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Péninou Georges. Le oui, le nom et le caractère. In: Communications, 17, 1971. pp. 67-81.
doi : 10.3406/comm.1971.1246
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1971_num_17_1_1246
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ces objets de conscience : l'épi parle, la voiture proclame « son bon goût », le
produit sauve.
Dans cette métaphore de la personne, le nom propre, l'attribut et l'affirmation
constituent la triade qu'il convient d'abord d'examiner.
I. Le nom.
La fonction publicitaire primordiale, tant dans la chronologie de ses efforts
que dans la pérennité de ses résultats, vise à l'imposition d'un nom. La publicité,
c'est avant toute chose un grand baptistère, où les productions les plus dispa
rates, issues de géniteurs innombrables, espèrent obtenir le sceau d'une identité.
Lorsqu'elle souhaita, à une certaine époque, apporter le témoignage de sa puis
sance auprès d'une opinion sceptique, elle choisit l'arbitraire d'un nom : Garap,
nom propre sans prédicat, magistral dans son inachèvement délibéré. De cette
eau baptismale surgit la marque, dont elle proclame, aux quatre coins de l'univers,
la naissance, impose l'appellation et accompagne désormais le destin.
La marque n'est pas une création gratuite. Elle relève d'un calcul intéressé
des firmes, dont elle permet de majorer les marges (les articles sous marque
assurent généralement des profits supérieurs aux articles sans marque), amoind
rit la dépendance à l'égard des circuits de distribution (en faisant du consom
mateur un allié) et régularise la planification (grâce à des débouchés extensifs et
moins aléatoires). Le calcul trouve dans la (publicité un auxiliaire puissant,
d'autant mieux acquis à la cause qu'elle permet à son génie propre de s'y mieux
déployer : la publicité des noms propres, ou publicité de marque, a toujours été
plus satisfaisante et plus efficace que la publicité collective — publicité des noms
communs — généralement jugée moins opérante que la première. Bien qu'elle
ne soit pas nécessairement à l'origine de la décision, ni du choix du nom, le con
cours de la publicité est ici nécessaire, et sa responsabilité considérable dans
l'entretien, la croissance et la vitalité de la marque.
Entité autonome, qui peut être appelée à la conscience en lieu et place du nom
patronymique de l'entreprise productrice, vouée à une circulation et à une
consommation distinctes de ce dernier, elle repose sur une philosophie écono
mique différente de celle qui présidait aux destinées de la marque de fabrique :
celle-ci était un sceau de propriété alors qu'elle se veut signe d'échange ; elle était
défensive et close, elle se veut ouverte et offensive. La réussite suprême est la
conquête des marchés par la seule autorité du nom propre, dont l'extrême est la
réduction du marché de la demande à la demande du nom : lorsque le réfrigérateur
est Frigidaire, Bic le stylo à bille, Éclair la fermeture à glissière, l'espèce a investi
le genre, le nom a fait corps avec le marché. Cet idéal monopolistique reste inac
cessible au plus grand nombre, demeure à la fois exceptionnel et provisoire :
ces mêmes noms, dont la puissance fut telle qu'ils surent générer l'appellation
même d'un marché, s'efforcent à terme de préserver l'intégrité de leur identité
(« le Frigidaire, le vrai ») quand l'excès de leur générisme les expose à couvrir de
leur nom des productions trop étrangères.
Cette substructure qu'est la marque est doublement vulnérable; elle reste,
en amont et en aval, entièrement tributaire de la considération qu'on voudra
bien lui attribuer : les avantages économiques que la production tire de son inst
itution lui font, en revanche, obligation d'assurer une certaine qualité et un certain
service, dont les défaillances ne seront plus couvertes par l'anonymat, iront
grossir le passif de la marque et pourront hypothéquer son avenir; en aval, elle
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Le oui, le nom et le caractère
1. Genèse : 2-19.
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L'ÉCONOMIE DE PRODUCTION
(marché de l'offre)
la production :
L'OBJET
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L'IDOLE
L'ÉCONOMIE DE CONSOMMATION
(marché de la demande)
L INTERVENTION PUBLICITAIRE.
Le oui, le nom et le caractère
II. Le caractère.
Apposé le nom, instituée la marque, reste en effet à imprimer un caractère, à
imposer « l'image de marque », entreprise plus ou moins persévérante visant à lui
conférer ses traits distinctifs. On passe ici, logiquement, de la publicité du nom
propre à la publicité de l'attribut, du sujet au prédicat, du support de l'être au
porteur de la valeur. En lui-même, le nom de marque n'est qu'une promesse, sur
lequel rien de durable ne peut être construit, s'il ne se trouve au cœur d'un réseau
d'associations, les plus discriminantes possibles, qui doubleront son identité d'une
personnalité. Il en sera donc des objets publicitaires comme des personnes, puisque
ce discours — discours anthropomorphe s'il en est — en vient, en définitive, à
les aborder comme telles; tous auront des caractères, et quelques-uns du carac
tère: ceux-ci, pour s'être imposés plus puissamment sous les traits de la vertu
(reconnaissance de la qualité), de la force (reconnaissance de l'autorité) ou de la
singularité (reconnaissance de l'originalité), sont appelés à un destin commercial
plus enviable que ceux-là.
Ces images de marque relèvent à la fois d'une éthique et d'un calcul : elles
peuvent relever d'une politique de recherche de l'adhésion ou d'une politique de
l'agression, de la manifestation sommaire de la puissance, qui s'imposera par la
mobilisation spectaculaire des médias de masse, à la distillation discrète, presque
intemporelle par son parti pris d'immuabilité, d'une représentation épurée. En
fait, les édifications publicitaires sont marquées du sceau de l'éphémère et rares
sont les contenus représentatifs qui s'installent dans la durée : ni le souvenir,
ni l'adhésion, ne leur sont acquis de façon durable (d'où les réactivations inces
santes des stimuli), ni ne peuvent garantir qu'ils ne seront amoindris, oblitérés
ou remplacés par les souvenirs et acquiescements donnés à des concurrents plus
vigoureux, plus séducteurs ou plus convaincants.
Traitée selon l'analogie de la personne, la marque héritera donc d'une psychol
ogie et s'incorporera dans une histoire. Elle aura droit aux traits de caractère
(« la personnalité » de marque) qui sauvegarderont son individualité, l'empêche
ront de se résorber dans le collectif anonyme : elle entrera dans l'échange
hommes ; elle se fera témoin, ou agent, de l'image qu'ils souhaitent donner d'eux-
mêmes; elle entrera dans leur patrimoine, participera aux travaux des jours, à
l'embellissement des corps, à la qualité de la vie : brune ou blonde, une Bastos
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« n'affirme-t-elle pas votre personnalité »? Oser une lame Wilkinson, n'est-ce pas
« retrouver le geste de l'homme des grands espaces »? Avec une chaussette Bur
lington, dont le « calor power » donne à la démarche « plus de persuasion », ne
peut-on prétendre « se placer au premier rang x »?
On prête vie aux objets quand on leur a prêté un nom, on leur prête nom pour
leur donner vie. On leur impose, ce faisant, une durée vécue intense et, peut-être,
une obsolescence psychologique accélérée. La marque, en les dotant d'intensité,
les expose à la précarité. Elle les rend synchrones d'une existence d'homme,
et dépendants de ses caprices. En les voulant solidaires d'eux et membres de
leur sphère d'appartenance, elle les expose à un destin convulsif, en perpétuelle
mouvance. Il n'y a pas d'essence distincte, son histoire et ses distinctions appa
raissent quand elle reçoit son nom : Esso, Shell, Total ou Elf. Le nom propre
balaie le générisme du nom commun et le schématisme de son contenu pour
alimenter, à sa place, un éventail de représentations autonomes; voilà donc
l'essence mêlée, d'année en année, à un tourbillon d'idées versatiles, de sentiments
divers, d'attentions intéressées, qui ne se peuvent établir et perpétuer que pour
autant que l'essence ait effectivement troqué son nom commun pour des noms
propres : seuls, ils peuvent inaugurer et soutenir cette impressionnante superstruc
ture d'images.
Qu'elle opère par voie adjonctive, la qualité venant se greffer sur la substance
de l'objet, ou par voie symbolique — la qualité s'induisant de supports qui la
signifient — la publicité predicative de l'attribut se confond avec l'établissement
de la représentation de marque : décréter une image de marque, c'est décider
tout d'abord de l'ordre et du nombre des valeurs que l'on veut faire siennes, et
qui constitueront de manière durable ou transitoire, ses traits propres. Une bonne
lame de rasoir peut revendiquer légitimement une certaine durée d'usage et un
certain agrément d'emploi : un message de conformité quant à sa longévité et sa
douceur peut donc être prescrit, qui ne prendra valeur publicitaire qu'à l'issue
d'une recherche expressive particulière, d'un travail sur le signe — graphique,
linguistique, iconique — donnant à l'information sa conformation. Passer de la
valeur abstraite à signifier à son signifiant publicitaire, c'est la conduire dans un
transformateur d'essence rhétorique qui en convertira remarquablement les
caractéristiques d'entrée.
Dans ce convertisseur nécessaire, le glissement de la conformité à la conformat
ion traduit le glissement de la pragmatique de l'objet à la poétique de son avoir.
La valeur se conserve, mais charnelle : sensuelle ou sensorielle. On passe de
l'entendement à la sensibilité, du motivé au motivant, de la lettre à la figure, et,
transformation plus importante peut-être, de la valeur anonyme à l'appropria
tion privée de la valeur. Dans un univers technologiquement sûr, où les qualités
intrinsèques des biens sont souvent équivalentes ou leurs différences indiscer
nables,cette appropriation est devenue peu crédible : la douceur ne saurait donc
être l'apanage d'une seule marque de lames ni constituer, a fortiori, son trait
propre. La seule appropriation concevable exige son individualisation préalable,
qualité de la qualité, caractère du caractère. La douceur participe de beaucoup
de lames, et beaucoup la peuvent revendiquer, mais à Gillette seule appartient
la douceur amoureuse.
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PRAGMATIQUE DE L'ÊTRE
LA CONFORMATION
confirmante conformante
l'information
publicitaire
POÉTIQUE DE L'AVOIR
TRANSFORMATION DE L'INFORMATION EN INFORMATION PUBLICITAIRE.
III. V affirmation.
Toute publicité est affirmative et n'est qu'affirmation, comme si, de l'univers
des biens, elle ne reflétait que la même face encourageante et flatteuse. Quasiment
ignorante des tares, elle ne se départit jamais, à l'endroit des biens qu'elle prend
en charge, d'une égale et constante assurance. En elle, les objets ne ressemblent
guère à ce que l'expérience nous enseigne qu'ils sont : approximatifs plutôt
qu'exemplaires, sujets aux vices de conformation et aux défaillances de fonction
nement. Sans défauts ni taches, ils font parade de leurs vertus, beaux fruits d'or
que ne ronge aucun ver insoupçonné, immense galerie euphorique d'où ont été
bannis le difforme et le médiocre.
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1. Cf. arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 avril 70 (affaire Lip/Timex Corpora tion-
— Kelton) (France-Soir, 28-11-70).
2. La compétition tolérée peut prendre la forme de la valorisation de la marque
désignée par rapport à un collectif anonyme, établissant une évidente relation de supé
riorité de la première sur les autres : ex : Philips : « quand les autres rasoirs abandonnent,
le nouveau Philips, lui, trouve encore de la barbe. » — Simca 1000 « Personne ne peut
en dire autant pour le même prix ». — Regma : « Au Sicob allez d'abord voir nos con
currents, habituellement c'est comme cela que l'on devient Regman ».
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1. Campagne pour l'herbe, Express 5 mai 1968. Nouveau départ pour la Bourse, le
Monde 18 avril 1970. Campagne Air-France : un Français pense aux Français, le Monde
18 avril 1969. Pourquoi les SICAV, Entreprise oct. 1970. L'Office national des Forêts,
le Monde 27 octobre 1970. Assurances générales de France, le Monde 27 novembre 1970.
Le quinquennat roumain, Entreprise 7 octobre 1967.
2. Campagne musée Picasso; publicité des Beatles; publicité a Einstein », il avait les
cheveux longs, le Monde 21 octobre 1970.
3. Cf. Ricardou Jean : « La métaphore est toujours, en quelque façon un exotisme,
assemblant un ici (le comparé) et un ailleurs (le comparant) ».
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ainsi la grande amoureuse de votre peau ne peut-elle désormais que porter la
signature de Gillette et le tigre, celle d'Esso; ainsi peuvent appartenir au seul
bain moussant O'Bao la détente à la japonaise, au seul insecticide Vapona
l'efficacité tous azimuths, au seul détergent Ala la voracité des enzymes « glou
tons », aux seules glaces Gervais l'anéantissement de soi dans le plaisir *.
La personnalité publicitaire sera, en définitive, la résultante d'une composition
entre la conformité et la conformation; une représentation propre, située quelque
part, et pas nécessairement à mi-chemin, entre ces deux registres : celui de l'exacti
tude insensible, privée d'espace intérieur, reflet passif d'un donné de l'objet,
répertoire de caractères, d'une part — et de l'autre, celui de la (dé) figuration
sensible, dotée d'espace intérieur, traduction active d'un construit de l'objet,
source et ferment d'une exaltation des caractères.
Si l'on veut agir sur les conduites, il y aura nécessairement, en effet,
abandon de la forme véhiculaire brute, directe et commune, adéquate pour
informer, peu appropriée pour sensibiliser, et recherche d'une forme envelop
pante,distante de la conformité — proscrivant, de la sorte, la lettre, l'imitation,
la ressemblance, la reproduction; postulant en revanche, d'une manière ou d'une
autre, la non- coïncidence, condition de l'engendrement du sens publicitaire et de
l'enclanchement des conduites. "
II y aura donc au cœur de la publicité l'équivalent de la « violation du code
dénotatif » que l'on a mise au cœur de la poésie, «l'impertinence2 », qui seule, peut
arracher l'information à sa neutralité, signifier l'intentionnalité qui la sous-
tend, et la charger d'un poids émotionnel.
La publicité se fera toujours juger sur l'amplitude de cette impertinence,
qu'elle s'exerce sur le vocable ou sur l'image. Aux messages trop « conformes »,
on reprochera volontiers leur banalité, une vision demeurée prisonnière d'une
vision réaliste (or le réalisme des objets est une massive insignifiance), l'absence
du stimulant graphique, visuel, psychologique qui les mettrait en posture d'exci
ter le désir. Aux messages trop « conformants » qui se tiennent, en règle générale,
au point de jonction du vécu et de la valeur, on reprochera, à l'inverse, la dila
tation hyperbolique de l'objet, l'affranchissement d'une certaine mesure ou
retenue à son endroit et l'exagération de la sensorialité du signe.
Car l'objet devient, effectivement, excentrique par excès d'emphase,
non conforme à ce que la simple relation d'usage courante nous enseigne de lui.
Il se trouve aussi excessivement englobé, par le biais des relations afïinitaires
qu'on lui aménage, dans le monde du sentiment et de la signification, quand la
relation d'usage commanderait seulement qu'il reste du domaine de la fonction,
sans autre investissement de la personne. Ici, la déformation ou l'hyperbole
viennent moins de l'exagération de son être (exagération des qualités intrin
sèques) que de l'exagération de son agir, des responsabilités sociales ou morales
dont on le charge abusivement (exagération des significations symboliques) :
car si, après tout, l'on peut se sentir « en état d'apesanteur » en consommant
une huile de table particulièrement digeste, suffit-il d'un produit de toilette pour
« être homme — un vrai », suffit-il d'un blue-jean pour « vivre libre » et d'un
nouveau jersey pour ressentir « l'émancipation de l'homme »?
1. Il se peut que le nom absorbe le caractère : ex. : « les lèvres 1968 : tendrement rouges?
insolemment pâles? en tout cas Gemey » (Publicité rouge à lèvres Gemey).
2. Cohkn (Jean), Structure du langage poétique, chap. 3, Paris, Flammarion, 1966.
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1. Il est des cas où la marque, l'espèce, s'institue sur la négation du genre : « un million
de Français ne portent plus de slip » (mais des Mariner, publicité Mariner).
2. Marcuse (Herbert), l'Homme unidimensionnel, Paris, Minuit, 1968, p. 121.
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tionnelle — quant à l'objet — du message s'est dissoute dans sa valeur émotionn
elle — quant au sujet *.
En insinuant que « vos lèvres auront la colorescence des fleurs » il ne s'agit
pas tant d'informer sur les propriétés colorantes d'un rouge à lèvres que de sus
citer une participation émotive : on est sur le pôle connotatif et non sur le pôle
dénotatif du langage publicitaire, où le pouvoir sur l'âme a pris le pas sur l'ense
ignement.
Car il s'agit bien en fin de compte de cela : la publicité n'est pas seulement une
certaine modalité, originale, de la conscience des choses, qui la rattacherait
seulement à une esthétique du monde quotidien, à une poétique de la matière
manufacturée. Elle est un excitateur d'appétit face à l'énorme foule solitaire des
produits de consommation, serviteurs modestes et silencieux de l'agrément de
vivre.
Toutes les « célébrations » publicitaires (du fromage, de l'essence, du dentifrice,
du savon, de la chaussette, du diamant, de la chemise, du briquet, du saucisson,
de la bière, de la lame de rasoir) postulent que ces objets puissent, par la public
ité,pénétrer dans les intermittences de la conscience, dans le cycle de la parole
et dans la motivation des appétits. Ceux-ci ne peuvent être créés, entretenus ou
renouvelés que pour autant que les apparences des produits seront elles-mêmes
constamment renouvelées et rattachées à des réseaux de sens.
Conférer aux objets une signification n'est pas l'apanage de la publicité. Elle
ne fait qu'ériger en politique l'universelle faculté de tous d'imposer sens à tout;
mais sans doute, plus que tout autre producteur de sens, exploite-t-elle le sent
iment que toute appropriation compense ou comble, comme l'exprime Sartre,
« l'insuffisance d'être » du candidat acquéreur. Elle pousse donc à l'investissement
maximum de la personne dans l'acte d'achat, et au « surcroît d'être » que confère
l'Avoir : plus de virilité par l'aftershave, plus de liberté par le coton, plus de
réussite amoureuse par « des lèvres qui permettent tout ». A trop appesantir
et dilater les significations des objets qu'elle prend en charge, elle perd parfois
le sens de la mesure, donnant en spectacle trop de boursouflures inutiles, trop
d'épopées domestiques un peu sottes et trop de risibles amours de plume, d'images
et de papier. Un départ crucial s'opère ainsi entre dilatation de l'expression et
dilatation de la signification, amplification de la forme et dérèglement du sens,
figure admise et figure réprouvable. Le paroxysme de la forme, l'image hyper
bolique, n'est que la manifestation d'un certain extrémisme de la fonction
poétique, qui pénètre l'exigence référentielle, et sans laquelle la publicité n'est
pas. Encore faut-il que la rhétorique publicitaire sache raisonner l'outrance,
pour éviter l'outrage, décide si elle doit jouer sur le signifiant ou le signifié
— jouer sur est jouer avec — , délicate frontière de la lucidité et de la morale, du
déguisement et de la perversion du sens.
Georges Peninou
Département des Recherches, Publicis, Paris.
1. Sur l'atmosphérisation de l'objet, cf. H. Faure, les Objets dans la folie, Paris, PUF,
tome 2, les appartenances du délirant notamment p. 234 s.