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Fichier sur les acteurs scolaires MADOC

Transformation du système scolaire et inégalités scolaire

Objectif : porter un regard socio historique sur les transformations du système scolaire et de
familiariser celles et ceux qui n’ont pas fait de sociologie avec la question des inégalités
scolaires

L’accession de tous les élèves à l’enseignement secondaire quelque soit leur origine sociale
= l’accession des classes populaires.

1) La lente unification du système scolaire du XXème siècle : suffit-il d’unifier


formellement les cursus pour démocratiser l'enseignement?

Le système éducatif est un terme que l’on trouve dans les textes préparatoires. Avant
ça, ce terme n’existait pas. Pendant très longtemps nous avons fonctionné sur un modèle de
la 3ème République. Au moment où les républicains vont mettre en œuvre un certain nombre
de réformes, il y a une vision qui existe du système d’enseignement que les républicains ont
en tête et que existe préalablement leur réforme. C’est la vision de Condorcet.

a) La conception pionnière de Condorcet (vision des Républicains) : un premier


degré d'enseignement pour tous
Son plan pour l’instruction public est présenté à l'Assemblée Nationale en 1792 va proposer
de réformer l’enseignement (extraits) :
- Une instruction profitable aux individus et à l’intérêt général
“Offrir à tous les individus de l’espèce humaine les moyens de pourvoir à leurs
besoins, d’assurer leur bien-être, de connaître et d’exercer leurs droits, d’entendre et de
remplir leurs devoirs; assurer à chacun d’eux la facilité de perfectionner son industrie, de se
rendre capable des fonctions sociales auxquelles il a droit d’être appelé, de développer toute
l’étendue des talents qu’il a reçus de la nature, et par là, établir entre les citoyens une
égalité de fait, et rendre réelle l’égalité politique reconnue par la loi. Tel doit être le premier
but d’une instruction nationale, et, sous ce point de vue, elle est pour la puissance publique
un devoir de justice.”

« La première condition de toute instruction étant de n'enseigner que des vérités, les
établissements que la puissance publique y consacre doivent être aussi indépendants qu'il est
possible de toute autorité politique ; et comme, néanmoins, cette indépendance ne peut être
absolue, il résulte du même principe, qu'il faut ne les rendre dépendants que de l'Assemblée
des représentants du peuple. Nous avons observé, enfin, que l'instruction ne devait pas
abandonner les individus au moment où ils sortent des écoles (…) et que cette seconde
instruction est d'autant plus nécessaire, que celle de l'enfance a été resserrée dans des
bornes plus étroites. C'est là même une des causes de l'ignorance où les classes pauvres de la
société sont aujourd'hui plongées. »
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- L’ignorance est une source majeure de d’inégalités à combattre

« Nous n'avons pas voulu qu'un seul homme dans l'Empire pût dire désormais : la loi
m'assurait une entière égalité de droits, mais on me refuse les moyens de les connaître. Je ne
dois dépendre que de la loi, mais mon ignorance me rend dépendant de tout ce qui
m'entoure. On m'a bien appris dans mon enfance que j'avais besoin de savoir ; mais forcé de
travailler pour vivre, ces premières notions se sont bientôt effacées ; et il ne m'en reste que la
douleur de sentir, dans mon ignorance, non la volonté de la nature, mais l'injustice de la
société. (…)

« Tant qu'il y aura des hommes qui n'obéiront pas à leur raison seule, qui recevront
leurs opinions d'une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auront été brisées (…) le
genre humain n'en resterait pas moins partagé en deux classes, celle des hommes qui
raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves. Ainsi,
l'instruction doit être universelle, c'est à dire s'étendre à tous les citoyens. Elle doit être
répartie avec toute l'égalité que permettent les limites nécessaires de la dépense, la
distribution des hommes sur le territoire, et le temps, plus ou moins long, que les enfants
peuvent y consacrer. »

Mais forcé de travailler pour vivre, ces premières notions se sont bientôt effacées, et il ne
m’en reste que la douleur de sentir, dans mon ignorance….
- Une première phase d’instruction pour tous dans les écoles privées
“On enseigne dans les écoles primaires ce qui est nécessaire à chaque individu pour
se conduire lui-même et jouir de la plénitude de ses droit pour rendre capables des fonctions
publiques les plus simples, auxquelles il est bon que tout citoyen puisse être appelé comme
celle de juré, d'officier municipal. (…) On enseignera dans ces écoles, à lire, à écrire, ce qui
suppose nécessairement quelques notions grammaticales; on y joindra les règles de
l'arithmétique, des méthodes simples de mesurer exactement un terrain, de toiser un édifice,
une description élémentaire des productions du pays, des procédés de l'agriculture et des
arts (…) ; on instruira le peuple des lois nouvelles, des observations d'agriculture, des
méthodes économiques qu'il lui importe de ne pas ignorer. On pourra lui montrer enfin l'art
de s'instruire par soi-même, comme à chercher des mots dans un dictionnaire, à se servir de
la table d'un livre à suivre sur une carte, sur un plan, sur un dessin, des narrations ou des
descriptions, des notes ou des extraits. Ces moyens d'apprendre, que dans une éducation plus
étendue on acquiert par la seule habitude, doivent être directement enseignés dans une
instruction bornée à un temps plus court, et à un petit nombre de leçons.”

Lorsque les républicains travaillent sur un plan de réforme de l’éducation, il y a déjà un plan
semblable qui a été créé par Condorcet des années auparavant :
- L’école primaire comme le premier degré de l’enseignement prévu pour tous (garçons
et filles)
- Un cursus qui peut contribuer à réduire progressivement les inégalités d’instruction et
de fortune héritées de l’ancien régime
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b) Une autre conception de l'école primaire prévaut au XIXème siècle

Sous la 3ème République : 2 systèmes/institutions qui vont être cloisonné et qui vont être
coexister en parallèle
- Pas un système mais des systèmes scolaires, des institutions séparées et cloisonnées
- D’un côté l’école primaire gratuite/ l’enseignement secondaire (avec son collège et
son lycée), payant : une répartition sociale des élèves.

“Il n’est aucune situation, aucune profession qui n’exigent certaines connaissances
sans lesquelles l’homme ne saurait travailler avec fruit, ni pour la société, ni pour lui-même.
Il y a donc un certain genre d’éducation et un certain degré d’instruction dont tous les sujets
de l’Etat ont besoin. c’est ce qu’on appelle l’instruction primaire. Elle doit comprendre les
préceptes de la religion et de la morale, les devoirs généraux des hommes en société, et ces
connaissances élémentaires qui sont devenues utiles et presque nécessaires dans toutes les
conditions, autant pour l’intérêt de l’Etat que pour celui des individus.”

Il est de même une certaine instruction dont ne sauraient se passer les hommes qui
sont destinés à avoir du loisir et de l’aisance, ou qui embrassent des professions libres d’un
ordre plus élevé, telles que le commerce, les lettres, etc. [...] C’est là l’objet de l’instruction
secondaire” (Guizot, ministre de l’instruction)

Études secondaires : il a ses propres classe “petit lycée”


La répartition des élèves se fait selon leur origine social
- gratuit : école primaire
- payante : secondaire (si on est particulièrement bon/ origine de bourgeoisie)
2 réseaux parallèles différents d'instruction, qui sont étanche: très différent ce que Condorcet
dit
L’enseignement secondaire et le primaire ne brasse pas le même type de population :
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1 à 10% scolarisé dans le secondaire

c) Les fonctions sociales de l’enseignement primaire

Il s’agit “non seulement d’instruire les jeunes gens mais encore de les former (..) tels que
l’Etat en a besoin pour sa stabilité et pour son bonheur” [GUIZOT]
- = fonction conservatrice des institutions éducatives qui sera théorisée par
DURKHEIM dans Educations et sociétés (1924)
- Dans la plupart des sociétés, l’éducation est faite pour préserver l'ordre social en
prédisposant chacun(e) à accepter la place prévue pour lui (ou elle) dans la société.
- Dimension républicaine : dégager le citoyen de ses affiliations traditionnelles

Bernard PUDAL “Si les républicains avaient en effet derrière eux un long passé de luttes
politiques pour la généralisation de l’enseignement primaire, ce passé était habité par la
hantise – qu’ils partageaient avec les conservateurs – du désordre politique qui risquait de
provoquer cet aiguisement des désirs que l’on imputait à l’accès au savoir.”

La fonction de l'enseignement primaire était une fonction conservatrice, l’éducation,


l'enseignement est fait pour préserver l’ordre social en prédisposant en acceptant la place
qu’il devait avoir dans la société. La conservation nous permet de comprendre pourquoi les
lois de la 3ème République ont permis des clivages sociaux et scolaires. Les républicains
malgré tout veulent éduquer le peuple mais il y avait quand même une très forte inquiétude
quant à ce que pouvait produire le savoir. Les républicains avaient en tête les savoirs
élémentaires ou pas et qu'il ne fallait pas trop enseigner le peuple.

Deux types d’arguments étaient classiquement opposés au développement universel de la


scolarisation prôné par Condorcet :
- celui des risques de désordre si l'instruction conduit à ne plus accepter le destin
probable lié à sa naissance (crainte souvent évoquée à propos des enfants de paysans
par ceux qui avaient des terres à cultiver)
- celui de la nature: les paysans sont faits pour les travaux des champs , les femmes sont
faits pour élever les enfants et s'occuper des tâches ménagères et pas pour les études

> Dans les deux cas, il s’agissait de justifier et perpétuer des inégalités de scolarisation tout
en masquant les intérêts en jeu. Mais avant les années 1950, ce sont aussi les familles pauvres
qui répugnent à envoyer leurs enfants à l'école plus de quelques années. (Cf. Chapoulie 2011
dans la bibliographie finale).

Qu’est-ce que la démocratisation ?


La “démocratisation” n’appartient pas au vocabulaire des républicains : l’école
républicaine n’a pas vocation à la mobilité sociale des individus, mais à leur émancipation.
Vigilance par rapport aux intellectuels qui en appellent, sous prétexte de
démocratisation, au retour aux fondements de l’école républicaine.
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L’école républicaine est marquée par un cloisonnement entre deux public d’élèves.
Mobilité sociale = mobilité géographique, être mobile ET émancipation sociale : intellectuel
sans avoir une mobilité, avoir une réflexivité, ne pas aller voter, ne pas être sous l’influence
de l’église.
2 institutions cloisonnées où les enfants se situent sans passerelle mais en réalité il y en a.

d) Progrès de la scolarisation et clivages sociaux maintenus entre cursus primaire et


secondaire sous la IIIème République

Le développement de la conscience de l’importance des pratiques éducatives dès le plus


jeune âge : des salles d’asile aux écoles maternelles

- Création des salles d’asile en France au 19ème s’inspire des infant school existant en
Angleterre
- Pauline KERGOMARD leur substitue le terme d’écoles maternelles : importance des
équipements et des pratiques qui doivent favoriser l’activité des enfants (pour
l’éveiller), avant modèle autoritaire dans les salles d’asile puis modèle éducatif
comme celui “d’une mère intelligente et dévouée” qui reconnaît l’enfant
individuellement. Rien n’est fait pour éveiller leur esprit (mauvaise hygiène…).
- Écoles maternelles conçues pour accueillir les enfants des deux sexes (seules écoles à
pratiquer la mixité longtemps refusée pour les autres niveaux d’enseignement)
- “L’emploi du temps comprend : des exercices physiques, des exercices sensoriels, des
exercices de langage et de récitation, des exercices d’initiation à la lecture, à
l’écriture, au calcul, pour les enfants de première section” (instructions de 1921
d’actualité jusqu’en 1977).

➔ Scolarisation accrue des filles perçues commes futures mères et éducatrices

=justifiée par leur futur rôle de mère et d’éducatrice et bien plus tardivement par leur accès à
des emplois qualifiés et par leur rôle de citoyenne (acquis seulement en 1945)
-En 1879, une loi oblige chaque département à tenir une école normale d’institutrices.
-En 1880, la loi Camille Sée crée les collèges de filles (qui eux aussi accueillent des élèves à
partir de six ans). Cet enseignement secondaire des filles mène à un brevet supérieur et non à
un baccalauréat qui ouvrirait la perspective d’études supérieures comme pour les garçons.
cette discimination ne sera supprimée qu’en 1924

➔ Les lois Ferry : des transformations importantes mais ajustées à l'ordre social
existantes mais ajustées à l’ordre social existant

En 1881: l’école primaire publique devient gratuite, l’enseignement secondaire reste payant.
En 1882, l’école devient obligatoire de 7 à 13 ans et laïque
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Dans beaucoup d’écoles primaires, les classes sont surchargées, pouvant dépasser les 80
élèves et ce, malgré les normes officielles : 60 élèves pour le cours élémentaire, 5à pour le
cours moyen.
Durant les années 1880-1900, seulement 20% des élèves obtiennent le certificat d’études
primaires qui est le diplôme final de l’école primaire.
La prolongation de la scolarité jusqu’à 13 ans est souvent perçue par les familles comme une
source de coûts supplémentaires et de manques à gagner importants à une époque où les
enfants peuvent travailler ou aider leurs parents très jeunes (dans le cas des paysans et des
artisans).
Obligation scolaire portée à 14 ans en 1936 = difficilement respectée par l’ensemble des
familles avant les années 1950. Par exemple, le tier des ouvrière n’a pas été scolarisé avant 13
ans à Paris

e) Des transformations “par le bas” observées durant la première moitié du XXème


siècle

Antoine PROST (historien), Histoire de l’enseignement en France, 1800-1967, Armand


COLLIN, 1968
En 1930, la scolarité secondaire devient gratuite à partir de la sixième (les petites classes y
restent payantes). Un examen d’entrée en 6ème est alors instauré pour ceux qui viennent du
primaire.
Jean ZAY, ministre de l'Education sous le Front Populaire, prolonge la scolarité jusqu’à 14
ans.
En 1937, un décret aménage les programmes des classes de 6ème, 5ème,4ème,3ème de façon
à ce que des passages soient possibles en 2nde de lycée après une classe de 3ème en École
Primaire Supérieurs ou en Cours complémentaire
=> Des mesures ponctuelles et locales réalisées en raison de préoccupations budgétaires
des établissements qui cherchent tantôt à réduire leur coût de fonctionnement, tantôt à
conserver les écoles ouvertes en période de décroissance démographique
=> Un processus d’unification sous la dominante du secondaire, réputé “excellent”.

f) Une demande accrue de scolarisation des familles à partir des années 1950

La croissance relève d’abord de l’institution scolaire, qui juge les chefs


d’établissement et les responsables en fonction de cet indicateur (taux de scolarisation)
jusqu’au milieu du XXème siècle.
A la fin des années 1950, les inspecteurs d’académie se mobilisent pour augmenter la
proportion d’élèves qui entrent en sixième.
- L’idée d’une articulation entre l’enseignement et les débouchés professionnels.
- Facteurs politiques : la question de l’élargissement de l’accès à l’éducation devient
une préoccupation centrale pour l’Etat, et si le souci de démocratisation et de justice
sociale n’est pas totalement absent, les enjeux économiques sont ici prioritaires
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➔ Vers le collège unique


Accélération de l’unification d’où :
- La réforme Berthoin 1959
Réforme qui prolonge la scolarité obligatoire des élèves de 14 à 16 ans. Les cours
complémentaires (ce qui était le prolongement de l’école primaire) sont transformés en
collèges d’enseignement général (CEG) : il coexiste les CEG et les 1er cycles des lycées (=
collèges du secondaire, qu'on appelait “petits lycées” (CES)). Cette réforme met aussi en
place un cycle d’observation de 2 ans (6ème et 5ème) dans le but d’orienter les élèves à la fin
de ce cycle vers l’enseignement qui leur convient le mieux en fonction de leur mérite et non
plus en fonction de leur origine sociale (une filière générale, longue ou courte et une filière
technique longue ou courte). Les effectifs du CEG augmentent considérablement : on passe
de 474 500 élèves en 1959-1960 à 789 300 en 1963-1964. A partir des années 1960 :
Première explosion scolaire : généralisation à l’école secondaire

- La réforme Fouchet Capelle de 1963


La réforme de 59 échoue sur un point essentiel : l’orientation. Le cycle d’observation qui
avait été mis en place en 6è et 5è n’entraîne aucune redistribution des élèves qui continuent
leur scolarité obligatoire dans le type d’établissement où ils avaient commencé (soit en CEG
soit dans les premiers cycles des lycées) : Fouchet va prolonger la procédure d’orientation
jusqu’à la fin de 3è.

Les 1ers cycles des lycées (« petits lycées ») sont transformés en Collèges d’enseignement
secondaire (CES) : coexistent ainsi les CEG et les CES : tous les élèves vont désormais au
collège : pas le même collège, mais dans un type d’établissement qui s’appelle collège.

- La réforme Haby 1975


Tous les élèves vont désormais au collège : pas le même collège Haby supprime la distinction
CES et CEG : c’est la réforme dite du collège unique. La répartition des classes s’effectue
désormais sans distinction, l'hétérogénéité des classes est établie (en tous cas formellement).
Même établissement, mêmes programmes, les élèves suivent formellement la même scolarité
jusqu’à la 3ème.

- La loi d’orientation de 1989 (loi Jospin)


Elle formalise les “80% au niveau bac pour l’an 2000”, elle met l’enfant au coeur du système
et introduit de nombreux changements pour l’école primaire : les cycles à l’école primaire,
associés à l’idée de différenciation pédagogique, les projets d’école qui sont rendus
obligatoire, des évaluations sont mises en place, les parents sont considérés comme membre
de la communauté éducative.
Contexte de “seconde explosion scolaire”.
Suppression des paliers en fin de 5ème qui conduisait à l’orientation d’un quart des jeunes
vers des voies professionnelles.
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Objectif des 80% d’une classe d’âge au BAC et 100% d’une classe d’âge au niveau du
CAP/BEP.
Dans ce prolongement, la proportion des bacheliers croît de 36% en 1985 à 62 % en 1995.
Cette hausse spectaculaire est notamment rendue possible par la filière technologique et le
baccalauréat professionnel.

2) L’apparition et la compréhension des inégalités scolaires

Une enquête pionnière INED Enquête nationale sur l’entrée en sixième et la démocratisation
de l’enseignement 1962 (Bastide, Clerc, Girard) :
- Un panel de plus de 17000 élèves, représentatif des inscrits en classe de CM2 ou en
7e en 1961-1962 a été suivi jusqu’à leur fin de scolarité (notes, redoublement,
orientation )

a) L’influence prédominante du milieu social sur la réussite scolaire : revenue ou


diplôme ?

- = “à diplôme égal, le revenu n’influe pas sur la réussite scolaire” (“à diplôme égal,
le pourcentage de bons élèves ne varie pas quand le revenu passe de 700 à 2300 francs
par mois”)
- En revanche, à revenu égal, la réussite scolaire des enfants varie selon le diplôme des
parents (par exemple, “pour un revenu de 1700 francs, le pourcentage de bons élèves
passe de 42% à 68% selon que le père n’a pas de diplôme ou est bachelier”)
- Il conclut alors que “l’action du milieu familial sur la réussite scolaire semble
presque exclusivement culturelle”. Les ressources scolaires/ culturelles priment
sur les ressources financières. C’est le diplôme qui est prédominant.

b) Inégalités de réussite et inégalité d'orientation

“La non démocratisation, ou plus précisément l’inégalité dans l’accès de la classe de 6ème se
manifeste de deux façons bien différentes” :
- Notes en moyenne meilleures pour les enfants de classes sociales aisées ou, plus
exactement, pour les enfants dont les parents ont un niveau culturel élevé
- Même à notes égales, inégalité de chances d’accéder à la classe 6ème,
particulièrement au lycée

Conclusion : “Sans une bonne connaissance de ces deux phénomènes foncièrement


différents, les efforts en vue de la démocratisation risquent de manquer d’efficacité, puisque
les correctifs appropriés sont très différents dans les deux cas.” (Girard, bastide & Pourcher,
1963, p.48, repris dans INED, 1970, p.90).

Raymond Boudon, L’inégalité des chances, 1973


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Il explique les inégalités d’orientation à notes égales par l’influence de facteurs économiques
limitant l’investissement dans des études longues à l’issus incertaine (inégale prudence) ou
les bénéfices espérés (les diplômes ne suffisent pas pour certaines carrières)
La conclusion principale est que “les individus se comportent de manière à choisir la
combinaison coût-risque-bénéfice la plus utile” (Boudon, 1973).

Les individus vont se comporter de façon rationnel, les inégalités dépendent des auto
élimination des classes populaires.

c) Bourdieu et Passeron (sociologues qui ont produit plusieurs ouvrages dans les
années 60 Les héritiers et La reproduction)

Une critique de “l’idéologie de l’école libératrice” cad la croyance selon laquelle l’école, en
offrant à chacun la possibilité de réussir selon ses mérites, était en mesure de compenser les
inégalités d’origine sociale, celles qui tiennent au milieu dans lequel évoluent les enfants.

Le terme “reproduction” exprime l’idée qu’il existe une reproduction sociale comme il existe
une reproduction biologique, une hérédité spécifiquement sociale qui se fonde sur les
inégalités de capital culturel, lesquelles sont déterminantes dans la réussite scolaire.

Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, ont mis en évidence, par-delà l’influence des
inégalités économiques, le rôle de l’héritage culturel, “capital subtil fait de savoirs, de
savoir-faire et de savoir-dire, que les enfants des classes favorisées doivent à leur milieu
familial répugnent à la percevoir comme un produit social”.

Au-delà de l’influence des facteurs économiques, c’est le rôle de l’héritage économique.


Héritage culturelle : c’est ce qu’ils vont théorisée par le capital culturel

Pour expliquer les inégalités de réussite scolaire, les enseignements font référence au don
(celui-ci constitue une idéologie qui "transforme le privilège en mérite” ce qui veut dire que
l’école transforme en valeur scolaire des différences de réussite scolaire liées aux
ressources sociales) :
- Pas de différences d'aptitudes, une “inégale distance à l’école et à la culture scolaire”
- Les chances objectives deviennent des perceptions subjectives de l’école qui sont au
principe des stratégies scolaires des individus. Les défavorisés s’auto éliminent, les
héritiers s’auto-consacrent.

« Dans tout ce qui définit la relation qu’un groupe d’étudiants entretient avec ses études,
s’exprime le rapport fondamental que sa classe entretient avec la société globale, la réussite
sociale et la culture »
• Les liens de chaque élève à l’école reproduisent le rapport de sa classe sociale au monde
social. Autrement dit, la hiérarchie scolaire est la hiérarchie sociale.
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Le capital culturel : comment ça marche?

L’idée est forte:


“Chaque famille transmet à ses enfants, par des voies indirectes plutôt que directes,
un certain capital culturel et un certain ethos, système de valeurs implicites et profondément
intériorisées, qui contribue à définir entre autres choses les attitudes à l'égard du capital
culturel et à l’égard de l’institution scolaire”

- Ce travail d’incorporation ne produit pas uniquement des savoirs, il produit aussi des
attitudes, des dispositions (au calme, à la concentration, à la persévérance, par
exemple), bref, il participe à transformer dans l’espace familial l’enfant en élève
(élève ajusté). Importance de la maîtrise du langage, déterminant le jugement des
enseignants.
- Parce qu’il est plus gratifiant et qu’il donne objectivement moins de travail aux
enseignants, cet élève idéal (dont Bernard LAHIRE donne une description dans son
livre Tableaux de famille) sera presque inévitablement reconnu en tant que tel par les
enseignants et crédité d’un préjugé favorable qui participe à la construction d’une
représentation positive de l’enfant en, tant qu’élève.

capital culturel : patrimoine culturelle transmis par la famille va passer par notre corps
(travail d’incorporation)

Bernard Lahire : « tout le travail éducatif réalisé en tant que tel peut être dénié en tant que
tel (sont alors soulignés les aspects ludiques ou affectifs des moments passés ensemble).
Toutefois, le travail éducatif objectivement réalisé montre bien que l’héritage du capital
culturel ne s’opère jamais naturellement, y compris dans les familles les mieux pourvues. Il
est frappant de constater combien la transmission de ce capital obéit à un travail incessant,
quotidien, de longue haleine, et parfois douloureux pour les enfants autant que pour leurs
parents (…) On peut se demander si l’attitude dilettante parfois décrite en sociologie de
l’éducation ou en sociologie de la culture n’est pas une illusion d’optique, le sociologue
partageant alors l’illusion que les acteurs veulent donner, mais aussi et surtout, se donner à
eux-mêmes. En fait, il suffit d’objectiver, c’est-à-dire de décrire avec précision et
systématicité certaines situations quotidiennes, pour faire apparaître le travail éducatif
caché, voir la discipline souterraine nécessaire pour avoir des enfants très performants
scolairement » (Lahire, 2008, 140).

Sandrine Garcia (Le goût de l’effort, PUF, 2018) : prise en charge par les parents (mais pas
toujours assumé) de tout un ensemble de dimensions pédagogiques non prises en charge par
l’école. Elle montre un véritable enveloppement didactique réalisé dans les familles à fort
capital culturel :
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• --> Des pratiques de pédagogisation de la vie quotidienne (apprendre les fractions en faisant
des gâteaux).
• -> des pratiques visant à automatiser des compétences (orthographe, tables de
multiplication).
• -> des pratiques consistant à compléter ce que fait l’école en restant dans le cadre institué
par l’école. Des méthodes de travail (apprendre à lire un document, à hiérarchiser les
informations, qu’est-ce qui est important, qu’est-ce qui ne l’est pas…)
• -> des pratiques d’accompagnement renforcé aux moments jugés stratégiques de la scolarité
(CP, CE1) avec relâchement progressif au cours de l’avancée dans la scolarité => autonomie
conçue comme un apprentissage et non pas comme une qualité intrinsèque.

pédagogisation de vie familiale : pédagogiser de la vie quotidienne/ pratique qui vise à


automatiser des apprentissages

Bourdieu et Passeron, Les héritiers, 1964 : mettre en place une « pédagogie rationnelle »

• « En l’état actuel de la société et des traditions pédagogiques, la transmission des


techniques et des habitudes de pensée exigées par l’École revient primordialement au milieu
familial. Toute démocratisation réelle suppose donc qu’on les enseigne là où les plus
défavorisés peuvent les acquérir, c’est-à-dire à l’École ; que l’on élargisse le domaine de ce
qui peut être rationnellement et techniquement acquis par un apprentissage méthodique. (...).
Une pédagogie réellement rationnelle devrait se fonder sur l’analyse des coûts relatifs des
différentes formes d’enseignement (cours, travaux pratiques, séminaires, groupes de travail)
et des divers types d’action pédagogique du professeur (...). En toute hypothèse, elle est
subordonnée à la connaissance que l’on se donnera de l’inégalité culturelle socialement
conditionnée et à la décision de la réduire. » (Bourdieu et Passeron 1964, p. 111-112).

• = une pédagogie qui « s’organiserait méthodiquement par référence à la fin explicite de


donner à tous les moyens d’acquérir ce qui n’est donné, sous l’apparence du don naturel,
qu’aux enfants de la classe cultivée ».

P. Bressoux : L’enseignement explicite : de quoi s’agit-il, pourquoi ça marche et dans quelles


conditions — Conseil Scientifique de l’Education Nationale, juin 2022.

• Ce qu’il faut retenir:


— Dans l’enseignement explicite, l’enseignant joue un rôle important pour structurer
l’activité, guider les élèves, les solliciter et les questionner, leur donner des feed-back
appropriés et ainsi favoriser un apprentissage actif des élèves.
— L’enseignement explicite est fortement structuré et opère du simple au complexe.
L’enseignant vise à rendre explicite l’objectif d’apprentissage ainsi que sa démarche
d’appropriation en identifiant quelles sont les différentes habiletés impliquées. Celles qui ne
sont pas maîtrisées font l’objet d’un enseignement spécifique.
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— Dans les tâches complexes (faiblement structurées), qu’il est impossible de décomposer en
une somme d’habiletés clairement identifiées, l’enseignant fournit explicitement des
stratégies qui aident les élèves dans leur réalisation.
— L’efficacité de l’enseignement explicite a été montrée par de nombreuses recherches
scientifiques. Dans le cas de l’apprentissage d’une nouvelle notion, l’enseignement explicite
bénéficie généralement à tous les élèves (y compris aux élèves forts). Les élèves faibles ou
défavorisés semblent bénéficier tout particulièrement de cet enseignement.
— Les avantages d’un enseignement explicite sont moins clairs lorsque les élèves ont atteint
un bon niveau de maîtrise de l’objet d’apprentissage dont ils sont déjà des « experts ».
— Les contenus disciplinaires ne sont pas les seuls susceptibles de faire l’objet d’un
enseignement explicite. Il est aussi important d’enseigner aux élèves de manière spécifique et
explicite comment apprendre, comment gérer leurs propres apprentissages, ce qui peut
favoriser leur métacognition et leur autorégulation.

le système scolaire repose sur des dispositif implicite


les enseignants doivent expliciter les notions implicite, ils doivent vendre la mèche

3) Des inégalités scolaires dans la classe : attention aux dispositifs

• Un seul exemple parmi d’autres, nombreux qui participent à rendre implicite les enjeux
d’apprentissage => L’usage du jeu (des « ruses pédagogiques ») pour masquer ou éviter aux
élèves des aspects que l’on considère les plus rébarbatifs

• =confusion entre le fait que les élèves s’intéressent à une tâche et l’efficacité en termes
d’apprentissage du dispositif.

• Goigoix et Cébe : « Bien qu’Anderson et al. (1987) aient montré qu’une information
attractive n’améliore pas le traitement de l’information qui la précède ou qui lui succède, les
enseignants et les auteurs de manuels déploient des trésors d’ingéniosité pour enjoliver les
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situations d’enseignement, les rendre le plus colorées et animées possible, en sacrifiant à la


« ruse pédagogique ». Tout se passe comme si l’apprentissage, plus souvent synonyme
d’ennui que de plaisir, devait se faire à l’insu des élèves. Il semble que pour nombre d’entre
eux, l’origine de la motivation ne se trouve pas dans la nature de l’apprentissage mais dans
le matériel ou les contenus à traiter ».

Une enquête: Elisabeth Bautier et Roland Goigoux


• Utilisation de l’univers animalier d’un album étudié précédemment.
• construit sa séance d’étude du code graphophonologique en la présentant ainsi : « tous les
animaux du village veulent aller chez la poule // pourquoi ? // pour faire la soupe aux cailloux
/ mais le loup a peur qu’il y ait trop de monde / le loup ne veut pas tout le monde / il va
choisir les animaux qu’il va laisser rentrer // chez la poule ».

• Un élève l’interrompt : « ça devrait être la poule qui choisirait parce que c’est la maison de
la poule ». La maîtresse acquiesce : « oui mais c’est le loup qui décide aujourd’hui // vous me
proposez des animaux qui viennent frapper chez la poule et moi je fais le loup // et je dis si je
le veux ou si je ne le veux pas ».

• Les enfants proposent alors des noms d’animaux que la maitresse accepte ou rejette en
grondant comme si elle était le loup. Après avoir laissé fuser les premières propositions
(tigre, éléphant, lézard, biche, cochon, coq, anaconda géant, serpent, rhinocéros, canard, coq,
dinosaure, etc.), elle accepte « les poussins ». « Parce que c’est petit » commente un élève.

• La maitresse précise alors sa consigne : « on s’arrête // si vous n’écoutez pas le nom des
animaux vous n’allez pas comprendre comment le loup les choisit. Ecoutez bien, je crois
qu’il faut bien écouter. »

• Après de nouveaux échecs puis un second succès (« souris »), un élève propose « rat ».

• Après 5 minutes de cette recherche au cours de laquelle le loup accepte « souris, poussin,
ours, loup, poule et mouton » et rejette une trentaine d’autres propositions, la maitresse répète
les noms retenus en accentuant le phonème [u] (c’est-à-dire en le prolongeant et en
augmentant son niveau sonore)

• Puis en le faisant accentuer par tous les élèves.

• Elle incite l’un d’entre eux, qui a découvert la règle de tri, à la formuler publiquement. Elle
la reformule puis suggère de continuer le jeu « en ne proposant que des animaux où on entend
[u]

• Elle invite ensuite un élève à prendre sa place pour valider ou invalider les propositions de
ses camarades (il prend le rôle du loup). => Une majorité d’élèves respecte la consigne mais
six ou sept d’entre eux, les moins performants dans l’apprentissage de la lecture, continuent
Fichier sur les acteurs scolaires MADOC

de proposer des réponses erronées (chien, renard) par association sémantique : après
l’acceptation de « pou », par exemple, un élève propose « puce ».

• La maîtresse fait alors de nouveau référence à la règle phonologique pour inciter l’enfant à
corriger sa proposition.

• « Rien n’est plus dangereux que l’implicite en matière scolaire. Quand une discipline
prétend s’abstraire des règles communes, quand elle dissimule ses procédures, ceux qui en
déjouent le mieux ses pièges ont mis à profit ses acquisitions extrascolaires » (Lahire).

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