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Sujet 

: « Dans le village planétaires les cultures nationales ont-


elles un avenir ? »

"Toute culture qui s'universalise perd sa singularité et se meurt ». Cette


citation de Baudrillard, dans le Paroxysme indifférent (1997) montre bien
l’inquiétude souvent formulée à l’égard des cultures qui aurait de plus en
plus tendance à s’uniformiser. Ce constat est mis en corrélation avec le
développement continuel de la globalisation, qui transforme
effectivement l’environnement culturel puisqu’on parle désormais de
village planétaire pour évoquer la scène internationale. Aussi dans un
village n’y -t-il qu’une culture ?
C’est dans ce cadre qu’il est légitime de se demander si, dans le village
planétaire, les cultures nationales ont un avenir.

La culture est un mot polysémique, mais quand le terme est utilisé au


pluriel on aura tendance à privilégier la définition qui énonce que « dans
son sens le plus large, [elle] est considérée comme l'ensemble des traits
distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui
caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les
arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être
humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances»
(Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, UNESCO, 1982).
Chaque culture désigne ainsi un « complexe qui comprend […] les
habitudes acquises par l’homme en tant que membre d’une société »
(The Primitive Culture, Edward Burnett Tylor, 1871).
La culture a à la fois comme fonction et comme essence l’appartenance
d'un individu à une civilisation. Elle est à la fois un héritage, fruit d’une
histoire passée, et un processus inter-relationnel basé dans le présent.
De cette manière le lien entre la culture et la temporalité est fort,
puisqu’elle amenée à être transmise aux futures générations.
Traditionnellement l’étude des cultures a porté sur l’analyse de
processus et d’acteurs sociaux en considérant les frontières nationales
comme étant l’échelle géographique de l’analyse, c’est à dire que l’étude
portait sur les différentes cultures nationales, une à une ou dans leurs
échanges.
Toutefois l’intensification des relations, et de l’ensemble des flux à
l’échelle planétaire, ajoutée à la crise de légitimité de l’Etat vient remettre
en cause la pertinence de cette méthode analytique.
En effet, depuis le développement des médias les informations se
diffusent avec une facilité et une rapidité déconcertante, permettant aux
individus de découvrir, participer, à des évènements et pratiques

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culturelles différentes de la leur et de celle de leur « nation ». Les médias
sont les principaux vecteurs d’une mondialisation culturelle, qui affaiblit
l’influence de l’Etat dans ce domaine.
Le sujet proposé nous invite à réfléchir sur la pérennité des cultures
nationales dans le contexte d’un village planétaire. Il nous faut
questionner l’expression de village planétaire qui, selon les auteurs, peut
revêtir différentes interprétations. S’agit-il d’un village au sens où les
distances entre les diverses cultures individuelles sont raccourcies, ou
plutôt un village dans un sens qui impliquerait la familiarité voire
l’homogénéité des moeurs ?
La notion d’avenir est, elle aussi, intrinsèquement ambiguë, puisqu’il
nous faudra différencier entre un avenir au statu quo, et la possibilité de
voir se concrétiser de profonds changements culturels dans le futur.
Si le sujet se focalise sur les cultures nationales, c’est qu’il existe un lien
fort entre la culture d’une nation et l’Etat au sens du gouvernement. En
effet l’Etat peut influer sur la culture au travers de politiques culturelles,
mais aussi à travers la reconnaissance de telle ou telle culture comme
étant une culture dite nationale. La culture, elle, influence sur le pouvoir
étatique, car qui se reconnait appartenir à la culture nationale se
reconnait sociologiquement être un citoyen de l’Etat, renforçant ainsi le
sentiment d’identité nationale. Dès lors l’enjeu majeur se trouve être le
sentiment grandissant des populations d’appartenir à un système plus
large, c’est à dire être des citoyens du monde, ou à l’inverse plus infime,
à l’échelle locale, en zappant l’échelon national.
Dès lors, les cultures sont elles réellement vouées à s’homogénéiser ?
Les pouvoirs étatiques conservent-ils une influence sur l’évolution des
cultures et leur diversité ?

Nous verrons tout d’abord dans quelle mesure les cultures nationales
connaissent effectivement une convergence malgré des réticences
étatiques, avant de voir qu’il existe des contradictions à ce phénomène,
la mondialisation pouvant avoir des conséquences antagoniques dans
lesquelles l’Etat joue un rôle actif par le biais de l’usage qu’il fait de ladite
culture.

Le rapprochement des cultures nationales est un phénomène fortement


décrié.
        Cette uniformisation paraît être une conséquence du
développement des médias.
                En effet ces derniers, en mettant en contact les cultures du
monde, favorisent l’acculturation.

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Le contexte de la mondialisation a pour effet une intensification de tous
les flux, aussi bien économiques que humains et culturels. A travers ces
échanges les individus et plus largement les groupes culturels sont mis
au contact d’autres cultures et se produit alors une homogénéisation au
travers de la standardisation et de la commercialisation. En effet le
développement économique va homogénéiser pour sa part les biens et
services consommés sous l’effet du développement des firmes
transnationales, tandis que le développement des médias favorise la
diffusion des mêmes informations à travers le globe. Dans une moindre
mesure, mais non négligeable, certaines instances internationales,
notamment les Nations Unies, essaient de développer des valeurs
humaines universelles avec les droits et libertés fondamentales de
l’Homme. Les progrès de la mobilité humaine participent également de
ce phénomène.
Ainsi le contact continu des cultures par le biais des éléments évoqués
ci-dessus favoriserait un processus d’acculturation, décrit par Redfield et
Linton comme « l’ensemble des phénomènes résultant du contact direct
et continu entre des groupes d’individus de cultures différentes, avec des
changements subséquents dans les types de cultures originales de l’un
ou des deux groupes.»
Ce phénomène, utilisé péjorativement pour décrire l’impérialisme colonial
et la façon dont les occidentaux ont imposé leur culture, peut être
actualisé avec l’expansion de l’americain way of life caractérisée par un
mode de consommation abondant et une facilité de vie. La diffusion de
séries américaine et de publicités des grands groupes sont le vecteur de
cette expansion culturelle.
Par exemple dès la Libération, l’accord Blum-Byrnes (1946) permet la
projection de films américains dans les cinémas français, ce qui
accentue d’autant plus le soft power et la diffusion des biens et du mode
de vie américain.
Mais dans une autre mesure le phénomène d’acculturation est présent
autours de chaque culture, et peut être illustré avec les emprunts
linguistiques (nombreux entre l’arabe et le français).
Il en résulte que toute coexistence ou cohabitation entre deux cultures se
traduit par une épreuve de force qui transforme la culture faible en ce
qu’elle s’imprègne plus ou moins des traits distinctifs de la culture forte.
Finalement la culture nationale d’un pays tend à se diffuser aujourd’hui
par la commercialisation de ses biens culturels, qu’il s’agisse de
l’audiovisuel, ou des biens et services représentant un certain mode de
vie ou de pensée. Le cas extrême d’acculturation serait une assimilation,
dont la conséquence est la disparition totale de la culture la plus faible.
        Le développement des médias comporte également le risque de
développement d’une nouvelle culture médiatisée globale.

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Des auteurs mettaient déjà en avant les dangers des mass médias sur
les individus. Adorno et Horkheimer ont critiqué de manière violente
l’industrie culturelle et le rationalisme des Lumières, qui, selon leur thèse,
constituerait un instrument de domination. Pour ces auteurs de l’école de
Francfort les médias rendent les consommateurs passifs et le ôtent toute
capacité de réflexion critique chez les individus qui deviennent des
machines à absorber la portion de réalité que les chaines de production
ont choisi de montrer. L’industrie culturelle est donc détentrice d’un
pouvoir immense dans l’évolution des individus et donc de leur culture,
puisqu’elle rendrait ainsi les individus homogènes. Ainsi la culture de
masse dessert l’homme pensant des Lumières, et produit même une
régression historique en visant l’uniformité des modes de pensées et des
modes de vie des individus. L’annihilation des capacités critiques des
individus se fait en quelque sorte en échange d’une allégeance à la
culture dominante, celle de l’industrie culturelle, elle-même dominée par
les cultures les plus diffusées.
Au delà de faciliter la capacité de propagation d’une culture, la sphère
médiatique globalisée constitue un espace virtuel culturel qui dépasse
celui des Etats. Il s’agirait de l’émergence d’une nouvelle culture, une
hyperculture globalisante (Jean Tardif, Joëlle Farchy, Les enjeux de la
mondialisation culturelle, 2006), qui n’aurait pas de temporalité ni de
territoire, et serait en constante recomposition.
Pour les auteurs Adorno et Horkheimer cette nouvelle culture perpétrée
par les médias serait régressive.
Toutefois les mêmes inquiétudes avaient pu être formulée, mutatis
mutandis, lors de l’apparition de l’imprimerie, qui permettait à un public
bien plus large que les seules élites d’accéder à des lectures sans pour
autant vraiment comprendre la portée de ce qu’ils lisaient. La possibilité
d’une diffusion à grande échelle des idées mais aussi des contestations
avait inquiété le pouvoir public. C’est d’ailleurs pour cette raison que
Françoisn Ier ordonne en 1537 un dépôt légal de chaque imprimeur d’un
exemplaire de l’ouvrage imprimé à la bibliothèque royale. Cela nous
permet de nuancer nos propos, en considérant aujourd’hui l’avancée
phénoménale qu’a permis l’imprimerie.
Ainsi on comprend aisément que le progrès technique des médias et leur
expansion présentent des dangers lorsque ceux-ci sont dominés par une
certaine culture nationale qui en userait de manière à diffuser son mode
de vie et ses pensées, et plus largement sa culture.
Les Etats, s’inquiétant que ce phénomène de mondialisation culturelle ne
se traduise en réalité par un rapport de domination d’une culture
existante (ou d’une nouvelle culture médiatique globalisante) sur les
autres cherchent à protéger leur patrimoine culturel et à faire valoir la
diversité des cultures nationales face à l’éventualité d’une hégémonie

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culturelle.

Les Etats font le choix dès lors de jouer un rôle de protection, par le biais
de politiques internationales et nationales.
        Les états cherchent tout d’abord à protéger leur culture par la mise
en place d’organisations internationales spécialisées, ce qui prouve une
prise de conscience mondiale des risques. Dès les années 1990, lors de
la négociation des accords du GATT (1993), apparaît le concept
d’exception culturelle dans le but d’exclure le domaine culturel des règles
du libre-échange en train de s’entériner. Le but était ainsi de limiter
l’hégémonie américaine en matière commerciale.
Ce concept protectionniste évolue et laisse place à celui de la diversité
culturelle.
La diversité culturelle est fondée sur le principe de conservation du
patrimoine culturel inscrit pour la première fois dans la Convention
concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et
naturel adoptée à la conférence générale de l’Unesco en 1972. L’Unesco
étant une agence spécialisée de l’organisation internationale des Nations
Unies, qui comprend aujourd’hui 193 états membres (depuis la décision
de retrait des Etats Unis en 2017) elle se fait le miroir de la volonté des
Etats de préserver la riche diversité des cultures à l’échelle globale.
Ceux-ci ayant signé à travers l’Unesco cette convention, il apparaît
clairement qu’ils reconnaissent le risque majeur de la mondialisation
comme étant celui d’une extinction des diversités culturelles.
C’est dans ce cadre qu’en 2001 les 185 états membres de l’Unesco ont
adopté a l’unanimité la Déclaration universelle sur la diversité culturelle,
qui énonce notamment dans son article premier que "source d’échanges,
d'innovation et de créativité, la diversité culturelle est, pour le genre
humain, aussi nécessaire que l'est la biodiversité dans l'ordre du vivant.
En ce sens, elle constitue le patrimoine commun de l'humanité et elle
doit être reconnue et affirmée au bénéfice des générations présentes et
des générations futures. ».
Toutefois cette Déclaration ne se borne qu’à énoncer des principes.
Aussi un aboutissement était nécessaire, ce qui amène les Etats à
adopter la Convention sur la protection et la promotion de la diversité
des expressions culturelles le 20 octobre 2005 qui entend donner un
cadre juridique international contraignant à la défense de la diversité
culturelle.
Il nous faut préciser que cette dernière convention a rencontré des
obstacles, les Etats Unis ont voté contre son adoption.
La Convention insiste en particulier sur le besoin de reconnaître que les
biens et services culturels ne peuvent pas être considérés comme des

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marchandises banales. Aussi elle se veut être un auxiliaire de la
coopération internationale sur la culture. Elle pointe ainsi le besoin du
dialogue des cultures.
Nous avons traité ici des cultures au sens des traits distinctifs, spirituels
et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société et qui
englobent aussi les arts et les lettres en plus des modes de vie, des
droits fondamentaux de l'être humain, des systèmes de valeurs, des
traditions et des croyances. C’est précisément sur cet aspect des arts et
des lettres composant la culture nationale qu’un Etat a le moyen d’influer
par le biais de sa politique culturelle. Mais le fait que l’Etat participe à
l’évolution de la culture sur son territoire n’a t-il pas favorisé une
dénaturation de la culture par le discours et la valeur économique qui lui
ont été appliqué ?
        Mais ce rôle protecteur comporte le risque de dérive en une action
utilitariste de la culture.
Si, comme nous l’avons vu, la Convention sur la protection et la diversité
des expressions culturelles (2005) s’efforce de contrer cet effet, Hannah
Arendt évoque La Crise de la Culture (1961), pour dénoncer la
massification et l’utilitarisme de la culture. En effet la société de
consommation de masse traite tout objet comme un bien consommable
mais cette idée est antagonique avec l’idée traditionnelle de la culture,
qui n’est pas un divertissement éphémère mais plutôt un moyen de
perfectionnement de l’individu, qui le transcende et a vocation à durer
dans le temps.
Le passage  du grand roman au film est dans ce sens assez
emblématique de ce que l’auteure dénonce, puisqu’un film s’il dispose
certes d’une image, c’est au détriment de dialogues et de réflexion. Le
film favorise la vulgarisation d’un roman, et pour Arendt ce phénomène
est typique de la société moderne. On peut encore illustrer ce propos
avec La Laitière de Veermer reprise par Nestlé et désormais associée à
l’image de cette marque.
Il est possible de faire un lien de corrélation entre le développement des
politiques culturelles, et donc la démocratisation de la culture, et cette
consommation devenue massive qui fait perdre à la culture son essence
première. En effet un discours et un enjeu économique ont été apposés
à la dimension de la culture.
Les institutions publiques ont entreprit diverses stratégies politiques afin
de représenter au mieux la culture sur leur territoire, ce qui s’est traduit
par le développement d’industries culturelles. C’est de cette manière
qu’est créé en 1959 un ministère des affaires culturelles, confié à
Malraux, dont le rôle est de « rendre accessible les œuvres capitales de
l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre de français ».
Le rayonnement de la France à l’étranger devient un objectif à part

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entière, mais il participe à l’offre grandissante de « biens culturels » qui
favorisent dès lors une surconsommation.
Il existe bien une synergie entre culture et économie, le discours que
prononce Lang à Mexico (Conférence de l’Unesco, Mexico, 1982)
dénonce d’ailleurs cette relation étroite. Dès lors on parlera d’économie
de la culture comme composante du développement économique. La
culture est considérée comme un produit culturel produit par les
industries culturelles.
Le soutien aux industries culturelles confère ainsi à la politique culturelle
une dimension de politique économique et industrielle.
Ainsi nous avons vu que la globalisation, au sens de l’ouverture des
marchés et de l’intensification des flux, participe à la mondialisation
culturelle, voire à l’émergence d’une culture mondiale. Les Etats, par la
coopération internationale et les politiques nationales cherchent à
préserver ce qu’on appelle désormais la diversité culturelle. Même si
beaucoup critiquée par les auteurs pour ses différents aspects
inquiétants, la mondialisation dispose d’un énorme avantage qui est de
faire converger des valeurs fondamentales comme la démocratie, mais
aussi la reconnaissance de droits de l’homme, qui, idéalement se
transformeront véritablement en une supra-culture universelle.
Toutefois si l’on reprend l’expression de "village planétaire » en lui
donnant le sens premier que McLuhan envisageait on se rend compte
que le terme de village sous-tend l’idée de facilité des échanges et de
proximité, mais pas nécessairement celle de familiarité ou
d’homogénéisation. L’expression anglaise « global village » exprimait le
retour au village « tribal", avec les relations et les conflits propres à ce
type d’agglomération rurale.
L’auteur Beck conçoit aussi la globalisation comme un processus de «
glocalisation » : la globalisation n’a pas lieu à l’échelle globale mais à
l’échelon local, et elle effectue là les changements. Ainsi tous les objets
et pensées culturels se retrouvent au même endroit - par le biais de la
sphère médiatisée - mais ils y sont juxtaposés. Ce qui confirme la
conception du village planétaire en tant que lieu de proximité mais pas
réellement d’homogénéisation.

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