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Francis Edeline
Jean-Marie Klinkenberg
Philippe Minguet
François Pire
Hadelin Trinon
Titres de films
In: Communications, 16, 1970. pp. 94-102.
Dubois Jacques, Edeline Francis, Klinkenberg Jean-Marie, Minguet Philippe, Pire François, Trinon Hadelin. Titres de films. In:
Communications, 16, 1970. pp. 94-102.
doi : 10.3406/comm.1970.2215
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1970_num_16_1_2215
Titres de films
les
œuvres
Les
relations
titres
littéraires
qu'ils
de films
et
entretiennent
musicales,
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ils
avec
langue
désignent
son contenu.
à plusieurs
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Toutefois,
fins.
et l'on
Comme
cette
pourrait
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les titres
analyser
réfé-
des
rentielle qui ne peut apparaître qu'à la lecture du livre, qu'à la vision du film,
ils l'assument en quelque sorte a priori dans la communication publicitaire. Cette
communication diffère quelque peu des autres formes que connaît la publicité.
En effet, l'objet qu'elle propose ne se consomme qu'en des lieux déterminés et
les supports essentiels qu'elle utilise ont été culturellement normalisés : l'entrée
du cinéma, l'affiche, la colonne « spectacles » des journaux, la bande-annonce.
Dans cette communication, d'autres éléments prennent place : photos, dessins,
noms des interprètes qui, joints au titre, précisent le genre cinématographique
dont relève le film : le Grand Amour annonce, isolé, une œuvre sentimentale ou
romanesque ; interprété par Pierre Étaix, il renvoie à un autre genre.
En dehors de cette fonction référentielle, les titres de films ont une fonction
conative : ils s'adressent à un spectateur éventuel qu'il s'agit d'appâter, de sé
duire, de convaincre. Et les exigences commerciales qui sont à la base de la pro
duction et de l'exploitation du film donnent à cette fonction un caractère premier.
Enfin, ils ont vocation poétique. On peut donc étudier la rhétorique que le titre
met en œuvre de plusieurs points de vue. Nous bornerons notre examen à l'étude
du titre dans ses constituants et à l'étude des relations qu'il entretient avec d'au
tres titres.
Dans cet examen, nous écarterons toute référence aux œuvres littéraires que
le film adapte ou transpose et nous ne parlerons qu'occasionnellement des titres
originaux des films étrangers. En effet, c'est l'usage — et les écarts — des titres
rédigés en français que nous visons à définir.
1. LES NORMES
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Titres de films
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Groupe y.
1. La répartition statistique des longueurs des 1 000 titres mesurés est intéressante.
Elle est assez proche d'une distribution logarithmico-normale (mode = 4,8 mots),
avec toutefois une légère compression des grands écarts, due sans doute au fait que
les titres très longs sont combattus par les distributeurs pour des raisons pratiques.
S'il existe bien une norme de longueur comme nous le postulons, un écart rhétorique
de longueur peut aussi exister. Or, en application de la loi de Weber-Fechner, l'impres
sion de longueur sera proportionnelle au logarithme de la longueur, d'où la distribution
observée.
Titres de films
3. LES MÊTAPLASMES
qui l'imposèrent en vedette entre 1935 et 1938 peuvent sembler excentriques par
rapport aux usages familiaux de l'époque (Ferdinand, Barnabe, Ignace, Hercule,
Jim la Houlette, Ernest le rebelle, Raphaël le tatoué et, après 1940, Hector, Adrien,
Boniface, Adhémar, Casimir). Mais leur excentricité relevait déjà d'une convent
ion, d'une tradition : au cirque, au music-hall, dans les burlesques muets (One-
sime, Câline, Zigoto), le clown était doté d'un nom qui révélait aussitôt son
anormalité. L'écart était déjà règle.
b) La répétition nous est aussi venue en série. Qu'elle soit onomatopée (Bang-
bang ; Pouic-Pouic ; Cash ? Cash !) ou qu'elle porte sur un mot ( Un monde fou,
fou, fou ; America-America ; le précieux A cause, à cause d'une femme ; le subtil
— mais dans sa relation à l'œuvre — Je t'aime, je t'aime).
c) En 1964, l'adaptation d'un roman de Jean Bruce : Banco à Bangkok r
épandait la paronomase. Lui succédèrent : Bagarre à Bagdad, A tout cœur à Tokyo,
Baroud à Beyrouth l, Coup de gong à Hong-Kong, ça casse à Caracas, l'holorime
Cinq gars pour Singapour et l'inattendu Au hasard, Balthazar.
d) Le vocabulaire argotique, limité à deux ou trois exemples avant-guerre
(Fric-frac ; Pépé le Moko) va, à partir de 1954, s'inspirer de Simonin et de Lebre-
ton. On aura : Touchez-pas au Grisbi, Du ri fifi chez les hommes, Razzia sur le
schnouf, les Tontons flingueurs *, les Malabars sont au parfum. Le Doulos tranche
par rapport à ces titres ; son sens reste pour beaucoup inconnu. Il réalise une double
synecdoque particularisante puisque, désignant un chapeau, il en est venu à
désigner celui qui le porte, l'indicateur de police et, désignant celui qui le porte,
à désigner le film et le livre où ce personnage intervient.
Deux derniers phénomènes sont plus particuliers. Le chiffre, qui s'est introduit
dans le titre au théâtre d'abord (le Fauteuil 47, l'Article 300) et dans le roman
(Quatre-vingt-treize) est utilisé à des fins diverses. Il peut désigner l'année de
l'action : Adalen 31, l'année de la réalisation : Horace 62, un calibre : Winchester
73, un format de film : Boccace 70. Plus mystérieux sont Huit et demi et 491. Le
premier ne peut se comprendre qu'en référence, non à l'œuvre qu'il nomme, mais
à la carrière de son auteur. L'adjonction-suppression qu'il réalise sur les plans
plastique, syntaxique et sémantique s'accompagne d'une autre substitution : se
référant à l'œuvre de l'auteur dans son ensemble tout en n'en nommant qu'une
partie, il constitue un appel direct à un public privilégié. La fonction conative
qu'ordinairement le titre assume d'un auteur anonyme à un public anonyme se
voit pervertie. Le second titre fait référence à l'Écriture Sainte et au pardon qu'il
faut accorder au pécheur sept fois soixante-dix fois. Qu'en sera-t-il de la quatre
cent quatre-vingt onzième ? Dans sa relation au film, le titre transforme la signi
fication anecdotique première (les aventures de jeunes récidivistes) en une para
bole.
Il reste enfin l'emprunt aux autres langues. On peut en distinguer deux formes.
D'une part, des termes d'usage courant immédiatement accessibles évoquent préa
lablement les données historiques ou géographiques de l'action : After Mein
Kampf, Adios Gringo, Hombre, Avanti la musica. D'autre part, certains titres peu
1.-2. Ces deux titres qui datent de 1966 et de 1964 prouvent l'usure que connaissent
aussi les mots d'argot. Le premier transpose un allemand Rififi in Beirut. Le second
adapte Grisbi or not grisbi de Simonin.
Titres de filma
traduisibles mais qu'une publicité particulière a soutenus se sont maintenus dans
leur forme première : le Knock et comment V avoir, Blow-up, Mondo Cane, Hellzapop-
pin. Certains films français ou italiens ont eu recours à des titres anglais : Break
up, Cine-girl, Pop-game et l'on a même vu The cool world transposé en Harlem
story.
4. LBS MÉTATAXES
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Groupe p
5. LES MÉTASÉMÊMES
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Titres de filmé
est généralisante. Mais pour reconnaître dans le Doulos (ou Un chapeau de paille
d'Italie) une synecdoque particularisante et dans Borsalino (nous ne quittons pas
les couvre-chefs) une métonymie, il nous faut faire appel au film. Par exemple,
dans le dernier cas, le Borsalino ne joue aucun rôle dans l'action : la seule fonc
tion du titre est d'évoquer par un chapeau que l'on portait dans les années trente,
à Marseille, les données historiques et géographiques qui serviront de cadre à
l'action.
L'oxymore nous donnerait la Tendre Ennemie ou Tu seras terriblement gen~
tille ou (mais la référence historique est ici nécessaire) Hiroshima mon amour.
Inutile de dire que la métaphore est la figure la plus immédiatement manifeste
dans les titres de films. Elle a ses champs préférés : le monde animal (le Gorille
a mordu V archevêque ou le Tigre sort sans sa mère ; la Chienne ; les Chattes ; les
Louves i V Alouette ; les Liens sont lâchés ; Un singe en hiver) ; la musique et la fête
— est-ce le lointain Opéra des gueux, le plus proche Bal des voleurs ou la Symphon
ie des brigands d'avant-guerre? — (Symphonie pour un massacre, la Polka des
macchabées, la Valse des coïts, la Valse des truands, le Bal des voyous, le Bal des
vampires, le Carnaval des barbouzes, le Carnaval des truands), le jeu (le Roi de
cœur, la Dame de pique, le Valet de carreau, Carré de dames pour un as, Poker au
coït).
Opération tonnerre a peut-être réalisé l'idéal secret de la production : réunir deux
lexemes en une seule unité, en un seul syntagme ; choisir les mots dans un voca
bulaire limité, s'adresser directement au spectateur en éliminant ces marques de
distance que sont l'article ou la préposition. Libres du lien syntaxique, des formes
pourraient naître qui imposeraient au spectateur éventuel les deux thèmes prin
cipaux de l'œuvre.
Certains titres agissent plus subtilement et utilisent les formes consacrées elles-
mêmes pour subvertir la syntaxe.
Un jour, peut-être, un transformationnaliste cherchera la structure profonde
du titre le plus commun et il est possible qu'il découvre sous Un acte d'amour,
une phrase dont les éléments visibles seront sujet ou objet. Toutefois, qu'on
fasse appel ou non aux transformations, il n'est pas douteux que les deux lexemes
se nouent en un syntagme cohérent où leur dépendance syntaxique est soutenue
par leur dépendance sémantique : ils constituent un syntagme autonome. Exa
minons maintenant Un été au Sahara. Le lien sémantique reste fort ; un sème
commun unit les deux lexemes et en apparence le lien syntaxique n'est pas
moins fort que celui qui unissait les deux termes précédents. Toutefois chacun des
termes jouit d'une autonomie et leur séparation ne nuirait en rien à la clarté
syntaxique du moule qui les soutient. « Un acte » ou « d'amour » resteraient comme
incomplets, séparés. « Un été » ou ce au Sahara » sont parfaits. Du lien qui les unit,
on peut dire qu'il est plus relâché, moins contraignant. Le titre juxtapose deux
circontances plutôt qu'il ne détermine un sujet (ou un objet). Dans la mesure où
il vise à créer un mystère, à susciter une attente, le titre de film a souvent opéré
ce glissement et réuni ou amalgamé deux circonstances (certaines formes elli
ptiques de la phrase : Quand les tambours s'arrêteront aussi). Plus spécialement le
rapport lieu-temps fut exploité par les films des frères Marx : Une nuit à l'Opéra,
Un jour aux courses. C'est cette forme qui implique l'attente d'un événement que
Robbe-Grillet utilise dans l'Année dernière à Marienbad (pas tellement différent de
VAn prochain à Jérusalem des frères Tharaud). Mais on y trouve Marienbad et
non Marseille ou Le Caire ou Londres et l'on reste sur une année dernière vague.
Le titre feint de s'inscrire dans une catégorie dont il ne relève pas. Hiroshima,
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Groupe /I
mon amour s'inspire également d'une forme usuelle. Mais l'opposition y est pure
ment syntaxique. Au niveau sémantique un collage est intervenu et les deux
termes jouent en parallèle, non en contiguïté.
6. LES MÉTALOGISMES
Nous avons limité, dans notre exposé, les allusions directes à l'œuvre. Pour
tant, le titre n'existerait pas sans elle. Un examen des métalogismes ne pourrait
se faire qu'à partir du réfèrent. Bornons-nous à quelques exemples. Nous n'insis
terons pas sur l'hyperbole ; elle est devenue courante à partir du moment où le
vocabulaire des titres a cherché à tout prix le paroxysme et l'excès. Un titre
comme le Silence, toutefois, dans la mesure où il nomme ce que le film taira ap
paraît comme une figure d'adjonction. Mais sa forme laconique, son ambiguïté
ne permettent guère de rapprocher cette figure de l'hyperbole ou même de ce
silence qui en dit long, manifestations les plus tangibles de l'opération d'adjonct
ion. Nous avons plus haut défini la fonction du titre 491 et relevé que //"désignait
une œuvre qui se voulait l'antiphrase du programme idéaliste de Kipling. 11
reste la litote. QuJ arrwera-t-il après PDeux ou trois choses que je sais a" elle, A propos
de quelque chose d'autre spéculent sur le vague, l'impersonnel, l'imprécis. Au-delà,
nous aurons Un film comme les autres, et même Un film. En 1968, le titre s'était
suicidé.