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Avant-propos - L'événement
In: Communications, 18, 1972. pp. 3-5.
Morin Edgar. Avant-propos - L'événement. In: Communications, 18, 1972. pp. 3-5.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1972_num_18_1_2209
L'ÉVÉNEMENT
s'inscrit dans une figure, ou même constitue cette figure (l'Œdipe), il s'en
chaîne dans une logique (développement) ; mais en même temps cette figure
et cette logique ne peuvent s'actualiser sans ces événements, ni sans événements
initiaux ou générateurs.
Dans toutes les sciences de l'homme nous voyons des phénomènes qui consti
tuent à la fois un événement et un élément: par exemple la naissance d'un
enfant est l'événement générateur d'un individu, un événement au sein d'une
famille, voire d'un groupe social plus large, et même un événement biologique
puisqu'il correspond à une nouvelle distribution des éléments génétiques;
mais c'est aussi un élément au sein d'un système de reproduction biologique,
social, familial. Dans ce cas le caractère élémentuel et le caractère événementiel
sont patents. On peut penser que le problème devient de plus en plus intéres
sant quand il se trouble, quand on ne voit pas clairement où est le système, ni
même s'il y a un système, ou bien, là où il y a système qui se modifie, quand
l'on ne voit pas clairement là où il y a événement, ni s'il y a événement.
Si le premier propos de ce numéro est de problématiser l'événement, le
second propos est de reconnaître s'il est possible et là où il est possible d'éla
borer une science de l'événement, c'est-à-dire de transformer en objet de
science ce qui était demeuré jusqu'alors le résidu irrationnel de la recherche
objective.
Il semble que tous les systèmes connus, de l'atome jusqu'à la galaxie, sont
constitués de particules qui se sont associées ou combinées. Ces rencontres ont
été des événements, les uns statistiquement probables, les autres non. Toujours
est-il que l'émergence de propriétés nouvelles nées de la combinaison d'él
éments, qui isolément ne disposent pas de ces propriétés, semble indissociable
des événements-rencontres. Peut-être la vie elle-même est-elle le produit d'une
symbiose archaïque entre acides aminés et nucléotides, dans des conditions
thermodynamiques données.
Mais il y a plus important et plus crucial en ce qui concerne les organismes
vivants et plus encore les sociétés humaines. Ce sont des systèmes qui tendent
à persévérer dans leur être et à s'autoperpétuer sans modification (homéos-
tasie, reproduction). Et pourtant, ils changent, ils évoluent! Or ce sont des
événements perturbateurs ou accidentels, désorganisateurs ou destructeurs,
qui, dans certains cas, dans certaines conditions et entre certains seuils
ont au contraire un effet réorganisateur-morphogénétique.
C'est par ce biais que l'événement fait une nouvelle entrée dans la science.
Après que l'aléa ait été reconnu (avec quelles difficultés) et intégré dans la
statistique, c'est Z'événement-bruit qui va cesser d'être rejeté du discours de la
science de la vie et de la science de l'homme. Nous devons à Heinz von Foerster
d'avoir à notre connaissance le premier, formulé le principe order from noise,
et le lecteur trouvera, dans le premier article de ce numéro, celui de Henri
Atlan, un exposé et un développement magistral de la pensée von foersterienne.
Comme toute nouveauté créatrice, la science de l'événement émerge, non pas
au cœur d'une discipline déjà constituée, mais dans un no man's land entre
plusieurs disciplines. Elle est née à la frontière de la cybernétique et de la
L'événement
E. M.