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Fresnault-Deruelle Pierre. Le verbal dans les bandes dessinées. In: Communications, 15, 1970. pp. 145-161.
doi : 10.3406/comm.1970.1219
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1970_num_15_1_1219
Pierre Fresnault-Deruelle
1. DESCRIPTION
1. Les deux reproductions qui figurent dans cet article sont tirées de Coke en stock
(Hergé), publié aux éditions Casterman. C'est grâce à l'aimable autorisation de l'auteur
et de l'éditeur qu'elles figurent ici.
2. Avec J. Martin (auteur d'Alix) et Ed. P. Jacobs (Blake et Mortimer) : tous les
trois forment l'école dite « de Bruxelles ».
3. Du grec phulakterion : petite boîte attachée à un bandeau fixé autour de la tête
ou du bras, et dans laquelle les Hébreux enfermaient des fragments de parchemins où
se trouvaient inscrites des prières.
4. Espace dans lequel s'inscrit l'image. II y a 12 ou 13 rectangles en moyenne dans
une page de bande dessinée.
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1. Le ballon se présente sous la forme d'un texte enfermé dans un volume délimité
par une ligne continue englobant la totalité des caractères typographiques représentant
les paroles dites par le protagoniste dont il est question. Cette ligne et le volume défini
par elle constituent le ballon. Celui-ci est relié à la bouche du protagoniste par un append
icepermettant de lui attribuer les paroles prononcées. Cf. la note relative au mot
« phylactère ».
2. Cf. U. Eco, Apocalittici e integrati. Milano, Bompiani, 1964.
3. La technique du dessinateur est parfois si affirmée que les ballons retrouvent,
lorsque cela est possible, la disposition typographique des dialogues laconiques de
certaines séquences théâtrales. Cf. Hergé Vol 714 pour Sydney, Casterman, 1968, p. 4.
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élément symbolique flottant dans les airs comme le ballon. Foster, Hogarth
refusèrent le ballon... certaines séries, Po%o, Félix, abordent le problème de
front en traitant le ballon comme un objet réel qu'on peut saisir, heurter,
dégonfler... »
Ce texte montre à quel point les recherches actuelles en matière de bandes
dessinées restent dans une sage ambiguïté. Spirou, Tintin, pour ne prendre que
ces deux exemples, se situent à mi-chemin des positions qui viennent d'être
évoquées; ils ont recours au ballon, mais ne le considèrent pas comme un objet
réel; ou du moins, et c'est ce qui les caractérise, ils nuancent leur position en lui
prêtant parfois certains aspects de la « réalité » (cf. les ballons hors normes).
Une certaine motivation analogique apparaît dans les phylactères l.
Cependant, si l'on trouve des sèmes « intrinsèques » (au sens d'E. Buyssens),
ils ne semblent pas pouvoir réduire considérablement la part de l'arbitraire.
Comme l'auréole des saints dans les peintures du xive siècle, le ballon, si
univoque soit-il, est d'abord et avant tout l'objet d'un groupe de décisions
(cf. Barthes). Le ballon n'est pas un signe de communication issu de cette dialec
tiquequi s'instaure par exemple entre la langue et la parole.
Les motivations n'apparaissent et ne progressent qu'après coup. Des motivat
ionssecondaires, comme dans le langage, se créent. On serait en présence d'un
code imposé doué d'une vie propre, d'un organe artificiel s'adaptant peu à peu
au rythme de la vie.
Il nous reste à étudier rapidement le dernier élément, négligé jusqu'ici :
l'appendice.
Nous avons vu dans une note qu'il existait deux sortes d'appendices : les
appendices ordinaires et les appendices en forme de bulles, ayant trait à la pensée.
Nous avons fait quelques remarques quant à leur forme. Nous nous proposons
maintenant d'étudier les caractéristiques de l'appendice en tant que signe-outil.
Il sert, comme nous le savons, à attribuer à tel personnage les paroles contenues
dans tel ballon. Il est donc un intermédiaire entre le texte et l'image. Ce rôle
informatif est marqué par la forme même de l'appendice; il peut être assimilé
à une flèche; cette flèche renvoie à un objet (le locuteur) désignable par un
monème. Est-ce à dire que l'appendice puisse être lui-même comparé à un
monème? Appendice = locuteur? Nous ne le croyons pas. Comme le dit
Christian Metz dans les Essais sur la signification au cinéma, p. 90, la croix verte
informant le public qu'il trouvera une pharmacie à l'emplacement ainsi désigné,
n'est pas réductible au mot « pharmacie », mais au syntagme « Ici, Pharmacie ».
L'appendice ne signifie pas « locuteur »; il ne désigne pas non plus la fonction
qu'accomplit le locuteur (l'acte de parole) ; il signifie « Je parle ».
L'appendice fait donc l'économie de la phrase « Je dis » : il permet le discours
direct, évitant ainsi l'aspect artificiel des dialogues tels qu'ils sont rapportés
dans les Romans (cf. Nathalie Sarraute : L'ère du soupçon).
L'appendice souligne la profération. Cet indice (car on ne peut ici parler de
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également jouer un autre rôle : elle sert de censure au dessinateur, ou plus exacte
ment de paravent. Par souci de réalisme, il fallait faire comprendre que les
hommes, dans leur colère, ne tiennent pas toujours de chastes propos. Pour
conserver sa « bonne tenue », Hergé a recours à un procédé nous permettant de
comprendre que les proférations de tel ou tel locuteur n'ont pas la rigueur exigée :
le scénariste code alors son message, qui apparaît de ce fait comme une traduction
non opérée 1.
b) Le caractère proprement iconique de certains ballons.
On relève dans quelques phylactères des dessins de caractère symbolique ou
analogique, et qui se rapprochent de ceux qui sont contenus dans l'espace du
rectangle.
On est alors amené à considérer le ballon non plus comme le support de la
communication, mais comme le lieu de l'expression. Ces dessins ne visent pas à
matérialiser l'échange entre les protagonistes, mais constituent une intrusion
dans la conscience d'un personnage, et nous permettent de comprendre telle ou
telle de ses attitudes.
Dessins symboliques : dans Coke en stock (p. 22), Hergé veut nous faire comprend
re le raisonnement inconscient qui s'opère dans la pensée de Haddock entendant
le bruit caractéristique d'un bouchon qui saute d'une bouteille; les engrenages
figurés dans le ballon matérialisent la progression toute mécanique de la pensée.
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2. FONCTION
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de dessins, qui se situent de part et d'autre de ce cas-limite : le dessin « trop
riche », et celui qui ne l'est pas assez.
b) Commençons par l'étude des images « trop riches »; on va voir qu'elles consti
tuent un autre cas-limite.
Elles sont rares chez Hergé. Il est même difficile d'en trouver. Cela se comprend
aisément, d'ailleurs : la bande dessinée se définit par sa clarté, d'où l'éviction
quasi-systématique des dessins non immédiatement accessibles à la compréhens
ion.
Nous avons mis un certain temps à en découvrir au moins deux. Mais une
recherche approfondie dans la même direction nous en révélerait certainement
d'autres. Coke en stock, p. 2, 11e image : Tintin et Haddock sont dans la rue, des
gens passent, etc.. 1' « histoire » est déjà commencée. L'image a donc une signi
fication précise. Or sans le contexte, et surtout sans les paroles prononcées par
Tintin, nous ne pouvons comprendre qu'il s'agit d'une poursuite. L'image est
trop riche. Elle l'est encore, et cette fois d'une façon beaucoup plus marquée,
p. 17 de V Affaire Tournesol (6e image) : nous avons devant nous l'intérieur d'une
salle d'attente, avec beaucoup de personnages parmi lesquels Tintin et Haddock.
Sans les paroles d'un des personnages assis, nous ne pouvons comprendre qu'il
va se passer quelque chose. Une foule de possibilités s'offre au lecteur; surtout,
celui-ci ne sait pas où chercher le centre d'intérêt de l'image : le texte intervient
ici comme processus de sélection. Parmi plusieurs « possibles », la parole déter
mine un « certain 1 ».
c) La parole fixe également un sens dans certains dessins qui ne doivent plus
leur ambiguïté à une trop grande richesse, mais à ce que l'image est inapte à
traduire des notions précises, ou à énoncer des faits un peu complexes. C'est le
cas de V image « pauvre ». Le texte est alors essentiel. L'image n'est qu'un appoint;
elle n'est plus que le prolongement de la phrase, comme peut l'être le geste chez
un méridional. Le monde du dessin n'est plus alors que le décor dans lequel
s'incarnent les paroles. Le dessin n'a plus qu'un rôle passif, quasi-inerte; il est
incapable de se plier aux nuances de la pensée : ainsi lorsque les personnages
vivent des aventures où le mystère est le lot quotidien, et ont besoin de se faire
part de leurs découvertes, ou de se concerter en vue d'une action à entreprendre
(le texte est alors assez long; les phrases ont un caractère parfaitement achevé).
Grosso modo, ces longues phrases apparaissent surtout :
— pour résumer une situation : début du Temple du Soleil, résumé des
7 boules;
— pour les ultimes déclarations en vue du dénouement : Le crabe aux
pinces d'or, p. 61 ;
— à l'occasion d'une rencontre : p. 24 de Coke en stock (rencontre avec
Oliveira de Figueira).
U explication, c'est-à-dire, répétons-le, la primauté du texte2, est d'autant
Texte Dessin
Texte et dessin
se combattent Image trop riche
Texte et dessin
convergent Image "pauvre"
1. < Buck Danny », Victor Hubinon et J. M. Charlier (dans Spirou) cf. Infra.
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d) L'univocité est première.
D'emblée nous savons sur quel ton sont prononcées les paroles des person
nages (il n'est que de voir le visage exaspéré d'Haddock devant Tournesol qui
comprend tout de travers). Les aspects supra-segmentaux de l'énoncé linguis
tiquesont rétablis sans risque d'erreur d'après la donnée non-verbale (dessin).
Nous ne sommes pas dans le domaine de la littérature, où l'intuition du lecteur
est souvent mise à contribution. De ce point de vue, la première lecture d'une
pièce de théâtre peut être assez difficile. (Nous manquons de points de repère).
Le génie de la bande dessinée « parlante » n'est pas dans la devinette *.
Tout vise à la clarté. Il n'est pas jusqu'à la forme des lettres qui n'y
contribue.
e) Une question vient alors à l'esprit : quel est le coût de l'information?
Parce que tout est facilité par les liens étroits du texte et du dessin, la bande
dessinée a une réputation de « pauvreté » intellectuelle 2. C'est là une bien gros
sière erreur. Autant reprocher à une femme d'être laide parce qu'elle est facile.
Ce n'est pas parce que l'information est « paresseuse » qu'elle est pauvre. La charge
informative contenue dans le dessin est directement accessible parce qu'analo
gique (c'est en cela que l'information est aisée), et cette aisance vient de ce que
Tintin n'est pas une bande bâclée : l'essentiel du rectangle n'est pas le texte seul,
comme dans les bandes destinées à une consommation rapide.
Nous avons dit que le texte venait au secours du dessin, et que celui-ci n'avait
rien d'un simple « supplément 8 » illustrant la parole. La chose se confirme si
l'on songe qu'en plus des informations attributives d'ordre aspectuel (et non-
verbal), le dessin est aussi et surtout Action, c'est-à-dire support essentiel de ce
genre d' « histoires ». L'analogique l'emporte sur le discursif. La conséquence en
est que toute typisation excessive du gestuaire se trouve écartée. La gamme des
possibilités iconiques doit rester aussi large et variée que possible. Un regard trop
rapide, uniquement attaché au texte, risque non seulement de nous faire passer
à côté de la poésie du dessin, mais de manquer des éléments essentiels à la com
préhension de la bande dessinée.
/) L'examen du coût de l'information nous invite à étudier la redondance entre
le texte et le dessin.
La complémentarité (ou, mieux, la conjugaison) de ces deux moyens d'expres
sion joue dans plusieurs sens : itération, relais, enfin un troisième cas que nous
nommerons mixte. C'est à partir de ces trois possibilités que nous tenterons
d'aborder le problème.
Il faut d'abord remarquer que, d'une façon générale, un minimum de redon
dance est propre à tous les systèmes de communications *. La bande dessinée,
qui est un système hétérogène, n'échappe point à cette nécessité. La redondance
1. Un mouvement actuel voudrait qu'on y tende cependant : voir les bandes pour
adultes, les masques des héros y sont parfois volontairement impassibles. [Jodelle de
Péllaert et Bartier, Paris, Losfeld, 1966; Scarlett dream de Gigi et Moliterni, Paris,
Losfeld, 1967).
2. Cf. Evelyne Sullerot, Bande dessinée et culture, (éd. Opéra Mundi).
3. Ceci est discutable pour certaines bandes dessinées, celles de Jacob en particulier.
4. Martinet, Éléments de linguistique générale. (Paris, A. Colin, 3e éd. 1963), chap. 6,
parties II et III (p. 182-205).
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Message iconique
(Tintin essaie de se dégager)
1 . Il est difficile de quantifier la redondance dans le dessin lui-même, celui-ci n'étant pas
sécable en éléments significatifs. On peut se risquer, cependant, à dire qu'elle existe,
dans la mesure où il y a une unité dans le dessin : un style, c'est-à-dire une cohérence
interne supposant des liens réciproques entre les diverses composantes de l'image.
2. Cas particulier : celui des rectangles comportant un dessin et un ballon ren
voyant à un locuteur absent de l'image. Comme on peut s'en rendre compte, les rapports
du verbal et du non-verbal sont dans ce cas d'un genre particulier : le disjonction sou
ligne ici (dispositio) une conjonction imminente. Le ballon quant à lui, marque litt
éralement la présence d'une absence. La redondance est également minimum. La présence
du ballon implique la présence d'un auditeur.
3. Image « mixte », cf. supra.
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Deux remarques s'imposent à la suite de cette brève analyse :
1° l'excédent pléonastique réduit l'ambiguïté, ce qui confirme pleinement
que la bande dessinée est un message à la fois riche et facile;
2° fait très important : la parole permet de segmenter le dessin continu, opé
ration qui se révèle impossible1 à partir du dessin lui-même. (Cette remarque
nous sera d'une grande utilité dans la suite de notre exposé).
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1. C'est souvent le cas de la dernière image d'une planche. Le lecteur, pour connaître
la suite, doit tourner la page s'il possède l'album complet (ou attendre la semaine
suivante s'il achète l'hebdomadaire). Sur les 3 exemples cités ici, 2 sont des images
finales.
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Discontinuité
Rôle de la parole Continuité fragmentation
On voit que les implications du verbal dans la bande dessinée sont nombreuses
et beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît d'abord. Quelques-unes d'entre elles
ont été ici éludées, comme on l'a fait remarquer à propos du livre de J. Mitry.
Certains aspects esthétiques, comme l'intégration des ballons dans l'image ont
également été écartés.
Cette première approche avait simplement pour but d'éclairer ce phénomène
que constitue la conjugaison de deux codes diversement articulés au sein d'un
moyen d'expression que nous considérons comme ayant produit d'authentiques
chefs-d'œuvre. Mais le problème est immense...
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U.E.R. de lettres, Tours.