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Master

EPCC
UE 702 – Culture de jeunesse
CM « Pop Culture et contre-culture »
Matthieu Rémy





PREMIERE PARTIE : QU’EST-CE QUE LA POP CULTURE ?


I. INTRODUCTION

Le terme « pop culture » se donne à première vue comme une contraction de
l’expression anglo-saxonne « popular culture ». Mais si l’on y regarde de plus près, la
« culture populaire » - prise comme l’ensemble des productions artistiques conçues pour
le plus grand nombre, dans un jeu d’adhésion et d’opposition à la « haute culture » (pour
reprendre le terme de Dwight Macdonald) - embrasse plus large que la « pop culture »,
qui semble avoir acquis aujourd’hui une dimension sémantique indépendante.
Ainsi, la « pop culture » serait plutôt une branche à part entière de la culture
populaire née avec la standardisation du divertissement de masse et dotée de
caractéristiques esthétiques la portant à attiser l’adhésion en prenant soin de se
renouveler régulièrement pour maintenir ladite adhésion de la part du (très) grand
public. La « pop culture » pourrait donc se définir par sa malléabilité, son souci de l’air
du temps et sa volonté de s’écarter à la fois de la culture académique et des traditions
ancestrales à partir desquelles la culture populaire a été forgée.
La pop culture se caractérise en outre par un souci hédoniste de divertir
totalement, spontanément, jouant de la proximité sonore entre le « pop » de « popular »
et une onomatopée figurant le surgissement, la soudaineté, comme lors de la propulsion
d’un bouchon de champagne. Pour comprendre ce qui fait la particularité de cette pop
culture, nous essaierons de comprendre ce qui la fait naître dans les années 20 aux
Etats-Unis puis devenir une catégorie si particulière au sein des industries culturelles
contemporaines. A travers ce panorama historique et esthétique, nous nous
demanderons de surcroît si la pop culture a engendré un effacement de l’auteur ou si
celui-ci a su reparaitre dans certaines conditions, revendiquant ses droits à une
propriété intellectuelle mais aussi à une œuvre à part entière.


a) De la « pop music » à la « pop culture »

Le terme « pop song » est apparu pour la première fois aux Etats-Unis dans les
années 1920 pour désigner une pièce musicale conçue pour plaire au plus grand
nombre. A cette époque, une rue de New York est consacrée à la musique populaire,
entre la Cinquième et la Sixième avenue. Les éditeurs qui vont constituer le répertoire
des chansons les plus appréciées du public s’y sont installés dès la fin du XIXe siècle,
faisant fructifier le marché des partitions. On surnommera rapidement ce quartier « Tin
Pan Alley » en raison du raffut incessant que l’on y entend, et qui voit sonner les pianos
occupés à jouer les airs à la mode comme une myriade de casseroles. Le développement
de l’industrie phonographique a construit le mythe d’un quartier où l’on se préoccupe
d’abord de retranscrire puis de faire enregistrer les futurs « tubes » de la musique
populaire, bientôt accessibles par radiodiffusion et vente au détail. La pop culture
pourrait donc bien avoir pris sa source dès les années 1920 aux Etats-Unis, au moment
où l’industrialisation des biens culturels atteint une forme de maturité et où les
producteurs de biens culturels ont déjà l’instinct de proposer des objets de
divertissement non seulement populaires mais surtout adaptés à la civilisation des
loisirs issue de l’accès du plus grand nombre à une forme de temps libre, possiblement
consacré à la consommation de musique, de films, de livres, de spectacles.
On pourrait donc voir poindre la pop culture dans un ensemble assez varié
d’objets artistiques, allant des films mettant en scène les Marx Brothers jusqu’aux comic-
books, en passant par les « pop-songs » promues par Tin Pan Alley et les comédies
musicales de Broadway1. Mutatis mutandis, cet ensemble engloberait aujourd’hui
l’ensemble des objets culturels relevant à la fois du « mainstream » tel que l’étudie
Frédéric Martel mais aussi d’une industrie plus confidentielle et « artisanale » cherchant
à perpétuer, malgré le passage des modes, le savoir-faire qui avait fait ses preuves dans
la pop culture passée.
Dans son livre Dialectique de la pop, la philosophe Agnès Gayraud choisit de lier
l’existence de la « musique populaire enregistrée » à l’essor de cette industrie
phonographique et aux modes de diffusion qu’elle implique.

Comme le cinéma ou la photographie, la musique populaire enregistrée partage donc
certains caractères des grands arts mécanisés en parallèle desquels elle s’est développée. Pour
penser ces arts soumis à la reproductibilité technique, il a fallu redéfinir l’idée d’œuvre, déplacer
l’opposition classique entre l’original et la copie, envisager des tensions entre les idéaux
esthétiques que leurs œuvres véhiculaient et les conséquences de leur circulation dans l’industrie
et dans la culture2.

Etudier des industries culturelles aussi particulières que celles qui s’engagèrent
dans le divertissement de masse depuis l’entre-deux-guerres nécessite donc d’en
décortiquer les rouages économiques et les conditions de production. Et de constater
que s’il y a d’emblée une volonté d’assujettir l’auteur « pop » à une standardisation
radicale, le succès permet paradoxalement au créateur de formuler de nouvelles
revendications quant à l’usage de son art et sa transformation en marchandise
culturelle.


b) Le rôle des comic-books dans l’émergence d’une pop culture

Dans un livre intitulé Pop culture, Richard Mémeteau tente de donner une
métaphysique générale à ce panel de produits culturels visant le divertissement total
mais aussi la confusion des sens, en sollicitant ensemble le rock, Harry Potter et RuPaul.


1 Broadway est la plus ancienne avenue allant du nord au sud de Manhattan, à New York. C’est là que les

New-Yorkais pouvaient admirer les « parades » célébrant la venue de personnages d’importance, la


première d’entre elles ayant eu lieu en 1886 à l’occasion de l’inauguration de la Statue de la Liberté. De
très nombreux théâtres s’y sont installés dès la fin du XIXe siècle, proposant dans les années 20 des
comédies musicales à succès.
2 Agnès Gayraud, Dialectique de la pop, Paris, La Découverte, 2018, p. 8.
De son côté, Hubert Artus livre dans Pop Corner un panorama plus historique,
démarrant son enquête sur « la grande histoire de la pop culture » avec l’étude des pulps
et la terminant avec celle de Pokémon Go. Complémentaires, ces deux études insistent,
comme le fait Agnès Gayraud, sur les conditions de production de ces marchandises
culturelles créées à la fois pour la masse – par sa reproductibilité industrialisable – et
pour l’individu. Car la pop culture ne saurait exister sans ce dialogue qu’elle tisse avec
un consommateur à qui elle fait vivre une expérience que ce dernier pense unique. Et si
les critiques qui lui ont été adressées – par Adorno et Horkheimer, par Dwight
Macdonald, par Christopher Lasch – ont toujours été battues en brèche par la bonne foi
de ceux qui ont reconnu avoir vécu à travers elle ce que d’autres vivaient à travers la
haute culture, c’est parce que son histoire suit celle de la haute culture en accouchant
régulièrement de produits ouvragés et qualitatifs, portés par des auteurs qui, un temps
satisfaits par la place d’artisans-ouvriers, ont toujours tôt fait de briguer celle d’artiste à
part entière.
L’histoire des comic-books américains atteste de cette montée en puissance de
l’auteur revendiquant son rang (et la rémunération adaptée) lorsque le succès est au
rendez-vous. Si le principe de cette industrie consiste à démultiplier les supports pour
leur attribuer des techniciens spécialisés (scénaristes, dessinateurs, dialoguistes,
encreurs, etc.) qui pourront fonctionner en équipes où ils seront interchangeables, son
histoire a prouvé que la création d’un personnage phare sous l’impulsion d’une idée
tranchante pouvait donner naissance à une authentique œuvre d’art, soucieuse du
monde et de son histoire, témoignant de l’intériorité complexe du ou des maîtres
d’oeuvre.
C’est, évidemment, ce qu’ont fait Joe Schuster et Jerry Siegel en créant le
personnage de Superman entre 1933 et 1938, le faisant passer d’une nouvelle de
science-fiction écrite par Schuster à une bande dessinée adaptée au format naissant des
comic-books. Le premier numéro d’un de ces comic-books, Action Comics, verra la
naissance d’un personnage et d’une œuvre qui deviendront très vite extrêmement
populaires. Bob Kane imitera ce schéma en 1939 avec The Bat-Man dont le succès sera
très vite au rendez-vous tandis que Jack Kirby3 et Joe Simon créeront le personnage de
Captain America en 1940, avant l’entrée en guerre des Américains, pour incliner
favorablement le public des comic-books à la lutte antinazie.
L’histoire des comic-books montre ainsi combien les principaux acteurs du
champ surent faire jouer la concurrence pour exiger une juste rémunération (et
l’affichage de leur nom en couverture) quand celle de la musique pop montre combien
les musiciens et paroliers employés pour travailler à la chaîne par les maisons d’édition
et les labels discographiques – on cite souvent l’exemple des célèbres employés du Brill
Building dans les années 50 et 60 – comprirent, le moment venu, qu’il était temps de
réclamer son dû ou de claquer la porte pour voler de ses propres ailes.


3 L’exemple de Jack Kirby est emblématique du besoin que l’industrie de la pop culture a toujours eu du

talent artistique unique – voire du génie – que seul un véritable « auteur » et non un honnête artisan
spécialisé dans le graphisme pouvait lui apporter, à travers l’exploration de son imaginaire propre. Né
Jacob Kurtzberg en 1917, fils d’immigrés juifs en proie à l’antisémitisme, enfant du Lower East Side, Jack
Kirby n’a cessé de nourrir son trait si reconnaissable avec son expérience des bagarres de rue, de la crise
de 1929 qui l’obligea à devenir vendeur de journaux pour aider sa famille puis de la Seconde guerre
mondiale d’où il reviendra blessé après avoir débarqué en Normandie dix jours après le Jour J. En créant
par la suite Les Quatre Fantastiques, L’Incroyable Hulk, Thor ou les X-Men, Jack Kirby devait montrer que
l’industrialisation du divertissement populaire n’a jamais pu s’économiser la participation de véritables
artistes, reconnus comme tels, à son fonctionnement.

c) The Independent Group, révélateur de la culture pop

Mais pour que la pop culture trouve aux yeux du public une véritable légitimité,
par-delà la consommation frénétique qui en était faite, il lui faudra attendre une
reconnaissance de la part des milieux artistiques académiques de l’après-guerre. Ainsi,
on peut supposer que l’invention du terme « pop art » a largement contribué à implanter
durablement la pop culture dans le paysage intellectuel et à lui donner une fonction
sociale étudiable.
C’est dans l’œuvre picturale I Was A Rich Man’s Playing d’Eduardo Paolozzi que
l’on voit apparaître pour la première fois le mot « pop » dans une œuvre d’art, celui-ci
surgissant d’un revolver tirant sur une pin-up sous un titre emprunté à la presse
populaire, « Intimate Confessions ». Ce collage fait s’entrechoquer ces références aux
magazines bon marché ainsi qu’une publicité pour Coca-Cola et une carte postale
représentant un bombardier. Les obsessions de l’après-guerre sont toutes présentes
dans cette œuvre de 1947, réalisée lorsque l’artiste réside encore à Paris.
Eduardo Paolozzi fait partie de l’Independent Group lorsque celui-ci se réunit
pour la première fois en 1952 à Londres, convoquant des personnalités telles que le
designer Reyner Banham, l’artiste et futur sociologue John McHale, le peintre Richard
Hamilton, le sculpteur William Turnbull, le photographe Nigel Henderson et le critique
Lawrence Alloway. Cette première session de réflexion sur les liens entre culture
populaire, mass media et art académique voit souvent des réunions se tenir à l’Institute
of Contemporary Art de Londres. Il est difficile aujourd’hui de savoir qui de John McHale
ou de Lawrence Alloway a sorti le premier de son chapeau l’expression « pop art » pour
baptiser les premières œuvres interrogées ou conçues par les membres de
l’Independent Group. Mais on peut affirmer sans se tromper que la présence du pop art
anglais est attestée lors de l’exposition This Is Tomorrow à la Whitechapel Art Gallery, en
août 1956 où de nombreux membres de l’Independent Group exposent leurs œuvres, à
l’instar de Richard Hamilton avec un collage intitulé Just What Is It That Makes Today’s
Homes So Different, So Appealing ? ou John McHale. Les œuvres présentées par les
artistes issus de l’Independent Group témoignent des réflexions menées au sein du
collectif à propos des barrières devenues poreuses entre art de masse et haute culture.
L’esthétique issue de la presse et de la publicité, remaniée par le sens de la dérision des
artistes dans des œuvres aux techniques mixtes (collage et peinture) donne naissance à
un élargissement du champ d’appréhension de l’œuvre d’art : celle-ci peut désormais
faire référence à tout ce que les classes populaires ont intégré à leur vie quotidienne
comme objets graphiques signifiants. Et c’est parce que ceux qui ont fait émerger cette
appellation s’intéressaient réellement à la culture de masse et à ce qu’elle pouvait
produire en matière de nouveauté artistique qu’elle a contribué à légitimer le monde
pop.
Si le pop art est né, et que ses principes esthétiques vont être bientôt défendus
par de nombreux critiques d’art, Lawrence Alloway en tête, c’est le signal qu’attendait la
pop culture encore méprisée par les instances de légitimation pour devenir un champ
esthétique à part entière, que pourront défendre des sociologues comme Edgar Morin
dès 1962 en France. La pop culture est prise au sérieux et la musique pop va s’imposer
partout (avec la Beatlemania, notamment) tandis que le cinéma, le design, l’architecture,
la mode viennent très vite participer à cette tendance qui ne disparaîtra plus du champ
intellectuel.




d) Naissance de la culture de jeunesse, naissance du rock’n roll

Après la Deuxième Guerre Mondiale apparaît une nouvelle catégorie sociale,
jusque là invisible. La jeunesse, enfin reconnue comme telle et qui deviendra
progressivement avec le baby-boom4 une population incontournable, s’affirme comme
un acteur de la société industrialisée et surtout de ce que l’on va bientôt nommer
« société de consommation », notamment à travers l’invention de l’argent de poche5 et
ses conséquences en termes industriels.
Doté d’un pouvoir d’achat distinct de celui de ses parents, le teenager (on doit
cette appellation au suffixe « teen » que l’on retrouve en anglais dans les nombres
emblématiques des années d’adolescence : thirteen, fourteen, fifteen, etc.) peut
désormais se faire prescripteur en matière de consommation culturelle et demander à
ce que des formes artistiques soient créées pour lui plaire (et non plus pour plaire aux
plus nombreux, comme c’est le cas avec la culture populaire de masse).
C’est sans doute ce qui va expliquer le décuplement des ventes de produits
culturels industrialisés conçus selon les critères prêtés à l’esthétique jeune :
immédiateté du plaisir fourni par leur consommation, et promesse de son infinie
reproduction, rupture avec la culture associée aux parents (d’où une certaine
attirance pour les tabous édictés par la société patriarcale dominante), sentiment
d’appartenance à une communauté singulière.
Plus qu’un nouveau genre musical, le rock’n roll des années 50, tel qu’il va être
élaboré commercialement par les maisons de disques et leurs producteurs, sera
l’emblème de cette jeunesse assoiffée de liberté. Empruntant à la fois au blues et au
rythm’n blues (notamment rythmiquement), à la country et au bluegrass, se spécialisant
de manière gourmande dans l’évocation métaphorique de l’acte sexuel, le rock va
transcender son ascendance pour constituer moins une recette musicale qu’un univers
de référence entier pour la jeunesse américaine.
Après les morceaux pionniers comme Good Rockin Tonight interprété par Roy
Brown en 1949 ou Rocket 88 de Jackie Brenston & The Delta Cats en 1951 (considéré
comme le premier morceau de rock’n roll par les historiens), ce sont les premiers
enregistrements d’Elvis Presley pour le label Sun Records6 en 1954 qui marqueront le


4 Comme l’explique Claude Chastagner, « Le baby-boom marque une nette rupture avec le déficit
démographique qu’avait entrainé la crise des années trente. Dès 1944, alors même que l’issue du conflit
reste incertaine, de nombreux Américains et à leur suite autant d’Européens, convaincus que le monde qui
allait émerger n’aurait plus rien à voir, en bien ou en mal, avec le précédent, se mettent à engendrer à un
rythme spectaculaire. Le poids démographique de cette tranche d’âge lui donnera quelques années plus
tard un pouvoir économique, politique et culturel décisif » (Claude Chastagner, De la culture rock, Paris,
Presses Universitaires de France, p. 11).
5 En 1959, le pouvoir d’achat annuel de la jeunesse américaine est estimé à dix milliards de dollars.
6 L’un des secrets de fabrication de Sam Philips serait d’avoir réussi à trouver un Blanc capable de jouer et

de chanter comme un Noir, selon ses propres mots : « Je suis arrivé à la conclusion qu’on pourrait vendre
un sacré paquet de ronds si on trouvait des musiciens blancs capables de jouer et de chanter de manière
aussi excitante et vivante que les Noirs ». Elvis Presley a quant à lui toujours reconnu sa dette envers les
musiciens afro-américains : « Les gens de couleur chantent et jouent [cette musique] comme je le fais
depuis des années. Ils l’ont jouée comme ça dans les bidonvilles et dans leurs bars, et personne ne s’y
intéressait jusqu’à ce que je lui donne plus d’ampleur. Ce sont eux qui me l’ont passée. Là-bas, à Tupelo,
Mississippi, j’avais l’habitude d’entendre Arthur Crudup taper dans sa gratte comme je le fais maintenant,
début de l’engouement radical de la jeunesse pour ce qui va se construire de plus en plus
comme un style de vie.
Témoigne en faveur de cette hypothèse l’imagerie que le rock va accompagner et
qui sera présente au travers d’œuvres cinématographiques où joue à plein le sentiment
de rébellion face à un ordre établi : L’Equipée sauvage de Laszlo Benedek en est la
preuve dès 1953, suivi par Sur les Quais d’Elia Kazan en 1954. Les deux films consacrent
Marlon Brando comme une icône de la culture jeune de l’époque, avec un personnage de
motard hautain et un autre de docker frayant avec la mafia, soudainement aux prises
avec sa conscience.
C’est en outre dans un film mettant en scène une jeunesse difficile et un
enseignant dépassé par les événements, Graine de violence, que l’on va retrouver l’un des
premiers tubes rock, Rock Around The Clock, interprété par Bill Haley, musicien issu de
la scène country et western. Le morceau se vendra à plus de vingt-cinq millions
d’exemplaires, peu avant qu’Elvis Presley ne vende à son tour des millions de disques.
Très vite concurrencé par d’autres modes musicales (dès la fin des années 50), le
rock’n roll va par ailleurs muter en d’autres formes musicales inspirées de son format
initial. Une deuxième vague de pionniers, de Buddy Holly à Richie Valens en passant par
Bo Diddley, va poursuivre l’édification d’un genre rythmique et mélodique
progressivement condamné à l’endormissement sur le territoire américain mais qui,
après avoir pénétré en Europe, va contaminer les Britanniques. Dès le début des années
60, les groupes anglais distribués aux Etats-Unis vont être responsables de ce qu’on
appellera alors la « British Invasion », incluant The Beatles7, The Rolling Stones ou The
Who.
Réactualisé par son voyage sur le Vieux Continent, le rock va se transformer en
une entité plus généraliste, accueillant différentes musiques amplifiées sous une
étiquette commune et bientôt subdivisée en sous-genres (rock garage, rock
psychédélique, etc.). L’un de ces sous-genres, le pop-rock, illustrera la capacité de la pop
culture à absorber les aspects générationnels du rock’n roll pour en faire un produit
comme d’autres :

La pop des débuts célèbre l’objet, le geste d’achat, le principe de mode. Elle y voit la
possibilité d’affirmer sa spécificité générationnelle, de marquer sa différence. L’esprit de
prévoyance des générations précédentes est rejeté, c’est par le « maintenant » de la
consommation qu’elle affirme sa modernité, dans l’étourdissante euphorie du refus des
conventions et des hiérarchies traditionnelles. La musique populaire des années cinquante était
un produit parmi d’autres, destiné au marché en pleine expansion des teenagers, et ni les
producteurs ni les consommateurs ne s’étaient formalisés qu’elle fasse l’objet d’un échange
marchand. Les premiers se réjouissaient de la manne adolescente qui leur arrivait, les seconds y
trouvaient la possibilité de satisfaire à bon compte leur fringale de consommation et de sécession
générationnelle8


Autant dire qu’avec les années 60, tous les ingrédients seront présents pour faire
de la pop culture un acteur majeur de la culture occidentale, dont le souci d’hédonisme
apparaît dès lors comme évident.

je me suis dit que si j’arrivais à ressentir tout ce que ressentait le vieil Arthur, je deviendrait un artiste
comme personne n’en a jamais vu » (interview de 1956)
7 Kim Fowley : « Les années 60 ont vraiment commencé avec la mort de Kennedy. (…) L’Amérique avait

besoin d’aimer quelqu’un après la mort de Kennedy, alors elle s’est mise à aimer les Beatles. Ça a été le
grand coup de veine de Brian Epstein » (Cité par Barney Hoskyns dans Waiting for the sun, p. 102)
8 Claude Chastagner, De la culture rock, op. cit., p. 148.

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