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Pouillon Jean, Perrin Michel. La Pensée mythique : de la forme à l'usage. In: L'Homme, 1988, tome 28 n°106-107. Le mythe et
ses métamorphoses. pp. 7-12;
doi : 10.3406/hom.1988.368966
http://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1988_num_28_106_368966
par
logos humain, même lorsque ce logos est devenu science positive » (Barthes
1984 : 240). Le « Primitif » comme le « Bon Sauvage », sans parler des figures
négatives de populations exotiques qui hantent aujourd'hui l'imaginaire de
nombre de nos compatriotes, ne relèvent-ils pas d'une pensée (mythique) de
l'altérité ?
Toute culture crée sur ses marges des sociétés imaginaires. Pour se
représenter les attitudes des Indiens, des Mélanésiens, des Européens et d'autres
encore lors de leurs premiers contacts, on peut se référer à une mythologie fort
populaire dans les sociétés contemporaines, la « science-fiction »2. Aussi bien
les histoires où les humains arrivent sur d'autres planètes ou atteignent d'autres
galaxies que celles où des extra-terrestres débarquent sur la terre étendent le
champ sémantique de l'altérité afin d'y situer ces êtres mystérieux qui
surgiraient d'un ailleurs inconnu. Ainsi disposons-nous de représentations
préfabriquées tout comme les navigateurs du xvie siècle croyaient savoir, grâce aux
mythes des Anciens — présentés, ainsi qu'il est naturel, comme science bien
que fiction — , ce qu'ils allaient trouver au delà de la « zone torride ». Et bien
sûr, tout comme ils ont cru voir des hommes à tête de chien ou des géants, nous
croirions voir, si des extra-terrestres apparaissaient, de petits hommes verts qui
en fait seraient tout autres. Probablement remanierions-nous alors nos mythes,
mais en essayant inconsciemment d'en respecter le langage et la forme comme
l'ont fait les Indiens.
La plupart des articles soulignent la persistance de la pensée mythique, due
à sa capacité d'interpréter l'événement et, s'il le faut, de se remodeler selon
sa logique propre. Même si M. Carrin-Bouez parle du « repli du mythe » chez
les Santal, ceux-ci ne renonçaient pas à toute vision mythique des choses
pour interpréter l'exil que les missionnaires voulaient leur imposer, puisque
le problème fut, pour ce faire, de choisir entre deux « pôles attracteurs »,
deux mythologies : l'hindoue et la chrétienne. Dans un ordre d'idées voisin,
l'analyse de N. Belmont, qui porte sur un conte, montre que l'idéologie
chrétienne laisse intact le schéma narratif, mais, en « moralisant » le récit, en
perturbe le sens et tend à annuler sa densité mythique.
Il est donc pour un mythe une manière inverse de durer : au lieu de se
maintenir, au besoin en se métamorphosant, parce qu'il est toujours capable de
donner un sens à ce qui advient, il ne reste invoqué que parce qu'il peut être
utilisé à des fins qui lui sont extrinsèques. L'usage l'emporte sur la forme. Dans le
cas des Sulka de Nouvelle-Bretagne, M. Jeudy-Ballini montre comment un
mythe est réinterprété pour justifier la pratique d'un culte messianique dont il
devient en quelque sorte l'outil ; l'écriture et le voyage aérien sont introduits
dans le mythe pour en corriger l'interprétation traditionnelle : la nouveauté
donne un sens au récit, non l'inverse. Chez les Maenge, également en Nouvelle-
Bretagne, M. Panoff analyse les procédés par lesquels des idéologues
millénaristes réinterprètent un mythe d'origine et le prolongent en une prophétie
apocalyptique en jouant sur la polysémie des mots ou même en en introduisant de
nouveaux afin de mettre le mythe au service d'une propagande. De même, en
De la Forme à l'usage 11
NOTES
1. Numéro qui a été mis au point par Michel Perrin — qui en a proposé le thème — et Jean Pouillon.
2. On dira sans doute que la comparaison est boiteuse : la science-fiction a ses auteurs et ses livres, et
chaque ouvrage se veut original. Cependant on peut fort bien parler de petits hommes verts ou
d'autres espèces d'extra-terrestres sans avoir jamais lu un de ces livres (c'est mon cas ; J. P.) et en
discuter avec des interlocuteurs qui ne feront aucune référence à un auteur particulier. N'est-on pas
au moins sur la voie de la mythologie quand auteurs et livres passent à Parrière-plan ?
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Barthes, R.
1964 Le Bruissement de la langue. Paris, Le Seuil : 240.
Lévi-Strauss, C.
(cité L.-S.) a — « La Structure des mythes », in Anthropologie structurale. Paris, Pion, 1958 (version
française d'un article paru en anglais en 1955 dans le Journal, of American Folklore).
b — Leçon inaugurale (1960), reprise dans Anthropologie structurale deux. Paris, Pion,
1973.
c — « Structuralisme et écologie », in Le Regard éloigné. Paris, Pion, 1983 (traduction
française d'une conférence prononcée en 1972 à Barnard College).
d — « De la Possibilité mythique à l'existence sociale », in Le Regard éloigné, Paris, Pion,
1983.
Les autres citations sont tirées des articles publiés dans ce numéro.