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Jean-Marc Mandosio
1. Les textes
8. Les citations sont éparpillées tout au long du Speculum doctrinale. Elles sont réunies par
M. Alonso Alonso (d’après l’éd. de Venise, 1581) en appendice à sa propre édition de la
version de Gundissalinus (op. cit., p. 143-167).
9. Listes des manuscrits : F. Schupp, op. cit., p. lxxiii-lxxix ; J. H. J. Schneider, op. cit., p. 114-115
(d’après le recensement établi par M. Alonso Alonso).
10. Voir dans le présent volume J. Janssens, « L’al-Fârâbî perdu chez Albert le Grand », § 1.2 (en
particulier note 25).
11. Voir I. Rosier-Catach, « Roger Bacon, al-Fârâbî et Augustin : rhétorique, logique et
philosophie morale », dans La Rhétorique d’Aristote : traditions et commentaires de
l’Antiquité au XVII e siècle, Paris, 1998, p. 87-100 (en particulier p. 90).
12. Voir par exemple J. H. J. Schneider, op. cit., p. 40, 116-117.
13. Il a été publié comme tel par M. Alonso Alonso (voir ci-dessus, n. 4) sous le titre :
Domingo Gundisalvo, De scientiis : compilación a base principalmente de la ‹ Maqâlat.
fî ih.s.â’ al-‘ulûm › de al-Fârâbî.
14. Dominicus Gundissalinus, De divisione philosophiæ / Über die Einleitung der Philosophie,
éd. et trad. A. Fidora et D. Werner [sur la base de : Dominicus Gundissalinus, De
divisione philosophiæ, éd. L. Baur, Münster, 1903], Fribourg-en-Brisgau, 2007.
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15. Gundissalinus a par ailleurs traduit les sections du Šifâ’ consacrées à la métaphysique
et à la théorie de l’âme, qui ont joué un rôle considérable dans la constitution de la
pensée scolastique (Avicenna Latinus : Liber de prima philosophia sive scientia divina,
éd. S. Van Riet, Louvain, 1977-1980 ; Avicenna Latinus : Liber de anima seu sextus de
naturalibus, éd. S. Van Riet, Louvain, 1968-1972).
16. Voir H. Hugonnard-Roche, « La classification des sciences de Gundissalinus et l’influence
d’Avicenne », dans Études sur Avicenne, Paris, 1984, p. 41-75. Le titre de ce chapitre du
De divisione philosophiæ, tel qu’il est édité par A. Fidora et D. Werner à la suite de
L. Baur, est Summa Avicennæ de convenientia et differentia subjectorum. Comme le relève,
à la suite d’autres spécialistes, H. Hugonnard-Roche (« La classification des sciences de
Gundissalinus et l’influence d’Avicenne », p. 64), « en arabe, le titre du chapitre est : fi
ikhtilâf al-‘ulûm wa-ishtirâkihâ (éd. Affifi, p. 104). Il faut donc lire scientiarum, et non
subiectorum comme le fait Baur [. . .]. » Le chapitre traite cependant bel et bien des « sujets »
des différentes sciences, et Gundissalinus ne se faisait pas faute d’interpréter librement les
textes qu’il traduisait.
17. Al-Fârâbî, Über den Ursprung der Wissenschaften / De ortu scientiarum, éd. C. Bäumker,
Münster, 1916.
18. Voir J. H. J. Schneider, op. cit., p. 42.
19. Voir A. Fidora et D. Werner, op. cit., p. 273.
20. Je constate par exemple que le De ortu scientiarum a été confondu avec le De divisione
philosophiæ de Gundissalinus (dont le titre même est mal reproduit) dans l’index, dû
à P. Jodogne, du catalogue des manuscrits latins d’Ibn Sînâ (M.-Th. d’Alverny et
al., Avicenna Latinus : codices, Louvain-la-Neuve/Leyde, 1994, p. 431) : « De diuisione
scientiarum, v. De ortu scientiarum. [. . .] De ortu scientiarum (De diuisione scientiarum). »
Sur les confusions médiévales entre ces deux ouvrages, voir A. Fidora et D. Werner, op. cit.,
p. 47.
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Il faut aussi compter avec les distorsions introduites par les éditeurs
eux-mêmes. Ainsi, le dernier éditeur de la version de Gundissalinus utilise
dans ses commentaires un vocabulaire et des concepts qui ne sont pas ceux du
traducteur latin ; en outre, les tableaux récapitulatifs qu’il a mis en appendice
de son édition ne correspondent pas toujours au texte qu’il édite et traduit,
mais à une sorte de classification idéale dont il ne fournit d’ailleurs aucune
justification21 . C’est pourquoi, dans les pages qui vont suivre, je distinguerai
soigneusement ce qui est dit par al-Fârâbî, par ses deux traducteurs, et par
Gundissalinus dans son ouvrage personnel sur les divisions de la philosophie.
8° [5c] le kalâm, défini par al-Fârâbî comme la « faculté par laquelle on peut
défendre les croyances et les actions » en matière religieuse26 . Cette discipline
a embarrassé nos deux traducteurs, et tout particulièrement Gundissalinus ; j’y
reviendrai dans la dernière partie du présent article, car la solution (radicale)
adoptée par Gundissalinus a un rapport direct avec les subdivisions de la
logique.
Al-Fârabî n’aborde pas de front le traditionnel débat sur le statut de la
logique, consistant à se demander si celle-ci est une partie de la philosophie
ou seulement son instrument. Néanmoins, l’ordre même qu’il adopte implique
que les deux premières sciences énumérées — science du langage et science
de la logique — ont une fonction propédeutique par rapport aux suivantes,
qui se répartissent visiblement en deux groupes correspondant aux deux
parties, théorique (ou théorétique) et pratique, de la philosophie d’après
la tradition aristotélicienne27 . Al-Fârâbî se conforme exactement à cette
dernière en ce qui concerne les trois parties de la philosophie théorétique
(mathématiques / physique / métaphysique), tandis qu’il s’en écarte pour ce
qui est de la philosophie pratique, où il remplace la tripartition aristotélicienne
classique (éthique / économique / politique) par une autre, adaptée à la société
islamique : science politique (incluant l’éthique) / jurisprudence / kalâm.
L’apprentissage de ces six disciplines présuppose l’acquisition des règles de la
grammaire et des règles du raisonnement ; celles-ci ont donc implicitement
un caractère instrumental. Cette impression est confirmée par le passage
où, afin de montrer l’utilité des règles logiques, al-Fârâbî les décrit comme
des « instruments » jouant dans le domaine des intelligibles un rôle de
« rectification » analogue à celui que jouent dans le domaine du sensible les
poids et les mesures, la règle et le compas28 . Et dans un autre de ses écrits
(non traduit en latin), Sur les termes employés par la logique, al-Fârâbî déclare
bel et bien que la logique n’est que l’instrument de la philosophie29 .
La question n’étant pas expressément traitée dans l’Énumération des
sciences, Gundissalinus a jugé nécessaire de combler cette lacune dans son
De divisione philosophiæ. Comme il l’explique en détail dans le prologue, la
philosophie proprement dite se divise en théorique et pratique30 — avec entre
les deux une discipline mixte, la médecine [voir la figure 4]. La grammaire,
qui est la première chose que l’on apprend car elle « rend expert en l’art de
parler correctement »31 , est « un simple instrument » de la philosophie, tandis
que la logique est « à la fois un instrument et une partie » de la philosophie32 .
C’était très exactement la position adoptée par Boèce dans ses commentaires
sur l’Isagoge de Porphyre33 .
Gundissalinus écrit que la logique est un instrument de la philosophie
« dans la mesure où elle est utile pour découvrir la vérité dans [la logique]
elle-même et dans les autres sciences », et une partie de la philosophie, « dans
la mesure où la philosophie recherche les dispositions de son sujet [= le
sujet de la logique] ainsi que des autres [= les sujets des autres sciences] »34 .
Autrement dit, la logique est l’instrument privilégié dont la philosophie se sert
pour découvrir la vérité dans n’importe quelle science, y compris en logique35 ,
mais elle est aussi un des « sujets » de la philosophie, puisqu’elle est l’une
des sciences dont la philosophie cherche à établir la vérité. Gundissalinus
reformule ici en termes plus techniques36 les propos de Boèce : « La discipline
logique est une certaine partie de la philosophie, puisque sa seule maîtresse
est la philosophie ; mais elle en est aussi l’outil, car c’est par son entremise que
l’on recherche la vérité en philosophie »37 .
La grammaire, en revanche, est pour la philosophie un instrument
dont l’utilité se limite à l’enseignement (alors que la logique permet de
découvrir la vérité) : en effet, précise Gundissalinus en adaptant une formule
d’Ibn Sînâ, « sans les mots, la philosophie peut être apprise mais ne peut
31. « [...] ideo grammatica logicam et omnes alias scientias tempore præcedit, quæ prima
hominem quasi nutrix in recte loquendo peritum reddit » (Ibid., p. 72).
32. « Instrumentum autem tantum est grammatica, sed pars et instrumentum simul est logica »
(Ibid., p. 74).
33. « Hanc litem vero tali ratione discernimus : nihil quippe dicimus impedire ut eadem
logica partis vice simul instrumentique fungatur officio » (Boethius, Commentaria in
Porphyrium, I, dans Manlii Severini Boethii opera omnia, PL 64, Paris, 1847, col. 74).
34. « Logica vero, secundum quod utilis est ad veritatem in se et in aliis scientiis inveniendam,
instrumentum [est], sed secundum quod philosophia subjecti ejus dispositiones inquirit,
sicut et de ceteris, pars ejus est [...] » (Dominicus Gundissalinus, De divisione philosophiæ,
p. 74).
35. Le raisonnement sous-jacent me paraît être celui-ci : les règles de la logique sont
naturellement présentes dans l’esprit humain ; c’est pourquoi elles ont pu être réduites en
art par les philosophes. La logique est donc un instrument à double titre : en tant que faculté
naturelle, et en tant que discipline artificiellement constituée.
36. La référence aux « dispositions » du « sujet » de la logique est un emprunt au vocabulaire
avicennien (voir dans ce même volume l’article « Logique et langage : la critique d’al-Fârâbî
par Ibn Sînâ », commentaire du § c).
37. « Ita quoque logica disciplina pars quædam philosophiæ est, quoniam ejus philosophia sola
magistra est ; supellex vero est, quod per eam inquisita veritas philosophiæ vestigatur »
(Boethius, Comentaria in Porphyrium, I, col. 75).
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38. « Grammatica vero instrumentum est philosophiæ, quantum ad docendum, non quantum
ad discendum. Sine verbis enim philosophia potest sciri, sed non doceri » (Dominicus
Gundissalinus, De divisione philosophiæ, p. 74). Sur l’origine avicennienne de cette
formule, voir ci-dessous, notes 58-60.
39. I. Madkour, L’Organon d’Aristote dans le monde arabe : ses traductions, son étude et ses
applications, 2e éd., Paris, 1969, p. 50. Voici la traduction latine de ce passage, réalisée au
xiie siècle : « Tunc, secundum quod fuerit philosophia tractatus et dividens et inquirens res
secundum quod habent esse, et dividuntur in duo prædicta esse, scientia hæc secundum
eum non erit pars philosophiæ ; sed secundum quod prodest ad hoc, erit secundum eum
instrumentum in philosophia. Secundum quem vero philosophia fuerit tractatus de omni
inquisitione speculativa et de omni modo, hæc scientia secundum eum est pars philosophiæ
et instrumentum ceterarum partium philosophiæ. [. . .] Et inde deceptiones quæ sunt de
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46. On retrouve la même distinction entre nut.q lafz.î (discours exprimé) e nut.q fikrî (discours
mental) dans l’épître X des Frères de la Pureté ; (voir dans ce même volume l’article « Logique
et langage : la critique d’al-Fârâbî par Ibn Sînâ », note 134).
47. « Grammatica non dat regulas nisi de dictionibus unius gentis tantum. Logica vero non
dat regulas de dictionibus, nisi in quibus conveniunt dictiones omnium gentium » (Liber
Alpharabii de divisione omnium scientiarum, p. 128) ; « Scientia grammaticæ non dat regulas
nisi quæ sunt propriæ dictionibus gentis alicujus. Scientia dialeticæ non dat regulas nisi
communes quæ communicant dictionibus gentium omnium » (Liber Alfarabii de scientiis,
p. 38).
48. « [. . .] many Arabic grammarians [. . .] were contemptuous of the philosophers for importing
Greek logic, which they saw as a foreign linguistic tradition, into the Arabic milieu »
(D. L. Black, « Logic in Islamic Philosophy », dans Routledge Encyclopedia of Philosophy,
t. 5, Londres, 1998, p. 706-713 [p. 707]).
49. Al-Fârâbî, Énumération des sciences, II, p. 60. « Subjecta autem dialeticæ sunt rationata
inquantum significant ea dictiones, et dictiones inquantum sunt significantes rationata »
(Liber Alfarabii de scientiis, p. 34). Cette phrase n’apparaît pas dans la version de
Gundissalinus ; pour une explication possible de cette omission, voir ci-dessous, note 65.
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57. Comme le souligne D. L. Black (« Logic in Islamic Philosophy », p. 708), « logic will have
some of the characteristics of a universal grammar, attending to the common features of
all languages that reflect their underlying intelligible content. Some linguistic features will
be studied in both logic and grammar, but logic will study them as they are common, and
grammar in so far as they are idiomatic. »
58. Voir ci-dessus, note 38.
59. Le texte latin est édité ci-dessous dans l’article « Logique et langage : la critique d’al-Fârâbî
par Ibn Sînâ ».
60. Cité par D. L. Black (« Logic in Islamic Philosophy », p. 708) : « The logician is only
incidentally concerned with language because of the constraints of human thought and the
practical exigencies of learning and communication. Ibn Sina goes so far as to claim that,
“if logic could be learned through pure thought so that meanings alone could be attended
to in it, then it would dispense entirely with expressions” ; but since this is not in fact
possible, “the art of logic is compelled to have some of its parts come to consider the states
of expressions” ».
61. « In al-Madhkal, Ibn Sina labels as “stupid” those who say that “the subject matter of logic is
speculation concerning expressions in so far as they signifiy meanings” » (ibid.).
62. « However, Ibn Sina does not deny that the logician is sometimes or even often required
to consider linguistic matters ; his objection is to the inclusion of language as an essential
constituent of the subject matter of logic. [. . .] For Ibn Sina, then, logic is a purely rational
art whose purpose is entirely captured by its goal of leading the mind from the known to the
unknown ; only accidentally and secondarily can it be considered a linguistic art » (ibid.).
63. Conformément au schéma avicennien de la double pensée que j’ai décrit plus haut (notes
39-42).
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la pratique, les mots qui expriment les pensées équivalent aux pensées
elles-mêmes, justifiant empiriquement la coutume qui consiste à faire débuter
l’étude de la logique par une étude des mots. Gundissalinus connaît fort bien
ce traité d’Ibn Sînâ, dont il a inséré un chapitre entier dans son propre livre64 ;
et comme il a par ailleurs traduit l’Énumération des sciences, où figure le
propos d’al-Fârâbî critiqué par Ibn Sînâ — « les objets de la logique sont les
intelligibles en tant que les expressions les désignent, et les expressions en tant
qu’elles désignent les intelligibles » —, la divergence de vues entre les deux
auteurs n’a pas pu lui échapper. On pourrait même se demander si l’omission
de cette phrase dans la version de l’Énumération des sciences réalisée par
Gundissalinus65 n’est pas la conséquence directe des sarcasmes d’Ibn Sînâ.
Il est certain, en tout cas, que Gundissalinus a lu ce passage de la Logique
du Šifâ’, puisque les termes mêmes qu’il utilise pour décrire les relations entre
le langage et la pensée sont empruntés au début du chapitre suivant de ce
même ouvrage. On lit en effet dans la traduction latine du xiie siècle que,
« pour enseigner et pour apprendre, nous avons nécessairement besoin des
mots » (in docendo et discendo necessario indigemus verbis)66 . Gundissalinus
s’inspire de cette phrase tout en introduisant une distinction, absente du
texte d’Ibn Sînâ, entre apprentissage et enseignement : la grammaire, qui ne
repose que sur les mots, permet seulement d’enseigner mais non d’apprendre
(quantum ad docendum, non quantum ad discendum) la philosophie, tandis
que celle-ci ne peut pas être enseignée autrement qu’avec des mots mais
pourrait être apprise, en principe du moins, par la seule pensée (sine verbis
philosophia potest sciri, sed non doceri)67 . Considérant qu’Ibn Sînâ a établi,
dans sa critique d’al-Fârâbî, l’indépendance théorique de la pensée et du
langage, Gundissalinus n’accepte pas l’espèce de concession à l’usage courant
effectuée par le philosophe iranien, qui finit par admettre que « parler
des mots qui accompagnent les pensées équivaut à parler des pensées qui
leur correspondent »68 , et il n’accepte pas non plus de réduire, comme
al-Fârâbî et Ibn Sînâ, la logique à une fonction purement instrumentale.
Il opère par conséquent cette distinction entre l’enseignement par le
langage (correspondant à la grammaire) et l’apprentissage par la pensée
(correspondant à la logique), afin de rendre compatible la position théorique
d’Ibn Sînâ avec la conception boécienne du statut de la logique, à la fois
69. Al-Fârâbî, Énumération des sciences, II, p. 67-69. Les huit parties de la logique répondent
aux huit parties de la science naturelle, qui renvoient elles aussi à une série d’ouvrages
d’Aristote (ou supposés tels) : 1° Physique, 2° Du ciel et du monde, 3° De la génération et
de la corruption, 4° Météorologiques I-III, 5° Météorologiques IV, 6° Des minéraux, 7° Des
plantes, 8° Des animaux / De l’âme (ibid., IV, p. 88-90).
70. « While all of the Islamic Aristotelians wrote commentaries on the Isagoge and utilized
its grouping of the predicables, not all were convinced of its utility as an introduction to
Aristotle » (D. L. Black, « Logic in Islamic Philosophy », p. 709).
71. Voir l’article de J.-B. Gourinat dans le présent volume.
72. « Et iste liber nominatur græce sumica, et est liber versuum » (Liber Alfarabii de scientiis,
p. 58).
73. Voir la note de F. Schupp, ibid., p. 195 (n. 80). La transformation de bûiûtiqa en sûmica
résulte en réalité d’une erreur de lecture, peut-être due à une corruption, du texte arabe ; je
remercie Silvia Di Donato de m’en avoir fait la démonstration.
74. Élias, In Aristotelis categorias commentaria, éd. A. Busse (Commentaria in Aristotelem
græca, XVIII, 1), Berlin, 1900, p. 116-117.
75. Aristote, Rhétorique, I, 2, 1355a, éd. et trad. M. Dufour, t. 1, Paris, 1938, p. 76.
76. « La rhétorique est l’analogue de la dialectique » (ibid., I, 1, 1354a, p. 71) ; « [. . .] la rhétorique
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elle dépend donc de la topique, puisque la topique est la partie de la logique qui
traite de la dialectique. Si l’on admet que la rhétorique dépend de la topique
et que la poétique dépend de la rhétorique, on peut les faire entrer toutes les
deux dans l’Organon. Il n’est pas étonnant qu’al-Fârâbî ait souscrit à une telle
extension du champ d’application de la logique, étant donné que selon lui cette
science porte, comme nous l’avons vu, sur « les intelligibles en tant que les
expressions les désignent » et sur « les expressions en tant qu’elles désignent les
intelligibles ». La logique au sens restreint du terme a pour objet l’expression
rationnelle des objets de pensée, la rhétorique leur expression sous une forme
persuasive, la poétique leur évocation imaginative.
Cette inclusion conduit al-Fârâbî à reformuler les règles de la rhétorique
et de la poétique en termes syllogistiques. Il distingue cinq espèces
de syllogismes — apodictique, conjectural, paralogique, persuasif et
imaginatif77 —, auxquels correspondent cinq arts qui « aident à employer
le syllogisme dans le dialogue » : l’art démonstratif, l’art dialectique, l’art
sophistique, l’art rhétorique et l’art poétique78 [voir les figures 2 et 3]. Les
« syllogismes » rhétorique et poétique sont des types de discours plus que
des types de raisonnement, dans la mesure où ils expriment des idées mais
n’ont aucune valeur de vérité, seul le syllogisme apodictique ayant une
force démonstrative. La forme caractéristique du syllogisme rhétorique est
l’enthymème, celle du syllogisme poétique est la métaphore.
On a beaucoup écrit ces derniers temps sur le syllogisme rhétorique et
le syllogisme poétique chez al-Fârâbî et dans le monde arabe en général79 .
Dans la tradition latine, c’est surtout au xvie siècle que l’analyse logique
du discours poétique sera systématiquement développée par le réformateur
de la pédagogie Petrus Ramus (Pierre de La Ramée, 1515-1572) dans ses
commentaires sur Virgile publiés en 1555-155680 . À la différence d’al-Fârâbî,
81. « Logos enim interpretatur ratio latine » (Liber Alpharabii de divisione omnium scientiarum,
p. 130).
82. « Philosophiæ tres partes esse dixerunt et maximi et plurimi auctores : moralem, naturalem,
rationalem » (Sénèque, Lettres à Lucilius, XIV, 89, 9, éd. F. Préchac, t. 4, Paris, 1962, p. 22).
83. « [. . .] artis ejus quam Græci logicen, nos rationalem possumus dicere [. . .] » (Boethius, In
Porphyrium dialogi, I, col. 12).
84. « [. . .] cum sint philosophiæ tres partes, moralis, naturalis et rationalis [. . .] » (Macrobe,
Commentaire au Songe de Scipion, II, 17, 15, éd. M. Armisen-Marchetti, t. 2, Paris, 2003,
p. 86).
AL-FÂRÂBÎ ET DOMINICUS GUNDISSALINUS 301
96. Al-Fârâbî, Énumération des sciences, II, p. 63 ; cf. Liber Alpharabii de divisione omnium
scientiarum, p. 132 : « Ea autem quibus scientia verificatur, quinque sunt, scilicet
demonstrativa, topica, sophistica, rhetorica, poetica. »
97. Al-Fârâbî, Énumération des sciences, II, p. 67 ; Liber Alpharabii de divisione omnium
scientiarum, p. 134 ; Liber Alfarabii de scientiis, p. 52.
98. Dominicus Gundissalinus, De divisione philosophiæ, p. 136.
99. H. Corbin, « La philosophie islamique des origines à la mort d’Averroès », dans Histoire
de la philosophie (Encyclopédie de la Pléiade), t. 1, Paris, 1969, p. 1048-1197 (p. 1103). Le mot
kalâm est traduit par « scolastique » dans la version française de l’Énumération des sciences
(trad. I. Mansour, p. 95). Je préfère le laisser en arabe.
100. Liber Alfarabii de scientiis, p. 124.
101. Liber Alpharabii de divisione omnium scientiarum, p. 186.
102. « Le mot arabe kalâm veut dire parole, discours ; le mot motakallim désigne celui qui
parle, l’orateur [. . .] » ; mais « le mot kalâm finit par désigner la théologie tout court,
et le mot motakallimûn (ceux qui s’occupent de la science du Kalâm, ’ilm al-Kalâm) les
“théologiens” » (H. Corbin, « La philosophie islamique des origines à la mort d’Averroès »,
p. 1103).
304 JEAN-MARC MANDOSIO
106. « Item civilis ratio dicitur scientia dicendi aliquid rationabiliter et faciendi, quod hæc
quidem ratio scientia civilis dicitur, cujus pars integralis et major rhetorica est. Nam
sapientia, id est rerum conceptio secundum earum naturam, et rhetorica civilem scientiam
componunt. Nisi enim quis sapiens et eloquens fuerit, civilem scientiam habere non
dicitur » (Dominicus Gundissalinus, De divisione philosophiæ, p. 142). Cf. Theodoricus
Carnotensis, Commentarius super rhetoricam Ciceronis, éd. K. M. Fredborg, p. 50.
La source de cette subdivision de la science politique est le commentaire de Marius
Victorinus sur le § I, 5 [6] du De inventione (Q. Fabii Laurentii Victorini explanationum
in rhetoricam M. Tullii Ciceronis libri duo, éd. C. Halm, Rhetores Latini minores, Leipzig,
1863, p. 171).
107. « Major vero pars civilis scientiæ dicitur rhetorica, quia magis operatur in civilibus causis
quam sapientia, etsi sine sapientia nihil prosit » (Dominicus Gundissalinus, De divisione
philosophiæ, p. 142). Cf. Theodoricus Carnotensis, Commentarius super rhetoricam
Ciceronis, p. 50.
108. « Genus hujus artis [poeticæ] est, quod ipsa est pars civilis scientiæ, quæ est pars eloquentiæ ;
non enim parum operatur in civilibus, quod delectat vel ædificat in scientia vel in moribus »
(Dominicus Gundissalinus, De divisione philosophiæ, p. 124).
109. Al-Fârâbî, Énumération des sciences, V, p. 99.
110. « Et in omni quidem secta sunt sententiæ et actiones. [. . .] Quapropter scientiæ legis sunt
duæ partes : pars in sententiis, et pars in actionibus » (Liber Alfarabii de scientiis, p. 122) ;
« In omni autem lege sunt sententiæ et operationes. [. . .] Quapropter scientiæ legum duæ
sunt partes : una in sententiis, alia in operationibus » (Liber Alpharabii de divisione omnium
scientiarum, p. 198).
306 JEAN-MARC MANDOSIO
5. Conclusion
113. « Diffinit autem Alpharabius eam sic : “Logica est scientia disserendi diligens”, id est
discernendi verum a falso » (Arnoul de Provence, Divisio scientiarum, éd. Cl. Lafleur,
Quatre introductions à la philosophie au XIIIe siècle, Montréal/Paris, 1988, p. 342). « Cette
définition, dans la présente formulation, se retrouve en réalité chez Boèce (In Cic. Top., PL
LXIV, col. 1045, passim), qui commente Cicéron (Topiques, II, 6), et, plus précisément, encore,
chez Gundisalvi (De div. [éd. L. Baur], p. 69, 14-15) » (Cl. Lafleur, ibid.).
114. « La confusion d’Arnoul est d’autant plus compréhensible qu’on trouve chez Gundisalvi,
toujours dans le même chapitre sur la logique, la division de la logique en huit parties
clairement attribuée à al-Fârâbî [. . .], division que cite Arnoul immédiatement après la
présente définition de la logique » (ibid.).
115. Voir M.-Th. d’Alverny et al., Avicenna Latinus : codices, p. 297-300 (texte n° 21).
116. Ibid., p. 308-310 (texte n° 7) ; A. Fidora et D. Werner, op. cit., p. 47. Une annotation de John
Dee, qui acheta le manuscrit en 1556, va dans le même sens : « Quod sit Alpharabii, vide
in fine totius hujus voluminis » (reproduction photographique de l’incipit et de l’explicit :
ibid., p. 270-271). Sur la date d’acquisition par Dee, voir M.-Th. d’Alverny et al., Avicenna
Latinus : codices, p. 310. Voir également (ibid., p. 206) le ms. d’Erfurt (Amplon. Q.295, xiiie
siècle, texte n° 2) : Liber Alforabii de divisione scientiarum.
308 JEAN-MARC MANDOSIO
grammatica
———————————————–
poetica
rhetorica
scientiæ eloquentiæ
(partes civilis scientiæ)
———————————————–
logica
(media inter eloquentiam et sapientiam)
scientia naturalis
philosophia theorica sive speculativa mathematica
scientia divina
medicina
(theorica et pratica)
scientia gubernandi civitatem
scientia legis
philosophia practica scientia regendi familiam propriam
artes fabriles sive mechanicæ
gubernatio sui ipsius