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Faits de langue et société, n° 6, 2020 : pp.

165-177

LA PROMOTION DE LA COMMUNICATION
INTERCULTURELLE AU MAROC A L’ERE DE
LA MONDIALISATION : UNE AUBAINE OU UN
DANGER ?

THE PROMOTION OF INTERCULTURAL COMMUNICATION


IN MOROCCO IN THE AGE OF GLOBALISATION: A BOON
OR A DANGER?

Par/ by

Abderrahman KICH
Résumé
Les sociétés qui jadis étaient plus ou moins enfermées sur elles-mêmes sont
aujourd’hui entrées dans la modernité, grâce à la généralisation des échanges
(économiques, diplomatiques, scientifiques), la création de l’Union européenne, la
vague d’émigration, etc. et surtout l’invention d’Internet, ce qui permet à
l’ensemble de la population mondiale d’entrer en contact avec des personnes à
l’autre bout du monde. L’interculturel est un nouveau champ scientifique qui est né
avec comme ambition de faciliter les échanges entre des cultures différentes et
prévenir des malentendus. Au Maroc, le secteur du tourisme, qui draine des
millions de clients étrangers, est le lieu où s’opère le plus gros des échanges avec
les locaux. L’article reprend les recommandations et les règles fondamentales des
experts qui président à tout échange entre des individus issus d’origines différentes
et insiste sur les retombées positives des interactions, inspirées des données
recueillies auprès des visiteurs internationaux et des locaux.
Mots clés : Communication, communication interculturelle, compétence de
communication, relations, savoirs.
Abstract
Societies which once were more or less locked in on themselves have now
entered modernity thanks to the generalization of economic, diplomatic and
scientific exchanges, the creation of the European Union, the wave of emigration,
etc. and especially the invention of the Internet, which allows the entire world
population to come into contact with people on the other side of the world.
Interculturalism is a new scientific field which was born with the ambition to
facilitate exchanges between different cultures and prevent misunderstandings. In
Morocco, the tourism sector, which attracts millions of foreign customers, is the
place where most of the trade takes place with locals. The article takes up the
recommendations and fundamental rules of experts that govern all exchanges
between individuals from different origins and insists on the positive spinoffs of
interactions, inspired by data collected from international visitors and locals.
Keywords : Communication- intercultural communication, communication,
skills, relationships, knows.

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Introduction
Les sociétés étaient par le passé plus ou moins enfermées sur elles-
mêmes sont aujourd’hui entrées dans la modernité, grâce à la généralisation
des échanges économiques, diplomatiques, scientifiques, touristiques, etc.
Pour faire face au contact des cultures différentes, l’interculturel est un
nouveau champ scientifique qui est né avec l’ambition de faciliter les
échanges et le dialogue entre des cultures différentes.

Le problème des frontières et du déplacement physique ne se posant plus,


le pic de l’évolution est atteint lorsque le monde est devenu un espace
ouvert aux échanges de nature multi et interculturelle rapides, gratuits,
instantanés et quotidiens, coïncidant avec la prolifération des médias
numériques modernes. Cette révolution technologique est portée par une
cohorte d’outils qui permettent et facilitent la communication à distance
comme des plates-formes de rencontre, des forums, le web 2.0… « Plus
aucun groupe n’échappe à la diversité culturelle »1, affirme Abdallah-Pretceille
(1999 : 60).

Pour lutter contre ce qu’il est convenu d’appeler l’impérialisme culturel


américain qui cherche sournoisement à imposer au monde une seule culture
à travers la mondialisation ravageuse des civilisations et des particularités
humaines, commençons par poser quelques questions :
Comment contribuer à la promotion des particularités locales, à la
diversité des savoirs et des savoir-faire ? Comment affronter la diversité
culturelle et interagir avec l’altérité ? Quels impacts sont-ils attendus des
rencontres pareilles ?

Contexte
Dans les années 1920, la mise en place de la BBC avait pour finalité de
préserver le Royaume-Uni de la mondialisation. La stratégie adoptée était
fondée sur la nécessité de défendre l’identité nationale en mettant en valeur
la culture du pays. En effet, dans les années 1960, la notion d’«
impérialisme culturel » visant à instaurer par le cinéma un type uniforme de
la culture voit le jour (cf. La Société du spectacle)2.
L’exportation du modèle culturel américain ambitionnant d’imposer son
hégémonie aux nations de la planète, s’est amplifié par des produits destinés
à un public de masse (livre, presse, disque, radio, télévision, films,
nouveaux produits et supports audiovisuels, photographie, publicité), ainsi

1
Martine Abdallah-Pretceille et Louis Porcher (1999), Diagonales de la communication
interculturelle, Paris, Economica /Anthropos éditions, p. 60.
2
Guy Debord, La Société du spectacle, Paris, Buchet/Chaste (1967). C’est un essai
philosophique et politique qui s’attaque à la société de consommation. Il est publié aussi
par Gallimard…
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que par les médias qui diffusent partout dans le monde les mêmes
informations, etc., cherchant à instaurer l’unification des savoirs, des goûts,
des modes…
Néanmoins, plusieurs intellectuels, penseurs et écrivains s’opposent, hier
comme aujourd’hui, à la tentative d’homogénéisation des modes de vie et de
pensée.

Faire barrage à la culture de masse


Les voix rebelles continuent aujourd’hui à se mobiliser afin de permettre
aux cultures du monde d’avoir le droit d’exister. À l’époque des Lumières -
et bien avant -, caractérisée par le relativisme culturel, Montesquieu et
Rousseau rejettent à priori les idées qu’ont tous les peuples sur leurs usages,
coutumes, idiomes et croyances qu’ils considèrent parmi les meilleurs,
comme ils rejettent leurs propos sur la soi-disant infériorité des autres.
Selon Mattelart (2008 : 49), la vision de l’ordre du monde, purement
occidentale, est supposée être la seule rationnelle, imposant à toute la
planète son économie, son éducation, sa langue, sa technologie :

«"L’impérialisme culturel " est une violence symbolique qui s’appuie sur une
relation de communication contrainte pour extorquer la soumission et dont la
particularité consiste ici en ce qu’elle universalise les particularismes liés à une
expérience historique singulière en les faisant méconnaitre comme tels et reconnaitre
comme universels »3.

En 1980, l’UNESCO dénonce le concept d’« industries culturelles ».


Selon l’Organisation, le concept est né de l’idéologie néocolonialiste
américaine qui cherchait à faire chuter la culture de l’autre et faire écouler la
sienne, à la manière des produits industriels, frappés du cachet de la
sérialisation et de la standardisation. En revanche, rapporte Mattelart (2008 :
36) « L’Unesco compte utiliser les ressources et les informations de la radio, de la
presse et du cinéma pour approfondir la compréhension et le respect mutuels parmi
les peuples de la terre »4.

Les relations communicationnelles dans les échanges


Dans ce contexte de la diversité et de la valorisation des richesses
culturelles, des croyances, des imaginaires, des traditions, des modes de
pensée, etc. qui font la richesse et le patrimoine humain mondial, une
profusion de noms de spécialistes de renom de l’interculturel font entendre
leur voix comme l’anthropologue américain Edward T. Hall, le Hollandais
Geert Hofstede, spécialisé en psychologie sociale, professeur émérite
d’anthropologie et de gestion, la française Martine Abdallah-Pretceille,
professeure de la communication interculturelle, le français Jacques
3
Armand Mattelart, Diversité culturelle et mondialisation, Tarik éditions (pour le
Maghreb), coll. Thèmes et Débats, 2008, p. 49.
4
Wilson (1947), cité par Armand Mattelart, op. cit.

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Demorgon, philosophe, sociologue et expert auprès de l’UNESCO en
matière de multi, trans et interculturalité, l’anthropologue américain,
Clifford Geertz qui se présente comme un réformateur du culturalisme, le
sociologue et linguiste américain d'origine canadienne Goffman, qui
travaille sur des faits sociaux relevant des interactions du quotidien, etc.
Leur préoccupation consiste à appréhender comment se déroule l’interaction
et à assurer l’intercompréhension entre les peuples. Aussi ont-ils mis au
point un certain nombre de règles à même d’éviter des différends.
Ainsi, pour mieux comprendre ce que préconisent les chercheurs en
interculturel, nous allons commencer par la présentation de quatre concepts
clés de ce champ scientifique.

Priorité aux rapprochements avec l’autre


De Coster (1992 : 10) stipule que «la communication est le processus
fondamental par lequel se noue la relation sociale »5. Suscitant l’intérêt des
chercheurs venus de plusieurs horizons, l’étude de la communication s’est
interdisciplinarisée, renfermant l’apport de la philosophie, de l’histoire, de
la géographie, de la psychologie, de la sociologie, de l’économie, de la
cybernétique, etc.
En ce qui concerne la communication interculturelle, Fistetti et Kim
(1992 : 14) la définissent comme «une base transactionnelle, processus
symbolique impliquant l'attribution de sens entre des personnes de cultures
différentes »6. Charaï (2014 : 64), elle, la définit de la manière suivante :

« Processus d’interaction symbolique qui inclut des individus et des groupes


possédant des cultures différentes, reconnus dans les perceptions et les
manières de conduite, de telle sorte, qu’elles affectent significativement la
forme et le résultat de la rencontre interculturelle »7.

La compétence de communication, quant à elle, est complexe. Elle


suppose d’échanger positivement, d’écouter courtoisement, de se mettre à la
place de l’autre, de mettre en pratique les valeurs humaines et le droit à la
différence. Pour communiquer avec l’Autre, précise Abdallah-Pretceille,
nous avons besoin non seulement d’une triple compétence, linguistique,
communicative et culturelle, ce qui est de nature à induire un
dysfonctionnement de la communication, mais aussi d’autres éléments qui
relèvent de la sociologie, de la psychologie, de l’idéologie : « D’où la
nécessité de développer une compétence interculturelle susceptible de permettre
l’accès au sens de la communication et non pas de la culture comme on a tendance

5
Michel De Coster, Introduction à la sociologie, 3ème éd., Paris, De Boeck, 1992, p. 10.
6
Francesco Fistetti, « Une société de la reconnaissance est-elle possible ? », revue du
mauss, n° 32, 2008, p. 2 : www.cairn.info/revue-du-mauss-2008-2-page-411.htm, (consulté
sur Internet le 06.03.19).
7
Zineb Charaï, Les effets du tourisme sur l’identité culturelle : Le cas de la médina de Fès,
thèse de doctorat, Université Nice Sophia Antipolis, 2014, p. 64.
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à vouloir le faire »8. Abdelfattah Kilito (1987 : 98) va dans le même sens en
déclarant que « les langues sont une fatalité » et « le discours est un acte de
liberté »9.
Enfin, la culture : pour sa part, Geertz (1973)10 écrit : la culture n’est pas
un pouvoir, « quelque chose auquel on pourrait attribuer les comportements »,
mais un contexte, « quelque chose au sein duquel les comportements peuvent être
décrits de manière intelligible ». Plus tard, le même auteur précise que la
culture est moins :

« Un ensemble de coutumes et d’institutions, que d’interprétations que les


membres d’une société donnent de leur expérience, de constructions qu’ils
édifient par-dessus les éléments qu’ils vivent, il ne s’agit pas seulement de
comprendre comment les gens se comportent, mais comment ils voient les
choses ».

Et la spécialiste humaniste de l’interculturel, Abdallah-Pretceille de


mettre le doigt, non sur la culture, mais sur l’intérêt de la communication :

« En mettant l’accent sur la communication et non pas sur la culture, prise


comme une entité abstraite, on replace le sujet, les sujets au centre du
processus. Ainsi, les connaissances culturelles ne permettent pas de mieux
communiquer ».11

Il s’agit, renchérit-elle (1996 : 15) d’apprendre moins la culture de l’Autre


« que d’apprendre la relation à l’Autre, les informations culturelles a priori et hors
contexte ne sont d’aucune efficacité. La personne rencontrée n’est pas
nécessairement et obligatoirement représentative de sa culture d’appartenance »12.

Tisser des liens avec l’Altérité : feuille de route


Des experts affirment que la qualité des rapports entre les cultures en
présence dépendrait de la maîtrise des savoirs en rapport avec le domaine
des relations interculturelles. Plus précisément, il s’agit d’avoir une
prédisposition à entretenir des liens sociaux, de s’initier aux langues et

8
Martine Abdallah-Pretceille, Communication interculturelle, apprentissage du divers et
de l’altérité :
https://www.google.co.ma/?gws_rd=ssl#q=Puisqu%E2%80%99il+s%E2%80%99agit+moi
ns+d%E2%80%99apprendre+la+culture, (consulté sur Internet le 20.10.2020).
9
Abdelfattah Kilito, « La langue des sirènes », in Imaginaire de l’Autre, Khatibi et la
mémoire littéraire, Paris, L’Harmattan, 1987 p. 98.
10
Clifford Geertz, cité par Brahim Labari, Éléments d’initiation à la sociologie, tome 1,
publication de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université Ibn Zohr,
Agadir, p. 226.
11
Martine Abdallah-Pretceille, Communication interculturelle, apprentissage du divers et
de l’altérité, op. cit.
12
Martine Abdallah-Pretceille, 1996, op. cit., p. 15.

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cultures du monde, de maîtriser les règles de la communication, d’acquérir
la compétence en matière de l’éducation interculturelle, etc.
Les mauvaises représentations dues au statut social, à la manière d’être,
de s’habiller, de se comporter, bref d’être, constituent des perceptions qui
font tomber fatalement des jugements irrémédiables. Les clichés deviennent
obsolètes grâce aux contacts et à la communication. Dans ce cas, un certain
nombre de valeurs civiques, citoyennes et éthiques sont nécessaires :
- Avoir de bonnes notions dans différents domaines du savoir humain;
afin de pouvoir discuter sur différents sujets ;
- Etre tolérant, ouvert, sans arrières pensées ;
- Faire preuve d’empathie et de bienveillance ;
- Se décentrer par rapport à ses référents culturels ;
- Eviter l’ethnocentrisme ;
- Se mettre à la place de son interlocuteur, etc.

Chaque Etre est un sujet universel et singulier


Mattelart (2008 : 55-56) affirme que tout un chacun est appelé à faire
face à la diversité culturelle et à la reconnaissance de l’interlocuteur dans
son universalité et sa singularité : « la reconnaissance de la singularité des
cultures découle de l’ébranlement du paradigme du développement, rejeton de
l’idéologie du progrès infini »13. Abdallah-Pretceille précise qu’il s’agit de
voir comment la culture est investie dans la communication, comment le
sujet, dans sa singularité, interagit éthiquement avec l’universalité, dont il
fait partie, donnant lieu à des « mises en scène » de la vie.
La question de la compréhension mutuelle en situation
interculturelle n’est pas évidente. Des spécialistes optent pour
l’interactionnisme symbolique - ou l’interprétation du sens -, entre autres.

Interactionnisme symbolique
S. Becker et M. Mc Call (1990)14 écrivent :

« Les chercheuses et chercheurs qui s’associent à l’interactionnisme


symbolique inscrivent leurs travaux dans un paradigme interprétatif,
partagent quelques concepts et un intérêt pour l’expérience quotidienne des
acteurs, vue comme la matrice sans cesse renouvelée de la vie sociale. En
outre, ils étudient les phénomènes sociaux sous l’angle des interactions qui
lient les acteurs au quotidien, cherchant à rendre compte des significations
qu’ils engagent dans ces interactions ».

De son côté, Goffman (1974)15 distingue entre messages émis et


messages reçus précisant que le contenu de l’information reçue par le
13
Armand Mattelart, op. cit., p. 55-56.
14
S. Howard Becker et Michal M. Mc Call : https://sociologies.revues.org/3028?lang=en,
(consulté le 01.08.15).
15
Michel De Coster, op.cit., p. 104.
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récepteur peut être déformée car il l’interprète en fonction de son cadre de


référence qui diffère entre l’émetteur et le récepteur surtout en situation
interculturelle : « la perception des messages est souvent partielle, sélective et
interprétative ». La construction du sens, précise Goffman, s’élabore à partir
de l’interprétation que chacun fait des symboles que l’on se communique,
chacun puisant dans le répertoire des sens existants déjà et selon la
subjectivité propre de chaque acteur.
Demorgon16, de son côté, insiste sur l’obligation de mettre en œuvre « un
travail d’ajustement » de la communication, de la coopération entre des
personnes, des groupes, des organisations de cultures différentes.
En fin de compte, une bonne communication est de nature à favoriser la
communion susceptible de pérenniser les liens sociaux. C’est ce que nous
verrons plus loin.
Et le Maroc dans tout ceci ? Est-il concerné par le phénomène du contact
des cultures ? Dans quel secteur y prolifère-t-il ? Pour quel secteur est-il une
destination de choix ?

Le Maroc est un pays pluriculturel


La littérature nous apprend que chaque société se caractérise par
l’hétérogénéité des cultures. Depuis longtemps, le Maroc évolue dans un
paysage interculturel particulier. Sociologue marocain, Paul Pascon et
d’autres, considèrent la société marocaine comme étant de nature composite
et son patrimoine est le fruit d’une culture hybride, imprégnée d’un brassage
aux ramifications complexes. Gharib17 avance, lui aussi, que « le Maroc est
un pays pluriculturel, pluriethnique et plurilinguistique dont il s’agit de valoriser et
renforcer la dimension plurielle du patrimoine dans une perspective de
renforcement de la cohésion sociale ».

Carrefour des nationalités du monde


Le Maroc est un lieu de rencontre internationale. Dans sa Constitution et
à travers son système éducatif, le pays se veut une terre de tolérance,
d’ouverture sur les civilisations, du savoir et des progrès réalisés par
l’humanité. Chaque fois que l’occasion se présente, il organise des meetings
en vue de promouvoir le dialogue des cultures.
Actuellement, il se veut une destination pour des étudiants étrangers, une
terre accueillante pour des résidents occidentaux, un haut-lieu de tourisme
international…
En effet, le tourisme, phénomène social et économique mondial, est aussi
un agent fort de production d’altérité, en ce sens qu’il est générateur de
rencontres, d’interactions et de mutations socioéconomiques et culturelles
entre les cultures : « ce phénomène de l'altérité, véritable objet de l'anthropologie,

16
www.cemea.asso.fr/congres/IMG/confDemorgonFr.pdf, consulté le 23.5.2016.
17
Abdelkrim Gharib, La Sociologie de l’école, Ed., Le monde de l’éducation, p. 228.

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recèle, comme on l'a souligné, un socle impressionnant de représentations
sociales », écrit Labari18.

Le tourisme et la relation à l’autre


Le tourisme est une rencontre entre des attentes différentes : « toute
rencontre touristique ressort ainsi de la rencontre entre deux imaginaires, qui
drainent chacun un lot d'images et de stéréotypes », précise Amirou (2000 : 84).
La caractéristique majeure qui nous intéresse dans le tourisme moderne est
bien la relation à l’autre. Bien plus, notre intérêt pour ce phénomène réside
dans la vogue de types de tourismes, respectueux des populations, de
l’environnement, des cultures… Pour contrer l’universalisme de nos jours,
un engouement est né d’une nouvelle sensibilité pour les traditions locales
pures, le lointain, l’exotique… Hillali (2003 : 213) va dans le même sens :

« Il faut persister à plaider, avec rigueur et vigueur, pour un tourisme plus


humain par ses relations sociales, plus magnanime par ses échanges culturels
et plus généreux par ses activités économiques »19.

Effectivement, en voyageant dans d’autres contrées, une mosaïque de


couleurs, de lumières, de chants et de saveurs accrochent le regard et font
naître l’envie de communiquer… Ce type de tourisme est surtout
respectueux d’autrui, de son héritage culturel. Pour le chercheur Amirou
(1995 : 49), l’avantage du tourisme se trouve dans la recherche de
l’intensification du lien social et des sociabilités :

« Certains auteurs, s'inspirant de E. Durkheim, voient dans ces longues


processions touristiques modernes un rituel, célébré à dates fixes, et
accompli en vue d'intensifier le lien social, qui tend à se relâcher dans les
sociétés modernes complexes »20.

Plusieurs agences et organisateurs de voyages s'inscrivent dans cette


forme de tourisme qui ouvre les portes de l'échange culturel et le contact
avec des populations.

Expérience du terrain
L’enquête empirique révèle plusieurs atouts des contacts entre les
cultures. Entreprise en 2015 dans deux villages touristiques marocains,

18
"Un exercice d'altérité: conversation avec un résident européen au Maroc", Esprit
critique, vol. 04 no. 11, Novembre 2002, ISSN 1705-1045, http://www.espritcritique.fr,
(consulté le 11.02.2017).
19
Mimoun Hillali Le tourisme international vu du Sud - Essai sur la problématique du
tourisme dans les pays en développement, Québec, Presses de l’Université du Québec,
coll. « Tourisme », 2003, p. 213.
20
Rachid Amirou, Imaginaire touristique et sociabilités du voyage, Paris : Les Presses
universitaires de France, Collection “Le sociologue.”, 1995, p. 49.
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Nkoub, site écologique aux 45 kasbahs, dans le désert, et Taghazout, spot de


surf international, nous avons interrogé des touristes qui ont apporté des
réponses comme celle de Jean-François (rencontré dans le premier village,
Français de 50 ans ; enseignant ; niveau économique : moyen ; niveau
culturel : bon) : « Plus il y a des échanges, plus il y a des rapprochements, plus on
change des à priori, des peurs, plus on s’apprécie mutuellement ». Danielle
(interrogée à Nkoub ; Française de 62 ans qui ne travaille rien ; divorcée ;
niveau culturel : moyen) précise :

« Plus on va chez dans des familles, plus on a envie de séjourner dans le


village ». Parmi les témoignages de la vie symbiotique des contacts à
l’occasion des déplacements touristiques, Lisa (Suissesse de 38 ans,
rencontrée à Taghazout) est contente de pouvoir entrer chez des familles
marocaines. Elle s’exprime ainsi : «ici, je vis beaucoup simple avec moins
d’argent : la qualité de vie est meilleure. J’y suis plus libre qu’en Suisse où il
y a beaucoup de règles et où on travaille plus pour payer l’appartement. Ici
on travaille pour vivre ».

En plus, le tourisme est également une belle occasion d’ouverture pour


les locaux visités, comme le témoigne ce propos d’un jeune touriste
parisien, Pascal (célibataire français de 35 ans ; ingénieur en publicité ; bac
+ 5 ; niveau économique : très bon), interrogé sur son expérience :

« Le tourisme aussi a des points positifs : il ouvre sur les autres cultures du
monde ; les autochtones se cultivent internationalement et ça permet aux
jeunes d’avoir des aspirations dans la vie ».

Xavier (rencontré à Nkoub; 52 ans ; agent de voyage espagnol ; niveau


culturel : supérieur ; niveau économique : élevé) parle en ces termes :

«Pour contrer la mondialisation, je lui oppose la valorisation, la préservation


des identités, du patrimoine culturel et des spécificités, comme les savoir-
faire, les vieux métiers, l’artisanat...».

Rencontré lui aussi au village écologique, un couple anglais, lui, est à la


quête de découvertes : « nous ne sommes pas des touristes qui cherchons à vivre
dans des hôtels et se comporter avec orgueil avec les autochtones. On veut
découvrir, apprendre respecter la culture de l’autre ».
Enfin, Alexis (33 ans ; Suisse ; célibataire ; enseignant dans le
supérieur ; niveau économique : assez bien) dit être émerveillé par « la
simplicité, le soleil, les valeurs traditionnelles, la disponibilité, l’attachement à la
culture, etc. ».
Du côté des accueillants, les réponses recueillies sont une succession
d’hommages rendus unanimement aux étrangers qui font le déplacement au

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pays. En tout, ils possèdent les manières les meilleures, les savoir-être les
plus fins, les conduites les plus respectueuses, etc.
Qu’est-ce que nous pouvons déduire de l’investigation du terrain ?
Le face-à-face des cultures permet de favoriser la diversité, de tisser des
liens avec l’altérité, d’ouvrir des locaux sur le reste de l’univers, etc. Ses
retombées sont tant positives sur le plan humain, financier, que sur la vision
du monde. La religion, le genre, le statut social, l’identité nationale,
l’origine géographique, l’orientation sexuelle, la manière d’être, de se
comporter et de penser, etc. ne sont pas sujets d’antagonismes. Les
discussions transcendent les différences de cultures, font changer des
préjugés et des stéréotypes et mettent en place un bon outil de renforcement
de la cohésion sociale.
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Conclusion
Plus qu’une approche sociolinguistique, les chercheurs de l’interculturel
étudient les interactions en faisant appel aux apports de l’anthropologie, au
contexte social, à la situation d’énonciation, aux rapports sociaux entre les
individus. Le discours est appréhendé, non selon l’origine des individus,
mais selon les échanges et les interrelations.
L’UNESCO, l’ISESCO, les chercheurs comme Kerzil et Vinsonneau
(dir.) (2004), Abdallah-Pretceille (1996 et 1999) et Amirou (2000) ont initié
une stratégie pour renforcer et insister sur le rôle du système éducatif dans
l’enseignement de la communication interculturelle et transculturelle,
l’inculcation des valeurs de la citoyenneté, dont le droit à la différence
culturelle est une composante essentielle, tant entre citoyens des différentes
nations qu’au sein d’un même pays. Ils proposent en outre des solutions
telles que la sensibilisation du reste de la population à travers des
campagnes qui visent toute la société : la médiation est une affaire d’État,
des entreprises, du monde de la culture, des médias et des ONG. Cette
pratique vise de nouvelles socialisations à travers de nouvelles valeurs
scientifiques, éthiques et humaines.
Enfin, pour nous, les contacts entre des cultures différentes sont
inévitables à notre époque. C’est un outil de développement économique et
aux retombées civiques, sociales, relationnelles et anthropologiques. Avec
un peu de savoir-faire et savoir-être, dans le secteur de l’économie, des
sciences, de la culture, du tourisme et bien d’autres, la relation à autrui ne
peut qu’être bénéfique. La différence est l’essence de l’humanité : bien
investie, elle est prometteuse et gage d’intérêt et de jouissances multiples.

Abderrahman KICH
Université Sultan Moulay Slimane
Béni-Mellal

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REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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