, se voient progressivement remplacées par de plus
mouvement de balancier permanent a contribué à faire de
petites unités de production, au détriment des solidarités
sertion une zone extrêmement floue oìr se juxtaposent désormais
ouvrières maintes fois étudiées par les sociologues. Pour faire face
travailleurs sans emploi er personnes relevant de I'aide sociale,
le
aux aléas d'un marché international de plus en plus complexe et
rout se confondant aurour d'identités indifférenciées et Perçues
imprévisible, I'entreprise doit désormais miser sur les capacités
négativement. Or les politiques publiques avaient contribué .à
jamais de réaction des hommes, des techniques et des structures. Le
l,éãification de repères clairs. Le chômage n'avait jusque-là
les images nouveau leitmotiv devient celui de la flexibilité dont une des
relevé de catégori.s Propres à I'assistance, rappelant
nombreuses déclinaisons est, au niveau de I'emploi, la multipli-
d'anran de lalienfaisance et de I'indigence. Dans le contexte
cation des formes atypiques pour adapter en permanence I'en-
actuel de brouillage des repères et de resPonsabilisation accrue.
chômeur nest plus Perçu comme cet indi- treprise aux flux économiques en variation constante' Les
auquel ot
"rrirt.,le
à une catégorie frappée Par un risque inhérent contrats à durée déterminée, Ies temps partiels, les intérims, les
,rid.,
"ppartenant Ainsi les differentes mesures prises ne pro-
àh soiùté elle-même.
duisent-elles pas seulement des effets réglementaires, elles
contri-
égalernent à I',émergence d'un imaginaire fortement
Iié aux
buent
dispositlß mis en place' Dans un tel cadre, Ie nouvel imaginaire
plus accordé à vie, c'est au travailleur lui-même qu'il appartient
.onlroqr:é renvoie davantage le chômeur à sa propre responsabi-
ãésormais de prouver son u employabilité,. Celle-ci devant s'ap-
Iité et à ses propres choix de vie. c'est encore à lui qu'il revien-
u procher approximativement comme la somme des compétences
drait de ,o.,rt fìi.. pour maintenir son n employabilité dans
digne et stable sur mobilisables qu'il s'agit d'acquérir ou dont il s'agit de faire Preuve
l'espoir d'un hypothétique retour à un emploi
en vue d',rn. iâ.h. ou d'un projet à réaliser. Concept impossible
le marché du travail'
à quantifier, I'n employabilité " serait cette habilité à I'emploi
dont devrait faire preuve tout travailleur à travers son Percours'
Lhomme en réseaa, PrototlPe du nouael
par I'activation de connexions judicieuses et mobilisables'
idéøl caPiøliste En quête de réactivité, l'entreprise se ceractérise par de plus
Lexamen áes politiques sécuritaires d'une Part' et celui des
actuelle petites unités parfois concurrentes les unes per raPport aux
politiques d'insertion d'ã,,t" part, illustre cette tendance
35
34
r1''I()I LIÐIE

autres, par l'écrasement de la ligne hiérarchique, par le recours Drogressive de cette nouvelle configuration' à un éclatement de
la
à la sous-traitance, par I'introduction de nouvelles technologies l.r,L dir,in.tion tant la vie privée finit par se confondre avec
vie professionnelle, à se distiller en temPs passé en
formations'
de I'information, par de nouvelles formes de management et
en relatio¡s
d'organisation du travail ou encore par I'insistance sur les com- *n dî.r.., avec les collègues, en relations affectives'
iles. etc. La célébration de I'activité porte en elle cette confu-
pétences et sur Ia gestion des ressources humaines. Ainsi que I'ont
montré Boltanski et Chiapello, un nouuel esprit da capitalismeaz sion qui ne va
Pas sans effets sur la conduite même de Ia vie' La

s'est développé au seuil des années 90, conduisant à la naissance recheiche d. for-.s d'adaptabilité constante aux situations
raPPort
d'une nouvelle configuration normative où la thématique du conduit l'homme en réseau vers une certaine déprise Par
aussi dans le rapport
réseau joue à plein rythme. Devenues u allégées u, les entreprises à une intériorité morale qui se construisait
tentent désormais de se réorganiser autour de petites équipes plu- aux normes et aux interdits. La volonté d'ajustement Permenent
en fonction des situations fluctuantes'
la confusion entre vie pri-
ridisciplinaires, compétentes et inventives, reliées entre elles en
réseaux. Avec I'allégement de la hiérarchie et le développement
des structures horizontales, l'appel au leader va croissant pour
relier les hommes, Ies orienter mais aussi les guider' En vue de
mener à bien ces tâches, le leader va devoir comPter sur ses
propres compétences, ses qualités personnelles ou encore sur ses
capacités d'écoute et de communication. Devenir leader, c'est
d'abord u être u. Être quelqu'un d'actif, d'impliqué, d'e commu-
nicatif, de mobile . Le principe général consacrant cet édifice nor-
matif est la croyance au bien-fondé de I'activité' sans que ceüe
dernière ne se confonde avec Ie travail. Pour tout un chacun, être
actif signifie notamment dépasser les frontières entre vie au tra-
vail et vie hors travail, entre vie privée et vie professionnelle. La
désacralisation du travail - thème actuellement en vogue - serait
à saisir en son sens premier. Est sacré (sacer) ce qui est séparé des
circonstances communes de la vie quotidienne. Dans cette
optique, le travail perdrait son caractère sacré et se verrait replacé
dans I'ensemble du processus humain, comme un facteuf parmi
d'autres contribuant à Ia construction de la personne. Uanthro-
pologie sous-jacente à ce modèle serait celle d'un homme Posses-
seur de lui-même, de son corPs, de son image et de son destin.
Cette conceptualisation est fondamentale Pour comPrendre le
changement en cours. Ainsi peut-on retenir que le capitalisme
s'est traditionnellement développé à partir d'une séparation radi-
cale entre sphère domestique et sphère professionnelle, la sphère
domestique étant avant tout considérée comme le lieu de recons-
titution de la force de travail. Or on assiste, avec la mise en place

36
t/
uuartrer l,rþre

Avec une production immatérielle mobilisant essentiellemenr antérieurs. Ensuite, une telle vision est foncièrement antiétatiste.
I'attention et les connaissances, tout ceci perdrait en effectivité. En forçant le trait, on pourrait ajouter que ce n capitalisme cogni-
Il s'agirait désormais moins de solliciter les corps, comme dans tifu peut tÈs bien se passer d'État, ceci entraînenr un déplace-
I'entreprise industrielle, que de mobiliser les capacités mentales ment de l'État vers le niveau local (sécurisarion des territoires).
et les afFects des travailleurs, entre-temps devenus des < opéra- Le nouvel esprit du capitalisme partagerait avec le libéralisme un
teurs )). Le ressort de la valorisation ne reposerait plus sur la pro- antiétatisme virulenr, critiquant la bureaucratie, I'immobilisme
duction matérielle et marchande rnais sur la production de la des structures, leur incapacité à répondre aux artentes de l'éco-
culture et de la connaissance au moyen des connaissances. nomie et des citoyens. Or c'est précisément là, autour de cette
Toutefois, le développement de ce que l'on peut qualifier de question de I'État, que se jouera la clé de I'avenir du social. C'est
u capitalisme cognitif , pos.e un problème neuf, celui de la rétri- de cet impensé qu'il va falloir tirer les trairs d'une analyse à venir
bution des éléments fondamentaux à la valorisation de cette car cette lecture u économiciste )) du devenir de nos échanges et
sphèie de la production immatérielle. En effet, Ie capitalisme de nos sociétés est purement libérale et semble totalement igno-
moderne est né avec la Grande Tiansþrmation44 que constitue, rer les acquis d'un modèle de gouvernance sociale qui continue
via les décrets sur les enclosures, la reconnaissance du droit à la à caractériser le Vieux Continent (à I'exception peut-être de I'A¡-
propriété privée. La terre pouvait appartenir à tel ou tel en par- gleterre). À moins de préconiser de faire table rase du passé au
ticulier, elle pouvait se vendre, s'échanger. La propriété privée prix de meRaces considérables sur la paix civile, il y là, me
s'inscrivait dans l'ordre du rapport entre individus. Tout en semble-t-il, une question de bon sens que I'on ne pourra plus
consecrent I'idée d'accumulation et en reconnaissant les libertés éviter : comment repenser l'articulation entre social et écono-
individuelles (reconnaissance de droits libertés), elle introduisait mique ? Cette question sera eu cceur du prochain chapitre.
la société à la régulation de nouveaux échanges éçonomiques
ainsi qu'à I'instauration - ou à la redéfinition - de nouvelles Le < retouru de la soffiance sociale
institutions telles que les États-nations. Or, pour la nouvelle éco- Tout coinme I'entreprise en appelle de plus en plus à I'acti-
nomie, I'idée même de propriété devient caduque. Non seule- vation des compétences, à I'implication personnelle de ses cadres
ment cette dernière tend à attacher Ià où I'impératif est à la et de ses opérateurs, les politiques sociales tentent d'activer la
déliaison mais, de surcroît, Ia rémunération de Ia production société par des dispositifs de réinsertion et de sécurisation des
immaté¡ielle ne peut plus être réglée simplement par les trans- populations. Mais toutes ces mesures produisent et opèrent dans
ferts sociaux ou par la part indirecte du salaire. Ie cadre d'un imaginaire qui imprègne fortement les représenta-
Pour séduisante qu'elle soit, cette vision du développement tions. Ainsi, les politiques d'insertion, tout comme leur corttraire,
futur d'un u capitalisme cognitif , semble péchpr par différents Ies formes d'exclusion, renvoient-elles bien à la représentation
aspects dont au moins detx doivent être examinés. Tout d'abord, d'une société en réseau. Les désaffìliés sont représentés à travers
si I'on peut concevoir que la production immatérielle gagnê en les traits du mouvement ou de I'immobilité. Ils sont saisis en
importance, cette évolution ne signifie pas la disparition de la tant que personnes dont les connexions sociales, familiales, pro-
propriété. Une configuration socio-économique ne vienq pas fessionnelles se romp€nt progressivement. Lexclusion apparaît
r.-pl"..r I'autre, elle s'y surajoute, la complexifie, génère des comme la contrepartie d'une société en réseaux. On comprènd
tensions mais ne l'occulte pas. Il ne s'agirait pas d'être prison- dès lors mieux pourquoi les politiques publiques ont accordé une
nier d'une vision n discontinuiste,r de l'histoire où le changement attention toute particulière à cette question. Lactivation des poli-
ne s'opèrerait que par bonds, ruptures radicales avec les.stades tiques n'est pas seulement une réponse ponctuelle à une ques-

38 39
tion sociale, elle correspond aussi à un phénomène plus profond I'intériorité er proposer de nouvelles modalités de déclinaison de
de remodelage des formes de I'interventiorr publique. Autant la la misère et de la souffrance sociale.
mise en évidence de Ia question ouvrière avait servi de toile de De nouveaux ðadres de description verronr le jou¡ proposent
fond pour l'édification progressive de l'État social, autanr celle d'autres possibilités pour I'action, à savoir: de nouvelles manières
de l'exclusion opère une évolution comparable. Les nouveaux de se décliner comme une personne en souffrance intérieure. Les
peuvres d'aujourd'hui font figure de damnés de la terre d'hier. disciplines qui émergeronr alors offriront les catégories permer-
Mais des damnés dont le visage et les mains ne sont plus noir- tant l'élaborarion progressive d'une demande sociale ainsi que
cis par le charbon ou les fumées d'usines. Les exclus sont les l'émergence d'une clientèle spécifique. Tout un langage du moi
u lâchés , du progrès, ceux qui n'ont pu suivre le mouvement et se diffusera à la fin du XIX. er rour au long du )C(. siècle par le
apparaissent dorénavant en panne, faute de connexions suffì- biais des journaux, des romans, des feuilletons, des magazines,
santes pour les réactiver dans le circuit de l'emploi ou pour les des débats, des conférences, des journées d'étude, des thérapies
relancer dans les dynamiques de sociétés aux rythmes effrénés. entreprises. Il apprendra aux profanes à mettre des mots derrìère
Dans une économie de biens immatériels, la force physique la douleur. Une sémantique du for intérieur se diffusera pro-
de travail se dévalorise face aux connaissances pertinentes. La gressivement pour aider à saisir mais aussi à décrire et à quali-
notion de souffrance sociale change de fond. Elle ne met plus fier les formes de souffrance psychique. Entrée dans notre
en scène, comme dans Ia configuration précédente, les maux, les culture, cette sémantique offrira à tout un chacun l'opportunité
afflictions physiques €t toutes ces traces de I'insolence d'une de dire et de livrer une parr de lui-même, de son expérience sub-
exploitation qui meurtrissait les corps45. En I'absence d'une jective.
notion claire d'exploitation, elle relève plus des misères inté- Corroborant cette analyse d'une institution de ce langage
rieures, celles de l'âme. Cette évolution n'est certes pas récente. social relatif à l'intime, EhrenbergaT souligne que les troubles psy-
Comme le rappelle Ian Hackinga6, elle plonge ses racines dans chologiques actuels les plus fréquemment observés relèvent de
le XIX' siècle, au moment où la notion de üauma bascule du problèmes d'addiction tels que I'alcoolisme ou les roxicomanies,
corps vers I'esprit. Lhistoire de cette transformation des traumas les troubles alimentaires, les abus sexuels, les troubles compul-
physiques en lésions psychologiques est véhiculée par tout un sifs, autant de comportemenrs liés à la dépression. Alors que la
imaginaire cultivé eutour de I'accident de train. Si le chemin de névrose était une pathologie de la culpabilité face à la transgres-
feç symbole de I'industrialisation, a contribué à donner une défi- sion de I'interdit, la dépression est décrite comme une maladie
nition moderne à la notion d'accident, il a également servi à de I'insuffisance, du vide et de l'incapacité à agir dans une société
mettre en évidence de nouveaux types de blessures n ayant plus ' qui, nous l'avons vu, survalorise I'action. La dépression peut être
'comprise comme une réponse à I'injonction
rien à voir avec ces tableaux ostentatoires qu offraient les os frac- consrente que pro-
turés, les chairs déchirées. On s'aperçut que nombre de personnes duisent I'entreprise mais aussi les conditioirs modernes de la vie
présentaient des séquelles sans aucune blessure, sans aucun . en société: être soi, flexible, compétent, connecté, inventif et
trauma apparents. Tout un champ se présentait désormais à la . réactif pour faire face à I'imprévisibilité des marchés et aux aléas
psychologie et à la psychiatrie pour une vaste entreprise de réécri- I de I'existence. Elle émerge en conrrepoint d'un monde instable
ture des blessures de l'âme, la connaissance scientifique se sub- fait de flux et de changemenrs permanenrs.
stituant à la compréhension spirituelle. La souffiance psychique Nombre de travaux soulignent combien l'entreprise. devient
n'élude en rien la souffrance corporelle mais I'attention qui s'était un lieu de production de souffiances48 psychiques telles que la
jusquelà portée sur les atteintes physiques va se déplacer vers dépression, le stress, Ie harcèlement moral ou sexuel, voire le sen-

40 41
rtrer Lrþre

timent de vide, de perte de sens. Mais on ne peut pes ne pas s'in- de se faire reconnaître en tant que victime et se trouve par là,
terroger sur la concomitance entre les modifications survenues restaurée dans sa dignité d'être humain, se joue la question de
dans les trajectoires professionnelles et celles de la vie familiale et la construction normative du sujet. Celle d'une connaissance qui
afFective. Là aussi, les engagements à court terme dans la vie pri- imprègne la vie morale, réorganise et redessine les traits d'une
vée (diminution du nombre de mariages, eugmentation de celui nouvelle expérience en société. Lintérêt pour les travaux Portant
des divorces) vont de pair avec des entrées retardées sur Ie mar- sur la maladie mentale et les troubles du comPortement est
ché du üavail, une plui grande précarité des emplois et une insta- notamment de montrer que se redéfinissent les ressorts de ce qUe
bilité des carrières4e. Cette détresse, évoluant tant au sein de Gauchet52 qualifie de n nouvel âge de la personnalité r. Pour l'au-
l'entreprise que de la sphère dornestique, trouve à s'exprimer teur, nous avons quitté l'âge de I'interdit, celui d'une extériorité
grâce au langage psychorelationnel et à toute une ( grammaire de à l'individu, qui lui dictait les comportements à suivre ou à refou-
I'intérieur, largement diffirsés pour permettre la mise en récit de ler. Lobligation morale de soumission à la Loi ou à la hiérarchie
la souffiance. Cette tendance se traduit encore per une augmen- plaçait I'individu dans une situation de conflit Permanent entre
tation du nombre de consultations50 dans un champ profession- ses désirs et I'obéissance aux normes. Pour cet individu, la
nel et institutionnel de Ia santé mentale qui ne cesse de s'étendre conflictualité était structurante. Elle opérait à I'intërieur de sa
pour rencontrer les attentes grandissantes des populations5l. personnalité, construisant I'identité tout en déchirant I'individu
Larrivée fulgurante, au cours de ces dernières années, de thé- .n,.. .onr.ience et inconscience, entre intériorisation de la
matiques telles que le harcèlement (moral et sexuel), Ia maltrai- norme et affirmation de ses désirs. Partagée entre soi et soi, cette
tance, les abus sexuels, I'inceste, Ia pédophilie sur les devants de personnalité moderne était taraudée par un perpétuel sentiment
la scène médiatique témoigne d'un intérêt de plus en plus mar- de culpabilité. À I'inverse, la personnalité contemPoraine se
qué pour I'intégrité psychique, physique et sexuelle des personnes caractérisereit par une grande diffìculté à se définir comme < un
et, en particulier, celle des enfants. Ln affaire Dutroux o a effèc- parmi d'autres ,. I-lessentiel ne se jouerait plus dans la relation
tivement joué un rôle activateur considérable par raPPoft à des conflictuelle de soi à soi mais dans I'accornmodement Permanent
questions qui, jusque-là, demeuraient largement tabous. Aux avec soi, avec les autres, au prix d'une perte de consistance' S'ex-
États-Unis, le thème des abus sexuels subis par les enfants a primant à travers la connexion, la quête de relations souvent
même servi de substrat au succès populaire du phénomène dit éphémères, cet individu serait tout à fait formaté pour une
des n personnalités multiples > étudié par Ian Hacking. À mes såciété.en résealx. Contraint d'agir, de bouger, de se couler en
yeux, la question essentielle n est pas tant de se demander :
n Qu avons-nous fait pour en arriver Ià ? , ou encore u Sommes-

nous réellement plus maltraitants que les générations qui nous


ont piécédés ? n, car, à formulation aussi généra-le ne Peut
répondre qu'une affirmation tout aussi vegue, fautç de réelles
données historiques sur Ie sujet. Lenjeu est plutôt de prendre
conscience du fait que lorsqu'adviennent de nouveaux concePts
moraux ou lorsque de nouvelles attentions morales sont portées
à des questions qui jusque-là ne se posaient Pas publiquement, limites à transgresser ou à ne Pas dépasser.
la conscience de ce que nous sommes en est profondément affec- Les nouvelles pathologies apparaissent comme les signes
tée. Derrière Ie récit de la personne (ou de ses proches) qui tente extrêmes d'une nouvelle expérience du sujet contemporain'

42 43
Ël-er Ll-.ore

Addictions, abus de drogues, d'alcools, de soi, de I'autre, de sexe, tuelle au sein de la société, une sensibilité morale semble désor-
(
mais tenir lieu de pensée politique dans un creux n laissé patent
de nourritures sont autant d'expressions limites de cette norrna-
tivité publique qui doit bien finir par se chercher mais sans par la distance continue entre les forces sociales et le pouvoir
repères extérieurs, dans la quête et la perte d'objets mais aussi politique.
celle de I'autre. La u désubstantialisation , de la norme à laquelle
Jean De Munck53 recourt pour signifier Ia fin de normes
claires Le désarroi des nauøilleurs socirtux
et surplombantes au profit d'une contingence des normes et du Fortement professionnalisés avec le développement de l'État
sens, s'accompagne d'une recherche incessante d'évaluation de social, Ies travailleurs sociaux Peuvent être comparés aux véri-
ses comportements, de ses compétences. Quand l'intériorisation tables n bras armés , du social. Concrètement' ce sont ces tra-
vailleurs qui, dans le quotidien, ont rendu le modèle effectif
en
de normes extérieures claires s'efface, s'observe cette tentation
d'aller retrouver ses repères chez I'autre, dans ses façons de faire I'ancrant auprès des usagers, au sein des familles et des quartiers'
et d'être, en identifiant son sryle, en saisissant sa vie privée. Nous Leur action s'est so,rv.nt appuyée tant sur le respect de droits
assisrerions là à une expression de cette tyrannie de l'intirnité dont sociatx universalistes que sur I'octroi d'aides particularistes
Sennett54 a décrit la genèse progressive en remontant au auprès des plus nécessiteux. Tout en diffusant et en popularisant
XVII'siècle. Ce nouveau rype de personnalité n émerge donc pas un modèle, ils ont déployé des interventions perpétuellement
taraudées entre idéal d'émancipation et pratiques de contrôle
des
subitement ex nihilo. Il répond à un lent Processus de matura-
Lhypothèse développée dans cette section est que cette
tion lié à la naissance puis à Ia consolidation d'une véritable usagers.
..rriir. en questio.t d'un modèle n a pas été sans effets sur les
culture bourgeoise de I'intimité au cours du XIX' siècle. cette
Pla-
ryrannie ne signifie Pas une sournission aveugle à quelque pou- interventions et les représentations des travailleurs sociaux.
et
voir fort ou à quelque autorité. Elle opère de manière plus sub- cés atx premières loges d'application des politiques sociales
confrontes au terrain, directement face aux
tile, à travers roure une rhétorique de I'intéricirité cherchant à se
¡elier à I'autre. mutations en cours. C eux que trouve à s'ex-
primer toute la force de la précarité et des
Cette métamorphose de la souffrance exprime donc quelque
chose de l'évolution de notre ProPre perception de nous-mêmes nouu.ll., formes de souffrance sociale' Il leur appartient de les
regardeç d'y percevoir Ie petit murmure d'une plainte
qui peine
et du monde environnant. De nombreuses analyses. convergent
à Je faire entendre, de tenter de traduire ce
frémissement Pour y
pour souligner la remise en question du rôle joué par le conflit'
dans le cadre
Or, tant au nirreau de la personne qu au niveau collectif, le conflit répondre par la mise en place de dispositifs d'aide
était structurant, il était générateur d'identité. Avec ce constat de ce nouvel État social actif'
Sans retracer une évolution historique détaillée
de I'action
d'une difficulté pour Ie conflit à produire de la relation, nous
spécialisée et
remarquons combien ce que j'ai qualifié, à la suite de Donzelot, sociale, on Peut retenir que celle-ci s'est fortement
et du
de n vie sociale effective u a profondément changé de sens. cette p.ofesrionniisée avec l. det'eloppement de l'État social
et de charité
vie sociale paraît moins travaillée par l'affrontement et Ie raPPort ,egi*. du salariat' Héritière de formes d'assistance
a vu I'apparition de nou-
à l,autorité. La dénonciation de I'injustice sociale a cédé la place de"stinées aux indigents, I'action sociale
velles techniques þour intervenir auprès
d'individus désormais
à I'indignation face à la souffrance. Mais il s'agit d'une réaction
à forte .o-por"n,. morale, ne trouvant plus à être socialement saisis comm. " droit o (et non plus comme indigents)'
"y"rr* du plein
traduite par des ecreurs collectiß aux intérêts contradictoires. Lobjectif d.,r.rr"it Ia réintégration au sein d'une société
Avec la rÀmise en question d'un processus d'intégration conflic- .*ploi et d.es prote.tio,t,l D'une première phase d'un social
44 4)
assistanciel, on est ainsi passé à une seconde phase d'un social tions. Assistants sociatx, éducareurs, sociologuei, psychologues,
réparateur. Tout en sériant et en spécialisant les réponses, de nou- anthropologues, criminologues, diplômés en communication, en
velles institutions ont vu le jour pour offrir, eu cours de cette marketing interviennent également dans le secreur social. cette
seconde phase, des aides de plus en plus ciblées sur des popula- démultiplication des intervenanrs amesre le fait que le uavailleur
tions spécifiques: enfants, jeunes, handicapés, personnes âgées, social ne se définit plus par ses savoirs acquis eì dûment certi_
etc. Cette période d'expansion répondant à une logique de dis- fiés par un diplôme erresrant une formation reçue. La quête de
crimination þositive s'est caractérisée par une forte expertise définition de son travail ne s'opère plus en amonr mais tien .r,
sociale liée à des savoirs de plus en plus spécia-lisés. Une troisième aval. on passerait de la réference fondatrice du case worþ à celle
phase s'est ouverte avec la critique sociale des années post-68. du parcours ou du projet. Les travailleurs doivent désormais
Elle a généré de nombrerx débats remettent notemment en cause apprendre à se débrouiller à rravers les dédales juridiques et
un certain étatisme ainsi qu'une institutionnalisation croissante légaux, la quête de financemenr, la coordination, I".orn"irs"n..
des réponses offertes. Cette remise en question fut relayée par du champ institutionnel local À I'image des polidques françaises
I'apparition de dispositifs sociaux à forte coloration sociocultu- de la ville, la logique du projet semble s'imposer comme prin-
relle. Le travail communautaire, I'animation, la participation, le cipe de référence. Mais le projet ne crée pas du métier. Contrai-
projet, I'implication, l'écoute se sont diffusés et ont entraîné à rement aux savoirs et aux techniques, il n'est pas standardisable
leur tour de nouvelles professionnalités. On peut avancer qu'avec car ne reposant pes sur des composantes aisément saturables ou
les années 80 et la montée en puissance des formes de précarité, reproductibles. Léternel problème de l'évaluation de I'action
une nouvelle phase s'est amorcée. lJn tournant a été pris, celui sociale rrouve là toute son ampleur.
d'une radicalisation de la norme d'u implication u de la part de Ainsi que I'observent Donzelot et Roman, en procédant à un
I'usager. Puisant à ses multiples sogrces (assistancielles, répara- bilan du travail social au cours du dernier quart du )C(. siècle55,
trices, socioculturelles), I'action sociale s'est orientée vers un le but de I'action sociale n est plus d'exercer une pressio4 sur I'in-
élargissement de ses registres et vers une nouvelle approche dividu pour le faire rentrer dans des normes préétablies. Il s'agit
davantage attentive aux techniques de gestion et de prise de déci- bien plus de produire du social là où précisément le lien appa-
sion, arx concepts de contrat, de stratégies, d'objectiß, de pro- raît comme pris en défaut. Produire du social, c'esr, dans cette
jets négociés. De nouvelles compétences managéria-les ont été optique, mobiliser I'individu, ses aspirations, ses affecrs, ses désirs
mobilisées. S'y sont adjointes des connaissances juridiques (péna- pour I'insérer socialement quand la solidarité devient probléma-
lisation du social) tout en gardant un intérêt pour les réflexionb tique. Lopposition classique enrre émancipation et contrôle
éthiques sur I'autonomie, la dépendance et I'importance des social - opposition qui a contribué à professionnaliser le social
affects. dans une société du salariat - s'esrompe en tanr qu'horizon
Le constat auquel on parvient aujourd'hui est celui d'un épui- conflictuel mais néanmoins strucrurant. Laction sociale apparaît
sement rapide du mouvement de professionnaJisation de I'action dans toute la mesure de sa fragilité, de son désarroi parfois, pour
sociale. Avec la multiplication croissante des services et des inter- tenter de rapiécer les éléments épars d'existences entières qui se
ventions, on assiste à une véritable fragmentation tant des racontent à travers la trame conrinue de la désaffìliation, de la
réponses que des métiers. La profession de travailleur social en perte de liens. Se pose dès lo¡s, avec encore plus de gravité, le
tant que métier reconnu, porté par des techniques, des savoirs problËme du récit. Commenr parvenir à raconte¡ à faire dire er
et des codes normatifs communs est en perpétuel questionne- à livrer une histoire 1... Car sans histoire, poinr de projet. Jus-
ment. Lextension du socia-l s'est appliquée à diftrentes forma- qu'oir raconter er exposer publiquement le récit d'une vie quand

¿.7
en cours auprès des professionnels sur les finalités et les limites
s'agit d'obtenir une aide pour quelqu'un qui doit redéfinir
sa
il de leur action. Il semble cependant que la norme de I'implica-
trajeäoire afin d.'entrer dans un Parcours d'insertion par l'em- tion fasse de plus en plus souvent office de pivot autour duquel
plál i Co*-ent faire dire, parfois, I'intolérable sans blesse:
*lÌi
fait s'articulent les nouvelles formes de travail social' Comme le sug-
qui .*por. le poids des meurtrissures qu il a subies ou qu'il a gèrent Donzelot et Roman, partisans d'une activation des poli-
subir à autrui ? Les travailleurs sociaux se rettouvent de plus
en
tiques sociales, produire la société deviendrait un impératif. Ces
plui souvent en équilibre précaire sur un fil ténu' euteurs en appellent à la mobilisation des individus, de leurs
Il faut ..rt., ,.l"tiviser ce bilan en insistant sur le fait que compétences, de leurs ressources, de leurs subjectivités pour faire
nombre d'interventions menées dans Ia sphère dite institu-
n
une exister une société qui n'est plus posée en amont des problèmes
tionnelle u apparaissent encote très largement orientées Par et des solutions. Et ce constat peut inquiéter. Il semblerait indi-
I'action sociale'
conception þi,r, .l"ttique et plus normée de quer que le social ne serait reconnu que là oìr il se mérite, là où
Lavènìmenid",r' mode d'action sociale n en efface Pas un autre' l'usage¡ mais aussi l'intervenant social seraient à même de prou-
Au contraire, il en complexifie l'éventail des réponses possibles' ver leur utilité. Mais une utilité désespérément rivée à l'espace
Par ailleurs, ce n'est guèie un hasard si, précisément'
l'évolution
I'inser- Iocal, preuve, s'il en est, que la légitimité du social se voit large-
metières telles que
du social décrire ici s'opère dans des ment remise en question.
I'aide sociale, les dispositiß d'ur-
En ces temps de profond questionnement, d'interrogation sur
curité, I'aide à la jeunesse, les
des pratiques qui n'ont sans doute jamais été autant nécessaires,
les de médiation, etc' Autant de
la fragilité du social s'exprime Par une précarité croissante'des
ogiques attestant également un
travailleurs sociaux et de leurs conrrers de travail. voilà donc les
ancrege graduel de l'État social actifau niveau
du territoire local.
il travailleurs sociaux dans une bien curieuse situation: être en
Cãr,"p", I'attention insistante sur les Parcours' les projets qu charge de missions de réinsertion par I'emploi, aider les plus défa-
faut lire È désarroi actuel d'un travail social qui se
cherche dans
l'usager'
voris.s, recréer de I'implication sociale et citoyenne quand ces
l'action et la négociation permanente' Négociation avec mêmes intervenanrs voient se refléter en partie les difficultés de
négociation I., aurres services sur un territoire désormais
leurs propres trajectoires dans les récits des usagers ! On peut légi-
"rr.l. Cette repré-
abãrdé comme un faisceau de réponses enchevêtrées' timemenì se demander si ce secteur peur encore trouver l'influx
à tre-
sentedon contribue à I'image du parcours du combattant n processus d'émancipation critique des
versunvéritablelabyrintheinstitutionnel.Lorsques'estompent , s'il semble condamné à faire offìce de
les normes, on perçoit le problème à traiter
non plus comme une
u capitalisme émergent' en I'attente de
mais
réduction'd'écart Par raPPort à une norme introuvable
épanouissement'
comme un entrelacemenr d'obstacles à un plein
Dès que des repères techniques, normatifs ou cognitifs clairs
,'.ff"...tt devani Ia complexité des situations et des réponses
raitables'
possibles, les demandes par"issent plus. difficilement
'r.nuoy"rr, Ie travailleur lociat au sentiment de débrouille au
quotidien.
en
Mais l'estompement de normes surplombentes ne signìfie
ne ren-
rien la fin de ,o.rr. ,ro,*ativité' Une telle proposition terait à renouer aYec un modèle sous-jacent de compromis social
éthique
drait nullement compte d'un profond questionnement
49
48
rtier Libre

d'inspiration keynésienne. Reste à nous demander si un tel


durer tant bien que mal et ce, sans refonte majeure. Mais les
modèle est encore tenable face aux évolutions que nous evons
donnes de I'expérience de vie en société ont totalement changé.
soulignées au cours de ce chapitre... Un second scénario, de
En un siècle environ, la population active a basculé de I'agricul-
nature politique, verrait dans les contradictions ectuelles de I'ac-
ture vers I'industrie, puis de I'industrie vers les services, comme
tion sociale l'amorce d'un mouvement social. Les travailleurs
si l'industrie avait servi de pivot, nous laissant au pessage un nou-
sociaux æuvreraient à une prise de conscience des usagers en s'en
veau modèle d'État, construit sur base de la négociation et du
faisant également les porte-parole. Mais la question de la repré-
partenariat social. Nous sommes passés d'une culture rurale
sentation des usagers et des citoyens en général demeure un
orchestrée autour des solidarités de proximité à une civilisation
problème totalement ouvert, certains n'hésitant pas à annoncer
des services célébrant le culte de I'autonomie en passant par les
que nous serions entrés dans des démocraties n postreprésenta-
solidarités de classe et une culture de la revendication de masse.
rives >. Enfin, la troisième hypothèse, prônée par les animateurs
Lessentiel de notre expérience se joue et se déroule désormais en
de la revue, miserait sur le déveloPPement de la médiation, sur
milieu urbanisé.
les notions de projet, de contrat, sur les politiques d'accom-
S'inscrivant dans le pfolongement de l'État social qui, lui-
pagnement pour faciliter un nouveau ryPe de travail social misant
même, relayait l'État libérai, l'État social actif se veut tout aussi
non plus sur Ia réparation mais l'incitation et I'implication au
égalitaire, puisant largement aux fondements mêmes de nos
niveau local. Ce scénario signifie encore un appel croissant à une
démocraties modernes. Mais les principes d'égalité ont subi de
mobilisation des subjectivités et des affects annonçant un nou-
telles distorsions qu ils finissent par révéler la nature très contra-
veeu type de personnalité sociale. Cette hypothèse est totalement \
dictoire de cette nouvelle figure. On assiste ainsi à .r.t .otrpl"g.
.n le développement d'un État social actif dont
"c.å.d ""ec subtil de la notion d'égalité des chances (en matières de soins de
ies limites ont été progressivement envisagées au cours de ce
santé, d'emploi, d'éducadon, de culture, etc') å celle de partici-
chapitre.
pation. LÉ,tat se portant non comme garant d'une égalité des
chances face à un risque ou à un besoin objectif mais comme
Fausse route ?
garant de procédures devant Permettre d'accéder à des activités
LÉ,tat social actif n émerge donc Pes, à l'aube de ce
socialement utiles. En ce sens, égaliser la société revient non plus
)C(I'siècle, comme un nouveau concept pensé, apte à renouve-
à réparer, indemniser ou à accorder passivement des droits
ler les bases du consensus nécessaire à un redéploiement des
sociaux mais à miser sur les chances d'accès, en suscitant I'im-
forces politiques, sociales et économiques. S'inscrivant dans Ie
plication par le devoir de participation. Nous passerions là de
projet de la n troisième voie, chère à Tony Blair et à Gerhard
droits sociaax objectivement garantis Pour tous à des droits d'ac-
Schroder, l'É,tat social actif apparaît largement comme une solu-
cès à Ia citoyenneté et à I'autonomie ; de I'impératif de protec-
tion toute provisoire visant à adapter la so¿ial-démocratie à un
tion des citoyens à celui d'implication' Mais un tel processus de
monde qui a fondamentalement changé en quelques décennies'
démocratisation des citoyens par l'accès à des activités dignes et
Puisant ses sources dans les traditions du libéralisme et du socia-
socialement utiles suppos€ notamment deux conditions. Pre-
Iisme, il peine à s'impose¡ faute de bases idéologiques claires et
mièrement, augmenter l'éventail des activités et les organiser tout
solides, pawient à éviter nombre de conuadictions. Il
.t n. au long du cycle de vie. Deuxièmement, offrir les moyens néces-
donne plus cette impression de u roue de secours u, largement
saires et suffisants pour les financer. On ne voit pas très bien
improvisée, tant au niveau des politiques. que des pratiques de
pour quelles raisons le capitalisme financerait subitement un tel
terrain, pour petmettre à un modèle de gouvernabilité de per-
développement nécessitent d'importantes injections de fonds au
50 <t
sein des écoles, des services publics, des associations afin de Pour une
contribuer à ce nouvel idéal d'égalisation des chances5T' Sans une
renégociation claire du projet, l'État social actif risquerait bien
ae rsion critiaue
t,f
de demeurer à l'état larvaire, incapable d'insuffler ce nouveeu
souffle promis. Au mieux, on assisterait à une hypertrophie des
de l'E t ãt socxãL
riaits analysés au sein de ce chapitre, conduisant à une. société
Lidée de crise évoque souvent celles de rupture, de tensions,
fortement dualisée où l'É,mt social jouerait un rôle minimal, se
de troubles. Ordinairement, nous la concevons comme I'annonce
conrenranr d'enrrerenir la précarité, faute de moyens pour réel-
d'un basculem€nt d'un état vers I'autre. Quelque chose, de
lement entreprendre une politique d'égalisation des chances à la
I'ordre de la brisure, semble alors se mettre irrémédiablement en
hauteur de s.s espérances' À terme, serait ici en jeu la question
marche. Les images associées sont souvent redoutables, pour
séculaire de l'entretien de I'indigence.
mieux marquer I'ampleur d'un ébranlement. Elles frappent nos
En l'absence d'un nouveau comPromis social clairement éta-
imaginations, nous affectent et s'ancrent profondément en nous.
Cette force esthétique qu'elles peuvent générer cherche à faire
sens commun, à créer du consensus tant sur la perception de Ia
situation posant problème que sur les réponses envisagées.
Autant Ie reconnaître, la crise fait peur car elle dérange le dérou-
lement ordinaire de nos existences. EIle dépasse toujours notre
entendement quotidien et apparaît alors comme une affaire réser-
tions, faute de véritable élan derrière un vée aux experts politiques, scientifiques, économiques voire mili-

nullement faire lTobjet d'une vaste conce taires, seuls aptes à comprendre et à échafaudér les stratégies adé-
férentes forces vives de la société. Reste quates. Leur but n'est généralement pas le retour à la normale -
la crise annonce autre chose - mais le changement radical, voire
Ia rémission
Nous avons, à I'heure actuelle, une proPension à nous lire à
travers le langage de Ia crise. La crise peut paraître belle. Elle est
parfois louée, chantée même. Mais aussi souvent décriée et
condamnée. Dans toutes les situations, elle ne laisse jamais indiÊ
de remettre I'ouvrage sur Ie métier pour comprendre que la crise férent. Et si, pourtant, il nous fallait déchanter ? Et si nous accep-
n'est pas une idée e zuit, à faire taire par tous les moyens dispo- tions de tourner le dos à toute vision prométhéenne du change-
nibles. La crise livre une histoire qui recèle des éléments, des ment, nous contentant d'une version sans doute plus banale mais
savoirs qu'il faut non pas chercher à corriger mais plutôt à dépla- néanmoins plus pragmatique ? Lécriture y perdrait certes en que-
cer, en les inscrivant dans de nouvelles relations productrices lité esthétique mais elle offrirait une version sans héros, n'appe-
d'histoires et de sens. lant pas de solutions ou de réponses triomphatrices. Cefte autre
version de Ia crise n'est en rien nouvelle. Elle pèche peut-être Par
un manque d'emphase mais ce serait Ià, paradoxalement' son
principal mérite. Ainsi.que le propose Vinciane Despret, raison-

53
ner en terme de uersiondu monde suppose de reconnaître qu'une
uersion ne vient jamais seule. Une uersion renvoie toujours à I'exis-
tence d'autres uersions qui la contredisent, la complètent ou la
disqualifientLa uersion ne cherche pas à se définir sur le registre
.la
de vérité - elle ne propose pas de n bonne , uersion - mais sur vail ne fut jamais réellement explicité. Le contrat de travail à
celui du devenir. ,r Devenir d'un rexre sans cesse retravaillé et durée indéterminée était une norme tacite mais on ne üancha
retourné, devenir d'un monde commun. o58 I-Ine uersion n'est en urité d'emploi qu'il fà_llait garan-
rien nouvelle, elle est déjà là. Raisonner de la sorte offre une uer- oncrure économique favorable et
sion différente du changement qui ne s'opère plus par bascule- ent fondées en droit occultèrent
menrs ou par ruprures mais sur base d'éléments déjà présents. la nécessité de définitivemenr asseoir le droit de tous à avoir un
É,Iéments qui trouvent à se réagencer differemment pour écrire travail et à bénéficier des protections qui lui étaient attachées. La
une autre histoire. La connaissance de ces éléments et de leurs récession économique dei années 70 abalayé toute illusion de
articulations invite à la réflexion et à la découverte d'un devenir sécurité sociale d'emploi, rappelant qu'un conrrat à durée indé-
en jeu. Réfléchir de cette manière signifie encore que I'avenir terminée n'est jamais qu'r'r., .ãn,rat qui dure... rent qu'il y a de
n'est pas que I'horizon de notre monde. Il s'écrit déjà avec nous I'emploi !
et parmi nous. Il nous invite aussi à apprendre, à découvrir dans Mais cette remise en question d'un ensemble structuré et
le crépuscule naissant la clarté du petit matin... cohérent caractérisant l'É,tat social se jusdfie encore en remon-
tant bien plus loin qu'à la crise des années 70. Létude de la
Iiûtat social, cet inacheué genèse et de l'évolution de la sécurité sociale conduit à ce consrar
Nous avons jusqu'ici privilégié une voie qui consistait à pré- d'inachèvement. Lapproche historique de vanthemsche ilrustre
senter l'État social comme un édifice solidement bâti, entré en combien la Sécurité sociale belge est le résultat d'un compromis
crise au détour des années 70. Un édifice abouti, reposanr en inachevé, résulrat de confrontations et de luttes entre dè mur-
Belgique sur de robustes piliers liant les différentes composanres tiples forces sociales et professionnelles alors concernées. La pro-
sociales de la populadon entre elles. Cette vision de l'É,tat socid tection sociale n'est pas née subitement au lendemain de la
ne pouvait que nous permettre de mieux nous représenter les seconde guerre mondiale. Si les années d'occupation ont favo-
ondes de choc successives qui ébranlèrent l'ensernble. Mais l'É,tat risé le rapprochement entre les diffërents acteurs, des forrnes de
social n a rien de cet édifice prêt à s'effondrer subitemenr. Cerres, protection sociale avaienr déjà vu le jour. Lintervention du
I'image est intelligible. Elle frappe notre imagination, mobilise législateur allait remplacer Ia libre initiative par I'obligation
nos émotions tant elle renvoie à ces scénarios catastrophe qui Iégale. Mais, à peine scellé, le fameux Pacte social de 1944 devait
depuis les événements de septembre 2001 n'ont plus rien de fic- révéler toure se fragilité. Les médecins étaient furietx, le nouvel
tif. Mais elle est incomplète, voire tronquée. LÉ,tat social n'esr n étatisme > memait un frein à leur n liberté o. Un méconren-
pas seulement un édifice, d'orì la diffìculté à bien saisir la spéci- tement grondait également parmi la population ouvrière où
ficité de l'État social actif comme strucrure renouvelée. Il est aussi d'aucuns jugeaient les cotisations bien lourdes. Avis que ne
le résultat d'un véritable processus inachevé de régulation des contredisaient en rien de nombreux petrons. À droite de l'échi-
rapports sociaux. Dans un article précédent5e, j'avais renré de quier politique, cerrains s'indignaient de voir le n parasitisme
montrer combien l'État social a été, et est toujours, le résultat À gauche, il s'en trouvait pour estimer
social u ainsi récompensé.
d'un compromis fragile, comme si sa réalisatiòn finale avait été que la protection sociale n'avait pas été poussée suffìsamment

54 55
loin' comme le rappelle vanthemsche, les auteurs de I'arrêtéloi
du 28 décembre 1944 avaient souligné le caracrère provisoire des On peut cependant tenter de remetrre en question cette uision
modalités d'application du rexte. Il fallait avant rour répondre d'une crise ou de crises subites en proposanr de prendre
conscience d'un autre mode d'écriture de l'État sociar et de la
aux impérieux besoins du monde du travail, en attendant un.
crise, plus proche dela aersion ouverre et critique du monde que
dela uision univoque et évidente. Dans un ouvrage intituré Kri-
tiþ und Krisr, au titre relativement mal traduit en français par Le
règne de k critiqu{0, Koselleck rappelait précisément que cri-
tique et crise étaient deux rermes à l'étymolirgie commune, nous
renvoyant aux catégories du discernement, du choix, de la déci-
sion et du jugement. Par exrension, ils signifiaient également
conflit, contentieu.x, dispute. Or nous venons de voir qu'à peine
on peut encore retenir que malgré une semi-officialisation
né, l'État social belge s'était vu forrement critiqué par ltnsemble
des initiatives privées, la sécurité sociale ne donna jamais lieu à
des acteurs sociaux et professionnels, pourtant parties prenantes
une organisation purement étatiste. Les fruits de la croissance
du Pacte social. Nous avons également vu, au premier chapitre,
combien tour un mouvemenr critique à l'égard de l'État s'était
structuré en France dès la fin des années 50, autour de la consti-
tution de clubs de réflexion. Les événemenrs conrestaraires de 68,
en France mais .aussi ailleurs, exprimèrent encore cet élan cri-
tique émananr de la société civile. LÉ,tat social est né dans la
crise et dans la critique. ces deux rermes lui sont coexistentiels.
faut donc consrater que, fruit
La crise n a donc pas frappé subitement. On peut certes identi-
en I'ensemble est complexe, le
fier des facteurs d'ordre macroéconomique qui ont remis en
nt inachevé.
question la viabilité du modèle et des momenrs forts qui ont
Les vagues successives de la crise ne déferlèrent donc pas sur
cristallisé les figures de la crise. Mais, globalemenr, celle-ci était
un modèle abouti. Elles pénétrèrent plutôt dans les failles et les
déjà là, véhiculée par une critique, parfois acerbe, qui n'enten-
brèches d'un ensemble que I'on avait jusque Ià feinr de croire
dait pas se voir dessaisie du devenir de la société.
achevé! Mais la représentation dominante de ce qu'esr la crise
Les critiques seront nombreuses, portées par de nombrerx
pose également problème renr elle est habituellemenr conçue
acteurs, notâmment par les travailleurs sociaux qui, tout en assu-
comme une force venant frapper de I'extérieur I'ensemble étudié
rant leurs missions, parviendronr à trouver des ãutils de contes-
et modélisé pour la cause. Ainsi crise er srrucrure procèdent-elles
tetion. D'inspirations très diverses (critique marxisre, psychana-
d'une vision analogue. Or, comme le propose Vinciane Despret,
lyse, personnalisme chrétien, réflexions systémiques), les critiques
contrairement à la aersion, la notion de < vision , du monde ne
foisonneront et coloreront des pratiques misant davantage sur
se décline pas sur le mode du .récit ou de la proposition. lJne
l'écoute active, l'animation, la pardcipation et la prise en compte
uision cherche à s'imposer et à dévoiler le monde sur le mode de
de I'usager. Ces courants critiques seront progressivement n endo-
la révélation et de l'évidence. Les uisions ne coexisrent pas. Elles
généisés )) au cæur des politiques sociales (ex. : couranr anri-ins-
cherchent la vérité et visenr à s'imposer par la séparatìon et la
titutionnaliste dans le secteur de I'hébergemenr ou dans celui de
rupture, ne s'accommodant guère de la présence d'autres uersions.
Ia santé mentele, ayanr accompagné le développement de formes

56
pressions du monde ouvrier er, d'aurre part, de Ia volonté des
de soins et de prises en charge ambulatoires). Décriant l'immo-
ecteurs sociaux d'apporter toute une série de mesures visant à
bilisme institutionnel et certaines formes d'étarisme, ces critiques
suppléer les déficiences du marché, à contenir les élans du capi-
se porteront contre le modèle de l'État social tout en s'y
talisme, à renforcer la loyauté des travailleurs ou encore à insd-
dépioyant. À la fois contre, à la fois dedans: voilà bien un des
tutionnaliser les divisions sociales. Lintroduction de droits
,.rrorß de la critique sociale ! Le lot de toute société démocra- sociatx protecteurs a pérmis.un détachemenr progressif du sta-
tique moderne serair bien de constiruer un colloque dè critiques
tut des individus vis-à-vis du marché. Ces derniers onr pu se
internes et de permettre leur coexistence.
doter de moyens de vivre en dehors de sËs lois exclusiv.i. L.,
É,tats sociaux se sont ainsi caractérisés par une logique plus ou
Les *ois mondes d¿ l'Etøt social moins affirmée, en fonction des pays et des politiques dévelop-
Concernant l'avenir des politiques sociales, il faut constater pées, de démarchandisation pour éviter que les rapporrs entre
l,existence de multiples scénarios qui diftrent fortement, voire citoyens ne soient seulement considérés comme des rapports
se recouyrent partiellement en fonction des auteurs. Tbute cette marchands.
Tiois modèles peuvent être dégagés. Le modèle libéral, le
modèle corporatiste et le modèle social-démocrate. Le modèle
libéral se òaractérise pâr I'octroi de formes d'assistance, des
transferts sociarx à caractère universel modestes et un système
d'assurances sociales limité. LÉtat encourage généralement Ie
insolents, on peur concevoir I'État social comme un acquis dif- marché et se limite à des indemnités très mesurées, cherchant à
ficile à remet;e fondamentalemenr en question sans ébranler les favoriser le recours atrK assurences privéeS. Le processus de
fondements de notre civilisation. cette assertion s'appuie très démarchandisation y est très faible. Se tournent essentiellernent
largement sur les
vers l'État social les plus démunis, ce qui contribue à une forte
Esping-Andersen à polarisation entre, d'une part, des citoyens détenteurs de moyens
Lauteur montre co et, d'autre pert, des assistés fortement stigmatisés. IJne under class
peut elors s'y développer comme aux É,tats-Unis. Les exemples
de ce modèle sont anglo-saxons: États-Unis, Canada, Australie
et, plus récemment, I'Angleterre.
Le modèle corporatiste est fondé sur les essurances obliga-
toires et sur le principe de la délégation de services publics à des
associations corporatistes. Il accorde une place essendelle eu sta-
tut social (ex: salarié, retraité, veuf, invalide, orphelin, etc.), base
importante pour I'octroi de droits sociaux. Il s'appuie fortement
sur la famille mais aussi sur une conception très rypée du rôle
de Ia femme : celle-ci se voit peu sollicitée pour entrer sur le mar-
ché de I'emploi et est davantage perçue comme responsable de
différents types très spécifiques, pouvent se combiner partielle- l'éducation des enfants. Les services tels que les crèches, les gar-
ment en fonction de chaque pays. Lintérêt de cette analyse réside deries y sont peu développés (moins développés que dans le troi-
dans I'identification, d'une part, de la diversité des répons€s'aux
59
ce modèle repose sur des forces traditionnelles LÉtat social ne s'est pas réduit à une simple machine à indem-
sième modèle).
niset comme I'ont pensé nombre d'analystes souhaitant par là
tell.s I'Église ou la famille. Si le monde ouvrier a joué un rôle
mieux merquer Ie coup avec Ie développement actuel de mesures
important pour mettre en place tout un dispositif de protections
d'activation des dépenses. Il est, au contraire, devenu une réalité
,o.irl.r, il faut cependant affiner quelque Peu ce ProPos en raP-
iorpore- englobante et structurente au sein de nos sociétés. Si sa philo-
pelant combien le catholicisme social, les associations
sophie de départ était d'offrir un filet de sécurité miirimal pour
iirt., 1.*. : sociétés de prévoyance mutuelle), le paternalisme de
Tout un Ies plus démunis réputés incapables de travailler, son rôle s'est
certains peffons en ont également favorisé I'émergence'
- Iargement étendu. LÉtat social joue un rôle considérable sur les
.o.rr.ru"ìir-e étatique, hãstile envers le libéra-lisme et le marché,
des formes tradition- cycles de vie. Il crée de I'emploi, en favorise I'accès aux femmes,
s'est développé et a contribué à maintenir
accompagne la reconversion des industries, soutient la forma-
nelles de vË coilective au sein d'une société capitaliste de rype
jouent un tion, conditionne les solidarités entre générations. Sa fina-lité,
industriel alors en plein essor' Les assurances privées y
nous rappelle Gøsta Esping-Andersen, est maintenent de per-
rôle modeste. Il est à noter que l'étendue de la sphère d'assis-
d'assurances à mettre n aux individus de concilier harmonieusement vie profes-
tance dépend largement de la capacité du régime
sionnelle et vie familiale, de rendre compatible le fait d'avoir des
retenir d"rr, ,on"orbite la majorité de la population' Ainsi
que
social actif, toute enfants et un travail, et de combiner une activité productive avec
nous l'avons vu avec I'examen de l'É'tat
de des loisirs riches de sens et épanouissants ,. LÉtat social, dans la
défaillance se traduit immanquablement Par un accroissement
pays euroþéens diversité de ses expressions, est devenu une réalité incontournable
la population assistée. Ce modèle caractérise les
dont une des forces, à tout le moins dans les pays européens, fut
.on,irr.nt".o tels que I'Allemagne, la France' I'Italie' I'Autriche'
incarne une de reposer sur une forte composante corPoratiste à l'idéologie
la Belgique, les Pays-Bas, etc' Le modèle des pìliers
n associationniste, très développée. Son rôle en matière d'emploi
des variantes de ce modèle'
est est indéniable. Conçu, à I'origine, indépendamment du marché
Enfin, un troisième modèle, le modèle social-démoctete'
de I'emploi, l'État social est intervenu de plus en plus largement
composé de pays au sein desquels les principes d'universalisme
sur ce marché afin d'en réguler l'entrée et la sortie. Par ailleurs,
., d. dé.n"r.it"rrdir^tio., sont les plus étendus' ce qui permet de
Conuai- voyant son intervention s'élargir considérablement, il est devenu
bénéficier d'un très hàut niveau de protection sociale'
n'est pas d'attendre Iui-même une véritable machine à emplois.
rement au modèle corPoratiste, le principe
mais de socia- Cette analyse illustre bien I'une des thématiques de cet
que Ia famille ait épuiså toutes ses capacités d'aide
ouvrage : l'État social n est pas le résultat passif d'un état de déve-
coûts familiatx. Tout esr fait pour éviter une dépendance
lir", I.,
et Pour ren- loppement social et économique hérité de l'époque industrielle
de la famille (ex.: en matière de soins à domicile)
et entré subitement en crise. Il n est pas l'expression désuète
forcerlapossibilitéd'uneindépendanceindividuelle.Cerype
soumis à une lourde charge en services sociaux
d'une société que nous avons quittée. Fondamentalement
d'É,tat ,o.ìd .r,
inachevé, il est une réalité dynamique et diversifiée dont I'im-
non seulement Pour répondre aux besoins des familles
mais
femmes au travail' pératif de solidarité doit être recherché non comme vestige d'un
encore pour Permett.. dt favoriser l'accès des
limitée' Ce modèle est très passé révolu mais comme gerent d'un lien entre les difftrentes
L composantes sociales de la société. Il est important de prendre
d tant son existence est liée à
gens au travail et à une faible en considérâtion cette nature dynamique cat eu cours des pro-
u chaines années, l'État social va devoir faire face à de nouveaux
proportion de personnes assist Il caractérise essentiellement
enjeux: la montée du chômage et de I'exclusion, les nouvelles
les pays scandinaves.
61
60
structures familiales (aspiration des femmes au travail et instabi-
lité des familles), les déséquilibres démographiques (dénatalité,
problème du vieillissement,'immigration). Cette uersion poly-
chrome de l'État social invite à prendre conscience de I'impor-
tance des repports sociaux et à identifier les différents éléments
actuellement en jeu. En effet, on a tendance à penser que la crise
de l'É,tat social est liée à I'augmentation de la charge des dépenses
sociales remettent en ceuse tout I'ensemble. Mais, nous l'avons
vu, I'inverse est également vrai. Les années de croissance ont vu
érnerger de très fortes réactions contre le modèle. Les dépensês
ne sont en rien les seuls éléments pertinents. Il s'agit avant tout
de ne pas sous-estimer la dimension politique de l'État en Pro-
posant une lecture strictement économique. Au contraire, il est
important de s'intéresser ar.rx repports sociaux sous-jacents et à
ce que I'on peut qualifier de conditions de n vie sociale effèctive u
nir probable largement ouverr.
des populations. Il s'agit, en somme, de rechercher ces dernières
à travers les nouvelles donnes de I'expérience car là se profilent
de nouvelles interrogations mais également de nouveaux élé-
ments à articuler au cæur d'une uersion de l'Etat social en évo-
lution constente.

De nouuelles donnes dß l'expérience


Tiois grands enjeux se profilent à I'horizon de l'É,tat social.
Thois enjerx dont nous avons déjà appris à connaître les effets:
la montée du chômage, I'instabilité des familles, le vieillissement
de la population. Ces enjeux sont étroitement reliés entre eux. cours de ces dernières années ne nous a pas laissés indemnes. Elle
Toutefois, si I'on s'intéresse âu premier et qu'on le prend pour a profondément marqué les mentalités et a contribué à désacrali-
point de départ du raisonnement, on peut postuler que I'avenir ser le travail en ranr que valeur centrale de nos iociétés, prace à
n est peut-être pas aussi muré qu'il n y paraît à première vue. Ainsi, laquelle il
ne peut désormais plus prétendre63.
dans un ouvrage au titre interrogatif - k du chôrnage ?62 -,
f" Le travail ne pourra plus être ramené au tour d,une vie. Ainsi
l'économiste français Jean Boissonnat, grand spécialiste de la les rapports entre celui-ci et le reste de la vie entreront-ils dans
question, estime que le chômage va sensiblement diminuer au une phase nouvelle qui n'ira pas sans crispations, sans déséqui-
cours des prochaines années Pour se situer entre 4 et 5o/o. Ceci libres. Cette articulation enrre vie au travail er vie non proi.r-
correspondrait approximativement au plein emploi dans des éco- sionnelle sera l'un des grands défis à relever dans le cadre d'un
nomies engagées dans des évolutions technologiques rapides' n capitalisme cognitif , misant précisément
sur une indiffé¡en-
Täblant sur une croissance économique même modérée, la chute ciation - ainsi que nous I'avons vu
-, voire sur un brouillage
de la natalité et l'abaissement de l'âge de la retraite devraient se continu entre vie au travail et vie hors travail.
62
tí1
tier Libre
d'expérience en société davantage ancré sur Ia mise en avent et
On peut concevoir que l'É'tat so^ciai n'est Pas une variable l'expression du soi. Cet individu, profondément travaillé par le
u trente glo-
dep.rrdån.. liée à Ia cånjoncture- favorable des langage sociopsychologique, procède de cet idéal normatif de
,iår.r r. Il est devenu une réa-lité plus large' intervenant de plus l'âge humanitaire et des droits de I'homme' Souhaitant s'arracher
dans nos cycles de vie ur tenter de concilier
vie fami-
.;;ht à toute dépendance sociale et territoriale, il est véritablement
Iiale et vie professionnelle' On épris de passion égaiitaire. Sans doute sera-t-il moins sujet à obéir
défi qui attend là nos sociétés ainsi c aveuglément à quelque pouvoir autori aire. Mais on peut
sera appelé à jouer : tenter d'articul
craindre que cette volonté de ne pas simplement u être comme n
sphèrË å.onoÁiq,r. à une expérience du
monde ayant profondé-
ne cache un problème de consistance'de la personnalité et de
de manière
åent évolué. Cette quesdon Peut encore se formuler structuration des identités dans son rePPort à soi et à I'autre'
que les relations familiales ou
Pour les pouvoirs publics, un tel constat peut alors les inci-
fort du déveloPPement écono-
ter à combler les vides epparents. À déf".tt de liens sociaux ou à
re Précédent a illustré combien
défaut d'emplois pour réintégrer les exclus, ils.peuvent vouloir
, centrées sur I'intériorité et I'ex- jouer sur deux tableau. Le premier consiste à partir en quête de
exprimer les.malaises
pression de la subjectivité, ont émergé pour suppléments d'identité et de liens, le second à faire appel à des
it diffìcultés de la vie en société. Il ne faut enrrevoir là aucun suppléments d'âme et de motivation. Le premier envisage un
tensions que
déterminisme économique' Mais les nouvelles remaillage du tissu communauraire. Ainsi est-il tentant, Pour
ainsi que la désacralisation du
génèrent l'évolution du capitalisme tant d.e politiques et d'intellecruels, d'en appeler à la revivifica-
de I'expérience'
travail viennent ,.rr.ont"ì de nouvelles donnes tion d'une société intermédiaire entre I'individu et l'É'tat, à la
y'únsi ces tensions, voire ces formes de souffrance paraissent-elles participation, à la création de nouvelles associations plus soli-
et conflictuellement par des
-oi.r, traduites collectivement pas lieu à
à"ir.s, plus actives- C'est oublier que les nouvelles dynamiques
acteurs sociaux aisément repérables' Elles ne donnent de la société civile contribuent sans doute moins au dépassement
des adversaires précis' Les
ã. gr"nd, conflits m"nifestes engageant des différences qu'à leur expression, leur visibilité dans un esPace
à la diffé-
revendications s'emorcent autour du droit
n
,roíu.ll., public apparaissant de plus en plus segmenté. Le second tableau
devenir soi-même' à se réa-
rence ,, sur fond normatif incitant à l'avènement de ce que Garapon, dans Ia sphère juri-
liser pleinement. Le ".rrrorr..
dique, qualifierait ds n magistrature du sujet '64' Se memraient
et responsable de se .r, place des dispositiß de plus en plus individualisés et
"irrìi
rant. Il se double de judiciarisZs en vue d. gér.t les individus, d'intervenir dans leurs
crire I'individu dans un esPace c iiens fondamentaux engageant leurs vies sous toutes ses facettes,
que soit le problème
contribuent à faire p""ti l'idée que' quel au risque d'un contrôle sournois.
de vie conjugale' de
don, on souffre, qr.l il s'"gis'e d'un problème Le ãéveloppement de l'État social a, nous I'avons vu' marché
,tress, d'obésité, åe tott' ne sommes plus seuls à vivre Ie de concert avec la montée de I'individualisme. Moins I'individu
"*tl Par d'autres'
Cet
pouvait compter sur ses proches et plus il devait recourir à Ia
nément Partagé
pr.risr"n.. pråt..trice de l'État. Les difficultés d'intégration par
;?,i,Tä; i'emploi, la fragilisation des liens familiaux, le déveloPPement
tenariat, la
d.s f"mill.s -onop"r.rr,ales ont contribué à rendre encore plus
Ehrenberg' I'intime
quête d'autonomie. Ainsi que le reconnaît sensible cette demande d'un État qui a vu sa sphère d'interven-
mode
;;t;;I".;"e afhire privée' il ouvre la voie un nouveau
à
65
64
UqI LIC! IIUIç

tion s'élargir graduellement. Dès lors se pose plus que jamais ce toire. Elles s'attachent er se reconnaissent davantage à travers de
problème des voies sociologiques d'inscription de l'État social au petits récits, sans doute moins glorierx, raconrart de ces histoires
sein de la société. comme il en pleut par milliers. Ces nouvelles uersions de l,expé-
rience appellent pourtanr une sérieuse prise en considération si I'on
Réinscrire le social dans la société veut réfléchir aujourd'hui sur I'inscription du social dans la société.
Si I'on peut, à Ia suite de la plupart des auteurs qui se sont Elles apparaissenr comme une donnée inconrournable, nous invi-
intéressés à la question, reconnaître la nécessité de n réencestrer ,, tant à considérer cette nouvelle construction normative du sujet
le social dans la société, il ne s'agit pas non plus de sombrer dans comme un pôle constitutif du social à part entière.
I'incantatoire. Il est certes indispensable de ne pas disjoindre le Il faut rappeler que tour en analysant l'inuention du social,
social de l'économique mais, faut-il encore le rappelet depuis Ia Donzelot invitait le lecteur à découvrir une aurre hypothèse, celle
création de l'État social, les donnes de l'équation keynésienne du déclin concomirant des passions politiques. Avec I'avènement
ont fondamentalement changé. Nous ne sommes plus dans une d'un social rationnellement organisé à I'échelle des nations, I'in-
situation de plein emploi ou de croissance économique compa- tention était également de conrenir les impératiß compassion-
rable. S'il s'agit encore de concevoir le social au cæur de I'arti- nels, qu'ils soient d'inspiration socialiste ou traditiona_liste, au
culation entre l'économique et le politique, il faut se rappeler prix d'un progrès social et économique promis à tous. Cette ana-
que les conditions effectives d'existence ont évolué. lyse rejoint là les travaux de Koselleck qui montra combien la
Mais cette réflexion sur les limites de l'État social en tant que monarchie absolue contribua à un enfouissemenr des va_leurs
mode de gouvernabilité ne conclut nullement à un effondrement morales et religieuses dans le for intérieur de rout un chacun
ou à un éclatement subits. La thèse développée ici grâce à la pour faire taire les guerres de religions qui emportaient alors bien
métaphore du crépuscule, celle de l'inachèvement de l'État social, des passions. Cette instance mora-le privée évolua et s'érigea pro-

suggère plutôt de prendre conscience des acquis du modèle, de gressivement en instance critique, conduisant à la contestation
reconnaître ses diffìcultés et ses atouts sans en ProPoser une uision du pouvoir politique et à la crise de 1789. De ces travarx, ainsi
parachevée, à la vérité de laquelle il s'agirait de faire retour. que des analyses critiques d'Hannah Arendt sur la politique de
De la lecture du chapitre consacré à l'État social actif on retien- la pitié65, on peur déduire que I'avènemenr de I'État social eut
dra que le maintien de l'équation de départ et son aménagement pour corollaire l'effacement provisoire des passions politiques.
progressif ont conduit à une situation inédite tabla¡rt sur l'entre- Mais ce retrait'des passions ne signifie nullement leur dispari-
tien d'une dualisation du marché du travail et d'une précarité tion. Au contraire, on peut aujourd'hui affirmer qu'elles sonr dis-
contenue afin de sauvegarder l'emploi et le système de protections tribuées dans le monde. Elles ne se rrouvenr plus, comme dans les
sociales. Au vu des perspectives optimistes de diminution du chô- termes de I'andyse de Koselleck, enfouies au plus profond de nous-
mage, cette solution provisoire pourrait même révéler demain, non mêmes mais trouvent désormais un nouveau réceptacle dans notre
sans un certain cynisme, sa redoutable efficacité, au-delà de toute vie quotidienne. Ainsi que nous l'avons vu, roure une nouvelle
espérance ; s'il n était toutefois un détail important. Nous ne nous expérience normative du sujet s'exprime en société dans la sphère
relèverons pas de plus de 25 ans de chômdge massif comme au domestique, au travail, à travers nos loisirs, nos acrivités, nos rap-
matin du 28 décembre l944,lorsque le prince régent aPPosa sa ports éducatifs et parentaux. Il s'agit certes là d'un renversement
signature à I'arrêtéloi instaurant la Sécurité sociale des uavailleurs. considérable pour les sciences sociales qui, lorsqu'elles acceptaient
Depuis lors, les nouvelles générations ont appris à douter de I'ave- de prendre en considération les passions et les émotions, les confi-
nir. Elles ne croient plus aux grands récits éma¡cipateurs.de I'his- naient dans l'intériorité du corps, séparées du reste du monde.

66 67
trer lJIDre

Cette distinction entre sphère des émotions et sphère de la raison gation. À force d'insister continuellement sur la nécessité de dire,
ne correspond pas à une donnée naturelle. Elle traduit notre expé- de faire, de s'impliquer mais sans cartographie précise, il y aurait
rience au monde, notre façon de le concevoir et de I'occuper. La Ià une forme de violence insidieuse qui s'exprimerait sur chacun !
nouvelle donne du sujet à laquelle j'ai tenté jusqu ici de faire écho La désacralisation du travail signifie bien I'entrée de celui-ci dans
Les émotions sont dans Ie monde parce
I'ensemble du processus humain, comme un facteur ou une valeur
rs ont perdu en capacité. La monarchie
parmi d'autres. Ce mouvement conduit à voir, derrière le tra-
opérante. Le travail salarié également' Ce
vailleur, la personne. Celle-ci ne se réduit plus à sa capacité de pro-
dernier faisait offìce de séparateur entre vie privée et vie profes- duire ou non, elle appelle une perception plus globale. C'est là,
sionnelle. Il était encote un formidable oudl de médiatipn enüe sans nul doute, une avancée démocratique nous invitant à recon-
soi et I'autre, entre soi et la nâture, permettant à tout un chacun sidérer tout individu, quels que soient son âge, son sexe, sa natio-
de ramener sa contribution personnelle à la marche du monde. Il nalité d'origine, sa classe d'appartenance en tant que citoyen à
contribuait à faire la n part, des choses. Il permettait au conflit ( part )) entière. Mais cela répond aussi à un mouvement de fragi-
d'être socialement structurent (on pouvait donner du sens à son lisation des personnes de plus en plus facilement mises à nu sur
infortune en en voulant au Patronat, pas à son collègue ni à son les diftrentes scènes qu'elles foulent au cours de leurs vies.
voisin). Avec sa désacralisation en tefìr que valeu¡ nous assistons, Prendre en considération cette subjectivation des relations
au sens érymologique, à une perte de son pouvoir séparateur' Ce pour réinscrire le social dans la société n'est nullement synonyme
phénomène de désacralisation s'opère' nous I'avons vu, dans un de dilution des préoccupations originelles dans une nouvelle lec-
.orrr.*r. d'évolution du capitalisme et, plus largement, des formes ture plus compassionnelle des repports sociaux. Au contraire, il
d'organisation du travail. Parce que Ia réalisation de soi et I'impli- s'agit de prendre acte d'une nouvelle configuration dont la uer-
cation deviennent des normes communément acceptées, Perce que sion a commencé à s'écrire avec les premières critiques adressées
à l'É,tat social. Une première approche de l'É,tat social (schéma 1),
présentant Ie social à I'intersection €ntre l'économique (E) et le
politique (P), peut se complexifier à I'aide d'une seconde sché-
matisation (schéma 2) proposant de prendre en compte la
sur ces nouvelles formes de souffrance que sonr les dénis de recon- dimension de subjectivation de I'expérience (S), tout en conser-
naissance, Ies dépressions, les phénomènes de stress, de harcèle- vant Ie modèle d'origine.
ment au travail, d'abus sexuels, c'est aussi parce qu elles disent
quelque chose d'extrêmement important sur ces changements en Schéma I
retourne sur soi ou sur Ie proche
-rrrr. L" violence se déplace, se E
quand le conflit n est plus à I'horizon de nos raPports individueLs Social
eì coilectiß mais surrout quand le retrait n'est plus possible. Or s'il
y a bien une chose conrre laquelle les sociologues ne cessaient de Schéma 2
Lrrt., d"r* leurs approches du travail, de la participation sociale et
politique, c'était précisément cer atrracreur étrange que constituait
i. ,..rãi.. Désormais, le retrait n a plus ce sens de stratégie ou de
position délibérémenr choisie. Dans une société de la mobilité et
àe I'activation, il est devenu synonyme de rupture de lien, de relé-

68
69
tier Libre

rapport à I'intime. Ce rapport intime ne se négocie pas unique-


Si l'on se penche d'abord sur les trois relations binaires (E-
ment entre individus, il'inscrit les reladons dans un nouvel
P; P-S; S-E) contenues dans ce triptyque, on peur tirer quelques ( espace public de I'intimité r, aujourd'hui cher à de nombreux
enseignements.
auteurs. Cet espace, nous l'avons vu, émerge à mesure que se
Premièrement, la relation E-P (ou schéma 1) procède de cette
développe tout un langage d'inspiration socio-psychologique
vision classique et binaire d'un modèle d'É,tat enrré < en crise >
déclinant et qualifiant l'expérience de la vie en société. Cette rela-
au début des années 70, modèle auquel on ne úouchera guère tion P-S nous permet de comprendre le succès rencontré par
fondamentalement afin de tenter d'en préserver les équilibres
toute une série de thématiques telles que la victimisation, la mon-
sous-jacents, au risque d'une distanciation nette avec la société
tée des abus, les problèmes de dépression, d'addictions, etc. Leur
civile. Cette vision binaire se traduit aujourd'hui par cette figure
mode de traitement, voire de réparation renvoie de plus en plus
d'un É,tat socia-l actif accordant la priorité aux politiques de réin- souvent à la mobilisation des catégories juridiques er au recours
sertion sociale vers l'ernploi. C'est avec ce cadre que fut pensé et aux instances de la justice. Écouter la difference, lui permettre
qu'est encore pensé l'État social par des auteurs tels que Donze-
- de s'exprimer sens se fondre dans l'illusion de la similarité des
lot ou Rosanvallon. cas, nécessitera davantage d'observance de règles de procédure
Deuxièmement, le relation P-S exprime bien les problèmes strictes. Lintérêt actuel porté envers la procéduralisation
aujourd'hui soulevés par les questions de I'irruption du sujet, des témoigne bien de I'irréductibilité des diffërences et des difficul-
émotions ou encore de la figure de Ia victime dans la vie tés à représenter le corps social. Avec le développement croissant
publique. Porter la réflexion sur I'insertion du social entre le sujet d'un droit procédural, nous assistons et allons davantage assister
(S) et le politique (P) revient à s'interroger sur le rôle de la société
à quelques évolutions notables: gestion plus individualisée du
civile. Mes propres analyses du mouvement blanc, phénomène social, respect des procédures de recours ou d'appel, nouveeux
marquant de ces dernières années en Belgique, m'invitent à mécanismes de représentetion des usagers, recours à la média-
rejoindre le constat de Marcel Gauchet66, celui d'un u désenca- tion, etc. Mais à nouveau, cette vision binaire semble en proie à
drement politique o de la société civile conduisant à un profond une diffìculté à précisément saisir Ia nature ternaire du schéma
remaniement - encore diffìcile à établir - tant de nos formes de proposé. Indexant le développement de l'État social sur les pro-
participation que de nos modes de .représentation. C'est doré- grès de l'individualisme, elle ignore largement les impératifs de
navant eu titre de son identité privée et subjective que I'on solidarité, de protection sociale et d'égalité des chances..À force
entend compter dans I'espace public. Faire entendre sa voix, sa d'insister sur la u montée o de I'individu, on en finit par oublier
singularité est devenu le leitmotiv des mobilisations contempo- que celui-ci ne parvient à réellement s'exprimer que lorsque lui
raines. Il ne s'agit plus de traduire ces voix singulières à travers sont gerenties les conditions d'une socialisation et d'un accès à
un langage politique permettant d'exprimer et de relayer une la scène publique. Conditions que favorise l'É,tat social à travers
volonté générale dépassant les intérêts privés. Peser sur le poli- la dimension publique des dispositifs et des régulations qu'il met
tique au travers d'un langage résolument non politiqu€ est une en place. La politique de I'intimité est certes une donne incon-
caractéristique essentielle de cette u démocratie des identités o qui tournable. Elle semble cependant pécher par un désenclavement
singularise notre époque. Dans les termes de cette analyse, le des individus de la réalité économique et de I'impératif de redis-
social se confond avec la société civile, comme un autre lieu que tribution des biens et services entre tous. À l" limite, la famille
celui du pouvoir politique, un lieu où I'hétérogénéité de la société pourrait se voir invitée à jouer ce rôle minimal de protection
civile se projette et coexiste, un lieu extérieur au politique, mais sociale rapprochée tout en assurant une fonction de redistribu-
marqué par un€ forte moralisation de I'action et par un nouveau
71
tion des ressources par le biais des transferts entre générations. mise en scène de Ia vie quotidienne. De \Øeber à Goffman. Mais
C'est vite oublier que la famille n'a jamais été le lieu d'incar- la bureaucratie, avec ses dirigeants, ses cadres, ses opérationnels,
nation des principes d'égalité ! In fine, cette vision d'une démo- ses u chefs D et ses ( petits cheß, se partageant des parcelles de
cratie irreprésentable pèche précisément par son incapacité à pouvoir, est aussi liée à I'avènement d'une modernité égalitaire
intégrer les données du compromis keynésien avec lequel nous et protectrice à l'égard des plus démunis. Ce modèle a pénétré
rt'avons pas rompu. En Belgique, la place des piliers ne serait nul- les entreprises, les administrations jusqu'aux grandes associations
lement prise en compte ! Annonçant une rupture nette, un bas- sociales, patronales et syndicales. Il a contribué à désigner des
culement de registre, cette epproche binaire entrave Ia perception repères stables et impersonnels, protégeant les individus de I'ar-
des liens complexes qui se nouent entre économique, politique bitraire par le respect de la règle et de Ia hiérarchie, par la pré-
et subjectivation. Liens qui n excluent en rien le rôle d'une société sence de représentants sociaux qui permettaient aux conflits
civile méfiante à l'égard des grandes institutions publiques. d'être canalisés. Aujourd'hui, l'incitation à Ia transparence, à la
La troisième relation binaire (E-S) propose précisément de mobilité, à la circulation et à l'échange des informations contra-
prendre en considération la sphère économique. Elle s'inscrit rie ce modèle. Elle signifie le déclin des barrières de protection
assez bien dans les voies tracées par le développement du u capi- et la déstabilisation de nos repères collectifs et temporels. La thé-
talisme cognitif , en appelant à Ia mobilisation des subjectivités matique du harcèlement au travail' émerge explicitement au
et des forces de créativité émanant des individus ou de cet autre moment où les mécanismes de protection et de négociation sur
lieu indistinct - mais précisément distinct du politique - que Ies lieux de travail semblent se faire plus discrets. Le travailleur
serait la société civile. Cette conceptualisation est proche de celle serait, plus que par le passé, désarmé face aux rythmes effrénés
des chantres de la nouvelle économie qui, tel Rifkin, ne recon- de travail, face à la muldplicité des demandes et des tâches à
naissent plus aucu¡r rôle majeur à l'État. Par ailleurs, les travaux accomplir, face à l'arbitraire et, plus globa-lement, face à l'autre.
de ce dernier s'intéressent de près aux transformations de Ia per- Cette vision uniformisante de l'évolution économique, vision
sonnalité. Lidée d'une individualité cohérente et unifiée céderait aujourd'hui largement relayée, peine à rencontter la question de
la place aux personnalités multiples, protéiformes, voire n multi- l'É,tat dont Ie rôle est loin d'être réduit à une peau de chagrin,
phréniques , de la société en réseaux. Le syndrome de cette évo- notemment en matières de politique internationale ou de régu-
lution serait, aux États-Unis, celui du développement vertigineux lation du ma¡ché. Faisant reposer l'avenir sur Ie dilemme indi-
des personnalités multiples, ces personnes évoluant dans la vie vidu/économie de I'expérience, elle omet encore la prise en
en affichant une capacité à être et à incarner parfois plus d'une considération de la société civile.
vingtaine de personnalités diffërentes ! Lindividu se détachant de
Concevoir le social au cæur de ce triptyque, c'est accePter
toute forme de propriété, de tout encrage territorial, pourrait une lecture de l'État social non comme appareil Pesant et mas-
ainsi adopter une forme de conscience multiple pour se confor- sif mais comme forme cristallisée de rapports sociaux évoluant
mer aux nouvelles attentes sociales. Fortement attiré par Ia créa' au cours du temps. Un des enjeux de cette conceptualisation est
tivité, la subjectivité, le désir d'expression et d'épanouissement précisément d'illustrer combien les politiques sociales se
personnel, le capitalisme miserait sur le développement n d'in- déploient entre ces trois pôles mais aussi au sein de chacun d'eux'
dustries de I'expérience u où les métaphores théâtrales, dra- Cette schématisation générale atteste une nouvelle organisadon
maturgiques, voire ludiques ont depuis longtemps fait leur de I'expérience en jeu au sein des entreprises mais, au-delà, dans
apparition sur la scène du nouveau menegement. Nous Passe- les administrations, les services sociaux, la société civile, les par-
iions ainsi peu à peu de I'univers bureaucratique à celui de la tis politiques, les syndicats.
72 73
artier Libre

Une réaolution silencieuse des politiques d'accompagnement, la prise en compte du bien-


La réinscription du socia.l dans la société passe per une triple être au travail, la santé mentale, etc.
attention accordée conjointement aux trois pôles identifiés ici. LIne caractéristique, peu mise en évidence mais néanmoins
Thois pôles entretenant des relations dont il s'agit de rappeler la primordiale, des États sociaux modernes de l'Europe continen-
nature conflictuelle. Ainsi que l'a signalé à maintes reprises Alain tale est leur nature conservatrice influencée par la pensée câtho-
Touraine6T, la subjectivation repose foncièrement sur une opéra- lique et les positions syndicales. Ces influences ont convergé vers
tion de distanciation à l'égard de la ratioiralisation politique mais la défense d'un idéal masculin, voire patriarcal reconnaissant plei-
aussi économique. Alors que le compromis construit autour de nement le rôle de I'homme, chef de famille responsable de la
l'É,tat social avait été bâti pour répondre à un diftrentiel de subsistance de sa femme et de sa descendance, tandis que l'épouse

forces laissant apparaître, autour de la notion de propriété, des se voyait confinée aux tâches dévolues au ménage et à l'éduca-
propriétaires et des non-propriétaires, notre époque peine à tion des enfants. LÉtat social corporatiste est le fruit d'une
reconnaître de nouveaux différentiels de force séparant claire- époque et d'une histoire. Dès sa naissance, il a consacré la toute-
ment des individus. Rappeler la nature conflictuelle d'un triple puissance masculine et hiérarchique alors qu il procédait d'un
processus d'intégration sociale, c'est aussi insister sur la nécessité profond mouvement de pacification de mæurs. Mais une véri-
de repenser de nouvelles modalités de compromis social distin- table révolution silencieuse s'est opérée giaduellement. Ainsi,
guant trois grandes composantes. depuis la fin des années 60, le nombre de femmes au travail n'a-
Si l'on peut penser que les nouvelles formes de soufFlance t-il cessé de progresser dans tous les pays occidentaux. Une aug-
sociale (précarisation sociale des populations, prégnance des mentation sensible du taux d'activité des femmes n'est cepen-
formes de dépression, de stress, de surmenage, de n fatigue d'être dant nullement un indicateur objectif d'un progrès de leur
soi r) sont des expressions des changements sociaux mettant situation. Ainsi que le relève le ministère ftdéral de I'Emploi et
directement en jeu I'expérience de vie en société avec les impé- duTavail dans son rapport d'évaluation 2000, ces dernières exer-
ratiß économiques et politiques, une des questions à se poser cent à temps paftiel, se retrouvent dans des emplois temporaires
désormais est de savoir comment envisager une politique du ou des formes atypiques de I'emploi bien plus fréquemment que
sujet qui ne soit ni trop impressionniste (aersus la n politique de les hommes. Leurs salaires sont en moyenne inftrieurs à ceux des

I'intimité ,) ni trop dévorante. Comment repenser les termes hommes (72o/o dusalaire mensuel moyen de I'homme - chiffres
d'un Pacte social qui, tout en s'appuyant sur ses forces et ses pour l'Union européenne). Toujours au sein de I'Union euro-
acquis, puisse répondre aux nouveaux défis ? La réflexion qui va péenne, la probabilité des hommes de se retrouver au chômage
suivre n'a nullement pour prétention d'apporter une solution à est de 25o/o inférieure à celle des femmes. Il faut encore ajouter
cette vaste question, ce serait là un projet totalement démesuré. que I'emploi feminin est souvent concentré dans certains secteurs
Tout au plus, après cette analyse critique de l'É,tat social, va-t- tels que Ia fonction publique, les services aux Personnes, la santé,
elle se contenter de relever quelques initiatives actuellement en I'enseignement. La ségrégation demeure forte. Entrées avec une
train de s'ébaucher, initiatives qui, par-delà leurs difftrents position plus faible sur le marché du travail, les femmes conti-
aspects techniques, me semblent se situer sur cette voie d'une nuent d'assurer I'essentiel des tâches domestiques courantes'
politique traduisant progressivement une nouvelle uersion de C'est encore sur elles que rePose essentiellement l'éducation
l'É,tat social. Un choix a été délibérément effectué; à titre illus- enfants. On peut, avec Dominique Méda68, retenir que
tratif. D'autres auraient été également possibles autour de o révolution sans bruit o qu'a constituée I'entrée des femmes

thèmes tels que la démocratie participative, le développement le marché du travail ne s'est Pas accomPagnée de remise en q

/4 75
uartier Libre

tion de nos structures, de nos rôles, de nos mentalités. Ni les senter, faute d'acteurs et d'organisations pour les relayer, ces
pouvoirs publics ni les entreprises ne semblent jusqu'ici avoir plaintes ne parviennent pes à être traduites publiquemenr alors
volontairement intégré cette nouvelle situation. Et pourtant, à qu elles disent énormément de choses sur notre expérience en
suivre certains spécialistes tels Gøsta Esping-Andersen, la biacti- société, alors qu'elles expriment des contradictions de plus en
vité des couples - et plus précisément la présence d'un double plus fortes entre un idéal d'accès à la citoyenneré er des condi-
salaire dans les foyers - est encore actuellement le meilleur tions sociales d'existence sous tension. Il devient pourtant pri-
remède contre la menace de la précarité. Certes, comme le relève mordial d'envisager collectivement ces malaises quotidiens, qui
le ministère fedéral de I'Emploi et du Tiavail, la situation de la n'expriment pas seulement des réalités psychiques et individuelles
Belgique est, comparativement à d'autres pays de I'LInion euro- mais aussi des situations communément partagées. Faute de réel
péenne, reladvement privilégiée, mais dans ce pays, les diffërentes consensus social sur le partage des rôles et la répartition des
mesures envisagées ne semblent pas non plus s'intégrer dans un temps sociaux, la société n a pas institué de réponses globales à
mouvement de réforme dûment pensé. Globalement, le monde ces questions, laissant I'initiative arx couples, aux familles et eux
du travail ne s'est pas adapté à la biactivité des couples. Les aides psychomédicosociales. Au moment or) nous prenons
emplois, les carrières, les-protections sociales ont été pensés sur conscience d'une vaste remise en question du n tout au travail >,
base du modèle du seul travailleur masculin et à temps plein. Si la question des temps sociaux apparaît primordiale. La question
les femmes ont choisi de travailler, en accord avec leur conjoint, dts temps des fernmes n'est certes pas celle qui, à elle seule, per-
leur entrée sur le marché du travail n'a guère été facilitée par des mettra de repositionner le débat sur I'avenir du social ni d'ailleurs
politiques publiques d'inspiration corporetiste. Les syndicats et de résoudre I'ensemble des problèmes tensionnels attachés à la
les entreprises se souciaient peu de questions d'ordre privé tan- sphère de la subjectivation. Mais elle a le mérite de faire figure
dis que les hommes, en cela cohérents avec le modèle dominant, de porte d'entrée pertinente car elle implique de nouvelles
affìchaient peu leur volonté de prendre le risque de sacrifier leur normes de négociation, de coordination et d'équilibre entre les
carrière. Alors que, nous I'avons vu, les pressions émanant du différents temps. Elle pose comme problème ce qui était large-
monde du travail n'ont eu de cesse de se renforcer, le règne de ment occulté et invite à réfléchir collectivement sur les nouvelles
la débrouille a largement prévalu pour continuer, tent bien que donnes de I'expérience de vie en société. Elle repose encore publi-
mal, à concilier deu emplois avec d'autres attentes émanant des quement la question de l'égalité autour d'un principe d'égalité
sphères de la famille, du couple (ou des couples), de l'école, des des chances.
loisirs, de la santé. Mais la recherche de solutions pratiques pour De nombreuses réponses sont envisageables et ont déjà été
parvenir à allier ces differentes demandes a eu aussi son prix. envisagées dans les pays européens. Développement des crèches,
n Galère ), ( stress u, n fatigue ,, n angoisse o, < dépression ), ( rup- des gard.iennes d'enfants en bas âge,... autant de solutions qu'il
tures conjugales , sont eutant de termes pour exprimer un pro- faut considérer non comme un coût mais comme un investisse-
fond malaise quand la vie quotidienne donne cette impression ment social permeftant davantage I'accès des mères à I'emploi.
d'être une lutte permanente pour être là à I'heure, avant la fer- Aménagement des horaires de travail, réduction du temps de
meture des portes de l'école, de celles de la crèche ou de celles travail, réformes fiscales (suppression du quotient conjugal,
des magasins. Course effrénée contre le temps or) il faut sans déductibilité des frais de garde des enfants) sont autant de pistes
cesse assumer des rôles en tension graduelle. envisageables. La Belgique n'est pas demeurée en reste. Nombre
Toutes ces diffìcultés sont ressenties et s'expriment à un d'initiatives oqt été prises (plans d'n action positive ,, désignation
niveau individuel. Faute de scène publique désireuse de les ¡epré- de fonctionnaires n action positive ) et commissions internes
76 77
uartier Libre

d'accompagnement, travail à temps pardel, interruption de car- d'aides et de services domestiques or) Ies femmes seraient parti-
rière, congé parental, projet de loi sur la création de centres de culièrement présentes. II faut, au contraire, saisir cefte ( clé d'en-
services sociaux locaux pour les tâches ménagères, déductibilité trée > comme une opportunité d'accompagnement d'un profond
fiscale des coûts de garderie des enfants jusquà 3 ans). Mais ces changement des mentalités et de nouveau parrege des rôles. Si
diftrentes mesures ne furent pas intégrées dans un projet d'en- le principe d'égaJité doit demeurer la pierre angulaire de l'É,tat
semble. Ainsi que le concède le ministère fédéreJ,la Belgique a social, cette éga1ité doit pouvoir s'exprimer dans nos relations
beaucoup hésité entre deux logiques. Une logique d'inspiration quotidiennes. Elle appelle une formulation en rermes de droit
scandinave (modèle social-démocrate) concevant que le fait d'accès des femmes au travail et à la citoyenneté à part entière.
d'avoir ou de garder un emploi, même à temps partiel, même Malgré des intérêts extrêmement contradictoires, malgré les
mal rémunéré, permet de conserver un lien avec le ma¡ché du atermoiements politiques actuels, le contexte semble propice à
travail et de servir de tremplin vers un meilleur emploi. Entre de nouvelles formes de négociation. D'abord parce qu€ I'Europe
avoir du travail dans une position moins favorable et ne pas avoir semble progressivement se rallier à ce choix. Ensuite parce que
de uavail du tout, le choix de la première option est nettement différents pays tels que la Suède (imposition séparée des
établi. Une seconde logique est plus fidèle au Pacte social de 1944 conjoints, congés parentâLrx, développement des services de
(modèle corporatiste). Elle entrevoit dans l'emploi à temps plein garde des enfants, programmes d'égalité des chances,...), les
une norme collective à défendre à tout prix contre la précarisa- Pays-Bas (temps partiel, loi et commissions publiques pour
tion. Il semble que l'impulsion viendra vraisemblablement de I'aménagement du temps de travail,...), I'ItaIie (expérience
I'Europe puisque la ligne directrice l7 a clairement tranché pour (temps des villesr, forums de discussion,...) ont, chacun à sa
la première logique à travers I'extension du travail à temps par- manière, développé des initiatives - même prudêntes - allant
tiel, mesure concernant avant tout les femmes. dans ce sens. Par ailleurs, il faut prendre conscience du fait que
Cette question de la prise en comPte et de la répartition des pour le patronat, de telles négociations sur les temps sociaux peu-
temps sociaux est I'objet d'intérêts divergents balancés entre une vent signifier d'importants gains de productivité et d'effìcacité
flexibilité demandée par les employeurs et des demandes d'autres pourvu qu'elles s'accompagnent d'une évolution des modes
formes de flexibilité émanant des travailleurs. Les premiers pla- d'organisation du travail. Le nouuel esprit du capitalitme se cerac-
çent Ia fluctuation des normes de production au cæur de leur térise dorénavent par un besoin de zones pacifiées au sein du
décision, les seconds souhaitant accorder vie professionnelle et système-monde pour assurer la formation et I'entretien des
vie familiale. Il n est pas impensable d'envisager Pour l'avenir une compétences dont il a besoin ainsi que la sécurité. Enfin, le fait
négociation des temporaiités respectives des uns et des autres. qu un peu pertout en Europe, la représentation politique des
Mais le chemin à accomplir est encore long. Le danger guettant femmes soit progrèssivement assurée est un élément non négli-
un tel horizon est celui d'une surdétermination des facteurs geable qui devrait jouer en faveur de cette évolution sensible. La
socioproductiß sur nos existences, les exigences de la sphère pro- n révolution silencieuse, devrait se poursuivre, emenant l'Étet

fessionnelle jouant un rôle démesuré dans I'orientation de nos social.à jouer un rôle croissant pour articuler vie professionnelle
conduites. En outre, une entrée des femmes sur le marché du et vie en société. . :

uavail peut encore signifier le développement en amont d'une De nouvelles formes de négociation pourraient se mettre eni
marchandisation accrue des activités privées, parentales et conju- place, associant les trois éléments du tripryque développé pl
gales. Sous prétexte de voir se développer davantage d'emplois, haut (E-P-S). Elles devraient permettre de poser comme
on pourrait assister à la croissance démesurée d'un sous-secteur blème ce qui a été considéré jusqu'ici sur le mode de I'n allan

78 79
Quartier Libre

de soi , mais sans véritâblement reconnaître I'importance de


I'enjeu que représente cette articulation des nouvelles attentes
¿-án"rri de Ia sphère professionnelle et de la vie hors travail.
De nouveaux acteurs devraient être associés à ces négociations
portant ranr sur l'orientation et les choix de Ia vie au sein de la
.ir¿ (p) que sur les orientations économiques (E) ou encore sur
les conditions favorisant une existence riche et épanouissante

droit social semb tir d'une prise en compte '


l

de I'autonomie e des individus' Une


"t""
uersionaurait, en ncé à s'écrire, d'ans le cré- ;

puscule du petit matin.

le rôle de la société civile. Mais la solution ne Pessera Pes Par


l,organisation dense et structurée d'une société intermédiaire.
corPo-
Ce ierait là ignorer les racines associatives de Ia variante
ratiste dr., .rrãd¿l. au sein duquel nous évoluons' Une société
civile dynamique est une condition nécessaire au développement
des démocr"ties. Les associations jouent un rô|e essentiel
pour
là orÌ l'État peine à prendre ou
assurer des services aux citoyens

81
80
lVotes
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passions politiques, Paris, Seuil, 1994.
2. Ev¡lp F., L'Etat-prouidence, paris, Grasset, 1986.
3. Enquête sur la condition ouurière de 1843, tome III.
4. Cestpr R., Zrs métamorphoses de la question sociale. (Jne
chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995.
5. Duvour H., u La u pilarisation, dans la société multicul-
turelle belger, La reuue nouuelle, 1999,3, pp. 46-75. On
consultera également les articles de deux numéros de La
reuue nouuelle consacrés au thème des piliers (u Mitoyens ou
citoyens. Pour en finir avec les piliers ? ,, 3, 1999 et u Les
piliers ou Ia liberté à cache-cache u, 10, 1990 ainsi qu'un
numéro de La reuue de l'Institut de Sociologie < Décomposi-
tion et recomposition du social. Le cas de la Belgiqu€ ), l-
4, r9g2).
6. Durnv¡l O., Les démocraties. histoires, exigences,
Paris, Seuil, 1993.
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B. V¡xrupvscHE G., La sécuritê sociale. Les origines du sys-
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novatrices ,, Reuue de I'Institut de Sociologie, 1992, l-4,
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ß1
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cas de la santé mentale, dans le cadre du programme de '
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tiques et économiques de notre temps,Paris, Gallimard, 1983.


Louis GpN¡l¡, Olgierd Kur-v et Didier VR¡Ncr¡N.
45. Il ne s'agit pas ici d'avancer que les blessures psychiques i

52. G¡ucger M., u Essai de psychologie contemporaine. Un


étaient absentes de la configuration mise en place dans Ie
1

nouvel âge de la personnalitér, Le Débat,1998, mars-avril, ,

cadre de la question ouvrière. Au contraire, les problèmes


pp. 164-18I.
d'alcoolisme, de dépression étaient fréquents. Cependant, ;

53. Ds MuNcrJ., VERnoewN M. (éds), Les mutations du rap-,


nous disposons de peu de littérature sur le sujet, ainsi que
le relève Christophe Dejours (Trauail, usure mentd.le. De k Port à k norme. (Jn changernent dans la modernitë ?,:,
Bruxelles, De Boeck, 1997.
psychopathologie à lø psychofiinarnique du trauail Paris,
54. S¡NN¡,rr R., Irs tyrannies d.e l'intimité, Paris' Seuil, 1979'i
Bayard, 1993),le cadre conceptuel de perception de la souÊ
55. Doxznl-ot J., RotueN J., "1972-1998: les nouvellesl
france ouvrière a fait I'objet d'une double aftention -
d.onnes du social ,, Esprit, 1998, 3-4, pp.7-25.
morale et médicale - saisissant le problème dans sa dimen- I

56. n À quoi sert le ,r",r"il social ? , Revue Esprit, 1998, 3-4.¡


sion collective.
57. AnNiper.c¡R C., <<Idéal de solidarité ou mascarade?o, Lf
46. H¡cxl¡lc I., L'â.me réémite. Etude sur la personnalité mul-
reuue noùuelle,20OI, 4, pp' 52-72.
tipk et les sciences de la mémoirø Le Plessis-Robinson, Syn- I

thélabo, Les empêcheurs de tourner en rond, 1998.


5S. D¡spR¡r Y., Ces ërnotions qai nous fabriquent' Ethnopsychoj
logie drs émotions, Paris, Les empêcheurs de tourner
47. EHR¡t¡sBRc A.., La fotis"t d'êne soi. Dépression et sociëté,
rond/Le Seuil, 2001, p. 44
Paris, Odile Jacob, 1998.
59. VR¡Ncr¡N D., n LEtat social cet inachevé ,', La reuue
48. Sur cette thématique, outre les ouvrages déjà cités, on
uelle, 1997, 10, pp. 78-85.
consultera noternment Aus¡RT N., de Gaum¡ec Y., Le coîtt
60 Kos¡l-lpcr R., Le règne de k uitique, Paris, 1979, Les
d.e l'excellence, Paris, Seuil, l99I; Dr¡ouns C., Souftance
tions de minuit.
€n France. La banalisation de l'injustice sociale, Paris, Seuil,
61. EsptNc-ANoERSEN G., Les *ois rizondes de I'Etat-p
1998 ; HlnrcovpN M.-F., Le Harcèlement rnoral. La uiolence
87
86
ATEICI' IIÍJIC

Essai sur le capitalisme moderne, Paris, Presses universitaires


de France, 1999. Nous n'entamerons pas ici un débat sur Table d,es matières
le recours au concept d'< Etat social , plutôt qu'à celui
d'n Etat-providence u. Introduction 5
62. BolssoNNlr J., Lafin du chômageí Paris, Calmann-Lévy,
2001. Le socia-I, une idée aujourd'hui en crise 7
63. Mgo¡ D., Le trauail, une ualeur en uoie de disparition ?, Linvention du social 7
Paris, Aubier, 1995. Une société en piliers 10
64. G¡R¡pott A., Le gardien des promesses, Paris, Odile Jacob, La crise T2
1996. ' Lexclusion : une u nouvelle question sociale o ? Á
65. A¡¡xor H., Essai sur k
Rêuolution,Paris, Gallimard, 1967. La situation en Belgique t6
66. Gnucugt M., La religion dans la démocra¡ie. Parcours de la
løicité, Paris, Gallimard, 1998. LÉ,tat social actif à la rescousse 2l
67. Je ne citerai qu'un ouvrage dont la référence apparaît emblé- Les errements du risque 22
matique: TouRew¡ A., Critique de k rnodernitë, Paris, Un glissement sécuritaire 26
Fayard, 1992. Cap sur I'insertion par I'emploi 30
68. M¡On D., Le temps dzs femrnes. Pour un nouueau ?artage des Lhomme en réseau, protoq/pe
rôles, Paris, Flammarion, 200I. du nouvel idéal capitaliste 34
Le n retoun de la souffiance sociale 39
Le désarroi des travailleurs sociaux 4>
Fausse route ? 50

Pour une version critique de l'État social 53


LÉ,tat social, cet inachevé 54
Les trois mondes de l'É,tat social 58
De nouvelles donnes de l'expérience 62
Réinscrire le social dans la société 66
Une révolution silencieuse 74

Notes 83

88 89

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