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LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
EST-ELLE
MULTICULTURALISTE ?
JEAN-SERGE ELOI
Jean-Serge ELOI CERCLE CONDORCET 1
INTRODUCTION
Au sens courant du terme, on entend par culture l’ensemble des connaissances ac-
quises par un individu. Elles lui permettent d’aiguiser son sens critique ou sa ca-
pacité de jugement. Ces connaissances peuvent être d’ordre littéraire, artistique ou
scientifique par exemple et elles caractérisent l’homme cultivé, l’honnête homme
du siècle des lumières. L’homme cultivé s’oppose ainsi à l’inculte. C’est la culture
savante qui désigne les savoirs « supérieurs » et les dispositions esthétiques de
personnes à haut niveau d’instruction. Cette culture socialement valorisée est à op-
poser à la « culture de masse » et aux divertissements dits « populaires ». La notion
prend un sens normatif, certains « ont de la culture », d’autres pas.
Au début du XXe siècle, une autre définition de la culture va s’imposer. Au sens
sociologique, la culture comprend l’ensemble des valeurs, des normes et des pra-
tiques acquises et partagées par les membres d’une société. Les valeurs sont des
idéaux auxquels les membres d’une société adhèrent et qui se manifestent concrè-
tement dans leurs manières de penser, de sentir, d’agir. Quant aux normes, il s’agit
de règles de conduite de la vie en société, auxquels les individus sont censés se
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conformer. Cette définition rejoint celle, plus large, de l’anthropologie pour la-
quelle la culture apparaît comme tout ce qui dans le milieu est dû à l’homme. Cette
définition inclut donc les outils, les connaissances, l’architecture, les relations so-
ciales et familiales. Dans ces conditions, une modeste casserole comme une sonate
de Beethoven sont des œuvres de la culture.
On entendra ici par culture les manières de faire, de sentir, de penser propres à une
collectivité humaine.
Seuil, 2016.
13 - « Le regard des Français sur la religion musulmane », Institut Montaigne, BLOG
Avril 2013.
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utilise pas contre la société qui les lui accorde. On ne peut séparer la re-
connaissance des droits culturels de la minorité par l’acceptation par elle,
en retour, des lois que la majorité a adoptées. La loi de la République doit
rester supérieure à la loi religieuse. On ne peut bénéficier de la gratuité de
l’hôpital public et se soustraire à son mode de fonctionnement en refusant
d’être examiné par, selon les cas, un homme médecin ou une femme mé-
decin.14
Il est arbitraire de refuser que les mosquées aient des minarets alors
que les églises ont des clochers. La liberté religieuse suppose qu’un indi-
vidu a le droit d’appartenir à la confession de son choix, mais qu’il a aussi
le droit tout aussi impérieux d’en changer ou d’épouser quelqu’un d’une
autre confession. Il a aussi le droit de ne pas avoir de religion. Si la diver-
sité des mœurs entre en conflit avec l’universalisme des droits c’est ce der-
nier qui doit l’emporter. Par exemple une société qui accepte des signes
d’appartenance culturelle a le droit de désigner les lieux où ces signes ne
doivent pas apparaitre. C’est le sens de l’interdiction du voile à l’école. Le
port du voile est autorisé, mais la République française a considéré que
l’école publique gratuite, laïque et obligatoire devait être l’un de ces lieux
« qui place la citoyenneté commune au-dessus des différences entre com-
munautés ethniques [et] religieuses ».15
De plus, le port du foulard dans les établissements scolaires publics
mettrait sous pression les jeunes filles musulmanes qui refuseraient cette
tenue vestimentaire. Si le port du voile était autorisé celles qui ne le por-
tent pas seraient des « mauvaises musulmanes », des « putains » ayant à
subir des insultes voire des violences physiques. Ce sont des témoignages
remontant du terrain qui emportèrent la conviction des membres de la
Commission Stasi en majorité opposée à l’interdiction.16
Le problème relatif à la burka, voile intégral qui masque le visage de
celle qui la porte, semble quelque peu différent car, dans l’espace public,
nul ne peut masquer son visage. Il ne serait pas plus admissible de porter
une cagoule. L’interdiction ne se fait pas au nom de la laïcité, mais de
l’ordre public et de la sécurité.
Les enfants juifs ou musulmans ne mangent pas de porc par tradition
religieuse. Certains sont prêts, au nom de la laïcité, à forcer ces enfants à
ne pas déjeuner ou alors à leur promettre une double ration de frites.17
D’un autre côté, d’aucuns seraient enclins à mettre tous les enfants aux
menus « halal/casher ». Ces deux positions ne paraissent pas tenables. 80
14 - Alain Touraine, La fin des sociétés, Paris, Seuil, 2013.
15 - Ibid
16 - La Commission présidée par Bernard Stasi, ancien ministre, était chargée de réflé-
chir à l’application du principe de laïcité dans la République. Elle s’est réunie de juillet
à décembre 2003.
17 - Nicolas Sarkozy a fait cette proposition dans un meeting des primaires de la droite
et du centre.
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CONCLUSION
mard, 2016.
20 - Caroline Fourest, Génie de la laïcité, Paris, Grasset, 2016.
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fondé par la citoyenneté et l’égalité des droits. Cependant, les idées multi-
culturelles ne seraient pas autant étrangères à la France qu’on veut bien le
dire. Les différentes pratiques de lutte contre les discriminations et de dis-
crimination positive ne sont-elles pas là pour le prouver ? Le défi de la
prise en compte du caractère multiculturel de notre société doit chercher
in fine, à résoudre la contradiction : comment vivre « égaux mais diffé-
rents » ?
BIBLIOGRAPHIE