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Couple mixte : entre nous, c’est tabou !

Les couples mixtes, comme les autres, planquent parfois sous le tapis les sujets qui fâchent. Mariage,
famille, circoncision ou cuisine, des femmes nous racontent ce dont elles ne parlent pas (ou plus) avec
leur partenaire.

Kim, 47 ans, acrobate et instructrice de Pilates, mariée à Cyrille, 38 ans, sapeur-pompier de


Paris.

« C’est quand on a commencé à vivre ensemble que nos différences se sont manifestées. à travers la
cuisine, c’est tout le culturel qui remonte à la surface. On ne parle pas de nos habitudes culinaires pour
éviter de porter un jugement ou d’avoir des mots qui pourraient fâcher. Très attachée à mes racines
vietnamiennes, j’aime la cuisine asiatique et je ne mange pratiquement rien d’autre. Ce n’est pas
évident pour Cyrille, dont la cuisine maternelle est française. La nourriture renvoie aux odeurs, aux
manières de vivre, aux liens familiaux. Dans ma famille, on est très “tribu”, on n’a pas d’horaires pour
manger, on n’a pas vraiment de rituels à table. Les œufs couvés ou les boyaux de porc, je sais bien que
ça peut surprendre. Cyrille, lui, est habitué aux manières françaises, à mettre notamment les petits
plats dans les grands, etc. Du coup, à la maison, chacun fait ses propres courses et se mijote ce qu’il
aime. »

Nora, 45 ans, professeure d’économie, mariée à Didier, 48 ans, professeur de droit, deux enfants
de 10 et 8 ans.

« Je suis musulmane, d’origine algérienne. Didier est juif de Turquie. Ma mère n’est pas venue à notre
mariage, puis elle a regretté et s’est excusée. Pour ne pas peiner mon mari, j’ai gardé pour moi les
réflexions de l’entourage, mes déceptions au niveau des réactions de ma famille. Et par la suite, j’ai
préféré taire les “Tes enfants ne sont rien du tout”, alors que pour nous deux, si, ils sont juifs et
musulmans. Dans sa famille, peu pratiquante, j’ai été mieux acceptée. On a donné des prénoms
hébraïques à nos enfants, je l’ai fait spontanément, sans doute pour m’affirmer vis-à-vis de ma famille.
Didier et moi, on n’a pas de points de divergence, on est Parisiens, on a fait nos études ensemble… On
évite en revanche de parler de la situation au Proche-Orient. Aucune envie d’importer le conflit
israélo-palestinien chez nous, c’est un sujet très délicat, nous pourrions être plus sensibles que
d’autres, moi aux arguments de la cause palestinienne, lui à ceux d’Israël dont l’existence est encore
remise en cause. Lorsque nos enfants nous posent des questions, on répond de la manière la plus
distanciée possible. Pas facile pour eux, issus de ces deux cultures qui se déchirent ! Et on leur cite en
exemple le choix de cet imam, de ce rabbin et de ce pasteur qui montent un lieu de culte commun à
Berlin. Il faut parler du positif. »

Flavie, 38 ans, traductrice expert judiciaire, mariée à Max, 42 ans, trader, une fille de 10 ans.

« Nous sommes nés tous les deux en France mais aimons passer des vacances sur les terres de nos
familles respectives, la Guadeloupe pour moi, la Suède pour lui. Nous sommes l’un et l’autre curieux
de nos cultures, les différences nous amusent, les pique-niques guadeloupéens avec les nappes et les
marmites, les pique-niques suédois où chacun a son plateau-repas… Max ne fait pas de
“doudouisme”1, il s’intéresse vraiment à la langue créole, à la littérature des Caraïbes, comme moi
j’aime beaucoup la Suède. Mais il y a des particularités qui lui échappent complètement, tout
simplement parce qu’il ne fait pas partie d’une “minorité ethnique”. Il dira que je suis parano parce
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une vision stéréotypée des Antilles françaises
que je lis dans le regard d’une insulaire une sorte de jalousie, du genre “Toi qui es plus noire que moi,
que fais-tu avec ce Blanc ?” Il y a aux Antilles, dans l’inconscient collectif, un complexe lié à la
couleur de peau. On dit d’un métis qu’il a “la peau et le cheveu sauvés”. Même si les jeunes
générations s’en affranchissent, c’est encore présent. Quand Max me renvoie à ma propre
susceptibilité personnelle, je préfère ne pas parler avec lui de ces nuances et de mon ressenti. »

Samia, 35 ans, conseil en développement international, vit avec Lars, 39 ans, consultant en
informatique.

« Lars vient du Danemark, le pays des gens heureux, dit-on. J’adore la culture scandinave, égalitaire,
féministe dans l’âme, qui vit librement la sexualité. Il n’y a pas ce machisme que je croise ici, en
France, ou chez moi, au Maroc. Il y a malgré tout deux sujets qui nous séparent : la place de la famille
et le mariage. Lars ne comprend pas que ma famille débarque chez nous pour les vacances, de même
que nous serons reçus à bras ouverts si nous allons à Casablanca. Il n’est pas imaginable que je leur
ferme la porte ou que je les reçoive avec parcimonie ! Lars accepte de mauvaise grâce qu’il y ait
souvent du monde à la maison. Pour la question du mariage, c’est une tradition, c’est impensable
d’avoir des enfants sans convoler. En plus, ce serait difficile, au niveau de la paperasse, d’aller au
Maroc en famille… Or, pour Lars, le mariage est une institution vieillotte, bébête, et la religion est à
mettre dans le même sac. Alors, comme on s’entend très bien par ailleurs, que nous sommes
intellectuellement sur la même planète et que nous n’avons aucune envie de nous disputer, nous n’en
parlons pas. »

Anne-Sophie, 26 ans, organisatrice de cérémonies, mariée à Yoann, 29 ans, directeur de grand


magasin, un enfant de 18 mois.

« Du côté de Yoann et de sa famille juive d’Afrique du Nord, j’ai retrouvé tout ce que j’aime et que
mes parents, portugais, ont perdu dans l’exil : un clan, de grandes tablées, des fêtes. C’est aussi très
portugais, ces valeurs-là. En revanche, j’ai vite compris qu’il serait difficile de négocier certaines
choses, comme la circoncision au cas où nous aurions un fils. Or nous avons eu un fils… Je me suis
sentie un peu seule et obligée d’accepter ce rituel pratiqué huit jours après la naissance par un
“mohel”, un officiant religieux. Nous en avons peu parlé, puisque cela semblait non négociable pour
Yoann et sa famille. Après, je m’en suis voulu de nous avoir infligé cela, à mes parents et à moi-
même. Ils faisaient l’effort d’assister à une cérémonie très éloignée de leur culture, en plus mon bébé a
fait une infection les jours suivants et ça s’est terminé aux urgences, le mohel en question n’étant pas
pédiatre (ndlr : parfois il l’est aussi). Si nous avons un autre fils, il sera éventuellement circoncis mais
à l’hôpital. Discuter de ce qui s’est passé ? C’est avant que nous aurions dû en parler vraiment ! Le
culturel oui, le cultuel, non. »
i
https://www.mariefrance.fr/equilibre/psycho/parlons-en/couple-mixte-cest-tabou-158898.html
consulté le 4/01/2020

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