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Cours de l’analyse du discours

Département de Langue et littérature françaises


Filière : Etudes françaises
SEMESTRE 6

Professeur : CHALFI
Année universitaire
2019 /2020

UMI-FPE / SEMESTRE 6 / ANALYSE DU DSCOURS /


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PROF. CHALFI
Plan du cours
I / Essai de définitions
1. Discours
2. Discours / Texte
II / Principales notions de l’énonciation
1. Qu’est-ce que l’énonciation ?
2. Enoncé et énonciation
3. Situation de l’énonciation
4. Dimension référentielle et modale de l’énonciation
III / Déictiques
1. Définition
2. Plans de l’énonciation
IV / Modalisation ou marques lexicales de la subjectivité

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I / Essai de définition
1. Discours
La grande extension du concept discours le rend difficile à appréhender. Tantôt,
il est synonyme de la parole au sens saussurien, tantôt il désigne un message pris
globalement.
Dans l’œuvre de Benveniste (1966), il est défini comme "toute énonciation
supposant un locuteur et un auditeur et chez le premier l’intention d’influencer
l’autre en quelque manière" (p.242).
En effet, s’il est nécessaire de remonter au cours de linguistique générale (CLG)
de Saussure, c’est précisément pour construire le concept de discours sur une
remise en cause de celui de parole. Pour Saussure, la langue est une réalité sociale
et la parole est une réalité individuelle.
En séparent la langue de la parole, on sépare ce qui est social de ce qui individuel,
ce qui est essentiel de ce qui est accessoire et plus ou moins accidentel.
En outre, la langue n’est fonction du sujet parlant, elle est un produit que
l’individu enregistre passivement, elle ne suppose jamais de préméditation, alors
que la parole est un acte individuel de volonté et d’intelligence.
Autrement dit, la langue relève de la mémoire et de l’image de dictionnaire. Etant
donné les caractères qui permettent d’opposer langue et parole, on comprend que
la phrase ne relève pas de la langue mais de la parole, lieu de l’activité et de
l’intelligence.
Avec Kerbrat-Orecchioni, le discours ou "langage mis en action", tandis que du
point de vue de Dominique Maingueneau (1976), "le discours n’est pas un objet
concret offert à l’intuition, mais le résultat d’une construction (…), le résultat de
l’articulation d’une pluralité plus ou moins grande de structurations
transphrastiques, en fonction des conditions de production" (p.16).

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Parmi les reproches adressés à Saussure :
- Occultation du contexte dans lequel a été définie la linguistique
structurale.
- Étudier la structure du texte en lui-même et par lui-même, en rejetant
toute considération extérieure.
Les travaux des formalistes russes (le nom que l’on donne au groupe de jeunes
soviétiques, qui, dans les années 1910-1920, ont jeté les fondements et entrepris
les premières analyses concrète dans le domaine de l’analyse structurale des
formes littéraires) ont permis de dégager une logique des enchainements
transphrastiques, dans le domaine du conte folklorique. Les recherches de Propp
sont maintenant bien connues en France et elles ont permis de construire les
premières esquisses de syntaxe narrative, de logique du récit.
C’est dans les années 50, que s’exercent des actions beaucoup plus décisives sur
la constitution de l’analyse de discours. On assiste bien à l’extension des
procédures de la linguistique distributionnelle américaine, à des énoncés qui
dépassent le cadre de la phrase nommées « discours » par Zellig Harris en 1952,
et les travaux de Roman Jakobson et Emile Benveniste sur l’énonciation.
Harris est le premier linguiste à étendre directement les procédures utilisées pour
l’analyse des unités de la langue, à des énoncés dépassant le cadre de la phrase.
Prenons par exemple le discours suivant :
(a) L’étudiante est gravement malade.
(b) Elle a besoin de notre soutien.
Le pronom personnel ʺelleʺ de la phrase (b) n’est pas interprétable à l’intérieur de
cette phrase ; il ne peut l’être que via un élément qui apparait dans la phrase (a)
du même discours, c'est-à-dire que l’élément anaphorique ne peut être interprété
qu’au sein du discours dans sa totalité.
On comprend rapidement l’intérêt de l’établissement et la validation du discours
ʺtexteʺ, comme un objet d’étude dépassant la dimension de la phrase.

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À l’inverse, Benveniste et Jakobson cherchent à dégager comment le sujet parlant
s’inscrit dans les énoncés qu’il émet : autrement dit, à une langue conçue comme
un répertoire de signes combinés systématiquement entend à substituer l’idée que
le locuteur s'approprie l'appareil formel de la langue et il énonce sa position de
locuteur par des indices spécifiques.
Selon les termes de Benveniste, le locuteur pose de même un certain type de
rapport à son propre énoncé et au monde.
La constitution d’un champ de recherche autonome dont l’objet est le ʺdiscoursʺ,
s’inscrit de façon générale dans le cadre de l’évolution des sciences du langage à
partir des années soixante. L’analyse de discours entretient avec la linguistique
des rapports complexes qui sont toujours en situation de redéfinition constante,
car il s’agit plus d’un mouvement scientifique qui se situe à la croisée des
chemins, ayant son objet, ses cadres méthodologiques et ses notions, qu’une
discipline circonscrite comme un bloc homogène. En dépit de la diversité des
approches en analyse de discours, des théories et des notions qui y sont
impliquées, toutes les voies convergent vers la définition unique de son objet par
GRAWITZ (1990 : 345) qui soutient que toutes les recherches en ce domaine
‹‹ (...) partent néanmoins du principe que les énoncés ne se présentent pas comme
des phrases ou des suites de phrases mais comme des textes. Or un texte est un
mode d’organisation spécifique qu’il faut étudier comme tel en le rapportant aux
conditions dans lesquelles il est produit. Considérer la structure d’un texte en le
rapportant à ses conditions de production, c’est l’envisager comme discours››.
Discours = Énoncé + Conditions de production
La question du discours n’est pas énoncée dans le CLG de Ferdinand de
SAUSSURE qui circonscrit le domaine de la linguistique comme une étude de la
langue, elle-même définie comme un ʺsystème de signesʺ. Sa théorie repose sur
une opposition langue/parole qui recoupe l’opposition société / individu. La
recherche en linguistique s’oriente ainsi vers l’étude du système de la langue par

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opposition aux manifestations individuelles de la parole. La séparation langue /
parole présuppose du coup une opposition entre ce qui est social et ce qui
individuel. Par rapport à cette opposition, le discours est le tiers-exclu. La
première mise en cause de l’opposition saussurienne qui réhabilite la parole
apparaît en 1909 chez Charles BALLY, dans son traité de stylistique. Celui-ci
expose les principes d’une linguistique de la parole qui ouvre la voie de la
recherche sur la relation entretenue par le sujet parlant, son discours et le contexte.
L’instabilité de la notion de discours rend dérisoire toute tentative de donner une
définition précise du discours et de l’analyse de discours. On peut dans ce cas
expliquer pourquoi le terme de discours recouvre plusieurs acceptions selon les
chercheurs ; certains en ont une conception très restreinte, d'autres en font un
synonyme de "texte" ou “d'énoncé”. On peut déjà dire que le discours est une
unité linguistique de dimension supérieure à la phrase (transphrastique), un
message pris globalement. Pour L. GUESPIN, c'est ce qui s'oppose à l'énoncé ;
c'est-à-dire que : ‹‹l'énoncé, c'est la suite des phrases émises entre deux blancs
sémantiques, deux arrêts de la communication ; le discours, c'est l'énoncé
considéré du point de vue du mécanisme discursif qui le conditionne›› (1971).
Le terme de ʺdiscoursʺ désigne aussi un ensemble d'énoncés de dimension
variable produits à partir d'une position sociale ou idéologique ; comme c'est le
cas par exemple de la déclaration d'une personnalité politique ou syndicale. Par
discours, on envisage aussi la conversation comme type particulier d'énonciation.
En partant du mode de fonctionnement de l’énonciation, BENVENISTE (1966)
oppose le discours à la langue qui est un ensemble fini relativement stable
d'éléments potentiels. C’est le lieu où s'exercent la créativité et la
contextualisation qui confèrent de nouvelles valeurs aux unités de la langue. Il
définit ensuite l'énonciation comme :
« L'acte individuel par lequel un locuteur met en fonctionnement le système de la
langue ; “la conversion de la langue en discours” »(1970)

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Le discours, selon Benveniste, est cette manifestation de l’énonciation chaque fois
que quelqu’un parle. Cette définition de Benveniste semble entretenir un lien avec
celle que Jean-Michel ADAM (1989) énonce de la manière suivante : “(…) un
discours est un énoncé caractérisable certes par des propriétés textuelles mais
surtout comme un acte de discours accompli dans une situation (participants,
institutions, lieu, temps)”.
2. Discours / Texte
Si dans un passé récent, le terme de discours ne référait qu’à une production orale,
de nos jours, celui-ci recouvre non seulement le discours oral mais aussi le texte
écrit ; c'est-à-dire qu'il s'applique aux énoncés oraux et écrits.
C. FUCHS (1985: 22), qui ne fait pas de distinction entre texte et discours avance
la définition suivante : ‹‹objet concret, produit dans une situation déterminée sous
l'effet d'un réseau complexe de déterminations extralinguistiques (sociales,
idéologiques) ››.
Oswald Ducrot et Jean Marie Schaeffer, dans Nouveau dictionnaire
encyclopédique des sciences du langage (Seuil, 1972 ; 1995), considèrent que :
« La notion de texte, largement utilisée dans le cadre de la linguistique et des
études littéraires, est rarement définie de manière claire : certains limitent son
application au discours écrit, voire à l’œuvre littéraire ; d’autres y voient un
synonyme de discours ; certains, enfin, lui donnent une extension trans-
sémiotique, parlant de texte filmique, texte musical, etc.»
Il semble qu'il n'y ait pas de mot plus polysémique que “discours” dans le champ
de la linguistique. En effet, ce terme connaît non seulement des emplois variés
mais aussi des délimitations assez floues. De cette pluralité de définitions, il se
dégage chez tous les auteurs que le discours désigne toute réalisation orale ou
écrite par un sujet, de la dimension de la phrase ou au-delà (succession de phrases :
texte) et ainsi que son contexte.

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Pour Michel ARRIVÉ (1986) ‹‹le discours peut être conçu comme une extension
de la linguistique, ou comme symptôme d'une difficulté interne de la linguistique
(particulièrement dans le domaine du sens), rendant nécessaire le recours à
d'autres disciplines››.
II / Principales notions de l’énonciation
1. Qu’est-ce que l’énonciation ?
Benveniste définit l’énonciation comme : la mise en fonctionnement de la langue
par un acte individuel d’utilisation (1974 p.80), c'est-à-dire que l’énonciation est
cet acte physique et mental de mise en fonctionnement de la langue, acte par
lequel, le locuteur s’approprie la langue.
Soit l’énoncé suivant : ʺ Je suis fatiguéʺ, élément d’un corpus. Il constitue en tant
que fait de parole un matériau à travers lequel le linguiste peut appréhender l’objet
abstrait qui est la langue. Mais une description syntaxique et/ou lexicale ne peut
suffire à indiquer les informations fournies par ce message. Sa valeur informative
est tout à fait différente selon qu’elle est prononcée par Pierre ou par Paul, tel jour
ou tel autre jour ; elle dépend du moment où le message est dit, de la situation, du
locuteur, en bref, des circonstances de l’énonciation. Ces circonstances agissent
sur certains éléments de l’énoncé et sont donc responsables des variations du
contenu informatif :
Le pronom « je » et le temps verbal « présent » désignent des personnes et des
époques différentes selon qu’on fait varier les conditions de la parole. Donc, dans
la description de la langue, on peut ajouter aux concepts méthodologiques de
langue et de parole, les phénomènes liés à l’acte de l’énonciation.
L’énonciation, acte de production linguistique, s’oppose à l’énoncé, résultat de
l’énonciation. On peut la définir de l’actualisation des phrases dans une situation
précise.
Ce qui intéresse surtout le linguiste, c’est l’utilisation de certains signes de la
langue dont le sens va changer avec les circonstances de l’énonciation. On utilise

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des mots déictiques Shifters, embrayeurs (Jakobson), pour désigner les
expressions où le référent n’est pas définitif est immuable, on peut ainsi
opposer « demain », (jour qui suit le jour où je parle) à le « lendemain », (jour
qui suit n’importe quel jour). Emile Benveniste a exposé dans plusieurs chapitres
de Problèmes de linguistique générale (PLG) que l’énonciation est directement
responsable de certaines classes de signes, qu’elle promeut littéralement à
l’existence. ʺjeʺ dénote l’individu qui profère l’énonciation ; ʺtuʺ l’allocutaire,
celui à qui s’adresse le discours ; dans chaque situation d’énonciation, « je » et
« tu » désignent à neuf. Il en est de même du temps verbal « présent » qui coïncide
avec le moment de l’énonciation des déictiques indiciels qui se réfèrent au lieu et
au temps de la locution (adverbes de lieu et de temps comme ici, maintenant ;
démonstratifs comme ce, cette…)
2. Énoncé et énonciation
Parmi les linguistes français, E. Benveniste (1902-1976) parait avoir été le
premier à relever systématiquement dans ses articles des faits analogues à ceux
que d’autres ont à la même époque au plus tard, rangés sur la rubrique
pragmatique. On lui attribue, avec raison, le mérite d’avoir clairement séparé
l’énoncé et l’énonciation et souligné l’intérêt d’étudier cette dernière.
« Si l’énonciation est l’acte de produire un énoncé, celui-ci est la réalisation de
cet acte, le message oral ou écrit » Van den Heuvel, p.18.
Dans une communication écrite, «l’énonciation ne saurait s’étudier que dans
l’énoncé dont une série de termes ne prennent leur sens qu’en référence à l’acte
de production, à la situation d’énonciation (je-ici-maintenant) » idem.
On s’intéresse donc aux sujets parlant et on précise toutefois que c’est surtout au
sujet parlant ou écrivant, plus qu’à l’auditeur ou le lecteur que se sont intéressés
les approches énonciatives.

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Benveniste insiste aussi sur la nécessité de ne pas confondre l’énonciation et
l’énoncé qui est le résultat de l’acte de l’énonciation, c’est-à-dire le produit de cet
acte.
L’énonciation ne se produit jamais deux fois identique à elle-même. Même si
chaque énonciation est un acte individuel, un événement unique, la linguistique
de l’énonciation veut montrer que tout ne relève pas de l’individuel, mais qu’il
existe des caractéristiques invariantes, communes à chaque acte individuel.
E. Benveniste montre, en effet, que l’énoncé contient des indices, des traces de
l’acte de l’énonciation dont il est le produit et l’analyse de ces indices va nous
permettre de comprendre des propriétés, des caractéristiques de l’énonciation et
les procédés linguistiques impliqués dans la production d’un énoncé (embrayage,
modalisation).
Certaines caractéristiques que l’on retrouve dans tout acte d’énonciation sont des
éléments que Benveniste appelle l’appareil formel de l’énonciation, autrement
dit, le dispositif de l’énonciation.
Dans son chapitre intitulé ʺL’appareil formel de l’énonciationʺ du PLG2,
Benveniste présente ce dispositif comme suit « En tant que réalisation
individuelle, l’énonciation peut se définir par rapport à la langue comme procès
d’appropriation. Le locuteur s’approprie l’appareil formel de la langue et il
énonce sa position de locuteur par des indices spécifiques (…). Mais
immédiatement, dès qu’il se déclare locuteur et assume la langue, il implante
l’autre en face de lui, quel que soit le degré de présence qu’il attribue à cet
autre. Toute énonciation est une allocution, elle postule un allocutaire (…).
Enfin, dans l’énonciation, la langue se trouve employée à l’expression d’un
certain rapport au monde. (…) la référence est partie intégrante de l’énonciation
(…). L’acte individuel d’appropriation de la langue introduit celui qui parle
dans sa parole. C’est là une donnée constitutive de l’énonciation (…). Cette
situation va se manifester par un jeu de formes spécifiques dont la fonction est

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de mettre le locuteur en relation constante et nécessaire avec son énonciation »
p.82
3. Situation de l’énonciation
 Un temps : le moment du déroulement de l’énonciation.
 Un lieu : l’endroit où a eu lieu l’énonciation
 Des acteurs : celui (ou ceux) qui parle(nt) et celui (ou ceux) à qui il(s)
s’adresse(nt). On trouve locuteur ou énonciateur pour celui qui parle ;
allocuteur, interlocuteur ou énonciataire pour celui à qui il s’adresse.
Pour définir une situation d’énonciation, on doit répondre à trois questions :
Qui parle à qui ? / À quel moment ? / À quel endroit ?
Ex.
Un débat politique à la télé qui réunit trois hommes politiques appartenant à de
partis différents, un sociologue et un modérateur (celui qui régule le débat)
Acteurs : les invités au débat et le modérateur sont des locuteurs ; les
interlocuteurs sont les invités, le public qui assiste à l’enregistrement de
l’émission et les téléspectateurs. Les hommes politiques et le sociologue ne sont
pas sur le plateau pour parler entre eux du débat, car leur but ultime en passant à
la télé était bien sûr de convaincre l’auditoire.
Lieu : le plateau de la télévision et pour le public qui regarde la télé, il s’agit bien
de lieux divers.
Temps : le moment de l’enregistrement / le moment de la diffusion. Si ce sont les
mêmes, l’émission est en direct, sinon, elle est en différé. À la télé comme à la
radio parfois, le direct reste rare mais des stratégies sont mises en place pour faire
comme si on était en direct.
4. Dimension référentielle et la dimension modale de toute énonciation
Les linguistes de l’énonciation ont mis en évidence que toute énonciation
comporte à la fois une dimension référentielle et une dimension modale.

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-La dimension référentielle : On parle également de mécanisme de
référence ou univers référentiel. C’est le fait que, quand on parle de quelque chose
on se réfère à quelque chose. D’après Reigel, l’accès de référence consiste à
utiliser des formes linguistiques (mots, syntagmes, phrases) pour évoquer des
entités (Objets, personnes, propriétés, procès, entités…) appartenant à des univers
réels ou fictifs.
Le référent est l’élément auquel le signe linguistique renvoie qui pourrait être un
élément du monde physique ou mental ou un élément du texte.
- La dimension modale : Lorsqu’un locuteur parle, il ne fait pas que
référer à des objets du monde. Il exprime également sa position par
rapport à ce dont il parle. C’est ce qu’on appelle la dimension modale de
l’énonciation.
Le premier à avoir mis en évidence cette dimension modale est Charles Bally. Ce
linguiste suisse, disciple de Ferdinand de Saussure s’inscrit dans le structuralisme
mais s’intéresse également à l’utilisation des langues et souhaite proposer dès
1909 une théorie de l’énonciation. Il montre notamment que dans tout énoncé
contient le dictum et le modus.
-Le dictum : ce qui est dit, ce dont on parle, ce qui est dénoté.
-Le modus : la manière de dire, l’attitude de locuteur, la manière dont le
locuteur exprime sa position par rapport à ce qu’il dit.
Ex.1
« Je pense que tu as raison », dans cet exemple la modalité exprimée par le
locuteur est explicite.
Ex.2
« Le chef du gouvernement marocain » « L’ex-ministre des affaires étrangères et
de la coopération » « Le secrétaire général du P.J.D. » « Le Psychiatre de
formation » …

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Toutes ces désignations montrent clairement l’importance de la dimension
modale. Le référent est identique, mais le modus change, c’est-à-dire que la
position du locuteur diffère en fonction de la désignation choisie pour évoquer M.
Saâdeddine El Otmani.
III / Déictiques (Shifters)
1. Définition
Déictique est l’adjectif correspondant à ʺdeixisʺ, mot qui mérite explication. Il
signifie en grec « action de montrer » et s’applique à une famille d’opérations
sémantiques inséparables de la situation où l’énoncé est produit, donc de
l’énonciation.
Un exemple fera comprendre en quoi consiste la deixis. Supposons qu’en réponse
à une invitation, j’accepte en prononçant le très court énoncé suivant : « J’irai ».
On y trouve deux éléments déictiques : le plus apparent est le pronom personnel
ʺ jeʺ (repris d’ailleurs par la désinence verbale ʺ-aiʺ, du fait que le verbe s’accorde
avec son sujet). Pour savoir qui est désigné par ʺjeʺ, pour identifier cette première
personne, il faut savoir qui prononce l’énoncé. Or ce renseignement est
normalement fourni par la situation d’énonciation. Le déictique ʺ jeʺ invite donc
l’auditeur à compléter le sens en se reportant à la situation. Pour comprendre, on
a en effet besoin d’une ʺindicationʺ que les mots de l’énoncé ne donnent pas.
Quant au second déictique de l’énoncé, c’est tout simplement le morphème de
futur ʺ-r-ʺ. Par lui-même, il veut dire que le procès signifié par le verbe aura lieu
dans l’avenir. Mais l’avenir est une notion relative. Il suppose un moment donné
après lequel il est situé. Quel est ce moment donné ? De nouveau, il est précisé
par la situation d’énonciation : il s’agit du moment ʺprésentʺ, qui est l’instant où
l’énonciateur est en train de parler.
Étudier l’énonciation d’un point de vue linguistique, c’est étudier les indices de
l’énonciation dans l’énoncé, et donc relier les formes linguistiques à l’acte de
l’énonciation.

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De ce qui précède on peut dire que les déictiques sont des unités linguistiques
renvoyant à la situation de l’énonciation, qui servent à situer ce qu’on dit : qui le
dit ? A qui ? A quel moment ? A quel endroit ? Ces éléments ne peuvent être
interprétés que si on les rapporte à la situation de l’énonciation, c’est-à-dire qu’on
a besoin de la situation de l’énonciation pour identifier le référent de ces éléments
et les comprendre pleinement. Autrement dit, si on change les paramètres d’une
situation de l’énonciation, les déictiques n’ont plus la même référence.
Les déictiques peuvent renvoyer aux trois paramètres de la situation de
l’énonciation :
- Déictiques de personnes : locuteur ou interlocuteur …
- Déictiques spatiaux : lieu de l’énonciation c’est-à-dire la position du
locuteur dans l’espace et les objets présents dans cette situation.
- Déictiques temporels : moment de l’énonciation.
REMARQUE
Les indices de la personne
E. Benveniste distingue ʺ je ʺ / ʺ nous ʺ et ʺ tu ʺ / ʺ vous ʺ qui correspondent aux
véritables indices de la personne, dans le sens où ils réfèrent respectivement à une
réalité de discours aux véritables personnes de la situation d’énonciation
(locuteur/ interlocuteur).
Le ʺ il ʺ représente les gestes ou les objets dont on parle le délocuté.
Tu/vous génériques valeur de vérité générale.
Exemples :
 « Il y a des gens tu ne peux pas leur faire confiance »
 « Dans cette voiture vous devenez un autre homme »
Le « tu » ou « vous » remplace en quelque sorte un « on », un sujet universel ; il
ne renvoie pas exactement à l’interlocuteur mais à tout le monde.

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Cas du datif éthique
 « Avec le passage à l’euro, ils t’ont augmenté le prix »
 « Range-moi ta chambre »
Ici, le ʺ tu ʺ est intégré à l’énoncé à titre de témoin fictif mais il ne joue aucun rôle
dans le procès car sa suppression n’altérerait en rien l’énoncé au niveau du
contenu.
Emplois particuliers de la non-personne en tant que personne
Nous avons déjà dit que la troisième personne grammaticale représente pour
Benveniste la non-personne du délocuté (ce dont on parle), mais il existe des
emplois particuliers où l’on utilise la troisième personne pour parler à son
interlocuteur.
Exemples :
 Monsieur est servi ?
 Son excellence est-elle satisfaite ?
Le ʺ il ʺ fonctionne bien comme indice de personne car il réfère à l’interlocuteur.
Le locuteur s’exclut de la réciprocité de l’échange linguistique, il ne dit pas «je »
et ne pose pas un « tu » en face de lui.
Cas de ʺ on ʺ
L’analyse des indices de la personne serait incomplète si l’on ne prenait pas en
compte cette singularité du français ʺ on ʺ.
Il est toujours en position sujet et réfère nécessairement à un être humain et il peut
recevoir toutes les valeurs de tous les référents, « je, tu, nous, vous, la rumeur
publique, certains, quelqu’un… »
Pour analyser les différentes valeurs du pronom ʺ on ʺ, il faut prendre en compte
trois critères :
a. Le premier est de savoir si ʺonʺ est indéfini (il ne désigne pas une personne
en particulier mais un ensemble plus ou moins large, un groupe assez
vague) ou renvoie à des personnes bien identifiées.

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Exemples
- On a toujours besoin d’un plus petit que soi. (le ʺ on ʺ ici est indéfini)
- En chine, on parle chinois. (groupe de personnes bien identifié.)
b. Le second critère consiste à voir si ʺonʺ est plutôt générique (il renvoie à
un sujet universel, à tout le monde, à la rumeur publique, ou non générique
(il renvoie à un groupe plus restreint de personnes, qui peut-être un groupe
de personnes bien identifié ou un groupe assez vague, indéfini).
Exemples
- Quand on boit de l’eau, on reste en bonne santé.
- On m’a dit que le film passait à 20h.
c. Le dernier critère est de savoir si « on » est inclusif ou exclusif, c’est-à-dire
si « on » inclut ou exclut le locuteur.
Exemples
- On a de la fièvre ce matin ?
- On a bien joué.
- On pourrait aller voir un film demain.
Précisez la valeur de « on » dans la phrase suivante :
- On te dit une heure et quand tu arrives, il n y a personne. On se moque de
nous.
Réponse : le ʺonʺ ici est, indéfini, non générique, exclusif.
Exercice 1
Repérez les déictiques utilisés dans le texte suivant et dites à quoi ils se réfèrent.
Déduisez-en la situation dans laquelle le texte a été produit
«Aujourd’hui, je vous ai réuni ici pour partager avec vous ma modeste expérience.
J’ai passé trente ans de ma vie dans cet endroit et je me mets à votre entière
disposition. Ne vous laissez pas arrêter par de mauvaises critiques ou par vos
échecs ! Apprenez, posez des questions, pratiquez avec assiduité ! C’est grâce à
l’expérience et l’amélioration constante que vous gagnerez le respect des autres.
Regardez-moi ce programme ! Avec ça, vous devenez les meilleurs ! »

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N.B. Il est impératif de présenter les réponses de manière ordonnée, en suivant un
plan qui évite de se répéter, plutôt que de répondre au fil du texte.
I - Les personnes et les choses
1) Pronoms personnels
 je : pronom personnel de la 1ère personne du singulier, qui expriment le
locuteur, celui qui parle ;
 vous est ici un « vous » de la deuxième personne du pluriel qui renvoie à
un groupe de personnes. Il correspond à l'allocutaire, celui à qui je parle.
2) Les possessifs
 vos (échecs) est un adjectif possessif de la 2ème personne du pluriel,
renvoyant à un groupe de personnes (membres présents de la réunion) ; il
établit un lien à l'allocutaire.
 Votre (...disposition) : de la 2ème personne du pluriel, renvoyant à un
groupe de personnes (membres présents de la réunion) ; il établit un lien à
l'allocutaire.
 ma (..expérience) est adjectif possessif de la 1ère personne du singulier, qui
établit un lien au locuteur et à l'allocutaire ensemble.
 ma (vie) : adjectif possessif de la 1ère personne du singulier, qui établit un
lien au locuteur et à l'allocutaire ensemble.
3) Les démonstratifs
 ce (programme) est l’un des adjectifs démonstratifs qui est accompagné par
un élément extra-linguistique, un geste du locuteur à l'intention de son
allocutaire, pour désigner des éléments qu'ils ont conjointement sous les
yeux.
 ça (dernière phrase) est un pronom démonstratif qui est accompagné d'un
geste, mais qui correspond aussi à ce que je viens de relever et
de vous montrer.

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4) L'article défini
 l’expérience : le nom est précédé d'un article défini, qui possède un rôle
similaire à celui des déterminants déictiques, puisqu'il s'agit de
ʺl'expérienceʺ de l'allocutaire et en ce sens, il est proche d'un adjectif
possessif (votre expérience).
 l’amélioration : le nom est précédé d'un article défini, qui possède un rôle
similaire à celui des déterminants déictiques, puisqu'il s'agit de
ʺaméliorationʺ de l'allocutaire et en ce sens, il est proche d'un adjectif
possessif (votre amélioration).
II - Les circonstances
1) Temps
 Aujourd’hui : permet de situer le moment présent de l'énonciation.
2) Lieu
 ici : adverbes par lesquels le locuteur désigne par un geste un endroit précis
par rapport à lui-même et à l'allocutaire.
III - Les verbes
1) Présent
 je me mets : il s'agit du présent véritable, ou présent d'énonciation, qui
exprime ce qui est vrai pendant qu'on le dit ; mais on peut remarquer qu'il
est plus ou moins élargi puisque l’action touche à la fois le présent de
l’énonciation et aussi le futur proche.
2) Passé composé
 je vous ai réuni : il s’agit d’un passé composé du verbe réunir, qui
correspond à un événement passée, avec des prolongements dans le présent.
 j’ai passé : le passé composé correspond à un événement passé qui a des
prolongements ou des conséquences dans le présent.

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3) Futur
 vous allez me faire payer n'est pas un futur simple, mais une périphrase
morphologiquement au présent, qui sert à exprimer un futur
proche ; aller fonctionne comme un semi-auxiliaire ;
 je me retrouve est un verbe au présent, mais avec une valeur temporelle,
qui est celle d'un futur proche, presque immédiat ; on remarquera pourtant
qu'ici, cet élément est soumis à condition (sous-entendu : si j'accepte).
4) Modes
 regardez : l'impératif cumule les aspects déictiques : c'est le locuteur qui
parle, et qui s'adresse à l'allocutaire ; il lui parle au présent, mais pour une
réalisation de l'action dans un futur proche ; l'aspect spatial n'est pas non
plus absent ; enfin, il correspond à un acte de parole, puisque par la parole
le locuteur agit sur son allocutaire, sa parole entraîne une réaction de
l'allocutaire, un ordre entraîne une obéissance, compte tenu bien sûr que
nous sommes ici dans une situation courtoise.
 Laissez : un impératif présent, où le locuteur s'adresse à son allocutaire ; au
présent, mais pour une réalisation de l'action dans un futur très proche,
immédiat ; il correspond à un acte de parole du locuteur sur l'allocutaire,
puisque c'est une interdiction.
 Apprenez : un impératif présent, où le locuteur s'adresse à son allocutaire ;
au présent, mais pour une réalisation de l'action dans un futur très proche,
immédiat
 Posez : un impératif présent, où le locuteur s'adresse à son allocutaire ; au
présent, mais pour une réalisation de l'action dans un futur très proche,
immédiat
 Pratiquez : un impératif présent, où le locuteur s'adresse à son allocutaire ;
au présent, mais pour une réalisation de l'action dans un futur très proche,
immédiat

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Exercice 2
« Ne vous ai-je pas déjà dit cette semaine que vous n'êtes pas ici pour jouer à ces
petits jeux infantiles sur votre ordinateur de bureau ? Regardez-moi au lieu de
tripoter ça ! Vous n'êtes pas dans l'entreprise pour vous amuser, nous ne vous
avons pas embauché pour ça ! Vous faites un effort, mon ami, sinon d'ici un mois,
vous allez vous retrouver là-haut, à classer le courrier en retard ! »
I - Les personnes et les choses
1) Pronoms personnels
 je, moi : pronoms personnels de la 1ère personne du singulier, ils expriment
le locuteur, celui qui parle ;
 vous est ici un « vous » de politesse, ce pronom morphologiquement de la
deuxième personne du pluriel équivaut à un singulier, il correspond à
l'allocutaire, celui à qui je parle.
 nous : pronom de la 1ère personne du pluriel, qui exprime ici le locuteur
associé à des tierces personnes absentes sur le lieu de l'énonciation,
l'ensemble formant l'équipe dirigeante de l'entreprise.
2) Les possessifs
 votre (ordinateur) est un adjectif possessif de la 2ème personne du pluriel,
avec la même remarque que ci-dessus pour le pluriel de politesse ; il établit
un lien à l'allocutaire ;
 mon (ami) : adjectif possessif de la 1ère personne du singulier, qui établit
un lien au locuteur. Il y aurait des remarques à faire sur
la modalisation dans cette expression ; l'allocutaire n'est pas un ami du
locuteur, c'est donc plutôt ironique, ou condescendant ; cette expression sert
à interpeller l'allocutaire, à attirer son attention, et à établir un rapport avec
lui, qui est ici un rapport de supériorité, par l'intermédiaire de mots de
confraternité, qui sont donc détournés de leur usage premier.

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3) Les démonstratifs
 cette (semaine), adjectif démonstratif, sert à exprimer une circonstance
temporelle (voir ci-dessous)
 ces (petits jeux) sont ceux que je vois, ceux auxquels vous êtes en train de
vous adonner, cet adjectif démonstratif est accompagné par un élément
extra-linguistique, un geste du locuteur à l'intention de son allocutaire, pour
désigner ce qu'ils ont conjointement sous les yeux ;
 ça (deuxième ligne) est un pronom démonstratif qui est accompagné d'un
geste du locuteur à l'intention de son allocutaire ; le deuxième ça peut être
compris de la même façon, mais il est plutôt anaphorique (= vous amuser).
4) L'article défini
 l'entreprise : le nom est précédé d'un article défini, qui possède un rôle
similaire à celui des déterminants déictiques, puisqu'il s'agit de l'entreprise
commune à l'allocutaire et au locuteur, celle que nous connaissons tous
deux, et qu'il n'est pas nécessaire de préciser davantage ; en ce sens, il est
proche d'un adjectif possessif.
II - Les circonstances
1) Temps
 cette semaine : l'adjectif démonstratif permet de situer la semaine par
rapport au présent d'énonciation, c'est celle qui contient le jour présent ;
 d'ici un mois : ce groupe exprime un futur proche, la durée d'un mois à
compter du jour présent.
2) Lieu
 ici (ligne 1) : cet adverbe exprime le lieu de l'énonciation ;
 là-haut : cet adverbe exprime un lieu qui se situe au-dessus du lieu de
l'énonciation, l'étage supérieur par rapport à ici ; il peut être accompagné
d'un geste.

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III - Les verbes
1) Présent
 vous n'êtes... (2 fois) correspond au présent véritable, ou présent
d'énonciation, ce qui est vrai pendant qu'on le dit, mais avec une valeur
élargie, comme c'est fréquent, élargie à un passé récent et un futur plus ou
moins proche.
2) Passé composé
 ai-je dit / avons embauché : le passé composé exprime une action passée
qui a des prolongements dans le présent ; je vous l'ai dit pour que vous vous
en souveniez encore aujourd'hui ; et nous avons embauché dans le passé, la
conséquence présente étant que vous êtes embauché.
3) Futur
 Il n'y a pas de futur simple de l'indicatif, mais un futur proche exprimé par
la périphrase habituelle avec le semi-auxiliaire aller (vous allez vous
retrouver...)
4) Modes
 Regardez-moi est un impératif présent, où le locuteur s'adresse à son
allocutaire ; au présent, mais pour une réalisation de l'action dans un futur
très proche, immédiat ; il correspond à un acte de parole du locuteur sur
l'allocutaire, puisque c'est un ordre ;
 Vous faites est un présent de l'indicatif, mais qui a exactement la même
valeur que l'impératif, avec la nuance qu'il est suivi d'une action soumise à
condition, il a donc aussi une valeur hypothétique.
 On peut noter aussi un acte de parole dans le questionnement (au passé
composé) de la première phrase, puisqu'une question appelle en principe
une réponse ; mais si la forme est interrogative, c'est plutôt ici l'expression
d'une colère, pour laquelle il n'y a pas de mode.

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2. Plans de l’énonciation
Toute énonciation, c’est-à-dire tout acte de « mise en fonctionnement de la langue
par un acte individuel d’utilisation » Benveniste p. 237, se situe consciemment ou
non, par rapport à son ancrage dans l’actualité énonciative, et manifeste, à travers
les énoncés productifs, la plus ou moins grande distance qu’elle établit avec cette
actualité. Ce sont les plans ou niveaux d’énonciation, qui donnent à chaque
énoncé une ou des tonalité(s) énonciative(s) propre(s).
Benveniste distinguait deux grands types d’énoncés :
 Ceux qui organisent leurs repérages par rapport à la situation
d’énonciation ; des énoncés ancrés qui trouvent leurs racines dans
l’actualité des locuteurs (je/tu/ici/maintenant), c’est-à-dire que les marques
de la présence de l’énonciation sont bien greffés dans la situation
d’énonciation. On parle également de plan embrayé sur l’actualité
énonciative, discours ou même énonciation personnelle.
 Ceux qui n’embrayent pas sur l’actualité énonciative, et qui « construisent
des repérages par un jeu de renvois internes à l’énonciation »idem ; si
l’énoncé ne comporte en lui-même aucune marque de la manifestation de
l’énonciateur, il est dit alors, énoncé coupé de la situation d’énonciation,
ou non ancré.
Benveniste parle alors de plan non embrayé, de récit (histoire ou
énonciation historique)
Exercice
Les deux textes suivants relatent un événement, mais de manière différente.
Qu’est ce qui les différencie ?
Le texte (A)
« Imaginez-vous la vie après, sans dialyse. C’est même inimaginable ! Ma vie est
rythmée par les trois séances de dialyse. Je me suis tellement habituée, mais
redevenir libre comme avant, et faire comme je veux ce que je veux, quand je

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veux, ça serait presque incroyable, tellement impensable que ça relèverait du
miracle. »
Texte (B)
« Il commença à parcourir des yeux les paragraphes, plus denses les uns que les
autres, des pages du document. Il plongea dans la lecture de son polycopié… »
Commentaire : Deux types d’énoncés différents au niveau du plan, l’un comporte
des références liées à la situation d’énonciation, un certain nombre de marques
renvoyant à celui qui lit le texte et qui le dit (« vous » / « ma / je »). Le premier
texte l’en comporte pas : il est coupé de la situation de l’énonciation, alors que le
deuxième il est ancré dans la situation d’énonciation.
IV / Modalisation ou marques lexicales de la subjectivité
Nous allons nous intéresser à la manière dont la subjectivité du locuteur s’inscrit
dans ce qu’il dit en abordant la modalisation/ les modalités
1. Objectivité/ Subjectivité
Il parait bien difficile de tracer une limite nette entre des deux notions, puisque
même quand on pense être objectif on peut être subjectif.
« Si en essayant de décrire l’amphi, je dis qu’il est sale ou vieux ou simplement
sombre, j’émets un jugement. Ma description se veut fidèle à l’objet (c’est la
définition de ʺobjectif ʺ dans le petit Robert), et pourtant mon énoncé est déjà
empreint de subjectivité. »
C’est ce qui fait dire à Kerbrat Orecchioni que la subjectivité est partout dans le
langage. La langue n’est pas un miroir de la réalité ou une série d’étiquettes
collées à cette réalité, car entre la langue et le monde, il y a les sujets, les êtres-
humains qui, en communiquant, expriment leur point de vue sur le monde, leur
rapport au monde ; le simple fait de nommer passe par les filtres de la perception,
de l’interprétation et de la catégorisation.

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La subjectivité n’est pas attachée à un terme hors de son contexte puisque c’est
dans un énoncé que cette subjectivité prend sens et tout terme pouvant alors être
subjectif.
Les termes subjectifs nous renseignent sur l’objet désigné et également sur le
locuteur, son point de vue…
On dira d’un discours qu’il se veut objectif quand le locuteur essaie de s’effacer
mais en gardera bien que la subjectivité est partout et qu’aucun discours n’est
jamais complètement objectif. On parle de discours objectivant plutôt
qu’objectif.
On dira d’un discours qu’il est subjectif quand le locuteur s’inscrit explicitement
(ex. Je trouve que c’est nul !) ou se pose implicitement (ex. C’est nul ! / C’est
vraiment nul !)
2. Modalisation/ Modalité
La modalisation est l’opération par laquelle le locuteur donne son point de vue ou
prend position par rapport à son interlocuteur ou par rapport à son énoncé.
Les modalités sont les résultats, le produit dans l’énoncé du processus de
modalisation. C’est une des manifestations de la subjectivité dans l’énoncé.
On dit qu’un énoncé est modalisé quand il contient une ou plusieurs modalités.
On peut distinguer deux types de modalité :
2.1. Modalités d’énonciation :
Elles renvoient à l’acte d’énonciation en marquant l’attitude énonciative du
locuteur dans sa relation avec son interlocuteur.
C’est le cas dans l’exemple « Est-ce que Paul viendra ? », dans lequel le locuteur
invite l’interlocuteur à lui répondre, l’assertion (la déclarative), l’interrogative et
l’injonctive sont les trois modalités d’énonciation de base par lesquelles le
locuteur adopte une attitude par rapport à l’interlocuteur qui n’est pas que
l’expression d’une subjectivité mais qui établit aussi une relation interpersonnelle.

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a. L’assertion (la déclarative)
Engage le locuteur sur une certitude et amène corrélativement l’interlocuteur à y
adhérer.
b. L’interrogative et l’injonctive
Entrainent un certain type de réponses/réactions de la part de l’interlocuteur
puisqu’elles constituent des demandes de dire ou demandes de faire.
On retrouve avec ces modalités d’énonciation l’idée que dire, c’est agir (faire)
mise en évidence par Austin et Searle.
Mais dans le discours, on rencontre très souvent des actes de langage indirect.
L’énoncé « J’ai froid. » pourrait dépasser la fonction assertive pour exprimer une
injonction dans certaines situations d’énonciation.
Exemples
 « Est-ce que tu peux me passer le sel ? », une interrogation qui cache une
injonction « Passe-moi le sel ! »
 « Tu es vraiment très en retard ! » : c’est une assertion, c’est un acte de
reproche qui doit obliger le retardataire à produire un acte de demande
d’excuse.
2.2. Modalités d’énoncé
Elles regroupent tous les moyens linguistiques par lesquels le locuteurs manifeste
une attitude par rapport à ce qu’il dit, à son énoncé, en d’autres termes, les moyens
linguistiques qui servent à exprimer son point de vue mais aussi ses émotions, ses
sentiments.
Depuis l’Antiquité, différentes catégorisations de ce phénomène ont été
proposées. On peut retenir trois grandes catégories de modalités d’énoncés plus
(+) une dernière ajoutée Kerbrat Orecchioni.

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a. Modalités épistémiques
Modalités par lesquelles, le locuteur exprime son degré de certitude sur ce qu’il
asserte (ce qu’il dit pourrait être présenté comme savoir, connaissance, croyance,
entendu, constater…)
Exemples
- Je pense qu’il viendra.
- Je ne suis pas sûr de son arrivée.
 Verbes d’opinion et de croyance : croire, penser, estimer, être persuadé,
convaincu…
 Des adverbes modalisateurs : peut-être, sûrement, sans doute,
certainement…
 Des locutions verbales : il semble que, il ne fait pas de doute, il est probable,
il est douteux, il est incontestable…
b. Modalités déontiques
Le mot déontique vient du mot grec « Ta deonda » qui signifie « ce qu’il faut ».
Elles expriment des droits, devoirs, obligations morales. Elles présentent le
contenu propositionnel en le situant sur l’axe obligatoire/ facultatif ou
permis/interdit (les signaux de la route sont déontiques).
Exemples
- Il ne faut pas traverser dans les passages réservés aux piétons.
- Vous devez avoir un passeport.
- Paul doit partir demain, soit il doit partir (déontique) ou (épistémique,
probabilité)
c. Modalités appréciatives
Par lesquelles est exprimée une évaluation ou un jugement. Elles se manifestent
par l’emploi de termes (noms, verbes, adjectifs, adverbes) qui se repartissent

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 Sur un axe positif-négatif est qui renvoient à des catégorisations
esthétiques (beau, laid, moche), éthique (bien, mal), c’est ce qu’on
appelle les termes axiologiques.
 Ou des échelles de grandeur (grand/petit, chaud/froid…) évaluatifs non-
axiologiques
d. Modalités affectives
À ces trois modalités, Orecchioni ajoute les termes affectifs qui concernent
l’expression des sentiments des locuteurs.
(aimer, préférer, détester, heureusement, malheureusement)

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Bibliographie

- BENVENISTE E., Problèmes de linguistique générale, Paris,


Gallimard, 1966 et 1974.
- MAINGUENEAU D., Les Termes clés de l’analyse du discours, Paris,
Seuil, 1996.
- MAINGUENEAU D., Analyser les textes de communication, 199-,
Paris, Nathan.
- MAINGUENEAU D., L’Enonciation en linguistique française, 1999,
Paris, Hachette,
- KERBRAT–ORECCHIONI C., 1980, L’énonciation. De la
subjectivité dans le langage, Paris, Colin.
- RIEGEL M., PELLAT, 1994, J-C., RIOUL, R., Grammaire
méthodique du français, Paris, P.U.F.
- SEARLE, J., 1985, L’intentionnalité, Essai de philosophie des états
mentaux, Trad. Par Claude Pichin, Cambridge University Press,
Editions de Minuit.

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