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COURS DE PHILOSOPHIE

L’ART ET LE LANGAGE
© J.-P. DELANGE
2019-2020
PHILOSOPHIE DE L’ART 1

INTRODUCTION

La question de l’Art

« La question de l’Art » est une tournure assez malvenue, car elle embrasse
diverses thématiques et de nombreux enjeux qui font signe vers des distinctions
comme celles qui concernent les différences entre le travail et l’œuvre, entre
l’usage, le besoin et le désir de représenter, entre l’image et l’irreprésentable,
entre le besoin et le plaisir esthétique, etc. La première grande thématique in-
terroge la création (ou la production) de l’Art et ses justifications : pourquoi
existe-t-il quelque chose que l’on appelle Art ? La question suivante, articulée
à la première, relève de la production de l’Art lui-même dans son rapport au
travail. L’Art, il faut le rappeler est la mise en forme d’un matériau et engage de
ce fait à la fois l’habileté et le savoir-faire ainsi que les connaissances nécessaires
du matériau qu’il s’agit de mettre en forme et, partant, il engage une pratique
dont il s’agit de comprendre ses rapports à la connaissance (à la science) et à la
pratique (par le biais du travail). La seconde grande thématique porte sur les
« effets » de l’Art, sur la réceptivité de l’œuvre par le spectateur. Cette théma-
tique fait l’objet d’une réflexion de la part de ce qu’on appelle les philosophies
de l’Art. Une part importante de ces philosophies est consacrée à l’esthétique, do-
maine qui porte sur la manière dont les spectateurs appréhendent l’objet d’art
(ou le spectacle qui s’offre à eux).
Si on jette un coup d’œil général mais attentif sur ce qu’on appelle l’Art,
on remarquera qu’il se révèle aujourd’hui sous différents aspects plus ou moins
institutionnels : il sature l’espace de la vie quotidienne de manière très visible,
qu’il s’agisse de la musique à la radio, du cinéma, de l’opéra, des grands mo-
numents urbains (pensons à la gigantesque statue de la Liberté ouvrant sur le
port et la ville de New York), de la danse, ou des pratiques privées et publiques,
comme le dessin et la peinture. Cette saturation est d’abord politique, puisque
la vie collective contemporaine, dans les régimes libéraux républicains démo-
cratiques, l’art fait non seulement l’objet d’un enseignement public et privé,
mais il est aussi soutenu dans ses pratiques par des institutions publiques et
2 LA QUESTION DE L’ART

privées (cf. le mécénat). Aussi, est-il devenu l’objet d’un métier et de profes-
sions (comme par exemple « éclairagiste de théâtre »), tout comme il est aussi
devenu un loisir et un objet commercial : on voit un marché de l’Art (et des
investisseurs économiques sur ce marché1), tout comme l’Art est devenu l’objet
de pratiques privées au titre du divertissement (ce que les anglo-saxons dési-
gnent par entertainment), générant une économie et une industrie de l’Art. Sur
ce dernier point, les Anglo-saxons restent fidèles au réalisme et au pragmatisme
que les Européens perçoivent en eux. En France, il n’est nullement question
de désigner par industrie des activités de fabrication d’objets d’art, qui restent
pourtant des produits commerciaux destinés à la consommation du grand pu-
blic. On préférera jouer avec plus ou moins de sincérité la carte de l’indignation
— il existe une noblesse inhérente à l’Art qui ne saurait déchoir — pendant
que, outre-Atlantique, on forme des acteurs et des techniciens, des scénographes,
des réalisateurs et des scénaristes, des musiciens et des compositeurs dans les
Universités, afin de commercialiser sur le marché mondial des produits culturels
adaptés aux marchés locaux, non sans succès. Ce qui est vrai du cinéma (ou des
séries diffusées par l’opérateur de réseaux câblés Netflix) est tout aussi vrai de
la scène musicale américaine, qui a su trouver son public all over the world, avec
le même sens commercial que celui qui a permis aux sodas vendus par la firme
Coca-Cola de régner partout. Le phénomène des soap opera — ces séries télévisées
qui à l’origine étaient financées par les compagnies faisant commerce de lessives
— apporte avec lui la question de l’art de masse, au même titre que les romans
policiers, ou les romans de gare à connotation sentimentale2, dont le format, les
modalités de vente et la promotion appartiennent au monde du marketing. L’art
de masse semble ainsi être tributaire de techniques de commercialisation qui
autorisent la mise en rayon des multiples produits dont la diffusion rencontrera

1
La vente aux enchères dans les années 80 du XXe siècle de plusieurs toiles de Van Gogh
représentant des tournesols et leur achat par un consortium de banques japonaises pour des
montants astronomiques, a durablement marqué les esprits. La peinture est ainsi entrée de plain-
pied dans le cercle des enjeux financiers internationaux au titre de moyen d’investissement, de
la même manière que les investissements immobiliers ou les junk bonds.
2
Les romans sentimentaux désignent un genre de littérature stéréotypée dit «à l’eau de rose», dont
le grand succès est dû à un lectorat essentiellement féminin.

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PHILOSOPHIE DE L’ART 3

autant de succès que les pâtes à tartiner ou les nains de jardin.

Dans ce cours, j’aborde les grandes thématiques concernant l’Art en cher-


chant à les éclairer suivant un cheminement historique (plutôt qu’un chemine-
ment qui privilégie un point de vue philosophique sur l’Art plus qu’un autre) ;
ce cheminement historique est légitimé par le fait que ce que nous appelons
« Art » aujourd’hui exclut toute une série d’activités en vue d’ennoblir l’œuvre
et de rejeter tout ce qui pourrait avoir un quelconque rapport avec l’usage (tout
ce qui relève de la décoration, de l’ameublement, etc.). Cela tient à la grande
coupure qui a lieu consciemment au XVIIIe, à partir du moment où les struc-
tures professionnelles qui encadraient les métiers d’art (les Guildes des Artisans)
ont été abandonnées, au profit d’une distinction entre les arts de l’artisan et les
Beaux-Arts. Les arts nobles, à commencer par la peinture, la musique, et ainsi de
suite ont été détachés des moins nobles (menuiserie, marquetterie, plâtrerie. Les
Beaux-Arts ont été mis sous la tutelle des Académies, qui prétendaient organi-
ser non seulement les métiers, mais les canons qui présidaient à l’exécution. On
est donc passé assez rapidement XVIIIe de l’atelier dirigé par un maître, avec
ses ouvriers et ses apprentis, à la figure de « l’Artiste », magnifiée par le cou-
rant intellectuel romantique au début du XIXe, qui bien que travaillant parfois
en atelier (avec une équipe : c’est vrai pour la sculpture ou les grandes œuvres
peintes), s’est vu investi de la figure de la « génialité subjective », pour employer
une expression tirée de Hegel3. Cette grande coupure met fin à pratiquement un
millénaire de réflexion sur les arts, pour basculer vers la question de la créativité
et le statut de l’artiste dans la société moderne. Il est remarquable de voir au-
jourd’hui le succès de ce qu’on appelle « l’art conceptuel » (de fait un art sans
œuvre), comme en littérature des « écrits littéraires » fondés sur l’autofiction (des
écrits dont la substance provient des anecdotes puisées dans le vécu de l’auteur).
Le triomphe de l’Artiste est perceptible déjà dans les premiers moments de la
modernité, puis se fait plus présent, jusqu’à devenir explicitement la proposition

3
Cf. L’ouvrage de Nathalie Heinich sur l’émergence de l’artiste dans le monde démocratique
moderne : Heinich, N. (2005). L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique.
Paris: Gallimard. Concernant la thématique de l’Art et du génie, j’en donnerai plus bas des
développements spécifiques.
4 LA QUESTION DE L’ART

d’une way of life (cf. la lettre au lecteur des Essais de Montaigne, l’adresse au
lecteur des Confessions de Rousseau, ou encore le propos de Nietzsche qui veut
faire de chacun un artiste).

Voici le plan du cours :

a. Qu’est ce que l’Art et pourquoi s’y intéresser ?

b. Les grandes thématiques.

c. Le langage de l’Art

d. La philosophie de l’Art et la question de l’esthétique.

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PHILOSOPHIE DE L’ART 5

L’Art et la technique

Aux origines

La technique comme mise en forme de la matière

Mélancolie et Acédie

La Mélancolie

Du point de vue de l’érudition, la mélancolie (littéralement : μελαγχολικός, mélan-


kolikos, désigne celui qui a la bile noire, l’atrabilaire qui est de mauvaise humeur)
est un état qui fait l’objet d’études depuis la plus haute antiquité. C’est même
l’objet du Problème XXX attribué à Aristote, mais vraisemblablement rédigé par
son élève et éditeur Théophraste4. L’homme mélancolique, comme le mot l’in-
dique, a le visage sombre, soucieux, tourné vers la terre : il broie du noir, il est
de mauvaise humeur. On est fort loin, avec le mélancolique, de la gaîté et de
l’enthousiasme, mais le caractère intuitif et l’imagination du mélancolique lui
permettent d’effectuer des rapports qui alimentent sa créativité : c’est une per-
sonne sombre, à la limite de l’anxiété, mais qui s’avère géniale, soutenue par les
Muses, ou par de mystérieuses forces créatrices5. Une illustration de la mélan-
colie a été gravée par Albrecht Dürer ; en voici ci-dessous une reproduction :

4
Cf. Aristote (2019). L’homme de génie et la mélancolie (J. Pigeaud, Éditeur) (J. Pigeaud, Traduc-
teur). (Jackie Pigeaud édition). Paris: Payot-Rivages.
5
La mélancolie a fait l’objet d’une étude assez développée en esthétique, notamment sur l’œuvre
d’Albrecht Dürer, Mélencholia I. Cf. Klibansky, R., Panovsky, E., & Saxl, F. (1989). Saturne et la
mélancolie (F. Durand-Bogaert & L. Évrard, Traducteur). Paris: Gallimard.
6 MÉLANCOLIE ET ACÉDIE

Figure 2.1 Abrecht Dürer :


Melencholia I (1514).

Si on s’éloigne d’Aristote et que l’on s’intéresse maintenant à la psychologie


du premier existentialisme, donc à Kierkegaard, ou même à certains aspects du
romantisme — tel qu’il est décrit, par exemple, par Chateaubriand comme « le
vague des passions » :

« Il reste à parler d’un état de l’âme qui, ce nous semble, n’a pas encore été bien
observé ; c’est celui qui précède le développement des passions, lorsque nos facultés,
jeunes, actives, entières, mais renfermées, ne se sont exercées que sur elles-mêmes, sans
but et sans objet. Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état du vague des
passions augmente […] On est détrompé sans avoir joui ; il reste encore des désirs, et
l’on n’a plus d’illusions […] On habite, avec un cœur plein, un monde vide ; et, sans
avoir usé de rien, on est désabusé de tout. »6.

— on peut suggérer que la tension spirituelle qui dénote la mélancolie est


agencée ainsi : la personnalité mélancolique est confrontée à la réalité de l’exis-
tence, qui apparaît à bien des égards finie, limitée, pauvre et, à tout prendre,
sans intérêt. Cependant, cette perception produit ceci de remarquable, que le
mélancolique ne fait pas son deuil de cette finitude. L’existence confortable et
ses craintes — en quoi on reconnaît « la vie bourgeoise » — va de paire avec des
amusements, sinon puérils, du moins des distractions pour occuper le temps,
alors que des conditions de vie précaires excitent le besoin de rechercher des res-

6
Cf. Chateaubriand, F. R. (1993). Le Génie du Christianisme. Paris: Flammarion. Deuxième partie.

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PHILOSOPHIE DE L’ART 7

sources intellectuelles et psychologiques7. C’est ce qui est déjà noté par Rousseau
dans le Discours sur l’Origine et les Fondements de l’Inégalité parmi les Hommes,
lorsqu’il distingue l’homme de la nature de l’homme des villes, en insistant
sur le fait que « le sauvage robuste [...] se porte tout entier lui-même ». Cette
dimension de la fragilité de l’homme, soulignée à gros traits par Rousseau chez
l’homme socialisé et urbanisé, quelle qu’en soit l’origine et quelle que soit la
manière dont on l’aborde, avait déjà été notée de manière un peu différente par
Blaise Pascal : « l’homme est un roseau pensant » :

« L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant.
Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau
suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble
que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui,
l’univers n’en sait rien »8.

La tension produite par l’appréhension du mystère de l’Homme et de sa


finitude, mais qui pourtant se confronte à l’infinité de l’univers et à la profon-
deur de la méditation sur la vie et sa dépendance à l’égard de Dieu, forme un
réel contraste avec l’étroitesse des mesquineries humaines et des préoccupations
superficielles du train des choses de la vie bourgeoise, eu égard aux grands
enjeux spirituels qui ne manquent pas d’assaillir l’individu, dès qu’il s’agit de
s’interroger sur le type d’existence qu’il est appelé à choisir.
Cette tension conduit certains êtres à retrouver l’absolu dans la jouissance de
la solitude. Le thème de la solitude est récurrent dans l’œuvre de Jean-Jacques
Rousseau, comme le rejet des contraintes négatives, le travail en particulier, qui
porte chez Rousseau la marque de la pure négativité. L’homme civil « sue sang
et eau » pour se distinguer dans une activité qui est celle de Sisyphe :

« C’est une des singularités du cœur humain, que, malgré le penchant qu’ont tous les
hommes à juger favorablement d’eux-mêmes, il y a des points sur lesquels ils s’estiment
encore plus méprisables qu’ils ne le sont en effet. Tel est l’intérêt, qu’ils regardent comme

7
E. Kant remarque dans un propos non dénué de sarcasmes — dans son opuscule l’Anthropologie
au point de vue pragmatique, § LX. — en citant le cas de Lord Mordaunt que « les Anglais se
pendent pour passer le temps ».
8
Cf. Pascal, B. (2004). Pensées (M. L. Guern, Éditeur). Paris: Gallimard. Pensée 186.
8 MÉLANCOLIE ET ACÉDIE

leur passion dominante, quoiqu’ils en aient une autre plus forte, plus générale et plus
facile à rectifier, qui ne se sert de l’intérêt que comme d’un moyen pour se satisfaire,
c’est l’amour des distinctions. On fait tout pour s’enrichir, mais c’est pour être considéré
qu’on veut être riche. Cela se prouve en ce que, au lieu de se borner à cette médiocrité
qui constitue le bien-être, chacun veut parvenir à ce degré de richesse qui fixe tous les
yeux, mais qui augmente les soins et les peines et devient presque aussi à charge que
la pauvreté même.9 »

Avec Rousseau, l’Homme sauvage — l’« homme de la nature » — est soli-


taire et asocial ; dans l’ouvrage d’éducation que publie Rousseau (l’Émile), Émile
n’a pas de père ; dans les Rêveries du Promeneur solitaire, Jean-Jacques jouit de
lui-même et absolument (« comme Dieu », écrit-il) ; les signes les plus éloquents
ne sont pas les paroles, mais leur expressivité et leur accent, que transporte et
produit le corps10. La Nature apparaît alors comme une Chose en soi originaire,
maternelle, généreuse et abondante (dont Rousseau ne fait pas son deuil), dans
quoi la civilisation pénètre par effraction, par (« le funeste hasard ») selon l’ex-
pression du Discours sur l’Origine... avec la violence de l’ordre social, violence
qui ordonne la nature en l’objectivant. Mais cet ordre, pour le philosophe de
Genève, est un ordre mutilant :

« La terre abandonnée à sa fertilité naturelle, et couverte de forêts immenses que la


cognée ne mutila jamais [...] La métallurgie et l’agriculture furent les deux arts dont
l’invention produisit cette grande révolution. Pour le poète, c’est l’or et l’argent, mais
pour le philosophe ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes, et perdu le genre
humain [...]11 ».

9
Rousseau, J. J. (1964, 10). Rousseau : Œuvres complètes, tome 3. (Volume 3). Gallimard. Fragments
politiques, V : De l’honneur et de la vertu, pp.501-502.
10
Je fais référence ici, dans l’ordre, aux ouvrages de Rousseau suivants : Rousseau, J. J. (1989).
Discours sur l’Origine et les Fondements de l’Inégalité parmi les Hommes (J. Starobinsky, Éditeur). (No
18). Paris: Gallimard.; Rousseau, J. J. (2009). Émile ou de l’Éducation (A. Charrak, Éditeur). (No
1428). Paris: Flammarion.; Rousseau, J. J. (2001). Les Rêveries du Promeneur solitaire (M. Crogiez,
Éditeur). Paris: Le Livre de Poche.; Rousseau, J. J. (1993). Essai sur l’Origine des Langues (C.
Kintzler, Éditeur). (Volume 682). Paris: Flammarion. On peut trouver une analyse pénétrante
(mais rapide) de la mélancolie de J.-J. Rousseau dans Juranville, A. (1993). La femme et la
mélancolie. Paris: P.U.F.. pp. 43-46.
11
Rousseau, J. J. (1989). Discours sur l’Origine et les Fondements de l’Inégalité parmi les Hommes (J.
Starobinsky, Éditeur). (No 18). Paris: Gallimard. Première partie. C’est moi qui souligne.

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PHILOSOPHIE DE L’ART 9

La solitude exaltée par Rousseau est tout à la fois celle de l’Âge d’Or de
l’être humain (vivant au hasard et seul) dans la situation des origines (« qui
n’existe plus, qui n’a peut-être point existé, qui probablement n’existera jamais,
et dont il est pourtant nécessaire d’avoir des notions justes ... »), où seule la loi
d’une Nature généreuse sert de guide instinctif12. Elle est aussi la solitude que
Jean-Jacques a choisie, dans la posture tragique de « celui qui est rejeté par la
société », rejeté par ses amis, rejeté par tous :

« Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frere, de prochain, d’ami, de société
que moi-même. Le plus sociable & le plus aimant des humains en a été proscrit par
un accord unanime. Ils ont cherché dans les rafinemens de leur haine quel tourment
pouvoit être le plus cruel à mon ame sensible, & ils ont brisé violemment tous les liens
qui m’attachoient à eux. J’aurois aimé les hommes en dépit d’eux-mêmes. Ils n’ont pu
qu’en cessant de l’être se dérober à mon affection. Les voilà donc étrangers, inconnus,
nuls enfin pour moi puisqu’ils l’ont voulu. Mais moi, détaché d’eux & de tout, que
suis-je moi-même ?13 »

La mélancolie de Rousseau s’articule sur fond de rejet de la loi et des effets


de la sociabilité (les sciences et les arts, puisque : « les sciences, les lettres, et les
arts, moins despotiques et plus puissants peut-être, étendent des guirlandes de
fleurs sur les chaînes de fer dont ils sont chargés, étouffent en eux le sentiment de
cette liberté originelle pour laquelle ils semblaient être nés, leur font aimer leur
esclavage14 »), mais aussi sur fond de rejet des contraintes négatives : dans la
maison de Madame de Warens — sa protectrice qui l’héberge à Chambéry — il
ne poursuit aucune activité, sinon celle de se fabriquer « son magasin d’idées »
en lisant ce qui lui tombe sous la main. Sur le Lac de Bienne dans l’île Saint-
Pierre, près de Neufchâtel, son bonheur se trouve au fond de la barque, où
l’oisiveté et le désœuvrement ne constituent certainement pas un loisir, mais

12
Il faut rappeler que la conscience pour Rousseau est un «guide instinctif et sûr», car elle n’est
pas nourrie par le raisonnement et la délibération, qui eux, en revanche, deviennent la cause de
la dénaturation morale de l’homme.
13
Rousseau, J. J. (2001). Les Rêveries du Promeneur solitaire (M. Crogiez, Éditeur). Paris: Le Livre
de Poche. Première promenade.
14
Cf. Rousseau, J. J. (1996). Discours sur les Sciences et les Arts (J. Berchtold, Éditeur). (No 304).
Paris: Gallimard. Première Partie.
10 MÉLANCOLIE ET ACÉDIE

contribuent à une passivité totale, ou seul le « sentiment de l’existence » est


éprouvé comme un bonheur sublime — remarquons aussi que ce bonheur ne
se goûte que par contraste à l’activité de ceux qui en forment la condition. Cette
sublimité du bonheur recherchée dans une passivité et une recherche du vide
— rien ne se passe, rien n’est effectué — n’est possible que par un extraordinaire
effacement de tout ce qui pourrait être la substance de l’activité de l’homme dans
le monde :

« Le précieux farniente fut la premiere & la principale de ces jouissances que je voulus
savourer dans toute sa douceur, & tout ce que je fis durant mon séjour ne fut en effet
que l’occupation délicieuse & nécessaire d’un homme qui s’est dévoué à l’oisiveté ».

L’évanescence du désir, des idées et des sentiments forment la condition


nécessaire d’un bonheur où, certes, on ne manque de rien, où « on se suffit à
soi-même », mais qui n’est ni l’effet d’une action ou d’une série d’actions, ni
le résultat d’un désir ou d’une tâche. C’est par le vide d’être que Jean-Jacques
éprouve quelque chose qui est de l’ordre à la fois de la co-extension et de
l’immersion au sein des éléments, une forme d’adéquation de son être avec
l’instant qui dure. Mais ce bonheur se fait contre les autres, dans la séparation
nécessaire d’avec les contraintes de la vie sociale :

« De quoi jouit-on dans une pareille situation ? De rien d’extérieur à soi, de rien sinon
de soi-même & de sa propre existence, tant que cet état dure on se suffit à soi-même,
comme Dieu. Le sentiment de l’existence dépouillé de toute autre affection est par lui-
même un sentiment précieux de contentement & de paix, qui suffirait seul pour rendre
cette existence chère & douce à qui saurait écarter de soi toutes les impressions sensuelles
& terrestres qui viennent sans cesse nous en distraire & en troubler ici-bas la douceur.
Mais la plupart des hommes, agités de passions continuelles, connaissent peu cet état,
& ne l’ayant goûté qu’imparfaitement durant peu d’instants n’en conservent qu’une
idée obscure & confuse qui ne leur en fait pas sentir le charme. Il ne serait pas même
bon, dans la présente constitution des choses, qu’avides de ces douces extases ils s’y
dégoûtassent de la vie active dont leurs besoins toujours renaissants leur prescrivent le
devoir. Mais un infortuné qu’on a retranché de la société humaine & qui ne peut plus
rien faire ici-bas d’utile & de bon pour autrui ni pour soi, peut trouver dans cet état à
toutes les félicités humaines des dédommagements que la fortune & les hommes ne lui
sauraient ôter15. »

15
Rousseau, J. J. (2001). Les Rêveries du Promeneur solitaire (M. Crogiez, Éditeur). Paris: Le Livre

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PHILOSOPHIE DE L’ART 11

Cette situation de solitude comme approche singulière du bonheur est un


privilège rare. Si rare que Rousseau déconseille aux « autres » d’en goûter l’es-
sence : « Il ne serait pas même bon, dans la présente constitution des choses,
qu’avides de ces douces extases ils s’y dégoûtassent de la vie active dont leurs
besoins toujours renaissants leur prescrivent le devoir ». Rousseau voit assez
clair dans sa mélancolie. Certes, il revendique une situation privilégiée et unique
(sur fond de détestation, de complot et de rejet), et il se fait le héraut de cette
liberté dont il porte haut l’étendard. Pourtant (et ceci annonce cette autre ma-
ladie de l’âme qu’est l’acédie), ce n’est pas par un désir extravagant de liberté
que Rousseau recherche la solitude et y trouve son bonheur. Il s’en explique
lui-même dans la première lettre qu’il écrit à un de ses protecteurs, Lamoignon
de Malesherbes16 :

« Je suis né avec un amour naturel pour la solitude, qui n’a fait qu’augmenter à mesure
que j’ai mieux connu les hommes. Je trouve mieux mon compte avec les êtres chimé-
riques que je rassemble autour de moi, qu’avec ceux que je vois dans le monde ; & la
société dont mon imagination fait les frais dans ma retraite, acheve de me dégoûter de
toutes celles que j’ai quittées. Vous me supposez malheureux & consumé de mélancolie.
Oh ! Monsieur, combien vous vous trompez ! C’est à Paris que je l’étois ; c’est à Paris
qu’une bile noire rongeoit mon cœur, & l’amertume de cette bile ne se fait que trop
sentir dans tous les écrits que j’ai publiés tant que j’y suis resté [...] Longtems je me suis
abusé moi-même sur la cause de cet invincible dégoût que j’ai toujours éprouvé dans le
commerce des hommes [...] Quelle est donc enfin cette cause ? Elle n’est autre que cet
indomptable esprit de liberté, que rien n’a pu vaincre, & devant lequel les honneurs, la
fortune, & la réputation même ne me sont rien. Il est certain que cet esprit de liberté
me vient moins d’orgueil que de paresse ; mais cette paresse est incroyable ; tout l’ef-
farouche ; les moindres devoirs de la vie civile lui sont insupportables ; un mot à dire,
une lettre à écrire, une visite à faire, dès qu’il le faut, sont pour moi des supplices [...]
En un mot l’espece de bonheur qu’il me faut, n’est pas tant de faire ce que je veux, que
de ne pas faire ce que je ne veux pas. La vie active n’a rien qui me tente ; je consentirois
cent fois plutôt à ne jamais rien faire, qu’à faire quelque chose malgré moi.17 »

de Poche. 5e Promenade
16
Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, (1721-1794), magistrat, botaniste et homme
d’État français. Directeur de la censure royale (Directeur de la Librairie), il soutint l’Encyclopédie de
Diderot et d’Alembert, ainsi que Jean-Jacques Rousseau, avec lequel il eût une correspondance.
17
Rousseau, J. J. (2003). Lettres philosophiques (J. F. Perrin, Éditeur). Le Livre de Poche. (C’est moi
12 MÉLANCOLIE ET ACÉDIE

Jean-Jacques Rousseau n’est certainement pas une personne simple, ni même


une personne facile, cela est entendu et je ne fais que rappeler ici des choses bien
connues des spécialistes : par-delà la mélancolie et le caractère acédiaque reconnus
et même revendiqués par le philosophe lui-même, il faut préciser deux choses,
dont l’une serait d’ordre psychanalytique et l’autre d’ordre philosophique. Pour
la psychanalyse, il ne fait aucun doute que ce qui distingue le cas Rousseau d’un
cas de psychose classique est que sa résilience18 tient au fait qu’il a pu sublimer sa
structure névrotique en créant une œuvre. Il est remarquable que les ouvrages de
Rousseau qui l’ont rendu si célèbre (son livre l’Émile sera lu dans toute l’Europe)
et dont il dit qu’ils ont été responsables de tous les maux qu’il a eu à subir,
constituent pourtant ce par quoi il a pu échapper à une psychose invalidante19.
En ce qui concerne le domaine philosophique, ce qui pose le plus problème
dans la pensée de Rousseau est son rejet de la médiation. C’est vrai d’abord
sur le plan religieux : Rousseau rejette la Tradition (c’est-à-dire la théologie
catholique, ce qu’il appelle la religion des prêtres20) ; il rejette les intermédiaires ;
ce rejet s’applique aussi à tout ce qui peut apparaître comme un facteur indirect
par lequel les Hommes s’organisent dans la sociabilité et la vie politique. Le
travail, en tant qu’activité laborieuse, apparaît aux yeux de Rousseau comme le
creuset bouillonnant des inclinations qui font gonfler d’orgueil le cœur humain.
Le souci de la distinction est en même temps la cause de leur séparation en
classes inégales. C’est du fait du travail et de la transformation de la Nature
que les Hommes se regroupent, mais c’est l’objectif poursuivi dans le travail

qui souligne).
18
La résilience est la capacité de surmonter les situations de traumatisme (qu’il s’agisse des guerres,
des violences subies dans l’enfance, ou des deuils).
19
On peut ajouter au tableau clinique de l’exaltation, dont Rousseau n’est pas avare (en témoigne
la scène du chemin de Vincennes, où Rousseau est pris d’un étourdissement et mouille sa chemise
de larmes, en ayant l’intuition du plan de ce qui deviendra le Discours sur les Sciences et les Arts),
celui de la pathologie néphrétique dont il souffre depuis sa jeunesse et qui a été cause de crises
d’urémie — le délire de persécution des dernières années s’ajoute aux effets de cette maladie
néphrétique. Une vie en somme qui repose sur la compulsion de fuite dans l’imaginaire et le
désir de fusionner avec la Chose, qui est considérée comme un absolu.
20
Cf. Rousseau, J. J. (2009). Émile ou de l’Éducation (A. Charrak, Éditeur). (No 1428). Paris:
Flammarion. Livre IV (Profession de foi du Vicaire savoyard :«Que d’hommes entre Dieu et moi»

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PHILOSOPHIE DE L’ART 13

— se distinguer des autres, pour Rousseau — qui conduit paradoxalement à


l’isolement, à l’inégalité et à l’injustice, incarnées par l’insupportable sécheresse
du cœur de « celui qui raisonne ». On trouve cette sécheresse dans la formule
employée dans le Discours sur l’Origine et les Fondements de l’Inégalité parmi les
Hommes, à propos de l’antagonisme entre « celui qui raisonne » (le Philosophe)
et celles qui « n’écoutent que leur cœur » (les femmes des Halles) :

« C’est la raison qui engendre l’amour-propre, et c’est la réflexion qui le fortifie ; c’est
elle qui replie l’homme sur lui-même ; c’est elle qui le sépare de tout ce qui le gêne et
l’afflige : c’est la philosophie qui l’isole ; c’est par elle qu’il dit en secret, à l’aspect d’un
homme souffrant : péris si tu veux, je suis en sûreté. Il n’y a plus que les dangers de la
société entière qui troublent le sommeil tranquille du philosophe, et qui l’arrachent de
son lit. On peut impunément égorger son semblable sous sa fenêtre ; il n’a qu’à mettre
ses mains sur ses oreilles et s’argumenter un peu pour empêcher la nature qui se révolte
en lui de l’identifier à celui qu’on assassine »21.

La comparaison, la compétition et l’orgueil22 sont provoqués par l’abandon


de la Nature comme un Tout mythifié et originaire ; la socialisation et la politisa-
tion vont alors de paire avec la médiation du travail qui transforme la Chose en
objets (la « Chose » étant la Nature comme absolu indifférencié et mythique) et
les Hommes en société de citoyens. On passe ici de l’unité originaire de l’Âge d’Or
aux séparations et aux divisions dialectiques, par lesquelles la recherche de l’uni-
té passe par la construction du commun : les séparations hommes/femmes, pa-
rents/enfants, vieux/jeunes, amis/étrangers, commandants/commandés, etc. vont
faire place à un intense travail d’arrangement et de configuration politique et
non à un repli statique vers « l’âge des cabanes », âge d’Or sentimental et prin-
cipalement imaginaire.
Jetons maintenant un coup d’œil rapide sur le jeu de la séparation dans
les termes du langage des sentiments et de l’affectivité. On peut comprendre
l’intérêt que Rousseau porte à la vibration affective produite par la musique et

21
cf. Rousseau, J. J. (1989). Discours sur l’Origine et les Fondements de l’Inégalité parmi les Hommes
(J. Starobinsky, Éditeur). (No 18). Paris: Gallimard. Première partie.
22
La thématique de la compétition et de l’orgueil est ancienne en philosophie politique. Ce n’est
pas Rousseau qui la met sur le devant de la scène, mais Hobbes, sous l’aspect de la vain glory.
Cf. Hobbes, T. (2000). Leviathan (G. Mairet, Éditeur) (G. Mairet, Traducteur). Paris: Gallimard.
14 MÉLANCOLIE ET ACÉDIE

notamment par le chant. Rousseau est musicien et il a obtenu un bref succès


auprès de la Reine et du Roi avec son opéra, le Devin de village. Cependant, si la
structure musicale a vocation à exalter les sentiments, si elle a vocation à pro-
duire une affectivité sentimentale, la montée brutale de l’affectivité qui tire des
larmes (ou comme « les femmes des Halles, qui séparent la canaille, pendant
que le philosophe s’argumente dedans son lit »), les chants autour du « cristal
des fontaines »23 constituent pour Rousseau le ressort par lequel l’instinct na-
turel produira son effet immédiat dans les relations avec autrui. Cette modalité
instinctive (et partant immédiate et irréfléchie) de la structure de connaissance et
de l’appréhension de la vérité du rapport à autrui, structure qui informe l’action
selon le principe moral de l’intérêt (je ne suis pas insensible aux signes de la
souffrance que je lis chez l’autre, si mon intérêt n’est pas mis en balance) qu’il
s’agisse de la conscience morale, de l’épreuve du bonheur, ou du rapport à la Nature
vis-à-vis de laquelle le philosophe Genevois finit par ne plus avoir de mots24, se
substitue à une pensée dialectique impropre à restituer le besoin de s’immerger
dans la Chose, pour s’y incorporer, afin de participer au flux originaire et ma-
ternant, où vagabonde l’imagination. L’Essai sur l’Origine des Langues, à ce titre,
ne fait que rappeler une fois encore l’opposition entre la structure grammaticale
et rhétorique de la Philosophie — vers laquelle Rousseau épuise avec constance
les flèches de son carquois — qui est proprement le champ du logos, d’un cô-
té, et la prévalence rousseauiste de l’expression, de l’autre, par la valorisation
de l’accent et la survalorisation des signes qui stimulent l’imagination. Cette
méfiance à l’égard du concept et du raisonnement — nécessairement controuvés,
mensongers et fourbes pour Rousseau — ouvre la carrière à l’idée que ce qui
est vrai est ce qui est senti. Et ce « sentiment » n’est vrai que parce qu’il relève
d’une authenticité fondamentale par-delà toute preuve. On l’a vu, en effet, il n’y
a aucune preuve qui permette d’accuser Jean-Jacques d’avoir délibérément voulu

23
cf. Rousseau, J. J. (1993). Essai sur l’Origine des Langues (C. Kintzler, Éditeur). (Volume 682).
Paris: Flammarion.
24
Cf. Lettres à Malesherbes, Lettre 3 : « Je crois que si j’eusse dévoilé tous les mysteres de la nature,
je me serois senti dans une situation moins delicieuse que cette etourdissante extase à laquelle
mon esprit se livroit sans retenue, et qui dans l’agitation de mes transports me faisait écrier
quelquefois : Ô grand etre ! ô grand etre ! sans pouvoir dire ni penser rien de plus ».

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PHILOSOPHIE DE L’ART 15

faire le mal en volant le ruban chez Madame de Vercellis, bien que tout vienne
l’accuser : c’est que la vérité réside au fond des cœurs, non dans l’intelligence
des rapports complexes et leur expression, dont il faut toujours se méfier. Nous
pourrions ici très certainement nous tourner vers Blaise Pascal (que nous avons
déjà sollicité plus haut) afin d’interroger ce cœur auquel Rousseau fait référence.
En effet, comme on le sait, il y a dans la pensée de Pascal une opposition très
clairement indiquée entre les vérités du cœur et les vérités de raison : « Le cœur a
ses raisons que la raison ne connaît pas » et

« Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur, c’est
de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que
le raisonnement, qui n’y a point de part, essaie de les combattre. Les pyrrhoniens, qui
n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons
point, quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison ; cette impuissance
ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de
toutes nos connaissances, comme ils le prétendent »25.

Mais il ne s’agit pas ici pour Rousseau de distinguer entre la vérité d’intuition
et l’épreuve de la vérité par le raisonnement. La question des principes premiers
indémontrables à partir desquels on va pouvoir construire l’architecture d’une
logique démonstrative n’intéresse pas le philosophe de Genève. Ce n’est pas ici
le lieu d’entrer dans la délicate et difficile thématique de la rationalité dans la
pensée de Rousseau. Les indices qu’il donne lui-même dans son œuvre et par-
ticulièrement dans les écrits de justification et dans sa correspondance, laissent
à penser que la démonstration et la rigueur logique viennent au second plan de
ses préoccupations26.

Chez Rousseau, la mélancolie et l’acédie s’articulent ainsi l’une l’autre, op-


posant la raison à l’affectivité et au sentiment. Il ne cherche pas à organiser
ce conflit dans une dialectique où la sensibilité présenterait les figures partielles,
symboliques et sensibles comme objet d’un travail par lequel l’esprit produirait

25
Pascal, B. (2004). Pensées (M. L. Guern, Éditeur). Paris: Gallimard. Le Guern 101.
26
Dans une lettre à Dom Deschamps, il va même jusqu’à parler de «charlatanerie de raisonnements
pour vous en imposer à vous autres philosophes». Cf. Rousseau, J. J. (2003). Lettres philosophiques
(J. F. Perrin, Éditeur). Le Livre de Poche.
16 MÉLANCOLIE ET ACÉDIE

peu à peu une pensée, celle qui autoriserait la mse en forme et l’exploration de
l’ordre du monde. À rebours de cette attente, la culture apparaît sous la plume
de Rousseau comme une dégradation sans fin du règne originaire de la Chose,
au profit des divisions et des séparations propres aux difficultés de l’existence
sociale. Elle apparaît même être la matrice du mensonge et de l’hypocrisie.

L’Acédie

La thématique de l’acédie (en grec ἀκηδία, akèdia), signifie originairement « un


manque de soin », mais aussi d’après le dictionnaire Liddell-Scott, l’apathie, la
fatigue, au sens de l’exténuation et de la torpeur27. Par suite, elle signifie l’ennui,
mais aussi le dégoût pour bien faire les choses, voire le dégoût de l’action. Il
s’agit d’une sorte de tristesse, d’une légère affliction qui apparaît au milieu de la
journée. C’est ainsi que l’acédie a été désignée comme le « démon de midi » par
les premiers moines chrétiens du désert (en Égypte) au IVe siècle après Jésus-
Christ, puisque ce désir de ne plus agir, ce désir d’être ailleurs, cette fatigue et
cette torpeur surgissent soudainement en milieu de journée, comme une sorte
de dégoût de bien faire. Thématisée par Évagre le Pontique, un moine théologien
du christianisme primitif28, l’acédie se trouve au cœur de la théorisation des
péchés dans le premier christianisme29 et se manifeste, comme la mélancolie,

27
Akèdia [άκηδια], est un mot du grec tardif. Il se construit sur la racine kèd, κηδ, du verbe kèdeuô,
κηδεύω, qui signifie « se soucier de », « s’intéresser à ». Précédé d’un alpha privatif, il se range
parmi les antonymes : ακηδεω, « ne pas prendre soin de », « laisser un mort sans sépulture
» ; άκηδής, « sans souci », « négligent » ; άκήδεστως, « avec indifférence». Le dictionnaire
Bailly propose deux sens pour άκηδια : 1. négligence, indifférence ‖ 2. chagrin. Le dictionnaire
Liddell-Scott fait référence à Hippocrate pour désigner l’indifference, la torpeur et l’apathie.
28
Évagre le Pontique (346-399). Moine originaire de la région de la Mer Noire (Pont Euxin), dans
l’actuelle Turquie. On lui doit un certain nombre de réflexions sur des thèmes qui deviendront
en théologie catholique les 7 péchés capitaux (cf. Évagre le Pontique (1971). Traité pratique ou
Le Moine. (Volume 2, No 170-171). Paris: Le Cerf.)
29
Dans la doctrine évagrienne, l’acédie est une des huit pensées mauvaises (logismoi) : la gourman-
dise (gastrimargia), la fornication (porneia), l’avarice (philargyria), la tristesse (lypè), la colère (orgè),
l’acédie (akèdia), la vaine gloire (kenodoxia) et l’orgueil (hyperèphania). À ces huit pensées mau-
vaises s’opposent la chaîne des huit vertus : l’abstinence (enkrateia), la continence (sophrosynè),

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PHILOSOPHIE DE L’ART 17

par le contraste entre deux pôles. Dans la mélancolie, c’est l’opposition entre
l’infini et le fini qui est opératoire. Pour ce qui concerne l’acédie, ce sont les
pôles de l’ici et de l’ailleurs qui structurent une tension : on s’ennuie dans les
routines et dans l’espace étriqué de la vie quotidienne. On éprouve le besoin
d’échapper à ce qui est ici et maintenant. Chose apparemment partagée chez
les être humains, si l’on en croit Blaise Pascal, pour qui le divertissement est le
moyen que les hommes ont trouvé pour supporter leur condition :

« J’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de
ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien
pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas pour aller sur la
mer ou au siège d’une place ».30.

On pourrait dire que, à l’époque contemporaine, le tourisme de masse, qui


envoie quotidiennement des centaines de milliers d’êtres humains « faire le tour
de Venise en 3 jours » a véritablement pris en charge cette propension à ne pas
rester en place. À tel point que ce qui était jadis proprement une aventure au long
cours (ce qui s’appelait proprement voyager), avec ses surprises et ses difficultés,
son dépaysement et ses fatigues, est de nos jours devenu une occupation comme
une autre, voire une forme plus ou moins exotique de l’agitation commune, où
l’on propose aux touristes, par un tour de force commercial assez avisé et tentant,
à être ailleurs en restant chez soi. Platon verrait certainement dans ce dispositif,
un avatar de la Caverne, mais un avatar qui n’est possible que par la démesure
des moyens nautiques, lesquels constituent une machine à illusion. En effet, il
n’est possible d’attirer les touristes dans ces croisières (où 3000 personnes se
ruent sur les quais pour faire le tour de Dubrovnik en 3 heures), qu’en mettant
à leur service des monstres marins qui ressemblent à une ville, où tout n’est
qu’amusements. La plupart du temps, les voyagistes qui font commerce de cette
inclination assez partagée qui consiste à ne pas savoir rester chez soi, proposent
des succédanés d’aventures dans lesquelles le pélerin retrouve le confort et ses

la pauvreté volontaire (aktêmosynè), la joie (chará), la longanimité (makrotymia), la persévérance


(hypomonè), la modestie (akenodoxia) et l’humilité (tapeinophrosynè).
30
Cf. Blaise Pascal, Pensées. Le Guern 126 (les références des Pensées vont à l’édition Le Guern,
disponible en livre de poche. Cf. la bibliographie).
18 MÉLANCOLIE ET ACÉDIE

routines habituelles. Mais, pour une courte période, il a l’illusion d’être plongé
dans un monde différent, entièrement (et sans danger) pris en charge grâce « un
forfait tout compris ».
De la même manière, le divertissement acédique (ou acédiaque) conduit les
individus qui fuient la pesanteur de l’existence à s’adonner à de multiples ac-
tivités qui occupent le temps. Cela va du cadre qui rentre de son bureau tard
le soir, aux diverses tâches que l’on se donne chez soi afin de jouir parfaite-
ment d’un monde réglé. Le bricoleur, quelles que soient ses qualités propres
d’inventivité géniale et de maîtrise des techniques les plus diverses, se montre
incapable de rester en place et de partager une conversation : il a toujours une
urgence qui ne saurait attendre. La cause en est, pour B. Pascal, la pesanteur de
l’existence : « j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective et qui consiste dans le
malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne
peut nous consoler lorsque nous y pensons de près31 ». Si le divertissement est
une conséquence de l’acédie, Pascal nous en donne un signe qui permet d’en
saisir la cause : penser à sa condition est proprement insupportable. C’est pour-
quoi nous nous lançons dans toutes sortes d’actions qui viennent littéralement
meubler notre existence. Même Nietzsche, sagace analyste des choses humaines,
se fait le porte-voix de l’avantage de l’action sur la contemplation :

« L’homme supérieur devient toujours en même temps plus heureux et plus malheu-
reux. Mais en même temps une illusion l’accompagne sans cesse : il croit être placé en
spectateur et en auditeur devant le grand spectacle et devant le grand concert qu’est la
vie : il dit que sa nature est une nature contemplative et il ne s’aperçoit pas qu’il est
lui-même le véritable poète et le créateur de la vie, — tout en se distinguant, il est vrai, de
l’acteur de ce drame que l’on appelle un homme agissant mais bien davantage encore
d’un simple spectateur, d’un invité placé devant la scène32 ».

Évagre le Pontique donne des pistes qui permettent de comprendre les mo-
dalités de l’acédie et des cinq manifestations principales de ce mal qui sont : 1°)
l’instabilité corporelle ; 2°) un souci exagéré de soi-même, de sa santé et de son

31
Pascal, Pensées. Le Guern 126 (op.cit.).
32
Cf. Nietzsche, F. (1989). Le Gai Savoir (G. Colli, M. Montinari, & M. B. de Launay, Éditeurs) (P.
Klossowski, Traducteur). Paris: Gallimard. IV, 301 (illusion des contemplatifs). Les italiques sont
de Nietzsche.

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PHILOSOPHIE DE L’ART 19

confort ; 3°) un dégoût pour son devoir d’état ; 4°) un minimalisme dans ses de-
voirs ; 5°) une forme de désespoir. Bien entendu, les remèdes qu’Évagre donne
sous forme de conseils, apparaissent liés à la tradition stoïcienne des exercices
(ἄσκησις, askèsis, l’exercice, l’entraînement ; donne le terme ascèse en français).
En même temps que ces cinq manifestations, Évagre identifie cinq remèdes très
simples : 1°) pleurer ; 2°) soigner son hygiène de vie ; 3°) utiliser la méthode an-
tirrhêtique33 et, comme le Christ, s’appuyer sur l’Écriture : 4°) penser à la mort ;
et 5°) le plus important : tenir, durer coûte que coûte. L’acédie apparaît ainsi,
pour le Père du Désert qu’est Évagre, le phénomène le plus lié à l’inconfort que
procure l’existence lorsqu’elle est livrée à elle-même, sans ouverture aucune au
domaine spirituel. C’est d’ailleurs du reste l’activité spirituelle de l’homme qui
finit par être touchée par le dégoût et, bientôt, les activités dérivatives que nous
considérons habituellement à la lumière de l’agrément (comme le jeu), et même
certaines occupations dont faisions un loisir, finissent par perdre de leur saveur
et de leur attractivité.
Mélancolie et acédie paraissent ainsi, dans notre perspective, non une pathologie
de la vie quotidienne, mais bien l’espace ténébreux dans lequel se rumine la
méditation sur l’existence. Ce que perçoit bien Dürer lorsqu’il grave Melencholia
I. La finitude humaine s’éprouve dans une lutte de soi avec soi, dans une
dialectique entre le hic et nunc et l’éternité, entre l’épreuve des petites banalités de
la vie quotidienne — d’autant plus insupportables qu’elles constituent la trame
de la nécessité avec laquelle le corps mortel se confronte au sein des vicissitudes
de la vie et de ses bonheurs, mais une nécessité qui reste vouée à disparaître
avec le corps, dans la dialectique entre le sensible et l’intelligible — et une toute
autre épreuve qui est celle de l’ouverture à la transcendance, à commencer par
quelque chose qui annonce cette transcendance, les deux abîmes de l’infini selon
B. Pascal, dans cette Pensée, que je retranscris ici entièrement :

« Que l’homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu’il
éloigne sa vue des objets bas qui l’environnent. Qu’il regarde cette éclatante lumière,
mise comme une lampe éternelle, pour éclairer l’univers, que la terre lui paraisse comme
un point au prix du vaste tour que cet astre décrit, et qu’il s’étonne de ce que ce vaste

33
Méthode de réfutation.
20 MÉLANCOLIE ET ACÉDIE

tour lui-même n’est qu’une pointe très délicate à l’égard de celui que ces astres qui
roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s’arrête là, que l’imagination
passe outre, Elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir. Tout le monde
visible n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la nature. Nulle idée n’en
approche : nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables,
nous n’enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C’est une sphère
infinie, dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin c’est le plus grand
caractère sensible de la toute-puissance de Dieu que notre imagination se perde dans
cette pensée.

Que l’homme étant revenu à soi considère ce qu’il est, au prix de ce qui est. Qu’il se
regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que, de ce petit cachot,
où il se trouve logé, j’entends l’univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les
villes, et soi-même son juste prix.

Qu’est-ce qu’un homme dans l’infini ? Mais pour lui présenter un autre prodige
aussi étonnant, qu’il recherche dans ce qu’il connaît les choses les plus délicates, qu’un
ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites,
des jambes avec des jointures, des veines dans ses jambes, du sang dans ses veines, des
humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ;
que divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions ; et que
le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours. Il pensera
peut-être que c’est là l’extrême petitesse de la nature.

Je veux lui faire voir là-dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement
l’univers visible, mais l’immensité qu’on peut concevoir de la nature dans l’enceinte de
ce raccourci d’atome : qu’il y voie un infinité d’univers, dont chacun a son firmament,
ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible, dans cette terre des
animaux, et enfin des cirons dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné,
et trouvant encore dans les autres la même chose sans fin et sans repos. Qu’il se perde
dans ces merveilles aussi étonnantes dans leur petitesse, que les autres par leur étendue ;
car, qui n’admirera que notre corps, qui tantôt n’était pas perceptible dans l’univers,
imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou
plutôt un tout à l’égard du néant où l’on ne peut arriver ? Qui se considérera de la
sorte s’effraiera de soi-même et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui
a donnée entre ces deux abîmes de l’infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces
merveilles, et je crois que, sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé
à les contempler en silence, qu’à les rechercher avec présomption.

Car enfin, qu’est-ce qu’un homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un
tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout, infiniment éloigné de comprendre

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PHILOSOPHIE DE L’ART 21

les extrêmes. La fin des choses et leurs principes sont pour lui invinciblement cachés
dans un secret impénétrable.

Également incapable de voir le néant d’où il est tiré et l’infini où il est englouti,
que fera-t-il donc, sinon d’apercevoir quelque apparence du milieu des choses, dans un
désespoir éternel de connaître ni leur principe ni leur fin ? Toutes choses sont sorties
du néant et portées jusqu’à l’infini. Qui suivra ces étonnantes démarches ? L’auteur de
ces merveilles les comprend. Tout autre ne le peut faire.34. »

De même que nous nous posons la question du mystère du mal (comment


est-il possible de le vouloir et de le rechercher en permanence comme le font les
méchants ?), question liée à la définition de l’être humain (qu’est-ce qui fait que
l’on est bien un être humain et non une bête ?), de même rencontrons-nous le
mystère du sens de la nature infinie (infiniment petite et infiniment grande). Em-
manuel Kant fondera son argumentation du Beau esthétique (dans le jugement
esthétique réfléchissant) comme un retour de l’homme sur lui-même, produisant
cet effet de sublime35. Il est remarquable que la question du sens puisse s’éprouver
à propos de la mesure et de la prise en compte par la raison des limites qu’elle
rencontre par elle-même. Citons la formule de Pascal que nous venons de lire :
« La fin des choses et leurs principes sont pour lui invinciblement cachés dans
un secret impénétrable ». L’homme ne comprend pas tout, n’envisage pas tout
et n’imagine pas tout. Et pourtant, la philosophie possède cette prétention de
connaître le Tout (ὁ πάν). La science s’engage dans la connaissance des phéno-
mènes naturels, qu’elle connaît assez peu au demeurant (c’est vrai semble-t-il
pour le monde du vivant), la théologie s’intéresse aux mystères divins et d’autres
activités humaines s’efforcent de déchiffrer le sens d’autres réalités qui se pré-
sentent à nous comme des phénomènes difficiles à circonscrire. En effet, il n’est
certainement pas évident (Socrate le souligne de sa célèbre formule « je sais que
je ne sais rien »36) de garder une distance prudente à l’égard de ce que nous

34
Cf. Pascal, Pensées. Le Guern 185, pp. 153-155.
35
Je reviendrai ultérieurement sur cette question du sublime lorsque nous travaillerons sur l’Art.
La théorisation par Kant du sublime mathématique et du sublime dynamique, se trouve dans l’ou-
vrage suivant Kant, E. (2000). Critique de la faculté de juger (A. Renaut, Éditeur) (A. Renaut,
Traducteur). Paris: Flammarion.
36
Platon (2017). Apologie de Socrate (A. Macé, Éditeur) (L. Brisson, Traducteur). Paris: Flammarion.
22 MÉLANCOLIE ET ACÉDIE

saisissons comme vérité. Beaucoup de choses dont nous croyons être certains et
qui peuvent concerner des domaines très divers, sont fondées sur des accords
communs (c’est le cas pour ce qui est tenu comme opératoire dans les sciences
de la vie, par exemple), sont révisables, et parfois ne révèlent tout leur sens
pour nous qu’après une longue période de mûrissement (ce qui au passage
révèle que notre intelligence est susceptible de prendre la mesure des choses
de manière continue et interrogative). Il est parfois très curieux que des choses
familières ne révèlent pas du tout leur sens. Curieux aussi que l’environnement
dans lequel nous vivons produise des signes qui, tantôt font irruption de ma-
nière éclatante, tantôt ne sont absolument pas détectés. Un exemple simple :
un livre que nous avons lu il y a quelques années et qui nous tombait des
mains, se révèle être aujourd’hui d’une lecture passionnante (par exemple, les
descriptions des romans de Balzac). La musique, la peinture, l’art en général
ne suscitent jamais, immédiatement, un engouement extrême. Mais l’Art n’est
pas le seul domaine où les signes importent, signes auxquels l’Homme prête
une plus ou moins grande attention, ce qui ouvre la possibilité d’attribuer un
sens aux objets, qui deviennent alors des choses pour lui, voire qui constituent
un réseau plus ou moins dense et plus ou moins précis d’activités à conduire
avec sérieux. Ces choses deviennent pour lui des affaires (ces fameuses affaires
dont Aristote écrit qu’elles se répètent cycliquement, les anthropina pragmata). Le
rapport de l’homme au monde, son orientation dans l’existence et la construc-
tion de son désir empruntent des chemins qui vont déterminer (et déterminer
souvent négativement, à la manière d’obstacles à franchir) cette même existence
en lui apportant une structure, ainsi que des manières de faire et d’agir qui en
de nombreux aspects, échappent à sa conscience volontaire. Le premier rapport
que l’être humain doit constituer afin de se construire en tant que personne est
celui du « rapport aux choses » ; le second rapport auquel il doit s’attacher est
le « rapport aux autres », à commencer par le rapport à ceux avec qui il est le
plus proche, sa mère et son père. Les choses et les autres ne sont pas spontané-
ment des choses et des êtres qui sont déjà là comme tels : c’est pour moi, dans
un certain type de rapports que j’entretiens avec eux que les choses et les êtres
vont se constituer en un monde. c’est-à-dire dans un ensemble d’interactions où
l’on va trouver de tout, à commencer par de l’utilité et du besoin, mais aussi de

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PHILOSOPHIE DE L’ART 23

l’affectivité et du sentiment. L’accès au langage et à ce qu’autorise la maîtrise


de la pensée et de la langue (« nous pensons dans les mots » écrit Hegel) pro-
jette l’individu dans la complexité d’un univers de signes et de symboles ; pour
Charles Baudelaire :

La Nature est un temple où de vivants piliers


Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
II est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens37.

37
Baudelaire, C. (1857). Les Fleurs du Mal (Y. Bonnefoy, Éditeur). Paris: Le Livre de Poche.
Correspondances.
24 MÉLANCOLIE ET ACÉDIE

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PHILOSOPHIE DE L’ART 25

Freud et l’hypothèse de l’inconscient

La parole et l’oubli

J’ai écrit dans l’introduction qu’il s’agissait dans ce cours plus de répertorier des
problèmes et des questions philosophiques, que de se mettre à l’école de Freud.
Freud lui-même, dans son ouvrage de 1905 Le Mot d’esprit et sa relation avec
l’inconscient aborde la question des rapports entre la culture philosophique et le
travail du rêve (plus précisément la croyance en l’hypothèse d’un inconscient
psychique). Ainsi il écrit :
« Je sais que la personne qui a reçu à l’école une bonne formation philosophique,
continue d’être sous le charme ou bien qui est, ne serait-ce qu’un peu, dépendante
de ce qu’on appelle un système philosophique, répugne à admettre un inconsciemment
psychique au sens où Lipps et moi-même l’entendons et qu’elle voudrait en prouver
l’impossibilité en la tirant si possible de la définition du psychique. Mais les définitions
sont choses conventionnelles et elles peuvent être modifiées »38.

Son argument contre les contempteurs de l’hypothèse de l’inconscient est


double : d’une part, ceux qui réfutent l’inconscient psychique pensent que l’in-
conscient est quelque chose qui est susceptible de « devenir conscient », ce qui
n’est pas le cas ; de plus, la thèse selon laquelle il y aurait une « pensée in-
consciente » est difficile à admettre, d’autant que, pour des raisons affectives,
ajoute Freud, « personne ne veut faire connaissance avec son inconscient, parce
que le plus commode est de nier la possibilité même de cet insconscient » (page
294). Les pensées inconscientes sont transposées ou traduites en images (c’est-
à-dire en représentations), qui sont des transformations. Autrement dit, ce qui
est vraiment inconscient (susceptible de ne pas venir à la conscience), ce sont les
rapports entre les images : dans le rêve, le contenu manifeste du rêve (ce dont
on rêve) est un matériau brut qui apparaît morcelé, souvent incohérent. Ce qui
échappe ainsi à l’intelligence ce sont les sources de ces images et les relations
entre ces sources. Autrement dit, la vie psychique inconsciente est réellement
inconsciente. C’est la raison pour laquelle l’expression « pensée inconsciente »

38
Freud, S. (1992). Le mot d’esprit et sa relation avec l’inconscient. Paris: Gallimard. Page 293.
26 LA PAROLE ET L’OUBLI

est chargée d’ambiguïté, puisque ce qui est pensé est présenté (dans le rêve) de
manière transformée et dispersée ... travaillée dit Freud. Raison pour laquelle « ce
qui est pensé » inconsciemment doit faire l’objet d’un travail de la part de l’ana-
lysant (de la part du patient), travail qui consiste à retrouver le fil conducteur au
sein du matériau donné par le rêve. Ce travail va porter sur les rapports et sur les
liens qui ont subi l’épreuve de la condensation et du déplacement. Il existe bien un
travail spirituel — ou une activité de l’âme — qui se produit indépendamment
de la volonté intentionnelle du sujet. Il est d’ailleurs assez malaisé de distinguer
chez Freud ce qui pourrait être une reprise de la tradition antique et aristotéli-
cienne de la disposition : il est bien certain que « ce qui travaille la psyché » est
cet effort continuel dans lequel elle se trouve lorsqu’elle se trouve prise dans la
tension entre l’affectivité et la loi. Dans les termes de Freud, la notion d’affectivité
ou de sensibilité (en grec : πάθος) qui est tributaire dans la pensée grecque d’une
forme de réceptivité et de passivité, en ce que le sujet « subit » cette affectivi-
té, correspondrait au principe de plaisir, à la charge de l’énergie libidinale qui
plonge ses racines dans le principe vital. Et, toujours dans les mêmes termes, ce
que Freud désigne par « surmoi » correspondrait à la loi. Bien entendu, tout
le processus de croissance et d’éducation des êtres humains consiste à disposer
ces êtres au régime de la Loi — de les disposer à la Loi.
L’erreur serait de croire qu’il n’y aurait pas de conaturalité entre la loi et
l’individu, que la loi serait un « fait social extérieur », alors qu’elle inscrit l’in-
dividu dans sa double dimension naturellement rationnelle et secondairement
politique. L’erreur serait de penser que les rapports entre l’énergie libidinale
et la loi seraient nécessairement, irrévocablement et absolument conflictuels (ce
que Freud désigne par le conflit entre le principe de plaisir et le principe de réalité).
L’économie libidinale, pour parler la langue de Freud, consiste précisément en
une série « d’investissements » qui s’insèrent dans le destin individuel, lequel
se fait dans une histoire et une aventure qui sont celles des tribulations de sa
petite enfance au sein de sa famille, jusqu’à l’âge mûr. C’est en ce sens d’un
vécu existentiel, pétri d’une diversité de relations aux autres, que vont se nouer
les figures problématiques colorant la psychè de l’individu (son caractère, ses
inclinations, etc.).
L’autre dimension problématique de l’hypothèse de l’inconscient tient à la

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PHILOSOPHIE DE L’ART 27

dimension rationnelle convoquée en vue de saisir, par le traçage d’un tableau


nosographique, les difficultés que rencontre le patient de la la cure psychanaly-
tique. En tant que médecine de l’âme, la psychanalyse se montre sous le régime
de dispositifs herméneutiques : de même que le bon médecin est celui qui établit
le bon diagnostic grâce à son expérience en séméiologie (en lecture des signes et
des symptômes) et propose la cure qui convient grâce au tableau qu’il a établi
(on soigne le patient, pas la maladie), de même dans le domaine de la cure
psychanalytique, les signes doivent être interprétés, non comme un savant qui
partant des hypothèses en déduirait un certain nombre de théorèmes. Comme
le patient conduit sa cure par lui-même avec le soutien du psychanalyste, il
part des matériaux disponibles (en particulier les rêves) pour produire un ef-
fort d’anamnèse (de ressouvenir), d’autant plus difficile que de multiples causes
produisent ce que Freud appelle la résistance, qui est le régime habituel de la
censure. Les difficultés éprouvées par le patient constituant une réponse au conflit
psychique dont il est le sujet, la névrose est en réalité une névrose d’adaptation
dont il doit démêler l’écheveau des fils qui en constituent le sens. Or, comme
la névrose joue le rôle d’un dispositif par lequel l’individu répond à sa propre
problématique psychique, il éprouve de grandes difficultés à se repérer dans
cette problématique (du fait du refoulement des traumatismes). La cure psycha-
nalytique apparaît ainsi comme une activité à la fois mnésique (qui fait appel à la
mémoire), herméneutique (qui s’adosse à une interprétation fondée sur des as-
sociations) et en même temps une activité logique, puisqu’il s’agit de repérer des
causalités. Cependant, elle fait l’épreuve d’un certain nombre de difficultés, qui
touchent à l’activité de censure et de refoulement de l’inconscient. Les souvenirs
enfuis et enfouis doivent faire l’objet d’une anamnèse, d’une remémoration, ren-
due difficile par l’activité de refoulement (d’où la procédure initialement mise
en place par Breuer et Freud par la méthode de l’hypnose).
Il y a là plus qu’un parallèle entre la psychanalyse et la philosophie, du
moins de la philosophie socratique : si penser c’est se ressouvenir comme l’affir-
mait Socrate (puisque la philosophie a comme fonction de faire venir à l’esprit
les pensées qui sont présentes en lui), la psychanalyse apparaît comme un effort
pour penser ce qui tend à rester plongé dans le fleuve Léthé. Le fleuve Léthè est
dans la religion grecque un des cinq fleuves des Enfers. Il est frappant de voir
28 LA PAROLE ET L’OUBLI

que le terme de « vérité » en grec est construit sur l’antonyme de Léthè/Λήθη (cf.
ἀληθής, vrai, réel et ἀλήθεια, ce qui apparaît, se dévoile, sort de l’oubli). Penser
en philosophie serait littéralement faire voir les liens, tandis qu’en psychanalyse,
penser consisterait à faire venir à la mémoire les liens cachés par le refoulement
et la censure, mécanismes de protection pour Freud, mais causes de déséquilibre
psychique. La fonction cathartique de la parole avait déjà été remarquée par
Joseph Breuer et Sigmund Freud dans le traitement des symptômes qui affli-
geaient Bertha Pappenheim (donnée dans la publication de Breuer et Freud
comme Anna O.. Le cas de Bertha Pappenheim est exposé dans les Études sur
l’hystérie39). À la suite du décès de son père, Anna O., âgée de 16 ans, qui a
soutenu son père dans la maladie jusque dans ses derniers moments, est sujette
à des troubles sévères : de la vision, tout d’abord, puis elle est obligée de s’aliter
du fait d’une paralysie d’un bras et d’une jambe. Elle devient hydrophobe (ne
peut pas boire d’eau) et ne parle plus allemand, mais anglais. Traitée par Breuer
et Freud sous hypnose, les symptômes disparaissent, mais incomplètement. On
doit noter que l’étude de ce cas a donné lieu à des polémiques nombreuses dans
le milieu de la psychanalyse40. Mais il y a une limite au parallélisme entre psy-
chanalyse et philosophie : si le rêve est un désir déguisé et si le désir se déguise,
il se montre particulièrement « asocial » (c’est le terme qu’emploie Freud, page
320) et en ce sens n’intéresse personne, sinon la personne qui rêve. En tant
que compromis entre des tensions psychiques de l’individu, non seulement il
n’intéresse pas les autres, mais il demeure à quelque degré assez inintelligible
pour le sujet qui rêve. Et en ce sens, il façonne mystérieusement et partielle-
ment, pour ainsi dire, la personne. Le mot d’esprit est tout le contraire : il est
facteur de sociabilité et son but est explicitement le plaisir partagé. Il a besoin de

39
Cf. Freud, S. & Breuer, J. (2002, 8). Études sur l’hystérie. Paris: P.U.F..
40
Freud, qui est pétri de culture antique et qui par son épouse est le neveu d’un éditeur d’Aristote
(Jakob Bernays), retient de la Poétique d’Aristote la notion de «catharsis». Au livre VI de la
Poétique, Aristote souligne les effets positifs du théâtre tragique sur l’âme des spectateurs, que la
vue du destin tragique des méchants, purge littéralement de leurs passions. La notion de κάθαρσις
(katharsis) désigne la purge, la purification. On la trouve principalement dans le vocabulaire
médical. Aristote souligne le même effet de purification de l’âme par les effets bienfaisants de
la musique

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PHILOSOPHIE DE L’ART 29

témoins, et la condensation et le déplacement qui en sont les ressorts doivent


être mesurés (sous peine de rendre le mot d’esprit inintelligible). Le rêve, par sa
fonction nocturne, participe de l’épargne dans l’économie du désir, en ce qu’il
est un investissement, tandis que le mot d’esprit participe de l’activité et de la
dépense libidinale. On prend littéralement du plaisir en ayant recours au trait
d’esprit, tandis que le rêve joue le rôle de soupape aux tensions psychiques.

Langage et rêve

Pour Freud, l’hypothèse de l’inconscient psychique ne consiste pas d’abord


dans les grandes théorisations intellectuelles qui vont donner lieu à ce qu’il
va nommer la topique de l’inconscient (réélaborée en 1905), bien connue sous
la forme triptyque du Ça (relatif aux pulsions libidinales, à l’indifférencié), au
Moi (pôle de l’identité), et au Surmoi (pôle de la Loi), qui figure une sorte
de carte des lieux qui forment l’inconscient, précisément une topique. Elle est
d’abord un type de fonctionnement de l’esprit dans la mesure où le langage est
ce par quoi l’esprit montre son activité, laquelle consiste d’abord à établir des
rapports, c’est-à-dire à juger, mesurer, évaluer, distinguer, rapprocher, identifier,
etc. Or, ces rapprochements qui établissent somme toute des rapports entre des
choses très diverses, conduisent aussi à contraster (à rapprocher des contraires),
à problématiser (à considérer des obstacles logiques), voire même à trouver du
sens dans des paradoxes. Le langage (le logos) est le lieu du sens, même quand
celui-ci est fuyant, confus, intuitif, ou au contraire de l’ordre de l’évidence,
mais aussi du paradoxe, de la contradiction et de l’absurde. Ce qui intéresse
Freud, à côté de la Psychopathologie de la vie quotidienne (les écarts de langue
comme les lapsus et les comportements d’évitement comme les actes manqués,
par exemple), ce sont les manifestations du langage auxquelles on peut désirer
prêter le rôle de signe. Freud est médecin et l’apprentissage de la médecine
passe par la séméiologie, c’est-à-dire l’étude des signes, ce que nous appelons les
symptômes. Très vite, avec le médecin Joseph Breuer (avec lequel il va publier
en 1898 les Études sur l’hystérie), Freud associe les troubles du comportement
avec certaines manifestations du langage (de l’usage du logos et de la parole),
qu’il s’agisse de simples lapsus, ou de mots d’esprit (Witz). Mettre des mots
30 LA PAROLE ET L’OUBLI

sur certaines représentations, les catégoriser de la manière la plus formellement


courante, ou au contraire d’une façon originale, en oublier la lettre et le sens, tout
concours à faire du langage le théâtre d’un travail inconscient qui va intriguer
Freud, lequel, dans son ouvrage Le Mot d’esprit et sa relation avec l’inconscient/Der
Witz und seine Beziehung zum Unbewussten (1905), cherche à isoler le travail de
l’inconscient au moyen du jeu verbal, ce que nous appelons les traits d’esprit41.
C’est ainsi que le médecin de Vienne va s’intéresser à la caricature (déplacement
et grossissement des traits) et à l’humour, aux blagues, aux jeux de mots (y
compris les jeux de mots laids) et aux mécanismes de l’humour absurde. Le
livre publié en 1905 (Le Mot d’esprit et sa relation avec l’inconscient) constitue
une analyse digne d’intérêt des processus de l’humour, mis en parallèle avec
la prise en compte de la recherche de sens dans le jeu de l’esprit. On ne l’a
pas assez remarqué, le mot d’esprit et la finesse du jeu dans le mot d’esprit
consistent en une subtile rencontre de l’absurde, en des rapprochements parfois
tirés par les cheveux et qui provoquent surprise et étonnement. Lesquels sont
rapidement satisfaits et disparaissent42. Freud s’intéresse de près au mot d’esprit
(en allemand, Witz), parce qu’il y trouve l’écho du mécanisme par lequel le rêve
travaille (condensation et déplacement), ce qui permet de dire que l’inconscient se
structure autour du phénomène du sens, dans la mesure où ce qui est caché,
est caché par ce qui est montré ; ce sont les mécanismes de condensation et de
déplacement qui perturbent le sens (par le biais dialectique, je viens de le dire,
que ce qui est montré est en réalité une manière de cacher)43. Cela est vrai des

41
J.-B. Pontalis indique dans la note liminaire de l’édition française en Folio-Essais, que les
exemples de bons mots donnés par Freud sont plutôt des calembours, des histoires drôles et
des plaisanteries «qui ne brillent pas toujours par leur finesse». Aussi est-on souvent dans cet
ouvrage assez éloigné du trait d’esprit à la française, qui est plutôt «un art de la pointe» (page
34).
42
Il est injuste de dire qu’on ne l’a pas remarqué. Kant s’est intéressé au trait d’esprit, d’une part
dans sa Critique de la Faculté de Juger et d’autre part dans son opuscule tardif l’Anthropologie
au point de vue pragmatique. Notons d’ailleurs à propos de ce dernier ouvrage que les exemples
de mots d’esprit donnés par Kant ne prêtent guère qu’à faire sourire de manière indulgente...
L’histoire de l’homme qui a eu si peur que sa perruque en est devenue blanche déclenche un
sourire poli.
43
Ce qui est vrai d’un autre type de langage, celui de l’art. Par exemple, selon la formule du poète

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PHILOSOPHIE DE L’ART 31

procédures rhétoriques sur le plan oratoire (ex : l’euphémisation), mais aussi


du travail du rêve, puisque le rêve présente (par des scènes et des images) une
histoire qui a besoin d’être interprétée44. Freud identifie, sinon une identité de
nature entre le travail psychique (comme logos) et le rêve, du moins un univers
commun : le rêve, le travail inconscient de la psychè, le mot d’esprit constituent
des phénomènes par lesquels l’esprit se montre. L’esprit travaille tout le temps,
y compris durant le sommeil et à l’insu de notre vigilance et de notre attention,
lorsque nous parlons (cf. les lapsus) ; mais il travaille aussi, avec une certaine
jubilation, par le mot d’esprit. La différence — majeure — entre le mot d’esprit
et le rêve (qui pourtant semblent portés par les mêmes configurations opératoires
que sont la condensation et le déplacement), relève de la transgression. Alors que
le trait d’esprit est très souvent policé (même si l’allusif peut devenir très clair)
et relève de l’ironie, le rêve ne s’embarrasse pas des bornes que le mot d’esprit
respecte.

Le comique

Freud fait remarquer tout d’abord le plaisir que procure le mot d’esprit. Il en
analyse (dans Le Mot d’esprit et sa relation avec l’inconscient) la provenance et la
modalité. Il remarque la similitude, ou l’analogie entre le travail du rêve (Freud
a publié un peu auparavant son célèbre ouvrage L’interprétation des rêves) et le
mot d’esprit : « condensation », ou raccourcissement (Verkürzung) et « substi-
tution » (ou déplacement) se retrouvent et dans le rêve et dans le mot d’esprit.

Horace, si « la poésie est une peinture parlante, et la peinture une poésie muette», le spectateur
est bien en peine de formuler ce que la peinture énonce, puisque la peinture expose mais ne dit
rien; même dans la peinture d’histoire (par exemple la peinture de Poussin), si le peintre va
plus loin que l’illustration de scènes bibliques ou mythologiques, on peut dire que la valeur de
la peinture consiste à exposer, mais non pas à expliquer ...
44
Le rêve présente en effet des images qui portent une charge libidinale, une charge de désir, portée
par un phénomène double : la condensation, au sens où des images se forment comme signes de
quelque chose. Ces images (en tant qu’elles forment le contenu manifeste du rêve, le scénario du
rêve) représentent autre chose que ce que dit le rêve en réalité. Le déplacement et la condensation
désorganisent toute interprétation directe du rêve, puisque l’ensemble des images et des paroles
contenues dans le rêve constituent des signes qui masquent le contenu latent du rêve.
32 LA PAROLE ET L’OUBLI

De même que le contenu manifeste du rêve est construit à partir d’images, ou


de fragments (de restes diurnes), mis pour autre chose que ce que le conte-
nu manifeste présente, on peut dire que la forme narrative du rêve affiche et
montre, tout en cachant le contenu latent ; le mot d’esprit est un jeu sur la forme
(puisqu’on interpole des lettres ou des mots, un véritable travail qui présente
tout en cachant45). Parmi une liste assez fastidieuse d’exemples, Freud reprend
un mot d’esprit entendu dans sa jeunesse : « On avait introduit dans un salon
parisien un parent de Jean-Jacques Rousseau qui portait le même nom et dont
les cheveux étaient roux. Ce jeune homme se montre assez maladroit durant la
soirée. Après son départ , la maîtresse de maison s’adresse à la personne qui
avait introduit le jeune Rousseau pour lui dire : « Vous m’avez fait connaître un
jeune homme roux et sot, mais non pas Rousseau » ». Freud classe ce type de
trait d’esprit parmi ceux qui sont fondés sur le son (il ajoute que cet exemple est
d’un niveau « assez inférieur »), jugement auquel on adhère aisément, et que
l’on porte en général sur les bons mots fondés sur les sonorités, comme le sont
la plupart des contrepèteries.

Il remarque aussi que les meilleurs traits d’esprit semblent provenir d’un
mélange de sonorités et de décomposition des mots. Le trait d’esprit attribué
à Schleiermacher joue sur la sonorité, mais aussi sur la plasticité de la langue
allemande, qui est une langue agglutinante (on peut assembler les mots) : « Ei-
fersucht ist eine Leidenschaft, die mit Eifer sucht, was Leiden schaft » (la jalousie
[Eifersucht] est une passion [Leidenschaft] qui recherche avec zèle [Eifer] ce qui
crée de la souffrance [Leiden]). Certes, ce mot d’esprit n’est pas frappant, mais
même s’il manque de puissance, souligne Freud, « il est incontestablement spi-
rituel », car il décompose des mots qui possèdent un autre sens. Il faut souligner
cependant que la plupart des mots d’esprits, ceux qui sont répandus (et donc les
plus nombreux car les plus faciles), ne sont que très rarement spirituels ; c’est
le cas des jeux de mots fondés sur le son (sur l’homophonie) qui forment les
« calembours ». L’exemple classique (et assez lourd) est celui-ci : « C’est un jeu
de mots laid ... et ce jeu est beau et mien ! ». Jouer avec les mots et provoquer
un double-sens, ou produire une équivoque laissée à l’interprétation de l’audi-

45
Je suis ici les pages 77 sq. de l’édition française.

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PHILOSOPHIE DE L’ART 33

teur, favorise des effets procurant du plaisir. Ce plaisir peut être produit par le
comique — s’il s’agit d’imiter des actions en rabaissant ou en moquant (« en
dramatisant le ridicule », dit Aristote) — comme dans la caricature ou dans les
pièces d’Aristophane —, ou bien par le tragique lorsqu’il s’agit d’élever l’es-
prit en proposant, par l’imitation de leurs actions, des personnages meilleurs
(comme dans les pièces de Sophocle)46. Ainsi, il est remarquable de voir que le
début de certaines comédies dramatiques, dont le propos est sérieux et le succès
de nos jours encore assuré, telles Roméo et Juliette de W. Shakespeare, ou les
comédies d’Aristophane, ferait rougir n’importe quelle jeune fille : propos lestes
de soudards et attitudes équivoques contribuent à créer un puissant contraste
entre l’ambiance particulièrement vulgaire du commencement (cf. les propos
salaces que les gardes échangent au début de Roméo et Juliette) et les thèmes
sérieux et élevés de la pièce47.

Cependant, et fort curieusement, les meilleurs traits d’esprit sont ceux qui
s’appuient sur du non-sens. On connaît le goût des Anglais pour le non sense
pour l’absurde (dans la période récente, la troupe des Monty Python en est
l’illustration), goût qui est répandu ailleurs. Freud cite l’anecdote de l’artilleur
Itzig, garçon intelligent, mais peu obéissant et n’ayant aucune disposition pour
les choses militaires. Un de ses supérieurs, bien disposé à son égard, le prend
à part pour lui prodiguer ce conseil : « Itzig ! Ta place n’est pas ici ! Je vais te
donner un conseil : achète-toi un canon et met-toi à ton compte ! ». Formule que
l’on peut rapprocher du conseil de l’oncle banquier à son neveu dans le roman,
le Voleur de Georges Darrien. Le neveu, récemment orphelin, a pris la mauvaise
habitude de se ronger les ongles. Son oncle banquier lui donne ce conseil, alors
que tous deux se recueillent sur la tombe des parents de l’enfant : « Mon fils !

46
Les questions relatives à l’art comme imitation et aux effets produits par les dispositifs poétiques
sont thématisées dans la Poétique d’Aristote. Cf. Aristote (1990). Poétique (M. Magnien, Éditeur)
(M. Magnien, Traducteur). Paris: Le Livre de Poche. Aristote indique, à propos du comique et
du tragique, qu’en l’espèce il s’agit de drames : « De là le nom de drames (δράματα), donné à
leurs oeuvres, parce qu’ils imitent en agissant (δρῶντες) ». op. cit. I,2. Le drame est donc une
imitation d’actions.
47
Cf. Shakespeare, W. (2005). Roméo et Juliette (F. Laroque, Éditeur) (F. Laroque & J. P. Villquin,
Traducteur). Paris: Le Livre de Poche.
34 LA PAROLE ET L’OUBLI

Il est temps que tu apprennes le sens de la propriété ! Si tu aimes les ongles,


ronge ceux des autres ! ». On voit immédiatement l’absurdité de ce conseil, mais
le rapprochement entre le sens de la propriété énoncé par l’oncle banquier et
le fait que la recherche et la protection de la propriété peuvent être médiatisées
par une relation de prédation est signifiée de manière directe. Concernant la
stupidité ou le manque flagrant de jugement attribué (faussement) aux jeunes
femmes blondes, qui incarnent le type féminin sensuel mais dénué de juge-
ment (caricaturé par certains comics anglo-saxons dans années 50 et 70 du XXe
siècle), les exemples d’affirmations ou de constats absurdes ne manquent pas.
Par exemple, cette assertion : « Mademoiselle, je savais que vous étiez blonde,
mais c’est seulement maintenant que je me rends compte que vous êtes blonde
aussi à l’intérieur ! ». Cette formule assassine est absurde (personne ne saurait
être intérieurement blond), mais en laissant de côté sa méchanceté ou son côté
peu charitable, cette phrase absurde est drôle par ce qu’elle laisse entendre. Il
y a donc du sens dans le non-sens, de même que le vers célèbre d’Œdipe à
Colonne (vers 1225-1226, intervention du chœur) de Sophocle : « Ne pas naître
l’emporte sur tout ce qu’on peut penser », semble aussi profond qu’absurde,
car comment pourrait-on penser que la meilleure chose qui puisse arriver aux
Hommes serait de ne pas naître, puisqu’il faut être né pour penser cela ? Nous
percevons cependant le sérieux de la formule lorsque nous rapprochons les mi-
sères rencontrées par les êtres humains au cours de leur vie et le contraste avec
la représentation du bonheur qu’ils se font.

La culture du désir

Freud, dans la section B de son ouvrage, section qui est consacrée à la psychogé-
nèse du mot d’esprit et sa relation avec le plaisir, indique une piste intéressante :
la justification des mots d’esprit n’est pas tant de jouer avec les mots en jonglant
avec eux, mais consiste à dire quelque chose selon une technique qui permet l’as-
souvissement d’un plaisir (d’une tension libidinale), avec une certaine économie
de moyens rhétoriques (l’euphémisme, par exemple) qui autorisent l’expression
masquée par un déplacement. Claude Habib, dans son ouvrage Galanterie fran-

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PHILOSOPHIE DE L’ART 35

çaise48 donne quelques exemples, notamment le conflit entre les amants qui se
disputent les faveurs de la même femme, conflits qui ne sauraient être ouvertement
violents et scandaleux, mais pourraient bien être âpres et sans pitié. Puisqu’il
s’agit d’obtenir les faveurs de la dame tout en se débarrassant du rival, l’homme
qui fait preuve de galanterie ne saurait apparaître ni violent, ni lâche, ni grossier.
Au contraire, il doit se montrer avec des qualités telles que, spirituel, sérieux et
magnanime, il domine son concurrent uniquement par ces qualités. De la même
manière, on peut dire que la galanterie est une socialisation de l’amour par le
langage mi-sérieux, mi-amusé (l’homme galant parle, pendant que la femme lui
apprend comment lui parler, par l’atténuation, la pudeur et le silence du retrait
mystérieux que doit vaincre l’amant). La galanterie est une culture du désir et
dans ce sens, le langage apparaît comme la médiation par excellence où les di-
vers rôles que jouent les sexes consistent à passer du bas (de la sexualité abrupte
et animale) vers le haut, vers une élévation des relations où les hommes vivent
avec les femmes et non pas séparés d’elles, même si une trop grande proximité
produit des effets négatifs qu’il s’agit d’éviter49. L’Âge classique (le XVIIe fran-
çais) paraît ainsi être l’époque du passage où les femmes ne sont visibles qu’à la
promenade (de loin) ou à l’église (de près), à un moment où la proximité entre
les sexes vient de la visibilité des femmes sur la scène sociale (au XVIIIe siècle).
Certes, la galanterie (qui n’est jamais qu’un apprentissage nécessaire pour faire
vivre ensemble les sexes) est impuissante contre les plaies les plus visibles et les
plus impressionnantes du rapport entre les sexes : contre la passion dévorante
comme la jalousie, contre les diverses violences conjugales ou contre le viol. Et
certes aussi, il faut réaliser que dès les premiers moments de la culture de la
galanterie à l’Âge classique, il existe une possibilité de neutraliser la passion
amoureuse ou l’inclination réciproque violente, différente de l’amour dans la
conjugalité. La fin paradoxale du roman de Madame de Lafayette (la Princesse
de Clèves) est une fin de non-recevoir de l’amour-passion partagé, ou si l’on pré-
fère, une décision lucide à l’égard de la passion amoureuse. Même si Monsieur

48
Habib, C. (2006, 10). Galanterie française. Paris: Gallimard.
49
Depuis 1976 le métro de Mexico n’est plus mixte aux heures de pointe; de même, depuis 2005,
le métro de Tokyo propose de manière facultative des voitures réservées aux femmes.
36 LA PAROLE ET L’OUBLI

de Nemours paraît être


« enfin un homme digne d’être aimé par son seul attachement, et pour qui elle avait
une inclination si violente, qu’elle l’aurait aimé, quand il ne l’aurait pas aimée ; mais de
plus, un homme d’une qualité élevée et convenable à la sienne. Plus de devoir, plus de
vertu qui s’opposassent à ses sentiments ; tous les obstacles étaient levés, et il ne restait
de leur état passé que la passion de monsieur de Nemours pour elle, et que celle qu’elle
avait pour lui ».

il n’empêche que prévenue du fait que la passion amoureuse ne saurait être


une garantie contre les intermittences du cœur dont Monsieur de Nemours a fait
preuve par le passé, avec une certaine constance, la princesse de Clèves choisit
la rupture et le retrait :
« Lorsqu’elle revint de cet état, elle trouva néanmoins que monsieur de Nemours n’était
pas effacé de son coeur, mais elle appela à son secours, pour se défendre contre lui,
toutes les raisons qu’elle croyait avoir pour ne l’épouser jamais. Il se passa un assez
grand combat en elle-même. Enfin, elle surmonta les restes de cette passion qui était
affaiblie par les sentiments que sa maladie lui avait donnés. Les pensées de la mort
lui avaient reproché la mémoire de monsieur de Clèves. Ce souvenir, qui s’accordait à
son devoir, s’imprima fortement dans son coeur. Les passions et les engagements du
monde lui parurent tels qu’ils paraissent aux personnes qui ont des vues plus grandes et
plus éloignées. Sa santé, qui demeura considérablement affaiblie, lui aida à conserver ses
sentiments ; mais comme elle connaissait ce que peuvent les occasions sur les résolutions
les plus sages, elle ne voulut pas s’exposer à détruire les siennes, ni revenir dans les
lieux où était ce qu’elle avait aimé. Elle se retira, sur le prétexte de changer d’air, dans
une maison religieuse, sans faire paraître un dessein arrêté de renoncer à la cour.50 »

La galanterie (du moins celle du XVIIe français), substitue l’ingéniosité et


la ruse (La Fontaine affuble le renard de ses fables du terme de « galant »)
à la frontalité sincère et odieuse. L’exemple que donne Claude Habib, tiré des
Conversations du Chevalier de Méré est le suivant : deux amis fréquentent la
même dame. Celui qui selon toute vraisemblance est le moins apprécié, cherche à
retourner la situation en détruisant son ami et rival par des propos malveillants.
L’autre s’en apercevant lui dit :

50
de la Fayette, M. (2000). La Princesse de Clèves (B. Pingaud, Éditeur). Paris: Gallimard. Dernière
page.

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PHILOSOPHIE DE L’ART 37

« Je voyais bien que vous m’aimiez ; mais je ne savais pas que vous me crûssiez assez
honnête homme pour être bien avec une Dame de ce mérite et qui se connaît en gens.
Cette pensée m’est si avantageuse qu’elle ne saurait nuire à notre amitié »51

Il y a là un propos qui est parallèle à celui que développe Freud : le langage


(ici le propos allusif et rusé de l’ami envers celui qui est malveillant) tend à
contourner l’obstacle, à délivrer à l’autre un sens de manière à neutraliser la
brutalité, tout en plaisant à la dame par une attitude bienveillante (mais retorse).
La nécessité d’allier la bienveillance à la délivrance d’une vérité à décrypter,
engage les protagonistes dans le travail de la parole et du sens. Le cheminement
du désir se fait dès lors par le truchement de l’esprit, esprit qui est certes
ici mis au service de la séduction — ce que certains mouvements féministes
condamneraient aujourd’hui — mais qui surtout contraint les protagonistes à
prendre soin du désir — et par suite les conduit à le cultiver. Il s’agit de prendre
à témoin et le rival et la Dame, de donner un avertissement, de flatter celle qui
est l’objet du désir et « qui s’y connaît en gens », de prendre un plaisir spirituel
en montrant et en cachant simultanément, pour s’assurer d’un avantage sur le
rival. La galanterie est un des dispositifs où l’on voit s’entremêler l’effort pour
travailler le désir et l’instaurer sur le théâtre de la vie sociale, sous la forme d’un
langage codifié. Ce langage de la galanterie, qui est le propre d’un désir où les
sexes s’entendent dans leur différence pour assumer leur unité, se trouve bien
entendu développé plus complètement dans les correspondances intimes, où les
sentiments s’entremêlent à l’imagination.

Peut-être faut-il regarder les œuvres poétiques (la poésie, le roman, le théâtre,
les fictions cinématographiques, la peinture, la sculpture, la danse et la musique),
comme les témoins du travail de l’esprit et du désir à la fois participants de la
vie sociale et simultanément comme un besoin qui permet à l’esprit de se saisir
lui-même en s’insérant dans des œuvres en lesquelles il se reconnaît à la mesure
de ses propres forces et de ses propres limitations ?

51
Antoine Gombaud dit le Chevalier de Méré (1997). L’Art de la conversation (J. Hellegouarc’h &
M. Fumaroli, Éditeurs). (No 614). Paris: Garnier. Première conversation.
38 LA PAROLE ET L’OUBLI

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PHILOSOPHIE DE L’ART 39

Bibliographie des ouvrages cités

Manuels

Philosophie ancienne

Aristote (1990). Poétique (M. Magnien, Éditeur) (M. Magnien, Traducteur). Pa-
ris : Le Livre de Poche.

(2019). L’homme de génie et la mélancolie (J. Pigeaud, Éditeur) (J. Pigeaud,


Traducteur). (Jackie Pigeaud édition). Paris : Payot-Rivages.

Platon (2017). Apologie de Socrate (A. Macé, Éditeur) (L. Brisson, Traducteur).
Paris : Flammarion.

Philosophie moderne

Freud, S. (1992). Le mot d’esprit et sa relation avec l’inconscient. Paris : Gallimard.

Freud, S. & Breuer, J. (2002, 8). Études sur l’hystérie. Paris : P.U.F..

Heinich, N. (2005). L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique.


Paris : Gallimard.

Hobbes, T. (2000). Leviathan (G. Mairet, Éditeur) (G. Mairet, Traducteur). Paris :
Gallimard.

Juranville, A. (1993). La femme et la mélancolie. Paris : P.U.F..

Kant, E. (2000). Critique de la faculté de juger (A. Renaut, Éditeur) (A. Renaut,
Traducteur). Paris : Flammarion.

Nietzsche, F. (1989). Le Gai Savoir (G. Colli, M. Montinari, & M. B. de Launay,


Éditeurs) (P. Klossowski, Traducteur). Paris : Gallimard.
40 THÉOLOGIE

Pascal, B. (2004). Pensées (M. L. Guern, Éditeur). Paris : Gallimard.

Rousseau, J. J. (1964, 10). Rousseau : Œuvres complètes, tome 3. (Volume 3).


Gallimard.

(1989). Discours sur l’Origine et les Fondements de l’Inégalité parmi les


Hommes (J. Starobinsky, Éditeur). (No 18). Paris : Gallimard.

(1993). Essai sur l’Origine des Langues (C. Kintzler, Éditeur). (Volume
682). Paris : Flammarion.

(1996). Discours sur les Sciences et les Arts (J. Berchtold, Éditeur). (No
304). Paris : Gallimard.

(2001). Les Rêveries du Promeneur solitaire (M. Crogiez, Éditeur). Paris :


Le Livre de Poche.

(2003). Lettres philosophiques (J. F. Perrin, Éditeur). Le Livre de Poche.

(2009). Émile ou de l’Éducation (A. Charrak, Éditeur). (No 1428). Paris :


Flammarion.

Théologie

Évagre le Pontique (1971). Traité pratique ou Le Moine. (Volume 2, No 170-171).


Paris : Le Cerf.

Littérature

Antoine Gombaud dit le Chevalier de Méré (1997). L’Art de la conversation (J.


Hellegouarc’h & M. Fumaroli, Éditeurs). (No 614). Paris : Garnier.

Baudelaire, C. (1857). Les Fleurs du Mal (Y. Bonnefoy, Éditeur). Paris : Le Livre
de Poche.

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PHILOSOPHIE DE L’ART 41

Chateaubriand, F. R. (1993). Le Génie du Christianisme. Paris : Flammarion.

de la Fayette, M. (2000). La Princesse de Clèves (B. Pingaud, Éditeur). Paris :


Gallimard.

Habib, C. (2006, 10). Galanterie française. Paris : Gallimard.

Klibansky, R., Panovsky, E., & Saxl, F. (1989). Saturne et la mélancolie (F. Durand-
Bogaert & L. Évrard, Traducteur). Paris : Gallimard.

Shakespeare, W. (2005). Roméo et Juliette (F. Laroque, Éditeur) (F. Laroque &
J. P. Villquin, Traducteur). Paris : Le Livre de Poche.
42 LITTÉRATURE

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PHILOSOPHIE DE L’ART 43

Index

a Évagre le Pontique (346-399) moine


Aristophane (445-475 av. J.-C.) poète et théologien du IVe siècle, originaire
comique auteur de comédies comme de Turquie 16
les Nuées, ou l’Assemblée des
Femmes 33 g
Aristote (348 av. J.-C. - 322 av. J.-C.) Gombaud, Antoine (1607-1684) An-
philosophe grec, élève de Platon 5, toine Gombaud dit le Chevalier de
6, 33 Méré est un écrivain et mathémati-
cien, correspondant de Blaise Pascal
b sur les questions de probabilités. Il est
Bernays, Jakob (1824-1881), universi- théoricien de l’honnête homme 36
taire spécialiste de philologie grecque,
il fut le premier savant juif à ensei- h
gner dans une université en Alle- Hippocrate (vers 460 avant J.-C.-377
magne 28 av. J.-C. à Larissa) médecin grec
contemporain de Platon, initiateur
c d’un courant de médecine 16
Chateaubriand, François-René Hobbes, Thomas (1588-1679) philo-
(1768-1848) écrivain, diplomate et sophe anglais, penseur du libéralisme
homme politique français 6 politique 13
Horace (Quintus Horatius Flaccus, Ve-
d nosa, 65 av. J.-C.-Rome, 8 av. J.-C.)
Darrien, Georges (1862-1921) écrivain poète latin connu pour ses Odes, ses
de tendance libertaire, auteur de le Épîtres et ses Satires 31
Voleur et de Biribi. 33
Dürer, Albrecht (1471-1528) peintre, k
dessinateur, graveur et mathématicien Kant, Immanuel (1722-1804) philo-
allemand 5 sophe prussien, auteur de la Critique
de la Raison pure 7, 21, 30
e
44

m r
Malesherbes, Chrétien-Guillaume Rousseau, Jean-Jacques (1712-1778),
(1721-1794) homme d’état français, écrivain et philosophe français né à
soutien de Jean-Jacques Rousseau 11 Genève 7

n s
Nietzsche, Friedrich (1844-1900) phi- Schleiermacher, Friedrich (1768-1834)
losophe allemand 18 théologien et philosophe allemand, ar-
tisan de l’herméneutique moderne 32
p Shakespeare, William (1576-1616)
Pascal, Blaise (1623-1662) mathémati- dramaturge anglais, considéré comme
cien, philosophe et théologien français le plus grand écrivain de langue an-
17, 19, 21 glaise 33
Platon (427-347 av. J.-C) philosophe Socrate (470 av. J.-C.-399 av. J.-C.)
grec, élève de Socrate 17 philosophe grec athénien,maître de
Poussin, Nicolas (Les Andelys, 1594 Platon et de Xénophon 21
- Rome, 1665) peintre français clas- Sophocle (495-406 av. J.-C.) poète grec
sique 31 auteur de pièces de théâtre tragique,
comme Œdipe-roi 33

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Table des matières

INTRODUCTION 0

La question de l’Art 0

L’Art et la technique 5

Aux origines 5

La technique comme mise en forme de la matière 5

Mélancolie et Acédie 5

La Mélancolie 5

L’Acédie 16

Freud et l’hypothèse de l’inconscient 25

La parole et l’oubli 25

Langage et rêve 29

Le comique 31

La culture du désir 34

Bibliographie des ouvrages cités 39

Manuels 39

Philosophie ancienne 39

Philosophie moderne 39

Théologie 40

Littérature 40

Index 43

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