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La logique de l'événement
In: Communications, 18, 1972. pp. 97-106.
Lupasco Stéphane. La logique de l'événement. In: Communications, 18, 1972. pp. 97-106.
doi : 10.3406/comm.1972.1263
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1972_num_18_1_1263
//. LA DÉSINTÉGRATION
DE L'ÉVÉNEMENT
Stéphane Lupascù
La logique de l'événement
Uélément et Vévénement
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Stéphane Lupasco
Ainsi, le quantum ou photon — on le constate expérimentalement — contient
la potentialité de sa transformation en une paire d'électrons négatif et positif.
Or, c'est à partir de l'apparition des événements particulaires que se forme ce
qui nous apparaît, dans notre représentation macroscopique, comme matière,
et qui n'est, comme je l'ai montré dans mes écrits, qu'une systématisation d'év
énements énergétiques douée d'une certaine résistance. Ce sont, naturellement,
les noyaux atomiques, les atomes, les molécules et les objets sensibles, des plus
visibles et familiers aux objets astrophysiques, étoiles, planètes, galaxies, galaxies
de galaxies... A noter l'association, des électricités positive et négative avec la
masse, c'est-à-dire de l'énergie divisée par le carré de la vitesse de la lumière,
pour former des protons positifs, ou des protons négatifs ou anti-protons, comme
aussi l'accumulation d'énergie en lourdes particules neutres, non chargées, les
neutrons. A signaler encore, à partir de la même source énergétique, des mésons,
qui sont positifs, négatifs ou neutres et plus équivoques encore que le corpuscule
et l'onde, puisqu'ils semblent relever plus étroitement des deux.
Quoi qu'il en soit, ce sont les propriétés fondamentales des événements elec
trifies, plus précisément doués des forces antagonistes d'attraction et de répul
sionqui constituent l'un des principes indispensables à la réalisation de toute
matière, c'est-à-dire de systèmes d'événements dynamiques.
Or, ce principe indispensable de tout système est un principe d'antagonisme.
Pas d'atomes sans à la fois et en même temps, attraction et dispositif qui s'y oppose
(justement les mouvements stationnaires de Bohr, qu'implique la quantification
de l'énergie, laquelle ne peut que « sauter » d'un état discontinu à un autre),
pas de noyau atomique, où les protons et les neutrons, à la surprise des physi
ciens, s'attirent, sans un cœur de répulsion (« répulsive cor » des Anglais), pas
de molécule ou de macro-molécule, aussi complexe soit-elle, sans attraction
ionique, c'est-à-dire attraction des ions positifs et négatifs, c'est-à-dire des
atomes qui possèdent un déficit et un surplus d'électrons périphériques, attrac
tion à laquelle s'opposent les forces constitutives du système, si bien qu'il se forme
des systèmes de systèmes d'atomes; et si pas de noyaux, pas d'atomes, pas de
molécules, alors pas le moindre objet, pas de matière. C'est l'antagonisme,
c'est-à-dire la coexistence de forces qui s'attirent et qui se repoussent ou s'oppo
sent à cette attraction qui constitue le mécanisme fondamental, sine qua non
des objets physico-chimiques, avec domination, c'est-à-dire actualisation plus
ou moins forte de certaines d'entre elles contre celles qui s'y opposent et dont
dépend la résistance des systèmes. C'est le noyau, où les forces antagonistes
s'équilibrent le plus fortement, qui constitue le système le plus résistant, qui
s'effondre ou se désintègre le plus difficilement.
A ce principe d'antagonisme de l'association et de la dissociation, s'en ajoute
un autre aussi capital, sur lequel nous insisterons bientôt.
Tout ainsi, au sein de l'énergie, est système en vertu de son antagonisme constit
utif.
Les lois de l'antagonisme énergétique systématisant, comme celles de l'attrac
tion et de la répulsion ou sous bien d'autres formes d'association et de dissocia
tion, n'existent pas en l'air, dans quelque abstraction séraphique, dans quelque
règne des lois au-dessus des faits. Elles sont, comme je l'ai montré souvent
ailleurs, les potentialités mêmes inhérentes aux événements, dont les actualisa
tions, dans certaines conditions, apparaissent comme ce que nous nommons les
faits. Ces conditions peuvent se présenter, d'une manière plus ou moins complexe
et efficace, mais elles ne sont pas, elles ne peuvent jamais être aléatoires, en
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gétique tout autre électron, état défini initialement par Pauli au moyen de
quatre nombres quantiques, auxquels, depuis, on a ajouté quelques-uns. En
d'autres termes, un électron, comme d'autres particules, ne peuvent avoir les
mêmes nombres quantiques égaux. Ces particules définissent et engendrent ainsi
une hétérogénéité énergétique. C'est ce qui fait que les électrons qui gravitent
autour du noyau d'un atome, pour sa formation et les diverses qualités qui le
caractérisent, de ce chef même, possèdent chacun un état énergétique différent
et ne peuvent s'accumuler tous sur la même orbite. Des atomes différents, aux
propriétés chimiques diverses, engendrant toute la diversité des molécules et,
au-delà, des substances chimiques, trouvent leur origine et leur principe dyna
mique dans ce principe d'exclusion énergétique diversifiant.
Une liaison même nouvelle intervient à la suite de ce principe entre atomes
et entre molécules, plus forte, toute chose égale d'ailleurs, que les liaisons électro
statiques, liaisons dites covalentes, qui s'opèrent par la réunion, dans la même
case d'électrons, de deux électrons dits veufs d'atomes différents dont les spins
sont anti-parallèles, c'est-à-dire tournent sur eux-mêmes en sens inverse l'un de
l'autre.
Toute la variété des systèmes physiques, comme biologiques, relève de ce prin
cipe. Et il est extrêmement probable qu'à l'origine de l'hétérogénéité cosmique
qu'homogénéise le Deuxième Principe, se trouve, inscrit dans l'énergie elle-même,
ce principe de Pauli. Peut-on, dès lors, invoquer, pour l'apparition de la diversité
dans le monde, qui sait quel accident, aléa, hasard improbable, alors qu'elle
est bien déterminée et prévisible?
Macroscopiquement, il est vrai, l'expérience montre une augmentation pro
gressive de l'entropie positive. Mais elle se présente, sous un jour nouveau, dans
la perspective de la microphysique, c'est-à-dire des événements le plus profondé
ment déterminants. Les photons ne se soumettent pas au principe d'exclusion
différenciatrice et peuvent s'accumuler en un aussi grand nombre que l'on veut,
dans le même état énergétique. Et l'investigation astrophysique témoigne d'une
transformation progressive des particules en rayonnement, c'est-à-dire en pho
tons — bien que l'on ait détecté des zones, rares, anti-Clausius — et nous savons
que le photon, comme je l'ai rappelé précédemment, peut se transformer en une
paire d'électrons positif et négatif, qui obéissent, eux, au principe d'exclusion.
L'interprétation du Deuxième Principe de la Thermo-dynamique diffère donc
de celle issue de la statistique de Gibbs-Boltzman, qui n'est plus valable en
microphysique, où la statistique quantique de Fermi-Dirac la remplace.
Précisons, comme on le comprend, à la suite des pages précédentes, que deux
chaînes de systèmes se dégagent, à partir de la molécule, qui divergent; ces sy
stèmes comportent tous, pour leur édification même, la compétition antagoniste
des deux principes d'homogénéisation et d'hétérogénéisation; mais ou bien
l'homogénéisation prédomine, c'est-à-dire s'actualise progressivement au détr
iment de l'hétérogénéisation, potentialisée progressivement d'autant, et ce sont
les systèmes physiques macroscopiques; ou bien l'hétérogénéisation s'actualise
progressivement, potentialisant d'autant l'homogénéité, et ce sont les systèmes
biologiques, le long de leur phylogenèse comme de leur ontogenèse, tant qu'ils sont
vivants, avant de succomber dans la mort.
A l'origine et dans le tréfonds de ces deux devenirs systématisants macroscop
iques, on trouve le système nucléaire, organisé à son tour par le principe d'exclu
sion, en plus du principe d'antagonisme — c'est pourquoi il s'y trouve des parti
cules — mais où les deux principes contradictoires — car il s'agit de l'homogène
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ou identité et de l'hétérogène ou non-identité — se trouvent dans un antagonisme
plus équilibrant, dans un équi-antagonisme. Et chose surprenante, aux consé
quences considérables, ce système nucléaire se rapproche, comme je l'ai indiqué
dans mes travaux, du système vers lequel tend, dans sa formation progressive,
le système nerveux, plus précisément encore le système nerveux central, dans
un certain centre même peut-être, comme à sa pointe.
L'événement contient ainsi, on le voit, dans ses assises dynamiques, trois types
de matières, c'est-à-dire de systématisations antagonistes énergétiques. Il n'est
pas d'expérience scientifique générale qui ne le montre, si l'on veut bien se défaire
des vieilles conceptions et observer librement les phénomènes. Une logique de
l'énergie qu'indiquent ces événements en démontre le nouveau déterminisme;
une logique antagoniste du contradictoire, donnant naissance à deux orienta
tions non-contradictoires divergentes, jamais absolues, car elles se heurtent à
un h logique, semblable au h de Planck, et à une orientation contradictoire ren
forcée. Les événements sont ainsi susceptibles d'une synergie non-contradict
oire : des événements homogénéisants s'accumulent dans les systèmes phys
iques, engendrant une homogenèse entropique, comme des événements hétéro-
généisants peuvent s'accumuler, par synergie différenciatrice, dans les systèmes
biologiques, donnant naissance à une hétérogenèse d'entropie négative.
Mais il ne faut pas perdre de vue que, dans chaque système, quel qu'il soit,
les deux forces d'homogenèse et d'hétérogenèse sont toujours en présence et
forment, par leur antagonisme et leur contradiction, comme par leur non-contrad
iction relative, le système lui-même, à quelque stade d'évolution qu'il se trouve.
Je dirai, par exemple, en passant, que la mutation en microbiologie n'est et ne
peut être un accident, une erreur, car elle relève du principe de Pauli, des élec
trons puissamment tenus, maintenus dans une sorte de carcan homogénéisant
génotypique, qu'ils arrivent finalement à rompre, en actualisant les potentiels
d'hétérogenèse déjà prodigieusement actualisés dans n'importe quelle molécule
vivante — laquelle n'a pas de pareille, par la richesse extraordinaire de sa divers
ité, eu égard aux macromolécules physico-chimiques. Si c'est là un renverse
ment des points de vue courants de la biologie contemporaine, qui ressortit
trop encore à la physique du xixe siècle, il est imposé par les enseignements
mêmes de la microphysique.
Ainsi, l'événement est trilogique ou encore comporte une logique générale
tripolaire dont les articulations constituent trois logiques constamment imbri
quées dans une compétition antagoniste, qu'il est indispensable de connaître
et qui fournit une grille à appliquer à n'importe quel ordre phénoménal, à n'im
porte quelle expérience, afin de savoir quel est en quelque sorte le gradient
d'actualisation ou de potentialisation des unes par rapport aux autres.
L'Histoire elle-même, cette suite de vastes et complexes conflits de systèmes
d'événements énergétiques, est propulsée et orientée par ces trois logiques dyna
miques et peut être malade par là même, on le comprend, si elle ne l'est pas tou
jours plus ou moins, par rapport au psychisme individuel, du moins aux critères,
aux normes théoriques qui l'élaborent. Il n'est cependant pas exclu que la
connaissance de ces trois logiques événementielles puisse avoir une prise, dans
l'avenir, sur une sociologie qu'elle renouvellerait et même sur une éthique de
l'Histoire,
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La logique de l'événement
Le probabilisme essentiel
On le comprend aisément, l'homogenèse synergique des systèmes macro-
physiques à entropie croissante est toujours probabilitaire et ne peut dépasser
un probabilisme essentiel, c'est-à-dire inscrit dans la constitution même de
l'événement, de par cette contradiction immanente originelle du quantum, de
par ce que les microphysiciens eux-mêmes ont appelé une « erreur essentielle »,
c'est-à-dire inhérente aux événements eux-mêmes (et non à nos moyens limités
d'information, selon la physique classique). Cependant, en vertu même de ce
probabilisme essentiel, une homogénéité absolue, comme l'a considérée la
science du xixe siècle, au terme du devenir physique, n'est pas possible. Il en va
de même de l'hétérogenèse synergique inverse, celle des systèmes énergétiques
de plus en plus complexes et différenciés, qui est elle-même inscrite dans la
constitution de tout événement, de tout « ce qui arrive » et qui nous apparaît
comme de la matière dite vivante.
S'il y a probabilisme essentiel, la notion même de probabilité doit être modifiée.
Tout probabilisme est ainsi constitué de deux probabilités contradictoires, dont
l'une majoritaire et l'autre minoritaire, à moins qu'elles ne soient d'égal déve
loppement, l'une impliquant toujours nécessairement l'autre. Aussi bien, dans
la suite synergique probabilitaire majoritaire des systèmes physiques homog
énéisants, une suite synergique probabilitaire minoritaire des systèmes hété-
rogénéisants intervient-elle. Et c'est effectivement ce qui se passe, car l'hété
rogénéité existe non seulement dans les phénomènes vitaux, mais également
dans les phénomènes physiques (sans quoi, il n'y aurait pas d'entropie crois
sante). Et aussi bien encore, dans la suite synergique des systèmes vitaux à
hétérogénéité croissante, tant que l'être est vivant et que l'espèce demeure, des
probabilités mineures d'homogénéité apparaissent à chaque instant — comme
articulation même du système à base d'antagonisme énergétique, sans quoi,
comme nous l'avons vu, il n'y a pas de système.
Il faut — c'est d'une toute première importance — modifier le point de vue
idéologique si courant en biologie, de nos jours encore, et ne plus axer le biolo
gique sur l'homogène, le même, la répétition, qui pourtant existent nécessairement
à titre de forces antagonistes de la poussée hétérogénéisante, laquelle en triomphe
par l'hétérogénéité cellulaire de l'individu comme de l'espèce, de l'ontogénie
comme de la phylogénie — bien que celle-là s'oppose à celle-ci — sous peine de
mort, car Ja mort est précisément l'homogénéisation du système vital. Il suffit
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de rappeler la prodigieuse osmose sélective des membranes qui n'est pas l'osmose
physique et que l'on ne peut expliquer par l'application d'un modèle de cette
dernière. Il faut bien se pénétrer du fait que la vie ne change pas pour s'adapter,
comme on l'a cru et on le croit encore trop facilement, mais s'adapte continuel
lement pour changer. Et lorsque l'individu cesse petit à petit de pouvoir changer
par la sénilité sclérosante, et lorsque l'espèce elle-même ne peut plus changer,
c'est le déclin qui commence et la mort. C'est ainsi que les espèces cessant d'évo
luer,c'est-à-dire d'engendrer des différenciations nouvelles, finissent par s'éteindre.
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