1 PROF. CHALFI Plan du cours I / Essai de définitions 1. Discours 2. Discours / Texte II / Principales notions de l’énonciation 1. Qu’est-ce que l’énonciation ? 2. Enoncé et énonciation 3. Situation de l’énonciation 4. Dimension référentielle et modale de l’énonciation III / Déictiques 1. Définition 2. Plans de l’énonciation IV / Modalisation ou marques lexicales de la subjectivité
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2 PROF. CHALFI I / Essai de définition 1. Discours La grande extension du concept discours le rend difficile à appréhender. Tantôt, il est synonyme de la parole au sens saussurien, tantôt il désigne un message pris globalement. Dans l’œuvre de Benveniste (1966), il est défini comme "toute énonciation supposant un locuteur et un auditeur et chez le premier l’intention d’influencer l’autre en quelque manière" (p.242). En effet, s’il est nécessaire de remonter au cours de linguistique générale (CLG) de Saussure, c’est précisément pour construire le concept de discours sur une remise en cause de celui de parole. Pour Saussure, la langue est une réalité sociale et la parole est une réalité individuelle. En séparent la langue de la parole, on sépare ce qui est social de ce qui individuel, ce qui est essentiel de ce qui est accessoire et plus ou moins accidentel. En outre, la langue n’est fonction du sujet parlant, elle est un produit que l’individu enregistre passivement, elle ne suppose jamais de préméditation, alors que la parole est un acte individuel de volonté et d’intelligence. Autrement dit, la langue relève de la mémoire et de l’image de dictionnaire. Etant donné les caractères qui permettent d’opposer langue et parole, on comprend que la phrase ne relève pas de la langue mais de la parole, lieu de l’activité et de l’intelligence. Avec Kerbrat-Orecchioni, le discours ou "langage mis en action", tandis que du point de vue de Dominique Maingueneau (1976), "le discours n’est pas un objet concret offert à l’intuition, mais le résultat d’une construction (…), le résultat de l’articulation d’une pluralité plus ou moins grande de structurations transphrastiques, en fonction des conditions de production" (p.16).
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3 PROF. CHALFI Parmi les reproches adressés à Saussure : - Occultation du contexte dans lequel a été définie la linguistique structurale. - Étudier la structure du texte en lui-même et par lui-même, en rejetant toute considération extérieure. Les travaux des formalistes russes (le nom que l’on donne au groupe de jeunes soviétiques, qui, dans les années 1910-1920, ont jeté les fondements et entrepris les premières analyses concrète dans le domaine de l’analyse structurale des formes littéraires) ont permis de dégager une logique des enchainements transphrastiques, dans le domaine du conte folklorique. Les recherches de Propp sont maintenant bien connues en France et elles ont permis de construire les premières esquisses de syntaxe narrative, de logique du récit. C’est dans les années 50, que s’exercent des actions beaucoup plus décisives sur la constitution de l’analyse de discours. On assiste bien à l’extension des procédures de la linguistique distributionnelle américaine, à des énoncés qui dépassent le cadre de la phrase nommées « discours » par Zellig Harris en 1952, et les travaux de Roman Jakobson et Emile Benveniste sur l’énonciation. Harris est le premier linguiste à étendre directement les procédures utilisées pour l’analyse des unités de la langue, à des énoncés dépassant le cadre de la phrase. Prenons par exemple le discours suivant : (a) L’étudiante est gravement malade. (b) Elle a besoin de notre soutien. Le pronom personnel ʺelleʺ de la phrase (b) n’est pas interprétable à l’intérieur de cette phrase ; il ne peut l’être que via un élément qui apparait dans la phrase (a) du même discours, c'est-à-dire que l’élément anaphorique ne peut être interprété qu’au sein du discours dans sa totalité. On comprend rapidement l’intérêt de l’établissement et la validation du discours ʺtexteʺ, comme un objet d’étude dépassant la dimension de la phrase.
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4 PROF. CHALFI À l’inverse, Benveniste et Jakobson cherchent à dégager comment le sujet parlant s’inscrit dans les énoncés qu’il émet : autrement dit, à une langue conçue comme un répertoire de signes combinés systématiquement entend à substituer l’idée que le locuteur s'approprie l'appareil formel de la langue et il énonce sa position de locuteur par des indices spécifiques. Selon les termes de Benveniste, le locuteur pose de même un certain type de rapport à son propre énoncé et au monde. La constitution d’un champ de recherche autonome dont l’objet est le ʺdiscoursʺ, s’inscrit de façon générale dans le cadre de l’évolution des sciences du langage à partir des années soixante. L’analyse de discours entretient avec la linguistique des rapports complexes qui sont toujours en situation de redéfinition constante, car il s’agit plus d’un mouvement scientifique qui se situe à la croisée des chemins, ayant son objet, ses cadres méthodologiques et ses notions, qu’une discipline circonscrite comme un bloc homogène. En dépit de la diversité des approches en analyse de discours, des théories et des notions qui y sont impliquées, toutes les voies convergent vers la définition unique de son objet par GRAWITZ (1990 : 345) qui soutient que toutes les recherches en ce domaine ‹‹ (...) partent néanmoins du principe que les énoncés ne se présentent pas comme des phrases ou des suites de phrases mais comme des textes. Or un texte est un mode d’organisation spécifique qu’il faut étudier comme tel en le rapportant aux conditions dans lesquelles il est produit. Considérer la structure d’un texte en le rapportant à ses conditions de production, c’est l’envisager comme discours››. Discours = Énoncé + Conditions de production La question du discours n’est pas énoncée dans le CLG de Ferdinand de SAUSSURE qui circonscrit le domaine de la linguistique comme une étude de la langue, elle-même définie comme un ʺsystème de signesʺ. Sa théorie repose sur une opposition langue/parole qui recoupe l’opposition société / individu. La recherche en linguistique s’oriente ainsi vers l’étude du système de la langue par
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5 PROF. CHALFI opposition aux manifestations individuelles de la parole. La séparation langue / parole présuppose du coup une opposition entre ce qui est social et ce qui individuel. Par rapport à cette opposition, le discours est le tiers-exclu. La première mise en cause de l’opposition saussurienne qui réhabilite la parole apparaît en 1909 chez Charles BALLY, dans son traité de stylistique. Celui-ci expose les principes d’une linguistique de la parole qui ouvre la voie de la recherche sur la relation entretenue par le sujet parlant, son discours et le contexte. L’instabilité de la notion de discours rend dérisoire toute tentative de donner une définition précise du discours et de l’analyse de discours. On peut dans ce cas expliquer pourquoi le terme de discours recouvre plusieurs acceptions selon les chercheurs ; certains en ont une conception très restreinte, d'autres en font un synonyme de "texte" ou “d'énoncé”. On peut déjà dire que le discours est une unité linguistique de dimension supérieure à la phrase (transphrastique), un message pris globalement. Pour L. GUESPIN, c'est ce qui s'oppose à l'énoncé ; c'est-à-dire que : ‹‹l'énoncé, c'est la suite des phrases émises entre deux blancs sémantiques, deux arrêts de la communication ; le discours, c'est l'énoncé considéré du point de vue du mécanisme discursif qui le conditionne›› (1971). Le terme de ʺdiscoursʺ désigne aussi un ensemble d'énoncés de dimension variable produits à partir d'une position sociale ou idéologique ; comme c'est le cas par exemple de la déclaration d'une personnalité politique ou syndicale. Par discours, on envisage aussi la conversation comme type particulier d'énonciation. En partant du mode de fonctionnement de l’énonciation, BENVENISTE (1966) oppose le discours à la langue qui est un ensemble fini relativement stable d'éléments potentiels. C’est le lieu où s'exercent la créativité et la contextualisation qui confèrent de nouvelles valeurs aux unités de la langue. Il définit ensuite l'énonciation comme : « L'acte individuel par lequel un locuteur met en fonctionnement le système de la langue ; “la conversion de la langue en discours” »(1970)
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6 PROF. CHALFI Le discours, selon Benveniste, est cette manifestation de l’énonciation chaque fois que quelqu’un parle. Cette définition de Benveniste semble entretenir un lien avec celle que Jean-Michel ADAM (1989) énonce de la manière suivante : “(…) un discours est un énoncé caractérisable certes par des propriétés textuelles mais surtout comme un acte de discours accompli dans une situation (participants, institutions, lieu, temps)”. 2. Discours / Texte Si dans un passé récent, le terme de discours ne référait qu’à une production orale, de nos jours, celui-ci recouvre non seulement le discours oral mais aussi le texte écrit ; c'est-à-dire qu'il s'applique aux énoncés oraux et écrits. C. FUCHS (1985: 22), qui ne fait pas de distinction entre texte et discours avance la définition suivante : ‹‹objet concret, produit dans une situation déterminée sous l'effet d'un réseau complexe de déterminations extralinguistiques (sociales, idéologiques) ››. Oswald Ducrot et Jean Marie Schaeffer, dans Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage (Seuil, 1972 ; 1995), considèrent que : « La notion de texte, largement utilisée dans le cadre de la linguistique et des études littéraires, est rarement définie de manière claire : certains limitent son application au discours écrit, voire à l’œuvre littéraire ; d’autres y voient un synonyme de discours ; certains, enfin, lui donnent une extension trans- sémiotique, parlant de texte filmique, texte musical, etc.» Il semble qu'il n'y ait pas de mot plus polysémique que “discours” dans le champ de la linguistique. En effet, ce terme connaît non seulement des emplois variés mais aussi des délimitations assez floues. De cette pluralité de définitions, il se dégage chez tous les auteurs que le discours désigne toute réalisation orale ou écrite par un sujet, de la dimension de la phrase ou au-delà (succession de phrases : texte) et ainsi que son contexte.
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7 PROF. CHALFI Pour Michel ARRIVÉ (1986) ‹‹le discours peut être conçu comme une extension de la linguistique, ou comme symptôme d'une difficulté interne de la linguistique (particulièrement dans le domaine du sens), rendant nécessaire le recours à d'autres disciplines››. II / Principales notions de l’énonciation 1. Qu’est-ce que l’énonciation ? Benveniste définit l’énonciation comme : la mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation (1974 p.80), c'est-à-dire que l’énonciation est cet acte physique et mental de mise en fonctionnement de la langue, acte par lequel, le locuteur s’approprie la langue. Soit l’énoncé suivant : ʺ Je suis fatiguéʺ, élément d’un corpus. Il constitue en tant que fait de parole un matériau à travers lequel le linguiste peut appréhender l’objet abstrait qui est la langue. Mais une description syntaxique et/ou lexicale ne peut suffire à indiquer les informations fournies par ce message. Sa valeur informative est tout à fait différente selon qu’elle est prononcée par Pierre ou par Paul, tel jour ou tel autre jour ; elle dépend du moment où le message est dit, de la situation, du locuteur, en bref, des circonstances de l’énonciation. Ces circonstances agissent sur certains éléments de l’énoncé et sont donc responsables des variations du contenu informatif : Le pronom « je » et le temps verbal « présent » désignent des personnes et des époques différentes selon qu’on fait varier les conditions de la parole. Donc, dans la description de la langue, on peut ajouter aux concepts méthodologiques de langue et de parole, les phénomènes liés à l’acte de l’énonciation. L’énonciation, acte de production linguistique, s’oppose à l’énoncé, résultat de l’énonciation. On peut la définir de l’actualisation des phrases dans une situation précise. Ce qui intéresse surtout le linguiste, c’est l’utilisation de certains signes de la langue dont le sens va changer avec les circonstances de l’énonciation. On utilise
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8 PROF. CHALFI des mots déictiques Shifters, embrayeurs (Jakobson), pour désigner les expressions où le référent n’est pas définitif est immuable, on peut ainsi opposer « demain », (jour qui suit le jour où je parle) à le « lendemain », (jour qui suit n’importe quel jour). Emile Benveniste a exposé dans plusieurs chapitres de Problèmes de linguistique générale (PLG) que l’énonciation est directement responsable de certaines classes de signes, qu’elle promeut littéralement à l’existence. ʺjeʺ dénote l’individu qui profère l’énonciation ; ʺtuʺ l’allocutaire, celui à qui s’adresse le discours ; dans chaque situation d’énonciation, « je » et « tu » désignent à neuf. Il en est de même du temps verbal « présent » qui coïncide avec le moment de l’énonciation des déictiques indiciels qui se réfèrent au lieu et au temps de la locution (adverbes de lieu et de temps comme ici, maintenant ; démonstratifs comme ce, cette…) 2. Énoncé et énonciation Parmi les linguistes français, E. Benveniste (1902-1976) parait avoir été le premier à relever systématiquement dans ses articles des faits analogues à ceux que d’autres ont à la même époque au plus tard, rangés sur la rubrique pragmatique. On lui attribue, avec raison, le mérite d’avoir clairement séparé l’énoncé et l’énonciation et souligné l’intérêt d’étudier cette dernière. « Si l’énonciation est l’acte de produire un énoncé, celui-ci est la réalisation de cet acte, le message oral ou écrit » Van den Heuvel, p.18. Dans une communication écrite, «l’énonciation ne saurait s’étudier que dans l’énoncé dont une série de termes ne prennent leur sens qu’en référence à l’acte de production, à la situation d’énonciation (je-ici-maintenant) » idem. On s’intéresse donc aux sujets parlant et on précise toutefois que c’est surtout au sujet parlant ou écrivant, plus qu’à l’auditeur ou le lecteur que se sont intéressés les approches énonciatives.
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9 PROF. CHALFI Benveniste insiste aussi sur la nécessité de ne pas confondre l’énonciation et l’énoncé qui est le résultat de l’acte de l’énonciation, c’est-à-dire le produit de cet acte. L’énonciation ne se produit jamais deux fois identique à elle-même. Même si chaque énonciation est un acte individuel, un événement unique, la linguistique de l’énonciation veut montrer que tout ne relève pas de l’individuel, mais qu’il existe des caractéristiques invariantes, communes à chaque acte individuel. E. Benveniste montre, en effet, que l’énoncé contient des indices, des traces de l’acte de l’énonciation dont il est le produit et l’analyse de ces indices va nous permettre de comprendre des propriétés, des caractéristiques de l’énonciation et les procédés linguistiques impliqués dans la production d’un énoncé (embrayage, modalisation). Certaines caractéristiques que l’on retrouve dans tout acte d’énonciation sont des éléments que Benveniste appelle l’appareil formel de l’énonciation, autrement dit, le dispositif de l’énonciation. Dans son chapitre intitulé ʺL’appareil formel de l’énonciationʺ du PLG2, Benveniste présente ce dispositif comme suit « En tant que réalisation individuelle, l’énonciation peut se définir par rapport à la langue comme procès d’appropriation. Le locuteur s’approprie l’appareil formel de la langue et il énonce sa position de locuteur par des indices spécifiques (…). Mais immédiatement, dès qu’il se déclare locuteur et assume la langue, il implante l’autre en face de lui, quel que soit le degré de présence qu’il attribue à cet autre. Toute énonciation est une allocution, elle postule un allocutaire (…). Enfin, dans l’énonciation, la langue se trouve employée à l’expression d’un certain rapport au monde. (…) la référence est partie intégrante de l’énonciation (…). L’acte individuel d’appropriation de la langue introduit celui qui parle dans sa parole. C’est là une donnée constitutive de l’énonciation (…). Cette situation va se manifester par un jeu de formes spécifiques dont la fonction est
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10 PROF. CHALFI de mettre le locuteur en relation constante et nécessaire avec son énonciation » p.82 3. Situation de l’énonciation Un temps : le moment du déroulement de l’énonciation. Un lieu : l’endroit où a eu lieu l’énonciation Des acteurs : celui (ou ceux) qui parle(nt) et celui (ou ceux) à qui il(s) s’adresse(nt). On trouve locuteur ou énonciateur pour celui qui parle ; allocuteur, interlocuteur ou énonciataire pour celui à qui il s’adresse. Pour définir une situation d’énonciation, on doit répondre à trois questions : Qui parle à qui ? / À quel moment ? / À quel endroit ? Ex. Un débat politique à la télé qui réunit trois hommes politiques appartenant à de partis différents, un sociologue et un modérateur (celui qui régule le débat) Acteurs : les invités au débat et le modérateur sont des locuteurs ; les interlocuteurs sont les invités, le public qui assiste à l’enregistrement de l’émission et les téléspectateurs. Les hommes politiques et le sociologue ne sont pas sur le plateau pour parler entre eux du débat, car leur but ultime en passant à la télé était bien sûr de convaincre l’auditoire. Lieu : le plateau de la télévision et pour le public qui regarde la télé, il s’agit bien de lieux divers. Temps : le moment de l’enregistrement / le moment de la diffusion. Si ce sont les mêmes, l’émission est en direct, sinon, elle est en différé. À la télé comme à la radio parfois, le direct reste rare mais des stratégies sont mises en place pour faire comme si on était en direct. 4. Dimension référentielle et la dimension modale de toute énonciation Les linguistes de l’énonciation ont mis en évidence que toute énonciation comporte à la fois une dimension référentielle et une dimension modale.
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11 PROF. CHALFI -La dimension référentielle : On parle également de mécanisme de référence ou univers référentiel. C’est le fait que, quand on parle de quelque chose on se réfère à quelque chose. D’après Reigel, l’accès de référence consiste à utiliser des formes linguistiques (mots, syntagmes, phrases) pour évoquer des entités (Objets, personnes, propriétés, procès, entités…) appartenant à des univers réels ou fictifs. Le référent est l’élément auquel le signe linguistique renvoie qui pourrait être un élément du monde physique ou mental ou un élément du texte. - La dimension modale : Lorsqu’un locuteur parle, il ne fait pas que référer à des objets du monde. Il exprime également sa position par rapport à ce dont il parle. C’est ce qu’on appelle la dimension modale de l’énonciation. Le premier à avoir mis en évidence cette dimension modale est Charles Bally. Ce linguiste suisse, disciple de Ferdinand de Saussure s’inscrit dans le structuralisme mais s’intéresse également à l’utilisation des langues et souhaite proposer dès 1909 une théorie de l’énonciation. Il montre notamment que dans tout énoncé contient le dictum et le modus. -Le dictum : ce qui est dit, ce dont on parle, ce qui est dénoté. -Le modus : la manière de dire, l’attitude de locuteur, la manière dont le locuteur exprime sa position par rapport à ce qu’il dit. Ex.1 « Je pense que tu as raison », dans cet exemple la modalité exprimée par le locuteur est explicite. Ex.2 « Le chef du gouvernement marocain » « L’ex-ministre des affaires étrangères et de la coopération » « Le secrétaire général du P.J.D. » « Le Psychiatre de formation » …
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12 PROF. CHALFI Toutes ces désignations montrent clairement l’importance de la dimension modale. Le référent est identique, mais le modus change, c’est-à-dire que la position du locuteur diffère en fonction de la désignation choisie pour évoquer M. Saâdeddine El Otmani. III / Déictiques (Shifters) 1. Définition Déictique est l’adjectif correspondant à ʺdeixisʺ, mot qui mérite explication. Il signifie en grec « action de montrer » et s’applique à une famille d’opérations sémantiques inséparables de la situation où l’énoncé est produit, donc de l’énonciation. Un exemple fera comprendre en quoi consiste la deixis. Supposons qu’en réponse à une invitation, j’accepte en prononçant le très court énoncé suivant : « J’irai ». On y trouve deux éléments déictiques : le plus apparent est le pronom personnel ʺ jeʺ (repris d’ailleurs par la désinence verbale ʺ-aiʺ, du fait que le verbe s’accorde avec son sujet). Pour savoir qui est désigné par ʺjeʺ, pour identifier cette première personne, il faut savoir qui prononce l’énoncé. Or ce renseignement est normalement fourni par la situation d’énonciation. Le déictique ʺ jeʺ invite donc l’auditeur à compléter le sens en se reportant à la situation. Pour comprendre, on a en effet besoin d’une ʺindicationʺ que les mots de l’énoncé ne donnent pas. Quant au second déictique de l’énoncé, c’est tout simplement le morphème de futur ʺ-r-ʺ. Par lui-même, il veut dire que le procès signifié par le verbe aura lieu dans l’avenir. Mais l’avenir est une notion relative. Il suppose un moment donné après lequel il est situé. Quel est ce moment donné ? De nouveau, il est précisé par la situation d’énonciation : il s’agit du moment ʺprésentʺ, qui est l’instant où l’énonciateur est en train de parler. Étudier l’énonciation d’un point de vue linguistique, c’est étudier les indices de l’énonciation dans l’énoncé, et donc relier les formes linguistiques à l’acte de l’énonciation.
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13 PROF. CHALFI De ce qui précède on peut dire que les déictiques sont des unités linguistiques renvoyant à la situation de l’énonciation, qui servent à situer ce qu’on dit : qui le dit ? A qui ? A quel moment ? A quel endroit ? Ces éléments ne peuvent être interprétés que si on les rapporte à la situation de l’énonciation, c’est-à-dire qu’on a besoin de la situation de l’énonciation pour identifier le référent de ces éléments et les comprendre pleinement. Autrement dit, si on change les paramètres d’une situation de l’énonciation, les déictiques n’ont plus la même référence. Les déictiques peuvent renvoyer aux trois paramètres de la situation de l’énonciation : - Déictiques de personnes : locuteur ou interlocuteur … - Déictiques spatiaux : lieu de l’énonciation c’est-à-dire la position du locuteur dans l’espace et les objets présents dans cette situation. - Déictiques temporels : moment de l’énonciation. REMARQUE Les indices de la personne E. Benveniste distingue ʺ je ʺ / ʺ nous ʺ et ʺ tu ʺ / ʺ vous ʺ qui correspondent aux véritables indices de la personne, dans le sens où ils réfèrent respectivement à une réalité de discours aux véritables personnes de la situation d’énonciation (locuteur/ interlocuteur). Le ʺ il ʺ représente les gestes ou les objets dont on parle le délocuté. Tu/vous génériques valeur de vérité générale. Exemples : « Il y a des gens tu ne peux pas leur faire confiance » « Dans cette voiture vous devenez un autre homme » Le « tu » ou « vous » remplace en quelque sorte un « on », un sujet universel ; il ne renvoie pas exactement à l’interlocuteur mais à tout le monde.
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14 PROF. CHALFI Cas du datif éthique « Avec le passage à l’euro, ils t’ont augmenté le prix » « Range-moi ta chambre » Ici, le ʺ tu ʺ est intégré à l’énoncé à titre de témoin fictif mais il ne joue aucun rôle dans le procès car sa suppression n’altérerait en rien l’énoncé au niveau du contenu. Emplois particuliers de la non-personne en tant que personne Nous avons déjà dit que la troisième personne grammaticale représente pour Benveniste la non-personne du délocuté (ce dont on parle), mais il existe des emplois particuliers où l’on utilise la troisième personne pour parler à son interlocuteur. Exemples : Monsieur est servi ? Son excellence est-elle satisfaite ? Le ʺ il ʺ fonctionne bien comme indice de personne car il réfère à l’interlocuteur. Le locuteur s’exclut de la réciprocité de l’échange linguistique, il ne dit pas «je » et ne pose pas un « tu » en face de lui. Cas de ʺ on ʺ L’analyse des indices de la personne serait incomplète si l’on ne prenait pas en compte cette singularité du français ʺ on ʺ. Il est toujours en position sujet et réfère nécessairement à un être humain et il peut recevoir toutes les valeurs de tous les référents, « je, tu, nous, vous, la rumeur publique, certains, quelqu’un… » Pour analyser les différentes valeurs du pronom ʺ on ʺ, il faut prendre en compte trois critères : a. Le premier est de savoir si ʺonʺ est indéfini (il ne désigne pas une personne en particulier mais un ensemble plus ou moins large, un groupe assez vague) ou renvoie à des personnes bien identifiées.
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15 PROF. CHALFI Exemples - On a toujours besoin d’un plus petit que soi. (le ʺ on ʺ ici est indéfini) - En chine, on parle chinois. (groupe de personnes bien identifié.) b. Le second critère consiste à voir si ʺonʺ est plutôt générique (il renvoie à un sujet universel, à tout le monde, à la rumeur publique, ou non générique (il renvoie à un groupe plus restreint de personnes, qui peut-être un groupe de personnes bien identifié ou un groupe assez vague, indéfini). Exemples - Quand on boit de l’eau, on reste en bonne santé. - On m’a dit que le film passait à 20h. c. Le dernier critère est de savoir si « on » est inclusif ou exclusif, c’est-à-dire si « on » inclut ou exclut le locuteur. Exemples - On a de la fièvre ce matin ? - On a bien joué. - On pourrait aller voir un film demain. Précisez la valeur de « on » dans la phrase suivante : - On te dit une heure et quand tu arrives, il n y a personne. On se moque de nous. Réponse : le ʺonʺ ici est, indéfini, non générique, exclusif. Exercice 1 Repérez les déictiques utilisés dans le texte suivant et dites à quoi ils se réfèrent. Déduisez-en la situation dans laquelle le texte a été produit «Aujourd’hui, je vous ai réuni ici pour partager avec vous ma modeste expérience. J’ai passé trente ans de ma vie dans cet endroit et je me mets à votre entière disposition. Ne vous laissez pas arrêter par de mauvaises critiques ou par vos échecs ! Apprenez, posez des questions, pratiquez avec assiduité ! C’est grâce à l’expérience et l’amélioration constante que vous gagnerez le respect des autres. Regardez-moi ce programme ! Avec ça, vous devenez les meilleurs ! »
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16 PROF. CHALFI N.B. Il est impératif de présenter les réponses de manière ordonnée, en suivant un plan qui évite de se répéter, plutôt que de répondre au fil du texte. I - Les personnes et les choses 1) Pronoms personnels je : pronom personnel de la 1ère personne du singulier, qui expriment le locuteur, celui qui parle ; vous est ici un « vous » de la deuxième personne du pluriel qui renvoie à un groupe de personnes. Il correspond à l'allocutaire, celui à qui je parle. 2) Les possessifs vos (échecs) est un adjectif possessif de la 2ème personne du pluriel, renvoyant à un groupe de personnes (membres présents de la réunion) ; il établit un lien à l'allocutaire. Votre (...disposition) : de la 2ème personne du pluriel, renvoyant à un groupe de personnes (membres présents de la réunion) ; il établit un lien à l'allocutaire. ma (..expérience) est adjectif possessif de la 1ère personne du singulier, qui établit un lien au locuteur et à l'allocutaire ensemble. ma (vie) : adjectif possessif de la 1ère personne du singulier, qui établit un lien au locuteur et à l'allocutaire ensemble. 3) Les démonstratifs ce (programme) est l’un des adjectifs démonstratifs qui est accompagné par un élément extra-linguistique, un geste du locuteur à l'intention de son allocutaire, pour désigner des éléments qu'ils ont conjointement sous les yeux. ça (dernière phrase) est un pronom démonstratif qui est accompagné d'un geste, mais qui correspond aussi à ce que je viens de relever et de vous montrer.
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17 PROF. CHALFI 4) L'article défini l’expérience : le nom est précédé d'un article défini, qui possède un rôle similaire à celui des déterminants déictiques, puisqu'il s'agit de ʺl'expérienceʺ de l'allocutaire et en ce sens, il est proche d'un adjectif possessif (votre expérience). l’amélioration : le nom est précédé d'un article défini, qui possède un rôle similaire à celui des déterminants déictiques, puisqu'il s'agit de ʺaméliorationʺ de l'allocutaire et en ce sens, il est proche d'un adjectif possessif (votre amélioration). II - Les circonstances 1) Temps Aujourd’hui : permet de situer le moment présent de l'énonciation. 2) Lieu ici : adverbes par lesquels le locuteur désigne par un geste un endroit précis par rapport à lui-même et à l'allocutaire. III - Les verbes 1) Présent je me mets : il s'agit du présent véritable, ou présent d'énonciation, qui exprime ce qui est vrai pendant qu'on le dit ; mais on peut remarquer qu'il est plus ou moins élargi puisque l’action touche à la fois le présent de l’énonciation et aussi le futur proche. 2) Passé composé je vous ai réuni : il s’agit d’un passé composé du verbe réunir, qui correspond à un événement passée, avec des prolongements dans le présent. j’ai passé : le passé composé correspond à un événement passé qui a des prolongements ou des conséquences dans le présent.
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18 PROF. CHALFI 3) Futur vous allez me faire payer n'est pas un futur simple, mais une périphrase morphologiquement au présent, qui sert à exprimer un futur proche ; aller fonctionne comme un semi-auxiliaire ; je me retrouve est un verbe au présent, mais avec une valeur temporelle, qui est celle d'un futur proche, presque immédiat ; on remarquera pourtant qu'ici, cet élément est soumis à condition (sous-entendu : si j'accepte). 4) Modes regardez : l'impératif cumule les aspects déictiques : c'est le locuteur qui parle, et qui s'adresse à l'allocutaire ; il lui parle au présent, mais pour une réalisation de l'action dans un futur proche ; l'aspect spatial n'est pas non plus absent ; enfin, il correspond à un acte de parole, puisque par la parole le locuteur agit sur son allocutaire, sa parole entraîne une réaction de l'allocutaire, un ordre entraîne une obéissance, compte tenu bien sûr que nous sommes ici dans une situation courtoise. Laissez : un impératif présent, où le locuteur s'adresse à son allocutaire ; au présent, mais pour une réalisation de l'action dans un futur très proche, immédiat ; il correspond à un acte de parole du locuteur sur l'allocutaire, puisque c'est une interdiction. Apprenez : un impératif présent, où le locuteur s'adresse à son allocutaire ; au présent, mais pour une réalisation de l'action dans un futur très proche, immédiat Posez : un impératif présent, où le locuteur s'adresse à son allocutaire ; au présent, mais pour une réalisation de l'action dans un futur très proche, immédiat Pratiquez : un impératif présent, où le locuteur s'adresse à son allocutaire ; au présent, mais pour une réalisation de l'action dans un futur très proche, immédiat
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19 PROF. CHALFI Exercice 2 « Ne vous ai-je pas déjà dit cette semaine que vous n'êtes pas ici pour jouer à ces petits jeux infantiles sur votre ordinateur de bureau ? Regardez-moi au lieu de tripoter ça ! Vous n'êtes pas dans l'entreprise pour vous amuser, nous ne vous avons pas embauché pour ça ! Vous faites un effort, mon ami, sinon d'ici un mois, vous allez vous retrouver là-haut, à classer le courrier en retard ! » I - Les personnes et les choses 1) Pronoms personnels je, moi : pronoms personnels de la 1ère personne du singulier, ils expriment le locuteur, celui qui parle ; vous est ici un « vous » de politesse, ce pronom morphologiquement de la deuxième personne du pluriel équivaut à un singulier, il correspond à l'allocutaire, celui à qui je parle. nous : pronom de la 1ère personne du pluriel, qui exprime ici le locuteur associé à des tierces personnes absentes sur le lieu de l'énonciation, l'ensemble formant l'équipe dirigeante de l'entreprise. 2) Les possessifs votre (ordinateur) est un adjectif possessif de la 2ème personne du pluriel, avec la même remarque que ci-dessus pour le pluriel de politesse ; il établit un lien à l'allocutaire ; mon (ami) : adjectif possessif de la 1ère personne du singulier, qui établit un lien au locuteur. Il y aurait des remarques à faire sur la modalisation dans cette expression ; l'allocutaire n'est pas un ami du locuteur, c'est donc plutôt ironique, ou condescendant ; cette expression sert à interpeller l'allocutaire, à attirer son attention, et à établir un rapport avec lui, qui est ici un rapport de supériorité, par l'intermédiaire de mots de confraternité, qui sont donc détournés de leur usage premier.
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20 PROF. CHALFI 3) Les démonstratifs cette (semaine), adjectif démonstratif, sert à exprimer une circonstance temporelle (voir ci-dessous) ces (petits jeux) sont ceux que je vois, ceux auxquels vous êtes en train de vous adonner, cet adjectif démonstratif est accompagné par un élément extra-linguistique, un geste du locuteur à l'intention de son allocutaire, pour désigner ce qu'ils ont conjointement sous les yeux ; ça (deuxième ligne) est un pronom démonstratif qui est accompagné d'un geste du locuteur à l'intention de son allocutaire ; le deuxième ça peut être compris de la même façon, mais il est plutôt anaphorique (= vous amuser). 4) L'article défini l'entreprise : le nom est précédé d'un article défini, qui possède un rôle similaire à celui des déterminants déictiques, puisqu'il s'agit de l'entreprise commune à l'allocutaire et au locuteur, celle que nous connaissons tous deux, et qu'il n'est pas nécessaire de préciser davantage ; en ce sens, il est proche d'un adjectif possessif. II - Les circonstances 1) Temps cette semaine : l'adjectif démonstratif permet de situer la semaine par rapport au présent d'énonciation, c'est celle qui contient le jour présent ; d'ici un mois : ce groupe exprime un futur proche, la durée d'un mois à compter du jour présent. 2) Lieu ici (ligne 1) : cet adverbe exprime le lieu de l'énonciation ; là-haut : cet adverbe exprime un lieu qui se situe au-dessus du lieu de l'énonciation, l'étage supérieur par rapport à ici ; il peut être accompagné d'un geste.
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21 PROF. CHALFI III - Les verbes 1) Présent vous n'êtes... (2 fois) correspond au présent véritable, ou présent d'énonciation, ce qui est vrai pendant qu'on le dit, mais avec une valeur élargie, comme c'est fréquent, élargie à un passé récent et un futur plus ou moins proche. 2) Passé composé ai-je dit / avons embauché : le passé composé exprime une action passée qui a des prolongements dans le présent ; je vous l'ai dit pour que vous vous en souveniez encore aujourd'hui ; et nous avons embauché dans le passé, la conséquence présente étant que vous êtes embauché. 3) Futur Il n'y a pas de futur simple de l'indicatif, mais un futur proche exprimé par la périphrase habituelle avec le semi-auxiliaire aller (vous allez vous retrouver...) 4) Modes Regardez-moi est un impératif présent, où le locuteur s'adresse à son allocutaire ; au présent, mais pour une réalisation de l'action dans un futur très proche, immédiat ; il correspond à un acte de parole du locuteur sur l'allocutaire, puisque c'est un ordre ; Vous faites est un présent de l'indicatif, mais qui a exactement la même valeur que l'impératif, avec la nuance qu'il est suivi d'une action soumise à condition, il a donc aussi une valeur hypothétique. On peut noter aussi un acte de parole dans le questionnement (au passé composé) de la première phrase, puisqu'une question appelle en principe une réponse ; mais si la forme est interrogative, c'est plutôt ici l'expression d'une colère, pour laquelle il n'y a pas de mode.
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22 PROF. CHALFI 2. Plans de l’énonciation Toute énonciation, c’est-à-dire tout acte de « mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation » Benveniste p. 237, se situe consciemment ou non, par rapport à son ancrage dans l’actualité énonciative, et manifeste, à travers les énoncés productifs, la plus ou moins grande distance qu’elle établit avec cette actualité. Ce sont les plans ou niveaux d’énonciation, qui donnent à chaque énoncé une ou des tonalité(s) énonciative(s) propre(s). Benveniste distinguait deux grands types d’énoncés : Ceux qui organisent leurs repérages par rapport à la situation d’énonciation ; des énoncés ancrés qui trouvent leurs racines dans l’actualité des locuteurs (je/tu/ici/maintenant), c’est-à-dire que les marques de la présence de l’énonciation sont bien greffés dans la situation d’énonciation. On parle également de plan embrayé sur l’actualité énonciative, discours ou même énonciation personnelle. Ceux qui n’embrayent pas sur l’actualité énonciative, et qui « construisent des repérages par un jeu de renvois internes à l’énonciation »idem ; si l’énoncé ne comporte en lui-même aucune marque de la manifestation de l’énonciateur, il est dit alors, énoncé coupé de la situation d’énonciation, ou non ancré. Benveniste parle alors de plan non embrayé, de récit (histoire ou énonciation historique) Exercice Les deux textes suivants relatent un événement, mais de manière différente. Qu’est ce qui les différencie ? Le texte (A) « Imaginez-vous la vie après, sans dialyse. C’est même inimaginable ! Ma vie est rythmée par les trois séances de dialyse. Je me suis tellement habituée, mais redevenir libre comme avant, et faire comme je veux ce que je veux, quand je
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23 PROF. CHALFI veux, ça serait presque incroyable, tellement impensable que ça relèverait du miracle. » Texte (B) « Il commença à parcourir des yeux les paragraphes, plus denses les uns que les autres, des pages du document. Il plongea dans la lecture de son polycopié… » Commentaire : Deux types d’énoncés différents au niveau du plan, l’un comporte des références liées à la situation d’énonciation, un certain nombre de marques renvoyant à celui qui lit le texte et qui le dit (« vous » / « ma / je »). Le premier texte l’en comporte pas : il est coupé de la situation de l’énonciation, alors que le deuxième il est ancré dans la situation d’énonciation. IV / Modalisation ou marques lexicales de la subjectivité Nous allons nous intéresser à la manière dont la subjectivité du locuteur s’inscrit dans ce qu’il dit en abordant la modalisation/ les modalités 1. Objectivité/ Subjectivité Il parait bien difficile de tracer une limite nette entre des deux notions, puisque même quand on pense être objectif on peut être subjectif. « Si en essayant de décrire l’amphi, je dis qu’il est sale ou vieux ou simplement sombre, j’émets un jugement. Ma description se veut fidèle à l’objet (c’est la définition de ʺobjectif ʺ dans le petit Robert), et pourtant mon énoncé est déjà empreint de subjectivité. » C’est ce qui fait dire à Kerbrat Orecchioni que la subjectivité est partout dans le langage. La langue n’est pas un miroir de la réalité ou une série d’étiquettes collées à cette réalité, car entre la langue et le monde, il y a les sujets, les êtres- humains qui, en communiquant, expriment leur point de vue sur le monde, leur rapport au monde ; le simple fait de nommer passe par les filtres de la perception, de l’interprétation et de la catégorisation.
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24 PROF. CHALFI La subjectivité n’est pas attachée à un terme hors de son contexte puisque c’est dans un énoncé que cette subjectivité prend sens et tout terme pouvant alors être subjectif. Les termes subjectifs nous renseignent sur l’objet désigné et également sur le locuteur, son point de vue… On dira d’un discours qu’il se veut objectif quand le locuteur essaie de s’effacer mais en gardera bien que la subjectivité est partout et qu’aucun discours n’est jamais complètement objectif. On parle de discours objectivant plutôt qu’objectif. On dira d’un discours qu’il est subjectif quand le locuteur s’inscrit explicitement (ex. Je trouve que c’est nul !) ou se pose implicitement (ex. C’est nul ! / C’est vraiment nul !) 2. Modalisation/ Modalité La modalisation est l’opération par laquelle le locuteur donne son point de vue ou prend position par rapport à son interlocuteur ou par rapport à son énoncé. Les modalités sont les résultats, le produit dans l’énoncé du processus de modalisation. C’est une des manifestations de la subjectivité dans l’énoncé. On dit qu’un énoncé est modalisé quand il contient une ou plusieurs modalités. On peut distinguer deux types de modalité : 2.1. Modalités d’énonciation : Elles renvoient à l’acte d’énonciation en marquant l’attitude énonciative du locuteur dans sa relation avec son interlocuteur. C’est le cas dans l’exemple « Est-ce que Paul viendra ? », dans lequel le locuteur invite l’interlocuteur à lui répondre, l’assertion (la déclarative), l’interrogative et l’injonctive sont les trois modalités d’énonciation de base par lesquelles le locuteur adopte une attitude par rapport à l’interlocuteur qui n’est pas que l’expression d’une subjectivité mais qui établit aussi une relation interpersonnelle.
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25 PROF. CHALFI a. L’assertion (la déclarative) Engage le locuteur sur une certitude et amène corrélativement l’interlocuteur à y adhérer. b. L’interrogative et l’injonctive Entrainent un certain type de réponses/réactions de la part de l’interlocuteur puisqu’elles constituent des demandes de dire ou demandes de faire. On retrouve avec ces modalités d’énonciation l’idée que dire, c’est agir (faire) mise en évidence par Austin et Searle. Mais dans le discours, on rencontre très souvent des actes de langage indirect. L’énoncé « J’ai froid. » pourrait dépasser la fonction assertive pour exprimer une injonction dans certaines situations d’énonciation. Exemples « Est-ce que tu peux me passer le sel ? », une interrogation qui cache une injonction « Passe-moi le sel ! » « Tu es vraiment très en retard ! » : c’est une assertion, c’est un acte de reproche qui doit obliger le retardataire à produire un acte de demande d’excuse. 2.2. Modalités d’énoncé Elles regroupent tous les moyens linguistiques par lesquels le locuteurs manifeste une attitude par rapport à ce qu’il dit, à son énoncé, en d’autres termes, les moyens linguistiques qui servent à exprimer son point de vue mais aussi ses émotions, ses sentiments. Depuis l’Antiquité, différentes catégorisations de ce phénomène ont été proposées. On peut retenir trois grandes catégories de modalités d’énoncés plus (+) une dernière ajoutée Kerbrat Orecchioni.
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26 PROF. CHALFI a. Modalités épistémiques Modalités par lesquelles, le locuteur exprime son degré de certitude sur ce qu’il asserte (ce qu’il dit pourrait être présenté comme savoir, connaissance, croyance, entendu, constater…) Exemples - Je pense qu’il viendra. - Je ne suis pas sûr de son arrivée. Verbes d’opinion et de croyance : croire, penser, estimer, être persuadé, convaincu… Des adverbes modalisateurs : peut-être, sûrement, sans doute, certainement… Des locutions verbales : il semble que, il ne fait pas de doute, il est probable, il est douteux, il est incontestable… b. Modalités déontiques Le mot déontique vient du mot grec « Ta deonda » qui signifie « ce qu’il faut ». Elles expriment des droits, devoirs, obligations morales. Elles présentent le contenu propositionnel en le situant sur l’axe obligatoire/ facultatif ou permis/interdit (les signaux de la route sont déontiques). Exemples - Il ne faut pas traverser dans les passages réservés aux piétons. - Vous devez avoir un passeport. - Paul doit partir demain, soit il doit partir (déontique) ou (épistémique, probabilité) c. Modalités appréciatives Par lesquelles est exprimée une évaluation ou un jugement. Elles se manifestent par l’emploi de termes (noms, verbes, adjectifs, adverbes) qui se repartissent
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27 PROF. CHALFI Sur un axe positif-négatif est qui renvoient à des catégorisations esthétiques (beau, laid, moche), éthique (bien, mal), c’est ce qu’on appelle les termes axiologiques. Ou des échelles de grandeur (grand/petit, chaud/froid…) évaluatifs non- axiologiques d. Modalités affectives À ces trois modalités, Orecchioni ajoute les termes affectifs qui concernent l’expression des sentiments des locuteurs. (aimer, préférer, détester, heureusement, malheureusement)
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28 PROF. CHALFI Bibliographie
- BENVENISTE E., Problèmes de linguistique générale, Paris,
Gallimard, 1966 et 1974. - MAINGUENEAU D., Les Termes clés de l’analyse du discours, Paris, Seuil, 1996. - MAINGUENEAU D., Analyser les textes de communication, 199-, Paris, Nathan. - MAINGUENEAU D., L’Enonciation en linguistique française, 1999, Paris, Hachette, - KERBRAT–ORECCHIONI C., 1980, L’énonciation. De la subjectivité dans le langage, Paris, Colin. - RIEGEL M., PELLAT, 1994, J-C., RIOUL, R., Grammaire méthodique du français, Paris, P.U.F. - SEARLE, J., 1985, L’intentionnalité, Essai de philosophie des états mentaux, Trad. Par Claude Pichin, Cambridge University Press, Editions de Minuit.