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Abraham Moles

La radio-télévision au service de la promotion socio-culturelle


In: Communications, 7, 1966. pp. 1-10.

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Moles Abraham. La radio-télévision au service de la promotion socio-culturelle. In: Communications, 7, 1966. pp. 1-10.

doi : 10.3406/comm.1966.1090

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1966_num_7_1_1090
RADIO-TÊLEVISION

RÉFLEXIONS ET RECHERCHES

Abraham A. Moles

La radio-télévision au service
socio-culturelle1
de la promotion

La radio'télévision est un cas particulier important des moyens de


communication de masses. C'est un système technique qui diffuse des
items culturels, et des informations (nouvelles). Les informations, terme
que nous mettons au pluriel pour bien le séparer de la mesure mathémat
ique de l'originalité d'un message, sont des faits nouveaux à caractère
transitoire ; la culture au contraire, est ce qui est destiné à rester, à
meubler le cerveau des récepteurs. L'un des problèmes fondamentaux
posé par la radio-télévision, est celui du rôle que jouent ses programmes
dans la construction de la culture d'une société {Fig 1). La radio sait
comment techniquement construire sa machinerie, comment emballer
le message et le conditionner, comme dit Angles d'Auriac, pour atteindre
tant « d'auditeurs X heures », répartis sur telle surface et pour tel prix.
Ce problème n'est pas le nôtre.
Cet article n'est donc pas une étude technique, c'est un exposé de
sociologie culturelle. Le problème que nous cherchons à résoudre tient,
dans la question : « Que veut-on, pour quel usage veut-on construire un
réseau de radiodiffusion? » C'est le problème de rédaction d'un cahier
des charges, qui sera passé au technicien pour qu'il réalise l'outil de
diffusion au meilleur prix. C'est ici au sociologue d'essayer de répondre
et c'est l'objet de notre intervention : une théorie du rôle des mass media
dans l'édification de la culture.

1. Mémoire rédigé à l'intention de la conférence des Nations Unies sur l'application


de la science et de la technique dans l'intérêt des régions peu développées.
Abraham A. Moles

Des rapports entre la culture et les modes de communication.


La culture est l'ameublement du cerveau des individus : chaque
personne a le sien, mais on peut parler de la culture d'une civilisation
quelconque, image globale du style des mobiliers individuels, dont le
catalogue est fait par les grandes institutions de mémoire sociale : biblio
thèques, phonothèques, musées, collections, etc. qui nous proposent un
aspect quantitatif de la connaissance des éléments, une première concré
tisation de la culture. Comment s'établit cette culture dans la société ?
a) La culture ancienne dont l'image est sous-jacente à la pensée human
iste, s'est établie essentiellement sur une grande disparité entre
les niveaux sociaux : elle conduit à l'idée d'une pyramide culturelle
(Fig. 2), elle trouve, théoriquement, sa source essentielle dans l'éducation.
Nous développerons une image, nous dirons que les perceptions que nous
proposent les phénomènes du monde extérieur, sont projetées par notre
conscience sur un « écran de référence » qui est la culture. Tout ce que nous
savions à priori et qui, dans l'image traditionnelle, constituait en principe
un réseau ordonné, hiérarchisé, régulier, un peu analogue à un réseau
de routes comportant des voies principales, des voies secondaires et des
concepts-carrefours.
b) La culture nouvelle en est essentiellement différente, nous l'appel
lerons « mosaïque » ; elle repose sur l'idée de l'existence de deux couches
sociales, la masse alimentée par les mass media, arrosée par ceux-ci,
immergée dans un flux continu de messages de toute espèce, de tout pro
pos, mais digérant sans effort et sans durée, des fragments de connais
sances disparates, perpétuellement soumis à l'oubli. La culture y prend
un caractère statistique et passif. Elle retient de petits éléments de
connaissance, les pierres de la mosaïque que nous appellerons « cultu-
rèmes » avec Lévi-Strauss. A côté, une autre couche est la société intel
lectuelle des créateurs (au sens le plus prosaïque du terme), elle aussi
immergée dans le flux de la culture mosaïque, mais qui y réagit d'une
façon différente. Elle absorbe les éléments qui lui sont proposés pour en
faire une série d'autres messages, plus ou moins originaux, qui vont être
diffusés par les mass media ; en d'autres termes, les modes de communic
ation de masses, presse, radio et télévision surtout, constituent le lien
entre cette société intellectuelle et la masse du champ social. Toutes les
expressions reçues dans le champ social sont disparates, disjointes,
souvent contradictoires, ce sont elles qui vont se fixer au hasard dans le
cerveau des individus et lui serviront d'écran de référence de culture.
Au contraire du précédent, il n'y a plus de point d'orientation, de réseau
à ordonner, de voie royale, plus que des probabilités, des éléments plus
fréquents que d'autres, des fragments de connaissance, des résultats
sans base et des idées générales sans application, des mots-clés et des
points hauts dans le paysage culturel. C'est la civilisation où nous vivons,
dont la radio-télévision est l'un des éléments fondamentaux, sans doute
Radio-télévision et promotion socio-culturelle

la forme la plus moderne la plus achevée, la plus influente de la commun


ication de masses. C'est elle qui, pour une grande part, contribue à
meubler le cerveau de chacun de fragments de connaissance, de mosaïque,
de sémantèmes, fournissant le matériau de nos associations d'idées et
construisant éventuellement nos créations intellectuelles. Les idées
nouvelles sont faites avec des idées anciennes, elles constituent une
mosaïque originale d'éléments banaux ; et ceux qu'il est convenu d'ap
peler « les créateurs, » savants, artistes, cuisiniers ou grands criminels ne se
distinguent de la masse que par leur attitude active et leur potentiel de
nouveauté. C'est la richesse et l'originalité de ce qu'ils apportent, en même
temps que leur capacité de le mettre en forme et par là l'incorporer dans
la société, de le diffuser par l'intermédiaire d'un micro-milieu (Fig. S),
qui les distinguent de l'ensemble de la masse sociale. Le génie n'est qu'une
aptitude exceptionnelle dans un domaine particulier de l'esprit et le
génie créateur est avant tout la fécondité opérationnalisée des associa
tions de culturèmes. La notion même de création comme facteur d'ac
croissement et de renouvellement de la culture, est donc une notion
banale, tous les individus créent, mais ce qu'ils créent ne s'incorpore
pas forcément au tableau culturel, il y faut l'intervention d'un micro*
milieu et de mass media.

L'idée d'un cycle socio-culturel et la création des idées nouvelles.


Ainsi le « différentiel » de la culture à chaque époque, l'accroissement
du bagage intellectuel de connaissances répandues dans la société, est
le fait de l'aptitude créatrice que possèdent à un degré ou à un autre,
tous les individus de cette société, mais qui est spécialement manifeste
chez un nombre relativement restreint d'individus spécialisés dont la
tâche est de construire le futur par fragments, quelle que soit la nature
de ces fragments, artistique, scientifique, technique ou politique. Analy
santde plus près ce mécanisme d' « incrément » de la culture, on constate
qu'il correspond à une sorte de circuit fermé, puisque les créateurs d'idées
nouvelles, grands savants ou humbles parfumeurs, économistes ou
ingénieurs, romanciers ou trafiquants, se trouvent dispersés dans la
masse sociale et connectés eux aussi, comme tout le monde, aux moyens de
communication de masses, dont la presse, la radio et la télévision sont
de beaucoup les plus importants. Ainsi tous les individus créateurs sont
immergés dans ce champ de diffusion, écoutent la radio, regardent la
télévision et le journal, vont au cinéma, et c'est un des résultats récem
ment mis en évidence par la sociologie de la culture que l'on a jusqu'à
présent sous-estimé le rôle prépondérant joué par ces modes, dans
l'acquisition et le maintien d'une culture qui tend de plus en plus à
prendre le caractère d'une mosaïque. Or nous avons vu que les produits
intellectuels ou techniques créés se trouvent incorporés à la culture par
le passage successif, dans un micro-milieu puis dans un macro-milieu,
Abraham A. Moles

comme le rappelaient les figures 1 et 3. C'est ici que la radio-télévision


devient un des déterminants du progrès culturel, ce terme de pro
grès étant pris dans un sens strictement quantitatif et sans aucune
prétention à affirmer une valeur quelconque. La radio, la télévision et
les autres organes de diffusion, fabriquent des messages : production
artistique ou théâtrale, musique ancienne ou moderne, nouvelles d'ici
ou d'ailleurs etc., messages qui vont arroser le champ social et s'insérer
plus ou moins au hasard dans l'esprit des auditeurs, dont les réactions
individuelles à ces messages contribueront, à un stade ultérieur, et spé
cialement chez un certain nombre d'entre eux, à la création d'idées nouv
elles, de lieux communs et de mots-clés, d'inventions ou d'oeuvres d'art, de
révolutions ou de prises de position, qui vont constituer le stade suivant.
En bref, nous dirons que :
a) Le progrès de la culture est le résultat d'une fonction créatrice,
présente chez tous les individus d'une société, mais manifeste principa
lementdans un micro-milieu spécialisé ;
b) Ce micro-milieu constitue une véritable couche sociale possédant
un certain nombre d'organes de micro-discussion : les petites revues, les
publications scientifiques ou techniques, les livres à tirage limité, en sont
des exemples ;
c) C'est dans ce milieu et dans ces organes de concrétisation du nouveau,
que puisent, au hasard, mais cependant en fonction de certaines lois
statistiques, les mass media de communication qui vont arroser le
champ social ;
d) Ces mass media fabriquent de façon industrielle, c'est-à-dire selon
un système de production basé sur le rendement, un grand nombre de
messages culturels qui constituent la forme la plus importante de la
culture de la société dans son ensemble. Ces messages répandent dans
l'esprit des individus, au hasard de l'accessibilité, du choix spontané, de
la résonance intellectuelle ou sentimentale, des idées, des formes, des
sémantèmes, des morceaux de connaissance qui sont les éléments de la
culture mosaïque ;
e) Ce champ culturel diffus, contradictoire, polarisé, impressionne à
son tour les individus participant à la fonction créatrice, qui vont agir
et réagir avec les matériaux qui leur sont fournis. En d'autres termes,
il est faux de s'imaginer que les mathématiciens édifiant une nouvelle
théorie, les ingénieurs inventant un nouveau type de turbine, sont impres
sionnés exclusivement par le contenu des revues de mathématiques ou
les livres de technique ; ils reçoivent, en plus, de la société des éléments
ou des vecteurs latents de la culture qu'ils vont traduire souvent de
façon inconsciente dans leurs propres œuvres : toute la culture d'une
époque est présente dans chacune de ses manifestations ;
f) Ainsi se constitue un processus cumulatif d'accroissement de la
culture, qui comporte en même temps des mécanismes d'oubli et de
sédimentation et c'est le rôle de la psychologie sociale de l'étudier.
Radio-télévision et promotion socio-culturelle

Le cycle socio-culturel de la radio-télévision.


La radio et la télévision, du fait de leur caractère omniprésent, de
leur puissance de suggestion, de leur niveau relativement grand d'access
ibilité, de leur insertion étroite et familière dans le cadre de la vie
moderne, constituent l'un des facteurs fondamentaux de la culture de
masses et concentrent, entre les mains de quelques-uns, l'éducation
adulte du plus grand nombre.
L'application plus précise à la radio-télévision du cycle socio-culturel
que nous venons de décrire implique quelques particularités qu'il
convient de souligner.
Le mécanisme de la radio-télévision en tant que corps social, constitué,
est en lui-même un système bouclé dont la figure 4 donne l'organigramme.
Comme dans toute entreprise industrielle, il comporte un système de
direction d'ensemble : direction des programmes, conseil d'administra
tion etc. qui fabrique des décisions globales relatives à la nature, au
contenu et au niveau des programmes de détail, en intégrant un certain
nombre de valeurs plus ou moins contradictoires, traduites par des
impératifs culturels, esthétiques, légaux, financiers, concurrentiels, et
un certain nombre de messages reçus de divers « groupes de pression »,
sans oublier une part notable d'arbitraire qui vient brouiller la netteté
des valeurs. Cet organisme subit enfin la réaction du public, exprimée à
la fois par le courrier des auditeurs, par les sondages d'opinions et par
l'avis de spécialistes. Tous ces facteurs concourent, à des degrés divers
et avec des délais divers, à la fabrication des décisions. Ces décisions
générales donnent lieu à des productions, c'est-à-dire à la fabrication
au détail de messages particuliers inspirés par l'actualité, la fantaisie
ou le souci éducatif, et par les idées particulières des individus qui les
font. Ainsi se constitue un premier choix dans les matériaux culturels
offerts à ces individus, tous plus ou moins membres du micro-milieu ou
en contact étroit avec lui. Ceux-ci choisissent ce qui les intéresse, ce qui
leur est facile, ce qu'ils croient important dans ce qu'il y a à chaque
instant de nouveau, pour le proposer à leur public en le conditionnant
d'une façon originale. Dans leurs préoccupations immédiates intervien
nent, en plus des directives du conseil des programmes qui est un peu
la conscience du système, un grand nombre de considérations très pra
tiques qui polarisent leur jugement ; l'actualité, la facilité, le spectacul
aire, la rapidité d'exécution, la préoccupation de terminer une produc
tion y jouent un rôle au moins aussi grand que tous les impératifs
culturels.
Après cette première sélection semi-aléatoire au niveau de la fabri
cation des mass mediat en intervient une autre au niveau de la réception
des messages, c'est-à-dire du public. Selon l'heure ou le jour, selon le
pavillon qui couvre la marchandise, selon la facilité d'accès ou les couleurs
plus ou moins chatoyantes, selon le niveau social ou culturel, tel ou tel
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spectateur, ou auditeur, recevra ou ne recevra pas tel ou tel message et


lui prêtera ou non attention. Il y a donc là un deuxième facteur de sélec
tion, accessible par voie statistique, et qui va déterminer l'efficacité du
message, mais qui, lui aussi, est gouverné par le grand principe du moin
dreeffort. C'est dans leur essai de faire passer dans la masse du public,
un certain nombre d'éléments en tenant compte, d'une façon plus ou
moins consciente, des différents facteurs de cette sélection, que se carac
térisent les différents systèmes socio-culturels de radiodiffusion.

Les doctrines de la radio-télévision.

Du mécanisme de double sélection que nous venons de décrire, inséré


dans un cycle socio-culturel auquel participe toute la société, il résulte
que ce que l'on appelle la radio, se trouve être un goulot d'étranglement
de la culture, un point sensible dans lequel quelques individus — les
membres des conseils des programmes, les producteurs en vogue, et
quelques psychologues ou financiers — se trouvent détenir les leviers
de commande de l'éducation adulte d'un nombre immense d'individus,
à la limite, de toute une société. Les nouvelles sociétés en construction,
par exemple dans les États accédant à l'indépendance politique et cul
turelle, ont à adopter des doctrines aussi cohérentes que possible relat
ivement aux mass media qu'elles ont à mettre à la disposition de leurs
membres, et il est naturel qu'elles recherchent quelles sont les doctrines
les plus efficaces pour la promotion culturelle de ces derniers.
A partir du schéma précédent, on peut distinguer quatre doctrines de
la radio-télévision :
1. La première doctrine peut être qualifiée de démagogique. On veut
avoir le maximum d' « auditeurs X heures », en d'autres termes, réaliser
un « champ publiciste » (Maletzke) le plus étendu possible, pour impri
merdans le cerveau des auditeurs une série de valeurs ou de leitmotive à
caractère généralement commercial, sur les vertus du savon X ou de
l'aspirateur Z. On sera conduit pour ce faire, à augmenter au maximum
le « couplage », la liaison entre masse des auditeurs et producteurs, on
suivra la réaction des auditeurs comme baromètre permanent du succès, sans
se préoccuper, ni du niveau de ceux-ci ni des valeurs culturelles qu'ils
peuvent acquérir ; la matière même des programmes n'est rien autre
que du papier d'emballage des leitmotive sous-jacents, un facteur d'at
traction, un prétexte : c'est le domaine de la culture décorative. Finale
ment, le contenu des programmes n'a aucune importance, pourvu qu'il
soit facile, on se réglera en permanence sur les goûts du plus grand
nombre.
2. La doctrine dogmatique cherche elle aussi à « faire passer » dans
l'esprit des auditeurs, un certain nombre de valeurs déterminées à priori.
Ces valeurs sont plus cohérentes que les vertus contradictoires de la
margarine S et de l'huile Z ; ce seront des valeurs politiques, religieuses,
MILIEU
L'ATTITUDE DU l'attitude ou
CHÉAJtW COHSOHHATLW
MILIEU CONSOMHATtW
FIG. 2
LES FAITS ET LES IDÉES
SÉLECTION
-\ QUELS FAITS, QUELLES IDÉES
LE CHAMP DE RÉCEPTION
SÉLECTION
qui ÉCOUTE
QUOÎ?
Ticmqucs AmiCArm
LES AUDITEURS (TV+RAOÎO)
FIG. 1
IDÉE
VALEUR
CULTURELLE
{DECISION
REACTION
SIGNLlt
iNTENS/Ti.OC
PRODUCTION □
fonct'ionIjêL
Jdt
Radio-télévision et promotion socio-culturelle

nationales etc. Elles chercheront par le canal des produits culturels


associés aux messages, à « faire passer » en contrebande, en tout cas
discrètement, d'autres types de valeurs sous-jacentes bien déterminées
dans l'esprit des dirigeants, elles procéderont par insistance et par un
gauchissement discret et permanent de toutes les autres valeurs. La
musique de Wagner sera le support d'un nationalisme, le plain-chant
sera le support de la religiosité etc.
3. Mais l'existence même du cycle socio-culturel suggère une doctrine
originale que nous appellerons culturaliste, basée sur l'idée que la radio
prétend être un facteur de culture en soi ; à ce moment le rôle qui lui est
assigné est de refléter cette culture même qui, à chaque instant, est la
trace concrète du progrès de la Société. La radio se proposera, pour but
explicite, de donner la prééminence aux impératifs culturels. Pour cela
elle s'efforcera de réaliser ce que l'on pourrait appeler un « bon échanti
llonnage » des éléments culturels, tels qu'ils se présentent à chaque époque
dans le tableau des faits de culture de la société. Cet échantillonnage
sera fixé par la condition qu'il représente après la diffusion dans la masse
du public, une image réduite à une quantité assimilable par ce public :
si l'on veut, il fera en sorte que la culture de l'individu soit un portrait
aussi fidèle que possible de l'ensemble des éléments qui constituent la
culture collective ; il s'efforcera, pour ainsi dire, d'intégrer au maximum
l'individu dans la société dans laquelle il vit, représentée par une somme
d'éléments de connaissance. Ceci impliquera entre autres, l'affirmation
de principe qu'il est possible de faire accéder tout homme aux richesses
culturelles, et c'est précisément le rôle de la radio de trouver les tech
niques (vulgarisation, intelligibilité, etc.) pour l'y faire accéder, au lieu
de se reposer sur la paresse intellectuelle du récepteur et sur la paresse
culturelle du producteur. Ceci impliquerait également la décroissance
de l'intérêt porté à l'événement historique éternellement transitoire,
au profit du fait scientifique qui prétend à la permanence. Une telle
doctrine pose comme unique valeur l'adéquation de l'homme à son
milieu culturel.
4. La doctrine socio-dynamique découle de la précédente en passant
de la recherche d'un état de fait, vers celle d'une action directe sur
l'ensemble social. Admettant que l'on puisse, par des méthodes qu'il
serait trop long de décrire, mais qui existent bel et bien dans la société
actuelle, dresser un portrait permanent de la culture considérée comme
un ensemble de connaissances et de faits, on peut se demander, et ce
serait l'objet d'une « promotion socio-culturelle, » comment il est possible
d'accélérer (ou de ralentir) la vitesse de rotation de ce cycle socio-culturel
qui sert de base à cet exposé. Ceci pose la nécessité d'une option fonda
mentale entre attitude conservatrice et attitude progressiste. Or ce vecteur
d'attitudes est entièrement attaché à tous les items culturels tels que
nous les avons définis plus haut. Dans toutes les nouvelles et les faits,
dans toutes les productions, artistiques ou scientifiques, il y a toujours,
Abraham A. Moles

comme l'ont montré en partie Kroeber, White, Weber, etc. une attitude
orientée vers le passé ou vers l'avenir, vers l'évolution ou vers la conser
vation. On conçoit alors que le choix même des items qui apparaîtront
à l'esprit de l'individu, pas toujours d'ailleurs de façon très consciente,
comme dirigé vers le futur plutôt que vers le passé, puisse constituer
en soi la base d'une doctrine générale d'accélération de l'évolution cul
turelle, puisque, dans ce processus cumulatif, les idées nouvelles faites
à partir des idées acquises, se trouveront à leur tour accélérées et que
le champ social lui-même sera coloré par la vision de l'avenir plus que
par la vision du passé.

Uaspect pratique d'une doctrine socio-culturelle.


La présentation schématique des processus de la culture que nous
avons donnée n'exclut pas les considérations pratiques. Il convient
d'abord de remarquer qu'aucune des quatre doctrines que nous avons
isolées, n'est jamais présente à l'état pur. Aucun système radiopho-
nique ne se basera uniquement sur la démagogie, pas plus que sur la
propagande. Aucun ne prétendra donner un reflet fidèle de la culture.
Il s'agit donc toujours d'une superposition et d'un dosage de doctrines
et c'est en cela que consiste une politique culturelle.
Le passage à la pratique est surtout l'émergence à la conscience d'un
certain nombre de fonctions d'un système de radiodiffusion, dont il
faut bien souligner qu'elles existent déjà, de façon plus ou moins impréc
ise.Signalons par exemple les services socio-culturels ayant pour but
d'établir ce qu'est le tableau de la culture à une époque donnée. Celui-ci
repose sur une analyse du contenu, sur la documentation et sur la sta
tistique de la culture telle qu'elle est déjà pratiquée par certains orga
nismes. Les services qui seraient conduits à prendre de l'importance
dans une telle politique culturelle, seraient des « industries de transfor
mation » ayant pour rôle de trouver les techniques d'accès, de mise
en forme, de présentation pour tous ces faits culturels importants, mais
qui paraissent difficiles à des producteurs trop conditionnés par le sys
tème des valeurs littéraires de l'humanisme conventionnel. Des procédés
comme la vulgarisation et le rewriting, le fond sonore et la mesure de
l'intelligibilité, appartiennent à cestechniques de transformation. Enfin les
systèmes de radiodiffusion devraient être conduits à disposer de services
de « mise en place » assurant un contrôle conscient et précis de l'accès à
l'auditeur d'un certain nombre d'éléments culturels. Ceux-ci remplacer
aient ce qu'il est convenu d'appeler, actuellement, les services de relations
avec les auditeurs, les services d'horaires et de programmes qui jouent
en fait un rôle voisin d'une façon imprécise, indéfinie et involontaire.

Abraham A. Moles
Université de Strasbourg.

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