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Maurice Kauffer*

16 Les « faux amis » : théories et typologie


     

Abstract : Cet article présente les principales propriétés des faux amis ainsi que les
   

problèmes théoriques et pratiques qu’ils soulèvent. Après avoir examiné le terme de


faux ami et avoir fait un état de la recherche, il se consacre à une analyse critique des
critères de définition et à une typologie des faux amis. Les exemples proviennent de
plusieurs langues européennes et plus particulièrement du français et de l’allemand.

Keywords : faux ami, dictionnaire, typologie, forme, sens, interférence


   

0 Introduction
Nous ferons ici le point sur les principales caractéristiques des « faux amis » mais    

surtout sur les difficultés qu’ils soulèvent et qui peuvent en faire de « vrais ennemis »    

pour les linguistes, les traducteurs et les apprenants en langues étrangères. Après
avoir fait l’état de la recherche dans ce domaine, nous nous attaquerons à la
définition des faux amis puis à leur typologie. Mais tout d’abord il convient de se
pencher sur cet étrange terme de « faux ami » et d’en examiner la fausseté appa-
   

rente …

1 Le terme de « faux ami »      

Le terme de « faux ami » n’est à vrai dire pas très ancien mais a déjà connu une
   

histoire mouvementée. Apparu sans doute la première fois dans l’ouvrage de Koess-
ler/Derocquigny destiné aux traducteurs, Les faux amis ou les pièges du vocabulaire
anglais. Conseils aux traducteurs (1928), il a assez rapidement fait florès dans la
littérature consacrée à la traduction, à la didactique des langues et au lexique. Il a été
repris dans de nombreuses langues, soit tel quel, soit traduit, par exemple en espa-
gnol « falsos amigos », en italien « falsi amici »,1 mais aussi en russe, polonais,
       

tchèque, bulgare selon Lipczuk (1991, 405). Pour l’allemand, « faux amis » et « falsche
     

Freunde » sont utilisés tous les deux, le premier se maintenant particulièrement bien.2

En anglais, les termes les plus fréquents sont « false friends », « false cognates » et
       

* Maurice Kauffer est membre de l’ATILF / CNRS & Université de Lorraine (UMR 7118).
1 D’après Albrecht (2005, 133); Haschka (1989); Kroschewski (2000); Reiner (1983, 66).
2 Ainsi on trouve « faux amis » dans les titres allemands des articles et publications de Haensch
   

(1956–1957), Klein (1968), Haschka (1989), Reiner (1989), Kühnel (1990), Ettinger (1994), Große (1998)
etc.

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également « deceptive cognates ». On trouvera un bon historique du terme « faux


     

ami » et de ses équivalents dans Lipczuk (1991, 405s.) et Kroschewski (2000), mais

surtout dans Reiner (1983, 66s.) et Haschka (1989, 149s.). Ces deux derniers auteurs
constatent en outre que le phénomène des faux amis a été traité bien avant l’ouvrage
fondateur de Koessler/Derocquigny, sous des appellations assez diverses et souvent
avec une définition plus large que celle des faux amis au sens strict.3 Haschka (1989,
149) remarque ainsi qu’il existe des recueils de faux amis depuis plusieurs siècles,
même s’ils ne sont pas désignés par ce terme. Reiner (1983) inventorie les nombreux
recueils qui regroupent erreurs, mots trompeurs et « pièges du vocabulaire », parus en
   

France et en Allemagne dès le XVIIIe siècle, puis tout au long du XIXe et du XXe, en
particulier les collections de germanismes, gallicismes et autres fautes fréquentes en
français et en allemand dues aux interférences entre les deux langues et aux particu-
larités lexicales propres à chaque langue (cf. Gorbahn-Orme/Hausmann 1991, 2884).
Certes, le terme de « faux ami » ‒ et ses équivalents dans d’autres langues ‒ s’est
   

imposé et est devenu extrêmement courant. Mais il a fait également l’objet de nom-
breuses critiques.4 Les reproches qui lui sont adressés sont de plusieurs natures. C’est
tout d’abord le fait que ce n’est pas un terme très scientifique, c’est-à-dire précisément
défini en tant que concept linguistique. Le caractère métaphorique de « faux ami » ne    

facilite d’ailleurs pas la précision de sa définition. Ce terme a eu en outre de nombreu-


ses acceptions fort différentes dans les recueils et articles à ce sujet. Un autre reproche
de fond est dû au fait que l’existence de faux amis postule celle de vrais amis, à savoir

de mots qui ont à la fois une forme et un sens très proche, voire identique dans deux
langues, comme « house » (angl.) et « Haus » (all.) au sens de ‘maison’.5 Or l’existence
       

de ces « vrais amis » peut être contestée si l’on ne croit pas à l’existence d’une
   

équivalence parfaite entre mots de différentes langues (ainsi Lipczuk 1991, 405 ;  

Reiner 1983, 72). Il y a donc eu de nombreuses tentatives de remplacer le terme de


« faux ami » par un autre, plus précis et moins équivoque. Les suivantes sont particu-
   

lièrement intéressantes. Reiner (1983, 76) avance la notion de « pénidentème » qui    

exclut certains types de faux amis, mais qui à vrai dire ne s’en différencie pas
nettement.6 Lipczuk (1991, 406s.), après avoir listé les termes voisins de celui de
« faux ami », plaide pour celui, très proche, de « tautonyme ».7 Mais c’est Kroschewski
       

(2000, 14s.) qui non seulement recense et analyse les différentes appellations pouvant

3 Ceci pose bien sûr le problème crucial de la définition des faux amis, sur lequel nous revenons dans
notre troisième partie.
4 À commencer par Boillot (1930), mais aussi par la suite Lipczuk (1991, 406) et Kroschewski (2000, 9).
5 En particulier Boillot (1930, 7), cité par Reiner (1983, 71).
6 Reiner entend par « pénidentèmes » des mots de deux langues différentes qui ont une ressemblance
   

de forme reposant sur un lien étymologique et également une divergence de sens plus ou moins
importante. N’en font pas partie les « pseudo faux amis » (cf. infra 3.3), ni les faux amis syntaxiques.
   

7 Les « tautonymes » de Lipczuk ont à la fois une ressemblance formelle, une divergence de sens et un
   

risque d’interférence, mais pas forcément une origine étymologique commune.

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remplacer celle de « faux ami » et de « vrai ami » mais aussi les discute et en
       

synthétise les critères définitoires.

2 État de la recherche
Dans quels domaines de recherche trouve-t-on habituellement des publications sur
les faux amis ? La plupart du temps en traductologie, en didactique de la traduction et

en didactique des langues secondes. La plupart des ouvrages sur la traduction et ses
problèmes, du moins dans une perspective linguistique, abordent ce sujet par quel-
ques remarques, voire un chapitre complet. C’est le cas de Koller (62001, 224 et 229)
dans son chapitre sur l’équivalence, d’Albrecht qui l’effleure lorsqu’il parle de linguis-
tique contrastive (2004, 256s.) mais qui y consacre un chapitre dans son ouvrage
Übersetzung und Linguistik (2005, 133–138). On lira aussi le chapitre qui leur est
consacré par Chuquet/Paillard (1987, 224–229), ainsi que les remarques de Kupsch-
Losereit (2004, 544s.) dans le cadre de sa présentation de l’interférence en linguis-
tique et les observations de Lewandowska-Tomaszczyk (2004, 460s.) quand elle
analyse les problèmes lexicaux de la traduction.
Mais ce sont surtout les recueils, voire les dictionnaires de faux amis qui consti-
tuent le gros de la troupe des publications. Il n’est bien sûr pas possible de les
présenter tous car il en existe un nombre considérable, nous nous bornerons donc à
donner des exemples d’ouvrages de qualité qui concernent le français. Les plus
nombreux sont relatifs aux faux amis du français et de l’anglais, avec bien sûr
l’ouvrage fondateur de Koessler/Derocquigny (1928 et les éditions suivantes, par ex.
Koessler 61975), mais aussi Thorin (1984), Labarre/Bossuyt (1988), Petton (1995) et
Van Roey/Granger/Swallow (31998). Les faux amis du français et de l’allemand ont été
collectés à différentes périodes, entre autres par Reinheimer (1952), Haensch (1956–
1957), Klein (1968), Kühnel (1987), Reiner (1989) et l’excellent Vanderperren (22001).
Pour le couple français/italien, on consultera Dupont (1965), Boch (1988) et Mouchon
(2001) et pour le français et l’espagnol, ce sont Dupont (1961), González Marimón
(1982) et Cantera Ortiz de Urbina/Ramón Trives/Heras Díez (1998) qui se signalent.8
On trouvera de nombreuses autres références de dictionnaires de faux amis dans la
belle bibliographie de Gorbahn-Orme/Hausmann (1991) et celle on line de Bunčić/
Lipczuk, bien ordonnée et complète jusqu’en 2006 avec plus de 700 références.9 Les
faux amis intralingues du français sont par exemple examinés par Colignon/Berthier
(1985) et Voirol (1990). La qualité des recueils et dictionnaires bilingues de faux amis

8 Fort intéressant est aussi le dictionnaire allemand/espagnol de Wotjak/Herrmann (1984).


9 Remarquons à ce propos qu’il n’y a quasiment pas de dictionnaires de faux amis dignes de ce nom
sur Internet. À consulter cependant les deux dictionnaires on line de Lassure, à savoir le Dictionnaire

anglais-français des faux-amis techniques et le Dictionnaire anglais-français des faux-amis non techni-

ques.

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est très variable et l’on est souvent déçu de ne pas y trouver les faux amis recherchés
ou des informations plus précises sur leur emploi. Les critères de qualité10 que l’on
aimerait rencontrer plus souvent dans ces ouvrages sont à notre avis les suivants.
Tout d’abord l’existence d’une introduction qui définisse quels sont les faux amis
retenus et comment ils sont classés est indispensable, tout comme un index qui
permette de les retrouver facilement s’ils ne sont pas classés par ordre alphabétique.11
Les faux amis retenus devraient l’être sur la base de leur fréquence d’erreur, donc de
leur « dangerosité » linguistique pour l’utilisateur, et ne devraient pas être obsolètes,
   

comme on le constate dans certains dictionnaires où les faux amis sont parfois
simplement repris à partir des dictionnaires précédemment parus.12 De nombreux
dictionnaires n’indiquent pas non plus pour quels utilisateurs ils sont élaborés, voire
ne se posent même pas cette question. Enfin pour ce qui est de la microstructure,
chaque article de dictionnaire devrait comprendre une traduction de qualité du faux
ami, une explication claire du problème de sens et/ou de forme qui fait du mot-vedette
un faux ami, une indication du registre de langue et bien sûr au moins un exemple en
contexte de ce faux ami.13
Les publications relatives aux faux amis comprennent assez peu d’ouvrages et
articles théoriques, que ce soit en linguistique ou en sémantique. Il y a tout d’abord
une série de recueils de faux amis qui ne sont certes pas exhaustifs mais qui pré-
sentent une approche théorique plus marquée que ceux que nous venons de mention-
ner, sans cependant se situer toujours dans un cadre théorique précis. Il s’agit par
exemple de Haensch (1956–1957), Kühnel (1987) et Reiner (1989), qui allient un
dictionnaire et une réflexion sur les types de faux amis français-allemand. Svobodova
(1982) en fait de même pour le français et le tchèque et Petton (1995) pour le français
et l’anglais. D’autres auteurs mènent une réflexion de fond sur la définition des faux
amis, en général doublée d’une typologie de ces derniers plus ou moins développée.
Haschka (1989) et Reiner (1983) réanalysent les différentes définitions des faux amis
et font de nouvelles propositions, Kiss (2002) réfléchit sur la notion de faux amis et
leur classement, Wandruszka (1977) relie même la notion de faux ami avec celle du
jeu du hasard et de la nécessité dans la langue. D’autres analyses se concentrent plus
sur la typologie des faux amis : Breitkreuz (1991), Breitkreuz/Wiegand (1989), Gauger
   

(1982 ; 1989), Gottlieb (1984), ainsi que Chamizo Domínguez/Nerlich (2002) sur la base

10 Voir aussi la réflexion de Gorbahn-Orme/Hausmann (1991) à ce sujet, même si leurs critères et


propositions concrètes ne sont pas toujours spécifiques aux dictionnaires de faux amis mais concer-
nent les dictionnaires bilingues en général.
11 Boch (1988) est exemplaire pour le nombre et la qualité des index et listes de faux amis de toutes
natures.
12 Dupont (1961, 10) constate ainsi que « bon nombre de faux amis se sont assurés la complicité du

dictionnaire ».

13 Le dictionnaire des faux amis français/allemand de Vanderperren (22001) remplit, lui, une bonne
partie de ces critères.

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de la sémantique cognitive. Lipczuk (1991) élargit la classification au problème des


internationalismes et mène une analyse sémantique intéressante, comme Milan
(1989) et Wotjak (1984), ainsi que Jorge Chaparro (2012), qui centre son examen des
faux amis sur le problème de la polysémie. Ettinger (1994) applique la notion de faux
ami aux unités phraséologiques. Enfin, on peut mentionner des monographies et
articles qui englobent dans leur réflexion un grand nombre de dimensions théoriques
des faux amis. Il s’agit de Koessler (61975) mais aussi de Kroschewski (2000) et
Petersen (1990) dans une perspective surtout didactique. On constatera finalement
que ce sont les années 1980 et 1990 qui ont constitué l’apogée des publications et des
dictionnaires sur les faux amis, avec en particulier un grand nombre d’articles de fond
en langue allemande, que ce soit sur les faux amis en anglais, français ou espagnol.
Ces dernières années ont connu un certain reflux quant au nombre d’ouvrages et
d’articles sur les faux amis à proprement parler, d’autres thématiques connexes
s’installant peu à peu, comme les internationalismes et les problèmes d’interférence
linguistique.

3 Définition
La discussion sur le terme de « faux amis » dans notre première partie nous a montré
   

qu’il est nécessaire de définir ces derniers plus précisément. Ce n’est pas là une mince
affaire et pour cela nous proposerons tout d’abord une définition communément
adoptée dans la recherche actuelle, même si elle n’est pas la seule. Ensuite nous en
discuterons les critères.
On entend ordinairement par faux amis des mots de deux langues ayant une
grande ressemblance de forme mais des sens différents, ce qui est source de confusion
et donc d’erreur pour le locuteur. Par exemple « état » (fr.) et « Etat » (all.) ‘budget’.
       

Gorbahn-Orme/Hausmann (1991, 2882) sont du même avis :


   

« False Friends (…) are words in two different languages which are graphically or phonetically

very similar but have different meanings and can therefore be easily confused by foreign
language learners ».

Cette définition est partagée par la plupart des auteurs de recueils et dictionnaires
récents de faux amis14 ainsi que par de nombreux linguistes et traductologues15 qui
s’intéressent à ce problème. Examinons à présent les critères de cette définition (en
italiques ci-dessus), qui peuvent varier considérablement et donc mener à d’autres
définitions, bien différentes, des faux amis.

14 Par ex. Boch (1988, III); Chuquet/Paillard (1987, 224); Labarre/Bossuyt (1988, 5); Vanderperren
(22001, 7).
15 Par ex. Chamizo Domínguez/Nerlich (2002, 1833); Gauger (1982, 78); Haschka (1989, 148); Koller

(2001, 224); Kupsch-Losereit (2004, 544); Lipczuk (1991, 407); Glück (1993, 182).

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3.1 Premier critère : les faux amis peuvent être des mots16 mais aussi bien sûr des
   

expressions, qui sont effectivement prises en compte par un certain nombre de


recueils de faux amis. Ces expressions peuvent être des phraséologismes, c’est-à-dire
des expressions figées avec un sens non compositionnel. Ainsi « suer sang et eau »    

(fr.) vs. « Blut und Wasser schwitzen » (all.) ‘avoir une peur bleue’ sont des « faux
     

amis phraséologiques17 ». Mais il y a hélas peu d’analyses sur ce type de faux amis,

sauf celles d’Ettinger (1994) et Klein (1972) pour les phraséologismes du français et de
l’allemand et les remarques de Chamizo Domínguez/Nerlich (2002, 1845) pour les
expressions françaises.

3.2 Deuxième critère : il ne s’agit pas non plus forcément de deux langues seulement.
     

Certes, la très grande majorité des recueils de faux amis est relative à un « couple » de    

langues donné (français/italien, allemand/espagnol etc.) et il y a très peu de recueils


ou dictionnaires multilingues avec plus de deux langues.18 Et pourtant les faux amis
entre les différentes langues romanes posent des problèmes redoutables : par exemple  

les verbes « garder » (fr.) vs. « guardare » (ital.) ‘regarder’ vs. « guardar » (esp.) ‘gar-
           

der, ranger’ (cf. Albrecht 2005, 137).19 Cela montre que les faux amis de deux langues
résultent souvent d’emprunts à une troisième langue. Dans son examen des faux amis
en français et en hongrois, Kiss (2002, 46) montre ainsi qu’une première possibilité est
que cette troisième langue « sert de ‘donneuse’ à chacune des langues examinées » :
     

c’est le cas du grec et du latin auquel par exemple le français et le hongrois emprun-
tent tous deux ‒ même si c’est de façon bien différente ‒, ce qui entraîne des faux
amis en français et en hongrois.20 L’autre possibilité est que cette troisième langue
« se place entre les deux langues comme intermédiaire » (Kiss 2002, 47), par exemple
   

l’allemand par l’intermédiaire duquel le hongrois emprunte au français, ce qui en-


traîne une autre série de faux amis.
Une autre catégorie de faux amis est constituée de ceux qui sont propres à une
seule langue. Par exemple, Colignon/Berthier (1985) ou Voirol (1990) collectent les
faux amis du français, comme « blanchiment » vs. « blanchissage » vs. « blanchisse-
         

ment » ou bien « populaire » vs. « populeux » vs. « populiste » ou encore « chair » vs.
                   

16 Nous sommes bien conscients que la notion de mot n’est en fait pas très précise, mais pour des
raisons de place nous ne discuterons pas ce point dans le présent article.
17 Les choses ne sont cependant pas si simples, car l’expression allemande peut aussi avoir parfois le
même sens que la française (cf. DUW, article Blut). Dans ce cas, ce ne sont plus des faux amis.
18 Une exception notable est le dictionnaire multilingue de Hill (1982).
19 Gauger (1982, 84s.) souligne également qu’il y a énormément de faux amis entre les langues
romanes, particulièrement entre l’espagnol et l’italien et entre l’espagnol, le portugais et le catalan. Le
problème est de savoir si la probabilité d’erreur est plus importante pour des mots de famille de langues
différentes (français/anglais par ex.) que pour la même famille de langues, par ex. les langues
romanes.
20 Selon Kiss (2002, 46s.), « le grec ‹climax› (‘échelle, gradation’) a trois sens en hongrois et deux en

français dont un seul est commun (…) ».  

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« chaire » vs. « cher ». On voit bien d’après ces exemples qu’il s’agit ici de phénomè-
       

nes variés : des homonymes (dernier exemple), des paronymes21 (deuxième exemple)

ou des mots en partie synonymiques (premier exemple). Mais ce type de recueils de


faux amis intralingues a tendance à englober par extension toutes les fautes de
langues les plus variées possible, y compris les « impropriétés, confusions, contre-  

sens, paronymes, pléonasmes » (Voirol, sous-titre). Koessler (61975, 12) détaille aussi

les faux amis dans la communication intralingue : ils résultent de la variation séman-  

tique des mots, que ce soit dans l’espace (français régional par ex.) ou dans le temps
avec des mots de différentes périodes.

3.3 Troisième critère : la ressemblance voire l’identité de forme des faux amis. Elle pose

plusieurs problèmes de définition. Tout d’abord, elle implique que l’on pourra avoir
des faux amis dont la forme sera identique en quelque sorte par hasard ou par  

coïncidence, c’est-à-dire sans qu’il y ait aucun point commun de sens entre eux, par
exemple « coin » (fr.) et « coin » (angl.) ‘pièce de monnaie’, ou « axe » (fr.) et « axe »
               

(angl.) ‘hache’ (cf. Chuquet/Paillard 1987, 225). Leur sens étant très différent et leur
contexte d’utilisation également, le risque d’erreur inhérent aux faux amis est nette-
ment plus faible, peut-on alors encore les considérer comme des faux amis ?  

Autre problème : cette définition inclura aussi, si l’on prend l’exemple des faux

amis français et allemands, « ces mots bizarres de fabrication allemande mais d’allure

résolument française » (cf. Vanderperren 22001, 7 ; cf. Kühnel 1987, 6), c’est-à-dire des
   

mots allemands qui paraissent français mais qui n’existent pas en français et qui sont  

également source de confusion : « Blamage » (all.) ‘honte, discrédit’, « illoyal » (all.)


         

‘déloyal’. Ce phénomène existe bien entendu dans d’autres langues, un cas bien
connu étant les « pseudoanglicismes » dans les langues européennes (Albrecht 2005,
   

137), comme « happy end » (fr.) et « Happyend » (all.) ‘fin heureuse’ alors qu’en
         

anglais c’est « happy ending » qui a ce sens.


   

Le lecteur attentif aura remarqué que nous avons en fait choisi une définition
large des faux amis, mais elle se justifie par l’utilité qu’elle présente pour les utilisa-
teurs de recueils et dictionnaires de faux amis. Le problème le plus délicat reste
cependant la définition de la « ressemblance de forme » de ces faux amis. On peut
   

certes encore comprendre ce qu’est une identité de forme,22 à condition bien sûr de
préciser si cette identité inclut ou non l’orthographe, la prononciation, l’accentuation,
le genre grammatical etc. Mais que signifie une « ressemblance » de forme, c’est-à-    

dire une identité partielle de forme ? Comment en dégager des critères rigoureux ? À
   

partir de quand deux mots se « ressemblent »-ils ou ne se « ressemblent »-ils plus ? La


         

plupart du temps, cette ressemblance n’est pas définie, ni même évoquée et est du

21 Par « paronymes » nous entendons, comme Dubois et al. (1994, 349) « des mots ou des suites de
       

mots de sens différent, mais de forme relativement voisine ».  

22 D’où la belle appellation de « mot-sosie » à la place de « faux ami » pour Petton (1995) et Bousca-
       

ren/Davous (1977).

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domaine de l’intuition dans les dictionnaires de faux amis. Une réflexion plus appro-
fondie à ce sujet se trouve dans Milan (1989, 392s.) et surtout dans Kroschewski (2000,
33s.) qui se penche de façon assez convaincante sur les degrés et critères de cette
ressemblance.

3.4 Ceci nous amène directement au quatrième critère : le fait que les faux amis sont

source de confusion et donc d’erreur par leurs utilisateurs. C’est un critère qui cette
fois intéresse spécifiquement la didactique des langues et de la traduction, et il est
particulièrement important car il justifie l’existence des nombreux manuels et recueils
de faux amis destinés à aider les élèves et étudiants de langues à ne pas tomber dans
ces pièges lexicaux. D’ailleurs, une foule d’appellations voisines de celle de faux

amis, certaines assez pittoresques, filent en quelque sorte la métaphore de la traî-


trise.23 En français, on trouve par exemple des « faux-frères » (Vanderperren 22001, 5 ;
     

Voirol 1990, page de garde), des « faux cousins » (Voirol, 1990, page de garde), « des
     

mots qui nous trahissent (Colignon/Berthier 1985, 3), des « pièges insidieux » (Van-
   

derperren 22001, 5), et des mots faisant preuve de différents degrés de « perfidie »    

(Dupont 1961, 10). Pour Petton (1995, 7) et Gorbahn-Orme/Hausmann (1991, 2883), la


fréquence d’erreur potentielle des utilisateurs de faux amis est un critère essentiel
pour arriver à un traitement lexicographique satisfaisant des faux amis. Petersen
(1990, 10) prend même comme point de départ de la définition des faux amis un
inventaire des erreurs dans le processus d’apprentissage des apprenants de langue et
base toute son étude des faux amis sur l’analyse et la classification des phénomènes
d’erreur. À dire vrai, les publications récentes intègrent maintenant plus souvent la
dimension didactique et psycholinguistique des faux amis. C’est le cas de Kiss (2002,
44s.) qui définit les faux amis comme un phénomène où le locuteur se livre à de
« fausses analogies » en traduisant et où il crée une interférence de champs sémanti-
   

ques entre la langue de départ et celle d’arrivée. Cette approche des faux amis basée
sur la didactique des langues a également permis d’établir que le phénomène des faux
amis est essentiellement individuel. En effet, selon Kiss (2002, 43), « les faux amis  

n’existent pas a priori dans la langue (…) : c’est la connaissance linguistique inégale

du locuteur bilingue qui les produit ».24 Remarquons pour finir que le fait de prendre

une fréquence d’erreur élevée comme critère de sélection des faux amis conduit par
extension à y inclure les « gallicismes », « hispanismes », « italianismes », « germanis-
             

mes » etc., qui ne sont pas forcément des faux amis. Ce sont en effet des mots, mais

surtout des expressions et constructions, qui sont particuliers à une langue et qui sont

23 Chamizo Domínguez/Nerlich (2002, 1837) examinent les stratégies pragmatiques utilisant les faux
amis et remarquent que ces derniers ne sont pas seulement des pièges mais aussi des occasions
positives qu’exploitent des auteurs pour jouer avec la langue ou faire preuve d’humour.
24 Voir aussi Gauger (1982, 79) ainsi que Kupsch-Losereit (2004, 545) qui déclare, à juste titre, que les
faux amis n’existent pas objectivement entre deux langues, mais par rapport à une personne et à une
situation.

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Les « faux amis » : théories et typologie
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donc sujets à interférences lorsqu’il s’agit de les traduire dans une autre langue, mais
sans qu’il y ait forcément de ressemblance de forme avec leur équivalent dans la
langue d’arrivée, comme c’est le cas pour les faux amis.25

3.5 Cinquième critère : les faux amis se caractérisent également par une différence de

sens entre eux, celle-ci pouvant être très diverse. Cette différence de sens est bien sûr
plus souvent source d’erreurs si les faux amis se trouvent dans le même champ
sémantique. Wandruszka (1977, 54) le montre en observant que « caldo » (it.) ‘chaud’    

peut être facilement confondu avec « kalt » (all.) ‘froid’ justement parce que les deux
   

adjectifs servent à désigner des températures. Il est également important que les faux
amis apparaissent dans un contexte comparable pour qu’on puisse les considérer
véritablement comme des faux amis, à savoir des mots susceptibles d’être confondus
(Kupsch-Losereit 2004, 544). Nous reviendrons aux aspects sémantiques dans notre
typologie des faux amis, mais remarquons d’ores et déjà que les différences de sens
définitoires entre faux amis n’ont pas souvent été analysées de façon convaincante.
Wotjak (1984) l’aborde et Lipczuk (1991, 410) s’y attaque résolument en définissant

cinq grandes relations sémantiques entre les faux amis : exclusivité, inclusion, équi-  

pollence, opposition et exclusion.26


Une question complémentaire est celle d’inclure parmi les faux amis les mots qui,
inversement à la définition que nous avons posée d’entrée, ont une certaine ressem-
blance de forme mais le même sens, par exemple « amiral » (fr.) et « Admiral » (all.)
       

‘amiral’. C’est à vrai dire le choix de la plupart des recueils de faux amis, motivé par le
fait que ces mots sont évidemment des chausse-trapes redoutables, car la différence
de forme, parfois minime, risque de passer inaperçue et être donc source d’erreur.

3.6 Sixième critère : c’est cette fois-ci un critère de nature diachronique, et il peut

s’ajouter aux critères précédents. Dans ce cas, on compterait aussi parmi les faux amis
des « mots de même étymologie et de forme semblable mais ayant des sens partielle-

ment ou totalement différents ».27 La ressemblance de forme est donc due dans ce cas

à l’origine commune des faux amis. Par exemple, venant du latin « largus », on a    

« large » (fr.) vs. « largo » (esp.) ‘long, grand’ vs. « large » (angl.) ‘grand, étendu’. Les
           

mots de même origine deviennent des faux amis car leur sens évolue différemment
dans chaque langue. Ce critère est cependant de moins en moins utilisé dans les

25 Pour Klein (1968, 5s.) il s’agit de « transposition naïve » de structures verbales et nominales dans la
   

langue d’arrivée.
26 Il s’agit respectivement de : « Privativität », « Inklusion », « Äquipollenz », « Kontrarität », « Exklu-
                   

sion ».

27 Selon Cuq (2003, 101). On trouve des définitions comparables dans Van Roey/Granger/Swallow
(31998, XVI), Reiner (1983, 76) et Galisson/Coste (1976, 217), qui reprennent Koessler/Derocquigny
(1928), ainsi que dans la typologie récente de Jorge Chaparro (2012).

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342 Maurice Kauffer

définitions récentes, après avoir été la norme à une certaine époque, après la parution
de l’ouvrage de Koessler/Derocquigny (1928).
Le critère diachronique reste en revanche important si l’on définit les faux amis
diachroniques à l’intérieur d’une même langue. Koller (2001, 224) oppose ainsi les
mots ayant un sens différent à différentes époques comme « Arbeit » (all.) ‘travail’ et    

« arebeit » (moyen haut-allemand) ‘labeur, travail pénible’. D’ailleurs les faux amis
   

évoluent aussi dans le temps et Kühnel (1987, 8) observe que certains mots qui étaient
faux amis ne le sont plus par la suite.

4 Typologie
Une typologie des faux amis – même sommaire, comme ce sera le cas ici – partira bien
sûr de la définition posée dans la partie précédente, ainsi que des six critères discutés
ci-dessus, surtout ceux concernant la forme et le sens des faux amis.28 Dans le cadre
du présent ouvrage sur la traduction, nous nous concentrerons non pas sur les faux
amis « intralinguaux » c’est-à-dire à l’intérieur d’une même langue, mais sur les faux
   

amis « interlinguaux », entre les langues, et nous présenterons surtout des exemples
   

de faux amis français et allemands.

4.1 La première catégorie est constituée par les faux amis traditionnels qu’on peut

appeler « faux amis de sens », à savoir des mots ou expressions qui ont une forme
     

identique, ou proche, mais des sens plus ou moins différents, cette différence étant
évidemment source d’erreur pour le locuteur.
‒ Soit ce sont des « faux amis complets » quand leur sens est très différent, voire
     

sans point commun de sens dans la plupart ou même dans l’ensemble des contextes
d’utilisation. Il s’agit de toutes sortes de mots : des substantifs comme « baiser » (fr.)      

vs. « Baiser » (all.) ‘meringue’ ou « burro » (ital.) ‘beurre’ vs. « burro » (esp.) ‘âne’, des
           

verbes comme « fournir » (fr.) vs. « furnieren » (all.) ‘(contre)plaquer, en menuiserie’,


       

ou des adjectifs comme « léger » (fr.) vs. « leger » (all.) ‘décontracté, superficiel’. Ce
       

sont parfois des faux amis dont la ressemblance de forme est pure coïncidence :29  

« hâte » (fr.) vs. « hate » (angl.) ‘haine’,30 ou bien « auge » (fr.) vs. « Auge » (all.) ‘œil’.
                   

‒ Soit ce sont des « faux amis partiels » avec un recouvrement partiel des aires
     

sémantiques des deux faux amis, c’est-à-dire des sens qui coïncident seulement en
partie.31 La différence de sens peut alors être de différente nature. Ce peut être une

28 Nous rappelons (cf. la discussion du quatrième critère en 3.4) que la fréquence d’erreur du locuteur
utilisant les faux amis est aussi un critère définitoire essentiel de ces derniers.
29 D’où l’appellation « chance false friends » de Chamizo Domínguez/Nerlich (2002).
   

30 De tels faux amis à l’intérieur d’une même langue seraient des homonymes.
31 La délimitation entre faux amis « complets » et faux amis « partiels » n’est en fait pas toujours
       

aisée, car le point commun de sens peut être fort éloigné.

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Les « faux amis » : théories et typologie
      343

différence de dénotation : par exemple « Professor » (all.) ‘professeur d’université’ et


       

« professeur » (fr.) où le mot français peut avoir le même sens qu’en allemand mais en
   

plus d’autres sens. C’est l’inverse pour « thé » (fr.) opposé à « Tee » (all.), ce dernier        

signifiant ‘thé’ mais aussi ‘tisane, infusion’.32 En espagnol, « reparar » peut avoir le    

sens de ‘réparer’, comme pour le verbe français « réparer », mais aussi celui de    

‘remarquer’. La différence sémantique peut même se combiner avec une dimension


diatopique : « Funktionär » (all.) ‘permanent, officiel d’une organisation’ n’a pas le
     

même sens que « fonctionnaire » (fr.) ‘employé d’une administration publique’, sauf
   

en Suisse allemande où c’est le cas (cf. DUW, article « Funktionär »).    

Cette différence de sens peut tenir aussi à la connotation ou au registre de  

langue : « Visage » (all.) est en général familier (‘mine, air’) et parfois en plus négatif
     

(‘gueule, tronche’), tandis que le mot français « visage » n’est ni l’un ni l’autre. De    

même « généreux » (fr.) et « generös » (all.) ont le même sens mais l’adjectif alle-
       

mand est d’un niveau de langue plus élevé. La différence est aussi parfois de
nature pragmatique : « Appendizitis » (all.) a le même sens que « appendicite » (fr.)
           

mais pas le même emploi car il sera utilisé dans un contexte professionnel, voire
spécialisé, contrairement à son équivalent en langue standard, « Blinddarmentzün-  

dung » (cf. Kupsch-Losereit 2004, 545). La différence de sens se double parfois d’une

différence de classe grammaticale : « tentative » (fr.) est un substantif mais « tenta-


       

tive » (angl.) un adjectif au sens (entre autres) de ‘timide’ (exemple cité par Petton

1995, 12). Parfois, c’est seulement dans un emploi métaphorique que les mots
deviennent des faux amis : « chameau » (fr.) et « Kamel » (all.) sont synonymes
         

quand ils désignent un animal mais pas quand il s’agit d’une personne : le mot  

français désigne une ‘personne méchante, désagréable’ (Robert), mais « Kamel » une    

personne stupide.33
‒ Soit nous avons affaire à des « pseudo-Xismes », autrement dit des « pseudo-      

gallicismes », « pseudoitalianismes » etc., c’est-à-dire des mots paraissant être des


     

emprunts au français, à l’italien etc., mais qui en fait n’existent pas dans la langue
d’origine. Nous avons déjà évoqué en 3.3 les exemples allemands « Blamage » ‘honte,    

discrédit’ et « illoyal » ‘déloyal’, qui ne sont en fait pas des emprunts au français. Mais
   

il y en a bien d’autres : « Hasardeur » (all.) ‘risque-tout’, « Baronesse » (all.) ‘fille de


         

baron’ etc. Pour ce type de faux ami, il y a souvent deux phénomènes : d’une part un  

point commun de sens avec un mot de la langue d’origine (en l’occurrence le français)
et d’autre part le fait que le faux ami allemand est dérivé à l’aide d’un suffixe ou d’un  

préfixe d’origine française. Par exemple, « Blamage » est sémantiquement proche de    

« blâmer », et il en est dérivé grâce au suffixe « ‑age ». Il en est de même pour le


       

32 Cela nous montre ‒ et c’est là un point important ‒ que chaque « couple » de faux amis doit être    

considéré en tenant compte de la direction de traduction.


33 Démonstration de Chamizo Domínguez/Nerlich (2002, 1839) qui s’intéressent également dans leur
article aux relations entre d’une part les faux amis et de l’autre les métonymies et euphémismes. Voir
aussi à ce sujet Chuquet/Paillard (1987, 226–227).

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344 Maurice Kauffer

préfixe « il- » de « illoyal » et les suffixes « -eur » de « Hasardeur » ou « -esse » de


                   

« Baronesse ».34
   

Pour les faux amis de sens, en particulier les faux amis partiels, il peut y avoir une
origine étymologique commune entre les deux faux amis, due le plus souvent à une
troisième langue comme le latin ou le grec (cf. les parties 3.2 et 3.6 ci-dessus). Cette
origine commune peut entraîner soit des sens très proches pour les faux amis, soit des
sens différents avec un ou plusieurs points communs de sens entre les deux mots. Il y
a donc de nombreux cas de figure35 de relations sémantiques entre ces faux amis,
mais nous n’en donnerons que deux exemples ici. Il s’agit d’une part de mots français
ayant changé de sens en français, mais dont le sens ancien s’est conservé en
allemand, les deux sens étant néanmoins restés relativement proches : par ex.  

« Chaussee » (all.) ‘route départementale’ vs. « chaussée » (fr.) ‘partie principale et


       

médiane d’une voie publique’ (Robert).36 D’autre part, on a des emprunts au français
qui ont changé de sens lors de leur passage en allemand, par exemple « partout » (all.)    

‘à tout prix’.

4.2 La deuxième catégorie regroupe les « faux amis de forme », à savoir des mots dont    

le sens est très proche, voire identique, mais dont la forme apparemment très proche
diffère quand même sur un ou plusieurs points.37
Cette divergence peut être de nature orthographique, comme pour « Admiral »    

(all.) ‘amiral’ vs. « amiral » (fr.) ou bien « parabole » (fr.) vs. « Parabel » (all.) ‘para-
           

bole’, ou encore « Aggression » (all.)38 ‘agression, agressivité’ vs. « agression » (fr.).


       

Les différences orthographique et phonétique (y compris l’accent lexical) peuvent se


superposer, comme c’est le cas dans ces derniers exemples. Pour « Etikett » (all.) vs    

« étiquette » (fr.) ou bien « Resümee » (all.) ‘résumé, bilan’ vs. « résumé » (fr.) ou
           

encore « Komitee » (all.) et « comité » (fr.), seule l’orthographe diffère.39


       

La divergence est aussi parfois relative à d’autres caractéristiques morpho-synta-


xiques. La différence de structure lexicale des faux amis, par exemple l’existence de
suffixes différents, est très fréquente, avec des sens très proches : « catastrophique »      

(fr.) vs. « katastrophal » (all.) ou « chirurgien » (fr.) vs. « Chirurg » (all.) ou encore
           

« civil » (fr.) vs. « Zivilist » (all.) ‘le civil’. La différence de genre grammatical des
         

34 Ce sont les « exogene Suffixe » de Fleischer/Barz (42012, 239).


   

35 Une analyse sémantique de détail de ces différents cas de figure est encore à faire.
36 Voir aussi l’introduction de Klein (1968).
37 Certaines analyses définissent également les « vrais amis », à savoir les mots qui ont à la fois une    

forme très proche et un sens très proche. Kroschewski (2000) et Svobodova (1982) en font une analyse
critique fort intéressante.
38 Cette ressemblance de forme et de sens est également souvent due à une origine étymologique
commune, ainsi « aggressio » (latin) pour « Aggression » (all.) et « agression » (fr.) et « parabola » (lat.)
               

< « parabolê » (grec) pour « Parabel » (all.) et « parabole » (fr.).


           

39 Ainsi que le genre grammatical car « Etikett », « Resümee » et « Komitee » sont de genre neutre,
           

alors que leurs homologues français sont masculins.

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Les « faux amis » : théories et typologie
      345

substantifs est également un piège redoutable : « groupe » (fr.) est masculin mais
     

« Gruppe » (all.) féminin, tout comme « geste » (fr.) et « Geste » (all.) ou encore
           

« mark » (fr.) et « Mark » (all.), mais « alarme » (fr.) est féminin, contrairement à
           

« Alarm » (all.) de genre masculin.40


   

5 Perspectives conclusives
En conclusion, nous dégagerons quelques perspectives sur les faux amis. Nous avons
remarqué que l’existence de très nombreux recueils et dictionnaires de faux amis
répond à un besoin important et récurrent de ceux qui sont confrontés à la traduction,
qu’ils soient linguistes, traducteurs ou étudiants en langues. Mais pour que les faux
amis ne soient pas de vrais ennemis, il s’agit de mieux en appréhender les ressorts
complexes. Établir une nouvelle typologie des faux amis, comme il en existe déjà
beaucoup, n’a guère d’intérêt, mais il s’agit plutôt de l’asseoir sur des bases théori-
ques plus solides. À cet effet, les analyses de fond dans le domaine des faux amis,
encore relativement peu nombreuses, devraient donc se diriger vers les directions
suivantes. D’une part, la sémantique lexicale contrastive et en particulier la représen-
tation des fausses analogies sémantiques qui sont à la base des faux amis. D’autre

part, l’analyse des ressemblances de forme et des « interférences matérielles »    

(Kupsch-Losereit 2004, 544) entre les faux amis, surtout ceux des langues romanes,

devrait être affinée. Une autre direction de recherche est l’étude des emprunts et des
« internationalismes »,41 qui devrait aussi permettre de progresser dans ce domaine.
   

Par ailleurs, nous l’avons vu à plusieurs reprises, il convient pour les faux amis non
seulement de procéder à une analyse lexicale mais d’y intégrer aussi une dimension
contextuelle et pragmatique. Et pour finir, c’est bien sûr une approche centrée sur la
psycholinguistique et la didactique des langues étrangères qui permettra de mieux
comprendre les types d’erreur et les causes de ces erreurs et donc d’apprivoiser les

faux amis pour en faire de faux ennemis…

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40 Ces exemples montrent bien que les différences structurelles et grammaticales peuvent se super-
poser avec celles de nature purement orthographique.
41 Par « internationalismes » nous entendons les mots de forme et de sens très voisins dans un
   

nombre important (à savoir supérieur à trois) de langues de familles différentes : voir à ce sujet Lerat 

(1988) ; Turska (2009) ; Braun/Schaeder/Volmert (1990).


   

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