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Fontaine José. Victor Goldschmidt, Anthropologie et politique. Les principes du système de Rousseau . In: Revue
Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 75, n°27, 1977. pp. 523-526 ;
https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1977_num_75_27_5948_t1_0523_0000_1
Ceux-ci usurpent le pouvoir qui leur est confié. Ce pouvoir finit par
se concentrer dans les mains d'un seul: le despotisme érige en règles
les passions du tyran. On retombe alors dans le pire stade de l'état
de nature où le « droit » du plus fort règne sans frein.
Ici s'arrête le système de Rousseau. En ce qui concerne l'avenir
et la manière de l'envisager, il hésite, ne présente pas quelque chose
d'absolument cohérent. Ou bien il sombre dans le fatalisme le plus
pessimiste, ou bien il fait preuve d'un « optimisme réformateur » : dans
le Contrat Social déjà cité, ainsi que dans les projets de constitutions
commandés par les Corses et les Polonais. Quoi d'étonnant à cette
hésitation? L'avenir ne peut être l'objet d'aucune «assertion
scientifique » (p. 762). Je fais ici une première remarque : si nous reprochons
cette incertitude finale du système de Rousseau, n'est-ce pas parce
que nous avons connaissance d'autres systèmes, ultérieurement
construits, et qui prétendent envelopper aussi l'avenir (Hegel, Kant,
Marx)? Or, si Rousseau ne conclut pas aussi péremptoirement que
les penseurs allemands, n'est-ce pas par fidélité à sa «méthode»,
une certaine rigueur et une certaine humilité intellectuelles?
Pour Goldschmidt Rousseau «a découvert la contrainte sociale,
le rapport (...) social (...), la vie et le développement autonomes de
structures (...), leur indépendance à l'égard des individus et,
corrélativement, la totale dépendance de ces mêmes individus à l'égard de
ces structures ...» (pp. 779-780). Les sciences sociales nous ont rendu
cette découverte familière mais elles l'ont en même temps enfouie en
la banalisant. Ce qui préoccupait Rousseau ce n'était pas seulement
«le fonctionnement des relations sociales» (p. 780) mais leur impact
dans la conscience individuelle où elles provoquent corruptions et
contradictions. Si l'on se souvient de l'intuition qui fut à l'origine
de cette «thèse», si l'on y ajoute «les points d'application que nos
structures contemporaines (...) lui fournissent en abondance, on
conviendra que la conscience du xxe siècle, loin d'avoir dépassé cette
découverte, ne l'a même pas rejointe» (p. 780).
La critique moderne (Burgelin, Derathé, Starobinski...) nous a
aidé à nous débarrasser des fausses images de Rousseau : le «vaniteux
épris d'originalité», le «malade», le «romantique», le «sentimental»
incapable de rigueur ... On pouvait encore douter de la valeur
philosophique d'une œuvre qu'on devait reconstituer, dont on soulignait
les apports à Kant, Hegel ... En refermant ce livre immense on ne
doute plus. Parce que son auteur s'est tout simplement proposé de
comprendre Rousseau par ses «principes». Et, comme peut-être
personne ne l'avait fait jusqu'à présent, nous nous demandons si
Goldschmidt n'est pas le premier à avoir vraiment compris cette très
grande philosophie.
José Fontaine.