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AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ – AMU

École Doctorale ED 355, « Espaces, Cultures et Sociétés », Directeur Prof. Sabine Luciani.
Centre Aixois d’Etudes Romanes CAER EA 854, Directeur Prof. Claudio Milanesi.

Thèse pour obtenir le grade de Docteur


Formation doctorale : Études romanes

LA PHYSIONOMIE ACOUSTIQUE DE LA PAROLE : LE CAS DES


DEMONSTRATIFS LATINS ET LEURS ISSUES EN ITALIEN.
Présentée et soutenue publiquement par
Vincenzo PARDO
Sous la direction de : Sophie Saffi
le 18 décembre 2014.

Jury de soutenance :
Alvaro ROCCHETTI, Professeur émérite, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle.
Elzbieta JAMROZIK, Professeur, Université de Varsovie.
Sophie SAFFI, Professeur, Aix Marseille Université, CAER EA 854.
Principio auditur sonus et vox omnis,

in auris insinuata suo pepulere ubi

corpore sensum. Corpoream quoque

enim [vocem] constare fatemdust et sonitum,

quoniam possunt impellere sensus.

[Lucrèce, IV, 524-27]


Remerciements

Ce travail, remanié à plusieurs reprises, puis soumis à un labor limae soigné, a


été écrit pendant nos divers séjours à Aix Marseille Université.
Néanmoins, il serait incorrect de notre part de ne pas mentionner celui qui nous a
initié à l’étude de la linguistique et grâce auquel nous avons acquis une solide formation
dans cette discipline : Monsieur Tullio De Mauro, Professeur émérite de linguistique
générale à l’Université de Rome 1 « La Sapienza ».
Il nous faut souligner que la seule expérience universitaire ne nous aurait jamais
permis de proposer aujourd’hui nos réflexions sur un sujet aussi sensible qu’intouchable
(pour certains linguistes) que celui de la motivation du signe, si nous n’avions pas été en
contact avec les positions de matrice guillaumienne de Madame Sophie Saffi grâce à
laquelle nous avons pu mener à son terme notre thèse de doctorat.
Nous voulons ici remercier tous les Professeurs qui ont accepté de consacrer du
temps à une correspondance par courriel avec nous, qui ont échangé avec nous lors des
colloques et ont poursuivi le dialogue, Alvaro Rocchetti (émérite, Université Sorbonne
Nouvelle - Paris 3), Louis Begioni (Université Charles-de-Gaulle - Lille 3), Christian
Touratier (émérite, Université Aix-Marseille, Laboratoire Parole et Langage), Didier
Samain (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3), Janette Friedrich (Université de
Genève), Andrea Cucchiarelli (Università « La Sapienza » di Roma), Franco Cavazza
(« Alma Mater Studiorum » Università di Bologna). Nous remercions également les
membres de l’Axe LICOLAR, Béatrice Charlet-Mesdjian, Romana Timoc-Bardy,
Stefan Gencarau et Stéphane Pagès, à leur contact, notre réflexion a progressé et notre
savoir linguistique s'est enrichi.
Nous remercions pour son indispensable soutien administratif et psychologique,
Mme Laetitia Roux-Luzi de l'école doctorale « Espaces, Cultures et Sociétés ».
Enfin, nous remercions nos proches sans le soutien desquels, ce travail n'aurait
pu aboutir.
Introduction générale

Cette étude se compose de deux parties. Dans la première partie, notre but est de
démontrer que le paradigme de l’arbitraire a représenté, pendant plusieurs siècles, une
tendance dominante dans l’étude du langage, acquérant concrètement le statut d’un
postulat incontestable.
Nous nous proposons d’emprunter une autre voie : celle qui nous conduira à
réfléchir sur la motivation du signe d’un point de vue cognitif.
Il est possible que la plupart des linguistes qui liront cet ouvrage en contestent
les hypothèses. Et ce au moins pour deux raisons.
Premièrement, notre réflexion portera sur une linguistique de la parole, nous
mettant résolument du côté du locuteur. Du côté de ceux qui apprennent et utilisent la
langue, ou de ceux qui produisent et reçoivent un message sonore. Notre conviction est
qu’étudier le système de la langue exige de prendre in primis en considération la
fonction fondamentale du langage humain : son moment social. Il serait stérile d’étudier
l’organon, la langue, sans son faber.
Deuxièmement, nous pensons qu’il est fondamental de changer de façon
définitive les termes de la question de l’arbitraire du signe. Non pas le rapport
son/chose, empiriquement non vérifiable, qui doit rester au centre de nos recherches,
mais le rapport entre le signifiant, le signifié et leur représentation partagée par les
locuteurs.
Ceci posé, on peut parler de motivation. Mais ce n'est qu'en recherchant la
nature du langage et les lois qui en règlent le psychisme de formation, qu'il sera possible
de proposer une réponse à l'obsession qui harcelait Ferdinand de Saussure. Pourquoi le
locuteur italien a-t-il assimilé la structure phonique calidus comme caldo? Quels
mécanismes sont intervenus dans le processus d’apprentissage de cette phonie d’une
langue à l’autre ? Le linguiste doit chercher la réponse à ces questions chez le locuteur,
parce que c’est en lui que ce processus trouve son origine.
Nous montrerons, dans le chapitre I, que les mots sont des totalités phoniques
composées de parties articulées générées par des voix significatives κατὰ συνθήκην
(katá synthêkên) « par composition » et non pas « par convention ».

4
Nous démontrerons qu’à travers le processus de composition, les mots se
transforment en structures à arbitraire limité, mais, seulement si nous considérons le
langage comme un instrument de représentation indirecte qui guide le locuteur, par les
signes, jusqu’à la connaissance directe (la représentation) d’un savoir immédiat, dans un
rapport direct au monde. Et, si nous acceptons le fait que nous percevons le signifiant
linguistique d’un acte de parole, et non pas sa représentation phénoménique, de façon
gestaltique : c’est-à-dire, comme une structure bien organisée, dont la perception
procède du tout vers les parties.
Nous fondons notre travail sur les mécanismes guillaumiens que la pensée
réalise afin de se saisir elle-même et dont la langue offre une fidèle reproduction : les
mouvements de généralisation et de particularisation, ou, au sens de Bühler, le mot
considéré comme un visage phonique, avec sa physionomie acoustique (Chapitre II).
Nous sommes convaincu de l'impossibilité d’identifier les limitations de
l’arbitraire dans un paradigme purement formel, en faisant abstraction du signe
linguistique et en continuant sur la voie du structuralisme classique. Il nous semble
nécessaire de considérer le signe linguistique dans la réalité psychophysique des
locuteurs et non plus uniquement dans le psychique de ces derniers.
La réalité à laquelle nous nous référons dans ce travail est ample et foisonnante :
en effet, en partant du système des démonstratifs latins, nous procéderons tout d’abord à
une comparaison avec les équivalents indoeuropéens, italiens et français. Nous
montrerons, comme l’a déjà démontré Saffi, que la motivation n’implique pas
seulement le signe, le locuteur et le temps, mais qu'un quatrième acteur joue un rôle
fondamental : l’espace et sa représentation.
Nous nous occuperons, dans la deuxième partie de cet ouvrage, de la
représentation de l’espace qui découle de l’emploi des démonstratifs dans une situation
linguistique donnée, que ce soit une production orale spontanée ou une production écrite
en version originale (chapitres III et IV). Nous chercherons à justifier que la théorie des
deux champs de Bühler et le concept de physionomie acoustique des mots sont des
notions fondamentales pour aborder l’épineuse thématique de la motivation du signe.
Elles vont, en outre, se démontrer particulièrement efficaces pour comprendre quels
types de mécanismes l’être humain met en œuvre dans la perception de la matière
phonique et de la réalité environnante.

5
Ces mécanismes sont justement les mouvements de généralisation et de
particularisation, qui épousent parfaitement le principe gestaltique « le tout est plus que
la somme des parties » et les notions d’un champ déictique et symbolique du langage,
d’une physionomie acoustique des mots, et de la suprématie du tout sémiotique face aux
parties dont il est formé.

6
PREMIÈRE PARTIE

« LA PHYSIONOMIE ACOUSTIQUE DE LA
PAROLE »

7
Introduction

§.0. Incipit. Une « motivation nécessaire » : vers la notion de champ1 en


linguistique.

Notre thèse se fixe un double but : dans la première partie, chapitres I et II, nous
rechercherons des limitations à l’arbitraire du signe, en argumentant la question
suivante : « le signe est-il motivé ? » ; dans la seconde partie (chapitres III et IV), à
travers l’étude diachronique des démonstratifs et de leurs issues en italien, nous
expérimenterons la théorie des deux champs de Karl Bühler, et la perspective
physiognomique du langage.
À une analyse théorique placée sous l’égide de la psychologie de la gestalt, suit
un travail applicatif sur un corpus de romans graphiques italiens, qui se réfère à la
pensée linguistique du psychologue viennois et à son concept de « physionomie
acoustique des mots » dans Sprachtheorie2 où il propose une vision du langage centrée
sur le locuteur : le signe devient important parce qu’il est partie intégrante de la réalité
psychophysique des locuteurs.
Notre conception du modèle instrumental du langage, considéré en tant
qu’organon de représentation indirecte des faits de langue, vise à mettre en lumière
qu’une partie considérable de la linguistique est restée attachée à une conception
hypostatique du langage, en maintenant une certaine attitude exclusive dans l’étude de
la langue, et en mettant au second plan le rôle de la réception dans le concret événement
linguistique, dans la parole.
Il ne nous semble pas productif de rechercher les limitations de l’arbitraire du
signe dans un paradigme formel, abstrait, en oubliant que le signe linguistique naît, vit
et meurt dans une communauté linguistique et qu’il n’a aucune raison d’exister sans un
appareil réceptif et productif. Chez Bühler, la dimension linguistique à considérer n’est
plus la dimension psychique d’une communauté linguistique, mais la réalité

1
Dans la linguistique bühlerienne la notion de « champ » est synonyme de « contexte ». Nous vérifierons
dans le deuxième chapitre sa connotation exacte et son interprétation précise.
2
Karl Bühler, Sprachtheorie. Die Darstellungsfunktion der Sprache, Jena, Fischer (trad. italienne Teoria
del linguaggio. La funzione rappresentativa del linguaggio Roma, Armando, 1983), 1934, 434 p.

8
psychophysique des locuteurs : le signe devient important parce qu’il est partie
intégrante de cette réalité.
Bühler comme Guillaume, dont il ne faut pas oublier l’importante contribution3,
ont tous deux le mérite d’avoir étudié la nature du langage et les lois essentielles qui en
règlent le psychisme de formation.
À la même époque, l’aspect psychologique du langage n’avait pas été
suffisamment pris en considération par le structuralisme comme par le générativisme,
qui avaient maintenu une certaine distance avec un psychologisme qui, peu à peu, avec
des techniques introspectives, étudiait la psychologie « des peuples », l’apprentissage et
la perception des faits de langue.4
Le structuralisme et le générativisme ont négligé autant le locuteur, vu dans sa
matérialité psychophysique, que le contexte, conçu comme une scène partagée par les
êtres humains, où on réalise les interactions significatives visant la génération et
l’interprétation des messages. Comme Albano Leoni l’a dit plusieurs fois, ils se sont
occupés « d’un dire sans écouter ».5
La linguistique est liée à une certaine représentation discrète des phénomènes
linguistiques (comme si la perception des messages sonores était « isolable », comme si
le locuteur percevait de façon linéaire une séquence phonique : des phones, aux syllabes
jusqu’aux unités supérieures), mais cette discipline a privilégié au XXe siècle l’étude
des faits de langue par rapport à la parole, la célèbre phrase du Cours de linguistique
générale de Ferdinand de Saussure « la linguistique a pour unique et véritable objet la
langue envisagée en elle même et pour elle-même » 6 , est devenue le dictat du
structuralisme européen et du générativisme.
Albano Leoni considérait cette phrase qui conclue le cinquième chapitre du
Cours de Saussure comme « une espèce de devise du structuralisme européen […] La
hiérarchie que Saussure proposait en faveur de la langue, en effet, était une hiérarchie
des points de vue, non pas de choses »7 :

3
Gustave Guillaume, Principes de Linguistique théorique, Les Presses de l’Université Laval, Québec,
Klinksieck, Paris, 1973; trad. it. Principi di Linguistica teorica, Napoli, Liguori Editore, 2000.
4
Op. Cit., p. 81.
5
Federico Albano Leoni, Dei suoni e dei sensi, Bologna, Il Mulino, 2009, p. 8 et svtes.
« A un dire senza ascoltare ».
6
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1979 (1ère ed. 1916), publié par
Charles Bally et Albert Séchehaye. Édition critique préparée par Tullio De Mauro, p. 317.
7
Albano Leoni 2009, Op. Cit., pp. 18-19.

9
L’attitude fondamentale de Saussure est que l’opposition entre synchronie et diachronie est une
opposition de « point de vue » ; elle a un caractère méthodologique, concerne le chercheur et son objet
[…] et non l’ensemble des choses dont s’occupe le chercheur, sa matière.8

Comme l’ont déjà démontré Godel9, Engler10 et De Mauro11, cette position en


faveur de la langue, ou de la structure, ne reflète pas la pensée de Saussure, dont une
interprétation réductive a conduit les linguistes à privilégier une étude du langage qui
considère la seule réalité psychique des locuteurs, en se désintéressant totalement de
leur réalité psychophysique :

[...] Aux causes du prévaloir de la langue on pourrait ajouter l’exigence des linguistes de mieux
définir le rapport tourmenté avec la psychologie, qui, à partir de la deuxième moitié du dix-neuvième
siècle, s’était révélée un rude antagoniste de l’étude du langage […] D’autre part, Saussure était très
attentif au débat psychologique contemporain, comme le montre la thématique des rapports associatifs
(véritable crochet grâce auquel la subjectivité et la psychologie entrent dans la langue) […] Enfin, on
pourrait encore ajouter la nécessité de la définition de l’objet de la linguistique et de l’affirmation de son
autonomie. Aussi pour cet aspect, la parole, exposée aux contacts des autres sciences, était un champ
douteux. 12

La langue est, d’après Emile Benveniste, le domaine du sens qui, comme Bühler
l’affirmait, se déplace constamment entre une dimension déictique et une dimension
symbolique.
Toute recherche en linguistique (phonologique, morphologique ou syntaxique)
devrait donc avoir pour but cet aspect central et devrait se poser une question : dans

« Una sorta di bandiera dello strutturalismo europeo [...]. La gerarchia che Saussure sembrava proporre a
favore della langue era una gerarchia di punti di vista e non di cose ».
8
De Mauro in Saussure [1916] 1979, Op. Cit., p. 453, n. 176.
9
Robert Godel, Les sources manuscrites du Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure,
Droz, Ginevra, 1966, p. 203 et sqq.
10
Rudolf Engler, (dir), édition critique de Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale,
Harrasowitz, Wiesbaden, 1916.
11
De Mauro in Saussure [1916] 1979, Op. Cit., p. 317, n. 305.
12
Albano Leoni 2009, Op. Cit., p. 18, n.10.
[…] Alle cause del prevalere della langue si potrebbe aggiungere l’esigenza dei linguisti di definire
meglio il tormentato rapporto con la psicologia, che dalla seconda metà dell’Ottocento si era rivelata
un’antagonista temibile nello studio del linguaggio. […] Peraltro Saussure era molto attento al dibattito
psicologico coevo, come mostra la tematica dei rapporti associativi (vero e proprio grimaldello con cui la
soggettività e la psicologia entrano nella langue) […] Infine si potrebbe ancora aggiungere la necessità
della definizione dell’object della linguistica e dell’affermazione della sua autonomia. Anche per questo
aspetto la parole, così esposta ai contatti con altre scienze, era un terreno infido.

10
quelle mesure ce que je suis en train de décrire concourt à la génération du sens et à son
interprétation ? 13

Du reste, ce point de vue, à travers la suprématie de la signification, c’est-à-dire du processus de


la génération et de l’interprétation des sens, permet de dépasser les barrières que la linguistique en général
continue d’ériger, entre ce qui est linguistique et ce qui est paralinguistique. Ce dépassement n’a pas
toujours lieu et il me semble souvent que l’attention des chercheurs vise plus l’élégance de l’architecture
de leur modèle ou de leur description que leur capacité explicative.14

Pour revenir à la célèbre phrase qui conclut le Cours, la pensée saussurienne a


été d’abord manipulée et ensuite mal interprétée. De Mauro nous explique bien que :

Comme l’a révélé le premier R. Godel […], le dernier alinéa du C.L.G. est la « conclusion des
éditeurs » : autrement dit, rien dans les sources manuscrites ne montre que Saussure ait prononcé cette
célèbre phrase, et évidemment encore moins qu’elle représente « l’idée fondamentale » de son
enseignement […]. Si tout ceci est, comme nous allons le voir, discutable du point de vue de
l’interprétation correcte de la pensée de Saussure, Leroy a pleinement raison lorsqu’il souligne « la
fonction de programme que cette phrase…a eue dans le développement des doctrines linguistiques des
dernières quarante années » : (p. 91) il est bien vrai qu’une bonne partie de la linguistique d’inspiration
structuraliste a cru que respecter Saussure voulait dire ignorer les déséquilibres du système, la dynamique
synchronique, les conditionnements sociaux, les phénomènes évolutifs, le lien entre ces dernières et les
différentes contingences historiques, tout le flot de phénomènes linguistiques dont et grâce auxquels la
langue est forme. L’ajout de la dernière phrase est le sceau d’une manipulation éditoriale des notes
saussuriennes qui porte en partie la responsabilité de l’attitude exclusiviste du structuralisme,
spécialement dans les courants post bloomfieldiens des U.S.A.15

De Mauro, dans son commentaire du Cours, apostrophait ainsi ceux qui


accusaient Saussure d’un certain déséquilibre au nom de la langue :

Les éditeurs, pour écrire cette phrase, n’ont certainement pas créé e nihilo : Godel avait déjà
souligné le fait qu’ils ont cru écrire quelque chose de conforme au principe du C.L.G. 25 : « il faut se

13
Ibidem.
14
Op. Cit., p. 8 et svtes.
« Del resto questo è il punto di vista che, attraverso il primato della significazione, cioè del processo della
generazione e dell’interpretazione dei sensi, consente di superare gli steccati, che molta linguistica
continua a erigere, tra ciò che è linguistico e ciò che si considera paralinguistico. Questo non sempre
accade e spesso, mi sembra, l’attenzione degli studiosi è volta più all’eleganza dell’architettura del loro
modello o della loro descrizione che alla loro capacità esplicativa ».
15
De Mauro in Saussure 1979 [1916], Op. Cit., pp. 476-477, n. 305.

11
placer de prime abord sur le terrain de la langue et la prendre pour norme de toutes les autres
manifestations du langage ». Mais Saussure, comme on l’a plusieurs fois relevé (supra note 303),
n’entendait pas du tout décréter par là une attitude exclusiviste. La langue est norme et forme d’une
matière extrêmement hétérogène et composite qui rentre toute (C.L.G. 20-22) dans le domaine légitime
de l’étude linguistique. La langue est donc l’objet spécifique de la linguistique non pas au sens vulgaire
de « Gegenstand » (Lommel), de « chose », mais dans le sens de principe ordonnant les connaissances
linguistiques (voir note 40).16

Donc, la phrase finale qui conclut l’ouvrage saussurien est, comme De Mauro et
Godel l’ont démontré amplement, « conclusion des éditeurs » et, on ne peut pas prouver
que Saussure l’ait jamais prononcée ni qu’il en ait fait un pivot de son enseignement.
Par conséquent, il ne faut pas attribuer à Saussure l’initiative, dans les études
linguistiques, d’une attention exclusiviste en faveur de la langue par rapport à la parole.
Le Cours a été publié dans sa première édition en 1916, et cette position de
fermeture envers la parole a été relevée par Gustave Guillaume dans ses Principes
quelques années après la sortie de l’ouvrage saussurien.
Guillaume confirme dans le fragment suivant cet état de fait :

Toutes nos études de ces dernières années ont eu cet objet. À l’étude des actes d’expression,
constructeurs du discours, s’est substituée l’étude des actes de représentation constructeurs de la langue.
Ce changement de ma position d’étude remonte approximativement à 1928.17

En effet, Guillaume, en s’occupant de l’objet de sa matière, remarque bien que


pour lui, comme pour le structuralisme linguistique, le seul et véritable objet de la
linguistique est la langue :

La linguistique est de toutes les sciences la moins pragmatique. […] Quant à la puissance même
de penser, à celle que possède l’esprit de saisir en lui-même ses propres mouvements, le seul monument
qu’on en ait, c’est la langue. […] Elle est une science s’intéressant à un objet absolument singulier,
n’ayant point d’analogue dans l’univers.18

16
Ibidem.
17
Gustave Guillaume, Principes de Linguistique théorique, Les Presses de l’Université Laval, Québec,
Klinksieck, Paris, 1973, p. 21.
18
Guillaume 1973, Op. Cit., pp. 31-32.

12
La langue, selon Guillaume, est abstraite. La conception d’un signe linguistique
conçu comme une entité, fruit d’un processus psychique « par abstraction », à situer
exclusivement dans l’univers psychique du locuteur, perdure :

Dans le cas de la linguistique, l’univers avec lequel nous entrons en contact est un univers
intérieur : l’univers du pensable, celui que constituent en nous nos représentations.19

Toutefois, il est opportun de mettre en évidence qu’en ce qui concerne la


linguistique des années Trente, cette position en faveur d’un certain psychologisme était
novatrice.
Ce que nous voulons souligner est la limite de cette vision : le point faible de
cette analyse est d’avoir exclu le locuteur de son propre univers linguistique, un
locuteur vu dans sa matérialité psychophysique et connecté au monde dont il fait partie.
Il est vrai que Guillaume parle de « représentation mentale en nous », de la nécessité
psychique d’un univers intérieur, celui du pensable, mais sans aucune relation avec
l’univers physique du dicible.
Nous n’en sommes pas moins débiteurs envers lui. Notamment pour avoir relevé
le manque d’intérêts pour les relations systématiques établies entre les différents apports
historiques, et pour avoir culpabilisé, de façon diplomatique, la grammaire historique de
n’avoir rien expliqué des choses qui règlent le fonctionnement du langage et la
formation des langues.
Jusque-là les grammairiens, c’est-à-dire ceux qui s’occupaient de linguistique
indoeuropéenne, s’étaient limités dans leurs analyses à la pure reconstruction
linguistique, en se concentrant totalement sur la méthode comparative.
Un processus de dérivation d’une langue à l’autre, tel que par exemple celui de
l’indoeuropéen *kom devenu cum en latin et con en italien, n’est pas seulement un
problème de linguistique historique, mais aussi et surtout un problème de linguistique
générale.
D’une part, la linguistique – ou la phonétique, dirait Saussure – a constaté au
cours du temps les changements, par les lois phonétiques, entre un état de langue et
l’autre. Par exemple, elle observe que le /ŭ/ du latin cum est devenu /o/ en italien par le

19
Guillaume 1973, Op. Cit., pp. 37-38.

13
vocalisme tonique ou que le /k/ thématique du latin calidum, dans certaines conditions
(devant voyelle) s’est transformé en français en /ʃ/, comme dans chaud.
D’autre part, et à notre avis c’est la question la plus intéressante, il faut se
demander dans quelle mesure et pourquoi la préposition indoeuropéenne *kom s’est
perpétuée jusqu’à nous. Quels types de besoins linguistiques, de motivation ont poussé
une communauté linguistique à prendre et à assimiler un mot d’une autre langue ?
Nous entendons par « motivation », une motivation qui révèle, comme
Benveniste l’affirmait dans ses leçons de linguistique, le rapport nécessaire non
seulement entre le signifiant et le signifié mais entre le signe, les locuteurs et l’espace
linguistique (le contexte extralinguistique). On oublie souvent que le signe linguistique
serait une notion sans sa corrélation avec un appareil réceptif et productif.
En ce sens, le signe linguistique est motivé, et il trouve sa motivation, comme on
le verra, dans les besoins linguistiques des locuteurs.
L’arbitraire, comme la langue, découvre ses limitations chez le locuteur et dans
la marche du temps : dans la dimension psychophysique qui, seulement après la mort de
Saussure, a été prise en considération par les études de linguistique et de phonétique
poststructuralistes.
La vision guillaumienne du langage vise à mettre en lumière, par les
mécanismes de généralisation et de particularisation, la dimension psychique du
langage. La dimension d’un système de systèmes : la langue.
Chez Bühler, le langage, en tant qu’organon, est un instrument de représentation
indirecte qui nous guide jusqu’à la connaissance des choses et des états de choses,
jusqu’à l’interprétation du monde par les signes sonores, il atteint directement la
dimension psychophysique des locuteurs. Bühler conçoit la langue comme le domaine
du sens, et c’est dans ce domaine qu’il faut saisir l’interprétation de sens.
Il y a encore un lien que nous devons soumettre à l’attention du lecteur. Qu’est
ce qu’étudie la psychomécanique du langage de Gustave Guillaume ? Elle s’occupe, en
le paraphrasant, non pas des rapports entre le langage et la pensée, mais des mécanismes
que la pensée réalise afin de se saisir elle-même et dont la langue offre une fidèle
reproduction. Et nous utiliserons – en remerciant Guillaume pour cette définition de
grande portée théorique – les mouvements de pensée de généralisation et de
particularisation, dans le but d’étudier la perception des phénomènes linguistiques

14
d’après les fondements cognitifs de la gestalt.
En suivant Bühler, nous nous focaliserons sur la « psychomécanique de la
parole ». Selon nous, la reconnaissance et l’apprentissage du parlé se manifeste de façon
holistique, c’est-à-dire, du tout vers les parties, de la physionomie générale au
particulier, en cherchant à reconstruire le visage phonique d’un mot, d’une phrase, d’un
discours.
Nous nous proposons d’étudier les faits de langue du point de vue de la
psychologie cognitive, et, plus spécifiquement, de la psychologie de la gestalt, sous
l’égide de la pensée linguistique de Bühler.
Nous tenterons de justifier que chaque locuteur, poussé par des besoins
linguistiques, forge et imprime dans son esprit, dans sa conscience linguistique, la
physionomie acoustique d’une phonie qu’il perçoit comme une totalité bien organisée,
un ensemble, une silhouette phonique :

Bühler utilise la notion de « physionomie acoustique des mots » de deux façons. La physionomie
acoustique d’un mot est, d’une part, conçue comme une caractéristique individuelle et variable. Étendant
au mot le principe de l’invariance phonologique, Bühler oppose ainsi la « constance du signalement
phonématique des images de mots » aux « variations de leur physionomie acoustique ». Mais, il l’intègre,
d’autre part, dans le cadre général du paradigme gestaltiste, qu’il considère comme un modèle cognitif
distinct et concurrent de celui fourni par la phonologie […].20

Chez Bühler un message sonore est perçu comme une gestalt in praesentia,
c’est-à-dire, comme une totalité organisée que nous percevons et reconnaissons de
façon gestaltique.
La physionomie acoustique, d’un point de vue psychologique, se conçoit comme
une caractéristique individuelle et variable des mots. Elle représente également une
certaine constance de la description phonématique des images des mots par rapport à
leurs variations en diachronie. 21
Nous considérons les mots avec leurs traits phoniques (les phonèmes), ils sont
caractérisés par gestaltqualitäten, par qualité de formes déterminées. Ces formes sont

20
Karl Bühler, Sprachtheorie. Die Darstellungsfunktion der Sprache, Jena, Fischer, (trad. française
Théorie du Langage, édité par Didier Samain et Janette Friedrich, Marseille, Agone, 2009, 649 p.), 1934,
434 p.
21
Ibidem.

15
liées par une certaine fidélité matérielle, aux objets et aux faits, et elles sont des formes
(parties du discours) composées d’une série associative de phonèmes ordonnés. Les
phonèmes ont donc une substance formelle, et ils présentent, comme le signe
linguistique, un côté formel et un coté substantiel.
Le phonème n’est plus à considérer en tant qu’élément fonctionnel, tel que le
classifiait l’école pragoise, mais comme un moment fonctionnel. En effet, d’un point de
vue psychologique, le récepteur extrait d’un continuum sonore des moments
fonctionnels indispensables à l’identification, à la diacrise des phonies.
Chaque mot possède alors une physionomie acoustique qui contribue à en
indiquer sa valeur symbolique et syntaxique. Il est important de considérer une phonie,
non pas comme un ensemble aléatoire de sons, mais composée d’une série de signes
distinctifs, de signalements : les phonèmes.
Ces derniers, les phonèmes, font fonction d’éléments diacritiques et agissent
comme ces caractéristiques individuelles d’un visage humain qui persistent même
quand ses traits vieillissent.
En nous fondant sur les théories et les études de Bühler, nous chercherons à
répondre à la question de savoir si les locuteurs perçoivent les phénomènes linguistiques
de façon gestaltique, holistique et s’ils reconnaissent le visage phonique (des mots) à
partir de leurs caractéristiques physionomiques. La perspective physiognomique nous
conduira à aborder la question de la motivation et à étudier la fonction pragmatique des
démonstratifs, en partant de la théorie des deux champs de Bühler que nous aurons
préalablement présentée.
Le quatrième et dernier chapitre est applicatif, nous soumettrons ce cadre
théorique à l’expérimentation en élaborant un corpus d’emplois des démonstratifs à
partir de trois romans graphiques italien, et en en commentant les résultats.
E fumo dare lucem.

16
« À l’origine, donc, même les noms des choses
Ne furent pas posés par convention, mais ce qui les créa
Ce furent les hommes, car c’est dans leur nature, selon leur provenance,
Éprouvant des émotions et des perceptions particulières,
D’émettre de façon tout aussi particulière un souffle
Marqué par leur état d’âme, et par leur perception particulière.
Sur la particularité des voix émises, influe la diversité
Des provenances, en proportion de la diversité des lieux »
[Épicure, Lettre à Hérodote. Diogène Laërce, X, 75-76. Nous traduisons du grec]

Chapitre I

Historique des théories arbitraristes :


La ligne Aristote- Saussure

§ 1. Le paradigme de l’arbitraire: la meilleure base possible.


§ 2. Le κατὰ συνθήκην (katá synthêkên) aristotélique : une thèse conventionnaliste ?
§ 3. Saussure, la motivation et la linéarité du signifiant.
§ 4. La psychomécanique du langage et les principes théoriques guillaumiens.
§ 5. Le trois anti-arbitraire : Zipf, Frei, Jespersen.

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§ 1. Le paradigme de l’arbitraire: « la meilleure base possible ».22

Premièrement, il nous faudra essayer de répondre à la question suivante :


pourquoi le principe de l’arbitraire du signe est-il devenu, au cours des siècles, un
axiome quasiment intangible des études linguistiques ?
Notre excursus, parmi les théories de matrice arbitrariste, voit son incipit
justement dans les réflexions aristotéliques du langage, pour aboutir, au XIXème siècle,
à la pensée saussurienne. Il va de soi que nous allons aborder les étapes fondamentales
de ce voyage dont il convient de parcourir brièvement les arguments principaux.
Ce cheminement de pensée nous conduit d’Aristote à Saussure :23

Il se peut qu’Aristote ne soit pas au sens propre le fondateur et l’initiateur de cette tendance […]
Les historiens sont rarement allés au-delà de la pensée grecque, si bien que nous pouvons nous y référer
comme le lieu où l’idée de l’arbitraire du signe trouve son origine. Pour notre part, nous avons donc de
bonnes raisons de dater le PA24, si ce n’est avec Aristote lui-même, au moins avec la version vulgarisée
de sa pensée. 25

D’après le philosophe de Stagire ou, mieux encore, étant donné les traductions et
les interprétations de sa pensée qui se sont succédées au cours du temps, le langage
serait structuré κατὰ συνθήκην26, c’est-à-dire « par convention », puisqu’il n’y a aucune
relation de ressemblance entre ce que la voix produit et ce qui se trouve dans l’esprit «
ou pour le dire d’une autre façon entre signifiant et signifié » :27

Or donc, les sons de la voix sont des symboles des affections qui siègent dans l’esprit et les
lettres écrites sont des symboles des sons de la voix. De la même façon que les lettres ne sont pas les
mêmes pour tous, ainsi les sons ne sont pas les mêmes. Toutefois sons et lettres sont des signes, avant

22
Saussure [1916] 1979, Op. Cit., p. 182.
23
Raffaele Simone, Il sogno di Saussure: otto studi di storia delle idee linguistiche, Roma-Bari, Laterza,
1992, p. 38.
24
« Principe de l’arbitraire ».
25
Ibidem.
« Può ben essere che Aristotele non sia in senso proprio il fondatore e l'iniziatore di questa tendenza [...]
Di rado gli storici si sono spinti più in là del pensiero greco, sicché possiamo riferirci a questo come il
luogo in cui l'idea di arbitrarietà ha la sua origine. Per i nostri scopi abbiamo quindi buone ragioni per
datare il PA se non con Aristotele stesso, almeno con la versione vulgata del suo pensiero ».
26
à lire à partir de maintenant « katá synthêkên ».
27
Op. Cit., p. 39.
« Ovvero per dirla in un altro modo tra significante e significato ».

18
tout, des affections de l’esprit qui sont les mêmes pour tous et qui constituent les images d’objets
identiques pour tous.28

Ci-après les mots d’Aristote, qui ont pour objet la locution κατὰ συνθήκην
traduite « par convention » et qui semblent renforcer la thèse conventionnaliste (nous
aborderons au prochain paragraphe l’interprétation de la locution grecque) :29

Le nom est ainsi son de la voix, signifiant par convention. 30

À partir de la traduction de cette phrase, il a été déduit que « le langage est


structuré sur deux plans différents, le son et le signifié, entre lesquels il n’y a aucune
ressemblance appréciable. Le signifié ne peut être prévu à partir de la forme et vice
versa ».31
Quelques siècles plus tard, le principe de l’arbitraire, « resté pour l’essentiel
intact au moins pendant vingt siècles »32, a connu, grâce à Locke d’abord et à Saussure
ensuite, « au moins deux importants intégrations ».33
Locke, tout à fait convaincu que le langage était complètement arbitraire,
soutenait dans son Essay Concerning Human Understanding que « l’arbitraire, non
seulement influence le rapport entre signifiant et signifié, mais aussi la façon elle-même
dont les signifiés se forment, se délimitent et se stabilisent diachroniquement ».34
Locke synthétise ainsi sa position :

28
Aristotele, De Interpretatione, édition critique préparée et traduite par Ezio Riondato, Padova, 1957,
16a, pp. 1-8.
« Or dunque, i suoni della voce sono simboli delle affezioni che hanno luogo nell'anima e le lettere scritte
sono simboli dei suoni della voce. Allo stesso modo poi che le lettere non sono medesime per tutti, così
neppure i suoni sono i medesimi; tuttavia suoni e lettere risultano segni, anzitutto, delle affezioni
dell'anima che sono le medesime per tutti e costituiscono le immagini di oggetti già identici per tutti ».
29
Cf., infra, I, § 2.
30
Op. Cit.,16a.
« Il nome è così suono della voce, significativo per convenzione ».
31
Simone 1992, Op. Cit., p. 39.
« Il linguaggio è strutturato su due piani diversi, il suono e il significato, tra i quali non c'è alcuna
apprezzabile somiglianza. Il significato non può essere previsto a partire dalla forma e viceversa ».
32
Ibidem.
« Rimasto essenzialmente intatto almeno per venti secoli ».
33
Ibidem.
« Per lo meno due importanti integrazioni ».
34
Op. Cit., p. 40.
« L’arbitrarietà non solo influenza il rapporto tra significante e significato, ma il modo stesso in cui i
significati si formano, si delimitano e si stabilizzano diacronicamente ».

19
Les « mots abstraits » ne sont pas créés par l’esprit, mais ils sont tout à fait arbitraires, sans
aucun modèle préconstitué, ni aucune référence avec un quelconque aspect de la réalité. 35

L’esprit ne va pas à la recherche d’une copie de lui-même dans la nature, il n’y a aucune
correspondance entre les idées qu’il produit et la réalité, mais il les utilise au mieux pour atteindre ses
objectifs, et il n’a pas besoin d’imiter précisément les choses de la réalité. 36

Ces idées complexes ne copient en rien la nature. 37

Donc, l’esprit organise la formation des signifiés, lie ensemble un certain


nombre d’idées que l’usage met en corrélation, et il associe à chacune d’elles un nom
spécifique de façon totalement arbitraire : en effet, il ne suit ni modèle ni critère qu’il
aurait puisé dans la nature :

Les signifiés des mots sont des constructions complètement nouvelles produites par l’esprit, qui
les choisit selon un critère de commodité et d’utilité sociale. Le nom, une fois assigné, établit le faisceau
d’idées que l’esprit a structuré. L’arbitraire n’est plus limité au rapport entre forme et signifié (« nom » et
« signifie » in Locke), mais il pénètre dans la formation des signifiés, qui est la phase la plus délicate de
la structuration du langage. Locke, dans ces passages, se préoccupe visiblement d’éviter le risque
d’attribuer au langage un fondement objectivement naturel : le langage ne copie rien de la réalité ; il
collecte et étiquette simplement les idées auxquelles pendant un certain temps il arrive d’être ensemble
pour l’utilité générale.38

35
John Locke, Essay Concerning Human Understanding, édition critique préparée par John William
Yolton, Dutton, London, [1690] 1961, III, V, § 3.
« Mixed modes are not only made by the mind, but made very arbitrarily, made without patterns, or
reference to any real existence ». Il faut préciser que la traduction de « mixed modes » par « mots
abstraits » n’est pas toutefois précise : en effet, nous avons adapté une expression qui exactement dans la
philosophie de Locke renvoie aux « idées et concepts moraux », c’est à dire des « concepts mentaux »
arbitraires.
36
Op. Cit., III, V, § 6.
« The mind searches not its pattern in nature, not refers the ideas it makes to the real existence of things,
but put such together as may best serve its own purposes, without tying itself to a precise imitation of
anything that really exists ».
37
Op. Cit., III, V, § 7.
« These complex ideas [are] not always copies from nature ».
38
Simone 1992, Op. Cit., p. 41.
« I significati delle parole sono costruzioni completamente nuove prodotte dalla mente, che le sceglie
secondo un criterio di comodità e utilità sociale. Il nome, una volta assegnato, stabilizza il fascio di idee
che la mente ha strutturato. L'arbitrarietà non è più limitata al rapporto tra forma e significato (« nome » e
« significato » in Locke), ma penetra nello stesso formarsi dei significati, che è la fase più delicata dello
strutturarsi del linguaggio. La principale preoccupazione di Locke in questi passi è visibilmente quella di
evitare il rischio di dare al linguaggio una base obiettiva nella natura: il linguaggio non copia nulla dalla
realtà; semplicemente collega ed etichetta le idee alle quali per un cero tempo capita di stare insieme per
l'utilità generale ».

20
Cette interprétation de Simone, nous conduit à conclure que l’arbitraire, chez
Locke, préside à la formation même des signifiés, mais, comme Horace le dirait, si volet
usus39: autrement dit, la masse et le temps sont les acteurs principaux de ce processus de
structuration. Les locuteurs, conscients de leurs propres nécessités linguistiques
(Simone les définit « besoins linguistiques »), les réalisent en construisant des signifiés
bien délimités et en les caractérisant avec des noms reconnaissables et durables. La
fonction du langage, chez Locke, est de connecter des idées : il ne copie pas de la
réalité et il arrive à se scinder de la matérialité des choses.
La deuxième fondamentale intégration au principe de l’arbitraire vient de
Saussure. Voici le principe tel qu’il l’énonce :

Le lien unissant le signifiant au signifié est arbitraire, ou encore, puisque nous entendons par
signe le total résultant de l’association d’un signifiant à un signifié, nous pouvons dire plus simplement :
le signe linguistique est arbitraire.
Ainsi l’idée de “sœur” n’est liée par aucune rapport intérieur avec la suite de sons s-ö-r qui lui
sert de signifiant; il pourrait être aussi bien représenté par n’importe quelle autre: à preuve les différences
entre les langues et l’existence même de langues différentes […]. Le principe de l’arbitraire du signe n’est
contesté par personne; […] le principe énoncé plus haut domine toute la linguistique de la langue […].40

Toutefois, Saussure précise que « le mot arbitraire […] il ne doit pas donner
l’idée que le signifiant dépend du libre choix du sujet parlant »41 mais, « nous voulons
dire qu’il est immotivé, c’est à dire arbitraire par rapport au signifié, avec lequel il
n’aucune attache naturelle dans la réalité ».42
Ce qui est incontestable quand il s’agit du rapport son/chose. Et, en effet, nous
n’avons aucune intention de poser la question en ces termes. Nos interrogations
concernent la partie finale de l’assertion saussurienne au sujet de l’absence d’une
attache naturelle avec la réalité.
Le point résolutif de la question, dans la théorie de l’arbitraire du signe est, à
notre avis, le suivant, et nous le partageons avec Bühler:

39
Horace, Ars Poetica, édition critique préparée par Mario Scaffidi Abbate, Newton & Compton, 2002,
71.
40 Saussure [1916] 1979, Op. Cit., p. 100.
41
Op. Cit., p. 101.
42
Ibidem.

21
Locuteur et linguiste avouent l’un et l’autre que, si nous nous livrons « aujourd’hui » à une
comparaison du son et de la chose, nous ne voyons apparaître nulle « ressemblance » entre les deux, et
nous ne savons même pas, dans la plupart des cas, s’il y en a eu une un jour, ni si cette application [cette
coordination] à été originairement opérée en fonction d’une telle ressemblance.43

Il se peut que ces mots auraient peut-être aidé à lever le sempiternel doute
auquel Ferdinand de Saussure n’a jamais réussi à trouver une réponse : quelle avait été
le « motif » (et dans quelle mesure) pour lequel le latin calidum avait été assimilé par le
locuteur français comme « chaud ». 44
Comme Bühler nous l’enseigne 45 , l’enjeu de la linguistique est d’étudier
l’enchevêtrement complexe qui lie le locuteur, le monde et le langage ; mais pour
Saussure :

[La] Linguistique, n’a à étudier que le produit social, la langue. […]. Il faut d’abord étudier les
langues, une diversité de langues. Par observation de ces langues, on tirera ce qui est universel. Il aura
alors devant lui un ensemble d’abstractions : ce sera la langue, où nous étudierons ce qui s’observe dans
les différentes langues. En troisième lieu il restera à s’occuper de l’individu. Exécution a une importance
mais n’est pas essentielle. Il ne faut pas mêler dans étude phénomène général et mécanisme d’exécution
individuelle.46

Concernant l’arbitraire du signe, Saussure considère que le rapport entre


signifiant et signifié est arbitraire, mais également celui entre un signifiant et les autres
signifiants, et celui entre un signifié et les autres signifiés. La langue est arbitraire, le
signe linguistique est arbitraire et chaque langue construit arbitrairement son propre
système de valeurs. Dans le signe ne subsiste aucun rapport de nécessité logique ou
naturelle entre le signifiant et le signifié et, pour conclure, chaque langue découpe

43
Karl Bühler, [1934] 2009, Op. Cit., p. 111.
44
En effet, la position de Saussure en ce qui concerne l’identité diachronique en question est de pure
reconstruction : « Or l’identité diachronique de deux mots aussi différentes que calidum et chaud signifie
simplement que l’on passé de l’un à l’autre à travers une série d’identités synchroniques dans la parole,
sans que jamais le lien qui les unit ait été rompu par les transformations phonétiques successives » [cf.
Saussure [1916] 1979, Op. Cit., p. 250]. Ainsi, dans la réflexion de Saussure, aucun espace n’est laissé à
la composante psychologique. Il ne réfléchit pas sur le point de vue cognitif de ces transformations :
comment se sont-elles produites ? Elles ont lieu avant tout dans l’esprit du locuteur et non pas seulement
dans le système. Pour Saussure le problème est à résoudre à l’aide de la seule action régulière des lois
phonétiques.
45
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 111.
46
Saussure [1916] 1979, Op. Cit., p. 477, n. 305.

22
arbitrairement les signifiants et les signifiés dans le cadre de l’espace phonique et
sémantique.
« La langue est donc autonome, le système de valeurs est autonome, le signe est
autonome. Autonome par rapport à quoi ? » 47
Afin de répondre à cette question, il suffit de cet exemple : aux mots italiens
legno, legna et bosco, le français oppose le seul bois. Aux italiens albero et legno le
danois associe l’unique élément træ. Cette illustration lexicale peut aussi être aussi
déplacée sur le plan phonologique. Il suffit de prendre en considération le système des
apicaux italiens /t/ et /d/, et de le comparer au système anglais représentés par /t/, /d/, et
/θ/, /ð/. Le principe de l’arbitraire vaut aussi pour les catégories grammaticales : alors
que le français distingue uniquement singulier et pluriel, la langue grecque distingue
également le duel « par deux », et même l’italien distingue un pluriel interne en –a, à
côté du pluriel d’addition et du singulier.
Quelques pages plus avant dans son Cours, juste après l’exposé sur l’arbitraire
du signe, Saussure parle de l’arbitraire relatif : « le signe peut être relativement
motivé »..48
Ainsi, vingt est immotivé mais dix-neuf ne l’est pas en égale mesure, « parce
qu'il évoque les termes dont il se compose et d'autres qui lui sont associés ».49
Nous voulons attirer l’attention sur ce passage crucial du Cours parce que, de
facto, Saussure utilise, inconsciemment, le concept de visage phonique des mots de Karl
Bühler, dans lequel est évoqué le rôle de la composition où « par composition » on
entend le processus cognitif dont le but est d’assembler au moyen d’un certain ordre,
qui dans le cas de la parole est phonique, des éléments fournis par un système, quel que
soit ce système.
On conviendra qu’il ne s’agit pas d’une opération arbitraire, ou du moins pas
entièrement. En effet, nous ne synthétisons pas au hasard les éléments d’un composé
chimique qui, de par sa nature est une substance formée par deux ou plus éléments, avec
un rapport fixe entre eux et qui en détermine la composition.

47
Massimo Prampolini, Ferdinand De Saussure, Roma, Meltemi editore, 2004, p. 71.
« Dunque la lingua è autonoma, il sistema di valori è autonomo, il segno è autonomo. Autonomo da che
cosa » ?
48
Saussure [1916] 1979, Op. Cit. p. 181.
49
Ibidem.

23
De la même manière, motivée selon nous, un locuteur, pendant un « processus
de dérivation » d’un état de langue à l’autre, synthétise une phonie, pendant la phase
d’assimilation, en cherchant à lui donner un visage phonique le plus familier possible.
L’être humain (par exemple, un enfant), quand il est confronté à la perception continue
d’une séquence phonique qui lui est inconnue, tente, en effet, d’établir une certaine
corrélation entre les éléments qui la composent, en essayant de reconstruire un certain
ordre phonique, en mettant en œuvre un processus « fluide » de particularisation, et en
partant d’une généralisation.50
Le sens de l’arbitraire relatif peut se résumer à l’idée que les signes composés ne
sont pas entièrement immotivés ; ils doivent leur forme à celle des autres signes qui les
composent :

Et dans une langue, il y en a tant de signes composés. Certes, une marge d'arbitraire reste, au
moins dans la détermination de la composition. Le numéral qui en français se compose comme neuf, en
chiffres romains se compose comme IX ; le numéral qui en français se compose comme soixante-dix en
italien se compose comme settanta. Donc la composition est à la base de l'arbitraire relatif.51

50
Ce processus se réalise lorsque nous lisons des textes dans une langue étrangère et que toutefois (nous
nous référons aux langues grammaticales) nous sommes en mesure de reconnaître un mot parce qu’il
ressemble, dérive d’un mot présent dans notre répertoire lexical. Ce processus de construction et de
perception de la langue, qui est substantiellement le mécanisme principal de nos réflexions, est le fruit
d’un mouvement de pensée qui procède du général au particulier. On pourrait objecter que ce que nous
venons de déclarer ici ne fonctionne pas dans le cas suivant : maison, house. Dans quelle mesure ce
processus de composition intervient dans ce cas là ? Il ne s’est simplement pas produit, parce qu’il n’y a
pas eu une situation d’assimilation ni une « situation de perception ». Il s’agit, comme on le verra dans le
deuxième chapitre, de deux signes « hors champ ». La question à se poser est, en effet, la suivante :
pourquoi deux locuteurs devraient-ils ressentir le besoin de forger la physionomie acoustique d’un mot
dont ils ne ressentiraient aucune nécessité pour leur système linguistique? Il n’y a pas de raison de le
faire. Le locuteur anglo-saxon a pu façonner le mot house en partant d’un modèle déjà présent dans son
patrimoine linguistique, la forme hūs (ancien anglais). De même, le locuteur gallo-romain a pu façonner
le mot maison en partant d’un modèle déjà présent dans son patrimoine linguistique, la forme latine
mansio. Aucun des deux locuteurs n’avait besoin d’absorber ex novo une forme éloignée lorsqu’il pouvait
composer analogiquement une phonie en l’assimilant à partir d’un « champ environnant » : comme
mansio à partir du « champ latin » et house à partir du « champ anglo-saxon (vieil anglais)». Dans ces
circonstances, il n’y a pas eu d’interférence entre le « champ latin » et le « champ anglo-saxon ». La
situation change si on considère les locuteurs de la souche germanique (occidentale, orientale et
septentrionale) qui ont forgé des visages phoniques familiers, parce que différents champs partageant une
origine commune se sont influencés à tour de rôle (cf., gotique hus, allemand haus, hollandais huis,
suédois hus, anglais house).
La leçon du « champ » de Bühler doit donc être intégrée à l’enseignement saussurien selon lequel il faut
toujours considérer les différents points de vue pour aborder une question. Voir aussi : Guillaume 1973,
Op. Cit., p. 94.
51
Prampolini 2004, Op. Cit., p. 106.
« E di segni composti in una lingua ce ne sono tanti. Certo, un margine di arbitrarietà resta: quantomeno
nel modo in cui si determina la composizione. Il numerale che in francese si compone come neuf, nella
scrittura in caratteri romani si compone come IX; il numerale che in francese si compone come soixante-

24
Une première réflexion : comment peut-on envisager la composition de la forme
sans envisager la composition de la substance phonique? Certes, dirait Saussure, « la
langue est une forme et non une substance ».52
Le linguiste suisse n’invoque pas autre chose que la nature immatérielle du
langage, et le rôle indifférent de sa substance par rapport à la manière dont il est
structuré et utilisé.
Pourquoi « à partir de Saussure la substance disparaît pratiquement de la
linguistique et la conception du langage, en termes de système, prévaut sur toutes les
autres considérations » ? 53
Pourquoi « le matériel, le poids physique de l’usage linguistique concret (comme
le postulent les théoriciens du moindre effort) ne joue aucun rôle dans la structure du
langage et dans le changement linguistique » ? 54
Encore sur la motivation, Saussure poursuit :

[...] La motivation n'est jamais absolue. Non seulement les éléments d'un signe motivé sont eux-
mêmes arbitraires [...], mais la valeur du terme total n'est jamais égale à la somme des valeurs des parties.
[...]Tout ce qui a trait à la langue en tant que système demande, c'est notre conviction, à être
abordé de ce point de vue, qui ne retient guère les linguistes: la limitation de l'arbitraire. C'est la meilleure
base possible.55

Parmi les devoirs du linguiste il y a donc aussi celui d’étudier les limitations de
l’arbitraire :

La tâche de la linguistique est celle d'étudier les limitations de l'arbitraire qui concernent non
seulement les mots relativement motivés, mais tous les mots, même les plus absolument arbitraires en
eux-mêmes, car tous font partie d'un système solidaire de signifiés, et de signes comme totalité dans la
langue et dans les possibles syntagmes [...]. D’où l'idée que la spécificité est dans la linéarité du mot, ou
mieux de la langue [...]. Un signifiant (même celui d'un nom propre) n'est pas composé de phonèmes,

dix in italiano si compone come settanta. Dunque, alla base dell'arbitrarietà relativa c'è l'idea di
composizionalità ».
52
Saussure [1916] 1979, Op. Cit. p. 169.
53
Simone 1992, Op. Cit., p. 45.
« A partire da Saussure la sostanza praticamente scompare dalla linguistica e la concezione del linguaggio
in termini di sistema prevale su tutte le altre considerazioni? »
54
Ibidem.
« Il materiale, il peso fisico del concreto uso linguistico non ha alcun ruolo sulla struttura del linguaggio e
sul cambiamento linguistico? ».
55
Saussure [1916] 1979, Op. Cit., p. 182.

25
mais de phonèmes ordonnés, un signe n'est pas composé d'unités en lesquelles il peut se décomposer
(unités qui seront par la suite appelées monèmes, morphèmes ou morphes, hyposèmes) mais d'unités
ordonnées. Il est incontestable qu’avant tout, pour Saussure, il y a la matérialité sonore, justement la
matérialité sonore, phonique, acoustique, qui implémente l'extérieur du mot, ce qui doit être invoqué
solennellement comme principe, comme trait spécifique du langage.56

En ce qui concerne les langues, il y a aussi des linguistes pour affirmer qu’il
n’est pas correct de parler d’un arbitraire total mais qui acceptent différents degrés
d’arbitraire.
Simone57, par exemple, a focalisé son attention sur les traces iconiques laissées
par le signe linguistique :

[...] Dans plusieurs langues, par exemple, les mots qui signifient « ici » contiennent un i, alors
que ceux qui signifient « là » contiennent un a ou une voyelle postérieur (allemand hier/da, français
ici/là, arabe huna/hunaka, chinois mandarin jhu li/nah lì, etc.; mais l'italien ne suit pas cette régularité :
lì/là ≈ qui/qua!). [...] Il est utile de parler d'une iconicité « universelle » opposée à une unicité « sociale ».
Au premier type on peut attribuer des phénomènes comme le symbolisme spatial du i ou du a (en
admettant qu'il soit possible de le démontrer rigoureusement), car on ne peut le considérer prouvé que
lorsqu’on l'a documenté dans toutes les langues (ou dans une grande quantité).

Or, nous en venons à la définition de notre approche. Nous n’étudierons pas les
faits de langue, ni d’un point de vue phonosymbolique ni, d’un point de vue iconique.
Le langage est pour nous un système : notre point de vue est structuraliste.

56
Tullio De Mauro, Saussure in cammino, Roma, 2007, p. 4.
« Il compito della linguistica è studiare le « limitations de l'arbitraire » le quali riguardano non solo le
parole relativamente motivate, ma tutte le parole, anche le più assolutamente in sé arbitrarie, in quanto
tutte sono parti di un sistema di solidarietà dei signifiés e dei signes come totalità nella langue e nei
possibili sintagmi [...]. Nasce l'idea che la specificità stia nella linéarité du mot, anzi della langue [...]. Un
significante (anche quello di un nome proprio) non è fatto di fonemi, ma di fonemi ordinati, un segno non
è fatto di unità in cui possa decomporsi (quelle che poi saranno dette monemi, morfemi o morfi, iposemi)
ma di unità ordinate. Pare in dubbio che a tutta prima per Saussure sia la materialità sonora, proprio la
materialità sonora, fonico-acustica, che implementa l'esterno del mot, ciò che va invocato, e
solennemente, come principe, come tratto specifico del linguaggio ».
57
Raffaele Simone, Fondamenti di Linguistica, Roma-Bari, Laterza, 1990, p. 61.
« In molte lingue, ad esempio, le parole che significano "qui" contengono una i, mentre quelle che
significano "lì" contengono una a o una vocale posteriore (tedesco hier/da, francese ici/là, arabo
huna/hunaka, cinese mandarino jhu li/nah lì, ecc.; ma l'italiano non rispetta questa regolarità: lì/là ≈
qui/qua!) [...] È utile parlare di un’iconicità "universale" contrapposta ad una "sociale". Al primo tipo si
possono attribuire fenomeni come il simbolismo spaziale della i o della a (ammesso che sia possibile
dimostrarlo con rigore), in quanto esso può considerarsi provato solo quando lo si sia documentato in
tutte ( o in una grande quantità) le lingue ».

26
Nous refusons de partager une théorie iconique « stricte » et nous sommes plus
convaincus par la définition d’une théorie générale du langage qui vise à identifier les
limites de l’arbitraire linguistique en tenant compte du fait qu’il est, selon notre vision
des choses un instrument de représentation indirecte, dont l’objectif est de guider les
locuteurs à la connaissance directe du monde et à l’interprétation de sens et de signifiés
qui dominent la scène partagée où ont lieu les interactions verbales des locuteurs.
Le rapport nécessaire entre signifiant et signifié se révèle, justement comme
Benveniste l’affirmait, dans une motivation qui n’est plus une relation à deux, mais qui
implique la masse et l’espace (le monde).
Très souvent on oublie que le signe n’existerait pas sans un appareil de
reproduction et sans appareil de réception. En ce sens, et c’est notre conviction, le signe
est motivé (à l’arbitraire limité), et trouve sa motivation, comme nous le verrons, dans la
fonction représentative du langage et dans les besoins linguistiques des locuteurs.

27
§ 2. Le κατὰ συνθήκην aristotélique : une thèse conventionnaliste ?

La thèse conventionnaliste attribuée à Aristote émerge de l’interprétation des «


quatre premiers chapitres du De Interpretatione et de l’expression κατὰ συνθήκην qui y
revient trois fois ».58
Au cours des siècles cette expression a suscité plusieurs interprétations, mais
elle doit son succès, fondamentalement, à la traduction d’Ammone d’Alexandrie (fils
d’Hermias) qui dans son commentaire du « De l’Interprétation » affirmera que « κατὰ
συνθήκην » correspond à θέσει; toutes les deux expressions auraient le même signifié :
par position ».59
L’interprétation d’Ammone conduira à l’adaptation latine plutôt simpliste de
Boèce qui dans les Commentarii in librum Aristotelis, sous l’influence d’Ammone lui-
même, translitérera la formule aristotélicienne par « secundum placitum »60 :

[…] L’acception selon laquelle les ὀνόµατα, « noms, mots », signifient κατà xυνθηκην, c’est-à-
dire qu’ils sont composites et articulés (par opposition au cri des bêtes, signifiant « oui », mais
globalement, sans articulation en parties), a été interprétée comme signifiant que les onómata ont le sens
de ad placitum « par décret », par convention (Boèce traduisit ainsi l’expression aristotélicienne). Ainsi
sont nées l’idée et la théorie de l’arbitraire conventionnel qui, du monde ancien à travers le Moyen-âge,
sont parvenues jusqu’aux temps modernes et jusqu’à nous. Cette idée est présente dans la notion de
« légisigne » proposée par Peirce et se présente dans les cours de Ferdinand de Saussure dont est issu le
Cours de linguistique générale.
Dans ces leçons, toutefois, d’autres acceptions et des idées différentes de l’ « arbitraire » sont
envisagées.61

58
Franco Lo Piparo, Aristotele e il linguaggio. Cosa fa di una lingua una lingua, Roma-Bari, Laterza,
2003, p. 71.
« Sui primi quattro capitoli del De Interpretatione e sull’espressione κατὰ συνθήκην che vi ricorre tre
volte ».
59
Ammonius, in Aristotelis « De Interpretatione » Commentarius, edidit Adolfus Busse, Commentaria In
Aristotelem Graeca, vol. IV, Parte V, Berlin, 1897, pp. 30, 31-32.
« Kατà συνθηκην corrisponde a θέσει; i due avrebbero lo stesso significato: per posizione ».
60
Ibidem.
61
Tullio De Mauro, Lezioni di linguistica teorica, Roma - Bari, Laterza, 2008, p. 54.
[...] « Che gli ὀνόµατα, « nomi, parole », significhino κατà xυνθηκην, cioè che siano compositi e
articolati (in opposizione al grido delle belve, significante si, ma globalmente, senza articolazione in
parti,), fu inteso nel senso che gli onómata significano (tradusse Boezio) ad placitum « per decreto », per
una convenzione. È nata così l'idea e teoria dell'arbitrarietà convenzionale, che dal mondo antico
attraverso il Medioevo, è giunta fino all'età moderna e a noi. Essa è presente nella nozione del legisegno

28
Et De Mauro poursuit ainsi :

Si nous examinons ces mots […] français aller et ses équivalents dans d’autres langues : andare
pour l’italien, ire pour le latin, baínein pour le grec, to go pour l’anglais, menni pour le hongrois, yuku
pour le japonais [..], dans un cas seulement (naso, nasus, nose, nez) nous voyons quelques similitudes,
mais dans les autres mots nous trouvons des différences radicales dans la forme signifiante. Ces cadres
factuels étaient déjà connus des savants grecs du Ve siècle av. JC., et les amenèrent à décréter que « le
mot chien ne mord pas » et que le rapport entre référent et forme du signifiant n’est pas réglé par
« nature », phúsei, mais par « loi », nómo, ou par « accord », thései.62

Certes, dans l’ensemble, ces exemples manifestent un arbitraire radical, comme


De Mauro le définit ; mais on ne tient pas compte d’un fait décisif, fondamental pour le
développement de notre pensée : la notion de « champ », c’est-à-dire de « contexte ».
En outre, nous pensons qu’il est peu productif d'aborder la question de l’arbitraire à
partir de l’analyse d’un mélange linguistique « irrationnel » : il faut respecter
l’enseignement saussurien d’un regard rétrospectif diachronique et synchronique dont la
cohérence dépend de la prise de conscience de l’existence de différents points de vue.
Cela avait été bien compris par Antoine Meillet qui, bien qu’il se prononce en
faveur de l’arbitraire absolu, souhaite la formulation d’une théorie générale du langage
où le système langue ne serait pas présenté en tant qu’une coacervatio de questions très
disparates mais sous l’angle d’un système organisé où tout se tient, et où les faits de
langue sont placés de manière cohérente et systématique :

Les moyens d'expression n'ont avec les idées qu'une relation de fait, non une relation de nature et
de nécessité [...] Les combinaisons d'articulations par lesquelles, dans une langue donnée, sont réalisés les
phonèmes sont chose particulière à cette langue; mais les mouvements élémentaires qui figurent dans ces
combinaison sont déterminés et limités par des conditions générales anatomiques, physiologiques, et

proposta da Pierce e si affaccia nelle stesse lezioni di Ferdinand de Saussure da cui fu tratto il Corso di
Linguistica generale, lezioni in cui si prospettano tuttavia altre e differenti idee di « arbitrarietà ».
62
Ibidem.
« Se esaminiamo queste parole [...] italiano « andare » e i suoi corrispettivi in altri stati di lingua: andare
per l'italiano, ire per il latino, baínein per il greco, to go per l'inglese, menni per l'ungherese, yuku per il
giapponese) [...], soltanto in un caso (naso, nasus, nose) scorgiamo qualche somiglianza, ma negli altri
troviamo radicali differenze di forma significante. Quadri fattuali del genere, presenti già ai dotti greci nel
V secolo a.C., li spinsero a sentenziare che « la parola cane non morde » e che il rapporto tra referente e
forma del significante non è regolato per "natura", phúsei, ma per una legge, nómo, o per un accordo,
thései ».

29
psychiques : il est donc possible de fixer de quelle manière peut évoluer une articulation dans un cas
donné. [...]
A côté de l'histoire proprement dite des divers idiomes où il n'y a, comme dans toute histoire,
qu'une succession de faits particuliers, il se forme, à l'aide de ces matériaux, une théorie générale des
conditions dans lesquelles évoluent les langues, c'est -à -dire que l'histoire du groupe indo-européen,
maintenant connue en ses grandes lignes, fournit quelques-unes des meilleures observations qu'elle puisse
utiliser à la science du langage, qui commence enfin à se constituer; à son tour, cette science, en
déterminant les lois générales du langage, permettra de remplacer l'empirisme actuel des explications par
des doctrines cohérentes et systématiques.63

Les mouvements élémentaires dont parle Meillet ne sont que des mouvements
de coarticulation des sons (à travers lesquels sont forgées des combinaisons de
phonèmes) qui produisent des phonies à considérer dans des réalités psychophysiques
bien précises. Chaque « aire linguistique », de l’aire romane à l’aire germanique, de
l’espace balto-slave à l’espace celtique, représente un point de vue diffèrent. Pour des
raisons de contingences historico-culturelles, ils se sont souvent entremêlés, leur étude
nécessite, le cas échéant, un dénominateur commun.
Comme dans le cas de la correspondance suivante : latin domus, français
domicile, demeure, paléoslave domŭ, védique damū-nas, indoeuropéen *domu-, ancien
indien patír dan et dam patíŭ, grec δεσπóτης et δέσποινα et homérique δϖ « maison ».
Dans ce cas spécifique, on est confronté à une situation dans laquelle des
locuteurs appartenant à des aires linguistiques différentes, étant mis en contact, ont été
dans la nécessité de « composer par analogie64», en partant d’un visage phonique

63
Antoine Meillet, Introduction à l'étude comparative des langues indo-européennes, Paris, Hachette et
Cie, 1912 (1° ed., Paris 1903), pp. 3,19, 435.
64
Nous considérons ici à plein titre l’analogie comme un processus cognitif qui a lieu entièrement dans
l’esprit du locuteur et, nous suivons en cela, entre autres, Saussure, qui affirme dans le chapitre IV du
Cours : « l’analogie est d’ordre psychologique; mais cela ne suffit pas à la distinguer des phénomènes
phonétiques, puisque ceux-ci peuvent être aussi considères comme tels. Il faut aller plus loin et dire que
l’analogie est d’ordre grammatical: elle suppose la conscience et la compréhension d’un rapport unissant
les formes entre elles […] » [Saussure [1916] 1979, Op. Cit., p. 226.].
Sur la nature cognitive du phénomène analogique s’est exprimé aussi Philippe Monneret. En définissant
comme indissoluble le lien entre l’image iconique et image analogique, il semble avoir repris,
inconsciemment, le concept de visage phonique des mots de Bühler [cf., infra, II § 1, § 2] : « D’autre part,
l’image, telle qu’elle a été définie ici, permet de prendre en charge la question de l’innovation
sémantique, dont l’ineffable divin n’est qu’une formulation archaïque. Or il s’agit d’un aspect à mes yeux
crucial, puisque la raison qui m’a conduit à m’intéresser à la problématique de l’iconicité tient
précisément en ce qu’un système de signes arbitraires ne permet pas de transmettre à autrui un sens
nouveau […]. Quant à la hiérarchie de l’analogie et de l’iconicité, nous avons bien vu d’une part que la
conception de l’image (ou de l’icône) que j’ai utilisée repose elle-même sur une structure analogique ;
d’autre part que dans la sémiotique peircienne, les structures iconiques qui intéressent le linguiste sont

30
commun, qui, dans ce cas est représenté par la racine indoeuropéenne *dem, des
phonies structurellement liées entre elles.
Ce discours est valable pour 86% des « latinismes italiens » dont le caractère
conservateur est fidèle aux archétypes de la langue latine65. Par contre, la langue
anglaise se caractérise par 76% des romanismes et seulement 10% de lexèmes
patrimoniaux.66
Les exemples pourraient être innombrables. Ce qui nous intéresse est d’identifier
une théorie générale du langage grâce à laquelle nous arriverions à comprendre les
mécanismes de formation, de perception et d’assimilation des mots.
Nous reviendrons sur la composition. Nous voudrions nous arrêter maintenant
sur le rôle de l’analogie dans le faits de langue.
En effet, l’analogie semble avoir un poids décisif dans les processus de
signification, pas seulement à cause de sa « nature grammaticale et synchronique »,
mais surtout parce qu’elle est un facteur de médiation entre les locuteurs et le monde
environnant (le « contexte », le champ où se déroule l’échange verbal) :

Ainsi tout est grammatical dans l’analogie; mais ajoutons tout de suite que la création qui en est
l’aboutissement ne peut pas appartenir d’abord qu’à la parole; elle est l’ouvre occasionnelle d’un sujet
isolé. […] Cependant il faut y distinguer deux chose : 1° la compréhension du rapport qui relie entre elles
les formes génératrices; 2° le résultat suggéré par la comparaison, la forme improvisée par le sujet parlant
pour l’expression de la pensée. Seul ce résultat appartient à la parole.67

Saussure, d’une part, souligne l’autonomie de la forme linguistique du locuteur,


d’autre part, il semble accorder une certaine importance à la manifestation d’un acte de
langage dans la parole. Ce qui manque, à notre avis, est une attention particulière aux
processus de perception, au déroulement de l’échange verbal, et à son contexte.
Saussure avait bien compris que les messages sonores, les phonies, les signes
linguistiques sont à observer dans leurs emplois concrets, dans la parole. Ce qu’il a par
contre exclu de son horizon d’études est le rôle du contexte et des processus perceptifs.

elles-mêmes de type analogique […]. Il semble donc que l’on gagne à considérer que c’est l’analogie
qui subsume l’iconicité, autrement dit que l’icône (ou image) n’est autre qu’une analogie d’un certain
type ». [Philippe Monneret, « Iconicité et analogie », Cahiers de linguistique analogique, n°1, Dijon,
A.B.E.L.L., 2003, pp. 192-193].
65
Cf., Tullio De Mauro, La fabbrica delle parole, Torino, Utet, 2005, p. 131.
66
Op. Cit., p. 127.
67
Saussure [1916] 1979, Op. Cit., pp. 226-227.

31
Parce que l’acteur principal, lorsqu’on parle de signification et de perception, est le
locuteur et non pas le linguiste. C’est le locuteur qui tente de dominer la langue,
domaine du sens. Comment arrive-t-il à dominer le sens de son discours (la parole) ? En
forgeant les mots, les messages, les formes à travers un processus d’induction qui
procède du général au particulier. Ces sont les mécanismes de pensée reproduits
fidèlement par la langue, et Guillaume dirait que la pensée les met en œuvre pour saisir
elle-même.
Ce n’est pas tout. Ainsi Saussure poursuit :

L’analogie nous apprend donc une fois de plus à séparer la langue de la parole […]; elle nous
montre la seconde dépendant de la première et nous fait toucher du doigt le jeu du mécanisme
linguistique, tel qu’il est décrit […]. Toute création doit être précédé d’une comparaison inconsciente des
matériaux déposés dans le trésor de la langue où les formes génératrices sont rangées selon leurs rapports
syntagmatiques et associatifs. Ainsi toute une partie du phénomène s’accomplit avant qu’on voie
apparaître la forme nouvelle. L’activité continuelle du langage décomposant les unités qui lui sont
données contient en soi non seulement toutes les possibilités d’un parler conforme à l’usage, mais aussi
toutes celles des formations analogiques.68

On continue à inférer de l’analyse de Saussure une certaine « vision


intersubjective du langage »69, dans laquelle il semble qu’on ne fasse pas de place pour
un tertium comparationis indispensable : le monde environnant (au sens d’autonomie
du langage du locuteur appartenant à une communauté linguistique). Toutefois, il y a un
rappel fugace chez Saussure à la « comparaison inconsciente », qui laisse présager un
processus cognitif qui se manifeste dans l’esprit du locuteur et qui doit être considéré
dans une réalité psychophysique précise, liée de façon indissoluble au « parler conforme
à l’usage » :

Rien n’entre dans la langue sans avoir été essayé dans la parole, et tous les phénomènes évolutifs
ont leur racine dans la sphère de l’individu. Ce principe, déjà énoncé p. 138, s’applique tout
particulièrement aux innovations analogiques. Avant que honor devienne un concurrent susceptible de
remplacer honōs, il a fallu qu’on premier sujet l’improvise, que d’autres l’imitent et le répètent, jusqu’à
ce qu’il s’impose à l’usage. […]. La langue ne retient qu’une minime partie des créations de la parole ;

68
Op. Cit., p. 227.
69
Cf., supra, « Introduction ».

32
mais celles qui durent sont assez nombreuses pour que d’une époque à l’autre on voie la somme des
formes nouvelles donner au vocabulaire et à la grammaire une toute autre physionomie.70

La contiguïté de ce fragment du Cours avec un autre passage tiré de la


Sprachtheorie de Bühler est vraiment remarquable : le linguiste viennois, à travers des
concepts tels que la « physionomie acoustique » et l’« identité génétique », qui semblent
strictement liés à une théorie des formes très similaire au processus cognitif de
l’analogique, exprime de façon différente la pensée saussurienne :

Quand le linguiste dit le mot père et recourt pour ce faire au singulier, il entend par là, compte
tenu de ce qui est susceptible de frapper ses sens, une classe de phénomène. Le résultat de la linguistique
historique ne doit pas en l’occurrence être exclu, mais inclus. En effet, quel que soit, par exemple ce qui a
pu arriver dans les langues indo-européennes au mot qui s’écrit Vater chez nous, il est impossible que son
empreinte phonématique ou sa valeur de symbole aient jamais changé par à-coups et sans loi. C’est en
fonction de cette identité génétique qu’est construite l’unité Vater pour l’histoire de la langue, et que cette
dernière a sa place dans le lexique de l’allemand, pour le passé, le présent, et pour tous les dialectes.71

Nous consacrerons notre deuxième chapitre à Bühler et nous aurons l’occasion


d’approfondir les concepts que, jusqu’à présent, nous n’avons qu’effleurer.
Il nous a semblé opportun de mettre en évidence l’intérêt de Saussure pour les
processus psychologiques et une linguistique de la parole, qu’il n’a toutefois jamais
vraiment développés à cause de leur caractère intersubjectif.
Poursuivons avec la composition. Cette question a une implication essentielle
dans la thématique de la motivation du signe. Il convient de commencer par la
linguistique aristotélicienne. Nous disions, dans les pages précédentes, que les
traductions dans les langues modernes de l’expression κατὰ συνθήκην sont toutes dans
le sillage des interprétations d’Ammone et de Boèce : « κατὰ συνθήκην est rendu soit
par « par convention » soit par des termes théoriquement voisins comme
« conventionnel », « institutionnel », « arbitraire » ou « historiquement motivé ».72

70
Op. Cit., pp. 231-232.
71 Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., pp. 150-151.
72
Lo Piparo 2003, Op. Cit., p. 127.
« κατὰ συνθήκην è reso o con convenzionale o con termini teoricamente vicini come istituzionale,
arbitrario o storicamente motivato ». Lo Piparo lui-même affirme que nous devons la première
interprétation du boécien secundum placitum dans le sens de « institutionnel » à Thomas
d’Aquin : « secundum placitum, id est secundum institutionem humanam a beneplacito hominis

33
Pour donner corps à nos observations, nous partons du sens littéral de la locution
grecque κατὰ συνθήκην. Le terme [κατà] συνθήκην dérive du verbe συντιθηµι
(syntithemi) dont l’acception est « établir, négocier quelque chose en accord avec
d’autres personnes en fonction d’un but ». Ce qui rend l’idée de la « convention » (cf.,
lat. conventio) c’est-à-dire de l’accord, du pacte (le verbe τιθηµι, présente ce sens). Le
verbe συντιθηµι (syntithemi) présente également l’acception « composer, synthétiser »
en représentant l’idée de la composition, de la combinaison (cf., lat. compositio, grec
συν-τιθηµι ) :

Les langues comme le latin ou l’italien forcent, en lexicalisant de façon différente les deux
champs sémantiques, leurs locuteurs respectifs à choisir à chaque fois l’un ou l’autre des signifiés. Avec
συν-θηκην [synthêkên] au contraire, les deux acceptions conservent une forte capacité de s’invoquer
réciproquement.
Les locuteurs et les lettrés de l’ancienne Grèce pouvaient, s’ils le voulaient, prononcer avec
emphase une acception plutôt qu’une autre, mais la langue dans laquelle ils pensaient leur permettait
d’utiliser indifféremment les mots συν-θηκην (synthêkên) et συν- τιθηµι [syntithemi] sans être obligé
de les différencier.73

Nous nous demandons, à la lumière de cette réflexion étymologique, s’il y a une


relation entre l’idée de composition qui est à la base de l’arbitraire relatif, dont Saussure
se fit le promoteur, et cette seconde acception qui renvoie à la compositio, dont est
porteur le verbe συντιθηµι.
Confrontons la pensée des deux auteurs en partant d’Aristote et des passages du
De Interpretatione où apparaît l’expression κατὰ συνθήκην.

Le nom est certainement une voix qui signifie κατὰ συνθήκην, et sans détermination temporelle,
si elle est séparée du reste, aucune partie de la voix n’a de sens. Dans le nom χáλλιππος, en effet, la

procedentem. Et per hoc differt nomen a vocibus significantibus naturaliter, sicut sunt gemitus
infirmorum et voces brutorum animalium ». Voir aussi Thomas D’Aquin, DI: I, IV, 41, In Aristotelis
libros, « Peri Hermeneias » et « Posteriorum Analyticorum » Expositio, cum textu et recensione leonina,
cura et studio Raimondo M. Spiazzi, Marietti, Torino, 1955.
73
Op. Cit., p. 74.
« Lingue come il latino o l'italiano, lessicalizzando in maniera differente i due campi semantici,
costringono i rispettivi parlanti a scegliere volta per volta o l'uno o l'altro significato. In συν-θήκην
invece, le due accezioni mantengono una forte capacità di richiamarsi a vicenda. Parlanti e scriventi
dell'antica Grecia potevano, se volevano, enfatizzare un’accezione piuttosto che l'altra ma la lingua nella
quale pensavano consentiva loro di usare i termini συν-θήκην e συν- τιθηµι in modo da non essere
obbligati a distinguerle ».

34
partie - ιππος [cheval] en soi ne signifie rien, contrairement à ce qu’il se passe dans le syntagme χαλòς
ιππος [beau cheval]. Cela ne se vérifie ni dans les noms simples ni dans les noms composés. En effet, en
tant que nom simple la partie [-ιππος] n’a pas de sens ; dans les noms composés, la partie tend à la
signification mais, si elle est séparée du reste, elle ne signifie rien, ainsi dans le nom επαχτροχελης
[navire de course] la partie - χελης [rapide] ne signifie rien.74

Lo Piparo nous fait remarquer que :

Kατὰ συνθήκην est simplement traduit « par convention », il faut reconnaître une contradiction
entre l’énonciation de la thèse (« le mot est une voix qui signifie conventionnellement ») et les arguments
avec lesquels la thèse est étayée. Aristote relie deux concepts au terme théorique κατà συνθηκην et
aucun des deux n’a de relation directe et immédiate avec la convention.75

En effet, les concepts qui Aristote relie à l’expression κατὰ συνθήκην sont les
suivants et ils n’ont aucune relation directe avec l’idée de convention.

i. Les mots sont des totalités phoniques composées et articulées du fait qu’elles sont
formées de parties. En termes plus précisément aristotéliciens : les mots, étant
composés des parties, sont le résultat d’un processus génératif de composition
phonique.
ii. Aucune des parties qui concourent à former le « nom-mot » n’a de signifié autonome.
La voix devient mot seulement à la fin d’un processus de composition phonique appelé
κατà συνθήκην. 76

Donc « le mot » est une « voix » qui signifie κατὰ συνθήκην et le signifié verbal
appartient à la synthèse du composé phonique et non à ses parties constituantes :

74
DI, Op. Cit., 16à 19-26.
« Il nome è certamente voce che significa κατà συνθήκην [per convenzione?] e senza determinazione
temporale, nessuna parte della quale significa se separata dal resto. Nel nome χáλλιππος, infatti, la parte
- ιππος [cavallo] non significa per se stessa nulla, diversamente da quanto accade nella frase χαλòς
ιππος [bel cavallo]. Nei nomi semplici ciò non si verifica come nei nomi composti. Nei primi, infatti, la
parte non significa in alcun modo, nei secondi tende alla significazione ma, separata dal resto, non
significa nulla come accade nel nome επαχτροχελης [nave da corsa] alla parte - χελης [veloce] ».
75
Lo Piparo 2007, Op. Cit., p. 77.
« Kατà συνθήκην viene tradotto sic et simpliciter con « convenzionale » è giocoforza riconoscere una
incongruenza tra l'enunciazione della tesi (« la parola è voce che significa convenzionalmente ») e gli
argomenti con cui la tesi viene puntellata. I concetti che Aristotele collega col termine teorico κατὰ
συνθήκην sono due ed entrambi non hanno una relazione diretta e immediata con la convenzionalità ».
76
Op. Cit., p. 78.

35
L’expression κατὰ συνθήκην dans le texte est corrélée à deux phénomènes qui dans la
linguistique aristotélicienne sont, du point de vue conceptuel, inséparables : les procédés phono-
articulatoires des voix qui sont des mots ; les processus générant la signification des voix- mots.77

En bref, seules les voix décomposables en parties articulées signifient κατὰ


συνθήκην : cette particularité transforme les voix génériques et significatives (comme
un cri de douleur, par exemple) en mots. En outre :

La signification κατὰ συνθήκην des voix-mots n’est pas dérivable de leurs parties constituantes,
pas même dans le cas où les parties constituantes sont elles-mêmes des voix-mots. Le signifié vocal est le
résultat final et non la donnée initiale : c’est le but ultime du processus de génération articulatoire et il
n’est identifiable avec aucune des parties articulatoires prises isolément.78

Et un peu plus avant dans un fragment (16a 26-29) du De Interpretatione,


Aristote s’exprime en ces termes :

Le nom est κατὰ συνθήκην : aucun nom n’est par nature, sauf quand [X] il devient symbole, étant
donné que même les sons qui ne sont pas des lettres, comme par exemple les sons non humains des
animaux, montrent quelque chose mais qu’aucune partie d’eux-mêmes n’est un nom.79

Une lecture simpliste pourrait donner, et a donné l’impression pendant des


siècles que dans ces passages Aristote voulait opposer le κατὰ συνθήκην à la phúsei
(« par nature »). En réalité, Aristote, qui ne précise pas le sujet grammatical du verbe
« devenir » (γένηται [genetai] dans le texte grec), nous pousse à nous concentrer
uniquement sur la dichotomie « convention » et « nature ».

77
Op. Cit., p. 79.
« L'espressione κατὰ συνθήκην nel testo viene correlata a due fenomeni che nella linguistica aristotelica
sono concettualmente inseparabili: i processi generativi fono-articolatori delle voci che sono parole; i
processi generativi della significatività delle voci parole ».
78
Ibidem.
« La significatività κατὰ συνθήκην delle voci-parole non è derivabile dalle loro parti costituenti, nemmeno
nel caso in cui le parti costituenti, sono esse stesse voci-parole. Il significato verbale è risultato finale e
non dato iniziale: è il fine ultimo del processo generativo articolatorio e non è identificabile con nessuna
delle parti articolatorie singolarmente prese ».
79
DI, Op. Cit., 16à 26-29.
« Il nome è κατὰ συνθήκην : nessuno dei nomi è per natura ma quando [X] diventa simbolo dal momento
che anche i suoni che non sono lettere, come ad esempio quelli degli animali non umani, mostrano
qualcosa ma di essi nessuna parte è nome ».

36
Or, si nous considérons que le sujet X de γένηται est la φωνή σηµαντική (phoné
sémantiké), comme le suggère non seulement Lo Piparo mais aussi Coseriu80, alors la
voix significative, l’interprétation du fragment aristotélique change radicalement.81
Pourquoi? Parce qu’Aristote souligne que le nom est une voix significative : pas
n’importe quelle voix, mais une voix significative, et pas n’importe quelle voix
significative, mais une « voix significative » κατὰ συνθήκην.
En effet, Lo Piparo l’explique très bien :

Le passage commence avec un lapidaire το δε κατὰ συνθήκην [to de katà synthêkên] qui peut
être paraphrasé par : maintenant, je vous donne l’explication de ce que j’ai voulu dire quand j’ai défini le
nom avec cette voix particulière qui, non seulement est significative, mais qui est aussi κατà συνθήκην.
Il est donc clair que lorsqu’Aristote explique le κατὰ συνθήκην en disant que cette caractéristique
s’obtient quand X devient symbole, l’inconnu X ne peut être que la voix significative et la caractéristique
déterminante κατὰ συνθήκην [katà synthêkên] ne peut être attribuée qu’à elle seule.82

Par conséquent, nous affirmons qu’aucun des noms n’est « par nature » un nom
mais qu’il l’est quand la voix significative devient symbole (en vertu de sa
correspondance aux faits et aux objets) parce qu’un « mot-nom » est non seulement une
voix significative κατὰ συνθήκην mais est aussi un symbole.
Considérer le signe linguistique en tant que symbole nous pousse à le considérer
par rapport au locuteur et au contexte linguistique. Il s’agit de prendre en charge, non
plus les partenaires pendant une interaction verbale, mais le rôle du contexte
(« champ ») et les relations sémantiquement définies du signe linguistique, c’est-à-dire
la fonction représentative du signe linguistique, entendue comme sa capacité à
symboliser des objets et des faits. Cela ne veut pas dire que le signe représente
directement la « chose » dont le locuteur parle, mais que le signe la représente

80
Eugenio Coseriu, « το εν σηµαινειν. Significato e designazione in Aristotele », Agorà, IX, 24-25
(1981), pp. 5-13, déjà publié in Zeitschrift für Phonetik, Sprachwissenschaft und
Kommunikationsforschung, 32-4 (1979), pp. 432-437.
81
Cf., supra, § 2.
82
Lo Piparo 2007, Op. Cit., p. 83.
« Il passo inizia con un lapidario το δε κατὰ συνθήκην che è parafrasabile con « adesso vi do la
spiegazione di ciò che ho voluto dire quando ho definito il nome con quella particolare voce che, oltre ad
essere significativa, è anche κατὰ συνθήκην. È pertanto chiaro che, quando Aristotele spiega il κατὰ
συνθήκην dicendo che questa caratteristica si ottiene quando X diventa simbolo, l'incognita X non può
essere che la voce significativa e, solo ad essa la caratteristica delimitante κατà συνθηκην può essere
attribuita ».

37
indirectement en nous guidant vers sa connaissance directe. En outre, au sens de
Saussure, le symbole ne maintient-il pas un rudiment de lien avec la réalité ?
Le « mot-symbole » - soutient Aristote - est « une voix significative particulière
qui résulte d’un processus de génération spécifique indiqué par l’expression κατὰ
συνθήκην et qui reste encore à préciser ». 83
Le nom est κατὰ συνθήκην, selon Aristote, dans les termes suivants: toute voix
significative n’est pas intrinsèquement et nécessairement « mot-symbole » ; tout « mot-
symbole » est par contre nécessairement une voix significative.
Ce n’est pas tout. Aristote poursuit ainsi ses réflexions en ce qui concerne la
nature conventionnelle (?) du langage :

En effet, même les sons, qui ne sont pas de lettres comme ceux des animaux non humains,
montrent quelque chose, mais aucune partie d’eux ne peut être qualifiée de mot. 84

Ces bruits ne peuvent pas être considérés comme des « noms », pour la simple
raison qu’ils sont inarticulés, non composables, et, comme nous le verrons, en eux on ne
peut apercevoir ce que Saussure appelle, « la linéarité sonore du signifiant ».
À propos de ce concept saussurien, on pourrait associer au passage du De
Interpretatione les affirmations suivantes: est le langage tout corps particulier qui peut
être décrit avec ces trois caractéristiques : articulations phoniques, articulations logico-
cognitives, possibilité de représentation par une écriture alphabétique.
Vu que seules les voix verbales sont alphabétiquement transcrivables, parce que
seule l’écriture alphabétique capture cet ensemble de caractéristiques que seules les voix
verbales possèdent.
In suntis :
 Selon Aristote, le nom, voix décomposables en parties, articulée, est une
voix significative par « composition » (κατὰ συνθήκην).

83
Op. Cit., p. 87.
« È una particolare voce significativa che risulta da uno specifico processo generativo indicato
dall'espressione κατà συνθηκην e che ancora bisogna precisare ».
84
DI, Op. Cit., 16a 26-29.
« Infatti, anche i suoni che non sono lettere come quelli degli animali non umani mostrano qualcosa, ma
di essi nessuna parte è qualificabile come parola ».

38
 La voix est naturelle, mais « signifier par la voix » est le résultat d’un
processus intentionnel, motivé, la composition, dont le point de départ
est représenté par une substance naturelle : la voix.
 Aristote confère donc à l’expression grecque κατὰ συνθήκην une nature
syntactico-compositionnelle.

Voyons si Saussure, qui exhortait tellement ses disciples à trouver ce qui


n’intéresse en rien les linguistes, les limitations de l’arbitraire, réussit à nous éclairer sur
ce processus auquel la tradition attribue une nature « conventionnelle » et, que nous
définissons inversement « compositionnelle », processus intrinsèquement lié au
caractère linéaire du signifiant qui annule, selon Saussure, la liberté du signe
linguistique. Tout comme il est lié aux mécanismes de la pensée fidèlement représentés
par la langue qui, à travers un mouvement qui procède du général au particulier, nous
permet de percevoir et identifier les mots à partir du « tout sémiotique vers les parties ».
Le processus de composition est à la base de l’arbitraire relatif : d’après ce que
nous avons déduit de la relecture de la réflexion aristotélicienne sur le langage, signifier
au moyen de la composition n’est pas conventionnel ni immotivé :

[…] D’où l'idée que la spécificité est dans la linéarité du mot, ou mieux de la langue [...]. Un
signifiant (même celui d'un nom propre) n'est pas composé de phonèmes, mais de phonèmes ordonnés, un
signe n'est pas composé d'unités en lesquelles il peut se décomposer (unités qui seront par la suite
appelées monèmes, morphèmes ou morphes, hyposèmes) mais d'unités ordonnées. Il est incontestable
qu’avant tout, pour Saussure, il y a la matérialité sonore, justement la matérialité sonore, phonique,
acoustique, qui implémente l'extérieur du mot, ce qui doit être invoqué solennellement comme principe,
comme trait spécifique du langage.85

85
De Mauro 2007, Op. Cit., p. 4.
« [...] Nasce l'idea che la specificità stia nella linéarité du mot, anzi della langue [...]. Un significante
(anche quello di un nome proprio) non è fatto di fonemi, ma di fonemi ordinati, un segno non è fatto di
unità in cui possa decomporsi (quelle che poi saranno dette monemi, morfemi o morfi, iposemi) ma di
unità ordinate. Pare indubbio che a tutta prima per Saussure sia la materialità sonora, proprio la
materialità sonora, fonico-acustica, che implementa l'esterno del mot, ciò che va invocato, e
solennemente, come principe, come tratto specifico del linguaggio ».

39
§ 3. Saussure, la motivation et la linéarité du signifiant.

Motivation et linéarité du mot sont les mots clé sur lesquels nous nous
concentrerons désormais. Voici ce que Saussure entend exactement quand il parle de
linéarité du signifiant. Nous partons de l’alignement des parties du mot selon un certain
ordre :

Le caractère linéaire de la langue, c'est-à-dire l'impossibilité de prononcer à la fois deux éléments


de la langue.86

Saussure propose une synthèse parfaite du passage aristotélicien selon lequel,

Le discours est une voix significative dont quelques parties, même lorsqu’elles sont séparées du
reste, sont significatives aussi. […] Je dis, par exemple, que le mot « homme » signifie quelque chose
mais pas qu’il est ou qu’il n’est pas : il sera proposition affirmative ou négative si on ajoute autre chose.
Une seule syllabe du mot « homme », par contre, n’est pas significative ; même dans le mot µυς [mys]
"rat" l'υς [ys] ne signifie rien, mais il est dans ce cas seulement une voix [pas une voix significative].87

Ainsi, pour Saussure, de la linéarité

[…] Découle la nécessité, pour le mot, d'avoir un commencement et une fin, de ne se composer
que d'éléments successifs.88

Nous attirons votre attention sur la partie finale de cette définition : « de se


composer d’éléments successifs », ordonnés, composés dans une chaîne phonique
générée par une voix significative κατὰ συνθήκην.
Pourquoi s’est on si peu concentré peu sur le principe de la linéarité ? À notre
avis pour deux raisons.

86
Saussure [1916] 1979, Op. Cit., p. 170.
87
DI, Op. Cit., 16b-26-33.
« Il discorso è voce significativa di cui alcune parti, anche se separate dal resto, sono pure significative.
[...] Dico, ad esempio, che « uomo » significa qualcosa ma non che è o che non è : sarà proposizione
affermativa o negativa se qualche altra cosa viene aggiunta. Non è invece significativa una sola sillaba
della parola « uomo »; nemmeno nella parola « µυς », « topo », l' « υς » significa ma è in questo caso
soltanto voce ».
88
Ibidem.

40
La première est à rechercher dans l’attitude du structuralisme européen face à
l’étude du signe linguistique considéré en tant qu’unité abstraite, hors du monde, d’une
communauté, et des processus perceptifs. La seconde, conséquence directe de la
première, est le fait de considérer les unités de la langue comme des unités formelles,
sans aucune épaisseur, sans aucune connotation spécifique :

Les éléments de la langue, comme on s'y attend d'ailleurs, ne sont pas des phonèmes au sens
actuel de ce terme. Et en effet, ce que désigne ensuite l'expression de système linéaire n'est pas autre
chose que cet ordre discursif [...].89

Mais, en réalité c’est Saussure lui-même, qui peu après nous rappelle que c’est
cet ordre « qui est forcément celui de chaque unité dans la phrase ou dans le mot (signi-
fer) ».90 Il parle d’unités dans la phrase ou dans le mot. Id est, il se réfère à la linéarité
du signifiant et à la linéarité de la parole, composée avant tout d’unités ordonnées « par
composition », significatives « forcément ». Unité de phrase et de mot. Mais à quelles
unités selon Godel se référerait Saussure ?
Procédons dans l’ordre. Godel se réfère indubitablement aux unités qui génèrent
d’éventuels syntagmes. Et il l’écrit spécifiquement : « le caractère linéaire est donc
avant tout le principe de l'assemblage syntagmatique ».91
Les mots de Saussure d’abord, comme ceux de Godel, ensuite, confèrent au
caractère linéaire du signifiant, en suivant le principe aristotélicien « par composition »,
une nature syntactico-compositionnelle.
Certes, Godel parle de « mettre ensemble des syntagmes », d’assembler de
manière ordonnée des syntagmes qui sont des éléments de la langue, d’un système où
tout se tient. Godel toujours, comprend que ce processus d’assemblage est « κατὰ
συνθήκην » (vu que composer et assembler sont synonymes).
Quelle identité attribuer au terme « unité » ? Saussure lui-même92, fait du terme
« unité » un usage très large, pour se référer aux différentes entités : il l’utilise quand il

89
Robert Godel, Les sources manuscrites du Cours de linguistique générale de F. De Saussure, Droz,
Ginevra, 1966, p. 203.
90
Ibidem.
91
Godel 1966, Op. Cit., p. 204.
92
Saussure [1916] 1979, Op. Cit., p. 168.

41
parle des phonèmes (unités irréductibles, unités concrètes, unités élémentaires93), des
syllabes (unités non linguistiques94), des syntagmes95, et des groups associatifs. 96
Godel affirme que les éléments de la langue ne sont pas des phonèmes « dans le
sens actuel du terme » et répond : « mais la phonologie saussurienne n'a de commun que
le nom avec le science des systèmes phonologiques » .97
Quel est le sens actuel du terme phonème ? Évidemment, le sens auquel Godel
se réfère est « unité complexe et faisceau immatériel de traits distinctifs
phonologiques » (il pense surement aux Merkmales de Troubetzkoy):

Le phonème est donc conçu par Baudouin de Courtenay comme une représentation psychique
abstraite des sons linguistiques. C’est, effectivement, la conception de Trubeckoj. Et, de ce point de vue,
il est juste de dire qu’il y a une filiation Kruszewski-Baudouin-Trubeckoj dans laquelle Saussure occupe
une place relativement limitée.98

Le phonème n’est pas ici considéré comme un signalement 99 , c’est-à-dire


comme un « trait phonique matériel » pourvu d’un signalement phonématique.
Considérer le phonème comme un signalement confirme, selon nous, le principe de
linéarité sonore phono-acoustique : nous ne voulons pas dire que, pendant un acte de
parole, on perçoit une phonie de façon linéaire, comme si les unités qui la composent se
présentaient isolées à notre appareil réceptif (nous ne percevons pas les sons de façon
discrète dans une interaction verbale).
Il convient, selon nous, de considérer le phonème en tant que phénomène
psychophysique perceptible dans une structure sonore dont le signifiant linguistique
linéaire est sa représentation phénoménique. Il faut souligner l’importance du principe
saussurien du caractère linéaire du signifiant pour la compréhension du concept de
phonème de Bühler. En effet, pour les deux auteurs, les phonèmes d’un mot se trouvent
dans un rapport numérique précis, c’est-à-dire dans un ordre syntaxique précis.

93
Op. Cit., pp. 59-60, 63, 68-69.
94
Op. Cit., p. 117.
95
Op. Cit., p. 168.
96
Op. Cit., p. 209.
97
Godel 1966, Op. Cit., p. 160.
98
De Mauro in Saussure [1916] 1979, Op. Cit., n.111, p. 520.
99
Karl Bühler, [1934] 2009, Op. Cit., pp. 28-38, 94-97.

42
Un mot n’est pas considéré, dans sa matérialité phono-acoustique, comme un
ensemble aléatoire de sons, mais un composé de phonèmes ordonnés.
Le phonème de Bühler, contrairement à Troubetzkoy100 pour qui le phonème est
une entité immatérielle composée de marques phonétiques, est une unité matérielle,
identifiable dans la parole, qui laisse son emprunte phonématique sur le visage phonique
des mots.
La parole n’est pas composée « d’abstractions physiques » mais de phonèmes
ordonnés qui donnent vie non pas à des « bruits, des grognements », dirait Martinet101,
mais à une voix significative κατὰ συνθήκην. Et, justement comme dans la linguistique
aristotélicienne, ce processus n’est pas initial mais final.
Il est le résultat de processus phono-articulatoires qui n’implique que les signes
articulés apte à signifier quelque chose parce qu’ils sont le fruit d’un assemblage au sein
de ce processus naturel appelé φωνή σηµαντική (phoné sémantique : même un
hurlement de douleur est une voix significative mais non articulée).
En effet, Godel affirme,

D'emblée, on mettra à part les unités phoniques: [...] elles ne sont pas de signes. [...] Il en est tout
autrement des unités linguistiques, « ces unités qui sont les signes ».102

La perplexité de Godel sur l’identification matérielle de « ces unités » transparait


également dans ce passage :

Il peut paraître singulier que Saussure, en le signalant, ait négligé de l'expliquer par la
constitution même de l'image acoustique: si un signe complexe (signi-fer) existe non seulement par des
éléments significatifs, mais aussi par leur séquence, chacun de ceux-ci, à son tour, est déjà formé d'un
certain nombre d'unité irréductibles, alignées dans un ordre immuable. La séquence semble même avoir,
dans ce dernier cas, un rôle différenciatif plus marqué: on n'a pas de peine à trouver des paires de mots
qui ne sont différenciés que par l'ordre des sons: île, lie, poule, loupe; tour, trou, etc. Au contraire, une
opposition fondée sur une différence dans l'ordre des éléments significatifs n'est guère concevable, car on

100
Nicolas Troubetzkoy, « Rapport de M.N. Troubetzkoy », in Actes du deuxième congrès international
des linguistes (Genève 25-29 août 1931), Paris, Librairie d'Amérique et d'orient- Adrien Maisonneuve,
pp. 120-125.
101
André Martinet, A functional View of Language, Oxford, Clarendon Press (trad.it., La considerazione
funzionale del linguaggio, Bologna, il Mulino, 1984), 1965, pp. 45-46.
102
Godel 1966, Op. Cit., p. 208.

43
pourra toujours contester l'identité d'éléments qui occupent dans le mot des positions différentes: re -et -
re (dans re-prend-re, re-vend-re etc.) ne sauraient être identiques comme le sont les deux l de local.103

Les éléments de la langue ne sont pas, selon Godel, des phonèmes (unité
complexe et faisceau immatériel de traits distinctifs). Mais alors, quelle identité
attribue-t-il à ces unités ? Nous sommes clairement en présence d’un malentendu,
heureusement révélé par De Mauro :

Pour ce qui concerne la définition de phonème […]. Et, comme nous l’avons souligné, c’est à
partir d’elle que s’est développé ce que nous pourrions appeler, si le respect dû à ses participants ne nous
en empêchait, une comédie des équivoques.104

L’équivoque consiste en un emploi terminologique diffèrent de la part de


Saussure de la notion de phonème.105
Saussure appelait « phonème » l’entité phonétique et non l’unité irréductible.
Non pas « l’unité fonctionnelle, mais le son, entité purement phonétique ».106
C’est-à-dire l’entité phono-acoustique dont est composé un segment phonique
considéré en tant que matériel acoustique concret :
Ce malentendu conduisit Jakobson :

[…] À la conception du phonème (et plus généralement du signifiant) comme ensemble de


caractères phonico-acoustiques qui, dans le réalisations phonétiques, restent constants pour éviter toute
confusion avec d’autres éléments du système. Le phonème, et plus généralement l’entité signifiante, perd
alors le caractère de forme pure pour assumer le caractère « d’abstraction phonétique.107

Il est clair que Saussure, avec le terme « phonème », référait aux unités
repérables dans la chaîne parlée, dans la réalisation phonique d’un acte matériel
(concret) de parole. Il se rend compte de l’impossibilité d’opérer in abstracto, tant il est
vrai que durant ses cours il évitait de parler de phonèmes quand il voulait se référer aux
unités irréductibles du signifiant linguistique composé d’unités qui sont un « pur

103
Godel 1966, Op. Cit., p. 204.
104
De Mauro in Saussure [1916] 1979, Op. Cit., n.115, p. 436.
105
Ibidem.
106
Ibidem.
107
Ibidem.

44
schéma formel dénué de toute conformation phonique précise et, par conséquent,
impossible à abstraire des réalisations phonétiques ». 108
Au dire de Saussure, et c’est un avis que nous partageons, il s’agit d’unités
phonémiques (que l’on doit assembler de manière significative) formant une structure
organisée, une gestalt, une totalité in praesentia. Elles ne constituent pas, et là nous ne
sommes pas en accord avec Godel, des entités in absentia, comme le structuralisme
classique avait l’habitude de les classer.
Ainsi, nous convenons avec De Mauro109, que ces unités sont des phonèmes
(dans la parole) : des unités ordonnées, des éléments successifs assemblés κατὰ
συνθήκην, « par composition » et non « par convention », selon le principe de
l’assemblage syntagmatique, un principe syntactico-compositionnel.
Le fait que Saussure ne conçoive pas le phonème comme une entité purement
psychique est confirmé par ces mots : «le son articulé n'est pas régi seulement par les
lois acoustiques, mais ressortit à la psychologie, comme image psychique ».110
Et Saussure poursuit ainsi:

Une image acoustique est associée à un concept. Or l'image acoustique n'est pas le son matériel,
mais l'empreinte psychique de ce son [...], matérielle au sens de sensorielle, fournie par le sens, ma non de
physique.111

Pour Saussure, le phonème est une unité d’articulation mais pas uniquement
articulatoire : la somme des impressions acoustiques et des mouvements articulés ; unité
entendue plus qu’unité parlée. Les sons vocaux (« figures vocales »), comme il avait
l’habitude de définir ces figures, sont la réunion de deux éléments : le fait acoustique et
le fait articulatoire. C’est-à-dire une union de forme et de substance dont est composée
la chaîne phonique. Alors, de quelles unités parlons-nous ? L’unité concrète est l’une
des faces du phonème, la part perceptive, tout comme elle est une face du signe
linguistique :

108
Op. Cit., n.112.
109
Cf. supra, § 3.
110
Godel 1966, Op. Cit., p. 161.
111
Saussure in Godel 1966. Op. Cit., p. 161.

45
Aucun texte, d'ailleurs, n'autorise à croire ou à prétendre que la définition du signe ait jamais
impliqué, pour Saussure, l'indivisibilité du signifiant. Si la notion d'unité coïncide avec celle de signe,
quelle est alors la raison de cette double dénomination? 112

La raison réside dans le fait que :

L'unité concrète (et c'est le seul trait commun qu'on puisse lui trouver avec l'unité phonique) se
définira donc comme un élément délimitable: c'est le signe, en tant que son signifiant coïncide avec une
certaine « tranche auditive ».113

Même si, Godel continue ainsi son analyse :

La délimitation des unités, postulée par le caractère linéaire du discours, ne saurait toutefois se
confondre avec l'analyse de la chaîne phonique, qui à elle seule n'aboutit qu'à des unités non
linguistiques : syllabes et phonèmes.114

Pourquoi, donc, contester, l’identité linguistique des éléments qui occupent des
positions différentes dans le mot ? Simplement, et c’est nous qui avançons cette idée,
parce qu’on fait abstraction du signe linguistique. Parce qu’on a opéré dans un contexte
« idéal », psychique et exclusivement formel, avec des unités linguistiques qui pour
moitié sont forme mais qui pour l’autre moitié sont pure substance perceptive, tranche
auditive. On a placé le signe linguistique dans la réalité psychique des locuteurs mais
pas dans leur réalité psychophysique, physiologique.
L’étude des phonèmes n’est possible, pour Saussure, que dans la parole, où se
concrétise matériellement la chaîne acoustique: « de là les définitions de la phonologie:
étude du mécanisme de la parole [...], physiologie de la parole, analyse des sons de la
parole ».115
Pourquoi les préfixes (itératifs) re de [re]-prendre et [re]-vendre devraient-ils
avoir une consistance linguistique différente quand ils occupent une autre position?
D’un point de vue perceptif, ils sont égaux parce qu’ils font partie de visages phoniques
qui montrent un ensemble de saillances perceptives (des signalements), réunies par une

112
Godel 1966, Op. Cit., p. 210.
113
Op. Cit., p. 211.
114
Op. Cit., p. 212.
115
Op. Cit., p. 161.

46
signification commune et familière autant pour les Italiens (riprendere et rivendere:
dans ce cas re- est à considérer comme un allomorphe), que pour les Latins
(reprehendere et revendere). De la même façon, on peut considérer re- dans le mot
anglais [re]-take comme une physionomie acoustique porteuse du même sens et de la
même saillie que dans les autres exemples.
Le fait que Godel fasse abstraction du signe linguistique est confirmé par ces
mots :

On ne doit pas perdre de vue que, pour lui [Saussure], l'analyse phonologique n'atteint pas la
réalité linguistique. Il emporte peu que, dans a/p/o/d/e/i/k/t/o/s/, les unités de son soient distincte : elle le
sont aussi bien dans un segment découpé au hasard, /podei/ ou /ikto/ par exemple.116

Saussure parlait « d’abstraction », cependant, il ne se référait pas au signe


linguistique mais à la « langue » en tant que forme d’un point de vue psychique :

Que sont nos idées, psychologiquement, si on fait abstraction de la langue? Elles n'existent <qu'à
l'état> que sous une forme amorphe [...]. Prise en elle-même, la masse dégagée de la langue représente
une nébuleuse, où on ne saurait rien distinguer dès l'origine.117

Ce n’est pas un mystère que Saussure professait une conception immatérielle de


la langue ; mais le pas suivant confirme, contrairement à ce que l’on croit, le fait qu’il
considérait la substance phonique comme partie intégrante du langage, de la parole.
Et il attribuait au principe de la linéarité sonore une nature syntactico-
compositionnelle, parce qu’une phonie n’est pas une coacervatio d’unités mais une
chaîne ordonnée de phonèmes :

Prenons maintenant le mot privé de vie (sa substance phonique): forme-t-il encore un corps
organisé? A aucun titre, à aucun degré. De par le principe central que la relation du sens au sôme est
arbitraire, irrémissiblement, il arrive que ce qui était tout à l'heure απο-δειχ-τος n'est plus que une masse
amorphe a+p+o+d+e ( ).118

116
Op. Cit., p. 204.
117
Saussure in Godel 1966, Op. Cit., p. 213.
118
Ibidem.

47
Peut-être que des unités comme /podei/ ou /ikto/ sont produites par (ou
produisent) une voix significative « κατὰ συνθήκην » ? Ou, passeraient-elles plutôt, pour
l’oreille humaine pour des bruits ou des grognements ? Nos unités sont à considérer
« distinctives », parce qu’elles sont assemblées par « composition », par une voix
significative et articulée. Elles maintiennent un certain ordre, et il ne pourrait pas en être
autrement dans le mot : a/p/o/d/e/i/k/t/o/s :

Le discours est une voix significative dont quelques parties, même lorsqu’elles sont séparées du
reste, sont significatives aussi. […] Je dis, par exemple, que le mot « homme » signifie quelque chose
mais pas qu’il est ou qu’il n’est pas : il sera proposition affirmative ou négative si on ajoute autre chose.
Une seule syllabe du mot « homme », par contre, n’est pas significative ; même dans le mot µυς [mys]
« rat » l'υς [ys] ne signifie rien, mais il est dans ce cas seulement une voix [pas une voix significative].119

À notre avis, tous les mots, même le plus arbitraire en soi, sont donc motivés
puisque tous font partie d’un système de solidarité de signifiés et de signes en tant que
totalité dans la langue, dans les possibles syntagmes et dans la parole.
Et nous ne sommes pas même d’accord sur le fait que :

Saussure, n'a donc retenu, du caractère linéaire, qui l'aspect qui seul l'intéressait: l'aspect
grammatical. Dans un signe simple, quel qu'il soit (mot indécomposable, préfixe, désinence, etc.), l'ordre
des unités irréductibles n'est certes pas libre; mais il ne joue aucun rôle dans le mécanisme de la langue.
Ce mécanisme consiste en effet dans la possibilité de reproduire ou de créer des assemblages des unités
significatives- donc, en principe, des syntagmes.120

En outre, nous ne pensons pas du tout que :

[...] C'est seulement de façon accidentelle que l'analyse linguistique descendra jusqu'aux unités
de son, et là encore se vérifiera le caractère linéaire de la langue [...].121

119
DI, Op. Cit., 16b- 26-33.
« Il discorso è voce significativa di cui alcune parti, anche se separate dal resto, sono pure significative.
[...] Dico, ad esempio, che "uomo" significa qualcosa ma non che è o che non è: sarà proposizione
affermativa o negativa se qualche altra cosa viene aggiunta. Non è invece significativa una sola sillaba
della parola « uomo »; nemmeno nella parola µυς « topo » l'υς significa ma è in questo caso soltanto
voce ».
120
Godel 1966, Op. Cit., p. 204.
121
Op. Cit., p. 205.

48
Donc, ce processus de composition phonique adviendrait-il de manière
accidentelle ? La réponse ne pourrait être affirmative que dans le cas où nous
considérerions la langue comme une nomenclature, le signe dans une vision
conventionnelle et faisant partie de la seule réalité psychique des locuteurs, en omettant
le processus de la perception et le rôle du contexte du circuit de la communication. Par
conséquent, si et seulement si nous considérerions la langue comme une entité
construite sur le papier par deux locuteurs associant librement des signifiants à des
signifiés inclus dans une liste.
L’analyse phonologique n’adhère-t-elle à l’analyse linguistique que de manière
accidentelle ? Certes, mais seulement si on considère le phonème comme une unité
formelle et non substantielle.
Le phonème est une entité psychique et non psychophysique. Godel en est
convaincu :

Donc, le principe de linéarité, qui régit l’assemblage des unités, permet également, entre des
signes ou des séries de signes opposables, un jeu de différences à l'intérieur des signifiants. Dans ce cas,
et là seulement, l'ordre linéaire des « phonèmes » entre en considération pour l'analyse linguistique. La
phonologie moderne ne s'en tient plus au « phonème », unité déjà complexe, dans laquelle on ne doit voir
qu'un faisceau de « traits pertinents ».122

Ipso facto, la lecture des passages précédents nous conduit directement au nœud
de la question et de nos réflexions. Voici ce que Saussure entend par « signe » et par
« unité » et ce que pense le linguiste de la relation entre unité et signe :

Signe dénote l'entité linguistique en ses caractères sémiologiques généraux, en ce qu'elle a de


commun avec une lettre, un signal, un geste du code des sourds-muets, etc. ; unité connote les deux
caractères spécifiques du signifiant: linéarité de la substance sonore; indétermination préalable des
segments significatifs [...].123

Saussure, sans aucun doute, invoque justement la matérialité sonore phono-


acoustique qui implémente l’extérieur du mot comme principe syntactique-
compositionnel, comme trait spécifique du langage.

122
Ibidem.
123
Saussure in Godel 1966, Op. Cit., p. 214.

49
L’ordre phonique est donc strictement lié au caractère linéaire du signifiant. Ce
qui est absent du raisonnement de Saussure est la possibilité de prendre en considération
le signe comme médiateur entre le locuteur et le monde. Saussure n’a jamais pris en
charge l’hypothèse selon laquelle les segments significatifs des unités linguistiques
étaient à examiner comme des signalements de mots.
Les phonèmes, en tant que segments significatifs générés par la voix
significative, sont le résultat de la composition, c’est-à-dire d’un processus phono-
articulatoire qui n’est pas d’ordre purement conceptuel.
L’ordre linéaire n’est pas accidentel : il est recherché par le locuteur dans sa
volonté de reconstruire le visage phonique d’un mot qui lui est familier. C’est un ordre
voulu et composé, à la recherche d’une physionomie acoustique promue par la créativité
linguistique des locuteurs qui utilisent le langage afin de saisir le monde par les signes.
Nombreux sont ceux qui n’ont pas saisi le fait que « Saussure appelle phonème
[…] une entité matérielle et non pas formelle, cernable non pas sur le plan de la langue
mais dans la parole ».124
Il convient de nous focaliser à présent sur les mots « συνθήκην » et « articulus »
afin de saisir le point commun entre Aristote et Saussure. Quand parle-t-on de langage
articulé ?

[...] Voyons ce terme: articuler (D) <Est-ce> proférer d'une façon distincte? <C'est là un > sens
dérivé. Sens fondamental (S): le terme [...] peut s'entendre de deux façon [...]: 1°) Il dérive du mot
articulus "un membre, une partie (J), une subdivision dans une suite de choses", d'où subdivision dans les
syllabes (S); 2°) Il se peut qu'on fasse allusion à la chaîne significative, au démembrement de ses parties
[...]; division dans la chaîne significative [...].125

Ces lignes ne sous-entendent-elles pas par hasard que les mots sont des totalités
phoniques composées et articulées, puisqu’elles sont formées de parties et parce
qu’elles sont composées de parties, elles résultent d’un processus générateur de
composition phonique ?
La voix naturelle devient un « mot » seulement à la fin d’un processus de
composition phonique appelé κατὰ συνθήκην. La voix est naturelle et le langage est
« par composition », parce que le signe est obtenu par la composition d’unités
124
De Mauro in Saussure [1916] 1979, Op. Cit., n.111.
125
Saussure in Godel 1966, Op. Cit., p. 213.

50
ordonnées : les phonèmes. L’idée de la « convention » n’a pas sa place ici car il s’agit
d’un assemblage d’unités, de segments, qui ne s’appuie pas sur le libre choix du sujet
parlant. De la même façon, nous ne partageons pas l’idée que le signe linguistique n’ait
aucune attache naturelle dans la réalité.
Un signe sonore a, d’après nous, une correspondance précise avec des objets et
des faits126, qui fait appel, comme on le verra dans les pages suivantes, à la fonction
représentative du langage, considéré comme un instrument de représentation indirecte
capable de symboliser « les chose du monde ».
Comment peut-on affirmer que le rapport entre un signifiant tel que le latin
pater, qui provient de la racine indoeuropéenne *p(ә)t(é)r-, et des signifiants tels que le
français père, l’italien padre, le grec πáτερ, le sanscrit pitár(am), l’anglais father,
l’allemand Vater, est « par convention », si l’on considère qu’ils ont été forgés de façon
intentionnelle à partir de la même frappe linguistique ? Il s’agit là d’un signe
linguistique qui a guidé, au fil des siècles, des locuteurs de langues différentes vers la
connaissance, la représentation de la même « chose ». Même si sa physionomie
acoustique a changé, elle a maintenu certains segments distinctifs constants, qui ont
permis de préserver son identité génétique. Il faut être attentifs au fait que ce n’est pas le
mot qui a maintenu une certaine constance, au fil du temps, mais le locuteur qui l’a
recherchée et reconstruite. C’est une question de perception.127
Ces visages phoniques présentent des signalements communs. Et les traits dont
nous parlons sont les phonèmes, non disposés au hasard, mais qui jouent le rôle de
notae. Ces traits sémantiques en commun sont le résultat du principe de la linéarité de la
substance sonore qui, en diachronie, a annulé la liberté de ces signes linguistiques.
Ces séquences de phonèmes ordonnées, les mots, qu’il faut étudier comme des
visages phoniques, ne sont pas « conventionnelles » mais naturelles tout comme la voix
et les besoins linguistiques des sujets parlant et leur nécessité de composer
intentionnellement les sons articulés de la langue en partant de l’exigence de retrouver,
au fil du temps, une certaine régularité systématique dans la langue et dans son usage
concret.

126
Cf., infra, II, § 1.
127
Nous renvoyons au prochain paragraphe et surtout au deuxième chapitre pour le commentaire et
l’analyse des notions de « signalement », « nota », « physionomie acoustique », « frappe linguistique »,
« représentation » et « organon ». Ce sont des notions relatives à la linguistique bühlerienne.

51
Le signifiant suit sa téléologie linéaire, sa linéarité, dirait Saussure. Il n’est plus
opportun, à notre avis, de considérer les processus de dérivation d’une langue à l’autre
(ou tous les mots qu’un état de langue déterminé assimile à partir d’un autre)
uniquement comme un problème de linguistique historique, mais il convient de les
considérer surtout comme un problème de linguistique générale à aborder d’un point de
vue cognitif.
Trop souvent nous oublions que le signe linguistique n’existe pas en dehors
d’une communauté linguistique, de la réalité psychophysique du locuteur, et il n’a
aucune raison d'être si on ne l’associe pas à un appareil de production et de réception.
Le signe linguistique est motivé (nous verrons dans le prochain chapitre qu’on le
considère comme une application de « l’arbitraire limité »), parce que les locuteurs
motivent l’activation d’un processus de composition phonique nécessaire à la
reconnaissance et à la création des physionomies phoniques liées les unes aux autres,
par une nécessité du même ordre que le rapport entre un père et ses fils.
Aristote et Saussure étaient-ils vraiment complètement convaincus que le
langage est « par convention » ? Nous n’en sommes pas sûrs. Sûrement pas Saussure et,
selon nous, Aristote non plus.
Autrement, pourquoi Saussure nous exhorterait-il à rechercher les limitations de
l’arbitraire et à nous concentrer sur les lois qui règlent la combinaison des phonèmes, et
donc le psychisme de formation du langage ? Quel principe est à invoquer ? Quels
mécanismes ? Dans les pages suivantes, nous essayerons de fournir une réponse à ces
questions.

52
§ 4. La psychomécanique de la langue de Gustave Guillaume.

Dans l’introduction de ce travail, nous avons déjà approché substantiellement la


pensée de Gustave Guillaume, car nous sommes convaincu que la pensée linguistique
de cet auteur est étroitement liée non seulement au thème de la motivation du signe mais
aussi et surtout à la pensée de Bühler et au concept, que nous étudions ici, de
« physionomie acoustique des mots ».
Il est intéressant de partir de la définition de la discipline dont il a été le
promoteur : la psychomécanique (ou psychosystématique) du langage. Nous pensons
que cette définition est d’une portée théorique extraordinaire, si on la comprend bien :

La psychosystématique n’étudie pas les rapports de la langue et de la pensée, mais les


mécanismes définis et construits que possède la pensée pour opérer une saisie d’elle-même, mécanismes
dont la langue offre une reproduction fidèle.128

La psychomécanique du langage, donc, ne s’occupe pas des rapports entre la


langue et la pensée mais des mécanismes que cette dernière réalise afin de se saisir elle-
même et dont la langue offre une fidèle représentation.
Quels sont ces mécanismes ? Généralisation et particularisation. Guillaume, bien
loin du schéma saussurien rigide et catégorique, fondé sur une série des dichotomies
hypostatiques telles que langue/parole, signifiant/signifié, arbitraire/motivé, conçoit le
langage comme un flux continu et non comme un « tout » relatif à deux composantes
où a lieu l’équation suivante :

Langage = langue + parole

Un facteur dont la formule saussurienne ne tient pas compte, et dont en toute question
linguistique il y a lieu de tenir je compte le plus étroit, c’est le facteur temps. Le langage comme tout,
comme intégrale, enveloppe une successivité: celle du passage de la langue, présente dans le sujet parlant
en permanence (en dehors de toute momentanéité par conséquent) à la parole, présente en lui par
momentanéités seulement (par momentanéités plus ou moins espacées).129

128
Guillaume 1973, Op. Cit., p. 94.
129
Op. Cit., p. 68.

53
Le facteur « temps », qui chez Saussure était avec la masse parlante une des
deux forces qui agissent sur le signe linguistique, était considéré dans le Cours comme
le vecteur apte à en indiquer le changement « la mutabilité » et qui, dans une situation
de continuité historique, en annulait la liberté. 130
Le « temps » saussurien est un facteur externe à la langue tant il est vrai que
l’altération du signe dont on parle dans le passage en question du Cours, est un
mouvement qui advient hors de la conscience du locuteur.
Dans la théorie guillaumienne, le facteur temporel devient un moment
intrinsèque de « mutabilité », de transformation et de passage d’un état à l’autre. Une
entité qui de l’intérieur entame un flux continu de conscience :

Le sujet parlant trouve la langue en lui prête à servir, à disposition, et il s’en sert pour parler. Il
passe, il transite de la langue à la parole. Or, ici, la théorie exposée rencontre un obstacle. Le sujet parlant,
dans le moment de l’expression, passe bien, en effet, de la langue à la parole, c’est-à-dire de la langue à la
parole effective momentanée, celle qui s’entend, qui a une existence physique. Mais cette transition de la
langue à la parole n’est, en réalité, sans que Saussure en ait fait l’observation, que celle de la parole
virtuelle, indissolublement liée à la langue et faisant partie intégrante de celle-ci, est une parole non
physique, silencieuse, que le psychisme des unités de la langue apporte avec soi.131

Le langage intègre la successivité qui va de la langue au discours : du « mot-


idée », c’est-à-dire le mot « mental », non physique, au « mot-effectif », c’est-à-dire le
mot physique matérialisé, considéré comme le résultat d’un psychisme sous-jacent :

La successivité qu’intègre le langage est […], celle de la langue au discours, et, dans la langue
comme dans le discours, il y a liaison et congruence d’un fait de parole et d’un fait de pensée. […]. Dans
la langue – au niveau de la langue- la liaison psychisme-parole est une liaison idéelle, selon laquelle le
physique qu’est en soi la parole, ne sort pas du psychique. Au niveau de la langue, la parole, passée à
l’état non psychique, est un psychisme d’elle même.132

Guillaume, avec ces mots, d’une part, montre une attitude exclusive en ce qui
concerne le « système langue », ce que nous avons déjà abordé dans notre
130
« Dès lors la langue n’est pas libre, parce que le temps permettra aux forces sociales s’exerçant sur elle
de développer leurs effets, et on arrive au principe de continuité, qui annule la liberté. Mais la continuité
implique nécessairement l’altération, le déplacement plus ou moins considérable des rapports » [Saussure
[1916] 1979, Op. Cit., p.113].
131
Op. Cit., p. 70.
132
Guillaume 1973, Op. Cit., p. 71.

54
introduction133, d’autre part, il met en évidence une forte composante « psychologique »
à laquelle Saussure, entre autres à travers la thématique des rapports associatifs, était
très attentif, dans le cadre de l’étude des faits de langue.
C’est justement à ce « psychologisme » que nous nous accrochons avec
obstination pour tenter d’argumenter concrètement notre exposition en faveur de la
motivation du signe. Mais, à la différence de Guillaume, nous pénétrons ce terrain
dangereux qu’est la « parole ». Nous nous mettons du côté du locuteur, du récepteur et
pas exclusivement du système : du côté de l’acte concret individuel qui tire son
interprétation du point de vue cognitif. Dans notre cas, nous chercherons plus de
clarification en ayant recours aux principes de la psychologie de la gestalt et,
principalement, à la théorie du langage de Karl Bühler.
Le concept de physionomie acoustique des mots semble beaucoup s’approcher
de la définition que Guillaume donne de sa discipline ; sans trop révéler ce qui sera
l’objet du deuxième chapitre, voyons dans quelle mesure les deux auteurs entrent en
contact en ce qui concerne les catégories du « physique » et du « mental ».
Commençons en introduisant le concept de « physionomie acoustique », au
moyen duquel nous voulons affirmer que nous considérons une phonie, un message
sonore, comme une « totalité organisée » : une gestalt, une structure psychophysique.
Nous la percevons et la reconnaissons de manière holistique « du tout vers les
parties ». La physionomie acoustique est, d’une part, conçue comme une caractéristique
individuelle et variable des mots, d’autre part, elle représente une certaine constance du
signalement phonématique de leur physionomie phonique par rapport à leur variation
dans le temps :

Bühler utilise la notion de « physionomie acoustique des mots » de deux façons. La physionomie
acoustique d’un mot est, d’une part, conçue comme une caractéristique individuelle et variable. Étendant
au mot le principe de l’invariance phonologique, Bühler oppose ainsi la « constance du signalement
phonématique des images de mots » aux « variations de leur physionomie acoustique ». Mais, il l’intègre,

133
Cf., supra, « Introduction ». En effet, contrairement à la conception instrumentale du langage de
Bühler, la linguistique guillaumienne prévoit une vision statique des faits de langue, où le discours (la
parole) est conçu comme relation de l’homme avec l’homme, sans tenir compte du tout ni du contexte
extralinguistique, ni de relations sémantiques (la représentation) qui s’établissent entre le signe
linguistique et les locuteurs [Guillaume 1973, Op. Cit., p. 274].

55
d’autre part, dans le cadre général du paradigme gestaltiste, qu’il considère comme un modèle cognitif
distinct et concurrent de celui fourni par la phonologie […].134

[…] Les voix des hommes, des femmes, des enfants sont différentes et chaque mot sonne
différemment dans la bouche d’un homme et dans celle d’un enfant. Ceci va si loin que les voix de
quelques douzaines de personnes autour de moi comptent parmi les caractéristiques auxquelles j’identifie
les individus. C’est donc aux traits physiognomoniques dans l’image acoustique du mot que nous prêtons
attention et eux que nous utilisons dans l’échange verbal.135

Et, en termes conceptuels, ceci signifie que je les reconnais [les phénomènes langagiers] à un
complexe de caractéristiques […]. Ce n’est que lorsque la totalité sonore d’un mot se trouve disponible et
caractérisée de manière suffisamment univoque que peut se produire ce « jaillissement » de sa
signification déjà mentionné par les théoriques indiens du langage, qui le comparent poétiquement à
l’ouverture d’une fleure. Ils l’appellent sphota, « l’éclatement ».136

Le locuteur met en œuvre un processus, dans la reconnaissance (c’est-à-dire la


perception) physiognomique d’un mot ou d’un message sonore produit lors d’un
échange verbal, qui procède du général, « du tout », au particulier, « vers le parties ».
Cela arrive également quand, au beau milieu d’une interaction verbale, confronté
à une langue inconnue, malgré notre sentiment d’étrangeté à l’égard de sons
linguistiques et mots différents des nôtres, nous réussissons cependant à percevoir et à
comprendre dans ses généralités le discours de notre interlocuteur (grâce aussi à tous les
auxiliaires qui interviennent comme les gestes, la mimique du visage, le ton de la voix,
etc.).
Même dans ce cas, nous avons mis en œuvre un mécanisme mental au moyen
duquel nous avons réussi à intercepter toutes ces phonies dans lesquelles nous avons
reconnu des signalements qui nous sont familiers. Il apparaît clairement que le concept
de physionomie acoustique de Bühler épouse parfaitement les mécanismes guillaumiens
de la généralisation et de la particularisation : 137

134
Samain in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 649.
135
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 432.
136
Op. Cit., p. 429.
137
Gustave Guillaume, Principes de Linguistique théorique, Les Presses de l’Université Laval, Québec,
Klinksieck, Paris, 1973.

56
L’étude de la langue dans sa partie formelle, psychosystématique , ne nous introduit pas […] à la
connaissance de la pensée et de ses démarches, mais à une connaissance d’un autre ordre, qui est celle des
moyens que la pensée a inventés, au cours des âges, en vue d’opérer une saisie […] de ce qui se produit
en elle […] Les opérations de pensée auxquels fait appel la visée de puissance sont peu nombreuse, et
essentielles […] : La plus important de ces opérations essentielles et potentielles est celle se rapportant au
double mouvement de l’esprit en direction du singulier et de l’universel, c’est-à-dire, pour plus de
généralisation, en direction de l’étroit et du large.138

Guillaume conçoit le langage comme un flux continu forgé par l’esprit à travers
des mécanismes de « généralisation » et de « particularisation ». Et, nous utilisons donc
ces mécanismes pour reconnaître et pour reconstruire des messages sonores. Le point de
vue guillaumien nous semble en filiation directe avec la pensée de Karl Bühler (même
si les deux linguistes étaient contemporains, Guillaume était plus jeune de quatre ans).
Nous voulons proposer avec ce travail notre conception du langage et essayer de
démontrer que l’apprentissage et la reconnaissance du parlé advient de manière
gestaltique, en partant de la physionomie générale en allant jusqu’à l’identification
particulière, en cherchant à établir la silhouette phonique d’un mot, d’une phrase ou
d’un discours.139
On déduit, ipso facto, que pour ces deux auteurs le langage n’est pas autre chose
qu’un instrument de représentation indirecte : c’est cette vision du langage, que nous
partageons, qui nous permet de réfléchir sur la motivation du signe :

Un vaste sujet: le rapport signifiant/signifié. Ce rapport est de convenance. […]. La convenance


matérielle serait que le signifiant par lui-même – par sa matérialité- emportât un signifié. Pas besoin de
convention linguistique. Ce n’est pas dans cette direction que s’est opérée la construction des langues.
La convenance du signifiant au signifié ne repose pas sur la matérialité de celui-ci, mais sur des
conditions d’ajustement d’une toute autre nature.140

Pour mieux clarifier sa position :

138
Op. Cit., pp. 95-96.
139
« Il faut au demeurant souligner explicitement que ce ne sont pas tous les ensembles de sons qui font
partie des mots, mais seulement ceux qui présentent une frappe phonématique. En se soustrayant à la
limitation imposée au stock phonématique d’une langue, les cris et les constructions onomatopéiques
iconiques en son par conséquent exclus » [Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 445].
Ce passage est profondément lié à la conception aristotélique du langage qui est « κατὰ συνθήκην » (katà
synthêkên) c’est-à dire, selon nous, « par composition » et non pas « par convention » comme on a
commenté ailleurs [cf., supra, I, § 2].
140
Guillaume 1973, Op. Cit., p. 127.

57
Problème de la psycho- sémiologie : une idée ne peut pas inventer pour elle un signe convenant,
mais peut trouver pour elle dans la sémiologie existante, un signe qui puisse lui être transporté. Et qui,
n’ayant pas été fait expressément pour elle, ne lui est convenant que par perte de son ancienne
convenance. On chemine ainsi.141

Aucun besoin donc de conventions linguistiques. La convenance du signifiant au


signifié se base sur des conditions « d’adaptation » : il est nécessaire que le locuteur,
puisque cette adaptation se produit dans son esprit, trouve des signes dans la sémiologie
existante, signes que la pensée peut saisir mentalement avant d’en confier au langage
leur matérialisation (dans une situation de successivité entre langue et parole). C’est la
pensée qui saisit les signes, mais c’est le langage qui, à travers sa fonction de
représentation, saisit le monde (au sens de « umwelt », Bühler dirait : la scène partagée
entre deux locuteurs) par les signes.
Il faut que le locuteur s’adapte à la situation communicative dans laquelle il
opère, en utilisant le langage comme s’il était un outil apte à représenter indirectement
la sémiologie existante.
Si nous confions au langage cette fonction instrumentale, si nous partageons
cette situation de convenance entre signifiant et signifié, alors nous pouvons affirmer
qu’il assume la fonction de médiateur indirect entre deux locuteurs et qu’il est forgé ad
hoc, dans une situation d’adaptation linguistique, avec le seul but de représenter le
monde à travers le signes. Par conséquent le langage est un instrument qui permet à
quelqu’un de transmettre à quelqu’un d’autre une conception de la scène qu’ils
partagent : c’est-à-dire que le langage désigne un rapport de correspondance avec les
objets et l’état de choses.
« Le langage cueille le monde par les signes ». À propos de la motivation du
signe, ceci est le point de départ fondamental, et Bühler l’a bien compris. Nous
proposons de nouveau un passage très important de la Théorie du langage :

Locuteur et linguiste avouent l’un et l’autre que, si nous nous livrons « aujourd’hui » à une
comparaison du son et de la chose, nous ne voyons apparaître nulle « ressemblance » entre les deux, et
nous ne savons même pas, dans la plupart des cas, s’il y en a eu une un jour, ni si cette application [cette
coordination] à été originairement opérée en fonction d’une telle ressemblance.142

141
Ibidem.
142 Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 111.

58
Le rapport de ressemblance entre le son et la chose qu’il représente n’est pas
pertinent mais ce qui est important est le fait que les images acoustiques d’une langue
correspondent à des choses et au lexique d’une langue. Lexique d’une langue, considéré
scientifiquement qui assume la fonction de représenter indirectement mais
systématiquement les noms de la langue avec leurs relations de correspondance aux
choses :

En bref, de la décision du Cratyle nous pouvons garder ceci : les images phoniques d’une langue
sont appliquées aux choses, et, en établissant le lexique d’une langue qu’on a scientifiquement étudiée, on
remplit la première tâche qui résulte de la réponse apportée par le Cratyle, à savoir une présentation
systématique des noms de la langue (ainsi qu’on l’appelle), avec leur relation de coordination aux
choses.143

L’image acoustique d’un mot est construite comme un « signe objectuel » et en


fonction d’un « signe conceptuel » doté de sens dans la parole ; les signes linguistiques
ne représentent pas directement la chose qu’ils désignent mais ils guident le locuteur
dans sa prise de conscience :

Les phénomènes langagiers sont de part en part sémiotique. Déjà l’image acoustique d’un mot
est construite en tant que signe, et en vue du signe. Le mot Tische « tables », contient en tant que
phénomène sonore quatre caractéristiques élémentaires, par lesquelles nous le distinguons de structures
acoustiques proches. Ces traits, les phonèmes du mot, fonctionnent comme des notae, comme des
caractéristiques. Ce sont les signes distinctifs de l’image acoustique. Poursuivons : l’image acoustique
complète Tische fonctionne dans l’énoncé pourvu de sens comme signe d’objet.144

Les mots mansione(m), maison et magione ne représentent pas la « », ils


conduisent le locuteur à la connaissance directe du concept « maison », véhiculé par un
certain ordre phonique, d’une certaine composition non arbitraire des phonèmes.
Le rapport entre son et sens doit être compris comme la relation entre, d’une
part, les signes sonores (les mots : nous parlons de signes et de messages sonores parce
que la langue n’est pas quelque chose à étudier abstraitement mais dans son emploi

143
Ibidem.
144
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 115.

59
psychophysique : justement dans la parole) phonétiquement connotés et propres à la
structure sonore d’une langue (nous voulons dire que le locuteur fait référence à son
propre stock phonématique145), et d’autre part, leurs signifiés respectifs, vu que le
concept acoustique a la capacité de signaler phonétiquement le concept mental.
La relation n’est pas la suivante : (absolument arbitraire)

(son) (chose)

['Kasa] ___________________________________

Le rapport entre le son et la chose est indiscutablement arbitraire. On ne peut


absolument pas démontrer que le son en question ['kasa] retient en lui des propriétés de
la « chose » (le même discours concerne les onomatopées : essayez de démontrer
scientifiquement que, à titre d’exemple, ['kikkirikiii] est la représentation phénoménique
du cri du coq). Ce n’est pas tout. L’étude du rapport son/chose est infondée pour la
simple raison que nous parlons de deux phénomènes, deux manifestations du langage
qui doivent être situées au sein d’un contexte non seulement linguistique mais surtout
extralinguistique.
Il ne s’agit pas de deux produits abstraits mais du fruit d’un échange
communicationnel entre deux systèmes psychophysiques qui partagent une même scène
: nous avons un effectus et un efficiens (un stimulus et une réponse).
Les acteurs de l’échange communicationnel ne sont pas au nombre de deux
(son/chose) : les principaux représentants à considérer sont au nombre de trois : un
émetteur (le système psychophysique A), un récepteur (le système psychophysique B),
et la représentation (la coordination du signe aux objets et aux faits) de la scène
(contexte) que ces derniers partagent et dans laquelle est situé l’échange stimulus-
réponse.
Voici le rapport qui est crée 146 : dans le schéma proposé, conçu sur l’
Organonmodell, les deux systèmes psychophysiques A et B impliqués dans l’échange

145
Cf., supra, § 4.
146
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p.109.

60
communicationnel partagent la même représentation du concept « maison » représenté
par les deux phonies « mansio » et « maison ». Le décryptage (R) de la part des
systèmes psychophysiques A/B en réponse aux stimuli (S) « mansio » et « maison »
advient de manière holistique (Z)147 :

Organonmodell: (OM, I, § IV)148

Ce que nous tenons à souligner est que nous cherchons ici à modéliser
l’événement du parlé, dans sa manifestation concrète, dans les conditions de vie où il se
déroule normalement.

Les systèmes psychologiques des partenaires de parole produisent et traitent le flatus uocis d’une
manière toute différente de celle que présuppose l’ancienne formule simpliste. En tant que récepteurs, les
systèmes psychophysiques sont des sélecteurs […], en tant qu’émetteurs, ces systèmes psychophysiques
sont de stations de formatage. Tous les deux font partie de l’agencement propre à la communication par
signaux.149

147
Il va de soi qu’il s’agit d’un exemple peu académique, paradoxal à des fins purement descriptives :
nous essayons seulement de supposer comment se révèlerait la perception et l’assimilation d’une phonie
d’un état de langue à l’autre sans passer à travers toutes les étapes synchroniques que les deux mots ont
traversées au cours des siècles. Dans le deuxième chapitre, nous aborderons la question de la perception
d’un point de vue exclusivement pragmatique et non, comme ici, de manière « idéelle ».
148
Suit la traduction française des termes allemands du schéma de l’Organonmodell : Sender [émetteur] ;
Empfänger [récepteur] ; Ausdruck [expression] ; Appell [appel] ; Darstellung [représentation] ;
Gegenstände und Sachverhalte [objets et états de choses].
149
Ibidem.

61
En outre, en considérant la phonie latine mansio et la phonie française maison, la
disposition des phonèmes est-elle fortuite ? Nous croyons que l’on peut affirmer que
l’ordre des notae (les phonèmes compris comme des « signalements ») n’est pas le fruit
d’une action arbitraire de la langue, puisque une phonie n’est pas un ensemble aléatoire
de sons, mais qu’elle est composée d’une série de signes distinctifs. Ces phonèmes150
jouent le rôle d’éléments diacritiques qui opèrent comme les signes distinctifs
répertoriés sur les cartes d’identité.
Ils représentent les marques naturelles grâce auxquelles nous le reconnaissons
dans le flux sonore du discours et nous distinguons les mots :

J’ai étudié il y a peu cet autre langage de l’homme et des animaux qu’on appelle mimique ou
pantomime. […]. Ce que je veux dire et expliquer en me basant sur ces derniers est la chose suivant :
d’après ce que montrent des travaux plus anciens et plus récents […], il apparaît qu’au cours de l’échange
mimique émergent certains éléments fonctionnels, qui sont extrait du flux continu de ce qui se passe sur le
visage et dans les mouvements plus grossiers du corps de l’homme […]. Du point de vue psychologique,
c’est exactement la même chose qui se produit avec l’image acoustique du mot. Pendant l’enregistrement,
l’auditeur extrait de ce continuum phonique certains éléments fonctionnels afin d’opérer l’indispensable
diacrise. C’est cela et rien d’autre qu’on appelle des phonèmes.151

Ces deux sonorités ne constituent pas autre chose pour les deux interlocuteurs
impliqués dans l’échange communicationnel, que les deux visages phoniques qui leur
sont familiers justement parce qu’ils présentent des traits, des signalements
linguistiques communs.
Nous les reconnaissons et nous comprenons un mot étranger à notre état de
langue, par le mécanisme de la composition, qui s’exécute au moyen de ces mécanismes
de généralisation et de particularisation qui jouent le rôle de médiateurs silencieux entre
deux interlocuteurs, en nous permettant d’associer un visage phonique aux mots.
En paraphrasant la pensée de Guillaume, nous pouvons affirmer que les
opérations de pensée dont se servent la visée de puissance, créatrice de la langue, et la
150
Il nous semble opportun de gloser la conception du phonème de Bühler : « […] Phonème, qui désigne
une entité pourvue d’un signalement phonématique dans une langue donnée. Pour qu’une structure sonore
soit un mot d’une langue, il faut, dit Bühler, que ses traits phoniques (Lautmale) fassent partie du stock
phonématique (Phonemschatz) de cette langue. Un phonème est défini dans le cadre d’un métalangage,
phonétique (Phonetik) ou phonologie (Phonologie) » [Samain in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., 660].
Evidente la différence entre les phonèmes et les sons (Schall ou Klang) qui pour Bühler sont des réalités
physiques, empiriques [cf., Ibidem].
151
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 433.

62
visée d’effet, créatrice du discours152, sont essentielles et peu nombreuses : c’est-à-dire
les mêmes auxquelles la pensée doit sa puissance :

La plus importante de ces opérations essentielles et potentielles est celle se rapportant au doble
mouvement de l’esprit en direction du singulier et de l’universel, c’est-à-dire, pour plus de généralisation,
en direction de l’étroit et du large. L’expériences montre que ce double mouvement entre les limites que
sont le singulier étroit et l’universel large est à la base de tout ce que la langue a construit en elle […].
I. […] Que le langage totalise une visée de puissance, dont l’aboutissant est la langue et une visée
d’effet, dont l’aboutissant est le discours ;
II. que la visée de puissance fait appel pour construire la langue à des opérations de son ordre, des
opérations de puissance, c’est-à-dire, celles, tout à fait primordiales, auxquelles la pensée doit sa
puissance.
[…] Au premier rang des opérations de puissance auxquelles la langue doit sa structure, il faut
mettre la successivité alternante dans l’esprit humain du mouvement généralisateur le portant du côté de
l’universel, à l’opposé du singulier, et du mouvement particularisateur le portant du côté du singulier, à
l’opposé de l’universel : soit plus généralement […], du côté du plus large, à l’opposé du plus étroit, ou
bien du côté du plus étroit, à l’opposé du plus large.153

Nous terminons : pouvons-nous encore parler d’arbitraire radical ?

152
Nous rappelons que le terme « visée » dans la linguistique guillaumienne coïncide avec la disposition
naturelle de la part de la faculté du langage de créer de produit social qu’est la langue dont la parole ne
représente que la réalisation concrète.
153
Guillaume 1973, Op. Cit., p. 127.

63
§ 5. Les trois anti-arbitraristes : Zipf, Frei, Jespersen.

Nous passons maintenant à certaines réflexions significatives des trois auteurs


qui coïncident parfaitement avec notre position anti-arbitrariste.
La langue étant considérée comme un produit social à étudier dans ses
implications au sein d’une communauté linguistique, où elle se développe et se
transforme, il faut considérer également à plein titre les « représentants significatifs
d’une tendance orientée vers la limitation du paradigme de l’arbitraire » : Jespersen,
Frei et Zipf. 154
Commençons avec Jespersen. En nous servant des interprétations de Simone155,
nous voyons quelques points de sa théorie sur « l’énergétique du langage » qui méritent
une attention particulière. Voici le concept fondamental que nous souhaitons mettre en
évidence :

Ces particuliers traits du langage qui mieux correspondent à leur but tendent à se conserver aux
frais d'autres qui ne répondent pas également au but linguistique. 156

[...] Le noyau de sa pensée linguistiche est encore aujourd’hui une justification valide du
« déterminisme physique » et ce n’est pas un hasard si les orientations de recherche qui se réclament des
principes « iconiques » se réfèrent souvent à Jespersen. 157

Le concept susmentionné explique l’évolution du langage non pas comme un


effort de Sisyphe mais comme un mouvement vers le progrès ; les principaux acteurs de
ce cheminement sont les êtres humains qui utilisent les langues.

154
Simone 1992, Op. Cit., p. 48.
« Rappresentanti significativi di una tendenza orientata alla limitazione del paradigma dell'arbitrarietà ».
155
Dans ce paragraphe nous reprenons quelques réflexions importantes qui concernent le thème d’une
vision anti-arbitraire du langage, proposées par le professeur Raffaele Simone il y a plus de vingt ans
[Simone 1992, Op. Cit.]. Nous les partageons parce qu’elles se marient parfaitement avec la pensée
cognitive de Karl Bühler.
156
Otto Jespersen, Efficiency in Linguistic Change, Munskgaard, Kobenhavn, 1941, p. 383.
« […] Those particular traits of language, which are best adapted to their purpose, tend to be preserved at
the cost of others, which do not answer the linguistic purpose as well […] ».
157
Simone 1992, Op. Cit., p. 50,
« […] Il nucleo del suo pensiero linguistico è ancor oggi una valida giustificazione del Determinismo
Fisico, e non è un caso che a Jespersen si appellino spesso gli indirizzi di ricerca che si richiamano a
principi « iconici ».

64
Dans la vision de Jespersen, c’est le système langue, en tant qu’instrument, qui
dépend du locuteur, et non le contraire. Elle doit être étudiée en se mettant du côté de
ceux qui l’utilisent quotidiennement, avant de se mettre du côté de ceux qui l’étudient.
C’est un point en commun avec Bühler : la prédilection pour une linguistique de
la parole. Nous reviendrons sur le « déterminisme physique » dans quelques lignes.
Pour le moment, nous nous limitons à ce qui concorde avec les réflexions que
nous proposons ici : l’arbitraire, selon Jespersen, trouve ses limites dans les
comportements linguistiques des locuteurs. Voici quelques autres points clé lumineux
de sa pensée où cela émerge :
 Le concept selon lequel, lors de la transmission d’une
génération à l’autre, les langues sont sujettes à de substantielles
modifications afin d’augmenter la facilité d’emploi ou comme
conséquence d’une transmission perturbée158 ;
 L’idée que les langues évoluent essentiellement vers une plus
grande simplicité, bien qu’occasionnellement, ce processus
puisse être interrompu ou perturbé par des moments de plus
grande complication;
 L’idée que les locuteurs influencent la structure de la langue
qu’ils emploient, dans le sens qu’on attend y trouver des
régularités et des ressemblances entre une partie et une autre de
la langue.159

La « philosophie de la grammaire » de Jespersen trouve une continuité, sans


aucun doute, dans la pensée linguistique de Henry Frei et sa Grammaire des fautes.
D’après lui, et en suivant encore l’interprétation que nous en fournit Simone, les
nombreuses erreurs linguistiques produites par les êtres humains n’arrivent pas par
hasard, mais elles sont le fruit d’un ensemble circonscrit de besoins des locuteurs qui
modifient les langues pour qu’elles s’adaptent aux capacités des locuteurs. Toute faute
est un effort qui satisfait une fonction :

158
Otto Jespersen, Language. Its Nature, Development and Origin, Unwin and Allen, Londra, 1922, p.
161 et svtes, in Simone 1992, Op. Cit., p. 49.
159
(ID.), The Philosophy of Grammar, Unwin and Allen, Londra, 1924, in Simone 1992, Op. Cit., p. 50.

65
Dans un grand nombre de cas, l’erreur [...] sert à prévenir ou à réparer les déficits du langage
correct. De même qu'en biologie l'excitant crée la fonction, et la fonction l'organe, en linguistique le
déficit éveille le besoin (d'ailleurs toujours latent) et ce dernier déclenche le procédé qui doit le
satisfaire.160

Les erreurs ne sont pas fortuites mais assujetties à un système de règles qui les
rendent prédictibles. Comme l’affirme Simone, « elles se manifestent sur le fond de
régularités précises (la grammaire) et révèlent les points où la langue ne se conforme
pas aux attentes du locuteur161 » De quels besoins Frei parle-t-il ?
Le besoin d’assimilation, de différentiation, de brièveté, d’invariabilité et
d’expressivité :

L'arbitraire du signe, et la variabilité qu'il permet, étant admis en principe, il faut bien
reconnaître qu'en pratique cette mobilité est chose toute relative.162

Et le besoin d’assimilation, qui est strictement connecté aux thèmes bühleriens


de « perception gestaltique » et de « physionomie acoustique » en tant que mouvement
généralisant de la pensée (c’est-à-dire du « tout vers les parties ») :

Tend à assimiler les uns aux autres les signes par leurs formes et par leurs significations pour les
ordonner en un système [...]. La réduction des signes en une masse homogène a sa contre- partie dans le
besoin de différenciation ou de clarté. Le besoin d’économie exige que la parole soit rapide, qu'elle se
déroule et soit comprise dans le minimum de temps [...]. En outre, pour que les associations engagées
dans le jeu de la parole puissent fonctionner avec le moindre effort de mémoire, il faut que le signe ne
change pas ou change le moins possible de forme en passant d'une combinaison syntagmatique
respectivement d'une catégorie grammaticale, à l'autre (invariabilité).163

Dans le sens de notre exposé, le passage suivant est encore plus éclairant. Dans
cet extrait, Frei, en passant au dernier des besoins susnommés, l’expressivité, s’exprime
ainsi :

160
Henry Frei, La Grammaire des Fautes, Geuthner, Paris, 1929, pp. 19-22.
161
Simone 1992, Op. Cit., p. 51.
« Si manifestano sullo sfondo di precise regolarità (la grammaire) e rivelano i punti in cui la lingua non si
conforma alle attese del parlante ».
162
Frei 1929, Op. Cit., p. 137.
163
Op. Cit., p. 237.

66
Le besoin d'expressivité tend constamment à remplacer les oppositions usuelles, à mesure
qu'elles deviennent automatiques et arbitraires, par des oppositions neuves, chargées par leur imprévu de
mettre en éveil l'attention de l'interlocuteur et de faire jaillir chez lui un minimum au moins de
conscience.164

Henry Frei, indubitablement, tend vers la dynamic philology de Zipf avec lequel
il partage l’idée que les besoins des locuteurs sous-tendent des contraintes spécifiques à
la structure de la langue et que celle-ci va vers des modifications à cause des limitations
de ses locuteurs.
Pour Zipf, le langage est une forme de comportement. Il est sujet, comme tout
comportement, à des règles stables qui peuvent être décrites avec des instruments
statistiques qui ne souffrent d’exception.165
Une de ces règles est le « seuil de tolérance ». Simone nous explique de quoi il
s’agit :

Un phonème faiblit jusqu'à disparaître ou se renforce à mesure qu'il devient relativement plus
fréquent. S'il a une fréquence très élevée, et tend à apparaître dans tous les mots dans la même position,
invariablement il faiblit jusqu'à disparaître ; au contraire, s'il est au-dessous d'un certain seuil, il devient
166
plus stable et diachroniquement permanent.

Toute langue doit posséder une suffisante variété de voyelles, consonnes et d’autres unités
phonémiques différentes de façon distinguable, afin que leurs mêmes permutations, avec d’autres
ressources (comme l’accent, les tons, la syntaxe), puissent convenablement exprimer leur corps du
langage. 167

164
Op. Cit., p. 237.
165
George K. Zipf, The psycho-Biology of language, édition critique préparée par George Miller, MIT
Press, Cambridge, (Massachusetts), [1935] 1965, pp. 8-9.
166
Simone 1992, Op. Cit., p. 53.
« Un fonema indebolisce fino a scomparire, oppure si rafforza via via che diventa relativamente più
frequente. Se ha una frequenza troppo alta, e tende ad apparire in ogni parola nella stessa posizione,
invariabilmente s’indebolisce fino a scomparire; invece se è al di sotto di una certa soglia, diventa più
stabile e diacronicamente permanente ».
167
Zipf [1935] 1965, Op. Cit., p. 110.
« Every language must possess a sufficient variety of discernibly different vowels, consonants, and other
phonemic units, so that permutations of the same, together with other resources (such as accent, tones,
syntax), can adequately express its body of concepts ».

67
À part l’empreinte de la biologie évolutive qui plane sur ces mots, ils évoquent
le concept de stock phonématique de matrice cognitive de Bühler168 : en effet, pour tous
deux, il faut que la chaîne phonique soit opportunément caractérisée par des
« marques » (les phonèmes), pour que le locuteur soit en mesure d’en identifier le sens
et de « produire ou interpréter des structures phoniques significatives ». 169
La deuxième règle à laquelle il est possible de reconduire une interprétation anti-
arbitrariste est « l’articulation complexe des concepts » et Zipf l’énonce ainsi :

Même si rien n'empêche le fait d'avoir en anglais un mot unique dont la dénotation serait : « le
dixième fils de la deuxième femme de l'oncle d'une personne », il n’en reste pas moins qu'il n'existe
aucun mot qui puisse l'exprimer. La raison du manque d'un mot pour ce concept est sans aucun doute que
ce concept ne possède pas une fréquence relative suffisamment élevée d'occurrence.170

« Le dixième fils de la deuxième femme de l'oncle d'une personne ». Ce qui


précède ne peut pas être exprimé ave un seul mot qui en signifie le concept parce que,
dit Zipf, il n’a pas une fréquence relative d’occurrence assez élevée :

Un concept très articulé a un seul mot […] pour s’exprimer s’il possède une fréquence relative
d’occurrence suffisamment élevée. Les usagers de la langue tendent à « comprimer » des concepts
complexes, articulés sous un seul mot dans le but d’avoir plus facilement à leur disposition […] La
création ou l’élimination d’un mot dépend du niveau de convenance d’avoir à sa disposition, comprimé
en une forme pleinement manipulable, un faisceau de « genes of meanings ».171

Les locuteurs, donc, tendent toujours au moindre effort et à comprimer des


concepts complexes en un seul mot pour l’avoir plus facilement à disposition. Par
conséquent les limitations de l’arbitraire sont directement reliées à un ensemble de
168
Cf., supra, § 4.
169
Simone 1992, Op. Cit., p. 54.
« Produrre o interpretare strutture foniche significative ».
170
Zipf [1935] 1965, Op., Cit., p. 235.
« Though nothing prevents our having in English a single word whose denotation is "a person's uncle's
second wife's tenth child", the fact remains that no such word exists. The reason four our lack of a word
for this concept is clearly because the concept does not possess a sufficiently high relative frequency of
occurrence ».
171
Simone 1992, Op. Cit., p. 54.
« Un concetto altamente articolato ha una sola […] parola per esprimersi se possiede una frequenza
relativa di occorrenza sufficientemente alta. Gli utenti della lingua tendono a “comprimere” concetti
complessi articolati sotto una singola parola allo scopo di averla più facilmente a loro disposizione […]
La creazione o l’eliminazione di una parola dipende da quanto sia conveniente avere a propria
disposizione, compresso in una forma pienamente maneggevole, un certo fascio di genes of meanings ».

68
contraintes imposées par la nature physique des locuteurs comme la mémoire, le
moindre effort, l’économie de temps, l’attention, l’inertie, etc.172
En outre, « tout ce qui est iconique est plus naturel pour le locuteur que ce qui ne
l’est pas » : 173

Les systèmes linguistiques ne sont pas indifférents aux locuteurs, mais ils en retiennent
l'empreinte et ils sont conditionnés par leur présence physique aussi. Des fautes, des oublis, des procédés
de simplification, des rythmes d'apprentissage, la transmission des langues d'une génération à l’autre, la
transparence, la perception, etc., sont tous des facteurs qui influencent la structure des langues.174

Il y a un lien entre la structure de la langue et l’appareil physique de ses


utilisateurs :

« La structure du langage est partiellement déterminée de l'appareil physique de ses usagers


humains, c'est-à-dire par des facteurs tels que la perception, la structure musculaire, la mémoire, la facilité
de production et d’interprétation, la dépense de calories, etc. ».175

Les passages cités sont utiles à l’architecture de notre exposé pour deux raisons
au moins : d’abord, les manifestation du langage devraient être étudiées en se plaçant du
côté de l’émetteur et du récepteur, de ceux qui emploient la langue et l’apprennent ;
deuxièmement, et c’est l’aspect le plus intéressant qui réunit les trois auteurs que nous
abordons dans ce paragraphe, le fait que:

[...] Les locuteurs ont en commun un certain nombre d’attentes « naturelles » sur la structure et
sur le fonctionnement de la langue qu’ils utilisent (ou apprennent), et ils se comportent comme si ces
attentes étaient vraies. La première et la plus importante de celles-ci est qu’on s’attend à ce que les mots
soient « transparents», c’est-à-dire qu’ils mettent le locuteur en condition de déduire le sens de la forme et

172
Simone 1992, Op. Cit., p. 52.
173
Op. Cit., p. 58.
« Ciò che è iconico è più naturale per il parlante di ciò che non lo è »
174
Op. Cit., p. 59.
« I sistemi linguistici non sono indifferenti ai parlanti, ma ne trattengono l'impronta e sono condizionati
anche dalla loro presenza fisica. Errori, dimenticanze, processi di semplificazione, ritmi di
apprendimento, trasmissione delle lingue da una generazione all'altra, trasparenza, percezione, ecc., sono
tutti i fattori che influenzano la struttura delle lingue ».
175
Op. Cit., p. 48.
« La struttura del linguaggio è in parte determinata dall'apparato fisico dei suoi utenti umani, vale a dire
da fattori come percezione, struttura muscolare, memoria, facilità di produzione e di interpretazione,
consumo di energia, ecc. ».

69
vice versa […] Quand un locuteur se retrouve à apprendre une langue qui ne satisfait pas ses attentes
« naturelles », il a tendance à la modifier, soit en la simplifiant soit en supprimant ces aspects de la langue
qui lui procure des difficultés, ou en ayant recours à quelque autre stratégie […] Certaines attentes sont
innées, c’est-à-dire intrinsèques à l’usager linguistique en tant que récepteur d’information […] ; la
quantité d’énergie nécessaire à la production ou à la réception d’un message détermine en quelque sort la
modification du code lui-même : par exemple, un facteur souvent ignoré, comme la perception, doit être
pris en considération comme un moyen important pour expliquer certains aspects de la langue (comme
assimilation o re-motivation morphologique des mots). 176

Du point de vue de la linguistique cognitive, les besoins linguistiques, parmi


lesquels les besoins d’« expressivité » et de « transparence », se révèlent à travers des
mécanismes mentaux, opérés par la pensée (généralisation et particularisation),
fidèlement représentés par la langue et opportunément mis en œuvre dans la parole, qui
adviennent dans l’esprit du locuteur. 177
Avec le concept de « transparence » nous voulons mettre l’accent justement sur
ce qu’affirment et soutiennent Zipf, Jespersen et Frei : c’est-à-dire que les locuteurs,
plutôt que de composer ex novo un mot, trouvent bien plus simple d’en assimiler et d’en
calquer un déjà existant, « quelque chose qui se trouve dans la sémiologie existante ».
Tout comme un enfant qui, s’il est exposé de manière répétée à un stimulus sonore, en
calque peu à peu la physionomie acoustique jusqu’à l’assimiler et l’utiliser
correctement.

176
Simone 1992, Op. Cit., p. 58.
« […] I parlanti hanno in comune un certo numero di aspettative « naturali » sulla struttura e sul
funzionamento della lingua che essi usano (o apprendono), e si comportano come se queste aspettative
fossero vere. La prima e più importante di queste è che ci si aspetta che le parole siano « trasparenti »,
ovvero che mettano il parlante in condizioni di congetturare il significato dalla forma e viceversa […]
Quando un parlante si trova ad apprendere una lingua che non soddisfa le sue attese “naturali”, tende a
modificarla, sia semplificandola sia sopprimendo quegli aspetti della lingua che gli procurano difficoltà,
ovvero ricorrendo a qualche altra strategia […] Alcune aspettative sono innate, vale a dire intrinseche
all’utente linguistico in quanto elaboratore di informazione; […] la quantità di energia necessaria per la
produzione o ricezione di un messaggio determina in qualche modo la modificazione del codice stesso:
ad esempio, un fattore spesso ignorato, come la percezione, deve essere preso in considerazione come un
mezzo importante per spiegare alcuni aspetti della lingua (come assimilazione o rimotivazione
morfologica delle parole) ».
177
On ne peut pas ignorer la vision saussurienne selon laquelle le langage, considéré comme une faculté,
comme une disposition (naturelle) du locuteur à créer une langue, est l’union de la langue plus la parole.
Ces catégories seraient cependant liées, comme le veut la vision guillaumienne, par une certaine
successivité temporelle au sein de laquelle ces mécanismes opères par la pensée, sont mis en œuvre [cf.,
supra, § 4].

70
Les locuteurs ont tendance a favoriser l’uniformité et la régularité ; cette
inclination s’appuie sur le principal des besoins linguistiques : la recherche du
« naturel » de la part des locuteurs au cours du « moment social du langage ».
Les concepts-clé qui réunissent les réflexions de ces trois auteurs à la pensée
linguistico-cognitive de Bühler sont la langue comme « produit social » et la
« variabilité ».
En effet, tant Jespersen Frei et Zipf que Karl Bühler, font la promotion avant
tout de l’idée que l’activité du parlé (du « parlé concret », dirait le linguiste viennois) «
se trouve en liaison vitale avec le reste du comportement pourvu de sens d’un individu.
Elle se trouve parmi les actions, et elle est elle-même une action ». 178
En second lieu, il convient de prendre acte d’avoir considéré l’activité du parlé
comme une œuvre linguistique, variable mais en même temps individuelle, et
déterminable. Le concept de physionomie acoustique des mots semble se poser en
parfait complément de cette vision toute relative (et limitée) de l’arbitraire des langues.
L’arbitraire, trouve sa limite justement au moment où un certain degré de
variabilité et de mobilité, que Saussure aurait défini conceptuellement « mutabilité »,
investit le phénomène langagier : la langue, assujettie à la masse et au temps, est
confrontée inéluctablement à ce principe de continuité dont les protagonistes de ce
paragraphe se font les défendeurs, en déduisant que cette disposition naturelle à
l’ « ininterruptibilité de la langue » (au sens de De Mauro179) de la part des locuteurs est
le plus important des besoins linguistiques.
D’ailleurs, Saussure dit clairement dans le Cours que la langue, en oscillant entre
les deux pôles de la continuité et de l’altération exercées par le temps, en réalité n’est
pas du tout un système libre, comme l’arbitraire du signe pourrait le suggérer, et comme
on le retient d’habitude, parce que «le temps permettra aux forces sociales s’exerçant
sur elle de développer leurs effets, et on arrive au principe de continuité, qui annule la
liberté ». 180
Pour le dire avec Bühler, les mots d’une langue sont sujets au changement parce
que leur physionomie acoustique varie dans le temps et dans l’espace, et sont en même
temps immuables parce qu’ils continuent à montrer en diachronie une certaine

178
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 138.
179
Tullio De Mauro, Saussure in cammino, « CFS » LIX, 2007, pp. 41-54. « En français dans le texte ».
180
Saussure [1916] 1979, Op. Cit., p. 113.

71
constance de leur signal phonématique. Ce mécanisme cognitif est mis en œuvre
instinctivement par le locuteur, de manière non préméditée par le linguiste qui l’étudie a
posteriori.
Ce que Frei, comme nous l’avons vu, appelle des « fautes linguistiques »
produites par les êtres humains, représente un ensemble de besoins manifestés par les
locuteurs qui modifient la langue pour que ce soit elle qui s’adapte à leurs capacités.
Ces besoins sont tous rassemblés dans le paradigme cognitivo-gestaltiste avec
lequel Bühler nous offre une vision du langage en tant qu’organon, un instrument forgé
ad hoc à entière disposition du locuteur.
La recherche et la contrainte du locuteur à retrouver (assimiler et composer)
dans les mots une physionomie familière se manifestent à travers une théorie des formes
qui, en procédant par la reconnaissance physiognomique, du « tout vers les parties » (du
général au particulier), s’efforce de récréer et de rechercher dans les mots, ces traits à la
fois variables et constants qui en limitent la nature arbitraire. 181
Ces traits sont les phonèmes, les signalements des mots. Et c’est ce « jeu de
visages phoniques », ce flux dynamique qu’on nomme physionomie acoustique, qui
régule la perception, l’apprentissage et la formation du langage.

181
Sans rien anticiper de ce processus cognitif complexe que sous-entend la notion de « physionomie
acoustique » et qui considère un mot, un message sonore, comme plus qu’une simple structure à arbitraire
limité [cf., infra, II, § 5, p. 124], comme une gestalt in praesentia, nous nous limitons dans ce paragraphe
à rappeler simplement la centralité du locuteur qui utilise l’instrument langagier, comme un point
commun des réflexions des auteurs en question. Il s’agit d’un point de vue peu répandu, si l’on considère
que les études sur la langue par rapport à la parole ont joui d’une plus grande fortune (à cet égard nous
renvoyions à Albano Leoni 2009, Op. Cit., en particulier le chapitre I). On ne peut évidement pas
considérer un phénomène perceptif aussi complexe sans rechercher dans la fonction de représentation du
langage considéré comme instrument de représentation indirecte des faits de langue [cf., infra, II, § 1].

72
« L’affirmation des logiciens, que la symbolisation reposerait
sur une coordination arbitraire, n’est pas satisfaisante.
Car la caractéristique « arbitraire » est, comme « fortuit »,
une définition négative. On a déjà beaucoup gagné, me semble-t-il,
lorsqu’à la place de cette définition il est généralement connu
que tous les symboles ont besoin d’un champ
et que chaque champ a besoin des symboles
pour parvenir à une représentation utilisable ». [TL, 308]

Chapitre II

La prospective holistique de la Gestalt, la physionomie acoustique de la


parole et le concept de « champ » en linguistique.

§ 1. La fonctionne instrumentale du langage.


§ 2. La perception gestaltique des phénomènes linguistiques : la physionomie
acoustique de la parole.
§ 3. Le phonème comme nota au diakritisches Signalement : les traits phonématiques
des mots.
§ 4. La physionomie acoustique des mots entre la dimension symbolique et déictique.
§ 5. La physionomie des mots comme représentation à l’arbitraire limité.

73
§ 1. La fonction instrumentale du langage.

1ere Hypothèse: Nous considérons le langage comme un instrument de


représentation indirecte. Il n’a pas de relation directe avec les choses auxquelles il
réfère, mais il nous guide vers une connaissance directe des choses.

L’objectif de Saussure au chapitre 3, « objet de la linguistique182», du Cours est


l’identification exacte de la sphère qui correspond à la langue dans l’ensemble des faits
du langage. Dans ce but, il nous propose un circuit de la parole qui intègre les deux
locuteurs participant à l’échange communicationnel, et dans lequel est évoquée la seule
dimension psychique de l’acte individuel :

Pour trouver dans l’ensemble du langage la sphère qui correspond à la langue, il faut se placer
devant l’acte individuel qui permet de reconstituer le circuit de la parole. Cet acte suppose au moins deux
individus; c’est le minimum exigible pour que le circuit soit complet. […]. Le point de départ du circuit
est dans le cerveau de l’une, par exemple A, où les faits de conscience, que nous appellerons concepts, se
trouvent associés aux représentations des signes linguistiques ou images acoustiques servant à leur
expression.183

La limite de cet examen minutieux réside dans le fait qu’il élude complètement
du processus le concept de causalité, étant donné que dans un échange
communicationnel sont toujours pris en compte un stimulus (S) et une réponse (R), et
par voie de conséquence, dans le fait qu’il omet entièrement le point de vue du
récepteur et le rôle du contexte extralinguistique (ou la dimension psycho-physique),
ainsi que les relations sémantiquement définies par le signe linguistique (c’est-à-dire la
connexion causale d’événements relatifs au parlé qui s’instaure entre ceux qui
participent à l’interaction verbale).
La représentation saussurienne évoque un point d’émission (l’émetteur) mais pas
un point de réception et de décryptage du message reçu :

182
Saussure [1916] 1979, Op. Cit., p. 27.
183
Op. Cit., pp. 27-28.

74
Supposons qu’un concept donné déclenche dans le cerveau une image acoustique
correspondante : c’est un phénomène entièrement psychique, suivi à son tour d’un procès physiologique :
le cerveau transmet aux organes de la phonation une impulsion corrélative à l’image ; puis les ondes
sonores se propagent de la bouche de A à l’oreille de B : procès purement physique. Ensuite, le circuit se
prolonge en B dans un ordre inverse : de l’oreille au cerveau, transmission physiologique de l’image
acoustique ; dans le cerveau, association psychique de cette image avec le concept correspondant.184

La description de Saussure présente aussi, à notre avis, une autre lacune. Il nous
semble qu’il a mis en évidence de manière un peu trop marquée le caractère
intersubjectif de la forme linguistique et donc son autonomie par rapport au locuteur
individuel appartenant à une communauté linguistique. Il affirme que la langue :

Elle est la partie sociale du langage, extérieure à l’individu, qui à lui seul ne peut ni la créer ni la
modifier; elle n’existe qu’en vertu d’une sorte de contrat passé entre les membres de la communauté.185

Nous pensons, à la suite de Karl Bühler, que cette affirmation ne vaut que
jusqu’à un certain point :

Ceci ne va partout que dans certaines limites; ça ne va plus à ces degrés de liberté où les signes
sont l’objet d’une véritable “attribution de signification”; ça ne vaut pas lorsque des innovations sont
suggérées par des locuteurs linguistiquement créatifs et qu’elles sont adoptées par la communauté.186

Du circuit de la parole de Saussure résulterait donc une approximation trop


simpliste de l’événement concret de la communication parlée qui s’instaure entre deux
locuteurs. Le langage est présenté comme une disposition naturelle (à constituer une
langue), dont la langue (produit social) et la parole (résultat individuel) sont les
productions.
Il en résulte un modèle communicationnel abstrait, « muet », qui n’a aucune
correspondance avec la réalité dans laquelle on l’insère. Ce modèle laisse imaginer une
situation dans laquelle interagissent deux sujets qui parlent sans s’écouter, sans que l’un
des deux ne réagisse au stimulus qu’il reçoit et sans considération pour la représentation
que tous deux partagent de la situation dans laquelle l’échange verbal se produit :

184
Ibidem.
185
Op. Cit., p. 31.
186
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 146.

75
Le pont entre la langue et la parole devra être recherché pas tant dans un hypothétique niveau
intermédiaire […], mais plutôt dans la perspective de la langue comme produit de la coopération
communicationnelle entre les parlants/écoutants et dans le contexte de leur incessante réflexion
métalinguistique187.

[…] Les processus de la communication parlée, représentés, par exemple, dans le circuit de la
parole de Saussure, ont été étudiés principalement, parfois exclusivement, en observant l’émetteur ou en
observant le message, c’est-à-dire respectivement le message ou le texte. C’est comme si une partie non
négligeable de la linguistique manifestait une pensée ancrée dans un dire sans écoute.188

Notre exposé espère montrer qu’il est possible de dessiner un modèle


instrumental du langage, dans lequel ce dernier est considéré comme un instrument au
moyen duquel deux interlocuteurs communiquent entre eux sur les choses.
Le modèle dont nous nous servons, et que nous devons à Bühler, ne comporte
donc pas moins de trois éléments relationnels :

Je pense que Platon avait vu juste en affirmant dans le Cratyle que la langue est un organon, un
instrument, qui permet à quelqu’un de transmettre à quelqu’un d’autre quelque chose à propos des choses
[…]. Cette énumération: quelqu’un- à quelqu’un d’autre- à propos des choses ne nomme pas moins de
trois bases relationnelles […]. Le « quelqu’un » produit le phénomène acoustique, lequel agit comme un
stimulus sur le « quelqu’un d’autre », et qui est donc tout à la fois effectus et efficiens.189

Les deux locuteurs du modèle instrumental agissent comme deux stations


autonomes desquelles partent des stimuli et des réponses : dans l’institution de la
situation de communication parlée, ils détiennent chacun leur propre position, que ce
soit celle d’émetteur – en tant qu’exécuteur de l’action parlée, agent de l’activité parlée
–, ou que ce soit celle de récepteur – en tant qu’interpellé, destinataire de l’activité
parlée – :

187
Albano Leoni 2009, Op. Cit., p. 21.
« Il ponte tra la langue e la parole andrà cercato non tanto in un ipotetico livello intermedio […], ma
piuttosto nella prospettiva della langue come prodotto della cooperazione comunicativa tra
parlanti/ascoltatori e nella loro contestuale incessante riflessione metalinguistica ».
188
Corradi Fiumara in Albano Leoni 2009, Op. Cit., p. 24.
« […] I processi della comunicazione parlata, raffigurati, ad esempio, nel circuito della parole di
Saussure, sono stati studiati prevalentemente, a volte esclusivamente, osservando l’emittente o
osservando il messaggio, cioè rispettivamente il messaggio o il testo. È come se una parte non
trascurabile della linguistica manifestasse un pensiero prevalentemente ancorato a un dire senza
ascoltare ».
189
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 104.

76
Les systèmes psychologiques des partenaires de parole produisent et traitent le flatus uocis d’une
manière toute différente de celle que présuppose l’ancienne formule simpliste. En tant que récepteurs, les
systèmes psychophysiques sont des sélecteurs […], en tant qu’émetteurs, ces systèmes psychophysiques
sont de stations de formatage. Tous les deux font partie de l’agencement propre à la communication par
signaux.190

Expliquons à présent avec précision ce que nous avons déjà abordé dans le
chapitre précédent191, à propos de l’Organonmodell, en reprenant son schéma (OM, I, §
IV) et en déterminant les trois fonctions sémantiques du langage humain :

D’après le schéma, se dessine une situation de communication dans laquelle


agissent deux systèmes psychophysiques A et B auxquels correspondent, selon Bühler,
deux fonctions précises du langage humain : l’expression (ausdruck) et l’appel (appell).
En effet, l’émetteur A notifie le message pendant que le récepteur B, interpellé par le
stimulus le décrypte.
Le tertium comparationis du modèle instrumental est la représentation. Il nous
faut nous arrêter un instant sur cette fonction, car elle représente une véritable clé de
compréhension de notre analyse.
Ce troisième élément n’est pas inclus dans le circuit de la parole défini par
Saussure, pourtant non seulement de lui dépend la réussite de l’échange
communicationnel, mais on ne peut pas s’en passer car il est, à notre avis, l’élément de

190
Op. Cit., pp. 108-109.
191
Cf., supra, I, § 4.

77
base du processus de signification. Nous gardons présent à l’esprit la leçon de
Benveniste192, quand il affirme que la langue est le domaine du sens, et le sens, ajoute
Bühler, semble se déplacer constamment d’une dimension symbolique à une dimension
déictique.
Nous ne voulons pas que fassent partie de notre conception du langage, deux
personnes qui se parlent sans s’écouter, agissant dans une chambre obscure, sans tenir
compte des correspondances (relations sémantiques) qui s’instaurent entre les objets et
l’état des choses, d’une part, et les signes linguistiques, d’autre part (et cet ensemble de
connexions renvoie au concept de représentation), faisant disparaître ce que Benveniste
appelle le « consensus pragmatique » rendu possible par l’interaction entre l’émetteur et
le récepteur.
Revenons au concept de représentation. Dans la Sprachtheorie, Bühler utilise
cette notion pour désigner la « représentation symbolique »:

Le rôle central de la Darstellung dans la Sprachtheorie est indiqué d’emblée par le sous-titre du
livre: « la fonction représentationnelle ». Alors que la Vorstellung est d’ordre mental, la Darstellung
désigne la figuration par le langage. Elle est donc purement sémiotique et constitue, à ce titre, l’un des
pôles du modèle instrumental. […] Bühler affirme n’avoir trouvé dans aucune théorie du langage ce
terme qu’il emploie depuis quelques années, car, dit-il, la fonction ainsi décrite est la même que celle des
cartes de géographie ou des formules mathématiques ou chimiques, elle permet d’extraire de cette
figuration une information sur l’état de choses.193

Ainsi, par représentation symbolique (Darstellung) on entend la fonction purement


sémiotique du langage 194 qui permet d’extraire d’une image une information
correspondant à un état des choses.195

192
Chez Benveniste on discerne déjà la fonction instrumentale du langage compris comme organon.
Benveniste, un des plus importants tenants de la théorie de l’énonciation, la définit comme un phénomène
permettant à la langue de fonctionner à travers « un acte individuel d’utilisation » [cf., Emile Benveniste,
« L’appareil formel de l’énonciation », in Problèmes de linguistique générale II, Gallimard, Paris, 1966,
p. 97]. De même, quand il affirme que dans l’énonciation, nous considérons successivement l’acte en lui-
même, les situations dans lesquelles il se réalise et les instruments avec lesquels il s’accomplit [cf., Op.
Cit., pp. 98-99].
193
Samain in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 654.
194
Il est aussi utile de rapporter le concept de Vorstellung (représentation mentale, idée) avec lequel
Bühler désigne habituellement « un acte ou un objet de pensée, image mentale ou plus simplement idée.
[…] Vorstellung n’est donc pas stricto sensu un terme technique, mais peut, en contexte, désigner plus
spécifiquement la représentation mentale, distincte de la signification intentionnelle (Meinen) et surtout
sémiotique (Bedeutung). Elle véhicule alors une connotation visuelle ou du moins sensorielle. C’est aussi
le cas lorsque Bühler évoque la tendance à refouler une représentation ou une pensée dont l’expression

78
Une fois clarifié le concept de représentation, nous pouvons maintenant
procéder à une explication ponctuelle de l’Organonmodell repris dans le schéma, OM, I,
§ IV.
Nous allons expliquer la conception instrumentale du langage et sa fonction
représentative grâce à laquelle nous affirmons que le langage, étant conçu comme un
instrument de représentation indirect, il a, en reprenant Bühler, trois fonctions :
expression, appel et représentation.

[…] Le modèle instrumental du langage […]. Le cercle du milieu symbolise le phénomène


sonore concret. Trois facteurs variables y sont convoqués qui l’élèvent au rang de signe de trois façons
différentes. Les côtés du triangle superposé au cercle symbolisent ces trois moments. D’un certain point
de vue, le triangle inclut moins que le cercle (principe de la pertinence abstractive). Mais d’un autre côté,
il déborde du cercle, pour indiquer que ce qui est donné aux sens est toujours complété par l’aperception.

est taboue. Lorsque cette précision s’impose, Vorstellung est ici traduit par « représentation mentale »
[Op. Cit., pp. 654-655]. Nous ajoutons que le concept de Vorstellung reprend le concept français dans la
dichotomie saussurienne concept/image acoustique, signifié/signifiant.
195
Encore quelques mots sur le terme Abbildung (figuration) avec lequel on définit le concept français
d’image : « Dans la théorie des ensembles, Abbildung correspond au français image. (Dans une relation
d’application, les éléments de l’ensemble d’arrivée coordonnés aux éléments de l’ensemble de départ sont
appelés des Abbildungen, des images, de ces éléments). Lorsqu’il emploie ce terme, Bühler en sollicite
fréquemment, mais pas toujours, le sens technique, et il a donc semblé préférable de le rendre par
figuration, à la fois pour maintenir cette ambivalence, et pour le distinguer de Bild (l’ « image » dans
l’acception ordinaire du mot) » [Op., Cit., p. 636]. Ainsi, une fois acceptée une convention d’application
comme la langue, ses éléments de départ (le répertoire des phonèmes afférents à cette langue)
correspondent aux éléments d’arrivée présents par exemple dans le mot italien C+a+s+a. Cet ensemble
d’éléments forme une image bien précise correspondant à la représentation du concept de maison en
italien, soit « casa ». Il s’agit d’une relation à trois éléments (non pas à deux comme la relation
saussurienne signifié/signifiant) : par exemple 1) phonie [‘Kasa] (émetteur), 2) décryptage ['Kasa]
(récepteur), 3) représentation symbolique (concept partagé de casa + référence à l’objet casa). On
applique ainsi dans la convention d’application une certaine fidélité matérielle vu que s’instaure une
relation déterminée « forgée » entre le signe et l’objet. Le mot casa est muni de signes distinctifs
individuels C+A+S+A auxquels est lié intrinsèquement la valeur symbolique (l’attribution effective de
signification qui lui est assignée par la communauté linguistique) du mot casa. Un signe concret
C+A+S+A a été forgé en fonction d’un signe conceptuel casa. On applique aussi une certaine fidélité
relationnelle entre les éléments du signe C+A+S+A et les éléments du stock phonématique [cf., supra, I,
§ 4] inhérents à l’état de langue roman (vu que le mot casa a été forgé sur la racine indoeuropéenne *kat
et s’est perpétué dans le contexte roman en maintenant toujours et quoi qu’il arrive ces traits individuels
qui en permettent la reconnaissance aussi de la part de locuteurs d’autres langues). Naturellement, nous
nous référons au célèbre principe de l’empreinte phonématique de l’image acoustique duquel nous citons
ce passage pour illustrer ce qui a été exposé précédemment : « quand le linguiste dit le mot père […], il
entend par là, compte tenu de ce qui est susceptible de frapper ses sens, une classe de phénomènes. […].
En effet, quel que soit par exemple ce qui a pu arriver dans les langues indoeuropéennes au mot qui
s’écrit Vater chez nous, il est impossible que son empreinte phonématique ou sa valeur de symbole aient
jamais changé par à-coups et sans loi. C’est en fonction de cette identité génétique qu’est construite
l’unité Vater pour l’histoire de la langue, et que cette dernière a sa place dans le lexique de l’allemand,
pour le passé, le présent, et pour tous les dialectes ». Pour un traitement complet nous renvoyons à Bühler
[1934] 2009, Op. Cit., p. 149.

79
Les séries de parallèles symbolisent les fonctions sémantiques du signe langagier (complexe). Ce
dernier est symbole en vertu de sa coordination aux objets et aux états de choses, il est symptôme (indice,
Anzeichen, indicium) en vertu de sa dépendance par rapport à l’émetteur dont il exprime l’intériorité, et il
est signal en vertu de son appel à l’auditeur, dont il guide le comportement externe ou interne comme
d’autres signes [d’un système] de communication. […]. « Ce qu’effectue le langage humain est triple :
manifestation, déclenchement et représentation ». Je préfère aujourd’hui les termes d’expression, d’appel
et de représentation.196

La conception instrumentale du langage, comme elle est décrite et conçue par


Bühler, et que nous partageons, limite, pour ne pas dire annule complètement, la
conception arbitraire du signe linguistique. Pourquoi? Dans une perspective de ce type,
le rapport entre signifiant et signifié devient, à notre avis, nécessairement motivé. Nous
en fournissons une ultérieure explication à la lumière des nouvelles réflexions
précédemment proposée.
En résumé, nous affirmons que :
 Le rapport son/chose dans la plupart des cas (nous ne traitons pas
ici des cas de phonosymbolisme car ils ne ressortent pas de notre
conception du langage. Ce qui nous intéresse est en premier lieu le
locuteur ; s’occuper du système sans prendre en considération
celui qui en fait usage, les situations et les instruments avec
lesquels il en est fait usage, ne fera pas l’objet de nos intérêts et de
nos réflexions) n’est pas accessible pour pouvoir être étudier et
nous ne pouvons même pas établir que ce rapport ait jamais été
opéré à l’origine en fonction de telles ressemblances.197
 Le langage est un organon et en tant que tel, il est conçu pour que
les images phoniques d’une langue soient appliquées aux choses,
et le lexique d’une langue scientifiquement considéré, il assume le
devoir de représenter systématiquement les noms de la langue
avec leurs relations de correspondance aux « choses ».198
 L’image phonique d’une langue ne représente pas la chose en soi
mais guide le parlant vers la connaissance directe du concept que

196
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 109.
197
Cf., supra, I, § 1.
198
Op. Cit., p. 111.

80
représente cette chose déterminée à travers un certain (et non
arbitraire) ordre phonique.

[...] Que symbolisent alors les séries de parallèles du modèle instrumental [voir le schéma OM,
I, § IV et TL p. 109 :] ? Platon n’a essayé d’interpréter qu’une seule d’entre elles, la relation entre son et
chose, et, même si le dialogue ouvre d’une certaine façon la porte à un nouveau doute, il a accordé un
poids excessif dans le Cratyle à sa question disjonctive, νóµω (la loi) ou θέσει (l’arbitraire). Il y a donc à
cet endroit du schéma […], une application [une coordination] des signes sonores aux objets et aux états
de choses.199

La « coordination » à laquelle Bühler fait référence n’est pas autre chose que le
moment social (du langage) de la représentation : c’est-à-dire la même scène
qu’émetteur et récepteur partagent dans laquelle se matérialise la correspondance
effective entre un signe sonore et l’objet qu’il désigne. Le lien direct n’est pas entre le
signe sonore et l’objet, mais c’est le signe sonore qui conduit à la connaissance de
l’objet représenté, en vertu de sa correspondance avec la réalité, par l’intermédiaire
d’une représentation (symbolique) partagée que les deux interlocuteurs se font de lui.
Ainsi donc, le rapport entre le signe, les objets et les faits devient nécessairement
motivé.
Afin d’illustrer ce que nous soutenons, voici deux célèbres exemples,
respectivement liés à une conception arbitraire et à une conception nécessaire de la
langue, et dont la seconde semble parfaitement embrasser notre conception du langage.
À vous de juger :

Ainsi l’idée de « sœur » n’est liée par aucun rapport intérieur avec la suite de sons s---ö----r qui
lui sert de signifiant ; il pourrait être aussi bien représenté par n’importe quel autre : à preuve les
différences entre les langues et l’existence même de langues différentes : le signifié « bœuf »a pour
signifiant b--- ö---f d’un côté de la frontière, et o---k---s (Ochs) de l’autre.200

199
Ibidem. Nous ajoutons les italiques entre crochets.
200
Saussure [1916] 1979, Op. Cit., p. 100.
Il faut cependant rappeler que Saussure évitait soigneusement le terme conventionnel quand il devait se
référer à la notion d’arbitraire du signe linguistique. Arbitraire n’est pas synonyme de conventionnel dans
le Cours et Saussure se garda bien d’accoupler ces deux termes sous un unique dénominateur, en effet, il
évita ce terme systématiquement dans ses leçons à partir de 1894, en le remplaçant par le terme immotivé.
« On ne peut pas attribuer sic et simpliciter à Saussure une conception conventionnaliste : tout le C.L.G.
[…] est précisément un combat contre cette conception. Saussure en est venu à utiliser arbitraire parce
que l’adjectif exprimait bien l’inexistence de raisons naturelles, logiques, etc., dans la détermination des

81
[…] Mais il assure, aussitôt après, que la nature du signe est arbitraire parce qu’il n’a avec le
signifié « aucune attache naturelle dans la réalité ». Il est clair que le raisonnement est faussé par le
recours inconscient et subreptice à un troisième terme, qui n’était pas compris dans la définition initiale.
Ce troisième terme est la chose même, la réalité. Saussure a beau dire que l’idée de « sœur » n’est pas liée
au signifiant s---ö----r ; il n’en pense pas moins à la réalité de la notion. Quand il parle de la différence
entre b--- ö---f et o---k---s, il se réfère malgré lui au fait que ces deux termes s’appliquent à la même
réalité.201

Certes, par rapport à une même réalité, toutes les dénominations ont égale valeur ; qu’elles
existent est donc la preuve qu’aucune d’elles ne peut prétendre à l’absolu de la dénomination en soi. Cela
est vrai. Cela n’est même que trop vrai – et donc peu instructif. Le vrai problème est autrement profond. Il
consiste à retrouver la structure intime du phénomène dont on ne perçoit que l’apparence extérieure et à
décrire sa relation l’ensemble de manifestations dont il dépend.
Ainsi du signe linguistique. Une des composantes du signe, l’image acoustique, en constitue le
signifiant ; l’autre, le concept, en est le signifié. Entre le signifiant et le signifié, le lien n’est pas
arbitraire ; au contraire, il est nécessaire. Le concept (« signifié ») « bœuf » est forcément identique dans
ma conscience à l’ensemble phonique (« signifiant ») böf. Comment en serait-il autrement ? Ensemble les
deux ont été imprimés dans mon esprit ; ensemble ils s’évoquent en toute circonstance.202

articulations de la substance acoustique et sémantique. […] Il semble cependant plus probable que
Saussure, avec l’exemple de sœur et de bœuf, et avec le rappel de la conception conventionnaliste de
l’arbitraire, ait seulement voulu donner une idée, en première approximation, de l’arbitraire « radical » du
signe, de la même façon que, pour donner une idée de la dualité fondamentale du signe, il rappelait à ses
élèves la conception de la langue comme nomenclature » [De Mauro in Saussure [1916] 1979, Op. Cit., n.
137, p. 443.].
201
Emile Benveniste, « Nature du signe linguistique », AL, 1, 1939 (réédité in Emile Benveniste, 1966,
pp. 49-55), pp. 23-30.
202
Ibidem.
Et encore, pour conclure sur la pensée de Benveniste sur la nature du signe : « […] Poser la relation
comme arbitraire est pour le linguiste une manière de se défendre contre cette question et aussi contre la
solution que le sujet parlant y apporte instinctivement. Pour le sujet parlant, il y a entre la langue et la
réalité adéquation complète : le signe recouvre et commande la réalité ; mieux il est cette réalité (nomen
omen, tabous de parole, pouvoir magique du verbe, etc.). A vrai dire le point de vue du sujet et celui du
linguiste sont si différents à cet égard que l’affirmation du linguiste quant à l’arbitraire des désignations
ne réfute pas le sentiment contraire du sujet parlant ». [ibidem]

82
§ 2. La perception gestaltique des phénomènes linguistiques : la
physionomie acoustique de la parole.

2ème hypothèse : [Nous considérons le langage comme un instrument de


représentation indirecte. Il n’a pas une relation directe avec les choses auxquelles il se
réfère, mais il nous guide vers une connaissance directe des choses.] Nous considérons
une phonie, un message sonore, comme une gestalt in praesentia, c’est-à-dire comme
une « totalité phono-acoustique organisée (« matériellement », c’est-à-dire
« concrète ») ». Nous la percevons et la reconnaissons durant un échange
communicationnel de manière holistique, en partant du tout pour aller vers une analyse
des parties constituantes.

Dans notre activité quotidienne de locuteurs, émetteurs et récepteurs


d’interactions verbales, il nous arrive souvent de faire appel à une fonction
métalinguistique de la langue. Nous entendons par ces termes la capacité du locuteur à
réfléchir et à parler de la langue elle-même, et dans le cas qui nous intéresse, à porter
une attention plus grande sur l’échange verbal en train de se dérouler.
Comment et quand se réalise cette fonction métalinguistique? Quand, par
exemple, après avoir entendu un mot que nous n’avons jamais utilisé, afin d’en
mémoriser la chaine phonique, nous demandons à notre interlocuteur de nous l’épeler
ou de nous indiquer comment il se prononce.
Pas seulement. Au cours d’une conversation, nous avons l’habitude de
déstructurer les messages sonores que nous envoyons à nos interlocuteurs, pourtant,
bien que des pans entiers de mots, de phrases que nous produisons et recevons, soient
complétement détériorés (il suffit de penser à la chute de syllabes entières, de phonèmes
etc.), nous réussissons à saisir, à extrapoler le signifié général que nous entendons
produire au moyen de notre échange verbal. Et il ne pourrait pas en être autrement, à
moins de produire une situation, comme peut l’être une expérimentation en laboratoire
ou, à la limite, la radio ou télédiffusion d’un journal d’information (mais dans ce cas il
n’y a pas de véritable « échange » communicationnel), personne parmi nous ne
s’exprime, chez lui ou en prenant un café au bar, en détachant parfaitement les syllabes

83
et en parlant comme un parfait robot.
Ou encore, cette fonction se réalise quand nous nous trouvons confrontés à une
langue étrangère. Nous reconnaissons le signifié général d’une version latine même sans
avoir jamais parlé cette langue et donc sans pouvoir avoir recours à aucun élément
extralinguistique.
Nous utilisons le dictionnaire parce qu’il nous aide à comprendre et à
contextualiser tous ces éléments qui renvoient à des référents extralinguistiques
(étymologies, histoire des mots, déictiques, noms de lieu, de personnages, de guerres,
etc.) et qui rendent le texte fonctionnel et compréhensible. Si nous nous trouvons en
terre étrangère sans parler la langue du lieu, nous trouverons toujours et quoi qu’il arrive
une façon de nous faire comprendre. Bien sûr, cela advient à différents niveaux.
Si je me trouve en France, il me sera plus facile, en tant qu’italien, de
reconstruire le signifié général du message qui m’intéresse, parce que je reconstruirai la
physionomie acoustique des mots objet du message, et vu la proximité des langues
romanes, les mots auront pour moi des visages familiers et intériorisés.
Si je devais me retrouver à Moscou, que se passerait-il dans ce cas précis où je
ne pourrais pas faire appel aux traits phonématiques qui connotent les signes
linguistiques que je percevrais, parce qu’ils font partie d’un autre stock
phonématique ?203
Vu que je me trouve « hors champ », je devrais avoir recours à toutes les autres
variables extralinguistiques, afin de reconstruire le message (par exemple les gestes, le
contexte, le ton de la voix, les éléments déictiques, etc.).
Par ces exemples, nous avons voulu illustrer notre (2eme) hypothèse de départ :
nous percevons le sens d’un message sonore (ou écrit), nous reconnaissons une structure
phonique de manière holistique, en ramenant le tout à la partie du tout.
C’est avec ces mots que Bühler introduit fièrement le paradigme de la gestalt et
le concept de physionomie acoustique des mots :

En revanche, au cours de ses recherches sur la pensée et de sa discussion sur la gestalt, la


psychologie a repensé de fond en comble le problème du rapport entre matière et forme. Il s’agit de
rendre ce progrès fécond dans la théorie du langage.204

203
Cf. supra, I, § 4.
204
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 262.

84
Ce n’est pas la phonologie, mais la grammaire, ou disons la lexicologie, qui caractérise comme
mots ou comme composants de mots des fragments déterminés du flux sonore. Et ceci fait partie des
présuppositions de notre liste. C’est ensuite la psychologie moderne qui attire avec force l’attention sur le
fait qu’outre leurs traits phoniques (c’est-à-dire les phonèmes) ces structures [que sont les mots] sont
aussi caractérisées phoniquement par des gestalqualitäten205, des qualités de forme, déterminées […]. Ou
pour redire les choses autrement, chaque mot a donc une physionomie acoustique, qui n’est pas
entièrement conditionnée par l’expression, mais qui contribue également à indiquer sa valeur de symbole
et sa valence syntaxique.206

Il s’agit du simple fait qu’aucune être humain n’est pratiquement en mesure d’opérer la
distinction de milliers structures qui seraient […] uniquement caractérisées par des combinaisons de
notae, avec toute l’aisance, la vitesse et la fiabilité à laquelle parvient, avec les structures acoustiques des
mots, tout partenaire normalement entraîné d’une communauté de langage. Il s’agit là d’une affirmation
qu’à vrai dire je n’ai pas démontrée expérimentalement, mais que j’infère de l’analyse de la
reconnaissance dans la lecture et de bien d’autres données ; d’une fait qui, comme d’autres, exige d’être
reconnu et pris en considération, et qui suggère que la physionomie acoustique des images concourt très
largement à leur discrimination.207

Dans ces trois extraits, Bühler affirme donc que la perception et la


reconnaissance des unités de la langue (parlée) adviennent holistiquement, selon une
modalité gestaltique, physiognomique : celle-là même qui joue un rôle central dans
l’identification des visages, des paysages et des objets.
Les phonèmes, dont la fonction sera abordée dans le prochain paragraphe, jouent
le rôle de diacritiques, de traits permanents du signal phonématique (signalements) qui
permettent la reconnaissance d’une séquence phonique malgré ses variations dans le
temps et l’espace :

[…] On devrait accepter que je reconnais le fr. mis parce que j’observe que la voyelle différente
de celle du fr. mais et ceci est le présupposé pour assigner les deux objets à deux espaces phonologiques
différents et pour affirmer qu’il subsiste une relation d’opposition. Mais sur quelle base je m’appuie pour

205
Quelques précisions sur ce que signifie la notion de « gestalqualitäten » dans la linguistique
bühlerienne : « […] Or Bühler voit […] une alternative aux limites inhérentes à l’approche phonologique,
car les mots, dit-il, sont aussi caractérisés phonétiquement par des qualités de forme déterminées, et
« c’est un fait que la réunion de ces caractères globaux suffit déjà souvent à remplir les exigences
diacritiques […]. Auquel cas c’est essentiellement à leur physionomie acoustique, et nullement à leur seul
signalement [i.e. la somme de leurs traits distinctifs], que sont identifiées les images de mots ». [Samain
in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 652.]
206
Op. Cit., pp. 295-296.
207
Op. Cit., p. 428.

85
reconnaître, par exemple, fr. machine ? En s’en tenant aux traits phonologiques, on devrait accepter que je
reconnais ce mot parce que j’observe que le premier élément appartient à la classe /m/, que j’ai intériorisé
parce que mère et père ont des signifiés différents (vu qu’il n’existe pas d’autres mots français qui se
distinguent de machine par la consonne initiale), que le deuxième élément appartient à la classe /a/, parce
que par et pour ont des signifiés différents (vu qu’il n’existe pas d’autres mots français qui se distinguent
de machine par la voyelle en deuxième position), et ainsi de suite. Mais cette simulation, évidemment très
proche de l’absurde, est la seule possible tant que l’on pense que le système est d’espaces vides
préexistants qui se remplissent passivement de bouts de matière phonique.208

En réalité, ce mécanisme de reconnaissance ne se réalise aucunement, à notre


avis, dans la modalité des paires minimales que le paradigme de la phonologie
segmentale a maintenues au fil du temps. Et l’on se rend compte que de cette façon, on
s’éloigne aussi d’une perspective, dominante, de la langue sans deuxième articulation.
Mais à notre avis, la vérité est tout autre : je reconnais le fr. machine parce qu’en partant
de sa silhouette phonique (le tout ; et donc en procédant à partir du « général ») je
reconstruis les traits phonématiques d’un visage phonique qui m’est familier comme
celui de l’italien « macchina ».
Du tout « machine » vers la partie m+a+c+c+h+i+n+a, du général au particulier.
De la même façon, je reconnais le visage d’un ami, bien qu’il soit masqué par une
longue barbe et une épaisse chevelure, parce que je superpose l’image idéale que j’ai de
lui à celle qu’il me présente. Et je reconstruis son visage en recomposant ces traits qui,
quoi qu’il arrive au fil du temps, ne peuvent pas changer.
Le même discours est valable pour les mots. Il est tout aussi légitime de parler
de physionomie acoustique des mots que d’une physionomie des traits humains. Alors
que chez les êtres humains, ce qui nous rend un visage familier, ce sont précisément ses

208
Albano Leoni 2009, Op. Cit., pp. 159-160.
« […] Si dovrebbe assumere che io riconosco fr. mis « messo » perché osservo che la vocale è diversa da
quella di fr. mais « ma » e questo è il presupposto per assegnare i due oggetti a due spazi fonologici
diversi e per affermare il sussistere di una relazione di opposizione. Ma in base a cosa io riconosco, ad
esempio, franc. machine « macchina »? Stando alle fonologie, si dovrebbe assumere che io la riconosco
perché osservo che il primo elemento appartiene alla classe /m/, che io ho interiorizzato perché mère e
père hanno significati diversi (non esistendo altre parole francesi che si distinguano da machine per la
consonante iniziale), che il secondo elemento appartiene alla classe /a/, perché par e pour hanno
significati diversi (non esistendo altre parole francesi che si distinguano da machine per la vocale in
seconda posizione), e così via. Ma questa simulazione, evidentemente molto approssimata all’assurdo, è
l’unica possibile finché si pensa che il sistema sia fatto di spazi vuoti preesistenti che passivamente si
riempiono di pezzi di materia fonica ».

86
traits saillants, dans les mots, ce qui nous permet de distinguer une phonie d’une autre,
ce sont les phonèmes, c’est-à-dire les traits pertinents des mots (considérés dans leur
matérialité phono-acoustique), qui d’un point de vue psychologique ne représentent pas
un élément fonctionnel de la langue mais un moment indispensable à l’identification
gestaltique de la phonie (« diacrise », au sens de distinction).
Nous pouvons donc parler d’une pertinence abstractive (en termes de gestalt)209,
au lieu d’une pertinence distinctive (en termes de phonologie pragoise, et caractéristique
de la phonologie segmentale210 :

[…] Chacun d’entre nous reconnait les visages (même chose pour les paysages, les rues, les
habitations etc.) et est en mesure de les distinguer les uns des autres. Si nous nous demandons comment
cela advient, nous nous répondons que nous reconnaissons dans un visage la couleur des chevaux et des
yeux, la forme du nez ou des lèvres, la courbe du menton et des joues et ainsi de suite, et plus ou moins ce
sont les mêmes indices qui nous permettent de distinguer un visage d’un autre.
Apparemment nous avons appliqué un principe général partagé par de nombreuses forme de
connaissance humaine, qui est celui de la pertinence distinctive, pivot, entre autres, des théories des
phonologues et, plus généralement, de nombreux niveaux d’analyse linguistique.211

209
Une note sur les concepts d’abord de « abstraktive relevanz » puis de pertinence distinctive: « le
concept de pertinence abstractive, dans lequel Bühler voit une propriété intrinsèque de toute entité
sémiotique, est voisin du concept central de la phonologie, à laquelle il fait explicitement référence, mais
s’en écarte sur deux points importants. […] Deuxièmement, et sans doute plus fondamentalement, loin
d’être réellement « abstraits » ces « traits pertinents » sont toujours présentés par Bühler comme le fruit
d’une sélection objective, voire matérielle, sur « la totalité du matériau acoustique concret ». À égale
distance du « fourvoiement substantialiste » et d’une combinatoire abstraite, la démarche adoptée
témoigne donc d’un certain empirisme, d’abord soucieux de déterminer les conditions psychologiques
d’identification des signes » [Samain in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., pp. 647-648].
210
Albano Leoni clarifie le concept : « Bühler est […] très intéressé, mais peut-être seulement d’un point
de vue instrumental, par le principe troubetzkoyen du Merkmal, « trait distinctif phonologique », parce
qu’il y trouve un exemple et un moyen pour étendre son concept sémiologique général de Abstraktive
Relevanz ˗ on parlerait aujourd’hui de pertinence distinctive ˗ jusqu’au domaine des sons particuliers. De
plus, proclamer la nature immatérielle du Merkmal permettait d‘éviter le risque, qu’il craignait à juste
titre, des Stoffentgleisungen, les « fourvoiements substantialistes ». Toutefois pour Bühler, contrairement
à Troubetzkoy […], le phonème ne peut pas être ramené entièrement à sa pure forme immatérielle : la
métaphore de l’empreinte rappelle nécessairement la matière sur laquelle le mot s’imprime » [Albano
Leoni 2009, Op. Cit., pp. 93-94].
« Bühler è […] molto interessato, ma forse solo strumentalmente, al principio trubeckojano del Merkmal,
tratto distintivo fonologico, perché vi trova un esempio e un mezzo per estendere il suo concetto
semiologico generale di Abstraktive Relevanz, cioè, diremmo oggi, della pertinenza distintiva, fino
all’ambito dei singoli suoni. Inoltre, la conclamata natura immateriale del Merkmal consentiva di superare
il rischio, da lui giustamente paventato, delle Stoffentgleisungen, i « deragliamenti sostanzialisti ».
Tuttavia per Bühler, a differenza di Trubeckoj […], il fonema non è del tutto riconducibile a mera forma
immateriale: la metafora del conio richiama, infatti, necessariamente la materia su cui il conio imprime ».
211
Federico Albano Leoni, « Fisiognomica e Linguaggio », in Antonella Trotta, Filippo Fimiani, Marina
De Palo (dir.), Fisiognomica del senso : immagini, segni, discorsi, Napoli, Liguori, 2011a, p. 3.
« […] Ciascuno di noi riconosce volti (ma lo stesso sarebbe per paesaggi, strade, abitazioni ecc.) ed è in
grado di distinguerli l’uno dall’altro. Se ci chiediamo come ciò avvenga, ci rispondiamo che di un volto

87
[…] Si nous nous demandons ce qu’il advient quand la couleur des cheveux change, quand la
couleur des yeux est cachée par des lunettes de soleil, quand le dessin des lèvres est modifié par la
chirurgie, ou quand le visage grossit ou maigrit, vieillit, devient pâle ou bronze, ou quand, plus
simplement, le visage pleure ou rit et donc s’altère, ou quand deux ou plus de ces changements opèrent
simultanément, nous devons nous dire qu’il n’arrive pas grand-chose, parce que le visage reste
parfaitement reconnaissable et distinguable parmi tous les autres. Ainsi, nous reconnaissons un visage
même si ces traits, que nous avons considérés comme saillants et qui le sont objectivement, se modifient.
Déjà cette simple réflexion sur une banale expérience quotidienne pose un problème théorique qui
concerne la définition et la localisation de la pertinence distinctive. Parce qu’il est évident que si nous
identifions un objet ou le distinguons d’un autre, cela advient parce que d’une certaine façon nous avons
identifié des constantes et des différences, mais la perception, dans le cas des visages, est évidemment
holistique, gestaltique, et la constante ou la différence sont dans l’ensemble et non dans ses parties, et
donc la pertinence est diffuse et non ponctuelle.212

Pour autant, en nous référant à la parole, pouvons-nous parler d’une pertinence


diffuse ou ponctuelle? Ou pour être plus précis, distinctive ou « holistique »? Reprenons
le fil de notre discours, nous sommes confronté à la situation suivante :
 Quand nous parlons de traits communs ou différents, nous appliquons le
principe de la pertinence distinctive à la reconnaissance et à
l’identification d’un objet (par rapport à un autre).
 Quand nous parlons de traits saillants (physiognomiques) des mots, ou
des visages humains, pouvons-nous parler de distinctive ou holistique?

Reste naturellement le problème crucial de la pertinence et de là où elle réside. Il ne fait aucun

riconosciamo il colore dei capelli o degli occhi, la forma del naso o delle labbra, la curva del mento e
delle guance e così via, e più o meno gli stessi indizi ci consentono di distinguere un volto dall’altro.
Apparentemente abbiamo applicato un principio generale di molte forme di conoscenza umana, che è
quello della pertinenza distintiva, cardine, tra l’altro, delle fonologie e, più in generale, di molti livelli di
analisi linguistica ».
212
Ibidem.
« […] Se ci chiediamo cosa avvenga quando il colore dei capelli cambi, quello degli occhi sia velato dagli
occhiali da sole, la linea delle labbra sia modificata chirurgicamente, o quando il volto ingrassi o
dimagrisca, o invecchi, o impallidisca o si abbronzi, o quando, più semplicemente, pianga o rida e dunque
si alteri, o anche quando due o più di questi cambiamenti succedano insieme, dobbiamo dirci che non
accade un gran che, perché il volto rimane perfettamente riconoscibile e distinguibile da tutti gli altri.
Dunque, riconosciamo un volto, anche se si modificano quei tratti che abbiamo considerato salienti e che
magari lo sono oggettivamente. Già questa semplice riflessione su una banale esperienza quotidiana pone
un problema teorico che riguarda la definizione e la localizzazione della pertinenza distintiva. Perché è
ovvio che se identifichiamo un oggetto o lo distinguiamo da un altro ciò avviene perché in qualche modo
abbiamo identificato costanti e differenze, ma la percezione, nel caso dei volti, è evidentemente olistica,
gestaltica, e la costanza o la differenza sono nell’insieme e non nelle sue parti, e dunque la pertinenza è
diffusa e non puntuale ».

88
doute que la pertinence distinctive est la propriété qui nous permet de distinguer deux objets, et qu’elle
repose sur le principe saussurien selon lequel dans la langue il n’y a que des différences. Mais ceci dit,
Bühler pose implicitement la question de savoir si la pertinence phonologique doit être nécessairement
ponctuelle, c’est-à-dire localisée de façon irréversible dans une portion discrète, déterminée et fixe de
l’objet à reconnaître, qui dans notre cas serait un phonème donné, comme on le pense en général et
comme il semblerait d’après les exemples bühleriens du type Tasche/Tische.213

Il semblerait que l’on se trouve face à une aporie complexe et élaborée, vu que
parler de « caractères globaux », de reconnaissance holistique d’une silhouette phonique
échapperait complètement à une structure fondée sur une reconnaissance discrète des
phonèmes ou à une localisation ponctuelle de la pertinence phonologique.
Nous croyons que la vérité se trouve exactement à mi-chemin entre ces deux
points de vue. Et si pendant un court moment, nous tenons bien présent à l’esprit le
modèle de l’Organonmodell que nous avons présenté quelques pages plus tôt214, il est
possible de se rendre compte qu’il en va bien ainsi. En effet, dans le schéma proposé
(OM, I, § IV), « […] le triangle inclut moins que le cercle (principe de la pertinence
abstractive). Mais d’un autre côté, il déborde du cercle, pour indiquer que ce qui est
donné aux sens est toujours complété par l’aperception » 215, pourtant la perception,
dans le cas des mots, comme dans celui des visages humains, part de la reconnaissance
holistique et procède vers une identification (phonologique, dans le cas des mots)
ponctuelle des traits saillants (perception de phonèmes déterminés qui jouent le rôle de
traits constants d’un signal phonématique qui change dans le temps et l’espace) ;
justement comme les traits du visage restent reconnaissables même quand ce dernier a
subi des changements au cours du temps, sur un mouvement qui va exactement du
général au particulier, du tout vers la partie. Le concept de physionomie acoustique
prévoit une conception du langage dans laquelle il n’y a pas de place pour les
dichotomies bien définies, localisées en des points bien précis de l’esprit et du corps

213
Federico Albano Leoni, « Attualità di Bühler », Paradigmi. Rivista di critica filosofica, n. 3, 2011, p.
12.
« Resta naturalmente il problema cruciale della pertinenza e di dove questa risieda. Non c’è dubbio che la
pertinenza distintiva sia la proprietà che ci permette di distinguere tra due oggetti, e che riposa sullo
stesso principio saussuriano secondo il quale nella lingua ci sono solo differenze. Ma, detto questo,
Bühler pone implicitamente la domanda se la pertinenza fonologica debba essere necessariamente
puntuale, cioè localizzata in maniera irreversibile in una porzione discreta, determinata e fissa
dell’oggetto da riconoscere, che nel nostro caso sarebbe un fonema dato, come in genere si pensa e come
sembrerebbe anche dagli esempi bühleriani del tipo Tasche/Tische ».
214
Cf. supra, II, § 1.
215
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 109.

89
comme la paire signifiant / signifié ; mais au contraire le langage doit être conçu comme
un flux continu (qui devient sonore dans sa matérialité concrète) situé dans l’esprit,
subordonné à des mécanismes (généralisations et particularisations) réalisés par la
pensée, fidèlement représentés par la langue et qui trouvent leur réalisation dans la
parole.
Et ce mécanisme de reconnaissance gestaltique qui procède du général au
particulier, se réalise aussi quand, dans des conditions perturbées, la matière phonique
est détériorée et le signal difficilement reconnaissable (éloignement de l’émetteur,
conversation perturbée par le bruit environnant, communication téléphonique au cours
de laquelle il arrive souvent que le signal acoustique soit déstructuré) :

Le phénomène du mot qui résonne est un continuum, et il est susceptible de nuances continues
dans un nombre incalculable de dimension. […] La différence sexuelle entre les voix humaines : les voix
des hommes, des femmes, des enfants sont différentes et chaque mot sont différemment dans la bouche
d’un homme et dans celle d’un enfant. Ceci va si loin que les voix de quelques douzaines de personnes
autour de moi comptent parmi les caractéristiques auxquelles j’identifie les individus. C’est donc aux
traits physiognomoniques dans l’image acoustique du mot que nous prêtons attention et eux que nous
utilisons dans l’échange verbal. […] L’image acoustique est donc susceptible de modulations
pathognomoniques riches en informations.216

D’un point de vue psychologique, c’est exactement la même chose qui se produit avec l’image
acoustique du mot. Pendant l’enregistrement, l’auditeur extrait de ce continuum phonique [du général]
certains éléments fonctionnels [au particulier] afin d’opérer l’indispensable diacrise. C’est cela et rien
d’autre qu’on appelle des phonèmes.217

Encore quelques mots sur la reconnaissance de mots détériorés phoniquement :

Mais ce fait devient théoriquement productif parce que nous pouvons indiquer avec plus ou
moins d’exactitude quels sont les éléments et les constituants de l’empreinte phonique qui subissent tout
d’abord et principalement l’affaiblissement, l’effacement, et la distorsion dans les conditions
mentionnées. En termes acoustiques, ce sont les bruits, en termes phonétiques, ce sont les sons explosifs
qui sont altérés avant tout les autres. Lorsque l’éloignement du locuteur s’accroît, la limite de leur portée
est rapidement dépassée, le téléphone les affaiblit et le déforme. Dans les deux cas les sons vocaliques
résistent mieux, et avec eux, liés à eux, certaines caractéristiques globales bien déterminées (des

216
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 432.
217
Op. Cit., 433. Nous ajoutons les italiques entre crochets.

90
Gestalqualitäten, des qualités de forme), par exemple la mélodie, c’est-à-dire le contour intonatoire vocal
du flux sonore, puis l’empreinte rythmique (fort/faible, bref/long), et enfin les ondes d’acuité et de
saturation des voyelles.218

Dans ces trois extraits, nous pouvons discerner chez Bühler la volonté de
prouver le fait que soit absolument expérimentée la situation dans laquelle ces
caractéristiques globales, prises dans leur ensemble (dans une perspective holistique),
satisfont la condition de répondre aux exigences diacritiques réduites (c’est-à-dire les
difficultés à distinguer et percevoir les parties altérées du signal phonique). Pourtant,
c’est par leur physionomie acoustique que les images verbales peuvent être individuées
et pas uniquement grâce à la perception des caractéristiques phonématiques particulières
(c’est-à-dire par la perception des traits phoniques particuliers : les phonèmes) vu que :
« […] les exigences de la diacrise sont réduites lorsque l’image acoustique d’un mot est
empratiquement intégrée ». 219

218
Op. Cit., 430.
219
Op. Cit., p. 431.

91
§ 3. Le phonème comme nota au diakritisches Signalement : les traits
phonématiques des mots.

Il nous faut maintenant nous occuper des phonèmes et du rôle qu’ils jouent au
sein de ce mécanisme complexe qu’est la perception gestaltique d’une image
acoustique.
Nous avons déjà abordé le fait que Bühler prend ses distances avec une
conception abstraite du phonème (de ce fait le terme ‘abstrait’ doit être compris dans le
sens de ‘immatériel’) mais par laquelle, toutefois, il semble être très attiré, avec des
références aux travaux du Cercle Linguistique de Prague et plus particulièrement à
Troubetzkoy. La raison en est rapidement perçue.
Bühler, en partant du concept de Merkmal, c’est-à-dire du trait distinctif
phonologique (pour mieux gloser : faisceau immatériel de traits distinctifs
phonologiques), élabore le concept sémiologique de « pertinence abstractive » 220, en
assignant au phonème le statut d’une « entité matérielle », de trait pertinent, fruit d’une
sélection objective, à partir du matériel acoustique concret. Si Bühler parle de
physionomie acoustique des mots, de visage phonique, il le fait parce qu’il y est poussé
par une conception purement matérialiste, de celles que Saussure appelait les « figures
vocales » (les phonèmes : les entités repérables dans la parole ; la réunion d’un fait
articulatoire et d’un fait acoustique221) : le visage d’un mot se caractérise par des
marques matérielles qui en permettent la reconnaissance même quand celle-ci est
détériorée durant une communication perturbée.
Analysons ces deux points de vue différents en partant de la conception
immatérielle « pragoise » du phonème :

La phase structuraliste dans l’histoire du phonème s’ouvre, comme on le sait, avec les Thèses de
Prague de 1929 et elle trouvera sa canonisation d’abord dans les Grundzüge de Troubetzkoy, de 1939, et
successivement dans une heureuse évolution binariste dans les Fundamentals of Language […]. Les
Thèses de Prague représentent le tournant qui, en Europe, dominera pendant les décennies centrales du
XXe siècle, parallèlement à la diffusion progressive du Cours de Saussure, à la glossématique et au

220
Cf., supra, II, § 2.
221
Cf., supra, I, § 3.

92
fonctionnalisme. Les années qui vont de la présentation des Thèses à la publication des Grundzüge sont
traversées par un travail de réflexion complexe. On voit émerger les notions de structure […], qui
accompagne le « système saussurien », et celles d’ « opposition » et de « pertinence »; la composante
téléologique de la « fonction » émerge, et on assiste à l’éloignement progressif de la position
psychologique associationniste et par conséquent à la recherche d’une nouvelle définition du phonème, à
partir du moment où le concept de « représentation mentale » est refusé.222

Qu’il y ait une grande différence entre les intentions phoniques (phonèmes) et les sons prononcés
dans la réalité, est un fait reconnu depuis longtemps. Mais la plupart des linguistes ont simplement
négligé ce fait. Seulement un très petit nombre d’entre eux ont fait usage dans leurs travaux de la
séparation entre sons et phonèmes. Cette conception a été mise œuvre et élaborée systématiquement
seulement dans l’école de Baudoin de Courtenay. Mais cette école est restée jusqu’à il y a peu de temps,
c’est-à-dire jusqu’à la guerre mondiale, éloignée des principaux courants de la linguistique […] Les
linguistes de diverses orientations en arrivent de façon autonome à penser que rechercher les intentions
phoniques ou les concepts phoniques est peut-être plus important qu’étudier les processus physiologiques
articulatoires et les valeurs physiques acoustiques des sons. […] La phonologie s’occupe des phonèmes,
c’est-à-dire des intentions phoniques ou, plus généralement, des concepts phoniques, employés dans une
langue donnée pour distinguer des signifiés. Un son contient toujours tout un ensemble de marques
phonétiques et le phonéticien doit toutes les étudier. Mais pour distinguer des signifiés chaque langue
n’utilise pas toutes les marques du phonème en question mais seulement quelques-unes et les restantes
sont pour cette raison considérées comme négligeables. La phonologie s’intéresse di toutes celles qui ne
sont pas négligeables pour la distinction des signifiés. Elle étudie leur contenu et leurs relations
réciproques. La phonologie sait que ces concepts phoniques se transforment dans le parler en intentions
phoniques qui, à leur tour, se réalisent en sons objectivement perceptibles, et elle sait que ces sons
contiennent naturellement, en plus des marques valides phonologiquement, également beaucoup d’autres
phonologiquement négligeables, mais elle laisse au phonéticien le soin d’enquêter sur ces sons ou
réalisations phonétiques.223

222
Albano Leoni 2009, Op. Cit., pp. 89-90. Auquel nous renvoyons pour une reconstruction synthétique
mais ponctuelle de la phase structuraliste en Europe dans l’histoire du phonème [Op. Cit., pp. 90 et svtes].
« La fase strutturalista nella storia del fonema si apre, come è noto, con le Tesi di Praga del 1929 e troverà
la sua canonizzazione prima nei Grundzüge di Trubeckoj, del 1939, e successivamente in una fortunata
evoluzione binaristica nei Fundamentals of Language […]. Le Tesi di Praga rappresentano la svolta che
in Europa dominerà per i decenni centrali del Novecento, insieme con la progressiva diffusione del Cours
di Saussure, la glossematica e il funzionalismo. Gli anni che vanno dalla presentazione delle Tesi alla
pubblicazione dei Grundzüge sono attraversati da un lavoro di riflessione complesso. Emergono le
nozioni di « struttura » […], che si affianca al « sistema saussuriano », e quelle di « opposizione » e di
« pertinenza »; emerge la componente teleologica della « funzione », e si assiste al progressivo
allontanamento dall’impostazione psicologica associazionistica e alla conseguente ricerca di una nuova
definizione del fonema, dal momento che il concetto di « rappresentazione mentale » veniva rifiutato ».
223
Nikolay Troubetzkoy, « Rapport de M N. Troubetzkoy », in Actes du deuxième congrès international
des linguistes, (Genève 25-29 août 1931), Paris, Librairie d'Amérique et d'orient-Adrien Maisonneuve,
pp. 120-125, in Albano Leoni 2009, Op. Cit., pp. 95-96.

93
Pourtant, comme nous le déduisons de ces extraits, le devoir d’étudier les traits
phonologiques de chaque son particulier reviendrait au phonéticien, des traits qui ne
doivent pas, d’après nos lectures, être considérés comme des « processus
physiologiques articulatoires et physico-acoustiques, donc matériels »224 ; alors que le
phonologue s’occuperait seulement des traits « pertinents pour la distinction des
signifiés (mais tout aussi matériels) » .225
Cette situation d’incertitude, dans la définition de l’objet d’étude en question ˗
savoir si le phonème est une représentation psychique que l’on peut déduire par
abstraction des sons linguistiques, et par conséquent immatériel (ce sera par la suite la
conception définitive de Troubetzkoy) ou s’il doit être considéré comme un moment (et
non un elementum, dans le sens latin du terme) fonctionnel dans le langage constitué de
traits pertinents concrets ˗ portera à la situation suivante, bien décrite par Leoni, pour la
définition du phonème :

Si pour finir on observe l’aboutissement de cette décennie, c’est-à-dire Fondements […], on voit
que la question sur la nature du phonème y est presque totalement absente, les aspects psychologico-
représentationnels ont disparu et à leur place apparaissent la fonction distinctive avec la théorie et la
pratique des oppositions : « le signifiant de la langue compte un certain nombre d’éléments, dont
l’essence réside dans le fait qu’ils se distinguent les uns des autres » […] Nous appelons « phonèmes » les
unités phonologiques qui, du point de vue d’une langue donnée, ne peuvent pas être divisées en unités

« Che fra le intenzioni foniche (fonemi) e i suoni pronunciati nella realtà ci sia una grande differenza è
stato riconosciuto da tempo. Ma la maggior parte dei linguisti hanno semplicemente trascurato questo
fatto. Solo pochissimi hanno fatto uso nei loro lavori della separazione tra suoni e fonemi. Questa
concezione è stata messa in opera ed elaborata sistematicamente solo nella scuola di Baudoin de
Courtenay. Ma questa scuola è stata fino a poco tempo fa, cioè fino alla guerra mondiale, lontana dalle
principali correnti della linguistica […] I linguisti di diversi orientamenti stanno arrivando
autonomamente a ritenere che indagare le intenzioni foniche o i concetti fonici è forse più importante che
studiare i procedimenti fisiologici articolatori e i valori fisico acustici dei suoni. […] La fonologia si
occupa dei fonemi, cioè delle intenzioni foniche o, detto più in generale, dei concetti fonici, usati in una
data lingua per distinguere significati. Un suono contiene sempre tutto un complesso di marche fonetiche
e il fonetista deve indagarle tutte. Ma per distinguere significati ciascuna lingua non utilizza tutte le
marche del fonema in questione ma solo alcune perché le rimanenti sono per questo aspetto irrilevanti. La
fonologia si interessa di tutti quelli che non siano irrilevanti per la distinzione dei significati. Essa indaga
il loro contenuto e le loro relazioni reciproche. La fonologia sa che questi concetti fonici nel parlare si
trasformano in intenzioni foniche che a loro volta si realizzano in suoni oggettivamente percepibili, e sa
che questi suoni contengono naturalmente, oltre alle marche valide fonologicamente, anche molte altre
fonologicamente irrilevanti, ma lascia al fonetista l’indagine di questi suoni o realizzazioni fonetiche ».
224
Op. Cit., p. 97.
« Processi fisiologico articolatori e fisico acustici, dunque materiali ».
225
Ibidem.
« Pertinenti alla distinzione dei significati (ma pur sempre materiali) ».

94
phonologiques mineures suivantes. Le côté « signifiant » de chaque mot dans la langue peut se diviser en
phonèmes, il peut se représenter comme une série déterminée de phonèmes.
Ainsi, au cours de la décennie pragoise le phonème se transforme et entre les Thèses et les
Fondements on observe un estompement progressif de la dimension psychologique : à la fin, le phonème
n’est plus ni la représentation psychique d’un événement physique, ni une intention phonatoire, donc
individuelle, mais il est è un élément pas mieux défini dont on sait qu’il a une fonction distinctive et qu’il
se situe dans un réseau structuré de relations avec les autres unités, mais on ne sait pas ce qu’il est. […]
Le seul pont entre les deux faces du signe est constitué par la pratique des paires minimales.226

Le phonème ne concernerait donc ni à une réalité physique ni une réalité


psychologique, mais il serait à considérer uniquement comme une unité fonctionnelle,
purement descriptive, insérée au sein d’un jeu de relations et d’oppositions avec les
autres unités.
Prenons maintenant en considération une autre conception du phonème : celle
qui le voit comme un trait de la parole, représentant d’une forme de connaissance de
second degré (étant donné qu’il reste subordonné à l’unité significative plus grande
qu’est le mot que nous considérons comme une forme de connaissance de premier
degré).
Cherchons à expliquer le sens de notre propos. Nous pensons, de concert avec
Karl Bühler, que les phonèmes représentent des « marques matérielles » (repérables
dans le matériel acoustique concret) en mesure de caractériser un mot, d’en caractériser
le visage phonique, en en permettant la reconnaissance et la distinction par rapport à un
autre mot.
Pour comprendre cette vision des choses, qui est en quelque sorte accusée d’un
certain psychologisme, prenons un exemple vérifiable et à la portée de chacun.

226
Albano Leoni 2009, Op. Cit., pp. 100-101.
« Se infine si passa a osservare il punto di arrivo di questo decennio, cioè i Fondamenti […], si vede che
la questione sulla natura del fonema vi è quasi del tutto assente, gli aspetti psicologico-rappresentazionali
sono spariti e al loro posto compaiono la funzione distintiva insieme con la teoria e la pratica delle
opposizioni: “il significante della lingua consta di un certo numero di elementi, la cui essenza sta nel fatto
che si distinguono l’uno dall’altro […] Chiamiamo fonemi le unità fonologiche che, dal punto di vista di
una data lingua, non si possono dividere in unità fonologiche minori susseguentisi. Il lato significante di
ogni parola nella lingua si può dividere in fonemi, si può rappresentare come una determinata serie di
fonemi”. Dunque, nel corso del decennio praghese il fonema si trasforma e tra le Tesi e i Fondamenti si
osserva un progressivo sbiadirsi della dimensione psicologica: alla fine il fonema non è più né la
rappresentazione psichica di un evento fisico, né una intenzione fonatoria, dunque individuale, ma è un
non meglio definito elemento del quale si sa che svolge una funzione distintiva e che si colloca in una rete
strutturata di relazioni con le altre unità, ma non si sa cosa sia. […] Si conferma che l’unico ponte fra le
due facce del segno è costituito dalla pratica delle coppie minime ».

95
Comment se comporte le correcteur orthographique automatique du programme
Word d’Office quand nous tapons un mot de manière incorrecte (même un mot étranger
à notre état de langue) qu’il ne réussit pas à identifier ? Et pour la précision,
qu’entendons-nous techniquement parlant par l’expression que nous venons d’utiliser
« il ne réussit pas à identifier »?
Si on tape la suite suivante de lettres [« saetit la sucesione suevamt » : « saisit la
succession suivante »] dans quelle mesure le logiciel opère-t-il ? En cliquant avec la
touche droite de la souris, le logiciel, pour chaque mot à la frappe erronée, va fournir
une séquence phonique plausible et correcte : c’est-à-dire qu’il va reconstruire, en
composant de façon ordonnée la suite de phonèmes qui marquent les « chaînes » en
question, un certain nombre de visages phoniques parmi lesquels nous serons en mesure
d’identifier le mot correct.
Et c’est exactement ce qui advient quand nous ne comprenons pas un mot qui a
été prononcé rapidement, de façon incorrecte, et nous en le percevant nous le corrigeons
inconsciemment (nous en reconstruisons les traits phonématiques) sur la base de
l’image de ce mot que nous avons en tête (naturellement nous comprenons exactement
ce qui est dit grâce aussi au contexte extralinguistique qui, dans le cas de Word, devient
« cotexte »).
Pourtant, le correcteur orthographique automatique ne fait pas autre chose que
modeler la physionomie acoustique d’une séquence jusqu’à lui rendre un visage
phonique qui lui (et donc nous) est plus familier.
Et c’est exactement en ces termes que Bühler utilise la notion de phonème, en
voyant en lui un trait phonématique (signalement dans la théorie bühlerienne), trait
pertinent matériel, indispensable à la « diacrise » (à l’identification) d’un mot donné :

Bühler désigne par Schall et (de manière tendancielle) Klang le son envisagé comme réalité
physique, et il emploie Laut de manière non spécifique, quoique préférentiellement pour faire référence
au phénomène langagier. Ces termes ont pour point commun de nommer des réalités empiriques et, à ce
titre, ils ne commutent jamais avec Phonem, qui désigne une entité pourvue d’un « signalement
phonématique », dans une langue […]. Pour qu’une structure sonore soit un mot d’une langue, il faut, dit
Bühler […], que ses « traits phoniques » (Lautmale) fassent partie du « stock phonématique »
(Phonemschatz) de cette langue. Un phonème est défini dans le cadre d’un métalangage, phonétique
(Phonetik) ou phonologie (Phonologie). C’est pourquoi l’opposition établie entre Laut et Phonem n’est
pas équivalente à celle usuellement établie entre phonétique et phonologie, car elle marque simultanément

96
l’écart entre le matériau empirique et les objets du métalangage. Du point de vue terminologique, seul
Schall et Phonem (et ses dérivés) ont une acception univoque dans la Sprachtheorie, alors que les emplois
des autres termes se superposent partiellement.227

Le phonème est donc un signalement du mot, ou une marque matérielle qui


permet de reconnaître des images phoniques (mots), quand leur visage phonique
change.228

Supposons qu’il me faille distinguer et reconnaître autant d’hommes qu’il y a d’images


phoniques dans ma langue ; ceci peut se faire dans certaines limites sans équipements particuliers ni
moyens sophistiqués : je reconnais des certaines de mes proches à leur visage ou à leur stature, à des
mouvements particuliers, ou encore à leur voix. Et, en ces termes conceptuels, ceci signifie que je les
reconnais à un complexe de caractéristique dont je n’ai pas à me préoccuper particulièrement dans la
mesure où c’est quasiment d’elles-mêmes qu’elles se manifestent à moi dans la communication et que je
les retiens. Elles apparaissent en tout cas fréquemment sans qu’un découpage en éléments séparés puisse
être mis en évidence.
Ce n’est qu’au-delà du cercle des proches qu’on distingue facilement qu’il devient nécessaire
d’avoir recours à des signes caractéristiques particuliers, signes qu’on regroupe à l’occasion en
« signalement » et qu’on emploie lorsque les conditions de reconnaissance deviennent plus difficiles
[…]229

On part de l’identification globale (du mécanisme mental généralisant) de la


silhouette phonique, de l’individuation de ses caractéristiques d’ensemble pour arriver à
la perception de signes distinctifs (au mécanisme mental de la particularisation) qui,
petit à petit, à chaque fois, deviennent des signaux à utiliser dans ces situations où
l’individuation devient difficile (il s’agit d’un mouvement simultané de la pensée qui se
produit naturellement et inconsciemment) :

Les images du mot d’une langue possèdent les deux [types de caractéristiques] : une
physionomie (acoustique) comparable à un visage (optique), à la stature ou la démarche d’un être humain,
et un signalement […] Simplement, ce signalement n’est pas appliqué [aux images de mots] après coup et
de l’extérieur, mais leur est intégré d’emblée lorsqu’ils naissent dans l’appareil vocal humain. […] C’est

227
Samain in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 660.
228
Cf., Karl Bühler, « Phonetik und Phonologie », in Travaux du Cercle Linguistique de Prague, 4, pp.
22-53.
229
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 420.

97
le cas des produits de l’appareil vocal humain : ils sont exclusivement établis et produits pour fonctionner
comme signes.230

Ces signes distinctifs, les phonèmes, comme nous l’avons dit plusieurs fois,
jouent le rôle de marqueurs, de notae, en constituant les marques sonores de l’image
acoustique du mot. Et c’est grâce à leur travail que nous réussissons à identifier des
milliers de mots différents, en les distinguant les uns des autres. Il s’agit de phonies,
composées d’un certain nombre de phonèmes, disposés de façon non arbitraire, dont le
signifié est relayé par un certain ordre phonique.
Nous, nous distinguons, identifions, percevons ce mot justement comme le
correcteur orthographique automatique de nos programmes d’écriture, seulement parce
que nous sommes en mesure d’extraire de sa physionomie acoustique des moments
fonctionnels déterminés, les phonèmes, qui jouent le rôle de signaux d’identification :

Représentons-nous un mot prononcé par un bon locuteur dans des situations affectives les plus
diverses, et chargées d’expression. La physionomie acoustique du mot va se modifier tandis que son
signalement diacritique restera inchangé. On observe donc dans la communication verbale une constance
du signalement diacritique dans le changement de la physionomie acoustique des mots. Il s’agit là d’un
principe qui ne surprendra aucun spécialiste dans le domaine de la théorie moderne de la perception.231

Cherchons à mettre en lumière ce que Bühler entend dire quand il parle de


« constance du signal diacritique dans le changement de la physionomie acoustique des
mots ».
Tout d’abord, en nous référant aux aspects paralinguistiques (prosodie, voix) du
message sonore, nous sommes amené à constater que nous pouvons répéter ad libitum,
selon notre état d’âme et les circonstances, une expression comme « j’y suis arrivé », et
à remarquer que du point de vue prosodique la physionomie acoustique du signalement
change nettement (on l’imagine comme une exclamation de joie après avoir réussi un
examen, ou comme un hurlement de peur après avoir échappé à un danger imminent, ou
encore comme l’interjection haletante de celui qui arrive in extremis à un rendez-vous
etc.).

230
Op. Cit., p. 421.
231
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 435.

98
De par son expérience quotidienne, chacun de nous a l’habitude que des particularités
individuelles (ou typique) d’une voix ou d’un discours que l’on entend permettent des coordinations et
des interprétations qui relèvent d’une autre classe que celle de la qualité de provenance, et les suscitent.
Lorsqu’en réponse à un qui est là ? Un moi résonne d’un endroit invisible, le récepteur doit alors effectuer
une opération diacritique personnelle, une « diacrise », comme si c’était un nom propre qui lui était
présente.232

En ce qui concerne la voix et le discours, nous sommes toutefois quant à nous depuis longtemps
parvenus assez loin pour reconnaître non seulement des hommes, des femmes et des enfants à leur voix
typique, mais pour identifier en outre bien d’autres choses à la voix et pour distinguer nos proches à la
spécificité indubitable de leur « avertisseur individuel ». C’est cela et rien d’autre qu’escompte du
récepteur la voix émise d’un endroit invisible, qui réagit par moi à la question qui est là ? 233

Le moi de celui qui répond à la porte peut aussi manifester une physionomie
acoustique à chaque fois différente pour celui qui la perçoit et la déchiffre : familière,
étrangère, masculine, féminine, enfantine, aigüe, grave, rauque, et chacune de ces
caractéristiques peut se révéler sous de nombreux profils intonatifs différents. La voix
peut en outre s’exprimer avec une certaine variation de volume (qui peut augmenter ou
diminuer), elle peut présenter des timbres différents. Malgré tout, elle reste une
constante du signal phonématique qui nous permet d’identifier, grâce à une opération
diacritique individuelle, cette phonie comme un moi [mwa] :

La voix peut représenter une manifestation d’humanité, et de vie, elle peut être surhumaine ou
bestiale, elle est un instrument de droit, elle est assimilable à diverses catégories physiques, elle est la
marque personnelle d’un individu, elle est un instrument de tromperie, elle est le reflet de l’intériorité
d’une personne (un caractère, un état d’âme, une posture).
[…] À la question « Qui est-ce? / Qui c’est? » quand on frappe à la porte […] Mis à part la
nécessaire présomption que celui qui frappe à la porte est une personne connue, l’identification est en soi
uniquement confiée aux caractéristiques de la voix et la distinction entre signifiant et signifié semble
disparaître.234

232
Op. Cit., pp. 193-194.
233
Ibidem.
234
Albano Leoni 2009, Op. Cit., p. 67-69.
« La voce può essere manifestazione di umanità, e di vita, può essere sovrumana o bestiale, è strumento
di diritto, è assimilabile a svariate categorie fisiche, è marca del singolo individuo, è strumento di
inganno, è il riflesso dell’interiorità di una persona (un carattere, uno stato d’animo, un atteggiamento)
[…] Alla domanda “chi è?” quando bussano alla porta […] A parte la necessaria presunzione che chi
bussa ha di essere conosciuto, l’identificazione di sé è affidata unicamente alle caratteristiche della
propria voce e la distinzione tra significante e significato sembra svanire ».

99
La constance du signal diacritique, quand la physionomie acoustique des mots
change, peut aussi être vérifiée, et pas seulement, comme nous l’avons vu, du point de
vue suprasegmental (paralinguistique), mais également d’un point de vue plus
étroitement linguistique, en attribuant aux marques phonématiques (les phonèmes) un
rôle fondamental durant l’opération individuelle d’identification (diacritique, justement)
de la phonie (comme celui d’un message sonore plus complexe telle une phrase ou une
conversation entière).
Nous proposons à cette fin un extrait d’un échange communicationnel en italien,
déjà proposé par Giunchi235, dans lequel est présentée une situation d’apprentissage de
L2 classique236, et où le décryptage et la compréhension du message communicationnel
de la part des deux locuteurs, se réalisent à partir de la perception du tout, c’est-à-dire le
contenu du message dans son ensemble (du général), vers la reconnaissance des phonies
particulières (au particulier), et sont entièrement laissés au contexte extralinguistique et
au signalement des traits phonématiques (signalements), comme ceux qui jouent le rôle
de marques morphologiques verbales pas encore stabilisées systématiquement chez un
apprenant de L2, comme cela advient normalement dans des cas similaires, en
changeant la physionomie acoustique des mots237 :

K: « Perché dopo tre quattro mesi un po’ gapire, no » ?238

235
Paola Giunchi, « Interlingua: studio di un caso, in Elena Pistolesi » (dir.), Lingua, scuola e società. I
nuovi bisogni comunicativi nelle classi multiculturali, Trieste, Atti del Convegno (6-7/10/2006), Istituto
Gramsci Regione FVG, 2007, pp. 195-205.
236
Nous nous référons à la notion d’interlangue, c’est-à-dire à un système linguistique instable, dû aux
interférences entre les deux langues, qui se forme chez les locuteurs durant l’apprentissage d’une seconde
langue (L2).
237
Il suffit de penser à toutes les situations où la reconnaissance du parlé est confiée seulement à
l’indication des marques phonématiques comme par exemple dans les cas suivants (il s’agit de la
première fois où j’ai eu affaire avec le français): « je parler male français », « je étude linguistique et je
suis rechercher à la faculté des lettres », « je viens de l’Italie et j’ai étudié pour beaucoup d’ans à
Rome » ; dans ces situations-là, la perception et l’identification partent de la reconnaissance globale du
message jusqu’à l’identification des traits individuels qui se sont maintenus constants dans les phonies
perçues (j’ai é+t+u+d+[i+e] : j’é +t+u+d+[e]) bien que la physionomie acoustique du mot soit modifiée
pour l’oreille du récepteur.
238
Quelques informations de circonstance, juste pour mieux comprendre l’environnement dans lequel
s’est déroulé l’échange, le champ symbolique et le champ déictique ne pouvant pas interagir
simultanément dans ce cas.
Les protagonistes de l’échange communicationnel sont un jeune Afghan nommé Khudai (K), arrivé à
Rome dix-huit mois auparavant, et deux locuteurs natifs, Paola (P) et un autre étudiant (S), sans plus
d’identification personnelle. La situation rappelle toutes les difficultés rencontrées par un locuteur
étranger (dans ce cas un locuteur qui utilise l’uzbek, langue altaïque représentée par des caractères
cyrilliques, comme première langue, et le persan, de la souche indo-iranienne, comme deuxième langue).

100
[« Parce que, après trois, quatre mois, je comprends un peu, non » ?]
P: Mhm mh.

S: « Le parolacce » ?
[« Les gros mots » ?]

K: « Si »!
[« Oui » !]
[risa] [rires]

K: « No ».
[« Non »]

P: « Cioè, (hh) hai capito subito che (hh) (ti) parlavano (hh)-insultavano la madre ».
[« C’est-à-dire que tu as compris tout de suite qu’ils parlaient, qu’ils insultaient la mère »]

K: « Sì ».
[Oui]

P: « La madre tua o la madre sua » ?


[« Ta mère ou sa mère » ?]

K: « Eh, eh. Sì. Allora comincia a capire. Io detto - Silenzio!- Buoni, perché qua è
‘spedale, non è che è casa dua ».
[« Eh, eh. Oui. Donc, il commence à comprendre. J’ai dit: « Silence ! » Soyez sages, parce qu’on est à
l’hôpital et pas chez vous »].

S: « Grande » !
[« Très bien »].
[risa] [rires]

Pour simplifier la transcription, nous omettons les signes graphiques employés dans la transcription
originale pour signaler les pauses, les élévations de voix, les enchâssements et les superpositions etc. La
fidélité du report de toutes les particularités de l’échange, tel qu’il se présente dans sa version originale,
n’a pas d’influence sur le traitement des questions qui nous occupe ici. Toutefois, du point de vue
prosodique, on ne peut pas ne pas être fasciné par le fait que le locuteur afghan en plus de la physionomie
acoustique des mots, a modelé pour son propre usage la physionomie prosodique de son italien sur le
modèle de son parler romanesque, qui lui est probablement plus familier, et d’une efficacité
communicationnelle plus immédiate. De plus, il est naturellement dans ce cas un meilleur instrument
d’intégration dans le nouveau contexte social d’appartenance.

101
K: « Capido » ?
[« Tu as compris » ?]

P: « Certo » !
[« Bien sûr » !]
K: « Perché io a letto…Una ra-ga-zzino viene, ‘coverato anche lui. Prima co’ me escherza, gioca a carte,
perché io no parla bene. Come se scherza e scherza, dove vien(e/i) dove non vien(e/i). Allora io non
gapisco bene. Alla fine dic(e) - (oh) questo è strunso, perché non parla italiano - » ?
[« Parce que j’étais au lit….un garçon est hospitalisé lui-aussi. D’abord il blague avec moi, il joue aux
cartes, parce que je ne parle pas bien l’italien. Il me semble qu’il blague et en effet, il blague, d’où tu
viens ? Alors, je ne comprends pas bien. À la fin, il dit - (oh) il est con, parce qu’il ne parle pas l’italien ?
»]
[risa] [rires]

P: « Ah, ti ha detto lui » ?


[« Ah, il t’a dit comme ça » ?]

K: « Eh. Sì » !
P: « Ah » !

K: « Io ho detto, - Scusàmi, che hai detto?- E t-/ha detto che è strunso, no parla tu italiano. Tutti capisce
no parla italiano. Io de- -non è istronzo io, perché io no capi(r)-non capisco bene l(o) italiano ».
[« J’ai dit Pardon, qu’est-ce que tu as dit ? Et, je t’ai dit que tu es con, parce que tu ne parles pas italien.
Je lui réponds: je ne suis pas un con parce que je ne comprends pas, je ne comprends pas bien
l’italien »].

P: « Certo » !
[« Bien sûr »!]

K: « Tu espiegame bene io c-come (s) parlano ».


[« Est-ce que tu peux m’expliquer ce qu’ils disent » ?]

P: « Però la parola stronzo l’hai capita subito ».


[« Mais, le mot “con” tu l’as compris tout de suite »]
[risa] [rires]

K: « Sì, perché estrunso vuol dire che brudda parola, no » ?


[« Oui, parce que “con” c’est un gros mot, n’est-ce pas » ?]

102
P: « Ma da che cosa l’hai capito, da che cosa. Perché hai ca-hai percepito che non era una bella parola » ?
[« Mais, à quoi tu l’as compris, grâce à quoi? Pourquoi tu as perçu que ce n’était pas un mot gentil « ?]

K: « Anche a noi esteso, no perché » ?


[« Chez nous c’est pareil, voilà pourquoi » ?]

P: « Ah, voi dite la stessa cosa » ?


[« Ah, vous dites la même chose » ?]

K: « Sì ».
[ « Oui »]

P: Ah.
K: « Uno che (è) estronzo è estronzo uguale ».
[« Quelqu’un qui est con, il est con partout »]
[risa] [rires]

K: « Eh, sì » !
[« Eh oui »]

P: « Ma co-ma si dice stronzo? No? Si dice in un altro »


[« Mais, on dit « con » ? Non ? On dit autrement »].

K: « No, lo so che ».
[« No, je sais que »]
P: « Eh »

K: « Un po’ cambia »
[« C’est un peu différent »]

P: « Eh. Ho capito ».
[« Eh. J’ai compris »]

K: « Poco poco, non è tanto, eh »


[ça change un peu, pas beaucoup, eh]
[risa] [rires]

K: « Cambia »
[« ça change »]

103
P: « Ma tu, scusa un attimo, hai capito da, dal modo di...dalla »
[« Mais toi, attends, tu l’as compris à la façon de….à la… »]

K: « Questa parlano […] persiano. Persiano parlano, ogni tanto capita che viene uno a casa, ciao
estrunzo » !
[« Ceux-là ils parlent perse. Ils parlent perse, parfois il arrive qu’il y en a un qui vient à la maison, salut
« con » ! ]

P: « Ah, è un modo di dire ».


[« Ah, c’est une expression »]

K: « Allora. Questo io capito che italiani stessa lingua loro […] Perché anche francese par- lano esteso,
no? Perché…parlano devers(e) lingua…solo problema estronzo (è) stesso. Allora questo è persiano
parlano estesso francese, capisci » ?
[« Alors. J’ai compris que les Italiens parlent la même langue que les Persans […] Parce que les
Français aussi ils parlent la même langue, non? Ils parlent des langues différentes…mais le problème
c’est que « con » il est le même mot. Alors, ce Perse il parle comme les Français, tu as compris » ?]

P: Mhm mhm.
K: « Sì. Nun cambia niente. Allora loro parlano estesa parola. Io quando arrivado questo estronzo subito
capido, no? Perché persiano parlano estronso ».
[« Oui. Rien ne change. Alors, ils utilisent le même mot. Moi, quand j’ai entendu ce « con », j’ai tout de
suite compris, non? Parce que les Perses aussi disent « con »]

P: « Ho capito. Quindi l’uso delle parole…diciamo, delle...parole anche.. delle quali do-vrebbe esserci un
po’ di tabù, vengano utilizzate >anche per< amichevolmente, no » ?
[« D’accord. Donc, l’usage des mots….disons, des mots aussi…qui devraient être un peu tabous, ils sont
utilisés aussi de façon amicale, non » ?]

K: « Qua solo cambiate <acqua…pane> questa cosa. Cóca-cóla, arancio, tutto nostra paese estessa parola.
Ciocolato estesso. Solo cambiate caramella per questa…movimento, perché tante cosa parola nostra c’è,
ogni tanto (.) perché non è tutte come parla italiano ciocolato, sempre a noi chiamano ciocolato a voi
chiama ciocolato, estesso. Cóca cóla, estesso […] »

[« Chez moi, il y des mots comme « eau » et « pain » qui changent par rapport à l’italien. Mais,
« Coca », « orange » sont des mots qui ne changent pas. Chocolat pareil. « Bonbon » on dit de façon
différente, parce que pour beaucoup de choses nous avons nos mots à nous, parce que tout ne se dit pas
comme en italien, « chocolat » se dit pareil. Coca cola aussi […] »

104
Nous extrayons deux fragments de l’échange verbal et nous allons vérifier la
façon dont agit la constance du signal diacritique quand la physionomie acoustique du
mot varie. Analysons le premier fragment :

K: « Perché io a letto…Una ra-ga-zzino viene, ‘coverato anche lui. Prima co’ me escherza, gioca
a carte, perché io no parla bene. Come se scherza e scherza, dove vien(e/i) dove non vien(e/i). Allora io
non gapisco bene. Alla fine dic(e) « (oh) questo è strunso, perché non parla italiano » ?

(Traduction française) :

[« Parce que j’étais au lit….un garçon est hospitalisé lui-aussi. D’abord il blague avec moi, il
joue aux cartes, parce que je ne parle pas bien l’italien. Il me semble qu’il blague et en effet, il blague,
d’où tu viens ? Alors, je ne comprends pas bien. À la fin, il dit « (oh) il est con, parce qu’il ne parle pas
l’italien » ?]

Le sujet qui perçoit ce message sonore, bien que le visage phonique des mots
change, réussit sans problème à distinguer les différentes phonies, parce qu’il superpose
aux images perçues les images qu’il a de ces mots et qui sont insérées dans son
répertoire linguistique.
La physionomie acoustique du message telle qu’elle se présente à l’oreille de
l’auditeur : « Una ra-ga-zzino viene, ’coverato anche lui. Prima co’ me escherza, gioca a
carte, perché io no parla bene », à laquelle il superpose : « un[] ragazzino viene,
[ri]coverato anche lui, prima co[n] me [e]scherza, gioca a carte, perché io non parl[o]
bene » (c’est-à-dire du « général au particulier »).
L’aspect global des mots change mais la stabilité de leurs traits phonématiques
(qui se manifeste dans la composition des phonèmes considérés comme ces traits qui
déterminent la valeur d’ensemble d’une phonie, exactement comme les traits du visage
définissent l’aspect de ce visage). Leur capacité de signalement, afin de permettre une
distinction correcte des différentes formes, reste constante :

À l’autre extrémité de la série des moyens de composition linguistiques, le rapport du mot à ses
phonèmes est à peine moins spécifique. Les phonèmes sont des traits phoniques contenus dans la sonorité
de mots, qui peuvent être dénombrés dans chaque mot. Cela étant, l’image de mot possède par ailleurs
une gestalt, elle présente une physionomie acoustique qui se modifie telle une physionomie humaine
selon les variations de l’expression et de la fonction d’appel. […] Ce qui, de manière générale, doit

105
intéresser le théoricien du langage est la remarquable constance du signalement phonématique des images
des mots à travers les variations de leur physionomie acoustique.239

Analysons le second extrait :

K: « Qua solo cambiate <acqua…pane> questa cosa. Cóca-cóla, arancio, tutto nostra paese
estessa parola. Ciocolato estesso. Solo cambiate caramella per questa…movimento, perché tante cosa
parola nostra c’è, ogni tanto (.) perché non è tutte come parla italiano ciocolato, sempre a noi chiamano
ciocolato a voi chiama ciocolato, estesso. Cóca cóla, estesso […] ».

(Traduction française)

[« Chez moi, il y des mots comme « eau » et « pain » qui changent par rapport à l’italien. Mais,
« Coca », « orange » sont des mots qui ne changent pas. Chocolat pareil. « Bonbon » on dit de façon
différente, parce que pour beaucoup de choses nous avons nos mots à nous, parce que tout ne se dit pas
comme en italien, chocolat se dit pareil. Coca cola aussi […] ».

Le locuteur qui perçoit cet énoncé verbal réussit à extraire à partir de ce


continuum sonore des moments formels donnés qui doivent rester constants, si la
diacrise des images verbales durant l’échange communicationnel doit être préserver de
toute difficulté, qui dans ce cas sont dues à l’interférence entre deux systèmes
linguistiques provoquant une détérioration du matériel acoustique concret (bien sûr cela
advient parce que ces structures ne sont pas stabilisées en premier lieu au niveau
mental). Tentons un instant de comparer l’énoncé verbal proféré par le sujet afghan au
visage d’une personne de notre connaissance, dont nous avons une image précise
imprimée dans notre esprit :

« Qua (in Italia) cambiate <acqua….pane> - [rispetto al mio paese la forma delle parole
« acqua » e « pane » cambia]. Cóca-cóla arancio tutto nostro paese estessa parola, Cioccolato estesso -
[Le parole « coca cola », « arancio » e « cioccolato » sono uguali, hanno medesima forma in entrambi i
luoghi]. Solo cambiate caramella per questa (.) movimento, perché tante cosa parola nostra c’è, ogni tanto
(.) perché non è tutte come parla italiano ciocolato, sempre a noi chiamano ciocolato a voi chiama
ciocolato, estesso. Cóca cóla, estesso […] » - [La parola « caramella » si dice diversamente rispetto
all’italiano, nonostante ci siano molte parole comuni, come per esempio, « cioccolato » e « coca cola »] -

239
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 397.

106
Celui qui perçoit le message de Khudai met en œuvre au niveau mental deux
mécanismes bien précis : en partant du général, le signifié de l’énoncé, il réussit à
reproduire la physionomie acoustique effective du message telle que cette structure se
présente dans sa pensée, il arrive au particulier. Ce n’est pas tout. Comparons les mots
qui composent le discours du jeune Afghan aux traits du visage camouflé d’un de nos
amis qui se présente devant nous avec les cheveux longs, des lentilles de contacts, barbe
et moustaches. Le reconnaîtrons-nous tout de même? Certainement, car bien que les
mots (les traits) soient détériorés, nous sommes en mesure quoi qu’il en soit de les
rapporter à leur forme d’origine (en opérant toujours sur un mouvement qui va du
général au particulier), grâce à la fonction de signalement des phonèmes qui nous
permet de recomposer les images phoniques entendues, auxquelles nous superposons la
représentation d’elles que nous avons intériorisée :

[…] Il y a aussi […] des éléments de forme qui doivent rester constant, sauf à causer des
difficultés insurmontables à la diacrise des images de mots, dans l’échange verbale ordinaire. […] Si nous
établissons à nouveau un parallèle entre la reconnaissance des mots et la reconnaissance des personnes, la
très large constance [des signalements phonématiques] […] correspondrait par exemple à la constance
physiognomonique des traits du visage humain, lesquels ne se modifient par lors d’un accès de colère ou
d’un sentiment de peur, et rendent considérablement plus difficile la reconnaissance d’un visage, s’il leur
arrive effectivement de se modifier.240

Deuxièmement, on ne peut pas psychologiquement placer sur le même plan les phonèmes qui
constituent le signalement diacritique constant d’un mot dans le changement de sa physionomie
acoustique et les qualités chromatiques qui demeurent constantes dans le changement d’éclairement. Une
analyse psychologique plus précise montre en effet que, déjà tels que nous les appréhendons dans la
perception, les phonèmes sont plus proches des facteurs conceptuels que des qualité sensible.241

240
Op. Cit., pp. 435-36. Nous ajoutons les italiques entre crochets.
241
Ibidem.

107
§ 4. La physionomie acoustique des mots entre la dimension symbolique et
déictique.

Dans le précédent paragraphe, nous avons présenté la perspective


physiognomique qui accueille nos réflexions sur la nature (et la fonction) instrumentale
du langage, sur la perception gestaltique des phénomènes linguistiques et sur le concept
bühlerien de physionomie acoustique des mots. À ce stade, nous ne pouvons pas faire
abstraction de la théorie des deux champs de Bühler, d’autant que la perspective
physiognomique y est reliée.
Nous commençons d’abord par le concept de « champ » environnant (« umfeld »
dans la version allemande) qui, dans la vision bühlerienne renvoie à l’environnement (la
« situation ») dans lequel le signe (considéré du point de vue sémiotique) assume son
signifié plein (qu’il s’agisse d’un espace verbal, symbolique ou pas).
Sont compris dans l’acception de signum aussi bien le signe linguistique, verbal,
que tout signe non verbal tel qu’une clé de violon au sein d’une partition (si elle ne se
trouvait pas dans ce champ, nous ne pourrions pas la définir comme telle, nous ne
saurions pas plus en identifier la fonction, c’est-à-dire la fonction de clé de sol, entendu
comme une tonalité, sur la deuxième ligne de la portée), ou le drapeau rouge sur la
plage, qui signale un vent fort et une mer agitée, donc une interdiction de baignade. Si
nous posions ce même signe au centre d’un carrefour, nous ne réussirions pas à
comprendre la raison pour laquelle il a été placé en ce lieu. Il en va de même pour les
signes linguistiques.
Imaginons trouver l’acronyme I.N.R.I. (Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum : Jésus
le Nazaréen, roi des Juifs), c’est-à-dire le titulus crucis, posé sur la porte de notre
maison. Il n’aurait pour nous aucune valence, aucune valeur, parce que nous ne serions
pas capables de lui associer les noms auxquels il renvoie. Il s’agirait d’un acronyme
hors « champ » et hors temporalité (inadapté à ce « champ »).
Un signe, prend donc de la valeur en fonction des autres signes qui le précèdent
ou lui succèdent, en se chargeant d’un caractère relatif, d’opposition et négatif. Si on
prend le mot (à l’écrit) « sale » : nous nous référons au « chlorure de sodium » en
italien, à l’adjectif français qui signifie « crasseux », ou au substantif anglais employé

108
pour la « vente » ? Sa valeur dépend des unités qui dans la chaine écrite, comme dans
l’exemple du mot « sale », dont la prononciation est : fr. ['salә], it. ['sale], ang. ['sɛil], ou
dans la chaîne parlée sont en contact avec lui et en détermine la signification exacte :

Tout ce qui précède revient à dire que dans la langue il n’y a que des différences. Bien plus : une
différence suppose en général des termes positifs entre lesquels elle s’établit ; mais dans la langue il n’y a
que des différences sans termes positifs. Qu’on prenne le signifié ou le signifiant, la langue ne comporte
ni des idées ni des sons qui préexisteraient au système linguistique, mais seulement des différences
conceptuelles et des différences phoniques issues de ce système. […] Un système linguistique est une
série de différences d’idées […] Bien que le signifié et le signifiant soient, chacun pris à part, purement
différentiels et négatifs, leur combinaison est un fait positif.242

L’opposition de deux signifiants, comme sale dans la locution (écrite) « passami


il sale », [« passe-moi le sel »] et sale dans l’énoncé « ton écharpe est sale », prévoit
qu’on les considère comme deux entités négatives (tout comme leurs signifiés
respectifs), mais l’union du signifiant /’sale/ avec le signifié « sale » devient un fait
positif : le signe est une entité concrète (c’est si vrai que lorsque Saussure utilise les
termes concret / positif il se réfère au signe linguistique dans sa totalité, alors qu’il
emploie négatif / immatériel quand il parle soit des unités irréductibles, à ne pas
confondre avec les phonèmes, du signifiant linguistique en le définissant immatériel, et
du signifié).243
Le signe linguistique « sale » peut être considéré comme un représentant au sein
de cet ordre qu’est la langue, auquel est associée, par une communauté linguistique, la
signification dominante dans l’usus loquendi de « chlorure de sodium », mais duquel
dérivent des sens différents, différentiels et relatifs. De la même façon que nous
utilisons la phonie /’kane/ (fr. « chien ») dans la phrase « ha portato il cane a fare la
passeggiata » [il a emmené le chien faire sa promenade], et dans la locution figée
« mondo cane! » [chienne de vie !].
Et c’est à ce stade de la réflexion que s’insère la théorie des deux champs de
Bühler. Imaginons que nous faisons prononcer la locution précédemment citée « mondo
cane » [chienne de vie !] à un robot, sans aucun contour prosodique, dans une pièce
isolée, et sans qu’il y ait un récepteur pour déchiffrer ce message.

242
Saussure [1916] 1979, Op. Cit., p. 166.
243
Op. Cit., 164-165 et supra, I, § 3.

109
Nous pourrions simplement déduire que la phonie /’kane/ ne renvoie pas à
l’animal appartenant à la famille des canidés mais qu’elle est employée au sens figuré.
Certainement. « Dans quel sens? », demanderait celui qui aurait perçu ce
message sonore. A-t-elle une valeur intensive et dépréciative, comme quand on est aux
prises avec un mauvais jour, et qu’à l’énième incident, on lance cette imprécation
« mondo cane! » [chienne de vie!], ou bien révèle-t-elle la stupeur, comme quand on
assiste à un acte de barbarie qui nous paraît inconcevable par un esprit humain ?
Ou encore, elle pourrait mettre en évidence une situation ironique, dans laquelle
notre robot, rencontrant une très belle jeune-fille, se serait laissé aller à un « mondooo
caane », exalté par la beauté féminine. Nous ne pourrons jamais le savoir ; à moins que
l’on ne se réfère à la situation extralinguistique et à la notion de « champ »,
fondamentale, pour que soit résolu le nœud complexe entre monde et symbole :

Le concept de champ qu’il propose est un produit de la psychologie moderne […]. Nous allons
[…] en déterminant de façon systématique les champs environnants des signes linguistiques, et, de la
grande variété de circonstances qui contribuent à la détermination du sens linguistiques chaque fois qu’il
y a parole, nous dégagerons, en les différenciant rigoureusement, le champ déictique et le champ
symbolique dans le langage. La théorie qui affirme l’existence, non pas d’un, mais de deux champs du
langage, est nouvelle. […].
[…] Deux stades du langage humain forme une dualité de facteurs inhérente à tout phénomène
langagier et de tout temps constitutive du langage dans sa globalité […]. Dans l’immédiat, la théorie de
deux champs postule que les différents modes de monstration et de présentation sensible sont une
composante essentielle du langage naturel et ne lui sont pas plus étrangers que l’abstraction et
l’appréhension conceptuelle du monde. Ceci constitue la quintessence de la théorie du langage qui est ici
développé.244

L’introduction du concept de champ, rend enfin explicite la connexion entre le


fonctionnement de la langue et le monde, c’est-à-dire les choses, et les états de choses
auxquels renvoie le langage et avec lesquels il a une relation directe. Ce qui ne veut pas
dire qu’il représente les choses et que nous instituons un lien direct entre langage et
objet, mais dans le sens que le langage joue le rôle de guide du locuteur dans sa
connaissance immédiate de la chose à laquelle il renvoie. En ce sens, nous pouvons
définir le langage comme un instrument de représentation indirecte.

244
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 63-64.

110
La phonie /'aʀbʀ/ ne renvoie pas à l’objet « arbre » (le rapport n’est pas entre son
et chose), elle ramène le locuteur à la représentation directe, à la compréhension du
concept « arbre », véhiculé par un certain ordre phonique. Il s’agit, naturellement, d’un
type de connaissance partagée : en effet, si on prend deux mots tels que « arbre » et
l’italien « albero », les acteurs de l’échange communicationnel, dans lequel s’actualisent
les phonies /'aʀbʀ/ et /'albero/ sont au nombre de deux minimum ; et tous deux
partagent la même représentation du concept « arbre ».
Les deux acteurs partagent aussi une même reproduction de la physionomie
acoustique des mots « albero » et « arbre », de manière à les reconnaître même dans ces
moments où la communication est perturbée. Et cela advient aussi dans les cas où deux
systèmes linguistiques se superposent rendant l’échange difficile. Aucun doute à cet
égard. De la même façon que le correcteur orthographique d’un logiciel d’écriture
opère, un locuteur français, par exemple, qui perçoit (pendant une interaction verbale où
il y a un « contexte » qui agit) le mot « albero », n’aura aucun problème à le rapporter à
arbre, parce qu’il sera en mesure, une fois les deux séquences superposées, d’en
recomposer, dans sa langue, l’ordre séquentiel exact qui véhicule le même concept
« albero » (même chose pour un locuteur danois face à la phonie anglaise « tree »,
« arbre »: il n’aura aucune difficulté à la rapporter à la physionomie acoustique de
l’équivalent « træ »).245

Le mot Tische « tables », contient […] quatre caractéristiques élémentaires, par lesquelles nous
le distinguons de structures acoustiques proches. Ces traits, les phonèmes du mot, fonctionnent comme
[…] des caractéristiques. Ce sont les signes distinctifs de l’image acoustique […]. Elle représente une

245
Il s’agit encore une fois d’une opération dans laquelle le tout est reconduit à la partie, du « général » au
« particulier » : on part de la physionomie acoustique d’ « albero » pour rejoindre la forme « arbre »
reconstituée avec l’aide des phonèmes qui, malgré la variation du visage phonique de la séquence
italienne, ont maintenu leur capacité de signalement à travers une certaine stabilité de leur position au
sein de l’ordre phonique « arbre ». Le locuteur réussit à en reconstruire les traits, en reconnaissant les
segments a-----b, b-----r, comme étant communs aux deux phonies : un correcteur orthographique agit de
même, notre cerveau opère de la même façon, de cette façon qui nous permet de reconstruire, par
exemple, les formes linguistiques suivantes (même sans aucune référence au contexte extralinguistique) :
l---i----br-/l---i----vr-
« […] Il existe peut-être un complément de l’empreinte phonématique de chaque image sonore, un
complément qui est indispensable pour assurer la fonction sémiotique des phonèmes. À travers la
discussion de la physionomie acoustique, Bühler s’interroge alors sur un tel complément qu’il semble
trouver dans la réalité de la parole, dans son déroulement » [Janette Friedrich, « Le concept de phonème
chez Karl Bühler. Plaidoyer en faveur d’un concept formel, philosophique du phonème », in Cahiers
Ferdinand de Saussure, 55, 2002, p. 31].

111
chose ou une classe (un type) de choses. Enfin le mot Tische a un emplacement dans le contexte, et il est
parfois enrichi phonétiquement d’un s à la fin [ce qui en fait un génitif]. Nous appelons cela de manière
générale les valeurs de champ qu’un mot peut prendre dans le champ environnant synsématique […]. Le
regard sématologique […] découvre trois fonctions sémiotiques. Il fait apparaître associée à l’image
acoustique du mot, la signification objectale (coordination) et, dans l’image acoustique du mot lui-même,
le signalement phonématique. Il découvre, différents également en contexte de ce qui précède, les signes
de champ. Les traits phoniques (les phonèmes) dans l’image acoustique sont des signes de reconnaissance
prédéterminés, grâce auxquels nous percevons et reconnaissons les différents mots ; ils fonctionnent
comme des éléments diacritique appliqués à l’image acoustique et élaborés à partir d’elle ; ils
fonctionnent comme cette liste de signes distinctifs que l’on consigne ordinairement dans le signalement
(policier) d’une personne. 246

Le message sonore acquiert donc sa pleine signification parce qu’il est calé non
seulement dans la réalité physique du monde mais également dans la réalité
psychophysique des locuteurs, qui devient partie intégrante de la situation de
communication et d’expression, au sein de laquelle le message se concrétise :

Quant aux phénomènes langagiers eux-mêmes, ils sont enchâsses dans la « réalité », et on ne
saurait, sur ces points décisifs, les considérer comme plus dérivés, plus éloignés de la réalité que les
phénomènes dont traite le physicien. Si cela contredit la conception purement physicaliste du monde,
c’est tant pis pour elle et non pas pour les faits eux-mêmes.247

Maintenant que nous avons défini et épuisé le concept de « champ », nous allons
passer à ses applications spécifiques dans le langage, et surtout au rôle qu’il est amené à
assumer dans l’échange communicationnel concret entre deux locuteurs. Le rapport
entre émetteur et récepteur, et entre eux et les objets et les états de chose, se réalise dans
ce que Bühler considère comme les deux champs du langage : le « champ déictique » et
le « champ symbolique ».
Commençons par le champ déictique. Voici comment Bühler le définit :

Le champ déictique du langage dans l’interaction verbale directe est le système ici-maintenant-je
de l’orientation subjective. À l’état vigile, émetteur et récepteur vivent en permanence à l’intérieur de
cette orientation, et c’est à partir d’elle qu’ils comprennent les gestes et les auxiliaires de guidage de la
demonstratio ad oculos. Et, lorsque des déplacements sont effectués par le biais de nominations, la déixis

246
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., pp. 115-117.
247
Op. Cit., pp. 118-119.

112
à l’imaginaire que nous avons décrite utilise le même champ déictique et les mêmes termes déictiques que
la demonstratio ad oculos.248

Nous reviendrons dans quelques lignes sur la demonstratio ad oculos et sur la


déixis à l’imaginaire, abordons d’abord la définition du champ déictique du langage.
Selon Bühler, il offre aux sujets impliqués dans l’interaction verbale, le système de
coordonnées d’orientation subjective.
Le champ déictique du langage (Zeigfeld) est constitué de ces éléments
perceptifs qui caractérisent une situation de parole, c’est-à-dire de manifestation
concrète d’un énoncé.
Les rôles d’émetteur et de récepteur, et donc les deux systèmes psychophysiques
impliqués dans l’interaction verbale, la position qu’occupent les deux interlocuteurs,
l’un par rapport à l’autre, le travail de la voix, la fonction fondamentale du contexte
extralinguistique et des indicateurs sensibles (auxquels des mots-indice sont liées de
manière indissoluble249) s’explicitent ainsi justement dans le champ déictique, où sont
valorisées toutes les possibilités d’interprétation des sens liées aux coordonnées
spatiotemporelles de la situation du locuteur :

[…] Ce champ déictique est constitué, dit-il <Bühler>, des « éléments perceptifs d’une situation
donnée de parole », c’est-à-dire de la « situation concrète de parole » […] où les déictiques trouvent leur
« remplissement de signification ». […]. Le champ déictique n’est pas un support matériel amorphe, mais
un espace vectorisé qui prend sa source, dit Bühler […], dans le « système ici-maintenant-je de

248
Op. Cit., p. 259.
249
Une glose s’impose sur le concept de mot-indice avec lequel on fait référence à ces symboles qui, dans
l’échange quotidien, dans une situation de communication donnée, acquièrent des valeurs de champ
déterminées, c’est-à-dire ces mots qui définissent le lieu géométrique où se trouve le locuteur et où il est
facile à trouver ce qui est particulièrement indiqué : « […] Les termes déictiques […] sont des symboles
(et non pas seulement des signaux), un là et un là-bas symbolisent, ils nomment un domaine, ils nomment
pour ainsi dire le lieu géométrique, c’est-à-dire un domaine situé autour de chaque locuteur
respectivement, dans lequel ce à quoi il est fait référence peut être trouvé » [Op. Cit., p. 188] ; et encore :
« Si l’on de nous, tout en faisant factuellement référence avec le doigt à un objet situé dans sa sphère
perceptive, exprime la suite phonique dér Hut, [« le chapeau-là », « ce chapeau »], il s’agit d’une
occurrence de premier mode de monstration […], pour lequel on emploie, entre autres, les racines *to et
*so dans la famille linguistique indoeuropéenne. […] Trois éléments, tous trois indispensables […], le
geste du doigt, le mot dér et le mot Hut. On peut évidemment imaginer aussi un complexe de signes de
type binaire, composé de {geste + *to (démonstratifs)}, ou {geste + (mot) Hut}, ou {*to + Hut}. […]
Nous voilà au centre de la discussion de ce type de déictique […] le plus immédiat et comme celui dont
on peut le moins dispenser ; en l’occurrence sa dèr-déixis, la déixis-là. Wackernagel propose le nom de
to-déixis, eu égard au fait qu’il s’agit de la racine syllabique la plus fréquente » [Op. Cit., pp. 185-186].
Pour une étude exhaustive sur les fondements psychologiques des démonstratifs, voir : Karl Bühler
[1934] 2009 Op. Cit., pp. 179 et svtes ; et le troisième chapitre de cet ouvrage [cf., infra, III, § 2 et svtes].

113
l’orientation subjective » et « forme […] le fond stable de l’orientation de chaque individu éveille dans sa
situation de perception actuelle », définissant donc simultanément le cadre partagé de toute interaction
verbale efficace. C’est la stabilité de ce système de coordonnées, que Bühler, appelle orientation […]250

La localisation du sujet parlant et son « activité de vigilance perceptive » mettent


l’accent sur le rôle actif des fonctions d’ « expression » et d’ « appel », et donc, sur
l’activité d’émetteur et de récepteur dans la situation du parler en acte, vers la
réalisation et détermination du sens dans cette situation donnée.
Il suffit de penser au fait que les termes indicateurs comme, en italien, questo,
qui, io, quello assument des valeurs de champ situationnelles, c’est-à-dire dépendant à
chaque fois de la position que les interlocuteurs occupent dans un espace déterminé et
dans un temps déterminé :

Ce que sont ici et là change avec la position du locuteur, tout comme le je et le tu sautent d’un
partenaire de parole à l’autre avec la permutation des rôles d’émetteur et de récepteur. Le concept de
champ déictique est destiné à faire de ce phénomène, pour nous tout à la fois familier et remarquable, le
point de départ de la réflexion.
Nous allons exposer et étayer notre thèse centrale : montrer qu’il n’y a qu’un seul champ
déictique dans la langue, et comment le remplissement de signification de terme déictiques est lié à des
auxiliaires déictiques sensibles, comment il demeure tributaire de ces derniers et de leurs équivalents. Je
peux opérer une monstration ad oculos, et utiliser les mêmes termes déictique de manière anaphorique
dans le discours éloigné de la situation. Il est existe en outre un troisième mode que nous caractériserons
comme déixis à l’imaginaire.251

Selon Bühler, les différents modes d’explicitation déictique sont au nombre de


trois : demonstratio ad oculos, déixis à l’imaginaire, déixis anaphorique.
Voyons brièvement de quoi il s’agit. Nous commençons avec la demonstratio ad
oculos qui représente la façon la plus simple de réaliser une indication pour un locuteur
qui veut éveiller l’attention de son interlocuteur en se servant de termes déictiques et de
gestes :

La théorie doit partir du simple fait qu’une demonstratio ad oculos et ad aures est le
comportement le plus simple et le plus approprié que puissent adopter des êtres vivants, qui ont besoin

250
Samain in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., pp. 621-622.
251
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., pp. 175-176.

114
dans le contact sociale d’étendre et d’affiner leur prise en compte de circonstances de la situation, et qui
utilisent pour ce faire des termes déictiques. Quand A, le partenaire de B, lors d’une chasse à deux, ne
voit à temps le gibier, que pourrait-il y avoir de plus simple et de plus approprié qu’un geste de la to-
déixis de la part de B et le mot correspondant qui atteint acoustiquement A ? Si A a perdu B de vue,
qu’est ce qui pourrait lui être plus utile qu’un ici venant de la bouche de B pourvue d’une claire qualité de
provenance ? […]252

Nous pouvons demander à notre interlocuteur italien « passami [quel] coso


[là]! » (« passe-moi [ce] truc-[là] ! ») , sans nommer l’objet en question, mais
simplement en utilisant un geste (en faisant un mouvement en avant de la tête, ou en
allongeant le bras) et un déictique ([ce] + adverbe [là]), dans ce cas), et l’échange
communicationnel sera sans aucun doute couronné de succès (même dans le cas où nous
serions situés dans le même champ de perception occupé par les deux interlocuteurs et
les objets, il suffirait, pour que la communication réussisse, que le référent en question
soit impliqué en répétant plusieurs fois le geste d’indication).
L’exemple que nous venons de produire nous amène directement au second
mode d’explicitation déictique : la déixis anaphorique. L’utilisation du déictique là (tout
comme de ce/celui-là - questo/quello) nous permet de mettre l’accent sur ce que nous
avons déjà dit sans avoir besoin de le chercher dans le champ de perception mais
seulement dans la situation globale du discours.
Prenons un exemple. Observons cet exemple de réparties en italien : « passami
quel coso là! », « questo? », « sì! Quello (coso) » (« passe-moi ce truc-là ! », « ça ?»,
« oui ! ça (ce truc) ». Le déictique quello qui reprend anaphoriquement le « coso »,
l’objet que nous indiquons, nous est d’une grande utilité car, en nous évitant d’indiquer
de nouveau (puisque nous l’avons déjà rappelé avec l’emploi du déictique quel-là +
geste, « ce–là + »), l’objet en question du regard ou avec n’importe quel autre geste de
pointage, il nous permet d’en faire l’identification seulement par l’intermédiaire de la
chaine du discours :

Avec dieser, « celui-ci [qui est le plus proche] », et jener, « celui-là [qui est le plus loin] » (ou
avec hier, « ici », et dort, «là-bas », et d’autres termes similaires), il est fait rétrospectivement référence à
quelque chose qui a déjà été abordé ; avec dér (derjenige) et d’autres déictiques, il est fait par anticipation
référence à quelque chose qui est sur le point d’être abordé. C’est ce que de tout temps on a appelé

252
Op. Cit., p. 208.

115
l’anaphore. […] Il existe également une déixis renvoyant à des lieux situés dans la structure du discours,
et pour ce type de déixis les langues indoeuropéennes recourent dans une large mesure aux mêmes termes
que pour la demonstratio ad oculos. […] La description de ce phénomène […] est assez simple : dans le
premier cas, un ordre dans l’espace et des positions dans cet espace ; et ici un ordre dans le déroulement
du discours, et des lieux dans ce dernier ou des fragments du discours, auxquels on renvoie afin
d’atteindre ce que l’on veut dire […]. Sur le plan psychologique, tout emploi anaphorique des déictiques
présuppose une chose, le fait qu’émetteur et récepteur aient devant eux l’énoncé déroulé dans sa totalité,
de sorte qu’ils puissent en saisir les parties, que ce soit en revenant en arrière ou par anticipation.253

La fonction de la déixis anaphorique est donc, en paraphrasant Bühler, de


connecter l’indication à la représentation proprement dite.254
Elle est efficace seulement au moment où le champ symbolique et le champ
déictique ne sont pas séparés. Toutefois, la déixis, c’est-à-dire l’emploi de termes
d’indication, ne trahit pas même quand on passe d’un champ « matériel » à un champ
« abstrait » et « fantastique »: celui des souvenirs ou de l’imagination. Même dans ce
cas, les auxiliaires déictiques utiles ne manqueront pas de susciter l’image des
personnes ou objets absents, justement comme cela arrive quand nous allons au théâtre
et que nous sommes transportés dans la dimension narrative « imaginaire » de
l’ailleurs :

Il n’est pas vrai que les auxiliaires déictiques naturels sur lesquels repose la demonstratio ad
oculos fassent totalement défaut à la déixis à l’imaginaire. Ce qui est vrai, c’est que locuteur et auditeur
d’une description visuelle d’un objet absent disposent des mêmes moyens et ressources qui permettent à
l’acteur sur la scène de rendre présent quelque chose d’absent et au spectateur du jeu d’interpréter ce qui
est présent sur la scène comme une mimesis de quelque chose d’absent.255

La déixis à l’imaginaire entre en jeu au moment où on réclame l’attention de


quelqu’un, non pas sur un objet matériel présent dans un champ de perception partagé,
mais sur un « produit mental » ou sur un état des choses qui lui est afférent.
Par exemple, quand au beau milieu d’une conversation, nous sommes transposés
par la pensée en un lieu bien précis d’une ville que nous connaissons et où nous avons
vécu, ou quand, en entendant la formule « il était une fois », nous nous imaginons sur le

253
Op. Cit., pp. 226-227.
254
Op. Cit., p. 229.
255
Op. Cit., pp. 231-232.

116
point d’être transportés dans un temps et un lieu lointains, ou sur le point d’assister à
une représentation (de théâtre ou autre) avec les « yeux de l’esprit » et non avec nos
vrais yeux, « les yeux corporels » ce faisant nous nous transposons dans l’espace de
perception du narrateur :

Il y a, selon Bühler, déixis à l’imaginaire lorsqu’au lieu de viser, comme dans la demonstratio ad
oculos, un objet « présent dans le champ perceptif commun », on montre un objet purement mental, ou
quelque chose sur un objet purement mental, en faisant appel aux « yeux et [aux] oreilles intérieurs ».
[…] « La question psychologique central, dit Bühler, est donc de savoir comment un tel guidage de
l’absent ou par l’absent est possible ». La réponse avancée est liée au rôle que Bühler attribue à l’image
corporelle tactile qui fonde selon lui toute orientation. Si la déixis à l’imaginaire en appelle à une
orientation fictive, susceptible, par l’imagination ou la mémoire, de déplacement dans l’espace et dans le
temps […], alors, dit-il […], les deux modes déictiques ne diffèrent pas plus par leur contenu
psychologique que par l’outillage linguistique mobilisé. Outre qu’ils visent des objets semblables, les
« coordonnées du point de vue » ainsi obtenues ne sauraient être structurellement différentes, puisque
chaque être déplace « emporte », dit-il […], son image corporelle tactile présente ». Celle-ci intervient
donc également « in toto et joue un rôle dans l’ « espace imaginaire » où elle est transférée, dans le
royaume du quelque part de la pure imagination et dans le royaume du en ce temps-là du souvenir ».256

Émetteur et récepteur partagent un haut degré d’orientation réciproque lié aux


objets mentaux (et à l’état des choses sur les objets mentaux) impliqués dans
l’indication. Cela advient parce que l’image « corporelle-tactile » (consciente et vécue)
est liée à l’espace visuel. Nous réussissons à comprendre les indications que notre
interlocuteur nous fournit sur une rue donnée, pour une certaine ville dans laquelle nous
avons vécu pendant dix ans, seulement parce que nous réussissons à nous
« transposer », c’est-à-dire que nous sommes en mesure de nous situer, d’après nos
souvenirs, dans cette rue, dans cette ville.
Notre image « corporelle-tactile actuelle » (par exemple, le souvenir que nous
avons de la rue del Corso à Rome) est reliée à la scène imaginaire visuelle
correspondante257, (de nous-même en train de nous promener dans la capitale, scène que
nous produisons en écoutant la description de notre interlocuteur pendant qu’il nous
décrit ce champ visuel que nous partageons en pensée).
Nous concluons ici notre étude sur le champ d’indication du langage que nous

256
Samain in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 628.
257
Op. Cit., pp. 243-244.

117
avons traité de manière exhaustive pour ce qui concerne nos objectifs258, et nous
passons à l’autre champ, le champ symbolique (Symbolfeld), qui est, comme nous
l’avons déjà mentionné, la seconde des deux sources auxquelles on fait appel pour
l’interprétation exacte des phénomènes linguistiques. Nous commençons par son
identification :

Le champ symbolique du langage dans l’œuvre langagière composée offre une seconde classe
d’auxiliaires de construction et de compréhension qu’on peut résumer sous le nom de contexte. En bref, la
situation et le contexte sont donc les deux sources où l’on puise dans chaque cas l’interprétation précise
des expressions linguistiques. Il s’agit maintenant d’appréhender le champ symbolique du langage dans
son ensemble, et d’en faire une analyse systématique. […] Pour réussir parallèlement à rendre féconde
pour la théorie du langage notre idée du modèle instrumental du langage et, dans son cadre, la dominance
de la fonction représentationnelle, il faut d’abord nous risquer à des comparaison élargies. […] La langue
ne peint pas dans la mesure où cela serait possible en utilisant les ressources de la voix humaine, elle
symbolise. Les termes dénominatifs sont des symboles d’objet. Mais tout comme les couleurs du peintre
sur une surface picturale, les symboles linguistiques ont besoin d’un champ environnant dans lequel ils
sont agencés. Nous appelons ce champ le champ symbolique du langage. 259

Deux considérations d’ordre purement « épistémologique » prennent forme à la


lecture de la description ci-dessus rapportée. La première constate que le signe
linguistique bühlerien a en commun avec le signe linguistique saussurien un caractère
d’opposition et relatif : chaque signe linguistique acquiert une valeur symbolique sur la
base de la position qu’il occupe au sein du champ (« dans le contexte ») et des rapports
d’interdépendance qu’il entretient avec les autres éléments présents.
Deuxièmement, cette description révèle la nature indirecte des phénomènes
sémiotiques, parmi lesquels le langage. En affirmant que les termes de dénomination
sont les symboles des objets, Bühler rejette complètement la possibilité que les signes
puissent de quelque façon présenter des traits essentiellement explicatifs des propriétés
des objets auxquels ils se réfèrent.
En substance, les termes de dénomination (les mots) ne renvoient pas aux objets.
Ils sont les symboles des objets, qui amènent le locuteur qui les utilise à la

258
Pour un approfondissement exhaustif des notions de « champ déictique » et de « champ symbolique »
du langage, nous renvoyons à : Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., pp. 174-317.
259
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., pp. 261-262.

118
représentation et à la connaissance directe des concepts auxquels sont liés les objets et
les états de chose :

L’instrument représentationnel langagier fait partie des moyens de représentation indirectes,


c’est un instrument intermédiaire, dans lequel des médiateurs déterminés interviennent comme facteurs
organisateurs. Dans la langue, le matériau phonique n’est pas doté de propriétés sensibles de mise en
ordre, qui conféraient directement à celui-ci valeur de miroir du monde et en feraient un représentant. La
situation est fondamentalement différente. Entre le matériau phonique et le monde se trouve ensemble
d’éléments intermédiaires, se trouvent (pour répéter l’expression) les médiateurs linguistiques. […]260

Le champ symbolique du langage, où les signes de dénomination acquièrent une


valeur, coïncide avec celui qui, dans la Sprachtheorie est appelé champ
synsémantique261, c’est-à-dire l’espace syntaxique (« contexte ») des signes verbaux (de
dénomination) où ces derniers assument leur sens plein.262
Pour éviter une confusion qui nous semblerait légitime de la part de notre
lecteur, il faut préciser qu’il est opportun d’appliquer la notion de champ symbolique
aux signes verbaux (auxquels on peut associer le concept de champ synsémantique du
langage), et plus généralement, il faut rapporter aux entités sémiotiques l’idée d’un
champ synsémantique apte à caractériser le plus possible la détermination de la valeur

260
Op. Cit., pp. 262-263.
261
En ce qui concerne la notion de champ synsémantique, nous nous référons à la lucide explication
qu’en fournit Didier Samain dans le glossaire de la traduction française de Bühler [Op. Cit., p. 625]. Nous
soulignons cependant le fait que Bühler parle à ce propos d’un « champ périphérique synsémantique »
(synsemantisches Umfeld), c’est-à-dire du concept de champ appliqué à la syntaxe, en le pointant comme
l’un de ces moments où le signe linguistique apparait hors contexte, mais pas hors champ (environnant).
Ce qui propose l’idée d’un espace syntaxique hinc et nunc, où les signes assume leur sens plein dans une
situation donnée et seulement si les sujets impliqués dans l’échange communicationnel, partagent
effectivement le même champ périphérique dans lequel le signe est réalisé.
On peut prendre à titre d’exemple le signe linguistique [#] dièse. Nous pouvons nous dire à un ami que
nous venons d’écouter un concert en fa dièse mineur (fa#-) de Bach et être sûr du fait qu’il comprendra
pleinement le sens de ce message (c’est-à-dire que le concert était joué dans la tonalité de fa dièse
mineur). Dans ce cas, on peut parler de contexte (et donc de champ symbolique). Mais une situation
comme: « dammi un fa#-! » [donne-moi un fa#-!], fait partie des cas où le signe est hors contexte mais
pas hors de son champ environnant synsémantique (et sympratique!). Un énoncé de ce genre n’est
pleinement compréhensible qu’au moment où nous demandons à un musicien (avec lequel nous
partageons le même champ environnant, ici et maintenant) de jouer à la guitare, par exemple, la note de
fa dièse mineur. Nous ne sommes pas certain de vouloir associer complètement le terme « contexte » à
celui d’ « umfeld » (qui contient, d’après nous, le synsémantique, le sympratique et le synphysique (cf.,
infra, II, § 4.).
262
Il est opportun de spécifier qu’il s’agit du champ synsémantique des signes verbaux, en admettant que
ce concept s’applique aussi à d’autres systèmes sémiotiques : nous pouvons parler de champ
synsémantique non verbal (il suffit de penser aux signes qui caractérisent le code Morse, ou au système
d’écriture Braille pour non-voyants, constitué de pointes en relief agencées selon une combinatoire et qui
renvoient aux lettres).

119
sémantique d’un signe qui doit démontrer idoine son adéquation aux caractéristiques de
ce champ, quel qu’il soit.
Ce qui veut dire qu’il y a des signes (les signes linguistiques) dont les
caractéristiques les ramènent directement au champ symbolique du langage, et d’autres,
comme les notes de musique ou les coordonnées géographiques qui acquièrent des
valeurs particulières au sein du contexte synsémantique auquel ils sont afférents (il
pentagramme et la carte de géographie, dans notre exemple. Facile demonstratu: qu’on
tente d’insérer les signes bémol (b) et dièse (#) dans une carte de géographie. Ils
n’acquerront en son sein aucune valeur sémiotique ; jusqu’à ce que leur soit conféré un
signifié effectif au sein de ce champ) :

Du champ symbolique naissent les valeurs de champ des signes linguistiques. Il est facile d’en
puiser un analogon formel dans l’exemple fourni par le papier à musique et la carte de géographie. Dans
ce cas, tous les signes de notes et les symboles fournis par la carte sous la rubrique « légende » apportent
une valeur de représentation étrangère au champ, qui se trouve complétée par des détermination propres
au champ. […] Ce qu’il faut considérer comme symbolique ne peut être déterminé qu’en relation à un
champ particulier. Remarquons par exemple que la forme en croix sur un tableau n’a nullement besoin
d’être symbolique au sens où nous l’entendons, qu’elle peut au contraire être une image, être l’image
d’une croix dans la campagne. Auquel cas la façon dont cette même croix se trouve dans le contexte des
autres formes est totalement différente de celle qui est la sienne sur la carte.263

Les signes étrangers au « champ » doivent, selon Bühler, être ouverts aux
valeurs de champ qui leur sont assignées : ils doivent posséder une certaine adéquation
avec le champ. Il ne serait naturellement pas possible de transplanter les unités lexicales
de la notation musicale sur une carte de géographie, ou les symboles géographiques sur
une page de musique, pour les doter de valeurs de champ.264
Nous avons jusqu’ici mis en évidence les concepts de champ déictique,
symbolique et synsémantique du langage ; et nous l’avons fait parce que la perspective

263
Op. Cit., pp. 303-305.
Une note sur le concept de « symbole ». Il s’agit d’une notion de matrice aristotélicienne. Chez Aristote
[cf., Aristote, Op. Cit., §§ 1, 16-19] on parle de « mot-symbole »: c’est-à-dire d’une composition
phonique générée par une voix significative (les signes d’ordre), sujette à une attribution effective de
signification de la part d’une communauté linguistique ET qui a une correspondance précise avec les
objets auxquels elle renvoie. Dans la linguistique bühlerienne, le symbole par excellence est le signe
dénominatif qui prend un sens accompli dans le champ symbolique du langage et qui peut être défini en
tant que symbole en vertu de sa correspondance aux objets et aux états de choses.
264
Op. Cit., pp. 299-300.

120
physiognomique, la vision d’une physionomie acoustique des mots, ne peut pas faire
sans eux, au contraire, elle s’enrichie de la théorie dei deux champs. La raison en est
très simple et nous l’avons plusieurs fois avancée.
Le modèle instrumental du langage prévoit un entrelacement indissoluble entre
le monde et les locuteurs. Il présuppose qu’un signe linguistique n’assume son sens
plein qu’en se déplaçant constamment entre une dimension symbolique (la langue) et
une dimension déictique (l’indication matérielle d’un objet présent dans le champ de
perception partagé par un émetteur et un récepteur ; le renvoi à une expérience vécue et
la représentation que s’en font les locuteurs et qu’ils partagent, ou à l’univers du
discours, où c’est le « contexte linguistique» qui s’érige en champ d’indication).
Le rôle du contexte est d’une importance fondamentale car il est lié directement
à la fonction de représentation du langage : comme le visage d’une personne asiatique
présente des traits qui ne nous sont pas familiers à nous les Européens et qui cependant
assument une valeur au sein de leur champ d’appartenance, de la même manière, le
visage phonique d’un mot est reconnaissable seulement si il est signalé
phonématiquement par des traits significatifs et pertinents afférents à un champ
symbolique où ils peuvent acquérir des valeurs (de « champ ») particulières.
Nous arrivons à reconstruire la physionomie acoustique d’un mot tel que
« table » et à le reconduire à la phonie « tavolo » (en mettant en exécution un
mécanisme mental qui va du « général » au « particulier ») parce que nous
reconnaissons entre eux non seulement des traits communs (comme les signalements
d’un visage) qui nous sont familiers, mais aussi parce que nous avons d’eux la même
représentation (qui se meut entre les deux champ du langage), c’est-à-dire de : « meuble
composé d’un plateau horizontal reposant sur un ou plusieurs pieds ou supports destiné

à un usage déterminé », coordonnée à l’objet « ».


Aucune condition de hasard ne s’établit ni entre les deux signifiants ni entre les
deux signifiés. Même chose si on introduit un troisième élément comme le latin tabula
(dont tavolo et table sont des dérivés) que l’on peut rapporter à la racine
indoeuropéenne *tel- à laquelle est déjà inhérente la même représentation (sa valeur
symbolique) qui confluera, par exemple, dans l’italien et le français (mais pas
seulement) : « plat, terrain plat » (en relation avec tellus). L’identité génétique de ces
mots a été assurée au fil du temps par deux facteurs, la représentation partagée du

121
concept de « table », et la préservation de traits communs (les phonèmes) :

[…] L’image phonique et l’image de chose […] dans un mot forment une association
psychophysique dans le cadre des disposition à la parole d’un individu. L’objet nommé par une
dénomination dans les vécus linguistiques concrets fait l’objet d’une visée intentionnelle et il est plus ou
moins intentionnellement atteint. Chaque fois notamment qu’un partenaire de cette communauté
linguistique emploie lui-même le nom de manière signifiante et correcte en tant qu’émetteur, ou qu’il le
comprend correctement en tant que récepteur d’un message linguistique dans lequel ce mot apparaît.265

[…] Les phonèmes sont des traits caractéristiques sur la totalité acoustique du flatus uocis que
nous appelons des mots ; les phonèmes sont des traits phoniques sur la sonorité de mot. Même les objets
(ce que nomment les dénominatifs) doivent porter des propriétés reconnaissables et différentielles chaque
fois qu’ils se présentent aux sens d’un locuteur et qu’il doivent être nommés « chacun selon son espèce ».
On se rattache souvent pour les circonstances à des éléments qui seraient considérées […] des
« traits » ou des « marques » justes. Le logicien privilégie l’abstraction et procède de manière plus
sommaire, en parlant purement et simplement de traits caractéristiques [Merkmale] pour tous les critères
auxquels un objet doit satisfaire pour qu’il soit possible de lui appliquer un terme dénominatif comme
signe de concept. Sur le plan terminologique, il est approprié de n’employer le terme simple trait et le
terme simple marque que pour des signes particuliers facilement isolables par le sens.266

Une fois clarifiée l’importance de la notion de « champ », pour que notre


analyse soit complète, il convient de spécifier que le champ environnant du langage
(umfeld) s’articule lui-même en plusieurs champs, non seulement en un champ
synsémantique, mais également en un champ sympratique (sympraktisches umfeld : le
comportement effectif des mots « empratiquement » intégrés dans leur champ
symbolique, dans ces circonstances où se manifeste un comportement de réalisation
d’un discours en pratique satisfaisant, par exemple : « dammi una mano per favore! »,
[donne-moi un coup de main s’il te plaît!], au moment où l’on a effectivement besoin
d’aide) et en un champ synphysique (symphysisches umfeld: c’est-à-dire
l’environnement physique auquel le signe est physiquement lié : le contexte phonique
immédiat, par exemple, où s’insère la syllabe pa- de « papà » [papa], ou tout lemme
présent dans un dictionnaire qui est en correspondance idéale avec son dénommé).
Il convient à présent de proposer à cet égard une interprétation personnelle qui
tourne autour du concept de « champ environnant » (umfeld). Etant donné que le champ

265
Op. Cit., p. 278.
266
Op. Cit., pp. 273-274.

122
environnant le plus important et le plus intéressant pour un signe linguistique est son
« contexte » 267, nous croyons qu’il est opportun d’envisager le champ environnant
comme la représentation d’une situation à un moment donné (ici et maintenant), et donc
de le considérer comme un ensemble de faits coexistant dans leur interdépendance.
Quand Bühler affirme qu’il existe des cas où les signes linguistiques semblent dégagés
de leur (« hors ») contexte (on entend « des cas d’absence du contexte »), mais ils ne
sont en rien privés d’un champ périphérique (« mais jamais de cas d’absence du champ
environnant »268), nous pensons qu’il veut dire que le champ environnant sympratique,
synphysique comme synsémantique du langage, plutôt qu’une articulation du champ
symbolique, sont à considérer comme une articulation du champ déictique du langage et
non pas du champ symbolique.
En effet, nous pouvons dire en entrant dans un bar « un déca » en réalisant un
acte sympratique hors contexte, mais pas hors du champ de perception (dans ce cas,
nous n’avons pas besoin du recours à un autre signe linguistique pour nous faire
comprendre par le tenancier du bar et nous faire servir un café) ; nous pouvons à
l’inverse dire : « le chant/champ du signe/cygne » (et avoir alors besoin d’autres signes
linguistiques parce que plusieurs possibilités d’interprétation se présentent) en
provoquant une situation d’ambigüité pour mon destinataire ; mais, en me référant à un
spectacle de danse que j’ai vu la veille (donc hors du champ de perception partagé par
mon partenaire de communication et moi, mais pas hors contexte), nous dissiperions
toute incertitude de compréhension. Peut-être, mais il nous reste une proposition, ce
serait de traduire umfeld par « situation ego- hic et nunc », c’est-à-dire « situation à un
moment donné » plutôt que par « contexte » et considérer les champs périphériques
sympratique, synsémantique et synphysique comme des articulations du champ
d’indication.
Nous sommes parvenus à cette conclusion, après un examen minutieux du texte
de Bühler, mais surtout après nous être confronté au concept de « champ » proposé par
Kurt Lewin, représentant important de la psychologie de la gestalt très apprécié par
Bühler et dont il avait certainement à l’esprit les travaux sur la « théorie du champ » et
son application dans les dynamiques sociales de groupe. Nous le suggérons, et nous
posons la question :
267
Op. Cit., p. 268.
268
Ibidem.

123
[...] L’ensemble des objets, des personnes, des activités ou des situations présentes et futures,
avec lesquels l’individu, à un moment donné, est, de façon plus ou moins consciente, en rapport ; est une
des parties qui constituent l’ « espace de vie » d’une personne (l’autre partie est la personne elle-
même).269
[...] le monde subjectif entre en contact avec le monde objectif et le modifie, c’est justement
pourquoi les activités liées aux rôles du je se réalisent. La présence du Moi devient donc indispensable
pour réaliser des enquêtes concernant l’environnement comportemental d’un sujet, car le champ
psychologique dépend non seulement des intentions, des aspirations, des décisions, des besoins et des
émotions du Moi, mais aussi des conditionnements de l’environnement. L’étude de l’action en tant que
conduite est en effet l’étude du processus continu par lequel le système du Moi conserve son équilibre au
sein du champ d’ensemble. L’organisation stable du système du Moi le protège en empêchant sa mutation
à chaque nouvelle influence. Toutefois, afin de préciser le terme stabilité, même en présence d’influences
extérieures, il est bon de considérer qu’à aucun moment le Moi ne se trouve en position d’équilibre : le
Moi n’est jamais au repos. Le Moi est toujours en mouvement vers quelque part ; sa stabilité doit donc
toujours être considérée en rapport avec la direction dans laquelle il se dirige. Pourtant les frontières du
Moi ne sont pas fixes ni statiques, mais variables et flexibles270

Il n’est peut-être pas si hasardeux d’affirmer que les champs environnants


sympratique, synphysique et synsémantique sont des articulations du champ déictique
du langage, étant donnée la complexité de l’activité fondamentale que le Moi mène au
sein du champ.
Nous terminons notre étude de la théorie des deux champs du langage, en
montrant, avec un exemple, à quel point cette théorie est inséparable du concept de
physionomie acoustique des mots.

269
Kurt Lewin, Teoria dinamica della personalità, Editrice Universitaria, Firenze, 1965, pp. V-XXXVI.
« […] L’insieme degli oggetti, delle persone, delle attività o anche delle situazioni presenti o future, con
cui l’individuo, ad un momento dato, è, in forma più o meno consapevole, in rapporto; è cioè una delle
parti che costituiscono lo ‘spazio di vita’ di una persona (l’altra di queste due parti è la persona stessa) ».
270
Op. Cit., p. XV-XXIII.
« [...] il mondo soggettivo entra in contatto con quello oggettivo e lo modifica, per cui si realizzano
appunto le attività legate ai ruoli dell’Io. La presenza dell’Io diventa quindi indispensabile per svolgere
indagini riguardanti l’ambiente comportamentale di un soggetto, in quanto il campo psicologico dipende
non solo dalle intenzioni, dalle aspirazioni, dalle decisioni, dai bisogni e dalle emozioni dell’Io, ma anche
dai condizionamenti dell’ambiente. Lo studio dell’azione in quanto condotta è infatti lo studio del
processo continuo con cui il sistema dell’Io conserva il proprio equilibrio entro il campo totale.
L’organizzazione stabile del sistema dell’Io lo tutela dal venire mutato da ogni nuovo influsso. Tuttavia,
per precisare il termine stabilità, anche in presenza degli influssi esterni, è bene considerare come in
nessun momento l’Io si trova in una posizione di equilibrio: l’Io non è mai a riposo. L’Io sta sempre
dirigendosi verso qualche parte; quindi la sua stabilità va sempre considerata in rapporto alla direzione in
cui sta muovendosi. Pertanto le frontiere dell’Io non sono fisse e statiche, ma variabili e flessibili ».

124
Prenons la période suivante, déjà proposée, extraite de la conversation entre
Khudai, le jeune-homme afghan et l’étudiante romaine271 :

« […] Perché io a letto. Una ra-ga-zzino viene, ’coverato anche lui. Prima co’ me escherza, gioca
a carte, perché io no parla bene. Come se scherza e scherza, dove vien(e/i) dove non vien(e/i). Allora io
non capisco bene. Alla fine dic(e) « (oh) questo è strunso, perché non parla italiano? » […] »

(Traduction française) :
[« Parce que j’étais au lit. Uu garçon est <hospitalisé> lui-aussi. D’abord il blague avec moi, il joue aux
cartes, parce que je ne parle pas bien l’italien. Il me semble qu’il blague et en effet, il blague, d’où tu
viens ? Alors, je ne comprends pas bien. À la fin, il dit - (oh) il est con, parce qu’il ne parle pas l’italien ?
- »]

Après avoir considéré ce passage, vérifions avec la théorie des deux champs
dont nous avons parlé jusqu’à présent, si effectivement nous percevons la physionomie
acoustique d’un message sonore en partant du tout (du « général ») et en procédant vers
ses parties (le « particulier ») :
1. Interaction entre le champ symbolique et le champ déictique du langage.
Si nous demandions à quelqu’un de comprendre le contenu du message
rapporté ci-dessus, il ne le comprendrait que si nous lui fournissions des
indications contextuelles. Si nous l’informions du fait qu’il s’agit d’un
jeune-homme afghan qui a émigré à Rome depuis dix-huit mois, qui se
trouve en situation d’interlangue (d’apprentissage L2, à vrai dire L3 pour
l’italien), qui a été hospitalisé pour des problèmes de santé dans un
hôpital romain, qui est interviewé par une étudiante qui s’occupe
d’apprentissage des langues. Sans ces informations personne ne serait en
mesure d’interpréter correctement le sens de son message : car le champ
symbolique et le champ déictique n’agissent pas simultanément.
2. Interaction avec le champ sympratique du langage : « una ra-ga-zzino
viene, ’coverato anche lui » (« un garçon est hospitalisé lui-même »).
Observons cette phrase. Dans ce cas, la phrase, une fois extraite de la
conversation dont elle faisait partie, est soustraite à son champ
environnant sympratique (le « cotexte ») et l’efficacité du champ

271
Cf., supra, II, § 3.

125
déictique en est notablement réduite. Celui qui doit percevoir ce message
ne comprendra la phrase que dans son sens littéral. Cela advient parce
qu’on ne connait pas les circonstances dans lesquelles cette phrase a été
prononcée.
3. Interaction avec le champ synsémantique du langage. Extrayons le mot
« ‘coverato » [« (ho)spitalisé »] de la phrase dont il fait partie et
soumettons-le à son champ environnant synsémantique (le « contexte »).
Le visage d’une phonie ainsi structurée serait méconnaissable ou
identifié avec beaucoup de difficultés par celui qui ne connait ni la
phrase ni la conversation dont elle est extraite.
4. Interaction avec le champ symphysique du langage. Déstructurons
encore un peu plus le mot « ‘coverato » et isolons les syllabes « co-ve-ra-
». En les soustrayant-les de leur champ environnant symphysique (le
« contexte phonique » immédiat dans lequel elles étaient insérées), nous
avons annulé complètement, ou presque, la force du champ déictique : il
serait pour ainsi dire impossible, ou très difficile (on pourrait, certes,
tenter de deviner ad libitum, en cherchant à composer la phonie
incriminée mais sans aucune assurance de succès) de rapporter ces
morceaux de mot autonomes aux syllabes du mot « ricoverato »
(« hospitalisé »). Cela aurait été encore plus compliqué si nous avions
extrait une seule des cinq syllabes qui composent la structure phonique
en question.

Par cette petite expérience272, qui sera encore plus utile dans la deuxième partie
de cet ouvrage, nous avons simplement voulu démontrer que la perception d’un
message sonore, d’un seul mot ou même d’une syllabe, advient de manière holistique.
Une structure linguistique acquiert valeur et consistance seulement au moment où elle
est insérée au sein d’une physionomie globale sur laquelle agissent les deux champs du
langage.

272
La même expérience a été présentée in: cf., Albano Leoni 2011a, Op. Cit., p. 10.
Elle a été conçue par Federico Albano Leoni et Pietro Maturi. Nous la reprenons et l’adaptons à nos fins.
Nous n’avons pas actuellement d’autre expérience à proposer en ce qui concerne la question de la
perception gestaltique des phénomènes linguistiques. Toutefois, nous renvoyons à la suite de nos
recherches, afin de concevoir une autre expérience qui validera nos hypothèses.

126
Nous réussissons à reconstituer la physionomie acoustique d’un mot (mais aussi
d’un message entier) quand nous sommes en mesure d’en rapporter les traits (les
parties) au visage (au tout) dont ils font partie. L’idée d’une dimension gestaltique de la
langue est donc inéluctablement en relation avec la théorie des deux champs du
langage :

Peut-être est-il opportun de souligner encore une chose, à savoir que les signes du langage
articulé dans l’interaction vivante de la vie quotidienne ne fonctionnent nullement de manière exclusive.
Le locuteur produit tout à la fois, et sans y prendre garde, des gestes, des mimiques et des sons. Dans cette
interaction, c’est la totalité des signes de communication produits simultanément au signe linguistique
isolé qui ont pour lui valeur de champ environnant synsémantique. […] Lorsque le linguiste élabore la
« syntaxe » d’une langue donnée, il se concentre d’abord uniquement sur l’ensemble des signes
acoustiques pourvus d’une empreinte phonématique. Il s’agit là d’une abstraction appropriée qui s’est
révélée fructueuse.273

Tel que nous le connaissons aujourd’hui, le langage humain en tant qu’instrument de


représentation symbolique a un certain nombre d’étapes développementales derrière lui, qui toutes
suggèrent que la langue s’est affranchie toujours plus de la monstration, et s’est toujours davantage
éloignée de l’iconicité. Le détachement de l’énonciation langagière singulière par rapport aux auxiliaires
situationnels, par rapport au champ déictique du langage, est un sujet auquel nous sommes, me semble-t-
il, en mesure d’apporter une conclusion satisfaisante dans la section consacrée à la phrase. Nous
manquons encore en revanche d’un modèle supra-linguistique totalement explicite, à l’aune duquel il soit
possible d’éclairer le mode de représentation symbolique extrait du langage. On comprend sans peine
qu’un appareil symbolique, une fois éloigné de la reproduction iconique et indirecte qu’est devenue la
langue, parvienne à atteindre un haut degré d’universalité dans ses performances. Mais je ne comprends
pas pourquoi il ne perd pas totalement par la même occasion la capacité à restituer fidèlement les
relations. – Je ne le comprends pas, pour être franc, comme tout le monde devrait pouvoir le comprendre
à la lumière d’une théorie générale du langage. Peut-être surestimons-nous l’affranchissement à l’égard
du champ déictique, peut-être sous-estimons-nous le fait que chaque représentation linguistique d’un état
de choses est fondamentalement ouverte et requiert d’être complétée en puisant dans un savoir à propos
de cet état de choses. Ou, ce qui revient au même : tout savoir saisi linguistiquement reçoit peut-être un
complément d’une source qui, pour ne pas se déverser dans les canaux du système des symboles
linguistiques, n’en produit pas moins un savoir authentique.274

273
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 280.
274
Op. Cit., p. 391.

127
§ 5. La physionomie des mots comme représentation à « l’arbitraire
limité ».

Nous terminons ce long chapitre consacré aux principes de la linguistique de


Karl Bühler que nous distinguons ici car il nous intéresse pour nos objectifs de
recherche, en cherchant à mettre en lumière le lien entre la perspective physiognomique
et la motivation du signe.
. D’autres thèmes de la Sprachtheorie seraient à approfondir et à examiner, mais
ce que nous venons d’exposer suffit aux fins de notre étude, visant à chercher un
possible cas de limitation de l’arbitraire. Par ailleurs, nous ne nous sommes pas donné
pour objectif un examen critique exhaustif de l’œuvre en question. D’autres que nous
ont précédemment accompli cet imposant travail.
Nous partons principalement des deux hypothèses fondamentales dont découlent
nos réflexions et qui encadrent la question :

I. 1ere Hypothèse: Nous considérons le langage comme un instrument de


représentation indirecte. Il n’a pas de relation directe avec les choses
auxquelles il réfère, mais il nous guide vers une connaissance directe des
choses.
II. 2eme Hypothèse Nous considérons une phonie, un message sonore,
comme une gestalt in praesentia, c’est-à-dire comme un « tout
organisé ». Nous le percevons et le reconnaissons lors d’un échange
communicationnel de façon holistique (du « tout vers les parties », du
« général au particulier »).

Après ces prémisses, nous affirmons que le signe linguistique est motivé parce
qu’entre signifiant et signifié s’instaure un rapport nécessaire, logique et naturel. Pour
admettre la perspective suivante il convient de se mettre du côté du locuteur, de celui
qui apprend la langue et l’assimile. Il faut toutefois admettre que la langue, bien qu’elle
soit un système, n’est pas une structure abstraite (c’est-à-dire isolée de la réalité
psychophysique dans laquelle elle se situe) mais que la matière phonique acoustique

128
concret dont elle offre sa reproduction est le résultat d’un entrelacement complexe entre
le monde (le « contexte »), compris comme la scène partagée, et les locuteurs qui
occupent cet espace.
Prenons à titre d’exemple les phonies suivantes ; italien sorella [sœur, dans le
sens familial] (par souci de rigueur, il convient de préciser que ce mot est un dérivé
italien de suora [sœur, dans le sens religieux], mais cela à peu d’impact sur notre
analyse), latin soror, français sœur (cf., sanscr. svásar-, gotique swistar, anglais sister,
allemand schwester, paléoslave sestra,) de la racine indoeuropéenne *swesor (terme qui
peut être entre autres décomposé en *swe-/sor, où le premier élément représente la
famille étendue indoeuropéenne, alors qu’il semblerait que le second présente un nom
archaïque pour « femme »). Le signifié d’origine de la racine serait alors « femme de la
famille étendue ».
Pourquoi les phonies suivantes devraient être considérées comme des
« structures à arbitraire limité »? Avant tout parce qu’elles conduisent, toutes, le
locuteur à la connaissance directe et à la représentation du même concept « personne de
sexe féminin née des mêmes parents » ou aussi « parente par le sang, cousine ».
Concept partagé par tous les sujets parlants impliqués dans cet échange
communicationnel où se matérialise le concept de « sœur ».
De plus, à cette idée de « sœur » est associé un signifiant linguistique composé
d’une séquence de phonèmes, qui en représentent les traits (comme les traits pertinents
d’un visage humain donné qui nous est familier et que nous sommes en mesure de
reconnaître, bien qu’il puisse changer au cours du temps, ou quand il est artificiellement
caché), c’est-à-dire des traits caractéristiques capables d’en préserver l’identité
génétique quand son visage phonique varie.
Tentons d’améliorer un peu plus la compréhensibilité de notre pensée.
Considérons à nouveau le mot italien sorella examinons-le en tenant compte du fait
qu’il n’est pas autre chose qu’une « application » (c’est-à-dire la représentation de
quelque chose, dans ce cas du concept « personne de sexe féminin née des mêmes
parents ») qui prévoit une relation de figuration. Gardons présent à l’esprit que ce mot
est à considérer situé dans une réalité psychophysique (dont le sens bouge constamment
entre une dimension symbolique et une dimension déictique, comme nous l’avons vu
avec la théorie des deux champs) partagée par un émetteur et un récepteur.

129
La série associative [s+o+r+e+l+l+a] prévoit un ordre des phonèmes qui rend
cette application non pas arbitraire mais « raisonnable ou, comme dit Bühler, appropriée
et efficace ».275

Elle fonctionne « raisonnablement » dans la mesure où elle permet de connaître facilement la


chose à partir de cette figuration. Nous y retrouvons ce savoir immédiat sur la chose produite chez
l’auditeur par la représentation, ce savoir que nous avons déjà évoqué ci-dessus. Ce processus de savoir
est exprimé par Bühler dans la formule suivante : « je dis que…et l’auditeur sait que… ».276

Appliquons à notre série associative [s+o+r+e+l+l+a] ce « processus de


savoir » auquel participent les deux locuteurs, lesquels partagent la même
représentation de ce concept. Comment se fera l’identification de cette structure
linguistique de la part d’un locuteur B? Tout d’abord, ce locuteur, un natif français pour
notre démonstration, percevra cette phonie comme une gestalt, en la reconnaissant à
partir de sa silhouette phonique : il s’agit d’une opération où le tout (« sémiotique ») est
rapporté à la partie, où l’on va du général au particulier : on part de la physionomie
acoustique de sorella pour rejoindre la forme sœur, reconstituée grâce à l’aide
d’opportuns diacritiques, les phonèmes qui, malgré la variation du visage phonique
sorella ont maintenu leur capacité de signalement grâce à une certaine stabilité de leur
position au sein de l’ordre « sœur ».
Le locuteur français réussit à en reconstruire les traits en reconnaissant les
segments /SO[œ]/ /OR/ (les mêmes qui caractérisent le visage phonique latin soror)
comme étant communs aux deux phonies, en construisant sur la figure imaginaire sœur
(dont il a bien conscience) les segments manquants /EL/ /LA/ de « sorella » .277
Ce processus, bien plus simple à mettre en œuvre si la phonie apparaît à l’écrit
au sujet B, devient plus coûteux au cours d’une conversation orale, où toutefois, le
recours à la perspective physiognomique intégrée à la théorie des deux champs (donc

275
Friedrich in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 52.
276
Ibidem.
277
De même un locuteur italien serait en mesure de reconnaître et de reconstruire les segments des mots
français suivants : mang_r, lang__e, part_e, solut___s, retrou___r etc. (il manque ici le rôle crucial du
« contexte »). Dans ces cas, comme dans l’exemple sœur/sorella, le locuteur italien réussit à reconstruire
manger, langage, partie, solutions, retrouver, parce que la représentation de ces mots est médiatisée par
une certaine successivité construite sur les figures imaginaires mangiare, linguaggio, parte, soluzione,
ritrovare, dans le cas où la perception est réalisée par un locuteur italien, et sur la successivité inhérente à
une certaine organisation de succession des phonèmes, considérés comme des instruments de mise en
ordre, quand l’identification est prise en charge par un francophone.

130
insérée dans un contexte bien précis, tout comme l’évidence du rôle du contexte)
permettrait, de conclure avec succès l’échange communicationnel.
Même-là, en effet, la reconnaissance du mot « sorella » se réalise à l’aide des
mêmes mécanismes, de généralisation et de particularisation, réalisés par la pensée. Il
faut considérer un stimulus sonore plus riche qui fait de contour à ce mot : c’est-à-dire
la physionomie globale en tant que « tout sémiotique » bien structuré et qui est le
résultat de l’action des deux champs :

Appliqué à notre polygone [un hexagone qui présente la série associative suivante : ABCDEF]
[…] : « je dis la ligne CE, et l’auditeur sait qu’un angle a été sauté ; je dis AD ou BE, et l’auditeur
construit sur la figure imaginaire une diagonale principale, etc. ». […] La représentation est médiatisée
par une certaine organisation successive inhérente à la chaine alphabétique […] ou par une certaine
organisation successive […] qui font que ce qui est représenté est […] connu. La tournure « je dis
que…alors il sait que… » reflète bien cette dimension de la représentation symbolique : elle se fait à
travers des auxiliaires, donc d’une manière médiatisée, et ces auxiliaires font que l’auditeur connaît
immédiatement le monde.278

[…] C’est ainsi (pour n’en tirer qu’un minimum) que tous les voisinages de points de A à F se
reproduisent dans les relations de voisinage de la série associative. Je dis dans la discussion « la ligne
CD » et l’auditeur sait qu’il s’agit de l’un des six côtés de l’hexagone. […] L’alphabet est une chaîne
associative (un ordre aveugle) et rien d’autre. Mais tout le monde l’a apprise et en dispose. C’est pourquoi
des figurations de séries quelconques d’objet par projection sur la chaîne de l’alphabet constituent d’utiles
relations de coordination, que nous utilisons très fréquemment à des fins pratiques de mise en ordre. Il
serait facile de démontrer qu’à l’intérieur du système des signes dont se compose une langue parlée on
rencontre un très grand nombre de chaînes associatives et de réseaux d’associations qui, du point de vue
psychologique, sont sur le même plan que la chaîne alphabétique […] La chaîne alphabétique fonctionne
[…] comme un médiateur ; et sa fonction comme médiateur est celle de d’un organisateur, d’un
instrument de mise en ordre et de coordination.279

Ces citations suggèrent que le langage ne copie en rien la réalité, mais qu’il
existe une certaine fidélité relationnelle et matérielle dans la convention d’application
(la chaine alphabétique illustrée dans l’hexagone. Non pas les mots.).

278
Op. Cit., p. 53. Nous ajoutons les italiques entre crochets.
279
Karl Bühler [1934] 2009, p. 315. Op. Cit.

131
Qu’entendons-nous par fidélité matérielle et relationnelle? Prenons l’exemple
bühleriano du thermomètre : la ligne de mercure qui indique la température (haute ou
basse) représente la convention d’application.280
Le thermomètre, parce qu’il est un instrument de représentation indirecte,
justement comme le langage, est en relation étroitement motivée avec l’idée qu’il
représente : la fièvre (il nous permet de savoir si elle diminue ou si elle augmente, c’est-
à-dire ce qu’il représente).
Dans la même mesure, les phénomènes linguistiques sont en tout et pour tout des
signes entre lesquels s’instaure un processus de représentation caractérisé par sa relation
bien spécifique, représentant : représenté. Il s’agit d’une relation purement idéale d’un
côté, mais tout à fait arbitraire de l’autre :

Il existe donc une espèce de « fidélité » entre la représentation par application des signes dans un
champ et ce qui est représenté. Cette fidélité consiste dans le fait qu’on utilise une manière de faire bien
répandue et apprise […] On peut, en conséquence, parler de fidélité dans la mesure où cette manière de
représenter est connue par les locuteurs sous forme de conventions réglées (principes d’application) et
permet en conséquence de savoir immédiatement quelque chose concernant la chose représentée […]
Dans ce contexte, Bühler parle d’Abbildung (traduit ici par figuration), un terme qui signifie en allemand
avant tout reproduction. In ne s’agit pas cependant, nous l’avons vu, d’une reproduction sous la forme
d’un reflet ou d’une copie de la chose, mais bien d’une « reproduction » dans le champ, qui se base sur un
principe d’application (convention) qui fait immédiatement connaître (savoir) ce qui est représenté.281

Il est en outre opportun d’ajouter que les mots, les propositions, les messages
sonores sont des entités sémiotiques bien formées, lesquelles sous-tendent la loi de
formation et de composition de la langue :

Dans l’état actuel de la langue, en respectant l’exigence qu’élève chaque mot d’être
phonématiquement frappé avec suffisamment de netteté, et de la sorte d’être distingué de mots de
sonorités semblables, on dresse une barrière ultime, la barrière phonématique, à tout besoin iconique
incontrôlé. Les traits phoniques portés par le mot, les phonèmes, doivent être réalisés avec une netteté
suffisante, et dans l’ordre correct ; mais chaque phonème laisse à sa réalisation un espace de jeu, et c’est à
l’intérieur de cet espace de jeu qu’il est possible de modeler iconiquement le matériau phonique.282

280
Op. Cit., pp. 310-311.
281
Friedrich in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 53.
282
Karl Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 330.

132
[…] À l’autre extrémité de la série des moyens de composition linguistiques, le rapport du mot à
ses phonèmes est à peine moins spécifique. Les phonèmes sont des traits phoniques contenus dans la
sonorité de mot, qui peuvent être dénombrés dans chaque mot. Cela étant, l’image de mot possède par
ailleurs une gestalt, elle présente une physionomie acoustique qui se modifie telle une physionomie
humaine selon les variations de l’expression et de la fonction d’appel. […] Ce qui, de manière générale,
doit intéresser le théoricien du langage est la remarquable constance du signalement phonématique des
images des mots à travers les variations de leur physionomie acoustique.283

L’image acoustique d’un mot est frappée par l’intermédiaire d’une certaine
composition de ses formants et grâce à cet ordre séquentiel, pour qu’il joue le rôle de
médiateur entre deux interlocuteurs, qui sont en mesure de reconnaître une physionomie
phonique malgré la variation de son aspect :

Il est donc possible et nécessaire de diviser le traitement scientifique des sons du langage
exactement comme l’exige l’intuition logique. Ceux-ci peuvent, d’un côté, être observés comme ce qu’ils
sont « pour eux-mêmes » et, d’un autre côté, sous l’aspect de leur vocation à fonctionner comme des
signes. C’est ce que font, d’un côté, la phonétique, de l’autre la phonologie […] Seule la conception
phonologique […] permet de comprendre qu’il n’y a dans chaque langue qu’une multiplicité
dénombrable, un système transparent de signes sonores discrets (vocaliques, consonantiques etc.). Leur
fonction sémantique consiste […] à servir d’éléments diacritiques dans les phénomènes complexes qu’on
appelle des mots. Les phonèmes sont les « marques » naturelles (les signes de reconnaissance) par
lesquels, dans le flux sonore de la parole, les unités sémantiquement déterminantes de ce flux sonore sont
reconnues et discriminés.284

Quand nous utilisons le verbe « frapper », nous évoquons le recours au concept


d’ « empreinte phonématique » 285, et nous rappelons le célèbre exemple bühlerien de la

283
Op. Cit., p. 397.
284
Op. Cit., pp. 128-129.
285
Nous ajoutons que les phonèmes, selon le modèle instrumental (organon) du langage, représentent le
fruit d’une sélection sur un ensemble plus vaste de sons (il suffit de rappeler le concept de « stock
phonématique » et de « traits phoniques » [supra, I, § 4, § 5] ; et leur valeur différentielle est garantie
justement par leur empreinte phonématique. La conception du phonème n’est pas combinatoire mais
fondamentalement prototypiste, vu que c’est la fidélité à une matrice matérielle qui en permet
l’identification (pour cette raison on parle d’analogie avec la frappe des monnaies). On évolue dans une
perspective pragmatique et sémiotique, visant à définir les conditions objectives de l’identification du
signe (en privilégiant une linguistique de la parole). Affirmer que les phonèmes sont susceptibles d’avoir
une empreinte phonématique équivaut à dire que les mots d’une langue sont à considérer comme « des
signes phoniques pourvus d’une empreinte phonématique et susceptibles de champ » [Bühler 1934; tr. fr.
2009, Op. Cit., p. 446]. Pour conclure : « La théorie bühlerienne du phonème fait essentiellement appel à
trois notions : l’empreinte ou frappe phonématique, la physionomie acoustique et le caractère de la voix.
Les deux premiers traits, qui relèvent du code partagé entre les locuteurs […], permettent d’identifier les

133
« frappe linguistique ». Comme la monnaie possède une empreinte qui lui a été
imprimée par la frappe, de la même façon, il existe une « empreinte phonématique » de
l’image acoustique, le mot possède une empreinte lisible, par exemple, dans sa racine
indoeuropéenne :286

Le pendant de l’échange de signes est le commerce de marchandises […]. Le dollar circule, et ici
les partenaires de la communication, se reposent plus largement sur la convention « un dollar est un
dollar », parce qu’ils ne doivent ni le manger ni le fumer. D’un certain point de vue, les mots fonctionnent
dans l’interaction verbale de manière encore plus indifférente à la matière (de manière encore plus
dématérialisée, plus abstraite287) que le dollar, et d’un autre point de vue, ils sont par ailleurs pourvus de
qualités qui varient d’un cas à l’autre, qui sont pertinentes pour la communication, et auxquelles les
partenaires de la communication sont très sensibles […]. La pièce de monnaie présente une empreinte
qu’elle tient du coin avec lequel elle a été frappée.288

La seule idée de convention, dans notre façon de voir les choses, applicable au
langage, est le rapport de convention qui établit la valeur du mot. Cette valeur se réalise
toujours, dans toute communauté linguistique, conformément au principe selon lequel la
monnaie est utilisée symboliquement comme produit d’échange. Si, comme l’affirme
Bühler, « dollar est dollar », de la même façon l’exemple de l’empreinte phonématique
de la racine indoeuropéenne « *swesor est *swesor », à laquelle on a conféré le signifié
primaire de « personne de sexe féminin née des mêmes parents » ou aussi de « parente

mots et les phonèmes, mais la physionomie acoustique est une Gestalt et seul le concept d’empreinte
(scil. frappe) phonématique correspond mutatis mutandis à la définition pragoise du phonème » [Samain
in Bühler 1934; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 632].
286
Il faut naturellement préciser que l’on parle d’« empreinte phonématique », dans le cas des phonèmes
en considérant le faisceau matériel des traits pertinents, en nous référant aux traces constantes et
permanentes qui restent d’une image acoustique malgré la variation de sa physionomie. Et cela advient
quand nous sommes confrontés à un mot étranger à notre état de langue mais qui ressemble à un mot
présent dans notre répertoire lexical : nous le reconnaissons parce que nous avons son empreinte
imprimée dans notre conscience et qu’elle présente des traits pertinents communs (justement les
phonèmes). Les signes phoniques d’une langue, les mots, comme les phonèmes, possèdent une empreinte
phonématique.
287
Quelques mots sur la notion bühlerienne d’abstraction : quand nous l’utilisons, à propos du signe
linguistique, nous ne pensons pas tout à fait à une substance qui n’a pas de corps, indéfinie, théorique. Au
contraire, en suivant Bühler, nous penchons pour une linguistique de la parole et des formes où il résulte
que le signe est une entité à insérer dans la réalité psychophysique du locuteur: « […] Deuxièmement, et
sans doute plus fondamentalement, loin d’être réellement abstraits, ces traits pertinents sont toujours
présentés par Bühler comme le fruit d’une sélection objective, voire matérielle, sur la totalité du matériau
acoustique concret. À égale distance du fourvoiement substantialiste et d’une combinatoire abstraite, la
démarche adoptée témoigne donc d’un certain empirisme, d’abord soucieux de déterminer les conditions
psychologiques d’identification des signes » [Samain in Bühler 1934, tr. fr. 2009, Op. Cit., p.
648].
288
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 148.

134
par le sang », et à partir de laquelle, toutes les autres monnaies avec la même valeur
symbolique (comme dit Bühler, dont la « représentation ») ont été frappées.
Au moment où on confère une attribution effective de signification au signe
linguistique, cela anéantit sa liberté :

C’est à l’empreinte phonématique de l’image acoustique d’un mot qu’est associée, de manière
analogue aux marques commerciales et au coin des monnaies, une convention de communication. Cette
convention (dans l’acception purement logique du terme) fixe la valeur de symbole du mot, valeur qui, à
l’intérieur d’une communauté linguistique, conformément à la phrase « un dollar est un dollar », est
donnée pour équivalente dans tous les cas où il est réalisé […]. Un billet d’un dollar se trouve devant moi
sur la table. Il est pourvu de signes individuels d’identification […]. Avec de pures entités sémiotiques, il
n’en est question que lorsque, par exemple, on exploite leur physionomie propre pour les faire
fonctionner comme signes indiciels, ou encore lorsque le Pégase « symbole » est mis sous le joug et attelé
à l’objet qu’il symbolise, ou à un objet qui a besoin d’une marque d’authenticité (par exemple d’une
marque de propriété ou d’origine). 289

Par conséquent, comme la monnaie change au cours du temps, la physionomie


acoustique des mots se modifie. Toutefois, elle reste de façon indissoluble liée au
matériel de la « frappe phonématique » : c’est-à-dire que la physionomie reste liée, par
exemple, à sa racine indoeuropéenne, et, ni sa valeur symbolique ni sa frappe n’auraient
pas pu se modifier de façon discontinue au cours des siècles : c’est ainsi qu’on crée
l’identité génétique diachronique des mots (à savoir, une « unité historico-
linguistique »).
De même, la valeur symbolique (« moyen de paiement » à partir duquel toutes
les autres monnaies qui ont maintenu des traits distinctifs en commun ont été frappées)
de la monnaie n’a jamais changé. Même la monnaie en tant que convention
d’application, est-elle le résultat d’un choix arbitraire ? (Aurions-nous pu choisir
n’importe quelle chose comme moyen de paiement ? Le besoin d’attribuer « une valeur
aux chose » nous a-t-il poussés vers les métaux précieux ou les coquillages ?)
Mais, sa représentation, assimilée et partagée par une communauté de personnes,
n’est pas le résultat d’un choix arbitraire. C’est ce que nous apprend l’histoire de la
création des monnaies : Il en va de même pour le langage.

289
Op. Cit., pp. 149-150.

135
La chaîne alphabétique représente la « convention d’application » avec laquelle
on a composé une racine i.e. déterminée à laquelle, à partir d’une certaine représentation
qui la coordonnait à un objet ou à un état de choses de la réalité, on a conféré une
certaine signification de laquelle on a frappé tous les mots dont la valeur symbolique ne
s’est jamais perdue.
Les signifiants linguistiques d’une part, bien que représentation phénoméniques
de l’événement concret phono-acoustique (la parole), et les signifiés d’autre part,
donnent vie à la structure à arbitraire limité qu’est le signe linguistique. Il nous permet
de connaître facilement une chose en partant de sa configuration (de sa forme, de sa
structure linéaire).
Bien que la physionomie acoustique d’un mot puisse changer dans le temps et
dans l’espace (comme un visage humain vieilli, change et se transforme mais maintient
quoi qu’il arrive des traits qui ne s’altèrent pas), elle conduit celui qui l’utilise à la
connaissance directe d’un concept déterminé (la représentation mentale que l’on a
justement de quelque chose dont la valeur symbolique perdure au fil du temps).
En d’autres termes, elle permet la connaissance immédiate de ce qu’elle
représente, en mêlant dans un paysage complexe de jeux linguistiques, ses usagers et le
monde (où les interactions linguistiques se déroulent et sont interprétées), connectés par
des relations sémantiquement définies par les signes linguistiques (qui s’instaurent entre
émetteur, récepteur, objets et faits), accomplissant totalement la fonction de
représentation du langage.
Voici l’attache naturelle entre signifiant et signifié dans la réalité :

Que nous apprend l’histoire du langage ? […] Si on aborde les choses par l’angle sous lequel le
locuteur peut encore s’essayer le plus librement à la création de mots, c’est-à-dire du point de vue des
noms de bruit, on n’a guère à craindre d’objection, dès lors qu’on laisse d’abord place à l’hypothèse qu’il
s’agit là d’un procédé de création lexicale très naturel et par conséquent probablement très ancien. En
effet, pour autant que nous sachions, aucun être humain n’opère de choix dépourvus de motifs – pourquoi
les choix originaires des créateurs de langage auraient-ils dû être par principe dépourvus de motif ? Et
qu’y a-t-il de plus naturel qu’une forme quelconque d’imitation lorsqu’on est incité à répondre à quelque
chose de nouveau en le caractérisant par de nouvelles réactions vocales ? 290

290
Op. Cit., p. 334.

136
[…] Saussure est en avance sur son temps et il a été si près de concevoir la phonologie que sa
problématique n’a manqué à proprement parler que d’une seule chose, en l’occurrence d’indiquer ce qu’il
en est du rapport de la phonologie à la phonétique. – Pourquoi la phonétique doit se maintenir à côté de la
phonologie et pourquoi elle avait déjà pris à son époque le chemin d’une science de la nature exacte, voilà
ce qui est resté caché à Saussure. […] Il a très nettement dégagé, peut-être même de manière excessive
sur certains points, le caractère intersubjectif des structures langagières et, en liaison avec cela, son
indépendance par rapport au locuteur individuel d’une communauté linguistique. La langue, dit-il, est
« extérieure à l’individu, qui à lui seul ne peut ni la créer ni la modifier ; elle n’existe qu’en vertu d’une
sorte de contrat passé entre les membres de la communauté » .291

Notre dissertation, longue mais nécessaire, sur la perception gestaltique des


phénomènes linguistiques, sur la physionomie acoustique des mots, ici considérés en
tant que structures à l’arbitraire limité, ne peut que se conclure avec une précaution.
Notre point de vue peut sembler audacieux et notre interprétation des
mécanismes cognitifs qui régulent l’apprentissage du langage et plus généralement
l’identification et la reconnaissance des mots au sein du circuit de la parole, peut
sembler téméraire.
Le fait que sur le fond de nos réflexions influe les travaux d’un auteur peu connu
du plus grand nombre, Karl Bühler, ne vient probablement pas renforcer notre position.
Encore plus, si l’on considère que son « antagoniste » est un certain Ferdinand de
Saussure, père de la linguistique moderne. Nous n’avons aucune prétention d’échapper
aux critiques. Soit assuré de notre part qu’il n’y a aucune intention de lui formuler des
objections. Nous avons plusieurs fois mis l’accent sur le fait que notre point de vue est
celui d’un structuraliste. Nous partons de là et nous nous y tenons. Nous avons
simplement voulu introduire au cours de cet exposé quelques considérations qui ne font
qu’intégrer les leçons saussuriennes.
Par ailleurs, bien que Saussure admettait d’un certain côté des limitations à sa
vision arbitraire, de l’autre il négligea, dans ses minutieuses analyses des faits de
langue, un facteur, le plus important à notre avis : le « contexte ». Il affranchit le
langage, l’instrument, de son utilisateur, en omettant le moment social du langage.
Il construisit avec acuité et génie sa vision du langage à partir de plusieurs points
de vue. Il en tira l’essence avec un regard linguistique, naturellement, sociologique,
philologique, anthropologique et géographique. Seule la composante psychologique à

291
Op. Cit., pp. 145-146.

137
laquelle il prêta aussi quelque intérêt (ses réflexions sur les rapports associatifs et sur
l’analogie en sont des exemples illustres) aurait méritée plus d’attention.
Mais il est à peu près certain que son époque, et le contexte dans lequel il
opérait, ne le lui ont pas permis. La psychologie ne bénéficiait pas d’une bonne
considération de la part des linguistes, elle n’était pas envisageable comme une solution
possible pour l’interprétation des phénomènes concernant le langage, dans un milieu où
la grammaire comparée régnait sans partage.
Là réside le mérite d’un chercheur comme Bühler (et de Guillaume, dont nous
n’avons pas traité la pensée de façon systématique, mais nous avons relevé des points
communs entre les deux auteurs tout au long de notre travail) auquel nous reconnaissons
le mérite d’avoir cherché la vraie nature du langage et les lois essentielles qui régissent
psychiquement sa formation.
À la suite de ces considérations, nous avons voulu affirmer la fonction
instrumentale et représentative du langage, la centralité des parlants dans l’échange
communicationnel et l’étroite connexion qui s’instaure entre eux, le monde et le signe
sonores.
Nous avons voulu considéré comme central dans la théorie de l’arbitraire du
signe linguistique, non pas le rapport son / chose (qu’il n’est pas possible de chercher
selon notre point de vue) mais le signe linguistique lui-même en tant que
« configuration signifiante » coordonnée à un état des choses dont les locuteurs
partagent une même représentation et vers la (re)connaissance de laquelle ils sont
guidés par le signe linguistique.
La reconnaissance des images verbales advient justement comme celle de
personnes et d’animaux dans les circonstances habituelles de la vie quotidienne, un
simple caractère global suffit à les identifier. « Il ne faut pas sous-estimer la portée
théorique de ces choses ». 292

292
Op. Cit., p. 431. Et encore: « Il y a des observations faites sur les enfants et les animaux qui démontrent
que la saisie des signaux phonique humains ne repose au départ que sur telle ou telle caractéristique
globale. Pour le chien dressé, les ordres phonique bien articulés de son maître sont des suites de bruits,
qu’il différencie peut-être et en premier lieu par ce que nous avons coutume d’appeler accentuation et
mélodie phrastique » [ibidem]. En effet, si on y pense bien, c’est à partir de la physionomie globale qu’un
infant commence afin de reconnaître, assimiler et identifier une phonie. Il suffit de rappeler tous les cas
où, pendant les premiers ans de vie, le passé composé « aperto » (« ouvert ») est assimilé avant tel que
« apruto », « aprito « etc., ou toutes les circonstances où, pendant l’apprentissage d’une L2, nous
acquérons la physionomie globale d’un mot jusqu’à en façonner son exacte configuration.

138
DEUXIÈME PARTIE

« LE CAS DES DÉMONSTRATIFS LATINS ET


LEURS ISSUES EN ITALIEN »

139
« Les Stoïciens nomment aussi ‘articles’ les pronoms,
Il s’agit cependant de quelque chose de différent de ce que nous entendons par ‘article’,
Les nôtres sont définis, les leurs sont indéfinis. [...]
Apollodore d’Athènes comme Denys le Thrace,
Appelèrent même les pronoms ‘articles déictiques’ ».
[Apollonios Dyscole, pron., Schneider 5, 13-19]

Chapitre III

Un regard rétrospectif sur les démonstratifs : pour une dimension


déictique de l’interprétations du sens.

§ 1. Introduction à la deuxième partie : la déixis.


§ 2. Les démonstratifs dans le système indo-européen: représentation de l’espace.
§ 3. Les démonstratifs dans le système latin: représentation de l’espace
§ 4. Les démonstratifs dans les systèmes italien et français: représentation de l’espace
§ 5. Glose de clôture. Sur la fonction déictique du pronom esso (continuateur de ipse).

140
§ 1. Introduction à la deuxième partie : la déixis.

Dans la première partie de la thèse, à savoir les chapitres I-II, nous avons essayé
de répondre et d’argumenter la question suivante : Le signe, est-il motivé ?
Au fil de ces pages nous avons cherché à démontrer que le langage, e parte
obiecti et e parte subiecti, est à considérer en tant qu’instrument de représentation
indirecte des faits de langue, forcément lié à ceux qui l’utilisent : les locuteurs. Par
conséquent, toute analyse linguistique ne doit pas se passer d’un fait fondamental : il ne
faut pas négliger la fonction et le moment social du langage ; il ne faut pas oublier que
chaque évènement linguistique prévoit au moins trois facteurs : un émetteur, un
récepteur et un contexte où l’interprétation des sens se réalise et où le signe linguistique
entretient des relations sémantiquement établies (entre le monde et les locuteurs).
Il serait stérile, d’après nous, d’essayer d’aborder la question du langage en
général, de la motivation du signe et de la déixis, en oubliant que c’est le locuteur qui
crée la langue et non pas le linguiste. Ce dernier l’étudie et cherche à donner son
interprétation des phénomènes linguistiques. Il est donc opportun de changer de
perspective : l’objet de la linguistique ne peut pas se réduire à la langue considérée en
elle-même et pour elle-même, mais il doit englober une conception du langage
considéré comme instrument à la disposition de l’être humain par lequel il instaure son
rapport avec le monde environnant.
Nous penchons pour une linguistique de la parole. Nous sommes du côté
locuteur. De celui qui produit le signe linguistique, le déchiffre et le perçoit. Le signe
linguistique doit être conçu comme une manifestation phonico-acoustique produite
pendant un acte linguistique concret (mais, toutefois, en premier lieu il faut l’envisager
comme un mouvement de la pensée fidèlement représenté par la langue), non pas
comme une représentation abstraite à étudier dans une dimension psychique, mais, au
contraire, dans la réalité psychophysique des locuteurs.
Si on tient compte de tout ça, il est plus facile d’accepter que chaque structure
phonologique, les mots, devrait être vue comme une configuration à l’arbitraire limité.

141
Le signe est motivé parce que le rapport entre le signifiant et le signifié devient
nécessaire, puisque leur lien trouve une attache naturelle précise dans la réalité qui
s’accomplit par l’intermédiaire de la fonction représentative du langage.
Chaque mot est une application non pas arbitraire mais raisonnée, appropriée et
efficace. Elle fonctionne, raisonnablement, dans la mesure où le mot nous permet de
connaître une « chose » à partir de sa configuration.
Elle peut, donc, nous guider jusqu’à un savoir immédiat qui renvoie à la
« chose » produite (c’est-à-dire coordonnée à des objets et à des faits) pendant une
interaction verbale (dont les interlocuteurs partagent la même représentation).
Nos réflexions, font appel aux principes théoriques de la psychologie de la
gestalt à travers la pensée de Karl Bühler et de sa TL (« Théorie du langage »). Car,
d’après nous, la question de l’arbitraire du signe porte (et elle se résout !) sur les lois qui
règlent le psychisme de formation du langage.
Les instruments qui nous ont permis d’aborder cette question fondamentale de la
linguistique sont le concept de « physionomie acoustique des mots » et la « théorie des
deux champs du langage ». Nous avons vérifié que la perspective physiognomique,
holistique, nous permettait de répondre à certaines questions : tout d’abord, de quelle
façon la reconnaissance et l’apprentissage du parlé peuvent-ils exister et se réaliser ?
Il faut rappeler que la dimension gestaltique des phénomènes linguistiques doit
être intégrée à l’action synergique du champ déictique du langage et du champ
symbolique.
Le but de cette deuxième partie est de démontrer justement le lien indissoluble
qui se manifeste entre la conception physiognomique et la théorie des deux champs du
langage. Notre demonstratio va se focaliser, d’abord, sur le champ déictique (mais pas
seulement : nous verrons que l’action du champ symbolique est cruciale). Nous
étudierons les démonstratifs latins, leur évolution au cours du temps et les fondements
psychologiques du mécanisme déictique lié à la représentation de l’espace qui découle
de leur emploi (III).
Enfin (IV), nous passerons en revue un corpus des démonstratifs utilisés dans
des romans graphiques italiens, grâce auxquels nous vérifierons empiriquement que la
perception, la compréhension et la décodification d’un message (oral ou écrit) se
réalisent de façon gestaltique. Ce message prend toute sa valeur et sa consistance

142
seulement au moment où il est inséré dans une physionomie globale sur laquelle les
deux champs agissent simultanément.
En effet, le mécanisme déictique est intrinsèquement lié aux démonstratifs. Avec
le terme « déixis » on indique le mécanisme par lequel l’interprétation d’une certaine
expression linguistique a besoin d’autres informations qui appartiennent au discours lui-
même comme à la situation où ce mécanisme se produit, en liant l’énoncé à sa situation
spatio-temporelle.
Cette information est commune aux deux interlocuteurs : elle est sûrement
connue de l’émetteur et il est possible que le récepteur doive la déduire de la situation
de communication ou du discours. L’information nécessaire à l’interprétation d’une
expression déictique se situe, donc, par rapport au locuteur, dans l’espace et dans le
temps. Le pouvoir de placer spatio-temporellement un référent est un élément
intrinsèque de la sémantique des démonstratifs ; ils représentent des expressions
intrinsèquement déictiques. Les situations énonciatives qui prévoient l’emploi d’un
démonstratif doivent être interprétées en faisant appel à d’autres informations
extralinguistiques (comme l’on a déjà souligné, le champ d’indication offre les
coordonnées de l’orientation subjective où les interlocuteurs sont impliqués. Ce champ
est caractérisé par quatre types d’indication 293 et, par trois modes différents
d’explicitation déictique : demonstratio ad oculos, déixis anaphorique et déixis à
l’imaginaire) 294 :

Les démonstratifs sont les éléments employés pour indiquer (latin, DEMONSTRARE)
quelqu’un ou quelque chose par rapport à trois coordonnées : l’espace […], le temps […], ou un abstrait
rapport de proximité ou distance qui s’établit entre les concepts présents dans le discours. 295

Donc, le mécanisme déictique est le processus par lequel l’interprétation d’une


expression linguistique exige des informations contextuelles ; en outre, il peut être

293
Nous développerons notre exposé sur les quatre modes d’indication dans le prochain paragraphe [cf.,
infra, III, § 2] quand nous traiterons de l’origine indoeuropéenne des démonstratifs et des fondements
psychologiques des « modes déictiques de position ».
294
Cf., supra, II, § 4.
295
Luca Serianni, « L’articolo » e « Pronomi e aggettivi pronominali », in Grammatica italiana: italiano
comune e lingua letteraria, 1° ed., Torino, UTET, 1989 (2eme ed., 1992), p. 273.
« I dimostrativi sono gli elementi usati per indicare (latino, DEMONSTRARE) qualcuno o qualcosa
facendo riferimento a tre coordinate: lo spazio […], il tempo […], oppure un astratto rapporto di
vicinanza o lontananza che si stabilisce con i concetti presenti nel discorso ».

143
interprété comme la décodification linguistique de traits contextuels liés à l’organisation
égocentrée de l’interaction. Cela veut dire que certaines phrases, afin d’être interprétées
et pour qu’on puisse établir une certaine condition de vérité, exigent certaines
informations sur le « contexte » où elles sont prononcées : (celui) qui les a prononcées,
à qui, où et quand. Ces informations, évidemment, on ne peut les trouver que dans le
contexte de l’acte linguistique.
Lorsqu’on se réfère au concept de « déixis », il est opportun de se souvenir
qu’elle n’est qu’une pratique linguistique qui se réfère au contexte situationnel d’une
énonciation linguistique concrète et qu’un énoncé déictique est une construction
linguistique caractérisée, en substance, par la centralité du locuteur (c’est-à-dire, de sa
« position dans le champ » et de sa « sphère individuelle »).
Comme l’on a déjà vu chez Bühler dans le chapitre précédent296, les éléments
déictiques du langage, dans le champ déictique où ils prennent leur valeur, sont utilisés
afin de construire et d’interpréter la perspective personnelle du locuteur.
En outre, nous avons remarqué, en suivant encore la Sprachtheorie, que le
signifié des termes déictiques est toujours « relationnel », c’est-à-dire qu’il est décrit par
rapport à un certain point de repère qui se trouve dans le champ déictique, ou, comme
on le verra, dans le « contexte. Ce point d’orientation est le « centre déictique », l’origo
(O), d’où, en suivant Bühler, les termes d’indication ego, hic et nunc s’éloignent :

Soit un système de coordonnées composé de deux traits se croisant perpendiculairement avec O


comme origine, la source des coordonnées. […] J’affirme que les trois termes déictiques doivent être
posés en O, si ce schéma est censé représenter le champ déictique du langage humain, en l’occurrence les
déictiques, ici, maintenant, je. […] Le théoricien du langage […] doit simplement reconnaître que la
manière dont ils fonctionnent dans le cas de parole concret est certes étonnante, mais qu’elle peut être
indiquée de manière exacte. […] Restons-en au couple conceptuel forme vs matière qui s’est offert
comme de lui-même. Il n’y a rien de remarquable à la forme phonique des particules maintenant, ici, je, à
leur empreinte phonématique. Ce qui est particulier, c’est seulement que chacun d’eux exige : regarde le
phénomène sonore que je suis et considère-moi comme la marque de l’instant pour la première, comme la
marque du lieu pour la seconde, comme marque de l’émetteur (la caractéristique de l’émetteur) pour la
troisième.297

296
Cf., supra, II, § 4.
297
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 204-205.

144
Ces termes déictiques, ou « parole-indice » tels que Serena Cattaruzza les a
définis dans la version italienne de la Teoria del linguaggio298, ont pour fonction
d’orienter de façon convenable le récepteur, car ils arrivent à éveiller son attention :

En bref : les termes déictiques grammaticalisés, différenciés phonologiquement les uns des
autres comme d’autres termes, guident le partenaire de manière appropriée. Le partenaire est interpellé
par eux, et son regard en exploration, plus généralement son activité perceptive exploratoire, sa
disponibilité à la réception sensible sont renvoyés par les termes déictiques à des auxiliaires gestuels et à
leurs équivalents, qui améliorent et complètent son orientation au sein des circonstances de la situation.
C’est là la fonction des déictiques dans la communication verbale […] Cette formule vaut pour tous les
modes déictiques […], et pour tous les types de déixis ; pour la déixis anaphorique et pour la déixis à
l’imaginaire tout aussi bien que pour le type le plus originaire, la demonstratio ad oculos.299

Par conséquent, le point de repère « hic visuel » (ici) est le pivot à partir duquel,
d’un point de vue linguistique, toutes les autres positions procèdent ; de la même façon,
c’est à partir du point de repère « nunc » (maintenant) que tous les autres points
temporels définissent leur origine. La troisième coordonnée, ego (je), renvoie au
véritable acteur de l’échange communicationnel : celui vers lequel je tourne mes yeux
(ou vers la source du son, si je me trouve dans l’impossibilité de le regarder) :
l’émetteur du message linguistique.
En effet « il n’est d’abord question de rien d’autre que de déixis ».300 Il ne s’agit
que d’ « indiquer ». C’est ce qui se passe quand on frappe à la porte de chez soi et que
l’on n’a pas besoin de se présenter, mais que la seule coordonnée je (« c’est moi »)
suffit pour que quelqu’un nous réponde et ouvre.
Le timbre de la voix, par rapport à la situation, ne fait que diriger le « regard
physiognomique » de l’émetteur sur la spécificité de ma voix : c’est-à-dire sur les
caractères globaux qui la caractérisent :

La fonction principale, avant toute chose, des pronoms personnels tels que je et tu n’est pas de
nommer l’émetteur et le récepteur du message linguistique à la manière dont les noms sont des
nominations, mais seulement d’indiquer ces porteurs des rôles […] La structure grammaticalisée moi, qui
a reçu une frappe phonologique et se détache avec suffisamment de netteté de tous les autres mots de la

298
Bühler [1934]; tr. it. 1983, Op. Cit., pp. 154 et svtes.
299
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 208.
300
Op. Cit., p. 210.

145
langue allemande, résonne de manière phonologiquement uniforme dans des millions de bouches. Seule
la matérialité de la voix, la physionomie acoustique, l’individualise, et c’est là le sens de la réponse moi,
de la part de mon visiteur derrière la porte : l’empreinte phonématique, le trait linguistique formel que
possède son moi, à moi qui pose la question, il m’indique le caractère de la voix. […] Répétons : dans le
cas simple et transparent que nous avons imaginé, la fonction de cette structure langagière
grammaticalisée en tant que moyen de communication se résume pour l’essentiel à conduire le « regard »
physiognomonique du récepteur vers le caractère de la voix. Peu importe que ce soir simultanément avec
l’œil et l’oreille ou seulement avec l’oreille, le récepteur doit saisir l’émetteur tout en le percevant.301

Revenons à l’exemple proposé ci-dessus, quant à la capacité de l’émetteur à


reconnaître son interlocuteur, derrière la porte ou à l’interphone, au timbre de sa voix :
on peut, dans ce cas, affirmer que le locuteur qui prononce ce type d’énoncé déictique
tel que : « c’est moi », représente lui-même le point de repère (O : « origo ») pour toutes
les relations interpersonnelles entre les personnes qui participent au discours (dans notre
cas, le récepteur derrière la porte).
Le lieu où le locuteur se trouve dès qu’on a prononcé l’énoncé « c’est moi ! »
constitue le point de repère spatial par rapport auquel les autres espaces environnants
sont plus proches ou plus distants. Ce n’est pas tout. On observe que le point d’origine
du champ déictique du langage est influencé par d’autres coordonnées (ou « termes
d’indication ») : « ici » (hic), qui renvoie à la dimension spatiale, et « maintenant »
(nunc), qui rappelle la dimension temporelle.
Ces trois termes d’indication, situés dans l’origine (O) du champ déictique du
langage posent les conditions de création d’une « perspective de décodification » de
l’énoncé. Une fois de plus il faut souligner le lien strict entre la langue, le « contexte »
et le « champ environnant » 302.
Nous soulignons cette subtilité (entre « contexte » et « champ ») parce qu’il est
possible de démontrer, aisément, que l’origine et le périmètre du champ d’indication du
langage ne sont pas seulement liés à des facteurs de contexte mais aussi aux facteurs du
champ environnant actif (c’est-à-dire « perceptif »).
Revenons sur l’exemple du récepteur qui reconnaît le « moi » derrière la porte
prononcé par une voix familière : dans cette circonstance, le champ déictique agit de

301
Op. Cit., p. 217.
302
À ce propos nous renvoyons au § 4, II ; notamment pour une interprétation personnelle de la pensée de
Karl Bühler sur la différence entre « contexte » et « champ environnant ».

146
façon efficace parce que des facteurs de « contexte » sans équivoque interviennent
pendant l’interaction, comme le timbre de la voix (l’origo) qui sous-tend des
informations que le récepteur possède, de façon inconsciente.
En effet, notre récepteur identifie la voix de celui (le « je ») qui, à un moment
donné (« maintenant »), dans un lieu donné (« ici »), s’adresse à lui, de façon
ostentatoire, en sachant qu’il va reconnaître l’émetteur de la phonie en question, parce
qu’évidemment il l’attend chez lui ou, parce qu’il discerne la physionomie acoustique
de sa voix.
Supposons que notre émetteur masque bien sa voix et la rende méconnaissable à
son interlocuteur (cela peut arriver à l’interphone) pour lui faire une blague.
Comment va se réaliser dans ces circonstances l’interprétation de la forme
phonique « moi » ? L’identification de la personne de la part du récepteur sera difficile à
accomplir sans la participation de facteurs du « champ environnant actif », qui visent à
rendre efficace l’échange verbal.
Le récepteur sera à même de déchiffrer le stimulus « c’est moi ! » seulement
dans la mesure où il arrive à reconstruire (à identifier) la position de l’émetteur selon le
raisonnement suivant : « s’il [le je] se trouve, maintenant, ici, dans mon espace, d’où la
source du stimulus provient, alors c’est lui ».
Bien que le destinataire du message ait des difficultés à distinguer le timbre de la
voix de l’émetteur, le déchiffrage se produit indépendamment des caractéristiques
phonico-acoustiques de la phonie « c’est moi ! ». Toute comme nous n’avons besoin
d’aucun signal d’indication qui nous permette de reconnaître l’entrée de la ville où nous
habitons, chaque fois que nous partons et que nous y retournons, bien qu’elle change au
cours du temps.303

303
Nous citons à cet égard un épisode qui nous concerne directement et qui pourrait éclairer notre
position. Il nous est arrivé de faire une blague à une chère amie qui eut beaucoup de mal à reconnaître
notre voix à l’interphone, car nous l’avions altérée pour plaisanter, mais qui toutefois en écoutant notre
io!, masqué, ne manifesta aucune hésitation pour ouvrir la porte. À notre demande de la raison pour
laquelle elle avait ouvert sans aucune hésitation, bien qu’elle ne nous ait pas reconnu, elle nous répondit
que quelques secondes avant de l’appeler à l’interphone, nous lui avions téléphoné pour la prévenir que
nous étions près de chez elle, elle était donc certaine que c’était nous qui avions sonné à sa porte.
Dans ce cas, à notre avis, on peut penser à l’aide des facteurs concernant le champ périphérique actif
(Umfeld), décisifs pour le bon déroulement de l’interaction verbale en question. Nous avons été reconnu
sans problème parce que nous nous trouvions, nous étions localisable, dans le périmètre où se déroulait
l’interaction. Dans ce cas, ce n’est pas le timbre mais le son (la source du stimulus) de notre voix et notre
position au sein du champ qui ont été déterminant pour la réussite de l’acte de communication. Nous
pouvons donc parler, dans ce cas, de synergie entre le champ symphysique (le « lieu physique » où nous
nous situons) et le champ sympratique (le type de discours, « io » (« c’est moi ! »), reste néanmoins

147
Le récepteur ne peut absolument pas faire abstraction de la source du « son »
afin d’en déterminer la provenance, cependant, il arrive à satisfaire, à un moment donné,
des conditions de reconnaissance à l’aide de la physionomie acoustique que le « c’est
moi !) » maintient constante bien qu’elle soit altérée. 304
La reconnaissance n’est avérée que dans la mesure où le récepteur est à même de
situer la « personne physique » dans le champ environnant et de localiser le stimulus (S)
qu’il a perçu (« c’est moi ! ») dans un périmètre qu’il peut délimiter perceptivement (et
« mentalement », comme dans l’exemple ci-dessus), que les deux interlocuteurs
partagent (le renvoie est au concept de « umwelt », au sens de Bühler).305
En effet, autant dans le cas où la voix de l’émetteur est reconnue par le récepteur
que dans celui où elle ne l’est pas (il suffit de penser à une communication troublée par
des bruits de fond), il faut considérer les termes déictiques « hic » (ici) et « ego » (je)
respectivement comme un « signal de position » et un « signal individuel » : en effet
l’ « hic » doit être actualisé avec sa caractéristique de provenance, tandis que l’ « ego »
le sera avec le timbre vocal individuel. « Nunc », « maintenant », sera considéré comme
un signal d’orientation « spatio-temporel », lié au lieu géométrique, à l’environnement
qui entoure au fur et à mesure le locuteur et où on peut repérer ce qui est indiqué (c’est-
à-dire l’« espace » défini par les coordonnées « ici » et « je ») :

Peut-être serait-il instructif de mettre en exergue des cas d’emploi « elliptiques » à contexte
pauvre, voire totalement dépourvus de contexte, tirés de la communication quotidienne. Quand par
exemple, afin de contrôler les présences lors d’une réunion, on lit la liste des participants, chacun répond
par hier, « ici », à la lecture de son nom. Il arrive aussi qu’à la question où es-tu ? on réponde par ici à
partir d’endroits invisibles, d’un lieu obscur ou à travers une porte fermée, et qu’on réponde à la question

indépendant de la physionomie acoustique qui le connote à ce moment-là, pratiquement satisfaisant pour


les oreilles de notre interlocuteur) du langage : c’est un des cas où le signe linguistique « io » (« c’est
moi ! »), apparaît hors contexte (où normalement il y a des informations extralinguistiques, comme des
caractéristiques prosodiques telles que le timbre, l’intonation, le rythme, l’accent, le ton qui interviennent
pendant l’échange verbal, et que le récepteur n’arrive pas à interpréter, si la voix est édulcorée) mais
nullement hors « champ ».
304
Il est tout aussi vrai, cependant, que souvent peu après avoir avisé notre récepteur du fait que nous
nous trouvons au sein de son périmètre (par exemple, quand peu avant de frapper à sa porte, nous
l’appelons au téléphone pour l’informer que nous sommes en bas de chez lui ou que nous sommes sur le
point d’arriver), à la sonnerie de l’interphone, il n’a même pas besoin d’entendre notre voix pour nous
ouvrir la porte. Preuve en est que, si nous l’informions au contraire du fait que nous nous trouvons encore
à l’arrêt d’autobus en bas de chez nous, et que nous allons bientôt arriver, et que tout de suite après
quelqu’un sonnait à la porte, il n’ouvrirait pas sans avoir précédemment reconnu son interlocuteur).
Même dans ce cas, interviennent exclusivement, à notre avis, des facteurs de champ périphérique actif.
305
Cf., supra, « Introduction ».

148
qui est là ? par moi. Dans ces derniers cas, l’impression d’une réponse inadaptée disparaît ou se trouve
renforcée selon que le récepteur a ou non la possibilité d’opérer la localisation ou l’identification
souhaitées en se basant sur le son. Ce fait mérite qu’on lui consacre une analyse qui soit
psychologiquement suffisante, car on y gagnera certaines indications susceptibles de nous conduire à une
identification générale et fructueuse du problème.306

Là où des sons et des bruits fonctionnent comme signes d’un système de communication
[Verkehrszeichen], l’expérience enseigne que ce qui est techniquement exploité par celui-ci, c’est à peu
près toujours d’abord leur caractère acoustique, et ensuite la qualité de provenance de ces sons et des ses
bruits. […] Les produits de l’appareil vocal humain possèdent de même pour chaque auditeur une qualité
de provenance spatiale, et en règle générale sont facilement distingués, en tant que produits de la voix
humaine, de tous les autres bruits. Plus encore, ils possèdent un caractère individuel que nous
reconnaissons en vertu de nos intérêts vitaux et d’une pratique qui dure tout au long de l’existence,
caractère que nous attribuons correctement de manière individuelle à quelques douzaines ou centaines de
locuteurs qui nous sont les mieux connus autour de nous. Nous reconnaissons facilement et sans erreur à
leur voix nos intimes ainsi que toutes sortes de personnes.307

Les termes déictiques permettent donc pendant l’échange verbal quotidien que le
message sonore proféré par le locuteur (l’émetteur) soit compris par celui (le récepteur)
auquel il s’adresse à la lumière de la situation où l’interaction verbale se matérialise,
autrement dit, selon le lieu où le discours se produit, les objets environnants, la
profession et l’activité du locuteur ; il s’agit d’informations que le récepteur connaît et
partage avec lui.
Les démonstratifs appartiennent aux modes déictiques et, puisqu’ils sont des
types d’indication, n’exigent pas de champ symbolique afin d’accomplir totalement et
précisément leur mission. Ils ont besoin du champ déictique du langage pour déterminer
leurs valeurs de champ.
Les démonstratifs fournissent au récepteur des informations supplémentaires
liées à leur valeur intrinsèquement déictique : le référent est situé dans un point de
l’espace et du temps (et du discours) en rapport « direct » ou « indirect » avec le centre
déictique représenté par les coordonnées spatio-temporelles du locuteur.
Nous observerons que l’emploi des démonstratifs n’est pas toujours lié à l’idée
d’une « origo » stable connectée aux coordonnées ego-hic et nunc. En effet, il y a des

306
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 189-190.
307
Op. Cit., p. 190.

149
cas où le « contexte » devient le centre déictique du discours.
Utiliser un démonstratif afin de renvoyer à un référent linguistique signifie,
avant tout, qu’il doit être situé spatio-temporellement. Cette référence devient plausible
seulement au moment où le référent est réellement placé dans l’espace et dans le temps
partagés par les interlocuteurs. Le démonstratif est donc utilisé dans une circonstance
donnée que le couple dialogal est en mesure de reconstruire.
Étant donné qu’il s’agit d’un espace partagé par le couple dialogal, on peut
supposer que l’interprétation d’une référence ne pose aucun type de problème au
récepteur, vu qu’il est normalement à même de percevoir immédiatement le référent
indiqué par le locuteur.
Les démonstratifs en représentant des modes (ou des types) d’indication
intrinsèquement déictiques, incluent en eux-mêmes, dans leur signifié lexical, le pouvoir
(déictique) de situer un référent dans l’espace et dans le temps par rapport à l’origo du
champ d’indication (déictique). Cette origine est en effet constituée par trois
coordonnées de repère : personnelle, temporelle et spatiale.
La fonction principale des démonstratifs, toute comme la fonction des termes
déictiques ici308, je et maintenant, est et a été dans le passé, celle « d’indiquer » par le
langage humain.309

308
Rappelons que hic en latin, en plus d’être un adjectif et un pronom démonstratif avec le signifié de
« ce, ça, tel, ce dernier, cela, celui-ci » (cf., it. questo, siffatto, tale, quest’ultimo, ciò, costei etc.) peut
aussi être employé comme adverbe, dans sa variante archaïque heic, (comme partie invariable du
discours) avec le sens de « ici, en ce lieu, maintenant » (cf., it. qui, in questo luogo, ora).
Sic, par exemple dans Plaute : ludificas nunc tu me hic, « tu ora vuoi prendermi in giro » (« [toi
maintenant] tu veux te moquer de moi ») (Mercator 307); neque apud mortuos neque hic es, « non sei ne
tra i morti ne [qui] sulla terra » (« tu n’est ni entre les morts ni [ici] sur terre », Mercator 603) ; et encore
ainsi chez Térence : : heus heus, ecquis hic, « ehi ehi, c’è qualcuno qui » (« eh, eh il y a quelqu’un là? »,
Eunuchus, 530); Enfin chez Cicéron : hic iam plura non dicam, « a questo punto ormai non aggiungerò
altro » (« je n’ajouterai rien à ce récit » [litt. : « à ce point désormais, je n’ajouterai rien d’autre »], Pro
lege Manilia, 24) Nous avons traduit en italien et en français la citation latine, ainsi que toutes les autres
citations latines présentées dans la thèse ; nous paraphrasons en italien contemporain les citations de
Dante et de Boccace pour lesquelles nous utilisons les traductions françaises de Christian Bec et de
Francisque Reynard.
309
Ce n’est pas un hasard si à la période du bas empire, on employait couramment l’expression, entre
autres attestée dans Caelius Aurelianus (médecin romain de Sicca en Numidie, qui vécut au Ve siècle
après J. C. et fut le traducteur des ouvrages médicaux grecs de Soranos d’Éphèse) digitus demonstrativus,
« index » qu’on utilisait comme geste pour indiquer un objet.
D’autre part, Le verbe latin demonstrare de la première conjugaison (-are) avait comme première
acception celle d’indiquer (montrer en pointant de l’index, du doigt, pointer ; cf., it. « additare ») plutôt
que celle de démontrer (manifester, montrer, attester, certifier, documenter) : par exemple, itinera ipsa
[…] putavi esse demonstranda, « ritenni di dover indicare la stessa via » (« j’ai voulu […] indiquer la
route », Cicéron, De Oratore, 1, 203); illis absentibus finis (= fines) Acerronio demonstravit, « in loro
assenza diede ad Acerronio l’indicazione dei confini » (« en leur absence, il indiqua les limites à

150
Les démonstratifs ont déjà été traités amplement par la linguistique
indoeuropéenne en tant que types d’indication (de « de-monstration ») des langues
indoeuropéennes. Il suffit de rappeler l’ouvrage fondamental de Karl Brugmann, Die
Demonstrativpronomina der Indogermanischen Sprachen. 310
Bühler lui-même a bien compris l’importance de se référer à ce travail
fondamental : il s’agit d’une contribution cruciale apportée à la théorie du langage, l’un
des premiers ouvrages de linguistique où les fondements psychologiques de l’emploi
des démonstratifs sont abordés en tant que modes déictiques :

Brugmann lui-même est sur la voie d’un modelé théorique ; il s’avise que la théorie moderne du
verbe connaît des modes d’actions, et il s’efforce par analogie d’identifier les modes déictiques (modes de
monstration) des langues indoeuropéennes. Il en élabore très soigneusement quatre, et tous les quatre sont
des modes déictiques de position […] Il ne faut pas se laisser abuser par les noms de déixis-je et de déixis-
tu qu’il utilise pour le deuxième et troisième modes. Wackernagel a déjà corrigé ce faux pas
terminologique de Brugmann, et proposé de présenter le deuxième et le troisième mode respectivement
comme hic-déixis et istic-déixis. En effet, ce n’est pas au JE et au TU que la deuxième et la troisième
classes de Brugmann font référence, mais au lieu du JE et au lieu du TU. Les premier et quatrième modes
déictiques sont appelés chez Brugmann der-déixis, « déixis-là » et jener –déixis, « déixis-là-bas » […]
Voilà donc les quatre modes déictiques. Qui les a mis en place, qu’est-ce qui les a suscité quatre
fois de façon différente en indo-européen ? Le besoin des locuteurs naturellement. […] Il est curieux de
voir à quel point Brugmann s’est approché du concept de champ déictique sans aller jusqu’à le réaliser.311

De l’analyse de Brugmann pour Bühler, nous pouvons déduire justement ce que


nous venons d’affirmer : la fonction principale des démonstratifs est d’ « indiquer » la
personne ou l’objet désigné par le nom auquel ils sont liés. On pourrait affirmer en
utilisant la pensée de Ferdinand Brunot312 que le sens primaire des démonstratifs est
qu’ils montrent l’être ou l’objet.
Il faut les considérer en tant qu’éléments qui, dans un énoncé, renvoient à la
situation spatiale, temporelle ou, au sujet parlant. De façon spécifique, on peut affirmer

Acerronius », Cicéron, Pro Tullio, 17). On pense également à l’expression latine digito demonstrare, très
employée, par exemple, chez Quintilien et Tacite avec la valeur de « pointer ».
310
Karl Brugmann, Die Demonstrativpronomina der Indogermanischen Sprachen, Leipzig, B.G.
Teubner, 1904. À propos de l’analyse de Brugmann citée par Bühler, concernant les « modes déictiques
de position », nous renvoyons, pour sa grande compréhension, à la reconstruction circonstanciée de
Didier Samain in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 180, n. 3.
311
Ibidem; Bühler 1934; tr. fr. 2009, pp. 180-181. Op. Cit.
312
Ferdinand Brunot, La pensée et la langue, I, v, v, p. 143, Masson, [1922], 1926.

151
que les démonstratifs sont des déictiques qui dépendent de l’instance du discours, de
l’énonciation ; ils lient l’énoncé à la situation.
En effet, Brugmann lui-même relève quatre modes déictiques, chacun lié à une
représentation de l’espace partagé pendant un échange verbal, qui dépend de la position
que le locuteur, l’interlocuteur et la troisième personne (dont ils parlent et qui
correspond en soi à la troisième personne grammaticale), objet du discours (les
grammairiens français à ce propos utilisent la locution « personne délocutée »313), y
occupent.
On parle, en effet, de « hic-déixis » pour indiquer un mode déictique par lequel
le locuteur oriente sur lui-même le regard de l’interlocuteur ; de « istic-déixis » avec une
référence spécifique à l’égard de l’allocutaire ; de « der-déixis » (« déixis-là »), par
laquelle Brugmann se réfère à un mécanisme déictique général à travers lequel le
locuteur est conduit vers l’image visuelle, indépendamment de sa proximité ou de sa
distance. Enfin, Brugmann parle de « jener –déixis » («déixis-là-bas »), par laquelle on
renvoie à une notion désignant le lieu et parfois le moment où l’interaction verbale se
réalise. 314

313
Nous renvoyons à ce propos aux concepts d’ « interlocution » (« parler à quelqu’un d’autre »), et de
« délocution » (« parler de quelqu’un d’autre ») sur lesquels on peut consulter (entre autres) : Roland
Barthes, Éléments de Sémiologie, Gonthier, 1964.
314
Une glose sur les notions de « ich-deixis » (déixis-je/hic-deixis) et « du-deixis » (déixis-tu/istic deixis).
Nous ajoutons également ci-après une postille sur les concepts de « dér-deixis » (déixis-là) et « jener-
deixis » (déixis-là-bas).
En partant respectivement des deux premiers modes d’indication proposés par Brugmann, nous pouvons
affirmer que la ich-deixis est nécessaire quand le locuteur guide vers lui le regard de son interlocuteur : «
[…] il s’agit-là d’un mécanisme en soi indifférent à la corrélation de distance et qui peut, à la limite,
indiquer tout ce qui se trouve dans l’espace du locuteur. Brugmann voit par ailleurs dans la déixis-tu une
forme particulière de la déixis-là, visant plus spécifiquement l’allocutaire. Bien qu’il conserve ces
dénominations, Bühler critique toutefois […] ce qu’il considère comme un « faux pas terminologique »,
car, dit-il, « ce n’est pas au Je et au TU que [ces classes] font référence, mais au lieu du JE et au lieu du
TU » […] [Samain in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 629].
Quant à la « dér déixis » (déixis-là), selon Brugmann, il s’agit : « […] Un mode générique de la déixis,
qui ne marque ni l’opposition entre proximité et éloignement ni celle entre allocutaire et « troisième »
personne. « La déixis-là, dit de son côté Bühler […], conduit du locuteur vers l’image visuelle sans
prendre en considération la proximité ou l’éloignement de l’objet auquel il est fait référence ». Bühler
distingue par ailleurs soigneusement entre le geste déictique lui-même et sa manifestation verbale, dont
dér incarne en allemand une morphologie prototypique mais nullement exclusive. Ceci ne signifie pas
toutefois que le signe est redondant par rapport au geste selon Bühler, qui suggère d’y voir plutôt une
sorte de copule permettant d’articuler déixis et nomination : « On pourrait dire que [par exemple dans
l’expression dér Hut, « le chapeau, là »] le signe phonique démonstratif est la copule qui assemble le
geste du doigt et le non Hut […] [Op. Cit., p. 630].
Nous terminons avec la « jener-deixis » (déixis-là-bas) qui ne représente pour Brugmann que : « […] Le
corollaire principal de la dér-déixis, en ce qu’elle fait référence à quelque chose qui se trouve « là-bas »,
de l’autre côté d’une limite quelconque par rapport à un point de référence (défini en principe par la place
du sujet parlant) […] [Ibidem].

152
Passons maintenant au deuxième paragraphe de ce troisième chapitre de notre
travail qui sera consacré à une étude approfondie des démonstratifs et de la conception
spatiale liée à leur emploi en l’indoeuropéen.

153
§ 2. Les démonstratifs dans le système indo-européen: représentation de
l’espace.

Aborder un historique des démonstratifs (ou pour mieux dire, en termes


guillaumiens, la « spatiogenèse »315), en remontant le cours du temps de l’indoeuropéen
jusqu’à nos jours, signifie tout d’abord en délimiter et identifier la classe, en ayant
comme point de départ l’état de langue sur lequel, le latin, dans l’absolu, peut fournir
des informations.
Dans le prochain paragraphe, nous chercherons à définir, le cadre théorique sous
l’égide duquel nous allons opérer.
Le latin nous offre un système de démonstratifs qui repose, en première instance,
sur une correspondance directe avec les rôles principaux qui interviennent pendant un
échange verbal : hic, pronom et adjectif démonstratif correspond à l’émetteur, iste, avec
les mêmes fonctions grammaticales, renvoie au récepteur, ille, de même que les deux
315
Nous nous référons aux valeurs pragmatiques des démonstratifs, et donc à leur interaction avec
l’environnement spatial : la reconstruction historique en parallèle avec la conception spatiale de nos
représentations du monde qui dérive de l’emploi des démonstratifs dans un échange communicationnel.
Le concept de « spatiogenèse » nous renvoie à celui de « chronogénèse ». Dans la psychomécanique de
Gustave Guillaume, le concept de chronogenèse fait référence à une opération de pensée qui s’efforce de
construire le temps à travers le support grammatical de la catégorie verbale, ce qui nous ramène ainsi à
l’idée de temps opératif. Le regroupement logique représente, après les stades du rythme et de la
régulation, la phase extrême du mouvement cognitif de la vie psychique (incluant la représentation
temporelle), de la même façon, le temps représenté dans le sens grammatical (mode et aspect) apparaît
comme une forme de construction de l’expérience élémentaire humaine, d’apprentissage, d’élaboration
perceptive. Derrière la notion de temps opératif, en provenance du contexte linguistique ou
psychologique, nous retrouvons toujours une opération de contenu, une réalité conceptuelle importante,
qui permet de penser le flux temporel comme une figure, que l’on peut représenter en schéma, et
justement opératif [cf., Guillaume 1973, Op. Cit.].
Et puisque nous nous occuperons dans ce paragraphe des fondements psychologiques des modes
déictiques indoeuropéens (les démonstratifs, justement), de la représentation de l’espace qu’ils
introduisent au sein d’un échange communicationnel, il nous semble opportun de copier le schéma mental
incluant le temps opératif de la définition guillaumienne de la chronogenèse pour l’adapter à ce type
d’analyse, en parlant de spatiogenèse.
Il convient cependant de rappeler que, pour Guillaume, la séparation catégorique de l’espace et du temps
« paie merveilleusement, mieux qu’aucune autre. C’est d’elle que dépend la discrimination
morphologique du Nom (plan de l’espace) [et donc du pronom et de l’adjectif] et du Verbe (plan du
temps), sans laquelle les langues ne disposent pas de parties du discours. C’est dire que l’opposition
verbo-nominale caractérise en propre les langues indo-européennes. » (Annie Boone, André Joly,
Dictionnaire terminologique de la systématique du langage, Paris-Montréal, L’Harmattan, 1996, p. 153) ;
« La séparation obligée de l’espace et du temps est la conséquence du schéma de pensée basial dans
lequel l’universel s’oppose au singulier. Dans une série de leçons des années quarante, Guillaume voit
dans l’espace linguistique, c’est-à-dire l’univers-espace, l’univers d’origine et dans le temps linguistique,
c’est-à-dire l’univers-temps, l’univers de fin. » [Op. Cit., p. 154].

154
précédents, coïncide avec la personne dont on parle. 316
À ce système ternaire de démonstratifs « proprement dit » 317 (où la déixis
spatiale serait spéculaire à la déixis personnelle), il faut ajouter is, pronom et adjectif
déterminatif avec une fonction anaphorique (il est aussi dit pronom de rappel), et ses
dérivés ipse (pronom et adjectif déterminatif utilisé pour opposer deux termes : ipsus est
de quo hic agebam tecum, « voici l’homme [mon fils] dont je vous parlais à l’instant »
(Térence, Hecyra, 455) et idem (avec la même valeur, mais il établit une identité entre
deux termes : eodem tempore, « en même temps »), utilisés comme « démonstratifs de
renfort » (Saffi, par exemple, les définit démonstratifs d’insistance318) devant ou après
un nom ou après un pronom personnel. 319
Après avoir posé le cadre théorique dans lequel placer nos réflexions,
remonterons le cours du temps et cherchons à reconstruire les système des démonstratifs
316
Pour éviter tout malentendu, à ce propos, une petite précision s’impose. La fonction principale des
démonstratifs est d’ « indiquer » par le langage humain. Cela dit, il faut souligner qu’en latin ils faisaient
fonction de représentants lexicaux de la fonction déictique et ils étaient utilisés de façon « adnominale »
(il s’agit d’une construction exigée par un nom ou par un adjectif : par exemple en italien le complément
avec « di » dans la phrase « indegno di qualcosa o qualcuno » (cf., fr. « être indigne de ») ou avec « a »
dans la phrase « caro a qualcosa o qualcuno » (cf., fr. « être cher à quelqu’un ») comme pronominalement
(c’est-à-dire qui font fonction ou qui ont nature de pronoms). En ce qui concerne la représentation de
l’espace, qui est d’après la communis opinio (mais nous allons voir dans quelques pages qu’effectivement
l’emploi des démonstratifs n’a rien à voir avec la catégorie d’un « espace corrélé à la distance ») la
catégorie de référence générale qui rend substantielle la sémantique des démonstratifs, ces derniers sont
corrélés aux personnes grammaticales. Avec une implicite subtilité : en réalité, hic (questo), suivi par le
substantif qu’il modifie, indique quelqu’un ou quelque chose proche dans l’espace ou dans le temps de
celui qui parle (le locuteur). Iste (codesto) indique quelqu’un ou quelque chose qui se trouve dans les
environs de celui qui écoute (l’interlocuteur) ; ille (quello), suivi par le substantif qu’il modifie, indique
une personne ou une chose loin dans l’espace ou dans le temps de celui qui parle et de celui qui écoute.
La précision est pertinente parce qu’elle nous permet de déterminer dans ces pages, avec le concept de
« champ environnant » et de « contexte », une conception correcte spatiale des démonstratifs.
317
Bien que nous nous conformions à ce type de classification, qui voit d’un point de vue pragmatique
une nuance subtile et différente entre ceux qui sont à considérer optimo iure « démonstratifs » (hic, iste,
ille), et is, ipse, idem, déterminatifs, qui pourraient faire fonction de démonstratifs, il serait plus opportun,
d’après nous, d’inclure ces derniers dans le système ternaire même puisqu’ils sont en tout et pour tout des
déictiques. D’un point de vue strictement psychologique nous pensons qu’il est redondant de leur
conférer le double status de « déterminatifs », si par cette qualification l’on considère qu’ils sont chargés
d’indiquer et d’identifier exactement la position spatiale, temporelle ou psychologique de quelqu’un ou
quelque chose par rapport à celui qui parle ou à celui qui écoute. Il serait plus simple de parler de
démonstratifs parce qu’ils sont destinés à mettre en évidence la fonction déictique du langage et parce
qu’ils agissent sur les concepts d’espace et de temps perçus, par rapport à la position de ce qui est indiqué
dans le champ déictique ou dans la phrase. Il s’agit-là, en effet, d’une question « tautologique » : afin de
déterminer, ou mieux, de classifier plus spécifiquement certains pronoms, on a créé une sorte de liste
synonymique, formée de tautologies. Là est le problème, le besoin de trouver forcément, par des subtilités
exaspérantes, des différences entre les déictiques. Nous préférons utiliser l’appellation « déictiques »,
justement parce qu’elle réunit tous les démonstratifs latins (mais pas seulement) et ne crée pas de
problèmes d’interprétation. Il est commode d’affirmer que « tout détermine » : même les adjectifs
qualificatifs sont des « déterminatifs ». Notre sujet ici est de définir ce qu’est un déictique.
318
Sophie Saffi, La personne et son espace en italien, Limoges, Lambert-Lucas, 2010, p. 26.
319
Op. Cit., p. 29.

155
en indoeuropéen (sans oublier, lorsqu’on parle d’ « indoeuropéen », qu’il s’agit d’un
état de langue reconstruit et non pas attesté).
Commençons par le type « hic ». En indoeuropéen, déjà utilisé en tant que
démonstratif320, il indiquait la proximité du locuteur321. Le masculin est formé par un
thème ho- qui n’a aucune correspondance dans d’autres langues, et par la particule –ce,
avec la chute postérieure de la voyelle finale ; le féminin provient de *h(ā)ī-ce avec –i-
déictique, tandis que le neutre présuppose *hod-ce qui s’est développé en hoc(c),
prononcé emphatiquement [hokk] avec double consonne devant la voyelle qui suit
(même exécution [hikk] du masculin) :

[…] Démonstratif de la première personne, et par suite de l’objet le plus proche : « celui dont je
parle, celui que je montre, celui-ci ». Sert à annoncer ce qui va suivre : hōc-ut, etc. Usité de tout temps.
[…] Hīc représente une prononciation emphatique hicc, avec gémination de la gutturale […]
analogique de hocc, où la géminée est issue de *hŏd-ce, et qui s’est maintenue dans les formes romanes
[…] Les formes de génitif et de datif sont tantôt dissyllabiques hui(i)us, huīc, ce qui est la règle dans la
poésie classique, tantôt monosyllabiques […]322

[…] Comme iste et ille, auxquels il s’oppose, le démonstratif hic se compose d’une particule et
d’un ancien démonstratif. Le –ce (-c) final est une particule enclitique postposée aux formes courtes telles
que hi-, hod-, hum-, huī-, etc., d’où hic, hocc(e), hunc, huīc ; ce –ce (-c) ne s’ajoute pas nécessairement à
une forme longue telle que le génitif huius ; ce n’est pas un élément essentiel ; au pluriel, on n’a guère
que hī, hae, hās, hos, horum, hīs (mais neutre haec, peut être pour le distinguer du féminin323).
Le démonstratif est au fond le même que celui qui, à l’état isolé, sans particule préposée et sans –
ce postposé, sert d’anaphorique : is, ea, id. Ce démonstratif, apparenté à skr. ayám, génitif singulier asya,
est obtenu à l’aide de deux radicaux distincts, *ei-, i-, et e-/o-. En indo-iranien, il indique l’objet

320
Cf., Nomen. Dizionario etimologico della lingua latina Campanini-Carboni. Torino, Paravia, 2007
[voir, Sec. - Storia delle parole - « hic »]. Toutes les étymologies proposées proviennent de cet ouvrage et
du Dictionnaire étymologique de la langue latine par Ernout et Meillet.
321
Nous allons voir effectivement ensuite que la sémantique des démonstratifs est en soi indifférente au
paramètre de la distance, à la dichotomie près/loin et parfois, à la personne grammaticale. Mais, il faut
procéder avec ordre en essayant de présenter la question, pas à pas, en maintenant tout d’abord
l’organisation traditionnelle qui voit l’emploi des démonstratifs exclusivement corrélé à la catégorie
générale d’un espace « sémantique-référentiel », c’est-à-dire lié aux personnes grammaticales et à la
variable distance.
322
Cf., Dictionnaire étymologique de la langue latine par Ernout et Meillet, Paris, C. Klincksieck, 1960,
p. 293.
323
À ce propos il faut remarquer que le pronom féminin h-ae-c et le pronom relatif (féminin) qu-ae, ont
en commun le fait que tous les deux sont construits sur le même thème (-i-). Comme l’on a déjà montré,
haec dérive de * h(ā)ī-ce avec –i- déictique. Quae est obtenu, en effet, comme la forme du nominatif
relatif masculin, par l’ajoute du déictique –ī-: qui < kw-o-ī (osque puī), quae < kw-ā-ī (osque paī).
Entre autres, le nominatif masculin hīc (thème en [-ī -]) est absolument identique autant à is qu’à qui, qui
doit être reconduit à l’interrogatif indéfini indoeuropéen *kwī présentent la même flexion du thème en ī.

156
rapproché. Le nominatif masculin –i- est identique à is, qui a seulement en plus la désinence –s- ; la
différence est la même que celle entre skr. sá = gr. ὁ et skr. sáḥ = gr. Ὅζ. Le neutre correspondant à is est

pris à la racine i- : id ; celui qui correspond à h-i-c est de la racine o- : *h-od-ce, d’où *hocce, hoc(c) […]
La particule préposé h- est sans doute apparentée à skr. hi, av. zī, gr. -χι. Elle se retrouve au
premier terme du composé ho-diē, qui sauf la particule initiale, répond à skr. a-dy-ā « aujourd’hui »,
littéralement « ce jour-ci ».324

Le démonstratif hic, auquel Brugmann lie l’un des quatre types d’indication,
c’est-à-dire la hic-déixis (ich-déixis) 325, d’un point de vue psychologique, était qualifié
(et il continu à présenter cette fonction) pour que l’émetteur guide, de façon volontaire,
le regard de l’interlocuteur sur lui-même, sur le locuteur, et, dans son champ (l’espace
délimité et « perceptif » où on agit) ; alors, que le récepteur du message avait « sous ses
yeux » l’objet indiqué.
Par conséquent, le démonstratif hic représente l’origo d’où la coordonnée je
s’éloigne, justement parce qu’il le rend évident en tant que point de repère sur lequel le
regard de l’interlocuteur se concentre. Ce n’est pas un hasard si en latin, ce démonstratif
fait fonction d’adverbe qui signifie « ici », « dans ce lieu » :

[…] Réfléchissons de nouveau à ces termes déictiques fondamentaux, ici, maintenant, je, dans
leur fonction pour ainsi dire absolue de marque linguistique de lieu, de marque de temps et de marque
individuelle. Ceux qui connaissent l’indo-européen, nous enseignent que les suffixes personnels du verbe
et les [morphèmes] personnels isolés comme je et tu sont en général dissociés des déictiques de position
(locaux) […]326

[…] Entre ces deux groupes existent des liaisons et des transitions patentes. Premièrement les pronoms de
la troisième personne ne sont pas à séparer strictement des démonstratifs, et souvent coïncident avec eux du point de
vue conceptuel [je souligne]. Ce sont, pourrait-on dire, des pronoms démonstratifs en fonction de substantifs, qui
référent à ce qui est en question, à ce qui est exprimé ou est sur le point de d’être exprimé [ce sont donc des termes
déictiques en emploi anaphorique], par exemple fr. il du lat. ille, ou got. is = h. al. mod. er, identique au latin is. Mais

324
Ibidem.
Pour un cadre plus complet de son identité génétique dans la famille indoeuropéenne, il faut rappeler que
les langues telles que le sanscrit ou l’osque-ombrien, en lieu de « hic », présentent des formes avec le
même radical mais sans aucune particule h : lat. hic, osque-ombrien esmei (datif: huīc), skr. asmai (datif)
« à celui-là ». On a même attesté des reconstructions telles que : osque eks-u-k (ablatif singulier), ombrien
ess-u, osque ek-as, ek-as-k (nominatif pluriel féminin), osque ek-ass (accusatif pluriel féminin) qui
présentent des particules différentes de h et qui sont à reconduire aux formes féminines et neutres h-ae-c,
hās [Op. Cit., p. 293].
325
Cf., supra, III, § 1.
326
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 210-211.

157
les pronoms je et tu semblent également avoir été au moins en partie originairement des démonstratifs, dans la
mesure où par exemple le grec εµον, etc. est probablement étymologiquement apparenté au sk. áma-h, « celui-ci
ici », ou le sk. te, le grec. toi, le lat. tibi, etc. l’auraient été avec le sk. tá-m, gr. τóν [référence à l’allocutaire comme à
quelque chose qui n’appartient pas à la sphère du je, mais se trouvant directement en face du locuteur] [Brugmann-
Delbrück in Bühler, 1911, 306 sqq.]. 327

La corrélation entre hic et je [ego] est encore plus évidente d’un point de vue
psychologique, si on pense qu’effectivement le moment visuel de la localisation du son
(« c’est moi ! » → je, ego) coïncide parfaitement avec sa provenance (« ici ! » → hic).
C’est exactement ce que Brugmann et Delbrück (cités par Bühler) affirment : l’origine
d’un stimulus correspond précisément avec la position que le locuteur occupe dans le
champ déictique à un moment donné. Les deux chercheurs allemands, s’accordent à
assigner aux deux termes ici (hic) et moi (je, ego) la fonction d’orienter le regard vers
la position du locuteur (et le récepteur qui reçoit ce type de message sonore - « c’est
moi ! » → je - est lui-même induit à chercher du regard le sujet parlant) :

En conséquence, je prétends qu’à la racine de la déixis-hic se trouve la qualité de provenance des


sons, et que celle-ci joue un rôle équivalent à celui opéré par les gestes du doigt à la racine de la déixis-là.
Tout comme le geste du doigt est indispensable dans l’expression globale dér ist es gewesen, « il
s’agissait de celui-là », l’élément perceptif de localisation contenu dans la qualité de provenance est
indispensable dans l’expression globale hier ist es trocken « ici il fait sec ».328
Notre locuteur qui parle d’un endroit invisible compte que son ici sera sans équivoque grâce à sa
qualité de provenance et son moi grâce au caractère personnel de sa voix, et il agit ainsi parce que les
situations de parole ordinaires lui en ont donné l’habitude. Celui qui, au milieu d’un groupe d’individus,
crie ici dès que son nom a été lu, est en droit d’attendre que celui qui perçoit le son sera en mesure de
découvrir visuellement l’émetteur du son d’après la qualité de provenance de ce ici. L’auditeur regarde
dans la direction d’où provient le son qu’il perçoit, et il identifie optiquement le locuteur.329

L’analyses de Meillet comme celle de Brugmann (in Bühler330), penchent pour


une origine commune entre le déictique hic et le pronom personnel ego. On a déjà dit, à
propos de l’histoire de ce démonstratif, qu’il est formé par deux particules, l’une
préposé –h- et l’autre postposée (-ce/-c): ho-ke.

327
Ibidem. Ce n’est pas nous qui soulignons entre crochets mais Bühler.
328
Op. Cit., p. 191.
329
Op. Cit., pp. 189-190.
330
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 212-213.

158
Ego331, qui dans le latin littéraire jouait le rôle de « centre déictique » par rapport
à ce qui gravite autour de lui-même, doit être reconduit au nominatif indoeuropéen *egō
(cf., gr. ἐγὠ [egō]) ou *eg(h)om (cf., ved. áham) : si, toutefois, on considère que la
désinence verbale de première personne est *-mi (cf., sum < *es- « être »; i.e. és-mi), on
peut déduire par-là que *em était le pronom originaire auquel la particule *eg(h) a été
préfixée.
Ego se révèlerait ainsi une formation secondaire. Et on pourrait considérer
comme plausible l’hypothèse qu’a partir de cette formation secondaire *gho, se soient
ramifiées deux nouvelles formations : l’une conduisant au grec ἐγὠ (latin egŏ) et l’autre
au thème ho- de hic (en association avec la particule enclitique –ce, entre autres, encore
usitée en latin).
Pour conclure, nous pouvons donc présumer que déjà en indoeuropéen il y avait
une affinité originaire entre les deux coordonnées, le pronom et adverbe hic, et le
pronom personnel je, de première personne, et que hic n’indiquait pas la proximité par
rapport au locuteur mais sa position, par rapport à l’interlocuteur, dans le champ
perceptif (c’est-à-dire qu’il était en corrélation avec tout ce qui se trouvait dans l’espace
du locuteur).
Passons au démonstratif iste. Il était le déictique utilisé pour déterminer la
position de l’interlocuteur dans le champ environnant partagé avec l’émetteur : celui qui
était situé par rapport à hic et ego.
Généralement iste est employé pour indiquer la proximité par rapport à
l’interlocuteur. En réalité, le paramètre de la proximité ne semble pas être adéquat à en
décrire le fonctionnement. Peut-être qu’à l’aide d’un exemple pris du latin on arrive à
mieux comprendre le fondement psychologique : multae istarum arborum, « molti degli

331
Sur ego : « […] (fal. eko, eqo). Nominatif du pronom personnel de la 1ère personne du singulier. Les
autres cas sont formés sur un autre thème : gén. meī (génitif de l’adjectif possessif meus,-a,-um,), dat.
mihī, mī, acc. mē(d), abl. mē(d) […] Ego dans la langue littéraire, s’emploie pour mettre en valeur la
personne et pour l’opposer à d’autres : scio ego « je sais bien, moi » ; ego scio « moi, je sais ». Aussi est-
il souvent renforcé par des particules –met, -pte auxquelles peut s’adjoindre ipse : egomet ipse, memet
ipsum, mihipte, ou suivi de quidem, uērō, etc. Toutefois, dans la langue parlée, ego a perdu de bonne
heure une part de sa valeur intensive et n’a plus été que l’exposant de la 1re personne à côté de tū, ille.
[…] Les formes romanes remontent à une forme réduite *eo provenant du passage de ego au rôle de mot
accessoire […] Le lat. ego a généralement un o bref en face de l’ω de gr. ἐγὠ […] Mais, si les formes
anciennes en –ō, correspondent au gr. ἐγὠ, il ne s’ensuit pas nécessairement que les formes en –ŏ,
résultent toutes d’un abrégement iambique, car, en dehors des formes en – ō du gr. ἐγὠ et du lat. ancien,
on ne trouve ailleurs que des formes en – ŏ. […] En somme, la forme indo-européenne est à poser comme
*egō alternant avec *ōgo […] [Ernout et Meillet 1960, Op. Cit., pp. 192-193].

159
alberi che vedi » (« beaucoup des ces arbres que tu vois » 332 ). Comment peut-on établir
que la « chose » (les arbres) se trouvent près de l’interlocuteur ? Imaginons avoir sous
nos yeux une photographie et d’adresser à notre récepteur la phrase suivante : « tesoro,
molti degli alberi che vedi, sono dei pini sempre verdi » (« mon chéri, beaucoup de ces
arbres que tu vois, sont des pins toujours verts » : les arbres ne se trouvent pas près de
l’interlocuteur mais dans son champ périphérique (perceptif), qu’il partage avec
l’émetteur.
On présume ici une conception interne de l’espace occupé par le couple
dialogal : cela ne signifie pas déterminer une « distance » liée aux variables
« près/loin », mais il s’agit d’un mécanisme déictique lié à la « position » des
interlocuteurs. C’est un premier emploi fondamental du concept de « champ
environnant » (par rapport à « contexte »).
En ce qui concerne l’étymologie, il est possible de considérer iste comme un
composé des pronoms is et *so, *sa, *tod. 333
À suivre sa flexion en indoeuropéen334 : (« iste »)

Masc. Fem. Neutr.


Sing. nomin. *is-so > *isse ī-sā >*issā *id-tod > *istod
accusat. *im-tom *im-tām *id-tod > *istod
Plur. nomin. *eyes-toi >ēstoi *eyes-tās > ēstās * ī-tā >*ēstā
accusat. *ins-tons >istōs *ins-tans >istās * ī-tā >*ēstā

Au singulier, le féminin *issā est obtenu en conformité avec le masculin, le


neutre *istod correspond au masculin et au féminin ; le neutre *ēstā se base sur les
formes correspondantes du masculin et du féminin.
Chez les Ombriens, c’est le type avec initial es- qui prévaut, comme le
démontrent les issues estu (accusatif singulier masculin), este (neutre singulier), estu,
esto (neutre pluriel). En latin, au contraire, on généralise is-, et l’élément –to, est

332
Cf., Saffi 2010, Op. Cit., p. 26.
333
Ibidem; Campanini-Carboni 2007 [voir Sec. – Storia delle parole - « iste »]. Op. Cit.
334
Même si notre travail ne porte pas sur des questions spécifiques de linguistique indoeuropéenne, nous
sommes obligé de faire appel à la méthode comparative et à la reconstruction historique des démonstratifs
pour décrire l’identité génétique de ces mots. En effet, les concepts de « physionomie acoustique », de
phonème en tant que « signalement » du mot et de « représentation de l’espace » nous imposent de faire
référence à l’idée d’une « unité historique linguistique de la famille indoeuropéenne » à laquelle les
démonstratifs appartiennent.

160
accueilli aussi au nominatif (iste, ista) 335:

[…] (Et avec particule épidictique isti-c, istaec, de *ista-i-ce, istuc ; avec particule interrogative
isticine, de *istece-ne) : pronom et adjectif démonstratif « celui-ci, ce, cet », dit de la 2e personne, parce
qu’il renvoie généralement à une personne ou à un objet dont un interlocuteur a parlé ou auquel on
s’adresse ; a pris de là, dans la langue du barreau, une nuance péjorative « l’individu dont tu parles ou que
tu défends [et qui est méprisable] », sens qu’il a aussi dans la langue courante ; cf. quae est ista
praetura ? « quelle est cette préture qui est tienne ? », Cic., Verr. 2, 2, 18, 46 ; cum enim tuus iste stoicus
sapiens dixerit ?, Cic., Ac. 2, 38, 119 […] Le sens personnel de iste apparaît ensuite affaibli et, à l’époque
impériale, a tendu à remplacer hic dans le sens démonstratif […]
[…] Iste se compose d’une particule préposé is- et d’un démonstratif –te ; la structure est donc
comparable à celle des deux autres démonstratifs personnels, hic et ille […]336

La particule is- ne se retrouve pas hors du latin. Il est difficile d’y voir une forme fixée de is.
L’ombrien a une formation parallèle à celle de iste, mais avec particule es- dans ombr. estu « istum »,
estu, esto «ista », etc. […] Le radical du démonstratif est resté largement représenté dans les adverbes
anaphoriques tum, tam et leurs dérivés, dans tot, etc., […] tandis que les adverbes de lieu appartiennent au
groupe de is : ibī, eō, inde. […] Et en effet, le démonstratif à radical t- servait à montrer ou à renvoyer à
quelque chose de dèjà nommé ; il n’indique ni ce qui est proche, comme le démonstratif représenté en
latin par hic et par le groupe de cis, citrā, ni ce qui est éloigné, comme le démonstratif à *n, *l- et *w.337

L’analyse étymologique de Ernout et Meillet, constatant que le démonstratif iste


était utilisé pour montrer ou renvoyer à quelque chose qu’on a nommé précédemment et
que son emploi était bien loin d’une représentation de l’espace fondée sur la dichotomie
près/loin, semble concorder pleinement avec les considérations psychologiques de
Brugmann (in Bühler.
À propos de la déixis-istic, soulignons le fait qu’elle renvoie à la position du
récepteur dans le champ d’indication : cela est en soi indépendant du fait qu’il se trouve
proche ou éloigné de l’origo (l’émetteur).
Afin de mieux comprendre ce dernier concept, il suffit d’imaginer la situation où
nous nous trouvons devant la télévision et que nous regardons la retransmission en
direct d’un match de football. Après une action bien construite de jeu, le commentateur
sportif prononce l’énoncé suivant : « Oh, mes amis, c’est ça le football offensif et

335
Quant au démonstratif indoeuropéen *so nous renvoyons à l’analyse de « ipse ».
336
Ernout et Meillet 1960, Op. Cit., p. 324.
337
Ibidem.

161
spectaculaire du Psg (Paris Saint Germain) ! ».
Le commentateur (l’émetteur) à l’aide de la déixis-istic, s’adresse aux
téléspectateurs (l’interlocuteur) qui ne se trouvent pas « près » ni « loin » de lui, mais
avec lesquels il partage, à un moment donné, le même champ environnant, « perceptif »
(représenté par le terrain de football devant « nos yeux »), éveillant, notre attention et en
attirant notre regard sur l’image visuelle représentée par une action de jeu de football.
Il s’agit-là d’une question de perception et de position des rôles dans le
338
champ :

Tout comme le premier et le quatrième type, le deuxième et le troisième type déictique de


Brugmann sont plus étroitement liés entre eux. Les termes que l’auteur emploie sont inappropriés. In ne
faut pas dire déixis-je et déixis- tu lorsqu’on entend par là la référence au lieu de l’émetteur et la référence
au lieu du récepteur. La proposition de Wackernagel, qui puise ses termes dans les exemples hic et istic,
est plus correcte et contribue à éliminer des contresens évitables. Il n’y a pas en allemand d’analogon de
iste, pas de terme déictique qui indiquerait peu ou prou la position du récepteur dans le champ déictique
avec autant de précision qu’istic. Il y a correspondance entre hier et hic alors que, dans les cas qui sont
théoriquement décisifs, il n’est pas possible de traduire simplement istic par da, « là », mais qu’il faut le
rendre, pour autant que Brugmann ait raison, par da bei dir, « là près de toi ».339

Résumons : le fondement psychologique du démonstratif iste, repose, donc, en


indoeuropéen, sur une représentation de l’espace liée au rôle que l’interlocuteur occupe
dans la sphère dialogale, autant par rapport à sa propre position dans le champ
environnant qu’à l’espace qu’il occupe par rapport à l’émetteur qui représente l’origine
de l’échange verbal.
Passons à ille. Là le discours se complique. Il nous faut partir de son étymologie.
Ille est le pronom démonstratif utilisé pour indiquer l’éloignement de quelqu’un ou de
quelque chose par rapport aux deux acteurs de l’interaction verbale, l’émetteur et le

338
En toute logique et « techniquement », l’émetteur nous renvoie à une image « forcément transmise
l’instant d’avant » : c'est-à-dire à « quelque chose de déjà montré ou nommé » (au sens d’Ernout et
Meillet). En effet, il attire notre attention sur quelque chose qu’il vient de voir, l’action de jeu, et que nous
percevons avec quelques secondes de retard. Il va de soi qu’Ernout et Meillet se réfèrent à la fonction
d’un démonstratif à radical -t- d’un point de vue « linguistique » sans aucune allusion à la fonction
pragmatique des déictiques et au rôle de la perception dans les faits de langue (et de la réalité en général).
339
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 188-189.
Il faut entendre la traduction française (par Didier Samain) de l’expression allemande « da bei dir » par
« là près de toi » au sens de Serena Cattaruzza Derossi dans la traduction italienne de la Sprachtheorie
« qui presso di te », qui fait référence spécifiquement à la position du récepteur (à l’ « espace » du
récepteur), sans aucune correspondance, en soi, avec les concepts « près » « loin ».

162
récepteur.
L’étymologie est controversée. On suppose une forme *is-lē, où le pronom is est
uni à une particule déictique qui n’a pas d’autres correspondances en latin.340 À ce
propos, il faut être prudents, parce que l’analyse d’Ernout et Meillet, ne laisse aucune
place à la certitude :

[…] (Et avec particule épidictique illic, illaec, illuc) : celui-là, cela ; lui, elle. S’oppose à hic et à
iste dans le système des trois démonstratifs personnels. Pour opposer ce qui est près à ce qui est loin, on
emploie souvent hic : hic…ille ; hoc…illud : celui-ci…celui-là ; ceci…cela […] Est souvent joint à
d’autres pronoms : ille ipse, idem ille ; et même hic ille « lui même, le même, celui-là » […] La valeur de
ille est moins nette que celle de hic et de iste, et elle a tendu à s’affaiblir. Dans la langue parlée (comédie,
etc.), ille tient souvent le rôle du pronom personnel de la 3e personne […] Quand le système ancien du
démonstratif s’est disloqué, ille a tendu à remplacer is, sans doute pour substituer une forme plus pleine à
un monosyllabe, et l’a finalement éliminé ; près d’un substantif, ille a fini par se réduire à la valeur
d’article préposé ou postposé en roman […].341

[…] Ille s’emploie précédé de la particule ecce : eccillum, eccillam, cf. eccistum. Ce sont ces
formes composées qui ont fourni le démonstratif du type celui (v. fr. cil), etc., tandis que ille, s’étant
affaibli, fournissait le pronom de la 3e personne il(s), elle(s), lui, le, les, leur et l’article le, la, les […] La
structure de ille doit être la même que celle de hic et de iste, c’est-à-dire qu’on y cherche une particule
initiale suivie d’un ancien démonstratif. Mais les deux éléments sont obscurs. Le premier terme comprend
l ; et, en effet, il y a une particule de la forme ol- dans de vieux textes (v. l’art. ollus) qui rappelle le ul- de
uls, ultrā et le ōl- de ōlim. L’ombrien a ulu, ulo « illūc » et l’osque ulas « illius ». On a affaire au groupe
de l indiquant l’objet éloigné ; v. uls, ultrō, ōlim et alius. L’irlandais a ce même radical l dans irl. t-all
« là » […] Au second terme il peut y avoir l ou n ; car *il-ne, ol-ne donnent ille, olle aussi bien que *il-le,
*ol-le. Or, il y a pour l’objet éloigné un radical n, notamment dans sl. onŭ, lit. añs, arm. na, ayn, v. h. a.
enēr, ion.-att. ἐχεἶνοζ, dor. τἧνοζ.
On ne peut donc sans arbitraire analyser ille.342

Bien que l’hypothèse de Ernout et Meillet soit la plus sûre et la plus plausible du
point de vue de la reconstruction par la méthode comparative, elle nous laisse cependant
quelques perplexités. Si on admet aisément que la structure de ille est identique à celle
de « hic » et « iste », c’est-à-dire la résultante d’une particule initiale suivie d’un ancien
démonstratif, il apparaît plus difficile de suivre l’hypothèse d’une particule ol- au

340
Campanini-Carboni 2007 [voir Sec. – Storia delle parole - « ille »]. Op. Cit.
341
Ernout et Meillet 1960, Op. Cit., p. 309.
342
Ibidem.

163
premier terme ; une particule -le, -ne, pour le deuxième nous paraît plus probable : (ol)-
le, (il)-le, (il)-ne, (ol)-ne. 343
Nous sommes plus en accorde avec une origine indoeuropéenne de forme *is-lē.
Tout d’abord parce que, comme Ernout et Meillet l’affirment, lorsque le système
ternaire des démonstratifs a commencé à se diviser, le démonstratif ille a eu tendance à
remplacer l’anaphorique is, et en deuxième instance, parce que nous pensons que les
destins de ille et de is sont plus entrecroisés que ce qu’il n’y paraît.
En effet, s’il est vrai que ille prend souvent le rôle de pronom personnel de la
troisième personne ou de pronom apte à reprendre emphatiquement la personne absente
(comme par exemple in Cic., Tusculanae disputationes, 3, 62: ille Agamemnon
Homericus et idem Accius, « l’Agamennone di Omero e anche di Accio »
(« l’Agamemnon d’Homère et même d’Accius ») ; ou in Plt., Poenulus 159: vin [vis +
ne] tu illi nequam dare nunc?- Cupio, « gli vorresti ora causare un guaio? Certo [lo
desidero] » (« veux-tu lui faire grand mal? Bien sûr [je le souhaite]344 ») il est tout aussi
vrai qu’en latin, son emploi avec fonction anaphorique est usité : philosophi quidam,
minime mali illi quidem, sed non satis acuti [...] dicunt [...], « alcuni filosofi, quelli non
certo cattivi, ma non abbastanza acuti, dicono [...] » (« quelques philosophes, qui ne
sont certainement pas de méchantes gens […] mais qui n’ont pas toute la sagacité

343
L’hypothèse reconstructive de Meillet semble encore plus fascinante si on relie ille à uls, ultrō, ōlim et
alius, parce que les deux particules ol-, ul-, auraient la même origine. En effet, autant la préposition (plus
accusativum) uls, que les adverbes ultrō et ultra (dont la base est uls) sont à reconduire à la racine
indoeuropéenne *al, *ol, « en –outre », à laquelle, entre autres, il faut ramener le pronom et adjectif
indéfini alius (< i.e. *al). Ce dernier, à son tour, dériverait d’un adverbe de lieu *ali, « là », amputable à
la racine indoeuropéenne *al (« en outre », justement), d’où le thème de alius, *alyos « quelqu’un
d’autre » (par rapport à plusieurs personnes). L’arménien a ail, le grec ἂλλοζ (allos), l’osque allo,
« alia » (féminin singulier), le gaulois (gallique) alios, l’ancien irlandais aile, le gotique aljis, vieux haut-
allemand elichōr « ultérieur », le tokharien A alya-k, le B alye-k. En contraste avec le thème *alyos,
l’indo-iranien présente une forme anya-: l’ancien indien antara-, le gotique anφar, l’haut-allemand
anderer « un autre » (par rapport à deux) plaident en faveur de l’antiquité de –n-, au lieu de –l-.
Il serait donc opportun de formuler l’hypothèse d’un *anyos précédant un *alyos, avec le changement de
*ny > *ly.
Même ōlim, adverbe, est formé sur le même thème de *ol- « en outre », de olle, ollus. Le premier des
deux termes qui composeraient ille porte donc sur l’idée de l’ « éloignement », « au-delà d’un point de
repère spatial ou temporel » : « on a affaire au groupe de l indiquant l’objet éloigné ; v. uls, ultrō, ōlim et
alius » [Ivi].
344
Bien que nous ayons vérifié que la traduction française la plus récurrente de cette phrase est : « veux-
tu lui faire un méchant cadeau [ou un présent pernicieux] ? », nous voudrions soumettre à l’attention du
lecteur qu’on employait nequam au sens de « nequitia » et de « malum » [cf., fr. « mal »]. Donc
l’expression de Plaute peut être comprise comme : « vin tu illi malum dare nunc? » ; en effet, la
traduction italienne de la phrase latine est : « gli vorresti ora causare un guaio? Certo ». En outre, dans le
dialogue relatif aux vers suivants, entre Agorastoclès et Milphion, Plaute utilise les mots « nequam et
malum » [cf., 161 et svtes]. D’où notre choix de traduire « nequam » par « mal » et de ne pas suivre les
traductions proposées par d’autres auteurs.

164
possible […] disent », Cic., De officiis, 3, 39); ou encore: est etiam illa Platonis vera et
tibi…certe non inaudita vox, « c’è anche quel veritiero e a te certo non ignoto detto di
Platone » (« c’est au moins un mot bien vrai de Platon […] (et ce mot, Catullus) […]
qui n’est sûrement pas nouveau pour vous, que […] », Cic., De oratore, 3, 21).
En outre is et ille partagent une autre fonction : ils indiquent (ils « ne précisent
pas »: ce qui est bien différent) en réalité la position de l’objet ou de la personne
indiquée par rapport aux participants à l’échange verbal, en constituant le point
d’arrivée d’une limite repérable dans le champ perceptif mais externe par rapport au
couple dialogal pris dans sa totalité (hors de la sphère de l’interlocution) : il s’agit-là
d’un processus perceptif en soi indifférent au paramètre de la distance.345
Donc, tous les deux peuvent être utilisés de façon anaphorique : is par rapport au
pronom relatif qui, dont il est le corrélatif, comme dans les exemples suivants : qui
alterius mortem aequo animo ferant, eos putant vituperandos, « giudicano degni di
biasimo, chi [coloro che] sopporta la morte di un altro con animo sereno » (« ils
s’arrogent le droit de blâmer [litt.: ils jugent dignes de blâme] ceux qui supportent avec
fermeté la mort des autres », Cic., Tusculanae disputationes, 3, 72); id quod erat,
« com’era in realtà [cosa che era] » (« et c’était vrai [ litt.: comme c’était réellement] »,
par exemple in Live, Fragmenta, 59); qui…vitiis modum ponit, is partem suscipit, « chi
assegna un limite ai vizi, ne abbraccia la causa » (« celui qui pose des bornes [litt.: poser
des limites] au vice, en admet une partie », par exemple in Cic., passim); (is) qui vix e
carceribus exierit, cum palmam iam primus acceperit, « colui che si sarà appena
lanciato dai cancelli, quando il primo avrà raggiunto il traguardo » (« celui qui aura à
peine franchi la barrière, quand le vainqueur aura déjà reçu la palme [litt. : aura déjà
franchi la ligne d’arrivée] », Cic., Brutus, 173); is peut reprendre aussi un substantif
sans relatif, comme dans l’exemple suivant tiré de Plaute : aurum, id fortuna invenitur,
natura ingenium bonum, « l’oro, lo si trova per fortuna, un ingegno acuto [è] per
natura » (« les richesses viennent de la fortune, mais le bon esprit vient de la nature
[litt.: l’or, l’on trouve par hasard, mais un talent fin c’est par nature] », Plt., Poenulus,
302).
D’un point de vue étymologique is doit être reconduit au pronom anaphorique
indoeuropéen *i- (qui est, d’après nous, à la base des démonstratifs hic, iste et ille; cet

345
Cf., infra, III, § 3.

165
ancien démonstratif, obtenu à l’aide de deux radicaux distincts, *ei-, i- et *e-/o, est
justement celui qui a un rôle d’anaphorique et qu’on se retrouve dans is, ea, id).
La flexion qui en permet la reconstruction en indoeuropéen346: (« is »)

Masc. Fem.
Indoeur. Issues Indoeur. Issues
Sing. nom. *is lat.: is Sing. nom. *ī an. ind.: iy-am
got.: is got.: si

acc. *im lat. arc.: im acc. *iyīm got.: ija


got.: in-a
an. ind.: im-am

gen. *esyo lat.: eius gen. *esyās got.: ijos


an. ind.: asya

dat. *esmei ombr.: esmei dat. *esyāi


an. ind.: asmai
*esmōi
abl. *esmōd an. ind.: asmād abl. *esyās
loc. *esmi(n) an. ind.: asmin loc.

Masc Indoeur. Issues Fem. Indoeur. Issues


Plur. nom. *eyes got.: eis Plur. nom. *iyās
acc. *ins got.: ins acc. *iyā(n)s got.: ijos

gen. *eisōm an. ind.: ēsām gen.


osque : eisun-k
v. slave : iχ ŭ

dat. *eibh(y)os an. ind.: ēbhyas dat.


lat. arc.: ībus

abl. *eibh(y)os an. ind.: ēbhyas abl.


lat. arc.: ībus

loc. *eisu an. ind.: ēsu loc.


v. slave: iχ ŭ

346
Cf., Campanini-Carboni 2007 [voir Sec. – Storia delle parole- « is »]. Op. Cit.

166
Le neutre singulier *id est obtenu par la comparaison entre le latin id, le gotique
it-a et l’ancien indien id-am. Le pluriel (neutre) en *ī (cf., le gotique ija) est identique
au nominatif féminin singulier : puisque en grec, latin et germanique dans les thèmes
neutres en –i-, le –ī- du nominatif et de l’accusatif pluriel se développe génériquement
en *–i-ā (cf., par exemple, i.e. *trī – neutre-; < i.e. *trei-; tréyes masculin, t(r)isres
féminin : anc. indien trī neutre, tráyaḥ masculin, tisráḥ féminin, grec τρια [tria] neutre,

τρεἶζ [treis] masculin et féminin, latin tres, trĭa, gotique þreis, þrjia, « trois »), il est
possible de supposer en ce qui concerne ces langues une évolution du neutre pluriel en
*ia. De façon analogue dans la flexion du féminin, i- antevocalique a produit *ia,
*iās.347
En latin, ces formes ont subi une adaptation au thème avec initial e- (eius <
*esyo; ei < *eyyei; cf., même le nominatif pluriel *eyes attesté dans ques < *kweyes), par
suite de laquelle se sont déterminés (en plus de ea, ea-) les types eum, eōrum, qui ne
sont pas à reconduire à un thème eo-, difficilement justifiables dans le système de *i-.348
Is est à considérer tout d’abord, d’un point de vue psychologique, comme un
terme d’indication : un démonstratif (et pas seulement un pronom de renvoi349), dont la
première fonction est, et a été toujours celle d’accentuer le moment (et la fonction)
déictique du langage. En effet, bien qu’il soit souvent utilisé en tant que pronom-adjectif
de rappel, il est opportun d’en déterminer la fonction d’indiquer « quelque chose
d’immédiatement présent dans le champ périphérique actif mais qui présuppose une
conception externe du couple dialogal ».
Considérons l’exemple suivant : is collis [ubi] castra posita erant, « il colle
dov’era situato l’accampamento » (« la colline où était placé le camp », César, De bello
Gallico, 2, 8, 3). Dans cette circonstance en particulier, is n’est pas employé comme un
pronom de renvoi, mais dans son authentique fonction de démonstratif visant à indiquer
« une colline » repérable dans le champ environnant du locuteur (dans ce cas César qui

347
Cf., Campanini-Carboni 2007 [voir Sec. – Storia delle parole- « is »]. Op. Cit.
348
Ibidem.
349
Ernout et Meillet 1960, Op. Cit., p. 323.
Nous voulons dire que is se comporte comme un déictique dont la fonction n’est pas d’agir
anaphoriquement dans le texte ou dans le discours, mais d’indiquer quelque chose qui est repérable dans
le champ d’indication du langage dans une conception externe par rapport au couple dialogal (au-delà de
la « sphère personnelle » et « dialogal »). Il va de soi qu’utilisé comme pronom de rappel, is fait fonction
de terme d’indication (on parle, en effet, à ce propos, de déixis anaphorique) : mais il manifeste sa force
indicative « interne » dans le texte.

167
s’adresse au lecteur à la troisième personne), qui en constitue l’objet de la perception où
le camp avait été installé peu avant l’offensive contre les Belges. 350
Une interprétation spatiale est possible, mais on ne peut préciser et déterminer
aucune distance (« près » ou « loin ») par rapport aux interlocuteurs :

Le système latin des adverbes de lieu se distribue selon une conception quadripartite de l’espace
qui distingue le « lieu où l’on est », du « lieu où l’on va », du « lieu d’où l’on vient » et enfin du « lieu par
où l’on passe » : la plupart des adverbes de lieu en latin prennent des formes différentes suivant qu’ils
répondent à l’une des questions suivantes : ubi ? (« lieu où l’on est »), quo ? (« lieu où l’on va »), unde ?
(« lieu d’où l’on vient ») et qua ? (« lieu par où l’on passe »).
Il existe en latin deux systèmes de réponses à ces quatre questions. Le premier se compose de
pronoms démonstratifs (Ubi ? Ibi !, Quo ? Inde !, Unde ? Eo !, Qua ? Ea !) qui sont étymologiquement
liés au démonstratif […] ĭs, ĕă, ĭd. Comme le pronom […] ils ne précisent pas la position ou la distance
par rapport aux interlocuteurs et sont ainsi équivalents à la 3ème personne.351

En effet, du passage en question on peut retenir que César regarde « la colline »


d’une aire située en face d’elle (loco pro castris […] ex planitie editus […]: sic dans le
passage latin) 352, et qu’elle est repérable dans le champ environnant : is (comme ille)

350
Il s’agit-là d’un de ces cas où il y a, comme Bühler le dirait, déixis à l’imaginaire. En effet, si on place
la phrase « is collis ubi castra posita erant » dans le passage d’où nous l’avons extrait, on se rend compte
que la physionomie (acoustique) globale du message qui se présente sous nos yeux prend une consistance
différente, la valeur déictique de is étant totalement exaltée.
La description de César vise à transposer le lecteur dans un évènement bien précis : la guerre contre les
Belges livrée dans les environs de la ville de Bibrax, aujourd’hui Laon en Picardie (à l’époque la Gaule
Belgique), où le peuple des Rèmes était alloué (57 av. J. -C.). La narration méticuleuse du lieu nous
permet, bien que « la colline » ne soit pas présente dans notre champ perceptif, de nous montrer un objet
purement mental, en faisant appel seulement « à nos yeux et oreilles intérieurs », c’est-à-dire à notre
esprit [cf., Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 628].
Bien que nous n’étions pas dans ce lieu « imaginaire » (pour nous), nous sommes à même de nous
déplacer mentalement « là-bas », d’après la représentation qu’on a de cette zone et qui est couchée dans
l’imaginaire collectif, ou grâce aux images ou aux renseignements que nous possédons en ce qui concerne
l’histoire de l’Empire Romain [cf, supra, II, § 4].
351
Saffi 2010, Op. Cit., p. 36.
352
Il est utile, selon nous, de contextualiser la phrase que nous avons citée. Nous rapportons le passage
entier du De bello Gallico d’où la phrase est extraite: […] Ubi nostros non esse inferiores intellexit, loco
pro castris ad aciem instruendam natura opportuno atque idoneo, quod is collis, ubi castra posita erant,
paululum ex planitie editus tantum adversus in latitudinem patebat, quantum loci acies instructa tenere
poterat, atque ex utraque parte lateris deiectus habebat et in fronte leniter fastigatus paulatim ad planitiem
redibat, ab utroque latere eius collis transversam fossam obduxit circiter passuum quadringentorum et ad
extremas fossas castella constituit ibique tormenta conlocavit, ne, cum aciem instruxisset, hostes, quod
tantum multitudine poterant, ab lateribus pugnantes suos circumvenire possent […] [Cesare, De bello
Gallico, 2,8,3].
« […] Il se rendit compte que les nôtres n’étaient pas inférieurs aux adversaires, l’espace situé en face du
camp était naturellement adapté au déploiement d’une ligne de bataille, parce que « la colline où était
placé le camp » s'élevait légèrement au dessus de la plaine et qu’elle s’étendait sur un espace équivalent

168
indique quelque chose ou quelqu’un immédiatement présent à notre esprit et à nos yeux,
quelque chose de positionnable dans le champ perceptif (lorsqu’il agit en tant que
déictique corrélé à un origo stable), ou il renvoie (utilisé anaphoriquement) à quelque
chose que l’on peut saisir, de quelque façon, au-delà d’une certaine limite (à savoir,
quelque chose qui est, au sens de Bühler, en veille aux seuils de notre conscience) : un
espace intermédiaire qui n’est pas à rechercher dans l’espace perceptif mais dans le
contexte global d’un discours qui nous est immédiatement accessible.
Il s’agit là d’une distance temporelle. L’emploi anamnestique que César fait de
is dans ce passage du De bello gallico, nous permet de « sauter » dans une dimension
distante, transitoire : « sur cette colline », « là-bas, dans ce lieu de bataille », de quelque
part, dans un espace qui pour nous est imaginaire, mais qui pour les lecteurs de ce temps
était sûrement plus facile à imaginer.
Nous proposons des exemples où is est utilisé en tant que démonstratif visant à
indiquer quelqu’un de repérable dans le champ environnant mais hors interlocution, ou
comme « mot-indice » : estne hic Philito qui advenit? Is hercle est ipse, « è Filitone
questo che arriva? Per Ercole, è lui in persona » (« est-ce Philton qui vient? C’est lui-
même, par Hercule », Plaute, Trinummus, 433) : d’un point de vue strictement
syntaxique, on peut récuser la fonction anaphorique de is dans cet acte de parole, mais
d’un point de vue pragmatique la perception du « denotatum » dans le champ
d’indication se produit simultanément pour les interlocuteurs et elle est guidée à l’aide
du regard, du couple dialogal vers la personne qui se trouve, par rapport à eux (dans le
dialogue, « Lesbonicus » et « Stasime ») dans un espace hors interlocution (au-delà de
la sphère dialogale) ; tactu is locus leniter indolescit, « questo punto duole leggermente
al tatto » (« la douleur, peu prononcée, ne se révèle guère qu'à la pression [litt. : cette
partie est peu douloureuse à toucher] », Celse, De medicina, 8, 9, 2) : dans cette phrase,
du huitième livre « de la médecine » de Celse, is se comporte en tant que « mot-
indice », terme déictique dans une demonstratio ad oculos où il accompagne le geste du
locuteur guidant intentionnellement le regard de l’interlocuteur vers l’objet de la

pour y déployer les troupes mises en ligne ; elle présentait deux flancs escarpés et se rehaussait en son
centre par une légère éminence qui déclinait doucement vers la plaine. De l'un et de l'autre côté de cette
colline, [César] il fit creuser un fossé transversal d'environ quatre cents pas ; au sommet de ces fossés il
éleva des redoutes et disposa des machines, pour éviter que les ennemis, une fois nos troupes déployées,
ne pussent, étant si nombreux, nous prendre de flanc tandis que nous serions occupés à combattre […] »
[notre traduction].

169
perception. Ce n’est pas par hasard si, dans la phrase en question, on utilise un verbe
inchoatif afin d’indiquer la progression du geste jusqu’au toucher de la partie du corps
désignée (l’intention de l’auteur de l’ouvrage cité est justement de donner des
enseignements de l’art médical en nous conduisant « mentalement » vers la partie du
corps à toucher et à soigner : les côtes fracturées) ; tun is es qui per voluptatem tuam in
me aerumnam obsevisti gravem?, « allora sei tu quello che, per dare sfogo al tuo
piacere, hai fatto di me una povera derelitta » (« es-tu celui qui, pour son plaisir, a semé
en moi une grande souffrance ? », Plaute, Epidicus, 557) : dans cet énoncé is est à
identifier, d’un point de vue sémantique et syntaxique, comme un pronom de rappel
utilisé anaphoriquement et corrélatif de qui.
Mais, si on considère sa fonction, il indique, justement comme ille, quelqu’un
(Periphane) qui est présent (« joignable ») ici et maintenant dans le champ perceptif du
locuteur (Philippa), qui se trouve hors de sa sphère personnelle et qui est opportunément
ramené dans la sphère dialogale. On utilise is par rapport à une origo stable : l’ego de
Philippa qui fait fonction de centre déictique.
En italien il est traduit par « quello » : c’est absolument impropre si par là il faut
le concevoir comme déictique proprement dit « d’éloignement ». En effet, is/quello
introduit « cataphoriquement » dans le discours quelqu’un dont on ignorait la présence
(on observe, ici, une contradiction entre la valeur sémantique et la valeur fonctionnelle
de is qui sera plus évidente lorsque nous parlerons de la représentation de l’espace liée à
l’emploi des démonstratifs en italien).
Is d’un point de vue perceptif est relié à un centre déictique déterminé (le je du
locuteur) qui lui confère sa valeur de démonstratif, en activant un mécanisme qui n’a
aucune corrélation ni avec une représentation de l’espace liée au paramètre de la
distance, ni avec la personne grammaticale (le temps du verbe utilisé dans la phrase
latine est « obsevisti » : « sei tu […] che seminasti » « es-tu celui qui […] semas »).
Cela se produit parce que is est utilisé de façon cataphorique pour indiquer
justement un interlocuteur qui n’est pas « loin » de l’ « origo » (is…es…qui, « tu quello
che »), mais qui se trouve hors interlocution, au-delà de la sphère personnelle du
locuteur et, qui, seulement après une « identification visuelle » et « une perception
acoustique », est reconduit « inter-locution » par rapport au couple pris dans sa totalité
(« me nominat haec : credo ego illi hospitio usus venit », « elle a prononcé mon nom.

170
Elle cherche, je crois, l'hospitalité » : Periphane, 536; « Di boni ! Visitavi
antidhac », « Bon Dieu ! Ce visage, je l'ai déjà vu », Philippa, en le regardant, 540) ;
pueri adsunt, eos voco, « i ragazzi sono là; li chiamo » (« les enfants sont là ; je les
appelle » Saffi, La personne et son espace en italien, 28): même dans cas-là, d’un point
de vue strictement syntaxique is est à examiner évidemment en tant qu’anaphorique,
mais l’acte de parole ainsi conçu ne comporte pas, de facto, la parfaite synergie entre le
champ symbolique et le champ déictique du langage pour que l’interaction verbale se
matérialise et comme la déixis anaphorique le prévoit : ce n’est pas là le contexte
linguistique qui agit comme champ d’indication, mais c’est le champ perceptif seul, à
l’aide de l’indication gestuelle et du regard, par lesquels on est à même de réussir à
joindre « quelqu’un », dans une conception externe par rapport à la sphère
d’interlocution, mais dans le « champ environnant » des interlocuteurs.
Is exprime, par contre, sa nature de pronom et d’adjectif de renvoi quand,
comme tous les démonstratifs, il se prête à chaque emploi anaphorique possible: donc,
lorsqu’il reprend ou révèle, dans le « contexte linguistique », un relatif déjà nommé ou,
un substantif sans relatif353 ; en bref, si les deux champs du langage agissent de façon
synchronisée et si le contexte devient le centre déictique de l’interaction.
En outre, nous croyons que le démonstratif anaphorique qui est à l’origine de is
(*i, sans particule postposée –s), est le « pronom pivot » autour duquel les autres
démonstratifs tournent : hic bien sûr, mais aussi iste et ille (toutefois différemment
d’eux, is ne présente aucune particule épidictique comme dans hi-[c], isti-[c], illi-[c] ou
comme dans is-[t]-e, il-[le]):

[…] Is, qui avait une valeur faible et des formes monosyllabiques facilement élidables ou
méconnaissable, a été concurrencé par les démonstratifs, surtout par ille, à mesure que le sens de ceux-ci
s’affaiblissait et que la langue tendait à les remplacer eux-mêmes par des formes plus pleines et plus
expressives dont témoignent les langues romanes […] Le radicale de is […] figure dans hic.
Is, ea, id est dérivé d’un thème *ei-, i-, élargi en *eyo-, *eyā- (au féminin) pour la plupart de cas.
En Indo-Européen, le radical *ei- servait à fournir la forme du nominatif : skr. ay-ám (masculin), iy- ám
(féminin), id- ám (nominatif- accusatif neutre) ; le reste de la flexion était obtenu avec *e/o- : skr. á-sya
(génitif), á-smai (datif), etc. Cet état de choses se maintient dans la forme latine à particule préposée
servant de démonstratif : h-i-c, accusatif h-un-c, h-o-diē. Dans la flexion de is, les formes de *e/o- ont été

353
Cf., supra l’exemple tiré de Plaute, Poenulus, 302.

171
remplacées par les dérivées eo- : eum, ēo, eī, etc. […] Outre l’indo-iranien, le type *ei-/e-/o- se retrouve
en germanique : got. is (le neutre est ita) […]354

Il nous semble que l’étymologie se marie bien avec une explication de type
psycholinguistique : en effet, le pronom is dérive de l’anaphorique indoeuropéen *i-, et
ce dernier, selon nous, est à la base des démonstratifs latins. Cela trouve son
explication dans ce que Gustave Guillaume a défini comme les lois qui règlent le
« psychisme de formation » et sur lesquelles Bühler nous confirme avoir une idée
précise :

Pour autant que je puisse voir, l’accord règne chez les historiens sur l’origine des termes
déictiques qu’on trouve aujourd’hui dans différentes classes de mots. Dans le Grundriβ... de Brugmann et
Delbrück, la théorie habituelle est présenté comme suit :

Peut-être tous les démonstratifs ont-ils un jour été des particules déictiques, donc indéclinables. Lorsque
l’objet était en même temps nommé, ils précédaient ou suivaient sa désignation. On trouve encore fréquemment des
particules de ce type en liaison adjectivale avec des substantifs au cours de périodes historiques des langues indo-
européennes, par ex. en haut allemand moderne der Mensch da, « l’homme là », da der Mensch, « là, l’homme », du
da « toi là ». On peut faire valoir plusieurs raisons en faveur de cette origine des pronoms déclinés […] [Brugmann-
Delbrück in Bühler, 1911, 311]

Voilà qui est certainement juste, et les raisons avancées par Brugmann lui-même me paraissent
d’un grand poids […] Mais la question que pose le systématicien est de savoir si de telles particules
déictiques indéclinables peuvent déjà tenir lieu de noms, et être qualifiées à juste titre de pronoms.
Celui qui répond par la négative à cette question doit faire preuve de conséquence en
reconnaissant que le trait qui assure la cohérence de l’ensemble de la classe n’est pas l’emploi
pronominal, mais la fonction déictique […]355

Finalement si on examine séparément toutes les classes particulières qui se trouvent intégrées
sous le concept générique de « pronoms » chez Brugmann et Delbrück, on y trouve toujours affirmé
quelque part qu’ils ont un jour été des termes déictiques ou qu’ils le sont encore incidemment. Voici par
exemple ce qu’on y dit des relatifs :

La racine *io-, *io-s, *ia-, *io-d, fonctionne comme relatif depuis l’époque indo-européenne […], io-s était
alors originairement un démonstratif anaphorique [je souligne], qui faisait référence à un concept substantival
(nominal ou pronominal) de la phrase précédente. [Brugmann-Delbrück in Bühler, 1911, 347]356

354
Ernout et Meillet 1960, Op. Cit., p. 323.
355
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 219-220.

172
En effet, si nous faisons une anamnèse de l’histoire génétique des relatifs
indoeuropéens, en partant des équivalents latins, nous découvrirons qu’effectivement à
leur base on trouve toujours le pronom anaphorique indoeuropéen *i- di is.
Partons du pronom relatif qui. Il atteste l’emploi de l’ « interrogatif-indéfini » en
fonction de relatif. Les formes du nominatif sont saisies par l’ajout du déictique –ī-: qui
dérive de kw-o-ī (osque puī), quae de kw-ā-ī (osque paī), au lieu du neutre quod qui
n’enregistre pas l’emploi de cette particule (cf., l’osque púd). 357
Quant à l’accusatif quem et au datif-ablatif pluriel quibus, il semble qu’ils
présupposent le thème *kwi-358, qui, entre autres, en indoeuropéen aurait eu la fonction
de désigner l’interrogatif indéfini auquel il faut reconduire quis, et qui.
La flexion du thème en i-, est confirmée par ces correspondances359 : (« quis »)

Indoeur. Issues
Sing., nom., m., f. *kwis lat.: quis
gr.: τιζ [tis]
hitt.: kwis
Nom., neutr. *kwid lat.: quid
gr.: τι [ti]
hitt.: kwid

Acc., m., f. *kwim lat.: quem


gr.: τιν-α [tin-a]
hitt.: kwin
Instrum. *kwī lat.: quī
avest.: Ćī

356
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 221. Bühler souligne.
357
Cf., Campanini-Carboni 2007 [voir Sec. – Storia delle parole- « qui »]. Op. Cit.
358
Cf., Ibidem.
359
Cf., Campanini-Carboni 2007 [voir Sec. – Storia delle parole- « quis »]. Op. Cit.

173
Indoeur. Issues
Plur., nom., m., f. *kweyes lat. harc.: ques
avest.: Ćayas
Nom., neutr. *kwī lat.: quia
avest.: Ćī

À côté de ces formes apparaît un thème *Kwe- / *Kwo-, comme l’attestent, entre
autres, le génitif singulier *kwesyo (cf., l’ancien indien kasya, le latin cuius, archaïque
quoius; l’homérique τέο [téo], attique τοΰ [toú]; vieux haut-allemand hwes) et le datif
singulier *kwesmōi (cf., l’ancien indien kasmāi et l’avestique kahmāi) : il a tire son
origine selon toute probabilité de changements phonétiques apparus dans certaines
circonstances et il peut être considéré comme une formation secondaire par rapport à
*kwi-.360
Au génitif singulier, par exemple, *kwesyo est l’issue d’une dissimilation de la
forme agrandie *kweis-yo, où *kweis- constitue le génitif correct de *kwis ; de la même
façon, il est possible d’admettre un datif singulier primitif *kweyei-sm-ei, réduit par
haplologie (il faut entendre par là, l’amuïssement d’une syllabe dans un mot qui devrait
avoir, de par son étymologie, deux syllabes consécutives ou égales) à *Kweismei et par
dissimilation à *Kwesmei (probablement à l’origine de *kwesmōi).361
Donc, à la base du relatif qui et du pronom et adjectif indéfini quis, il y aurait les
mêmes thèmes, *ei-, i- e *e-/o (d’où vient justement l’ancien démonstratif anaphorique
*i-, de hic, is, et vraisemblablement même de ille et iste) sur lesquels reposent les
démonstratifs latins.
Si nos données étymologiques sont correctes, on peut alors convenir chez Bühler
que probablement en indoeuropéen autant les démonstratifs que les relatifs ont eu pour
origine un ancien pronom démonstratif anaphorique lié à une représentation de l’espace
inhérente à :
1. Idée de « mouvement ». Elle est tacite dans sa ratio de « dislocateur
syntaxique (« élément de dislocation syntaxique ») », à savoir :
« détachement d'un constituant en tête ou en fin de phrase (« anaphore ou

360
Ibidem.
361
Ibidem.

174
cataphore ») ; constituant repris par un pronom. Le pronom dans ce cas
là, rappelait ou annonçait un syntagme nominal ou un relatif, selon leur
position dans le « contexte linguistique » (dans la dimension orale et
probablement « fusionnelle/flexionnelle », synthétique, présumée de
l’indoeuropéen, d’un point de vue typologique). 362
2. Le concept de « mouvement » survit aussi dans les adverbes de lieu qui
présentent comme « entrée-base » is : eō « là », adeō « à ce point »,
« jusque-là », usque adeō « jusque-là (où) », eā « par là », « par cet
endroit » ; au même thème de is appartient aussi ibi (< *i-dhe, dérivé
justement du pronom indoeuropéen *e-, *ei-, *i-) « là », « y », « dans ce
lieu », « en cet endroit » et inde (< *im-de; où *im est l’accusatif
archaïque de is-, et –de < *dē, la particule utilisée pour indiquer souvent
le concept de « provenance », qui probablement dans l’indoeuropéen
représentait un « instrumental », du thème des démonstratifs *dē-).363
3. « Représentation générale de l’espace ». Avec la fonction de rappeler
l’attention sur la personne du locuteur (y a-t-il une corrélation avec
l’interjection, « eh/ei », que les enfants produisent pendant le période de
la lallation pour attirer l’attention ?). Par conséquent, il servait à indiquer
les positions du locuteur et de l’interlocuteur dans le champ perceptif,
selon leur point de vue respectif ou celui du couple pris dans sa globalité.

[…] L’analyse phénoménologique, en partant d’un concept d’anaphore compris de manière


suffisamment large et exacte, établirait que les relatifs n’ont jamais abandonné leur fonction déictique,
qu’ils la remplissent toujours aujourd’hui, sans préjudice de la différentiation logique qui s’est établie
entre eux et les autres particules de connexion phrastique. Finalement le théoricien cherche les points de
vue organisateurs décisifs sur l’ensemble de la classe des « pronoms » et trouve de propos qu’il ne peut
accepter sans contestation :

362
Nous savons avec certitude que l’indoeuropéen dispose d’un ancien corpus de racines, de préverbes,
ou, de toute façon, de particules à antéposer à des radicaux ; en outre il est constitué par un grand nombre
de suffixes, à postposer bien sûr à des radicaux et à un lexique tellement ample que le célèbre dictionnaire
Pokorny, présente des séries différentes de radicaux homophones (cf., l’exemple de *per-), mais pas
« homosémantiques ».
363
Cf., Ernout et Meillet 1960, Op. Cit., p. 324, et, Campanini-Carboni 2007 [voir Sec. – Storia delle
parole- « de », « ibi », « inde »]. Op. Cit.

175
Les pronoms se divisent d’abord en deux groupes principaux. I. les pronoms démonstratifs et interrogatifs
ainsi que le relatif et l’indéfini, qui indiquent quelque concept par procuration. L’élément principal de ce groupe est
formé par les pronoms démonstratifs, qui font partie des éléments les plus anciens de chaque langue. II. Les pronoms
personnels et possessifs, qui possèdent le concept de personne comme leur base indépendante. Ils désignent les
personnes de l’interlocution, le je et le tu, nous et vous et ce qu’on appelle les troisièmes personnes, auxquelles le
discours se rapporte […] [Brugmann-Delbrück in Bühler, 1911, 311]364

Par conséquent, autant les démonstratifs que les autres pronoms, de par leur
origine et leur fonction principale, seraient à compter parmi les termes déictiques et, ils
auraient, d’après Bühler, une origine commune précise : « il faut choisir le critère
déictique comme trait distinctif du concept générique ». 365
Et s’il est vrai, comme Bühler l’affirme et tel que l’on a essayé de le justifier à
l’aide d’une reconstruction diachronique ponctuelle, que tous les démonstratifs
indoeuropéens, probablement, n’étaient que des particules déictiques avec la fonction
d’indiquer, utilisées pour attirer l’attention du récepteur sur l’émetteur, on pourra aussi
admettre que, de la même façon, la fonction des termes déictiques était celle de
substituer les noms, et vraisemblablement les particules de l’indoeuropéen s’étaient
spécialisées et orientées dans ce sens (comme le démontre l’évolution du pronom
anaphorique indoeuropéen -i-).366
Nous conclurons notre analyse par une brève parenthèse consacrée aux deux
dérivés de is, ipse et idem. Nous commençons par la reconstruction étymologique et par
le fondement psychologique sur lequel se base la représentation de l’espace liée à leur
emploi.
Ipse dérive d’une ancienne formation redoublée du démonstratif indoeuropéen
*so: par les accusatifs *somsom, *sompsom on a saisi le nominatif *sopsos, *sopso, qui
s’est développé dans le masculin *sopse et dans le féminin sopsa.367

364
Bühler 1934; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 221.
365
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 222.
Et encore, à ce propos : « Il manquait aux Grecs de disposer d’un regard sur le contexte historique des
choses. Ils ignoraient, contrairement à Brugmann et Delbrück, que tous les démonstratifs indo-européens
ont probablement été un jour des « particules déictiques ». […] Mais elles étaient du moins là, ces
particules, et elles ont de toute évidence assumée aussi leur fonction à une époque où elles n’avaient pas
encore endossé le rôle ultérieur de pronoms. J’affirme que cette fonction, qui est la plus ancienne et n’a
pas disparu, doit être élevé au rang de caractéristique propre à la classe. C’est à partir d’une théorie des
deux champs et uniquement à partir d’elle qu’on peut lui conférer ce statut ». [Bühler 1934; tr. fr. 2009,
Op. Cit., p. 224].
366
Op. Cit., p. 225.
367
Campanini-Carboni 2007 [voir Sec. – Storia delle parole- « ipse »]. Op. Cit.

176
L’issue de ipse est obtenue par la substitution de *so dans la première syllabe
grâce au thème de is. La forme archaïque ipsus-a-ud conserve l’issue originaire (le
démonstratif masculin *so(s), féminin *sā, *tod, du thème to- de l’accusatif *tom, *tām,
est attesté dans l’ancien indien sá, sā, tad; dans le grec ὁ, ἡ, τó [ho, hē, tó], dans le
gotique sa, sō, þata) 368:

[…] Pronom-adjectif intensif appartenant au groupe des démonstratifs qui, comme le gr. αὐτóζ,
sert à mettre en relief une personne ou une chose, ou à l’opposer à d’autres : « même, lui-même, elle-
même (et pas une autre) ; propre ; en personne », et aussi à en affirmer l’exactitude ou l’authenticité. Joint
à un nom de nombre, signifie « exactement, précisément » […] Étant donné son sens intensif, ipse peut
être renforcé par la particule –met, ipsemet […] La langue familière lui crée même des superlatifs :
ipsimus […], ipsissimus […] Ipse est souvent joint aux pronoms démonstratifs : hic, ille, ou personnels :
egometipse, sēmetipsum. L’intensif étant voisin pour le sens du pronom d’identité īdem […] qui lui-même
n’est qu’un is renforcé, ipse et des formations dérivées de ipse se sont substituées à īdem dans les langues
romanes : e.g. istum ipsum > it. stesso ; ipse dans certains cas est devenu démonstratif : eccu ipse > sud.-
ital. quessu [chissu ; /’kissu/ > « codesto » dans l’italien sicilien], esp. aquese […]369

Le sens s’est affaibli au point que, dans un groupe de parlers romans, ipse a fourni l’article pour
lequel les autres parlers ont recouru à ille. De metipsimum est dérivé le v. fr. medesme, fr. même, ital.
medesimo ; de *ne ipse ūnum, l’ital. nessuno, etc. […]
Ipse est formé de i- nominatif sans désinence à côté de is (cf., ali-quis) + une particule de
renforcement –pse, analogue pour le sens a –pte. La langue archaïque a encore des formes eapse, eōpse,
sapsa, sumpse […] Sur le modèle de ille, la finale de ipse a été fléchie, tandis que le thème devenait
invariable. A l’époque archaïque, la langue hésite entre ipsus et ipse; le neutre est toujours ipsum; ipsus
n’apparaît qu’à très basse date, quand ipse et iste tendent à se confondre. Dans la prononciation courante,
ipse, qui avait en partie le caractère de mot accessoire, devient isse, comme le montrent les dérives des
langues romanes; cf., ital. esso, medesimo […] La particule –pse ne se retrouve pas hors de l’italique. Elle
est évidemment composée. Il s’y trouve, d’une part, un élément –p, comme dans –pte […] in eōpte […]
on a –pte dans mihi-pte, meōpte, etc. […] D’autre part, il y a –se […] Le contraste de ipse et de eōpte
suggère l’idée que –p-se appartiendrait au nominatif et –p-te aux cas obliques, ce qui répondrait à
l’opposition ancienne de skr. sá (nominatif) à ta- aux autres cas.370

Les données historiques de ce qui précède nous confirment que le pronom ipse
est classé comme « intensif », rattaché au groupe des démonstratifs, utilisé afin de

368
Ibidem.
369
Ernout et Meillet 1960, Op. Cit., p. 322. Nous ajoutons les italiques entre crochets.
370
Op. Cit., p. 323.

177
mettre en évidence quelque chose ou quelqu’un par rapport à d’autre choses ou
personnes.
En réalité, ce qui n’est pas si évident dans la reconstruction de Ernout et Meillet,
mais que nous sommes à même de lire entre les lignes, c’est justement sa fonction
primaire de démonstratif qui est tout d’abord celle d’indiquer : le critère déictique est
son trait distinctif.
Certaines perplexités ne sont, aujourd’hui, pas encore dissipées, eu égard à sa
fonction : il suffit de feuilleter plusieurs dictionnaires « italiens » de la langue latine
pour observer qu’il est indiqué, parfois en tant que démonstratif, ailleurs comme
« défini » ou « déterminatif ». 371
Génériquement, on le désigne en tant que pronom « intensif », mais il ne faut
pas oublier que, d’un point de vue psychologique et pragmatique, mais aussi
étymologique, il a maintenu au cours des siècles son ancienne fonction déictique : ego
ipse, tu ipse, is o hic o iste ipse, « io stesso » « io in persona» (moi-même), « tu stesso »
« tu in persona » (toi-même), « egli stesso » « egli in persona » (lui-même) ; voici à titre
d’exemple, des emplois de ces expressions chez Cicéron : ipse hoc facio ; ipse hoc facis,
« io stesso faccio ciò »; « tu stesso fai ciò » (« je le fais moi-même » ; « tu le fais toi-

371
Cette observation naît de notre brève expérience d’enseignant remplaçant de latin dans des lycées
italiens. Nous avons souvent discuté sur ce sujet avec d’autres collègues et nous avons pu vérifier que,
souvent, les notions qu’on possède sur les démonstratifs ne sont pas liées effectivement à une vision
pragmatique de leurs fonctions, mais simplement à une conception grammaticale traditionnelle qui les
conçoit enracinés à une phénoménologie qui s’oppose effectivement à leur véritable nature de déictiques
au sein d’un échange communicationnel. Nous tenterons de mieux nous expliquer. La définition la plus
récurrente concernant l’idée de démonstratif, les conçoit comme des pronoms désignant un être ou un
objet « près » ou « loin », ou représentant un nom ou une idée. Ou des adjectifs servant à montrer la
personne ou la chose désignée à travers le nom auquel il est joint.
Et si on examine la plupart des grammaires latines en usage, le résultat est le même. La conception
spatiale qu’on en tire est une représentation de l’espace vraiment minimaliste : la plus courante voit les
démonstratif comme des particules qui montrent l’objet indiqué situé dans l’espace selon sa proximité ou
son éloignement. Ce n’est pas tout. On constate dans la plupart des grammaires, est encore présent le
classement du système des démonstratifs comme système ternaire (hic, ille, iste), auquel sont associés les
« déterminatifs » is, ipse, idem.
La qualification de déterminant, à notre avis, leur a été attribuée parce qu’ils ont la capacité de rappeler
un terme précédent (anaphore) ou suivant (cataphore). Il n’est pas rare de trouver aussi des situations
ambigües dans lesquelles « ces déterminatifs » sont parfois rangés dans la catégorie des « définis » [cf.,
par exemple, Dizionario on line della lingua latina et Dictionnaire latin -français « Olivetti » ; « Nomen »,
Dizionario della lingua latina Campanini-Carboni, Torino, Paravia, 2002; La grammatica latina. Teoria,
Firenze, Editrice La Nuova Italia, IV ristampa, 2002; Ratio. Un metodo per il latino, Roma-Bari, Laterza,
2012]. Afin de clarifier leur fonction du point de vue pragmatique, et de préciser les fondements
psychologiques qui président à leur constitution, nous croyons qu’il est plus opportun de parler d’un
système de démonstratifs (dans lequel insérer à plein titre is, ipse e idem) qui se prête aussi à un usage
anaphorique, puisqu’ils possèdent tous la capacité de conserver en contexte leur puissance d’indication.

178
même », Cicéron, De amicitia, passim); sed non egeo medicina, me ipse consolor et
maxime illo […] plerique angi solent, « ma non ho bisogno di medicina: mi consolo da
me e soprattutto con quella […] per cui di solito i più si angosciano » (« mais je n'ai
besoin d'aucun remède, je me console moi-même, et ma consolation principale est que
je suis libre de […] qui angoisse la plupart d'hommes […] », Cicéron, De amicitia, 10);
hoc ipse quoque facio; ex pluribus quae legi aliquid apprehendo, « io stesso mi regolo
in questo modo; dal molto che leggo ricavo qualche cosa », « c’est aussi ce que je fais.
De tout ce que je lis, je retire quelque chose », Sénèque, Epistulae ad Lucilium, I, II).
Ipse est utilisé dans ces périodes afin de définir une « sphère » (comme idem) :
le lieu géométrique, l’environnement qui entoure au fur et à mesure le locuteur et où
l’on peut arriver à joindre ce qu’il est indiqué. Les expressions telles que « proprio lui »,
(c’est effectivement lui), « egli stesso » (lui-même), « io stesso » (moi-même), « tu
stesso » (toi-même) sont décisives parce qu’elles permettent de situer les positions de
l’émetteur et du récepteur dans le champ environnant où l’énonciation se matérialise,
afin d’établir leur rôle « dans » ou « hors » de la sphère dialogale, par rapport à un
espace inter/hors locution, comme dans les exemples cités où l’échange communicatif
n’est pas direct, en vis à vis, mais où il s’agit d’une « sphère cotextuelle », à savoir d’un
« contexte linguistique ». Il s’agit de deux « dialogues » où un locuteur principal,
respectivement « Caius Laelius Sapiens » dans Cicéron et « Sénèque » dans les lettres,
s’adresse à un interlocuteur, « Caius Fannius Strabo et Quintus Mucius Scævola », ce
dernier consul en -117 av. J. –C., et « Lucilius », qui se trouve « inter-locution », dans la
sphère dialogale, dans le cas de Cicéron, et « hors » interlocution en ce qui concerne les
epistulae morales sénéquéenne.
En outre, il faut souligner, comme pour tous les démonstratifs, sa fonction de
rappel (son emploi anaphorique), qui, entre autres, s’est perpétuée jusqu’à nos jours
dans le pronom démonstratif (et « personnel ») italien esso. Ipse, comme esso, employé
anaphoriquement, était utilisé pour « rappeler quelqu’un de déjà nommé ou un nom de
chose ou de personne » : ipsus est de quo hic agebam tecum, « è proprio lui quello di
cui stavo parlando con te372, » (« voici justement celui dont je te parlais », Térence,
Hecyra 455).

372
Ipse se comporte là exactement en tant que pronom de rappel : il introduit « cataphoriquement » hic,
rappelle et reconduit dans la sphère dialogale la troisième personne dont on était en train de parler. Cette
situation énonciative démontre que la valeur fonctionnelle de ipse [+ hic] est celle d’indiquer la personne

179
De par sa nature, comme tout le système des démonstratifs373, sa fonction de
pronom anaphorique reste inaltérée (au sens d’ « anticiper » ou de « rappeler », même à
l’aide de « gestes » ou du « regard », un constituant du discours précédemment énoncé)
comme nous le montre le thème de is, i-, dont est composée la première syllabe de ipse,
qui en indoeuropéen ne représentait qu’un ancien anaphorique (il ne faut pas négliger
que le thème i-, substitue un autre ancien démonstratif, *so dans *sopse, d’où ipse
provient).
On peut affirmer que, d’un point de vue psychologique, l’emploi anaphorique
des termes déictiques, parmi lesquels il faut compter ipse, prévoit qu’émetteur et
récepteur ont bien fixé dans leur esprit comme un « tout », le flux du discours, dont les
parties peuvent être rappelées et anticipées, en utilisant, le cas échéant, des auxiliaires
indicatifs tels que les gestes, les regards ou le ton de la voix, qu’on utilise pendant une
demonstratio ad oculos374 :

désignée dans le champ déictique où l’interaction verbale se réalise par rapport à la position du couple
dialogal considéré globalement, sans aucune corrélation avec le paramètre de la distance ou avec la
personne grammaticale. En effet, on utilise, avec raison, un déictique de proximité (hic/questo) afin
d’indiquer une troisième personne qui se trouvait dans un espace hors interlocution et qui a été rappelée
physiquement, ici et maintenant, dans le champ perceptif et dans la sphère dialogale. Il faut remarquer, à
ce propos, que dans la traduction italienne qui reflète fidèlement une situation énonciative assez ordinaire,
on utilise un pronom de troisième personne, quello, afin d’indiquer quelqu’un qui n’est ni absent, ni loin
de celui qui parle ou de celui qui écoute, mais qui nunc est immédiatement joignable dans le champ
d’indication (dans ce cas, Lachès à Phidippe à l’égard de Pamphile « quem ego hic audivi loqui ? », « chi
ho sentito parlare da questa parte? », « qui a parlé ici [litt., « qui ai-je entendu parler ici? »] », Térence,
Hecyra 453).
373
Je veux soumettre à votre attention ce passage facile à démontrer. Si l’émetteur, le je, s’adresse à son
interlocuteur en lui disant « mi ripassi quel coso ? » (« est-ce que tu peux me redonner ce truc là ? ») en
indiquant de nouveau un livre qui est sur la table, il ne fait qu’utiliser anaphoriquement le démonstratif
« quello », parce qu’il rappelle quelque chose qui est implicite dans sa phrase, le livre, et qui se trouve
dans le champ environnant partagé par les interlocuteurs. Dans cette situation, ce n’est pas l’ego du
locuteur, l’origo à laquelle « quel » est lié, qui fait fonction de centre déictique du champ d’indication
mais le « contexte » : le je n’a besoin d’aucun geste pour que le récepteur lui donne l’objet désigné, mais
il lui faut simplement, au sens de Bühler, les auxiliaires de construction et de compréhension « ripassare »
« coso ». De la même façon, si l’émetteur prononce une phrase latine telle que : « res loquitur ipsa,
iudices! » « il fatto parla da solo, giudici ! » (« la chose parle d’elle-même, Messieurs les juges ! »,
Cicéron, Pro Milone, 53 et passim), il emploie de façon anaphorique le pronom ipse, avec l’intention de
rappeler un continuum discursif qui est bien présent dans l’esprit de ses auditeurs et qui sous-tend
implicitement le status juridique d’un accusé bien connu par des juges.
De même, si notre locuteur prononce la phrase suivante : « vidi hunc ipsum » « ho visto costui in
persona » (« je l’ai vu […] en personne » ; cf., par exemple, Cicéron, Pro S. Roscio Amerino, 13): même
là, l’émetteur prévient l’interlocuteur qu’il a vu quelqu’un dont on a parlé et que le récepteur connaît ou
qu’il pourrait avoir vu. Dans ces circonstances aussi le pronom ipse est utilisé anaphoriquement afin de
rappeler quelqu’un déjà nommé.
374
Il va de soi que nous voulons attirer l’attention simplement sur chaque emploi anaphorique potentiel
des démonstratifs qu’on utilise aussi pendant une demonstratio ad oculos [cf., supra, II, § 4, en ce qui
concerne les « modes d’indication »]. Toutefois, il est opportun de maintenir distincte la triple
classification bühlerienne : « […] L’anaphore et la déixis à l’imaginaire doivent donc être distinguées de

180
Avec dieser, «celui-ci [qui est le plus proche] », et jener « celui-là [qui est le plus loin] » (ou
avec hier, « ici », et dort, « là-bas », et d’autres termes similaires), il est fait rétrospectivement référence à
quelque chose qui à déjà été abordé ; avec dér [derjenige : « celui(-là) qui »] et d’autres déictiques, il est
fait par anticipation référence à quelque chose qui est sur le point d’être abordé. C’est ce que de tout
temps on a appelé l’anaphore. Si on veut en évaluer toute la portée, il ne faut pas oublier de rechercher
également la composante déictique dans des termes où celle-ci se trouve amalgamée à des fonctions
grammaticales particulières. C’est ainsi que non seulement les pronoms relatifs dans l’acception stricte du
terme, mais aussi les conjonctions indo-européennes, contiennent une composante déictique ; et en
l’occurrence une déixis à quelque chose qui ne doit pas être recherché et découvert dans deux lieux de
l’espace perceptif, mais dans des lieux situés dans l’ensemble du discours.375

[…] C’est simple : il existe également une déixis renvoyant à des lieux situés dans la structure du
discours, et pour ce type de déixis les langues indo-européennes recourent dans une large mesure aux
mêmes termes que pour la demonstratio ad oculos. (Ainsi qu’on vient de le dire), la description de ce
phénomène du moins est assez simple : dans le premier cas, un ordre dans l’espace et des positions dans
cet espace ; et ici un ordre dans le déroulement du discours, et des lieux dans ce dernier ou des fragments
du discours, auxquels on renvoie afin d’atteindre ce que l’on veut dire. Et ce renvoi s’opère pour
l’essentiel à l’aide du même appareil de termes déictiques.376

Les démonstratifs, donc, en tant que déictiques, lorsqu’on les utilise


anaphoriquement, présupposent que les consciences des deux interlocuteurs partagent
des connaissances, qui structurent leur flux discursif, « pour qu’un déplacement y soit
possible, analogue au déplacement du regard sur un objet optiquement présent ».377
Idem, pronom et adjectif, qu’il faut regarder en tant que terme déictique, ne se
soustrait pas à cette possible fonction de rappel. En outre, il est opportun de préciser que
lui-même comme ipse, est considéré, à raison, un « pronom d’insistance » 378 , et un
« déterminatif » (parfois même comme « défini »), mais, pas un démonstratif à plein
titre.
Idem n’a pas une étymologie claire : la décomposition « logique » *is-dem, ea-
dem, est contredite du fait que le neutre idem ne présente pas une consonne géminée

la demonstratio ad oculos […] L’anaphore […] se distingue sur des points essentiels de deux autres
modes de la déixis, et elle serait incompréhensible s’il n’existait pas un second champ langagier à côté du
champ déictique, à savoir un champ symbolique [c’est-à-dire une syntaxe] » [Bühler [1934]; tr. fr. 2009,
Op. Cit., p. 229].
375
Op. Cit., p. 226. Nous ajoutons les italiques entre crochets.
376
Op. Cit., p. 227.
377
Ibidem.
378
Saffi 2010, Op. Cit., p. 26.

181
comme dans quoddam, quiddam, et nous suggère, par conséquent, plutôt l’analyse id-
em. Il semble plausible que le pronom soit composé par is + dem, invariabile, sauf au
neutre, où la forme id-em correspond parfaitement à l’ancien indien id-am [id]: 379

[…] Pronom-adjectif d’identité composé de is + la particule dem qu’on retrouve dans ibidem,
indidem, itidem, tantīdem, totidem, etc. Proprement « celui précisément », puis « le même ». Souvent
joint à des pronoms personnels ou démonstratifs : ego īdem « moi précisément », hic īdem « celui-ci
même » […] Idem n’a pas survécu dans les langues romanes, où il a été remplacé par des formes dérivées
de ipse […] L’étymologie de īdem a été beaucoup discutée et l’on n’est arrivé à rien de certain. Au point
de vue latin, īdem, eadem, etc., et de même ibidem, itidem, tandem, etc., se coupent naturellement en *is-
dem, ea-dem, etc., ibi-dem, *ita-dem, *tam-dem, etc., et une particule –dem n’a rien de surprenant en
regard de –dam, -dum. Mais le neutre idem a un –d simple, à la différence de quoddam, quiddam ; ceci
suggère une coupe id-em […] Le em- […] serait l’accusatif de is, qui est attesté par ailleurs ; le –em final
serait une particule pareille à celle qu’on a dans le démonstratif skr. im-ám « celui-ci » ; dès lors idem se
couperait id-em et répondrait à skr. id-ám « ceci »380

[…] Tout se passe donc comme s’il y avait eu une particule –em, d’origine indoeuropéenne, et
une particule –dem, de même type que –de (quan-de), -dam, -dum […] Le procédé qui consiste à
exprimer l’identité par un démonstratif suivi d’une particule d’insistance se retrouve en ombrien, avec er-
ont « idem », isunt « « item », surur-ont « item », etc., et en arménien, où l’on a : so-yn, do-yn, no-yn « le
même », avec les trois démonstratifs personnels ; le latin n’ajoute la particule qu’au démonstratif
anaphorique ; à ceci près, les types ont même structure […]381

Comme dans le cas du démonstratif ipse, l’étymologie ne nous dit rien de plus
de ce que nous savions en ce qui concerne idem. Quant à sa structure, ce qui semble
certaine est la présence de l’anaphorique indoeuropéen i- de is (le même ancien
démonstratif à la base de l’ossature de hic, et d’après nous, de ille et iste).
L’analyse reconstructive de Ernout et Meillet ne prend pas en compte la nature
de déictique de idem, qui comme tous les démonstratifs, se prête à un emploi
anaphorique. La définition qu’Ernout et Meillet donnent de « pronom et adjectif
d’identité », relié souvent à des pronoms personnels ou démonstratifs, ou la définition
de « défini » ou « déterminatif utilisée par la plupart des œuvres lexicographiques et des
grammaires latines « italiennes » (la même répartition, entre « déterminatifs » et

379
Cf., Campanini-Carboni 2007 [voir Sec. – Storia delle parole- « idem »]. Op. Cit.
380
Ernout et Meillet 1960, Op. Cit., p. 306.
381
Ibidem.

182
« démonstratifs » caractérise le « précis de grammaire latine » éditée par Anne Marie
Boxus) », masquent sa fonction réelle: celle de terme déictique.
Si idem apparaît souvent lié à des pronoms personnels, possessifs et
démonstratifs quand il fait fonction de pronom d’identité, ou d’insistance 382 , il
manifeste, tout d’abord, d’un point de vue psychologique, sa véritable nature de
déictique. Il définit (comme ipse), un domaine géométrique, l’espace en perspective où
on peut percevoir la chose ou la personne indiquée : cf., idem ego « proprio io » ; « moi-
même », Cic., Pro Rabirio, 33; Atque idem ego contendo cum ad naturam eximiam
atque inlustrem accesserit ratio quaedam conformatioque doctrinae tum illud nescio
quid praeclarum ac singulare solere exsistere « e inoltre io stesso sono convinto che
quando ad una natura virtuosa e splendida si sia integrata una profonda formazione
culturale, allora ne risulta una personalità veramente luminosa e straordinaria » ; « en
outre, moi-même je suis convaincu que si on joint à une nature vertueuse et excellente
une instruction culturelle et suivie, il en résulte le plus souvent une personnalité
vraiment extraordinaire et éclatante », Cic., Pro Archia, 193; idem hic « questo stesso »,
locution utilisée très souvent par Cicéron comme dans Pro Flacco, 53 et dans Pro
Milone, 58: dixit enim hic idem qui omnia semper constanter et fortiter M. Cato […] «
Marco Catone, qui presente, ha detto con la solita fermezza e col solito coraggio
[...]383 » ; « Caton […] a dit avec la fermeté et le courage qui lui sont propres [litt.:
Caton [litt.: « celui-ci même »] a dit avec son habituelle fermeté et son habituel
courage] »).
Des expressions, telles que « proprio io » (« moi-même »), « questo adesso »
(« celui-ci maintenant »), sont fondamentales afin d’identifier la position du locuteur ou
de l’interlocuteur dans le champ déictique, ou d’indiquer un constituant dans le
« contexte linguistique ». 384

382
Saffi 2010, Op. Cit., p. 26.
383
Idem se comporte dans ce contexte en tant que déictique dont la force indicative est corrélée à une
origo dépendante des coordonnées ego hic et nunc. Dans ce cas la valeur sémantique (espace/distance) et
fonctionnelle (personne grammaticale) de idem ne se fondent pas dans l’idée de l’espace en tant que base
« sémantique-référentielle ». En effet, une interprétation spatiale de idem est ici possible, qui n’est pas
liée au paramètre de la distance, mais à la position que le locuteur occupe, par rapport à l’interlocuteur,
dans l’environnement où l’interaction verbale se produit et où la troisième personne (Caton), identifiée
par « hic idem » (litt. : « questo stesso Catone »), qui l’introduisent « cataphoriquement », est repérable.
Elle se trouve hors interlocution et hors sphère personnelle et dialogale des interlocuteurs. D’où sa valeur
incontestable de « démonstratif » et son rôle de déictique par une « déixis anaphorique ».
384
Cf., supra, II, § 4.

183
Elles expriment un rapport psychologique évident et sans équivoque entre les
coordonnées je et tu : avec « proprio io » (« moi-même ») le locuteur se situe en un
point précis de l’espace par rapport à l’interlocuteur en lui indiquant que la
manifestation de l’échange verbal se matérialise « là près de moi par rapport à toi ». De
même, en ce qui concerne l’expression « questo adesso » (« celui-ci maintenant ») :
« questo », comme « je », oriente le regard de l’interlocuteur vers la réception d’un
stimulus.
Mais, si d’un côté, la sémantique qui connote ce démonstratif, comme d’ailleurs
tous les termes déictiques dont nous nous sommes occupés dans ces pages, est liée à la
catégorie générale de l’espace (indifférente en soi à la « distance ») qui en confirme la
nature de démonstratif, d’un autre côté, il ne faut pas omettre que cette sémantique
« spatio-perceptive » en révèle aussi son emploi anaphorique dans des circonstances où
c’est le contexte linguistique qui devient champ déictique.
Il s’agit-là, justement, de l’emploi anaphorique (et cataphorique) des
démonstratifs. Idem ne se soustrait pas à cette tâche. Considérons les exemples
suivants : idem esse dicebat Socrates veritatem et virtutem « Socrate diceva che non c’è
differenza tra la verità e la virtù » (« Socrate disait qu’il n’y a pas de différence entre la
vérité et la vertu [litt. : la vérité et la vertu, Socrate disait, sont la même chose] »,
Sénèque, Epistulae ad Lucilium, 71, 16), nemo nostrum idem est in senectute, qui fuit
iuvenis « nessuno di noi è in vecchiaia uguale a come fu da giovane » [lett.: lo stesso
che fu da giovane] (aucun d’entre nous n’est dans la vieillesse ce qu’il était dans sa
jeunesse, Sénèque, Epistulae ad Lucilium, 58, 22). L’emploi du démonstratif idem n’a
rien à voir dans ces phrases avec « espace » et « distance » : alors, où et de quelle façon
accomplit-il sa fonction de terme déictique ? D’un point de vue strictement syntaxique,
il se comporte, dans la seconde des deux citations, exactement comme is lorsqu’il fait
office de corrélatif de qui, donc, en tant que pronom de renvoi. 385
D’un point de vue purement psychologique, dans les deux cas, il prouve sa
nature de déictique par sa capacité à maintenir sa « force indicative interne dans le

385
Idem joue dans cet énoncé le rôle de démonstratif qui n’est pas lié à une origo stable d’où s’éloignent
les coordonnées ego hic et nunc: en effet, dans les exemples sénéquéens idem montre sa force indicative
interne dans le discours. Ce n’est pas l’ego/idem le centre déictique mais le contexte. Il n’y a aucune
possibilité d’interprétation spatiale dépendante du paramètre de la distance ou de la personne
grammaticale : ils sont simplement les « flèches » anaphoriques (cataphoriques) du discours, qui nous
conduisent à la compréhension du message.

184
contexte linguistique », en guidant notre perception des éléments « rappelés » dans le
texte.
Idem est utilisé respectivement de façon adnominale avec l’intention d’anticiper
« cataphoriquement » quelqu’un (Socrate), et, de rappeler un continuum discursif (sur la
« division des êtres selon Platon, la tempérance et le suicide ») qui est bien présent à
l’esprit de l’interlocuteur. Ici aussi idem agit en « cataphore » avec la fonction
d’anticiper qui, en exaltant la fonction déictique d’un « contexte » dont le sujet principal
est « l’être qui passe et va sans cesse ».
L’emploi anaphorique des démonstratifs prévoit donc qu’émetteur et récepteur
(ou le lecteur) partagent tout le flux d’un discours, dont on peut rappeler ou anticiper les
parties, grâce à la parfaite synergie des deux champs du langage : en effet, idem est
utilisé anaphoriquement dans les exemples ci-dessus, pour connecter l’indication (idem
[…] Socrate […] ; idem est […] qui […]) avec la représentation proprement dite, c’est-
à-dire, pour relier l’indication syntaxique avec l’articulation du discours.
Ainsi, l’idée d’espace comme base sémantico-référentielle doit être considérée
comme une caractéristique des démonstratifs, et leur fonction de terme d’indication doit
être appliquée non seulement dans le contexte extralinguistique mais aussi dans le
conteste « linguistique » où ils exercent une puissance d’indication :

[…] En un mot : ils se trouvent encore toujours présentes dans le contexte, mais leurs bras et
leurs flèches n’indiquent plus directement des choses qu’on est censé chercher, et qu’on trouve avec les
yeux dans champ visuel, ils font références à des place contextuelles et à des fragments de contexte, où on
trouve ce qui ne peut être présenté à l’emplacement occupé par le signe déictique lui-même.386

Si nous élargissons le traditionnel système ternaire des démonstratifs et si nous y


insérons ces déictiques qui sont généralement définis comme des « déterminatifs », en
attribuant également à la classe entière des démonstratifs (au besoin) une fonction
anaphorique naturelle, nous sommes en mesure d’affirmer qu’ils se comportent en
« agents connecteurs égocentrés », dans une dimension fondamentalement spatiale où
l’indication doit être recherchée et perçue dans l’espace perceptif visuel ou mental ; en
« agents connecteurs non égocentrés », dans une dimension psychologique où les
interlocuteurs partagent mentalement le flux d’un discours et où ce ne sont pas eux qui

386
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 562.

185
font fonction de centre déictique mais le contexte dont les parties peuvent être rappelées
et anticipés grâce à l’accomplissement de leur fonction de rappel.387
Pour conclure, le but que nous nous sommes fixé dans ce paragraphe a été celui
de mettre en lumière les fondements psychologiques et la représentation de l’espace
dans l’indoeuropéen qui ressort de l’emploi des démonstratifs.
Nous voulons suggérer que, malgré les nuances tautologiques avec lesquelles on
peut catégoriser des pronoms tels que is, ipse et idem comme des « déterminatifs » ou
des « définis », nous croyons qu’il est plus opportun de les rassembler sous la seule
dénomination de « démonstratifs », si on considère leur nature purement déictique et

387
Une glose à l’égard de ces définitions que nous avons « forgées ». En ce qui concerne la première
définition d’« agents connecteurs égocentrés », on entend la force indicative des démonstratifs dans un
espace perceptif partagé par un émetteur et un récepteur où leur fonction de termes déictiques est
directement corrélée au centre déictique de l’échange verbal (c’est-à-dire à la position du je, hic et nunc
dans le champ d’indication par rapport à tu). Il s’agit d’une conception spatiale en soi indifférente au
paramètre de la distance et qu’il semble indiquer tout ce qui trouve dans l’espace des personnes verbales
du locuteur, de l’interlocuteur et de l’absent : par exemple, quae tua est ista vita ?, « che vita è mai la
tua? », « a quelle vie t’es-tu réduit ? », Cic., in Catilinam, 1, 16; ille hinc abest quem ego amo, « è lontano
di qui colui che io amo », « […] puisqu’il est au loin, lui que j’aime plus que tous » Plaut., Amphitruo,
640 ; . Quant à la deuxième définition d’ « agents connecteurs non égocentrés » il faut entendre par là, la
capacité de tous les démonstratifs de se prêter à un emploi anaphorique parce que leur fonction indicative
est directement proportionnelle à leur capacité à « renvoyer » ou à « rappeler » des éléments dans le
discours où c’est le contexte linguistique qui fait fonction de champ déictique et non pas l’ego du locuteur
(l’ « origine ») : par exemple, hic versus Plauti non est, hic est « questo verso non è di Plauto, questo si »,
« ce vers-là est de Plaute, celui-ci ne l’est pas », Cic., Epistulae ad familiares, 9, 16,4 (ce même exemple
ne démontre pas seulement que le démonstratif hic peut être employé de façon anaphorique, mais si on
imagine que le « vers » d’une pièce théâtrale plautéenne est sous les yeux des interlocuteurs, on pourrait
vérifier qu’il joue le rôle de « connecteurs égocentrés ». Toutefois, dans ce cas-là, c’est la physionomie
acoustique du passage cicéronien qui lui confère la valeur de pronom de renvoi, si on considère sa force
déictique dans le contexte discursif). D’autres exemples afin de justifier nos réflexions : egomet mihi non
credo, quom illaec autumare illum audio, hic quidem certe quae illic sunt res gestae memorat memoriter
« non credo alle mie orecchie, quando gli sento dire tali cose. Non c’è dubbio, questo ricorda
perfettamente le cose che sono avvenute lì » « je n’en crois pas mes oreilles, quand je l'entends parler de
la sorte. C'est qu'il rappelle tous les faits, de point en point, exactement », Plaut., Amph. 416-417; melior
[…] est pax quam sperata uictoria: haec in tua, illa in deorum manu est, « è meglio la pace della
desiderata vittoria: la prima è nelle tue mani, la seconda in quelle degli dei » « mieux vaut la paix qu'une
victoire espérée: l'une est entre vos mains, l'autre entre celles des dieux » Live, Ab urbe condita, 30,30,
19; ego sum ille Amphitruo, cui seruos est Sosia, « io sono quell’Anfitrione che ha per servo Sosia », «
c’est moi cet Amphitryon qui a pour esclave (valet) Sosie », Plaut., Amph., 861; Ita istaec solent, quae
uiros subservire sibi postulant, dote fretae, feroces, « fanno tutte così. Forti della loro dote e allora,
diventano arroganti, e vogliono il marito sotto i piedi », « elles sont toutes les mêmes, [ces femmes],
fières de leur dot, tyranniques, qui veulent tenir les maris sous leur joug », Plaut. Menaechmi, 766-767;
Xenophon, Socraticus ille, « Senofonte, il celebre discepolo di Socrate », « Xénophon, cet éminent
disciple de Socrate », Cic., De oratore, 2, 58.
Dans ces exemples les démonstratifs agissent comme des « dislocateurs syntactiques » qui
anaphoriquement ou cataphoriquement reprennent ou anticipent des parties précédentes du discours. Il est
évident que les concepts de distance et de personne grammaticale ne sont pas aptes à décrire leur
fonctionnement dans les énoncés en question (cela ne signifie pas qu’il n’est pas possible de donner une
interprétation spatiale, mais qu’il s’agit là d’un « espace contextuel linguistique » et non pas « perceptif ».

186
leur fonction qui reste simplement celle d’« indiquer » par le langage humain. C’est-à-
dire, montrer une personne ou un objet par rapport à la position des interlocuteurs dans
le temps et dans l’espace, ou par rapport au déplacement des constituants dans le
discours.
En tant que termes déictiques, ils ont la fonction de connecter l’énoncé au
contexte extralinguistique où l’énonciation s’accomplit ou d’indiquer les parties d’un
contexte linguistique directement liées aux signes d’indication. Les démonstratifs ne se
réfèrent donc pas seulement à quelque chose de percevable par les sens, mais ils
représentent aussi le renvoi linguistique à quelque chose que l’on peut saisir dans le
contexte même du discours.
Autrement dit, ce que nous avons voulu souligner au cours de ces pages, c’est
que, d’après nous, il ne faudrait pas considérer l’espace comme intrinsèquement lié aux
notions de proximité/éloignement. Ni comme la seule catégorie générale ou le seul point
de repère qui connote la valeur sémantique des démonstratifs, car l’espace connote aussi
leur valeur pragmatique388. Et si on prend en compte cette valeur pragmatique, les
démonstratifs ne sont plus forcément corrélés aux personnes grammaticales.
Il est opportun de discerner les valeurs sémantiques des valeurs fonctionnelles
des démonstratifs utilisés dans un acte de parole toute comme il faut écarter l’idée d’une
sémantique fondamentalement spatiale dépendante du paramètre de la distance : c’est la
seule manière de résoudre et de reconnaître la nature déictique de démonstratifs tels que

388
Nous ne citons quelques références bibliographiques relatives à ceux qui ont étudié la fonction
pragmatique des démonstratifs d’un point de vue cognitif ou au moins textuel. Toujours d’actualité les
leçons de Benveniste et particulièrement : Émile Benveniste, « La nature des pronoms », Problèmes de
linguistique générale, Paris, Gallimard, [1966], 251-257; (ID.), « De la subjectivité dans le langage »,
Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, [1966], 258-266. Et encore: Holger Diessel,
Demonstratives. Form, Function and Grammaticalization, Amsterdam, Philadelphia, Benjamins, [1999];
Nikolaus Himmelmann, « Demonstratives in narrative discourse: a taxonomy of universal uses », in
Barbara Fox (sous la direction de), Studies in Anaphora, Amsterdam, Philadelphia, Benjamins, 205-254,
[1996]; Jan De Jong, « Deictic and (pseudo-) anaphoric functions of the pronoun iste », In Rodie
Risselada (sous la direction de), Latin in Use, Amsterdam, Gieben, 19-35, [1998]; Anna Orlandini, « Hic
et iste chez Plaute: une analyse sémantico- pragmatique », In Gualtiero Calboli (sous la direction de),
Latin vulgaire – Latin tardif II. Actes du IIème Colloque international sur le latin vulgaire et tardif
(Bologne, 29 Août - 2 Septembre 1988), Tübingen, Niemeyer, 463-482, [1989]; Machtelt Bolkestein,
« Discourse organization and anaphora in Latin », in Susan Herring et Lene Schøsler (sous la direction
de), Textual parameters in older languages, Amsterdam, Benjamins, 107-138, [2000]; Nicholas James
Enfield, « Demonstratives in space and interaction: Data from Lao speakers and implications for semantic
analysis », Language 79(1), 82-117, [2003].
Il faut préciser que ces auteurs ne sont pas directement liés aux notions de champ déictique, contexte,
déixis (dans les différentes articulations prises en considération ici : cf. II § 4), dans le sens que Bühler lui
attribue, notions qui font l’objet de notre travail. Cependant, leur lecture a été utile afin d’encadrer le
thème de l’emploi des démonstratifs d’un point de vue pragmatique-cognitif.

187
is, ipse et idem dont la fonction est d’indiquer le domaine d’action, l’environnement
autour du locuteur où on peut repérer ce qui est indiqué. On peut ainsi éviter d’utiliser
des catégorisations redondantes.
Si nous acceptons, la théorie de Bühler des deux champs du
langage389(symbolique et déictique) et des trois modes d’indication390, alors, il nous faut
convenir que la valeur fonctionnelle des démonstratifs dans une situation énonciative
donnée n’est pas toujours liée à l’idée d’une « origo » stable, mais en même temps
variable d’un point de vue phénoménique, à laquelle le système de coordonnées ego, hic
et nunc est indissolublement lié, comme à la représentation d’un espace, en soi, « près »
ou « loin » du locuteur.

389
Cf., supra, II, § 4.
390
Cf., supra, II, § 4.

188
§ 3. Les démonstratifs dans le système latin: représentation de l’espace.

Nous avons anticipé dans le paragraphe précédent plusieurs points qui seront
développés dans les pages suivantes. En effet, étant donné l’impossibilité de saisir des
exemples d’un état de langue reconstruit tel que l’indoeuropéen, nous avons été obligé
d’avoir recours, dans l’espoir d’être exhaustif, aux données étymologiques obtenues par
la méthode comparative des preuves de la langue latine.
Nous nous limiterons ici à fournir des informations additionnelles pour rendre
plus compréhensible la représentation de l’espace liée à l’emploi des démonstratifs dans
un échange verbal.
En résumant ce que nous avons dit précédemment, nous pouvons affirmer tout
d’abord que la fonction principale des démonstratifs est d’« indiquer par le langage et
révéler la fonction déictique du langage ». Malgré l’ensemble des nuances
terminologiques qui caractérisent les « déterminatifs » ou les « définis » is, ipse, idem,
et par lesquelles ils sont opposés aux démonstratifs proprement dits, hic, iste, ille, selon
nous, il est opportun de leur attribuer une véritable nature de « déictiques », en les
rangeant de plein titre dans la catégorie de démonstratifs. C’est notre premier point.
Deuxièmement, nous avons pu vérifier que dans certaines circonstances
communicatives l’emploi des démonstratifs met en évidence des discordances entre
leurs valeurs sémantiques et fonctionnelles (ou « pragmatiques »). Autrement dit, la
représentation de l’espace génériquement liée à la distance et aux personnes verbales de
première (hic/locuteur), de deuxième (iste/interlocuteur, mais il ne faut pas oublier
qu’en latin il peut se référer à la troisième personne) et de troisième (ille/ l’ « absent »)
entre en collision avec un emploi des pronoms qui n’a rien à voir avec :

 Une conception de l’espace qui est toujours « délimitable » et corrélée à


des limites spatiales identifiables avec les paramètres « près/loin » ;
 Une correspondance directe avec les trois personnes verbales ;

Cette dernière condition, en particulier, se vérifie lorsqu’un terme d’indication


comme un démonstratif se prête à un emploi anaphorique (ou cataphorique). La

189
fonction de rappel (ou de renvoi) qu’il exerce pendant une interaction verbale (ou écrite)
prévoit dans ce cas que le contexte s’érige en champ d’indication. Un démonstratif a la
capacité de maintenir dans la phrase sa puissance d’indication interne. Par conséquent,
la vulgate par laquelle is serait l’anaphorique latin par excellence doit être revue et
corrigée. D’après nous, tous les démonstratifs peuvent être employés, le cas échéant, en
tant que pronoms de rappel (c’est-à-dire « anaphoriquement »). C’est donc à la notion
de « contexte » linguistique qu’il faut se référer.
Si, par contre, les démonstratifs font fonction de « déictiques » dans une
« situation » donnée (dont la puissance d’indication est directement proportionnelle à
l’idée d’une « origo » stable, dont dépendent les coordonnées ego, hic et nunc), c’est au
concept de champ environnant qu’il faut se référer.391
Cette représentation de l’espace est donc basée autant sur une idée sémantico-
référentielle (« espace-personne grammaticale ») que sur une vision spatiale
« contextuelle ». Dans la première, la fonction des démonstratifs s’accomplit dans un
champ perceptif partagé par un émetteur et un récepteur, en agissant en tant que
« agents connecteurs égocentrés », à savoir, liés à un centre déictique « ego-hic et
nunc ». Dans la seconde, ils se comportent comme des « agents connecteur non
égocentrés » conçus comme des « termes d’indication interne » et ils font fonction
d’agents de rappel ou de renvoi.392
Il nous semble que cette représentation de l’espace coïncide parfaitement avec
les réflexions de Saffi en ce qui concerne la première des deux fonctions de hic, iste,
ille, la fonction proprement déictique de « agents connecteurs égocentrés » :

Les trois démonstratifs latins situent spatialement les notions qu’ils introduisent dans le discours
et caractérisent, par rapport au locuteur, à l’interlocuteur et au couple en dialogue. La proximité se réfère
aux deux points limites du couple dialogal, le locuteur et l’interlocuteur ; l’éloignement renvoie au couple
dialogal pris dans sa globalité. Ainsi, la proximité résulte d’une conception interne du couple dialogal :

391
Le champ déictique, ou d’ « indication », toutefois n’est pas à considérer seulement au sens de la
déixis en tant que « demonstratio ad oculos », c’est-à-dire l’indication matérielle, gestuelle d’un objet
matériellement présent et visible pour celui qui parle ou pour celui qui écoute, mais aussi au sens de la
« déixis à l’imaginaire » qui serait, au sens large, le renvoi à l’expérience vécue (et à la « scène » partagée
par les interlocuteurs : il suffit de penser à la situation du touriste qui demande son chemin) et à l’univers
du discours (par exemple, à travers des procès anaphoriques et cataphoriques qui renvoient à des « états
de choses »). Pour cette raison, le champ déictique serait articulé, d’après nous, en champ sympratique,
synsémantique et symphysique.
392
Cf., supra, III, § 2.

190
hic situe le point de départ de l’action de communication, iste situe le point d’arrivée atteint grâce à une
visée prospective. L’éloignement suppose une conception externe du couple dialogal : ille vise une limite
jamais atteinte qui s’éloigne continuellement du point de départ qu’est le couple pris dans sa totalité.393

D’un point de vue psychique, la réflexion guillaumienne de Saffi se fond


parfaitement avec la théorie des deux champs de Bühler, en particulier, s’agissant de
démonstratifs, avec l’idée d’un champ déictique du langage.394
Nous avons déjà souligné la proximité conceptuelle et épistémologique entre la
physionomie acoustique des mots et les notions guillaumiennes395 de « généralisation »
et « particularisation » en tant que mécanismes que la pensée réalise dans la
construction de l’acte de langage (et de la « réalité »).
Même dans le cas d’une représentation sémiologique de l’espace et de la
personne par rapport à la fonction pragmatique des démonstratifs, il est possible de
remarquer une correspondance d’idées : l’approche psychosystématique d’école
guillaumienne croise l’approche « pragmatique-perceptive » de Bühler.
Ainsi, Saffi, par rapport à la traditionnelle représentation basée sur la dichotomie
près/loin, où c’est le paramètre de la distance qui fonde concrètement la sémantique des
démonstratifs, semble converger vers une représentation de l’espace que nous oserions
définir « en perspective » qui rejoint parfaitement le concept de champ déictique,
entendu comme lieu géométrique qui entoure au fur et à mesure le locuteur et où ce qui
est indiqué est repérable.
Procédons par ordre. Chez Bühler, les démonstratifs sont utilisés, lorsqu’ils font
fonction de déictiques directement dépendants d’un centre déictique lié aux
coordonnées, ego hinc et nunc, pour établir la position de l’émetteur (je) et de
l’interlocuteur (tu) dans le champ déictique où l’interaction verbale se matérialise.
Dès qu’on parle de locuteur et d’interlocuteur, on se réfère, non pas au je et au
tu, mais au « lieu du je » et au « lieu du tu » auquel les termes déictiques (les
démonstratifs, dans notre cas) renvoient : il s’agit substantiellement d’une
représentation de l’espace indifférente à la notion de distance et qui indique tout ce qui
trouve dans l’espace du locuteur. 396

393
Saffi 2010, Op. Cit., p. 27.
394
Cf., supra II, § 4.
395
Cf., supra I, § 4.
396
Cf., Samain in Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 629.

191
Avec hic « là près de moi », iste « là près de toi » et ille « là près de nous par
rapport à lui », nous pouvons affirmer que les démonstratifs sont liés à une
« représentation générale de l’espace ».
Premièrement et d’après la théorie des deux champs du langage (ça dépend de
l’emploi et de la façon d’indiquer397), cela signifie l’application en linguistique de la
notion de « champ environnant », par laquelle les démonstratifs sont chargés d’indiquer
la position des interlocuteurs ou du couple dialogal pris dans sa globalité dans le champ
perceptif par rapport au denotatum.
Deuxièmement, il s’agit de la représentation d’un espace non pas seulement
« visuel », mais d’un « contexte global » du discours où les démonstratifs » se chargent,
au sens de Bühler, de guider le lecteur vers la recognition de constituants syntactiques,
par rapport à leur « déplacement et à leur individuation dans le contexte». C’est une
question de « perception », « visuelle » et « contextuelle ».
Hic et iste indiquent tout ce qui se trouve dans l’espace du locuteur, is et ille
désignent ce qui est repérable dans le champ perceptif mais qui présuppose une vision
externe du couple considéré dans sa totalité. En outre, cet espace peut être représenté

397
Quand on parle de champ déictique du langage, il faut être très attentifs afin d’éviter toute confusion
en ce qui concerne son identification, parce qu’il s’agit d’une notion centrale dans la théorie du langage
de Bühler. Les mots-clés sur lesquels il faut réfléchir sont : « champ environnant » (umfeld) et
« contexte ». Le champ déictique, pendant l’évènement concret du parlé, constitue des moments
situationnels donnés. Il est construit sur trois coordonnées : je, ici et maintenant. Par conséquent,
l’orientation spatiale tourne autour des « mots-indices » (terme déictiques) qui permettent l’identification
de quelque chose ou de quelqu’un dans l’espace à l’aide de la voix (sa provenance) ou du geste
d’indication. On a vu que les modes d’indication chez Bühler sont au nombre de trois : demosntratio ad
oculos (l’indication physique, matérielle de pointage avec l’index) ; déixis anaphorique et à l’imaginaire.
En ce qui concerne le champ symbolique du langage, il utilise des auxiliaires opératifs et explicatifs que
l’on peut désigner par « contexte ». Donc, « situation » (champ déictique) et « contexte » (champ
symbolique) représentent les deux dimensions du langage auxquelles il faut puiser pour une interprétation
correcte des phénomènes linguistiques (théorie des deux champs). Le sens d’un énoncé se déplace
justement entre la dimension symbolique et déictique. Cela signifie que la valeur fonctionnelle et
sémantique des démonstratifs ne peut être déterminée que par rapport à leur emploi dans un champ
environnant ou dans un contexte. Si on indique ad oculos, il suffit d’un geste ou d’un regard pour
indiquer un objet ou une personne, parce que le champ déictique n’a pas besoin d’autres éléments
contextuels pour être efficace. Si on utilise la déixis anaphorique, le champ déictique doit agir de façon
simultanée avec le champ symbolique pour qu’on arrive à comprendre le sens d’un message sonore (en
effet, l’emploi anaphorique des démonstratifs n’est possible que parce que c’est le contexte qui fait
fonction de champ déictique). De même, à certains moments situationnels, les démonstratifs peuvent agir
en dépendamment du « contexte » (hors contexte) dans un champ environnant symphysique, sympratique
et synsémantique.

192
non seulement par un champ visuel mais aussi par un contexte (ou un cotexte) où les
démonstratifs font fonction de pronoms de rappel en renvoyant ou en reprenant quelque
chose qui a déjà été nommée. Dans ce cas, ce n’est pas l’ego du locuteur qui représente
le champ déictique mais le contexte.
Chez Saffi, les trois démonstratifs latins (hic, iste et ille) sont liés à une
représentation de l’espace basée sur la personne grammaticale, mais nullement
dépendants de la variable « distance ». Les concepts de « proximité » et
d’« éloignement » renvoient, en effet, respectivement, aux deux points du couple
dialogal et, à ce dernier, pris dans sa globalité : c’est une représentation générale qui se
réfère à la position que l’émetteur et le récepteur occupent dans l’espace par rapport à ce
qui est indiqué.
Observons l’affinité de ces deux points de vue, celui de la psychomécanique du
langage et de la gestalt. Si, chez Saffi la « proximité » dérive d’une conception interne
du couple et hic situe le point de départ de l’action énonciative en constituant l’une des
deux limites (iste étant l’autre limite) de la sphère d’interlocution, chez Bühler, le même
démonstratif renvoie à la position du je (iste à la position du tu) dans le champ
déictique. Dans les deux cas, il s’agit, sans aucun doute, d’une représentation de
l’espace qui semble indiquer tout ce qui se trouve dans l’espace de hic et de iste : le
champ déictique de Bühler correspond à la sphère dialogal de Saffi.
Autrement dit, « tout ce qui est repérable dans le périmètre où le je et le tu sont
positionnés ». En outre, le concept de champ environnant (umfeld) convient
parfaitement pour décrire le fonctionnement des démonstratifs tel que la réflexion
psychosystématique l’a conçu.
Quant à ille, nous sommes fermement convaincu que son emploi était
complètement en miroir de celui de is. Tous deux sont utilisés pour indiquer quelque
chose / quelqu’un qui se trouve, par rapport au couple dialogal pris dans sa totalité, dans
un espace hors interlocution (ce qui suppose une conception externe du couple).
Ce mécanisme n’a rien à voir en soi avec une distance physiquement mesurable,
grâce à laquelle on peut établir que it. quello est loin. Le lat. Ille est repérable dans le
« champ perceptif » tant qu’il est reconduit « inter-locution » dans la sphère des
interlocuteurs, à partir de sa position « hors interlocution » ou « hors champ » mais pas
pour autant « hors contexte » ; cela advient si ille est employé de façon anaphorique ou

193
s’il indique l’« absent ». La différence, à notre avis, entre ille et is est que ce dernier
pouvait aussi être utilisé comme pronom personnel.398
En suivant encore Saffi, hic est l’origine de l’interaction verbale par rapport à
iste qui doit être considéré comme le point d’arrivée final atteint à l’aide d’une
perspective visuelle, dans un espace partagé où les deux interlocuteurs sont considérés
dans leur totalité, dans une dimension nettement holistique. En ce qui concerne ille, il
représente celui qui se trouve hors interlocution par rapport au couple.
L’éloignement de ce qui est indiqué par le locuteur et par l’interlocuteur n’est
pas en fonction de l’un ou de l’autre acteur communicatif, mais de tous les deux,
considérés globalement, c’est-à-dire en relation à la position qu’ils occupent dans leur
espace d’action par rapport au « perceptum ».
Il ne s’agit pas forcément d’un espace physiquement délimitable et mesurable :
en effet, on peut imaginer un locuteur qui regarde la télévision et après avoir vu un
visage familier, s’adresse à son interlocuteur en lui disant : « guarda un po’ chi c’è,

398
Par exemple, on utilise is - ea – id, au lieu du pronom personnel, pour se référer à un autre terme de la
phrase, et les génitifs de is - ea - id (eius - eorum - earum) en lieu du pronom ou de l’adjectif possessif :
Antonius Claudio eius librum reddit, « Antonio restituisce a Claudio il suo libro » (« Antoine rend son
livre à Claude ») ; « Antonius ei dat librum » « Antonio gli dà il libro » (« Antoine lui donne son livre ») ;
« Antonius et eius canem ambulant » « Antonio e il suo cane passeggiano » (« Antoine promène son
chien »). En outre, dans une proposition subordonnée infinitive ou conjonctive (sauf les propositions
consécutives et introduites par le cum historicum ; cf., it. « cum narrativo ») on utilise les pronoms
réfléchis même si on se réfère au sujet de la proposition régente : « Antonius dicit Claudio se fecisse hoc,
« Antonio dice a Claudio di aver fatto ciò » (litt. : « Antoine dit avoir fait cela à Claude ») ; « Antonius
Claudio scripsit ut sibi redderet librum », « Antonio scrisse a Claudio affinché Claudio gli restituisse il
libro », (« Antoine écrivit à Claude afin qu’il lui rende son livre »). Si, par contre, dans une proposition
subordonnée infinitive ou conjonctive (sauf les propositions consécutives et introduites par le cum
historicum) il y a une ambiguïté sur le sujet de la proposition régente ou, le sujet de la proposition
infinitive ou conjonctive, il est opportun d’utiliser les réfléchis pour se référer au sujet, et ipse - ipsa –
ipsum (et ses génitifs ipsius - ipsorum – ipsarum à la place des possessifs), ou plus rarement is - ea – id et
ses génitifs, pour se référer au sujet de la proposition principale : « Antonius Claudio dixit suos libros et
ipsius litteras ustos esse », « Antonio disse a Claudio che i suoi libri e le sue lettere (di quello) erano stati
bruciati » (« Antoine dit à Claude que ses livres et ses lettres avait été brûlés »). Enfin, dans une
proposition subordonnée à l’indicatif ou consécutive ou introduite par le cum historicum, pour se référer
au sujet de la « régente » on utilise is - ea – id au lieu du pronom personnel et les génitifs de is - ea – id
(eius - eorum – earum) au lieu du pronom ou adjectif possessif : « Antonius, cum eius canis mortuus
esset, flevit », « Antonio, essendo morto il suo cane, pianse » (« Antoine, son chien étant mort, pleura ») ;
« Antonius erat tam bonus ut Claudia eum amaret », « Antonio era tanto buono che Claudia lo amava »
(« Antoine était si bon que Claude l’aimait ») ; « Dum eius canis dormit, Antonius mortuus est »,
« mentre il suo cane dormiva, Antonio morì » (« tandis que son chien dormait, Antoine mourut ») [cf., La
grammatica latina. Teoria, Firenze, Editrice La Nuova Italia, IV ristampa, 2002; Ratio. Un metodo per il
latino, Roma -Bari, Laterza, 2012].
Ces exemples mettent naturellement en évidence la valeur déictique d’un démonstratif utilisé en
l’occurrence comme adjectif ou pronom possessif ou comme pronom personnel. Sans entrer dans une
discussion hors sujet par rapport au présent travail, nous nous permettons cependant de relever la valeur
déictique de tous les adjectifs et pronoms (sauf les qualificatifs).

194
quello delle Iene! Si è messo a fare cinema adesso? » [programme de télévision diffusé
sur les chaînes italiennes fondé sur le journalisme d’investigation], « regarde un peu
qu’il y a ! Celui des « Hyènes » ! Il fait du cinéma maintenant ? ».
Dans cet acte de parole, le démonstratif quello/ille indique quelqu’un de
« matériellement absent », mais on ne peut pas affirmer qu’il est éloigné de celui qui
regarde la télévision à ce moment-là, il est plus logique de dire qu’il est proche des
interlocuteurs, même si en réalité l’écran de télévision est proche et l’ « absent » est par
définition éloigné. Par conséquent, par correction nous dirons que quello/ille est
repérable dans le champ perceptif partagé par les interlocuteurs, même si « l’objet » de
l’interaction verbale entre l’émetteur et le récepteur qu’il représente se trouve dans un
espace hors interlocution, au-delà de la « sphère dialogale ».
On peut affirmer que quello/ille est utilisé en tant que signe hors contexte, mais
il n’est pas tout à fait libéré de son champ. En effet, le « démonstratif » du locuteur
suffit pour que l’interlocuteur dirige son regard vers l’image sur l’écran, le champ visuel
associé au démonstratif permet à l’interlocuteur de s’approprier le contexte visuel, ainsi
l’emploi du démonstratif affranchit le locuteur de longues explications orales ou écrites
sur l’identité de celui dont il parle. Voici un parfait exemple de synergie entre le champ
synsemantique et le champ symphysique (symphysisches Umfeld e synsemantisches
Umfeld).399
Imaginons, par contre, un échange entre deux interlocuteurs qui commentent un
livre qu’ils ont lu tous les deux, dont ils connaissent le nom de l’auteur mais dont ils
ignorent l’identité. Pendant la conversation, un de leurs amis communs, qui est aussi
l’auteur de l’essai en question, entre dans l’interlocution et il s’exclame : « Già! Sono
proprio io quell’Ignazio Rossi di cui state parlando. Il libro è il mio », (« mais oui !
C’est moi cet Ignazio Rossi dont vous parlez. Ce livre est le mien »).
Quelle est-elle la valeur sémantique et, quelle est la fonction, de quello/ille? La
personne indiquée n’est pas absente et elle ne se trouve pas non plus éloignée du couple
dialogal principal. Même dans ce cas spécifique, il s’agit d’une représentation générale
d’un espace qui est construit autour du couple dialogal : M. Rossi repris
cataphoriquement par le démonstratif quello, avait déjà été nommé et successivement
rappelé dans le discours. Quello nous indique que M. Rossi n’est pas éloigné mais qu’il

399
Cf., supra, II, § 4.

195
est repérable, hic et nunc, dans le rayon d’action spatial du couple dialogal (champ
perceptif du je et du tu), mais « hors interlocution » tant que le mécanisme cataphorique
activé par quello ne l’a pas reconduit dans la sphère dialogal.
Il n’y a aucune corrélation, ni avec les concepts de « distance » et
d’ « éloignement », ni avec la personne grammaticale :

[…] Rappelons que le latin comprenait trois démonstratifs liés aux trois personnes : hic, iste, ille,
correspondant mutuellement aux 1ère, 2ème et 3ème personnes. Aussi, lorsqu’il est dit que hic, haec, hoc
est le démonstratif latin de la 1ère personne, cela signifie qu’il montre ou rappelle, un objet (animé ou
non) qui appartient à la sphère spatiale de la 1ère personne et se réfère donc à l’espace mental qui entoure
le locuteur, dans une situation d’énonciation donnée. Iste appartient au rang de la 2ème personne, c’est-à-
dire à l’espace rattaché à la personne de l’interlocution. Son utilisation dans les plaidoiries illustre bien ce
fait. Quant à ille, démonstratif de la 3ème personne, il est rattaché à l’espace hors-interlocution. En effet,
nous avons précédemment pu voir qu’il renvoyait à ce qui est éloigné dans l’espace ou dans le temps.400

Lors de l’évolution historique des démonstratifs latins, le démonstratif rattaché à la 1ère


personne a fini par prendre une valeur d’anaphorique (*ecce-hic > ci, *ecce-hoc > ciò). Et le démonstratif
de la 2ème personne iste, ista, istud s’est étendu à la 1ère personne. Ainsi iste permet à ce moment-là de
désigner tout ce qui est situé dans le champ de l’interlocution. Une erreur à laquelle pourrait porter
l’analyse historique serait de penser que puisque iste prend tous les emplois de hic, c’est la 2ème
personne qui prévaut sur la 1ère, et par voie de conséquence, on pourrait penser que l’espace de
l’interlocuteur est venu empiéter sur celui du locuteur. Mais il n’en est rien, nous avons expliqué
comment la première personne s’est appropriée l’espace du dialogue.401

400
Les mots de Saffi que nous rapportons, nous éclairent au sujet de ille, ils semblent reprendre à presque
cinquante ans de distance, ceux de Bühler: « […] Il en résulte que les termes de cette classe [déixis-là-
bas] servent en principe à montrer deux choses, le plus souvent indistinctement, en l’occurrence quelque
chose d’éloigné, et quelque chose qui est situé de l’autre coté d’une frontière séparant celui qui montre et
ce qui est montré […] Ce que je suis en mesure d’indiquer sur le fonctionnement du mot jener, « cela,
celui-là », dans ma langue quotidienne, est encore moins précis. L’emploi anaphorique et anamnestique
de cela semble encore ce qu’il y a de plus clairement circonscrit. Il correspond à peu près au latin ille, et
fait référence à quelque chose qui n’est pas directement présente mais qui, tel un complexe
psychanalytique, reste tapi au seuil de ma conscience. Aujourd’hui encore, il est clair dans de nombreux
cas, plus ou moins perceptible dans d’autres, qu’un jener, un « là-bas » dans le champ perceptif est situé à
partir de ma propre position au-delà d’une limite, ou au-delà d’une station intermédiaire, ou au-delà d’une
espace appréhendé comme intermédiaire » [Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 202]. Nous ajoutons
les italiques entre crochets.
401
Saffi 2010, Op. Cit., pp. 40-41.
La réflexion de Saffi peut être réunie avec la notion de Bühler que nous avons exposée jusqu’à présent, de
« champ perceptif ». Pour les deux linguistes, le paramètre de la distance qui depuis toujours est associé à
la représentation de l’espace liée à l’emploi des démonstratifs, laisse place à une nouvelle vision de
l’espace personnel. Il ne semble plus que ce soit une question de « proximité » ou d’« éloignement » mais
de « champ perceptif » ou d’« espace de l’interlocution » : c’est par rapport à la position des

196
Une représentation de l’espace fondée sur les paramètres « près/loin » est
substituée par une conception plus générale qui paraît au contraire vouloir rendre
compte de tout ce qui se trouve dans la sphère de l’interlocution du couple dialogal que
le locuteur résume à sa propre personne. Toute objet et toute personne est supposé être
en relation intime avec le locuteur :

[…] « La déixis-là [dèr-déixis/questo-deissi] conduit du locuteur vers l’image visuelle


[Anschauungsbild] sans prendre en considération la proximité ou l’éloignement de l’objet auquel il est
fait référence. En ligne droite elle atteint aussi de manière naturelle celui à qui les propos du locuteur sont
adressés lorsque ce dernier est tourné vers lui. Cet emploi des démonstratifs de type là s’explique donc
aisément » […] Ceci est censé expliquer le fait historique qu’on ne trouve pas de pronom qui, depuis
l’époque proto-indo-européenne, aurait « servi exclusivement ou majoritairement à la déixis-iste, c’est-à-
dire à faire référence à la personne de celui à qui on s’adresse, et à sa sphère », mais qu’on trouve dans de
nombreuses langues indoeuropéennes des pronoms de la déixis-là, qui ont reçu un lien plus étroit et
finalement extrêmement « stable et inaliénable » à l’allocutaire. C’est le cas en aryen, en arménien, en
grec, en latin et dans les langues slaves du Sud (par exemple en bulgare).402

Il s’agit certainement là d’un fait historique intéressant. Le problème est que l’analyse
phénoménologique avancée pour en fournir l’ « explication » ne tient pas. Car déjà une réflexion
géométrique simple enseigne qu’il n’y a que dans le cas exceptionnel où l’objet intentionné et
l’allocutaire se trouvent dans le même ligne de mire par rapport au locuteur qu’un geste du doigt de
déixis-là indique « aussi de manière naturelle » celui à qui on s’adresse. Sinon, (et c’est la règle
statistique), elle ne l’atteint en aucun façon.403

Il s’agit d’une perception gestaltique globalisante de l’espace : comme pour le


concept de physionomie acoustique des mots, des mécanismes sont mis en œuvre (les
mécanismes que la pensée déploie, selon Guillaume, pour s’intercepter elle-même) qui
semblent orientés du général au particulier, du tout vers la partie. On part du lieu du je
et du lieu du tu dans le champ déictique, à savoir des deux points limites constitués par
le couple dialogal, locuteur et interlocuteur (champ d’interlocution), et on va vers
l’intérieur de la sphère personnelle qui se trouve à l’intérieur du champ déictique et qui
recouvre partiellement le champ d’interlocution. L’objet référé par le démonstratif peut

interlocuteurs qu’on peut déterminer le « denotatum ». Un environnement qui suppose une conception
générale de l’espace construite autour de deux points limites, émetteur et récepteur, bien identifiables.
402
Bühler 1934; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 197. Nous ajoutons les italiques entre crochets.
403
Ibidem.

197
se situer dans le champ déictique partagé mais à l’extérieur de la sphère d’interlocution :
dans ce cas, en italien, quello est employé. L’objet référé par le démonstratif peut se
situer dans le champ déictique partagé et à l’intérieur de la sphère d’interlocution : dans
ce cas, en italien, questo est employé.404
Le mouvement de pensée peut inverser sa direction, du « particulier au
général », « de la partie vers le tout » : c’est-à-dire la perception de l’espace partagé qui
part de l’intérieur du champ déictique vers le couple dialogal pris dans sa globalité, de
l’objet indiqué à l’espace géométrique où les sphères personnelles des interlocuteurs
agissent. Ces mécanismes guillaumiens s’adaptent parfaitement à la perspective
physiognomique que nous présentons dans ce travail.
La fonction déictique des démonstratifs se réalise pleinement, non pas quand
l’émetteur et le récepteur sont proches ou éloignés de la chose/personne indiquée, mais
quand cette dernière est localisable, ou du moins repérable dans le champ perceptif.
Ainsi deux espaces s’opposent (en utilisant la terminologie bühlerienne, nous
dirions que différents « moments de champ » s’opposent405). Un premier espace, lieu de
l’interlocution où se situent les acteurs de l’interaction je et tu, selon une conception
404
La comparaison entre les deux systèmes du latin et de l’italien a ses limites. Nous n’avons évidemment
pas d’exemple d’emploi spontané à fournir en latin, nous sommes obligé de comparer des exemples oraux
spontanés de langues romanes contemporaines avec des exemples littéraires latins, nous nous sommes
refusé de traduire en latin des exemples contemporains italiens et français, nous avons cependant chercher
des équivalents d’exemples littéraires latins dans des emplois spontanés contemporains. Avec toutes les
précautions nécessaires, notre travail de linguiste est de proposer des hypothèses de fonctionnement des
systèmes des démonstratifs dans ces différentes langues et des hypothèses sur le fondement
psychologique qui préside à leurs emplois.
405
Nous nous référons à la possibilité d’utiliser, lors d’une situation concrète d’énonciation, les
démonstratifs hic, iste et ille, hors contexte mais jamais hors champ : par exemple, dans un champ
environnant symphysique : « molti di questi/istarum alberi che vedi nella foto » (« beaucoup de ces arbres
que tu vois sur la photo ») ; dans un champ environnant sympratique : « questo/hic persiano è
meraviglioso! Mi raccomando, prendilo! » (« ce persan est merveilleux! Je t’en prie, prends-le ! » ; sur
un site internet d’achat en ligne de tapis) ; dans un champ synsémantique : « ma è la Ehu quella al
telefono? « mais c’est Eugénie au téléphone? » ; « Ehu » a pour les interlocuteurs un signifié précis qui
identifie à un moment donné la personne indiquée). Il résulte clairement de ces exemples que le
paramètre de la distance n’est pas du tout adapté à la description des mécanismes déictiques corrélés à
l’emploi des démonstratifs. Il s’agit, en effet, plus précisément de situations énonciatives (« moments de
champ ») où les objets indiqués se trouvent dans le même champ déictique (« perceptif ») que les
interlocuteurs, mais où ils peuvent soit être dans la sphère personnelle de l’émetteur et du récepteur, soit
être « hors interlocution » par rapport au couple (au-delà de la sphère dialogale). C’est un type
d’indication qui dépend de la « position » de l’émetteur et du récepteur. Par exemple : « sono appena
stata a teatro, alla prima del lago dei cigni. Quella sì che è danza! » (« je viens d’aller au théâtre, à la
première du lac des cygnes. Ça oui c’est de la danse !) Un acte di parole de ce type suppose que le terme
prima [première] (cas d’ellipse), puisse être compris dans son signifié de première représentation
uniquement parce qu’il est inséré dans un contexte bien précis où on parle de l’opéra de Tchaïkovski, le
Lac des cygnes et on fait expressément référence à un théâtre. De la même manière, nous identifions bien
la fonction du démonstratif quello, qui rappelle cataphoriquement « danza » [danse], seulement grâce au
contexte. Il n’y a aucune correspondance directe avec l’idée d’éloignement (valeur sémantique).

198
interne. Cet espace est associé au couple déictique hic/iste. Un second espace hors
interlocution, selon une conception externe, où se situe la troisième personne (it.
quello/egli, fr. ce/il), objet du discours que s’échangent les interlocuteurs, et qui peut
être rappelé dans l’« inter-locution » par l’emploi anaphorique des démonstratifs. Cet
espace est associé au terme déictique ille.
Les deux espaces sont précisément délimités. L’interlocution est associée à un
« espace de proximité » qui doit être identifié avec la sphère personnelle du je et du tu,
dont la frontière est concrétisée par le locuteur ou par l’interlocuteur ; au-delà de cette
limite, s’ouvre l’espace éloigné, au sens de « hors interlocution », qui englobe tout ce
qui est à l’extérieur de la sphère dialogale (ou champ d’interlocution) mais à l’intérieur
du champ déictique (ou champ perceptif ou champ d’indication).
Dans la sphère d’interlocution du couple dialogique italien que le locuteur
assimile à sa sphère personnelle, chaque objet et individu est en relation intime avec le
locuteur.406
Pour le dire avec le mot de Bühler, pour que le denotatum puisse être
correctement localisé407, il doit être inséré dans une physionomie globale, c’est-à-dire
dans un champ d’indication où il est possible d’établir sa position par rapport à celle des
locuteurs (« dans » ou « au-delà » de la sphère personnelle : « sous les yeux »).

406
Quand nous disons que l’interlocution est associée à « un espace de proximité », nous n’entendons pas
du tout dire que « questo » est « près de moi ou de toi » (cf., it. « vicino »), mais au sens de « presso di
me o di te », et que l’interlocution se concrétise dans un rayon d’action délimité par le je et par le tu.
En effet, si un locuteur italien demande, par exemple, à son interlocuteur de lui passer par bluetooth
questa canzone (« cette chanson ») qui se trouve dans son smartphone, est-il en train d’indiquer quelque
chose qui se trouve près de lui dans l’espace ou dans le temps ? Peut-on vraiment affirmer que la
« chanson » est près du couple ? Nous ne le pensons pas. Questa indique que la chanson se trouve dans
l’espace de l’interlocution et dans le champ perceptif (dans le « champ environnant symphysique », dans
ce cas là) dont les « points-limites » sont constitués par le lieu du je (du locuteur) et le lieu du tu (de
l’interlocuteur). De la même façon, quello/ille indique quelque chose qui est présent dans le champ
perceptif, mais au-delà de la sphère personnelle du je ou de l’espace dialogal du couple pris dans sa
totalité (et s’il est lié à un centre déictique).
407
Comme l’on a vérifié dans le deuxième chapitre, le perceptum peut être un objet, une personne mais
aussi un message sonore hors contexte ou hors champ, dont la compréhension globale n’est possible que
s’il est inséré dans une physionomie acoustique. Aucun d’entre nous ne serait à même de reconstruire la
physionomie acoustique d’un mot en partant, par exemple, d’une chaîne telle que a[m---a], mais nous
sommes absolument en mesure de reconstituer le mot italien b[m-mm-], « mamma », à l’aide de cette
configuration partielle. Et encore, si on insère la chaîne (a) dans un message (contexte) dont l’objet du
discours porte sur la famille, le rôle des parents et des fils, le mariage et le divorce, il ne sera pas difficile
de reconstruire le visage phonique de la phonie /'mamma/ « mère ». De la même façon, si un locuteur se
trouve à la caisse au cinéma et affirme : « réduction étudiants, s’il vous plait ! », il n’aura pas à spécifier
que l’objet en question est un ticket, parce que le message verbal est bien intégré dans une physionomie
globale représentée par le champ environnant sympratique du langage (l’acte de payer hic et nunc au
cinéma).

199
Questo se trouve ici et là près de moi et de toi, quello est là près de nous ou là-
bas par rapport à nous : le locuteur guide de façon intentionnelle le regard de
l’interlocuteur sur lui et sa sphère, « sur le fait qu’il a lui-même l’objet en question
devant les yeux : regarde par ici vers moi, ou bien vers ce qui constitue mon objet de
perception ».408

408
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 189.
Cela ne signifie pas nécessairement qu’il est « près » ou « loin ». Certes, si un émetteur demande à son
récepteur : « passami questa penna » [passe-moi ce stylo], on peut affirmer que l’objet indiqué se trouve
entre les interlocuteurs qui représentent les limites du couple de la sphère dialogale. Dans ce cas, le
concept de proximité dépend absolument du paramètre d’une distance physiquement mesurable. Mais si
on peut prononcer une phrase comme : « passami questo file » [passe-moi ce dossier], il va de soi que le
paramètre de la distance devient insuffisant pour décrire ce mécanisme déictique. Le dossier constitue un
objet de perception qui n’est ni près ni loin (en effet, il se trouve dans une réalité virtuelle ; c’est
l’ordinateur qui est près des interlocuteurs). On peut aussi considérer l’exemple de quelqu’un qui nous
demande de lui passer une bouteille positionnée, par rapport à sa position, de l’autre côté de la table où
nous sommes en train de dîner. Nous allons utiliser « questa », parce que la bouteille se trouve dans notre
sphère personnelle et il va utiliser « quella », parce qu’elle se trouve au-delà de sa sphère, même si nous
sommes assis l’un « près » de l’autre. De la même manière, si nous parlons avec un ami et que nous lui
disons : « chi ti ha detto queste cose ? » [qui t’a dit ça ?], on ne peut pas considérer la distance pour
expliquer la valeur sémantique de « queste », parce que les « choses » ne sont pas, de facto, près de
l’interlocuteur, mais, par contre, elles constituent son objet de perception (« auditif »). C’est à l’aide de
« queste » [istic-déixis] qu’on peut déterminer la position du récepteur dans le champ déictique, qui dirige
son « écoute » vers l’émetteur (en effet, l’interlocuteur peut se trouver face au locuteur, mais aussi au
téléphone ou en vidéoconférence à l’autre bout du monde. En outre, il faut souligner que « queste » se
réfère à un état de choses et fait fonction d’élément anaphorique parce qu’il rappelle un flux discursif
précédemment énoncé. C’est pour cette raison que, d’après nous, il est plus correct de parler de
démonstratifs qui définissent un domaine : le lieu géométrique, l’environnement qui au fur et à mesure
entoure le locuteur et où on peut repérer ce qui est indiqué. Néanmoins, il s’agit d’un processus qui met
en œuvre des mécanismes de généralisation et de particularisation : le signifié de « queste cose », par
exemple, n’a de valeur pour l’interlocuteur que si l’on insère dans le « tout sémiotique » dont il est une
partie (perspective physiognomique »).

200
§ 4. Les démonstratifs dans les systèmes italien et français: représentation
de l’espace.

Nous poursuivons maintenant en examinant l’emploi des démonstratifs en italien


et en français et, par conséquent, nous prendrons en considération la représentation de
l’espace liée au mécanisme déictique déclenché par ces emplois.
En ce qui concerne le latin classique nous nous trouvons face à une position que
nous ne partageons pas, comme nous l’avons expliqué dans les pages précédentes409,
qui voit les grammaires traditionnelles s’accorder sur un système des démonstratifs
ternaire, où la déixis spatiale est symétrique à la déixis personnelle.
Bien que nous soyons réticent à l’égard de cette position théorique, nous
continuons à la maintenir (tout en espérant la renverser avec les arguments présentés ici)
pour que notre exposé se poursuive de la façon la plus linéaire possible, face à une
littérature qui semble continuer à soutenir avec force que le système des démonstratifs
est orienté sur la base de la personne ou de la distance. Nous sommes fermement
convaincu, et nous avons tenté de l’argumenter410, que les démonstratifs sont liés à une
représentation générale de l’espace, en soi indifférente au paramètre de distance ou de
personne grammaticale, mais qui indique tout ce qui est localisable dans l’espace du
locuteur.
Les démonstratifs seraient, en d’autres termes, chargés d’identifier la position
des acteurs du dialogue (locuteur, interlocuteur, personne delocutée) dans le champ
d’indication du langage. Les termes d’indication définissent un espace. Il s’agit d’un
espace en perspective, un champ perceptif, construit tout autour du couple dialogal, il en
découle une représentation spatiale qui repose sur des opérations de pensée
généralisantes, qui permettent au locuteur de faire abstraction, à travers l’image
(perceptive) qu’il se fait de l’espace dialogal, de la position qu’il occupe en son sein.
Si nous voulons expliquer ce concept en utilisant la perspective physiognomique
de Bühler, nous dirons alors que le locuteur et l’interlocuteur partent d’une perception
globale (gestaltique) de la sphère spatiale où se produit l’échange communicationnel,
pour arriver à identifier la position que chacun occupe au sein du champ d’indication :
409
Cf., supra, III, § 2.
410
Cf., supra, § 3.

201
du tout, le couple pris dans sa globalité, vers les parties, le je et le tu.
Comme chacune des parties acquiert une certaine fonction d’indication
seulement au moment où elle est insérée dans le tout dont elle fait partie, le couple est
considéré dans son ensemble au sein du champ d’indication.411
Ce qui est important, à notre avis, c’est de chercher à confirmer le fait suivant :
nous réussissons à établir la valeur du perçu-perceptum (qui n’est pas obligatoirement
un signe linguistique) seulement s’il est inséré au sein d’une physionomie d’ensemble,
où le champ symbolique et le champ déictique du langage sont en mesure d’agir en
synergie.
De concert avec l’école de la psychomécanique du langage, nous partageons
l’idée de la centralité d’un psychisme de formation des faits de langue qui repose sur les
mécanismes du général et du particulier ; nous appuyons fortement, à la suite de Bühler,
l’idée de la primauté du visage phonique, du tout sémiotique par rapport aux parties qui
le composent : en d’autres mots, nous défendons l’idée d’une représentation de l’espace
qui repose sur une opération de pensée généralisante.
L’emploi des démonstratifs en italien et en français, semble confirmer cette
tendance d’une représentation générale de l’espace, en soi indépendante des concepts de

411
Nous croyons que ce sont les mécanismes que notre pensée met en œuvre quand il s’agit non
seulement de construction, perception et compréhension de la matière phonique, mais aussi de la réalité
(de l’univers) qui nous environne. Si, en effet, nous nous trouvons pour la première fois dans une ville
étrangère, il ne nous sera pas difficile d’en reconnaître le centre historique, parce qu’il se caractérise,
généralement, par une longue avenue, souvent ombragée, et par des magasins de divers types de chaque
côté de la rue. Au contraire, si nous isolons un seul des magasins présents le long de l’avenue, il nous sera
très difficile de percevoir l’espace environnant. Mais si nous insérons cette boutique dans la physionomie
globale dont elle fait partie, alors elle acquiert pour nous une certaine importance.
De la même manière, si nous nous trouvons dans un bar, en Italie, et si nous demandons à notre
interlocuteur, « una bevanda, per piacere! » [« Une boisson, s’il vous plaît! »], il aura quelques difficultés
pour nous servir, jusqu’au moment où nous lui indiquerons avec exactitude ce que nous voulons boire (du
général au particulier). Ainsi, quand nous faisons des mots-croisés, nous remontons du général (la
définition) au particulier (le mot). Comme nous l’avons annoncé plusieurs fois dans cet exposé, nous
défendons la théorie d’une perception gestaltique (la primauté du tout sémiotique par rapport aux parties
qui le composent : il va de soi que les deux mécanismes évoqués ici, sont profondément inter-reliés, l’un
étant la cause concomitante de l’autre) des faits linguistiques.
Par exemple, il nous sera impossible de remonter jusqu’à un certain mot, en partant d’une seule des
voyelles qui le composent (le a, /a/ de acqua, par exemple), laquelle cependant acquerra pour nous une
certaine consistance linguistique, au fur et à mesure que nous l’insérons dans le tout dont il fait partie, en
reconstruisant la silhouette phonique [a-qu-], (/’akkwa/), et en mettant en œuvre un mécanisme qui va du
particulier au général. Il en va de même quand nous réussissons à comprendre le contenu d’un message
sonore, à partir du contexte dans lequel il est inséré. Le particulier ne prend sa valeur que s’il est inséré
dans une physionomie globale, tout comme nous ne reconnaitrions pas une paire d’yeux soustraits du
visage dont ils font partie, même si nous le connaissons. Cette perspective holistique commande la
constitution d’une représentation générale de l’espace liée à l’emploi des démonstratifs qui, lui, n’est du
ressort ni du paramètre de distance ni de la personne grammaticale.

202
proximité, éloignement (comme dépendantes d’une distance notable physiquement) et
personne grammaticale.
Nous commençons par la reconstruction diachronique du système des
démonstratifs concernant l’italien412: avant d’en venir à l’italien contemporain, nous
analysons l’évolution des démonstratifs en italien ancien, à partir du traditionnel
système ternaire latin. Nous en proposons ici une reconstruction ponctuelle opérée par
Saffi, à laquelle nous n’avons rien à ajouter :

Le latin parlé présentait une tendance générale à renforcer par agglutination les divers
démonstratifs : le rapprochement iste ipse est déjà ordinaire chez Cicéron. Les démonstratifs étaient
renforcés surtout à l’aide des particules ecce et eccu(m) ou *accu (= atque + eccum) […]
[…] En italien, ce sont les formes composées qui s’imposent à la place des formes simples en
tant que démonstratifs. En effet, la particule ĕccĕ sous sa forme dérivée *ăccŭ (conjonction ătquĕ « et
même » + ĕccŭ(m)) vient renforcer les accusatifs ĭstŭm et ĭllŭm pour donner questo et quello : *(ăc)cŭ-
ĭstŭ(m) > questo qui remplace hĭc démonstratif de la 1ère personne, *(ăc)cŭ-ĭllŭ(m)> quello qui reprend
ĭllĕ démonstratif de la 3ème personne. Pour remplacer le démonstratif de la 2ème personne et retrouver
l’opposition entre les 3 personnes, on a recours à la combinaison *ăccŭ + le pronom personnel de la 2ème
personne tĭ ou tē de l’accusatif (ou la forme raccourcie tĭ du datif tĭbĭ) + ĭstŭ(m) : *(ăc)cŭ-t(i)-ĭstŭ >
cotesto, codesto. Les trois démonstratifs ainsi obtenus sont adjectifs ou pronoms. Probablement par
analogie avec le pronom personnel masculin singulier ello dérivé de ĭllŭ(m), qui connaît les doublets egli
et lui, les pronoms démonstratifs italiens ont aussi au singulier une forme en -i : questi, costui, codesti,
cotestui, quelli (ou quegli devant voyelle), colui qui dérivent probablement du datif ; de même pour le
féminin : la forme du pronom personnel lei entraîne costei, cotestei (archaïsme), colei. Au pluriel le

412
Afin de justifier ce qui est affirmé précédemment au sujet de la disposition des grammaires (et des
ouvrages lexicographiques) à corréler la sémantique des démonstratifs avec la catégorie générale d’un
espace dépendant du paramètre de distance (proximité / éloignement) ou de la personne grammaticale,
nous allons décrire, scriptura brevi, la situation normative des démonstratifs, telle qu’elle est conçue par
les grammaires italienne.
L’italien possède un système de démonstratifs avec trois degrés de distance (démonstratifs adjectifs et
pronoms) : questo (correspondant à la première personne) < eccu(m) istu(m) ; codesto ou cotesto
(correspondant à la deuxième personne) < eccu(m) ti(bi) istu(m) ; quello (correspondant à la troisième
personne) < eccu(m) illu(m).
Pour les pronoms démonstratifs se référant à des personnes, la langue a des formes sujet en -i : questi,
quegli (quei) ; formes obliques à l’origine, mais ensuite employées aussi avec la fonction sujet, ce sont
costui / costei, colui / colei, costoro / coloro (cotesti / cotestui etc., sont par contre désormais inusitées) ;
le modèle de ces séries est évidemment egli / lui / lei / loro.
Dans les dialectes méridionaux et en sarde, la même tripartition s’exprime différemment, en ayant recours
à ipsu(m) pour le deuxième degré : quistu / kistu / kustu « questo » ; quissu / kissu / kussu « codesto » <
eccu(m) ipsu(m) ; quillu / killu / kuḍḍu « quello ». Les variétés de l’Italie centrale et centro-méridionale
où il existe un genre néo-neutre, ont pour celui-ci des formes démonstratives distinctes de celles du
masculin : Latium késto pane ; kistu cane ; napol. [ˈkestaˈlːardә] « questo lardo » (avec redoublement
phonosyntaxique) ; [ˈkistәˈkanә] « questo cane » etc.

203
pronom personnel loro suggère la formation de costoro, cotestoro (archaïsme), coloro.413

Comme on le déduit de cette analyse étymologique soignée, l’italien ancien


reste, si nous acceptons ces catégories pour le latin, essentiellement un système ternaire.
Et de la même façon, comme nous l’avons démontré dans les pages précédentes414, en
prenant en considération un état de langue, celui du latin, antécédent par rapport à la
période ancienne de la langue italienne, les valeurs sémantiques et les fonctions des
démonstratifs questo, cotesto/codesto et quello, ne peuvent pas être considérées comme
étant mêlées de manière indissoluble : il n’est pas correct d’attribuer à ce système de
déictiques, dans cette période synchronique caractérisant la langue des Trois
Couronnes, une sémantique fondamentalement spatiale dépendante du paramètre de
distance, ni même liée en soi aux personnes grammaticales.
Voici un exemple du XVIIIème chant de l’Enfer (nous sommes dans le huitième
cercle, des Ruffians et des Séducteurs qui se trouvent dans la première bauge, et des
Adulateurs condamnés dans la deuxième bauge) dit de Malebolge (« Males-Bauges »),
où est utilisé le démonstratif proprement dit de proximité (« questo »), dans une
situation qui, normalement, supposerait l’emploi du déictique d’éloignement
(« quello ») :

In questo luogo, de la schiena scossi


di Gerïon, trovammoci; e ’l poeta
tenne a sinistra, e io dietro mi mossi.
A la man destra vidi nova pieta,
novo tormento e novi frustatori,
di che la prima bolgia era repleta.
Nel fondo erano ignudi i peccatori;
dal mezzo in qua ci venien verso ’l volto,
di là con noi, ma con passi maggiori [...] (19-27415)

413
Saffi 2010, Op. Cit., pp. 29-30.
414
Cf., supra, III, §§ 2-3.
415
Voici le texte paraphrasé en italien : « In questo luogo ci venimmo a trovare, scesi dal dorso di
Gerione; e Virgilio si diresse verso sinistra, e io mi avviai dietro di lui. Vidi verso destra nuovo dolore,
pene mai prima vedute e fustigatori di nuovo genere, di cui il primo avvallamento era pieno. I dannati
stavano nudi nel fondo: dalla metà della bolgia verso l’esterno procedevano in direzione contraria alla
nostra, dall’altra parte camminavano nella nostra stessa direzione ma più velocemente » [notre
paraphrase].
« C’est là que Géryon nous secoua de son échine, le poète alors s’en alla vers la gauche, et moi derrière.
À main droite je vis pitié nouvelle, nouveaux tourments et nouveaux tourmenteurs dont la première bauge

204
À bien y regarder, questo, semble assumer une fonction déictique précise (déixis
à l’imaginaire), et espace et distance ne sont pas les concepts appropriés pour en décrire
le fonctionnement. Tout d’abord, il est employé pour rappeler un contexte décrit
quelques vers avant où Dante se risque à une description physique du cercle de
Malebolge (« luogo è in inferno detto Malebolge/tutto di pietra di color ferrigno [...] »,
1-18 ; « en enfer est un lieu dit Males-Bauges, tout fait de pierre à la couleur de fer
[…] »).
Il serait certainement inexact d’affirmer que le lieu indiqué dans les tercets
dantesques se trouve « près » du locuteur (Dante), ni même à proximité de celui qui
écoute (le lecteur) : la seule raison pour laquelle Dante utilise le déictique questo (au
lieu de quello) pour décrire une situation advenue précédemment par rapport au moment
du récit (qui est postérieur), est sa volonté de situer le lecteur au sein de l’action de
narration, pour que celui-ci puisse se rendre compte qu’il est passé de la description
d’un lieu à l’action qui s’y déroule.
Bühler décrirait ce processus déictique en pointant le saut fait à partir d’une
orientation égocentrée (questo se comporte comme un agent connecteur non égocentré,
vu qu’il ne dépend pas d’un ego stable ancré au système d’orientation je-ici et
maintenant) vers une posture topomnestique. L’interlocuteur (le lecteur) comprend le
signifié de termes comme questo, sinistra, destra, fondo, di là, seulement si lui-même se
transpose : en d’autres mots, si son image corporelle tactile (consciente ou vécue) est
reliée à une scène visuelle imaginaire correspondante. Cela advient quand le champ
d’orientation de la situation de perception présente est réélaboré, en ayant recours à des
transpositions, comme dans les œuvres épiques, ou quand on cite ce qui est absent dans
l’espace présent, comme dans le drame.416

était remplie. En ce fond, les pécheurs allaient tout nous : les uns du centre jusqu’à nous, de face, et
d’autres avec nous, quoique plus vite » [Dante, œuvres complètes, traduction nouvelle revue et corrigée
de Christian Bec (dir.), La Pochothèque, Le livre de Poche, Paris, 1996, p. 669].
416
Bühler 1934; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 247.
Nous souhaitons clarifier ce passage. Nous faisons ici allusion au fait que le démonstratif dit de proximité
questo, est utilisé avec une fonction indexicale (l’indexicalité, terme cher à l’ethnométhodologie, décrit le
phénomène par lequel l’interprétation d’une expression ou d’une description est connectée au contexte de
sa production, et varie en fonction de la variation de celui-ci) : en d’autres mots, il devient agent
(connecteur) d’un mécanisme déictique particulier qui permet au locuteur (et à l’interlocuteur) de
déplacer le centre d’orientation des situations de perception normales, au sein, par exemple, d’un texte
narratif (mais pas obligatoirement : l’origine du champ d’indication peut être transposée dans n’importe
quel autre espace, dans un véhicule etc.), ce qui veut dire que nous transposons l’origine du champ
déictique au récit. Il s’agit justement de ce que Bühler appelle le « passage de la posture égocentrée à la
posture topomnestique ». La déixis anaphorique et la déixis à l’imaginaire sont traitées par Bühler

205
Même dans ce cas, il s’agit d’un mécanisme déictique non corrélé à la distance,
et voué à indiquer ce qui se passe dans l’espace du locuteur (Dante). On évoque ici aussi
bien une dimension mentale (le perceptum est sur le plan de l’imagination ou des
souvenirs : le cercle dantesque), qu’une dimension matérielle. Il s’agit même d’un
espace syntaxique : questo renvoie anaphoriquement à un tout sémiotique bien structuré
(les vers précédents), sans lequel il serait difficile d’encadrer le lieu où l’action se
déroule.
Le mécanisme indexical activé par le terme d’indication questo nous projette par
l’imagination sur le lieu géographique occupé par ce que nous imaginons. Pour que l’on
puisse vérifier la déixis à l’imaginaire, il est nécessaire que le mécanisme déictique en
question repose sur des opérations de pensée généralisantes pour qu’il soit permis au
locuteur, comme au lecteur, de se projeter au sein de cet espace imaginaire et discursif.
L’emploi indexical d’un déictique (questo, dans notre cas), ne fonctionne qu’à
travers, dirait Bühler, une « rétention médiate » d’autres éléments linguistiques (mais
« immédiate », dans le cas de la déixis anaphorique), où l’élément de médiation est
l’ensemble des souvenirs définis et l’image de construction, et qui implique en quelque
sorte une vision préalable de la totalité du contexte de dénomination, c’est-à-dire de la
totalité du champ symbolique.
L’emploi des démonstratifs en italien ancien continue donc à converger vers une
représentation générale de l’espace (il est plus correct de dire qu’ils ont toujours été et
continuent d’être chargés de cette vision de la réalité) indifférente à des concepts tels
que proximité/éloignement qui sont dépendants du paramètre de distance.
La Divine comédie de Dante semble être le lieu par excellence où les
désignations des personnages adviennent indifféremment avec questo (costui) ou quello
(colui), sans lien avec la distance par rapport à celui qui parle ou celui qui écoute.
Examinons un autre exemple, tiré d XXVème chant de l’Enfer (bauge des
Voleurs), où le déictique dit « d’éloignement », quello, employé en lieu et place du
déictique de proximité (questo417), devient le représentant d’une fonction déictique

comme deux cas d’indexations non traditionnelles.


417
« Sur ses épaules, derrière la nuque, rampait, ailes ouvertes, un dragon soufflant du feu sur quiconque
approchait. Mon maître dit : celui-ci, c’est Cacus, qui, sous la roche du mont Aventin, répandit plusieurs
fois des flots de sang » [Dante, œuvres complètes, traduction nouvelle revue et corrigée de Christian Bec
(dir.), La Pochothèque, Le livre de Poche, Paris, 1996, p. 698].

206
déterminée, déixis anaphorique, qui ne présente pas d’implication de distance ou avec la
personne grammaticale.
Quello rappelle, en effet, anaphoriquement un dragon déjà mentionné :

Sovra le spalle, dietro da la coppa,


con l'ali aperte li giacea un draco;
e quello affuoca qualunque s'intoppa.
Lo mio maestro disse: «Questi è Caco,
che, sotto 'l sasso di monte Aventino,
di sangue fece spesse volte laco » […] (22-27)

L’emploi du déictique quello ne montre pas quelque chose d’éloignée de celui


qui parle ou de celui qui écoute, en présentant des implications de distance par rapport
aux éléments du contexte situationnel, il indique seulement que c’est le seul dragon (pas
Cacus) « che investe con il fuoco chiunque s’imbatte in lui ».
Quant à l’autre terme d’indication utilisé dans le second tercet, questi (« questi è
Caco »), on ne peut pas constater que son emploi au sein de l’énonciation (vers 25-27)
est corrélé au paramètre de distance. Même dans ce cas, il semble vouloir indiquer tout
ce qui se trouve dans l’espace du locuteur, qui est ici Virgile.
Questi qui, du point de vue étymologique, dérive de la locution latine
(ec)cu(m)isti, variante de iste (codesto), est ici employé en fonction de pronom
personnel et semble ne faire aucune référence à quelqu’un qui se trouve près ou loin de
Dante et de Virgile : le déictique renvoie, à notre avis, beaucoup plus concrètement au
fait que Cacus se trouve hors de l’espace de l’interlocution mais est repérable dans le
champ de perception du locuteur et de l’interlocuteur.
Tant il est vrai que c’est un démonstratif généralement employé pour indiquer

Voici le texte paraphrasé en italien : « Sopra le sue spalle, dietro la nuca, stava un drago con le ali aperte;
e questo investiva col fuoco chiunque s’imbatteva in lui. Virgilio disse: « Costui è Caco, il quale nella
spelonca sul monte Aventino, molte volte fu autore di sanguinose stragi » [notre paraphrase]. Dans ce cas
aussi, les paramètres de distance et de personne grammaticale ne sont pas des concepts adaptés à la
description de la valeur sémantique de quello, dont la fonction au sein du texte est celle de pronom de
rappel. Cet exemple également clarifie comment l’emploi des démonstratifs est lié à une représentation
générale de l’espace. Le fondement psychologique sur lequel repose le terme d’indication quello,
employé dans le fragment analysé, est quelque chose de repérable au sein d’un contexte discursif, à
travers la rétention immédiate des autres éléments linguistiques. Dans ce cas, pour permettre au lecteur de
saisir la valeur sémantique du déictique incriminé (quello), il est contraint de l’insérer au sein d’une
physionomie globale, en réalisant une opération qui repose sur un mécanisme de pensée généralisant qui
le confronte à une vision totalisante de l’espace discursif.

207
quelqu’un de proche de celui qui écoute (questi), qui est employé pour référer à une
personne delocutée (« […] ed io scorsi un centauro, gonfio d’ira avanzare gridando […]
quante bisce elli avea su per la groppa […] », « et je vis un centaure plein de rage venir
criant […] n’a pas plus de couleuvres, je crois, qu’il n’en portait parmi la croupe »418)
généralement indiquée par le déictique d’éloignement quello (loin de celui qui parle et
de celui qui écoute). D’un point de vue psychologique, questi est utilisé pour envoyer à
quelqu’un d’immédiatement présent aux yeux des deux interlocuteurs, repérable dans le
champ de perception, indépendamment du fait qu’il se trouve à proximité ou éloigné
d’eux.
En outre questi est à considérer, d’un point de vue strictement syntaxique,
comme un pronom de rappel : il indique « l’être » dont on vient de parler, quelqu’un de
déjà nommé. On peut indiquer indifféremment par questo ou par quello sans aucune
relation avec l’idée de la distance. Il serait impossible d’établir les limites d’une
distance physique : questi n’est pas près des interlocuteurs, Dante et Virgile ne lui
adressent pas la parole et ils ne dialoguent pas avec lui (il se trouve donc hors de
l’espace dialogal). De la même façon, on ne peut pas soutenir que Cacus est loin du
couple, mais, simplement, qu’il est bien visible dans le champ perceptif des deux
acteurs du dialogue.
Le même mécanisme déictique est déclenché dans une autre situation
d’énonciation de la Divine comédie. On se trouve dans le cercle des Avares et des
Prodigues (Enfer, chant VII) :

E io: «Maestro, tra questi cotali


dovre’ io ben riconoscere alcuni
che furo immondi di cotesti mali».
Ed elli a me: «Vano pensiero aduni:
la sconoscente vita che i fé sozzi
ad ogne conoscenza or li fa bruni.
In etterno verranno a li due cozzi:
questi resurgeranno del sepulcro
col pugno chiuso, e questi coi crin mozzi. (49-57419)

418
[Dante, œuvres complètes, traduction nouvelle revue et corrigée de Christian Bec (dir.), La
Pochothèque, Le livre de Poche, Paris, 1996, p. 697].
419
« Et moi : Maître, parmi ces personnages, j’en devrais bien connaître quelques-uns qu’on pu salir les
vices dont tu parles ? Et lui à moi : « Tu as des pensées vaines. La vie méconnaissante, où ils croupirent

208
Ici aussi, l’emploi des démonstratifs questi, cotali, cotesti ne renvoie à aucune
représentation spatiale corrélée à la distance ou à la personne grammaticale.
L’expression cotesti mali renvoie avant tout à un perceptum, inhérent à la sphère de
l’interlocuteur : il s’agit des fautes que les damnés ont commises dans leur vie et dont
Virgile vient de parler. Mais c’est un démonstratif de proximité qui est utilisé (employé
pour indiquer quelque chose ou quelqu’un de proche de celui qui écoute), il a en réalité
une fonction bien précise, dont la valeur est différente de son habituelle valeur
sémantique, au sein de l’échange verbal : il rappelle anaphoriquement quelque chose qui
a déjà été introduite précédemment et à laquelle on ne peut être reconduit que grâce à
l’aide du contexte, en faisant appel à une vision totalisante de l’espace discursif et
perceptif (selon que le point de vue est celui du lecteur ou de l’acteur).420
Le dernier des trois tercets présente aussi une représentation générale de
l’espace : questi, les prodigues qui resurgiront de leurs tombes avec les poings serrés, et
questi, les avares au crane rasé, bien qu’ils se situent dans un espace hors interlocution,
ils sont indiqués par le déictique de proximité qui, généralement, indique quelque chose
qui se trouve dans la sphère dialogale (près de celui qui parle).
La raison de ce fait est très simple : c’est comme si Virgile voulait nous faire
imaginer que nous avions pointé (dans le sens littéral du terme, pointer du doigt) l’un
après l’autre les deux groupes de damnés.
La seconde catégorie de condamnés (les Avares), devrait normalement être
indiquée grâce à l’emploi du terme d’indication quelli, pour les opposer à questi (les
Prodigues).
Il est impossible de fixer les limites d’une distance physique par rapport au

les rend obscurs à toute connaissance. Pour toujours ils iront au double choc : ceux-ci resurgiront de leur
sépulcre le poing fermé, et ceux-là le poil ras » [Dante, œuvres complètes, traduction nouvelle revue et
corrigée de Christian Bec (dir.), La Pochothèque, Le livre de Poche, Paris, 1996, p. 625].
Voici le texte paraphrasé en italien : « E io: fra costoro, maestro, dovrei certo riconoscere qualcuno che si
macchiò di queste colpe. E Virgilio: accogli nella tua mente un pensiero assurdo: la dissennata vita che li
rese turpi, li rende ora oscuri ad ogni tentativo di riconoscerli. Per l’eternità accorreranno ai due punti per
scontrarsi: gli uni risorgeranno dalla tomba coi pugni chiusi, gli altri con i capelli recisi » [notre
paraphrase].
420
Nous utilisons ici la vision bühlerienne pour décrire un mécanisme déictique fondé sur une perception
gestaltique de l’espace discursif : il n’est possible de comprendre l’objet du discours que s’il est inséré au
sein de sa physionomie globale, c’est-à-dire seulement si nous relions ce qui est rappelé par le déictique
cotesti (mali) avec le cotexte précédent (les péchés des damnés énoncés par Virgile). Le contexte global
du discours nous permet de porter à terme avec succès l’échange communicationnel. En substance, il
s’agit d’un mécanisme qui procède du particulier au général et qui, en utilisant la vision guillaumienne,
repose sur un mouvement de pensée généralisant.

209
locuteur et à l’interlocuteur. La situation d’énonciation renvoie plutôt à quelqu’un qui
peut être repéré dans le champ de perception partagé par l’émetteur et le récepteur : les
condamnés sont placés aux deux points opposés du cercle infernal ; mais on n’a aucune
possibilité d’établir qu’ils se trouvent près (« questi ») ou loin par rapport au point de
vue (la « position ») de Dante et de Virgile. Les déictiques en question indiquent tout ce
qui est présent dans l’espace du locuteur, de l’interlocuteur, mais hors de leur sphère
personnelle et dialogal (« hors interlocution »).
Le discours d’une représentation générale de l’espace, indépendante du
paramètre de distance et des variables proximité/éloignement, liée à l’emploi des
démonstratifs employés comme agents connecteurs égocentrés et connecteurs non
égocentrés421, reste inchangé si nous passons au Décaméron de Boccace.
Analysons ce passage tiré de la première nouvelle de la première journée, déjà
proposé par Saffi422 :

[…] Bene hai fatto, - disse il frate - ma come ti se' tu spesso adirato? - Oh! - disse ser
Ciappelletto - cotesto vi dico io bene che io ho molto spesso fatto. E chi se ne potrebbe tenere, veggendo
tutto il dì gli uomini fare le sconce cose, non servare i comandamenti di Dio, non temere i suoi giudici?
Egli sono state assai volte il dì che io vorrei più tosto essere stato morto che vivo, veggendo i giovani
andare dietro alle vanità e vedendogli giurare e spergiurare, andare alle taverne, non visitare le chiese e
seguir più tosto le vie del mondo che quella di Dio. Disse allora il frate: - Figliuol mio, cotesta è buona
ira, né io per me te ne saprei penitenzia imporre. Ma, per alcuno caso, avrebbeti l'ira potuto inducere a
fare alcuno omicidio o a dire villania a persona o a fare alcun'altra ingiuria? […] (I, 1423)

421
cf., supra, III, § 2.
422
Saffi 2010, Op. Cit., p. 31.
423
« Tu as bien fait - dit le moine - mais combien de fois t’es-tu mis en colère ? - » « - Oh ! - dit ser
Ciappelletto, - cela, je dois dire que je l’ai fait souvent. Et qui pourrait s’en empêcher en voyant tout le
long du jour les hommes faire des choses viles, ne pas observer les commandements de Dieu, ne pas
craindre ses jugements ? Ils ont été nombreux les jours où j’aurais voulu être plutôt mort que vivant, en
voyant les jeunes gens pleins de vanité, jurer et se parjurer, aller aux tavernes, ne pas visiter les églises, et
suivre plutôt les voies du monde que celle de Dieu.- » Le moine dit alors : « - Mon fils, c’est là une bonne
colère, et pour moi je ne saurais t’imposer d’en faire pénitence. Mais peut-être parfois la colère a pu te
pousser à commettre quelque homicide, ou à dire des injures à quelqu’un, ou à lui faire quelque autre
offense ? - » [Le Décaméron, traduction nouvelle par Francisque Reynard, G. Charpentier et Cie Éditeurs,
Paris, 1947, p. 27].
Voici le texte paraphrasé en italien : « ti sei ben comportato – disse il monaco – quante volte sei stato
preda dell’ira ? - » « - Oh ! – rispose Ser Ciappelletto, - spesso sono stato vittima della collera. Chi non si
adirerebbe, nel vedere uomini che si comportano perennemente come debosciati, che non rispettano i
comandamenti di Dio e non temono suoi ministri? Molti i giorni che avrei preferito piuttosto morire, che
vedere i giovani rincorrere la caducità delle cose, vederli giurare e imprecare, gozzovigliare nelle taverne,
senza alcun rispetto per le chiese, e cercare la mondanità piuttosto che la via del Signore. E il frate: -
figlio mio, non dolerti, questi sentimenti sono nobili, e neanche io, da parte mia, potrei in alcun modo
punirti per il tuo risentimento. E dimmi, avrebbe mai potuto esso istigarti all’omicidio, al vilipendio o ad

210
On constate dans cet extrait un emploi du démonstratif cotesto (généralement
employé pour indiquer quelque chose ou quelqu’un qui se trouve près de celui qui
écoute) avec la fonction d’agent connecteur non égocentré : dans cet acte de parole
précis, le déictique n’est pas corrélé à (ni ne met en relief) un origo stable, ancré aux
coordonnées ego-hinc et nunc, et il n’est pas en rapport avec un gradient spatial.
En d’autres mots, cotesto ne réfère pas un denotatum corrélé, d’un point de vue
de proximité, à un émetteur ou à un récepteur le démonstratif dans ce cas n’indique pas
quelque chose dont le centre déictique est le je du locuteur, par rapport au tu de
l’interlocuteur, et à la position que celui-ci occupe au sein du champ d’indication du
langage.
Il reprend anaphoriquement quelque chose qui a été précédemment nommé : le
fondement psychologique de la déixis anaphorique, pour sa propre ratio, n’a pas
d’implication de distance avec le contexte discursif (qui fait fonction de champ
déictique).
Ce n’est que si nous insérons cotesto au sein d’un tout sémiotique dont il fait
partie, c’est-à-dire au sein de la physionomie globale (le tout pour la partie) à laquelle
on peut le rapporter, que nous réussissons à comprendre sa fonction, et que nous
sommes en mesure de comprendre le contenu du message verbal.
Seul un tout sémiotiquement bien formé résultant de la parfaite synergie du
champ symbolique et du champ déictique du langage, est pleinement reconnaissable et
compris.
La primauté du tout sémiotique par rapport à chacune des parties qui le
composent est, entre autres, confirmé par Saffi, à la différence que son point de vue ne
prend pas en charge les réflexions de Bühler.424

arrecare offesa a qualcuno? [notre paraphrase].


424
Bien que les deux écoles de pensée, la psychosystématique et la gestalt (nous nous référons ici
strictement aux travaux de Bühler) se soient concentrées, respectivement, l’une sur la langue en tant que
système d’un point de vue nettement structural (et en tant que tel à étudier hors du moment social du
langage), l’autre sur une linguistique de la parole (qui a pour objet la manifestation acoustique concrète),
elles manifestent des points communs très intéressants. Nous n’avons pas trouvé trace de relation entre
Guillaume et Bühler, cependant, leur intérêt commun pour la dimension psychique du langage, pour les
lois qui en régulent le psychisme de formation, est avéré. Les deux opérations mécaniques de construction
du langage qui caractérisent la théorie psychomécanique (généralisation et particularisation) se reversent
parfaitement dans le champ des théories gestaltiques sur le langage de Bühler. Le concept de physionomie
acoustique des mots, accompagné d’une théorie des deux champs du langage, suppose un mécanisme de
perception holistique des formes linguistiques qui repose sur les mêmes mécanismes identifiés par
Guillaume, mais appliqués à un domaine différent. La reconnaissance physiognomique est basée sur la
suprématie du tout sémiotique (le général) par rapport aux parties qui le composent (le particulier), et

211
La linguiste, bien que ne faisant pas allusion à la perception gestaltique des
phénomènes linguistiques, et sémiotiques en général, parle d’un mécanisme
généralisant sur lequel repose la perception (une opération d’entendement) d’une forme
linguistique (mécaniquement corrélée à une opération de discernement, orientée de
l’universel vers le particulier, productrice de la matière conceptuelle) :

[…] Le mouvement de pensée parcourt successivement deux domaines de construction mais


l’acte de langage forme un tout :
Acte de langage = pré-construction de langue + construction de discours = 1 […]
[…] Le passage de la langue au discours est une frontière mobile d’un système langagier à
l’autre. Cette ligne de partage varie selon le degré de développement de la pré-construction de langue, la
construction de discours diminuant ou augmentant proportionnellement. L’analyse cinétique de Gustave
Guillaume révèle deux mouvements : l’un ascendant, allant de l’étroit (élément formateur) au large
(discours), et un mouvement descendant inverse menant à l’analyse notionnelle du discours […]425

Dans la systématique du mot des langues indo-européennes, le discernement est l’opération


première de production de la matière notionnelle, qui constitue la « base de mot », par opposition à
l’entendement, qui est l’opération seconde de production de la forme de saisie. Le discernement est aussi
appelé idéogenèse et l’entendement, morphogenèse.
L’opération de discernement est un mouvement de pensée orienté de l’universel vers le
singulier :
Il s’agit de distinguer au sein d’un ensemble contemplé une chose particulière contenue sur
laquelle s’arrête l’esprit et qu’il isole de toute autre, afin de la considérer séparément.
A l’inverse, l’opération d’entendement est un mouvement de pensée qui va du singulier à
l’universel :
[Elle] vise à reverser dans l’universel, aux fins d’intellection généralisatrice, le particulier qu’on
en a abstrait.426

La généralisation est un mouvement de pensée intériorisant et la particularisation est


extériorisante. Le particulier (singulier) est le point de départ du mouvement de généralisation qui se
développe dans une conception externe mais qui, arrivant à son aboutissement (l’universel), pulvérise les
limites de la notion que nous appréhendons de l’extérieur. La notion s’universalisant, les limites sortent

suppose deux mouvements mécaniques, dont l’un, le particulier, est nécessairement le point de départ de
l’autre, le général. En suivant la théorie bühlerienne, le particulier assume une certaine consistance
(linguistique, dans le cas des mots), seulement quand il est inséré au sein d’un tout bien reconnaissable
dont il fait partie.
425
Saffi 2010, Op. Cit., p. 23.
426
Gustave Guillaume, Langage et Science du langagee, Paris et Québec, Nizet et P.U. Laval, 1964/1984,
p. 87.

212
du cadre de notre champ de discernement. Nous ne percevons plus cette notion de l’extérieur mais de
l’intérieur, car son intériorité a envahi tout le champ de notre compréhension. De cette manière – en
explosant les limites de la notion et en faisant disparaître la frontière entre intérieur et extérieur – la
généralisation est intériorisante. Inversement, le mouvement de particularisation qui mène de l’universel
au particulier, se développe au sein d’une conception interne de la notion. En concentrant cette notion sur
elle-même, il la fait imploser jusqu’à ce qu’elle se réduise à un point particulier envisageable uniquement
de l’extérieur. Le mouvement de particularisation – par l’implosion de la notion qui en découle – est donc
extériorisant.427

L’emploi de cotesto au sein du fragment analysé tiré du Décaméron, repose sur


le fondement psychologique (sur un psychomécanisme) que l’on vient de décrire et basé
justement sur un mouvement de pensée généralisant (la perception de cotesto au sein du
dialogue pris dans sa globalité), dont le point de départ est le particulier, la
reconnaissance de cotesto dans la phrase isolée (son « contexte », le champ
synsémantique) et enlevée de son « cotexte », c’est-à-dire l’interlocution entre les deux
personnages de la nouvelle (champ sympratique).
Les deux opérations sont non seulement tout à fait complémentaires mais
également mécaniques. Si on soustrait cotesto de son champ environnant sympratique
(la conversation entre ser Ciappelletto qui trompe un saint moine avec une fausse
confession) en le laissant dans le seul champ environnant synsémantique (la phrase :
« oh! [...] cotesto vi dico io bene che io ho molto spesso fatto » […]) on ne peut plus
discerner sa valeur fonctionnelle (démonstratif employé anaphoriquement) qui est bien
différente de sa valeur sémantique (pronom et adjectif démonstratif qui indique
quelqu’un ou quelque chose près de celui qui écoute).
Il n’y a pas d’implication de distance dans l’emploi que Boccace fait du cotesto
au sein du passage cité, où la représentation de l’espace qui lui est liée repose sur « une
distinction survivante de la proximité par rapport à l’interlocuteur (cotesto) vouée à
disparaître ».428
Si nous acceptons la traditionnelle position ternaire du système des
démonstratifs latins, (bien que nous préférions un système de déictiques comprenant
aussi is, ipse et idem429), nous pouvons affirmer que l’italien ancien se présente avec un

427
Saffi 2010, Op. Cit., p. 23.
428
Op. Cit., p. 32.
429
Cf., supra, §§ 1-2.
Nous contestons la tripartition du système des démonstratifs latins et donc, par voi de conséquence, la

213
système de démonstratifs questo, quello, cotesto, obtenus par recomposition des formes
latines, qui reprend la même tripartition du latin classique et continue d’exprimer une
représentation générale de l’espace.
En italien contemporain, le système des démonstratifs, si nous n’admettons pas
esso et ses dérivés de plein titre parmi les déictiques, est devenu binaire : questo, quello.
Il oppose deux espaces : un premier espace, lieu de l’interlocution où se situent
les acteurs du dialogue, les deux premières personnes (io et tu), espace auquel est
associé le couple adverbial qui / qua ; et un second espace, hors de l’interlocution, où se
situe la troisième personne, objet du discours qu’échangent les interlocuteurs, et auquel
on associe le couple adverbial lì / là. Les deux espaces, en réalité il s’agit de deux sous-
espaces, sont délimités avec précision.
L’interlocution est associée à un espace dont la frontière est concrétisée par les
positions que le locuteur (l’io) et l’interlocuteur (le tu) occupent respectivement dans le
champ d’indication du langage (au sein duquel se situe la sphère dialogale). Au-delà de
cette limite, s’ouvre l’espace hors interlocution, où se situe la troisième personne qui
reste cependant repérable au sein du champ de perception ou du moins saisissable dans
une certaine mesure au-delà d’une certaine limite :

[…] En italien contemporain, le système des démonstratifs est devenu binaire et organisé autour
du couple en dialogue que le locuteur a tendance à résoudre à sa propre personne : questo/quello ne
représente plus qu’une opposition spatiale près/loin […]430

Dans la sphère d’interlocution du couple dialogal, chaque objet indiqué se trouve


en relation avec le locuteur, ou mieux, avec la « position » que ce dernier occupe dans le

disposition traditionnelle des déictiques en italien ancien (ternaire) et moderne (binaire), aussi parce que,
entre autres, elle ne tient pas compte, d’une part, du démonstratif ipse, et d’autre part, de ses issues : c’est-
à-dire les termes d’indication utilisés dans divers dialectes italiens et liés au pronom personnel et
démonstratif esso. Il suffit de penser aux composés de ECCU + IPSE / IPSU, dans les dialectes
méridionaux, comme par exemple en sarde (cussu, ecussu, icussu, igussu : codesto), en corse, quessu,
quissu, quessi, quissi, ou en sicilien où apparaissent les formes kissa, kissu, kissi, *ssi, *ssu, issu, issa, issi
(tous dérivés de esso, avec pour fonction de rappeler quelqu’un ou quelque chose exprimé(e)
précédemment ou, justement comme le latin ille, d’indiquer quelqu’un d’immédiatement présent ou
repérable au sein du champ d’indication). Nous signalons aussi les formes chisso, chesso, chissa du
dialecte de Campanie ancien, puis éclipsées en faveur de la forme chisto [ECCU + ISTE / ISTU].
Pour finir, nous envisageons la forme desso, [id ipsu(m)] « esso stesso », pour renvoyer à un pronom
démonstratif d’emploi littéraire. D’ailleurs, la fonction déictique du pronom esso se réalise pleinement
justement quand il est utilisé comme anaphorique ou anamnestique. Nous renvoyons au III, § 5.
430
Saffi 2010, Op. Cit., p. 32.

214
champ perceptif. Cette sphère dialogale est l’espace privilégié où la fonction déictique
des démonstratifs se déploie. La dénomination générale « sphère dialogale » fait
allusion à un sous-espace où le dialogue se produit, sous-espace qui, à son tour, se
trouve dans l’espace perceptif du locuteur et dont le fondement psychologique repose
sur les notions bühleriennes de « contexte » et de « champ », selon l’emploi des
déictiques :

[Questo/quello] […] Ce n’est plus la distance spatiale qui en est directement le support, mais la
distance entre la réalité et le discours qui en est fait […] Dans les deux cas les informations spatiales sont
soumises à une interprétation contextuelle.431

L’évolution du système des déictique au fil du temps, depuis l’indoeuropéen


jusqu’au latin puis aux langues romanes, d’un point de vue sémantique, s’est poursuivie
à notre avis sur la voie de la représentation d’un unique espace généralisé. La fonction
des démonstratifs a continué à être celle d’indication du langage humain : identifier
clairement la position de l’émetteur et du récepteur dans le champ d’indication, sans
aucune prétention à établir les limites d’une distance physiquement relevable qui soit
basée sur les paramètres près / loin.
La fonction que nous venons de décrire, permet en soi, de sortir d’une
sémantique corrélée aux personnes grammaticales. Les positions du io, du tu et du lui,
dans le champ d’indication, ne repose pas toujours sur la correspondance directe avec le
référent spatial indiqué par les démonstratifs questo ou quello.
Nous avons déjà démontré qu’il existe des circonstances dans lesquelles la
valeur sémantique et la fonction des démonstratifs ne coïncident pas toujours.432
Comme nous l’avons exposé, de l’italien ancien à l’italien contemporain, on
431
Op. Cit., p. 33.
432
Cf., supra, §§ 2-3.
En effet, la dyscrasie entre personne grammaticale et point de vue du locuteur / interlocuteur semble
vouloir rendre compte de cette représentation générale de l’espace liée à l’emploi des démonstratifs. Un
exemple pourra clarifier notre position. Il s’agit d’une situation d’énonciation à laquelle nous avons été
confronté (et qui sait combien de fois chacun de nous!). Durant une discussion à trois, entre collègues
universitaires, il nous arriva d’avoir une dispute avec un de nos interlocuteurs. Lorsqu’il s’est éloigné de
notre champ de perception, nous nous sommes exclamé devant les deux autres collègues : « Secondo me,
questo è fuori di testa! » [À mon avis, il est fou celui-là!], (l’absence de contexte extralinguistique ne
permet pas de saisir dans toute son emphase le sens péjoratif du déictique questo). Dans une situation
linguistique concrète comme celle que nous venons de décrire, les concepts de personne grammaticale et
de distance paraissent absolument inopportuns pour décrire le mécanisme déictique qui naît de l’emploi
du terme d’indication questo. Le déictique est ici utilisé à tous les effets comme un pronom de rappel
(emploi anaphorique).

215
observe le passage d’une tripartition de l’espace à un système binaire (étant donné
l’organisation classique ternaire du système latin). De l’ancien français (cist, cil) au
français moderne, on constate par contre le passage d’un système binaire à un système
fortement autoréférentiel, centré sur une généralisation de l’espace du locuteur.
Dans ce cas aussi, il s’agit d’un mécanisme déictique indifférent aux concepts de
proximité et d’éloignement, chargé d’indiquer tout ce qui se trouve dans l’espace de
l’émetteur par rapport à la position qu’il y occupe :

De l’ancien italien à l’italien contemporain, on observe le passage d’une tripartition de l’espace à


une bipartition. De l’ancien français (cist, cil) au français moderne, on constate la disparition de la
bipartition au profit de la référence au seul locuteur. L’évolution des démonstratifs de forme composée
qui mène aux démonstratifs italiens et français, reflète la naissance de la personne en tant qu’individu,
d’un moi fort, après la fusion des personnes de rang […]433

Ce qui change d’une langue à l’autre est la façon de représenter l’espace, en ce


qui concerne l’emploi des démonstratifs dans une situation d’énonciation concrète. Si
nous voulions le dire en utilisant le langage des mathématiques, nous dirions que même
en changeant l’ordre des termes d’une addition, le résultat ne change pas, c’est-à-dire la
représentation d’un unique espace généralisé lié aux termes d’indication.
Nous nous servons encore de la pensée de Saffi, dont nous rapportons ci-après
une paraphrase personnelle, pour conclure le discours entrepris dans ce paragraphe.
Donc, l’italien contemporain oppose deux espaces, l’un de l’interlocution (où il
faut placer les couples io et tu et qui/qua) et l’autre hors interlocution (où il faut situer la
troisième personne, objet du discours des interlocuteurs, et le couple lì/là). Les deux
espaces sont circonscrits.434
L’interlocution est associée à un espace de proximité délimité par
l’interlocuteur435, au-delà de cette limite s’ouvre l’espace lointain hors interlocution. La

433
Saffi 2010, Op. Cit., p. 34.
434
Op. Cit., p. 32.
435
Il faut être attentifs à ne pas se méprendre sur le passage suivant : il ne s’agit pas en soi de distance
physique entre locuteur et interlocuteur, mais bien de tout ce qui se trouve dans l’espace du locuteur, dont
les limites (les frontières de la sphère dialogale) coïncident avec les positions (les deux points limites du
couple dialogal) que l’io et le tu occupent dans le champ de perception (ou d’indication du langage).
Au-delà de l’espace dialogal où se déroule l’interaction linguistique, se situe une troisième personne
(non pas grammaticalement parlant mais dans le sens physique) hors de l’inter-locution mais repérable,
ou saisissable au sein du champ d’indication où sont situés les acteurs linguistiques (c’est comme si l’on
créait deux sous-espaces : une sphère dialogale au sein d’un champ de perception).

216
sphère d’interlocution du couple dialogal est le lieu privilégié des rapports fusionnels
avec les objets et les personnes qui s’y trouvent.436 La sphère étendue de la personne en
italien comporte des conséquences sémiologiques. Dans cette langue, on peut noter une
préférence pour la relation fusionnelle avec le lieu, entre autres à travers l’emploi de la
préposition in associée à une symbiose (in cucina, in ufficio).
Au contraire, en français, langue dans laquelle la sphère de la personne se réduit
aux seules limites du corps, on peut noter une préférence pour la relation externe avec le
lieu, à travers la préposition à associée à un mouvement prospectif jusqu’à un point
limite, et la préposition dans associée à un mouvement d’introduction dans un espace
délimité (à la cuisine, dans la cuisine, au bureau).437
Historiquement, se développe une évolution de la conception de la personne et
de son espace, qui voit d’abord, du latin au roman, la réduction des variétés d’espaces
concevables en fonction du déplacement, et l’apparition du pointage de la personne du
locuteur.
Ce recentrage sur la personne s’accompagne d’un recyclage de la conception
dynamique latine du lieu (dove sono vs. da dove passo) en une conception statique
romane (ponctuel vs. étendu) à travers l’opposition vocalique -i/-a, qui semble affirmer
toutefois, en une sorte de continuité diachronique, la centralité d’un unique espace
généralisé, depuis toujours lié à la fonction déictique des démonstratifs d’indication
générale du langage humain.438
Le français est allé plus loin : il a quasiment éliminé le critère spatial de son
démonstratif qui n’apparait plus qu’en sandhi, et il a généralisé la conception statique
de l’espace (ponctuel vs. étendu) puisque l’adverbe là de l’espace étendu couvre
entièrement le champ de la proximité à l’éloignement (fr. Il est là! = it. È qua!), et que
l’adverbe ici de l’espace ponctuel représente seulement un espace défini par le locuteur.
Le système des démonstratifs français confirme la tendance de ces termes
d’indications à reposer sur des opérations de pensée suffisamment généralisantes pour
que le locuteur puisse faire abstraction de la distance, dans la perception qu’il se donne
de l’espace, sans pour autant faire abstraction de la position qu’il y occupe.439

436
Ibidem.
437
Op. Cit., p. 9.
438
Op. Cit., pp. 41-42.
439
Ibidem et svtes.

217
§ 5. Glose de clôture. Sur la fonction déictique du pronom esso
(continuateur de ipse).

La fonction déictique de esso fait depuis toujours l’objet de débats. Elle n’est pas
toujours reconnue par une grammaire traditionnelle qui, le plus souvent, suggère
qu’esso possède une nature de pronom personnel séparée de sa fonction d’indication.
Notre conviction – ferme voire confinant à l’obstination – est qu’il faut attribuer la
même véritable nature de déictique à tous les pronoms et adjectifs (excepté les adjectifs
qualificatifs). La vraie nature des pronoms est de servir d’éléments d’un énoncé qui
renvoie à la situation (spatiale, temporelle etc.) ou au sujet parlant. La nature déictique
des pronoms, quel que soit leur genre d’appartenance, se manifeste dans leur
dépendance à l’instance d’énonciation, du discours : ils jouent le rôle d’embrayeurs de
l’énoncé dans une situation donnée.
Nous restons pour le moment dans les limites de notre raisonnement, et nous
renvoyons à un autre moment toute discussion sur la nature déictique des pronoms.
Nous parlions de esso. D’un point de vue étymologique il dérive du latin ǐpsu(m), « esso
stesso » (“lui-même”), et il sert à rappeler un nom précédemment exprimé,
spécialement d’animal ou de chose, plus rarement de personne, sauf les formes
plurielles essi, esse qui remplacent normalement les pronoms désuets eglino, elleno
(pluriels de egli).
Il peut avoir la fonction sujet et complément (essi credono [ils croient] ; qualcuna di
esse [l’une d’elles]) comme par exemple in Dante, com’om che torna a la perduta
strada, che ’nfino ad essa li pare ire in vano « comme on retourne à son chemin perdu,
ayant cru jusque là marcher en vain440 » (Purgatorio, I, vv. 119-120). Dans le langage
administratif chi per esso (mais aujourd’hui plus communément chi per lui), celui qui
fait office de, qui remplace, qui tient lieu de : il titolare o chi per esso [le titulaire ou son
représentant] ; la giustificazione dev’essere firmata dai genitori o da chi per essi
[l’attestation doit être signée par les parents ou par le responsable légal].
Les fonctions de pronom personnel et de démonstratif de esso, et, plus rarement,
celle d’adjectif démonstratif, sont déjà attestées dans la Vita Nuova, dans les Rime, dans
440
[Dante, œuvres complètes, traduction nouvelle revue et corrigée de Christian Bec (dir.), La
Pochothèque, Le livre de Poche, Paris, 1996, p. 744].

218
le Fiore, mais surtout dans le Convivio et dans la Commedia. La plus grande fréquence
de esso, depuis le XIVème siècle (Trecento) est en lien avec son emploi plus diffusé
comme sujet de proposition ou comme adjectif, dans une reprise substantielle et
consciente de l'emploi, surtout scolaire, du latin ipse.
Avec la fonction de pronom, esso est un allomorphe du pronom anaphorique de
troisième personne, qui réfère indifféremment à une personne ou à une chose. Sa
fonction déictique se manifeste principalement dans sa fonction de pronom de rappel,
chargé de rappeler quelqu’un ou quelque chose qui vient d’être nommé(e). Esso peut
donc à tous les effets être considéré comme un démonstratif, parce qu’il a la capacité de
conserver sa puissance d’indication au sein du texte. Sic, par exemple, dans la Vita
Nuova (XXII, 6, v. 2.1) :

[…] Appresso costoro passaro altre donne, che veniano dicendo: « questi ch’è qui piange né più
né meno come se l’avesse veduta, come noi avemo ». Altre dipoi diceano di me: « vedi questi che non
pare esso, tal è divenuto! » […].441

Dans ce cas, esso est utilisé avec la fonction d’indiquer et de rappeler quelqu’un
de repérable dans le champ d’indication où se trouve le point d’origine de l’échange
communicationnel ([…] e però dimorando ancora nel medesimo luogo, donne anche
passaro presso di me […], « aussi, demeurant encore en ce même lieu, des dames
passèrent auprès de moi »442) : questi / esso, bien qu’occupant le même champ de
perception des acteurs du dialogue, est situé dans un espace hors inter-locution par
rapport au groupe dialogal.
Venant également conforter notre démonstration, le fait qu’on utilise dans cette
circonstance esso dans un emploi anaphorique, pour rappeler quelqu’un initialement
indiqué par un déictique dit de proximité (questi, près de celui qui écoute), mais qui
devrait au contraire être désigner par quello (« non pare più lui perché è diventato
tale »), c’est-à-dire par le démonstratif d’ « éloignement » (par rapport à celui qui parle

441
[…] « Après celles-ci passèrent d’autres dames, qui s’en venaient disant : « Celui que voici pleure
comme s’il avait vue, tout comme nous l’avons vue. « Puis d’autres disaient de moi : « Vois cet homme
qui ne paraît plus lui-même, tel qu’il est devenu ». [Dante, œuvres complètes, traduction nouvelle revue et
corrigée de Christian Bec (dir.), La Pochothèque, Le livre de Poche, Paris, 1996, p. 54].
Voici le texte paraphrasé en italien : « altre donne, al seguito di queste, passavano e commentavano :
« Costui piange comme se l’avesse vista, proprio come noi abbiamo visto lei. « E delle altre, dicevano di
me : « vedi quell’uomo, non sembra più lui, lacerato da un tale strazio» [notre paraphrase].
442
Ibidem.

219
et celui qui écoute : […] e così passando queste donne, udio parole di lei e di me in
questo modo che detto è […] « à leur passage j’entendis d’elle et de moi les paroles que
j’ai dites […] » 443 ), s’agissant d’une troisième personne située hors de la sphère
dialogale, par rapport aux interlocuteurs principaux.444
La déixis anaphorique qui prend son origine dans ce cas dans l’emploi déictique
de esso, en premier lieu, n’a pas en soi d’implications de distance dans le contexte
global du discours (tant il est vrai que si nous n’insérons pas esso dans le tout
sémiotique dont il fait partie, nous ne réussissons pas à comprendre sa fonction), aussi
parce que l’emploi de questi ne renvoie pas comme le ferait costui à une istic-déixis
(« là près de toi »), l’échange verbal advenant en réalité « ici près de nous, par rapport à
lui », relativement à la position du locuteur et de l’interlocuteur (le groupe des femmes :
(« […] appresso costoro passaro altre donne [...] ») au sein du champ d’indication par
rapport à la troisième personne445.
Aucune corrélation avec une distance physique dépendant des variables près /
loin : il s’agit, en effet, d’indiquer tout ce qui se trouve dans l’espace où advient
l’interaction verbale :

[…] « La déixis-là [dèr-deixis/questo-deissi] conduit du locuteur vers l’image visuelle


[Anschauungsbild] sans prendre en considération la proximité ou l’éloignement de l’objet auquel il est
fait référence. En ligne droite elle atteint aussi de manière naturelle celui à qui les propos du locuteur sont
adressés lorsque ce dernier est tourné vers lui. Cet emploi des démonstratifs de type là s’explique donc
aisément » […] Ceci est censé expliquer le fait historique qu’on ne trouve pas de pronom qui, depuis
l’époque proto-indo-européenne, aurait « servi exclusivement ou majoritairement à la déixis-iste, c’est-à-

443
Ibidem.
444
Le démonstratif questi, dans son emploi littéraire est utilisé avec une fonction de sujet exclusivement
et il indique une personne présente ou dont on vient de parler. Ce démonstratif renvoie en outre aux
synonymes costui et quello, employés respectivement, selon la communis opinio, pour indiquer une
personne proche de celui qui écoute et une personne éloignée de celui qui parle et de celui qui écoute
(Grande Dizionario Italiano dell’Uso, GRADIT, Torino, Utet, 1999). On comprend déjà à partir de la
sémantique qui sous-tend ce démonstratif (corrélée à la catégorie d’un espace général dépendant et relatif
à la variable de « position »), la volonté du Poète de réussir à immerger le lecteur au sein de l’action de
communication, comme s’il voulait le situer dans le contexte où lui-même se trouve. Il n’y a aucune
intention, à notre avis, de donner une représentation de l’espace lié à une proximité ou un éloignement
entre les participants linguistiques. Ce qui intéresse Dante, c’est de situer ex abrupto son public de
lecteurs au sein de l’action, en soulignant qu’il est bien présent dans cet espace généralisé et partagé avec
un locuteur et un interlocuteur.
445
Cet exemple d’emploi de questi et esso illustre la prochaine disparition de codesto qui cède sous la
concurrence de questo, alors que esso résiste encore, mais finira par céder à la concurrence de quello, ce
dernier subissant la concurrence de questo en néostandard.

220
dire à faire référence à la personne de celui à qui on s’adresse, et à sa sphère » […] 446

Pouvons-nous établir qu’esso se trouve effectivement près ou loin par rapport au


couple (le groupe, en réalité) dialogal? On peut certainement affirmer qu’il se trouve
dans un unique espace généralisé partagé avec les autres acteurs du dialogue.
Analysons cet autre passage (Enfer, XVII, entre le septième et le huitième cercle
où sont relégués les Violents) :447

Ma esso, ch'altra volta mi sovvenne


ad altro forse, tosto ch'i' montai
con le braccia m'avvinse e mi sostenne (94-96)

Esso est ici utilisé avec la fonction de sujet de proposition, et sa fonction de


pronom de rappel s’exprime pleinement. Il agit en tant qu’anaphorique (i' m'assettai in
su quelle spallacce: sì volli dir, ma la voce non venne com'io credetti: fa che tu
m'abbracce, « je m’assis donc sur la hideuse échine et voulus dire – mais la voix ne vint
pas comme je croyais : - serre-moi fort »448) apte à rappeler quelqu’un qui vient d’être
nommé [tu]. Ce n’est pas le tu qui s’érige ici en centre déictique, mais le contexte global
du discours, grâce à un mouvement de pensée généralisant (de la partie vers le tout : un
mouvement qui part de esso vers le tu et remonte jusqu’au vers 79 du chant où il y a la
référence directe à Virgile : « trova' il duca mio ch'era salito già su la groppa del fiero
animale, e disse a me: « Or sie forte e ardito […] », « je trouvai mon seigneur déjà en
croupe sur l’animal farouche : ici, sois fort et hardi, me dit-il »449). Dans ce cas aussi, il
s’agit de déixis anaphorique et elle ne présente aucune corrélation avec un espace

446
Bühler 1934; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 197. Nous ajoutons les italiques entre crochet.
Même si nous utilisions le démonstratif dit d’éloignement « quello » comme synonyme de questi, au lieu
de costui auquel se réfère la dér-deixis (« vedi quell’uomo [là], non sembra più lui, lacerato da un
tale strazio »), il en naîtrait quoi qu’il en soit une représentation générale de l’espace : « […] l’appellation
jener-deixis [déixis-là-bas] est conventionnelle en ce qu’elle désigne un mécanisme général […] En
emploi anaphorique, le fonctionnement du couple jener/dieser est du reste tout à fait analogue à celui de
l’anglais the former/the latter. Wackernagel, dont Bühler emploie également la terminologie, parle dans
le même contexte de ille-deixis » [Samain in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 630].
447
« Et lui qui avait su m’ôter naguère d’autres périls, sitôt que je montai, m’entoura de ses bras et me
soutint » [Dante, œuvres complètes, traduction nouvelle revue et corrigée de Christian Bec (dir.), La
Pochothèque, Le livre de Poche, Paris, 1996, p. 667].
Notre paraphrase en italien contemporain : « Ma egli [Virgilio] lesse il mio pensiero come altre volte
aveva fatto, e quando io fui accanto a lui, con le braccia mi avvinse e mi sostenne ».
448
Notre paraphrase en italien contemporain : « Io mi sedetti sulle spalle di Gerione, credetti di poter dire
al maestro di abbracciarmi, ma la voce non venne » [ibidem].
449
Op. Cit., p. 666.

221
dépendant du paramètre de distance. Le mécanisme déictique peut avoir lieu dans ce cas
(comme dans tous les cas où les démonstratifs se prêtent à un emploi anaphorique)
parce que le champ symbolique du langage et le champ déictique agissent
simultanément.
Voilà un autre exemple de déixis anaphorique (Purgatoire, XVII, troisième
cercle, où sont damnés les Colériques), avec un emploi définitoire de esso :

« […] Ancisa t'hai per non perder Lavina;


or m'hai perduta! Io son essa che lutto,
madre, a la tua pria ch'a l'altrui ruina » (36-38) 450

Dans certains cas esso non seulement rappel ou remplace un substantif


précédent, mais aussi l’identifie, le détermine et le définit, en l’opposant à un autre.
Cela advient, par exemple, quand esso calque le latin ipse, et est utilisé avec une valeur
de démonstratif et d’identificateur : « Dio è segnore: esso fece noi e non essi noi »
« Dieu est seigneur : c’est lui qui nous fit et non pas nous-mêmes451 » (Convivio, III, IV,
8). La phrase reprend fidèlement dans la traduction le texte latin d’où elle est tirée
(Psaume, 99, 3) : « Scitote quoniam Dominus ipse est Deus ipse fecit nos et non ipsi nos
populus eius et oves pascuae eius ».
Ainsi, déjà depuis l’emploi de esso chez Dante, avec une fonction de pronom et
d’adjectif, la conservation de la valeur d’identificateur et de démonstratif du latin ipse
est perceptible (dans la structure d’adjectif transformé en article hautement définitoire),
tout comme l'innovation qui nivelle les fonctions à l’origine anaphorico-démonstratives,
présentes dans l’usage scolaire fréquent de ipse.
Dans les différents textes, on remarque la prédominance de l’une ou de l’autre
valeur : notamment dans la prose du Convivio dont les sources et la structure sont sous
l’égide de modèles latins précédents et contemporains (par exemple, la présence
dominante de Boèce pour « La consolation de la philosophie », de Cicérone pour le

450
« Tu t’es tuée pour sauver Lavinie, mais tu m’as bien perdue : c’est moi qui pleure ta perte, mère,
avant celle d’un autre » [Dante, œuvres complètes, traduction nouvelle revue et corrigée de Christian Bec
(dir.), La Pochothèque, Le livre de Poche, Paris, 1996, p. 810].
Notre paraphrase en italien contemporain « Ti sei uccisa per non perdere Lavinia, e ora l'hai persa! Io son
Lavinia in lutto, o madre, prima per la rovina della tua anima suicida e poi per quella degli altri »: [notre
paraphrase].
451
Op. Cit., p. 261.

222
« Laelius de amicitia », Sénèque « inclitissimo philosophorum » pour le « De
beneficiis », les « Epistulae morales ad Lucilium » et les « Naturales questiones », et
Brunetto Latini pour la « Rettorica », traduction et commentaire en vulgaire du « De
inventione » cicéronien).

223
« […] Bien souvent nous appréhendons les ensembles
avant même de discerner leurs parties
si tant est que nous les discernions jamais.
Il se trouve en effet que nous lisons très bien,
sans pour autant individualiser chaque mot,
a fortiori toutes les lettres ; nous écoutons
aussi des mélodies, sans pour autant en détacher
chaque note ; et nous reconnaissons bien
tel ou tel regard, ironique ou engageant,
sans pour autant noter la couleur des yeux,
que nous serions bien incapables d’évoquer. […]
Nous affirmerons ensuite que les formes,
c’est-à-dire les unités organisant les champs perceptifs,
ne sont pas moins immédiatement données
que leurs parties ».
[Rosenthal, Visetti, 2003, 65-66]

Chapitre IV

Les démonstratifs et leurs issues en italien : vers la suprématie du tout


sémiotique et d’une théorie des deux champs du langage.

§ 1. La suprématie du tout sémiotique sur les parties.


§ 2. Le Graphic Novel comme dynamique de la théorie des deux champs du langage:
représentation sémiologique de l’espace.
§ 3. Graphic Novel, contextes et moments de champ : vers un mouvement
généralisant de la pensée dans l’interprétation du sens.
§ 4. Actualité de Bühler : la déixis anaphorique et la déixis à l’imaginaire comme
précurseurs ante litteram des notions d’exophore et d’endophore.

224
§ 1. La suprématie du tout sémiotique sur les parties.

Comme nous l’avons déjà annoncé dans l’introduction de notre exposé452, le but
de cette deuxième partie (III, IV) est de démontrer l’indissoluble lien entre physionomie
acoustique, dimension symbolique et dimension déictique du langage.
La thèse de laquelle nous partons, et nous le soulignons encore 453 , est la
suivante : un tout sémiotiquement bien formé, résultant de la synergie entre champ
symbolique et champ déictique du langage, est pleinement reconnu et déchiffré.
Nous fournirons une nouvelle preuve, dans ce quatrième et dernier chapitre, de
la dynamique des deux champs, et des conséquences des modifications de leurs
interactions, afin de confirmer la primauté du visage phonique et du tout sémiotique par
rapport aux parties qui le composent.
Pour qu’aucun doute ne subsiste, chez le lecteur quant aux principes théoriques
de cette partie expérimentale de notre thèse, il faut rappeler les fondements
psychologiques qui président à l’emploi des démonstratifs et la représentation de
l’espace qui en est liée, qui provient du fait que les locuteurs les utilisent dans un acte
de parole.
Nous avons déjà abordé les démonstratifs mais il est opportun d’anticiper le fait
que, d’après nous, on doit considérer et compter parmi les déictiques tous les pronoms
et adjectifs, sauf les qualitatifs (qui spécifient la qualité, la façon d’être ou un aspect de
la personne, de l’objet, de l’idée abstraite, indiqués par le substantif auquel l’adjectif se
réfère, comme beau ou laid, bon ou méchant, grand ou bas, utile ou inutile, vert, rouge,
rond, fertile, raide, serein, effrayant, etc.).
Bühler approfondit la réflexion sur leur définition :

[…] Finalement si on examine séparément toutes les classes particulières qui se trouvent
intégrées sous le concept générique de « pronoms » chez Brugmann et Delbrück, on y trouve toujours
affirmé quelque part qu’ils ont un jour été des termes déictiques ou qu’ils le sont encore incidemment.
[…] Finalement le théoricien cherche les points de vue organisateurs décisifs sur l’ensemble de la classe
des « pronoms » et trouve des propos et trouve des propos qu’il ne peut accepter sans contestation :

452
Cf., supra, « Introduction ».
453
Cf., supra, II, § 4, et III, §§ 1, 4.

225
Les pronoms se divisent d’abord en deux groupes principaux. I. Les pronoms démonstratifs et interrogatifs
ainsi que le relatif et l’indéfini, qui indiquent quelque concept par procuration. L’élément principal de ce groupe est
formé par les pronoms démonstratifs, qui font partie des éléments les plus anciens de chaque langue. 2. Les pronoms
personnels et possessifs, qui possèdent le concept de personne comme leur base indépendante. Ils désignent les
personnes de l’interlocution, le je et le tu, nous et vous et ce qu’on appelle les troisièmes personnes, auxquelles le
discours se rapporte. L’appellation traditionnelle de possessif est trop étroite, car d’autres relations en dehors de la
possession sont exprimées par ces formes adjectivales […] [Brugmann-Delbrück in Bühler, 1911, 302 sq.]

[…] Il ne faut pas accorder une importance excessive aux classifications. Cela étant, les
définitions que j’ai soulignées contiennent ou cachent un point mal clarifié d’une grande portée, sur
lequel le logicien ne peut se permettre de passer à la légère. Les historiens de la langue ne pouvaient pas
ne pas remarquer l’étroite parenté des deux groupes. […] Les démonstratifs ne sont pas originairement, et
d’après leur fonction, des signes de concepts, ni directement ni par procuration, ce sont, comme leur nom
l’indique justement, des termes de monstration, des déictiques, et ceci est tout autre chose que les
véritables signes de concepts, à savoir les dénominatifs. Les pronoms personnels sont eux aussi des
déictiques, d’où la parenté entre les deux groupes. Il faut choisir le critère déictique comme trait distinctif
du concept générique. De cette façon toute une série d’inconséquences terminologiques disparaîtront de la
454
terminologie des grammairiens, et le système naturel intégral des termes déictiques deviendra visible.

Mais, sur ce sujet, nous reviendrons. En ce qui concerne les démonstratifs en


particulier, nous avons fait une reconstruction étymologique de l’indoeuropéen, par la
méthode comparative, au fil des siècles jusqu’à nos jours.455
Ce long excursus dans le temps, sur l’axe de la diachronie d’abord, et de la
synchronie ensuite, (nous allons examiner la fonction des démonstratifs dans des bandes
dessinées italiennes contemporaines), permet de comprendre, ou au moins de supposer,
que l’emploi des mots déictiques, selon notre conception, est à mettre en relation avec
une représentation générale de l’espace : aucune corrélation en soi avec le paramètre de
la distance et avec les variables proche/loin ni avec, du moins, pas toujours, la personne
grammaticale.

454
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 221-222.
La question sur la nature déictique de tous les pronoms, sauf les qualitatifs, naît pendant l’élaboration de
ce travail et après une attentive, et fructueuse, réflexion sur les valeurs sémantiques et fonctionnelles des
démonstratifs.
Un remerciement particulier va au Professeur Andrea Cucchiarelli (Université de Rome 1 « La
Sapienza »), mon maître et éminent latiniste, appartenant à l’école du Professeur Gian Biagio Conte, et au
Professeur Franco Cavazza (Université Alma mater de Bologne), chercheur de grammaire comparée des
langues indoeuropéennes, pour les précieux conseils sur la fonction pragmatique des démonstratifs et des
tous les pronoms, en général, mais aussi pour avoir encouragé la suite de nos recherches.
455
Cf., supra, III, § 2 et svtes.

226
D’un point de vue pragmatique, ce mouvement généralisant de la pensée qui
provient de l’emploi des démonstratifs pendant un acte de langage concret, duquel
dérive une représentation générale de l’espace, est à considérer en soi comme un grand
exemple d’une motivation linguistique. En effet, on peut considérer ce mouvement de
pensée en tant qu’universel linguistique qui prévoit une construction de l’espace au sein
de laquelle sont déterminées les positions de l’émetteur et du récepteur, et qui envahit
de façon transversale le langage humain considéré pour lui-même et en lui-même.
Mais il faut établir que tous les signes d’une langue exigent un champ
symbolique et un champ déictique.
D’après nous, donc, il faudrait partir de la fonction principale des démonstratifs :
« indiquer » au moyen du langage humain et « mettre en relief », à travers la fonction
déictique, le moment social du langage humain.
Les termes déictiques ont la fonction de repérer les positions de l’émetteur et du
récepteur dans le champ déictique du langage. Nous avons essayé de démontrer qu’il
s’agit d’un mécanisme en soi indifférent au paramètre de la distance et qui vise à
indiquer tout ce qui se trouve dans l’espace du locuteur.456
Nous avons eu l’occasion de vérifier que l’emploi des démonstratifs, dans
plusieurs situations de communication, met en lumière des discordances entre leur
valeur sémantique et leur valeur fonctionnelle. Par là, nous voulons souligner que la
représentation de l’espace liée aux personnes verbales auxquelles les démonstratifs de
première (hic/questo, locuteur), deuxième (iste/codesto, interlocuteur) et troisième
(ille/quello, « l’absent ») personne sont génériquement liés, ne coïncide pas souvent
avec un emploi des démonstratifs qui n’a rien à voir ni avec la conception d’un espace
bien délimitable et corrélée à des limites physiques, identifiables avec les paramètres
près/loin, ni avec une correspondance directe aux trois personnes grammaticales.
Cette condition en particulier se vérifie quand un terme déictique se prête à
chaque emploi anaphorique possible. La fonction de rappel (ou de renvoi) qu’il exerce
pendant un échange verbal, prévoit que le contexte se comporte en champ déictique.
Cela est possible car un démonstratif peut maintenir, dans la phrase, une force indicative
interne :

456
Cf., supra, III, § 2.

227
[…] Mais nous devons d’abord examiner les raisons de ceux qui ont contesté la spécificité de
l’anaphore. […] Notre résultat est que c’est le contexte lui-même qui est transformé en champ déictique
dans l’anaphore. […] Car la déixis à l’imaginaire présuppose exactement les mêmes conditions
psychologiques que la demonstratio ad oculos, et elle opère avec les mêmes auxiliaires déictiques
physiques. Mais la situation change dès l’instant qu’à la place d’une déixis de chose on a affaire à une
déixis syntaxique. Car le fondement psychologique de la déixis syntaxique est diffèrent de celui de la
déixis de chose, et les horizons de ce qu’on peut montrer (à quoi on peut faire référence) dans l’un et
l’autre cas se recoupent certes, mais ne sont aucunement identiques. […] L’anaphore est une déixis
réflexive, qui demande tout autant et tout aussi nettement qu’on la distingue de la déixis de chose
ordinaire qu’on différencie par exemple d’une meurtre ordinaire le fait de se tuer soi-même.457

Tous les démonstratifs peuvent être utilisés au besoin en tant que pronoms de
rappel. Quand cela arrive, c’est à la notion de contexte qu’il faut se référer :

[…] Cette dernière [l’anaphore] se distingue sur des points essentiels des deux autres modes de
la déixis [déixis à l’imaginaire et demonstratio ad oculos], et elle serait incompréhensible s’il n’existait
pas un second champ langagier à côté du champ déictique, à savoir un champ symbolique. On peut aussi
formuler cela en disant que l’anaphore apparaît précisément apte au plus haut degré à relier la déixis et la
représentation proprement dit. Il est préférable de la traiter après avoir exposé la théorie du champ
symbolique du langage […] Il deviendra alors clair que c’est le contexte de l’énoncé, tel qu’il se constitue
progressivement, qui fait lui-même office de champ déictique lorsque nous montrons anaphoriquement.
[…] Les deux champs du langage, le champ déictique (matériel) et le champ symbolique se
trouvent donc (si l’on peut dire) reliés par un troisième, à savoir par le champ déictique contextuel. Il me
paraît toutefois plus correct du point de vue logique de ne pas caractériser ce troisième champ comme un
nouveau champ, mais comme un sous-espèce de l’unique champ déictique.458

Quand ils se comportent comme déictiques, dans une situation donnée, dont la
force indicative est directement proportionnelle à l’idée d’un origo stable (à partir
duquel les coordonnées ego, hic et nunc se ramifient), c’est à la notion de champ
périphérique (umfeld) que l’on doit se référer. 459

[…] Les termes déictiques […] sont des symboles (et non pas seulement des signaux), un là et
un là-bas symbolisent, ils nomment un domaine, ils nomment pour ainsi dire le lieu géométrique, c’est-à-
dire un domaine situé autour de chaque locuteur respectivement, dans lequel ce à quoi il est fait référence

457
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 561-562.
458
Op. Cit., p. 229.
459
Cf., supra, III, § 2.

228
peut être trouvé. – Tout comme le mot aujourd’hui nomme de fait l’ensemble de tous les jours auxquels
on peut le prononcer et le mot je tous les émetteurs possibles de tous les messages possibles, et le mot tu
la classe des récepteurs comme tels. Il demeure cependant une différence entre ces mots et les autres
termes dénominatifs du langage ; différence qui réside en qu’ils attendent au cas par cas leur précision de
signification dans le champ déictique de la langue, et dans ce que le champ déictique est susceptible
d’offrir aux sens.460

Par conséquent, d’après nous, l’emploi des démonstratifs est lié à une
représentation générale de l’espace qui repose autant sur une idée sémantique-
référentielle (c’est-à-dire espace et personne grammaticale), où la fonction déictique des
démonstratifs s’accomplit dans un champ périphérique (perceptif) partagé par
l’émetteur et le récepteur, où les termes déictiques agissent comme agents connecteurs
égocentrés, (à savoir en tant que déictiques liés à un origo, stable dans sa variabilité,
phénoménique, à partir de laquelle les coordonnées je, ici et maintenant se ramifient),
que sur une vision spatiale contextuelle, en se comportant comme agents connecteurs
non égocentrés (comme des termes déictiques internes, où ils ont la fonction d’agents
de rappel ou de renvoi).461
Dans ce quatrième et dernier chapitre, nous avons pour but de consolider ce que
nous venons d’énoncer, afin de mettre en lumière quelle est la nature pragmatique des
démonstratifs.
Nous passerons en revue des corpora ayant pour objet quelques romans
graphiques italiens, à travers lesquels nous essayerons de vérifier empiriquement que la
perception, la compréhension et la décodification d’un message verbal se réalisent de
façon holistique. Il prend de la valeur et de la consistance seulement lorsqu’il est inséré
dans une physionomie globale sur laquelle les deux champs du langage agissent en
synergie.
C’est que nous voulons souligner avec ce travail, c’est-à-dire l’idée d’une
dimension gestaltique des unités linguistiques, et la formulation d’une théorie des deux
champs.
Bref, vers la primauté du tout sémiotique. On en donne un exemple, avant de
passer en revue les corpora sur lesquels on a travaillé.
Prenons la planche qui caractérise cette interaction verbale, tirée d’un des trois
460
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 188.
461
Cf., supra, III, § 2.

229
romans graphiques examinés, Porto Marghera de Claudio Calia : 462

(Porto Marghera, p. 36)

Voici la transcription du dialogue :

- Non possiamo garantire il Mac Zero, quindi -


- Quindi dobbiamo convincere il NIOSH che siamo sinceramente preoccupati dei risultati dei primi studi
sugli animali -
- Ma quali primi studi? Se è dall’anno scorso che il gruppo europeo ci ha informati dei tumori !? -
- Il rapporto del dottor Maltoni lo avete visto tutti -
- No ?-
- Quelli del NIOSH nemmeno sanno chi sia il professor Cesare Maltoni. Molti Americani non sanno
nemmeno dove sia l’Europa, figuriamoci l’Italia, poi. Secondo me, nemmeno tra gli addetti ai lavori si sa

462
Claudio Calia, Porto Marghera, la legge non è uguale per tuti. Cronaca a fumetti, Ponte di Piave,
Becco Giallo, 2007, p. 36.

230
con precisione che Maltoni sta conducendo per conto di Montedison e altre tre aziende europee alcuni
studi sul cloruro di vinile monomero. In ogni caso, sono pronto a scommettere che in America nessuno ha
mai sentito parlare di Maltoni. Gli unici a conoscenza degli studi italiani sono le persone sedute adesso a
questo tavolo -.

Dans la situation de communication que nous venons de présenter, on relève


l’emploi des démonstratifs quelli et questo, respectivement utilisés comme agent
connecteur non égocentré et agent connecteur égocentré (il s’agit en effet d’une
demonstratio ad oculos).
Dans le premier cas, l’emploi du démonstratif dit d’éloignement, quelli
(communément utilisé pour indiquer quelqu’un ou quelque chose d’éloigné par rapport
à celui qui parle ou celui qui écoute) est ici employé avec une fonction cataphorique (il
rentre donc dans la déixis anaphorique) avec le but précis d’anticiper l’élément qui lui
succède (« quelli del NIOSH […] »). Le paramètre de la distance ne semble pas
pertinent pour en expliquer la valeur fonctionnelle dans la phrase. En effet, dans cet
énoncé, il est employé pour indiquer quelqu’un qui, par rapport au couple dialogal pris
dans sa totalité, se trouve dans un espace en dehors de l’interlocution (qui implique une
conception externe du couple) et du champ perceptif, et qui est repérable dans le
contexte discursif.463
Le mécanisme mis en œuvre n’a rien à voir avec une distance physiquement
mesurable, et encore moins, avec l’indication de quelqu’un qui est loin. Dans ce cas,
quelli représente les absents (la référence à la troisième personne est donc exacte), non
joignables dans le champ d’indication, avec un emploi anaphorique et anamnestique du
démonstratif en question : il s’agit, en effet, d’indiquer quelqu’un de connu par les
acteurs linguistiques, quelqu’un qui est présent dans la conscience des interlocuteurs et
qu’ils arrivent à saisir dans l’énoncé, au-delà du fait qu’ils sont présents ici et
maintenant. La preuve en est qu’on arrive à en saisir la référence dans la phrase

463
Une précision à ce propos: on se réfère ici au fait que le démonstratif dit d’éloignement quello, est
employé en « fonction indexicale », et donc l’interprétation de l’énoncé en question est liée au contexte de
sa production, et change avec lui. En effet, le fondement psychologique sur lequel se base le terme
d’indication quello, employé dans le passage analysé, est quelque chose de repérable dans un contexte
discursif, à travers la rétention immédiate d’autres éléments linguistiques. Dans ce cas aussi, pour que le
lecteur saisisse la valeur sémantique du déictique en question (quello), il doit l’insérer dans une
physionomie globale, mettant en œuvre une opération qui s’appuie sur un mécanisme généralisant de la
pensée, qui le met face à une vision totalisante de l’espace discursif.

231
seulement parce que, dans ce cas là, c’est le contexte qui fait fonction d’ « origo », dans
une parfaite synergie entre la dimension symbolique et la dimension déictique du
langage.
En outre, si on retire quelli de son champ sympratique, (si on coupe la phrase où
il se trouve, de la conversation dont il fait partie, et donc de son contexte : « quelli del
NIOSH nemmeno sanno chi sia il professor Cesare Maltoni »), de son champ
synsémantique (si on coupe le mot quelli de la phrase dont il fait partie, c’est-à-dire de
son contexte), et de son champ symphysique (si on coupe la syllabe -li-, par exemple,
du mot dont elle fait partie: quel-li), on se rendra compte que les parties de matière
phonique ici considérée, n’ont aucune consistance linguistique et qu’elles en obtiennent
lorsqu’on reconstruit la physionomie globale dont elles font partie, le tout sémiotique
bien constitué, résultant de la parfaite synergie des deux champs du langage.464
Dans le deuxième des deux emplois, le démonstratif dit de proximité, questo, est
employé comme agent connecteur égocentré : dans ce cas, seul le paramètre de la
distance est adéquat pour en décrire le fonctionnement.
Comme nous l’avons déjà relevé, il s’agit d’une demonstratio ad oculos, utile
pour orienter sur l’émetteur le regard de ceux qui se trouvent assis autour de la table
(donc près du locuteur465).
En ce qui concerne la personne grammaticale, pas la première mais la troisième,
elle est ici représentée et évoquée (l’interlocuteur principal parle en effet à la troisième
personne).

464
La preuve a été déjà proposée ailleurs : cf., Federico Albano Leoni, Pietro Maturi, Per una verifica
pragmatica dei modelli fonologici, in Giovanni Gobber (dir.), La linguistica pragmatica, Bulzoni, Roma,
1992, pp. 39- 49.
465
En effet, dans ce cas spécifique, il est possible de déterminer les limites d’une distance qu’on peut
relever physiquement et d’affirmer que c’est la catégorie générale d’un espace dépendant du paramètre de
la distance (et liée aux variables près/loin) qui caractérise la sémantique du démonstratif questo. Mais la
perspective change, par exemple, si on imagine que les personnes de l’interaction verbale en question, se
trouvent et parlent entre elles en vidéoconférence : pourrait-on affirmer qu’elles se trouvent près de la
table ? Absolument pas. On peut simplement constater et individualiser leur position dans le champ
périphérique actif. Et donc, le déictique de proximité se transforme en un pronom duquel émerge une
représentation générale de l’espace (selon la position que le io ou le tu occupent dans le champ déictique
du langage). Alors se met en action, un mécanisme déictique qui indique tout ce qui se trouve dans
l’espace du locuteur et qui est indifférent en soi au paramètre de la distance.

232
§ 2. Le Graphic Novel comme dynamique de la théorie des deux champs du
langage : représentation sémiologique de l’espace.

Pour donner une petite anticipation de ce que nous allons démontrer dans les
pages suivantes, nous pourrions dire que l’emploi des démonstratifs dans le graphic
novel, est à attribuer à un mécanisme déictique qui se base principalement sur la déixis
anaphorique (et cataphorique) et « am phantasma » (à l’imaginaire, dans l’édition
française de l’œuvre de Bühler).
En effet, non seulement les désignations des personnages, mais aussi et surtout
celles des différentes situations énonciatives, se manifestent indifféremment par questo
et quello, sans aucun rapport avec la distance par rapport à celui qui parle et celui qui
écoute.
Cela pour démontrer que lorsqu’une telle situation arrive, c’est le texte lui-
même, le contexte discursif, qui se pose comme centre déictique, et la distance entre les
personnages s’avère insignifiante.
Comparaisons maintenant l’emploi des démonstratifs dans les romans
graphiques Porto Marghera de Claudio Calia, La strage di Bologna d’Alex Boschetti et
Anna Ciammitti et ThyssenKrupp, Morti Speciali S.p.A. d’Alessandro Di Virgilio et
Manuel De Carli.
Afin d’élaborer le corpus de l’étude suivante, nous avons sélectionné trois
œuvres qui, comme Saffi466 a déjà eu l’occasion de le montrer, sont liées entre elles par
certaines caractéristiques particulières :

[…] D’un coté, elles partagent un même sujet: elles racontent des histoires tragiques de crimes
qui dénoncent l’injustice. De l’autre, à travers le récit, les auteurs s’engagent politiquement. Ces éléments
communs placent les trois récits dans un même contexte d’utilisation des déictiques et des indicateurs
spatiaux […] On a posé la question de la spécificité du langage de la bande dessinée, qui est revendiquée
sur la quatrième de couverture de Porto Marghera : « I casi della memoria collettiva ricostruiti,
interpretati e raccontati attraverso il linguaggio del fumetto» […] Dans les textes qui encadrent ces trois
graphic novels, on retrouve la même problématique sur la façon de rapporter l’histoire. Comment la
raconter ? Comment la dire ? Une problématique qui laisse supposer une langue de l’écrit, distinguée de

466
Sophie Saffi, « Fumetti e rappresentazione semiologica dello spazio » in Alberto Manco (dir.), Un
ambiente fatto a strisce, Università degli studi di Napoli Orientale, forthcoming, 2012, pp. 221-234.

233
la langue parlée et de ses constructions en temps réel […] Nous sommes intéressés par cette revendication
d’une réflexion d’auteur sur sa propre écriture, d’une non spontanéité, pour nous saisir de cette langue et
y étudier la représentation de l’espace et de la personne qui transparaît par delà de la réflexion de
l’écrivain, dans une expression sous-jacente au discours conscient, et qui est représentative des structures
profondes du système de la langue employée, des structures caractéristiques, comme nous le verrons,
d’une conception de l’univers spécifique à toute langue et culture.467

En ce qui concerne les démonstratifs, il est opportun de commencer par fournir


quelques données, d’un point de vue purement statistique. Partons de l’analyse du
roman graphique Porto Marghera de Claudio Calia. Dans le texte, pour un total de
7.772 mots, on relève un total de 78 occurrences de démonstratifs, c’est-à-dire un
emploi d’environ 1%.
Dorénavant nous adopterons le système de classification proposé dans les pages
précédentes468, qui prévoit la possibilité d’employer les démonstratifs comme pronoms
de renvoi ou de rappel (déixis à l’imaginaire et déixis anaphorique), et que nous avons
classés comme agents connecteurs non égocentrés, ou comme pronoms dont le centre
déictique est directement lié à une origo, stable dans sa variabilité phénoménique, et
attachée aux cordonnées ego, hic et nunc, et que nous avons catégorisés comme agents
connecteurs égocentrés.
Dans le texte de Porto Marghera, l’emploi des démonstratifs est ainsi partagé
(répartition de questo et formes fléchies) :

467
Op. Cit., p. 1.
« […] Da un lato, condividono uno stesso soggetto: raccontano tragiche storie di crimini che denunciano
l’ingiustizia. Dall’altro, attraverso il racconto, gli autori si impegnano politicamente. Questi elementi
comuni collocano i tre racconti all’interno di uno stesso contesto d’uso dei deittici e dei marcatori spaziali
[…] Si è posta la questione della specificità del linguaggio del fumetto, che viene rivendicata sulla quarta
di copertina di Porto Marghera: «I casi della memoria collettiva ricostruiti, interpretati e raccontati
attraverso il linguaggio del fumetto» […] Nei testi che inquadrano queste tre graphic novel, si ritrova la
stessa problematica sul modo di riportare la storia. Come raccontarla? Come dirla? Una problematica che
lascia supporre una lingua dello scritto, distinta dalla lingua parlata e dalle sue costruzioni in tempo reale
[…] Sono interessata a questa rivendicazione di una riflessione di autore sulla propria scrittura, di una
non spontaneità, per impossessarmi di questa lingua e studiarvi la rappresentazione dello spazio e della
persona che trasparirà oltre la riflessione dello scrittore, in una espressione sottostante al discorso
cosciente, e che è rappresentativa delle strutture profonde del sistema della lingua utilizzata, delle
strutture caratteristiche, come vedremo, di una concezione dell’universo specifico a ogni lingua e
cultura».
468
Cf., supra, III, § 2.

234
Questo Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[PM34]: demonstratio ad oculos - […] Gli unici a conoscenza


degli studi italiani sono le
persone sedute adesso a questo
tavolo […] -
[PM2]: emploi anaphorique - […] Come potremmo definire
469
(anamnestique ) la tecnica – e l’arte – di Calia,
così come si presentano in
questo nuovo libro […] -
[PM10]: emploi anaphorique - […] Il disegno dice tutto
(anamnestique) l’essenziale: perciò questo libro
è un ottimo contributo […] -
[PM14]: emploi anaphorique - […] Questo, infatti, è il tratto
(cataphore) ultimo e più marcato, il segno
parlante del « giornalismo a
fumetti » di Claudio Calia […] -
[PM15]: emploi anaphorique - […] E su questo,
(cataphore) probabilmente, contavano i
padroni. Sul fatto che la vita
degli operai era davvero nelle
loro mani […] -
[PM24]: emploi anaphorique - […] Per molti versi perfino
drammatico. C’erano nell’aria
decisioni importanti, erano
pronti a questo, era il loro
mestiere, dopotutto […] -
[PM31]: emploi anaphorique - […] Perché si sapeva, si
intuiva che qualcosa occorreva

469
L’emploi de la déixis anaphorique, comme celle à l’imaginaire, strictu sensu, prévoit toujours un
emploi anamnestique des déictiques : suite à l’exemple mentionné, le déictique questo déclenche ici un
mécanisme anaphorique (il s’agit d’un exophore qui actualise un entier continuum textuel), non pas parce
qu’il renvoie à quelque chose auquel on s’est référé précédemment, mais parce qu’il renvoie au livre,
entendu comme un ensemble textuel, donc à son contenu, à un état de choses. Claudio Calia, auteur du
graphic novel et Gianfranco Bettin, auteur de la préface, (de laquelle on tire l’exemple) partagent dans ce
cas le flux discursif entier (questo libro) (« ce livre »), pour cette raison il est possible de déclencher une
déixis anaphorique : la chose à laquelle on renvoie se trouve dans la conscience commune des deux
auteurs (un ensemble de connaissances que le lecteur va déduire). Toutefois, comme nous l’avons
anticipé, l’emploi anamnestique est prévu aussi quand on parle, de façon plus générale, de déixis
anaphorique : en effet, pour relier l’anaphore ou la cataphore au référent auquel on se réfère, il faut bien
garder à l’esprit tout le discours verbal ou textuel. Il s’agit d’une action perceptive, pas auditive, mais
visuelle bien sûr.

235
fare da tempo, ma ugualmente
molti restarono sconcertati :
questo significa chiudere tutto
[…] -
[PM37]: emploi anaphorique - […] Il patto di segretezza che
gli Europei ci avevano chiesto
di firmare già nell’agosto del
1972 […], questo patto in realtà
ha retto benissimo fino a oggi
[…] -
[PM38]: emploi anaphorique - […] E questo, lo sapete,
possiamo dimostrarlo, conti e
ricerche alla mano. A questo
punto, ci sarà sufficiente
aggiungere che adesso, proprio
perché non smettiamo mai di
fare il massimo per la salute dei
nostri operai […] -
[PM44]: emploi anaphorique - […] Questo è un disastro
(cataphore) dell’era moderna […] –
[PM54]: emploi anaphorique - […] questo ha detto la
(cataphore) sentenza: assolti per non aver
commesso il fatto […] -
[PM55]: emploi anaphorique -[…] Continueremo a
(cataphore) denunciare questo: la giustizia
non è uguale per tutti […] la
legge, non è uguale per tutti
[…]-
[PM62]: emploi anaphorique -[…] Questo sviluppo che
passava come un carro armato
sul territorio e sugli uomini ha
avuto il consenso […]-
[PM63]: emploi anaphorique - […] Ha ucciso la mucca pazza
ingrassata con farine di animali
morti. Qualcuno è andato in
galera per questo? […]-
[PM65]: emploi anaphorique - […] gli operai di Marghera
(cataphore) sono impotenti di fronte al muro

236
dei grandi poteri […] si
congiungono nell’assicurare
l’impunità di chi sta al piano
alto. Così è scritto. Ma questo è
il migliore dei mondi possibili?
[…] -
[PM66]: emploi anaphorique - […] Questo non toglie che
solo qualche anno dopo […] la
sentenza di assoluzione per i
dirigenti Montedison viene
ribaltata in appello […] -
[PM68]: emploi anaphorique - […] Anthony Candiello è uno
(anamnestique) dei rappresentanti […] che ho
incontrato durante il lavoro di
documentazione per questo
libro […] -
[PM72]: emploi anaphorique - […] Lo ammetto: non ho
(anamnestique) l’autoradio. Se ce l’avessi,
questo libro finirebbe così […]-
[PM73]: emploi anaphorique - […] Questo libro mi ha
(anamnestique) impegnato parecchi mesi. Oltre
al disegno, il mio lavoro è stato
[…] circoscrivere un’idea su
quello che volevo esprimere con
questo volume […] –
[PM29]: déixis à l’imaginaire - […] Il nostro incontro, lo
(emploi anamnestique) sappiamo tutti, non era atteso in
questo periodo […] -

- [Questa]:

Questa Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[PM7]: emploi anaphorique - […] La tensione formale che


(cataphore) rende vive le tavole di Calia
sembra nascere da questa
dialettica radicale tra esigenza di

237
dire […]-
[PM8]: emploi anaphorique - […] Nel caso del « giornalismo
a fumetti » questa scelta è ancora
più impegnativa che nel graphic
novel […] –
[PM20]: emploi anaphorique - […] in questa ricostruzione di
fantasia basata su documenti
realmente esistenti […] -
[PM30]: emploi anaphorique - […] Davvero dobbiamo andare
a raccontare questa cosa ? […]-
[PM32]: emploi anaphorique - […] questo significa chiudere
tutto, dissero, incapaci di
riconoscere in questa proposta la
linea […] tradizionalmente
tenuta dalle aziende […] –
[PM42]: emploi anaphorique - […] Gabriele Bortolozzo è
stato sempre un uomo libero, e
questa libertà l’ha esercitata […]
[PM47]: emploi anaphorique - Tribunale di Venezia, prima
sezione penale […]- Cosa ne
pensa di questa sentenza ? […]
[PM48]: emploi anaphorique - […] Assolve i predetti imputati
dal reato di omicidio colposo per
angiosarcoma […] - Io spero che
portino questa cosa a Strasburgo
[…] -
[PM50]: emploi anaphorique - […] A sentire questa sentenza.
È la sola cosa che nella sua vita
si è risparmiato […] -
[PM51]: emploi anaphorique - […] almeno non sono qui a
sentirsi questa sentenza […] -
[PM69]: emploi anaphorique - […] Questa nuova realtà
partecipativa si integra con le
esperienze precedenti […] -
[PM75]: emploi anaphorique - […] Per continuare con Bettin,
accompagnato questa volta da
Maurizio Dianese, segnalo
Petrolkiller […] -

238
[PM53]: déixis à l’imaginaire - […] Quello che è successo da
(emploi anamnestique) trent’anni a questa parte nei
nostri territori […] -

- [Queste]:

Queste Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[PM12]: emploi anaphorique - […] Queste immagini lo


fissano, e lo descrivono, per
quello che infine davvero è : un
dramma biopolitico […] -
[PM19]: emploi anaphorique - […] Diamo per buono che le
ricerche russe non siano state
ascoltate […]Tenendo conto di
queste attenuanti […] –
[PM35]: emploi anaphorique - […] Gli unici a conoscenza
degli studi italiani sono le
persone sedute adesso a questo
tavolo. E a queste persone – a
noi tutti, cioè […] -
[PM36]: emploi anaphorique - […] ricordo che nel novembre
scorso abbiamo firmato con gli
Europei, su loro espressa
richiesta, un documento che ci
impegna a mantenere il segreto
su queste informazioni […] -
[PM64]: emploi anaphorique - […] Non c’era dolo nella
produzione e vendita di farine
delle grandi multinazionali? E di
fronte a queste irresponsabilità
[…] -

- [Questi]:

Questi Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[PM39]: emploi anaphorique - […] Qualche dato, anzi, c’è già,


potremmo dire […] Ci daremo in

239
pasto ai leoni. Ci chiederanno di
mostrarli, questi dati, no? […] -
[PM27]: emploi anaphorique - […] La più magica delle
industrie che certo questi nuovi
comparti elettronici, avrà pensato
qualcuno, mai potranno
eguagliare […] -
[PM46]: emploi anaphorique - […] Per questi operai […] a
tutela della loro integrità e della
loro dignità […] per questi
uomini lasciati anche a un certo
punto soli in fabbrica […] -
[PM56]: emploi anaphorique - […] E perché sarebbero morti
di cancro, tutti questi operai di
Marghera […] -
[PM58]: emploi anaphorique - […] E intanto l’ingegner
Angelo Sebastiani […]si lagnava
con il « Gazzettino » di questi
operai che « sono degli
scansafatiche […] » -
[PM59]: emploi anaphorique - […] Siamo sicuri che tutti
questi operai siano stati colpiti
dal cancro per colpa dei prodotti
chimici? E se fosse perché
fumavano […] -
[PM3]: déixis à l’imaginaire - […] Calia è certo consapevole
(emploi anamnestique) della forza nuova raggiunta in
questi anni dal graphic novel
[…]-

Le pourcentage d’emploi de questo, et formes fléchies, dans le texte (48


occurrences) est de 0,6%. L’emploi du démonstratif dit de proximité, est destiné dans
99% des cas pris en examen (nous enregistrons une seule demonstratio ad oculos, et
donc un seul emploi comme agent connecteur égocentré), à être un agent connecteur
non égocentré.

240
Il s’agit, en effet, de situations de communication, où questo se prête à un
emploi anaphorique (37 occurrences, 77% du total de son emploi), cataphorique (qui est
un sous-ensemble de la déixis anaphorique : 7 occurrences, pour un emploi de 14,5%)
ou anamnestique (déixis à l’imaginaire, 3 cas, 6,5% en tout).
Tout cela nous conduit à affirmer que le lecteur arrive à percevoir la valeur
fonctionnelle de questo dans les actes de parole déjà examinés car, dans ces conditions,
c’est le (con)texte discursif qui fait fonction de centre déictique, d’origo de
l’énonciation, dans une dimension textuelle dans laquelle questo est efficace car il
continue à maintenir sa force indicative dans l’espace discursif, sans relation de distance
par rapport à celui qui parle et à celui qui écoute (la variable de la proximité est
insignifiante).
De plus, les exemples adoptés représentent parfaitement l’illustration de la
théorie des deux champs du langage (nous aborderons cette question dans le prochain
paragraphe) : d’un point de vue pragmatique, le récepteur, c’est-à-dire celui qui
déchiffre les messages où est prévu un emploi anaphorique du démonstratif questo, sera
à même d’en comprendre le signifié car le champ déictique et symbolique agissent de
façon simultanée.
De la même façon, on arrive à saisir le sens de la déixis à l’imaginaire, car le
champ déictique du langage agit sans restriction, en se servant de toutes les auxiliaires
d’indication qu’on utiliserait normalement pour indiquer quelque chose ou quelqu’un
qui se trouve dans notre champ périphérique.
Analysons maintenant le démonstratif dit d’éloignement quello :

Quello Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[PM13]: emploi anaphorique - […] lo descrivono, per quello


(cataphore) che infine davvero è: un dramma
biopolitico […]-
[PM23]: emploi anaphorique - […] E poi quello sarebbe stato
(cataphore) un giorno particolare […]-
[PM52]: emploi anaphorique - […] Quello che è successo da
(cataphore) trent’anni a questa parte nei
nostri territori lo dicono i libri di
storia […]-

241
[PM70]: emploi anaphorique - […] Quello che mi sembra
(cataphore) fondamentale, nella questione del
Petrolchimico […] è che si tratta
di una storia fatta di persone
[…]-
[PM71]: emploi anaphorique - […] Penso per un’ultima volta
(cataphore) a quello che Gianfranco Bettin
ha scritto […]-
[PM73]: emploi anaphorique - […] Il mio lavoro è stato
(anamnestique) cercare di […] circoscrivere
un’idea su quello che volevo
esprimere […]-
[PM43]: emploi anaphorique - […] Operaio, non ha
circoscritto il proprio angolo
visuale a quello della fabbrica
[…]-

- [Quella]:

Quella Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[PM5]: emploi anaphorique - […] E combinando la


narrazione a flusso con quella
iconica e sintetica delle nuove
tag […] -
[PM9]: emploi anaphorique - […] La scelta di Calia,
narrando di Marghera, è quella
di attribuire pari dignità […] -
[PM17]: emploi anaphorique - […] Perfino il frullatore è di
plastica! La frutta? Quella no
[…] -
[PM57]: emploi anaphorique - […] Al Petrolchimico lavorava
alle autoclavi. Cioè a quella
specie di enormi pentoloni […] -
[PM67]: emploi anaphorique - […] Per lui, e solo per lui […]
dopo la prima lista inizia quella
delle condanne […] -

242
[PM21]: emploi anaphorique - […] Washington, 11 luglio
1973. Sede della Manufacturing
Chemists Associations […]
facendo la doccia, quella mattina
[…] -
[PM28]: emploi anaphorique - […] Poteva essere cominciata
così, è solo una supposizione,
quella calda giornata alla
Manufacturing Chemists
Associations […] –

[PM60]: emploi anaphorique - […] Neppure i responsabili di


quella circolare del 1977, era
cefisiana, in cui si sosteneva che
[…] -

- [Quelle]:

Quelle Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[PM6]: emploi anaphorique - […] Certe tavole di Calia è


come se a disegnarle fosse stato
il gatto nero che è un po’ il suo
logo : dev’essere uscito di casa e
deve aver preso quelle tag dalle
strade […] -

- [Quel]:

Quel Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[PM22]: emploi anaphorique - […] Washington, 11 luglio


1973 […] Intanto la doccia era
stata come al solito comoda e
piacevole, con quel caldo poi
[…]

243
[PM41]: emploi anaphorique - […] Nel 1985 Gabriele
Bortolozzo […] È da quel
momento che inizia a lavorare a
tempo pieno al suo più grande
progetto […]-
[PM4]: emploi anaphorique - […] come un esempio originale
(cataphore) di quel « giornalismo a fumetti »
– graphic journalism? […] -
[PM26]: emploi anaphorique - […] Quel cubo di vetro e
(cataphore) cemento, […] in Connecticut
Avenue, […] alla Manufacturing
Chemists Associations […] -
[PM49]: emploi anaphorique - […] Visto l’articolo 531 del
codice di procedura penale […]
Eccezion fatta per quel che
concerne D’Arminio Monforte e
R. Calvi che […] -
[PM11]: emploi anaphorique - […] Quel dramma continua
[…] nell’eredità tossica lasciata
all’aria, all’acqua e alla terra
[…]-
[PM18]: emploi anaphorique - […] I primi […] sono stati i
medici dell’URSS, sul finire
degli anni ’40 […] Diamo per
buono che le ricerche russe non
siano state ascoltate. Per quel
tempo, troppo premature […]-

- [Quelli]:

Quelli Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[PM16]: emploi anaphorique - […] L’inalazione dei suoi


vapori produce sintomi analoghi
a quelli dell’intossicazione da
alcol. - […]
[PM33]: emploi anaphorique - […] Dobbiamo convincere il

244
NIOSH che […] Quelli del
NIOSH nemmeno sanno chi sia
il professor Cesare Maltoni […]-
[PM40]: emploi anaphorique - […] Solo a Porto Marghera, i
casi di morte accertati sono 157,
e 103 quelli di malattia […]-
[PM45]: emploi anaphorique - […] ritengo responsabili tutti
gli imputati, anche quelli che
hanno esercitato […]-
[PM61]: emploi anaphorique - […] bisogna correre dei
ragionevoli rischi. » Quali? […]
Non quelli di finire in galera
[…]-
[PM1]: emploi anaphorique - […] Noi siamo quelli che sono
(cataphore) morti per niente […] Come si
può rendere artisticamente […]
la storia dei morti di Porto
Marghera […]-
[PM25]: emploi anaphorique - […] Il giorno prima, quelli che
(cataphore) contavano di più, cioè il direttivo
della Manufacturing […]-

Le pourcentage d’emploi de quello (et formes fléchies) dans le graphic novel


Porto Marghera, est de 0,3%, 30 occurrences sur un texte de 7.772 mots. Il a été
employé à 100% des situations de communication considérées, comme agent
connecteur non égocentré : quello se prête donc à un emploi anaphorique à 70% du total
de ses emplois (21 occurrences) et cataphorique à 30% (9 occurrences). Le total des
emplois de questo et de quello équivaut à 1% du total des 78 occurrences.
Nous n’avons enregistré aucun emploi de codesto et nous n’avons pas relevé de
fonction anaphorique-démonstrative de esso. 470
Les considérations faites sur l’emploi de questo sont aussi valables pour
l’emploi de quello. La représentation sémiologique de l’espace qui dérive de l’emploi
des démonstratifs dans les graphic novels est concrètement liée, d’un point de vue

470
Cf., supra, III, § 5.

245
pragmatique, à leur emploi anaphorique-référentiel et anamnestique, et indifférente au
paramètre de la distance.
De nouveau Bühler nous éclaire à propos de la notion de référence avec laquelle
il signale la déixis anaphorique (rétrospective), et cataphorique (prospective).
Voici comment Samain en paraphrase la pensée dans le glossaire de l’édition
française de la Sprachtheorie qu’il a supervisée :

Respectivement synonymes d’anaphore et de cataphore, les notions de référence rétrospective et


prospective ne désignent pas chez Bühler un simple renvoi à un élément situé en amont ou en aval dans
l’énoncé, mais une forme de déixis, qu’il définit comme « interne » ou réflexive » […]. Cette conception
découle de la théorie des deux champs, qui impose de traiter comme déictique tout élément qui n’est pas
directement dénominatif, c’est-à-dire dont le remplissement de signification doit être cherché dans un
espace perceptif, qu’il soit réel (demonstratio ad oculos) ou fictif (déixis à l’imaginaire). Or, « il existe
également, dit Bühler […] une déixis renvoyant à des lieux situés dans la structure du discours », auquel
cas « c’est le contexte lui-même qui est transformé en champ déictique ».471

Les démonstratifs, en tant que signes d’indication dans le texte, assument une
fonction indicative interne, c’est-à-dire, même s’ils se trouvent dans un contexte ne
désignant pas quelque chose ou quelqu’un qui se trouve dans le champ perceptif, mais
des passages et des parties du contexte lui-même : en paraphrasant Bühler, ce que
l’anaphore et la cataphore saisissent ne sont pas les choses dont on parle mais leurs
formulations linguistiques, à savoir des propositions ou parties de proposition : « dès
lors que les déictiques servent ordinairement à se repérer dans l’espace perceptif, il faut
entendre par là qu’ils permettent cette fois d’organiser l’espace syntaxique ».472
Cette fonction organisatrice de l’espace syntaxique et cette capacité indicatrice
interne, que les démonstratifs sont à même de maintenir dans une phrase (et dans une
période entière), se manifestent en une forme de déixis anaphorique qui semble être le
mécanisme déictique le plus employé et le plus apte à expliquer une représentation de
l’espace, non pas perceptive mais discursive, dans le graphic novel.
Le roman graphique semble être un des lieux privilégiés où le système binaire
des démonstratifs questo et quello n’est pas lié, à la catégorie générale d’un espace
dépendant du paramètre de la distance mais, au contraire, à une déixis capable

471
Samain in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 652.
472
Op. Cit., p. 653.

246
d’organiser et renvoyer aux structures et aux parties du discours. Cela se manifeste aussi
dans l’analyse du deuxième roman graphique que nous avons pris en considération :
ThyssenKrupp. Morti speciali S.p.A., d’Alessandro di Virgilio et Manuel de Carli. 473
Commençons par les données numériques. Le texte se compose de 3.515 mots,
pour un total de 40 occurrences de démonstratifs, soit 1, 13 % de leurs emplois dans le
texte.
Le tableau synoptique ci-après du texte de ThyssenKrupp reproduit la
catégorisation opérée sur les démonstratifs, selon leur emploi réel dans les énoncés
examinés.
Répartition de questo et formes fléchies :

Questo Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[TK37]: emploi anaphorique Torino, 17 novembre 2008 […] –


(anamnestique) « Pertanto, questo tribunale […]
In nome del popolo italiano […]
Addì 17 di novembre dell'anno
2008 […] » -
[TK7]: emploi anaphorique - […] Troviamo in bacheca un
(cataphore) comunicato dell'azienda: "Le
voci che si sono diffuse negli
ultimi tempi all'interno dello
stabilimento sono del tutto
infondate, essendo questo un
momento congiunturale […]” -
[TK8]: emploi anaphorique - […] Io (Carlo Marrapodi) credo
di essere stato fra i primi a essere
messo in cassa integrazione:
questo qui parla troppo […] -
[TK15]: emploi anaphorique - […] Quando i ragazzi di
BeccoGiallo mi hanno parlato di
un fumetto […] Con la speranza
che questo lavoro racconti ai
giovani italiani ciò che non deve
essere più […] -

473
Alessandro di Virgilio, Manuel de Carli, ThyssenKrupp. Morti speciali S.p.A., Prata di Pordenone,
BeccoGiallo, 2009, 105 p.

247
[TK17]: emploi anaphorique - […] Nel primo e nell'ultimo
capitolo di questa storia è
presente Giulia, l'unico
personaggio "virtuale" di questo
libro […] -
[TK33]: emploi anaphorique - […] Torino doveva chiudere,
da lì a pochi mesi […] Per
questo motivo non erano molto

interessati alla sicurezza […]


[TK39]: emploi anaphorique - […] Le vede queste bollette
non pagate? Come avremmo
potuto immaginare che saremmo
arrivati a questo punto? […]-
- [Questa]:

Questa Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[TK2]: emploi anaphorique - […] Torino […] Stabilimento


(cataphore) ThyssenKrupp, Corso Regina
Margherita 400 […] E questa è
una storia che […] -
[TK3]: emploi anaphorique - […] Parliamo un po' di tutto
quello che ha contribuito a farci
arrivare a questa tragedia […] -
[TK13]: emploi anaphorique - […] Il grido di una classe
(anamnestique) operaia che vuole garantito il
diritto a tornare a casa incolume,
alla fine del turno. Purtroppo da
allora poco o nulla in questa
"italietta", è cambiato […] -
[TK16]: emploi anaphorique - […] Nel primo e nell'ultimo
capitolo di questa storia è
presente Giulia, l'unico
personaggio "virtuale" […] -
[TK20]: emploi anaphorique - […] Solo che un giorno come
un altro […] ti arriva all'orecchio
quella parolina […] si chiude
[…] « Questa incertezza è

248
proprio un inferno" […] "Non
vedo l’ora di staccare! » […]-
[TK36]: emploi anaphorique - […] Non siamo stati più
chiamati, conosciamo tutti le
carenze di questa azienda...
Anche se non voglio dire niente
[…]-

- [Queste]:

Queste Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[TK38]: demonstratio ad oculos - […] Le vede queste bollette


non pagate? La casa l'abbiamo
comperata un anno fa. Come
avremmo potuto immaginare
che saremmo arrivati a questo
punto […] -

- [Questi]:

Questi Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[TK21]: emploi anaphorique - […] C'è un dato che sfugge a


qualsiasi statistica […]
Rappresentato da tutti quei
lavoratori privi di permesso di
soggiorno e spesso di identità
[…] Di questi uomini senza
nome e delle loro morti […] -
[TK27]: emploi anaphorique - […] Torino, il Duomo, 13
dicembre 2007 […] « Padre
onnipotente, eleviamo a te il
nostro pensiero […] In questi
istanti in cui i nostri cuori sono
sopraffatti dalla tristezza […] »-

249
Questo, avec ses formes fléchies, se présente 16 fois dans le texte, à savoir 0,4
%. Ainsi, comme dans le premier des trois graphic novels analysés (Porto Marghera), il
est utilisé dans la quasi totalité de ses emplois en tant qu’agent connecteur non
égocentré : à 13 reprises il se prête à un emploi anaphorique (81%), à 2 reprises se
présente une cataphore (15%).
Le principe d’indexicalité474, qui normalement prévoit une vision égocentrique
du monde et renvoie donc au fait que nous « fixons notre regard » sur tout ce qui se
trouve dans notre champ périphérique (perceptif), cède ici le passage à une
représentation non egocentrique de l’espace.
L’origine du champ déictique est transposée de « moi » au récit : cela se
manifeste, par exemple, quand on utilise des expressions dont les référents ne sont pas
présents dans la situation discursive ou dont les référents sont orientés vers un centre
déictique différent (la modalité typique du discours indirect).
Par conséquent, un déictique spatial comme l’adverbe qui, fera allusion au lieu
où l’interlocuteur se trouvera dans un moment suivant celui de l’énonciation : cela
arrive quand on donne des indications à un passant (« al prossimo incrocio, fai duecento
metri e il cinema è subito qui [gesto con la mano] sulla destra », « au prochain
carrefour, encore deux cents mètres et le cinéma est juste là [geste de la main] sur la
droite »)475.

474
Comme nous l’avons déjà vu dans le chapitre précèdent [cf., III, § 4], nous introduisons dans notre
travail le terme « indexicale » pour mettre en évidence que chaque mot, notion, attitude ou processus de
communication observé est indexical, c'est-à-dire potentiellement révélateur de tout un contexte (il s’agit
d’opérer la distinction entre le fait et l'interprétation du fait qui relève de la réflexivité). En philosophie du
langage, les indexicaux sont des termes dont la signification dépend entièrement de certaines
caractéristiques du contexte dans lequel ils sont prononcés. « Maintenant », « ici », « je » sont des
exemples typiques de termes indexicaux : leur sens dépend respectivement du moment, du lieu et du sujet
de l'énonciation ; au contraire, un nom propre ou un nom commun (par exemple) continuent normalement
à désigner la même chose s'il sont prononcés à deux moments différents ou par deux personnes
différentes.
La pragmatique linguistique préfère pour les termes assumant cette fonction le vocable de déictiques. Et
celui de deixis pour le mécanisme par lequel un déictique permet de conférer son référent à une séquence
linguistique. Les vocables « indexicalité » et « termes indexicaux », un peu redondants du strict point de
vue de la linguistique, ont cependant dans d'autres contextes une portée plus large et surtout une visée
différente. L'ethnométhodologie, par exemple, place l'indexicalité au cœur de sa théorie.
475
Il faut rappeler qu’en français l’emploi de « ici » est, en soi, impossible en dehors du champ perceptif
du locuteur : « à l’endroit où le locuteur se trouve », « au moment présent, maintenant ». Toutefois, nous
tenons à souligner qu’autant « ici » que « là » sont à considérer comme des modes génériques de la
déixis, qui ne marquent ni l’opposition entre proximité et éloignement ni celle entre les interlocuteurs, ni
celle entre l’allocutaire et la « troisième » personne. Il s’agit, comme Bühler l’affirme, de conduire le
locuteur vers l’objet de perception qu’il a sous les yeux [cf., supra, III, § 1; Bühler [1934]; tr. fr. 2009,
Op. Cit., pp. 629-630].

250
Ou, si le démonstratif prévoit dans l’interaction verbale un emploi anamnestique
(quand par exemple nous racontons à quelqu’un un événement passé, mais à propos
duquel les interlocuteurs partagent des inférences encyclopédiques), dans ce cas, il
s’agit du passage d’une position égocentrique à une topomnestique (le voyage de Dante
dans l’outre-tombe en est un célèbre exemple). 476
Quand, au contraire, c’est le contexte lui-même qui devient le centre déictique
du discours, une déixis anaphorique se met en œuvre. En réalité, elle peut être
considérée un mécanisme aussi indexical que symbolique.
Les expressions anaphoriques, en effet, fonctionnent exactement comme les
expressions « indexicales » (« déictiques »), mais dans un contexte de dénomination.
Elles n’indiquent pas quelque chose qui se trouve dans la réalité de l’espace perceptif,
mais quelque chose que le lecteur connaît, qu’on a nommé précédemment, qui se trouve
dans le discours symbolique (d’où leur caractère anamnestique, et leur fonction de
rappel, ou « anticipant », si une cataphore se met en œuvre).
La déixis anaphorique renvoie à une situation qui n’est plus la situation factuelle
de l’énonciation, mais la situation textuelle (nominale) du discours. En ce sens, elles ne
sont que des expressions indexicales « réfléchies », dans la mesure où elles sont
considérées en tant qu’éléments linguistiques qui renvoient d’autres dans un contexte.477
Elles fonctionnent à travers une rétention immédiate d’autres éléments
linguistiques, et impliquent d’une certaine façon une vision préalable de la totalité du
contexte de dénomination, à savoir de la totalité du champ symbolique.478
L’ « indexicalité fantasmatique » (« déixis à l’imaginaire »), par contre, se
distingue de l’indexicalité traditionnelle surtout pour l’absence du critère de la
praesentia : sont fantasmatiques, donc, les expressions indexicales qui indiquent
quelque chose d’absent.479
Le Graphic Novel devient donc une dimension textuelle où le principe
d’indexicalité préfère deux mécanismes non traditionnels, la déixis anaphorique et la
déixis à l’imaginaire, car elles sont à même de représenter à travers le langage une
dimension non égocentrique du monde : ils ne se réfèrent pas à l’espace ni au temps des

476
Cf., supra, III, § 4. Voir aussi: Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 237.
476
Ibidem.
477
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 226-229.
478
Ibidem.
479
Op. Cit., p. 247.

251
interlocuteurs, hic et nunc, (typique d’un espace visuel, perceptif), mais à un espace et à
un temps hors champ480, mais pas hors contexte, intimement liés au locuteur :

[…] L’italien contemporain met en opposition deux espaces : un premier espace, lieu de
l’interlocution, où se situent les deux premières personnes (io et tu), auquel on associe le couple
d’adverbes qui/qua ; et un deuxième espace, hors interlocution, où se situe la troisième personne
delocutée et auquel on associe le couple lì/là. Les deux espaces sont clairement délimités, l’interlocution
est associée à un espace de proximité dont la frontière est concrétisée par l’interlocuteur, au-delà de cette
limite s’étend l’espace lointain hors interlocution. Dans la sphère interlocutive du couple dialogal que le
locuteur assimile à sa propre personne, on suppose que tous les objets et toutes les personnes sont en
relation intime avec le locuteur. Cette sphère de proximité est l’espace privilégié des rapports
fusionnels.481

Le Graphic novel semble être un des lieux privilégiés, duquel émerge une
représentation sémiologique non égocentrique de l’espace, où ce n’est pas l’ego du
locuteur qui fait fonction de centre déictique, par rapport auquel déterminer la position
des autres choses ou des autres participants, mais c’est le texte lui-même et tout ce qui
en lui est représenté, qui fait fonction de champ d’indication, et par rapport auquel il
faut individualiser le point de vue du locuteur. Parce que c’est seulement le point de vue
du locuteur, du io, qui peut devenir le point de repère d’une dimension
« métatextuelle », dont l’origo est représentée par le contexte linguistique.
L’emploi des démonstratifs ne renvoie pas à un contexte de nature
extralinguistique, comme celui remis en question pendant un échange
communicationnel en vis-à-vis, mais à un autre contexte, de nature purement

480
On veut dire que pour une bonne interprétation des situations énonciatives qui caractérisent un graphic
novel, il faut se référer à la notion de contexte (mais aussi à la notion de closure, à savoir le mouvement
généralisant, de fermeture, que la pensée met en œuvre de façon spontanée quand elle se trouve face à une
suite, une image ou un son incomplet. La tendance est, inévitablement, de compléter sur la base de notre
bagage expérientiel, le donné pour pouvoir en associer un signifié connu), car elles se trouvent hors
champ, à savoir à l’extérieur d’une concrète situation linguistique où on enregistre un échange
communicatif direct et où le champ d’indication constitue le système je-ici-maintenant de l’orientation
subjectif [cf., Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 260].
481
Saffi 2012, Op. Cit., pp. 233-234.
« […] L’italiano contemporaneo oppone due spazi: un primo spazio, luogo dell’interlocuzione, in cui si
situano le prime due persone (io e tu), spazio al quale viene associata la coppia di avverbi qui/qua; e un
secondo spazio, lo spazio fuori interlocuzione, in cui si situa la terza persona delocutata e al quale si
associa la coppia lì/là. I due spazi sono chiaramente delimitati, l’interlocuzione viene associata ad uno
spazio di vicinanza la cui frontiera è concretizzata dall’interlocutore, al di là di questo limite si spiega lo
spazio lontano fuori interlocuzione. Nella sfera interlocutiva della coppia del dialogo che il locutore
assimila alla propria persona, si suppone che tutti gli oggetti e le persone siano in relazione intima con il
locutore. Questa sfera di vicinanza è lo spazio privilegiato dei rapporti di fusione ».

252
linguistique, exploité par les termes déictiques dans leur emploi anaphorique et
anamnestique.482
Les cas (seulement 2 occurrences sur 94) où on relève un emploi des
démonstratifs en tant qu’agents connectifs egocentriques sont statistiquement
insignifiants, car ce qui manque est le point de vue d’un interlocuteur (du tu), dont le
regard en perspective ne se manifeste pas dans un champ perceptif, où il est possible en
déterminer la position, à un moment donné. Parce que : « […] Quand nous parlons,
notre position dans l’espace et dans le temps nous sert de point de repère pour situer
d’autres entités dans l’espace et dans le temps. Nous parlons de l’endroit où nous nous
trouvons et du moment où nous parlons en termes d’ici et maintenant […] ». 483
Notre analyse, fondamentalement, ne change pas si on prend en considération la
dispersion dans le texte de ThyssenKrupp du terme d’indication quello :

Quello Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[TK2]: emploi anaphorique - […] E questa è una storia che


(cataphore) ormai tutti conosciamo. Ma
prima? […] Parliamo un po' di
tutto quello che ha contribuito a
farci arrivare a questa tragedia
[…] -
[TK19]: emploi anaphorique - […] Torino. 5 dicembre 2007,
(anamnestique) ore 20.30 […] « Quell'operaio va
fermato con azioni legali […] » -
[TK28]: emploi anaphorique - […] Padre onnipotente,

482
Comme pour la déixis anaphorique, les cas de déixis à l’imaginaire (3 sur 94 énoncés enregistrés)
doivent être compris, d’après nous, comme des expressions d’indications métatextuelles. Prenons
l’énoncé suivant déjà proposé : «Calia è certo consapevole della forza nuova raggiunta in questi anni dal
graphic nove […] » [cf., infra, « Annexe 4 », PM3]. L’identification de l’objet relevant (questi anni) ne
se produit pas sur la base de lieux, évènements, personnes, etc., internes au texte (au récit, plus
précisément). Ce qui est désigné n’est pas un objet interne à l’horizon textuel, mais au texte lui-même.
Plus spécifiquement, dans ce cas, on renvoie le lecteur, à la merci de son imagination, à son vécu
personnel, à sa propre expérience et aux connaissances qu’il possède sur le succès du graphic novel dans
ces dernières années. La preuve en est que pour quelqu’un qui n’est pas familier des bandes dessinées,
l’expression suivante sera difficile à situer dans le domaine des son expérience vécue.
De la même façon, l’énoncé suivant peut être désigné comme expression d’indication metatextuelle :
« […] Come potremmo definire la tecnica – e l’arte – di Calia, così come si presentano in questo nuovo
libro […]» [cf., infra, « Annexe 4 », PM2]. En effet, le renvoi est ici au texte lui-même (le roman Porto
Marghera).
483
Nicole Delbecque, Linguistique cognitive, comprendre comment fonctionne le langage, Bruxelles, De
Boeck-Duculot, coll. « Champs linguistiques », 2002, p. 25.

253
(cataphore) eleviamo a te il nostro pensiero
[…] Quello che ci sostiene è la
certezza […]
[TK29]: emploi anaphorique - […] Durante le ispezioni ci era
stato vietato di fondere l'acciaio
300 […] Quello che produce
fumi densi come nebbia […]-
[TK30]: emploi anaphorique - […] Sappiamo che il tuo
sguardo è quello di un padre […]
Non abbandonare i tuoi figli
nell'ora dell'angoscia […] -

- [Quella]:

Quella Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[TK5]: emploi anaphorique - […] Mi ritrovo così a lavorare


in quel posto. Senza saperne
molto di acciaio e acciaierie,
comincio a produrre per quella
gente […] -
[TK6]: emploi anaphorique - […] ti arriva all'orecchio quella
(cataphore) parolina che nei mesi a venire
diventerà - per te e tutti gli altri -
un martello pneumatico che ti
tortura la mente: si chiude […] -
[TK11]: emploi anaphorique - […] Per capire che quella non
(cataphore) era una condizione di lavoro
"sicura" non ci volevano certo
degli ingegneri […] -
[TK22]: déixis à l’imaginaire - […] Quella sera Antonio
(emploi anamnestique) doveva chiedere un permesso,
dovevamo uscire. Mi chiama alle
quattro del pomeriggio e mi dice
che non c'è nessuno che lo
sostituisce […] -
[TK25]: emploi anaphorique - […] L'ora più pericolosa è

254
quella prima dell'interruzione per
il pranzo […] -
[TK31] : déixis à l’imaginaire - […] Sì, certo […] Ricordo di
(emploi anamnestique) quella volta che saltò per aria
una fabbrica di fuochi d'artificio
[…]-
[TK35]: emploi anaphorique - […] Mio figlio Giuseppe
(anamnestique) odiava quella fabbrica, il rumore,
i macchinari […]-
[TK40]: emploi anaphorique - […] In Germania bisognerà
aspettare il 1883 […] Nella
Russia zarista il 1912 e in quella
Sovietica il 1922 […]-
[TK26]: emploi anaphorique - […] E comunque, al di là dei
numeri […] Nessuna ora è quella
giusta per morire […]-

- [Quel]:

Quel Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[TK4]: emploi anaphorique - […] Io, come tanti altri, entro


in ThyssenKrupp […]Mi ritrovo
così a lavorare in quel posto
[…]-
[TK9]: emploi anaphorique - […] Io credo di essere stato fra
i primi a essere messo in cassa
integrazione: questo qui parla
troppo, avran pensato. Ero
convinto che non sarei mai più
rientrato, in quel posto […] -
[TK10]: emploi anaphorique - […] Così rientro in azienda il 3
ottobre 2007 […] Il tutto, in quel
momento, veniva mandato avanti
alla meno peggio […]-
[TK12]: emploi anaphorique - […] Mentre quei ragazzi erano
chiusi nel legno, sul freddo

255
pavimento di marmo del duomo
di Torino sono arrivati […]
giornalisti, le televisioni […] in
quel momento sì che siamo
diventati “famosi” […] -
[TK18]: emploi anaphorique - […] Gli intermezzi di
approfondimento dedicati agli
incidenti […] servono a ricordare
che rischiare di morire per lavoro
non è circoscritto a quel
maledetto 6 dicembre […] -
[TK32] : déixis à l’imaginaire - […] Sì, certo […] Ricordo di
(emploi anamnestique) quella volta che saltò per aria una
fabbrica di fuochi d'artificio […]
Da quel giorno, ogni volta che
sento odore d'erba bagnata […] -
[TK14]: emploi anaphorique - […] Quando i ragazzi di
BeccoGiallo mi hanno parlato di
un fumetto […] ho capito che
quel linguaggio, poteva
raccontare la nostra bruttissima
storia […] -

- [Quelli]:

Quelli Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[TK23]: emploi anaphorique […] In Italia, tra i lavoratori


stranieri assicurati, la maglia
nera degli infortuni appartiene a
quelli di nazionalità marocchina
[…]-
[TK24]: emploi anaphorique - […] I cosiddetti precari sono
quelli più esposti, forse perché
presi da preoccupazioni più
immediate, come perdere il posto
[…] -

256
[TK34]: emploi anaphorique - […] dal lavoratore per
proteggerlo dai rischi connessi
alla sua professione […] Come
quelli derivanti da gas, polveri o
vapori […] -

Les 24 occurrences relatives à la fréquence d’emploi de quello (et formes


fléchies) dans le texte de ThyssenKrupp (0,6% sur un total de 3.515 occurrences)
confirment la tendance à un « emploi non égocentré » des démonstratifs (100% de ses
emplois) : en particulier, il se prête à un emploi anaphorique dans 71% de ses emplois
(17 occurrences), cataphorique dans 16,5 % des cas (4), tant comme on relève 3 emplois
anamnestiques (12,5%). Quant au total des emplois de questo et de quello (40), il
équivaut à 1,13%. On ne signale, comme dans Porto Marghera, aucun emploi du
démonstratif codesto, ni aucune fonction anaphorique-démonstrative de esso.484
Nous achevons notre étude en focalisant notre attention sur le dernier des trois
graphic novel proposés. Du dernier des trois corpora pris en examen, nous ne relevons
pas un tableau différent, de l’emploi des termes d’indication, par rapport à celui que
nous avons proposé et vérifié jusqu’à présent.
Nous observons un emploi principalement anaphorique des démonstratifs, en
tant que représentants d’une dimension non égocentrique d’un espace métatextuelle (à
cause de continuels renvois à des parties précédentes ou suivantes du contexte et du
cotexte discursif), à partir duquel émerge une représentation sémiologique de l’espace,
indifférente au paramètre de la distance.
Comme nous avons expliqué, la prédominance de déixis anaphorique et à
l’imaginaire dans le graphic novel, se justifie par le fait que l’action des démonstratifs
se manifeste dans un espace discursif et non pas perceptif : par conséquent, ils ne sont
pas utilisés pendant des échanges communicatifs directs dans des situations concrètes
linguistiques485, où le champ déictique du langage peut agir pleinement sans l’aide du
champ symbolique, comme cela advient normalement dans une demonstratio ad oculos.

484
Cf., supra, III, § 5.
485
Nous ne disons pas que le texte n’est pas constitué d’actes de parole, c’est-à-dire d’actes avec lesquels
l’individu réalise sa compétence langagière (l’emploi des signes dans une situation linguistique concrète).
Observons cet échange verbal : « Sì, ma il Toro ha pareggiato uguale. È inutile che state tanto a fottere!
Già; ma almeno noi un gol l'abbiamo fatto! Eh capirai! Un misero gol e chissà » [cf., ThyssenKrupp, p.
23]. La situation qu’on vient de décrire présente des énoncés mais qui sont hors d’un échange

257
Le recours au contexte linguistique est ici fondamentale : c’est lui qui fournit
dans un discours organiquement accompli tous les « auxiliaires interprétatifs et
expressifs » pour que le sens du message soit interprété correctement.
L’action déictique des démonstratifs, en tant qu’agents connecteurs égocentrés,
se manifeste pleinement dans une situation donnée ici et maintenant, dans le champ
perceptif. Procédons dans l’ordre et présentons le tableau de La strage di Bologna,
d’Alex Boschetti et Anna Ciammitti486, en commençant par la distribution de questo
dans le texte :

Questo Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[SDB50]: demonstr. ad oculos - […] Ad ogni modo, colonnello,


troverà tutte le informazioni in
questo rapporto […] -
[SDB1]: emploi anaphorique - […] Ci sono solo due cose che
[…] possiamo fare di fronte a un
evento come questo […] -
[SDB12]: emploi anaphorique - […] Così i processi che
seguono alla strage sono anche
grandi affreschi della storia di
quegli anni, dei movimenti
eversivi, del terrorismo e della
situazione internazionale. Tutto
questo, per un estraneo […] è
confuso […] -
[SDB14]: emploi anaphorique - […] Ecco, quello che la
narrativa può fare è questo

communicatif direct, je-ici-maintenant dans un champ d’indication du langage : il s’agit d’une


interlocution reportée dans un dessin, c’est-à-dire d’un champ synsémantique dans un contexte
linguistique (le texte fait fonction de champ symbolique), non extralinguistique (d’un espace perceptif,
comme si c’était un échange verbal, au bureau, entre deux interlocuteurs qui parlent personnellement, hic
et nunc, de la journée de championnat de foot passée). La parfaite synergie entre les deux champs du
langage permet au lecteur de saisir le sens des renvois anaphoriques mis en action par l’emploi des
démonstratifs. Le texte est d’après nous le lieu où seule une parfaite combinaison entre les deux champs
du langage permet de saisir le sens du message.
A la différence d’un échange communicationnel direct dans une situation donnée où l’action du seul
champ déictique (geste + démonstratif, geste ou regard + terme) est suffisante et efficace pour le succès
de l’interaction verbale.
486
Alex Boschetti, Anna Ciammitti, La strage di Bologna, Cierre Grafica, Sommacampagna (VR),
BeccoGiallo, 2010, 143 p.

258
processo di semplificazione e di
sintesi […] -
[SDB17]: emploi anaphorique - […] Mettere in fila i fatti
provocando emozioni […] Che
questo avvenga con le parole dei
romanzi, con le immagini del
cinema […] -
[SDB18]: emploi anaphorique - […] Quando poi, come in
(anamnestique) questo caso, sta in una collana
che ha avuto l’idea di utilizzare
uno strumento di narrativa
popolare come il fumetto […] -
[SDB20]: emploi anaphorique - […] Ma non sei tu che ripeti
sempre che siamo in guerra? E
infatti. Di questo ti volevo
parlare. C’è quel giudice di
Treviso, Giancarlo Stiz […] -
[SDB24]: emploi anaphorique - […] Ma cosa crede? Che
m’impietosisco se qualcuno
crepa? In guerra non esistono
innocenti! Non è questo! […] -
[SDB26]: emploi anaphorique - […] Era intuibile che fossero
stati loro. Se è per questo, la
Mambro e Fioravanti, dopo
l’omicidio Amato, hanno pure
brindato con ostriche e
champagne […] -
[SDB33]: emploi anaphorique […] Massimo […] ultimamente
mi è venuto l’hobby del
travestimento. Per questo l’altro
ieri ero in stazione a Bologna. Mi
sono calato nella parte del turista
tedesco […] -
[SDB34]: emploi anaphorique - […] Ho bisogno di documenti
falsi, caro Massimo. In giornata
[…] Ti prego, Giusva…non mi
ficcare in questo casino […] -
[SDB35]: emploi anaphorique - […] Si tratta di un piano

259
politico anticomunista per la
conquista militare del paese? E la
strage di Bologna rientra in
questo quadro? […] -
[SDB37]: emploi anaphorique - […] noi de l’Espresso abbiamo
pensato a un approfondimento
sulla pista nera che sta battendo
la magistratura, e per questo
abbiamo pensato di intervistare
l’onorevole Almirante […] -
[SDB43]: emploi anaphorique - […] State sbagliano tutto. La
pista è internazionale. Per questo
è consigliabile che voi del
SISDE coinvolgiate ambienti
nuovi ma forse più adeguati.
Come il SISMI […] -
[SDB45]: emploi anaphorique - […] l’obiettivo della nostra
loggia è […] smascherare il
potere di leniniana memoria che
sta attentando al regime
democratico. Guardiamo là, dove
questo potere si alimenta […] -
[SDB46]: emploi anaphorique - […] Per questo ora occorrono
persone d’indiscusso valore
morale che si possano occupare
di dimostrare la pista
internazionale […] -
[SDB48]: emploi anaphorique - […] Lo scopo di tale
organizzazione […] è quello di
produrre uno spostamento a
destra dell’Italia, contrastando
l’ascesa al potere dei comunisti.
Per questo, la P2 è stata favorita,
militarmente ed economicamente
dalla CIA […]-
[SDB53]: emploi anaphorique - […] La nostra fonte sostiene
[…] Ma quale fonte! È questo il
punto! […] -

260
[SDB54]: emploi anaphorique - […] Giuseppe Monna. Bene,
lui è la nostra fonte. Perfetto.
Allora convochiamo questo
confidente […] -
[SDB55]: emploi anaphorique - […] E a proposito di
coincidenze[…] l’esplosivo […]
è, nemmeno a farlo apposta, lo
stesso, della strage di Bologna: il
compound B. Chi […] alla luce
di questo fortunato ritrovamento,
non pensare a […] -
[SDB60]: emploi anaphorique - […] Arrecare danni al sistema è
un errore […] te ne chiederà
subito il conto…ma provocarne
la disintegrazione, questo è il
rimedio […] -

- [Questa]:

Questa Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[SDB39]: demonstr. ad oculos - […] Vigili del fuoco, militari


[…] e la moltitudine che è su
questa piazza per raccogliere la
sfida del terrorismo […] -
[SDB59]: demonstratio ad - […] Venticinque anni fa, in
oculos questa stazione, in un sabato di
sole in cui una miriade di
cittadini era intenta a vivere un
normale giorno d’estate […] -
[SDB25]: emploi anaphorique - […] Mi pare che questa
informazione non la sorprenda,
colonnello […] Era intuibile che
fossero stati loro […] -
[SDB28]: emploi anaphorique - […] A seguito del criminale
attentato […] che sconvolse la
città […] Con questa

261
motivazione […] la città di
Bologna è stata insignita della
medaglia d’oro al valor civile
[…] -
[SDB38]: emploi anaphorique - […] Quali complicità hanno
acconsentito e accompagnato
quest’azione nefanda? […] -
[SDB49]: emploi anaphorique - […] La pista conduce al
terrorismo internazionale, e […]
potremmo essere in grado di
conoscere […] il numero del
treno […] Si occupi di
approfondire questa situazione,
colonnello […] -
[SDB52]: emploi anaphorique - […] State pronti. Si trovano tra
le vetture 13, 14 e 15 […]
Quest’operazione terrore sui
treni, colonnello Belmonte, è al
limite del surreale […] -
[SDB56]: emploi anaphorique - […] E i fatti mi dicono che se
questa operazione Terrore sui
treni si rivelasse infondata […]-
[SDB57]: emploi anaphorique - […] Mi sono chiesto chi poteva
(anamnestique) odiarmi a tal punto da volermi
incastrare con questa storia di
Bologna […] -
[SDB62]: emploi anaphorique - […] Su un’altra lista composta
da personaggi che trasmettevano
gli ordini alla piramide inferiore.
Quest’ultima lista, però, non è
mai venuta alla luce […] -

- [Queste]:

Queste Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[SDB41]: emploi anaphorique - […] L’informativa denuncia


che i NAR stessero organizzando

262
la strage. Lasci perdere, Elio, mi
ascolti […] E non credo che la
magistratura debba essere
confusa con queste informative
[…] -
[SDB42]: emploi anaphorique - […] Con queste chiacchiere.
Dovreste averlo capito voi dei
servizi segreti. I nemici non si
cercano in casa. Ma oltre confine
[…] -
[SDB63]: emploi anaphorique - […] Memoria e conoscenza.
Occorre coniugare queste due
parole per impedire che […] -

- [Questi]:

Questi Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[SDB9]: emploi anaphorique - […] Se stiamo alle cifre, la


strage di Piazza Fontana che ha
provocato 17 morti è stata una
tragedia inferiore […] di Madrid
che ne ha avuti 200 […] Ma
questi sono dati, non emozioni
[…] -
[SDB36]: emploi anaphorique Mi piacerebbe far emergere la
stretta collaborazione fra servizi
segreti deviati e ambienti di
estrema destra […] questi nuovi
gruppi eversivi di estrema destra,
come i NAR […] -
[SDB58]: emploi anaphorique - […] I massoni Licio Gelli,
Francesco Pazienza, il generale
Musumeci e il colonnello
Belmonte, questi ultimi due,
ufficiali […] -

263
Comme nous l’avons anticipé dans les pages précédentes, l’emploi anaphorique
des démonstratifs persiste dans le roman graphic La Strage di Bologna, conformément à
la distribution relevée dans les deux précédents graphic novels.
Comme dans les autres romans déjà examinés, questo (38 occurrences dans un
texte de 4.881 mots, à savoir le 0,7%) a été employé comme agent connecteur non
égocentré dans 97% des cas : 3 cas de demonstratio ad oculos (8%), 1 emploi comme
agent avec fonction cataphorique (3%) et 34 circonstances de déixis anaphorique (89%).
Contrairement à ce qu’on dit normalement sur la nature des démonstratifs, c’est-
à-dire que leur emploi est lié indissolublement à la catégorie générale d’un espace
dépendant du paramètre de la distance car ils se réfèrent seulement aux aspects d’une
perception sensible immédiate, ils peuvent aussi constituer le renvoi linguistique à
quelque chose de déjà connu, nommé précédemment et repérable dans le contexte
discursif, une chose sur laquelle l’attention du parlant s’est déjà arrêtée.487

[…] Il faut étudier l’anaphore sous un tout autre angle, en l’occurrence de la manière suivante :
la phrase discursive de champ symbolique a montré l’existence et les modalités d’une émancipation
relative et graduelle de la représentation langagière à l’égard de l’étayage perceptif. La représentation
s’affranchit ainsi des signes qui fonctionnent comme des poteaux indicateurs. Une fois ceci reconnu, la
phrase complexe, la « combinaison de phrases » nous en offre un nouvel échantillon. Les anciens signes
déictiques ne disparaissent pas, mais (délestés de leur service externe) prennent en charge une fonction
déictique qui assure un service interne : En un mot : il se trouvent encore toujours présents dans le
contexte, mais leurs bras et leurs flèches n’indiquent plus directement des choses qu’on est censé
chercher, et qu’on trouve avec les yeux dans le champ visuel, ils font référence à des places contextuelles
et à des fragments de contexte où on trouve ce qui ne peut être présenté à l’emplacement occupé par le
signe déictique lui-même.488

[…] L’anaphore est un moyen propre au langage, qui lui permet dans une certaine mesure de
[…] connecter un élément déterminé à un autre élément déterminé au-delà de ce que réalise déjà l’ordre
syntaxique du champ symbolique de la phrase isolée. Elle rend possible d’opérer toutes sortes
d’interpolations sans menacer la vision d’ensemble, et en enjambement par des arches plus ou moins
grandes les éléments intermédiaires, elle permet d’aller récupérer ce qui à déjà été ou d’envisager par
anticipation ce qui est encore à venir pour le relier à ce qui est en train d’être nommé. C’est dans
l’ensemble un moyen de construction et de liaison d’une extraordinaire diversité, qui efface dans une

487
Cf., Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 559.
488
Op. Cit., pp. 562-563.

264
large mesure les limitations liées à la loi psychophysique qui ne permet aux mots d’être émis dans le flux
du discours que l’un derrière l’autre comme les maillons d’une chaine.489

Ces passages, extraordinairement éclairants, nous présentent le phénomène de


l’anaphore non pas comme on l’a toujours considérée, c’est-à-dire comme une figure
rhétorique par adjonction qui consiste en la répétition d’un mot ou d’un groupe de mots
au début de propositions ou vers suivants, mais comme et surtout un mécanisme
cognitif qui contient un moment d’indication.
Une indication qui ne doit pas être recherchée et retrouvée dans l’espace
perceptif, mais dans le contexte global du discours : tout emploi anaphorique des
démonstratifs qu’on a mis en évidence dans les trois récits présentés suppose, d’un point
de vue psychologique, que le lecteur ait bien construit dans son esprit l’entier flux
discursif (comme cela arrive pendant une interaction verbale où, au contraire, les deux
interlocuteurs doivent bien avoir à l’esprit l’intégralité du continuum du discours, de
façon à ce qu’ils puissent repérer les différentes concaténations acoustiques), dont les
parties peuvent être rappelées et anticipées. 490
L’emploi anaphorique des démonstratifs, donc, semble être un moyen privilégié
de connexion dans les textes écrits, dont l’emploi, au moins dans les graphic novels, est
presque modéré : le pourcentage d’emploi, en considérant l’ensemble des trois graphic
novels, s’élève environ à 1%, sur un ensemble de mots qui en moyenne, par texte,
s’élève environ à 5.389 mots.
L’emploi de quello dans la Strage di Bologna, ne semble pas contredire notre
observation à propos de cette diffusion modérée dans le texte des démonstratifs en
fonction anaphorique :

Quello Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[SDB2]: emploi anaphorique - […] Ci sono solo due cose che


noi narratori possiamo fare di

489
Op. Cit., p. 654.
490
Op. Cit., pp. 227-228.
On doit imposer et faire entrer en jeu la question de la primauté du tout sémiotique par rapport aux parties
qui le composent : en effet, comme on le verra dans le prochain paragraphe, on arrive à saisir le sens du
message entier seulement si on reconduit questo ou quello, employés anaphoriquement, dans la
physionomie globale de la phrase d’où ils sont extraits.

265
fronte a un evento […] Come
quello che è avvenuto a Bologna
il 2 agosto 1980 […] -
[SDB3]: emploi anaphorique - […] Non possiamo scoprire
misteri, quello lo fanno i
poliziotti e i giornalisti […] -
[SDB4]: emploi anaphorique - […] Non possiamo stabilire
verità, quello lo fanno i
magistrati […] -
[SDB5]: emploi anaphorique - […] Non possiamo neanche
cambiare le cose, quello
dovrebbero farlo i politici […] -
[SDB7]: emploi anaphorique - […] Per tutto quello che ci
(cataphore) succede attorno e per come
siamo fatti noi […] le emozioni
si raffreddano in fretta […] -
[SDB10] : emploi anaphorique - […] Il dolore di chi è stato
ferito e quello di chi è rimasto
solo […] -
[SDB13]: emploi anaphorique - […] Ecco, quello che la
(cataphore) narrativa può fare è questo
processo di semplificazione e di
sintesi […] -
[SDB19]: emploi anaphorique - […] Ammiraglio! Non mi
chiamare più così, Luigi. Quello
è il mio nome di battaglia […] -
[SDB23]: emploi anaphorique - […] Mi ha sentito? Ora si calmi
Presilio. Vedrò quello che posso
fare, lei non si preoccupi […] -
[SDB27]: emploi anaphorique - […] Ancora di cannoli, Maria,
che Tonino se li mangia tutti […]
che quello non ha mai patito la
fame […] -
[SDB44]: emploi anaphorique - […] Lei lo sa che l’obiettivo
della nostra loggia è quello di
smascherare il potere […] -
[SDB47): emploi anaphorique - […] Lo scopo di tale
organizzazione […] è quello di

266
produrre uno spostamento a
destra dell’Italia […] -
[SDB51]: emploi anaphorique - […] Niente, non ci sono […]
Venite! Forse ho trovato quello
che cerchiamo […] -

- [Quella]:

Quella Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[SDB29]: demonstr. ad oculos - […] Portate una barella, presto!


C’è qualcuno qua sotto! Non ce
ne sono più! Usate quella
lamiera laggiù […] -
[SDB30]: demonstr. ad oculos - […] Ho portato […] un po’ di
bende, un lenzuolo […] magari
servono. Certo che servono, li
consegni a quell’infermiera,
sull’autobus […] -
[SDB8]: emploi anaphorique - […] Se stiamo alle cifre, la
strage di Piazza Fontana […] è
stata una tragedia inferiore a
quella della stazione di Bologna
[…] che a sua volta è meno
importante di quella di Madrid
che ne ha avuti 200 […] -
[SDB15]: emploi anaphorique - […] Lo facciamo tutte le volte
che vogliamo raccontare una
storia […] Isoliamo alcuni fatti
che ci possano servire a
raccontare quella storia […] -
[SDB31]: emploi anaphorique - […] E lo chiamano “fornello”!
(anamnestique) […] E lo vieni a dire a me!
Quella bomba ha scavato un
vero e proprio cratere! […] -
[SDB40] : emploi anaphorique - […] L’articolo sarà in edicola
già dal 17 di agosto […] Con

267
quell’intervista, Spiazzi ci ha
fatto quasi un favore […] -
[SDB64]: emploi anaphorique - […] contro il giudice di Treviso
Giancarlo Stiz, a suo tempo
impegnato in indagini connesse a
quella sulla strage di Piazza
Fontana […] -

- [Quelle]:

Quelle Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[SDB6]: emploi anaphorique - […] Però quelle due cose là le


(cataphore) possiamo fare. Far rivivere le
emozioni e mettere in fila i fatti
[…] -
[SDB11]: emploi anaphorique - […] Tutte quelle emozioni
[…]-
[SDB22]: emploi anaphorique - […] I ragazzi hanno già pensato
a tutto. Continua. Una macchina
camuffata, come quelle degli
sbirri […] –

- [Quel]:

Quel Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[SDB21]: déixis à l’imaginaire - […] Di questo ti volevo parlare.


(emploi anamnestique) C’è quel giudice di Treviso,
Giancarlo Stiz, che da Piazza
Fontana in poi ci sta rompendo i
coglioni […] -

268
- [Quelli]:

Quelli Agent connecteur égocentré Connecteur non égocentré

[SDB32]: demonstratio ad - […] Quelli stanno già alle


oculos polemiche […] Mentre noi
continuiamo a rovistare nella
cenere per cercare i nostri morti
[…] – (indica con lo sguardo sul
giornale)
[SDB16]: emploi anaphorique - […] Isoliamo alcuni fatti che ci
possano servire a raccontare
quella storia, solo quelli che
servono […] -

La diffusion dans le texte du démonstratif quello, en conformité avec les autres


données ici présentées, est plutôt modérée : on compte 27 occurrences (environ 0,6%
sur 4.881 mots), dont 74% (20) d’emplois anaphoriques, 3 chaînes cataphoriques mises
en action (11%), 1 emploi anamnestique (déixis à l’imaginaire, 4%), et 3 demonstratio
ad oculos (11%). En ce qui concerne l’emploi total de questo et quello (et formes
fléchies) dans la Strage di Bologna, il s’élève environ à 1,33% (65 cas vérifiés) et, pour
finir, comme pour les graphic novels Porto Marghera et ThyssenKrupp, on ne relève
aucun emploi du démonstratif codesto, ni aucune fonction anaphorique -démonstrative
de esso.491
Du point de vue de leur valeur fonctionnelle, et en désaccord avec leur fonction
sémantique (qui les voit généralement liés à une dimension spatiale du tout dépendant
des variables proche/loin, et à la corrélation avec une personne grammaticale à laquelle
on ne peut pas toujours se référer), persiste un emploi du démonstratif d’éloignement,
comme agent connecteur non égocentré.
Cela pour confirmer une représentation de l’espace absolument indépendante du
paramètre de la distance, et où quello fait fonction de connecteur et réorganisateur des
parties d’un espace discursif. A travers sa fonction d’indication interne, il est à même
491
Cf., supra, III, § 5.

269
d’organiser l’espace syntaxique et faire en sorte que ce soit le champ symbolique lui-
même qui se comporte comme centre déictique, en devenant l’origo, à partir de laquelle
sera individualisé le point de vue du locuteur.
Poursuivons notre discussion sur la possibilité d’employer les démonstratifs
comme agent connecteur égocentré. Dans ce dernier texte, pour un pourcentage
insignifiant, de peu supérieur aux modèles précédents, on a relevé un plus grand emploi
de demonstratio ad oculos. D’après nous, tout cela est naturel car il s’agit d’un espace
textuel qui ne présente pas d’aspects d’une perception sensible immédiate.
Cependant, l’emploi anaphorique et anamnestique de quello cède le pas (dans 3
cas) à son emploi en tant que terme d’indication visant à indiquer quelque chose qui est
immédiatement présent aux yeux des interlocuteurs, quelque chose de perceptible dans
le champ d’indication mais dans un espace hors interlocution, par rapport au couple
dialogal (qui représente les deux points limite d’un des deux sous-espaces du champ
perceptif où se concrétise l’interaction verbale, dont le centre déictique est le io du
locuteur) :

[…] Le locuteur oriente délibérément le regard de l’allocutaire vers lui-même, le locuteur et sa


sphère, ou bien sur le fait qu’il a lui-même, l’objet en question devant les yeux : regarde par ici vers moi,
ou bien vers ce qui constitue mon objet de perception. [Certains mots ont vocation à cela, comme hier et
her en haut allemand moderne, ὅδε en grec, hic en latin.] Ajouté à un pronom de première personne, ou
directement mis à sa place, ce type de démonstratifs met en évidence le JE comme te, par exemple : [tu si
hic sis, aliter sentias, « si tu étais à ma place, ton sentiment serait différent ». [Pour ce dernier exemple,
l’allemand dit de manière drastique quelque chose du genre wenn du in meiner Haut stecktest, « si tu étais
dans ma peau ».] 492

(Strage di Bologna, p. 40)

492
Brugmann, [1904] in Bühler 1934; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 189.

270
Il serait plus correct d’affirmer que le perceptum se trouve dans un espace hors
du discursif où, aux deux extrémités, si on trace une ligne imaginaire, il y a les deux
interlocuteurs. On se trouve face à deux sous-espaces bien définis, mais en toute
logique, le mécanisme déictique mis en action ici semble indifférent au paramètre de la
distance, et semble indiquer tout ce qui se trouve dans l’espace perceptif du locuteur.
On ne peut pas établir que l’objet indiqué se trouve loin du io et du tu car, en
dépit de la position qu’il occupe dans le champ d’indication par rapport au locuteur et à
l’interlocuteur, proche ou loin, il est désigné par le démonstratif quello. Tout dépend du
fait qu’il se trouve dans ou en dehors de l’espace discursif partagé par l’émetteur et le
récepteur. Mais il y a plus. Cette représentation générale de l’espace qui dérive de
l’emploi des démonstratifs (le cas spécifique, ici, de quello) serait encore plus évidente,
et donc indifférente au paramètre de la distance, car elle est relative à la position de
l’indicatum dans le champ d’indication par rapport au lieu des interlocuteurs, si on
imagine que l’échange verbal se passe dans une autre situation.
Supposons que la communication se passe entre deux personnes assises à une
même table et que l’un des deux acteurs demande à l’autre de lui donner un objet qui ne
se trouve pas sous ses yeux mais, plus ou moins, après de l’autre côté de la table.
On l’indiquerait avec questo ou avec quello ? Au-delà de spéculations qui n’ont
rien à voir avec l’emploi pragmatique des déictiques, on demanderait sans doute de

271
nous donner quell’oggetto (cet objet-là). Pourtant il ne se trouve pas loin, au contraire,
on pourrait dire qu’il est près du locuteur.
La division de l’espace de la table en deux moities, celle côté locuteur et celle
côté interlocuteur, motive la distribution questo/quello avec un effet de zoom sur la
sphère personnelle (dedans/dehors) et annihile le critère de distance.
D’après nous, aucune des deux possibilités n’est valable. L’objet se trouve, en
effet, plus loin de ma sphère personnelle (et pas dans, pour pouvoir le désigner avec
questo), entre moi et l’interlocuteur, et c’est pour cette raison qu’on utilise le terme
d’indication quello, de la même façon qu’on l’utilise quand l’objet est dans un espace
hors interlocution, par rapport au couple pris dans sa totalité.
Une dernière considération, à propos d’éventuelles analogies que l’on pourrait
nous opposer entre la position d’un démonstratif employé anaphoriquement, et la
proximité ou l’éloignement du terme qu’il reprend (anaphore) ou anticipe (cataphore).
Nous adressons plus particulièrement cette dernière réflexion à ceux qui
s’occupent d’iconicité et phonosymbolisme dans l’étude des faits de langues. Nous
précisons que, selon notre façon de voir les choses, (et nous ne prétendons pas qu’elle
soit la seule, encore moins qu’elle soit irréprochable, mais susceptible de variations et
corrections), il existe deux champs du langage, le champ déictique et le champ
symbolique : nous n’envisageons ni une théorie strictement iconique 493 , ni une
phonosymbolique, ni l’existence d’un champ iconique ou onomatopéique.494

493
Friedrich nous informe à ce propos : « Bühler partage la critique de Cassirer, et comme lui, récuse sans
appel l’idée d’une ressemblance entre monde, esprit et langage. Pour Bühler, une théorie iconique du
langage n’est pas acceptable, et il souscrit à une conception du langage comme système sémiotique
original, organisé selon ses propres lois structurelles […] Bühler, n’entend pas promouvoir une théorie
iconique ou référentielle du langage. En comprenant la représentation comme une présentation, Bühler
resitue le langage dans un rapport direct, immédiat au monde » [Friedrich in Bühler [1934] 2009, Op.
Cit., pp. 42-44].
494
Il n’est pas difficile ici de comprendre que notre point de repère est F. de Saussure : notre point de vue
est structurel, ainsi comme la loi selon laquelle les mots, les suites phoniques, les propositions, etc., se
soumettent à la loi de formation et composition de la langue elle-même. Il est impossible de faire
abstraction de la plus grande des leçons que le linguiste suisse nous a laissée (reportée ensuite par
Meillet), c’est-à-dire que la langue est une système où tout se tient, mais elle ne doit pas être étudiée
seulement en tant que système (en lui-même et pour lui-même), mais la linguistique, qui fait partie
intégrante de la sémiologie, doit étudier la vie des signes au sein de leur vie sociale [cf., Saussure [1916]
1979, Op. Cit., p. 33] : « […] À titre d’intermède, on étudiera […] si la langue telle que nous la
connaissons possède, outre le champ symbolique, un véritable champ iconique [Malfeld]. L’existence des
onomatopées est incontestable mais le résultat est négatif, et du point de vue de l’analyse de la structure,
on ne peut leur reconnaître qu’un mode d’existence secondaire et résiduel […] Je m’aperçois aujourd’hui
que les petits bouts d’iconicité, qui de fait apparaissent, demeurent isolés et ne font pas partie d’un ordre
cohérente, qui mériterait réellement le nom de champ iconique. Il n’y a donc pas trois champs dans le
langage, à savoir le champ iconique, le champ déictique et le champ symbolique, mais seulement deux, en

272
En effet, nous sommes convaincu que personne n’est à même d’enquêter
scientifiquement sur la relation de ressemblance qui s’instaure entre la représentation
phénoménique du signifiant relatif au cri du coq (Kikkiriki, hihirihih, ikkihhiiiiii, etc.) et
le son réel qu’il produit (le même principe vaut pour le perepepé d’une trompette, le
bum d’une bombe). De la même façon, selon nous, ne s’instaure aucun type de rapport,
fondé sur la proximité ou sur la distance, entre le démonstratif (utilisé comme)
anaphorique et le terme (ou le concept) auquel il renvoie :

[…] C’est le cas quand, après qu’un homme est passé devant nous, je dis à quelqu’un, sans
accompagner le pronom d’un geste d’indication, dies war Herr N., « c’était monsieur Untel », ou bien
quand, après un coup de tonnerre, je dis das war kräftig !, « c’était violent », ou bien quand, après avoir
écouté un chant, je dis dieses Lied ist mir neu, « je ne connais pas ce chant ». […] Il suffit qu’avec les
mots c’était monsieur Untel je tourne la tête du côté où la personne est passe pour que ce geste confère au
pronom le caractère d’une déixis sensible. […] Et qu’en est-il alors de l’anaphore ? […] La fonction du
démonstratif est exactement la même que dans la phrase je ne connaissais pas ce chant. Et cela ne fait
guère de différence si au lieu de référer aux mots qu’on a entendu prononcer par quelqu’un d’autre, le
pronom réfère à un mot prononcé par le locuteur lui-même. […] Et de ce point de vue cela ne fait pas non
plus de différence que le pronom déictique porte sur le mots précédents ou sur ceux qui suivent.
Comparer par exemple : « prends note du (de ce) précepte : tu dois, etc., et prends note du
précepte suivant : tu dois, etc., j’admets le fait que » [Portate una barella, presto! C’è qualcuno qua
sotto! Non ce ne sono più! Usate quella lamiera laggiù, etc., Ho portato […] un po’ di bende, un lenzuolo
[…] magari servono. Certo che servono, li consegni a quell’infermiera, sull’autobus].495

l’occurrence le champ déictique et le champ symbolique » [Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 264-
265].
495
Op. Cit., p. 560. Nous ajoutons les italiques entre crochets.

273
§ 3. Graphic Novel, contextes et moments de champ : vers un mouvement de
pensée généralisant dans l’interprétation du sens.

Analysons maintenant comment s’applique la notion de physionomie acoustique


des mots à la réalité textuelle du Graphic novel. Avant de nous plonger dans le
développement, nous voudrions répondre à une éventuelle objection : pourquoi,
s’agissant d’un travail sur la perception des sons linguistiques, la matière étudiée est
l’écrit et non le parlé spontané ? 496
La réponse est très simple : constituer un échantillon statistiquement
représentatif à employer comme groupe expérimental (sans compter qu’il faudrait se
servir d’un groupe de contrôle), afin de vérifier une éventuelle perception gestaltique
des sons linguistiques, n’est pas chose à improviser, tout comme un laboratoire, où
travailler le matériel acquis par le biais d’instruments appropriés (un logiciel pour
l’analyse de la voix ne suffit pas).
Nous réservons la possibilité de pouvoir élargir nos recherches dans un futur
proche, en élaborant un corpus d’enregistrements alliant captures sonore et visuelle dans
496
Un message verbal artificiel produit ad hoc en laboratoire dénaturerait l’expérimentation, par
l’absence des facteurs d’altération du signal acoustique qui normalement interviennent pendant une
interaction naturelle : bruits, vitesse d’élocution non contrôlée mais spontanée, et par voie de conséquence
décomposition de parties entières de la chaîne acoustique, etc.
Une considération à ce propos. Pendant un échange communicatif, aucun d’entre nous ne fait attention à
bien articuler les mots qu’on prononce, comme un robot qui reproduit fidèlement un message vocal. En
effet, on a tendance à considérer le parlé, mais pas dans notre cas, comme une simple juxtaposition
d’éléments phoniques discrets. Si on considère tous les phénomènes d’interférence, ou de coarticulation,
et de simplification qui caractérisent le parlé spontané (hypoarticulé). Il suffit de rappeler, à titre
d’exemple, les phénomènes coarticulatoires qui peuvent être définis comme systématiques, c’est-à-dire
qui se produisent automatiquement dans le parlé. Entre autres, l’harmonie vocalique dans les langues
finno-ougriennes ou dans le turc, où la voyelle tonique d’un mot influence le timbre des voyelles atones,
et l’Umlaut (le phénomène d’assimilation à distance qui intéresse les voyelles toniques moyennes ou
basses d’un mot si, dans la syllabe suivante, apparaissent des voyelles atones hautes /-i/e/-u/: uscio <
ostium, où la voyelle [o] tonique devient [u] par effet de la voyelle atone [i] qui suit. D’autres exemples
de métaphonie s’enregistrent régulièrement dans les dialectes méridionaux italiens : p. e. mese > mis∂).
Nous pourrions aussi citer les phénomènes non systématiques (c’est-à-dire qui apparaissent de façon
aléatoire dans le parlé spontané, comme par exemple les phénomènes d’assimilation progressive ou
régressive : kwesto >kwesso, torno > tonno), sans compter les innombrables phénomènes diachroniques,
encore liés au temps d’attaque de la sonorité (VOT : voice onset time), comme par exemple la lénition :
amicum > amigo; aveva > habebat. Certains de ces phénomènes (systématiques) se sont grammaticalisés
au cours du temps, d’autres sont le fruit de la tendance des organes de phonation au moindre effort
articulatoire (tout changement demande énergie et, dans la production verbale, on essaye de réduire au
maximum, dans le passage d’une phone à l’autre, les déplacements des organes articulatoires. En effet,
des cas fréquents de sonorisation, partielle et totale, se vérifient dans le parlé accéléré et hypoarticulé). Ce
principe économique lié au mécanisme coaticulatoire est la cause de l’altération du signal phono-
acoustique, pendant un échange communicationnel naturel.

274
le cadre d’une chambre sourde.
Cependant le graphic novel s’est révélé un très bon champ à explorer, grâce
auquel constater non seulement l’emploi pragmatique réel des démonstratifs, dont la
valeur fonctionnelle ne coïncide pas toujours avec leur valeur sémantique, mais aussi la
parfaite synergie entre les deux champs du langage, dont la dynamique est mise à
l’épreuve par une représentation sémiologique d’un espace textuel qui semble se
déplacer de façon équilibrée entre la dimension symbolique et la déictique du langage.
En effet, nous avons relevé, d’une part, un emploi marginal des démonstratifs
comme agents connecteurs égocentrés (8 cas de demonstratio ad oculos sur 183 emplois
de questo e quello, 4,5% environ) dont le mécanisme déictique prévoit la seule action
totale du champ d’indication du langage, celle-ci étant condition nécessaire et suffisante
pour le succès de l’échange communicationnel. La déixis à l’imaginaire utilise les
mêmes auxiliaires que la demonstratio ad oculos, mais elle emploie les démonstratifs
comme connecteurs non égocentrés.497
Les démonstratifs se prêtent à tout emploi anaphorique possible, et donc à la
possibilité d’être employés en tant qu’agents connecteurs non égocentrés (175
occurrences, 95,5 %). L’emploi anaphorique s’est révélé le moyen d’indiquer le plus
utilisé dans le graphic novel et l’instrument de mesure le plus efficace de la dynamique
des deux champs, en prévoyant, pour que le lecteur saisisse la valeur réelle (le sens) des
termes d’indication employés dans une situation énonciative donnée, la parfaite
coopération entre le champ symbolique et le déictique.
La théorie des deux champs chez Bühler n’est pas tout à fait compréhensible, si
on ne la rapproche pas d’un autre instrument efficace : le concept de physionomie

497
La déixis à l’imaginaire, en se référant à ce qui est absent (ou à ce qui vit dans nos souvenirs), prévoit
les mêmes indications généralement employées dans une demonstratio ad oculos, mais avec une
transposition d’une posture égocentrique à une posture topomnestique [cf., supra, III, § 4]. Par
conséquent, le mécanisme déictique ne se manifeste pas dans l’échange communicationnel direct dans le
champ d’indication qui constitue le système je-ici-maintenant de l’orientation subjective mais, en se
servant du même champ d’indication et des mêmes termes d’indication, il produit des transpositions à
travers la dénomination, déplaçant ainsi le centre déictique, l’origo, du lieu de l’io, au contexte
extralinguistique où je suis transporté (la preuve en est que je ne pourrais pas adresser à mon interlocuteur
l’énoncé suivant, et espérer qu’il en comprendra le sens : « ti ricordi quando a Montpellier mangiammo
quell’orrendo piatto? » (« tu te souviens quand à Montpellier, on a mangé cet horrible plat ? »), par contre
il comprendrait parfaitement si hic et nunc je lui demandais « ma che cos’è questa cosa orrenda ? »
(« mais qu’est-ce que c’est ce truc horrible ? »). La différence est que dans le premier des deux exemples,
pour la bonne réussite de la communication, la dénomination de l’indicatum est essentielle, donc le
recours à une deuxième classe d’auxiliaires explicatifs que Bühler désigne avec le nom de contexte.

275
acoustique. Nous en avons déjà parlé498, mais nous le reprenons maintenant in nuce, et
nous essayons de l’appliquer correctement aux corpora que nous avons tirés des trois
graphic novels, Porto Marghera, ThyssenKrupp et Strage di Bologna.
Le cadre théorique dans lequel nous systématisons les données obtenues se
fonde sur la thèse, de matrice cognitive, selon laquelle la perception, la compréhension
et la décodification des sons linguistiques s’actualisent de façon holistique, car elles
prennent de la valeur et de la consistance seulement quand elles sont insérées dans une
physionomie globale sur laquelle les deux champs du langage agissent en synergie.
L’idée d’une perception holistique et mentale des unités linguistiques, en
d’autres termes la primauté du tout sémiotique par rapport aux unités isolées qui le
composent, est pertinente pour l’école de la psychologie de la gestalt, dont la thèse
principale était que l’expérience consciente ne pouvait être considérée comme la simple
somme des parties qui la constituent, mais plutôt comme le tout différent de la somme
des parties. Le système nerveux est donc disposé à répondre aux patterns des stimuli
sensoriels avec des mécanismes innés qui agissent d’après certaines règles
fondamentales. Ces mécanismes sont définis comme des principes de l’organisation
perceptive tels que la proximité, la ressemblance, la fermeture, la continuité, le
mouvement commun, la symétrie et l’expérience vécue. 499
A la base, donc, il y avait une attitude de refus à l’égard de la psychologie
élémentariste 500 , à identifier avec la figure de son plus grand représentant, le

498
Cf., supra II, §§§ 2, 4, 5.
499
Sur la psychologie de la gestalt, nous renvoyons à la lecture de ceux qui sont considérés des piliers de
cette école : Kurt Koffka, Principles of Gestalt psychology, London, Routledge, [1935] 2005, 720 p. ;
Max Wertheimer, « Laws of organization in perceptual forms », [First published as Untersuchungen zur
Lehre von der Gestalt II, 1923], in Psychologische Forschung, 4, 301-350, translation published in Willis
Ellis, A source book of Gestalt psychology, London, Routledge & Kegan Paul, 1938, pp. 71-88. ;
Wolfgang Köhler, La psicologia della gestalt, Feltrinelli, Milano, 1961 (tr. it., Gestalt psychology, New
York, NY, Liveright, 1947), 247 p.
La psychologie cognitive n’est pas notre domaine de spécialité, nos incursions dans cette discipline
connexe en sont à leurs débuts et nous envisageons d’approfondir nos connaissances dans un futur
proche.
500
Wundt était convaincu que les contenus psychiques sont des réalités difficiles qui peuvent être
décomposées en unités plus simples qui les constituent (élémentarisme). D’après lui, la psychologie doit
utiliser la méthode expérimentale pour étudier les fonctions élémentaires de l’esprit (comme sensation et
perception) pour donner de l’objectivité à la psychologie. Cette conception heurte complètement l’idée
principale des fondateurs de la psychologie de la Gestalt, selon lesquels il n’était pas juste de diviser
l’expérience humaine en ses composants élémentaires et il fallait considérer l’entier comme phénomène
surordonné par rapport à la somme de ses composants : « L’ensemble est plus de la somme de ses
parties ». Elle s’opposait ainsi au modèle du structuralisme, diffusé à partir de la fin du XIXe siècle, et à
ses principes fondamentaux, tels que l’élémentarisme de l’atomisme psychique. Au fond, c’est justement
ce que structuralisme et générativisme ont fait dans le domaine de la linguistique : éliminer complètement

276
psychologue allemand Wundt, dont la Gestalt refuse la méthode structuraliste, car il
essayait d’étudier la structure latente de l’esprit, en évaluant, la perception subjective
des stimuli provenant de l’extérieur à l’aide de textes.
Wundt est considéré comme un élémentariste puisqu’il décompose les fonctions
psychiques en éléments isolés qui doivent être pris en examen à travers une approche
analytique.
La méthodologie de recherche mise en œuvre par le psychologue allemand, dite
introspection, était fondée sur l’étude descriptive des sensations que le sujet
expérimental éprouvait pendant les phases de l’expérience. A ce propos, on effectuait
des expériences sur des personnes préparées à appliquer cette méthodologie ; le sujet
était donc soumis à un (S)timulus que le psychologue pouvait contrôler (R), et ensuite le
sujet avait pour tâche de décrire soigneusement les processus sensoriels éprouvés.
La psychologie de la Gestalt est en parfaite syntonie avec le concept de système
de Kant, qui en constitue le présupposé théorique primordial, selon lequel un système
n’est pas une coacervatio d’éléments, mais une « totalität », c’est-à-dire une
structure 501 organisée d’éléments dans un rapport d’interdépendance, un ensemble
organisé, une configuration harmonieuse.
L’information que nous percevons se déplace dans les limites d’une organisation
perceptive, dont la véritable unité fondamentale est constituée par le stimulus sensoriel

le locuteur de leur horizon théorique et plonger le langage dans une réalité psychique et non
psychophysique (loin de l’expérience humaine que le parlant fait du langage).
A propos de Wundt, nous renvoyons à deux œuvres qui rapportent exhaustivement sa pensée : Giulio
Castiglioni, Wundt, Brescia, La Scuola, [1945], 168 p. ; Oliverio Ferraris, Psicologia: i motivi del
comportamento umano. Bologna, Zanichelli, [2006], 488 p.
501
Nous suggérons que la proposition de Kant dans la Critique de la Raison Pure correspond exactement
à la notion de système de Saussure qui n’utilisait jamais le mot structure dans ce sens, selon la conception
du structuralisme européen qui, sur les traces des études psychologiques inaugurées par Wundt, continua
à étudier la langue en travaillant in abstracto, en privilégiant l’étude de la langue, au détriment de celle de
la parole, en insérant les fonctions isolées de la langue dans la seule réalité psychique du locuteur. De
Mauro synthétise : « Nous trouvons dans le dernier alinéa du paragraphe une des nombreuses occurrences
saussuriennement indues de phonème et de éléments phonologiques […] Un peu plus loin apparaît le
terme structure qui, pour ce passage précis, n’est pas dans la source manuscrite (2086 Engler) mais qui
est cependant certainement adopté par Saussure, en ce sens, dans d’autres passages. […] Le terme est
donc certainement saussurien : il est inexact de dire que Saussure n’a jamais adopté structure ([…]
Benveniste est dans le vrai lorsqu’il dit que Saussure, pour dénoter le système, n’adopte pas structure
mais bien système […]) ou qu’il ne l’adoptera que pour le refuser […] : comme cela est plus évident dans
les sources manuscrites que dans le C.L.G. 244, Saussure a plutôt des doutes pour construction, non pas
pour structure. […] Enfin, il faut remarquer que dans tous les passages des manuscrits ou du C.L.G. dans
lesquels apparaît structure, le mot désigne toujours le regroupement syntagmatique, linéaire : c’est-à-dire
qu’il est employé dans l’acception « américaine » plutôt que dans l’acception du structuralisme européen
[De Mauro in Saussure [1916] 1979, Op. Cit., n. 259, p. 470].

277
considéré dans sa globalité, et non par les éléments isolés qui le composent.
Observons la figure suivante conçue par le psychologue américain Joseph
Jastrow (duck-rabbit illusion ; « illusion canard-lapin ») :

La figure est composée d’une seule image qui, alternativement, peut être
interprétée perceptivement comme la tête d’un canard (qui regarde vers gauche) ou d’un
lapin (qui regarde vers droite) et démontre que la bonne compréhension de l’image
bistable n’est pas le fruit des parties isolées qui la composent (dans ce cas, les lignes,
l’œil, le bec ou les oreilles selon le point de vue), n’assumant aucune consistance
perceptive, au-delà de la physionomie entière dont elles font partie (du tout sémiotique
où elles sont insérées).
En outre, ce qui est perçu, physiquement constant, est élaboré en conformité
avec certains principes gestaltiques de l’organisation perceptive, qui tendent à
l’unification des informations considérées dans leur ensemble telles que la proximité, la
ressemblance, la fermeture, la continuité, le mouvement commun, la prégnance ou
bonne forme, l’articulation figure-fond. L’élaboration de ces informations donne lieu à
deux images mentales différentes. La perception est par conséquent holistique et
mentale, en permettant d’élaborer et interpréter l’information contenue dans le stimulus
en tirant une représentation organisée, indicative et utile.
Entre autres, le processus de perception semble avoir joué un rôle crucial même
aux origines du langage humain. Ce sera un thème que nous développerons par la suite,
mais pour l’instant nous nous limitons à souligner l’extraordinaire actualité de la
Théorie du langage comme précurseur de la théorie, plus récente, des Neurones Miroirs
de Rizzolatti et Sinigaglia.
En effet, Bühler avait déjà supposé dans les années trente qu’on pouvait

278
considérer les termes déictiques comme les mots « originels » du langage humain ;
avant, dit-il, il existerait la « déixis muette » : l’indication avec le bras et l’index
pointés, ainsi que les mouvements d’indication de la tète et du regard. L’indication des
objets et les processus perceptifs effectués en silence ou, en criant et en appelant,
auraient été reliés et puis renforcés par les signes sonores.502
À l’origine du langage humain il y a donc pour Bühler « l’action déictique ».
Voici ce que Rizzolatti et Sinigaglia disent à propos :

[...] Bien que l’imitation requière l’activation d’autres aires outre celles du système des neurones
miroirs, nous pouvons difficilement imiter une action ou un geste sans disposer d’un mécanisme capable
de coder dans un format neural commun l’information sensorielle et motrice pertinente à un acte ou un
ensemble d’actes. Mais n’est-ce pas le cas pour n’importe quelle forme de communication ? Qu’elle soit
verbale ou non, la communication ne doit-elle pas principalement satisfaire ce « réquisit de parité »
d’après lequel « émetteur et récepteur doivent être liés par une compréhension commune de ce qui
compte ? [...] Autrement dit si « les processus de production et de perception » n’étaient pas « connectés
d’une manière ou d’une autre » et si « leur représentation » n’était pas « à un moment donné, la même »
[...] Nous savons que l’aire de Broca, une des aires classiques du langage, possède des propriétés motrices
qui ne sauraient être réduites exclusivement à des fonctions verbales et dont l’organisation est similaire à
celle de l’aire homologue du singe (c’est-à-dire à F5), s’activant durant l’exécution de mouvements oro-
faciaux, brachio-manuels et oro-laryngés. En outre, de même que F5, cette aire apparaît impliquée dans
un système des neurones miroirs qui, chez l’homme comme chez le singe, a principalement pour fonction
de lier la reconnaissance à la production d’une action. Cela semble suggérer que les origines du langage
ne devraient pas tant être recherchées dans les formes primitives de la communication vocale que dans
l’évolution d’un système de communication gestuelle contrôlé par les aires corticales latérales.503

Fermons pour le moment la parenthèse sur les neurones miroirs et retournons


aux principes gestaltiques de l’organisation perceptive. Nous disions que ces théories
sont les mêmes qui président à la constitution de l’élaboration perceptive des sons
linguistiques. Ou mieux, la perception d’un mot, d’un message sonore, est à considérer
à la lumière d’une perspective physiognomique, dont l’efficacité est strictement liée à la
notion de champ :504

[…] Qu’est-ce alors qu’un mot ? Je relève chez Meillet une définition séduisante qui dit : « un

502
Cf., Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 182-183.
503
Giacomo Rizzolatti, Corrado Sinigaglia, Les Neurones Miroirs, Odile Jacob, Paris, 2008, pp. 163-169.
504
Cf., supra, II, § 4.

279
mot est défini par l’association d’un sens donné à un ensemble donné de sons susceptible d’un emploi
grammatical donné ». Si on se réserve de préciser ce que l’auteur entend par association et ensemble de
sons, les deux critères de Meillet me semblent excellemment choisi […] Nous allons proposer une version
élargie du second critère de Meillet […] Le second critère de Meillet se trouve de la sorte converti en une
définition élargie, qui pose que tout mot est susceptible de champ. Peut-être suffit-il déjà de réunir la
frappe phonématique et la capacité de champ pour faire de leur réunion la différentia specifica du concept
de mot. Car l’appartenance à l’un des deux champs implique le concept générique correspondant, qui
exige que l’image acoustique soit un signe sonore et soit, en tant que tel, « pourvue de sens ». Résultat :
les mots sont les signes sonores d’une langue pourvus d’une empreinte phonématique et susceptibles de
champ.505

Une fois posée l’essence du rapport entre la physiognomie des mots et la théorie
des deux champs, nous allons travailler directement sur les romans graphiques
sélectionnés en présentant les différentes phases d’une expérience, déjà illustrée dans
les pages précédentes (mais appliquée à une situation de communication différente), qui
illustre bien la dynamique des deux champs du langage, et de leur influence réciproque,
confirmant le principe gestaltique selon lequel l’ensemble est plus que la somme de ses
parties, et qui, appliqué aux faits de langue, s’exprime dans la primauté du visage
phonique et du tout sémiotique par rapport aux parties qui les composent.506
La théorie fondamentale est la suivante : ce que l’individu perçoit d’une mélodie
(si le message verbal est sonore) ou d’un texte, ne sont pas de sons isolés, ni des mots
isolées mais une structure plus complexe qui naît de l’interdépendance qui lie les
différents sons et mots. Aucun de ces sons et mots qui forment cette structure de niveau
supérieur, pris isolement, ne possède un signifié constant et immuable, puisque le
signifié change au fur et à mesure d’après le contexte ou la configuration
(physiognomique globale) spécifique dans laquelle il est inséré.
Nous poursuivons avec la démonstration. La suite de dessins présentée ici
rapporte une série d’énoncés (à considérer comme une longue invective sous de fausses
apparences de communication sociale), sous la forme d’une lectio magistralis,
concernant quelques données sur les accidents du travail en Italie. Elle est tirée du

505
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 445-446.
506
Cf., supra, IV, § 1, et II, § 4 (où la vérification est appliquée à un contexte oral, une situation
d’interlangue et d’apprentissage d’une L2, et pas à une dimension textuelle, comme celle des graphic
novels). On rappelle que l’expérience est déjà présente ailleurs. [Albano Leoni, Pietro Maturi, [1992], pp.
39- 49].

280
roman graphique ThyssenKrupp, Morti speciali S.p.a., de Di Virgilio et De Carli507:

(ThyssenKrupp, p. 41)

Voici la transcription de la première partie du dialogue :

- In Italia, tra i lavoratori stranieri assicurati, la maglia nera degli infortuni appartiene a [quelli] di
nazionalità marocchina -
- Per quanto riguarda i casi mortali, fino a pochi anni fa spettava ai rumeni. Poi sono entrati a fare parte
dell'unione europea -
- Lasciando il triste primato all'Albania –
- Sul totale delle vittime, il 19% sono lavoratori stranieri -
- La causa più frequente di infortunio è, con il 42%, la caduta dall'alto -

Par la suite le reste des dessins qui achèvent le message objet du long
monologue. On pourrait aussi concevoir tout le texte comme un long énoncé, fruit d’un
acte d’énonciation écrite adressée à un lecteur empirique508 :

507
Cf., supra, IV, § 2.
508
Je fais allusion, bien évidemment, à la théorie de l’énonciation par Émile Benveniste, qui considère

281
(ThyssenKrupp, p. 42)

Voici la transcription de la seconde partie :

- I giovani, intesi come Under 34, sono la categoria col maggior numero di infortuni, quasi il doppio
rispetto agli altri lavoratori -
- I cosiddetti precari sono [quelli] più esposti, forse perché presi da preoccupazioni più immediate, come
perdere il posto -
- I mesi più "neri" sono ottobre e novembre -
- Lunedì e Venerdì i giorni in cui accadono più frequentemente gli infortuni -
- L'ora più pericolosa è [quella] prima dell'interruzione per il pranzo -
- E comunque, al di là dei numeri -
- Nessuna ora è [quella] giusta per morire -

l’énoncé comme le fruit d’un acte d’énonciation hic et nunc, à savoir comme un événement qui se passe
dans un temps et dans un lieu déterminés. Il concevait l’énonciation comme la structure de médiation qui
transforme la langue (le système de la langue) en parole (le discours pris en charge individuellement). En
outre Benveniste distingue entre énonciation écrite et orale. L’énonciateur d’un texte écrit est l’auteur. Par
conséquent, l’énonciataire est le lecteur empirique. Par rapport à l’énonciation verbale, le rapport entre
auteur et lecteur se configure de façon différente. L’auteur ne présente aucune évidence pratique : il est
simplement assumé par le lecteur, qui reconstruit sa figure en partant des traces qu’il laisse dans le texte.
Dans le texte, on peut avoir aussi bien la présence des marques de l’auteur que celles du lecteur empirique
(s’il s’agit de récits, on parle de narrateur et narrataire). C’est exactement ce qui se passe dans le graphic
novel : l’auteur se présente en écrivant et laisse d’autres individus se présenter dans le texte [Cf., Emile
Benveniste, «L’appareil formel de l’énonciation», in Problèmes de linguistique générale II, Gallimard,
Paris, [1966], p. 95 et svtes].

282
Du discours entier, nous avons tiré quatre occurrences du démonstratif quello
(dans ses formes fléchies quelli/quella), employé en tant qu’agent connecteur non
égocentré509 : dans ce cas spécifique, comme dans les suivants, le démonstratif se prête
à un emploi anaphorique. Par conséquent, sa valeur sémantique (normalement de
pronom démonstratif d’éloignement) n’a aucune correspondance avec la valeur
fonctionnelle (de terme d’indication avec valeur anaphorique), et le paramètre de la
distance n’est pas du tout apte à en dévoiler le mécanisme déictique mis en œuvre dans
les situations énonciatives que nous avons indiquées.
L’emploi de quello dans le texte prévoit, pour qu’on puisse comprendre
correctement le sens dans le contexte où il se manifeste, l’action simultanée du champ
symbolique et déictique du langage : en suivant le principe gestaltique déjà énoncé, ce
que le lecteur perçoit pendant la lecture du texte, ce n’est pas le mot isolé
[quelli]/[quella], mais une structure plus complexe, fruit de l’interdépendance qui lie le
mot [quelli]/[quella] au contexte où il est inséré. Aucun de ces mots, considérés en eux-
mêmes et pour eux-mêmes, ne possède un signifié constant et statique, car il change au
fur et à mesure d’après la physionomie (acoustique) dans laquelle on l’introduit.
Mais procédons avec ordre. Essayons de réduire l’efficacité du champ déictique
et enlevons de son champ sympratique (le cotexte dont elle fait partie) la phrase
suivante bien construite :
 « Nessuna ora è [quella] giusta per morire » (« Aucune heure n’est
bonne pour mourir ») : le lecteur qui se trouve face à cet énoncé aura du
mal à en comprendre le sens réel car il ne connaît ni le contexte, ni la
situation dans laquelle il est effectivement prononcé. Est-elle une menace
ou la plainte triste de quelqu’un qui a perdu une personne chère ? Ou,
pourrait-elle être un slogan d’une campagne publicitaire ?
Maintenant, enlevons un mot de la même phrase, et donc de son champ
synsémantique (son contexte) :
 « quella » : le lecteur, malgré la reconnaissance du mot (il faut dire, en
effet, que s’il s’agissait d’un échange verbal, l’écouteur aurait du mal à
reconnaître la phonie en question), pourra simplement se limiter à en

509
Cf., supra, IV, § 2.

283
identifier la fonction grammaticale et la valeur sémantique (adjectif et
pronom démonstratif : il indique en général une chose ou une personne
loin dans l’espace et le temps de celui qui parle ou écoute, ou qui dans le
discours est considérée en tant que telle), mais il lui serait impossible
d’en distinguer la fonction (pronom de rappel) dans une phrase, et
interpréter correctement le sens du mécanisme déictique qu’il met en
action (identifier le perceptum discursif auquel il renvoie).
Reprenons encore le mot [quella], coupons une syllabe [-la], en l’enlevant donc
de son champ symphysique (le contexte phonique immédiat) :
 Notre lecteur empirique, ne connaissant pas le mot d’où la syllabe est
tirée, n’arrivera absolument pas à l’associer au tout sémiotique dont elle
fait partie, et la syllabe en question n’a en soi aucune consistance
linguistique (est-ce que ce sera le monosyllabe et article déterminatif la
ou la syllabe terminale d’un mot de genre féminin ?), en l’obtenant une
fois qu’on la réinsère dans une physionomie globale.
Isolons maintenant, encore plus drastiquement, un son isolé [a] de la syllabe [-
la], du mot [quella], en réduisant encore plus son champ symphysique, il ne sera pas
difficile d’admettre qu’il pourra être considéré comme un morceau isolé, identifiable
avec une entité sémiotique quelconque, comme un mot, une interaction, une
onomatopée, un symbole chimique (Ag « argent », Au « or »), une note de musique
(A=La, dans la notation anglo-saxonne), etc.
On pourra déduire de la démonstration que nous venons d’illustrer, que le sens et
la bonne interprétation d’un message linguistique semblent se mouvoir entre une
dimension symbolique et une dimension déictique du langage, et ils doivent être insérés
dans une perspective physiognomique, selon laquelle, seulement un tout sémiotique
bien formé est facilement identifiable.
Le concept de physionomie acoustique est donc valable non seulement au niveau
des mots isolés, dont la reconnaissance se produirait de façon holistique, en partant de la
perception de la silhouette phonique (du général au particulier) et de ses connotés
phonématiques, mais aussi pour ce qui concerne des structures de niveau supérieur,
telles qu’un texte ou une conversation spontanée entre deux interlocuteurs.

284
Complétons notre analyse avec un exemple tiré du roman graphique La Strage di
Bologna d’Alex Boschetti et Anna Ciammitti510:

(Strage di Bologna, pp. 74-75)

La transcription :

4 gennaio 1981. Roma, saletta VIP dell’aeroporto di Fiumicino.


- Vede Generale Notarnicola, abbiamo ragione di credere all’imminente attuazione di un piano eversivo
-
- Con attacchi dinamitardi sulle più importanti tratte ferroviarie -
- Pare che gli ordigni siano pronti e si trovino già in Italia […] Le informazioni appena raccolte in
Francia indicano che dovrebbero essere consegnati a un nucleo terroristico composto da quattro a sei
elementi, tra cui un parigino di nome Philippe e un tedesco di nome Horst -
- La consegna dell’esplosivo avverrebbe a bordo di un treno -

Le dialogue entre les quatre interlocuteurs se poursuit ainsi (il s’agit en effet
d’un des rares entretiens présents dans les trois graphic novels) :

(Strage di Bologna, pp. 76-77)

510
Cf., supra, IV, § 2.

285
La transcription de la page de gauche (p. 76) :

- Ad ogni modo, colonnello, troverà tutte le informazioni in [questo] rapporto -


- Come vede, la pista conduce al terrorismo internazionale, e tra pochissimo potremmo essere in grado di
conoscere anche la data e il numero del treno -
- Francamente sono colpito da quanto siano dettagliate le vostre informazioni. Siete sicuri
dell’attendibilità della fonte -
- Si occupi di approfondire [questa] situazione, colonnello. Ci faremo sentire al più presto -

La conversation montre deux occurrences du démonstratif questo (y compris la


forme fléchie questa), employé respectivement comme agent connecteur égocentré, il
s’agit d’une des rares demonstratio ad oculos vérifiées en globalité, et agent connecteur
non égocentré, où le déictique génériquement défini de proximité, dans ce cas aussi,
s’est prêté à un emploi anaphorique.511
On peut constater avec certitude que, si dans le premier de ces emplois les
valeurs sémantique et fonctionnelle du démonstratif coïncident parfaitement, en étant
corrélées à une conception de l’espace dépendant, dans cette circonstance, du paramètre
de la distance (identifiable dans la proximité au denotatum, le dossier des informations),
dans le deuxième cas, les deux valeurs tendent à ne pas coïncider : l’emploi anaphorique
et anamnestique de questo prévoit le renvoi ou le rappel à un ensemble d’informations
dont on vient de parler et que les interlocuteurs ont encore bien présent à l’esprit.

511
Cf., supra, IV, § 2.

286
Nous avons longuement parlé des emplois des démonstratifs. Nous avons
affirmé que la déixis anaphorique prévoit la parfaite synergie entre les deux champs du
langage, pour que le sens du message soit correctement perçu par le récepteur (le
lecteur).
L’emploi de questo, en tant qu’agent connecteur égocentré, impliquerait, si la
conversation était spontanée, la seule action du champ déictique du langage : il serait
inutile de spécifier que ce qu’on a devant les yeux est un rapport, on le regarderait et on
devinerait tout seul. En effet, l’action se déroulerait dans un champ perceptif partagé par
les quatre interlocuteurs, sans aucun besoin de recourir à d’autres auxiliaires de
dénomination (contexte). Parce que les signes linguistiques concernés apparaissent hors
contexte. Mais ils ne sont pas dépourvus d’un champ périphérique.
C’est exactement ce que l’on constate ici : même s’il s’agit d’un dialogue
rapporté, l’efficacité du champ périphérique ne semble pas en souffrir. L’élément isolé
(« questo rapporto ») semble lié à d’autres éléments indicateurs (dessin physique du
dossier, regard, geste de la main) et ce lien se révèle dans le champ perceptif (la preuve
en est le fait que nous comprenions très bien qu’il s’agit d’un dossier d’informations
même si nous avions devant nos yeux cette phrase : « ad ogni modo colonnello, troverà
tutte le informazioni qui dentro » (« en tout cas Monsieur le Colonel, vous trouverez
toutes les informations là-dedans », suivie de l’image de la brochure). Un tel emploi des
signes linguistiques hors contexte ou dans un contexte insuffisant, donne lieu à des
indications empratiques, où le seul recours à un geste d’indication est suffisant pour
satisfaire les attentes d’un échange communicationnel hic et nunc (le suffixe syn- de
sympratique, synchronique, symphysique, synsémantique, indique en effet la
simultanéité d’une action).
Qu’arrive-t-il si on réduit l’efficacité du champ déictique dans une situation
comme celle que nous avons rapportée ? Enlevons donc la phrase suivante de la
conversation, son champ sympratique (le contexte dont elle fait partie) :

287
 « Ad ogni modo, colonnello, troverà tutte le informazioni in [questo]
rapporto » : nous n’arriverons à saisir que le sens littéral de la phrase,
sans comprendre dans quelle circonstance elle est effectivement
prononcée, par qui et en raison de quoi (qui sont les personnages en
question ? Où se trouvent-ils ? De quoi parlent-ils ? Sont-ils tous des
militaires, des politiciens ou des fonctionnaires?)

Enlevons maintenant un syntagme nominal entier de la même phrase, en


l’enlevant donc de son champ synsémantique (son contexte) :
 « Questo rapporto »: de quoi s’agit-il? D’un compte-rendu auquel notre
personnage a participé ou pour lequel il a enquêté, de la relation
réciproque qui s’écoule entre deux ou plusieurs actions, situations, faits
ou phénomènes, ou d’un rapport juridique ?
 Étant donné ce syntagme [« questo rapporto »], isolons du dessin
l’image du dossier, en l’enlevant donc de son champ symphysique (le
contexte physique immédiat) :

Si on prive l’image du dossier, en l’enlevant du tout sémiotique dont il fait


partie, qui correspond dans ce cas au texte et aux autres images, le lecteur
aura du mal à reconstruire la physionomie de la situation entière
(probablement en première analyse, il se demandera de quel rapport on

288
parle : il déduira, selon le mécanisme de la closure512, qu’on parle d’un
rapport, mais alors pourquoi le geste avec la main qui semble indiquer
quelque chose ? Et il sera amené à interpréter différemment ce geste. Il se
demandera aussi s’il s’agit d’une coquille dans la bande dessinée, etc.).
Ce qu’il fallait démontrer, l’hypothèse d’une perspective physiognomique,
intégrée à la théorie des deux champs du langage, semble confirmer la primauté du tout
sémiotique par rapport aux parties isolées qui le composent. Effectivement, la bonne
reconnaissance est possible seulement quand on a combiné tous les éléments dans une
physionomie globale, d’un point de vue mental. La compréhension du message
linguistique et de l’illustration de la BD est le fruit d’une perception holistique.
La « decontextualisation » d’un élément visuel, comme l’image du dossier
enlevée de son champ symphysique, se traduit dans les échanges de communication
linguistique par une plus grande attention au processus d’énonciation dans sa totalité.
De la même façon, la valeur des signes phoniques entretient une relation de
réciprocité avec d’autres modes d’expression comme les gestes et les expressions
faciales.
Il n’est pas possible de décrire de façon exhaustive la valeur d’une image isolée
(comme d’un geste, d’une expression phonique, d’une expression sonore etc.) au sein
d’un éventail d’emplois possibles. Sa valeur de structure sera indiquée de façon locale,
dans un texte et dans le discours organiquement accompli. C’est seulement dans un
énoncé, considéré comme produit d’une mise en discours, qu’il est possible de prendre
en considération la notion de champ :

L’expression et le concept de champ environnant […] proviennent de la théorie des couleurs.


[…] Inutile d’insister sur le fait que l’influence du « champ interne » et du « champ environnant » est
réciproque. Cette découverte a été étendue et extrapolée à de nombreuses autres choses dans toutes les
approches holistiques qu’on subsume aujourd’hui sous le titre de Gestaltpsychologie. Au nombre des faits
qui n’ont jamais été totalement négligés ou niés, mais qui sont aujourd’hui dégagés de manière beaucoup
plus soigneuse que jadis, il y a le fait que les données sensibles n’apparaissent pas à l’état isolé, qu’elles
sont au contraire incorporées, intégrées dans les « totalités » changeantes que forment les processus
psychiques, et qu’elles en reçoivent des modification changeantes […] Il va quasiment de soi que le
groupe particulier formé par les objets sensibles ou les processus accessibles à la perception sensible que
nous appelons des signes linguistiques ne fait pas exception […] Il est inutile de prouver à aucun

512
Cf., supra, IV, § 2.

289
spécialiste que le plus important et le plus intéressant champ environnant d’un signe linguistique et son
contexte.
[…] Il y a des cas d’apparition de signes dépourvus certes de contexte, mais aucunement
dépourvus de champ environnant.513

Maintenant que nous avons introduit la notion fondamentale de champ, avec


laquelle on se réfère à une interprétation précise des phénomènes linguistiques dans une
situation donnée hic et nunc (faisant appel aux autres éléments de perception), et que
nous l’avons distingué du concept de contexte (qui renvoie aux termes démonstratifs qui
fournissent des informations contextuelles sur un certain référent, dans le discours
organiquement accompli514), la première pierre de l’édifice théorique de l’hypothèse
que nous défendons ici est posée.

513
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 267-268.
514
Cf., supra, II, § 4.

290
§ 4. Actualité de Bühler : la déixis anaphorique et la déixis à l’imaginaire
comme précurseurs ante litteram des notions d’exophore et endophore.

Nous voulons terminer notre analyse sur l’emploi des démonstratifs dans le
graphic novel, en abordant leurs emplois anaphorique et anamnestique, et plus
spécifiquement leurs natures endophorique et exophorique.
La référence exophorique et endophorique renvoie respectivement à la déixis am
Phantasma et à la déixis anaphorique. Nous en parlerons sans entrer dans le domaine
spécifique de la linguistique textuelle. Ce n’est pas l’objet de notre étude.
La distinction entre exophore et endophore est à rechercher dans la capacité
d’une expression déictique à se référer respectivement au contexte situationnel ou au
contexte textuel.515
Par conséquent, une expression déictique peut, selon les cas, renvoyer à une
entité concrète ou abstraite de la réalité (référence exophorique : « come si chiama
quella piazza famosa di Montpellier ? », « ti ricordi come si chiama il pezzo di
Cocciante? Quello là, l’ultimo che è uscito? », « comment elle s’appelle cette place là,
la célèbre place de Montpellier ? », « est-ce tu te souviens comment elle s’appelle la
chanson de Cocciante ? Celle-là, là, la dernière qui est sortie ? »), ou au contenu d’un
énoncé considéré d’un point de vue métalinguistique (référence exophorique :
« dipsomane? Che vuol dire ‘sta parola ? », « dipsomane ? Qu’est-ce que ça veut dire
ce mot ? », « Memoria e conoscenza. Occorre coniugare queste due parole per
impedire che [...], da La strage di Bologna, p. 144 », « Mémoire et connaissances. Il
faut relier ces deux mots pour empêcher que […] »).
Commençons par des références exophoriques. Les référents auxquels
l’exophore renvoie peuvent être des unités concrètes ou matérielles, abstraites ou
pensées.516 Il convient de distinguer la véritable exophore et l’exophore mentale517 :
cette dernière a été identifiée et suggérée par Bühler et baptisée du nom de déixis à
l’imaginaire.

515
Laura Vannelli, « Il meccanismo deittico e la deissi del discorso », in Studi di grammatica italiana,
(X), [1981], p. 296.
516
Ivan Klajn, « Dimostrativi, deissi e sostituzione », in Lingua nostra, (XLVII), [1986], p. 118.
517
Ibidem.

291
L’exophore mentale, d’après Livia Gaudino Falleger518, « sert à actualiser des
expériences, des souvenirs, des objets, etc., qui sont communs aux parlants et pas
immédiatement identifiables au niveau du co- et con-texte », renvoyant donc à un
référent extratextuel. En examinant nos corpora, nous avons trouvé certains emplois de
démonstratifs où la référence exophorique était mentale.
On se réfère aux cas de déixis à l’imaginaire où un emploi anamnestique des
termes d’indication est prévu. À titre d’exemple :

(ThyssenKrupp, p. 53)

La transcription du dialogue :

- La notitia criminis ci può arrivare in diversi modi


- Buongiorno! -
- Buongiorno a lei! -
- Interessante. Ma noi vorremmo sentire un episodio specifico della sua attività. Da un punto di vista
personale -
- Generalmente dall'autorità giudiziaria -
- Sì, certo. Ricordo di [quella] volta che saltò per aria una fabbrica di fuochi d'artificio –

518
Livia Gaudino-Falleger, I dimostrativi nell’italiano parlato, Wilhelmsfeld, Gottfried Egert Verlag,
1992, p. 27.
« Serve ad attualizzare esperienze, ricordi, oggetti, ecc., comuni ai parlanti e non immediatamente
individuabili a livello di co- e con-testo ».

292
- Appena arrivato, mi colpirono due cose: un silenzio innaturale, rotto dalle urla e dai pianti dei parenti

delle vittime -

Cette illustration est un cas évident de déixis à l’imaginaire519, ou d’exophore


mentale, où le référent (c’est-à-dire le souvenir d’une usine détruite par une explosion)
est présent dans la mémoire de seulement un des deux participants à l’acte de
communication, comme quand on donne une information dans la rue à quelqu’un qui va
vers une destination (nous seul avons bien à l’esprit la carte du lieu où nous sommes).
Cependant il peut arriver que la référence exophorique soit présente dans la
mémoire commune aux deux participants à l’acte de communication : dans ces cas, on
fait référence à de précises connaissances partagées (à savoir, encyclopédiques), grâce
auxquelles il est possible de revenir sur une circonstance particulière que l’émetteur et
le récepteur peuvent reconstruire (Vannelli parle à ce propos de connaissances partagées
assumées)520.
L’exemple qui suit illustre bien les termes de ce lien qui se crée entre référent et
expression référentielle :

(ThyssenKrupp, p. 11)

519
Cf., supra, IV, § 2.
520
Laura Vannelli, La deissi in italiano, Padova, Unipress s.a.s., 1992, p. 99.

293
L’extrait suivant est tiré d’une note des auteurs, Alessandro Di Virgilio et
Manuel De Carli :

« Nel primo e nell'ultimo capitolo di questa storia è presente Giulia, l'unico personaggio « virtuale » di
questo libro: vuole essere la nostra dedica personale a tutti coloro che oggi sono costretti a convivere
ogni giorno, ogni ora, ogni attimo con una straziante mancanza.
Gli intermezzi di approfondimento dedicati agli incidenti e alle morti sul lavoro servono a ricordare che
rischiare di vivere una vita a metà o di morire per lavoro non è circoscritto a [quel] maledetto 6
dicembre: è una tragedia che si ripete incessantemente e che i nostri governanti, nel vuoto della retorica
politica, si ostinano da decenni a definire « emergenza ».

Le référent, c’est-à-dire la connaissance partagée que l’auteur et le lecteur ont de


cet événement (le massacre de l’aciérie ThyssenKrupp de Turin), est présente dans la
mémoire collective de ceux qui lisent la bande dessinée (et de toute l’Italie). Le lien
entre la connaissance de l’événement et le lecteur est établi par l’expression référentielle
« quel maledetto 6 dicembre »521.
La déixis à l’imaginaire est équivalente à une exophore mentale, dont le référent
est joignable dans la mémoire partagée des deux locuteurs, ou d’un seul d’entre eux
(comme dans le cas de quelqu’un qui donne des informations routières) et se baserait
sur une typologie de connaissances partagées assumées. Par conséquent, la véritable
exophore, sur quels fondements psychologiques base-t-elle son emploi ? Probablement,
sur des connaissances partagées stables ou constantes ?522
La réponse se trouve dans les lignes suivantes. Et Karl Bühler avait déjà bien
cerné le problème en traçant la seule distinction entre déixis anaphorique et déixis à
l’imaginaire. Parce que, en effet, les mécanismes de ce que Klajn appelle véritable

521
La perspective physiognomique nous place devant une double interprétation de l’événement en
question (cela vaut pour d’autres cas parmi ceux que nous avons analysés, mais celui-ci en est un bon
exemple). L’emploi de quel a été catégorisé comme « emploi anaphorique » [Cf., supra, IV, § 2], car en
réalité, il renvoie le lecteur à une situation précédemment annoncée : peu avant l’énoncé en question, le
titre de la BD est cité, ThyssenKrupp, et les coordonnées spatio-temporelles qui entourent l’événement
(Torino, giovedì 6 dicembre 2007. Stabilimento ThyssenKrupp, Corso Regina Margherita 400, p. 7). Il
suffit au lecteur de réinsérer l’expression référentielle dans le tout sémiotique textuel dont elle fait partie,
pour arriver à comprendre le processus de signification. Au contraire, si on enlève de la conversation les
coordonnées de référence de l’événement (en les enlevant de leur champ symphysique et en diminuant
l’efficacité du champ déictique), l’emploi du démonstratif quel devient l’objet d’une déixis à l’imaginaire,
car la référence se déplace du texte à notre conscience où vit le souvenir du massacre.
522
Vannelli [1992], Op. Cit., p. 99.

294
exophore523, rentrent à part entière dans la déixis anaphorique, qui prévoit aussi un
emploi anamnestique des termes d’indication. Nous avons souligné plusieurs fois que
tout emploi anaphorique des termes déictiques suppose qu’émetteur et récepteur aient
présent à l’esprit tout le flux du discours, dont on peut rappeler et anticiper les parties.
Cela arrive pas seulement quand on se réfère à quelque chose, ou à quelqu’un joignable
dans le contexte linguistique, mais aussi quand la référence anaphorique saisit des états
de choses : « ce que les flèches anaphorique anaphoriques atteignent directement, ce ne
sont pas les choses dont on parle […] Soit ce sont bien des choses mais telles qu’elles
sont appréhendées - les choses et les états de choses donc, selon telle ou telle
caractérisation que leur ont déjà attribuée les partenaires de la communication ».524
Observons ce passage, tiré lui aussi de ThyssenKrupp (p. 8) :

« [...] Non eravamo ancora "famosi". Famosi lo siamo diventati dopo, quando sono arrivate, per sette
nostri compagni di lavoro, sette bare. Mentre quei ragazzi erano chiusi nel legno, sul freddo pavimento
di marmo del duomo di Torino sono arrivati tutti di corsa: sindacati, politici, giornalisti, le televisioni.
Ecco, in quel momento sì che siamo diventati "famosi".
Ma non era la fama, la cosa di cui noi ragazzi avevamo bisogno. Noi volevamo prima, nella nostra
azienda, e non dopo nel duomo, che qualcuno ci stesse a sentire.
A sentire il grido di una classe operaia che rivuole indietro il sacrosanto diritto alla dignità del lavoro. Il
grido di una classe operaia che vuole garantito il diritto a tornare a casa incolume, alla fine del turno.
Purtroppo da allora poco o nulla in [questa italietta], è cambiato, e ogni giorno c'è una nuova
ThyssenKrupp ».

Le démonstratif questa est ici employé en tant qu’agent connecteur non


égocentré qui se prête à un emploi anaphorique.525 En effet, dans cette énonciation, le
déictique n’est pas lié à (ni ne met en évidence) l’idée d’un centre ou origo stable,
ancrée aux coordonnées ego-hic et nunc, et n’a pas la fonction de gradient spatial. On en
déduit que son emploi, hors d’un échange communicationnel direct, et par conséquent
du champ perceptif, ne constitue pas le système je-ici-maintenant d’une orientation
subjective.
Par ailleurs, on pourrait objecter qu’il ne renvoie pas à quelque chose de nommé
précédemment ni qu’il anticipe ce qui sera dit immédiatement après : bref, il n’est pas

523
Klajn [1986], Op. Cit., p. 118.
524
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 563.
525
Cf., supra, IV, § 2.

295
apparemment lié aux parties qu’on rappelle ou anticipe. A bien y regarder, il accomplit
sa fonction d’indication interne au texte : questa renvoie en effet à un référent
extratextuel et extralinguistique qui correspond à un état de choses (la situation
dramatique des morts au travail en Italie) dans la caractérisation spécifique,
dépréciative, que le locuteur lui assigne (« Italietta »).
Le renvoi ou le rappel est donc à une situation bien présente autant dans la
conscience de celui qui écrit que dans l’imaginaire collectif de chaque Italien : sans
l’aide du contexte (le cotexte, à savoir le passage entier reporté), on n’aurait aucune
possibilité de saisir le sens de l’expression référentielle « questa italietta ».
La déixis anaphorique saisit un perceptum linguistique aussi bien repérable dans
le flux du discours, que déductible du discours lui-même : l’emploi anaphorique et
anamnestique de questa se manifeste dans la mesure où les interlocuteurs ont devant
eux un continuum discursif dont les flèches anaphoriques sont à même de saisir, à
travers la fonction de représentation du langage, non seulement les choses auxquelles
elles renvoient dans le texte, mais aussi les états de choses déductibles du texte à travers
des connaissances (inférences encyclopédiques ou états de choses) partagées.
Le concept d’exophore renvoie à la déixis à l’imaginaire (emploi principalement
anamnestique des démonstratifs à travers lesquels un souvenir s’actualise) mais aussi à
l’emploi anamnestique de la déixis anaphorique (le renvoi, à travers les termes
d’indication, à des choses et des états de choses : à savoir, le rappel d’un contenu
particulier transmis par le contexte linguistique, dont la représentation est
immédiatement perceptible par les locuteurs).
Au contraire, quand la déixis anaphorique renvoie directement à des entités
linguistiques dont la compréhension est directement liée à un contexte linguistique
explicite526, on fait appel à la référence endophorique. Les démonstratifs qui se prêtent à
un emploi anaphorique saisissent un référent dans le discours qui peut précéder
l’occurrence de l’expression référentielle (anaphore) ou qui peut la suivre (cataphore).
La référence endophorique est le mécanisme déictique que l’emploi anaphorique
des démonstratifs met le plus souvent en œuvre dans le graphic novel.
Le principal emploi des termes déictiques en tant qu’agents connecteurs non
égocentrés, capable de rappeler anaphoriquement ou d’anticiper cataphoriquement un

526
Cf., Vannelli [1981], Op. Cit., p. 296.

296
référent linguistique, s’explique, selon nous, par la nécessité de la part des interlocuteurs
(auteur et lecteur) de réussir à bien garder à l’esprit toutes les parties d’un discours
organiquement accompli, « pour qu’un déplacement y soit possible, [dans le texte],
analogue au déplacement du regard sur un objet optiquement présent ».527
Afin de compléter l’analyse, nous citons quelques exemples de références
endophoriques, tirées de La Strage di Bologna :

(Strage di Bologna, p. 7)

« […] Ci sono solo due cose che noi narratori possiamo fare di fronte a un evento come [questo], a una
cosa così sconvolgente, così orrenda e così importante per la nostra vita e per la nostra storia come
[quello] che è avvenuto a Bologna il 2 agosto 1980. Sono le stesse due uniche cose che possiamo fare di
fronte ad altri eventi altrettanto orrendi e determinanti come le stragi, il terrorismo, la Mafia o uno
qualunque dei brutti segreti che segnano la nostra storia nazionale. Solo due cose. Possiamo far rivivere
le emozioni e possiamo mettere in fila i fatti. Non possiamo scoprire misteri, [quello] lo fanno i poliziotti
e i giornalisti, non possiamo stabilire verità, [quello] lo fanno i magistrati, non possiamo neanche
cambiare le cose, [quello] dovrebbero farlo i politici, o esprimere giudizi, che spettano ai cittadini. Però
[quelle] due cose là le possiamo fare. Far rivivere le emozioni e mettere in fila i fatti […] ».

Afin de ne pas être répétitif à propos de l’emploi anaphorique des démonstratifs,


nous nous limiterons seulement à une dernière considération : comme on peut le voir
dans le passage précédent, l’emploi des démonstratifs en tant que marqueurs
anaphoriques ou cataphoriques, suppose que les référents auxquels les expressions
déictiques renvoient, soient introduits dans un point de l’espace perceptif (un flux
textuel dans ce cas) de l’émetteur et du récepteur, et qui peut correspondre à une
situation immédiatement perceptible ou à un ensemble de connaissances partagées ou,
comme c’est le cas ici , à la connaissance du discours précédent ou suivant.

527
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 227. Nous ajoutons les italiques entre crochets.

297
Conclusion

Au moment de conclure le discours conduit au fil de ces pages, nous voudrions


aborder de façon différente la clôture d’une discussion qui nous a porté au-delà de nos
attentes. Dans les pages qui précèdent, à la fin de chaque chapitre, nous avons égrainé
nos conclusions intermédiaires. Ainsi, au chapitre I, après une brève introduction sur la
notion d’arbitraire radical (un sujet qui avait déjà fait verser bien assez d’encre pour que
nous ne nous étendions plus encore), nous avons commencé à resituer le thème de la
motivation du signe dans un nouveau cadre théorique. Nous sommes parti de la thèse
conventionnaliste dont Aristote est le précurseur – du moins, la vulgate des écrits
aristotéliciens – et en suivant le fil de l’histoire, nous sommes parvenu à la linguistique
saussurienne, nous nous sommes alors demandé, si effectivement la question de
l’arbitraire devait être traité comme un thème conventionnel. Nous n’en sommes pas
convaincu. Aristote et Saussure étaient-ils conventionnalistes ? Évidemment pas
Saussure qui, non seulement avait à cœur de faire une linguistique de la parole, loin de
la position exclusivement en faveur de la langue, attribuable au structuralisme européen
(et au générativisme), mais qui, depuis 1894, a aussi évité d’utiliser le terme
« conventionnel » comme un synonyme d’ « arbitraire ». Il était influencé dans un
premier temps par le sanscritiste Whitney qui, dans sa Vie du langage de 1875,
concevait la langue comme n’importe quelle institution sociale, sans tenir compte de
facteurs tels que la mutabilité et l’immutabilité du signe linguistique. Parce que l’idée
de conventionalité, justement comme Bühler l’affirmait, est strictement liée à la
casualité et implique que signifiant et signifié, dont l’identité serait établie par
convention, sont identifiés a priori, comme deux faits sur lesquels elle opère donc
secondairement afin de les associer. Saussure refuse cette conception de la langue
comme une nomenclature où préexisterait de longues listes de mots et de signifiés, où
on prédisposerait d’un « outil utilisé pour écrire » et d’un signifiant /'stilɔ/, et où l’on
pourrait alors établir que l’objet en question a le signifié de « stylo », c’est-à-dire,
« outil, généralement de forme allongée facilitant sa préhension, qui sert à écrire ou à
dessiner ».528

528
De Mauro in Saussure [1916] 1979, Op. Cit., n. 137 pp. 442-443, et p. 364.

298
Au contraire, en rendant « arbitraire » par « immotivé », Saussure présentait bien
l’idée d’une attache manquée dans la réalité entre les deux faces du signe : il n’y a
aucun lien logique, aucune attache dans la réalité529, affirmait-il, non sans un doute.
Toutefois le signifiant n’est pas du tout le fruit du libre choix du locuteur, selon
Saussure qui refusait absolument toute idée de conventionalité ou d’une vision
nomenclatrice de la langue, refus qu’il partageait avec Wittgenstein.
D’après nous, la question doit justement réinvestir la réalité, et doit être posée
dans des termes différents. Que manque-t-il dans le raisonnement de Saussure ?
Sa théorie de l’arbitraire radical pèche par certaines « anomalies ». En effet, il
nous exhorte, dans le Cours, à rechercher les limitations à l’arbitraire. Pourquoi ? Parce
que Saussure lui-même se rend compte que la langue, assujettie à la masse parlante et
au temps, recherche continuellement sa régularité, dans une continuité qui anéantit la
liberté du signe linguistique530, bien qu’elle implique sa nécessaire altération. C’est
l’élément qui est en dehors de son raisonnement : est-ce la langue qui est
sempiternellement à la recherche de la continuité ? Ou bien est-ce le locuteur qui utilise
l’instrument langagier afin de se connecter au monde environnant ? Un monde partagé
avec d’autres sujets. Il faut chercher à considérer le langage comme un instrument de
représentation indirecte des faits de langue, qui nous conduit, par les signes
(linguistiques) et à l’aide de sa fonction représentative, à la connaissance directe du
monde. Certes, il nous faut toujours tenir compte du fait historique et du caractère social
du langage.
C’est pourquoi, nous nous référons à la vision « psychologiste » de Bühler, qui
nous semble être débiteur envers Saussure, surtout du fait qu’il s’était rapproché
prématurément d’une conception phonologique du langage, mais sans avoir donné
l’explication du rapport existant entre la phonétique et la phonologie.531
C’est, en substance, la clé de voûte. Saussure n’a pas cherché dans cette
direction, à l’époque et dans le milieu dans lequel il opérait, il n’y avait pas de place
pour la composante psychologique en tant qu’outil de recherche possible pour étudier
des phénomènes linguistiques, un outil dont s’emparerons Bühler et Guillaume, peu de

529
Saussure [1916] 1979, Op. Cit., pp. 100-101.
530
Op. Cit., p. 113.
531
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 145.

299
temps après : les mécanismes de la pensée à l’aide desquels le langage saisit le monde
par les signes.532
Afin d’être encore plus explicites, nous pouvons dire que la seule limite que
nous pouvons attribuer à l’analyse saussurienne est qu’il a considéré le langage, pris
dans son moment fonctionnel et social, seulement d’un point de vue théorique, en
excluant le locuteur et le rôle du contexte de son horizon d’études, ou comme dirait
Bühler, en accentuant de façon excessive l’autonomie de la forme linguistique de son
locuteur.533
La question est entièrement empreinte de « psychologisme ». Sur quoi se fonde,
en effet, le rapport entre phonétique et phonologie si ce n’est sur le principe théorique
que cette dernière, qui comprend la phonétique comme la phonématique, étudie
l’emploi, et la représentation que le locuteur possède des sons du langage ?
Saussure appelle « phonème », les « figures vocaliques » repérables dans la
parole (en aboutissant à une conception phonologique des unités du langage), en se
limitant toutefois à considérer le phonème d’un point de vue « phonique » (en anticipant
une vision « phonologique »), mais pas « psychophysique ». Bühler, par contre, voit
dans les phonèmes des entités nullement abstraites, il les considère comme des traits
pertinents, fruit d’une sélection objective, donc matérielle, sur la totalité du matériau
acoustique concret perçu par le locuteur.
Bühler essaie donc de remédier à une vision « hypostatisée » du langage : le
signe linguistique n’est pas comme au sens de Saussure une entité psychique à deux
faces (c’est-à-dire composée par deux termes psychiques, un concept et une image
acoustique534), mais une substance à regarder dans une réalité psychophysique, où la
perception et la production se révèlent être deux procès desquels on ne peut pas faire
abstraction dans l’étude du langage.
Le signe linguistique doit être conçu, dans la lecture de notre thèse, au sens de
Bühler, à savoir comme un symbole qui représente des objets et des états de chose.535
Cela étant posé, la distance entre Saussure et Bühler semble être vraiment mince, si

532
Albano Leoni est très clair sur ce point : Albano Leoni 2009, pp. 18-19, et n. 10.
533
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 146.
534
Saussure [1916] 1979, Op. Cit., pp. 98-99.
535
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 109.

300
nous nous rappelons que pour le linguiste de Genève le symbole maintient un rudiment
de lien naturel entre le signifiant et le signifié.536
Toutefois dans le Cours, lorsqu’il parle de symbole, Saussure ne se réfère pas au
« mot-symbole » au sens de Bühler et d’Aristote, c’est-à-dire comme à une entité qui est
le résultat d’un processus de composition phonique - κατὰ συνθήκην -, générée par la
voix significative, et qui a une correspondance effective avec des objets et des faits. Le
signe est symbole parce qu’il « vaut pour quelque chose d’autre », cependant il n’est pas
la « chose elle-même » mais sa représentation (le mot italien casa entendu comme objet
sonore ne présente en soi aucun trait de ressemblance avec l’objet auquel il renvoie,
mais il nous guide immédiatement vers la connaissance directe du concept « casa »).
Le terme « symbole » a provoqué beaucoup de perplexités chez Saussure,
justement parce qu’il n’a jamais fait appel à la fonction représentative du langage : par
cette expression, utilisée rarement (par exemple, lorsqu’il a écrit une note, encore
aujourd’hui non datée, afin de célébrer Whitney en 1894), il concevait les entités
sémiotiques qui semblent ne présenter aucun type de lien visible avec l’objet qu’elles
désignent et avec lequel, au cours du temps, elles perdent leur rapport
d’interdépendance (si aujourd’hui sous le symbole de la balance, par exemple, on a
l’habitude de saisir plusieurs catégories de symboles, il n’a jamais pour autant perdu sa
valeur symbolique d’ « équité », d’« équilibre »)..537
Que faut-il concevoir sous le terme « représentation » (« Darstellung », c’est-à-
dire la « représentation symbolique » qui ne doit pas être confondue chez Bühler avec la
« représentation mentale », la « Vorstellung », et par laquelle l’allemand rend le
« concept », « l’idée du total » de l’une des deux faces du signe saussurien) ?
La représentation est le processus de symbolisation qui, par le langage, permet
de coordonner des objets et des faits (autrement dit, la capacité sémiotique du langage
de « symboliser » des objets et des faits »). Elle pose le langage dans un rapport direct et
immédiat avec le monde. La représentation n’est qu’une application, une relation de
correspondance entre les signes sonores, les objets et les faits (ou les états de choses). Il
s’agit là d’une relation à trois, où, en plus des partenaires (A/B) d’un circuit de parole,
le contexte et les relations sémantiquement définies entre le signe linguistique et les
interlocuteurs jouent un rôle fondamental, selon Bühler, celui de « […] mettre en
536
Op. Cit., p. 101.
537
De Mauro in Saussure [1916] 1979, Op. Cit., n. 140 p. 445.

301
lumière un lien bien spécifique que le locuteur et l’auditeur tissent avec le monde au
travers du langage ».538
Il doit être considéré en tant qu’une application appropriée et efficace, et il
marche raisonnablement dans la mesure où nous permet de connaître une « chose » à
partir de sa forme. Ce savoir immédiat qui jaillit d’une phonie produite par un locuteur
et est perçue par un auditeur, se révèle directement accessible par la représentation.
Nous avons cherché à démontrer, dans le deuxième chapitre, qu’un mot est une
représentation à « l’arbitraire limité ».
C’est comme si on essayait d’affirmer que la relation entre le signifiant H2O et le
signifié équivalent, la formule chimique de l’eau, est arbitraire. La configuration H2O
nous conduit à la connaissance directe du symbole chimique de l’eau, de la même façon
un mot tel que pater constitue pour nous un visage phonique familier qui nous guide
jusqu’à la connaissance directe du concept de « pater » justement à partir de sa
silhouette phonique.
Ce que nous voudrions démontrer c’est que le principe de représentation ici
évoqué « refuse l’explication de l’ordre et du fonctionnement du langage à partir de
l’ordre des choses et des concepts, à partir de ce qui est représenté dans le langage »539,
il nous invite à voir dans le langage un instrument par lequel saisir et exprimer le monde
par le signes.
La fonction représentative du langage produit l’attache naturelle dans la réalité
que le signifiant instaure avec le signifié, et sur laquelle Saussure n’a pas voulu
s’attarder540, par laquelle un signe linguistique, un message sonore, un acte de parole, ne
représentent pas la chose dont ils parlent mais nous guident à la connaissance, à la
compréhension de la chose elle-même.
La représentation du monde par le langage, comme justement Janette Friedrich
l’a remarqué dans la présentation à l’édition française de la Sprachtheorie541, se réalise
« par présentation » : la représentation montre le côté sensible (perceptif) du langage (la
dimension déictique, c’est-à-dire la « situation » où un signe sonore se matérialise), et le

538
Friedrich in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 41.
539
Friedrich in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p. 37.
540
Très jeune pourtant, au lycée, il avait déjà supposé les nasalis sonans, à partir d’une exception de la
morphologie verbale grecque De Mauro in Saussure [1916] 1979, Op. Cit., p. 324.
541
Friedrich in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., pp. 44-45.

302
côté symbolique (« contexte »). C’est justement entre ces deux dimensions que le sens
d’énoncé oscille.
Ainsi nous abordons, dans la deuxième partie consacrée à la théorie des deux
champs du langage et à l’application du concept de physionomie acoustique, la
perspective physiognomique que nous avions introduite dans le deuxième chapitre, et
qui devient le cœur notre discussion, en incarnant le principe gestaltique d’après lequel
le « tout est plus que la somme des parties ».
Nous voulons rappeler une définition de Bühler, qui semble parfaitement
s’interposer entre le concept de « représentation » et la théorie des deux champs :

Dans l’immédiat, la théorie des deux champs postule que les différents modes de monstration et
de présentation sensible sont une composante essentielle du langage naturel et ne lui sont pas plus
étrangers que l’abstraction et l’appréhension conceptuelle du monde. Ceci constitue la quintessence de la
théorie du langage qui est ici développée.542

Ce passage souligne une thèse fondamentale de la psychologie de la gestalt,


selon laquelle la perception des figures ou des objets renvoie, d’après Bühler, à un
procédé où le « sensible » et l’ « intelligible » semblent se coordonner de façon
simultanée au moment où on saisit l’objet (ou la figure).
Rapporté au langage, ce sujet semble nous reconduire directement à une autre
école, celle de la psychomécanique du langage. Les processus que la pensée met en
exécution afin de saisir elle-même, la généralisation et la particularisation, étant au
centre de notre réflexion :

Dans la systématique du mot […] le discernement est l’opération première de production de la


matière notionnelle, qui constitue la « base de mot », par opposition à l’entendement, qui est l’opération
seconde de production de la forme de saisie. Le discernement est aussi appelé idéogenèse et
l’entendement, morphogenèse.543

[…] L’opération de discernement est un mouvement de pensée orienté de l’universel vers le


544
singulier : Il s’agit de distinguer au sein d’un ensemble contemplé une chose particulière contenue sur
laquelle s’arrête l’esprit et qu’il isole de toute autre, afin de la considérer séparément. A l’inverse,

542
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., pp. 63-64.
543
Saffi, Op. Cit., p. 17.
544
Ibidem.

303
l’opération d’entendement est un mouvement de pensée qui va du singulier à l’universel545 : [Elle] vise à
reverser dans l’universel, aux fins d’intellection généralisatrice, le particulier qu’on en a abstrait.546

Bühler réunit ces procédés, d’après notre interprétation, sous le concept de


« physionomie acoustique des mots ». Plus généralement, en se référant à la théorie des
formes, il faut le reconduire au principe gestaltique par lequel le « tout » est plus que la
somme des parties, en confirmant la suprématie du « tout sémiotique », justement de la
physionomie globale, par rapport aux parties dont il est composé.
La perspective physiognomique, à notre avis, peut jeter une lumière nouvelle sur
les processus de perception et de compréhension du langage. La perception holistique et
mentale d’une figure, comme d’un visage humain ne se réalise pas à partir de traits
isolés, mais de traits considérés dans leur ensemble. Ainsi en va-t-il de la perception des
sons.
Nous sommes à même de saisir le sens d’un échange verbal, même lorsqu’il est
produit dans des conditions troublées, parce que nous en comprenons globalement le
contenu : d’un point de vue psychophysique, cela signifie que sur l’ensemble du
matériau acoustique perçu, nous sommes en mesure d’opérer une sélection des parties
du discours, porteurs d’un certain contenu sémantique qui permettent la réussite de
l’échange communicatif.
Les processus que nous réalisons afin de percevoir correctement le sens d’un
message correspondent aux mouvement généralisant et particularisant : du général au
particulier et vice versa. Il s’agit de deux mouvements coordonnés et synchroniques
exécutés par la pensée. Toutefois, la perspective physiognomique, pour qu’elle soit
opérante, doit être intégrée par la théorie des deux champs du langage : le champ
déictique (la situation) et le champ symbolique (le contexte).
Le dernier des quatre chapitres vérifie ce qui précède. Premièrement, en
approfondissant l’étude de la fonction pragmatique des démonstratifs, déjà examinée au
troisième chapitre, à partir de leur emploi dans le roman graphique italien, et
deuxièmement, en parvenant à une représentation sémiologique appropriée de l’espace
dans la bande dessinée.
Les résultats de nos relevés montrent que l’emploi des démonstratifs est lié à une

545
Ibidem.
546
Guillaume in Saffi, Op. Cit., p. 87.

304
représentation générale de l’espace, indifférente au paramètre de la distance et qui
semble indiquer tout ce qui se trouve dans l’espace du locuteur, ou mieux, selon la
position du perceptum, dans le champ déictique du langage, mais aussi « dans » ou
« hors » de la sphère personnelle et, par conséquent, « dans » la sphère dialogale prise
dans sa totalité, ou « hors » de la sphère dialogale.
Il s’agit d’un mécanisme déictique strictement corrélé aux deux variables que
sont la position qu’émetteur et récepteur occupent dans le champ perceptif où
l’interaction verbale se produit, et la possibilité d’utiliser les démonstratifs en tant que
particules connectées à une origo ou centre déictique auquel le système de coordonnées
ego, hic et nunc est indissolublement lié. Par contre, s’ils ne sont pas directement liés à
une « origo égocentrée », c’est le contexte qui s’érige en champ d’indication (et non pas
le je du locuteur). Ils se prêtent alors à un emploi anaphorique et anamnestique, en
déclenchant les mécanismes déictiques, ou modes d’indication, que Bühler identifie
comme « déixis anaphorique » et « déixis à l’imaginaire » et qui n’ont rien à voir de par
leur nature, avec le paramètre d’une distance physiquement mesurable dépendante des
variables près/loin.
La représentation de l’espace qui dérive de l’emploi des démonstratifs dans le
roman graphique est corrélée à leur nature endophorique (sauf peu de cas de « déixis à
l’imaginaire » et donc d’exophore mentale). L’usage prédominant est celui d’« agents
connecteurs non égocentrés » qui visent à rappeler anaphoriquement ou anticiper
cataphoriquement un référant linguistique. Cet emploi provient, comme nous avons
cherché à le montrer dans les pages précédentes, de la nécessité par les interlocuteurs de
tenir bien fixé à l’esprit toutes les parties d’un discours organiquement accompli,
justement comme si elles devaient être considérées comme des objets présents dans le
champ visuel, à rechercher visuellement. Les interlocuteurs sont respectivement l’auteur
et le lecteur : l’un poussé par la volonté de tenir ensemble, sous son regard perceptif, les
différentes parties du discours, l’autre de les relier, en opérant une sorte de recognition
textuelle aperceptive »547.
Maintenant, par honnêteté intellectuelle, nous voulons reconnaître les limites de

547
Toutefois la donnée sensible a toujours besoin d’une intégration aperceptive (perception mentale),
comme dans le cas d’un texte écrit, la donnée aperceptive doit être intégrée par la donnée sensible. La
preuve en est que si nous isolons l’expression référentielle de texte dont elle fait partie, nous avons besoin
tout d’abord de la perception sensible (visuelle) afin de la relier au « tout sémiotique » auquel elle se
réfère.

305
notre analyse et les difficultés que nous avons rencontrées tout au long de ce parcours.
Les difficultés tout d’abord. Nous voulons mettre l’accent sur la moindre réception de
Bühler chez les linguistes : il n’a pas été un sujet d’étude facile, il n’a pas non plus été
aisé de réinterpréter sa pensée linguistique d’un point de vue personnel, et de le
rapprocher d’une discipline comme la psychomécanique du langage, aussi différente
dans ses contenus que proche dans ses théories. Mais nous avons tenté, et si ce n’est fait
correctement, du moins, de façon scrupuleuse.
Ce n’est que ces dernières années (entre 2005 et 2012), que l’intérêt à l’égard de
Bühler et de sa théorie du langage a connu un développement discret. Certes, il s’agit
d’une attention marginale puisque l’œuvre a été éditée pour la première fois il y a plus
de soixante-dix ans (1934). Et il s’agit d’une collaboration presque entièrement
francophone, nous sommes débiteur envers les deux éditeurs de l’édition française
(Théorie du langage), Didier Samain et Janette Friedrich, avec lesquels nous avons eu la
possibilité d’échanger sur ces thèmes. Nous devons signaler aussi, dans le domaine
francophone, la monographie de Sandrine Persyn-Vialard, La linguistique de Karl
Bühler. Examen critique de la Sprachtheorie et de sa filiation (2005).
Dans l’académie italienne, la réception de Bühler a été restreinte : seul Federico
Albano Leoni a démontré récemment (2009) un vif intérêt et a développé une réflexion
sur la théorie du psychologue allemand, Sprachtheorie, dont il existe plusieurs
traductions (anglais, français, italien etc.). La présence de Bühler, parmi les linguistes,
est vraiment dérisoire, et Leoni lui-même le relève :

L’observatoire italien, malgré les nombreuses traductions […] malgré le récent Cattaruzza
(2007), et avec l’importante exception de Raynaud (1982, 1990, 1999, 2006, 2010), confirme
l’impression d’une certaine marginalité. Je n’entends pas faire ici une revue critique de la fortune de
Bühler en Italie, mais bien sûr on ne peut pas ne pas observer que, en feuilletant des œuvres italiennes de
linguistique ou de pragmalinguistique, même très récentes, ou des œuvres étrangères sur les mêmes
thèmes qui ont eu et ont une large circulation en Italie, la présence de Bühler est sporadique et les
mentions sont génériques ou sur des questions de détail. 548

548
Albano Leoni, 2011, Op. Cit., p. 1, n. 1.
« L’osservatorio italiano, malgrado le numerose traduzioni [...] malgrado il recente Cattaruzza (2007), e
con l’importante eccezione di Raynaud (1982, 1990, 1999, 2006, 2010), conferma l’impressione di una
certa marginalità. Non intendo qui fare una rassegna critica della fortuna di Bühler in Italia, ma
certamente non si può non osservare che, sfogliando opere italiane generali di linguistica o di
pragmalinguistica, anche recenti e recentissime, o opere straniere sugli stessi temi che hanno avuto e
hanno larga circolazione in Italia, la presenza di B. è saltuaria e sporadica e le menzioni sono generiche o

306
C’est presque un lieu commun d’observer que dans l’univers varié des sciences du langage,
Bühler (dont on trouve une présentation synthétique mais efficace chez Formigari, 2001 […] et des
informations sur sa biographie scientifique chez Friedrich et Samain, 2004, et chez Friedrich, 2009)
occupe, tout compte fait, une position marginale (Rousseau, 2004), même si on lui reconnaît au moins le
rôle d’anticipateur de la pragmalinguistique et du modèle jakobsonien des fonctions […]549

Quant à la fonction pragmatique des démonstratifs et aux mécanismes cognitifs


qui président à leur emploi, on constate, de la même façon, une certaine carence
bibliographique : de nombreux chercheurs ont étudié la déixis, encore plus se sont
mesurés à l’étude des valeurs sémantiques des démonstratifs, peu d’entre eux ont
démontré le désir et la curiosité d’en étudier les valeurs fonctionnelles, la fonction
pragmatique dans un acte de parole concret, ou dans une dimension textuelle.550
C’est exactement notre but. Chercher à en comprendre les fondements
psychologiques qui en révèlent la véritable et effective nature de déictiques, de termes
d’indication, dont la fonction est générale : à savoir, celle d’indiquer par le langage
humain (et plus précisément, dans un échange communicationnel direct, celle
d’individualiser la position des interlocuteurs dans le champ d’indication).551
Avoir travaillé dans des conditions de partielle solitude intellectuelle constitue
en soi une limite à ce travail. On pourrait être accusé d’une excessive dépendance au
modèle théorique sur lequel se basent nos réflexions, c’est-à-dire la pensée linguistique
de Bühler. Nous sommes en partie d’accord ; nous tenons à préciser cependant que la
présente contribution ne représente pas un commentaire de la Sprachtheorie, mais la
relecture, dont nous assumons toute la responsabilité d’une éventuelle interprétation
erronée de certaines théories fondamentales de sa pensée.
Par conséquent, la « dépendance aux modèles théoriques » s’avère nécessaire au
moment où on s’efforce de les réélaborer, en se les appropriant et en les proposant

su questioni di dettaglio. »
549
Op. Cit., p. 2.
« E’ quasi un luogo comune osservare che nel variegato universo delle scienze del linguaggio Bühler (di
cui si ha una sintetica ma efficace presentazione in Formigari, 2001 [...] e sulla cui biografia scientifica si
trovano notizie in Friedrich e Samain, 2004, e in Friedrich, 2009) occupa tutto sommato una posizione
marginale (Rousseau, 2004), anche se gli si riconosce quanto meno il ruolo di anticipatore della
pragmalinguistica e del modello jakobsoniano delle funzioni [...] »
550
Cf., supra, III, § 2.
551
Pour d’autres références bibliographiques à propos de la représentation de l’espace qui vient de
l’emploi des démonstratifs (et des possessifs), nous renvoyons encore à Saffi 2010, Op. Cit.

307
comme une alternative à ceux qui existent déjà. Si la lecture de ce travail suscite chez le
lecteur une seule réflexion, nous aurons atteint notre but.
D’un point de vue strictement théorique, il est nécessaire de faire amende
honorable des limites des nos réflexions à propos de la motivation du signe. Nous avons
essayé de démontrer qu’en dépit d’une tradition pluri séculière, qui a posé dans la
relation son/chose les deux termes à étudier dans la délicate question de l’arbitraire du
signe, selon notre point de vue, la discussion se résout partiellement avec la fonction
représentative du langage. Mais de façon limitée.
Tentons de comprendre, à l’aide de mots simples, pourquoi un signe linguistique
peut être seulement considéré comme une application (une représentation) à l’arbitraire
limité. Revenons, à titre d’exemple, à la formule chimique de l’eau : H2O.
Le rapport entre signifiant et signifié est ici motivé du fait qu’ils se trouvent dans
un rapport 1 :1 : c’est-à-dire que le signifiant (le symbole chimique) trouve dans le
signifié « eau » une attache naturelle précise dans la réalité. Pour tout le monde, c’est le
symbole chimique de l’eau. Tout le monde en partage la même représentation, à savoir
qu’on est à même d’en extraire le même savoir, en partant de cette configuration.
Attendu qu’on se trouve devant le fruit de la convention humaine : étant donné a
priori l’identité entre signifiant et signifié, on a établi seulement dans un deuxième
temps d’attribuer à l’ « eau » ce symbole chimique déterminé.
De plus, l’exemple de la formule chimique de l’eau ne rentre pas dans les faits
de langue (il s’agit, en effet, d’un langage spécial, d’une taxonomie, d’un principe de
classification), mais justement dans la vision nomenclatrice que Saussure refusait.
Est-on certains que pour tous les êtres humains, ce symbole a la même valeur et
qu’il guide vers un savoir immédiat et universel ? Nous n’en sommes pas si sûr.
En indiquant un lien naturel dans la réalité entre les deux visages du signe,
Saussure est sorti d’une situation inextricable, et qu’on ne peut résoudre qu’à certaines
conditions. C’est-à-dire seulement si on essaye de formuler une théorie générale du
langage, comme Meillet le souhaitait.
Le symbole chimique de l’eau a un sens dans et pour toutes les civilisations qui
ont connu, parmi les sciences, la chimie. Dans ce cas, le langage et le monde partagent
la même forme logique. En ce sens, le langage représente le monde, et c’est de cette
façon qu’on doit concevoir le rapport entre un signifiant linguistique et son signifié. On

308
peut alors affirmer qu’un signe linguistique peut être considéré comme une application
appropriée et efficace car il permet, en partant de sa configuration, de connaître
immédiatement la chose avec laquelle il entretient une relation de correspondance
(représentation). Il s’agit quand même et seulement de limitations de l’arbitraire, car ce
savoir immédiat doit être saisissable par l’émetteur et le récepteur.
Le rapport entre deux signes linguistiques tels que mansio et maison est motivé,
dans la mesure où ils nous guident vers la connaissance directe de la chose à laquelle
nous renvoyons, à travers la relation de correspondance (représentation) suivante :
« habitation, domicile, résidence » (l’italien magione rentre dans la même représentation
symbolique).
Ce raisonnement est valable chaque fois qu’un locuteur s’est trouvé, poussé par
les besoins linguistiques, dans les conditions de devoir percevoir et assimiler une
nouvelle structure phonique.
Le rapport devient arbitraire si on rapproche un troisième signe linguistique aux
deux mansio et maison, hjem (norvégien) : même si les trois signes conduisent à la
connaissance du même savoir, ils se différencient par la forme du signifiant.
Cependant, le signe linguistique hjem représente un visage phonique familier à
tous les utilisateurs et à toutes les langues qui en ont partagé au cours du temps la valeur
symbolique et l’identité génétique, en instaurant par exemple un rapport motivé avec
hem (suédois) et heim (islandais).
Le concept de champ de Bühler ressort ici ipso facto, et il ouvre le deuxième
chapitre de ce travail :

L’affirmation des logiciens, que la symbolisation reposerait sur une coordination arbitraire, n’est
pas satisfaisante. Car la caractéristique « arbitraire » est, comme « fortuit », une définition négative. On a
déjà beaucoup gagné, me semble-t-il, lorsqu’à la place de cette définition il est généralement connu que
tous les symboles ont besoin d’un champ et que chaque champ a besoin des symboles pour parvenir à une
représentation utilisable.552

En d’autres termes, le rapport entre signifiant et signifié serait purement idéal


d’un côté, et motivé de l’autre, sans aucune limitation, seulement au moment où il
acquerrait une valeur représentationnelle déterminée dans un champ spécifique,

552
Bühler [1934]; tr. fr. 2009, Op. Cit., p. 308.

309
puisqu’il existe « une espèce de fidélité entre la représentation par application des
signes dans un champ et ce qui est représenté ».553
Nous souhaitons conclure notre parcours par une dernière considération : le
langage, ici assumé comme instrument de représentation indirecte des faits de langue,
« […] n’est pas transparent pour la force représentationnelle de l’esprit ni pour quelque
autre activité mentale […]. Le lien entre le monde et le langage n’est médiatisé ni par
l’esprit ni par la représentation (Vorstellung, états mentaux) ».554 Par conséquent, il ne
doit plus être considéré comme un simple système historiquement constitué, mais
comme une dimension structurante des faits phénoménologiques. Une dimension dans
laquelle interviennent au moins trois facteurs dans une relation d’interconnexion : un
émetteur, un récepteur et un contexte, ce dernier conçu comme la scène qu’ils partagent
et dans laquelle une interaction verbale se manifeste.
Avoir déplacé l’attention sur le locuteur et sur une linguistique de la parole, vers
la primauté du tout sémiotique et de la notion de champ en linguistique, nous semble
déjà un important changement, vers une théorie du langage qu’on voudrait moins
systématique et plus pragmatique.

Nomina sunt consequentia rerum


[Justinien, Institutiones, II, 7, 3,
Dante Alighieri, Vita Nuova, XIII, 4]

553
Friedrich in Bühler [1934] 2009, Op. Cit., p 51.
554
Op. Cit., p. 58.

310
Bibliographie

La bibliographie est divisée en 11 rubriques :

• Linguistique générale
• Linguistique italienne
• Histoire de langue italienne
• Histoire de langue latine
• Linguistique indoeuropéenne
• Linguistique française
• Les grammaires
• Linguistique romane
• Les dictionnaires
• Psychologie, Linguistique cognitive &
Neurosciences
• Romans graphiques

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tuti. Cronaca a fumetti, Ponte di Piave, Becco Giallo, 2007, p.
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DI VIRGILIO Alessandro, Manuel de Carli, ThyssenKrupp.


Morti speciali S.p.A., Prata di Pordenone, BeccoGiallo, 2009,
105 p.

330
Annexe n° 1

Transcription de Claudio Calia, Porto Marghera

CALIA Claudio, Porto Marghera, la legge non è uguale per tutti. Cronaca a fumetti,
Ponte di Piave (Trévise, Italie), BeccoGiallo, collezione Cronaca Storica, 2007, 139 p.

[p. 5]

Préface de Gianfranco BETTIN


Il « giornalismo a fumetti », racconto biopolitico di Claudio Calia.

Noi siamo quelli che sono morti per niente. Noi siamo il prezzo del progresso. Come si
può rendere artisticamente una frase simile e, ancor più, la storia dei morti di Porto
Marghera? E come si può restituire, con la forza delle immagini, la congiura di manager
e tycoon multinazionali che l’hanno prodotta? E, ancora, come denunciare le ambiguità
e le ipocrisie di una giustizia che è stata a lungo niente affatto uguale per tutti, come
ricorda il titolo del libro? Compito arduo, in cui si rischia sempre di incappare nella
retorica, nel facile eccesso che sostituisce la riflessione radicale, il limpido e forte
narrare.
Sono rischi che non corre Claudio Calia, giovane graphic storyteller, accintosi con
mano impavida e pulita al compito difficile – e quanto necessario ! – di raccontare per
immagini la grande tragedia (e il grande crimine) del Petrolchimico di Porto Marghera,
delle centinaia di operai morti per l’esposizione al cloruro di vinile monomero (CVM) e
dell’immane crimine ambientale perpetrato nella laguna di Venezia.
Come potremmo definire la tecnica – e l’arte – di Calia, così come si presentano in
questo nuovo libro della bella, innovativa collana Cronaca Storica di BeccoGiallo, un
libro che ne conferma la raggiunta sicurezza e maturità espressiva (già intuibili nei suoi
lavori precedenti e

[p. 6]

Che, qui, acquistano ulteriore spessore e intensità) ? Calia è certo consapevole della
forza nuova raggiunta in [questi] anni dal graphic novel, il racconto o romanzo a fumetti
dedicato sia alla pura fiction sia alla ricostruzione di eventi e storie reali, e sembra aver
tenuto presente – soprattutto nella parte didascalica e di testo – tale importante lezione.
Il suo libro, tuttavia, va oltre. Forse si potrebbe meglio definirlo come un esempio
originale di quel « giornalismo a fumetti » – graphic journalism ? – molto caro a
BeccoGiallo e che lo stesso Calia aveva validamente sperimentato nei lavori precedenti,
sopratutto in Fortezza Europa. Storie di mura e di migranti (2006) o, prima ancora,
nelle cronache a strisce di Nuvole (2003), mettendo a frutto l’esempio magistrale di un
Joe Sacco, soprattutto sul piano della scelta etica (come ha notato il poeta Lello Voce), e
combinando la narrazione a flusso con quella iconica e sintetica delle nuove tag,
evoluzione estrema, per intensità semantica e condensazione simbolica, dei graffiti.
Certe tavole di Calia è come se a disegnarle fosse stato il gatto nero che è un po’ il suo
logo : dev’essere uscito di casa e deve aver preso quelle tag dalle strade e dai muri e poi,

331
con gli artigli, le deve avere reincise sulla carta insieme ai racconti e ai materiali raccolti
da Calia stesso. Si può forse spiegare così il segno, insieme selvaggio e domestico,
attraverso il quale l’autore si esprime. Domestico, cioè comprensibile e riconoscibile per
tutti, comunicativo in parole e forme inevocabili. Selvaggio, tuttavia, perché irriducibili
all’universo ufficiale e tradizionale. Un gatto selvaggio capace di starsene in casa è un
animale che nessuno potrà mai davvero addomesticare. Altrettanto si può dire di un
segno, di un racconto, che sa parlare a tutti ma impone tuttavia una propria lingua, un
proprio segno distinto. La tensione formale che rende vive le tavole di Calia sembra
nascere da questa dialettica radicale tra esigenza di dire, di esprimere, e volontà, cioè
scelta estetica ed etica insieme, di non banalizzare la forma dell’espressione.
Nel caso del « giornalismo a fumetti » questa scelta è ancora più impegnativa che nel
graphic novel, perché la libertà formale è pur sempre vincolata dalla « cosa » narrate,
dal tema. La scelta di Calia, narrando di

[p. 7]

Marghera, è quella di attribuire pari dignità ai materiali d’inchiesta selezionati e


utilizzati (le voci degli operai e dei loro familiari, di Gabriele Bortolozzo, dei
protagonisti del processo, i reperti scientifici, le note storiche) e al proprio racconto per
immagini, integrandoli efficacemente. Ciò non sminuisce il peso e il ruolo del fumetto,
dell apura immagine, ma, anzi, paradossalmente, lo esalta. Le parole, le didascalie,
vengono avvolte nel disegno e si trovano perfettamente a loro agio nelle forme e nelle
sfumature, nel sobrio, elegante, incisivo bianco e nero che, infine, illustrano la pagina.
Fare « giornalismo a fumetti » – e, certo, anche graphic novel – non significa, se non in
una versione povera di valori artistici e conoscitivi, accostare un disegno esplicativo a
un testo o viceversa. Il racconto di Calia potrebbe perfino non avere didascalie – provate
a fare l’esperimento – e la sua forza non sarebbe affatto diminuita. Magari si perderebbe
qualche specifica informazione, non traducibile in immagini, ma la sua forza espressiva,
emotiva e, infine, conoscitiva, resterebbe intatta. Il disegno dice tutto l’essenziale:
perciò questo libro è un ottimo contributo a un’arte capace di confrontarsi con un tempo
in cui le parole devono essere salvate da se stesse, cioè dalla retorica e dall’ipocrisia che
spesso le impregna e che, nel caso qui narrato, sono state profuse a piene mani per
nascondere o sminuire veri e propri crimini.
Claudio Calia, integrando parole e disegni, perizie mediche, analisi scientifiche, note
storiche, considerazioni giuridiche e politiche e illustrazione originale della vicenda,
restituiscea chi legge il senso profondo e duraturo di un dramma storico che neanche
oggi, a sentenza passata in giudicato, può essere archiviato. Quel dramma continua, nel
dolore e nell’assenza che patiscono i sopravvissuti, nell’eredità tossica lasciata all’aria,
all’acqua e alla terra. Queste immagini lo fissano, e lo descrivono, per quello che infine
davvero è : un dramma biopolitico, connesso con la vita reale e con le responsabilità del
potere, prodotto da una certa storia, ma vivo tuttora. Biopolitico, dunque, ne sarà il
racconto e questo, infatti, è il tratto ultimo e più marcato, il segno parlante del
« giornalismo a fumetti » di Claudio Calia.

[p.9]

Texte du récit
CAPITOLO I

332
« CVM Cloruro di Vinile Monomero ».

[p. 11]

-Allora pensavo che il tumore al fegato che aveva colpito Lorenzo fosse una casualità.
-Poi ho scoperto che l’angiosarcoma epatico è strettamente connesso all’esposizione al
Cloruro di Vinile Monomero. Certo… Io non potevo pensare che una fabbrica così
importante non si prendesse cura dei suoi operai…
-Lorenzo era entrato al Petrolchimico a 24 anni, nel 1960.

[p. 12]

Respiri veleno !! Riprendiamo la lotta per la nostra salute.


-Per me come per i miei compagni, entrare in fabbrica voleva dire non avere più
preoccupazioni. Fabbrica voleva dire lavoro sicuro, che ti permetteva di mantenere la
famiglia. Misentivo il futuro tra le mani.

[p. 13]

-Per mio padre il lavoro in fabbrica rappresentava una bella rivincita…La vorarein
fabbrica significava sentirsi importanti e avere un salario sicuro… Per lui e per gli altri
operai, non era nemmeno concepibile pensare di cambiare lavoro rischiando di mettere
a repentaglio la sussistenza della famiglia… E su questo, probabilmente, contavano i
padroni. Sul fatto che la vita degli operai era davvero nelle loro mani : quegli uomini
avevano bisogno del loro stipendio per mangiare… Non c’era ricatto più efficace.

[p. 14]

-C’era un tempo in cui potevo fare di tutto. Andavo in montagna, sciavo e facevo
camminate, andavoa ballare, nuotavo… Adesso faccio fatica a salire le scale di casa. La
mia vita è cambiata. Devo regolarla al ritmo di un respiro che sale a fatica dal moi
stesso petto. Perché è qui, dentro di me… chesento qualcosa che mi stringe la gola. …

[p. 15]

-C’è una scena che mia sorella non riesce a dimenticare… Quando moi padre era già
malato, un giorno l’ha accompagnato in bagno. L’ha visto guardarsi allo specchio…
-…e abbassare in silenzio la testa perché non si riconosceva più.
-Negli ultimi tempi pesava 35 chili.
-Il suo colorito era verde.

[pp. 16-17]

Porto Marghera.
La costruzione del Petrolchimico inizia nei primi anni’50.
In piena ripresa economica dopo la Guerra, il PVC entrain produzione nel 1952 con il
reparto CV1. Subito dopo viene reso operativo l’impianto CV3 per la polimerizzazione
in sospensione.

333
[p.18]

Negli anni, l’incremento produttivo porta al CV22-23 e al CV24, reparti che


ottimizzano la lavorazione del CVM.
Il Cloruro di Vinile Monomero è un composto organico clorurato.
A temperatura e pressione ambiente è un gas dal tipico odore dolciastro, insolubile in
acqua. Trova impiego soprattutto nella produzione del suo polimero, il clorurodi
polivinile.

[p.19]

L’uso più importante del cloruro di vinile è la sua polimerizzazione per la produzione
del PVC.
Il cloruro di vinile deprime il sistema nervoso centrale. L’inalazione dei suoi vapori
produce sintomi analoghi a quelli dell’intossicazione da alcol.
Mal di testa, stordimento, perdita di coordinamento nei movimenti, perdita di coscienza
e morte per crisi respiratoria.

[p.20]

Sulle cavie in gravidanza l’esposizione al cloruro di vinile ha causato aborti e nascite di


cuccioli malformati.
L’effetto sulla riproduzione umana è sconosciuto.
-Alungo andare, l’esposizione al cloruro di vinile può causare irritazioni croniche alla
pelle e un’infiammazione delle estremità chiamata sindrome di Raynaud.

[p.21]

-Il cloruro di vinile è cancerogeno, ed è stato messo in relazione con alcune forme di
cancro al fegato. In primo luogo, al carcinoma epatocellulare.
-Che il CVMfosse cancerogeno, i lavoratori sono venuti a saperlo nel 1973, ma c’è il
fondato sospetto che per molti anni la realtà sia rimasta nascosta per i grandi interessi
economici che le materie plastiche rivestivano in una fase di grande espansione
commerciale.
-I primi a parlare di nocività del CVM sono stati i medici dell’URSS, sul finire degli
anni ’40.

[p.22]

-Ma prima di addentrarci nelle questioni mediche legate al CVM, diamo la parola a un
breve filmato.
-Vediamo che cosa raccontava la televisione italiana negli anni ’60 per promuoverne
l’uso nelle famiglie.

[p.23]

334
-In cucina le materie plastiche dominano incontrastate…
-Oh !
-Niente Paura !
-Il bicchiere fabbricato in polistirolo antiurto è infrangibile !

[p.24]

-Naturalmente, la porta interna e le vaschette di un moderno frigorifero…


-…non possono che essere in…
-Avete indovinato.

[p.25]

-Perfino il frullatore è di plastica !


-La frutta ?
- quella no.

[p.26]

-Bene…
-Diamo per buono che le ricerche russe non siano state ascoltate. Per quel tempo, troppo
premature rispetto alla conoscenza del CVM.

[p.27]

-Tenendo conto di queste attenuanti… la data chiave sulla provata nocività del CVM è
il 17 luglio 1973… come ci raccontano Gianfranco Bettin e Maurizio Dianese nel libro
« Petrolkiller », in questa ricostruzione di fantasia basata su documenti realmente
esistenti.
Washington, 11 luglio 1973. Sede della Manufacturing Chemists Associations (MCA),
1825 Connecticut Avenue, N.W.

[p.28]

Faccendo la doccia, quella mattina, forse avranno pensato all’ingegno Americano e alla
fortuna di poter avere tendine in PVC grazie alla scoperta di Waldo Semon e alla
Goodrich. Intanto la doccia era stata come al solito comoda e piacevole, con quel caldo
poi.
Prima di entrare in riunione, un po’ più tardi, forse si saranno aggiustati le cravatte. Ci
tenevano all’aspetto. Tutti.
E poi quello sarebbe stato un giorno particolare.

[p.29]

Per molti versi perfino drammatico. C’erano nell’aria decisioni importanti, erano pronti
a questo, era il loro mestiere, dopotutto.
In un certo senso, tuttavia, si trattava di sedersi a un tavolo e giocare una partita a poker
molto rischiosa.

335
Certo, avevano il mandato del gruppo dirigente della MCA.
Il giorno prima, quelli che contavano di più, cioè il direttivo della Manufacturing
Chemists Associations, si erano incontrati. L’accordo era stato trovato, certo.
Ma ora si trattava di convincere tutti gli altri.
Tutti i rappresentanti delle duecento principali aziende chimiche americane dovevano
decidere come mettere in pratica la linea stabilita dal direttivo.

[p.30]

Il passaggio cruciale era l’incontro con il NIOSH, il National Institute for Occupational
Safety and Health, cioè l’organismo governativo che, insieme all’OSHA (Occupational
Safety and Health Administration), si occupava della sicurezza e della salute negli
ambienti di lavoro. Mentre spingevano la porta della sla riunioni, forse avranno pensato
anche che era arrivato il momento di cambiare sede.
[quel] cubo di vetro e cemento, triste, stinto, senza personalità, in Connecticut Avenue,
era abbastanza comodo solo per gli impiegati che prendevano la metropolitana, dato che
la stazione era sulla dicciannovesima strada, proprio all’incrocio.

[p.31]

Ma non era affatto all’altezza delle ambizioni delle grandi aziende che vi avevano sede,
riunite nell’associzione che raccoglieva il top della chimica, il settore d’avanguardia
dell’industria mondiale, la più magica delle industrie che certo questi nuovi comparti
elettronici, avrà pensato qualcuno, mai potranno eguagliare […]
Poteva essere cominciata così, è solo una supposizione, quella calda giornata alla
Manufacturing Chemists Associations.
« Signori, buongiorno. Voglio ringraziarvi tutti per la presenza puntuale »
Avrà detto qualcuno aprendo la riunione.
« La convocazione è avvenuta con breve preavviso, troppo breve, lo so, e ce ne
scusiamo »

[p.32]

« Ma vi renderete subito conto che non c’era più tempo da perdere. Il nostro incontro, lo
sappiamo tutti, non era atteso in questo periodo »
« Una serie di circostanze ci ha però costretti ad accelerare I tempi »
« La questione è la seguente : nessuno ormai è più in grado di controllare gli eventi »
« Si sta facendo troppa confusione. Ed è perciò necessario anticipare le nostre mosse e
convocare una riunione con il NIOSH »
« E poiché il NIOSH è disponibile da subito, ed è nostro interesse incontrarlo al più
presto »
« eccoci qui a doverci confrontare sull’atteggiamento da assumere insieme »

[p.33]

« Allora dobbiamo proprio andare a dire al NIOSH, e cioè al governo degli Stati Uniti,
ai sindacati, al popolo americano, ai giornali e alle televisioni di tutto il mondo »

336
« che il cloruro di vinile è cancerogeno? »

[p.34]

« Davvero dobbiamo andare a raccontare questa cosa ? »


« Sì. Così la pensa anche il direttivo. Non è più possibile dilazionare i tempi. Il governo
va informato »

[p.35]

Ci fu un momento di silenzio, di scetticismo misto a sorpresa.


Perché si sapeva, si intuiva che qualcosa occorreva fare da tempo, ma ugualmente molti
restarono sconcertati : questo significa chiudere tutto, dissero, incapaci di riconoscere in
questa proposta la linea di condotta tradizionalmente tenuta dalle aziende.
Una linea che finora aveva sempre pagato. Riserbo, innanzitutto: così si erano sempre
regolati.
Ed era sempre andata bene.
« Però, forse è meglio cercare di capire bene la proposta.. Lasciamo che venga esposta
compiutamente. Ma intanto vorrei chiedere : nel momento in cui il NIOSH verrà a
sapere che il cloruro di vinile è cancerogeno, non potrà che emanare un decreto a tutela
della salute.. Giusto ? E così ci costringerà a portare il livello di esposizione degli operai
a mac zero, ma noi sappiamo che tutti i nostri impianti non lo possono garantire…
Vero ? »

[p.36]

« Non possiamo garantire il mac zero, quindi »


« Quindi dobbiamo convincere il NIOSH che siamo sinceramente preoccupati dei
risultati dei primi studi sugli animali »
« Ma quali primi studi? Se è dall’anno scorso che il gruppo europeo ci ha informati dei
tumori !? »
« Il rapporto del dottor Maltoni lo avete visto tutti »
« No ? »
« quelli del NIOSH nemmeno sanno chi sia il professor Cesare Maltoni. Molti
Americani non sanno nemmeno dove sia l’Europa, figuriamoci l’Italia, poi ».
« Secondo me, nemmeno tra gli addetti ai lavori si sa con precisione che Maltoni sta
conducendo per conto di Montedison e altre tre aziende europee alcuni studi sul cloruro
di vinile monomero. In ogni caso, sono pronto a scommettere che in America nessuno
ha mai sentito parlare di Maltoni »
« Gli unici a conoscenza degli studi italiani sono le persone sedute adesso a questo
tavolo »

337
[p.37]

« E a queste persone – a noi tutti, cioè – ricordo che nel novembre scorso abbiamo
firmato con gli Europei, su loro espressa richiesta, un documento che ci impegna a
mantenere il segreto su queste informazioni, in particolare sulle ricerche di Maltoni.
-Noi sì, ma da qualche parte sono uscite, no ? »
« Non è vero ».
« Il patto di segretezza che gli Europei ci avevano chiesto di firmare già nell’agosto del
1972, quando i primi esiti delle ricerche di Maltoni sono stati comunicati a Montedison,
ICI, Rhône-Progil e Solvay, questo patto in realtà ha retto benissimo fino a oggi.
Molto più di quanto si potesse anche solo sperare ».
« Infatti di ufficiale non c’è ancora nulla. Sì, è vero che due mesi fa Maltoni ha
comunicato in un congresso a Bologna le sue scoperte iniziali, ma non se n’è accorto
nessuno, né in Europa né tantomeno qui ».
« Alla fine, mese più mese meno, abbiamo guadagnato quasi due anni.
Teniamo presente che è difficile che il NIOSH disponga di consulenti in grado di
tenerci testa ».
I nostri sono sperimentatissimi.

[p.38]

« E allora ? »
« Allora bisogna giocare d’anticipo, prima che escano ulteriori indiscrezioni, prima che
ci siano altri congressi, prima che la cosa esca dalla ristretta cerchia degli scienzati e
delle riviste specializzate e finisca sui giornali a grande tiratura ».
« Siamo in una fase in cui i sospetti sono solo agli inizi. Noi ci presentiamo al NIOSH e
gli diciamo : guardate, sono anni che abbiamo qualche dubbio sulla tossicità del CVM »
« e siamo talmente convinti che al primoposto debba esserci la salute dei lavoratori e dei
cittadini, che abbiamo commissionato, pagando fior di dollari, studi su studi »

[p.39]

« E questo, lo sapete, possiamo dimostrarlo, conti e ricerche alla mano ».


« A questo punto, ci sarà sufficiente aggiungere che adesso, proprio perché non
smettiamo mai di fare il massimo per la salute dei nostri operai, abbiamo finanziato una
ricerca sulla cancerogenicità del CVM. Qualche dato, anzi, c’è già, potremmo dire »
« Ci daremo in pasto ai leoni. Ci chiederanno di mostrarli, questi dati, no? »
« No. Gli diremo che si tratta di elaborazioni ancora in fase embrionale, bisognose di
verifiche ».

[p.40]

« Diremo anche che li terremo informati costantemente ».


« Che non nasconderemo nulla ».
« E crediamo proprio di riuscire a metterli nel sacco ? »
« Se saremo convincenti »
« Sì »

338
[p.41]

« Efficienti lo sono stati. Parecchio. Solo a Porto Marghera, i casi di morte accertati
sono 157, e 103 quelli di malattia compatibile con l’esposizione al CVM.
L’angiosarcoma, come ci spiega il dottor D’Aquino sempre in « Petrolkiller », è un
tumore che attacca i vasi sanguigni del fegato ».

[p.42]

« Immaginiamo, per capire, che il fegato si auna struttura in tubi innocenti alla quale
sono attaccati tanti pezzi di stoffa »
« La stoffa sono le cellule del fegato, i tubi l’intelaiatura che regge tutto e porta il
sangue alle cellule ».
« Che cosa succede con la malattia ? »
« Accade che i tubi si moltiplicano velocissimamente prendendo il posto delle cellule
epatiche »

[p.43]

« e alla fine il fegato si riduce a un grumo di vasi pieni di sangue ».


« Quando il chirurgo apre la pancia del malato, si trova di fronte a una matassa di
vene »
« Un gomitolo sanguinolento sul quale non è possibile intervenire »
« Perché basta toccare qualsiasi parte dell’organo con il bisturi che il sangue schizza »

[p.44]

« Di solito, si apre e si chiude subito »


Conclude il dottor D’Aquino.

[p.45]

Capitolo II

L’erba ha voglia di vita


Gabriele Bortolozzo
(1934-1995)

[p.47]

Gabriele Bortolozzo inizia a lavorare alla Sicedison il 17 gennaio 1956.


Matricola n°54311, è manovale comune presso il reparto CV6 (Polimerizzazione del
CVM in emulsione).

339
[p.48]

Entrare al Petrolchimico, al tempo, significava assicurare la propria vita, spesso


riscattarsi da situazioni di povertà.
L’industrializzazione fu causa di un vero e proprio esodo dalle campagne…
…Che mutò per sempre il volto di Marghera.

[p.49]

Gabriele Bortolozzo ha avuto il merito di essere sempre stato lucido nelle sue
battaglie…
… appuntando pazientemente ogni particolare, ora pubblicato nel volume « L’erba ha
voglia di vita », edito dall’associazione costituita a suo nome.
Un uomo da sempre in prima fila nella difesa dei diritti dei lavoratori…
…che nel 1973, alla notizia che il CVM è cancerogeno, inizia a protestare.

[p.50]

« In fabbrica si lavorava continuamente in mezzo a nuvole di gas, incolore e inodore. »


« Inconsapovoli, tenuti all’oscuro della sua cancerogenicità. »

[p.51]

A seguito delle notizie medicoscientifiche sul CVM, in uno stato di crescente tensione
che culmina nello spavento più generale, alcuni addetti ai reparti produttori di PVC del
Petrolchimico di Porto Marghera si recano a Bologna di propria iniziativa.
Agli operai che spiegano in quali condizioni ambientali sono costretti a lavorare negli
impianti, il dottor Maltoni risponde :
« Stando così le cose, in base alle mie cognizioni scientifiche…
…Trovo strano che siate ancora vivi. »

[p.52]

La conferma che i lavoratori non sono tutelati dallo staff medico dell’infermeria di
fabbrica viene da Corrado Clini, direttore del centro di medicina del lavoro dell’ULSS
di Marghera :
« Le questioni relative alla protezione della salute all’interno del Petrochimico sono da
anni gestite in modo contraddittorio e confuso. Gli stessi enti pubblici hanno accettato
che la salute dei lavoratori potesse essere oggetto dtrattativa politica e sindacale… che
rischia di confondere il diritto alla salute del cittadino lavoratore con un qualunque altro
obiettivo di carattere politico-sindacale. »

[p.53]

L’indagine epidemiologica tra gli addetti al CVM e PVC di Porto Marghera viene
affidata alla facoltà di medicina dell’università di Padova.

340
Nel1977 gli esiti vengono comunicati dal consiglio di facoltà con mesi di ritardo e con
il contagocce per la gravità dei risultati e per il timore di reazioni esplosive da parte dei
lavoratori.
Su circa il 45% dei lavoratori che sono stati esposti al CVM vengono riscontrate
alterazioni della funzionalità epatica.
Vengono comunicati i primi nomi dei deceduti a Porto Marghera a causa
dell’esposizioneal CVM : Ruggero Rutka, Guerrino Danesin, Ennio Simonetto, Augusto
Agnoletto.
Altri se ne aggiungono per I dimostrati effetti della latenza, una vera e propria “bomba a
orologeria”.
Come tutte le sostanze cancerogene, infatti, il CVM manifest ail male letale anche dopo
venti-trent’anni dall’inizio dell’esposizione.

[p.54]

Nel 1985 Gabriele Bortolozzo è il primo operaio a definirsi « obiettore di coscienza alle
lavorazioni cancerogene…
…portando di fronte all’opinione pubblica il problema ambientale di Marghera…
…e continuando la sua opera di denuncia attraverso esposti a catena alla magistratura
sulle situazioni ambientali anomale »

[p.55]

Noto ormai come personaggio scomodo, l’ufficio personale lo confina a un magazzino


di spedizione del PVC.
Nel 1988-89 riesce a uscire dalla fabbrica attraverso la legge sulle aziende in crisi,
passando dalla cassa integrazione al prepensionamento.

[p.56]

È da quel momento che inizia a lavorare a tempo pieno al suo più grande progetto: una
vera e propria inchiesta sulle morti causate dalla lavorazione del CVM/PVC.
Comincia dalla lista dei lavoratori che operavano presso alcuni reparti di produzione del
CVM/PVC, cercando i sopravvissuti, andando di casa in casa a parlare con i familiari
dei defunti per scoprire le cause dei loro decessi.
Nel 1994, con un esposto alla procura della repubblica a nome suo e del movimento di
lotta per la salute « medicina democratica », chiede l’intervento della magistratura
perché verifichi la sue scoperte e ricerchii le responsabilità del crimine che si perpetua
da più di vent’anni.

[p.57]

Il pubblico ministero della procura di Venezia, Felice Casson, apre un’indagine.


Convoca esperti, raccoglie materiali, fa eseguire perizie…
Alla fine, con una montagna di dati a disposizione e argomentazioni inoppugnabili,
chiede e ottiene il rinvio a giudizio dei principali dirigenti del Petrolchimico negli ultimi
decenni.

341
[p.58]

« Gabriele Bortolozzo è stato sempre un uomo libero, e questa libertà l’ha esercitata
anche nella scelta del punto di vista. Operaio, non ha circoscritto il proprio angolo
visuale a quello della fabbrica. »
« Non solo, cioè, è stato antagonista, come operaio, al sistema economico e sociale che
fa dello sfruttamento dei lavoratori la base della propria ricchezza… »

[p.59]

« …Ma ha visto che in essa se ne celava un’altra, più complessa e radicale : lo


sfruttamento dell’operaio implicava lo sfruttamento dell’intero sistema di risorse umane
e naturali presenti sulla terra. »
Gianfranco Bettin, dalla prefazione di « L’erba ha voglia di vita » di G. Bortolozzo.

[p.60]

Gabriele Bortolozzo muore investito da un camion il 2 settembre 1995.


Non ha potuto assistere all’apertura del processo per il quale così tanto ha combattuto.

[p.61]

Due anni dopo…

[p.62]

Quando è morto abbiamo cercato di scoprirne le cause.


Abbiamo raccolto documenti, testimonianze, cartelle cliniche.
Ci siamo rivolti ai sindacati.
Ma alla fine ci hanno risposto : « Se avete un ottimo avvocato, soldi da spendere e
spalle coperte, allora fatelo. »
« Altrimenti scordatevi la faccenda, Montedison è un colosso. »
Loro, i sindacati, un avvocato ce l’avevano. Ma non ce l’hanno proposto.

[p.63]

Quando il giudice Casson ci ha mandati a chiamare, due anni fa, abbiamo ricominciato
a sperare.
Noi oggi siamo qui per far luce sulla storia di nostro padre, ma anche per essere d’aiuto
a chi continua a lavorare in condizioni di rischio e per quanti si stanno ammalando di
tumore ancora oggi.
Sputava sangue.
Cominciò così.
Renato, Figlio di Augusto Agnoletto, Undienza preliminare del 3 marzo 1997.

[p.65]
Capitolo III
Il processo

342
[p.66]

« Questo è un disastro dell’era moderna »

[p.67]

« di fronte al quale è difficile indagare, ma non mancano certo le norme che lo


sanzionano »
« e l’accusa di disastro si fonda sul numero dei morti che continua a crescere »
« sul pericolo per l’incolumità della popolazione, sui danni provocati all’ambiente al
punto tale da avvelenare la catena alimentare, in particolare tramite le vongole »

[p.68]

« La Montedison si è comportata come un necroforo ».


« Ha clinicamente aspettato di avere i morti in casa : non ha voluto muoversi prima ».
« Numerosi studi dimostrano che almeno dal ’49 il CVM era ritenuto tossico, e
successivamente, dagli anni ’60, anche in grado di provocare il cancro, come
testimoniato dalle indagini della società Dow Chemical sui suoi stessi operai ».

[p.69]

« Perciò ho accusato le alte sfere delle aziende, cioè i livelli decizionali, là dove si
potevano stanziare grandi finanziamenti o modificare le strategie »
« ritengo responsabili tutti gli imputati, anche quelli che hanno esercitato le cariche per
breve tempo, perché il loro comportamento non ha modificato la catena criminosa che
ha danneggiato i lavoratori e l’ambiente »

[p.70]

« Voglio dire che chi ha perso furono i singoli lavoratori, prima tenuti all’oscuro di tutto
e poi ingannati, presi per i fondelli, svillaneggiati, sfruttati, ricattati e peggio ancora fatti
ammalare o morire mentre un direttore di stabilimento, oggi imputato, li accusava sui
giornali di essere degli scansafatiche e dei vagabondi, mandava a casa la visita iscale a
uno di loro deceduto pochi mesi dopo per due patologie tumorali, e altri due direttori,
dal 1973 al 1996, lanciavano accuse di sabotaggio e denunce agli operai per sviare
l’attenzione della gente e degli inquirenti dalle gravi e preoccupanti situazioni che
stavano emergendo ».
« La legge è uguale per tutti »

[p.71]

« Per questi operai.. a tutela della loro integrità e della loro dignità… per questi uomini
lasciati anche a un certo punto soli in fabbrica per portare a casa un pezzo di
pane…chiedo che il tribunale emetta una sentenza di condanna nei confronti degli
imputati ».

343
[p.72]

Estratti dalla replica finale del pubblico ministero Felice Casson, 10 ottobre 2001.

[p.73]
Mestre, 2 novembre 2001
L’AZIONE
ORATORI PRIMA DI TUTTO !

Tribunale di Venezia, prima sezione penale.


Visto l’articolo 531 del codice di procedura penale, dichiara di nondoversi procederenei
confronti di E. Cefis, E. Bartalini, R. Calvi, A. Grandi, P. Gatti, G. D’ArminioMonforte,
A. Sebastiani, in ordine ai reati di lesioni personali colpose consistite in malattia di
Raynaud in danno di G. Bortolozzo, M. Bragato, C. Padoan, A. Pavan, M. Penzo, P.
Pistolato, E. Ruzza, G. Scarpa e per intervenuta prescrizione.

[p. 74-75]

« Cosa ne pensa di questa sentenza ? »


« È ingiustissima, moi marito adesso sta bene, non è morto »
« però sappiamo che il CVM può avere un lungo periodo d’incubazione.
-Speriamo vada tutto bene »
-…
-Visto l’articolo 530, assolve I predetti imputati dai reati di lesion personali colpose
consistite in epatopatie a danno di I. Bartolomiello, A. Poppi…
…A. Salvi, G. Scarpa, G. Sicchiero, perché il fatto non costituisce reato.
Assolve i predetti imputati dal reato di omicidio colposo per angiosarcoma epatico in
danno di A. Agnoletto, G. Battaglia, T. Faggian, F. Fiorin, P. Pistolato, E. Simonetto, G.
Suffogrosso e G. Zecchinato, perché il fatto non costituisce reato.
« Lei ha seguito tutto il processo dall’inizio? »
« Io spero che portino questa cosa a Strasburgo »
« al tribunale dei diritti umani, perché »
« non è giusto ».
-Eccezion fatta per quel che concerne G. D’Arminio Monforte e R. Calvi che, avuto
riguardo all’imputazione di omicidio colposo in danno di E. Simonetto, assolve per non
aver commesso il fatto. Visto l’articolo 530 assolvei predetti imputati dal reato di
diasatro innominato colposo, per condotte…

[p.76]

-…tenute fino a tutto l’anno 1973, perché il fatto non costituisce reato.
Visto l’articolo 530 assolve G. Porta, M. Lupo, I. Trapasso, G. Diaz, P. Morrione, G.
Reichenbach, L. Fedato, S. gaiba, G. Fabbri, F. Smai, L. Pisani, L. Zerbo, C. Presotto,
A. Burrai, A. Belloni, C. M. Griti Bottacco, L. Neci dai reati sopra detti per non aver
commesso il fatto.
« Assolti ? »
« Vergogna ».
« È una vergogna ! »

344
[p.77]

-Visto l’articolo 530, assolve tutti gli imputati dai reati di lesioni personalicolpose e di
omicidio colposo riferiti alle altre persone offese, nonché dai reati di omissione dolosa
di cautele, strage colposa e di disastro innominato colposo…
-…per condotte tenute in epoca successiva all’anno 1973, perché il fatto non sussiste.
Visto l’articolo 530, assolve E. Cefis, A. Grandi, P. Gatti, G. Porta, G. D’Arminio
Monforte, R. Calvi, I. Trapasso, G. Diaz, P. Morrione, G. Reichenbach, A. Sebastiani…

[p.78]

-…D. Marcello, G. Fabbri, F. Zerbo, F. Smai, L. Pisani, C. Presotto, D. Palmieri, A.


Burrai, L. Necci, G. Parillo e L. Patron dai delitti di disastro innominato colposo, di
avvelenamento colposo e di adulterazione colposa, nonché dalle contravvenzioni loro
ascritte al capo secondo dell’imputazione, perché il fatto non sussiste.

[p. 79]

-Visto l’articolo 530 assolve L. Pisan dall’imputazione di simulazione di reato perché il


fatto non costituisce reato, e dall’imputazione di procurato allarme perché il fatto non
sussiste.
-A norma dell’articolo 544 comma terzo indica in giorni 90 il termine per il deposito
della sentenza.

[pp.80-81]

« È una vergogna »
« Tutti morti per niente »
« Vergogna ! »
« È uno scandalo ! »
« Possibile che finisca così ? »
« Che vergogna »
« Vergogna ! »

[pp.82-83]

L’indignazione si levò forte dall’aula.


« Vergogna ! »
« Assassini ! »
« È una vergogna ! »
« Non può finire così !!! »

[pp.84-85]

La legge è uguale per tutti


COLPEVOLI !

345
Ieri come oggi !!!
Dopo un’aspra trattativa con le forze dell’ordine, fu permesso a una delegazione del
pubblico di esporre uno striscione nell’aula del tribunal.
La sentenza di assoluzione deluse molti e fu protagonista indiscussa del dibattito
culturale di quei giorni.
Non mancò di provocare commenti e reazioni accese, dall’aula di tribunale fino alle
prime pagine dei giornali.

[p.86]

« Penso a Gabriele. Sì, penso a lui »


« e per la prima volta sono contento che non sia qui »
Gianfranco Bettin, da « Inganno letale », documentario Planet TV.
« a sentire questa sentenza. È la sola cos ache nella sua vita si è risparmiato »
« lui, e tutti quegli altri crepati nelle fabbriche »
« almeno non sono qui a sentirsi questa sentenza ».

[p. 87]

Luca Casarini, Centri sociali del Nordest.


« quello che è successo da trent’anni a questa parte nei nostri territori lo dicono i libri di
storia, non lo dicono le sentenze ».
« Coloro che sono riusciti a guadagnare miliardi sul ciclo di produzione del CVM non
pagano per i danni che hanno fatto, questo ha detto la sentenza: assolti per non aver
commesso il fatto ».
Allora le morti per tumore, per carcinomi, le devastazioni ambientali…
…chi sono i responsabili !?
Continueremo a denunciare questo: la giustizia non è uguale per tutti…
…la legge, non è uguale per tutti.

[p.88]

La vergogna di Marghera
« Reato di strage »
Morti al Petrolchimico, nessun colpevole
Tutti assolti, 157 morti senza colpevoli
Concluso il processo per le morti al Petrolchimico
TUTTI ASSOLTI
Rassegna stampa tratta da « Processo a Marghera »
Associazione Gabriele Bortolozzo, Nuova Dimensione, 2002.

[p.89]
« Uccisi dalle sigarette ? » gian Antonio Stella, Corriere della sera, 3 novembre 2001

« E perché sarebbero morti di cancro, tutti questi operai di Marghera : troppe sigarette e
troppi Cabernet ? »

346
« Tutti moriamo, prima o poi », sbuffa epicureo P. Pasini, che coordinava la difesa
Enichem ».
« Il problema non era sapere di cosa sono morti, ma se gli imputati erano responsabili
del loro decesso. »
« Non lo erano, dice il verdetto. Tutti assolti. Peccato soltanto, sospira l’avvocato, avere
in qualche modo riconosciuto le responsabilità della fabbrica, pagando 63 miliardi a un
po’ di operai minati dal tumore e ai parenti di un po’ di morti perché si ritirassero dal
processo ».
« Vista la sentenza…
« 63 miliardi buttati via. »
« Anche Ennio Simonetto sapeva di dover morire, ma forse avrebbe voluto arrivare a 53
anni. Al Petrolchimico lavorava alle autoclavi ».
« Cioè a quella specie di enormi pentoloni dove le sostanze letali venivano bollite per
fare il CVM. E dopo aver seguito la lavorazione lui e gli altri entravano nel pentolone
per togliere le croste ».

[p.90]

« come si faceva una volta con la polenta raschiando la pignatta ».


« Al processo, i parenti e gli avvocati, dopo averlo pianto, hanno dovuto difendere
Ennio anche moralmente. Spiegare che il cancro non gli era venuto dale cicche, perché
non fumava per niente ».
« E neanche la cirrosi gli era venuta dal bere, perché beveva in modo moderato, tre
bicchieri a pasto ».
« E raccontare che aveva passato gli ultimi mesi dentro e fuori dagli ospedali per una
broncopolmonite, poi per un tumore al fegato, poi per un angiosarcoma ».
« E mentre si spegneva rantolando, nelle ultime settimane gli mandavano a casa il
medico fiscale perché pensavano facesse il furbo ».
« E intanto l’ingegner Angelo Sebastiani, per il quale Casson avrebbe chiesto
inutilmente quattro anni di carcere si lagnava con il « Gazzettino » di questi operai che
« sono degli scansafatiche assenteisti vagabondi. »

[p.91]

Eppure udienze su udienze, tra le lacrime dei parenti, sono state dedicate alle
osservazioni maligne dei periti della difesa, come Marcello Lotti.
« Siamo sicuri che tutti questi operai siano stati colpiti dal cancro per colpa dei prodotti
chimici ? E se fosse perché fumavano ? »
« Si sa che gli operai fumano. E se fosse perché bevevano? Si sa che gli operai bevono,
i Veneti poi ! », e così via.
« Tutto finito. Tutti a casa. Nessun colpevole. Neanche Eugenio Cefis, che al processo
aveva sostenuto che sotto la sua presidenza « la sicurezza dei lavoratori e la salva
guardia dell’ambiente erano l’obiettivo prioritario e ineludibile. »
« Neppure i responsabili di quella circolare del 1977, era cefisiana, in cui si sosteneva
che « poiché l’impresa ha come fine il profitto […] occorre andarci piano con le costose
manutenzioni: bisogna correre dei ragionevoli rischi. »
Quali?

347
[p.92]

« Non quelli di finire in galera, dice la sentenza di ieri. Basti ricordare, a corredo
dell’assoluzione éperché il fatto non sussiste », anche per il reato di inquinamento, due
cifre. Sapete quante tonnellate di fanghi mercuriosi il Petrolchimico ha continuato a
scaricare in laguna ? »
2 400 l’anno.
« L’equivalente di 80 camion cisterna ».
« E sapete quante tonnellate di residui di lavorazioni chimiche escono ancora oggi dallo
SMIS, lo scarico principale di Enichem in laguna ? »
« 400 000. Il carico di 20 000 TIR. Ve li immaginate ? »
« 55 autotreni al giorno svuotati in acque profonde in media 110 centimetri.
Di fronte alla città più bella del mondo. »
« Mentre i depliant cantano la bellezza delle garzette e degli aironi cinerini ».

[p.93]
« La strage impunita » Giorgio Bocca, La Repubblica, 3 novembre 2001

[…] « Una conferma che l’industria, l’economia, sono più forti della morale, della
politica, dei codici.
Questo sviluppo che passava come un carro armato sul territorio e sugli uomini ha avuto
il consenso, anzi il plauso degli elettori e dei governi, non lo abbiamo chiamato
« miracolo italiano » ?
C’è stato un duro prezzo da pagare e lo hanno pagato coloro che lavoravano a contatto
con i veleni.
[…] può una grande azienda, uno dei pilastri dell’economia nazionale, perdere anni e
decenni di produzione in attesa di verificare la pericolosità di una sostanza ?
No, non può.
Il mercato alimentare mondiale è pieno di alimenti transgenici, corretti con l’ausilio
della chimica, di cui si ignorano i rischi.
Non c’è mai dolo nell’industria e nella scienza che uccidono.
Ha ucciso la mucca pazza ingrassata con farine di animali morti ».

[p.94]

« Qualcuno è andato in galera per questo? »


« Non c’era dolo nella produzione e vendita di farine delle grandi multinazionali? »
« E di fronte a [queste] irresponsabilità dell’economia e della scienza, tocca alla
giustizia trovare la quadratura del cerchio per consentire al sistema di continuare le
assoluzioni generali per mancanza di dolo ».
« Il prosindaco di Venezia Bettin e gli operai di Marghera che hanno cercato per anni di
opporsi ai veleni piangono o imprecano davanti al tribunale, ma sono impotenti di
fronte al muro dei grandi poteri che automaticamente si congiungono nell’assicurare
l’impunità di chi sta al piano alto ».
« Così è scritto ».
« Ma questo è il migliore dei mondi possibili »?

348
[p.95]

-No.
- Questo non toglie che solo qualche anno dopo, il 15 dicembre 2004, la sentenza di
assoluzione per i dirigenti Montedison viene ribaltata in appello.
-È Tullio Faggian, l’ingranaggio difettoso che fa saltare il sistema.
-Non è che nella prima sentenza gli imputati non siano stati ritenuti responsabili di tutti
i decessi…

[p.96]

-…Ma le morti erano troppo lontane nel tempo, non superavano il 1990…
-…reati prescritti.
-Tullio Faggian, invece, è morto a 63 anni l’ ottobre 1999.
-Per angiosarcoma epatico.
-Francesco Aliprandi, president della corte, inizia a leggere :
« In parziale riforma della sentenza del tribunal di Venezia… »

[p.97]

-Il che fa capire che qualcosa è cambiato.


Poi è tutta una lista di « non doversi a procedere » nei confronti dei 228 imputati…
-…Omicidi colposi, mancanza di impianti aspiratori in fabbrica, contravvenzioni
ambientali…
-…tutte « intervenute prescrizioni ».
-Tullio Faggian era vivo e in aula, all’inizio del primo processo.

[p.98]

-Era tra i malati: epatopatia.


« Compatibile con l’alcol », l’insinuazione della difesa ».
« È morto prima di essere costretto ad ascoltare il blocco di assoluzioni della prima
sentenza ».
« Per lui, e solo per lui »

[p.99]

« dopo la prima lista inizia quella delle condanne ».


« Alberto Grandi, 80 anni, successore di Eugenio Cefis, ex amministratore delegato di
Montedison e poi presidente dell’ENI ».
« Emilio Bartalini, 90 anni, responsabile del servizio sanitario Montedison tra il 1965 e
il 1979 ».
« Renato Calvi, 84 anni, direttore della divisione petrolchimica tra il 1975 e il 1980 ».

[p.100]

-Giovanni D’Armino Monteforte, 77 anni, ex vice presidente Montefibre.


-Piergiorgio Gatti, 73 anni, altro ex amministratore del Gruppo Chimico.

349
-Condannati a un anno e sei mesi di reclusione.
-Per omicidio colposo.

[p.101]

-Tre anni prima, il PM Salvarani aveva già riconosciuto il « nesso di casualità » fra
l’esposizione al CVM, i tumori e le malattie…
-…ma aveva assolto pienamente tutti gli imputati indicando uno spartiacque temporale :
fino al 1973-74 la cancerogenicità del cloruro di vinile non era nota…
-…e dopo, Montedison era corsa ai ripari.
-L’appello rovescia le cose.
-Non è vero che dopo il 1973 Montedison ha realizzato gli impianti necessari.

[p.102]

-Ha aspettato almeno fino al 1980.


-Commenta così Felice Casson :
« Il mio pensiero va agli operai e alle vittime di Porto Marghera : mi dispiace solo che
dopo tanto tempo non si sia potuta sanzionare pienamente la responsabilità di chi ha
creato tanti problem alla vita in fabbrica a Marghera.
Vent’anni fa c’erano già tutte le condizioni.
E non ci sarebbero state tante prescrizioni. »

[p.103]

« La giustizia ha battuto un colpo. » Dice Gianfranco Bettin.


Toc.

[p.104]

il 20 maggio 2006 la cassazione conferma le cinque condanne.


Con la conferma del verdetto d’appello, i familiari delle vittime per le quali è stato
riconosciuto il nesso di casualità tra l’attività lavorativa svolta e la forma tumorale
sviluppata manterranno intanto il loro diritto a continuare la causa contro le società
petrolchimiche per ottenere il risarcimento del danno.
Condannati al pagamento delle spese processuali, tra gli altri, anche la presidenza del
consiglio dei ministri, il ministero dell’ambiente, oltre alla Edison Spa e gli ex manager
del Petrolchimico, tra cui Lorenzo Necci.

[p. 105]

Capitolo IV
PVC Post Vinyl Community

[p.107]

« Sono nato e cresciuto a Treviso. Vivo a Padova ».

350
« Per gran parte della mia vita, Porto Marghera è stato solo un nome gracchiato dal
microfono di una stazione ferroviaria ».

[p.108]

« L’incendio del 28 novembre 2002, però, me lo ricordo bene ».


« Me lo aveva raccontato in quegli stessi giorni Gloria, un’amica di Marghera.
Del suo racconto, conservo lo stupore nel sentire l’allarme suonare tre volte di seguito »
« la gente si barrica in casa, chiude le finestre come se servisse a qualcosa »
« le persone che, dopo il cessato allarme, escono per incontrarsi al centro sociale, nelle
piazze »
« come dei sopravvissuti ».

[p.109]

Il 28 novembre 2002, alle ore 19.42, si sviluppa un incendio nel reparto TDI all’interno
dello stabilimento Dow Poliuretani Italia.
Lo stato di emergenza per la popolazione dura un’ora e 40 minuti, fino al segnale di
cessato allarme.

[p.110]

-L’incendio sviluppatosi il 28 novembre 2002 a pochi metri dal serbatoio di quindici


tonnellate di fosgene (un gas mortale per inalazione anche di poche parti per milione),
ha dato immediata concretezza al significato del termine « rischio chimico »…

[Anthony Candiello è uno dei rappresentanti dell’assemblea permanente contro il pericolo chimico che ho
incontrato durante il lavoro di documentazione per questo libro…]

-…Le persone che hanno deciso di attivarsi hanno rapidamente trasformato quei primi
incontri spontanei in un appuntamento fisso che, ormai da cinque anni, si tiene ogni
mercoledì sera presso il municipio di Marghera.

[p.111]

- questa nuova realtà partecipativa si integra con le esperienze precedenti, proseguendo


il lungo percorso di evoluzione della cultura ambientale. Si stringe da subito un forte
legame con l’associazione Gabriele Bortolozzo, che onora il ricordo del lavoratore
divenuto simbolo dell’impegno per la tutela della salute negli ambienti di lavoro…
L’assemblea permanente si muove da subito con un innovativo mix di informazione,
approfondimento e azione.
Sono innumerevoli le manifestazioni, le pedalate, gli interventi sui media locali. In
un’occasione i rappresentanti partecipano all’assemblea sindacale dei lavoratori del

351
petrolchimico, portando la richiesta di un’alleanza per risanarele fratture tra esigenze
produttive e tutela ambientale.

[p.112]

Nel settembre 2004 l’assemblea permanente decide di proporre un quesito referendario


alla città.
La scelta del quesito va ponderata : si è optato per un’impostazione coerente con le
precedenti campagne, in modo che votare « no » al referendum significhi « no al
fosgene ».
Sono necessarie le firme di 12.000 cittadini.
In un solo fine settimana vengono raccolte 5.000 firme.
Il 17 febbraio 2005 vengono consegnate al segretario comunale le 12.625 firme valide
raccolte in due dei tre mesi previsti dal regolamento.

[p.113]

Una serie di ostacoli di natura formale e politica porterà i cittadini a dover attendere
oltre un anno per sapere se e in quale forma potranno esprimersi. Nel maggio del 2006 il
consiglio comunale sceglie un’alternativa e inedita consultazione tramite posta.
Di seguito, il testo del quesito referendario :
Il ciclo del cloro a Porto Marghera è costituito da alcuni impianti industriali collegati tra
loro costruiti sulla gronda lagunare agli inizi degli anni settanta. Tale ciclo, che ha alla
base l’impianto cloro-soda, è finalizzato alla produzione di TDI e PVC, che prevedono
come prodotti intermedi cloro, CVM e fosgene.
Volete voi che continuino la produzione e la lavorazione del cloro, del CVM e del
fosgene?

[p.114]

La consultazione si chiude l’8 luglio 2006. Partecipano 75.000 abitanti (circa il 35%
della popolazione) esprimendo con oltre l’80% dei « no » la volontà dei cittadini di
intervenire rapidamente nei confronti delle produzioni incompatibili con la salute del
territorio.
A seguito di un mdificato sistema normativo, sempre meno incline a sostenere gli oneri
ambientali degli impianti più inquinanti, il sito produttivo della Dow Chemical non
riapre, come previsto, alla fine dell’estate.

[p.115]

Il mondo è cambiato.
Per l’assemblea permanente, la chiusura…
« È la conferma della necessità di programmare localmente la gestione degli impianti
industriali, anticipando gli inevitabili interventi di razionalizzazione decisi dalle
multinazionali. »
Nel tragitto di ritorno verso Padova, rifletto su quanto discusso con l’assemblea
permanente.

352
[p.116]

« quello che mi sembra fondamentale, nella questione del Petrolchimico »


« è che si tratta di una storia fatta di persone. Persone che spesso hanno avuto tutto e
tutti contro, dalla politica al sindacato, per non parlare delle aziende »
« persone che negli anni ’70 hanno trafugato documenti negli uffici aziendali per
informare gli operai dei rischi che correvano nel loro posto di lavoro »

[p.117]

« Un movimento di individui che cresce nel tempo, si rialza dopo le sconfitte e continua
a pretendere una vita migliore. Un mondo migliore ».
« A Padova salgo sulla mia auto. Penso per un’ultima volta a quello che Gianfranco
Bettin ha scritto in « Petrolkimiko » sulla mia generazione:
Erano e si sentivano vicinissimi al mondo della fabbrica, e non mancheranno di far
sentire la loro solidarietà alle fabbriche in lotta. »

[p.118]

« Ma ciò avviene ormai all’interno di un’altra cultura, altri stili di vita, altri percorsi
sociali ed esistenziali.
Le nuove generazioni sperimentano così, fino in fondo, la propria estraneità. Giunte a
un punto lontano di alterità, di antagonismo, potranno poi rimeditare tutto, ripensare,
riessere il filo dei legami profondi con la classe, con la comunità originaria, ritrovare i
nessi sociali, le affinità intime e un comune sentire politico. »
Lo ammetto: non ho l’autoradio. Se ce l’avessi, questo libro finirebbe così…

[p.119]
Click.
♫♫…a Marghera nialtri
lo femo presente… ♫♫
♫♫…che par lori xe aria bona
par niantri a xe fetente…♫♫

[p.120]

♫♫…Marghera sensa
fabriche saria…
più sana ! ♫♫
♫♫…’na jungla
De panoce
Pomodori…♫♫
…e marijuana ! ♫♫
« Marghera », Pitura Freska, 1991.

353
[p.121]

D’altronde :
« Tutti moriamo, prima o poi ».
P.Pasini, Coordinatore della difesa Enichem nel processo al Petrolchimico.

No? FINE

[p.123]

Note dell’autore

Questo libro mi ha impegnato parecchi mesi. Oltre al disegno, il mio lavoro è stato
cercare di conoscere, appronfondire, circoscrivere un’idea su quello che volevo
esprimere con questo volume.
Il fumetto attinge a piene mani da alcune opera che qui voglio segnalare come traccia
dell’itinerario di lavoro lungo tutta la storia del Petrolchimico di Porto Marghera. Prima
di tutti Petrolkimiko, le voci e le storie di un crimine di pace (Baldini&Castoldi, 1998),
curato da Gianfranco Bettin, da cui sono tratte le prime cinque pagine del libro con le
testimonianze di alcuni parenti delle vittime. Per continuare con Bettin, accompagnato
questa volta da Maurizio Dianese, segnalo Petrolkiller (Feltrinelli, 2002), da cui, oltre a
preziose informazioni, è tratta la novelization dell’incontro tra i magnati della chimica
mondiale dell’11 luglio 1973. Impossibile poi non nominare L’erba ha voglia di vita,
autobiografia e storia politica tra laguna e petrolchimico (Associazione Gabriele
Bortolozzo, 1998), che oltre a dare il titolo al secondo capitolo del libro raccoglie le
dettagliate memorie di tutta una vita, redatte da Gabriele Bortolozzo.
Il terzo capitolo, Il processo, si basa su Processo a Marghera (Nuova Dimensione,
2002), di cui ho ampiamente sfruttato la ricca documentazione iconografica.
Per l’ultimo capitolo, riguardante le attività dell’Assemblea Permanente contro il
Pericolo Chimico a Marghera, sono stati ondamentali i testi Claudio Cogo : un esempio
di impegno civico, curato da Anthony Candiello (Comune di Venezia e Municipio di
Mestre, 2005) e Laboratorio Marghera, tra Venezia e il Nordest, curato da Nicoletta
Benatelli, Anthony Candiello e Gianni Favarato (Nuova Dimensione, 2006).
Per quanto riguarda internet, consiglio a tutti la consultazione del sito
www.margheraonline.it, archivio in continuo aggiornamento delle attività
dell’Assemblea Permanente.

354
Annexe n° 2

Transcription de Alessandro Di Virgilio, Manuel De Carli,


ThyssenKrupp

ThyssenKrupp
Morti Speciali S.p.A.

di Alessandro Di Virgilio e Manuel De Carli

Transcription du Récit

Ogni anno nel mondo avvengono 250 milioni di incidenti sul lavoro. Che vuol
dire 685.000 al giorno. 475 al minuto. 8 al secondo.

[p.7]

Solitudine operaia,
Carlo Marrapodi

Torino, giovedì 6 dicembre 2007.


Stabilimento ThyssenKrupp, Corso Regina Margherita 400.

E questa è una storia che ormai tutti conosciamo. Ma prima?


Ecco, parliamo un po' del prima. Parliamo un po' di tutto quello che ha
contribuito a farci arrivare a questa tragedia.
Dal 1999, a causa del pre-pensionamento dovuto alla « situazione amianto »,
nello stabilimento di Torino comincia gradualmente un vero e proprio cambio
generazionale.
Io, come tanti altri, entro in ThyssenKrupp tramite un'agenzia di lavoro
interinale, anche se le chiamate a colloquio erano decise dall'azienda stessa,
tramite "raccomandazioni" (chiamiamole così) dei sindacati.
Mi ritrovo così a lavorare in quel posto. Senza saperne molto di acciaio e
acciaierie, comincio a produrre per quella gente.
Per anni, io insieme agli altri, dobbiamo affrontare le varie scadenze dei
contratti a tempo determinato. Prima contratti di uno, quattro, sei mesi con

355
l'agenzia interinale, poi altri contratti « di formazione » con l'azienda. E poi,
finalmente, veniamo assunti a tempo indeterminato.
Io vengo assunto nel 2005. Ed ecco che finalmente ti senti tranquillo: dopo
tanti contratti a orologeria che pesano sulla tua testa come una spada di
Damocle, ora hai il tanto agognato posto fisso. Così inizi a fare i tuoi piccoli
progetti di vita: compri una macchina, accendi un mutuo per comprare casa,
dove pensi di andare a vivere con la compagna che hai deciso di sposare. Tutti
i vari piccoli sogni che un ragazzo vorrebbe poter realizzare.
Solo che un giorno come un altro, mentre sei sul tuo impianto che ormai
conosci meglio della tua donna, come portato dall'aria impregnata di fumi
aziendali, dall'odore di acciaio, ti arriva all'orecchio quella parolina che nei
mesi a venire diventerà - per te e tutti gli altri - un martello pneumatico che ti
tortura la mente: si chiude.
Eravamo sempre più preoccupati. Chiedevamo lumi ogni giorno ai capi e ai
sindacati. Poi una mattina, arrivando alla timbratrice, troviamo in bacheca un
comunicato dell'azienda: "Le voci che si sono diffuse negli ultimi tempi
all'interno dello stabilimento sono del tutto infondate, essendo questo un
momento congiunturale".
Congiunturale? Ma che cazzo vuol dire, congiunturale?
Lo abbiamo scoperto da lì a poco tempo, che cosa voleva dire. Io credo di
essere stato fra i primi a essere messo in cassa integrazione: questo qui parla
troppo, avran pensato.
Ero convinto che non sarei mai più rientrato, in quel posto. Ma dopo tre mesi,
io e gli altri cassintegrati siamo stati richiamati in seguito al guasto di un
impianto nello stabilimento di Terni.
Così rientro in azienda il 3 ottobre 2007. Lo scenario che mi appare davanti è
a dir poco sconvolgente: lo stabilimento è in condizioni pessime e ci sono
meno della metà degli operai di prima.
Visto l'aria che tirava, la manovalanza più professionalizzata, incoraggiata,
quasi « sospinta » dalla stessa dirigenza, aveva trovato lavoro altrove. Il tutto,
in quel momento, veniva mandato avanti alla meno peggio. Non c'erano
neppure i capi settore di turno a gestire il lavoro. C'era un solo capo turno per
l'intero stabilimento. Per capire che quella non era una condizione di lavoro
« sicura » non ci volevano certo degli ingegneri, eppure a nulla sono valse le
continue denunce che abbiamo fatto noi operai.
Non eravamo ancora "famosi". Famosi lo siamo diventati dopo, quando sono
arrivate, per sette nostri compagni di lavoro, sette bare. Mentre quei ragazzi
erano chiusi nel legno, sul freddo pavimento di marmo del duomo di Torino
sono arrivati tutti di corsa: sindacati, politici, giornalisti, le televisioni. Ecco,
in quel momento sì che siamo diventati « famosi ».
Ma non era la fama, la cosa di cui noi ragazzi avevamo bisogno. Noi
volevamo prima, nella nostra azienda, e non dopo nel duomo, che qualcuno ci
stesse a sentire.

356
A sentire il grido di una classe operaia che rivuole indietro il sacrosanto diritto
alla dignità del lavoro. Il grido di una classe operaia che vuole garantito il
diritto a tornare a casa incolume, alla fine del turno.
Purtroppo da allora poco o nulla in questa « italietta », è cambiato, e ogni
giorno c'è una nuova ThyssenKrupp.
Quando i ragazzi di BeccoGiallo mi hanno parlato di un fumetto sulla strage
della Thyssen, pensando a Topolino e Paperino io ho pensato fosse una
stronzata. Poi ci ho pensato, ho visto i precedenti lavori sur Porto Marghera,
Ustica, la strage di Bologna. Leggendoli, ho capito che si trattava di lavori di
ricostruzione giornalistica di alto senso civico. E ho capito che quel
linguaggio, che avevo sottovalutato, poteva raccontare la nostra bruttissima
storia anche a persone che altrimenti non avrebbero voluto saperne niente.
Con la speranza che questo lavoro racconti ai giovani italiani ciò che non deve
essere più.

Carlo Marrapodi, ex operaio della ThyssenKrupp.

[p.11]

Nel primo e nell'ultimo capitolo di questa storia è presente Giulia, l'unico


personaggio « virtuale » di questo libro: vuole essere la nostra dedica
personale a tutti coloro che oggi sono costretti a convivere ogni giorno, ogni
ora, ogni attimo con una straziante mancanza.
Gli intermezzi di approfondimento dedicati agli incidenti e alle morti sul
lavoro servono a ricordare che rischiare di vivere una vita a metà o di morire
per lavoro non è circoscritto a quel maledetto 6 dicembre: è una tragedia che
si ripete incessantemente e che i nostri governanti, nel vuoto della retorica
politica, si ostinano da decenni a definire « emergenza »

Alessandro Di Virgilio e Manuel De Carli

Le frasi tra virgolette sono tratte da documenti sequestrati dalle Finanza


all'amministratore delegato del gruppo italiano ThyssenKrupp, il tedesco
Harald Espenhahn.

[p.13-18]

357
Capitolo 1
Ci hanno rubato il Natale

[p.15]

Torino. 5 dicembre 2007, ore 20.30


« Quell'operaio va fermato con azioni legali ».

[p.16]

« Lui e i suoi compagni passano di televisione in televisione »


« Vengono presentati come degli eroi »
« Ma non possiamo attaccarli pubblicamente »

[p.17]

« Stante la difficile situazione ambientale di Torino »


« Dove i comunisti e i sindacati sono più organizzati e forti"
« E dove sono state scritte le pagine più sanguinose dell'eversione rossa »
« Non si può fare pressione sul governo italiano »
« Col ministero del lavoro schierato apertamente coi lavoratori »

[p.18]

« Inoltre Prodi, in crisi, sta traendo vantaggio dall'attenzione su di noi »


« E distrae l'opinione pubblica da problemi più urgenti »
« Giulia, è pronto!
« Sì, Mamma! »
« Riguardo alle cause dell'incendio »
« Se ti sbrighi, signorina, dopo potrebbe anche toccarti il dolce!
« Il dolce! »
« Viste le più che adeguate misure di sicurezza »
« Non si può che giungere ad un'unica conclusione »
« Arrivvooo »!
« Gli operai si sono distratti »

[p.19-30]

Capitolo 2
L'inferno

358
p.21

Torino, 6 dicembre 2007, ore 1.30.

p.22

« Questa incertezza è proprio un inferno »


« Non vedo l’ora di staccare! »
« Terni è troppo lontana, come faccio con Carla e i bambini? »
« Adesso basta, a fine mese mollo tutto e addio ! »

[p.23]

« Sì, ma il Toro ha pareggiato uguale. È inutile che state tanto a fottere ! »


« Già; ma almeno noi un gol l'abbiamo fatto! »
« Eh capirai! Un misero gol e chissà »

[p.24]

« Il nastro della linea 5 sbanda, va contro la carpenteria, lancia scintille e


forma un principio di incendio »
« Sembra sia controllabile, ma gli estintori sono scarichi »
« Un flessibile pieno d'olio esplode e si forma una vera e propria onda di
fuoco che investe i cinque »

[p.25]

« Io stavo dietro un carrello elevatore per prendere un manicotto e mi sono


salvato »
« Gli altri sono divorati dal fuoco mentre urlano e scappano »
« Il primo che ho visto è Rocco e ... Era come in quei tabelloni dal medico ...
Fasce muscolari e nervi »

[p.26]

« Non mi vede ... La mia voce. Di non far non può vedere ... Ma sente si gira e
mi raccomanda preoccupare la moglie »
« Toni cerca di gettarsi nel fuoco per salvare gli altri e dobbiamo trattenerlo ».
« Poi mi sento chiamare e sono Bruno e Giuseppe, sembrano due fantasmi
bruciati che mi chiedono »
« Cosa ci siamo fatti? »

359
[p.27]

« Mentre li porto fuori vedo per terra Rosario, Angelo e Roberto ... Statue di
cera che si sciolgono »
« Poi arrivano i pompieri e li portano via »
« Uno di loro mi dice che il fuoco ha mangiato loro le terminazioni nervose e non
sentono dolore »
« Prendo il vigile per il bavero e gli urlo che Antonio è ancora dentro ... Che
bisogna salvarlo »

[p.28]

« Mi dice che devo andarmene... che il fumo sta divorando anche me »


« Tutto si ferma, alla ThyssenKrupp. Probabilmente per sempre »
« Vado via, non ho più niente da fare »

[p.29]

- L'ufficio internazionale del lavoro stima che ogni anno nel mondo si
verificano 250 milioni di incidenti sul lavoro.
- Che vuol dire 685.000 al giorno...
- 475 al minuto...
- 8 al secondo.
- In Italia gli incidenti son oltre un milione all'anno...
- Dei quali più di 1.200 mortali.
- Ma ...
- Ogni giorno cioè tre persone muoiono sul lavoro ...

[p.30]

- C'è un dato che sfugge a qualsiasi statistica...


- Rappresentato da tutti quei lavoratori privi di permesso di soggiorno e
spesso di identità...
- La cui morte viene fatta passare come avvenuta per altre cause ...
- O a volte occultata in modo tale da farla passare sotto silenzio.
- Di questi uomini senza nome e delle loro morti...
- Null'altro possiamo dire.

[p.31-42]
Capitolo 3
Assassini

360
[p.34]

« Mio fratello Bruno non è mai stato fortunato con la macchina. Ha avuto
molti incidenti, però gli è sempre andata bene. Mio fratello ha la pellaccia
dura, mi dicevo... Il medico mi guarda senza prestare attenzione e mi dice che
non c'è niente da fare »

[p.35]

« Dottore, le ho portato il caffè »


« Grazie, Pautasso appoggialo sulla scrivania ».
« Quella sera Antonio doveva chiedere un permesso, dovevamo uscire. Mi
chiama alle quattro del pomeriggio e mi dice che non c'è nessuno che lo
sostituisce. Rimango a casa, senza di lui non esco »
« Dottore »
« Dimmi »
« Brutta storia, nè? »
« Sì... Brutta storia »

[p.36]

« A Angelo piaceva cucinare ... La sua specialità erano i dolci. Capitava che
tornavo a casa e lo trovavo a lavare per terra in cucina... Così stai tranquilla
mi diceva »

[p.37]

« Mio figlio Roberto da ragazzo giocava a centrocampo. Era bravo. Ha


attaccato la stessa passione a suo figlio. Insieme tifavano Juventus... Erano
sfegatati »

[p.41]

- In Italia, tra i lavoratori stranieri assicurati, la maglia nera degli infortuni


appartiene a quelli di nazionalità marocchina.
- Per quanto riguarda i casi mortali, fino a pochi anni fa spettava ai rumeni.
Poi sono entrati a fare parte dell'unione europea.
- Lasciando il triste primato all'Albania.
- Sul totale delle vittime, il 19% sono lavoratori stranieri.

361
- La causa più frequente di infortunio è, con il 42%, la caduta dall'alto.

[p.42]

- I giovani, intesi come Under 34, sono la categoria col maggior numero di
infortuni, quasi il doppio rispetto agli altri lavoratori.
- I cosiddetti precari sono quelli più esposti, forse perché presi da
preoccupazioni più immediate, come perdere il posto.
- I mesi più "neri" sono ottobre e novembre.
- Lunedì e Venerdì i giorni in cui accadono più frequentemente gli infortuni.
- L'ora più pericolosa è quella prima dell'interruzione per il pranzo.
- E comunque, al di là dei numeri...
- Nessuna ora è quella giusta per morire.

[p.43-54]

Capitolo 4
Polvere alla polvere

[p.45]

Torino, il Duomo, 13 dicembre 2007

[p.46]

« Padre onnipotente, eleviamo a te il nostro pensiero »


« In questi istanti in cui i nostri cuori sono sopraffatti dalla tristezza »
« Sentiamo come non mai il tragico mistero della morte e della sofferenza »
« Quello che ci sostiene è la certezza »
« Che in te non v'è tenebra alcuna »

[p.47]

Düsseldorf
« No, non lavoro propriamente per il gruppo »
« Ma per una società esterna che ha l'appalto per alcuni servizi »
« No, dello stipendio non mi posso lamentare »
« Mi dispiace, ma il responsabile per l'Italia al momento non è disponibile,
serve altro? »

362
[p.48]

Torino
« È così le dico »
« L'azienda era informata dei controlli dell'ASL con due giorni d'anticipo »
« Noi operai eravamo incaricati di mettere tutto a posto, per evitare multe
salate alla società »

[p.49]

« Durante le ispezioni ci era stato vietato di fondere l'acciaio 300... Quello che
produce fumi densi come nebbia »
« Il motivo? »
« Semplice, non funzionavano le ventole d'aspirazione »

[p.50]

« Sappiamo che il tuo sguardo è quello di un padre »


« Non abbandonare i tuoi figli nell'ora dell'angoscia »
« Ma salvali dal nero vuoto che invade la loro anima »

[p.51]

Düsseldorf
« No, qui al sindacato non ne sapevamo nulla »
« I rapporti con la ThyssenKrupp sono buoni, qui da noi »
« E anche gli standard di sicurezza »
« Pensi che il nostro segretario generale è italiano. Chi l'avrebbe mai detto,
eh? »
« Quattro morti, dice? È terribile »
« Già terribile »

[p.53]

« Tra le varie istituzioni preposte al controllo delle leggi sul lavoro, il più
importante è il servizio ispettivo del ministero del lavoro »
« Stiamo andando a trovare un ispettore del lavoro, che ci parlerà di cosa si
prova ad operare in circostanze... particolari »
« Dica, dica pure »
« La notitia criminis ci può arrivare in diversi modi »
« Buongiorno! »
« Buongiorno a lei! »

363
« Interessante ... Ma noi vorremmo sentire un episodio specifico della sua
attività ... Da un punto di vista personale »
« Generalmente dall'autorità giudiziaria »
« Sì, certo... Ricordo di quella volta che saltò per aria una fabbrica di fuochi
d'artificio»
« Appena arrivato mi colpirono due cose : un silenzio innaturale, rotto dalle
urla e dai pianti dei parenti delle vittime »

[p.54]

« E un fortissimo odore di erba bagnata, in quanto la notte prima aveva


piovuto »
« Le vittime, tra cui un ragazzo di 16 anni, erano state completamente
smembrate dall'esplosione »
« Solo uno era rimasto integro, ma senza vestiti. Erano stati letteralmente
spazzati via dall'onda d'urto »
« Da quel giorno, ogni volta che sento odore d'erba bagnata ...
- Rivivo quei momenti »

[p.55-67]

Capitolo 5
Tornerà a sorridere

[p.57]

Terni, uffici amministrativi ThyssenKrupp.

« Quando ci siamo conosciuti, Rocco era bellissimo... Ci siamo fidanzati che


io avevo 15 anni e lui 20. Anche adesso, con i figli grandi, ci bastava stare
insieme... Pochi mesi dopo l'incidente sarebbe andato in pensione »

[p.59]

Torino, Procura della Repubblica.

« A che punto siamo? »


« È stato abbastanza facile entrare nel server di posta e scaricare la
corrispondenza tra Germania e Italia »
« Quindi? »
« Più vado avanti e più le nostre ipotesi trovano conferma »

364
« Torino doveva chiudere, da lì a pochi mesi »
« Per questo motivo non erano molto interessati alla sicurezza »

[p.60]

Torino, Chiesa San Giovanni Maria di Vianney, 19 dicembre 2007.

[p.62]

Torino, Procura della Repubblica.

« Signor Giudice, ecco le trascrizioni che aveva richiesto.


- Bene, grazie capitano »

[p.63]

Genova, centro grandi ustionati, 19 dicembre 2007.

[p.64]

« Mio fratello Rosario si vergognava di darci un bacio... Non voleva essere


abbracciato... Era un gran giocherellone... Lo vedevo triste solo quando
andava a lavorare »

[p.65]

« Per dispositivi di protezione individuali, più comunemente detti DPI, si


intende qualsiasi attrezzatura indossata dal lavoratore per proteggerlo dai
rischi connessi alla sua professione »
« Come quelli derivanti da gas, polveri o vapori »
« Da possibile folgorazione, calore, fuoco o dal freddo »
« Da schegge, materiali corrosivi »
« O materiali roventi »

[p.66]

« Dai rumori che superano i 90 decibel ! »


« Da urti o scosse »
« Ancora da urti o da cadute di oggetti dall'alto »
« Da cadute dall'alto »
« Sembrano tutti aggeggi fastidiosi e infernali, ma riducono il rischio di
incidenti »
- E spesso ti salvano la vita »

365
[p.67-78]

Capitolo 6
Le colpe dei vivi

[p.69]

Torino, marzo 2008.

« Mio figlio Giuseppe odiava quella fabbrica, il rumore... I macchinari... Il suo


grande sogno era fare l'attore. Da piccolo l'avevano chiamato a fare un
provino... Invece era finito a fare l'operaio »

[p.70]

Roma, commissione d'inchiesta del senato.

[p.71]

« Quando sono stati verificati gli estintori? »


« L'otto e il nove novembre »
« Quindi si suppone che dall'otto novembre in poi qualcuno abbia potuto
usarli »
« Non siamo stati più chiamati, conosciamo tutti le carenze di questa
azienda... Anche se non voglio dire niente »

[p.72]

« Di incidenti ce n'erano tanti, basti pensare che venivano a cambiare gli


estintori più di tre volte al mese »
« Si sapeva che c'era pericolo di incendi, perché gli estintori venivano usati in
continuazione »
« Solo che non si è mai fatto nulla di serio per migliorare la situazione »

[p.73]

« Diceva, dunque, che non c'era personale idoneo a livello antincendio,


giusto? »

366
« Nessun componente presente al momento dell'incidente aveva conseguito
l'attestazione »
« Così come nel caso del capo reparto ? »
« Il capo reparto, Rocco Marzo, non aveva nemmeno la formazione »

[p.74]

« Era frequente che la saldatrice lanciasse la fiammetta sulla carta che c'era
sotto.
- Poi si spegneva... Anzi la spegnevamo... Era normale »
« Prima c'era una ditta esterna che faceva le pulizie, poi hanno tagliato i fondi
e toccava a noi »

[p.75]

Torino, marzo 2008.

[p.77]

« Nove anni fa ho avuto un infortunio sul lavoro »


« Sono precipitato da un'altezza di 12 metri, colpendo varie attrezzature prima
di arrivare al suolo »
« A causa dei vari traumi, ho cominciato ad avere crisi epilettiche frequenti,
che mi hanno indotto in stato depressivo grave »
« Sfociato in una inibizione psico-motoria praticamente totale. Si è rotto
qualcosa qui dentro, capisce? »
« E cosa hanno detto? Eccolo... "Il danno biologico permanente è stimabile in
misura non superiore al 45% »
« Il 45%, si rende conto »

[p.78]

« L'inail mi ha riconosciuto il 30% di invalidità, con una misera rendita di 400


euro »
« Sono nove anni che mia moglie mi assiste, perché non parlo, non mangio da
solo e devo portare il pannolone! »
« Quando ho avuto l'incidente, mio filglio aveva due anni »
« Non ho potuto dargli un fratellino »
« E, cosa peggiore, non l'ho visto crescere »
« Grazie »

367
[p.79-90]

Capitolo 7
E pace in terra
« La legge è uguale per tutti ».

[p.81]

Torino, 17 novembre 2008.

[p.82]

« Pertanto, questo tribunale »


« In nome del popolo italiano »
« Addì 17 di novembre dell'anno 2008 »

[p.83]

« Le vittime davano l'impressione di essere state immerse nell'olio bollente »


« Ad aggravare le condizioni, oltre alle ustioni sul 90% del corpo...
« C'è la situazione respiratoria »
« Hanno respirato le fiamme provocandosi gravi ustioni alle vie aeree »
« Dopo i soccorsi, erano tutti e sei lucidissimi, fino a quando sono stati sedati
e intubati »

[p.84]

« Sono stato assunto il 13 novembre del '97. Lo stesso giorno di Schiavone, il


primo a morire nel rogo »
« Mia moglie lavorava in mensa, e adesso ci troviamo entrambi a spasso »
« A Terni non ci possiamo andare per via dei bambini, e finora qui non
abbiamo trovato alternative »

[p.85]

« Rinvia a giudizio, rispettivamente »


« Harald Espenhahn »
« Per omicidio volontario con dolo eventuale »

[p.86]

« Le vede queste bollette non pagate? »

368
« La casa l'abbiamo comperata un anno fa »
« Come avremmo potuto immaginare che saremmo arrivati a questo punto? »

[p.87]

« Verso le sette del mattino sono tornato a casa »


« Mi sono seduto sul divano e ho cominciato a piangere »
« È arrivata mia moglie, ma non riuscivo a raccontarle cosa era successo »
« Ho pensato che Dio non può esistere »
« Se fa morire così delle persone innocenti »
« Lasciando sole delle famiglie ... Dei bambini »

[p.88]

« E Marco Pucci, Gerald Priegnitz »


« Giuseppe Salerno, Daniele Moroni »
« E Cosimo Cafueri »
« Per omicidio colposo »
« Con colpa cosciente »

[p.89]

- In realtà le norme sul lavoro sono molto antiche.


- Le prime assicurazioni sociali le troviamo in Francia nel 1682, con la prima
forma di pensione di vecchiaia.
- In Germania bisognerà aspettare il 1883...
- Nella Russia zarista il 1912 e in quella Sovietica il 1922...
-In Inghilterra il 1908...
- Negli Stati Uniti il 1945.
- In Italia nel 1898 abbiamo la prima assicurazione contro gli infortuni.
- Specifica per il settore delle costruzioni.
- Da allora si sono succedute decine di leggi tese ad arginare il fenomeno
degli infortuni e delle morti sul lavoro.
- Ma anche se tanto è stato fatto...
- I numeri sono ancore tanto ... troppo alti.
- In modo terrificante.

[p.91-98]

Capitolo 8
Lo spettacolo deve continuare

369
[p.93]

« Emergenza? ... 118 ... Pronto, buongiorno, senta »


« Le passo l'ambulanza, un attimo »
« Sì, sì »
« Attendere prego, centrale operativa di Torino, attendere prego »

[p.94]

« Neanche il 118 risponde, porca puttana! »


« Attendere prego, centrale operativa di Torino, attendere prego »
« Ma i vigili non rispondono? Pronto? »
« Dica »
« Sono della ThyssenKrupp in corso Regina. Senta, è successo un incendio e
ci sono tre o quattro ragazzi bruciati »
« Siete in corso Regina, dove? »

[p.95]

« 400... La ThyssenKrupp »
« La ? Che ditta è la vostra »
« La ThyssenKrupp, corso Regina »
- 400.

[p.96]

« Pronto? »
« L'acqua, l'acqua! ... Oh, prendete l'acqua da bagnare ! ... No, no ... Beppe no

« Quante vittime ci sono? Ci sono altre persone? »
« Bè, guardi... Ce ne sono almeno quattro, guardi »

[p.97]

« Pronto, mi dica... Ci sono altre persone? »


« Bè, è probabile, però non so »
« È probabile? »
« Sì »

[p.98]

« Senta, se sta arrivando l'ambulanza »


« Io la lascio, va bene ? »

370
« Va bene, la ringrazio »
« Grazie, salve »
« Fine? »

[p.101-103]

Cronistoria

6 dicembre 2007
Interno all'una e mezzo di notte si sviluppa un incendio nel reparto Linea
5 dell'acciaieria ThyssenKrupp di Torino. Le fiamme investono gravemente
sette operai: Antonio Schiavone, Roberto Scola, Angelo Laurino, Bruno
Santino, Rocco Marzo, Rosario Rodinò e Giuseppe De Masi. Uno di loro,
Antonio Schiavone, muore sul colpo. Aveva 36 anni.

7 dicembre 2007
Muoiono Roberto Scola, Bruno Santino e Angelo Laurino. Avevano 32, 26 e
43 anni. L'inchiesta sull'incidente viene affidata al Procuratore Aggiunto
Raffaele Guariniello, che è affiancato dai Sostituti Procuratori Laura Longo e
Francesca Traverso.

9 dicembre 2007
Vengono iscritti nel registro degli indagati l'Amministratore Delegato
della ThyssenKrupp Harald Espenhahn insieme ad altri dirigenti italiani.

10 dicembre 2007
30.000 persone sfilano in corteo per le strade di Torino. In testa c'è Nino
Santino, padre di Bruno.

13 dicembre 2007
Nel duomo sabaudo si svolgono i funerali di Antonio Schiavone, Bruno
Santino, Angelo Laurino e Roberto Scola.

15 dicembre 2007
La Procura di Torino sequestra i computer presenti nella
sede ThyssenKrupp di Terni, contenenti i file della corrispondenza interna tra i
dirigenti italiani e gli amministratori della multinazionale tedesca.

18 dicembre 2007
Muore Rocco Marzo, capoturno. Aveva 54 anni. Cominciano le audizioni
presso la Commissione d'Inchiesta sugli infortuni sul lavoro al Senato della

371
Repubblica, da cui emergeranno pesanti dubbi riguardo ai controlli svolti
dall'ASL di Torino.

19 dicembre 2007
Muore Rosario Rodinò. Aveva 26 anni. Si svolge il funerale di Rocco Marzo
presso la chiesa San Giovanni Maria di Vianney, a Torino.

30 dicembre 2007
Muore Giuseppe De Masi. Aveva 26 anni.

23 febbraio 2008
Si conclude l'inchiesta preliminare.

14 marzo 2008
Gli ex sindacalisti UILM e FIOM Antonio Boccuzzi e Ciro Argentino si
presentano alle alezioni politiche nelle liste del PD e dei comunisti italiani.

8 maggio 2008
Viene depositata presso la Cancelleria del Tribunale di Torino la richiesta di
rinvio a giudizio per omicidio a carico di Harald Espenhahn e di altri 5
dirigenti ThyssenKrupp.

29 giugno 2008
La multinazionale tedesca si accorda con i parenti delle vittime per un
risarcimento complessivo di 12 milioni e 970 mila euro in cambio della
rinuncia a costituirsi parte civile nel processo.

1 luglio 2008
Di fronte al Giudice di Torino Francesco Gianfrotta iniziano le udienze
preliminari.

17 novembre 2008
Nell'Aula del GUP del Tribunale di Torino, il Giudice Gianfrotta, recependo
in pieno la richieste di Guariniello, legge l'ordinanza : Marco Pucci, Gerald
Priegnitz, Giuseppe Salerno, Daniele Moroni e Cosimo Cafueri vengono
rinviati a giudizio per omicidio colposo con colpa cosciente. Harald
Espenhahn - per la prima volta nella storia degli incidentii sul lavoro in Italia -
viene rinviato a giudizio per omicidio volontario.

In Italia gli incidenti sono oltre un milione l'anno. Dei quali più di 1.200
mortali. Ogni giorno cioè tre persone muoiono sul lavoro.

372
Avevamo solo bisogno di qualcuno che ci stesse a sentire.

Carlo Marrapodi - ex operaio ThyssenKrupp


Alessandro Di Virgilio
Manuel De Carli

373
Annexe n° 3

Transcription de Alex Boschetti, Anna Ciammitti, La Strage di


Bologna

La strage di Bologna
Di Alex Boschetti e Anna Ciammitti

Transcription du Récit:

Chiedere la verità, dopo aver subito l’offesa della strage, significa costruire
una convivenza civile migliore, basata sulla trasparenza e sul rispetto primario
del legittimo diritto alla vita.
Paolo Bolognesi

[p.7]

Affreschi di storia italiana,


Carlo Lucarelli

Ci sono solo due cose che noi narratori possiamo fare di fronte a un evento come
questo, a una cosa così sconvolgente, così orrenda e così importante per la nostra vita e
per la nostra storia come quello che è avvenuto a Bologna il 2 agosto 1980. Sono le
stesse due uniche cose che possiamo fare di fronte ad altri eventi altrettanto orrendi e
determinanti come le stragi, il terrorismo, la Mafia o uno qualunque dei brutti segreti
che segnano la nostra storia nazionale. Solo due cose. Possiamo far rivivere le emozioni
e possiamo mettere in fila i fatti. Non possiamo scoprire misteri, quello lo fanno i
poliziotti e i giornalisti, non possiamo stabilire verità, quello lo fanno i magistrati, non
possiamo neanche cambiare le cose, quello dovrebbero farlo i politici, o esprimere
giudizi, che spettano ai cittadini. Però quelle due cose là le possiamo fare. Far rivivere
le emozioni e mettere in fila i fatti.
Le emozioni. La memoria è fatta di dati, di eventi, di nozioni anche, ma soprattutto di
emozioni. Per tutto quello che ci succede attorno e per come siamo fatti noi in quanto
esseri umani, le emozioni si raffreddano in fretta. Certo, le cifre, i dati, gli eventi, anche
i nomi restano, ma senza le emozioni diventano storia, più che memoria. Se stiamo alle
cifre, la strage di Piazza Fontana che ha provocato 17 morti è stata una tragedia
inferiore a quella della stazione di Bologna che ne ha provocati 85, che a sua volta è
meno importante di quella di Madrid che ne ha avuti 200, e tutte e tre sono niente di
fronte agli attentati alle Torri Gemelle, con un calcolo dei morti a tre cifre. Ma questi
sono dati, non emozioni. Sono le emozioni, che ci fanno ragionare nel modo giusto e

374
rimettono tutto nella giusta prospettiva, per cui una strage è sempre una strage e sarebbe
altrettanto terribile anche se non fosse morto nessuno. Sono le emozioni, non le cifre,
che ci fanno commuovere.
Ecco, noi possiamo fare questo. Recuperare i particolari, i dettagli, le piccole cose vere
che restituiscono il senso delle grandi tragedie e le fanno rivivere. C’è un detto: cento
morti sono una tragedia, diecimila una statistica, bè, non è vero se chi ha la capacità di
narrare riesce a restituire la concretezza anche soltanto di uno di quei diecimila morti, la
sua umanità, la sua storia. Il dolore di chi è stato ferito e quello di chi è rimasto solo.
Tutte quelle emozioni.
E poi i fatti. Per come sono strutturate la nostra storia, la nostra politica e la nostra
giustizia, eventi come la strage di Bologna, non possono che essere incredibilmente
complicati. Non dovrebbero esserlo, ma è così. Per una strana carenza appunto della
nostra storia e della nostra politica, a volte la magistratura si è trovata suo malgrado
caricata del compito di fare anche storia e politica, oltre che giustizia. Così i processi
che seguono alla strage sono anche grandi affreschi della storia di

[P. 9]

quegli anni, dei movimenti eversivi, del terrorismo e della situazione internazionale.
Tutto questo, per un estraneo, soprattutto se quegli eventi non li ha mai vissuti, è
confuso.
Ecco, quello che la narrativa può fare è questo processo di semplificazione e di sintesi.
Lo facciamo tutte le volte che vogliamo raccontare una storia, anche se inventata da noi.
Isoliamo alcuni fatti che ci possano servire a raccontare quella storia, solo quelli che
servono, gli altri entreranno in un altro racconto. Poi li mettiamo in fila secondo una
linea narrativa chiara ed efficace. Quando ce le inventiamo noi, le storie, quei fatti non
sono reali, ma quando raccontiamo una storia realmente accaduta, se siamo onesti,
allora quei fatti sono veri. Non sono tutta la verità, forse non sono neanche la verità, ma
sono un’ossatura abbastanza sensata ed emozionante su cui poter riflettere, per
approfondirla o anche rifiutarla.
Mettere in fila i fatti provocando emozioni. Altro, noi narratori, non possiamo fare. Ma
quando riusciamo a farlo con sincerità e competenza, è già molto. Che questo avvenga
con le parole dei romanzi, con le immagini del cinema e della televisione, con la musica
delle canzoni, con le azioni del teatro o con i disegni di un fumetto, non ha importanza,
basta che sia efficace. Quando poi, come in questo caso, sta in una collana che ha avuto
l’idea di utilizzare uno strumento di narrativa popolare come il fumetto per raccontare
misteri della nostra storia recente, non è soltanto efficace. È geniale.

[p.11]

Ai parenti delle vittime della strage


di Bologna.

375
[p.13]

Bologna. Sabato. 2 agosto 1980.

[p.14]

« M’è toccato, mamma, conoscere il mondo in un attimo breve »


« M’è toccato, mamma, fare un gran salto come avessi vissuti tutti i miei
anni »
« M’è toccato, mamma, conoscere l’odio »
« Ma io ti cerco ancora, mamma, ti prego una ninna nanna »

[p.15]

« Tesoro! Ti ho detto di non allontanarti, che è pericoloso! »


« Su, mettiti tranquilla ora, Angela, piccola mia »
« E io sono Maria, mia piccola bimba, e non sono scomparsa, io sono nel
cuore
nel tuo piccolo cuore ».

[p.17]

1980. Fine gennaio. Carcere di Padova.

« Bè, allora? Non m’inviti a sedere? »


« Ma certo, s’accomodi….Ammiraglio! »
« Non mi chiamare più così, Luigi. Quello è il mio nome di battaglia. Qui
dentro sono Roberto e basta. Oppure Rinani per le guardie…Intesi? »
« Ma non sei tu che ripeti sempre che siamo in guerra? »
« E infatti. Di questo ti volevo parlare. C’è quel giudice di Treviso, Giancarlo
Stiz, che da Piazza Fontana in poi ci sta rompendo i coglioni a noi tutti della
colonna padovana. Non c’è più spazio per i ficcanaso, quando si è in guerra »
« E io che c’entro? »

[p.18]

« Sei un camerata Gigi! Quante ne abbiamo passate insieme, eh? »

376
« Ti sei forse dimenticato della nostra lotta politica all’Arcella? »
« Mi stai chiedendo di partecipare, insomma »
« Ascolta bene, Gigi. Tra poco più di un mese sarò fuori di qui. Non me ne
starò con le mani in mano mentre giudici sovietici cercano di farci fuori »
« I ragazzi hanno già pensato a tutto »
« Continua »

[p.19]

« Una macchina camuffata, come quelle degli sbirri. Lo fottiamo così.


L’agguato è previsto per settembre »
« Ormai tutto sarà già successo »
« Tutto cosa? »
« So che stanno organizzando per i primi di agosto una strage di tali
proporzioni che riempirà le pagine di tutti i giornali del mondo. Siamo alla
resa dei conti, Luigi. Alla resa dei conti »

[p.20]

Primo luglio 1980. 33 giorni prima del 2 agosto.

« Mi creda avvocato Tonello! »


« L’ho sentito con le mie orecchie dal Rinani. Per i primi di agosto è prevista
una strage di enormi potenzialità distruttive! »
« Mi ha sentito!? »
« Ora si calmi, Presilio. Vedrò quello che posso fare, lei non si preoccupi »
« E invece, io mi preoccupo avvocato! Ma cosa crede? Che m’impietosisco se
qualcuno crepa? In guerra non esistono innocenti! Non è questo! »
« E mi dica allora lei, cos’è »

[p.21]

« È che anche in guerra bisogna muoversi con ordine e stile. L’avverto,


avvocato. Non se la prenda sotto gamba, altrimenti la riterrò responsabile »
« Ci conti, Presilio. Avviserò subito il giudice di sorveglianza »
« Che lo riferirà al dirigente locale della DIGOS »
« Le autorità non potranno restare indifferenti alle sue dichiarazioni »

[p.22]

Metà luglio 1980. Centro Sisde di Bolzano.

377
« Dove la porto, signore? »
« in stazione »

[p.23]

Stazione di Roma, poche ore dopo.

“Fuoco, colonnello Spiazzi? »


« Ciccio la sta aspettando, colonnello »

[p.24]

Roma, lungotevere.

« Mi pare che questa informazione non la sorprenda, colonnello »


« Il giudice Amato era sulle loro tracce da tempo, e aveva scoperto troppe
cose. Era intuibile che fossero stati loro »
« Se è per questo, la Mambro e Fioravanti, dopo l’omicidio Amato, hanno
pure brindato con ostriche e champagne. Ma ora bisogna essere più seri. I
NAR saranno anche sempre più capeggiati da loro, ma adesso il
coordinamento ce l’ho in mano tutto io! »
« D’accordo. Si calmi e mi dica di più »
« Lo scontro è sempre più acceso, colonello. È stato il turno del giudice Mario
Amato, poi toccherà al giudice Giancarlo Stiz, verso la fine dell’estate. Ma c’è
ancora una cosa »

[p.25]

« Prosegua »
« Stefano delle Chiaie mi ha ordinato di reperire armi ed esplosivo a ogni
costo, senza limiti di spesa. Credo che per i primi di agosto sia in programma
un attentato di enormi proporzioni »
« Vedrò di fare un rapporto dettagliato alla direzione del SISDE »
« Credo che si stiano scaldando un po’ troppo gli animi »

[p.26]

Sabato 2 agosto 1980. Bologna.

[p.30]

378
Bologna, poco dopo.

« sai Gina, sono molto contenta, che mia figlia e Claudio abbiano deciso di
farsi una bella vacanza »
- « Interrompiamo le trasmissioni » -
« Si insomma, cosa c’è di meglio per festeggiare un figlio in arrivo »
- « per comunicare una tragica notizia » -
Palermo, poco dopo.

-« una violenta esplosione « -

« Fanne ancora di cannoli, Maria, che Tonino se li mangia tutti »


« Non esageriamo, Santina, che quello non ha mai patito la fame, quando è
tornato a casa »
« È che dopo un anno intero di lavoro al Nord sarà tutto sciupato, figlio mio! »
-« ha fatto crollare una parte » -
- « della stazione di Bologna » -

[p.31]
Ferrara, poco dopo.

« E dunque dichiaro ufficialmente aperta la riunione del consiglio di


amministrazione »
« Anche se il dottor Rampini non si è ancora presentato »
« Presidente…è successa una cosa grave…forse dovrebbe accendere la
televisione »
« Morti e feriti, pare che l’esplosione sia stata causata dallo scoppio di una
caldaia »

[p.32]

Venezia, poco dopo.

- « impossibile contare le vittime » -


« E allora, Cesare! Ora che la Rosi ti ha scaricato farai baldoria per qualche
giorno!”
“Ta[s]i Toni, valà…sarei andato volentieri anch’io da mia figlia e dal piccolo
Luigino, a Bologna »

379
- « I feriti vengono portati » -
« Li raggiungo tra due giorni, appena che ho finito de resinar la barca…”
-…nei vari ospedali della città »

[p.33]

Bologna, poco dopo.

[p.34]

Bologna, poco dopo.

[p.35]

Bologna, poco dopo.


O mai più.

[p.37]

A seguito del criminale attentato terroristico che sconvolse la città, l’intera


popolazione pur coinvolta emotivamente, forniva eccezionale prova di
democratica fermezza, e di civile coraggio (…)

In una gara di solidarietà, collaborava attivamente con gli organi dello Stato,
prodigandosi con esemplare slancio nelle operazioni di soccorso (…)

Contribuiva così, per la tempestività e l’efficienza, a salvare dalla morte


numerose vite umane, suscitando il plauso e l’incondizionata ammirazione
della nazione tutta.

Con questa motivazione, il 31 luglio 1981, la città di Bologna è stata insignita


della medaglia d’oro al valor civile.

[p.40]

« Portate una barella, presto! C’è qualcuno qua sotto! »


« Non ce ne sono più! Usate quella lamiera laggiù! »
« Ho portato da casa un po’ di bende, un lenzuolo, i cardiotonici di mio
marito…magari servono »

380
« Certo che servono, li consegni a quell’infermiera, sull’autobus »

[p.42]

« Non possiamo più usarlo per trasportare feriti, per loro meglio lasciare libere
le ambulanze! »
« Ok, chiamate qualcuno, dobbiamo togliere i mancorrenti per far passare i
cadaveri e spargere altra segatura. Recuperate anche le lenzuola da appendere
ai finestrini »
« Così l’ultima corsa almeno se la fanno in pace »

[p.43]

Borgo Panigale, 0re 17.30.

[p.44]

Ospedale Maggiore, poco dopo.

« Diteglielo, al presidente, che c’era odore di esplosivo! »


« Basta con le buffonate! »
« Calmati Gianni! Per favore! »
« Ma quale caldaia esplosa…Non ci umiliate ancora di più »
« Veloci, Pertini sta uscendo…! »
« Signori, non ci sono parole. È terribile. Siamo di fronte all’impresa più
criminale che sia mai avvenuta in Italia »
« Non ci sono parole. Siamo di fronte all’impresa più criminale che sia mai
avvenuta in Italia »

[p.45]

Domenica 5 agosto.

« Al Maggiore, per cortesia »


« Lei è un parente? »
« Sì »
« Tutti i taxi sono gratuiti, per voi. È sicuro che si trovi al Maggiore, il suo
parente? »
« Sì, mio figlio. Mia moglie ha chiamato il centro assistenza allestito dal
comune di Bologna. L’hanno portato lì »
« Lo sa? Anche molti miei colleghi che erano lì…Non so neppure che fine
abbiano fatto »

381
[p.46]

« Si prepari signor Secci. Purtroppo le condizioni di suo figlio sono molto


gravi….è sicuro di volerlo vedere? »
« Mi faccia entrare, la prego »
« D’accordo. Ma le devo chiedere di mettere il camice e la cuffia. È
obbligatorio in rianimazione »

[p.47]

« Suo figlio non può parlare »


« Come avete fatto a sapere »
« Il nome? Suo figlio muoveva il dito ogni volta che l’infermiera recitava la
giusta lettera dell’alfabeto »
« 1 e 80 di altezza, 80 kg di peso…giace in un letto troppo piccolo per il suo
fisico e per la sua voglia di vivere…ha solo 24 anni, dottore »

Sergio Secci muore alle 10 e 55 di giovedì 7 agosto. Il padre Torquato sarà


presidente dell’associazione tra i familiari delle vittime della strage alla
stazione di Bologna, fondata il primo giugno 1981.

[p.49]

Piazza Maggiore.

« E lo chiamano “fornello”! Ma boia di un mondo! »


« E lo vieni a dire a me! Quella bomba ha scavato un vero e proprio cratere! »
« Lo saprò! Ho fatto la guerra, io »
Via Irnerio. Di fronte a medicina legale.
« Quelli stanno già alle polemiche »
« Mentre noi continuiamo a rovistare nella cenere per cercare i nostri morti »
Via indipendenza.

« I funerali si svolgeranno solo per otto salme, poiché alcune famiglie italiane
e straniere, in segno di sfiducia nei confronti dello stato, hanno deciso di
celebrare le esequie, in forma privata e nelle rispettive città »
« Come dargli torto »

[p.50]

Lunedì 4 agosto 1980. Roma.

382
« Ti rendi conto, Massimo? Prima stava con un vero e proprio coglione! »
« Comunque ciò che conta è che ora stia con me. Sai? Sono contento di
avertela presentata, Massimo…Francesca è una ragazza decisa e coraggiosa »

[p.51]

« Senti Giusva, non credo tu sia venuto fin qui per presentarmi la tua nuova
fidanzata »
« Ma che bravo. E infatti sono qui per chiacchierare di attualità »
« Che stai cercando di dirmi, Valerio? »
« Hai visto a Bologna, che botto? »

[p.52]

“Vedi, Massimo…ultimamente mi è venuto l’hobby del travestimento. Per


questo l’altro ieri ero in stazione a Bologna. Mi sono calato nella parte del
turista tedesco, con tanto di macchina fotografica al collo »
« Continua »
« È che purtroppo Francesca si è presentata in stazione così come la vedi…bè,
non proprio così, visto che le ho fatto tingere i capelli »

[p.53]

« Ho bisogno di documenti falsi, caro Massimo. In giornata »


« Mi stai chiedendo troppo. In giornata non è possibile »
« Non ci siamo capiti bene…devi spezzarti per farmeli avere subito! »
« Ti prego, Giusva…non mi ficcare in questo casino, io devo tornare a Cura di
Vetralla, da mia moglie »
« A proposito, come sta tuo figlio? »
« ti avverto che se mi dovesse succedere qualcosa, te lo faccio piangere io,
Stefanuccio tuo! »
« farò come dici »

[p.54]

Martedì 5 agosto 1980. Verona.

383
« Mi piacerebbe far emergere la stretta collaborazione fra servizi segreti
deviati e ambienti di estrema destra. Si tratta di un piano politico
anticomunista per la conquista militare del paese? E la strage di Bologna
rientra in questo quadro? »
« Qualcosa pure saprà, colonnello, visto che lei, tempo fa, è stato condannato
a 5 anni di carcere, perché appartenente al gruppo golpista Rosa dei venti »
« questi nuovi gruppi eversivi di estrema destra, come i NAR, possono essere
considerati una sorta di nuovo “braccio armato, di certi apparati statali? »
« Vede colonnello…noi de l’Espresso abbiamo pensato a un approfondimento
sulla pista nera che sta battendo la magistratura, e per questo abbiamo pensato
di intervistare l’onorevole Almirante e un altro esperto come lei, colonnello
Spiazzi »

[p.55]

« A Roma i NAR sono divisi in quattro gruppi distinti, in gran disaccordo tra
loro.”
« Prosegua »
« C’è un certo Ciccio che cerca di metterli d’accordo, e anche delle Chiaie è
venuto più volte in Italia per tentare l’unione »
« Un superlatitante come lui deve essere protetto da certi apparati statali se
può permettersi di girare per l’Italia, dove è ricercato per strage. Non crede? »
« Grazie per la disponibilità colonnello. L’articolo sarà in edicola già dal 17 di
agosto »

[p.56]

Mercoledì 6 agosto 1980. San Petronio, Bologna.

- « Torno nella terra dove risaie sembrano laghi…e la sera confonde, in uno
specchio, il cielo col campo…torno con un numero addosso come fosse una
croce » -

[p.57]

« Sandro, vieni da noi, non restare con gli impostori! »

[p.58]

384
Piazza maggiore, fuori San Petronio.

« Quali complicità hanno acconsentito e accompagnato quest’azione


nefanda…? »
« Si calcola che i sindaci presenti oggi siano circa 1500, coi rispettivi
gonfaloni. Ci spieghi i motivi della sua presenza »
« Troppe incertezze e colpevoli deviazioni hanno subito le indagini da Piazza
fontana a oggi »
« Bravo Zangheri! Cantagliene quattro! »
« Ognuno dovrà compiere il proprio dovere, come l’hanno compiuto le donne
e gli uomini della stazione di Bologna, nelle ore della strage »
« Per soccorrere e salvare semplici cittadini, personale sanitario, magistrati,
dipendenti pubblici, ferrovieri »
« Sin dal mattino sono confluite a Bologna centinaia di migliaia di persone da
tutta Italia e da molte parti d’Europa. Potete raccontare ai telespettatori il
motivo della vostra presenza? »

[p.59]

« Vigili del fuoco, militari, forze dell’ordine, e la moltitudine che è su questa


piazza per raccogliere la sfida del terrorismo »
« Tutti coloro che occupano cariche pubbliche verranno giudicati per ciò che
faranno »

[p.60]

17 agosto 1980.

[p.61]

« Ma guarda ‘sto infame schifoso! Da Ciccio non me lo sarei aspettato! »


« Il porco l’ha fatta fuori dal vaso? »
« Pare che il colonnello Spiazzi sappia molto più del dovuto. Per fortuna che i
fessi l’hanno bevuta »
« Cosa vuoi dire, Giusva? »

385
« In giro si dice che Ciccio sia Chicco Forlotti e non Francesco Mangiameli. E
comunque, tenuto conto della sua propensione alla chiacchiera, sarà il caso di
farlo tacere per sempre »
« Chiamo mio fratello, così gli organizziamo una bella festa di addio, al nostro
Francesco »

[p.62]

Primi di settembre 1980. Roma, Tor dei Cenci.

« Stringi forte Giusva, che gli infami hanno sette vite »


« Tranquillo, fratellino. Adesso il nostro Ciccio si va a fare una bella gita
subacquea »

[p.63]

« Senza ritorno »
« Con quell’intervista, Spiazzi ci ha fatto quasi un favore »
« Ci ha fatto capire quanto amasse il pettegolezzo, il buon Ciccio! »

[p.65]

Primi di settembre 1980. Hotel Excelsior, Roma.

« Vede Maestro, l’ho cercata perché sono in possesso dell’informativa di


Spiazzi in merito all’incontro con Ciccio Mangiameli avvenuto in luglio »
« Guardi Elio, glielo dico con franchezza: non mi pare stiate percorrendo la
strada giusta »
« Se mi permette, Maestro, l’informativa denuncia che i NAR stessero
organizzando la strage »
« Lasci perdere, Elio, mi ascolti »
« Mi perdoni, Maestro »

- (Maestro): maestro venerabile Licio Gelli, capo della loggia


Massonica, Propaganda 2, detta “P2”.
- Elio Coppa, Capo del centro Sisde 2 di Roma, appartenente alla P2.

[p.66]

386
« Non mi sembra sensato continuare a rovistare nel mondo del terrorismo
nero. E non credo che la magistratura debba essere confusa con queste
informative. Con queste chiacchiere »
« Dovreste averlo capito, voi dei servizi segreti. I nemici non si cercano in
casa. Ma oltre confine »
« La trovo perplesso Elio. Le parlo più chiaro. State sbagliano tutto. La pista è
internazionale »
« Per questo è consigliabile che voi del SISDE coinvolgiate ambienti nuovi
ma forse più adeguati. Come il SISMI »
« Farò come dice, Maestro »
« Bene. Allora mi stia a sentire »

[p.67]

« Io non ho detto che la pista è presumibilmente internazionale. Sto dicendo


che lo è necessariamente »
« Lei lo sa che l’obiettivo della nostra loggia è quello di smascherare il potere
di leniniana memoria che sta attentando al regime democratico. Guardiamo là
dove questo potere si alimenta. Non alla casereccia e innocua criminalità del
nostro paese »
« Qualcheduno non ne è convinto? Pace. Io amo ripetere che Parigi vale bene
una messa »
« Per questo ora occorrono persone di indiscusso valore morale che si possano
occupare di dimostrare la pista internazionale »
« Persone come i fratelli Pazienza, Santovito, Musumeci, uomini illuminati,
intesi? »
« Intesi, Maestro »

[p.68]

INDISCUSSO VALORE MORALE


- Generale Pietro Musumeci, affiliato P2;
- Francesco Pazienza, Segretario-consulente del generale Santovito;
- Generale Giuseppe Santovito, Direttore del SISMI, affiliato P2;

[p.69]

387
La loggia massonica propaganda 2, fin dalla fine degli anni sessanta e dai
primi anni settanta, cioè da quando Licio Gelli (ex gerarca fascista) ne
assume tutti i poteri, diventa la principale organizzazione occulta di snodo tra
i servizi segreti americani, italiani e gruppi criminali eversivi. Nello stesso
periodo inizia la cosiddetta strategia della tensione. Lo scopo di tale
organizzazione, che raccoglie tra gli affiliati i nomi più importanti degli
apparati istituzionali e militari, è quello di produrre uno spostamento a destra
dell’Italia, contrastando l’ascesa al potere dei comunisti. Per questo, la P2 è
stata favorita, militarmente ed economicamente dalla CIA. Dalla sua sede
operativa situata all’hotel Excelsior di Roma, Gelli coordinerà le operazioni
per una presa violenta del paese, non rinunciando ad avvalersi di gruppi
terroristici e, anzi, individuando nel terrorismo l’arma politica per
« destabilizzare » ai fini di « stabilizzare », come scritto nel rapporto super
segreto « Field manual, ritrovato in una valigia proprio a Gelli.

[p.70]

Fine Novembre 1980. Casa circondariale di Padova.

« Avanti Presilio, è ora di tornare in cella »

[p.71]

« E non ti lamentare. Coi tempi che corrono si sta più sicuri dentro che fuori »

[p.72]

« Ma che sguardo stupito »


« Eppure potevi immaginare che ti sarebbe successo qualcosa »
« I chiacchieroni non sono mai stati simpatici a nessuno »

[p.73]

« Bastardi »

[p.74]

4 gennaio 1981. Roma, saletta VIP dell’aeroporto di Fiumicino.

388
« Vede Generale Notarnicola, abbiamo ragione di credere all’imminente
attuazione di un piano eversivo »
« Con attacchi dinamitardi sulle più importanti tratte ferroviarie »

[p.75]

« Pare che gli ordigni siano pronti e si trovino già in Italia »


« Le informazioni appena raccolte in Francia indicano che dovrebbero essere
consegnati a un nucleo terroristico composto da quattro a sei elementi, tra cui
un parigino di nome Philippe e un tedesco di nome Horst »
« La consegna dell’esplosivo avverrebbe a bordo di un treno »

[p.76]

« Ad ogni modo, colonnello, troverà tutte le informazioni in questo rapporto »


« Come vede, la pista conduce al terrorismo internazionale, e tra pochissimo
potremmo essere in grado di conoscere anche la data e il numero del treno »
« Francamente sono colpito da quanto siano dettagliate le vostre informazioni.
Siete sicuri dell’attendibilità della fonte »
« Si occupi di approfondire questa situazione, colonnello. Ci faremo sentire al
più presto »

[p.77]

« Mi è parso perplesso, il colonnello »


« Non si preoccupi, Santovito. Ho già dato precise disposizioni al colonnello
Belmonte su come agire da ora in poi »
« E poi, tra poco, tutti vedranno…tutti trasaliranno »
« Tutti crederanno »

[p.78]

13 gennaio 1981. Ancona, ore 6 e 10.

« State pronti. Si trovano tra le vetture 13, 14 e 15. Circondiamole »

[p.79]

« Scusate »

389
[p.80]

« Neanche qui »
« Niente, non ci sono »
« Abbiamo guardato ovunque »
« Restiamo fino a che il treno non arriva a Bologna. Il maresciallo ha detto di
controllare anche tutti i bagagli »
« Qualche ora dopo »
« Venite! Forse ho trovato quello che cerchiamo »

[p.82]

Roma, qualche giorno dopo.

« Panzane! »
« [Quest]’operazione terrore sui treni, colonnello Belmonte, è al limite del
surreale! »
« Si calmi Notarnicola. La nostra fonte sostiene »
« Ma quale fonte! È questo il punto! Si può sapere chi vi ha dato informazioni
così precise? Eh? »
« Contegno, colonnello. Per cortesia »
« Comunque, se ci tiene così tanto…ma si ricordi che le sto per fornire
un’informazione di estrema riservatezza. Intesi? »

[p.83]

« Quando dirigevo il gruppo dei carabinieri di Taranto ero in contatto con un


confidente assolutamente affidabile, tale Giuseppe Monna. Bene, lui è la
nostra fonte »
« Perfetto. Allora convochiamo questo…confidente, come lo ha chiamato
lei »
« Impossibile »
« Il Monna è deceduto »
« Ma tu guarda… le coincidenze, come si dice. Vero colonnello? »
« E a proposito di coincidenze…l’esplosivo contenuto nelle otto lattine
rinvenute nella borsa sull’espresso S14 Taranto-Milano è, nemmeno a farlo
apposta, lo stesso della strage di Bologna: il compound B. Chi potrebbe, alla

390
luce di questo “fortunato » ritrovamento, non pensare a “una pista
internazionale?”
« Non è così, colonnello? »

[p.84]

« Ora sta oltrepassando ogni limite, Notarnicola. Il generale Musumeci non


sarebbe affatto contento della sua diffidenza, della sua mancanza di
ragionevolezza »
« Ma ditemi voi, vi pare ragionevole che i biglietti aerei del Legrand e del
Dimitris fossero nascosti nella borsa assieme all’esplosivo e ad armi di ogni
tipo? »
« Certo, sarebbero arrivati all’aeroporto, avrebbero aperto davanti a tutti una
borsa con un intero arsenale, avrebbero preso i biglietti e buon
viaggio!...Ragionevole! »
« Mi ascolti, colonnello. Qui si sta lavorando per fare chiarezza, e lei sta
perdendo il senso di responsabilità che il suo ruolo le impone »
« D’accordo, d’accordo »
« Ma è proprio il mio ruolo istituzionale che mi suggerisce di mettere ancora
una volta per iscritto le mie perplessità »

[p.85]

« Si rende conto di ciò che sta insinuando? E mi dica, perché mai si sarebbe
dovuta montare una sceneggiata del genere, colonnello? Eh? »
« Io non ho parlato di montare, Belmonte. Io mi attengo ai fatti. E i fatti mi
dicono che se questa operazione “Terrore sui treni” si rivelasse infondata »
« Il risultato sarebbe uno solo, e cioè un rallentamento gravissimo delle
indagini che stavano rivolgendosi con esiti importanti all’ambiente del
terrorismo nero nostrano! »
« Bene, colonnello. Prendo atto della sua posizione, e non potrò esimermi dal
comunicarla anche ai generali Santovito e Musumeci »
« Faccia come crede »
« E sono tenuto ad informarla che non la prenderanno molto bene »

[p.86]

Padova, 5 febbraio 1981.

« Guarda un po’, Luigi…che ci fa un auto sull’argine alle 10 di sera? »


« Non ne ho idea…Mi sembra che ci sia anche un uomo che scende a riva »

391
« Meglio avvisare la centrale »
« Alfa 8 a eden, alfa 8 a eden »
« Qui eden »
« Lungo l’argine c’è un’auto con un uomo che scende a riva »
« Ricevuto, mandiamo un altro equipaggio »
« D’accordo. Forse sono pescatori di frodo. Noi ci portiamo sul posto »

[p.87]

« Che dici, Enea, scendiamo a dare un’occhiata? »


« Andiamo »

[p.88]

« Fermi, o sparo! »
(sequela di spari)

[p.89]

« Giusva? Dove ti hanno preso!? »


« Non è niente…è solo la gamba, Francesca…caricatemi in macchina e
filiamo via, avanti! »
« Ma a chi cazzo è venuta l’idea di recuperare le armi nel canale? Cazzo! »

[p.90]

« Li hanno ammazzati! Li hanno ammazzati! »


« Figli di puttana! avvisa la centrale! »

[p.91]

Padova, via San Francesco 186.

« Forza Giusva, adesso siamo a casa »


« io resto qui con te, non ti lascio solo »
« Allora non avere capito niente! Razza di idioti! La nostra battaglia non si
ferma stasera! Portatemi di sopra e poi sparite di corsa! Avanti, muovetevi! »

392
[p.92]

« Mi raccomando…conto su di voi. Francesca, ho piena fiducia in te. Ora


levatevi di torno, forza »
« Aspettate »
« Un’ambulanza, presto! Di sopra c’è un ferito! »

[p.93]

« Il mio nome non ve lo dico! »


« I documenti sono falsi! »
« Sono un prigioniero politico! »

[p.94]

Roma, 19 anni dopo.

« Come criminali non siamo stati un granché…eppure siamo entrati nella


storia »
« Lei ha parlato di un intrigo internazionale. Come ci rientrerebbe, lei? »
« Come toppa. Mi sono chiesto chi poteva odiarmi a tal punto da volermi
incastrare con questa storia di Bologna. Non ho trovato una risposta »
« In fondo sono stati anche generosi »
« Mi hanno bollato come lo stragista e mi hanno consentito l’accesso ai
giornali, ai telegiornali, e mi hanno dato anche la possibilità di spiegare e di
ribellarmi »

[p.95]

« Più rimorsi o più rimpianti? »


« Né l’uno né l’altro »
« Può sembrare cinico, ma io cerco di riciclare tutto. Anche la merda »
« Qual è la domanda che noi persone libere non ci siamo mai posti rispetto a
quegli anni? »
« È complicato. Siamo rimasti in cinquanta in carcere. E i morti sono morti »
“…Perché pensarci ancora? »

[p.97]

393
Nelle udienze pubbliche del 22 e 23 novembre 1985, la Corte Suprema di
Cassazione, a Sezioni Unite Penali, ha definitivamente condannato
all’ergastolo, per la strage del 2 agosto 1980 alla stazione di Bologna, Valerio
Fioravanti e Francesca Mambro. Inoltre, e pure definitivamente, sono stati
condannati per il depistaggio delle indagini i massoni Licio Gelli, Francesco
Pazienza, il generale Musumeci e il colonnello Belmonte, questi ultimi due,
ufficiali del servizio segreto militare. Dopo 15 anni, la strage di Bologna ha i
suoi primi responsabili.

[p.98]

Bologna, 2 agosto 2005, venticinquesimo anniversario della strage.


« I familiari delle vittime impediscono con le armi della verità e della giustizia
la riscrittura della storia, l’occultamento della verità sulle stragi, la
liquidazione della memoria »
« Venticinque anni fa, in questa stazione, in un sabato di sole in cui una
miriade di cittadini era intenta a vivere un normale giorno d’estate, una bomba
collocata da terroristi fascisti causò una strage di 85 morti e 200 feriti »
« Degli esecutori materiali e dei depistatori sappiamo nomi e cognomi: sono
Giuseppe Valerio Fioravanti e Francesca Mambro, terroristi fascisti
pluriomicidi, sono il generale Musumeci e il colonnello Belmonte, allora ai
vertici del Sismi, assieme al generale Santovito »
[Discorso pronunciato il 2 agosto 2005, nel piazzale della stazione centrale di
Bologna, da Paolo Bolognesi presidente dell’Associazione tra i familiari delle
vittime della strage]

[p.99]

Bologna, 2 agosto 1980.


« I mandanti e gli ispiratori politici della strage non sono ancora stati
giudizialmente individuati »
« Sarebbe ora che il presidente emerito, senatore Francesco Cossiga, spiegasse
come mai si è circondato, nei momenti più delicati della vita politica italiana,
di piduisti
« Sono sempre più numerosi coloro che si chiedono come mai Mambro e
Fioravanti, con i loro 6 ergastoli e i 218 anni di condanne, siano da tempo in
semilibertà. Come possono dire di aver espiato le loro colpe, se hanno
scontato solo due mesi di galera per ogni persona uccisa? »

[p.102]

« Esigiamo rispetto della democrazia e della trasparenza »

394
« E non ci stanchiamo di denunciare lo scandalo di un paese in cui giace in un
cassetto da 21 anni la nostra proposta di legge d’iniziativa popolare per
l’abolizione del segreto di stato per i delitti di strage e terrorismo! »

[p.103]

« Bisogna arrivare al punto che non solo gli aerei, ma le navi e i treni, siano
insicuri. Bisogna ripristinare il terrore e la paralisi della circolazione. Bisogna
trovarsi d’accordo per distruggere ed è l’unico modo per restare insieme »
« Dobbiamo lanciare il segnale, raccoglierci. Arrecare danni al sistema è un
errore, il sistema te ne chiederà subito il conto…ma provocarne la
disintegrazione, questo è il rimedio. »

[p.104]

« Grazie di essere con noi. Dalla vostra presenza trarremo la forza di


continuare a difendere la verità, la memoria, la democrazia! »

[p.105]

« Occorre un’esplosione da cui non escano che fantasmi »

[pp. 102/105: Rielaborazione di un brano di Occidente di F. Camon,


sequestrato il 10 settembre 1980 al neofascista Carlo Battaglia nel corso di
una perquisizione sulle indagini della strage]

CRONISTORIA (Alex Boschetti)

5 aprile 1980
Nasce il secondo Governo italiano guidato da Francesco Cossiga. La DC, il cui
congresso ha appena escluso alleanze con il PCI, riceve l’appoggio del PRI e del PSI di
Bettino Craxi, che avrà ben nove ministeri.

23 giugno 1980
Giuseppe Valerio Fioravanti, Francesca Mambro e Gilberto Cavallini uccidono a Roma
il sostituto procuratore Mario Amato. Il magistrato, 36 anni, da due anni conduce le
principali inchieste sui movimenti eversivi di destra. Poco prima di essere assassinato
aveva chiesto inutilmente l’uso di un auto blindata. All’indomani dell’omicidio, i NAR
telefonano a un quotidiano e fanno ritrovare un volantini di rivendicazione che dice:

395
“oggi 23 giugno 1980, alle ore 8:05, abbiamo eseguito la sentenza di morte emanata
contro il sostituto procuratore Mario Amato, per le cui mai passavano tutti i processi a
carico dei camerati. Oggi egli ha chiuso la sua squallida esistenza imbottito di piombo.
Altri, ancora, pagheranno.”

27 giugno 1980
Il DC-9 I-TIGI Itavia in volo da Bologna a Palermo, partito con due ore di ritardo, si
inabissa vicino a Ponza, a nord di Ustica, alle 20.59. Le vittime sono 81, tra cui 13
bambini, due dei quali non avevano ancora compiuto due mesi.

10 luglio 1980
Luigi Presilio Vettore, detenuto per reati comuni, rivela ai magistrati di un imminente
gravissimo attentato da parte di un gruppo estremista. Lo stesso gruppo gli aveva
proposto di partecipare a un successivo attentato contro il giudice di Treviso Giancarlo
Stiz, a suo tempo impegnato in indagini connesse a quella sulla strage di Piazza
Fontana. La fonte di Vettore sarebbe il neofascista Roberto Rinani.

2 agosto 1980, ore 10.25


Una bomba preparata con una miscela di tritolo e T4 esplode nella sala d’aspetto di
seconda classe della stazione di Bologna. Lo scoppio è violentissimo e provoca il crollo
delle strutture sovrastanti le sale d’aspetto di prima e seconda classe e di circa 30 metri
di pensilina. L’esplosione investe anche il treno Ancona-Chiasso in sosta al primo
binario. Il bilancio finale è di 85 morti e 200 feriti.

2 agosto, ore 17.30


Alle 17,30, il presidente della Repubblica Sandro Pertini arriva in
elicottero all'aeroporto di Borgo Panigale e si precipita all'ospedale
Maggiore dove, si trova una delle tre camere mortuarie. Per poche ore
circola l'ipotesi che la strage sia stata provocata dall'esplosione di una
caldaia ma, quando il presidente arriva a Bologna, è già stato trovato il
cratere provocato da una bomba. Incontrando i giornalisti Pertini non
nasconde lo sgomento: "Signori, non ho parole" dice, "siamo di fronte
all'impresa più criminale che sia avvenuta in Italia".

6 agosto 1980
Si svolge la cerimonia funebre nella basilica di San Petronio. Solo otto vittime accettano
il funerale di stato.

17 agosto 1980
L’Espresso esce con un numero speciale sulla strage. In copertina, un quadro in cui
Guttuso ha dato lo stesso titolo che Francesco Goya aveva scelto per uno dei suoi sedici

396
Capricci: il sonno della ragione genera mostri. Guttuso aggiunge solo la data del 2
agosto 1980. Comincia una delle indagini più difficili della storia giudiziaria italiana.

9 settembre 1980
Francesca Mambro, Valerio e Cristiano Fioravanti, Stefano Sederini e Giorgio Vale
uccidono Francesco Mangiameli, dirigente di Terza Posizione in Sicilia e testimone
scomodo in merito alla strage di Bologna.

13 gennaio 1981
Sul treno Milano-Taranto, fermo alla stazione di Bologna, vengono trovati armi ed
esplosivi: è un tentativo di depistaggio.
5 febbraio 1981
Francesca Mambro e Valerio Fioravanti tendono un agguato a due carabinieri: Enea
Condotto, 25 anni, e Luigi Maronese 23 anni.

6 febbraio 1981
Valerio Fioravanti viene arrestato per concorso nella strage. Un anno dopo, finisce in
carcere con la stessa accusa la sua compagna, Francesca Mambro, anche lei dei NAR.

Il 17 marzo 1981
I giudici istruttori Gherardo Colombo e Giuliano Turone, nell’ambito di un’inchiesta sul
presunto rapimento dell’avvocato e uomo d’affari siciliano Michele Sindona, fanno
perquisire i possedimenti di un imprenditore toscano dal passato dichiaratamente
fascista: Licio Gelli. Viene scoperta una lista di 962 iscritti a una loggia massonica
denominata Propaganda 2.
La commissione parlamentare d’inchiesta coordinata dal deputato democristiano Tina
Anselmi, istituita il 9 dicembre 1981 per indagare sulla loggia, descrive la P2 come una
struttura a due piramidi sovrapposte, con i 962 nomi della lista appartenenti alla
piramide in basso, Gelli come punto di congiunzione tra le due piramidi e una piramide
superiore composta da nomi che figuravano su un’altra lista composta da personaggi
che trasmettevano gli ordini alla piramide inferiore. Quest’ultima lista, però, non è mai
venuta alla luce.

9 aprile 1981
Massimiliano Sparti, delinquente romano vicino alla banda della Magliana, confessa
come il 4 agosto dell’anno precedente Fioravanti gli abbia chiesto con una certa urgenza
un documento contraffatto per la sua compagna, che temeva di essere stata riconosciuta
alla stazione di Bologna.

1 giugno 1981
Si costituisce, nella città di Bologna, l’Associazione tra i familiari delle vittime della
strage alla stazione di Bologna del 2 agosto1980, con lo scopo statutario di « ottenere
con tutte le iniziative possibili la giustizia dovuta »

397
11 settembre 1985
Vengono emessi dei mandati di cattura a carico di Licio Gelli, Francesco Pazienza, il
generale Pietro Musumeci e il colonnello Giuseppe Belmonte, accusati di associazione
eversiva.

19 gennaio 1987
Comincia a Bologna il processo di primo grado.

11 luglio 1988
La corte d’Assise condanna all’ergastolo, per strage, Giuseppe Valerio Fioravanti,
Francesca Mambro, Massimiliano Fachini e Sergio Picciafuoco; a dieci anni di
reclusione, per calunnia aggravata, Licio Gelli (cinque anni condonati), Francesco
Pazienza, Pietro Musumeci e Giuseppe Belmonte (tre anni condonati ciascuno); per
banda armata, oltre a Fioravanti, Mambro e Fachini, vengono condannati Gilberto
Cavallini e Roberto Rinani.

Ottobre 1989
Inizia il processo d’appello.

18 luglio 1990
La corte d’Assise d’Appello annulla quattro ergastoli inflitti in primo grado a
Fioravanti, Mambro, Fachini e Picciafuoco. Il Procuratore Generale aveva chiesto
l’appesantimento delle pene. Immediata presa di posizione dell’MSI che chiede la
cancellazione della scritta « Strage fascista » dalla lapide presso la stazione di Bologna.
Il presidente del consiglio Giulio Andreotti si dice d’accordo e il presidente delle
Repubblica Francesco Cossiga avanza le scuse ufficiali al partito di Giorgio Almirante.

12 febbraio 1992
La Corte di Cassazione annulla la sentenza d’appello. Dal processo escono Stefano delle
Chiaie, Paolo Signorelli, Fabio de Felice.
16 maggio 1994
La sentenza della corte d’Assise d’appello di Bologna condanna all’ergastolo per la
strage, Fioravanti, Mambro e Picciafuoco, mentre assolve Fachini. Per il depistaggio
delle indagini condanna a 10 anni Gelli e Pazienza, a otto anni e cinque mesi Musumeci
e a sette anni e undici mesi Belmonte. Per banda armata, undici anni a Cavallini. Assolti
Fachini e Rinani.

12 giugno 1994
Il Corriere della sera pubblica un’intervista della coppia Mambro e Fioravanti intitolata
loro al governo, noi all’ergastolo. Circa un mese dopo viene fondato a Roma il
comitato E se fossero innocenti? Che propone tesi innocentiste nei confronti dei due
esponenti dei NAR.

23 Novembre 1995

398
La Corte di Cassazione conferma quasi in blocco il verdetto d’appello. Viene disposto
l’annullamento della sentenza con rinvio a Firenze solo per Picciafuoco, che il 18
giugno 1996 viene assolto. Verdetto confermato dalla Cassazione il 15 aprile 1997.

4 aprile 2002
Luigi Ciavardini, dopo essere stato assolto in primo grado, viene condannato in appello
a trent’anni per strage.

17 dicembre 2003
La prima sezione penale della Corte di Cassazione annulla la condanna e rinvia Luigi
Ciavardini alla corte d’Assise d’Appello per un nuovo processo.

13 dicembre 2004
La Corte d’appello del Tribunale di Bologna condanna a trent’anni di reclusione il
terrorista Luigi Ciavardini per il “delitto di strage e reati connessi”.

11 aprile 2007
la seconda Corte Penale di Cassazione dichiara inammissibile il ricorso dell’imputato e
conferma così la sentenza della sezione minori della Corte d’Appello di Bologna. Si
chiude il percorso giudiziario di Ciavardini con un totale di 36 anni e 2 mesi da
scontare.

Memoria e conoscenza. Occorre coniugare queste due parole per impedire che fatti
come le stragi e il terrorismo siano ancora strumenti di lotta politica, poiché il loro
utilizzo, in passato, è stato causa di un rallentamento della democrazia, di lutti e di
rovine per il nostro paese.

Paolo Bolognesi

399
Annexe n°4

Corpus général des démonstratifs employés in Claudio Calia,


Porto Marghera

Emploi de « questo » et « quello » et formes fléchies

N° Item Page Item emploi Fonction


PM1 p. 5 - […] Noi siamo quelli che sono Déixis anaphorique Conn.
(cataphore) Non
morti per niente […] Come si
égocentrés
può rendere artisticamente […]
la storia dei morti di Porto
Marghera […]-
PM2 p. 5 - […] Come potremmo definire Déixis anaphorique Conn.
(anamnestique) Non
la tecnica – e l’arte – di Calia,
égocentrés
così come si presentano in
questo nuovo libro […] -
PM3 P. 6 - […] Calia è certo consapevole Déixis à l’imaginaire Conn.
(emploi anamnestique) Non
della forza nuova raggiunta in
égocentrés
questi anni dal graphic novel
[…]-
PM4 P. 6 - […] come un esempio Déixis à l’imaginaire Conn.
(cataphore) Non
originale di quel « giornalismo a
égocentrés
fumetti » – graphic journalism?
[…] -
PM5 p. 6 - […] E combinando la Déixis anaphorique Conn.
Non
narrazione a flusso con quella
égocentrés
iconica e sintetica delle nuove
tag […] -
PM6 p. 6 - […] Certe tavole di Calia è Déixis anaphorique Conn.
Non
come se a disegnarle fosse stato
égocentrés
il gatto nero che è un po’ il suo
logo : dev’essere uscito di casa
e deve aver preso quelle tag
dalle strade […] -
PM7 p. 6 - […] La tensione formale che Déixis anaphorique Conn.
(cataphore) Non

400
rende vive le tavole di Calia égocentrés
sembra nascere da questa
dialettica radicale tra esigenza
di dire […]-
PM8 p. 6 - […] Nel caso del Déixis anaphorique Conn.
Non
« giornalismo a fumetti » questa
égocentrés
scelta è ancora più impegnativa
che nel graphic novel […] –
PM9 p. 7 - […] La scelta di Calia, Déixis anaphorique Conn.
Non
narrando di Marghera, è quella
égocentrés
di attribuire pari dignità […] -
PM10 p. 7 - […] Il disegno dice tutto Déixis anaphorique Conn.
(anamnestique) Non
l’essenziale: perciò questo libro
égocentrés
è un ottimo contributo […] -
PM11 p. 7 - […] Quel dramma continua Déixis anaphorique Conn.
Non
[…] nell’eredità tossica lasciata
égocentrés
all’aria, all’acqua e alla terra
[…]-
PM12 p. 7 - […] Queste immagini lo Déixis anaphorique Conn.
Non
fissano, e lo descrivono, per
égocentrés
quello che infine davvero è : un
dramma biopolitico […] -
PM13 p.7 - […] lo descrivono, per quello Déixis anaphorique Conn.
(cataphore) Non
che infine davvero è: un
égocentrés
dramma biopolitico […]-
PM14 p.7 - […] Questo, infatti, è il tratto Déixis anaphorique Conn.
(cataphore) Non
ultimo e più marcato, il segno
égocentrés
parlante del « giornalismo a
fumetti » di Claudio Calia […] -
PM15 p. 13 - […] E su questo, Déixis anaphorique Conn.
(cataphore) Non
probabilmente, contavano i
égocentrés
padroni. Sul fatto che la vita
degli operai era davvero nelle
loro mani […] -
PM16 p. 19 - […] L’inalazione dei suoi Déixis anaphorique Conn.
Non
vapori produce sintomi analoghi
égocentrés
a quelli dell’intossicazione da
alcol. - […]

401
PM17 p. 25 - […] Perfino il frullatore è di Déixis anaphorique Conn.
Non
plastica! La frutta? Quella no
égocentrés
[…] -
PM18 p. 26 - […] I primi […] sono stati i Déixis anaphorique Conn.
Non
medici dell’URSS, sul finire
égocentrés
degli anni ’40 […] Diamo per
buono che le ricerche russe non
siano state ascoltate. Per quel
tempo, troppo premature […]-
PM19 p. 27 - […] Diamo per buono che le Déixis anaphorique Conn.
Non
ricerche russe non siano state
égocentrés
ascoltate […] Tenendo conto di
queste attenuanti […] –
PM20 p. 27 - […] in questa ricostruzione di Déixis anaphorique Conn.
Non
fantasia basata su documenti
égocentrés
realmente esistenti […] -
PM21 p. 28 - […] Washington, 11 luglio Déixis anaphorique Conn.
Non
1973. Sede della Manufacturing
égocentrés
Chemists Associations […]
facendo la doccia, quella
mattina […] -
PM22 p. 28 - […] Washington, 11 luglio Déixis anaphorique Conn.
Non
1973 […] Intanto la doccia era
égocentrés
stata come al solito comoda e
piacevole, con quel caldo poi
[…]
PM23 p. 28 - […] E poi quello sarebbe stato Déixis anaphorique Conn.
(cataphore) Non
un giorno particolare […]-
égocentrés
PM24 p. 29 - […] Per molti versi perfino Déixis anaphorique Conn.
Non
drammatico. C’erano nell’aria
égocentrés
decisioni importanti, erano
pronti a questo, era il loro
mestiere, dopotutto […] -
PM25 p. 29 - […] Il giorno prima, quelli che Déixis anaphorique Conn.
(cataphore) Non
contavano di più, cioè il
égocentrés
direttivo della Manufacturing
[…]-
PM26 p. 30 - […] Quel cubo di vetro e Déixis anaphorique Conn.

402
cemento, […] in Connecticut Non
égocentrés
Avenue, […] alla
Manufacturing Chemists
Associations […] -
PM27 p. 31 - […] La più magica delle Déixis anaphorique Conn.
Non
industrie che certo questi nuovi
égocentrés
comparti elettronici, avrà
pensato qualcuno, mai potranno
eguagliare […] -
PM28 p. 31 - […] Poteva essere cominciata Déixis anaphorique Conn.
Non
così, è solo una supposizione,
égocentrés
quella calda giornata alla
Manufacturing Chemists
Associations […] –
PM29 p. 32 - […] Il nostro incontro, lo Déixis à l’imaginaire Conn.
(emploi anamnestique) Non
sappiamo tutti, non era atteso in
égocentrés
questo periodo […] -
PM30 p. 34 - […] Davvero dobbiamo Déixis anaphorique Conn.
Non
andare a raccontare questa
égocentrés
cosa ? […]–
PM31 p. 35 - […] Perché si sapeva, si Déixis anaphorique Conn.
Non
intuiva che qualcosa occorreva
égocentrés
fare da tempo, ma ugualmente
molti restarono sconcertati :
questo significa chiudere tutto
[…] -
PM32 p. 35 - […] questo significa chiudere Déixis anaphorique Conn.
Non
tutto, dissero, incapaci di
égocentrés
riconoscere in questa proposta
la linea […] tradizionalmente
tenuta dalle aziende […] –
PM33 p. 36 - […] Dobbiamo convincere il Déixis anaphorique
Conn.
NIOSH che […] Quelli del
Non
NIOSH nemmeno sanno chi sia égocentrés
il professor Cesare Maltoni
[…]-
PM34 p. 36 - […] Gli unici a conoscenza Demonstratio ad oculos Conn.
degli studi italiani sono le
égocentrés

403
persone sedute adesso a questo
tavolo […] -
PM35 p. 37 - […] Gli unici a conoscenza Déixis anaphorique Conn.
Non
degli studi italiani sono le
égocentrés
persone sedute adesso a questo
tavolo. E a queste persone – a
noi tutti, cioè […] -
PM36 p. 37 - […] ricordo che nel novembre Déixis anaphorique Conn.
Non
scorso abbiamo firmato con gli
égocentrés
Europei, su loro espressa
richiesta, un documento che ci
impegna a mantenere il segreto
su queste informazioni […] -
PM37 p. 37 - […] Il patto di segretezza che Déixis anaphorique Conn.
Non
gli Europei ci avevano chiesto
égocentrés
di firmare già nell’agosto del
1972 […], questo patto in realtà
ha retto benissimo fino a oggi
[…] -
PM38 p. 39 - […] E questo, lo sapete,
possiamo dimostrarlo, conti e
ricerche alla mano. A questo
punto, ci sarà sufficiente
aggiungere che adesso, proprio
perché non smettiamo mai di
fare il massimo per la salute dei
nostri operai […] -
PM39 p. 39 - […] Qualche dato, anzi, c’è Déixis anaphorique Conn.
Non
già, potremmo dire […] Ci
égocentrés
daremo in pasto ai leoni. Ci
chiederanno di mostrarli, questi
dati, no? […] -
PM40 p. 41 - […] Solo a Porto Marghera, i Déixis anaphorique Conn.
Non
casi di morte accertati sono 157,
égocentrés
e 103 quelli di malattia […]-
PM41 p. 56 - […] Nel 1985 Gabriele Déixis anaphorique Conn.
Non
Bortolozzo […] È da quel
égocentrés
momento che inizia a lavorare a

404
tempo pieno al suo più grande
progetto […]-
PM42 p. 58 - […] Gabriele Bortolozzo è Déixis anaphorique Conn.
Non
stato sempre un uomo libero, e
égocentrés
questa libertà l’ha esercitata
[…]
PM43 p. 58 - […] Operaio, non ha Déixis anaphorique Conn.
Non
circoscritto il proprio angolo
égocentrés
visuale a quello della fabbrica
[…]-
PM44 p. 66 - […] Questo è un disastro Déixis anaphorique Conn.
(cataphore) Non
dell’era moderna […] –
égocentrés
PM45 p. 69 - […] ritengo responsabili tutti Déixis anaphorique Conn.
Non
gli imputati, anche quelli che
égocentrés
hanno esercitato […]-
PM46 p. 71 - […] Per questi operai […] a Déixis anaphorique Conn.
Non
tutela della loro integrità e della
égocentrés
loro dignità […] per questi
uomini lasciati anche a un certo
punto soli in fabbrica […] -
PM47 p. 74 - Tribunale di Venezia, prima Déixis anaphorique Conn.
Non
sezione penale […]- Cosa ne
égocentrés
pensa di questa sentenza ? […]
PM48 p. 75 - […] Assolve i predetti Déixis anaphorique Conn.
Non
imputati dal reato di omicidio
égocentrés
colposo per angiosarcoma […] -
Io spero che portino questa cosa
a Strasburgo […] -
PM49 p. 75 - […] Visto l’articolo 531 del Déixis anaphorique Conn.
Non
codice di procedura penale […]
égocentrés
Eccezion fatta per quel che
concerne D’Arminio Monforte e
R. Calvi che […] -
PM50 p. 86 - […] A sentire questa sentenza. Déixis anaphorique Conn.
Non
È la sola cosa che nella sua vita
égocentrés
si è risparmiato […] -
PM51 p. 86 - […] almeno non sono qui a Déixis anaphorique Conn.
Non
sentirsi questa sentenza […] -
égocentrés

405
PM52 p. 87 - […] Quello che è successo da Déixis anaphorique Conn.
(cataphore) Non
trent’anni a questa parte nei
égocentrés
nostri territori lo dicono i libri di
storia […]-
PM53 p. 87 - […] Quello che è successo da Déixis à l’imaginaire Conn.
(emploi anamnestique) Non
trent’anni a questa parte nei
égocentrés
nostri territori […] -
PM54 p. 87 - […] questo ha detto la Déixis anaphorique Conn.
(cataphore) Non
sentenza: assolti per non aver
égocentrés
commesso il fatto […] -
PM55 p. 87 - […] Continueremo a Déixis anaphorique Conn.
(cataphore) Non
denunciare questo: la giustizia
égocentrés
non è uguale per tutti […] la
legge, non è uguale per tutti
[…]-
PM56 p. 89 - […] E perché sarebbero morti Déixis anaphorique Conn.
Non
di cancro, tutti questi operai di
égocentrés
Marghera […] -
PM57 p. 89 - […] Al Petrolchimico lavorava Déixis anaphorique Conn.
Non
alle autoclavi. Cioè a quella
égocentrés
specie di enormi pentoloni […]-
PM58 p. 90 - […] E intanto l’ingegner Déixis anaphorique Conn.
Non
Angelo Sebastiani […]si
égocentrés
lagnava con il « Gazzettino » di
questi operai che « sono degli
scansafatiche […] » -
PM59 p. 91 - […] Siamo sicuri che tutti Déixis anaphorique Conn.
Non
questi operai siano stati colpiti
égocentrés
dal cancro per colpa dei prodotti
chimici? E se fosse perché
fumavano […] -
PM60 p. 91 - […] Neppure i responsabili di Déixis anaphorique Conn.
(cataphore) Non
quella circolare del 1977, era
égocentrés
cefisiana, in cui si sosteneva che
[…] -
PM61 p. 92 - […] bisogna correre dei Déixis anaphorique Conn.
Non
ragionevoli rischi. » Quali? […]
égocentrés
Non quelli di finire in galera

406
[…]-
PM62 p. 93 -[…] Questo sviluppo che Déixis anaphorique Conn.
Non
passava come un carro armato
égocentrés
sul territorio e sugli uomini ha
avuto il consenso […]-
PM63 p. 94 - […] Ha ucciso la mucca pazza Déixis anaphorique Conn.
Non
ingrassata con farine di animali
égocentrés
morti. Qualcuno è andato in
galera per questo? […]-
PM64 p. 94 - […] Non c’era dolo nella Déixis anaphorique Conn.
Non
produzione e vendita di farine
égocentrés
delle grandi multinazionali? E
di fronte a queste
irresponsabilità […] -
PM65 p. 94 - […] gli operai di Marghera Déixis anaphorique Conn.
(cataphore) Non
sono impotenti di fronte al muro
égocentrés
dei grandi poteri […] si
congiungono nell’assicurare
l’impunità di chi sta al piano
alto. Così è scritto. Ma questo è
il migliore dei mondi possibili?
[…] -
PM66 p. 95 - […] Questo non toglie che Déixis anaphorique Conn.
Non
solo qualche anno dopo […] la
égocentrés
sentenza di assoluzione per i
dirigenti Montedison viene
ribaltata in appello […] -
PM67 p. 99 - […] Per lui, e solo per lui […] Déixis anaphorique Conn.
Non
dopo la prima lista inizia quella
égocentrés
delle condanne […] -
PM68 p. 110 - […] Anthony Candiello è uno Déixis anaphorique Conn.
(anamnestique) Non
dei rappresentanti […] che ho
égocentrés
incontrato durante il lavoro di
documentazione per questo
libro […] -
PM69 p. 111 - […] Questa nuova realtà Déixis anaphorique Conn.
Non
partecipativa si integra con le
égocentrés
esperienze precedenti […] -

407
PM70 p.116 […] Quello che mi sembra Déixis anaphorique Conn.
(cataphore) Non
fondamentale, nella questione
égocentrés
del Petrolchimico […] è che si
tratta di una storia fatta di
persone […]-
PM71 p.117 - […] Penso per un’ultima volta Déixis anaphorique Conn.
(cataphore) Non
a quello che Gianfranco Bettin
égocentrés
ha scritto […]-
PM72 p. 118 - […] Lo ammetto: non ho Déixis anaphorique Conn.
(anamnestique) Non
l’autoradio. Se ce l’avessi,
égocentrés
questo libro finirebbe così […]-
PM73 p. 123 - […] Questo libro mi ha Déixis anaphorique Conn.
(anamnestique) Non
impegnato parecchi mesi. Oltre
égocentrés
al disegno, il mio lavoro è stato
[…] circoscrivere un’idea su
quello che volevo esprimere con
questo volume […] –
PM74 p.123 - […] Il mio lavoro è stato Déixis anaphorique Conn.
(anamnestique) Non
cercare di […] circoscrivere
égocentrés
un’idea su quello che volevo
esprimere […]-
PM75 p.123 - […] Per continuare con Bettin, Déixis anaphorique Conn.
Non
accompagnato questa volta da
égocentrés
Maurizio Dianese, segnalo
Petrolkiller […] -

408
Annexe n°5

Corpus général des démonstratifs employés in Alessandro Di Virgilio,


Manuel De Carli, ThyssenKrupp

Emploi de « questo » et « quello » et formes fléchies


N° Item Page Item emploi Fonction
TK1 p. 7 - […] Torino […] Stabilimento emploi anaphorique Connecteur
(cataphore) non
ThyssenKrupp, Corso Regina
égocentré
Margherita 400 […] E questa è
una storia che […] -
TK2 p. 7 - […] E questa è una storia che emploi anaphorique Connecteur
(cataphore) non
ormai tutti conosciamo. Ma
égocentré
prima? […] Parliamo un po' di
tutto quello che ha contribuito a
farci arrivare a questa tragedia
[…] -
TK3 p.7 - […] Parliamo un po' di tutto emploi anaphorique Connecteur
non
quello che ha contribuito a farci
égocentré
arrivare a questa tragedia […] -
TK4 p.7 - […] Io, come tanti altri, entro emploi anaphorique Connecteur
non
in ThyssenKrupp […]Mi ritrovo
égocentré
così a lavorare in quel posto
[…]-
TK5 p.7 - […] Mi ritrovo così a lavorare emploi anaphorique Connecteur
non
in quel posto. Senza saperne
égocentré
molto di acciaio e acciaierie,
comincio a produrre per quella
gente […] -
TK6 p.7 - […] ti arriva all'orecchio emploi anaphorique Connecteur
(cataphore) non
quella parolina che nei mesi a
égocentré
venire diventerà - per te e tutti
gli altri - un martello
pneumatico che ti tortura la
mente: si chiude […] -
TK7 p.8 - […] Troviamo in bacheca un emploi anaphorique Connecteur
(cataphore) non
comunicato dell'azienda: "Le
égocentré
voci che si sono diffuse negli
ultimi tempi all'interno dello

409
stabilimento sono del tutto
infondate, essendo questo un
momento congiunturale […]” -
TK8 p.8 - […] Io (Carlo Marrapodi) emploi anaphorique Connecteur
non
credo di essere stato fra i primi a
égocentré
essere messo in cassa
integrazione: questo qui parla
troppo […] -
TK9 p.8 - […] Io credo di essere stato fra emploi anaphorique Connecteur
non
i primi a essere messo in cassa
égocentré
integrazione: questo qui parla
troppo, avran pensato. Ero
convinto che non sarei mai più
rientrato, in quel posto […] -
TK10 p.8 - […] Così rientro in azienda il emploi anaphorique Connecteur
non
3 ottobre 2007 […] Il tutto, in
égocentré
quel momento, veniva mandato
avanti alla meno peggio […]-
TK11 p.8 - […] Per capire che quella non emploi anaphorique Connecteur
non
era una condizione di lavoro (cataphore)
égocentré
"sicura" non ci volevano certo
degli ingegneri […] -
TK12 p.8 - […] Mentre quei ragazzi erano emploi anaphorique Connecteur
non
chiusi nel legno, sul freddo
égocentré
pavimento di marmo del duomo
di Torino sono arrivati […]
giornalisti, le televisioni […] in
quel momento sì che siamo
diventati “famosi” […] -
TK13 p.8 - […] Il grido di una classe emploi anaphorique Connecteur
(anamnestique) non
operaia che vuole garantito il
égocentré
diritto a tornare a casa
incolume, alla fine del turno.
Purtroppo da allora poco o nulla
in questa "italietta", è cambiato
[…] -
TK14 p.8 - […] Quando i ragazzi di emploi anaphorique Connecteur
non
BeccoGiallo mi hanno parlato di
égocentré

410
un fumetto […] ho capito che
quel linguaggio, poteva
raccontare la nostra bruttissima
storia […] -
TK15 p.10 - […] Quando i ragazzi di emploi anaphorique Connecteur
non
BeccoGiallo mi hanno parlato di
égocentré
un fumetto […] Con la speranza
che questo lavoro racconti ai
giovani italiani ciò che non deve
essere più […] -
TK16 p.11 - […] Nel primo e nell'ultimo emploi anaphorique Connecteur
non
capitolo di questa storia è
égocentré
presente Giulia, l'unico
personaggio "virtuale" […] -
TK17 p.11 - […] Nel primo e nell'ultimo emploi anaphorique Connecteur
non
capitolo di questa storia è
égocentré
presente Giulia, l'unico
personaggio "virtuale" di questo
libro […] -
TK18 p.11 - […] Gli intermezzi di emploi anaphorique Connecteur
non
approfondimento dedicati agli
égocentré
incidenti […] servono a
ricordare che rischiare di morire
per lavoro non è circoscritto a
quel maledetto 6 dicembre […]
-
TK19 p.15 - […] Torino. 5 dicembre 2007, emploi anaphorique Connecteur
(anamnestique) non
ore 20.30 […] « Quell'operaio
égocentré
va fermato con azioni legali
[…] » -
TK20 p.22 - […] Solo che un giorno come emploi anaphorique Connecteur
non
un altro […] ti arriva
égocentré
all'orecchio quella parolina […]
si chiude […] « Questa
incertezza è proprio un inferno"
[…] "Non vedo l’ora di
staccare! » […]-
TK21 p.30 - […] C'è un dato che sfugge a emploi anaphorique Connecteur
non

411
qualsiasi statistica […] égocentré
Rappresentato da tutti quei
lavoratori privi di permesso di
soggiorno e spesso di identità
[…] Di questi uomini senza
nome e delle loro morti […] -
TK22 p.35 - […] Quella sera Antonio déixis à l’imaginaire Connecteur
(emploi anamnestique) non
doveva chiedere un permesso,
égocentré
dovevamo uscire. Mi chiama
alle quattro del pomeriggio e mi
dice che non c'è nessuno che lo
sostituisce […] -
TK23 p.41 […] In Italia, tra i lavoratori emploi anaphorique Connecteur
non
stranieri assicurati, la maglia
égocentré
nera degli infortuni appartiene a
quelli di nazionalità marocchina
[…]-
TK24 p.42 - […] I cosiddetti precari sono emploi anaphorique Connecteur
non
quelli più esposti, forse perché
égocentré
presi da preoccupazioni più
immediate, come perdere il
posto […] -
TK25 p.42 - […] L'ora più pericolosa è emploi anaphorique Connecteur
non
quella prima dell'interruzione
égocentré
per il pranzo […] -
TK26 p.42 - […] E comunque, al di là dei emploi anaphorique Connecteur
non
numeri […] Nessuna ora è
égocentré
quella giusta per morire […]-
TK27 p.46 - […] Torino, il Duomo, 13 emploi anaphorique Connecteur
non
dicembre 2007 […] « Padre
égocentré
onnipotente, eleviamo a te il
nostro pensiero […] In questi
istanti in cui i nostri cuori sono
sopraffatti dalla tristezza […] »-
TK28 p.46 - […] Padre onnipotente, emploi anaphorique Connecteur
non
eleviamo a te il nostro pensiero (cataphore)
égocentré
[…] Quello che ci sostiene è la
certezza […]

412
TK29 p.49 - […] Durante le ispezioni ci era emploi anaphorique Connecteur
non
stato vietato di fondere l'acciaio
égocentré
300 […] Quello che produce
fumi densi come nebbia […]-
TK30 p.50 - […] Sappiamo che il tuo emploi anaphorique Connecteur
non
sguardo è quello di un padre
égocentré
[…] Non abbandonare i tuoi
figli nell'ora dell'angoscia […] -
TK31 p.53 - […] Sì, certo […] Ricordo di déixis à l’imaginaire Connecteur
(emploi anamnestique) non
quella volta che saltò per aria
égocentré
una fabbrica di fuochi d'artificio
[…]-
TK32 p.54 - […] Sì, certo […] Ricordo di déixis à l’imaginaire Connecteur
(emploi anamnestique) non
quella volta che saltò per aria
égocentré
una fabbrica di fuochi d'artificio
[…] Da quel giorno, ogni volta
che sento odore d'erba bagnata
[…] -
TK33 p.59 - […] Torino doveva chiudere, emploi anaphorique Connecteur
non
da lì a pochi mesi […] Per
égocentré
questo motivo non erano molto

interessati alla sicurezza […]


TK34 p.65 - […] dal lavoratore per emploi anaphorique Connecteur
non
proteggerlo dai rischi connessi
égocentré
alla sua professione […] Come
quelli derivanti da gas, polveri o
vapori […] -
TK35 p.69 - […] Mio figlio Giuseppe emploi anaphorique Connecteur
(anamnestique) non
odiava quella fabbrica, il
égocentré
rumore, i macchinari […]-
TK36 p.71 - […] Non siamo stati più emploi anaphorique Connecteur
non
chiamati, conosciamo tutti le
égocentré
carenze di questa azienda...
Anche se non voglio dire niente
[…]-
TK37 p.82 Torino, 17 novembre 2008 […] emploi anaphorique Connecteur
(anamnestique) non
–« Pertanto, questo tribunale
égocentré
[…] In nome del popolo italiano

413
[…] Addì 17 di novembre
dell'anno 2008 […] » -
TK38 p.86 - […] Le vede queste bollette demonstratio ad oculos Connecteur
égocentré
non pagate? La casa l'abbiamo
comperata un anno fa. Come
avremmo potuto immaginare
che saremmo arrivati a questo
punto […] -
TK39 p.86 - […] Le vede queste bollette emploi anaphorique Connecteur
non
non pagate? Come avremmo
égocentré
potuto immaginare che
saremmo arrivati a questo
punto? […]-
TK40 p.89 - […] In Germania bisognerà emploi anaphorique Connecteur
non
aspettare il 1883 […] Nella
égocentré
Russia zarista il 1912 e in
quella Sovietica il 1922 […]-

414
Annexe n°6

Corpus général des démonstratifs employés in Alex Boschetti, Anna


Ciammitti, La strage di Bologna

Emploi de « questo » et « quello » et formes fléchies


N° Item Page Item emploi Fonction
SDB1 p. 7 - […] Ci sono solo due cose che emploi anaphorique Connecteur
non
[…] possiamo fare di fronte a
égocentré
un evento come questo […] -
SDB2 p. 7 - […] Ci sono solo due cose che emploi anaphorique Connecteur
non
noi narratori possiamo fare di
égocentré
fronte a un evento […] Come
quello che è avvenuto a
Bologna il 2 agosto 1980 […] -
SDB3 p.7 - […] Non possiamo scoprire emploi anaphorique Connecteur
non
misteri, quello lo fanno i
égocentré
poliziotti e i giornalisti […] -
SDB4 p.7 - […] Non possiamo stabilire emploi anaphorique Connecteur
non
verità, quello lo fanno i
égocentré
magistrati […] -
SDB5 p.7 - […] Non possiamo neanche emploi anaphorique Connecteur
non
cambiare le cose, quello
égocentré
dovrebbero farlo i politici […] -
SDB6 p.7 - […] Però quelle due cose là le emploi anaphorique Connecteur
(cataphore) non
possiamo fare. Far rivivere le
égocentré
emozioni e mettere in fila i fatti
[…] -
SDB7 p.7 - […] Per tutto quello che ci emploi anaphorique Connecteur
(cataphore) non
succede attorno e per come
égocentré
siamo fatti noi […] le emozioni
si raffreddano in fretta […] -
SDB8 p.7 - […] Se stiamo alle cifre, la emploi anaphorique Connecteur
non
strage di Piazza Fontana […] è
égocentré
stata una tragedia inferiore a
quella della stazione di Bologna
[…] che a sua volta è meno
importante di quella di Madrid
che ne ha avuti 200 […] -

415
SDB9 p.7 - […] Se stiamo alle cifre, la emploi anaphorique Connecteur
non
strage di Piazza Fontana che ha
égocentré
provocato 17 morti è stata una
tragedia inferiore […] di Madrid
che ne ha avuti 200 […] Ma
questi sono dati, non emozioni
[…] -
SDB10 p.7 - […] Il dolore di chi è stato emploi anaphorique Connecteur
non
ferito e quello di chi è rimasto
égocentré
solo […] -
SDB11 p.7 - […] Tutte quelle emozioni emploi anaphorique Connecteur
non
[…] -
égocentré
SDB12 p.9 - […] Così i processi che emploi anaphorique Connecteur
non
seguono alla strage sono anche
égocentré
grandi affreschi della storia di
quegli anni, dei movimenti
eversivi, del terrorismo e della
situazione internazionale. Tutto
questo, per un estraneo […] è
confuso […] -
SDB13 p.9 - […] Ecco, quello che la emploi anaphorique Connecteur
(cataphore) non
narrativa può fare è questo
égocentré
processo di semplificazione e di
sintesi […] -
SDB14 p.9 - […] Ecco, quello che la emploi anaphorique Connecteur
non
narrativa può fare è questo
égocentré
processo di semplificazione e di
sintesi […] -
SDB15 p.9 - […] Lo facciamo tutte le volte emploi anaphorique Connecteur
non
che vogliamo raccontare una
égocentré
storia […] Isoliamo alcuni fatti
che ci possano servire a
raccontare quella storia […] -
SDB16 p.9 - […] Isoliamo alcuni fatti che emploi anaphorique Connecteur
non
ci possano servire a raccontare
égocentré
quella storia, solo quelli che
servono […] -
SDB17 p.9 - […] Mettere in fila i fatti emploi anaphorique Connecteur
non

416
provocando emozioni […] Che égocentré
questo avvenga con le parole
dei romanzi, con le immagini
del cinema […] -
SDB18 p.9 - […] Quando poi, come in emploi anaphorique Connecteur
(anamnestique) non
questo caso, sta in una collana
égocentré
che ha avuto l’idea di utilizzare
uno strumento di narrativa
popolare come il fumetto […] -
SDB19 p.17 - […] Ammiraglio! Non mi emploi anaphorique Connecteur
non
chiamare più così, Luigi. Quello
égocentré
è il mio nome di battaglia […] -
SDB20 p.17 - […] Ma non sei tu che ripeti emploi anaphorique Connecteur
non
sempre che siamo in guerra? E
égocentré
infatti. Di questo ti volevo
parlare. C’è quel giudice di
Treviso, Giancarlo Stiz […] -
SDB21 p.17 - […] Di questo ti volevo déixis à l’imaginaire Connecteur
(emploi anamnestique) non
parlare. C’è quel giudice di
égocentré
Treviso, Giancarlo Stiz, che da
Piazza Fontana in poi ci sta
rompendo i coglioni […] -
SDB22 p.19 - […] I ragazzi hanno già emploi anaphorique Connecteur
non
pensato a tutto. Continua. Una
égocentré
macchina camuffata, come
quelle degli sbirri […] –

SDB23 p.20 - […] Mi ha sentito? Ora si emploi anaphorique Connecteur


non
calmi Presilio. Vedrò quello che
égocentré
posso fare, lei non si preoccupi
[…] -
SDB24 p.20 - […] Ma cosa crede? Che emploi anaphorique Connecteur
non
m’impietosisco se qualcuno
égocentré
crepa? In guerra non esistono
innocenti! Non è questo! […] -
SDB25 p.24 - […] Mi pare che questa emploi anaphorique Connecteur
non
informazione non la sorprenda,
égocentré
colonnello […] Era intuibile che

417
fossero stati loro […] -
SDB26 p.24 - […] Era intuibile che fossero emploi anaphorique Connecteur
non
stati loro. Se è per questo, la
égocentré
Mambro e Fioravanti, dopo
l’omicidio Amato, hanno pure
brindato con ostriche e
champagne […] -
SDB27 p.30 - […] Ancora di cannoli, Maria, emploi anaphorique Connecteur
non
che Tonino se li mangia tutti
égocentré
[…] che quello non ha mai
patito la fame […] -
SDB28 p.37 - […] A seguito del criminale emploi anaphorique Connecteur
non
attentato […] che sconvolse la
égocentré
città […] Con questa
motivazione […] la città di
Bologna è stata insignita della
medaglia d’oro al valor civile
[…] -
SDB29 p.40 - […] Portate una barella, demonstratio ad oculos Connecteur
égocentré
presto! C’è qualcuno qua sotto!
Non ce ne sono più! Usate
quella lamiera laggiù […] -
SDB30 p.40 - […] Ho portato […] un po’ di demonstratio ad oculos Connecteur
égocentré
bende, un lenzuolo […] magari
servono. Certo che servono, li
consegni a quell’infermiera,
sull’autobus […] -
SDB31 p.49 - […] E lo chiamano “fornello”! emploi anaphorique Connecteur
(emploi anamnestique) non
[…] E lo vieni a dire a me!
égocentré
Quella bomba ha scavato un
vero e proprio cratere! […] -
SDB32 p.49 - […] Quelli stanno già alle demonstratio ad oculos Connecteur
égocentré
polemiche […] Mentre noi
continuiamo a rovistare nella
cenere per cercare i nostri morti
[…] – (indica con lo sguardo sul
giornale)
SDB33 p.52 […] Massimo […] ultimamente emploi anaphorique Connecteur
non

418
mi è venuto l’hobby del égocentré
travestimento. Per questo l’altro
ieri ero in stazione a Bologna.
Mi sono calato nella parte del
turista tedesco […] -
SDB34 p.53 - […] Ho bisogno di documenti emploi anaphorique Connecteur
non
falsi, caro Massimo. In giornata
égocentré
[…] Ti prego, Giusva…non mi
ficcare in questo casino […] -
SDB35 p.54 - […] Si tratta di un piano emploi anaphorique Connecteur
non
politico anticomunista per la
égocentré
conquista militare del paese? E
la strage di Bologna rientra in
questo quadro? […] -
SDB36 p.54 Mi piacerebbe far emergere la emploi anaphorique Connecteur
non
stretta collaborazione fra servizi
égocentré
segreti deviati e ambienti di
estrema destra […] questi nuovi
gruppi eversivi di estrema
destra, come i NAR […] -
SDB37 p.54 - […] noi de l’Espresso abbiamo emploi anaphorique Connecteur
non
pensato a un approfondimento
égocentré
sulla pista nera che sta battendo
la magistratura, e per questo
abbiamo pensato di intervistare
l’onorevole Almirante […] -
SDB38 p.58 - […] Quali complicità hanno emploi anaphorique Connecteur
non
acconsentito e accompagnato
égocentré
quest’azione nefanda? […] -
SDB39 p.59 - […] Vigili del fuoco, militari demonstratio ad oculos Connecteur
égocentré
[…] e la moltitudine che è su
questa piazza per raccogliere la
sfida del terrorismo […] -
SDB40 p.63 - […] L’articolo sarà in edicola emploi anaphorique Connecteur
non
già dal 17 di agosto […] Con
égocentré
quell’intervista, Spiazzi ci ha
fatto quasi un favore […] -
SDB41 p.66 - […] L’informativa denuncia emploi anaphorique Connecteur
non

419
che i NAR stessero égocentré
organizzando la strage. Lasci
perdere, Elio, mi ascolti […] E
non credo che la magistratura
debba essere confusa con queste
informative […] -
SDB42 p.66 - […] Con queste chiacchiere. emploi anaphorique Connecteur
non
Dovreste averlo capito voi dei
égocentré
servizi segreti. I nemici non si
cercano in casa. Ma oltre
confine […] -
SDB43 p.66 - […] State sbagliano tutto. La emploi anaphorique Connecteur
non
pista è internazionale. Per
égocentré
questo è consigliabile che voi
del SISDE coinvolgiate
ambienti nuovi ma forse più
adeguati. Come il SISMI […] -
SDB44 p.67 - […] Lei lo sa che l’obiettivo emploi anaphorique Connecteur
non
della nostra loggia è quello di
égocentré
smascherare il potere […] -
SDB45 p.67 - […] l’obiettivo della nostra emploi anaphorique Connecteur
non
loggia è […] smascherare il
égocentré
potere di leniniana memoria che
sta attentando al regime
democratico. Guardiamo là,
dove questo potere si alimenta
[…] -
SDB46 p.67 - […] Per questo ora occorrono emploi anaphorique Connecteur
non
persone d’indiscusso valore
égocentré
morale che si possano occupare
di dimostrare la pista
internazionale […] -
SDB47 p.69 - […] Lo scopo di tale emploi anaphorique Connecteur
non
organizzazione […] è quello di
égocentré
produrre uno spostamento a
destra dell’Italia […] -
SDB48 p.69 - […] Lo scopo di tale emploi anaphorique Connecteur
non
organizzazione […] è quello di
égocentré

420
produrre uno spostamento a
destra dell’Italia, contrastando
l’ascesa al potere dei comunisti.
Per questo, la P2 è stata
favorita, militarmente ed
economicamente dalla CIA
[…]-
SDB49 p.76 - […] La pista conduce al emploi anaphorique Connecteur
non
terrorismo internazionale, e […]
égocentré
potremmo essere in grado di
conoscere […] il numero del
treno […] Si occupi di
approfondire questa situazione,
colonnello […] -
SDB50 p.76 - […] Ad ogni modo, demonstratio ad oculos Connecteur
égocentré
colonnello, troverà tutte le
informazioni in questo rapporto
[…] -
SDB51 p.80 - […] Niente, non ci sono […] emploi anaphorique Connecteur
non
Venite! Forse ho trovato quello
égocentré
che cerchiamo […] -
SDB52 p.82 - […] State pronti. Si trovano tra emploi anaphorique Connecteur
non
le vetture 13, 14 e 15 […]
égocentré
Quest’operazione terrore sui
treni, colonnello Belmonte, è al
limite del surreale […] -
SDB53 p.82 - […] La nostra fonte sostiene emploi anaphorique Connecteur
non
[…] Ma quale fonte! È questo il
égocentré
punto! […] -
SDB54 p.83 - […] Giuseppe Monna. Bene, emploi anaphorique Connecteur
non
lui è la nostra fonte. Perfetto.
égocentré
Allora convochiamo questo
confidente […] -
SDB55 p.83 - […] E a proposito di emploi anaphorique Connecteur
non
coincidenze[…] l’esplosivo […]
égocentré
è, nemmeno a farlo apposta, lo
stesso, della strage di Bologna:
il compound B. Chi […] alla

421
luce di questo fortunato
ritrovamento, non pensare a
[…]-
SDB56 p.85 - […] E i fatti mi dicono che se emploi anaphorique Connecteur
non
questa operazione Terrore sui
égocentré
treni si rivelasse infondata […]-
SDB57 p.94 - […] Mi sono chiesto chi emploi anaphorique Connecteur
(anamnestique) non
poteva odiarmi a tal punto da
égocentré
volermi incastrare con questa
storia di Bologna […] -
SDB58 p.97 - […] I massoni Licio Gelli, emploi anaphorique Connecteur
non
Francesco Pazienza, il generale
égocentré
Musumeci e il colonnello
Belmonte, questi ultimi due,
ufficiali […] -
SDB59 p.98 - […] Venticinque anni fa, in demonstratio ad oculos Connecteur
égocentré
questa stazione, in un sabato di
sole in cui una miriade di
cittadini era intenta a vivere un
normale giorno d’estate […] -
SDB60 p.103 - […] Arrecare danni al sistema emploi anaphorique Connecteur
non
è un errore […] te ne chiederà
égocentré
subito il conto…ma provocarne
la disintegrazione, questo è il
rimedio […] -
SDB61 p.105 - […] contro il giudice di emploi anaphorique Connecteur
non
Treviso Giancarlo Stiz, a suo
égocentré
tempo impegnato in indagini
connesse a quella sulla strage di
Piazza Fontana […] -
SDB62 p.115 - […] Su un’altra lista composta emploi anaphorique Connecteur
non
da personaggi che trasmettevano
égocentré
gli ordini alla piramide
inferiore. Quest’ultima lista,
però, non è mai venuta alla luce-
SDB63 p.144 - […] Memoria e conoscenza. emploi anaphorique Connecteur
non
Occorre coniugare queste due
égocentré
parole per impedire che […] -

422
INDEX NOMINUM

Albano Leoni (Federico) 9, 72, 76, 86, 87, 89, 93, 95, 99, 126, 232, 280, 300, 306, 311, 312, 318.

Alighieri (Dante), 205-208, 210, 218, 222, 251, 310.

Ammone (d’Alexandrie), 28, 33.

Apollonius (Dyscole), 140.

Aristote, 17-19, 28, 34-39, 50, 52, 120, 298, 301, 312, 315, 316.

Barthes (Roland), 152.

Benveniste (Émile), 78, 82, 187, 277, 281, 282.

Boccace (Giovanni), (Décaméron), 210.

Boèce (Anicius Manlius Severinus), 28, 33.

Boschetti (Alex), 258, 374, 415.

Boxus (Anne Marie), 183.

Brugmann (Karl), 151, 152, 157, 158, 161, 162, 172, 176, 225, 226, 270.

Brunot (Ferdinand), 151, 323.

Bühler (Karl), 5, 7, 8, 10, 14-16, 22, 23, 24, 30, 33, 42, 43, 53, 55-60, 62, 64-68, 71, 72, 75-81, 84-89, 90,
91, 92, 95, 96-98, 106, 108, 109, 110-114, 116-120, 123, 128, 130-135, 137, 138, 142, 144-146, 148, 149,
151, 152, 157, 158, 161, 162, 168, 169, 172-174, 176, 180, 181, 185, 187, 188, 191-193, 196-202, 205,
206, 211, 215, 221, 224-226, 228, 229, 233, 246, 250-252, 264, 270, 272, 273, 275, 278, 279, 280, 290,
291, 294, 295, 297-301, 302-307, 309, 310, 311, 313, 314, 317, 328.

Calia (Claudio), 230, 233-235, 331, 332, 400, 401.

Castiglioni (Giulio), 277, 328.

Cattaruzza (Serena), 145, 162, 306.

Cavazza (Franco), 3, 226, 321.

Celse (Aulus Cornelius), 169.

César (Caius Iulius), 167-169.

423
Ciammitti (Anna), 233, 258, 285, 329, 374, 415.

Coseriu (Eugenio), 37.

Cicéron (Marcus Tullius), 150, 151, 178, 179, 180, 183, 203, 222, 233.

Cucchiarelli (Andrea), 3, 226.

D’Aquin (Thomas), 34.

De Carli (Manuel), 233, 247, 281, 294, 330, 355, 357, 373, 409.

De Jong (Jan), 187, 313.

Delbecque (Nicole), 253, 328.

Delbrück (Berthold), 158, 172, 176, 225, 226.

De Mauro (Tullio), 3, 8, 9, 10, 11, 26, 28, 29, 31, 39, 42, 44, 45, 50, 71, 82, 277, 298, 301, 302, 313, 317,
318, 327.

Diessel (Holger), 187, 313.

Di Virgilio (Alessandro), 233, 247, 281, 294, 330, 355, 357, 373, 409.

Enfield (Nicholas James), 187.

Engler (Rudolf), 9, 277, 313.

Épicure, 17.

Ernout (Alfred), 156, 159, 161-163, 167, 172, 175, 177, 182.

Gaudino-Falleger (Livia), 292, 318.

Ferraris (Oliverio), 277, 329.

Friedrich (Janette), 2, 14, 111, 130, 132, 272, 302, 306, 307, 310, 313, 314, 317.

Frei (Henry), 64-67, 70-72, 314.

Giunchi (Paola), 100, 314.

Godel (Robert), 9-11, 41-49, 50, 314, 317.

Guillaume (Gustave), 7, 8, 11, 12, 14, 24, 32, 53-55, 57, 62, 63, 138, 154, 172, 197, 211, 212, 299, 304,
314-316.

424
H

Hérodote, 17.

Himmelmann Nikolaus, 187, 315.

Horace (Quintus Flaccus), 21.

Kant (Immanuel), 277, 328.

Klajn (Ivan), 291, 294, 295, 318.

Koffka (Kurt), 276, 329.

Köhler (Wolfgang), 276, 329.

L
Laërce (Diogène), 17.

Lewin (Kurt), 123, 124, 329.

Live (Tite), 165, 186.

Locke (John), 19-21, 312, 315.

Lo Piparo (Franco), 28, 33, 34, 35, 37, 312, 315.

Jespersen (Otto), 64, 65, 70, 71, 315.

Manco (Alberto) 233, 319.

Martinet (André), 43, 322.

Maturi (Pietro), 126, 232, 280, 312.

Meillet (Antoine), 29, 30, 156, 158, 159, 161-164, 167, 172, 175, 177, 178, 182, 272, 279, 280, 308, 312,
315, 320, 322, 327.

Monneret (Philippe), 30, 31, 316.

Prampolini (Massimo), 23, 24, 317.

Peirce Charles (Sanders), 28.

Plaute, 150, 164, 165, 169, 170, 171, 186, 187, 321.

Platon, 76, 81, 165, 185.

425
Pokorny (Julius), 175.

Orlandini (Anna), 187, 321.

Quintilien (Marcus Fabius), 151.

Rocchetti (Alvaro), 3, 318.

Rousseau (André), 307, 317.

Rizzolatti (Giacomo), 278, 279, 329.

Saffi (Sophie), 3, 155, 160, 168, 171, 181, 183, 190, 191, 193, 194, 196, 203, 204, 210-214, 216, 233,
252, 303, 304, 307, 319, 325.

De Saussure (Ferdinand), 8-10, 18, 21-23, 25, 26, 28-34, 38-50, 52, 54, 55, 71, 74-77, 81, 82, 92, 93, 109,
111, 137, 272, 277, 298-302, 308, 312-314, 316-318, 322.

Samain (Didier), 14, 56, 62, 78, 85, 87, 97, 114, 117, 119, 134, 151, 152, 162, 191, 221, 246, 307.

Sénèque, 179, 184.

Serianni (Luca), 143, 320.

Simone (Raffaele), 18-20, 21, 25, 26, 64-70, 317, 318.

Sinigaglia (Corrado), 278, 279, 329.

Térence (Publius Afer), 150, 155, 179, 180.

Troubetzkoy (Nicolaj), 42, 43, 87, 92-94.

Vannelli (Laura), 291, 293, 294, 296, 319.

Persyn-Vialard (Sandrine), 306, 317.

Virgile (Publius Maro), 204, 207-210, 221.

426
W
Wackernagel (Jacob), 113, 151, 162, 221.

Wertheimer (Max), 276, 329.

Whitney (William Dwight), 298, 301.

Wundt (Wilhelm), 276, 277, 328.

Wittgenstein (Ludwig), 299, 318.

Zipf (George K), 64, 67, 68, 70, 71, 318.

427
INDEX RERUM

1ère personne, 156, 159, 189, 196, 203.

2ème personne, 151, 162, 189, 196, 203, 227.

3ème personne, 152, 157, 164, 168, 176, 179, 180, 183, 189, 196, 199, 203, 214, 216, 219, 220, 226, 227,
231, 232, 250, 252.

A
ablatif, 157, 173.

accusatif, 157, 160, 167, 171, 173, 175-177, 182, 203.

acte de langage, 5, 31, 42, 44, 55, 78, 141, 144, 147, 169, 171, 187, 191, 195, 198, 211, 212, 225, 227,
241, 257, 281, 282, 293, 302, 307.

actif, 147, 148, 232, 114, 146-148, 167, 232.

action, 22, 162, 191, 193, 194, 196, 199, 205, 206, 220, 232, 235, 257, 258, 269, 271, 275, 279, 283, 284,
287, 288.

active, (actif) activité, 32, 71, 76, 83, 114, 124, 145, 149, 310.

adjectif, 82, 150, 154, 155, 159, 164, 178, 194, 203, 213, 218, 219, 222, 225, 284.

adverbe, 115, 150, 157, 159, 161, 164, 168, 175, 217, 250, 252.

adverbes de lieu, 161, 164, 168, 175.

agent (connecteurs égocentré), 185, 186, 190, 210, 229, 234, 258, 275.

agent (connecteurs non égocentré), 185, 186, 229, 234, 275, 296, 297, 305.

anaphore, 116, 174, 175, 178, 180, 181, 228, 235, 246, 264, 265, 272, 273, 296.

anaphorique, 114-116, 143, 145, 155-157, 161, 164-166, 169-174, 176, 179, 180, 182, 184, 185, 189,
190, 193, 196, 199, 206, 207, 211, 219-222, 227, 231, 233, 234-273, 275, 283, 286, 287, 291, 294-297,
305, 400-422.

ancien français, 216, 323, 324.

ancien italien, 203, 204, 206, 213-216.

appartenance, 101, 121, 218, 280, 323, 326.

arbitraire, 4, 7, 13, 18-29, 33, 34, 39, 47, 48, 52, 53, 59, 60, 62-68, 71-73, 80-82, 98, 128-130, 132, 135-
138, 141, 142, 163, 298, 299, 302, 308, 309, 316.

articulatoire, 36, 43, 45, 50, 92-94, 274.

428
C
champ, 5, 8, 16, 24, 29, 31, 34, 37, 73, 84, 100, 108-110, 112-127, 129-132, 142-144, 146-150, 157, 159-
162, 165, 167-171, 175, 179, 185, 188, 190-193, 195-199, 201, 202, 205-208, 210, 211, 213-215, 217,
219, 220, 222, 225, 227-229, 231-233, 241, 246, 250-253, 257, 258, 264, 270-272, 274-276, 279, 280,
283, 284, 287-290, 295, 296, 303-305, 307, 309, 310.

champ déictique, 100, 110, 112-114, 116, 118, 120, 123-127, 142, 144, 146, 149, 151, 155, 158, 162,
171, 180, 181, 183, 184, 186, 187, 190-193, 197-199, 202, 211, 222, 225, 227-229, 241, 246, 250, 257,
272, 283, 287, 304, 305.

champ symbolique, 100, 110, 112, 116, 118-123, 125, 142, 149, 171, 181, 192, 202, 206, 211, 222, 225,
228, 251, 257, 258, 264, 270, 272, 273, 275, 283, 304.

chronogénèse, 154.

cil, 163, 216.

cinétique, 212.

cist, 216.

cognitif, 4, 15, 22, 23, 30, 32, 33, 52, 55, 56, 72, 137, 154, 187, 265, 307, 317.

cognition, 328.

colui, 165, 186, 203, 206.

composition, 4, 23-25, 31, 33-35, 39, 41, 45, 47-50, 52, 59, 62, 105, 132, 133, 301.

conception spatiale, 153, 178, 186.

consonne, 67, 86, 156, 181.

contenu, 93, 100, 105, 117, 125, 133, 154, 158, 202, 211, 212, 235, 276, 278, 291, 296, 303, 304, 306.

convention, 4, 9, 18, 19, 28, 33, 34, 35, 37, 39, 45, 51, 52, 57, 58, 131, 132, 134-136, 298, 308, 316.

costui, 203, 206, 180, 220.

cotesto, 203, 204, 210, 211, 213, 214.

couple dialogal, 150, 160, 165, 167, 169, 180, 190-193, 195-198, 201, 214, 216, 217, 231, 252, 270.

D
démonstratifs, 5, 7, 15, 16, 113, 142, 143, 149, 150-159, 161-172, 174-193, 195-199, 201-204, 206, 207,
209-211, 213, 214-220, 222, 225-229, 231, 233, 234, 240, 241, 245-247, 251-253, 257, 258, 264, 265,
269, 270-273, 275, 283, 284, 286, 287, 291, 292, 295-297, 304, 305, 307, 322, 400, 409, 415.

désinence, 48, 157, 159, 177.

déterminatif, 155, 178, 181, 182, 185, 186, 189, 284.

diachronie, 10, 15, 51, 71, 226.

429
diachronique, 8, 22, 29, 135, 176, 203, 217, 274, 319, 325.

dialecte(s), 33, 79, 203, 214, 274.

dialogue, 3, 81, 164, 169, 179, 190, 196, 201, 208, 213-215, 219, 221, 230, 281, 285, 287, 292.

discours, 12, 15, 31, 32, 40, 46, 48, 54-57, 60, 62, 63, 86, 88, 99, 107, 114-116, 121, 122, 143, 146, 147,
149, 150, 152, 162, 169, 170, 176, 180, 181, 185, 187, 192, 195, 199, 210, 212, 214-216, 218, 220, 221,
226, 234, 246, 247, 250, 251, 258, 265, 283, 284, 289, 290, 295-298, 304, 305, 320.

distance, 143, 152, 155, 156, 180, 183, 184, 186, 196, 198, 200, 202, 203, 207, 215-217, 220, 221, 226,
227, 231-233, 241, 246, 257, 264, 269, 271-274, 283, 286, 300, 305.

E
éloignement, 90, 93, 152, 162, 164, 170, 178, 187, 190, 191, 193, 194, 196-198, 203, 204, 206, 208, 210,
216, 217, 219, 220, 221, 231, 241, 250, 269, 272, 283.

émotion, 17, 124, 328.

énonciation, 78, 127, 144, 152, 179, 187, 196, 198, 207, 208, 210, 215, 216, 218, 241, 250, 251, 281, 282,
289, 295, 312.

espace, 5, 14, 23, 27, 30, 71, 85, 86, 89, 108, 113, 114, 116, 117, 119, 124, 129, 132, 136, 142, 143, 146-
150, 152, 154, 157, 159-162, 168-171, 174-176, 179, 181, 183-199, 201, 202, 205-210, 213- 217, 219-
221, 225-227, 229, 231, 233, 234, 241, 245, 246, 250-253, 257, 265, 269-272, 275, 284, 286, 297, 304,
305, 319.

espagnol, 326.

externe, 54, 80, 165, 167, 171, 191-193, 199, 212, 217, 231, 264, 167.

F
féminin, 99, 110, 129, 134, 156, 157, 160, 164, 167, 171, 176, 177, 203, 284.

forme, 10, 11, 15, 19, 20, 24, 25, 29, 31-33, 44-47, 49, 50, 66, 67, 85, 87, 88, 111, 134, 148, 152, 154,
156, 157, 159, 164, 203, 211, 214.

français, 79, 100, 130, 150, 164, 178, 198, 250.

fusion(e), 252.

G
généralisation (processus général), 24, 111, 197, 200, 202, 203, 207, 209, 211, 212, 215, 220, 221, 226,
231, 232, 235, 252, 275, 282.

générativisme, 9, 276.

génitif, 159, 194.

genre, 203.

430
gestalt, 72, 88, 134, 211, 276.

H
hic, 145, 146, 148-152, 154-159, 161-163, 165, 169, 171, 174, 177-179, 182, 183, 188-194, 196, 199,
227, 228, 234, 252, 257, 270, 287, 290, 295, 305, 321.

historique, 10, 12, 13, 33, 52, 54, 154, 160, 172, 176, 177, 196, 197, 202, 220, 299, 315, 320, 323, 324,
327.

I
idem, 155, 163, 164, 176, 179, 181-186, 188, 189, 213.

iconicité, 26, 30, 31, 127, 272, 315.

ille, 154-157, 161-165, 168, 170, 171, 174, 177, 182, 189-196, 199, 227.

imitation, 20, 136, 279.

implicite, 155, 180.

indéfini, 140, 156, 164, 173, 174, 176, 226.

indoeuropéen, 5, 13, 30, 31, 51, 79, 113, 116, 121, 129, 134, 135, 143, 151, 153, 154, 156, 159, 160, 162,
164-166, 172-176, 180, 182, 186, 189, 197, 215, 226, 311, 321.

indoeuropéennes, 79, 116, 151, 197, 226.

intérieur, 13, 21, 49, 54, 81, 112, 117, 131, 132, 135, 168, 197-199, 213.

interlocuteur(s), 56, 62, 67, 76, 81, 83, 113-115, 117, 133, 142, 143, 146-148, 150, 152, 155, 157, 159-
162, 168-171, 175, 179-181, 183-187, 189-201, 205, 207-211, 213, 214, 216, 220, 227, 231, 232, 250-
253, 265, 270-272, 284-287, 296, 297, 301, 305, 307.

interne, 23, 80, 160, 167, 184, 198, 246, 253, 264, 269, 289, 296.

intersubjective (intersubjectif), 32, 33, 75, 137.

ipse, 155, 159, 161, 163, 169, 176-183, 186, 188, 189, 194, 203, 213, 214, 218, 219, 222.

is, 155-157, 160, 161, 163-178, 180-182, 184, 186, 188-190, 192-194.

iste, 154, 156, 159-163, 165, 171, 174, 177, 178, 182, 189-194, 196, 197, 199, 203, 207, 220, 227, 321.

L
langage, 4-5, 7-9, 11-14, 18-22, 25-27, 29-32, 38, 39, 47, 49-58, 60, 62, 63, 64, 66, 67, 69, 71, 72, 74-81,
83-85, 89, 90, 94, 96, 106, 108, 110, 112, 113, 117-128, 131-138, 141, 142, 144, 146, 149-151, 167, 171,
185, 187-189, 191-193, 201, 202, 211, 212, 214-218, 222, 225, 227-229, 232, 233, 241, 251, 257, 264,
272, 275, 276, 278-280, 283, 284, 287, 289, 296, 298-308, 310, 312-314, 316, 326-329.

langue, 4, 7-14, 21-27, 29-34, 39-42, 44, 47-60, 62-72, 74-7, 78, 80, 81, 83-87, 89, 90, 93, 94-97, 104,

431
109, 110, 111, 114, 116, 118, 119, 121, 125, 127, 128, 131, 132, 133, 137, 141, 145, 146, 151, 154, 156,
161, 163, 171, 172, 176-178, 189, 202, 204, 212, 216, 217, 226, 227, 229, 233, 234, 272, 280, 298, 299,
308, 310, 311, 315, 316, 320, 321, 323, 324, 327.

langues romanes, 84, 171, 177, 182, 198, 215, 325, 326.

latin, 13, 22, 24, 29, 30, 34, 51, 121, 129, 130, 143, 154, 157, 159-161, 163, 164, 167, 168, 174, 182, 189,
190, 196, 197, 201, 203, 204, 213-219, 222, 270, 313, 317, 320, 321, 323, 326.

Lei, 203, 220, 266, 292, 344, 363, 377, 381, 384, 387, 390, 391, 393, 397, 417, 420.

limite(s), 152, 165, 169, 189, 190, 191, 193, 196, 197, 199, 200, 212-218, 227, 232, 252, 270, 277.

locuteur(s) 4, 7-9, 12-15, 21, 22, 24, 27, 30-32, 34, 37, 38, 46, 49-52, 54-56, 58-60, 65-72, 74-76, 83, 90,
98, 100, 106, 110-116, 118, 121, 122, 127-130, 132, 133, 136-138, 141-144, 146, 148-152, 156-159, 167,
169, 170, 175, 179, 183, 184, 188-197, 199-201, 205-208, 210, 211, 214-217, 220, 225, 227, 228, 232,
252, 270, 271-273, 294, 296, 299, 300, 302, 305, 309, 310.

M
masculin, 99, 156, 157, 160, 167, 171, 176, 177, 203.

mère, 86, 101, 199, 222.

mode(s) (déictiques), 117, 143, 145, 149, 151, 152, 154.

Moi, 104, 124.

monosyllabiques, 156, 171.

morphogenèse, 212, 303.

morphologie, 152, 302, 320.

morphologique(s), 10, 70, 100, 154.

motivation, 3-4, 7, 13, 15, 24, 25, 27, 33, 40, 53, 55, 57, 58, 70, 128, 141, 227, 298, 308, 316.

mouvement(s) 5, 12, 14, 24, 29, 30, 39, 45, 54, 57, 62-64, 66, 89, 97, 107, 115, 124, 141, 154, 174, 175,
198, 209, 212, 213, 217, 221, 227, 252, 274, 276, 278, 279, 303, 304, 328.

N
néostandard, 220.

neurones miroirs, 278, 279, 329.

neutre, 156, 157, 160, 167, 171-173, 177, 181, 182, 203.

nominatif, 156, 157, 159, 161, 167, 171, 173, 176, 177.

notion(s), 5, 7, 13, 14, 28, 29, 44, 46, 51, 55, 72, 78, 81, 82, 85, 93, 96, 100, 110, 118-120, 122, 133, 134,
152, 154, 178, 187, 190-192, 196, 212, 213, 215, 228, 246, 250, 252, 274, 277, 279, 289-291, 298, 303,
310.

432
O
objectal, 112.

objet(s), 9, 11, 12, 15, 19, 37, 38, 51, 55, 58-61, 68, 74, 75, 78-81, 84, 85, 88, 89, 94, 97, 110-113, 115-
122, 124, 131, 135, 136, 142, 149-152, 156, 157, 161, 163, 165, 168, 169, 172, 181, 187, 195-200, 214,
216-218, 220, 225, 229, 252, 270-272, 279, 281, 289, 291, 292, 297, 298, 300, 301, 303, 305.

organon (langage), 4, 7, 13, 51, 60, 61, 72, 76-80, 89, 133.

P
parole, 7, 9, 22, 55, 63, 70, 72, 76, 82, 111, 133, 134, 198, 211, 241, 257, 277, 282, 298, 300-302, 307,
310.

particularisation, 5, 13, 14, 24, 53, 56, 57, 62, 70, 90, 97, 131, 191, 200, 211-213, 303, 304.

particulier, 29, 38, 57, 100, 212.

personne délocutée, 152.

physionomie acoustique, 5, 7, 14, 15, 24, 33, 47, 50, 51, 53, 55, 56, 66, 70-72, 83-86, 89, 91, 92, 96, 98-
100, 105-108, 111, 121, 124, 125, 127, 130, 133, 135-137, 142, 146-148, 191, 197, 225, 274, 275, 284,
303, 304, 317.

phonème(s), 15, 26, 29, 30, 39, 41-47, 49-52, 59, 61, 62, 67, 68, 72, 83, 85, 87, 89-98, 100, 105, 107, 109,
111, 122, 129, 130, 132, 133, 300, 314.

phonétique(s), 13, 22, 30, 43-45, 62, 90, 93, 96, 133, 137, 174, 299, 300, 324, 329.

phonologique(s), 10, 14, 23, 42, 47, 49, 55, 85-87, 89, 92-95, 133, 141, 145, 277, 299, 300.

pluriel(s), 23, 156, 157, 160, 167, 173, 203, 218.

pluriel interne, 23.

point d’arrivée, 165, 191, 194.

point de départ, 39, 58, 74, 114, 154, 191, 193, 212, 213.

portugais, 326.

position, 28, 44, 46, 67, 86, 113, 114, 116, 118, 124, 130, 144, 145, 147, 148, 151, 152, 157-162, 168,
175, 179, 181, 183, 187, 191-194, 201, 210, 211, 214-217, 220, 227, 251-253, 271, 272, 305, 307.

possessif(s), 159, 176, 183, 194, 226, 307, 322, 323, 325.

possession, 226, 323, 325.

préposition, 14, 164, 217.

pronom(s), 140, 145, 150, 154, 155, 157-165, 167, 168, 170-184, 186, 189, 190, 193, 194, 197, 203, 207,
208, 213, 218-222, 225, 226, 228, 234, 270, 273, 283, 313, 319, 324.

proximité, 84, 143, 152, 156, 159, 187, 190, 191, 193, 197, 199, 203-206, 208-211, 213, 216-219, 232,
241, 252, 272, 273, 276, 278, 286.

433
psychique(s), 5, 8, 9, 12, 13, 30, 42, 45-47, 49, 54, 74, 75, 94, 95, 141, 154, 191, 211, 276, 277, 289, 300.

psychologie, 7-9, 14, 45, 55, 84, 85, 110, 123, 138, 142, 276, 277, 289, 303, 311, 327, 328.

psychisme, 4, 8, 52, 54, 142, 172, 202, 211.

physique (réalité), 95, 112.

psychomécanique, 14, 53, 154, 193, 202, 211, 213, 303, 306, 322, 327, 328.

psychophysique (réalité), 5, 8, 9, 32, 46, 52, 112, 128, 129, 134, 141, 300.

Q
quantité, 26, 70.

quello, 114, 115, 170, 179, 193, 195, 196, 198-200, 203-208, 214, 215, 219, 227, 233, 237, 239, 241, 242,
245, 246, 248, 253, 254, 257, 258, 260, 265-267, 269-272, 275, 283, 291, 297, 332, 335, 342, 346, 353-
355, 362, 363, 374-377, 379, 387, 388, 390.

questo, 114, 115, 169, 179, 183, 184, 197, 198, 200, 203-206, 208, 214, 215, 220, 227, 231-236, 238-241,
245-250, 255, 257-261, 264, 166, 268, 269, 271, 272, 275, 286-288, 294, 297, 331-333, 335-338, 343,
346, 348, 349, 351, 353, 354, 356, 357, 365, 368, 369, 374-378, 383, 384, 387-391, 395.

R
radical, 161, 163, 171.

radicaux, 156, 166, 175.

représentation(s) (Darstellung), 4, 7, 8, 11-13, 27, 38, 42, 51, 57, 58, 60, 61, 75, 77-81, 83, 110, 111, 119-
121, 123, 127, 129-132, 135, 136, 138, 141, 142, 152, 296, 299, 300-304, 309, 310, 313.

représentation (Vorstellung), 78, 79, 301, 310.

résultat, 31, 33, 35, 36, 39, 43, 50, 51, 54, 75, 129, 131, 135, 178, 216, 228, 272, 280, 301, 304.

roumain, 326.

S
sémantique(s), 23, 30, 34, 37, 43, 51, 55, 74, 77, 78, 80, 82, 119, 120, 122-124, 126, 127, 133, 143, 170,
184, 187, 189, 191, 195, 204, 209, 213, 215, 227, 229, 269, 275, 283, 284, 286, 304, 307, 323.

sémiologique, 49, 87, 92, 191, 217, 233, 245, 252, 257, 275, 304.

sens, 10, 14, 27, 32, 33, 35, 41, 42, 45, 50, 59, 65, 68, 69, 71, 78, 80, 84, 89, 92, 109, 110, 113, 114, 119,
122, 125, 129, 141, 146, 161, 177, 258, 274, 275, 280, 283, 284, 287, 296, 303, 304, 308, 316, 319, 328.

signe(s), 3-4, 7, 8, 12, 13, 15, 18, 21-27, 31, 33, 37-39, 41, 43, 45-50, 52, 54, 55, 57-60, 62, 66, 74, 75,
78-81, 97, 98, 108-112, 118-123, 127, 128, 132, 134-136, 141, 142, 149, 158, 195, 202, 227, 246, 264,
279, 287, 289, 290, 298-302, 308-310, 313, 316.

signifiant, 4, 14, 18, 19, 21-23, 26-28, 38-42, 44, 46, 49-53, 57, 58, 79, 80-82, 90, 94, 95, 99, 109, 121,

434
122, 128, 129, 136, 138, 142, 298, 299, 301, 308, 309, 316.

signifié(s), 4, 14, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 25-28, 34, 35, 36, 48, 49, 53, 57, 58, 60, 79-84, 86, 90, 93, 94, 98,
99, 107, 108, 109, 120, 121, 128, 129, 134, 136, 142, 144, 150, 198, 200, 205, 241, 252, 280, 283, 298,
301, 302, 308, 309.

singulier, 23, 33, 43, 156, 157, 159, 160, 164, 167, 174, 203, 212

sphère, 32, 74, 113, 144, 158, 162, 165, 167, 169-171, 179, 180, 183, 193, 195-201, 209, 210, 214-217,
220, 252, 270, 272, 305.

standard, 220, 316.

structuralisme, 5, 9, 10, 11, 41, 45, 276, 277, 298.

substantif, 108, 155, 157, 163, 165, 171, 172, 222, 225.

symbiose, 217.

synchronie, 10, 226.

synchronique(s), 11, 29, 31, 204, 287, 304, 319, 22, 61.

syntaxique(s), 10, 15, 42, 85, 119, 169-171, 174, 184, 185, 206, 208, 228, 246, 264, 270, 323.

systématique(s), 13, 51, 59, 118, 154, 212, 274, 303, 310, 326.

T
temps opératif, 154.

U
univers, 12, 121, 154, 190, 202, 234, 307.

universel, 22, 57, 63, 154, 212, 213, 227, 303, 304, 308.

universelle(s), 26.

Umfeld, 108, 119, 122, 123, 147, 192, 193, 195, 228.

V
verbal, 31, 36, 56, 75, 83, 90, 105, 106, 108, 119, 147-149, 152, 154, 162, 165, 184, 186, 189, 199, 209,
211, 220, 227, 229, 235, 257, 258, 271, 274, 280, 282, 283, 304.

verbales, 27, 38, 83, 91, 100, 106, 138, 186, 189, 227, 279.

verbe, 34, 36, 79, 82, 133, 150, 151, 154, 157, 170, 317.

visée, 57, 62, 63, 122, 191, 250.

visuel, 117, 145, 158, 185, 192, 193, 195, 252, 264, 289, 305.

435
visuelle, 78, 116, 117, 152, 162, 170, 192, 194, 197, 205, 220, 235, 274, 305.

vocalique(s), 90, 133, 217, 274, 300.

voyelle(s), 14, 26, 67, 85, 86, 91, 156, 202, 203, 274, 322.

436
TABLE DES MATIÈRES

Remerciements : p. 3

Introduction générale : p. 4

Première partie : « La motivation et la physionomie acoustique de la parole »

Introduction : p. 8

I
Historique des théories arbitraristes : la ligne Aristote- Saussure.
§ 1. Le paradigme de l’arbitraire: la meilleure base possible. p. 18
§ 2. Le κατὰ συνθήκην (katá synthêkên) aristotélique : une thèse conventionnaliste ? p. 28
§ 3. Saussure, la motivation et la linéarité du signifiant. p. 40
§ 4. La psychomécanique du langage et les principes théoriques guillaumiens. p. 53
§ 5. Le trois anti-arbitraire : Zipf, Frei, Jespersen. p. 64

II
La prospective holistique de la Gestalt, la physionomie acoustique de la parole et le
concept de « champ » en linguistique.

§ 1. La fonctionne instrumentale du langage. p. 74


§ 2. La perception gestaltique des phénomènes linguistiques :
la physionomie acoustique de la parole. p. 83
§ 3. Le phonème comme nota au diakritisches Signalement :
les traits phonématiques des mots. p. 92
§ 4. La physionomie acoustique des mots entre la dimension symbolique et déictique. p. 108
§ 5. La physionomie des mots comme représentation à l’arbitraire limité. p. 128

Deuxième partie : « Le cas des démonstratif latins et leurs issues en italien »

III
Un regard rétrospectif sur les démonstratifs : pour une dimension déictique de
l’interprétations du sens.

§ 1. Introduction à la deuxième partie : la déixis. p. 141


§ 2. Les démonstratifs dans le système indo-européen: représentation de l’espace. p. 154
§ 3. Les démonstratifs dans le système latin: représentation de l’espace. p. 189
§ 4. Les démonstratifs dans les systèmes italien et français: représentation de l’espace. p. 201
§ 5. Glose de clôture. Sur la fonction déictique du pronom esso (continuateur de ipse). p. 218

IV
Les démonstratifs et leurs issues en italien : vers la suprématie du tout sémiotique et
d’une théorie des deux champs du langage.
§ 1. La suprématie du tout sémiotique sur les parties. p. 225
§ 2. Le Graphic Novel comme dynamique de la théorie des deux champs du langage :
représentation sémiologique de l’espace. p. 233

437
§ 3. Graphic Novel, contextes et moments de champ :
vers un mouvement généralisant de la pensée dans l’interprétation du sens. p. 274
§ 4. Actualité de Bühler : la déixis anaphorique et la déixis à l’imaginaire comme
précurseurs ante litteram des notions d’exophore et d’endophore. p. 291

Conclusion : p. 298

Bibliographie : p. 311

Annexes : p. 331

Index Nominum : p. 423

Index Rerum : p. 428

438

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