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LA BALLADE DES PENDUS, VILLON.

Amorce : François Villon a été condamné à mort pour le meurtre d'un notable. Sa condamnation à
mort sera annulée.
Présentation de l'extrait : Cet événement lui inspirera la lyrique « Ballade des pendus », sans
doute écrite dans les années 1460, composée de trois dizains de décasyllabes et d’un envoi (adresse)
de cinq vers, et sans doute inspirée des émotions de Villon en prison. Le poète y donne la parole à
des pendus fictifs qui proclament l'universalité du genre humain, invitant ainsi le destinataire à
s'identifier au sujet de l'énonciation et à se placer sous le regard de Dieu.

I- Un réalisme au service du pathétique.

1) Une scène fidèle à la réalité.


La réallité des corps morts pendus est dépeinte sans détours et avec de nombreux détails, malgré
l'horreur :
• Le champ lexical de la décomposition est ainsi très présent dans le poème. Même après la
mort, les pendus n’ont pas fini de souffrir : la chair est « dévorée et pourrie » (v. 6), la pluie
les « a débués et lavés » (v. 21), « le soleil desséchés et noircis » (v. 22).
• On remarque que ce sont principalement des éléments naturels qui tourmentent les
suppliciés : la pluie, le soleil mais aussi le vent (« comme le vent varie / A son plaisir sans
cesser nous charrie », v. 26-27) et les oiseaux.
• L’image la plus frappante est sans doute celle des corbeaux qui leur mangent les yeux et
arrachent les poils (« Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés, / Et arraché la barbe et les
sourcils », v. 23-24, « becquetés d’oiseaux », v. 28). Cette image sinistre, ainsi que les
nombreuses rimes en –i donnant un caractère lancinant à la ballade, renforcent l’atmosphère
macabre du poème.

2) Un tableau pathétique.
Ce réalisme ne rend que plus poignante le spectacle de la mort.
• La dimension de spectacle est renforcée par la description des corps, présentée d’un point
de vue extérieur (« Vous nous voyez ci attachés », v. 5), et donc a priori du lecteur, témoin
de cette plainte des pendus.
• Villon insiste particulièrement sur la durée du supplice : « jamais nul temps » (v. 25), «
sans cesser » (v. 27). L’emploi du présent dans le poème contribue à figer cet événement
dans l’instant, donnant une impression de durée (valeur durative du présent).
• Les pendus s’adressent directement à leurs « Frères humains » (les témoins/lecteurs) à
l’impératif pour demander leur pitié : « N’ayez les cœurs contre nous endurcis / Car, si pitié
de nous pauvres avez » (v. 3-4).

II- Le thème de la mort.

1) Confrontation entre le monde des vivants et le monde des morts.


• Comme on l’a montré, le monde des morts est marqué par la dégradation du corps («
devenons cendre et poudre », v. 8). Les morts ont presque disparu déjà : les éléments les
maltraitent, leurs organes leur sont retirés – ne reste que leur plainte.
• La situation d’énonciation accentue le chiasme entre ces deux mondes distincts mais
renversés : ce sont les morts qui parlent et les vivants qui se taisent et dont on ne sait
presque rien.
• Les pendus semblent craindre d’être abandonnés, méprisés par les vivants : « N’ayez les
cœurs contre nous endurcis » (v. 2), « Si frères vous clamons, point n’en devez / Avoir
dédain » (v. 11-12), « Hommes, ici n’a point de moquerie » (v. 34).
• C’est la justice des hommes qui a condamné les futurs pendus à la mort, mais il n’y a pas
de rancœur ou de colère de la part des pendus. Au contraire, ils redoutent le jugement
divin et sollicitent l’aide des spectateurs pour obtenir le pardon de Dieu.

2) Le memento mori.
La confrontation de ces deux mondes bien distincts n’empêche pas Villon de montrer à quel point la
barrière est fine entre ces deux groupes : il est évident que les vivants finiront eux-mêmes par
mourir.
Ce rappel de la condition mortelle de l’homme constitue ce que l’on appelle un memento mori,
expression latine signifiant « souviens-toi que tu vas mourir ».
• Le refrain, « Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre », relie les vivants et les morts
à travers Dieu. Le mot « tous » peut désigner les pendus seuls ou de l’humanité tout entière
(comme semble l’indiquer l’adresse « Hommes », v. 34).
• Les morts s’expriment depuis le gibet où ils ont été pendus (« ci attachés » v. 5, « le vent
[…] nous charrie », sous-entendu au bout de leur corde, v. 26-27), et donc après leur mort.
Ce procédé, appelé prosopopée (figure de style qui consiste à faire parler un élément qui ne
devrait pas pouvoir s’exprimer, comme un mort, un animal, un objet), fait une forte
impression sur le lecteur, qui se sent directement visé par ces paroles.

III- Un appel universel.

1) Villon porte-parole : une énonciation collective.


• Ici, ce sont cinq ou six pendus qui prennent la parole en groupe, sous le pronom
personnel « nous » (v. 1, 2, 3, 5, etc.), ce qui implique que Villon s’inclut dans ce groupe.
L'imprécision indique que l’accent n’est pas mis sur certains condamnés en particulier,
mais sur un groupe indéfini, les morts, donnant naissance à un lyrisme original (lyrisme
généralement à la 1ère personne du singulier).
• Ils s’adressent à un lectorat très large : les « Frères humains qui après nous vivez » (v. 1),
soit l’humanité encore en vie, mais aussi à Dieu lui-même, dans l’envoi de la ballade («
Prince Jésus, qui sur tous as maistrie », v. 33).
• Villon se fait donc porte-parole et ne parle pas en son nom propre, mais au nom de « tous »
(« Priez Dieu que tous nous veuille absoudre »), tous recouvrant d’abord les pendus, puis
tous ses Frères, soit l’Humanité entière, les morts comme les vivants.
• L’appel au pardon divin est aussi une forme d’universalité, car tous les hommes sont égaux
devant Dieu et seront jugés par lui.

2) Des pendus qui s'en remettent à Dieu.


• La religion est clairement présente dans ce poème, comment en témoigne le champ lexical
du religieux : « Dieu » (v. 4, 10, 20, 30), « merci » (v. 4), « priez », « absoudre » (v. 10, 20,
30), « le fils de la Vierge Marie » (v. 16), « grâce » (v. 17), « infernale foudre » (v. 18), «
Prince Jésus » (v. 31), « Enfer » (v. 32).
• Villon en appelle également à la charité et la fraternité chrétiennes : « Frères humains »
(v. 1), « pitié » (v. 3), « frères » (v. 11), « confrérie » (v. 29) et demande au lecteur d’adresser
des prières à Dieu.
• On retrouve également le thème de la supériorité de l’âme sur le corps : le corps pourrit, se
détériore, devient un aliment pour les oiseaux charognards, comme le décrit Villon par de
nombreuses accumulations binaires qui insistent sur cet état de dégradation (« dévorée et
pourrie », « cendre et poudre », « débués et lavés », « desséchés et noircis ») ; de plus, les
condamnés reconnaissent eux-mêmes que de leur vivant, ils ont trop profité des plaisirs de
la chair (« Quant à la chair, que trop avons nourrie »), négligeant par là leur âme.
• Cependant, même si la justice des hommes a condamné les pendus, il n’est pas encore trop
tard pour sauver leur âme : Dieu peut leur pardonner. Si les condamnés ne remettent pas
en cause le jugement de leurs pairs (« quoique fumes occis / Par justice », v. 12-13), ils
cherchent, par la prière des vivants qui servent d’intermédiaires, l’absolution divine,
comme en témoigne l’entêtant refrain.
• Les pendus demandent donc à « vous », lecteur, frère humain, de prier pour qu’ils n’aillent
pas en Enfer où continuerait leur supplice (« Nous préservant de l’infernale foudre », v.
18, « Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie », v. 32). Cette crainte de l’Enfer est très
présente dans les deux dernières strophes.

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