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Christian Metz

Les sémiotiques ou sémies


In: Communications, 7, 1966. pp. 146-157.

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Metz Christian. Les sémiotiques ou sémies. In: Communications, 7, 1966. pp. 146-157.

doi : 10.3406/comm.1966.1102

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1966_num_7_1_1102
Christian Metz

Les sémiotiques, ou sémies


A propos de travaux de Louis Hjelmslev
et d'André Martinet

On sait que pour F. de Saussure la sémiologie était destinée, lorsqu*elle


se serait suffisamment développée, à inclure la linguistique ; Saussure
prévoyait un état de la recherche dans lequel la linguistique ne serait
plus qu'un secteur — secteur particulièrement important, mais sec
teur tout de même — d'une science générale des signes K Si cette con
ception reste valable à titre d'idéal lointain ou de cadre de référence
elle ne correspond plus, en pratique, à l'état actuel des recherches di
sponibles ou engagées.
Ceci tient, semble- t-il, à deux raisons que Saussure ne pouvait pas enti
èrement prévoir. D'une part, la linguistique pure, depuis la fin des années
vingt, a pris les développements imposants que l'on sait et apparaît
aujourd'hui comme un véritable corps de doctrine et de savoir, alors
que la sémiologie n'a connu son premier essor notable que beaucoup
plus tard et en est encore à ses débuts. D'autre part, il est de plus en
plus frappant que la plupart des sémiotiques de quelque importance
comportent d'une façon ou d'une autre le recours au langage verbal :
le cinéma est devenu parlant, la télévision l'a toujours été, la radio
garde toute son importance ; les cartes géographiques, schémas, diagram
mes, indications chiffrées, numéros divers etc. s'accompagnent le plus sou
vent, comme y insiste Georges Mounin2, de mentions écrites, donc linguis
tiques ; les images publicitaires sont presque toujours légendées8 ; les
récits littéraires, les contes, les mythes ne déploient le système propre de
leurs fonctions que par-dessus l'utilisation première de tel ou tel idiome
humain, etc.. En somme, le linguistique est si souvent présent dans le
sémiologique qu'il est permis de se demander — à condition de mettre à
part des cas comme la peinture ou la musique, qui posent des problè-

1. F. De Saussure, Cours de linguistique générale, 33 (« La linguistique n'est qu'une


partie de cette science générale... » — C'est nous qui soulignons).
2. « Les systèmes de communication non-linguistiques et leur place dans la vie du
vingtième siècle, » in Bulletin de la Société de Linguistique de Paris, LIV, 1959.
3. Voir Roland Barthes, ce Rhétorique de l'image, » in Communications, 4, 1964.

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mes difficiles et pratiquement inexplorés — si le sémiologique pur peut


exister ailleurs que dans des sémies d'usage restreint et de sémantisme
pauvre ( feux de croisement, certains pavillons de marine, sonneries
de trompettes et clairons, et autres exemples auxquels linguistes et
sémiologues aiment à se référer pour leur commodité démonstrative
plus que pour leur importance réelle dans la vie sociale).
Une sémiotique peut être trans-verbale (contes, mythes, tous récits
écrits ou oraux) ou non-verbale (ainsi les images de toutes sortes). Lais
sons de côté les sémiotiques trans-verbales, qui nous donneraient trop
facilement raison, pour constater que dans les sémiotiques « non- verbales j»
elles-mêmes, le verbal est le plus souvent présent. Présence qui peut re
vêtir deux formes principales : tantôt la langue fait partie des éléments
signifiants au même titre que l'image ; elle ajoute ses significations à celles
du matériel non- verbal à l'intérieur d'une même lexie (unité de lecture) :
c'est le cas de ce qu'on appelle au cinéma la parole diégétique, c'est-à-
dire la parole qui est clairement mise au compte d'un des personnages de
la fiction (diégèse), et qui nous apporte sur l'univers fictionnel du film des
informations que nous additionnons à celles que nous fournit la bande-
images *. Dans d'autres cas, au contraire, la parole apparaît en fonction
de métalangage par rapport aux signifiants non-verbaux ; elle appart
ientencore à la lexie, mais elle la « coiffe » plutôt qu'elle n'en est une
partie. La chose est] fréquente en publicité2, où la légende permet d'in
terpréter correctement l'image (est considérée comme « correcte », sémio-
logiquement parlant, la lecture souhaitée par l'annonceur). Au cinéma,
ce cas correspond, du moins pour l'essentiel, à la parole non-diégétique
(commentaires de speakers et récitants, ainsi que diverses formes de«voix-
off » 8 — c'est-à-dire à la parole qui est mise au compte de l'auteur du
film et non plus d'un personnage, et qui commente la bande-images plu
tôt qu'elle ne la complète. Il semble donc que la distinction posée par
Roland Barthes, à propos de l'image publicitaire, entre la parole-an
crage et la parole-relais 4 pourrait être généralisée et correspondre aux

1. Rappelons que « bande-images » n'est pas synonyme d' « image » ; il y a en plus,


dans la bande-images, le montage, les différentes figures du discours imagé, et les
procédés optiques (fondus, volets, etc..)
2. Voir Roland Barthes, article cité, p. 44 (notion d' « ancrage »).
3. Il y a aussi des cas intermédiaires. Par exemple, ce qu'on a appelé la « première
personne sonore » (le commentateur est en même temps un des personnages). Ou encore
les récitatifs, que leur diction rituelle et réglée arrache à l'image, même s'ils sont dits
par un des personnages (La pointe courte, d'Agnès Varda ; L'année dernière à Marienbad,
d'Alain Resnais, etc..) Entre le dialogue réaliste ( parole totalement diégétique, parole
engloutie) et le commentaire off. du speaker anonyme (glose entièrement non-diégétique),
la parole filmique, dans son cheminement vers le statut de métalangage, dispose
de plusieurs paliers de libération successifs que la variété des films modernes a
abouti à institutionnaliser dans leur diversité. — Sur la « première personne sonore »,
on dispose déjà d'études pré-sémiologiques fort solides : notamment Jean- Pierre Char-
'

tier, « Les films à la première personne et l'illusion de réalité au cinéma » {Revue du


Cinéma, 2° série, n° 4, Janvier 1947, p. 32-41), et Albert Laffay, pages 77-82 de
Logique du cinéma (Masson, 1964).
4. Article cité, p. 44-45.

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deux grands visages que revêt l'intervention si fréquente du verbal dans


le non-verbal. Ce que l'on appelle parfois la « civilisation de l'image » est
plus que jamais — comme y insiste le même auteur1 — une civilisation
de la parole et de l'écriture.
On voit mieux maintenant ce qui rend difficile la conception saussu-
rienne de la linguistique comme partie de la sémiologie. Non seulement
cette « partie » s'est fortement affirmée et forme elle-même un tout, alors
que le « tout » dont elle devrait être la partie n'existe qu'en partie — mais
en outre la partie supposée non-linguistique de la sémiologie n'arrivera,
semble-t-il, à former un tout que si elle englobe à titre de partie une étude
des significations verbales dans les lexies partiellement non-verbales ou
dans les lexies trans- verbales. Pour ces deux raisons — et sans même ment
ionner la situation méthodologique qui fait que la sémiologie demande
souvent de l'aide à la linguistique alors que l'inverse est beaucoup plus
rare — , il semble que la sémiologie, pour une longue période encore, soit
destinée à apparaître comme une recherche opérant à côté de la linguis
tiquebeaucoup plus que comme une science générale englobant la li
nguistique. Cette situation se reflète dans l'emploi des termes eux-mêmes :
ce que l'on appelle aujourd'hui « sémiologie » dans l'usage courant, c'est
l'étude des systèmes de signes autres que les langues, et non point l'étude
de tous les systèmes de signes y compris les langues. Linguistique et
sémiologie se retrouvent côte à côte et non pas l'une dans l'autre.
Dans certains de ses travaux antérieurs, en particulier Arbitraire lin
guistique et double articulation 2, La double articulation linguistique 3
et le premier chapitre des Eléments de linguistique générale 4, André Mart
inet avait déjà abordé, implicitement ou explicitement, le problème des
rapports entre la linguistique et la sémiologie, disciplines parentes et pour
tant distinctes. Son récent recueil, la Linguistique synchronique 5, qui
reprend beaucoup d'études importantes et les complète de quelques iné
dits, permet d'avoir une vue d'ensemble sur la nature et les limites du
domaine que l'auteur assigne à la linguistique, et par contre-coup à la
sémiologie. Notre commentaire portera surtout sur le premier chapitre •,
qui concerne plus directement notre sujet.
André Martinet insiste sur le fait que le mot langage, quand il est em
ployé sans déterminant, désigne uniquement le langage verbal, alors
que dans tous les autres cas il est nécessaire de spécifier « langage des

1. Passim, et en particulier : article cité, p. 43 + compte-rendu dans Communicati


ons, n° 3, p. 104-105, de La civiltà dell' immagine (Almanach Bompiani de 1963, Milan,
Bompiani).
2. Cahiers Ferdinand de Saussure, XV, 1957, p. 105-116.
3. Recherches structurales 1949 (Constitue le volume 5 des Travaux du Cercle linguis
tique de Copenhague, 1949). p. 30-37.
4. 3° éd. : 1963. — II s'agit du chapitre intitulé « La linguistique, le langage et la
langue », p. 9-33.
5. P. U. F., 1965. Collection « Le linguiste ».
6. Intitulé « La double articulation du langage », p. 1-35.

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Les sémiotiques, ou se mies

fleurs », « langage cinématographique x, » etc.. On peut rapprocher cette


constatation d'une remarque faite par Geza Révész a après bien d'autres :
dans un grand nombre d'idiomes humains, le mot qui correspond au
français langage est étymologiquement apparenté, comme langage lui-
même, à un terme désignant la langue (organe biologique), ou la bouche,
ou le palais. Ainsi le langage phonique serait le seul langage au sens propre,
tous les autres « langages » ne seraient tels qu'en des sens diversement et
inégalement figurés 8.
Ce qui définit le langage verbal, continue André Martinet, n'est pas seu
lement sa nature de système de signes — qu'il partage avec tous les lan
gages au sens figuré — , mais le fait delà double articulation4, lui-même
lié à la réalisation phonique des formes linguistiques. C'est la substan-
tialité phonique, on le sait, qui emporte la linéarité 6 ; Henri Bonnard
remarque de son côté * que les formes linguistiques, si on les considér
ait — si on pouvait les considérer, dirions-nous plutôt — en dehors de
leur exécution phonique, n'obéiraient pas forcément à des structures l
inéaires. Mais comme la réalisation phonique — la manifestation phonique
de la forme de l'expression, pour employer une terminologie hjelmslé-
vienne — est seule garante du caractère linguistique des faits à observer T,
comme une unité de contenu qui n'aurait pas été d'abord isolée parla com
mutation (c'est-à-dire par la projection du plan de l'expression sur celui
du contenu 8) serait toujours suspecte d'être une unité de la pensée ou de
l'expérience plutôt que de la langue, comme Louis Hjelmslev lui-même
et à sa suite Mme E. Fischer-Jorgensen remarquent que la commutation
et l'identification des unités représentent le cas où le recours à la manif
estante (substance) s'impose 9 — il en résulte aux yeux de la plupart
des linguistes que la langue n'est pas une forme qui pourrait se réaliser
dans n'importe quelle substance, mais que la langue (bien qu'elle soit
par elle-même forme et non substance) serait une forme profondément
différente de ce qu'elle est si elle se réalisait dans une substance autre

1. La linguist, synchr., p. 12 (Repris de La Double Articulation linguistique, op. cit.). —


L'exemple < des fleurs » est d'André Martinet, l'exemple « cinématographique » de
nous.
2. Origine et préhistoire du langage, (Payot, 1950. Ed. originale en Allemand : Berne,
A. Francke, 1946.
3. La linguist, synchr., p. 27 (Repris d'Arbitraire linguistique et double articulation,
op. cit.)
4. La linguist, synchr., p. 2-3 (Passage jusque-là inédit).
5. La linguist, synchr., p. 4 (passage jusque-là inédit). — La chose a souvent été
soulignée, par exemple F. de Saussure, C. L. G., p. 64.
6. « Syntagme et pensée », in Journal de psychologie normale et pathologique, Janvier-
Mare 1964, p. 51-74. — Passage cité : p. 53.
7. André Martinet, Eléments de linguistique générale [op. cit.), p. 41-43 (paragraphe
2-8). — On sait qu'Antoine Meillet a insisté toute sa vie sur cette idée, qu'il ne formulait
évidemment pas dans les mêmes termes.
8. Louis Hjelmslev, Essais linguistiques, Copenhague, 1959, Nordisk Sprog og Kultur-
forlag, p. 62 (Repris de Word, 10, p. 163-188 : « La stratification du langage »)
9. Louis Hjelmslev, Essais linguistiques, p. 46-47 (Repris du même article).
Mme £. Fischer-Jorgensen, in Acta linguistica, VII, 1952, p. 12.

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que phonique x. La langue est structure, mais cette structure est diff
icilement separable des servitudes de la phonie. Ainsi pour André Martinet
la double articulation — c'est-à-dire le découpage deux fois linéaire — ,
le fait de l'exécution phonique, et la notion de langage « au sens le plus
ordinaire, le plus banal du terme * » sont trois caractères 'profondément
liés entre eux : ils définissent à eux trois le langage au sens propre, ils suf
fisent à eux trois à marquer la frontière entre la linguistique et la sémiol
ogie: « nous réservons, dit-il, le terme de langue pour désigner un instr
ument de communication doublement articulé et de manifestation vocal
e s. » C'est une des raisons, et sans nul doute la principale, pour les
quelles les phénomènes prosodiques ou suprasegmentaux, qui échappent
à la linéarité et à la double articulation, ont toujours été considérés par
cet auteur comme marginaux et « moins foncièrement linguistiques 4 »
que les phonèmes et les signes, bien que certaines langues en tirent parti
à l'occasion 6 puisqu' aussi bien les variations de hauteur mélodique
(tonèmes), de longueur d'émission (chronèmes) et de vigueur articulatoire
( « stronèmes » ) sont des possibilités physiologiques offertes par la voix.
On remarquera d'autre part qu'André Martinet et Louis Hjelmslev
se rejoignent sur un point : ils estiment l'un et l'autre qu'on ne saurait
définir le langage par voie d'induction généralisée, c'ést-à-dire en faisant
le relevé des traits communs à toutes les langues connues. Car beaucoup
de langues passées sont perdues à jamais, toutes les langues futures sont
inconnaissables par définition, et même parmi les langues connaissables,
beaucoup sont encore peu ou mal connues 6. De plus, le langage ne sau
rait se définir par la somme — toujours fortuite et toujours à refaire —
de ses manifestations attestées à chaque moment de la recherche ; il
englobe aussi les combinaisons possibles 7 qui n'ont pas, ou pas encore,
été attestées mais qui sont conformes à l'idée qu'on se fait au départ
du phénomène linguistique. La définition du langage est donc nécessair
ement antérieure au proche-à-proche des inductions, bien que le linguiste
doive s'inspirer, pour cette définition première, de « l'expérience la plus
vaste »8 ainsi que de la considération des possibles — cette dernière
relevant de ce qu'on pourrait appeler une imagination fonctionnelle
informée (extrapolation en esprit de connaissances nombreuses, passage
de l'attesté à l'attestable). On reconnaîtra là certains aspects des deux

1. André Martinet, La linguist, synchr., p. 10 (passage jusque-là inédit).


2. La linguist, synchr., p. 27 (Repris d'Arbitraire linguistique et double articulation,
op. cit.)
3. Eléments de linguistique générale (op. cit.), p. 25 (paragraphe 1-14).
4. La linguist, synchr., p. 33 (Repris d'Arbitraire linguistique et double articulation,
op. cit.)
5. Voir notamment « Accents et tons » (p. 141-161 de La linguist, synchr.).
6. La linguist, synchr., p. 13 (Repris de La Double Articulation linguistique, op. cit).
7. Ibid. — Pour définir le langage, dit André Martinet, le linguiste doit entre autres
choses « imaginer toutes les possibilités suggérées par cette expérience » (a cette » —
« l'expérience la plus vaste »).
8. Ibid.
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Les sêmiotiques, ou senties

démarches que Louis Hjelmslev nomme « deductive » et « empirique »,


et qui sont en un sens tout le contraire de l'empirisme dans l'acception
courante du mot 1. André Martinet, en accord partiel avec Louis Hjelmsl
ev à qui il se réfère1 estime indispensable d'adopter pour définir le
langage une procédure qu'il caractérise simplement comme non-inductive •
sans employer d'autre adjectif.
Ainsi, c'est sur le contenu de la définition, et non sur son statut,
qu'André Martinet se sépare de Louis Hjelmslev. Le premier, nous l'avons
dit, fait entrer dans la définition du langage le fait de la double art
iculation ainsi que la substantialité phonique des signifiants (ou plus
exactement de la manifestation des signifiants) ; pour ces deux raisons
à la fois, le langage verbal se trouve nettement distingué des « lan
gages » non-verbaux.
Rappelons en effet qu'il existe des sémies qui n'ont pas d'articulation
du tout, c'est-à-dire où chaque signe correspond de façon indécompos
able à un énoncé complet ; ainsi le feu rouge équivaut-il — sémanti-
quement, du moins — à un énoncé injonctif complet (« Défense de pas
ser! »). Il existe également des sémies qui ont une articulation et une
seule. Karl Bûhler et Jean Cantineau4 en signalent un exemple parti
culièrement net : dans certains systèmes de communication par pavil
lons, qu'utilise la marine, trois pavillons élémentaires (la boule ronde,
la flamme triangulaire et le drapeau rectangulaire) servent à former tous
les signaux. Chaque signal est un énoncé complet (« Navire à tribord! »,
par exemple), mais aucun des trois pavillons élémentaires n'est un signal
à lui seul ; tout signal résulte d'une certaine combinaison des trois pavil
lons. Le pavillon est donc une unité distinctive, et non significative ;
le signal, pour sa part, est bien entendu une unité significative, mais à
l'étage de la phrase et non du monème ; il n'y a donc rien dans cette sémie
qui corresponde au monème, unité encore significative (contrairement
au pavillon isolé) mais déjà substitutive d'un énoncé à l'autre, et par

1. Formulation particulièrement nette des principes empirique et déductif chez


Louis Hjelmslev (ainsi que de ce qui les différencie l'un de l'autre ) : Essais linguis
tiques( op. cit.), p. 128-129 (Repris de La structure morphologique, 1939, rapport qui
avait été prévu pour le 5° Congrès international des Linguistes, 1939, interrompu par
la guerre). — Louis Hjelmslev est revenu très souvent sur le principe d'empirisme
et sur le principe déductif, et les références seraient ici interminables (rappelons
cependant qu'il en est longuement question dans les Prolegomena). En résumant un peu
cavalièrement ces nombreux passages, on pourrait dire que le principe déductif
consiste pour Louis Hjelmslev en une décision opératoire d'aller du général au parti
culier — et l'empirisme en une décision, à la fois opératoire et motivée, de saisir la langue
comme une structure et d'analyser cette structure de façon à la fois non-contradictoire,
exhaustive, et la plus simple possible. L'un et l'autre principe confluent dans le
rejet maintes fois affirmé des synthèses a posteriori obtenues après mille inductions

de détail menées en dehors d'une pertinence nettement choisie au départ.


2. La linguist, synchr., p. 13 (Repris de La Double Articulation linguistique, op. cit.).
3. Ibid., p. 12-13.
4. Karl Bûhler, Sprachtheorie, die Darstellàngsfùnktion der Sproche (Iena, Fischer,
1934), paragraphe 5 (« Wort ùnd Satz »). — Jean Cantineau, œ Les oppositions signi
ficatives », in Cahiers F. de Saussure, X, 1952, p. 15.

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conséquent d'un étage inférieur à l'énoncé (contrairement au signal,


qui est un énoncé).
En somme, si l'on admet l'interprétation que nous proposons de l'exemple
Bûhler-Cantineau, on en arrivera à une conclusion qui, à notre avis,
n'avait pas été posée assez nettement jusqu'ici : toute sémie a un étage
de plus qu'elle n'a à" articulations. Les sémies à articulation zéro ont
un étage, celui de l'énoncé complet indécomposable (le feu rouge) ; les
sémies à une articulation ont deux étages : l'étage qu'établit leur arti
culation et celui de l'énoncé complet (pavillons de Bûhler-Cantineau).
Une sémie à deux articulations comporte trois étages : les deux étages
correspondant aux deux articulations et celui de l'énoncé (qui est en
quelque sorte antérieur aux articulations puisqu'il représente ce-qu'il-
8*agit-d'
articuler, et qui par conséquent compte toujours en plus) ;
dans le cas du langage phonétique, on aura : phonème (= correlat de la
deuxième articulation) -> monème (= correlat de la première articu
lation) -> phrase (= énoncé à articuler, ou encore énoncé articulé, selon
qu'on se place du côté du linguiste ou du côté du locuteur).
Cela étant, on peut estimer qu'il restera une différence essentielle
entre la linguistique et la sémiologie aussi longtemps qu'on n'aura pas
trouvé de système de communication autre que le langage, verbal présen
tant deux articulations et trois étages. Or, la chose n'a jamais été signalée
jusqu'à présent.
Louis Hjelmslev place la réalisation phonique et la réalisation gra
phique du langage sur le même plan, alors que pour André Martinet
et pour beaucoup d'autres linguistes la graphie n'est qu'un décalque l
de la phonie, situation qui apparaît nettement dans l'écriture alphabé
tique (ou plus généralement phonétique *), mais dont les conditions de
possibilité avaient commencé à se créer dès lors que l'ordre des signes
— même dans des écritures plus ou moins idéographiques, c'est-à-dire
réduites à une seule articulation — ne suivait plus l'ordre des objets-
référents dans la perception réelle, mais l'ordre des signes phoniques dans
l'idiome parlé correspondant8. Au contraire, Louis Hjelmslev insiste
sur le fait que la langue est une forme pure, et que sa réalisation substant
ielle — par la phonie, par la graphie, ou même par une transmission
en morse * — est étrangère à sa structure. Aussi aboutit-il à une défini
tionde la langue qui est beaucoup plus extensive que celle d'André

1. Bien entendu, nul ne prétend que ce décalque soit toujours rigoureusement is


omorphe ; voir Français « x », ou « ain », etc..
2. Ne pas oublier que les écritures syllabiques (par exemple) sont elles aussi des nota
tions de l'idiome, donc des écritures phonétiques.
3. André Martinet, La linguist, synchr., p. 10 (passage jusque-là inédit).
4. Essais linguistiques, p. 28 (Repris de : « Structural analysis of language », in S tudia
linguistica, I, 1948). Et aussi p. 74 (Repris de : Langue et parole, in Cahiers F. de
Saussure, II, 1943). On aura reconnu là la conception hjelmslé vienne de la langue comme
schéma [Essais linguistiques, p. 68-81 ; Repris de : Langue et parole, cité à l'instant. —
Ensemble de l'article, cette fois).
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Les sémiotiques, ou sémies

Martinet, et qui répond assez bien au type que ce dernier appelle «annexionn
iste 1 » puisque, n'intégrant ni la double articulation ni la réalisation
phonique (elles-mêmes plus ou moins inséparables l'une de l'autre*),
elle admet comme langues la quasi-totalité des systèmes sémiologiques :
feux de croisement, sonneries de téléphone, tintements de cloches desti
nés à indiquer l'heure 8, langues de connotations, métalangages *,
etc.. Lorsque Louis Hjelmslev définit la structure comme une « entité
autonome de dépendances internes 6, » il est clair que la formule peut
s'appliquer à la fois aux langues et à diverses sémies. Lorsqu'il distingue
entre plusieurs types de structures 6, on remarquera encore qu'il
oppose aux structures non-sémiologiques l'ensemble des structures
sémiologiques (linguistiques ou non), bien plutôt que les structures
linguistiques aux structures non-linguistiques à l'intérieur du domaine
des systèmes de signes : ce qui différencie la sémiologie (linguistique
comprise), dit-il, de toutes les autres études, c'est le fait qu'en sémiologie la
première de toutes les a fonctions » est celle qui unit le fonctif «signifiant»
au fonctif « signifié » (et qu'il appelle justement « fonction sémiologique »
— ou « dénotation » dans le cas du langage verbal ') ; dans les études
autres que sémiologiques ou linguistiques, le savant cherchera aussi des
fonctions, mais non pas la fonction signifiant-signifié. Rappelons enfin
que dès l'édition danoise des Prolegomena Louis Hjelmslev donnait de
la langue une définition extensive, susceptible d'englober un grand nombre
de sémies autres que les langues proprement dites : « Une langue est une
hiérarchie dont une quelconque des sections permet une division ulté
rieure en classes définies par relation mutuelle, de telle sorte qu'une
quelconque de ces classes permette une division en dérivés définis par
mutation mutuelle 8. »
Cependant, il importe de noter que Louis Hjelmslev est beaucoup
moins « annexionniste » en pratique qu'en théorie. S'il estime que les

1. La linguist, synchr., p. 2-3 (passage jusque-là inédit). « Ceux qui ne trouvent jamais
assez vaste le domaine de leur science... »
2. Pas tout à fait cependant. Voir sur ce point la discussion d'André Martinet, La
linguist, synchr., p. 19-21 (Repris de La Double Articulation linguistique, op. cit.). Si
par suite de quelque cataclysme le langage gestuel conventionnel des sourds-muets
(= décalque orthographique des idiomes) devenait le vernaculaire de plusieurs généra
tionssuccessives...
3. On sait que Louis Hjelmslev a fait une série de conférences à Londres et Edimbourg
sur ces trois sémies, ainsi que sur le morse.
4. Voir toute la dernière partie (connotations et métalangues) de Prolegomena to a
theory of language, 1953, Indiana Univers. Publications in anthropology and linguistics
(éd. originale en danois, 1943).
5. Essais linguistiques, p. 21 (Repris de : « Linguistique structurale », editorial d'Acta
linguistica, IV, 1944).
6. Essais linguistiques, p. 116 (Repris de La Structure morphologique, op. cit.).
7. « Fonction sémiologique » : Essais linguistiques, p. 116 (Repris de La Structure
morphologique, op. cit.) — « Dénotation » : Ibid., p. 45 (Repris de La Stratification du
langage, op. cit.). Dans ce même passage, l'auteur emploie « relation sémio tique » (au
lieu de « fonction sémiologique »).
8. Traduction du danois par André Martinet (B. S. L. P., XLII, 1942-45, p. 33).

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langues proprement dites et les langues « au sens figuré » sont deux


espèces d'un même genre plus vaste * — qui est la langue au sens
hjelmslévien — , il n'a jamais estompé la distinction entre les idiomes et
les autres systèmes de signes. Il a même insisté sur le fait qu'on ne pou
vait pas savoir d'avance jusqu'à quel point et de quelle façon l'étude
détaillée des systèmes autres que verbaux — lorsqu'elle serait suffisam
ment avancée — ferait apparaître le langage verbal comme un cas
unique et tout à fait à part, ou au contraire comme une sémie parmi
d'autres *. Il constate que le terme de « linguistique », dans l'usage
actuel, s'applique exclusivement à l'étude des langues verbales, et précise
que cet usage n'a pas intérêt à être bouleversé pour le moment 8. Même
lorsque le linguiste, continue-t-il, étudie des langues au sens large, c'est
en se plaçant du point de vue des langues proprement dites qu'il le fait,
et en pratiquant une sorte de comparaison — ressemblances et diff
érences — entre ces sémies encore mal connues et les grands traits de nos
idiomes 4. De plus, il faut constater que Louis Hjelmslev a consacré
le plus clair de ses recherches concrètes à la linguistique et non à la
sémiologie. Dans le passage déjà cité des Prolegomena, l'auteur, ayant
donné sa définition de la langue comme hiérarchie de sections, s'atta
chait à trouver un critère susceptible de distinguer les langues propre
mentdites des autres : toute sémie non-linguistique est traduisible en
langage verbal, posait-il, alors que l'inverse n'est pas vrai car le propre
du langage verbal est de tout dire. Idée souvent reprise par la suite 8 :
à l'intérieur du « stratum » de substance du contenu — c'est-à-dire au
palier sémantique — , le niveau que l'auteur appelle « évaluation sociale »
ne recouvre la totalité des autres niveaux que dans le cas des langues au
sens restreint, c'est à dire au sens courant.
On aura peut-être remarqué que nous n'avons pas repris, dans les
lignes qui précèdent, la distinction terminologique entre langage et
langue, qui tenait une place importante dans un article que nous avions
consacré il y a quelque temps à la sémiologie du cinéma 6. Il est apparu
en effet que cette terminologie n'était peut-être pas la plus propre à
« rendre » les idées que cet article s'efforçait d'exprimer, ni à permettre
la plus claire jonction entre la sémiologie du cinéma et l'ensemble des
autres études sémiologiques et linguistiques. Il est vrai, certes, qu'il
vaut mieux parler de « langage cinématographique » que de « langue
cinématographique » (contrairement à ce que faisaient certains des
premiers théoriciens du cinéma), car il y a dans langue, beaucoup plus

1. Essais linguistiques, p. 25 (Repris de Linguistique structurale, op. cit.).


2. Ibid.
3. Ibid.
4. Ibid.
5. Notamment in Essais linguistiques, p. 61 (Première parution dans Word, 10, 1954: La
stratification du langage, op. cit.).
6. « Le cinéma : langue ou langage? », in Communications, 4, 1964, p. 52-90.
154
Les sémiotiques, ou senties

que dans langage, une idée d'organisation stricte qui ne convient pas à
la situation du cinéma, sémie souple, mal formée et toujours naissante,
sémiologie indécise émergeant toujours-de-nouveau de l'analogie ico-
nique. Il est vrai aussi que l'expression de « langage cinématographique »
ne peut pas et ne doit pas être abandonnée car elle est trop entrée dans
l'usage et qu'elle a l'avantage de représenter à chacun, de façon fort
« parlante » en dépit de son vague (ou peut-être à cause de lui), l'ensemble
des phénomènes que la sémiologie du cinéma se propose d'étudier —
puisqu' aussi bien cette entreprise ne consiste pas à parler d'autre chose
que des études traditionnelles sur le « langage cinématographique »,
mais à en parler autrement. Il est vrai enfin que le « langage cinémato
graphique », par sa richesse sémantique, par son incontestable capacité
à véhiculer de l'information, et par son haut degré d'autonomie relative
par rapport au verbal (importance des images, du montage etc.), est
sans doute, parmi tous les langages au sens figuré, un de ceux qui se
prêtent le mieux à être confronté au langage proprement dit. Il reste
pourtant que cette expression de « langage cinématographique », dans
l'état actuel des recherches linguistiques et sémiologiques, ne peut avoir
qu'un sens figuré — fût-il sensiblement moins figuré que lorsqu'on l'ap
plique à bien d'autres « langages » — , et devra toujours être employé
entre guillemets, comme une dénomination conventionnelle. Car les
différents idiomes qu'étudie la linguistique proprement dite ne portent
pas seulement le nom de a langues » — ce qui aurait pour effet de mettre
le terme « langage » à la disposition de telle ou telle étude de sémie non-
verbale — , ils sont aussi les formes du langage, les différentes réalisa
tionsdu langage phonique humain, du langage tout court ; ce dernier
n'est même connaissable qu'à travers les langues, qui sont ses manifes'
talions particulières, comme y insistent à la fois Louis Hjelmslev * et
André Martinet *. Le propre de la linguistique, certes, est de séparer le
pertinent du non-pertinent, et de ne s'attarder que sur le premier ;
aussi cette discipline, qui part de l'étude du langage, en arrive-t-elle
surtout à s'occuper des langues, conformément au programme saussu-
rien s. Mais le langage dont elle part est déjà le langage au sens propre,
et non l'ensemble des systèmes de signes. Louis Hjelmslev remarque que
la linguistique a comme objet spécifique (= visé en dernière analyse) la
langue, et comme objet étudié (= qu'il faut connaître au départ) le
langage au sens propre 4. André Martinet constate de son côté que la
linguistique étudie principalement la langue, et marginalement le langage

1. Essais linguistiques, p. 25 (Repris de Linguistique structurale, op. cit.) Il y a un


rapport manifestée — manifestantes entre l'espèce-langue et les diverses langues.
, 2. La linguist, synchr., p. 12 (Repris de La Double Articulation linguistique, op. cit.)
— Le langage lui-même n'apparaît jamais, seules les langues le font.
3. C. L. G., p. 23-27 (III, : Paragr. I. : « Objet de la linguistique. — La langue : sa
définition »).
4. Essais linguistiques, p. 24 (Repris de La Linguistique structurale, op. cit.).

155
Christian Metz

verbal 1. Aussi vaudrait-il mieux préciser, plus nettement " que nous ne
l'avons fait jusqu'ici, que l'expression de « langage cinématographique »
a une valeur conventionnelle et désigne en réalité la sêmiotique cinéma
tographique.
On est en droit de penser que toutes ces difficultés pourraient être
atténuées — et pas seulement dans le cas du cinéma — si réussissait à
s'établir plus fermement un usage qui déjà se dessine. Le terme de lan
gage, quand il est employé sans autre précision, devrait être réservé au
langage phonique, et le terme de langue aux différents idiomes, c'est-à-
dire aux différentes réalisations (dans le temps et l'espace) de ce qu'il y
a de pertinent dans le langage. Parallèlement, et en quelque sorte à
côté, l'expression de domaine sémiologique pourrait être réservée à l'e
nsemble des sémies autres que verbales, c'est-à-dire les sémies trans ver
bales et les sémies partiellement non-verbales ■. La sémiologie est au
domaine sémiologique ce que la linguistique est au langage. Et de la
même façon que la linguistique, à la recherche des différentes réalisa
tionssociales de ce qu'il y a de pertinent dans le langage, étudie les
diverses langues, la sémiologie s'efforce, par la commutation à l'intérieur
d'ensembles significatifs fonctionnellement unitaires, de repérer les
diverses sémiotiques — ou sémies — particulières. Chaque sêmiotique,
ou sémie, est au domaine sémiologique ce que chaque langue est au
langage.
Le substantif sêmiotique, emprunté aux Américains avec un léger
changement de sens (puisqu'il désigne le plus souvent, outre- Atlantique,
la sémiologie dans son ensemble ) — ou encore le substantif sémie, em
prunté sans changement à Eric Buyssens, 3 paraissent convenir l'un et
l'autre à désigner chacune des parties du domaine sémiologique, chacun
des ensembles qui sont au sémiologue ce que les langues sont au linguiste.
L'expression de système sémiologique ne convient qu'à certaines sémio
tiques, d'autres présentant le caractère d'être fort peu systématiques,
comme le notait Eric Buyssens 4. Il faut écarter également Pexpres-

1. La linguist, synchr., p. 33 (Repris d'Arbitraire linguistique et double articulation,


op. cit.)
2. Pour cette distinction, voir le début de cet article.
3. Les langages et le discours (Bruxelles, Office de Publicité, 1943). IV, A, p.35. La
substance de l'expression n'est pas forcément homogène à l'intérieur d'une sémie.
Eric Buyssens prend l'exemple de la sémie « Réactions du public à une pièce de thé
âtre » : la manifestante y est tantôt vocale (« Bravo! »), tantôt gestuelle (applaudisse
ments), tantôt respiratoire (sifflets). Mais à des oppositions d'expression correspondent
des oppositions de contenu (approbation = « Bravo! «/désapprobation = sifflets), de
sorte qu'il s'agit bien d'une seule et même sémie. « L'unité de la sémie est un fait fonc
tionnel » (E. Buyssens, ibid.) — Constatation éminemment applicable au cinéma,
où la manifestante est tantôt iconique, tantôt phonique (films parlants), tantôt gra
phique (sous-titres + intertitres + titres), tantôt optique (fondus et autres effets
spéciaux), tantôt sonore (musique), tantôt auditive (bruits). C'est la commutation,
seule garante de la réalité d'un nexus signifiant/signifié, qui doit permettre d'isoler
des sémies.
4. Op. cit., p. 34-37. IV, A, « Sémies systématiques et sémies a-systématiques ».
156
Les sémiotiques, ou sémies

sion de champ sémiologique, car. le mot « champ » est lié à la sémantique


(étude des signifiés) et non à la sémiologie (étude des signifiants et des
signifiés). Parler de « champ », après Jost Trier, Charles Bally, Pierre
Guiraud, Matoré, Dubois, etc., c'est suggérer l'idée d'un ensemble de
signifiants recouvrant à eux tous un secteur unitaire et bien délimité de
la substance sémantique x. Or, si certaines sémies sont en même temps
des champs — par exemple les feux de croisement, dont le « sens » total
et additionné peut se réduire au problème social du passage ou du non-
passage pour les automobiles — , bien des sémiotiques n'ont aucun champ
qui leur corresponde en propre ; ainsi le cinéma ou la littérature sont-ils
capables en principe de tout dire, et véhiculent-ils très souvent des signi
fiésqui de près ou de loin sont idéologiques et qu'on retrouverait aussi
bien — découpés autrement mais prélevés sur la même masse sémantique —
dans d'autres sémies utilisées par la même civilisation à la même époque*.
Il est clair qu'il existe une sémiotique cinématographique, mais non un
champ cinématographique.
Ainsi, tout se passe, en ce début d'année 1966, comme si l'essentiel
de la tâche des sémiologues était d'étudier une à une des sémies (ou
sémiotiques) *, de la même façon que les linguistes se sont dès longtemps
fixé comme tâche principale d'étudier les diverses langues.

Christian Metz
Centre National de la Recherche Scientifique.

1 Voir Georges Mounin, Un champ sémantique : la dénomination des animaux


domestiques, La linguistique, 1, 1965, pp. 31-54. — Passage cité : p. 42.
2. Voir Roland Barthes, « Rhétorique de l'image » (op. cit.), p. 49.
3. Le terme sémie s'applique plutôt au domaine lui-même, alors que sémiotique
suggère que l'étude de ce domaine commence déjà à exister.

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